Les servitudes relatives aux ouvertures (jours et vues): régime juridique

Les servitudes qui intéressent les ouvertures sont régies aux articles 675 à 680 du Code civil qui relève d’une section consacrée aux « vues sur la propriété de son voisin ».

Ces dispositions visent à encadrer les ouvertures des immeubles établis sur un fonds, lesquelles sont susceptibles de porter atteinte à l’intimité et à la vie privée du propriétaire du fonds voisin.

Là encore, l’objectif recherché est de préserver la paix sociale en instaurant des règles qui encadrent très strictement la réalisation d’ouvertures dans les corps de bâtiment.

==> Domaine

Tout d’abord, il convient de préciser que ces dispositions n’ont vocation à s’appliquer qu’aux fonds contigus, soit à ceux qui se touchent (du latin contigus, « touchant »). Il est indifférent que les fonds soient situés en milieu urbain ou rural et qu’ils comportent ou non des constructions. Ils doivent seulement être contigus.

Dans un arrêt du 22 mars 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les prescriptions relatives aux distances à respecter pour ouvrir des vues droites sur l’immeuble voisin ne concernent que les propriétés contiguës » (Cass. 3e civ. 22 mars 1989, n°87-16753).

Ensuite, lorsque lorsqu’une voie publique, s’interpose entre les deux fonds, les dispositions qui régissent les servitudes de vue ne sont pas applicables (V. en ce sens Cass. 3e civ. 28 sept. 2005, n°04-13942). Il importe peu que la distance qui sépare les fonds soit insignifiante, pourvu que ce soit le domaine public qui se dresse entre eux.

Dans un arrêt du 23 novembre 2017, la Cour de cassation a étendu cette solution à l’hypothèse où le terrain qui s’interposerait entre les deux fonds serait de nature privée, ou sans maître (Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n° 15-26240).

Cass. 3e civ., 23 nov. 2017
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 juin 2015), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 3 octobre 2012, pourvoi n° 11-13.152), que les consorts A... sont propriétaires d'une parcelle, voisine de celle de M. et Mme Y..., dont la propriété leur a été reconnue par un jugement du 11 janvier 2005 auquel la commune de [...] était intervenue volontairement ; que, soutenant que M. et Mme Y... avaient construit leur balcon et ouvert des vues sur leur parcelle, les consorts A... les ont assignés en démolition et remise en état ; que, sur tierce opposition de M. et Mme Y... au jugement du 11 janvier 2005, les consorts A... et la commune de [...] ont été jugés non propriétaires d'une bande de terrain située en bordure du fonds de M. et Mme Y... auxquels il a été enjoint de supprimer les vues ouvrant sur le fonds A... ;

[…]

Vu l'article 678 du code civil ;

Attendu que les distances prescrites par ce texte ne s'appliquent que lorsque les fonds sont contigus ;

Attendu que, pour condamner M. et Mme Y... à supprimer les vues ouvertes sur le fonds A..., l'arrêt retient que ni les consorts A... ni M. et Mme Y... ne sont propriétaires de la bande de terrain séparant leurs héritages ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces motifs que les fonds A... et Y... n'étaient pas contigus, de sorte que peu importait l'usage commun de la bande de terrain, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Attendu que la cassation sur le moyen relevé d'office entraîne la cassation par voie de conséquence de la disposition rejetant la demande de dommages-intérêts formée par M. et Mme Y... ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par les consorts A..., l'arrêt rendu le 17 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Cette décision a manifestement opéré un revirement de jurisprudence. Jusqu’alors, la Cour de cassation considérait, en effet, que les prescriptions des articles 678 et 680 du Code civil, relatifs aux distances à observer pour l’établissement de vues droites sur le fonds voisin s’appliquaient lorsque le fonds dans lequel la vue a été établie était séparé du fonds sur lequel elle donne par un espace privé commun (V. en ce sens Cass. 3e civ. 14 janv. 2004, n°02-18.564).

Désormais, la position de la troisième chambre civile consiste à dire qu’il est indifférent que la bande de terrain qui sépare les deux fonds soit d’usage commun. Ce qui importe, c’est qu’ils soient contigus et donc que le terrain qui s’interpose entre eux soit la propriété de l’un ou l’autre propriétaire des fonds.

Lorsqu’ainsi, le chemin qui s’interpose est rattaché à l’un des deux fonds et quand bien même il serait utilisé par des habitants du village comme passage, il y a lieu de faire application du régime judiciaire des servitudes de vue (Cass. 3e civ. 5 avr. 2006, 05-12441).

Enfin, dans un arrêt du 14 mars 1973 la cour de cassation a affirmé au visa des articles 678 et 679 du Code civil que « les prescriptions de ces textes ne sont pas applicables au cas où le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue droite ou oblique est déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions » (Cass. 3e civ. 14 mars 1973, n°72-10676).

Autrement dit, lorsqu’un fonds est grevé par une servitude de passage, le propriétaire du fonds dominant peut bénéficier d’une vue directe sur la partie du fonds voisin constitutive de l’assiette du passage.

Cette vue est, en effet, peu gênante pour le propriétaire du fonds servant qui, en raison de l’existence de la servitude de passage, ne peut d’ores et déjà pas édifier de constructions sur cette partie du terrain et n’en a pas la jouissance exclusive.

La question s’est alors posée de savoir si un tiers pouvait se dispenser, à l’instar du propriétaire du fonds dominant, de satisfaire les exigences de l’article 678, dans la mesure où le propriétaire du fonds servant ne pourra pas non plus être gêné en cas de création d’une vue sur sa partie du terrain grevé par la servitude de passage.

Dans un arrêt du 23 février 2005, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question. Elle a jugé que « l’exception au principe de l’interdiction prévue par l’article 678 du Code civil ne s’applique que lorsque le fonds sur lequel s’exerce la vue est grevé d’une servitude de passage au profit du fonds qui bénéficie de cette vue » (Cass. 3e civ. 23 févr. 2005, n°03-17156).

Cass. 3e civ. 23 févr. 2005
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 6 mai 2003), que M. X..., propriétaire d'un fonds jouxtant celui de Mme Y..., longé par un chemin appartenant à celle-ci, sur lequel le fonds d'un tiers bénéficie d'un droit de passage, a ouvert des vues droites sur le fonds de sa voisine ; que celle-ci l'a assigné en vue de leur suppression ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à remplacer les deux vues par un verre dormant, alors, selon le moyen, qu'on peut avoir des vues droites sur un fonds voisin, quand ce fonds est grevé d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions en bordure du fonds bénéficiant desdites vues, quand bien même cette servitude de passage existerait au profit d'un autre fonds ;

qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le chemin situé en bordure des fonds de M. X... et Mme Y... constituait l'assiette d'une servitude de passage au profit du fonds de Mme Z... ; qu'en obligeant M. X... à mettre en place un verre dormant, au motif erroné qu'on ne pourrait ouvrir des vues droites quand le fonds sur lequel elles s'exercent est grevé d'une servitude de passage au profit d'un autre fonds que celui bénéficiant desdites vues, la cour d'appel a violé l'article 678 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que l'exception au principe de l'interdiction prévue par l'article 678 du Code civil ne s'applique que lorsque le fonds sur lequel s'exerce la vue est grevé d'une servitude de passage au profit du fonds qui bénéficie de cette vue et constaté qu'un chemin qui n'était pas ouvert au public, propriété de Mme Y..., longeait le fonds de M. X... et que la servitude de passage dont il était grevé ne bénéficiait pas à ce dernier, la cour d'appel en a exactement déduit que M. X... ne pouvait avoir des vues droites sur le fonds de Mme Y... ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Cette solution se justifie par le principe d’interprétation stricte des exceptions. La troisième chambre civile a, par ailleurs, souhaité ne pas alourdir la charge qui pèse déjà sur le propriétaire du fonds servant qui, non seulement supporte une servitude de passage sur son terrain, mais encore ne peut pas s’opposer à la création de vues par le propriétaire du fonds dominant sur la partie de son fonds grevé par la servitude.

Si l’on peut comprendre que le bénéficiaire d’une servitude de passage puisse avoir une vue sur le chemin qu’il utilise pour accéder à son terrain, il n’en va pas de même pour les tiers qui n’ont n’y ont pas accès et qui donc n’ont aucune raison de savoir ce qu’il s’y passe.

==> Notions

Il s’évince des articles 675 à 680 du Code civil qu’il y a lieu de distinguer deux sortes d’ouvertures : les jours et les vues

  • Les jours
    • Les jours, qualifiés également de jours de tolérance ou de souffrance, se définissent comme des ouvertures à verre dormant, soit qui ne peuvent pas s’ouvrir et dont la seule fonction est de laisser passer la lumière à l’exclusion de l’air.
    • Les jours peuvent donner soit sur la voie publique, soit sur le fonds d’un propriétaire privé.
    • Parce que les jours ne le laissent pas passer le regard, à tout le moins difficilement, les règles qui les encadrent sont plus souples que celles qui régissent les vues.
  • Les vues
    • Les vues se définissent comme des ouvertures qui, à la différence des jours, tout en laissant passer la lumière, peuvent s’ouvrir, de sorte qu’elles permettent de regarder sur l’extérieur.
    • Les vues ne sont autres que les fenêtres, portes, balcons, terrasses, belvédères etc.
    • Elles peuvent être droites ou obliques
      • Vues droites (directes), c’est lorsqu’elles sont ouvertes dans un mur parallèle à la ligne de séparation des deux fonds : elles permettent de regarder directement chez le voisin sans fournir aucun effort
      • Vues obliques (indirectes), c’est lorsqu’elles sont ouvertes dans un mur non parallèle à la ligne séparatrice : elles exigent de se pencher pour regarder chez le voisin, soit de se contorsionner.
    • Par nature, elles permettent de facilement porter atteinte à l’intimité du voisinage puisque laissant passer le regard.
    • Aussi, la création de vues est très encadrée, bien plus que les jours, car il s’agit de préserver la vie privée du propriétaire du fonds voisin.

==> Régime juridique

Selon que l’ouverture consiste en un jour ou en une vue le régime juridique applicable diffère. La raison en est que l’atteinte à l’intimité est bien plus grande en cas de création d’une vue.

En outre, il ressort des articles 675 à 680 du Code de civil que, en tout état de cause, il y a lieu de distinguer selon que l’ouverture est percée sur un mur mitoyen ou selon qu’elle est percée sur un mur non mitoyen.

  1. L’ouverture est percée sur un mur mitoyen

==> Principe

L’article 675 du Code civil dispose que « l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant. »

Lorsqu’ainsi, les deux fonds contigus sont séparés par un mur mitoyen, il est fait interdiction aux propriétaires de percer des ouvertures, quelle que soit leur nature.

Tant la création de jours, que de vues suppose l’obtenir l’accord du propriétaire du fonds voisin. Pour mémoire, le mur mitoyen est celui qui est détenu en copropriété par les propriétaires de deux fonds contigus et qui, ensemble, exercent des droits (ex. appui d’un bâtiment) et supportent des charges (entretien) soumis à un régime spécial pour leur acquisition et leur preuve.

C’est l’existence de cette copropriété entre voisins qui fait obstacle à la possibilité de percer des ouvertures à discrétion. Admettre le contraire, reviendrait à empêcher, en cas d’ouverture, l’un des propriétaires à exercer son droit d’appuyer une construction ou des plantations sur le mur mitoyen.

Or l’article 657 du Code civil prévoit que « tout copropriétaire peut faire bâtir contre un mur mitoyen, et y faire placer des poutres ou solives dans toute l’épaisseur du mur, à cinquante-quatre millimètres près, sans préjudice du droit qu’a le voisin de faire réduire à l’ébauchoir la poutre jusqu’à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même asseoir des poutres dans le même lieu, ou y adosser une cheminée. »

Afin de préserver les droits des copropriétaires d’un mur mitoyen, il a donc été posé un principe général d’interdiction de création d’ouverture dans cette catégorie de murs.

Le non-respect de cette interdiction s’apparenterait à un empiétement sanctionné alors par la suppression de l’ouverture réalisée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 25 mars 2015, n°13-28137).

Cass. 3e civ. 25 mars 2015
Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article 675 du code civil ;

Attendu que l'un des voisins ne peut, sans le consentement de l'autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 11 mars 2013), que M. et Mme Y... ont fait édifier à la bordure de leur fonds et de celui de leur voisin, M. X..., un mur dans lequel ils ont intégré un dispositif d'ouverture consistant en deux châssis basculants et comportant une ventilation ; que M. X..., se fondant sur le caractère mitoyen de ce mur les a assignés en suppression de ce dispositif ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que le mur est mitoyen mais que l'installation de M. et Mme Y... garantit une discrétion suffisante ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que l'installation constituée de châssis basculants réalisait une ouverture prohibée par l'article 675 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de suppression d'ouvertures de M. X..., l'arrêt rendu le 11 mars 2013 entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom autrement composée ;

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de percement d’une ouverture dans un mur mitoyen est assorti de plusieurs exceptions :

  • Tout d’abord, l’article 675 autorise la création d’une ouverture dans un mur mitoyen en cas d’accord entre les copropriétaires.
  • Ensuite, la jurisprudence a considéré dans un arrêt du 10 avril 1975 que « l’ouverture pratiquée dans un mur mitoyen, contrairement à la prohibition établie par l’article 675 du code civil, [était] susceptible d’être acquise par prescription lorsqu’elle ne constitue pas un simple jour mais une servitude de vue» ( 3e civ. 10 avr. 1975, n°73-14136).
  • Enfin, il a été jugé qu’un assemblage de carreaux en verre épais et non transparent disposé dans la clôture séparative de deux fonds, qui ne laisse passer que la lumière et non le regard, n’est ni une vue, ni un jour, mais une simple paroi de mur qui échappe à la réglementation des vues et des jours ( 1ère civ 26 novembre 1964)

En dehors de ces cas, le percement d’une ouverture dans un mur mitoyen demeure strictement interdit, sous peine de remise en état du mur (Cass. 3e civ. 10 juill. 1996, n°94-16357).

2. L’ouverture est percée sur un mur non-mitoyen

Lorsque le mur est non-mitoyen, soit lorsqu’il n’est pas détenu en copropriété par les propriétaires des fonds contigus, mais seulement pas l’un d’eux – on parle alors de mur privatif – il convient de distinguer selon que ce mur joint immédiatement l’héritage d’autrui ou selon qu’il est en retrait.

2.1 Le mur privatif joint immédiatement le fonds voisin

==> Principe

L’article 676 du Code civil dispose que « le propriétaire d’un mur non mitoyen, joignant immédiatement l’héritage d’autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant. »

Le premier enseignement qui ressort de cette disposition est que lorsque le mur privatif joint immédiatement le fonds voisin, seul le percement de jours de souffrances est autorisé, à l’exclusion de toute autre ouverture.

Le percement d’une vue, quand bien même elle serait faite dans un mur privatif est interdit, la règle se justifiant par la protection de l’intimité du propriétaire du fonds voisin.

Le second enseignement qui peut être retiré de ce texte est que le percement de jours dans un mur non mitoyen est strictement encadré.

==> Conditions

Deux conditions doivent être réunies pour qu’un jour de souffrance puisse être pratiqué dans un mur privatif :

  • Première condition
    • L’article 676, al. 2e dispose que lorsqu’un jour est pratiqué sur un mur privatif les « fenêtres doivent être garnies d’un treillis de fer dont les mailles auront un décimètre (environ trois pouces huit lignes) d’ouverture au plus et d’un châssis à verre dormant. »
    • La fenêtre doit ainsi être posée sur un châssis fixe qui ne permet donc pas son ouverture.
    • Il s’agit ici limiter autant que possible les atteintes qui pourraient être portées à la quiétude du fonds voisin
  • Seconde condition
    • L’article 677 du Code civil prévoit que les fenêtres ou jours « ne peuvent être établis qu’à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu’on veut éclairer, si c’est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs».
    • En imposant que les ouvertures soient situées à des hauteurs relativement hautes par rapport au plancher, (2.60 m pour le rez-de-chaussée et 1.90 m pour les étages supérieurs), cela permet d’empêcher, à tout le moins de limiter, les regards indiscrets sur le fonds voisin.
    • S’agissant du calcul de la hauteur, c’est toujours à partir du sol que le jour éclaire qu’elle se calcule.
    • Lorsqu’il s’agit d’un escalier, il convient de prendre pour référence chaque marche prise une à une
    • Dans un arrêt remarqué rendu le 27 mai 2009, la Cour de cassation est venue préciser que, en cas d’opacité des jours percés dans le mur, leur positionnement importait peu.
    • Aussi, a-t-elle validé la décision prise par une Cour d’appel qui après avoir relevé que les jours litigieux, garnis d’un treillis métallique et d’un châssis fixe sur lequel était monté un matériau translucide mais opaque, qui ne faisaient qu’éclairer l’immeuble dans lequel ils étaient pratiqués, offraient au fonds servant des garanties de discrétion suffisante en a déduit qu’il n’y avait pas à s’assurer de leur hauteur par rapport au plancher ( 3e civ. 27 mai 2009, n°08-12819).

Dans une affaire jugée en date du 2 novembre 2011, les requérants avançaient, au soutien d’une demande du QPC, que les dispositions des articles 676 et 677 du Code civil, réglementant les jours susceptibles d’être pratiqués dans un mur non mitoyen joignant immédiatement le fonds voisin, portaient atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

La Cour de cassation les a déboutés de leur demande au motif que la question posée ne présentait pas un caractère sérieux dès lors que les dispositions législatives en cause, qui n’ont ni pour objet ni pour effet de priver le propriétaire du mur de son droit de propriété, mais seulement d’en restreindre l’exercice, tendent à assurer des relations de bon voisinage par l’édiction de règles de construction proportionnées à cet objectif d’intérêt général (Cass. 3e civ., 2 nov. 2011, n° 11-15.428 QPC).

==> Sanction

Il est admis que lorsqu’une ouverture est irrégulièrement percée dans un mur privatif, le propriétaire du fonds voisin peut en exiger la suppression ou la mise en conformité avec les prescriptions posées aux articles 676 et 677 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ., 3 juill. 1973).

La Cour de cassation a néanmoins précisé dans un arrêt du 7 avril 2004 s’agissant des jours que « le fait de pratiquer un jour dans un mur joignant immédiatement l’héritage d’autrui ne fait pas naître à la charge de cet héritage une servitude et n’entraîne pour son propriétaire aucune restriction à son droit de propriété, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-20502).

Il en résulte que rien n’interdit le propriétaire du fonds voisin d’édifier en limite séparative une construction qui obstruait le jour percé empêchant ainsi la lumière d’éclairer à la pièce à la faveur de laquelle l’ouverture a été créée.

Lorsque, en revanche, l’ouverture percée est une vue et non un jour de souffrance, ce qui est interdit lorsqu’il s’agit d’un mur qui joint immédiatement le fonds voisin, la Cour de cassation admet que l’auteur de l’ouverture puisse se prévaloir d’une acquisition de la servitude par prescription si le propriétaire n’a pas contesté la construction pendant une durée de trente ans (Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-20502)

2.2 Le mur privatif est en retrait du fonds voisin

==> Principe

Dans l’hypothèse où le mur privatif est en retrait du fonds voisin, il est permis de pratiquer dans ces murs, tout autant des jours que des vues.

Si le percement de jours ne comporte ici aucune restriction, il n’en va pas de même pour les vues qui font l’objet d’un encadrement strict.

Lorsqu’il s’agit donc de pratiquer une vue dans un mur privatif en retrait, il convient de distinguer selon que cette vue est droite ou oblique afin de déterminer la distance qui doit être observée entre le mur et la ligne séparative du fonds voisin.

  • S’agissant des vues droites
    • L’article 678 du Code civil prévoit que « on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d’aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l’héritage clos ou non clos de son voisin, s’il n’y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions. »
    • Il ressort de cette disposition que lorsque l’ouverture consiste en une vue droite, la distance minimale à observer est de 1,90 m.
    • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 29 novembre 1983 que « les termes de l’article 678 du code civil ne sont point limitatifs, qu’ils s’appliquent non seulement aux fenêtres et balcons, mais aussi aux terrasses, plates-formes ou autres exhaussements de terrain d’où l’on peut exercer une servitude de vue sur le fonds voisin» ( 3e civ. 29 nov. 1983, n°82-14155).
  • S’agissant des vues obliques
    • L’article 679 du Code civil prévoit que « on ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s’il n’y a six décimètres de distance.»
    • La distance à observer entre le mur et la ligne séparative est ici de 0.60 m.

La différence de traitement entre les vues droites et les vues obliques se justifie par l’intensité des nuisances susceptibles d’être engendrées qui varie de l’une à l’autre.

Tandis que la vue droite permet de très facilement regarder sur le fonds voisin, la vue oblique exige l’accomplissement d’un effort particulier pour y parvenir.

Ainsi l’intimité du propriétaire du fonds voisin est bien mieux préservée dans le second cas, d’où la réduction de la distance devant être observée à 0.60 m au lieu de 1.90 pour les vues droites.

==> Mise en œuvre

S’agissant du calcul de la distance, il convient de se référer aux indications prescrites par l’article 680 du Code civil qui prévoit que « la distance dont il est parlé dans les deux articles précédents se compte depuis le parement extérieur du mur où l’ouverture se fait, et, s’il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu’à la ligne de séparation des deux propriétés. »

Ainsi, pour les vues droites le point de référence, c’est le parement du mur et non l’aplomb de l’ouverture. Pour les vues obliques, en revanche, il est admis que la distance doive être calculée à partir de l’arrête de l’ouverture la plus proche de la ligne séparatrice.

Lorsque les deux fonds sont séparés par un mur ou une clôture, le calcul de la distance se fait à partir du parement de l’ouverture jusque :

  • Soit au parement du mur ou de la clôture qui borde le fond voisin s’ils sont privatifs
  • Soit au milieu du mur ou de la clôture s’ils sont mitoyens

Lorsque, en revanche, les deux fonds sont séparés par un espace, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 12 avril 1972 que « quelle que soit sa qualification : passage, ruelle, chemin d’exploitation, cour, etc, affecte a un usage commun aux deux fonds, la distance légale pour l’établissement des vues droites se compte depuis la limite du fonds voisin situe non pas au milieu de l’espace commun, mais de l’autre cote de ladite voie » (Cass. 12 avr. 1972, n°70-13213).

==> Prescription

À la différence des jours qui constituent des actes de tolérance, les vues sont éligibles au jeu de la prescription acquisitive.

La raison en est qu’elles sont constitutives de servitudes continues et apparentes. Or en application de l’article 690 du Code civil elles « s’acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans. »

Lorsqu’ainsi, l’ouverture a été percée il y a plus de trente ans, son bénéficiaire est fondé à se prévaloir de l’acquisition d’une servitude de vue sur le fonds voisin (Cass. 3e civ. 21 juin 1981).

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer encore faudra-t-il démontrer que la vue était apparente et que son existence ne pouvait pas être ignorée du propriétaire du fonds voisin (Cass. 3e civ. 17 mars 1972).

Surtout, il convient de préciser que le jeu de cette prescription n’intéresse que les ouvertures irrégulières, soit celles percées en violation des règles prescrites par les articles 678 et 679 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ., 8 déc. 1976).

Lorsque, en effet, l’ouverture est régulière, soit répond aux distances requises, elle ne sera jamais regardée comme une servitude grevant le fonds voisin, mais seulement comme l’exercice du droit de propriété de son bénéficiaire.

La conséquence en est que le propriétaire du fonds sur lequel s’exerce la vue est autorisé à édifier une construction en limite de fonds, ce, quand bien même cette construction obstruait la vue percée régulièrement.

Lorsque, en revanche, l’ouverture est irrégulière et que, par le jeu de la prescription, elle s’est transformée en une servitude grevant le fonds voisin, elle emporte des effets radicalement différents.

En effet, non seulement, le propriétaire du fonds servant ne peut pas solliciter la suppression ou la modification de l’ouverture irrégulièrement percée (Cass. 3e civ. 10 avr. 1975), mais encore il lui est fait interdiction d’édifier une construction à une distance inférieure à celle requise pour les vues droites ou obliques (Cass. 3e civ., 8 juill. 2009, n°08-17639).

==> Sanction

Lorsque l’ouverture est pratiquée en violation des prescriptions légales, le propriétaire du fonds voisin est fondé à solliciter sa suppression ou sa modification (Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-20899).

Si les juridictions ne disposent du pouvoir de substituer à la démolition l’allocation de dommages et intérêts (Cass. 1ère civ. 4 mai 1964), ils peuvent néanmoins ordonner l’adoption d’une mesure alternative, telle que la transformation d’une vue en jour de souffrance ou en la pose de cloisons translucides (Cass. 3e civ., 26 févr. 1974).

Les servitudes légales: régime juridique

Les servitudes établies par la loi sont envisagées aux articles 649 et suivant du Code civil.

L’article 649 les introduit en disposant que « les servitudes établies par la loi ont pour objet l’utilité publique ou communale, ou l’utilité des particuliers. »

Surtout, ainsi que l’indique l’article 651, la singularité des servitudes légales est que « la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention. »

Au nombre de ces servitudes légales figurent celles qui intéressent :

  • La distance et des ouvrages intermédiaires requis pour certaines constructions
  • Les vues sur la propriété de son voisin
  • L’égout des toits

Classiquement, ces servitudes sont présentées au moyen de la distinction entre :

  • D’une part, les servitudes réciproques
  • D’autre part, les servitudes unilatérales

I) Les servitudes réciproques

Les servitudes réciproques sont celles qui ont pour finalité d’imposer des règles de distance entre les différents fonds, l’objectif recherché étant de préserver la tranquillité et l’intimité des propriétaires.

Elles sont qualifiées de réciproques car, d’une part, elles pèsent de manière identique sur les deux fonds contigus et, d’autre part, elles s’exercent alternativement au profit et à la charge de chacun d’eux.

Ces servitudes conduisent à entourer toute propriété d’une sorte de cordon sanitaire qui constitue la limite à ne pas franchir, sous peine de sanction qui peut aller jusqu’à la démolition.

La distance de sécurité qui doit être établie entre deux fonds voisins intéresse :

  • Les constructions
  • Les plantations
  • Les ouvertures sur le fonds voisin

A) Les constructions

L’objectif poursuivi ici par la loi est d’imposer aux propriétaires de reculer ou d’isoler certaines constructions en raison de la nuisance qu’elles sont susceptibles d’occasionner.

Cette règle ne leur interdit, dans l’absolu, pas de construire en limite de fonds. Cette faculté leur est seulement refusée pour certains ouvrages jugés particulièrement préjudiciables pour le voisinage.

Une liste de ces ouvrages est énoncée à l’article 674 qui vise les situations suivantes :

  • Celui qui fait creuser un puits ou une fosse d’aisance près d’un mur mitoyen ou non,
  • Celui qui veut y construire cheminée ou âtre, forge, four ou fourneau,
  • Y adosser une étable,
  • Ou établir contre ce mur un magasin de sel ou amas de matières corrosives,

Il a toujours été admis que cette liste n’était pas exhaustive et qu’elle pouvait être enrichie d’autres ouvrages, dès lors qu’il est établi qu’ils sont de nature à porter atteinte à la quiétude du voisinage « Cass. civ. 10 juill. 1872 ».

Aussi, en présence d’un tel ouvrage, l’article 674 dit qu’il échoit au propriétaire de « laisser la distance prescrite par les règlements et usages particuliers sur ces objets, ou à faire les ouvrages prescrits par les mêmes règlements et usages, pour éviter de nuire au voisin. »

Il ressort ce texte que pour prévenir les nuisances, le propriétaire doit, en tout état de cause se conformer aux règlements administratifs et aux usages locaux.

Deux options s’offrent alors à lui :

  • Soit il laisse la distance prescrite entre la ligne séparative et l’ouvrage nouveau qu’il construit
  • Soit il isole cet ouvrage par des travaux de protection afin d’éviter qu’il ne cause des nuisances au voisinage

Reste que, désormais, il convient d’observer que ces mesures qui visent à prévenir les nuisances sont directement dictées par les règles d’urbanisme qui imposent que les constructions soient édifiées à une certaine distance de la limite séparative du fonds.

B) Les plantations

À l’instar des constructions, les plantations qui se développent en limite de fonds sont susceptibles de perturber la tranquillité du voisinage.

Aussi, afin de préserver cette tranquillité et d’assurer la paix sociale, le législateur a instauré des distances à respecter pour les plantations.

Ces règles sont énoncées aux articles 671 à 673 du Code civil et s’appliquent à tous les fonds, urbains comme ruraux, clos ou non clos.

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que les plantations empiètent ou non sur le fonds voisin.

  1. Les plantations n’empiètent pas sur le fonds voisin

a) Principe

Le principe est énoncé à l’article 671 du Code civil qui prévoit que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »

Le principe qui s’infère de cette disposition est que pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches et leurs racines, l’article 671 interdit en principe à un propriétaire « d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes » jusqu’à l’extrême limite de son terrain.

Ainsi que l’observe un auteur toutes les plantations sont en réalité visées par cette interdiction[1]. Au vrai, la seule question qui se pose est de savoir qu’elle est la distance minimale qui doit être observée entre les plantations et la ligne séparative du fonds.

b) Mise en œuvre

Afin de déterminer la distance requise, l’article 671 du Code civil renvoie, d’abord aux règlements et usage, puis subsidiairement prescrit une distance par défaut.

==> La distance prévue par les règlements et les usages

Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.

  • S’agissant des règlements particuliers
    • Ils sont constitués par les arrêtés, les documents d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique susceptibles de prescrire des distances ou des hauteurs particulières de plantations.
  • S’agissant des usages
    • Ils peuvent quant à eux être relevés par les chambres d’agriculture[2], mais ils peuvent également être directement reconnus par les juges du fond.
    • Ainsi, l’usage parisien autorise à planter jusqu’à l’extrême limite de son fonds, compte tenu de l’exiguïté des parcelles (V. en ce sens 3e civ., 14 février 1984, n°82-16092).
    • Il en va de même pour le pays de Caux ou à Marseille.
    • Dans certains cas, comme à Poitiers, les usages prescrivent des distances supérieures à celles prévues par le code civil.

==> La distance prévue par le code civil

 Ce n’est qu’à défaut de règlement et d’usage que s’appliquent les distances prévues par le code civil, qui ont donc un caractère subsidiaire.

Dans cette hypothèse, l’article 671 pose un principe qu’il assortit d’une limite à l’alinéa 2.

  • Principe
    • La distance à observer dépend de la hauteur de la plantation, étant précisé que le calcul de cette hauteur ne tient pas compte de l’inclinaison du fonds, mais seulement de la taille intrinsèque de la plantation, de la base à son sommet (V. en ce sens 3e civ., 4 nov. 1998, n°96-19708).
    • Ainsi, la distance d’espacement est donc de :
      • Deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres
      • Un demi-mètre de la ligne séparative pour les autres plantations.
    • Seule importe donc la hauteur de la plantation, étant précisé que ne doit pas être prise en compte la croissance naturelle des arbres, ni la date habituelle de leur taille ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-10077).
    • En outre, dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour de cassation a précisé que « la distance existant entre les arbres et la ligne séparative des héritages doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian des troncs des arbres» ( 3e civ. 1er avr. 2009, n°08-11876).
  • Exception
    • L’article 671 prévoit une exception à la règle prescrivant une distance à observer entre les plantations et la limite du fonds.
    • En effet, l’alinéa 2 de ce texte dispose que lorsqu’existe un mur séparatif des plantations peuvent être faites « en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais [elles] ne pourront dépasser la crête du mur».
    • Si le mur n’est pas mitoyen, seul son propriétaire peut procéder à de telles plantations en espaliers.

==> Sanction

La sanction du non-respect des distances légales de plantation est énoncée à l’article 672 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l’article précédent, à moins qu’il n’y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire. »

Il ressort de cette disposition que si l’inobservation des règles de distance prescrites par l’article 671 peut être sanctionnée par l’arrachage ou le rabotage des plantations, le propriétaire peut y échapper en certains cas.

  • Principe
    • L’article 672 du Code civil sanctionne donc les atteintes portées par les plantations d’un fonds au fonds voisin par l’arrachage ou la réduction à la hauteur prescrite (deux mètres)
    • À cet égard, il peut être observé que :
      • D’une part, une jurisprudence constante reconnaît que le voisin n’a pas besoin d’établir qu’il souffre d’un préjudice pour demander l’arrachage ou la réduction (V. en ce sens civ., 5 mars 1850; Cass. civ., 2 juill. 1867 ; Cass. 3e civ., 16 mai 2000, n° 98-22382.)
      • D’autre part, le voisin ne peut pas se faire justice à lui-même en procédant à l’arrachage ou à la réduction des plantations ne respectant pas les distances prescrites : il est tenu de saisir le juge d’instance de sa demande ;
      • Enfin, l’option entre l’arrachage et la réduction appartient au propriétaire ( 3e civ. 14 oct. 1987).
    • Il peut être observé que la sanction n’est applicable qu’autant que les prescriptions posées à l’article 671 du Code civil ne sont pas respectées.
    • Aussi, dans l’hypothèse où les plantations causeraient un préjudice au fonds voisin mais qu’aucun manquement ne serait susceptible d’être reproché au propriétaire, les sanctions énoncées à l’article 672 ne seront pas applicables ( req. 8 juill. 1874)
    • Tout au plus, il a été admis dans un arrêt du 4 janvier 1990, que la victime des nuisances pouvait agir sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.
    • Dans cette décision, la troisième chambre civile a validé un arrêt rendu par une Cour d’appel qui, après avoir relevé que « les racines des arbres plantés par les époux X… entraînent des boursouflures du revêtement du sol dans la propriété des époux Z… et que les feuilles mortes envahissent leur terrasse d’agrément et nuisent au bon écoulement des eaux» a retenu l’existence d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage de sorte que « l’abattage des arbres était le seul moyen de faire cesser les désordres qu’ils causaient » ( 3e civ. 4 janv. 1990, n°87-18724).
  • Exceptions
    • L’article 672 prévoit cependant trois exceptions, permettant au propriétaire d’échapper à l’arrachage ou à la réduction des plantations irrégulières :
      • Première exception : existence d’un titre
        • Les voisins peuvent se mettre d’accord par convention pour aménager la distance, la hauteur, ou la servitude de recul de manière différente de celle prévue par la loi puisque les articles 671 et 672 ne sont pas d’ordre public
      • Deuxième exception : la destination du père de famille
        • Cette exception suppose, selon l’article 693 du code civil, que « les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude».
        • Il s’agit donc ici de préserver une plantation qui existait déjà au moment de la division du fonds.
      • Troisième exception : la prescription trentenaire
        • Si un arbre dépasse la hauteur autorisée, et que le voisin reste inactif pendant 30 ans il ne peut plus réclamer son arrachage ou sa réduction.
        • Dans un arrêt du 8 décembre 1981, la Cour de cassation a précisé que « le point de départ de la prescription trentenaire pour la réduction des arbres à la hauteur déterminée par l’article 671 du code civil, n’est pas la date à laquelle les arbres ont été plantés, mais la date à laquelle ils ont dépassé la hauteur maximum permise» ( 3e civ. 8 déc. 1981).

2. Les plantations empiètent sur le fonds voisin

Il convient ici de distinguer le sort des plantations, du sort des fruits engendrés par les arbres.

==> Le sort des plantations

L’article 673, al.1er du Code civil dispose que « celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. »

L’alinéa 2 poursuit en prévoyant que « si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative. »

Tout d’abord, il ressort de ceux deux premiers alinéas du texte que l’arbre, même planté à distance réglementaire, ne doit pas empiéter sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 2 février 1982, la Cour de cassation a précisé que ce texte « l’article 673 du code civil n’est pas applicable aux fonds séparés par un chemin prive dont l’usage commun par les riverains ne saurait être limite à la circulation et au passage » (Cass. 3e civ. 2 févr. 1982, n°81-12532).

Ensuite, il convient ici de distinguer selon que ce sont les branches de la plantation qui empiètent ou des racines, ronces et brindilles.

  • Les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux
    • Dans cette hypothèse, le propriétaire du fonds sur lequel il est empiété peut « contraindre» le propriétaire du fonds voisin à couper les branches qui empiètent.
    • Le choix des mots est ici important : l’emploi du terme contraindre signifie qu’il est interdit à la victime de l’empiétement de se faire justice elle-même ( Req. 19 janv. 1920)
    • Autrement dit, sauf exécution spontanément, il conviendra de saisir le juge qui aura seul pouvoir de « contraindre» le propriétaire des plantations à couper les branches qui dépassent.
    • Par ailleurs, il convient d’observer que la sanction consiste seulement à couper les branches des arbres qui avancent au-delà de la ligne séparative.
    • En aucun cas, il ne pourra donc être imposé au propriétaire des plantations de les arracher ou de les réduire dès lors qu’elles respectent la distance prescrite à l’article 671 du Code civil.
    • Par ailleurs, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 13 juin 2012 que « l’article 673 du code civil n’est pas d’ordre public et qu’il peut y être dérogé».
    • Aussi, a-t-elle validé le rejet par une Cour d’appel d’une demande d’élagage d’un pin parasol établi dans un lotissement après avoir relevé que le règlement « imposait le maintien et la protection des plantations quelles que soient leurs distances aux limites séparatives» ( 3e civ. 13 juin 2012, n°11-18791).
  • Les racines, ronces et brindilles
    • Dans cette hypothèse, l’article 672, al. 2e prévoit que le propriétaire du fonds qui fait l’objet d’un empiétement a le droit de les couper lui-même les racines, ronces et brindilles à la limite de la ligne séparative.
    • Ainsi, est-il autorisé à se faire justice lui-même.
    • Des auteurs avancent que ce pouvoir « s’explique pratiquement par le fait que le propriétaire du terrain peut, en creusant, couper involontairement des racines et ne saurait se le voir reprocher».[3]
    • Dans un arrêt du 6 avril 1965 la Cour de cassation a précisé que « le législateur n’a pas entendu, par les dispositions de l’article 673 du code civil, restreindre le droit à réparation du dommage réalise, mais, au contraire, assurer une protection plus efficace en instituant des mesures de prévention au profit des voisins» ( 1ère civ. 6 avr. 1965, n°61-11025).

Enfin, l’article 673 du Code civil pris en son alinéa 3 dispose que « le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible. »

Cela signifie que le propriétaire du fonds voisin peut toujours agir, quand bien même les plantations empiéteraient sur son terrain depuis plus de trente ans.

C’est là une différence avec l’article 672 qui pose que lorsque la prescription trentenaire est acquise les plantations qui ne respectent pas la distance requise par rapport à la ligne séparative ne peuvent plus être arrachées ou réduites.

Dans un arrêt du 16 janvier 1991, la Cour de cassation est venue préciser que l’acquisition par un arbre en application de l’article 672 du Code civil du droit d’être maintenu en place et en vie, ne saurait justifier « une restriction au droit imprescriptible du propriétaire, sur le fonds duquel s’étendent les branches des arbres du voisin, de contraindre ce dernier à couper ces branches » (Cass. 3e civ. 16 janv. 1991, n°89-13698).

En outre, dans un arrêt du 17 juillet 1975 la troisième chambre civile a affirmé que « si celui sur la propriété de qui avancent les branches des arbres du voisin, tient de l’article 673 du code civil le droit imprescriptible d’en réclamer l’élagage, le non-exercice de cette faculté, en l’absence de convention expresse, constitue une tolérance qui ne saurait caractériser une servitude dont la charge s’aggraverait avec les années » (Cass. 3e civ. 17 juill. 1975, n°74-11217).

Autrement dit, il ressort de cette décision que l’inaction du propriétaire du fonds sur lequel il est empiété ne saurait avoir pour effet de créer une servitude à sa charge, sauf à ce qu’une convention soit conclue avec le propriétaire du fonds voisin.

==> Le sort des fruits tombés des arbres

L’article 673, al. 1er in fine dispose que « les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent. »

Ainsi le propriétaire du fonds sur lequel sont établies les plantations perd le droit sur les fruits produits dès lors qu’ils tombent sur le fonds voisin.

C) Les ouvertures sur le fonds voisin

Les servitudes qui intéressent les ouvertures sont régies aux articles 675 à 680 du Code civil qui relève d’une section consacrée aux « vues sur la propriété de son voisin ».

Ces dispositions visent à encadrer les ouvertures des immeubles établis sur un fonds, lesquelles sont susceptibles de porter atteinte à l’intimité et à la vie privée du propriétaire du fonds voisin.

Là encore, l’objectif recherché est de préserver la paix sociale en instaurant des règles qui encadrent très strictement la réalisation d’ouvertures dans les corps de bâtiment.

==> Domaine

Tout d’abord, il convient de préciser que ces dispositions n’ont vocation à s’appliquer qu’aux fonds contigus, soit à ceux qui se touchent (du latin contigus, « touchant »). Il est indifférent que les fonds soient situés en milieu urbain ou rural et qu’ils comportent ou non des constructions. Ils doivent seulement être contigus.

Dans un arrêt du 22 mars 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les prescriptions relatives aux distances à respecter pour ouvrir des vues droites sur l’immeuble voisin ne concernent que les propriétés contiguës » (Cass. 3e civ. 22 mars 1989, n°87-16753).

Ensuite, lorsque lorsqu’une voie publique, s’interpose entre les deux fonds, les dispositions qui régissent les servitudes de vue ne sont pas applicables (V. en ce sens Cass. 3e civ. 28 sept. 2005, n°04-13942). Il importe peu que la distance qui sépare les fonds soit insignifiante, pourvu que ce soit le domaine public qui se dresse entre eux.

Dans un arrêt du 23 novembre 2017, la Cour de cassation a étendu cette solution à l’hypothèse où le terrain qui s’interposerait entre les deux fonds serait de nature privée, ou sans maître (Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n° 15-26240).

Cass. 3e civ., 23 nov. 2017
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bastia, 17 juin 2015), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 3 octobre 2012, pourvoi n° 11-13.152), que les consorts A... sont propriétaires d'une parcelle, voisine de celle de M. et Mme Y..., dont la propriété leur a été reconnue par un jugement du 11 janvier 2005 auquel la commune de [...] était intervenue volontairement ; que, soutenant que M. et Mme Y... avaient construit leur balcon et ouvert des vues sur leur parcelle, les consorts A... les ont assignés en démolition et remise en état ; que, sur tierce opposition de M. et Mme Y... au jugement du 11 janvier 2005, les consorts A... et la commune de [...] ont été jugés non propriétaires d'une bande de terrain située en bordure du fonds de M. et Mme Y... auxquels il a été enjoint de supprimer les vues ouvrant sur le fonds A... ;

[…]

Vu l'article 678 du code civil ;

Attendu que les distances prescrites par ce texte ne s'appliquent que lorsque les fonds sont contigus ;

Attendu que, pour condamner M. et Mme Y... à supprimer les vues ouvertes sur le fonds A..., l'arrêt retient que ni les consorts A... ni M. et Mme Y... ne sont propriétaires de la bande de terrain séparant leurs héritages ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces motifs que les fonds A... et Y... n'étaient pas contigus, de sorte que peu importait l'usage commun de la bande de terrain, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Attendu que la cassation sur le moyen relevé d'office entraîne la cassation par voie de conséquence de la disposition rejetant la demande de dommages-intérêts formée par M. et Mme Y... ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par les consorts A..., l'arrêt rendu le 17 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Cette décision a manifestement opéré un revirement de jurisprudence. Jusqu’alors, la Cour de cassation considérait, en effet, que les prescriptions des articles 678 et 680 du Code civil, relatifs aux distances à observer pour l’établissement de vues droites sur le fonds voisin s’appliquaient lorsque le fonds dans lequel la vue a été établie était séparé du fonds sur lequel elle donne par un espace privé commun (V. en ce sens Cass. 3e civ. 14 janv. 2004, n°02-18.564).

Désormais, la position de la troisième chambre civile consiste à dire qu’il est indifférent que la bande de terrain qui sépare les deux fonds soit d’usage commun. Ce qui importe, c’est qu’ils soient contigus et donc que le terrain qui s’interpose entre eux soit la propriété de l’un ou l’autre propriétaire des fonds.

Lorsqu’ainsi, le chemin qui s’interpose est rattaché à l’un des deux fonds et quand bien même il serait utilisé par des habitants du village comme passage, il y a lieu de faire application du régime judiciaire des servitudes de vue (Cass. 3e civ. 5 avr. 2006, 05-12441).

Enfin, dans un arrêt du 14 mars 1973 la cour de cassation a affirmé au visa des articles 678 et 679 du Code civil que « les prescriptions de ces textes ne sont pas applicables au cas où le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue droite ou oblique est déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions » (Cass. 3e civ. 14 mars 1973, n°72-10676).

Autrement dit, lorsqu’un fonds est grevé par une servitude de passage, le propriétaire du fonds dominant peut bénéficier d’une vue directe sur la partie du fonds voisin constitutive de l’assiette du passage.

Cette vue est, en effet, peu gênante pour le propriétaire du fonds servant qui, en raison de l’existence de la servitude de passage, ne peut d’ores et déjà pas édifier de constructions sur cette partie du terrain et n’en a pas la jouissance exclusive.

La question s’est alors posée de savoir si un tiers pouvait se dispenser, à l’instar du propriétaire du fonds dominant, de satisfaire les exigences de l’article 678, dans la mesure où le propriétaire du fonds servant ne pourra pas non plus être gêné en cas de création d’une vue sur sa partie du terrain grevé par la servitude de passage.

Dans un arrêt du 23 février 2005, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question. Elle a jugé que « l’exception au principe de l’interdiction prévue par l’article 678 du Code civil ne s’applique que lorsque le fonds sur lequel s’exerce la vue est grevé d’une servitude de passage au profit du fonds qui bénéficie de cette vue » (Cass. 3e civ. 23 févr. 2005, n°03-17156).

Cass. 3e civ. 23 févr. 2005
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 6 mai 2003), que M. X..., propriétaire d'un fonds jouxtant celui de Mme Y..., longé par un chemin appartenant à celle-ci, sur lequel le fonds d'un tiers bénéficie d'un droit de passage, a ouvert des vues droites sur le fonds de sa voisine ; que celle-ci l'a assigné en vue de leur suppression ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à remplacer les deux vues par un verre dormant, alors, selon le moyen, qu'on peut avoir des vues droites sur un fonds voisin, quand ce fonds est grevé d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions en bordure du fonds bénéficiant desdites vues, quand bien même cette servitude de passage existerait au profit d'un autre fonds ;

qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le chemin situé en bordure des fonds de M. X... et Mme Y... constituait l'assiette d'une servitude de passage au profit du fonds de Mme Z... ; qu'en obligeant M. X... à mettre en place un verre dormant, au motif erroné qu'on ne pourrait ouvrir des vues droites quand le fonds sur lequel elles s'exercent est grevé d'une servitude de passage au profit d'un autre fonds que celui bénéficiant desdites vues, la cour d'appel a violé l'article 678 du Code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que l'exception au principe de l'interdiction prévue par l'article 678 du Code civil ne s'applique que lorsque le fonds sur lequel s'exerce la vue est grevé d'une servitude de passage au profit du fonds qui bénéficie de cette vue et constaté qu'un chemin qui n'était pas ouvert au public, propriété de Mme Y..., longeait le fonds de M. X... et que la servitude de passage dont il était grevé ne bénéficiait pas à ce dernier, la cour d'appel en a exactement déduit que M. X... ne pouvait avoir des vues droites sur le fonds de Mme Y... ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Cette solution se justifie par le principe d’interprétation stricte des exceptions. La troisième chambre civile a, par ailleurs, souhaité ne pas alourdir la charge qui pèse déjà sur le propriétaire du fonds servant qui, non seulement supporte une servitude de passage sur son terrain, mais encore ne peut pas s’opposer à la création de vues par le propriétaire du fonds dominant sur la partie de son fonds grevé par la servitude.

Si l’on peut comprendre que le bénéficiaire d’une servitude de passage puisse avoir une vue sur le chemin qu’il utilise pour accéder à son terrain, il n’en va pas de même pour les tiers qui n’ont n’y ont pas accès et qui donc n’ont aucune raison de savoir ce qu’il s’y passe.

==> Notions

Il s’évince des articles 675 à 680 du Code civil qu’il y a lieu de distinguer deux sortes d’ouvertures : les jours et les vues

  • Les jours
    • Les jours, qualifiés également de jours de tolérance ou de souffrance, se définissent comme des ouvertures à verre dormant, soit qui ne peuvent pas s’ouvrir et dont la seule fonction est de laisser passer la lumière à l’exclusion de l’air.
    • Les jours peuvent donner soit sur la voie publique, soit sur le fonds d’un propriétaire privé.
    • Parce que les jours ne le laissent pas passer le regard, à tout le moins difficilement, les règles qui les encadrent sont plus souples que celles qui régissent les vues.
  • Les vues
    • Les vues se définissent comme des ouvertures qui, à la différence des jours, tout en laissant passer la lumière, peuvent s’ouvrir, de sorte qu’elles permettent de regarder sur l’extérieur.
    • Les vues ne sont autres que les fenêtres, portes, balcons, terrasses, belvédères etc.
    • Elles peuvent être droites ou obliques
      • Vues droites (directes), c’est lorsqu’elles sont ouvertes dans un mur parallèle à la ligne de séparation des deux fonds : elles permettent de regarder directement chez le voisin sans fournir aucun effort
      • Vues obliques (indirectes), c’est lorsqu’elles sont ouvertes dans un mur non parallèle à la ligne séparatrice : elles exigent de se pencher pour regarder chez le voisin, soit de se contorsionner.
    • Par nature, elles permettent de facilement porter atteinte à l’intimité du voisinage puisque laissant passer le regard.
    • Aussi, la création de vues est très encadrée, bien plus que les jours, car il s’agit de préserver la vie privée du propriétaire du fonds voisin.

==> Régime juridique

Selon que l’ouverture consiste en un jour ou en une vue le régime juridique applicable diffère. La raison en est que l’atteinte à l’intimité est bien plus grande en cas de création d’une vue.

En outre, il ressort des articles 675 à 680 du Code de civil que, en tout état de cause, il y a lieu de distinguer selon que l’ouverture est percée sur un mur mitoyen ou selon qu’elle est percée sur un mur non mitoyen.

  1. L’ouverture est percée sur un mur mitoyen

==> Principe

L’article 675 du Code civil dispose que « l’un des voisins ne peut, sans le consentement de l’autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant. »

Lorsqu’ainsi, les deux fonds contigus sont séparés par un mur mitoyen, il est fait interdiction aux propriétaires de percer des ouvertures, quelle que soit leur nature.

Tant la création de jours, que de vues suppose l’obtenir l’accord du propriétaire du fonds voisin. Pour mémoire, le mur mitoyen est celui qui est détenu en copropriété par les propriétaires de deux fonds contigus et qui, ensemble, exercent des droits (ex. appui d’un bâtiment) et supportent des charges (entretien) soumis à un régime spécial pour leur acquisition et leur preuve.

C’est l’existence de cette copropriété entre voisins qui fait obstacle à la possibilité de percer des ouvertures à discrétion. Admettre le contraire, reviendrait à empêcher, en cas d’ouverture, l’un des propriétaires à exercer son droit d’appuyer une construction ou des plantations sur le mur mitoyen.

Or l’article 657 du Code civil prévoit que « tout copropriétaire peut faire bâtir contre un mur mitoyen, et y faire placer des poutres ou solives dans toute l’épaisseur du mur, à cinquante-quatre millimètres près, sans préjudice du droit qu’a le voisin de faire réduire à l’ébauchoir la poutre jusqu’à la moitié du mur, dans le cas où il voudrait lui-même asseoir des poutres dans le même lieu, ou y adosser une cheminée. »

Afin de préserver les droits des copropriétaires d’un mur mitoyen, il a donc été posé un principe général d’interdiction de création d’ouverture dans cette catégorie de murs.

Le non-respect de cette interdiction s’apparenterait à un empiétement sanctionné alors par la suppression de l’ouverture réalisée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 25 mars 2015, n°13-28137).

Cass. 3e civ. 25 mars 2015
Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article 675 du code civil ;

Attendu que l'un des voisins ne peut, sans le consentement de l'autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 11 mars 2013), que M. et Mme Y... ont fait édifier à la bordure de leur fonds et de celui de leur voisin, M. X..., un mur dans lequel ils ont intégré un dispositif d'ouverture consistant en deux châssis basculants et comportant une ventilation ; que M. X..., se fondant sur le caractère mitoyen de ce mur les a assignés en suppression de ce dispositif ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que le mur est mitoyen mais que l'installation de M. et Mme Y... garantit une discrétion suffisante ;

Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que l'installation constituée de châssis basculants réalisait une ouverture prohibée par l'article 675 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen unique du pourvoi incident qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de suppression d'ouvertures de M. X..., l'arrêt rendu le 11 mars 2013 entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom autrement composée ;

==> Exceptions

Le principe d’interdiction de percement d’une ouverture dans un mur mitoyen est assorti de plusieurs exceptions :

  • Tout d’abord, l’article 675 autorise la création d’une ouverture dans un mur mitoyen en cas d’accord entre les copropriétaires.
  • Ensuite, la jurisprudence a considéré dans un arrêt du 10 avril 1975 que « l’ouverture pratiquée dans un mur mitoyen, contrairement à la prohibition établie par l’article 675 du code civil, [était] susceptible d’être acquise par prescription lorsqu’elle ne constitue pas un simple jour mais une servitude de vue» ( 3e civ. 10 avr. 1975, n°73-14136).
  • Enfin, il a été jugé qu’un assemblage de carreaux en verre épais et non transparent disposé dans la clôture séparative de deux fonds, qui ne laisse passer que la lumière et non le regard, n’est ni une vue, ni un jour, mais une simple paroi de mur qui échappe à la réglementation des vues et des jours ( 1ère civ 26 novembre 1964)

En dehors de ces cas, le percement d’une ouverture dans un mur mitoyen demeure strictement interdit, sous peine de remise en état du mur (Cass. 3e civ. 10 juill. 1996, n°94-16357).

2. L’ouverture est percée sur un mur non-mitoyen

Lorsque le mur est non-mitoyen, soit lorsqu’il n’est pas détenu en copropriété par les propriétaires des fonds contigus, mais seulement pas l’un d’eux – on parle alors de mur privatif – il convient de distinguer selon que ce mur joint immédiatement l’héritage d’autrui ou selon qu’il est en retrait.

2.1 Le mur privatif joint immédiatement le fonds voisin

==> Principe

L’article 676 du Code civil dispose que « le propriétaire d’un mur non mitoyen, joignant immédiatement l’héritage d’autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant. »

Le premier enseignement qui ressort de cette disposition est que lorsque le mur privatif joint immédiatement le fonds voisin, seul le percement de jours de souffrances est autorisé, à l’exclusion de toute autre ouverture.

Le percement d’une vue, quand bien même elle serait faite dans un mur privatif est interdit, la règle se justifiant par la protection de l’intimité du propriétaire du fonds voisin.

Le second enseignement qui peut être retiré de ce texte est que le percement de jours dans un mur non mitoyen est strictement encadré.

==> Conditions

Deux conditions doivent être réunies pour qu’un jour de souffrance puisse être pratiqué dans un mur privatif :

  • Première condition
    • L’article 676, al. 2e dispose que lorsqu’un jour est pratiqué sur un mur privatif les « fenêtres doivent être garnies d’un treillis de fer dont les mailles auront un décimètre (environ trois pouces huit lignes) d’ouverture au plus et d’un châssis à verre dormant. »
    • La fenêtre doit ainsi être posée sur un châssis fixe qui ne permet donc pas son ouverture.
    • Il s’agit ici limiter autant que possible les atteintes qui pourraient être portées à la quiétude du fonds voisin
  • Seconde condition
    • L’article 677 du Code civil prévoit que les fenêtres ou jours « ne peuvent être établis qu’à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu’on veut éclairer, si c’est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs».
    • En imposant que les ouvertures soient situées à des hauteurs relativement hautes par rapport au plancher, (2.60 m pour le rez-de-chaussée et 1.90 m pour les étages supérieurs), cela permet d’empêcher, à tout le moins de limiter, les regards indiscrets sur le fonds voisin.
    • S’agissant du calcul de la hauteur, c’est toujours à partir du sol que le jour éclaire qu’elle se calcule.
    • Lorsqu’il s’agit d’un escalier, il convient de prendre pour référence chaque marche prise une à une
    • Dans un arrêt remarqué rendu le 27 mai 2009, la Cour de cassation est venue préciser que, en cas d’opacité des jours percés dans le mur, leur positionnement importait peu.
    • Aussi, a-t-elle validé la décision prise par une Cour d’appel qui après avoir relevé que les jours litigieux, garnis d’un treillis métallique et d’un châssis fixe sur lequel était monté un matériau translucide mais opaque, qui ne faisaient qu’éclairer l’immeuble dans lequel ils étaient pratiqués, offraient au fonds servant des garanties de discrétion suffisante en a déduit qu’il n’y avait pas à s’assurer de leur hauteur par rapport au plancher ( 3e civ. 27 mai 2009, n°08-12819).

Dans une affaire jugée en date du 2 novembre 2011, les requérants avançaient, au soutien d’une demande du QPC, que les dispositions des articles 676 et 677 du Code civil, réglementant les jours susceptibles d’être pratiqués dans un mur non mitoyen joignant immédiatement le fonds voisin, portaient atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

La Cour de cassation les a déboutés de leur demande au motif que la question posée ne présentait pas un caractère sérieux dès lors que les dispositions législatives en cause, qui n’ont ni pour objet ni pour effet de priver le propriétaire du mur de son droit de propriété, mais seulement d’en restreindre l’exercice, tendent à assurer des relations de bon voisinage par l’édiction de règles de construction proportionnées à cet objectif d’intérêt général (Cass. 3e civ., 2 nov. 2011, n° 11-15.428 QPC).

==> Sanction

Il est admis que lorsqu’une ouverture est irrégulièrement percée dans un mur privatif, le propriétaire du fonds voisin peut en exiger la suppression ou la mise en conformité avec les prescriptions posées aux articles 676 et 677 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ., 3 juill. 1973).

La Cour de cassation a néanmoins précisé dans un arrêt du 7 avril 2004 s’agissant des jours que « le fait de pratiquer un jour dans un mur joignant immédiatement l’héritage d’autrui ne fait pas naître à la charge de cet héritage une servitude et n’entraîne pour son propriétaire aucune restriction à son droit de propriété, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-20502).

Il en résulte que rien n’interdit le propriétaire du fonds voisin d’édifier en limite séparative une construction qui obstruait le jour percé empêchant ainsi la lumière d’éclairer à la pièce à la faveur de laquelle l’ouverture a été créée.

Lorsque, en revanche, l’ouverture percée est une vue et non un jour de souffrance, ce qui est interdit lorsqu’il s’agit d’un mur qui joint immédiatement le fonds voisin, la Cour de cassation admet que l’auteur de l’ouverture puisse se prévaloir d’une acquisition de la servitude par prescription si le propriétaire n’a pas contesté la construction pendant une durée de trente ans (Cass. 3e civ., 7 avr. 2004, n° 02-20502)

2.2 Le mur privatif est en retrait du fonds voisin

==> Principe

Dans l’hypothèse où le mur privatif est en retrait du fonds voisin, il est permis de pratiquer dans ces murs, tout autant des jours que des vues.

Si le percement de jours ne comporte ici aucune restriction, il n’en va pas de même pour les vues qui font l’objet d’un encadrement strict.

Lorsqu’il s’agit donc de pratiquer une vue dans un mur privatif en retrait, il convient de distinguer selon que cette vue est droite ou oblique afin de déterminer la distance qui doit être observée entre le mur et la ligne séparative du fonds voisin.

  • S’agissant des vues droites
    • L’article 678 du Code civil prévoit que « on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d’aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l’héritage clos ou non clos de son voisin, s’il n’y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s’exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d’une servitude de passage faisant obstacle à l’édification de constructions. »
    • Il ressort de cette disposition que lorsque l’ouverture consiste en une vue droite, la distance minimale à observer est de 1,90 m.
    • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 29 novembre 1983 que « les termes de l’article 678 du code civil ne sont point limitatifs, qu’ils s’appliquent non seulement aux fenêtres et balcons, mais aussi aux terrasses, plates-formes ou autres exhaussements de terrain d’où l’on peut exercer une servitude de vue sur le fonds voisin» ( 3e civ. 29 nov. 1983, n°82-14155).
  • S’agissant des vues obliques
    • L’article 679 du Code civil prévoit que « on ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s’il n’y a six décimètres de distance.»
    • La distance à observer entre le mur et la ligne séparative est ici de 0.60 m.

La différence de traitement entre les vues droites et les vues obliques se justifie par l’intensité des nuisances susceptibles d’être engendrées qui varie de l’une à l’autre.

Tandis que la vue droite permet de très facilement regarder sur le fonds voisin, la vue oblique exige l’accomplissement d’un effort particulier pour y parvenir.

Ainsi l’intimité du propriétaire du fonds voisin est bien mieux préservée dans le second cas, d’où la réduction de la distance devant être observée à 0.60 m au lieu de 1.90 pour les vues droites.

==> Mise en œuvre

S’agissant du calcul de la distance, il convient de se référer aux indications prescrites par l’article 680 du Code civil qui prévoit que « la distance dont il est parlé dans les deux articles précédents se compte depuis le parement extérieur du mur où l’ouverture se fait, et, s’il y a balcons ou autres semblables saillies, depuis leur ligne extérieure jusqu’à la ligne de séparation des deux propriétés. »

Ainsi, pour les vues droites le point de référence, c’est le parement du mur et non l’aplomb de l’ouverture. Pour les vues obliques, en revanche, il est admis que la distance doive être calculée à partir de l’arrête de l’ouverture la plus proche de la ligne séparatrice.

Lorsque les deux fonds sont séparés par un mur ou une clôture, le calcul de la distance se fait à partir du parement de l’ouverture jusque :

  • Soit au parement du mur ou de la clôture qui borde le fond voisin s’ils sont privatifs
  • Soit au milieu du mur ou de la clôture s’ils sont mitoyens

Lorsque, en revanche, les deux fonds sont séparés par un espace, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 12 avril 1972 que « quelle que soit sa qualification : passage, ruelle, chemin d’exploitation, cour, etc, affecte a un usage commun aux deux fonds, la distance légale pour l’établissement des vues droites se compte depuis la limite du fonds voisin situe non pas au milieu de l’espace commun, mais de l’autre cote de ladite voie » (Cass. 12 avr. 1972, n°70-13213).

==> Prescription

À la différence des jours qui constituent des actes de tolérance, les vues sont éligibles au jeu de la prescription acquisitive.

La raison en est qu’elles sont constitutives de servitudes continues et apparentes. Or en application de l’article 690 du Code civil elles « s’acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans. »

Lorsqu’ainsi, l’ouverture a été percée il y a plus de trente ans, son bénéficiaire est fondé à se prévaloir de l’acquisition d’une servitude de vue sur le fonds voisin (Cass. 3e civ. 21 juin 1981).

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer encore faudra-t-il démontrer que la vue était apparente et que son existence ne pouvait pas être ignorée du propriétaire du fonds voisin (Cass. 3e civ. 17 mars 1972).

Surtout, il convient de préciser que le jeu de cette prescription n’intéresse que les ouvertures irrégulières, soit celles percées en violation des règles prescrites par les articles 678 et 679 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ., 8 déc. 1976).

Lorsque, en effet, l’ouverture est régulière, soit répond aux distances requises, elle ne sera jamais regardée comme une servitude grevant le fonds voisin, mais seulement comme l’exercice du droit de propriété de son bénéficiaire.

La conséquence en est que le propriétaire du fonds sur lequel s’exerce la vue est autorisé à édifier une construction en limite de fonds, ce, quand bien même cette construction obstruait la vue percée régulièrement.

Lorsque, en revanche, l’ouverture est irrégulière et que, par le jeu de la prescription, elle s’est transformée en une servitude grevant le fonds voisin, elle emporte des effets radicalement différents.

En effet, non seulement, le propriétaire du fonds servant ne peut pas solliciter la suppression ou la modification de l’ouverture irrégulièrement percée (Cass. 3e civ. 10 avr. 1975), mais encore il lui est fait interdiction d’édifier une construction à une distance inférieure à celle requise pour les vues droites ou obliques (Cass. 3e civ., 8 juill. 2009, n°08-17639).

==> Sanction

Lorsque l’ouverture est pratiquée en violation des prescriptions légales, le propriétaire du fonds voisin est fondé à solliciter sa suppression ou sa modification (Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-20899).

Si les juridictions ne disposent du pouvoir de substituer à la démolition l’allocation de dommages et intérêts (Cass. 1ère civ. 4 mai 1964), ils peuvent néanmoins ordonner l’adoption d’une mesure alternative, telle que la transformation d’une vue en jour de souffrance ou en la pose de cloisons translucides (Cass. 3e civ., 26 févr. 1974).

II) Les servitudes unilatérales

Les servitudes unilatérales se caractérisent par l’absence de réciprocité de la charge qui pèse le propriétaire d’un fonds.

Surtout, à la différence de la servitude réciproque, la servitude unilatérale donne lieu à une indemnisation du propriétaire du fonds servant. Son préjudice n’est, en effet, pas compensé par la réciprocité de la charge qui pèse sur lui.

Aussi, une indemnité est due par le propriétaire du fonds dominant, dont la propriété est valorisée par l’existence d’une telle servitude constituée à son profit.

L’illustration même de la servitude unilatérale, c’est la servitude de passage qui est une servitude positive puisqu’elle autorise le propriétaire du fonds dominant à accomplir un acte sur le fonds servant (passage, puisage etc.), à la différence des servitudes négatives qui exigent du propriétaire du fonds servant une abstention.

Cette servitude légale est régie aux articles 682 à 685-1 du Code civil, étant précisé qu’elle n’est envisagée qu’en cas d’enclave du fonds. L’une des principales difficultés consistera ainsi à définir ce qu’est un fonds enclavé, puisque c’est ce qui déterminera la constitution d’une servitude de passage.

A) Constitution de la servitude

L’article 682 du Code civil prévoit que « le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Ainsi, en cas de situation d’enclave d’un fonds, soit sans issue sur la voie publique, la loi confère à son propriétaire le droit d’exiger l’établissement d’un passage sur le fonds voisin.

L’objectif recherché ici par le législateur est de permettre l’exploitation du fonds conformément à sa destination. Sans accès à la voie publique, l’exercice du droit de propriété sur le fonds est, en effet, pour le moins limité, sinon illusoire.

Aussi, afin que le fonds enclavé puisse être exploité et puisse arborer une certaine valeur marchande dans une logique de circulation économique des biens une servitude légale est consentie au propriétaire.

L’exercice de cette servitude – de passage – est néanmoins subordonné à la réunion de plusieurs conditions, à commencer par l’existence d’une situation d’enclave.

Cette situation doit, par ailleurs, ne peut être le fait du propriétaire du fonds enclavé faute de quoi il ne pourra se prévaloir d’aucun droit de passage sur le fonds voisin.

  1. Principe

1.1 Les conditions tenant à la configuration du fonds

Il ressort de l’article 682 du Code civil que pour que puisse être constituée une servitude de passage :

  • D’une part, le fonds doit être enclavé
  • D’autre part, un besoin d’exploitation du fonds doit exister

a) Un fonds enclavé

Première condition exigée pour qu’une servitude de passage puisse être constituée, le propriétaire qui s’en prévaut doit justifier de l’état d’enclave de son fonds.

Cette condition ressort expressément de l’article 682 du Code civil qui définit le fonds enclavé comme celui qui ne comporte, soit aucune issue, soit qu’un accès réduit et insuffisant à la voie publique.

La situation d’enclave se caractérise ainsi par la réunion de deux éléments cumulatifs

  • L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie
  • L’absence de voie ouverture au public

a.1. L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie

==> L’absence d’issue sur la voie publique

L’article 682 du Code civil prévoit que le fonds enclavé est d’abord celui « qui n’a sur la voie publique aucune issue »

À l’examen, cette absence d’issue peut tenir, soit à l’impossibilité physique s’accéder au fonds, soit à une impossibilité juridique.

  • L’impossibilité matérielle d’accéder au fond
    • Critère physique
      • La situation d’enclave d’un fonds est le plus souvent liée à la configuration des lieux qui rendent sont accès impossible.
      • Cette situation se rencontrera lorsque le fonds est entouré par des terres qui appartiennent à d’autres propriétaires.
      • Il a par exemple été jugé dans un arrêt du 30 janvier 1884 rendu par la Cour de cassation que l’état d’enclave était caractérisé lorsque le fonds était séparé de la voie publique par un talus dont la pense rendait impossible le passage des chevaux et des bestiaux affectés à son exploitation ( req. 30 janv. 1884).
      • Plus généralement, cet état d’enclave est établi lorsqu’il est physiquement impossible d’aménager un accès à la voie publique, en raison du relief, de la position du fonds, ou de la configuration des lieux.
      • Il convient enfin d’observer que l’état d’enclave s’apprécie globalement, soit en considération de l’ensemble des parcelles contiguës susceptibles d’être détenus par un même propriétaire et constituant un même fonds.
      • En effet, La servitude de passage est réservée à celui dont le fonds est enclavé, et n’est pas applicable dès lors que seulement l’une des parcelles qui compose le fonds est enclavée.
      • La demande en reconnaissance de servitude de passage est par conséquent infondée dès lors que le fonds est constitué de plusieurs parcelles contiguës dont l’une dispose d’un accès à la voie publique, le propriétaire de ce fonds devant faire son affaire de l’enclavement de l’autre parcelle (CA Douai, 1re ch., 2e sect., 25 janv. 2018, n° 17/02067).
    • Critère économique
      • Afin d’apprécier le caractère enclavé d’un terrain, les juridictions tiennent compte du coût des travaux à réaliser pour établir une communication avec la voie publique.
      • Dans un arrêt du 4 juin 1971 la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’état d’enclave était établi lorsque les chemins ruraux permettant d’accéder au fonds sont impraticables et que leur remise en état engendrerait une dépense excessive « qui serait hors de proportion avec l’usage qui en serait fait et la valeur de la propriété» ( 3e civ. 4 juin 1971, n°70-11857).
      • Les juges refuseront, en revanche, de considérer qu’un fonds est enclavé lorsqu’il est possible de le rendre accessible en mettant en œuvre des moyens normaux et raisonnables.
      • Ainsi, les juridictions doivent-elles vérifier si le propriétaire du fonds enclavé ne dispose pas d’une solution de nature à remédier à l’absence d’issue ( 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-18488).
      • Dans un arrêt du 8 juillet 2009, la Cour de cassation a par exemple reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « comme il le lui était demandé, s’il suffisait à Mme X… de réaliser sur ses parcelles des travaux permettant un accès à la voie publique dont le coût ne serait pas disproportionné par rapport à la valeur de son fonds» ( 3e civ. 8 juill. 2009, n°08-11745).
      • La troisième chambre civile a néanmoins précisé dans un arrêt du 8 avril 1999, qu’il n’appartient pas au juge de procéder d’office à cette recherche tenant à la disproportion du coût des travaux à réaliser pour désenclaver le fonds ( 3e civ. 8 avr. 1999, n°97-11716).
      • Ce moyen doit être soulevé par les parties, faute de quoi le juge ne pourra pas tenir compte du critère économique pour déterminer si le fonds est enclavé.
  • L’impossibilité juridique d’accéder au fonds
    • La situation d’enclave d’un terrain ne tient pas seulement à la configuration physique des lieux, elle peut également procéder de contraintes juridiques.
    • Tel sera le cas lorsque l’accès à la voie publique est interdit, soit par une règle juridique, soit par une décision prise par une autorité compétente.
    • Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a, par exemple, admis l’état d’enclave juridique d’un fonds, au motif que « le certificat d’urbanisme interdisait tout accès direct depuis la route départementale 183 au fonds de la SCI»
    • Or dans la mesure où cette dernière « ne pouvait se voir contrainte à exercer un recours à l’encontre de cet acte […] le fonds concerné était enclavé et devait bénéficier d’une servitude légale de passage» ( 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-26640).
    • Dans un arrêt du 8 octobre 1985, la troisième chambre civile a précisé qu’il ne suffit pas que l’accès à la voie publique soit subordonné à l’obtention d’une autorisation administrative, encore faut-il que la demande d’autorisation soit valablement refusée ( 3e civ. 8 oct. 1985, n°84-12213).

==> L’insuffisance de l’issue sur la voie publique

La situation d’enclave d’un fonds est caractérisée, non seulement lorsque celui-ci ne comporte aucune issue, mais encore lorsque l’accès qui le relie à la voie publique est insuffisant.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la notion d’« issue insuffisance » visée par l’article 682 du Code civil.

À l’examen, cette insuffisance d’accès est appréciée, selon la formule de la Cour de cassation, en considération « de l’état des lieux et des communications nécessaires à l’utilisation normale du fonds dominant, compte tenu de sa destination » (Cass. 1ère civ. 8 mars 1965, n°63-11698).

En la matière les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation, la Cour de cassation se limitant à un contrôle restreint de la motivation (Cass. 3e civ., 27 oct. 2004, n° 03-15151).

L’insuffisance d’accès justifiant la constitution d’une servitude de passage résultera le plus souvent de la configuration des lieux.

Tel est le cas notamment lorsque l’accès qui relie le fonds à la voie publique est :

  • Soit trop étroit, de telle sorte qu’il ne peut pas être emprunté en voiture ou qu’il n’est pas possible de faire passer des véhicules utilitaires ou des engins agricoles (V. en ce sens 3e civ., 16 mars 2017, 15-28551).
  • Soit trop dangereux, en ce sens que son utilisation fait courir un risque au propriétaire car supposant, par exemple, d’emprunter une voie d’eau, de longer une falaise ou encore d’utiliser un chemin escarpé en proie aux éboulements ( req., 31 juill. 1844).

En revanche, l’état d’enclave sera refusé :

  • Soit en cas de possibilité d’aménagement de l’accès
    • Lorsque des travaux dont le coût n’est pas excessif eu égard la valeur du fonds peuvent être réalisés afin d’aménager un accès à la voie publique, le terrain ne sera pas considéré comme enclavé ( 3e civ., 11 févr. 1975, n° 73-13974).
    • Ainsi, lorsque les obstacles qui limitent l’accès peuvent être facilement supprimés au moyen d’aménagement peu coût, le propriétaire du fonds ne sera pas fondé à réclamer la constitution d’une servitude.
    • Il ne faut toutefois pas que le coût des travaux à réaliser soit hors de proportion avec l’usage qui sera fait du fonds et la valeur de la propriété.
    • C’est donc sur la base d’un critère économique qu’il pourra être déterminé si un aménagement de l’accès à la charge du propriétaire du fonds est envisageable dans des conditions raisonnables.
  • Soit en cas de simple commodité
    • Un terrain ne sera pas considéré comme enclavé lorsque l’insuffisance d’accès dont se prévaut le propriétaire du fonds procède d’une simple commodité personnelle, en ce sens que la constitution de la servitude n’est pas indispensable à l’usage normal du fonds ( 3e civ. 24 juin 2008, n°07-15944).
    • Tel sera le cas lorsque le fonds dispose déjà d’un accès à la voie publique et que son propriétaire cherche à réduire son temps de trajet pour y accéder (CA Nîmes, 2e ch. civ., A, 6 oct. 2016, n° 14/04909)
    • Si dès lors il existe un passage suffisant pour accéder au fonds, la demande de désenclavement ne pourra pas prospérer, les juridictions considérant qu’elle relève de la simple commodité ainsi que de la convenance personnelle.
    • La constitution d’une servitude de passage est une atteinte significative au droit de propriété
    • Aussi, ne doit-elle être admise que lorsqu’il est démontré qu’elle est indispensable et que le propriétaire du fonds ne dispose d’aucune alternative raisonnable pour y accéder.

a.2. L’existence d’une voie ouverte au public

L’état d’enclave suppose, outre la difficulté d’accès au fonds, l’absence d’issue sur la voie publique.

La notion de « voie publique » doit être entendue de façon extensive, en ce sens qu’il faut l’envisager, non pas sous l’angle du droit public – ce qui exclurait les voies privées –, mais la comprendre dans une acception générale.

Par « voie publique », il faut ainsi plutôt comprendre voie « ouverte au public » ou « affectée à l’usage du public ».

Il suffit pour s’en convaincre de tourner le regard vers un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 13 mai 2009 (Cass. 3e civ. 13 mai 2009, n°08-14640).

Dans cette affaire, une Cour d’appel avait admis la constitution d’une servitude de passage considérant que le fonds bénéficiaire était seulement desservi par des voies privées et non par une voie publique.

La Cour de cassation censure cette décision au motif que les juges du fonds auraient dû rechercher si les parcelles étaient ouvertes au public et permettaient à leur propriétaire d’accéder à son fonds.

Le statut de la voie par laquelle est desservi le fonds est ainsi sans incidence sur la qualification d’enclave. Il est indifférent que cette voie relève du domaine privé ou qu’elle soit détenue à titre privatif.

Seul importe qu’elle soit ouverte au public et que, par conséquent, elle puisse être empruntée par le propriétaire du fonds qui se prévaut d’une situation d’enclave.

Au nombre des voies affectées à l’usage du public figurent les voies terrestres mais également les voies d’eau, pourvu qu’elles constituent les moyens normaux de communication, de transport et d’exploitation des terrains qui les bordent.

Dès lors que la voie est interdite d’accès au public et qu’elle représente la seule issue pour un fonds, la situation d’enclave sera établie (CA Nancy, 1re ch. civ., 9 déc. 2008).

b) Le besoin d’exploitation du fonds

==> Utilisation normale du fonds

Pour que l’état d’enclave soit caractérisé, il ne suffit pas d’établir l’absence ou l’insuffisance d’issue stricto sensu, il faut encore démontrer que la difficulté d’accès empêche l’exploitation du fonds et plus précisément son utilisation normale.

C’est là le sens de l’article 682 du Code civil qui précise qu’il y a enclave si l’issue est insuffisante pour la desserte complète du fonds dans lequel est exercée une activité agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété ou sur lequel sont susceptibles d’être réalisées des opérations de construction ou de lotissement.

Selon le Doyen Cornu, « l’état d’enclave est toujours apprécié par rapport à une situation d’activité. ». Autrement dit, la desserte doit toujours s’apprécier en fonction de l’exploitation de la parcelle enclavée et des moyens nécessaires à celle-ci, étant précisé que cette desserte doit être complète (Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n ° 16-22841).

Alors que l’article 682 du Code civil ne vise que des activités professionnelles comme susceptibles de justifier l’état d’enclave, la Cour de cassation considère que la notion d’exploitation doit être entendue largement, ce qui signifie que la constitution d’une servitude de passage peut être sollicitée pour n’importe quel besoin d’exploitation du fonds (V. en ce sens Cass. req., 7 mai 1879).

Ainsi, pour la Cour de cassation, « le droit, pour le propriétaire d’une parcelle enclavée, de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins, conformément aux dispositions de l’article 682 du code civil, est fonction non de l’existence d’une exploitation agricole ou industrielle, au sens étroit de ces termes, mais de l’utilisation normale du fonds, quelle qu’en soit la destination » (Cass. 1ère civ. 2 mai 1961).

Dans le même sens, la Cour de cassation rappelle régulièrement, sous la même formulation, que l’article 682 du Code civil ne distingue pas « entre les divers modes d’exploitation dont peut être l’objet le fonds dominant » (Cass. 3e civ. 7 avr. 1994, n°89-20964 ; Cass. 3e civ. 2 juin 1999, n°96-21594).

La Cour de cassation a ainsi admis qu’un fonds était enclavé, car l’exploitation d’un cinéma exigeait la création d’une issue de secours (Cass. 3e civ. 5 mars 1974). Elle a statué dans le même sens dans les situations suivantes :

  • Besoin de la création d’un passage qui puisse être emprunté par un véhicule, compte tenu des conditions actuelles de la vie et de la nécessité de permettre un secours rapide en cas d’incendie ( 3e civ. 28 oct. 1974).
  • Besoin de la création d’un passage qui puisse être emprunté par des machines agricoles pour les besoins d’exploitation du fonds ( 3e civ. 9 mars 1976)
  • Besoin de la création d’un passage pour que la clientèle d’un hôtel puisse y accéder au moyen d’un véhicule (CA Chambéry, 2e ch., 11 oct. 2005, n° 04/01893).
  • Besoin de la création d’un passage en raison de la construction d’un grand ensemble immobilier, le fonds bénéficiaire étant insuffisamment desservi pour la réalisation de cette opération ( 3e civ. 29 avr. 1981).

Ce qui devra être démontré par le propriétaire du fonds qui se prévaut d’un droit de passage sur le fonds voisin, c’est que sans la constitution de la servitude il ne peut pas faire un usage normal de son fonds.

L’appréciation des besoins d’utilisation normale du fonds sera appréciée objectivement par le juge qui vérifiera si le besoin exprimé est réel et réalisable.

Si, en effet, il s’agit de solliciter un droit de passage en prétextant qu’il a vocation à permettre la réalisation d’une opération immobilière, alors que le terrain ne se situe pas sur une zone constructible, la demande sera rejetée par le juge (CA Aix-en-Provence, 4e ch., A, 2 juill. 2015, n° 14/17422).

==> Changement de destination

S’agissant du changement de destination du fonds, la Cour de cassation considère qu’il ne s’agit pas d’un obstacle à la constitution d’une servitude de passage (V. en ce sens Cass. req. 7 mai 1879).

Dans un arrêt du 4 octobre 2000, la troisième chambre civile a, par exemple, confirmé la décision d’une Cour d’appel qui avait admis que le changement de destination d’un terrain puisse justifier l’octroi d’un droit de passage à son propriétaire sur le fonds voisin.

Les juges du fonds avaient constaté que « le terrain des consorts X…, précédemment à vocation agricole et forestière, avait été classé en zone constructible du plan d’occupation des sols (POS) modifié de la commune, que l’autorisation de bâtir avait cependant été refusée en 1995 en raison de ce que le projet ne comportait qu’un accès unique, générateur d’insécurité dans l’usage de la voie publique, et relevé que l’opération de lotissement envisagée constituait une utilisation normale du fonds »

Prenant ensuite considération « les exigences du POS en la matière et les nécessités de circulation découlant de la vocation nouvelle du fonds des consorts X… à être loti », ils en déduisent que « les passages existants, reliant les terrains des demandeurs à la voie publique à travers ceux de la SICA, tels que résultant de servitudes conventionnelles, n’assuraient pas une desserte suffisante du futur lotissement, et que celui-ci se trouvait donc en état d’enclave » (Cass. 3e civ. 4 oct. 2000, n°98-12284).

Il est donc indifférent que la demande de droit de passage soit fondée sur le changement de destination du fonds dont l’exploitation qui était antérieurement à vocation agricole, est devenue industrielle.

Ce qui importe c’est que la nouvelle exploitation corresponde à une utilisation normale et légitime du fonds (CA Chambéry, 6 févr. 1951).

Dans un arrêt du 25 juin 1997, la Cour de cassation a affirmé que le changement de destination du fonds ne devait pas être confondu avec la situation de l’enclave volontaire, cause d’exclusion de la constitution d’une servitude de passage, dès lors que la nouvelle exploitation s’apparentait à une utilisation normale du fonds (Cass. 3e civ. 25 juin 1997, n°95-15772).

1.2. Les conditions tenant à l’exercice du droit de passage

La constitution d’une servitude ne suppose pas seulement que soit établie une situation d’enclave, il faut encore que :

  • D’une part, que celui qui se prévaut d’un droit de passage soit titulaire d’un droit réel
  • D’autre part, que le propriétaire du fonds grevé par la servitude soit indemnisé

==> La titularité du droit

La question qui se pose ici est de savoir qu’elle est la nature du droit qui doit être exercé sur le fonds enclavé pour que celui qui l’exploite soit fondé à solliciter un droit de passage.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 682 du Code civil qui ne laisse que peu de place à l’ambiguïté.

Il ressort, en effet, de cette disposition que seul « le propriétaire dont les fonds sont enclavés » peut solliciter la constitution d’une servitude de passage.

Plus généralement, il est admis que la demande d’octroi d’un droit de passage puisse émaner de celui qui exerce un droit réel sur le fonds.

Dans un arrêt du 6 juin 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le texte, qui accorde l’exercice de l’action au titulaire possédant un droit réel sur le fonds dominant, n’interdisant nullement que cette utilisation du fonds soit mise en œuvre par un autre que le propriétaire, auquel celui-ci a donné son agrément » (Cass. 3e civ. 6 juin 1969).

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire d’être investi de tous les attributs du droit de propriété pour solliciter la constitution d’une servitude de passage. Ce droit est également ouvert à l’usufruitier, l’usager ou l’emphytéote.

En revanche, les personnes qui exploitent le fonds au titre d’un droit personnel qu’ils exercent contre le propriétaire, ne sont pas fondées à solliciter l’octroi d’un droit de passage sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 2 mars 1983, la Cour de cassation a, par exemple, jugé « qu’un fermier est sans droit à se prévaloir de l’état d’enclave pour réclamer une servitude de passage au profit du fonds qui lui est donne à bail » (Cass. 3e civ. 2 mars 1983, n°81-16323).

La même solution pourrait être retenue pour le titulaire d’un bail commercial ou d’un bail d’habitation, celui-ci n’étant investi que d’un droit personnel contre le bailleur.

Dans un arrêt du 18 décembre 1991, la troisième chambre civile a précisé que « toute servitude étant une charge imposée à un héritage pour l’usage et l’utilité d’un autre héritage, seules peuvent être prises en considération, pour reconnaître à un fonds le bénéfice d’une servitude, les conditions que les conventions ou la loi ont posées pour ce bénéfice [de sorte] qu’il importe peu, lorsque le fonds est mis en vente, que la réclamation de la servitude soit formulée par le propriétaire vendeur ou le propriétaire acquéreur » (Cass. 3e civ. 18 déc. 1991, n°89-19245).

==> Versement d’une indemnité

L’article 682 du Code civil prévoit que si le propriétaire d’un fonds enclavé peut solliciter la constitution d’une servitude sur le fonds voisin, cette constitution ne peut intervenir qu’en contrepartie du versement « d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Cette indemnité vise à réparer le préjudice résultant de l’atteinte portée au droit de propriété du propriétaire du fonds grevé par la servitude de passage.

Dans un arrêt du 16 avril 1973, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire d’un fonds assujetti au passage a droit à une indemnité proportionnée au dommage que le passage peut occasionner, donc indépendante du profit procuré au propriétaire du fonds enclave » (Cass. 3e civ. 16 avr. 1973, n°71-14703).

Il en résulte que l’indemnité versée doit être fixée en considération, non pas de la valeur vénale du terrain correspondant à l’assiette de passage, mais du seul préjudice occasionné par le passage (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 févr. 1994, n°92-11500).

S’agissant de la forme de l’indemnité, elle peut consister en le versement d’un capital ou d’une redevance annuelle (Cass. req. 15 juin 1875).

Enfin, l’article 685, al. 2e du Code civil prévoit que « l’action en indemnité, dans le cas prévu par l’article 682, est prescriptible, et le passage peut être continué, quoique l’action en indemnité ne soit plus recevable. »

La prescription de l’action est ici attachée à la possession de la servitude par le propriétaire du fonds dominant, de sorte qu’elle se prescrit par trente ans.

Son point de départ correspond au jour où le droit de passage à commencer à s’exercer, soit à partir du moment où les éléments constitutifs de la possession sont réunis (Cass. req. 10 févr. 1941).

Cette possession devra, en outre, satisfaire à toutes les exigences prescrites à l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

2. Exceptions

Par exception au principe posé à l’article 682 du Code civil qui octroie au propriétaire d’un fonds enclavé un droit de passage sur le fonds voisin, il est certains cas où ce droit de passage lui sera refusé.

==> L’enclave procède du fait volontaire du propriétaire du fonds

Lorsque la situation d’enclave du fonds procède d’un fait volontaire du propriétaire, il n’est pas fondé à solliciter la constitution d’une servitude de passage sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 4 mai 1964, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé que le propriétaire d’un fonds « ne pouvait invoquer un état d enclave de son immeuble dès lors qu’il avait lui-même obstrué l’issue lui donnant accès à la voie publique et ouvert une porte sur la cour intérieure pour le desservir » (Cass. 1ère civ. 4 mai 1964).

Tout l’enjeu consistera alors à déterminer si la situation d’enclave du fonds résulte du fait personnel de son propriétaire, les juges du fonds étant investis, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation (Cass. 3e civ., 7 févr. 1969).

Aussi, l’enclave pour justifier la constitution d’une servitude de passage ne peut procéder que d’un cas événement indépendant de la volonté du propriétaire du fonds (cas fortuit, force majeure, fait d’un tiers etc.).

C’est seulement lorsqu’il sera établi que l’absence ou l’insuffisance d’issue est imputable au fait personnel du propriétaire du fonds qu’il lui est fait interdiction de se prévaloir du dispositif prévu à l’article 682 du Code civil. Il peut s’agir, tant d’un fait positif, tel qu’un mauvais aménagement du fonds, ou la création d’un obstacle, que d’un fait négatif, tel qu’un défaut d’entretien qui a rendu la voie d’accès au fonds impraticable.

Dans un arrêt du 7 mai 1986, la Cour de cassation a précisé que la charge de la preuve du caractère volontaire devait être supportée par le propriétaire du fonds servant (Cass. 3e civ. 7 mai 1986, n°84-16957).

L’enclave volontaire ne serait toutefois pas caractérisée lorsque l’absence ou l’insuffisance d’issue procède d’un changement de destination du fonds qui, alors qu’il était affecté à une exploitation agricole par exemple, est affecté à une exploitation industrielle (Cass. 3e civ. 25 juin 1997, n°95-15772).

==> Le propriétaire du fonds enclavé dispose d’un droit de passage conventionnel

Le propriétaire d’un fonds enclavé ne peut pas non plus se prévaloir d’un droit de passage, lorsqu’il dispose d’un accès établi conventionnellement avec le propriétaire d’un fonds voisin.

Il importe peu que cet accès soit moins commode que celui auquel pourrait prétendre le propriétaire du fonds en application de l’article 683 du Code civil, soit « être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique ».

Ce qui compte c’est qu’il dispose d’une issue conduisant sur une voie ouverte au public et que cette issue permet une utilisation normale du fonds.

Si dès lors, le fonds est affecté à une exploitation agricole et que l’issue établie conventionnellement ne peut pas être empruntée par des engins agricoles, le propriétaire du fonds pourra se prévaloir d’un droit de passage.

Aussi, c’est aux juges qu’il appartiendra de déterminer souverainement si l’accès conventionnel permet un usage normal du fonds enclavé.

==> Le fonds enclavé comporte une issue de tolérance

Il est admis que lorsque le fonds enclavé comporte une issue de tolérance sont propriétaire ne peut pas se prévaloir d’un droit de passage.

Dans un arrêt du 16 juin 1981, la Cour de cassation a par exemple jugé que le fonds qui bénéficie d’une tolérance de passage lui permettant un libre accès pour les besoins de son exploitation, n’est pas enclavé tant que cette tolérance est maintenue (Cass. 3e civ. 16 juin 1981, n°80-11230).

La troisième chambre civile a encore statué en ce sens dans un arrêt du 27 septembre 2007 (Cass. 3e civ. 27 sept. 2007, n°05-16451).

Dans cette affaire elle a notamment estimé qu’une parcelle n’est pas enclavée dès lors que les propriétaires du fonds voisin ont laissé en toute connaissance de cause son propriétaire passer sur leur parcelle pendant vingt-sept ans sans protester.

Cette situation s’analyse, manifestement, en une tolérance de passage qui, parce qu’elle offre une issue au fonds enclavé, fait obstacle à la constitution d’une servitude.

Seule la révocation de la tolérance est de nature à justifier la demande d’un droit de passage par le propriétaire du fonds enclavé (V. en ce sens Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 16-27702).

Dans un arrêt du 2 juin 1999, la Cour de cassation a précisé qu’il convenait, pour déterminer si l’existence d’une tolérance faisait obstacle à la demande d’un droit de passage, que cette tolérance permette un usage normal du fonds conformément à sa destination.

Ainsi, a-t-elle validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir relevé « que les consorts Y… exploitaient dans les lieux un poney club et que l’ouverture d’une entrée sur le parc de stationnement communal, dont ils bénéficiaient en vertu d’une tolérance de la municipalité, ne permettait pas le passage de véhicules de plus de 3 tonnes 5 assurant la livraison du fourrage ou le transport des équidés, a […] caractérisé l’utilisation normale du fonds et souverainement retenu l’état d’enclave de celui-ci » (Cass. 3e civ. 2 juin 1999, n°96-21594).

==> La division du fonds consécutivement à l’accomplissement d’un acte

  • Principe
    • L’article 684 du Code civil dispose que « si l’enclave résulte de la division d’un fonds par suite d’une vente, d’un échange, d’un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l’objet de ces actes. »
    • Ainsi, lorsque la situation d’enclave d’un fonds est le résultat de la division de l’unité foncière d’origine en plusieurs parcelles, il appartient aux parties à l’opération de s’entendre pour octroyer une issue au fonds enclavée, issue qui doit nécessairement prendre assise sur les fonds divisés, peu importe que l’accès créé soit moins commode que si son assiette avait été déterminée application de l’article 682 du Code civil.
    • Il est classiquement admis que la règle posée à l’article 684 du Code civil se justifie par l’obligation de garantie qui pèse sur les parties à l’acte de division.
    • Elles ne sauraient, en effet, faire peser la charge d’un droit de passage aux propriétaires des fonds voisins qui sont étrangers à l’opération.
    • Au surplus, il est admis de longue date que la constitution d’une servitude sur l’héritage d’autrui ne peut jamais procéder de son propre fait ( req. 27 avr. 1898).
    • Aussi, ainsi que l’ont écrit des auteurs les parties à l’acte de division du fonds « sont tenus d’une obligation de garantie qui implique de fournir un accès permettant l’exploitation du fonds»[1].
    • Il en résulte que l’acquéreur d’un fonds enclavé issu d’une division après partage ne peut réclamer un droit de passage qu’à ses copartageants (V. en ce sens 3e civ., 3 mars 1993, n°91-16065).
  • Exception
    • Ce n’est que lorsqu’aucun passage suffisant ne peut être créé sur les fonds qui ont fait l’objet d’une division que l’article 682 du Code civil redevient applicable.
    • Cette exception est issue de la loi du 20 août 1881 qui a admis que, bien que le passage nécessaire à l’exploitation d’un fonds actuellement enclavé à la suite d’une division aurait du être pris sur les autres portions de l’ancienne unité foncière, sans qu’il y ait lieu d’examiner si le passage par d’autres terrains limitrophes ne serait pas plus court et moins dommageable, une exception aux articles 682 et 683 du Code civil ne pouvait être invoquée par les voisins lorsque, à raison de la conformation des lieux, il y avait impossibilité d’établir ailleurs que sur leur fonds un chemin offrant les moyens de communication nécessaires.
    • Ainsi, afin de déterminer si la servitude doit ou non être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division, il conviendra d’établir qu’aucune issue suffisante permettant une utilisation normale du fonds enclavé ne peut être créée sur les fonds divisés.
    • Ce n’est que lorsque cette insuffisance d’accès sera démontrée, que l’article 682 du Code civil pourra s’appliquer.
    • La conséquence en est qu’une servitude de passage pourra alors être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division.
    • Dans cette hypothèse, non seulement une indemnité sera due au propriétaire du fond servant, mais encore celui-ci ne pourra pas y renoncer dans l’acte de division, l’article 682 étant d’ordre public sur ce point.

B) Exercice de la servitude de passage

  1. Les fonds assujettis au droit de passage

Il est admis que la servitude de passage est susceptible de grever tous les fonds voisins qui séparent le fonds enclavé de la voie publique.

Peu importe la nature de ces fonds, qu’ils soient contigus, qu’ils soient bâtis ou encore qu’ils soient clôturés. Leur configuration physique ou juridique est indifférente.

Il pourra donc s’agir d’un fonds sur lequel est établi une habitation, un jardin, un parc, soit n’importe quel fonds au travers duquel il est possible de relier la parcelle enclavée à la voie publique.

La seule limite a été posée par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 mars 1994 qui a jugé « qu’il résulte du principe de l’inaliénabilité des biens du domaine public qu’ils ne peuvent être grevés de servitudes légales de droit privé, et notamment d’un droit de passage en cas d’enclave » (Cass. 1ère civ. 2 mars 1994, n°87-16932).

Ainsi, les fonds qui relèvent du domaine public ne peuvent être grevés d’aucune servitude de passage, en raison de leur inaliénabilité.

2. La détermination de l’assiette de passage

Lorsque les conditions de constitution d’une servitude de passage sont réunies, cette dernière grève de plein droit les fonds voisins permettant de libérer le fonds dominant de son enclave.

Reste qu’il y a lieu de déterminer l’endroit où la servitude prendra son emprise, étant précisé que son assiette sera limitée à ce qui est nécessaire pour ouvrir une issue suffisante au fonds enclavé.

La détermination de cette assiette peut résulter de plusieurs situations :

  • La conclusion d’une convention
  • La décision du juge
  • La prescription
  • La division du fonds

a) La détermination de l’assiette de passage par convention

L’assiette du droit de passage peut, tout d’abord, être fixé par convention entre propriétaires du fonds servant et du fonds dominant.

Ce mode de détermination de l’assiette de la servitude présente l’avantage de permettre aux contractants de déroger aux critères énoncés par l’article 683 du Code civil qui aura vocation à s’appliquer faute d’accord.

La seule contrainte dont ne peuvent pas s’exonérer les parties a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 2000 : « une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété »

Il en résulte que la constitution d’une servitude doit se limiter à « l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire » (Cass. 3e civ. 24 mai 2000, n°97-22255).

Cass. 3e civ. 24 mai 2000
Sur le premier moyen :
Vu l'article 544 du Code civil, ensemble l'article 637 de ce Code ;

Attendu que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; qu'une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 octobre 1997) que les consorts Y..., propriétaires d'un terrain, portant plusieurs bâtiments, ont vendu, après division parcellaire, à la société Toutes transactions immobilières (TTI), le 13 septembre 1988, le lot B, 21, rue Fabre-d'Eglantine et le 9 juillet 1990 le lot A, ... ; que la société TTI a revendu le lot B à la société immobilière Bust, puis le lot A à la société Natiocrédibail-Sicomi (Natiocrédibail) ; que celle-ci et la société Leva, constructeur d'un nouvel immeuble sur le terrain correspondant au lot A, ont assigné la société Immobilière Bust et le syndicat des copropriétaires du 21, rue Fabre-d'Eglantine, pour faire juger que l'enclave, dans le lot A, d'un petit local avec cabinet d'aisances attaché au lot n° 51 du lot B, était leur propriété et obtenir, avec la suppression de l'empiétement, la libération de ce local et la réparation de leur préjudice ; que la société Immobilière Bust a assigné la société Cabinet Fabre-d'Eglantine, cessionnaire d'un bail consenti par les consorts Y... en 1985 et occupant à ce titre le lot n° 51 du lot B, ainsi que la société TTI ; que les instances ont été jointes ;

Attendu que pour dire que la société Immobilière Bust dispose d'un droit de jouissance sur la parcelle, portant le cabinet d'aisances litigieux, propriété de la société Natiocrédibail, et que le bail consenti à la société Cabinet Fabre-d'Eglantine incluant ce local est opposable à la société Natiocrédibail, l'arrêt retient que l'empiétement reproché, continu et apparent, antérieur à la division parcellaire et maintenu en l'état par les auteurs communs des deux lots, relève d'une servitude de père de famille, de l'auteur commun, de droit exclusif de jouissance grevant le lot A au profit du lot B, de l'enclave incorporée dans les locaux commerciaux du lot B donnés à bail par l'auteur et qui revêt un caractère définitif compte tenu de la configuration des lieux antérieurement murés et hermétiques du côté du fonds servant et ouverts et accessibles seulement du côté du fonds dominant à partir du lot auquel la servitude est attachée ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il met M. X..., ès qualités, hors de cause, l'arrêt rendu le 21 octobre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Enfin, il est admis que le propriétaire du fonds dominant renonce unilatéralement à la servitude de passage.

Dans un arrêt du 3 mars 2009, la troisième chambre civile a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait fait application de l’article 682 du Code civil afin de reconnaître l’établissement d’une servitude de passage, alors même que le propriétaire du fonds enclavé y avait renoncé par déclaration unilatérale.

Au soutien de sa décision la Cour de cassation avance que « la renonciation à un droit peut résulter d’actes manifestant sans équivoque la volonté de son bénéficiaire d’y renoncer », de sorte que la renonciation du propriétaire du fonds dominant à son droit de passage était pleinement valide (Cass. 3e civ., 3 mars 2009, n°08-11.540).

b) La détermination de l’assiette de passage par décision du juge

Ce n’est que lorsque le propriétaire d’un fonds enclavé n’est pas parvenu à s’entendre sur son droit de passage avec le propriétaire du fonds voisin que le juge a vocation à intervenir.

Son intervention aura pour objet, outre la confirmation du bien-fondé de la demande de constitution d’une servitude, de déterminer son assiette.

Pour ce faire, il lui faudra faire application des critères légaux, étant précisé, ainsi que l’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt du 4 janvier 1991 « qu’il appartient au juge et non au propriétaire du fonds servant de fixer l’assiette du passage pour la desserte d’une parcelle enclavée, conformément aux dispositions de l’article 683 du Code civil » (Cass. 3e civ. 4 janv. 1991, n°89-18492).

À cet égard, l’article 683 du Code civil adresse une double directive au juge en prévoyant que :

  • D’une part, le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique.
  • D’autre part, il doit néanmoins être fixé dans l’endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé.

Il ressort de cette disposition que si, en principe, le trajet du passage reliant le fonds enclavé à la voie publique, c’est la ligne droite, celle-ci peut, en application de l’alinéa 2 de l’article 683, subir quelques contorsions afin de limiter le préjudice causé propriétaire du fonds servant.

En somme, l’objectif qui devra être recherché par le juge, c’est de concilier les intérêts en présence, ce qui consistera :

  • D’un côté, à définir le passage le plus court et qui corresponde à une utilisation normale du fonds dominant conformément à sa destination
  • D’un autre côté, à veiller à ce que ce passage soit le moins dommageable pour le fonds servant et qui soit compatible avec les contraintes d’urbanisme et environnementales applicables au fonds servant situé en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager

A priori, le tracé qui permet de remplir au mieux cet objectif de conciliation des intérêts c’est la ligne droite car elle permet :

  • Du point de vue du propriétaire du fonds servant, une emprise moindre de la servitude de passage sur son terrain
  • Du point de vue du propriétaire du fonds dominant, un accès à la voie publique plus rapide et moins onéreux

À l’évidence, si le trajet rectiligne consiste a priori, en la solution la plus avantageuse pour les propriétaires voisins, cela est vrai tant que trajet ne se heurte pas à une construction où à un obstacle topographique, telle qu’un rocher ou une pente trop abrupte.

Lorsque, en effet, un obstacle se dresse sur le chemin le plus court offrant au fonds enclavé un accès sur la voie publique, il appartiendra au juge de définir des trajets alternatifs en combinant avec méthode les alinéas 1 et 2 de l’article 683 du Code civil.

À cet égard, la Cour de cassation rappelle régulièrement que les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer l’assiette qui répond aux exigences fixées par le texte (Cass. 1ère civ. 19 janv. 1969).

La Cour de cassation n’hésite pas à censurer les Cours d’appel qui retiendront la de solution de désenclavement la plus adéquate pour le fonds dominant sans rechercher si elle constitue l’endroit le moins dommageable pour le fonds servant (Cass. 3e civ. 3 mars 1993, n°91-12673).

La troisième chambre civile a précisé que dans un arrêt du 20 décembre 1989 que lorsque le maintien de l’assiette de passage à son emplacement initial entraînait un trouble au fonds dominant et que sa modification n’intervenait que pour la commodité du propriétaire du fonds servant qui avait modifié l’usage de son terrain, les frais d’implantation afférents à la nouvelle assiette sont à la seule charge de ce dernier (Cass. 3e civ. 20 déc. 1989, n°88-15376).

c) La détermination de l’assiette de passage par prescription

L’article 685, al. 1er dispose que « l’assiette et le mode de servitude de passage pour cause d’enclave sont déterminés par trente ans d’usage continu. »

Il ressort de cette disposition que la détermination de l’assiette du passage peut résulter de la prescription acquisitive.

La prescription aura pour effet de figer cette assiette, quand bien même elle ne répondrait pas aux exigences fixées à l’article 683 du Code civil.

Tel ne sera pas le cas, en revanche, du passage qui résultera d’un acte de pure faculté ou de simple tolérance lequel consiste en la permission tacite ou expresse du propriétaire octroyé à autrui.

Aussi, pour que la démarche du propriétaire du fonds enclavé puisse faire jouer la prescription acquisitive, elle devra remplir les conditions énoncées à l’article 2261 qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Aussi, est-il absolument nécessaire que le propriétaire du fonds enclavé emprunte toujours le même trajet, faute de quoi la prescription ne pourra pas jouer.

Lorsqu’il existera plusieurs tracés de servitude, la Cour de cassation considérera qu’il s’agit là d’une circonstance impropre à caractériser une possession non équivoque de l’assiette de la servitude de passage de sorte que la possession ne pourra produire aucun effet acquisitif (Cass. 3e civ. 19 oct. 2017, n° 16-23.679)

Dans un arrêt du 17 septembre 2008, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire d’un fonds bénéficiant d’une servitude conventionnelle de passage ne peut prétendre avoir prescrit par une possession trentenaire une assiette différente de celle originairement convenue » (Cass. 3e civ., 17 sept. 2008, n°07-14043).

Il ressort de cette décision que la prescription ne permet pas de modifier une assiette qui a été fixée conventionnellement. Admettre le contraire reviendrait à contrevenir à l’article 691 du Code civil qui prévoit que les servitudes discontinues ne peuvent pas être établies par prescription.

En dehors de ce cas, lorsque la prescription trentenaire est acquise, l’article 683 du Code civil ne pourra plus être invoqué aux fins de modifier l’assiette de passage, quand bien même le chemin tracé serait plus long pour le propriétaire du fonds dominant ou plus dommageable pour le propriétaire du fonds servant (V. en ce sens Cass. civ. 26 août 1874).

La possession trentenaire a donc pour effet de figer irrévocablement l’assiette du passage à l’endroit où il a toujours été exercé sans protestation.

Seule solution pour les propriétaires du fonds servant et du fonds dominant s’ils éprouvent le besoin d’anéantir les effets de la prescription : conclure une convention modifiant l’assiette de passage fixée par prescription (Cass. req. 16 juill. 1899). Cela suppose néanmoins que s’opère une rencontre des volontés, faute de quoi aucun accord ne saurait être scellé.

d) La détermination de l’assiette de passage procède d’une division

  • Principe
    • L’article 684 du Code civil dispose que « si l’enclave résulte de la division d’un fonds par suite d’une vente, d’un échange, d’un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l’objet de ces actes. »
    • Ainsi, lorsque la situation d’enclave d’un fonds est le résultat de la division de l’unité foncière d’origine en plusieurs parcelles, il appartient aux parties à l’opération de s’entendre pour octroyer une issue au fonds enclavée, issue qui doit nécessairement prendre assise sur les fonds divisés, peu importe que l’accès créé soit moins commode que si son assiette avait été déterminée application de l’article 682 du Code civil.
    • Il est classiquement admis que la règle posée à l’article 684 du Code civil se justifie par l’obligation de garantie qui pèse sur les parties à l’acte de division.
    • Elles ne sauraient, en effet, faire peser la charge d’un droit de passage aux propriétaires des fonds voisins qui sont étrangers à l’opération.
    • Au surplus, il est admis de longue date que la constitution d’une servitude sur l’héritage d’autrui ne peut jamais procéder de son propre fait ( req. 27 avr. 1898).
    • Aussi, ainsi que l’ont écrit des auteurs les parties à l’acte de division du fonds « sont tenus d’une obligation de garantie qui implique de fournir un accès permettant l’exploitation du fonds»[1].
    • Il en résulte que l’acquéreur d’un fonds enclavé issu d’une division après partage ne peut réclamer un droit de passage qu’à ses copartageants (V. en ce sens 3e civ., 3 mars 1993, n°91-16065).
  • Conditions
    • Deux conditions doivent être réunies pour que l’article 684 du Code civil s’applique :
      • La division doit résulter d’un fait volontaire
        • La règle édictée à l’article 684, al.1er du Code civil ne s’applique que si la division de l’unité foncière d’origine procède d’un fait volontaire des parties à l’acte.
        • Lorsque, dès lors, elle résulte d’une vente forcée qui s’inscrit dans le cadre d’une liquidation judiciaire ou d’une procédure d’expropriation, l’article 684 ne sera pas applicable
      • La situation d’enclave doit être la conséquence directe de la division
        • Pour que l’article 684 du Code civil s’applique, il faut que la situation d’enclave soit la conséquence directe de l’opération de division.
        • Cela signifie que l’unité foncière d’origine devait comporte, avant la division, une issue sur la voie publique
        • À défaut, les articles 682 et 683 demeurent applicables
        • Dans un arrêt du 27 novembre 1973, la Cour de cassation a précisé que lorsque des fonds proviennent de la division d’une parcelle d’un auteur commun en application de l’article 684, le passage peut être demandé sur les terrains qui ont fait l’objet de cet acte sans qu’il puisse être opposé aux acquéreurs le fait de l’enclave volontaire de leur auteur ( 3e civ. 27 nov. 1973, n°72-13948).
        • Plus récemment, la troisième chambre civile a encore affirmé, au visa des articles 682 et 684 du Code civil, que consécutivement à une division de fonds « l’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée» ( 3e civ. 24 oct. 2019, n°18-20.119).
        • Ainsi, la renonciation par le propriétaire d’une parcelle dont la situation d’enclave procède d’une division à un droit de passage, ne fait pas obstacle à ce que l’acquéreur se prévale de l’article 682 du Code civil afin de solliciter la constitution d’une servitude de passage.
  • Versement d’une indemnité
    • Initialement, la servitude de passage telle qu’envisagée à l’article 684 du Code civil, était regardée comme une servitude conventionnelle car procédant de l’accomplissement d’un acte – conventionnel – de division.
    • La jurisprudence en tirait la conséquence qu’il n’y avait pas lieu d’octroyer une indemnité au propriétaire du fonds grevé par la servitude de passage, celle-ci étant incluse dans l’estimation des fonds divisés (V. en ce sens req. 1er août 1861).
    • La Cour de cassation a néanmoins revu sa position dans un arrêt du 15 octobre 2013 aux termes duquel elle censure la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé l’octroi d’une indemnité au propriétaire du fonds servant, considérant que la servitude de passage avait un fondement conventionnel car instituée sur le fondement de l’article 684 du Code civil.
    • La troisième chambre civile prend le contre-pied de ce raisonnement en jugeant que « alors qu’elle constatait que la parcelle E 156 était enclavée et que l’acte de partage n’avait pas pour effet de modifier le fondement légal de la servitude et ne contenait aucune renonciation des propriétaires du fonds servant à la perception d’une indemnité, la cour d’appel a violé les textes susvisés» ( 3e civ. 15 oct. 2013, n°12-19563).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, parce que le droit de passage envisagé à l’article 684 a un fondement légal et non conventionnel, il justifie le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi par le propriétaire du fonds servant.
    • Elle précise néanmoins que cette indemnité est due sauf clause contraire dans l’acte de division.
    • À l’examen, il ressort de cette décision que l’article 684 du Code civil doit être lu comme opérant une dichotomie entre, d’une part, la fixation de l’assiette du droit de passage et, d’autre part, le versement d’une indemnité au propriétaire du fonds servant.
      • S’agissant de la détermination de l’assiette du droit de passage
        • L’article 684 est d’ordre public de sorte qu’il ne peut pas y être dérogé par convention contraire.
        • Cela signifie que la servitude devra prioritairement être constituée sur les fonds issus de la division de l’unité foncière d’origine.
        • Elle ne pourra pas être établie sur les parcelles étrangères à l’opération de partage
      • S’agissant du versement d’une indemnité
        • Lorsque la servitude est constituée sur le fondement de l’article 684 du Code civil, l’indemnité due au propriétaire du fonds servant n’est pas d’ordre public
        • Ce dernier peut y renoncer dans l’acte de division, ce qui devra être expressément stipulé
  • Exception
    • Ce n’est que lorsqu’aucun passage suffisant ne peut être créé sur les fonds qui ont fait l’objet d’une division que l’article 682 du Code civil redevient applicable.
    • Cette exception est issue de la loi du 20 août 1881 qui a admis que, bien que le passage nécessaire à l’exploitation d’un fonds actuellement enclavé à la suite d’une division aurait du être pris sur les autres portions de l’ancienne unité foncière, sans qu’il y ait lieu d’examiner si le passage par d’autres terrains limitrophes ne serait pas plus court et moins dommageable, une exception aux articles 682 et 683 du Code civil ne pouvait être invoquée par les voisins lorsque, à raison de la conformation des lieux, il y avait impossibilité d’établir ailleurs que sur leur fonds un chemin offrant les moyens de communication nécessaires.
    • Ainsi, afin de déterminer si la servitude doit ou non être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division, il conviendra d’établir qu’aucune issue suffisante permettant une utilisation normale du fonds enclavé ne peut être créée sur les fonds divisés.
    • Ce n’est que lorsque cette insuffisance d’accès sera démontrée, que l’article 682 du Code civil pourra s’appliquer.
    • La conséquence en est qu’une servitude de passage pourra alors être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division.
    • Dans cette hypothèse, non seulement une indemnité sera due au propriétaire du fond servant, mais encore celui-ci ne pourra pas y renoncer dans l’acte de division, l’article 682 étant d’ordre public sur ce point.

3. Les modalités du passage

Ni l’article 682, ni l’article 683 du Code civil n’évoque les modalités du passage octroyé au propriétaire du fonds enclavé.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de définir les règles applicables, au premier rang desquelles figure celle imposant que le titulaire de la servitude puisse avoir une utilisation normale du fonds conformément à sa destination.

La largeur du passage devra, de la sorte, être plus ou moins importante, selon que le fonds est affecté à une exploitation agricole ou à usage d’habitation.

Dans un arrêt du 19 juin 2002, la Cour de cassation a, par exemple, après avoir rappelé que « le droit pour le propriétaire d’une parcelle enclavée de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l’utilisation normale du fonds quelle qu’en soit la destination » censuré à une Cour d’appel qui pour déterminer les modalités du passage octroyé au propriétaire du fonds enclavé s’est « déterminée par un motif d’ordre général sans caractériser une telle utilisation ni rechercher si l’accès des voitures automobiles aux parcelles de M. X… répondait à des nécessités découlant de cette utilisation » (Cass. 3e civ. 19 juin 2002, n°00-11675).

Au cas particulier, les juges du fonds avaient estimé que le bénéficiaire de la servitude devait pouvoir accéder à son fonds avec le mode de locomotion habituel en cette fin de XXème siècle : une voiture automobile, alors même que celui-ci était totalement inexploité

L’enseignement à retirer de cet arrêt, c’est que les modalités du passage dépendent du seul besoin du propriétaire du fonds dominant.

Cass. 3e civ. 19 juin 2002
Sur le moyen unique :

Vu l'article 682 du Code civil ensemble l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour décider que les parcelles appartenant à M. X... sont enclavées et que leur desserte s'effectue par le chemin privé situé sur la propriété de ses voisins les époux Y..., l'arrêt attaqué (Montpellier 2 décembre 1999), rendu après expertise judiciaire, retient que les époux Y... ne contestent pas les constatations techniques de l'expert mais la qualité d'exploitant agricole de M. X... et la nature de ses parcelles qui sont inexploitées et que, quel que soit le mode d'exploitation dont peuvent faire l'objet ses parcelles, ce dernier doit pouvoir y accéder avec le mode de locomotion habituel en cette fin de XXème siècle : une voiture automobile ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le droit pour le propriétaire d'une parcelle enclavée de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l'utilisation normale du fonds quelle qu'en soit la destination, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif d'ordre général sans caractériser une telle utilisation ni rechercher si l'accès des voitures automobiles aux parcelles de M. X... répondait à des nécessités découlant de cette utilisation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

La question se pose également de la nature de la voie de passage susceptible d’être empruntée. S’agit-il nécessairement de la voie terrestre, ou peut-il également s’agir de la voie aérienne, souterraine ou encore fluviale ?

À l’examen, la jurisprudence est assez libérale, celle-ci n’excluant aucune possibilité. L’objectif recherché c’est de permettre une utilisation normale du fonds.

Dès lors, tous les modes de passage sont envisageables, à commencer par la voie souterraine qui a été admise très tôt par la jurisprudence.

Dans cet arrêt du 22 novembre 1937, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le droit de passage visé par ce texte doit s’entendre en ce sens que les mots “sur les fonds de ses voisins” ne visent pas seulement la surface du sol, mais peuvent aller jusqu’à comprendre “le dessous”, afin d’assurer les communications strictement nécessaires à l’utilisation normale du fonds enclavé ; qu’il s’applique ainsi aux canalisations souterraines indispensables à cet effet » (Cass. civ. 22 nov. 1937).

Cass. civ. 22 nov. 1937
La Cour,

Ouï, en l'audience publique du 8 novembre 1937, M. le conseiller Kastler, en son rapport ; Maîtres Bosviel et Aguillon, avocat des parties en leurs observations respectives, ainsi que M. Chartrou, avocat général, en ses conclusions.

Et après en avoir délibéré le 22 novembre 1937, en la chambre du conseil ;

Sur le moyen unique :

Attendu que le droit de passage visé par ce texte doit s'entendre en ce sens que les mots "sur les fonds de ses voisins" ne visent pas seulement la surface du sol, mais peuvent aller jusqu'à comprendre "le dessous", afin d'assurer les communications strictement nécessaires à l'utilisation normale du fonds enclavé ; qu'il s'applique ainsi aux canalisations souterraines indispensables à cet effet ;

Attendu que la demoiselle X..., propriétaire à Trouville-sur-Mer, d'une maison n'ayant d'accès à la voie publique qu'au moyen d'une ruelle appartenant au sieur Y..., a fait ouvrir dans celle-ci des tranchées destinées à l'adduction de l'eau, de gaz, de l'électricité et à l'évacuation des eaux ménagères, mais que l'arrêt attaqué a décidé que si, en raison de l'état d'enclave, elle possédait un droit de passage, ce droit lui permettait uniquement le passage à pied, à cheval ou en voiture, l'établissement de travaux permanents destinés à un autre usage ne rentrant pas dans les prévisions de l'article 682 du Code civil ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi au lieu de rechercher, d'une part, si les travaux projetés seraient de nature à réagir sur le montant de l'indemnité prévue par l'article susvisé, et d'autre part, si ces travaux pouvaient s'effectuer d'une façon moins dommageable pour le fonds servant et aussi appropriés aux besoins de l'exploitation du fonds dominant, l'arrêt n'a pas donné de base légale à sa décision

Par ces motifs ;
Casse.

La Cour de cassation a encore validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir constaté que la cave, a usage de champignonnière, située dans le sous-sol du fonds appartenant à un exploitant, était enclavée a accordé, pour sa desserte, un droit de passage à travers la cave attenante où son voisin exploitait une industrie de même nature (Cass. 1ère 3 déc. 1962).

Il est également admis que la voie souterraine puisse être utilisée pour la pose des canalisations nécessaires à la satisfaction des besoins de la construction édifiée sur leur propriété, notamment lorsqu’il s’avère que le trajet le plus court pour rejoindre la voie publique était une ligne droite traversant, à l’endroit le moins dommageable, plusieurs parcelles, et s’identifiant au chemin empierre sous lequel se trouvaient des canalisations d’eau et d’électricité (Cass. 3e civ., 14 déc. 1977, n°76-11254).

S’agissant de la voie aérienne, elle est également susceptible de servir d’assiette à la servitude de passage, notamment lorsqu’il s’agit de tirer des câbles entre la voie publique et le fonds enclavé afin de le raccorder à l’électricité (V. en ce sens Cass. civ., 24 févr. 1930).

C) Extinction de la servitude de passage

  1. Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur il a longtemps été soutenu par les auteurs que la fin de l’état d’enclave emportait nécessairement remise en cause de la servitude qui était, en quelque sorte, privée de cause.

Surtout, admettre le contraire reviendrait à maintenir une servitude qui ne répondrait plus aux exigences énoncées à l’article 682 du Code civil.

Au surplus, ce serait là porter une atteinte excessive au droit de propriété du propriétaire du fonds servant qui ne doit souffrir d’un passage qu’en cas d’absolue nécessité, soit dans l’hypothèse où l’absence d’issue fait obstacle à l’utilisation normale du fonds enclavé.

Il a été opposé à cette thèse, que parce que les servitudes sont perpétuelles, le désenclavement du fonds dominant ne suffit pas à éteindre le droit de passage exercé par son propriétaire.

Finalement, la Cour de cassation a tranché en faveur dernière position, considérant que dans deux cas au moins, la servitude subsiste même quand l’enclave a cessé, d’une part, lorsqu’elle trouve sa source dans un contrat, et, d’autre part, lorsque son assiette et son mode d’exercice ont été déterminés par trente ans d’usage continu (Cass. civ., 26 août 1874, n°75.1.124).

Si le maintien de la servitude en cas de disparition de l’enclave se justifie aisément lorsqu’elle résulte d’un accord qui aura été librement discuté et négociée par les propriétaires des fonds concernés, ce maintien est moins évident lorsqu’il procède de la prescription acquisitive qui, pour la jurisprudence valait titre.

En effet, l’article 691 du Code civil pose que les servitudes discontinues, au nombre desquelles figure le droit de passage, ne peuvent pas être établies par prescription.

Admettre que, au bout de trente années d’exercice de droit de passage, le propriétaire du fonds enclavé acquiert la servitude définitivement, y compris en cas de désenclavement, c’était là manifestement faire une entorse malheureuse à la règle, car portant une atteinte excessive au droit de propriété du voisin, à plus forte raison parce que la servitude grevant son fonds n’était plus nécessaire.

Entendant les nombreuses critiques formulées par la doctrine à l’encontre de cette position jurisprudentielle, le législateur est intervenu en 1971 pour y mettre un terme.

2. Droit positif

La loi du 25 juin 1971 relative à l’extinction de la servitude de passage pour cause d’enclave a été adoptée afin d’anéantir la solution retenue par la Cour de cassation qui consistait à maintenir la servitude de passage acquise par prescription alors même que l’état d’enclave du fonds dominant avait cessé.

Selon les mots du rapporteur de ce texte, il apparaîtrait pourtant logique qu’en contrepartie de la sujétion parfois très lourde imposée au propriétaire sur le terrain duquel s’exerce la servitude, celle-ci soit limitée dans le temps par la durée même des circonstances qui en ont justifié la création.

C’est la raison pour laquelle le texte prévoit expressément que la servitude disparaît lorsque cesse l’enclave.

==> Principe

La règle est énoncée à l’article 685-1 du Code civil qui dispose que « en cas de cessation de l’enclave et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 ».

Il ressort de cette disposition que la disparition de l’état d’enclave du fonds grevé emporte anéantissement de la servitude lorsqu’elle a été établie dans les conditions de l’article 682 du Code civil.

Le jeu de la prescription acquisitive ne permet donc plus de faire subsister la servitude dont le sort est désormais lié au seul état d’enclave du fonds.

==> Domaine

Peu de temps après l’adoption de la loi du 25 juin 1971, la Cour de cassation est venue préciser dans un arrêt du 27 février 1974 que « l’article 685-1 du code civil qui ne vise que l’extinction du titre légal fondant la servitude de passage pour cause d’enclave, laisse en dehors de son champ d’application les servitudes conventionnelles » (Cass. 3e civ. 27 févr. 1974, n°72-14016).

Ainsi, lorsque l’établissement du droit de passage procède d’un accord de volonté des propriétaires, la disparition de la situation d’enclave est sans effet sur la servitude qui subsiste.

Il en va de même lorsqu’elle a été établie par destination du père de famille. Cette solution a été affirmée dans un arrêt du 16 juillet 1974 aux termes duquel il a été jugé, dans les mêmes termes que la décision précédente, que l’article 685-1 du Code civil « qui ne vise que l’extinction du titre légal fondant la servitude de passage pour cause d’enclave, laisse en dehors de son champ d’application, les servitudes conventionnelles ou résultant de la destination du père de famille » (Cass. 3e civ. 16 juill. 1974, n°73-12580).

La jurisprudence a toutefois précisé que lorsque la convention visait seulement à fixer l’assiette et les modalités du passage, l’article 685-1 demeurait applicable

Dans un arrêt du 3 novembre 1982, la troisième chambre civile a affirmé en ce sens que « en cas de cessation de l’enclave, et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 du même code » (Cass. 3e civ. 3 nov. 1982).

L’application de l’article 685-1 du Code civil est donc exclue uniquement lorsque l’accord conclu entre les propriétaires porte sur le principe même de l’établissement de la servitude de passage.

Aussi, appartient-il aux juridictions de vérifier si l’état d’enclave n’a pas été la cause déterminante de la stipulation conventionnelle d’une servitude de passage, faute de quoi l’accord conclu entre les parties ne pourra pas faire obstacle à la disparition de la servitude engendrée par le désenclavement du fonds (Cass. 3e civ. 18 févr. 1997, n°95-14.389).

==> Conditions

Pour que l’extinction de la servitude de passage soit acquise, deux conditions doivent être réunies :

  • Première condition : le désenclavement du fonds
    • L’article 685-1 du Code civil prévoit que l’extinction du droit de passage est subordonnée à la disparition de l’état d’enclavement du fonds.
    • Autrement dit, il doit être démontré que le propriétaire fonds qui était enclavé dispose désormais d’un accès suffisant sur la voie publique.
    • Plus précisément il faut que cet accès permette une utilisation normale du fonds correspondant aux besoins de son exploitation ( 3e civ., 12 déc. 2006, n° 05-20857).
    • C’est donc la démonstration inverse à celle qui avait permis la constitution de la servitude qui doit être faite.
    • À cet égard, peu importe la cause du désenclavement qui peut être le fait du propriétaire lui-même, du fait d’un tiers ou d’un cas fortuit.
    • Ce qui compte c’est que ce désenclavement ait lui et qu’il offre une issue suffisante.
  • Seconde condition : constatation conventionnelle ou judiciaire
    • La disparition de l’état d’enclave du fonds n’emporte pas cessation de plein droit de la servitude du passage.
    • Pour que cette cessation soit effective, encore faut-il qu’elle soit constatée, soit par convention, soit par décision de justice (V. en ce sens 3e civ. 1er juill. 1980, n°79-11264)
    • Cette exigence s’infère du second alinéa de l’article 658-1 du Code civil dispose que « à défaut d’accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice. »
    • On pourrait légitimement s’interroger sur la nécessité de ce second alinéa : si la servitude est éteinte du seul fait de la cessation de l’enclave, pourquoi devoir recourir à une décision de justice ?
    • Pour le rapporteur de la loi du 25 juin 1971, il semble toutefois que cette disposition soit indispensable pour assurer au texte une certaine souplesse d’application.
    • Plusieurs raisons sont avancées :
      • Tout d’abord, il peut y avoir lieu à contestation sur l’existence même d’une cause de cessation de l’enclave, celle-ci étant caractérisée par l’absence d’une sortie suffisante sur la voie publique.
      • Or, même s’il a acquis des parcelles d’un seul tenant jusqu’à celle-ci, le propriétaire peut rester enclavé en fait, à cause, notamment, de l’existence d’obstacles naturels.
      • Ensuite, la servitude a pu entraîner le versement d’une indemnité au profit du propriétaire du fonds servant, indemnité consistant soit en une somme en capital payée une fois pour toutes, soit en une somme annuelle, proportionnelle au dommage causé par l’exercice du droit de passage ( Req., 25 nov. 1845).
      • En outre, le bénéficiaire de la servitude a pu être amené à engager d’autres dépenses : construction d’un chemin, par exemple.
      • Il appartiendra, dans toutes ces hypothèses, au tribunal de déterminer si les frais assumés par le bénéficiaire de la servitude n’ont pas excédé le montant du préjudice qu’il a causé au propriétaire du fonds servant, ou si, au contraire, ce dernier ne bénéficie pas, du fait de la cessation de la servitude, d’un enrichissement sans cause, tant du fait des sommes reçues par lui en contrepartie d’une servitude qui n’existe plus qu’en raison des travaux accomplis par l’ancien bénéficiaire et qui peuvent conserver une utilité.
      • Le tribunal appréciera, dans ce dernier cas, le montant de l’indemnité éventuellement due par le propriétaire du terrain sur lequel s’exerçait antérieurement la servitude.
      • Enfin, Le tribunal devra dans le cas d’une servitude ayant fait l’objet d’une convention entre les parties, apprécier si l’état d’enclave a constitué la cause déterminante de cette convention, qui se trouve ainsi remise en cause si l’enclave cesse, ou si, au contraire, il s’agit d’un droit de passage pour la simple convenance du bénéficiaire, auquel cas la convention reste valable, la cause qui l’a motivée restant inchangée.
    • Pour toutes ces raisons, le législateur a souhaité mettre un garde-fou, le juge, faute d’accord amiable entre les propriétaires.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, 9e éd., Précis Dalloz, 2014, n° 306

[1] E. Gavin-Millan Oosterlynck, « Servitudes légales, Distances à observer pour les plantations », J.-Cl. Civil Code, art. 671 à 673, 2010, n° 3.

[2] V. en ce sens l’article L. 511-3 du code rural et de la pêche maritime

[3] F. Rerré et Ph. Simler, Droit civil – Les Biens, éd. Dalloz, 2004, n°291, p239.

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les biens, 9e éd., Précis Dalloz, 2014, n° 306

L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL): régime juridique

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploitées à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Par souci de justice social et de protection de la famille des entrepreneurs exerçant en nom propre, la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 a créé le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut, et c’est la révolution opérée par ce texte, est qu’il permet à l’entrepreneur individuel qui exerce en nom propre de créer un patrimoine d’affectation.

==> Notion de patrimoine d’affectation

L’article L. 526-6 du Code de commerce dispose que « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article L. 526-7. »

Ce texte autorise ainsi l’entrepreneur individuel, qui adopte le statut d’EIRL, à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

La création d’un patrimoine d’affectation déroge manifestement aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

==> Conditions de création d’un patrimoine d’affectation

En application de l’article L. 526-6 du Code de commerce, la création d’un patrimoine d’affectation est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • Première condition : exigence de déclaration d’affectation
    • L’article L. 526-7 prévoit que la constitution du patrimoine affecté résulte d’une déclaration effectuée :
      • Soit au registre de publicité légale auquel l’entrepreneur individuel est tenu de s’immatriculer ;
      • Soit au registre de publicité légale choisi par l’entrepreneur individuel en cas de double immatriculation ; dans ce cas, mention en est portée à l’autre registre ;
      • Soit, pour les personnes physiques qui ne sont pas tenues de s’immatriculer à un registre de publicité légale, à un registre tenu au greffe du tribunal statuant en matière commerciale du lieu de leur établissement principal ;
      • Soit, pour les exploitants agricoles, au registre de l’agriculture tenu par la chambre d’agriculture compétente.
    • L’article L. 526-8 précise que « lors de la constitution du patrimoine affecté, l’entrepreneur individuel mentionne la nature, la qualité, la quantité et la valeur des biens, droits, obligations ou sûretés qu’il affecte à son activité professionnelle sur un état descriptif déposé au registre où est effectuée la déclaration prévue à l’article L. 526-7 pour y être annexé. »
    • La composition du patrimoine affecté est alors opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à la déclaration d’affectation
  • Seconde condition ; exigence de tenue d’une comptabilité séparée
    • L’article L 526-13 du Code de commerce prévoit que « l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté fait l’objet d’une comptabilité autonome»
    • Il en résulte que l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est tenu de faire ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté.

==> Effets de la création d’un patrimoine d’affectation

La constitution d’un patrimoine d’affectation a pour effet la création d’un patrimoine professionnel séparé et distinct du patrimoine personnel de l’entrepreneur.

Ce patrimoine professionnel comportera alors un actif et un passif dont la délimitation sera déterminée par la déclaration d’affectation de l’entrepreneur individuel.

  • S’agissant de l’actif du patrimoine d’affectation
    • Il comprend l’ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Il peut comprendre également les biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utilisés pour l’exercice de son activité professionnelle, qu’il décide d’y affecter et qu’il peut ensuite décider de retirer du patrimoine affecté.
  • S’agissant du passif du patrimoine d’affectation
    • Il comprend l’ensemble des dettes contractées par l’entrepreneur individuel dans le cadre de l’exercice de son activité professionnel.
    • L’article L. 526-12 du Code de commerce invite néanmoins à distinguer selon que les dettes contractées sont nées postérieurement à la déclaration d’’affectation ou antérieurement.
      • S’agissant des dettes nées postérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la condition que la déclaration d’affectation leur soit opposable, ce qui implique que les formalités requises par l’article L. 526-7 du Code de commerce aient été valablement accomplies
      • S’agissant des dettes nées antérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la double condition que :
          • D’une part, elles aient été mentionnées dans la déclaration
          • D’autre part, que cette déclaration ait été portée à la connaissance des créanciers concernés afin qu’ils soient en mesure d’exercer leur droit de former opposition
        • S’agissant des créanciers auxquels la déclaration d’affectation n’est pas opposable, ils ont, en application de l’article L. 526-12 du Code de commerce « pour seul gage général le patrimoine non affecté. »

Si, la création d’un patrimoine d’affectation permet à l’entrepreneur de circonscrire le gage général de ses créanciers professionnels, les textes n’interdisent nullement que des sûretés soient constituées sur son patrimoine personnel, et en particulier des établissements de crédit que l’entrepreneur solliciterait en vue du financement ou de la trésorerie de son activité.

Ainsi, une banque peut toujours exiger, par exemple, une sûreté réelle sur la résidence principale ou la caution personnelle du conjoint de l’entrepreneur. Ce type de garanties ne s’exerce pas à la demande des fournisseurs.

Dans ces conditions, l’étanchéité des patrimoines ne peut pas être complète et les patrimoines sont distincts et non étanches l’un pour l’autre, sauf à ce que l’entrepreneur n’ait pas besoin de crédit ou bien soit en mesure de présenter des garanties suffisantes au sein de son patrimoine affecté.

Aussi, cette circonstance plaide-t-elle en faveur de la possibilité d’affecter plus que les seuls biens nécessaires, de façon à offrir aux créanciers le gage le plus étendu possible, de sorte que celui-ci puisse se suffire à lui-même.

Les clauses limitatives et exonératoires de responsabilité: régime juridique

L’aménagement conventionnel de la réparation – qui se distingue de l’aménagement de la responsabilité, puisqu’il ne porte que sur les effets de la responsabilité, même s’il peut avoir, en pratique, des effets semblables à une exonération de responsabilité – peut prendre deux formes :

  • Première forme
    • Il peut s’agir de clauses limitatives de réparation, se traduisant par une diminution du montant de la réparation.
  • Seconde forme
    • Il peut s’agir de clauses dites « pénales », par lesquelles les contractants évaluent forfaitairement et par avance les dommages et intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution totale ou partielle, ou d’exécution tardive du contrat.
    • Le forfait peut s’avérer soit plus élevé, soit plus faible que le préjudice résultant de l’inexécution de l’obligation.

Nous nous focaliserons ici sur les clauses limitatives de réparation.

1. Le principe de validité des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité

Alors que l’on assiste à une convergence des règles qui régissent la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, une différence subsiste : tandis que la première peut être limitée, voire écartée par le jeu d’une convention, la seconde ne peut souffrir d’aucun aménagement contractuel.

  • S’agissant de la responsabilité délictuelle
    • La jurisprudence a toujours condamné les clauses limitatives de réparation en matière délictuelle lorsqu’elles concernent des cas de responsabilité pour faute.
    • Dans un arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du code civil, sont d’ordre public et que leur application ne peut être neutralisée contractuellement par anticipation, de sorte que sont nulles les clauses d’exonération ou d’atténuation de responsabilité en matière délictuelle » (Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017, n°16-13.407).
    • La haute juridiction admet, en revanche, de telles clauses dans le cadre de régimes de responsabilité pour faute présumée ou de responsabilité sans faute.
    • Est ainsi licite la clause par laquelle des propriétaires d’animaux décident de s’affranchir de l’application des dispositions de l’article 1385 du code civil, lesquelles mettent en place une responsabilité de plein droit du propriétaire d’animaux pour les dommages causés par ces derniers (V. en ce sens Cass. req. 16 nov. 1931).
    • La pertinence du maintien d’une exclusion de toute possibilité d’aménagement contractuel en matière de responsabilité pour faute prouvée est discutée.
    • Certains auteurs estiment en effet souhaitable d’autoriser des clauses limitatives ou exonératoires dans des conditions plus proches de celles existant en matière contractuelle.
    • Ces derniers sont, semble-t-il, en passe d’être entendus puisque le projet de réforme du droit de la responsabilité civile envisage d’autoriser la stipulation de telles clauses, dès lors qu’elles ne visent pas à limiter ou exclure l’indemnisation en cas de dommage corporel (art. 1281 C. civ.).
  • S’agissant de la responsabilité contractuelle
    • Parce que le débiteur n’est tenu de réparer que le préjudice prévisible, soit celui prévu par les parties au contrat, la jurisprudence a admis, très tôt, la validité des clauses limitatives de responsabilité (
    • Les juridictions sont, à cet égard, allées plus loin en autorisant les parties, au nom de la liberté contractuelle, à stipuler des clauses qui exonèrent de toute responsabilité (V. en ce sens Cass. civ. 15 juin 1959, n°57-12.362).
    • À l’examen, la validité des clauses exonératoires et limitatives de responsabilité n’a nullement été remise en cause par la réforme du droit des obligations.
    • Le nouvel article 1231-3 du Code civil prévoit, en effet, que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat ».

Au total, seules les clauses exonératoires ou limitatives en matière de responsabilité contractuelle bénéficient d’une validité de principe.

Elles sont particulièrement fréquentes, par exemple, dans les contrats de transport ou de déménagement, dans lesquels sont insérées des clauses dont l’objet est de fixer, une fois la faute contractuelle établie, le maximum des dommages et intérêts que le créancier pourra recevoir, c’est-à-dire, en d’autres termes, un plafond de réparation.

Reste, que la stipulation de ces clauses est prohibée dans un certain nombre de contrats, sans compter que leurs effets sont susceptibles d’être neutralisés dans plusieurs situations.

2. Les exceptions au principe de validité des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité

Bien que, en matière de responsabilité contractuelle, la validité des clauses limitatives et exonératoires de responsabilité soit, par principe, admise, certains textes encadrent, voire prohibent leur stipulation.

Aux côtés de ces textes spéciaux qui tendent à se multiplier et intéressent des matières pour le moins variées, il faut également compter sur une disposition de portée générale, introduite par l’ordonnance de 10 février 2016, qui vise à réputer non-écrite toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

2.1 Les textes spéciaux qui prohibent de l’aménagement conventionnel de la responsabilité

De nombreux textes spéciaux prohibent donc la stipulation de clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité :

  • En matière de contrat de travail, l’article L. 1231-4 du Code du travail prévoit que l’employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles qui régissent le licenciement, soit, en particulier, celles qui gouvernent les indemnités de rupture
  • En matière de contrat de bail d’habitation, l’article 4, m) de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs prohibe toute clause « qui interdit au locataire de rechercher la responsabilité du bailleur ou qui exonère le bailleur de toute responsabilité »
  • En matière de contrat de consommation, l’article R. 212-1, 6° du Code de la consommation dispose que « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de […] supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations »
  • En matière de contrat de vente volontaire de meubles aux enchères publiques, l’article 321-14 du Code de commerce prévoit que « les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont responsables à l’égard du vendeur et de l’acheteur de la représentation du prix et de la délivrance des biens dont elles ont effectué la vente. Toute clause qui vise à écarter ou à limiter leur responsabilité est réputée non écrite. »
  • En matière de contrat d’hôtellerie, l’article 1953, al. 2 du Code civil pose que, d’une part, les hôteliers « sont responsables du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel », d’autre part, que « cette responsabilité est illimitée, nonobstant toute clause contraire, au cas de vol ou de détérioration des objets de toute nature déposés entre leurs mains ou qu’ils ont refusé de recevoir sans motif légitime. »
  • En matière de contrat de louage d’ouvrage, l’article 1792-5 du Code civil prévoit que « toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de limiter la responsabilité [du constructeur], soit d’exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée non écrite »
  • En matière de contrat de transport de marchandises, l’article 133-1 du Code de commerce énonce que « le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure. […]. Toute clause contraire insérée dans toute lettre de voiture, tarif ou autre pièce quelconque, est nulle. »
  • En matière de contrat de transport maritime, l’article L. 5422-15 du Code des transports dispose que « est nulle et de nul effet toute clause ayant directement ou indirectement pour objet ou pour effet […] de soustraire le transporteur à la responsabilité définie par les dispositions de l’article L. 5422-12 »

En dehors des textes spéciaux qui prohibent l’aménagement conventionnel de la responsabilité, c’est le droit commun qui s’applique. Or en droit, commun, les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité sont valides, sous réserve qu’elles ne portent pas atteinte à une obligation essentielle du contrat.

2.2 L’atteinte à une obligation essentielle du contrat

L’article 1170 du Code civil prévoit que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil, ce texte trouve notamment à s’appliquer aux clauses limitatives et exonératoires de responsabilité.

La codification de cette dernière solution, sur une question qui a donné lieu à de nombreux arrêts parfois inconciliables, permet de fixer clairement le droit positif sur le sort de ces clauses.

Contrairement à ce qu’avaient pu retenir certaines décisions de la Cour de cassation, une clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle du débiteur ne sera pas nécessairement réputée non écrite : elle n’est prohibée que si elle contredit la portée de l’engagement souscrit, en vidant de sa substance cette obligation essentielle.

a. La construction de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

a.1 La saga Chronopost

En résumant à gros trait, dans le cadre de l’affaire Chronopost, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si une clause stipulée en contradiction avec l’engagement principal pris par l’une des parties pouvait faire l’objet d’une annulation.

C’est sur le terrain de la cause que la Cour de cassation a tenté de répondre en se servant de cette notion comme d’un instrument de contrôle de la cohérence du contrat, ce qui n’a pas été sans alimenter le débat sur la subjectivisation de la cause.

Afin de bien saisir les termes du débat auquel a donné lieu la jurisprudence Chronopost, revenons sur les principales étapes de cette construction jurisprudentielle qui a conduit à l’introduction d’un article 1170 du Code civil.

i. Premier acte : arrêt Chronopost du 22 octobre 1996

Arrêt Chronopost I

(Cass. com. 22 oct. 1996)

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, que la société Banchereau a confié, à deux reprises, un pli contenant une soumission à une adjudication à la société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI ; que ces plis n’ayant pas été livrés le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi que la société Chronopost s’y était engagée, la société Banchereau a assigné en réparation de ses préjudices la société Chronopost ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Attendu que, pour débouter la société Banchereau de sa demande, l’arrêt retient que, si la société Chronopost n’a pas respecté son obligation de livrer les plis le lendemain du jour de l’expédition avant midi, elle n’a cependant pas commis une faute lourde exclusive de la limitation de responsabilité du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Banchereau dans un délai déterminé, et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 juin 1993, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen.

?Faits

Une société (la société Chronopost), spécialiste du transport rapide, s’est engagée à livrer sous 24 heures un pli contenant une réponse à une adjudication.

Le pli arrive trop tard, de sorte que la société cliente ne parvient pas à remporter l’adjudication.

?Demande

La société cliente demande réparation du préjudice subi auprès du transporteur

Toutefois, la société Chronopost lui oppose une clause qui limite sa responsabilité au montant du transport, soit 122 francs.

?Procédure

Par un arrêt du 30 juin 1993, la Cour d’appel de Rennes, déboute la requérante de sa demande.

Les juges du fond estiment que la responsabilité contractuelle du transporteur n’aurait pu être recherchée que dans l’hypothèse où elle avait commis une faute lourde.

Or selon la Cour d’appel le retard dans la livraison du pli ne constituait pas une telle faute.

En conséquence, le client du transporteur ne pouvait être indemnisé du préjudice subi qu’à hauteur du montant prévu par le contrat soit le coût du transport : 122 francs.

?Solution

Par un arrêt du 22 octobre 1996, la chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 22 oct. 1996, n°93-18.632).

La Cour de cassation affirme, au soutien de sa décision que dans la mesure où la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant, à ce titre, la fiabilité et la célérité de son service, s’était engagée à livrer les plus de son client dans un délai déterminé, « en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».

?Analyse

Tout d’abord, il peut être observé que, en visant l’ancien article 1131 du Code civil, la Cour de cassation assimile à l’absence de cause l’hypothèse où la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité a pour effet de contredire la portée de l’obligation essentielle contractée par les parties.

En l’espèce, la société Chronopost, spécialisée dans le transport rapide, s’est engagée à acheminer le plus confié dans un délai déterminé en contrepartie de quoi elle facture à ses clients un prix bien supérieur à ce qu’il est pour un envoi simple par voie postale.

En effet, c’est pour ce service, en particulier, que les clients de la société Chronopost, se sont adressé à elle, sinon pourquoi ne pas s’attacher les services d’un transporteur classique dont la prestation serait bien moins chère.

Ainsi, y a-t-il manifestement dans le délai rapide d’acheminement une obligation essentielle soit une obligation qui constitue l’essence même du contrat : son noyau dur.

Pourtant, la société Chronopost a inséré dans ses conditions générales une clause aux termes de laquelle elle limite sa responsabilité, en cas de non-respect du délai d’acheminement fixé, au montant du transport, alors même que le préjudice subi par le client est sans commune mesure.

D’où la question posée à la Cour de cassation : une telle clause ne vide-t-elle pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat, laquelle n’est autre que la stipulation en considération de laquelle le client s’est engagé ?

En d’autres termes, peut-on envisager que la société Chronopost s’engage à acheminer des plis dans un délai rapide et, corrélativement, limiter sa responsabilité en cas de non-respect du délai stipulé à la somme de 122 francs ?

Il ressort du présent arrêt, que la Cour de cassation répond par la négative à cette question.

Elle estime, en ce sens, que la stipulation de la clause limitative de responsabilité était de nature à contredire la portée de l’engagement pris au titre de l’obligation essentielle du contrat.

En réduisant à presque rien l’indemnisation en cas de manquement à l’obligation essentielle du contrat, la clause litigieuse vide de sa substance ladite obligation.

Aussi, cela reviendrait, selon la Cour de cassation qui vise l’article 1131 du Code civil, à priver de cause l’engagement du client, laquelle cause résiderait dans l’obligation d’acheminer le pli dans un délai déterminé.

Elle en déduit que la clause limitative de responsabilité doit être réputée non-écrite.

?Critiques

Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de la solution retenue par la haute juridiction

  • Le visa de la solution
    • Pourquoi annuler la clause du contrat sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil alors même qu’il existe une contrepartie à l’obligation de chacun des contractants ?
      • La contrepartie de l’obligation de la société Chronopost consiste en le paiement du prix par son client.
      • La contrepartie de l’obligation du client consiste quant à elle en l’acheminement du pli par Chronopost.
    • Jusqu’alors, afin de contrôler l’existence d’une contrepartie, le contrat était appréhendé globalement et non réduit à une de ses clauses en particulier.
  • La subjectivisation de la cause
    • Autre critique formulée par les auteurs, la Cour de cassation se serait attachée, en l’espèce, à la fin que les parties ont poursuivie d’un commun accord, ce qui revient à recourir à la notion de cause subjective alors que le contrôle de l’existence de contrepartie s’opère, classiquement, au moyen de la seule cause objective.
    • Pour la Cour de cassation, en concluant un contrat de transport rapide, les parties ont voulu que le pli soit acheminé à son destinataire dans un certain délai.
    • Or, si l’on s’en tient à un contrôle de la cause objective (l’existence d’une contrepartie), cela ne permet pas d’annuler la clause limitative de responsabilité dont la mise en œuvre porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat : l’obligation de délivrer le pli dans le délai convenu.
    • Pour y parvenir, il est en effet nécessaire d’apprécier la validité des clauses du contrat en considération de l’objectif recherché par les contractants.
    • Le recours à la notion de cause subjective permet alors d’écarter la clause qui contredit la portée de l’engagement pris, car elle entrave la fin poursuivie et ainsi la cause qui a déterminé les parties à contracter.
    • Tel est le cas de la clause limitative de responsabilité qui fait obstacle à la réalisation du but poursuivi par les parties, cette clause étant de nature à ne pas inciter la société Chronopost à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose afin d’exécuter son obligation, soit acheminer les plis qui lui sont confiés dans le délai stipulé.
    • Au total, la conception que la Cour de cassation se fait de la cause renvoie à l’idée que la cause de l’obligation correspondrait au but poursuivi par les parties, ce qui n’est pas sans faire écho à l’arrêt Point club vidéo rendu le 3 juillet 1996, soit trois mois plus tôt, où elle avait assimilé le défaut d’utilité de l’opération économique envisagé par l’une des parties à l’absence de cause.
  • La sanction de l’atteinte à l’obligation essentielle
    • La cause étant une condition de validité du contrat, son absence était sanctionnée, en principe, par une nullité du contrat lui-même.
    • Tel n’est cependant pas le cas dans l’arrêt Chronopost où la Cour de cassation estime que la clause limitative de responsabilité est seulement réputée non-écrite.
    • Pourquoi cette solution ?
    • De toute évidence, en l’espèce, la Cour de cassation a statué pour partie en opportunité.
    • Si, en effet, elle avait prononcé la nullité du contrat dans son ensemble, cela aurait abouti au même résultat que si l’on avait considéré la clause valide :
      • Le client reprenait son pli
      • Chronopost reprend ses 122 francs.
    • Aussi, en réputant la clause non-écrite, cela permet d’envisager la question de la responsabilité contractuelle de la société Chronopost, la clause limitative de responsabilité ayant été neutralisée.
    • Plus largement, la sanction retenue participe d’un mouvement en faveur du maintien du contrat : plutôt que d’anéantir l’acte dans son ensemble, on préfère le maintenir, amputé de ses stipulations illicites.
    • La Cour de cassation parvient donc ici à une solution équivalente à laquelle aurait conduit l’application des règles relatives à la prohibition des clauses abusives.
    • Toutefois, ce corpus normatif ne trouve d’application que dans le cadre des relations entre professionnels et consommateurs, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, on peut estimer que la Cour de cassation s’est servie dans cet arrêt du concept de cause comme d’un instrument d’éradication d’une clause abusive stipulée dans un contrat qui, par nature, échappait au droit de la consommation.

ii. Deuxième acte : arrêt Chronopost du 9 juillet 2002

La solution retenue dans l’arrêt Chronopost n’a pas manqué de soulever plusieurs questions, dont une en particulier : une fois que l’on a réputé la clause limitative de responsabilité non-écrite comment apprécier la responsabilité de la société Chronopost ? Autrement dit, quelle conséquence tirer de cette sanction ?

Arrêt Chronopost II

(Cass. com. 9 juill. 2002)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 22 octobre 1996, bulletin n° 261), qu’à deux reprises, la société Banchereau a confié à la Société française de messagerie internationale (SFMI), un pli destiné à l’office national interprofessionnel des viandes, de l’élevage et de l’agriculture en vue d’une soumission à une adjudication de viande ; que ces plis n’ayant pas été remis au destinataire le lendemain de leur envoi, avant midi, ainsi que la SFMI s’y était engagée, la société Banchereau n’a pu participer aux adjudications ;

qu’elle a assigné la SFMI en réparation de son préjudice ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8, paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er et 15 du contrat type messagerie, établi par décret du 4 mai 1988, applicable en la cause ;

Attendu que pour déclarer inapplicable le contrat type messagerie, l’arrêt retient que le contrat comporte une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité qui rend inapplicable les dispositions du droit commun du transport ;

Attendu qu’en statuant ainsi, après avoir décidé que la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du deuxième moyen et sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;

  • Faits
    • La Cour de cassation est amenée à se prononcer une seconde fois sur l’affaire Chronopost jugée une première fois par elle le 22 octobre 1996.
    • Elle statue ici sur le pourvoi formé par la société Chronopost contre l’arrêt rendu sur renvoi le 5 janvier 1999 par la Cour d’appel de Rouen.
  • Problématique
    • À l’instar du contrat vente, de bail ou encore de prêt, le contrat de messagerie est encadré par des dispositions réglementaires.
    • Plus précisément il est réglementé par le décret du 4 mai 1988 qui organise son régime juridique.
    • Aussi, dans le deuxième volet de l’affaire Chronopost, la question s’est posée de savoir si le décret du 4 mai 1988 réglementant les contrats de type transport était applicable au contrat conclu entre la société Chronopost et son client ou si c’est le droit commun de la responsabilité contractuelle qui devait s’appliquer.
    • Quel était l’enjeu ?
      • Si le décret s’applique, en cas de non-acheminement du pli dans les délais par le transporteur, celui-ci prévoit une clause équivalente à celle déclarée nulle par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 octobre 1996 : le remboursement du montant du transport, soit la somme de 122 francs, celle-là même prévue dans les conditions générales de la société Chronopost.
      • Si, au contraire, c’est le droit commun de la responsabilité qui s’applique, une réparation du préjudice subie par la société cliente du transporteur est alors envisageable.
  • Solution
    • Tandis que la Cour d’appel condamne la société Chronopost sur le terrain du droit commun (réparation intégrale du préjudice) estimant que le contrat type messagerie était inapplicable en l’espèce, la Cour de cassation considère que le décret du 4 mai 1988 avait bien vocation à s’appliquer (Cass. com. 9 juill. 2002, n°99-12.554).
    • Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que dans la mesure où la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, cela entraîne nécessairement « l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec ».
    • En appliquant le droit commun des transports, cela revient alors à adopter une solution qui produit le même effet que si elle n’avait pas annulé la clause litigieuse : le remboursement de la somme de 122 francs !
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise toutefois que le plafond légal d’indemnisation est susceptible d’être écarté en rapportant la preuve d’une faute lourde imputable au transporteur.
    • D’où la référence dans le visa, entre autres, à l’ancien article 1150 du Code civil qui prévoyait que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »
    • La solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2002 a immédiatement soulevé une nouvelle question :le manquement à une obligation essentielle du contrat pouvait être assimilé à une faute lourde, ce qui dès lors permettrait d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.

iii. Troisième acte : arrêts Chronopost du 22 avril 2005

Arrêts Chronopost III

(Cass. ch. mixte, 22 avril 2005)

Première espèce

Attendu, selon l’arrêt attaqué que la société D… France (la société D…) ayant décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de sa candidature qui n’est parvenue à destination que le 26 mai 1999 ; que la société D… a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard du contrat-type “messagerie” ; Sur le second moyen :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8 paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu que pour écarter le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type “messagerie” et condamner la société Chronopost à payer à la société D… la somme de 100 000 francs, l’arrêt retient que la défaillance de la société Chronopost consistant en un retard de quatre jours, qualifié par elle-même “d’erreur exceptionnelle d’acheminement”, sans qu’elle soit en mesure d’y apporter une quelconque explication, caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société Chronopost, l’arrêt rendu le 24 mai 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Seconde espèce

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 7 février 2003), que le 31 décembre 1998, la société Dubosc et Landowski (société Dubosc) a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes ; que le dossier qui aurait dû parvenir au jury avant le 4 janvier 1999, a été livré le lendemain ; que la société Dubosc, dont la candidature n’a pu de ce fait être examinée, a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard figurant au contrat-type annexé au décret du 4 mai 1988 ;

Attendu que la société Dubosc fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Chronopost à lui payer seulement la somme de 22,11 euros, alors, selon le moyen, “que l’arrêt relève que l’obligation de célérité, ainsi que l’obligation de fiabilité, qui en est le complément nécessaire, s’analysent en des obligations essentielles résultant de la convention conclue entre la société Dubosc et la société Chronopost ; que l’inexécution d’une obligation essentielle par le débiteur suffit à constituer la faute lourde et à priver d’effet la clause limitative de responsabilité dont le débiteur fautif ne peut se prévaloir pour s’exonérer de la réparation du préjudice qui en résulte pour le créancier ; qu’en décidant que faute d’établir des faits précis caractérisant la faute lourde du débiteur, le créancier ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du prix du transport, la cour d’appel a violé les articles 1131, 1134, 1147 et 1315 du Code civil, 8, alinéa 2, de !a loi du 30 décembre 1982, 1 et 15 du contrat messagerie établi par le décret du 4 mai 1988″ ;

Mais attendu qu’il résulte de l’article 1150 du Code civil et du décret du 4 mai 1988 portant approbation du contrat-type pour le transport public terrestre de marchandises applicable aux envois de moins de trois tonnes pour lesquels il n’existe pas de contrat-type spécifique que, si une clause limitant le montant de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, seule une faute lourde, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat-type établi annexé au décret ;

Qu’ayant énoncé à bon droit que la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il convenait de limiter l’indemnisation de la société Dubosc au coût du transport ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • Dans la première espèce
    • Une société qui avait décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de
    • Sa candidature n’est cependant parvenue à destination que le 26 mai 1999 en raison d’un retard dans l’acheminement du pli.
  • Dans la seconde espèce
    • Une société a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes.
    • Le dossier devait parvenir au jury avant le 4 janvier 1999.
    • Toutefois, il n’est délivré que le lendemain.

?Demande

Dans les deux arrêts, les clients de la société Chronopost demandent réparation du préjudice occasionné du fait du retard de livraison du pli confié au transporteur

?Procédure

  • Première espèce
    • Par un arrêt du 24 mai 2002, la Cour d’appel de Paris accède à la requête du client de la société Chronopost.
    • Les juges du fond estiment que le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type messagerie devait être écarté dans la mesure où le retard d’acheminement du pli qui avait été confié à la société Chronopost « caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ».
  • Seconde espèce
    • Par un arrêt du 7 février 2003, la Cour d’appel de Versailles déboute le client de la société Chronopost de sa demande.
    • Les juges du fond estiment dans cette espèce que si l’obligation de livrer dans les délais le pli confié au transporteur constitue une obligation essentielle du contrat, le manquement à cette obligation ne suffit pas à caractériser une faute lourde.
    • Dès lors, pour la Cour d’appel de Versailles, il n’y a pas lieu d’écarter le plafond d’indemnisation prévu par le décret qui réglemente les contrats-type messagerie.

?Solution

Tandis que dans la première espèce, la Chambre mixte casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, dans la seconde le pourvoi formé par le client de la société Chronopost est rejeté.

Deux enseignements peuvent être tirés des deux arrêts rendus le même jour par la chambre mixte le 22 avril 2005 :

  • Définition de la faute lourde
    • La Cour de cassation répond à l’interrogation née de l’arrêt du 9 juillet 2002 : la définition de la faute lourde
    • Aussi, dans la deuxième espèce jugée par la chambre mixte, la faute lourde est définie comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté ».
    • La faute lourde comprendrait donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif : l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • Faute lourde et manquement à l’obligation essentielle
    • Dans la première espèce la Cour de cassation estime que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°02-18.326).
    • Dans la seconde espèce, la haute juridiction affirme encore que « la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°03-14.112).
    • En d’autres termes, il résulte des deux arrêts rendus par la chambre mixte le 22 avril 2005 que le simple manquement à une obligation essentielle du contrat ne saurait caractériser à lui seul une faute lourde
    • Pour que la faute lourde soit retenue, il aurait fallu que soit établie, en plus, l’existence d’un élément subjectif : le comportement d’une extrême gravité confinant au dol.
    • Ainsi, était-il nécessaire de démontrer que la société Chronopost avait délibérément livré le pli qui lui a été confié en retard, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’espèce.
    • D’où le refus de la Cour de cassation d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.
    • La chambre mixte a dès lors fait le choix d’une approche extrêmement restrictive de la faute lourde, à tel point que les auteurs se sont demandé si cela ne revenait pas à exclure toute possibilité d’écarter le plafond légal d’indemnisation en raison de l’impossibilité de rapporter la preuve de la faute lourde.

iv. Quatrième acte : Arrêt Chronopost du 30 mai 2006

Arrêt Chronopost IV

(Cass. com. 30 mai 2006)

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que deux montres, confiées par la société JMB International à la société Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport ; que la société JMB International a contesté la clause de limitation de responsabilité que lui a opposée la société Chronopost ;

Attendu que pour débouter la société JMB International de toutes ses demandes, l’arrêt retient que celle-ci, qui faisait valoir le grave manquement de la société Chronopost à son obligation essentielle d’acheminement du colis à elle confié, avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a dit que l’action de la société JMB International était recevable et n’était pas prescrite, l’arrêt rendu le 11 mars 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris

  • Faits
    • Deux montres, confiées par une société au transporteur Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport.
  • Demande
    • La société cliente engage la responsabilité de Chronopost.
    • Au soutien de sa demande, elle avance que la clause limitative de responsabilité dont se prévaut le transporteur ne lui est pas opposable.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 mars 2004, la Cour d’appel de Paris déboute le client de la société Chronopost de toutes ses demandes.
    • Étonnamment, les juges du fond adoptent une solution pour le moins différente de la jurisprudence initiée par la Cour de cassation dix ans plus tôt.
    • Ils considèrent que, en confiant un pli à la société Chronopost pour qu’elle l’achemine jusqu’à son destinataire, elle « avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté »
    • La clause limitative de responsabilité était, dans ces conditions, parfaitement applicable à la société cliente.
    • Ainsi, la Cour d’appel refuse-t-elle d’apprécier la validité de la clause limitative de responsabilité en se demandant si elle ne portait pas atteinte à une obligation essentielle, ni même si la société Chronopost n’avait pas manqué à son obligation de délivrer le pli dans le délai prévu par le contrat.
  • Solution
    • Par un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 30 mai 2006, n°04-14.974).
    • Sans surprise, la chambre commerciale reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché « si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat »
    • Ainsi, la haute juridiction fait-elle une exacte application de la solution dégagée dans le premier arrêt Chronopost rendu le 22 octobre 1996.

v. Cinquième acte : Arrêt Chronopost du 13 juin 2006

Arrêt Chronopost V

(Cass. com. 13 juin 2006)

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1150 du code civil, l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Dole froid service a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi” ; que ce délai n’ayant pas été respecté, la société Dole froid service, dont l’offre n’a pu être examinée, a assigné la société Chronopost service en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour dire inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et du contrat type messagerie applicables en la cause et condamner en conséquence la société Chronopost à payer à la société Dole froid service la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice, l’arrêt retient que la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a condamné la société Chronopost à verser à la société Dole froid service la somme complémentaire de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts, l’arrêt rendu le 2 décembre 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

  • Faits
    • Une société a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi”.
    • Le délai de livraison n’ayant pas été respecté, l’offre n’a pu être examinée.
  • Demande
    • Le client de la société Chronopost engage sa responsabilité aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 décembre 2004, la Cour d’appel de Paris accède à la demande du demandeur en déclarant le plafond légal d’indemnisation inapplicable,
    • La Cour d’appel relève pour ce faire que « la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée »
    • Elle en déduit que, en l’espèce, la faute lourde ce qui, conformément à l’ancien article 1150 du Code civil, rendait inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 juin 2006, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond notamment au visa de l’article 1150 du Code civil (Cass. com. 13 juin 2006, n°05-12.619).
    • La chambre commerciale réitère ici la solution dégagée par la chambre mixte le 22 avril 2005 en affirmant que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
    • Or en l’espèce, le seul manquement susceptible d’être reproché au transporteur était de n’avoir pas exécuté son obligation essentielle, de sorte que cela n’était pas suffisant pour caractériser une faute lourde.
    • Pour y parvenir, la Cour de cassation rappelle que cela suppose de démontrer d’adoption par le transporteur d’un comportement d’une extrême gravité confinant au dol.

a.2 L’épilogue de la saga Chronopost : les arrêts Faurecia

La saga des arrêts Chronopost a donné lieu à un épilogue qui s’est déroulé en deux actes.

i. Premier acte : arrêt Faurecia du 13 février 2007

Arrêt Faurecia I

(Cass. com. 13 févr. 2007)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

[…]

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l’article 1131 du code civil ;

Attendu que, pour limiter les sommes dues par la société Oracle à la société Faurecia à la garantie de la condamnation de cette société au paiement de la somme de 203 312 euros à la société Franfinance et rejeter les autres demandes de la société Faurecia, l’arrêt retient que la société Faurecia ne caractérise pas la faute lourde de la société Oracle qui permettrait d’écarter la clause limitative de responsabilité, se contentant d’évoquer des manquements à des obligations essentielles, sans caractériser ce que seraient les premiers et les secondes et dès lors que de tels manquements ne peuvent résulter du seul fait que la version V 12 n’ait pas été livrée ou que l’installation provisoire ait été ultérieurement “désinstallée” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait, d’abord, constaté que la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12, ce dont il résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

?Faits

La société Faurecia a souhaité déployer sur ses sites en 1997 un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale

Conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999

Des contrats de licence, de maintenance et de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en œuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte

Dans l’attente de la livraison de la livraison du nouveau logiciel, une solution provisoire a été installée

Toutefois, cette solution provisoire ne fonctionnait pas correctement et la version V 12 du logiciel n’était toujours pas livrée.

La société Faurecia a dès lors cessé de régler les redevances dues à son fournisseur, la société Oracle, laquelle avait, entre-temps, cédé ses droits à la société Franfinance.

?Demande

La société Faurecia assigne alors la société Oracle ainsi que la société Deloitte aux fins d’obtenir la nullité des contrats conclus pour dol et subsidiairement leur résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties.

?Procédure

Par un arrêt du 31 mars 2005, la Cour d’appel de Versailles a estimé que l’indemnisation susceptible d’être allouée à la société Faurecia en réparation de son préjudice devait être limitée au montant prévu par la clause limitative de responsabilité.

Cette clause trouvait, en effet, pleinement à s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où la société Faurecia ne caractérisait pas la faute lourde de la société Oracle.

Les juges du fond avancent au soutien de cette affirmation que, non seulement la société Faurecia n’établit aucun des manquements aux obligations essentiels reprochés à la société Oracle, mais encore que ces manquements ne sauraient résulter du seul fait que le logiciel ne lui a pas été livré, ni que l’installation provisoire ait été ultérieurement désinstallée.

La solution de la Cour d’appel était ainsi, en tous points, conforme à la jurisprudence Chronopost de la Cour de cassation.

?Solution

Par un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Après avoir relevé que « la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12 », la cour de cassation considère que le manquement reproché à la société Oracle portait sur une obligation essentielle.

Or elle estime que pareil manquement « est de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt Faurecia I.

  • En premier lieu
    • Dès lors qu’une clause vient limiter la responsabilité du débiteur d’une obligation essentielle, elle doit être réputée non écrite.
    • Les clauses limitatives de responsabilité seraient, en somme, sans effet dès lors que le manquement reproché à une partie porterait sur une obligation essentielle.
  • En second lieu
    • Le seul manquement à une obligation essentielle suffit à caractériser la faute lourde.
    • Il s’agit donc de la solution radicalement opposée à celle adoptée par la Cour de cassation, par deux fois, dans ses arrêts du 22 avril 2005 et du 13 juin 2006.
    • Sur ce point, la chambre commerciale opère donc un revirement de jurisprudence.
    • Désormais, le simple manquement est suffisant quant à faire échec à la clause limitative de responsabilité.
    • Il n’est plus besoin de rapporter la preuve d’un comportement d’une extrême gravité imputable au débiteur de l’obligation essentielle.

?Analyse

La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt Faurecia I a été unanimement critiquée par la doctrine.

Les auteurs ont reproché à la chambre commerciale d’avoir retenu une solution « liberticide » en ce sens que cela revenait à priver les parties de la possibilité de stipuler une clause limitative de responsabilité dès lors qu’une obligation essentielle était en jeu.

L’application de cette jurisprudence aurait conduit, en effet, à considérer que seules les obligations accessoires au contrat pouvaient désormais faire l’objet d’une limitation de responsabilité, ce qui n’est pas sans porter atteinte à la liberté contractuelle des parties.

La Cour de cassation s’est, de la sorte, écartée de la solution dégagée dans l’arrêt Chronopost I où elle avait décidé que la clause limitative de responsabilité ne devait être réputée non écrite qu’à la condition que ladite clause prive la portée de l’engagement pris.

Dans l’arrêt Faurecia I, la chambre commerciale ne formule pas cette exigence.

Elle se satisfait de la seule présence dans le contrat, d’une clause limitative de responsabilité susceptible d’être activée en cas de manquement à une obligation essentielle.

Animée d’une volonté d’encadrer le recours aux clauses limitatives de responsabilité la Cour de cassation est, à l’évidence, allée trop loin.

Aussi, un retour à la solution antérieure s’est très rapidement imposé.

ii. Second acte : arrêt Faurecia du 29 juin 2010

Arrêt Faurecia II

(Cass. com. 29 juin 2010)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2008), que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; qu’elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre ces sociétés ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ; que la cour d’appel a, par application d’une clause des conventions conclues entre les parties, limité la condamnation de la société Oracle envers la société Faurecia à la garantie de la condamnation de celle-ci envers la société Franfinance et rejeté les autres demandes de la société Faurecia ; que cet arrêt a été partiellement cassé de ce chef (chambre commerciale, financière et économique, 13 février 2007, pourvoi n° Z 05-17.407) ; que, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel, faisant application de la clause limitative de réparation, a condamné la société Oracle à garantir la société Faurecia de sa condamnation à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel légal de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus dans les termes de l’article 1154 à compter du 1er mars 2002 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Faurecia fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l’arrêt relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications ; que la cour d’appel en a déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Faurecia fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, qu’après avoir constaté que la société Oracle n’avait pas livré la version V 12, en considération de laquelle la société Faurecia avait signé les contrats de licences, de support technique, de formation et de mise en oeuvre du programme Oracle applications, qu’elle avait ainsi manqué à une obligation essentielle et ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l’aurait empêchée d’accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d’appel a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une faute d’une gravité telle qu’elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil ;

Mais attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que les deuxième et quatrième moyens ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits / procédure

Après que dans l’arrêt Faurecia I, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel de Versailles, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

Par un arrêt du 26 novembre 2008, les juges parisiens, qui donc statuent sur renvoi, décident de résister à la chambre commerciale.

Ils estiment, en effet, que la clause limitative de responsabilité était pleinement applicable en l’espèce, conformément à la solution qui avait été adoptée par la première Cour d’appel qui avait été saisie.

?Solution

Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Faurecia contre la décision de la Cour d’appel de Paris (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

Deux questions étaient soumises à la chambre commerciale :

  • Première question : la clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle doit-elle être réputée non-écrite ?
    • À cette question, la Cour de cassation répond par la négative.
    • Elle affirme en ce sens que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »
    • Ainsi, la Cour de cassation renoue-t-elle à la solution classique dégagée dans l’arrêt Chronopost I.
    • Pour qu’une clause limitative de responsabilité soit annulée, elle doit vider de sa substance l’obligation essentielle.
    • Dans le cas contraire, elle demeure valide.
    • En l’espèce, la Chambre commerciale relève que « si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications »
    • Elle en déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle
    • Rien ne justifiait donc que ladite clause soit réputée non-écrite.
  • Seconde question : le manquement à une obligation essentielle est-il constitutif d’une faute lourde ?
    • La Cour de cassation renoue là aussi avec la solution antérieure.
    • Elle affirme que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur »
    • Le seul manquement à une obligation essentielle ne suffit donc pas à caractériser une faute lourde.
    • Il est nécessaire de démontrer l’existence d’un comportant d’une extrême gravité confinant au dol imputable au débiteur de l’obligation essentielle.
    • Or en l’espèce, la société Oracle n’a pas rapporté la preuve d’une telle faute.

Au total, avec l’arrêt Faurecia II la Cour de cassation renoue avec la jurisprudence Chronopost dont elle s’était écartée dans l’arrêt Faurecia I.

Le législateur n’a pas manqué de saluer ce revirement en consacrant la solution adoptée dans l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1170 du Code civil.

b. La consécration légale de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

Aux termes de l’article 1170 du Code civil « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Ainsi, le législateur a-t-il entendu consacrer la jurisprudence initiée par l’arrêt Chronopost I, puis qui s’est conclue sur l’arrêt Faurecia II.

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de la règle introduite par l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil.

?Sur le domaine d’application de la règle

Il peut tout d’abord être observé que, de par sa généralité, l’application de la règle édictée à l’article 1170 n’est pas cantonnée au domaine des clauses limitatives de responsabilité.

Cette disposition a vocation à s’appliquer à toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

On peut ainsi envisager que cela concerne, par exemple les clauses de non-concurrence qui seraient stipulées sans contrepartie.

Il peut encore s’agir des clauses dites de réclamation insérées dans les contrats d’assurance vie aux termes desquelles la victime d’un sinistre doit, pour être indemnisée par son assureur, présenté sa réclamation pendant la durée de validité du contrat. À défaut, la clause a pour effet de priver l’assuré de l’indemnisation d’un sinistre alors même que celui-ci est survenu pendant la durée d’efficacité du contrat et que les primes d’assurance ont été dûment réglées.

?Sur les conditions d’application de la règle

L’application de la règle édictée à l’article 1170 du Code civil est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • L’existence d’une obligation essentielle
    • Le législateur a repris à son compte la notion d’obligation essentielle dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost I
    • Que doit-on entendre par obligation essentielle ?
    • L’ordonnance du 10 février 2016 ne le dit pas.
    • Une ébauche de définition a été donnée par Pothier qui, dès le XVIIIe siècle, décrivaient les obligations essentielles comme celles « sans lesquelles le contrat ne peut subsister. Faute de l’une ou de l’autre de ces choses, ou il n’y a point du tout de contrat ou c’est une autre espèce de contrat ».
    • Il s’agit, autrement dit, de l’obligation en considération de laquelle les parties se sont engagées.
    • Ainsi, la réalisation de l’opération économique envisagée par les parties dépend de l’exécution de l’obligation essentielle.
    • Elle constitue, en somme, le pilier central autour duquel l’édifice contractuel tout entier est bâti.
  • La stipulation d’une clause qui viderait de sa substance l’obligation essentielle
    • L’ordonnance d’une 10 février 2016 conditionne l’annulation d’une clause sur le fondement de l’article 1170 du Code civil qu’à la condition qu’elle « prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur »
    • Ainsi, le législateur a-t-il choisi de reprendre à l’identique la solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Faurecia II ?
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Faurecia I, la Chambre commerciale avait estimé que dès lors qu’une clause limitative de responsabilité portait sur une obligation essentielle elle devait être réputée non écrite (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).
    • Sous le feu des critiques, la Cour de cassation a été contrainte de revoir sa position dans l’arrêt Faurecia II.
    • Dans cette décision, elle choisit de renouer avec la jurisprudence Chronopost en affirmant que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).
    • Si, indéniablement, l’article 1170 consacre cette solution, reste néanmoins une question en suspens : que doit-on entendre par « substance » ?
    • Plus précisément, qu’est-ce qu’une clause qui prive de sa substance une obligation essentielle ?
    • Dans l’arrêt Chronopost, la Cour de cassation s’était placée sur le terrain de la cause pour justifier sa solution.
    • Elle estimait, en effet, que la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité conduisait à priver de son intérêt l’utilité de l’opération économique convenue par les parties : l’acheminement du pli confié au transporteur dans un bref délai.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si le législateur a entendu assimiler la privation de l’obligation essentielle de sa substance à l’absence de cause, telle que, envisagée dans l’arrêt Chronopost, soit dans sa conception subjective ?
    • Si l’on compare les expressions « substance de l’obligation » (art. 1170) et « portée de l’obligation » (arrêt Chronopost), il apparaît que le sens de chacune d’elles est sensiblement différent.
      • Le terme substance renvoie à l’idée de contenu de l’obligation : en quoi consiste la prestation convenue par les parties ?
      • Le terme de portée renvoie quant à lui à l’idée de cause de l’obligation : pourquoi les contractants se sont-ils engagés ?
    • Aussi, selon que l’on raisonne sur la base de l’un ou l’autre terme, le champ d’application de l’article 1170 du Code civil est susceptible d’être plus ou moins étendu.
      • Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 1170, ne pourront être pris en considération que les éléments prévus dans le contrat pour apprécier la validité d’une clause qui affecterait une obligation essentielle
      • Si en revanche, l’on s’écarte de la lettre de l’article 1170 à la faveur d’une conception finaliste, pourront alors être pris en compte, les mobiles des parties, telle que l’utilité de l’opération économique envisagée individuellement par elles.
    • Pratiquement, la seconde conception offre, de toute évidence, une bien plus grande marge de manœuvre au juge qui pourra, pour apprécier la validité de la clause affectant une obligation essentielle, se référer à des éléments extérieurs au contrat : les mobiles des parties.

?La sanction de la règle

Le législateur a décidé d’étendre la sanction prévue initialement pour les seules clauses abusives, aux clauses qui portent atteinte à une obligation essentielle du contrat : elles sont réputées non-écrite.

Cela signifie que, non seulement la clause est privée d’effet, mais encore qu’elle disparaît du contrat.

La conséquence en est un retour immédiat au droit commun qui s’appliquera à la situation juridique, initialement réglée par les parties, mais qui, sous l’effet de la sanction du juge, est devenue orpheline de tout cadre contractuel.

Est-ce à dire que, dans les différents arrêts Chronopost la suppression de la clause limitative de responsabilité permettrait aux clients d’être indemnisés de leurs préjudices ?

S’agissant de ce cas spécifique, la réponse ne peut être que négative.

Le droit commun a prévu que, en matière de contrat-type message, l’indemnisation du préjudice en cas de retard de livraison du pli ne peut excéder un certain plafond, soit celui-là même fixé par la société Chronopost.

Une suppression de la clause serait donc inopérante, sauf à ce que le client soit susceptible d’établir une faute lourde à l’encontre du transporteur, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (V. notamment l’arrêt Faurecia II : Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

3. La neutralisation des effets des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité

Plusieurs moyens de droit sont susceptibles d’être invoqués aux fins de neutraliser les effets d’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité.

a. Les moyens de droit tirés de l’opposabilité de la clause

Pour être opposables, les clauses qui aménagent la responsabilité contractuelle doivent avoir été stipulées dans le contrat et acceptées par le cocontractant.

L’article 1119 du Code civil dispose en ce sens que « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. »

Il en résulte que la clause doit être insérée dans la documentation contractuelle et être lisible. S’il est admis qu’elle puisse figurer sur une facture, c’est à la condition qu’il soit établi que la partie contre laquelle elle est stipulée en a eu connaissance et qu’elle y a consenti.

Certaines juridictions ont pu déduire ce consentement, dans le cadre de relations d’affaires, de l’absence de contestation du cocontractant dans un certain délai.

Lorsque, par ailleurs, la clause est contredite par des mentions manuscrites ou des courriers échangés entre les parties, la Cour de cassation considère qu’elle est de pur style, en conséquence de quoi elle est privée d’effet.

Dans un arrêt du 14 octobre 2008, la chambre commerciale a ainsi jugé que « c’est sans dénaturation des conclusions de la société LCI mais par une interprétation souveraine de la portée de la mention “sans reconnaissance de responsabilité de la part des armateurs” que la cour d’appel, en relevant que cette mention était contredite par les courriers échangés, en a déduit qu’elle n’était qu’une clause de style dépourvue de valeur juridique » (Cass. com. 14 oct. 2008, n°07-18.955).

Enfin, en cas de discordance entre clauses contractuelles, l’interprétation du contrat doit se faire à la lumière des alinéas 2 et 3 de l’article 1119 du Code civil qui prévoient que :

  • D’une part, « en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet. »
  • D’autre part, « en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. »

Pour produire ses pleins effets, une clause limitative ou exonératoire de responsabilité doit ainsi, non seulement, être dépourvue de toute ambiguïté quant à sa formulation, mais encore ne pas être contredite par une autre clause du contrat, voire par les échanges qui ont pu intervenir entre les parties dans le cadre de la conclusion de l’acte.

b. Les moyens de droit tirés de la faute lourde ou dolosive

En application de l’article 1231-3 du code civil, les effets d’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité peuvent être neutralisés en cas de faute lourde ou dolosive, le créancier de l’obligation violée étant alors fondé à réclamer la réparation intégrale de son préjudice.

Très tôt, la jurisprudence a abondé en ce sens. Dans un arrêt du 15 juin 1959 la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « seuls le dol ou la faute lourde de la partie qui invoque, pour se soustraire à son obligation, une clause d’irresponsabilité insérée au contrat et acceptée par l’autre partie, peuvent faire échec à l’application de ladite clause » (Cass. com., 15 juin 1959, n° 57-12.362)

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par faute dolosive et faute lourde.

Si les textes sont silencieux sur ce point, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 indique que « les articles 1231-3 et 1231-4 sont conformes aux articles 1150 et 1151, mais consacrent en outre la jurisprudence assimilant la faute lourde au dol, la gravité de l’imprudence délibérée dans ce cas confinant à l’intention. »

C’est donc vers la jurisprudence antérieure qu’il convient de se tourner pour déterminer ce que l’on doit entendre par faute lourde et par faute dolosive.

La différence entre les deux fautes tient, en substance, à l’intention de l’auteur de la faute :

  • La faute lourde
    • Elle est définie par la jurisprudence, selon la formule consacrée, comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté » (V. en ce sens Cass. Ch. Mixte 22 avr. 2005, n° 03-14.112).
    • La faute lourde comprend donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif: l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • La faute dolosive
    • Elle est définie quant à elle comme l’inexécution délibérée, et donc volontaire, des obligations contractuelles.
    • À cet égard dans un arrêt du 27 juin 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le constructeur […] est sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles » (Cass. 3e civ. 27 juin 2001, n°99-21.017).
    • Il ressort de la jurisprudence que la faute dolosive suppose que le débiteur ait seulement voulu manquer à ses obligations contractuelles. Il est indifférent qu’il ait voulu causer un préjudice à son cocontractant.

Nonobstant la différence qui existe entre ces deux notions, la faute lourde est régulièrement assimilée à la faute dolosive par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour de cassation a ainsi rappelé que « la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-responsabilité » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-21.980).

L’assimilation de la faute lourde à la faute dolosive aurait, selon le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, été reconduite par le législateur, de sorte que les solutions dégagées par la jurisprudence antérieure sont toujours valides.

En tout état de cause, lorsque la faute lourde ou la faute dolosive sont caractérisées, la clause limitative ou exonératoire de responsabilité est écartée à la faveur du principe de réparation intégrale qui trouve alors à s’appliquer.

  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

La fraude : Théorie et régime juridique

Tentation. Tromper, abuser autrui en contrevenant aux règlements, employer la ruse pour mystifier son prochain[1] : c’est mal, mais pas toujours condamnable… Bien que dans la tradition œcuménique, d’aucuns exhortent de ne pas être soumis à la tentation et d’être délivrés du mal, la tentation de la fraude pour l’homme est si grande que la meilleure façon d’y résister, c’est probablement d’y succomber (Casanova, Oscar Wilde)[2]. Pour cause : il est des petites fraudes délicieuses (ou pas) : s’inviter frauduleusement à un mariage pour profiter des agapes (et plus si affinité) ; pénétrer frauduleusement sur la propriété d’un vendeur de piscine pour se jeter dans l’eau. Eh bien, le Droit se désintéresse de celles-là, parce qu’il n’est pas, à proprement parler, en danger. Foin de self-défense donc : il existe des règles qui sanctionnent de pareils comportements. Autrement dit, l’utilisation d’un moyen illicite peut être réprimée sans aucun recours à la notion de fraude. L’article 226-2 C. pén. fait l’affaire : « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide manœuvre (…) est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende (in Chap. VI Des atteintes à la personnalité). Aussi bien, la fraude qui nous occupe est toute autre.

Notion. Au sens strict, la fraude consiste à faire jouer une règle de droit pour tourner une autre règle de droit. C’est mal, et toujours condamnable. Souvenons-nous : « le droit ne saurait tolérer que des institutions juridiques soient détournées de leur finalité et que la lettre des institutions soit utilisée au détriment de leur esprit » (J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, 4ème éd., Dalloz, 2003, n° 242). Autrement dit, la fraude est un levier d’assainissement des rapports de droit (avec la théorie de l’abus de droit, entre autres). La Cour régulatrice sait l’employer.

Illustration. Des époux français concluent, conformément au droit étranger, en l’occurrence celui respectivement de deux États fédéraux des États-Unis d’Amérique, une convention de gestation pour autrui. Homologuée par le juge étranger, la convention stipule qu’après la naissance de l’enfant, les époux seront déclarés parents dans les actes d’état civil étrangers. En somme, ces derniers entendaient obtenir par le jeu normal des règles du droit international privé la reconnaissance, en France, d’actes d’état civil d’enfants issus d’une convention de mère porteuse, ce que l’article 16-7 C.civ. interdit formellement (« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ») et que l’article 227-12, al. 3 C. pén. punit sévèrement (un an d’emprisonnement et 15.000 d’amende).

Leçon. La fraude, qui est aussi vieille que la loi (J. Vidal, Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français, th. Toulouse, 1957, p. 1), corrompt tout : Fraus omnia corrumpit, ont écrit les glossateurs. A noter que le législateur n’a de cesse de chercher  à prévenir la fraude. Toutes les fois qu’un texte la vise, l’adage – qui a une nature subsidiaire – n’a pas à être appelé par le juge au secours de la situation. Il lui suffit de se reposer pleinement et directement sur le texte de loi (656 articles, tous codes confondus, renferment le vocable “Fraude”).

L’adage partage avec quelques autres (ex. nemo auditur propriam turpitudinem allegans : nul ne peut être entendu lorsqu’il invoque sa propre turpitude ; abus de droit) le rare privilège de garantir la loyauté des rapports juridiques (H. Roland et L. Boyer, Adages, 4ème éd., Litec, 1999). Il est un « vigile suprême ». Comprenons bien : l’adage, qui sert parfois de visa unique à des arrêts de cassation, est utilisé pour justifier un refus d’application d’une loi dont les conditions étaient cependant réunies. « La théorie de la fraude apparaît alors comme le moyen de garder le contrôle de l’application des normes juridiques en permettant d’y déroger au nom de la sauvegarde du droit tout entier » (J. Ghestin et alii, Traité de droit civil, Introduction générale, LGDJ, 4ème éd., 1994, n° 803), ce qu’on appelle volontiers le Droit avec un grand « D ». Fraus omnia corrumpit est pratiqué par le juge. Une consultation sommaire de la jurisprudence sur le site Internet de diffusion du droit en ligne l’atteste (www.legifrance.gouv.fr).

Il semble, écrivent Roland et Boyer, que la consécration solennelle de la fraude à la loi soit due à la princesse de Beauffremont. Voulant divorcer alors que la loi française ne connaissait que la séparation de corps, qu’elle avait obtenue, elle se fit naturaliser allemande au duché de Saxe-Cobourg où le divorce était reconnu. Le prince qui entendait que la princesse demeurât son épouse saisit le juge français. En 1878, la Cour de cassation décida que la princesse, devenue allemande, n’en était pas moins toujours Mme de Beauffremont, son divorce étant inopposable à la loi française et au prince. Et voilà que la constitution de la fraude (I) et la sanction de la fraude (II) apparaissent presque distinctement, à telle enseigne que l’esprit est comme surpris de pouvoir s’attacher à des principes apparemment simples et immuables (G. Calbairac, Considérations sur la règle « Fraus omnia corrumpit », D. 1961, chron., p. 170. Cmp. la longueur des articles de lois).

I – Constitution de la fraude

Le sujet de droit est constitué en fraude « chaque fois qu’il parvient à se soustraire à l’exécution d’une règle obligatoire par l’emploi à dessein d’un moyen efficace, qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif » (J. Vidal, th. préc., p. 208). Trois éléments constitutifs doivent être réunis : une règle obligatoire (élément légal), l’intention d’éluder (élément intentionnel), l’emploi à cette fin d’un moyen adéquat (élément matériel).

Élément légal. La fraude à la loi présuppose l’existence d’une loi à frauder ! Le mot « loi » doit être entendu dans son acception la plus large. La raison d’être du dispositif le commande : «  Il faut sauver le soldat Ryan » (Steven Spielberg, 1998). Or, les normes juridiques susceptibles de régir les comportements variés ne se réduisent pas aux lois votées par le Parlement. La source de la règle obligatoire peut être aussi bien la loi, impérative s’entend (car il est loisible de se soustraire aux lois seulement interprétatives ou supplétives) que le contrat. Le débiteur qui se met dans l’impossibilité d’exécuter ses engagements tente d’échapper à une obligation contractuelle qui s’imposait à lui comme une loi (C.civ., art. 1103 nouv. / art. 1134, al. 1er anc.). Tel est le cas du débiteur qui organise frauduleusement son insolvabilité ou désintéresse quelques uns seulement de ses créanciers la veille de son assignation en redressement judiciaire. Dans ce cas, on peut même dire qu’il y a fraude par avance à une règle obligatoire. Cela appelle une remarque. En soi, le moyen n’est pas complètement illicite puisque le débiteur ne viole pas une règle obligatoire. Mais la licéité apparente du procédé pour éluder la règle ne trompe pas ; la fraude peut être retenue. Josserand écrit que cette « fraude n’est pas autre chose, en fin de compte, que la fraude à la loi, en prenant ce dernier mot dans son sens le plus compréhensif » (in Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, n° 176).

Élément intentionnel. La fraude suppose ensuite rapportée – par tous moyens (C.civ., art. 1353 – l’intention de l’auteur de la manœuvre de parvenir à un changement de loi applicable au détriment de la loi normalement compétente. Comprenons bien : le changement de loi applicable doit être non seulement l’effet mais également le but de la manœuvre. La culpabilité civile, écrit Ripert, est un élément nécessaire à la mise en œuvre du principe « fraus omnia corrumpit » (in La règle morale dans les obligations civiles, nos 160 s.). Soit un médecin qui épouse la personne qu’il a soignée avant qu’elle ne meurt de sa maladie et profite en retour d’une libéralité consentie par cette dernière (par ex. une assurance-vie) : le droit a peu de chose à dire. Sauf si le mariage a été consacré pour écarter le jeu de l’article 909, al. 1er, C.civ.

Élément matériel. La fraude suppose enfin que le moyen employé pour tourner la règle soit efficace. La fraude heurte de front le Droit que si elle réussit. La variété des moyens de fraude est presque infinie, tant l’imagination fertile des sujets de droit est grande.

II – Sanction de la fraude

Arme. Le législateur sait appréhender la fraude des sujets de droit. On l’a dit. Auquel cas, le juge n’a aucun besoin d’invoquer fraus omnia corrumpit. Il lui suffit de faire application du texte idoine. Et c’est très précisément ce qu’il fait. L’adage est en quelque sorte subsidiaire. « N’est-il pas habituel d’engager d’abord les régiments de ligne et de réserver la garde pour le cas où la bataille plierait » (H. Roland et L. Boyer, Adages, op. cit.).

Tir. La sanction consiste à priver l’auteur de la fraude du bénéfice de la règle substituée en quelque sorte. Bien que, en théorie, ladite règle soit applicable, la fraude fait exception à toutes les règles. Le droit restaure alors l’application de la loi à laquelle l’agent a tenté d’échapper. Dans l’exemple proposé, il ne s’agit pas d’annuler le mariage du médecin avec la personne qu’il soignait lorsqu’il a été désigné tiers bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, à tout le moins tant que le consentement est sérieux. Il suffit de maintenir son incapacité à recevoir à titre gratuit. « Il est inutile de frapper un acte de plus qu’il n’est nécessaire pour que soit atteint le but visé par le législateur » (J. Vidal, th. préc., p. 391). En l’occurrence, l’acte sera inopposable aux victimes des conséquences de la fraude.

Il est des cas où l’inopposabilité se révèle insuffisante ; la nullité est alors préférée. Il en va ainsi lorsque l’ordre public est en cause : mariage contracté à l’étranger pour échapper aux conditions de la loi française ; cession d’office ministériel avec contre-lettre pour majorer le prix au-dessus du prix de Chancellerie ; acte passé par prête-nom lorsque ledit acte était interdit à son auteur véritable.

J.B.

[1] Plaute : homo homini lupus est – littéralement l’homme est un loup pour l’homme ; fondamentalement : l’homme est le pire ennemi de sa propre espèce. Rabelais reprendra cette locution dans le Tiers livre, Montaigne aussi dans ses Essais, etc. (v. Wikipédia).

[2] Casanova in Mémoires : « Dépêchez-vous de succomber à la tentation avant qu’elle ne s’éloigne ».

La convention de divorce par acte d’avocat: conditions, effets et révision

Pour mémoire, l’article 229-1 du Code civil dispose que « lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues à l’article 1374. »

Ainsi, la convention de divorce a-t-elle pour fonction de formaliser l’accord des époux sur le principe et les effets du divorce.

I) Les conditions de validité de la convention de divorce

Pour valable, la convention doit satisfaire à des conditions de fond et de forme.

A) Sur le fond

==> Application du droit des contrats

  • Principe
    • En ce que la convention de divorce s’analyse en un contrat, le sous-titre Ier du titre III du Livre III du code civil relatif au contrat lui est, par principe, applicable ( 1100 à 1231-7 C.civ.)
    • En conséquence, la convention doit satisfaire aux conditions de formation du contrat
    • En particulier, l’article 1128 du Code civil lui est applicable.
    • Cette disposition prévoit que sont nécessaires à la validité du contrat :
      • Le consentement des parties
      • Leur capacité de contracter
      • Un consentement licite et certain.
    • La convention de divorce peut donc être attaquée en cas de vice du consentement, de défaut de capacité ou encore de contrariété à l’ordre public.
    • En cas d’inexécution de la convention, le droit des contrats devrait également être applicable à la convention de divorce, à la condition que la mesure sollicitée ne remette pas en cause le principe même du divorce
  • Exception
    • Si le caractère purement conventionnel du divorce par consentement mutuel emprunte au droit des contrats, il s’en détache en raison de son caractère familial.
    • En effet, les dispositions qui sont inconciliables par nature avec le divorce sont inapplicables.
    • Ainsi, sous réserve de l’appréciation des juridictions, une clause résolutoire portant sur le principe du divorce serait déclarée nulle car contraire à l’ordre public.
    • La deuxième hypothèse d’une action en résolution fondée sur l’inexécution suffisamment grave après une notification du créancier au débiteur ne paraît pas non plus être valable dès lors qu’elle remettrait également en cause le principe du divorce.

==> Contenu de la convention

Le contenu du contrat est régi aux articles 1162 à 1171 du Code civil. Ainsi, le contenu de la convention de divorce ne doit pas porter atteinte à ces dispositions.

  • L’exigence d’un contenu licite
    • Aux termes de l’article 1162 du Code civil « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toute les parties».
    • En matière familiale, la jurisprudence a une appréciation plutôt extensive de l’ordre public.
    • Relèvent notamment de l’ordre public familial :
      • l’autorité parentale (il n’est pas possible de renoncer ou de céder ses droits en dehors des cas prévus par la loi)
      • l’obligation alimentaire (qui est indisponible et non susceptible de renonciation).
    • Ainsi, il appartient à l’avocat de s’assurer que la convention ne comporte pas de clauses qui contreviendraient à l’ordre public.
    • Une clause qui, par exemple, exonérerait un époux de toute responsabilité en cas de non-paiement de la pension alimentaire serait réputée non écrite.
    • Surtout, la convention de divorce ne doit donc pas contenir de clauses fantaisistes qui risqueraient d’entraîner la nullité du contrat.
  • Exclusion du droit des clauses abusives
    • le divorce par acte d’avocat paraît exclu du champ du contrôle des clauses abusives prévu à l’article 1171 du code civil.
    • En effet la prohibition des clauses qui créent « un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat» ne s’applique que dans les contrats d’adhésion.
    • Le contrat d’adhésion est défini à l’article 1110 du code civil comme étant « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties».
    • La qualification de contrat d’adhésion suppose donc la prédétermination unilatérale de conditions générales par l’une des parties et l’absence de négociation de ces conditions générales par l’autre partie.
    • Or l’intervention d’un avocat auprès de chacune des parties a pour objet de garantir l’effectivité d’une négociation des clauses de la convention de divorce et de la prise en compte des intérêts de chacun des époux.

B) Sur la forme

==> Un acte sous seing privé contresigné

L’article 229-1 du Code civil exige que la convention prenne la forme d’un acte sous seing privé contresigné par l’avocat de chacune des parties.

Qu’est-ce qu’un acte sous seing privé contresigné par un avocat, dit acte d’avocat ?

Cette forme d’acte a été instituée par la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées.

Le législateur est parti du constat que de nombreux actes sous seing privé sont conclus sans que les parties, et notamment celles qui souscrivent les obligations les plus lourdes, n’aient reçu le conseil de professionnels du droit.

Cette manière de procéder, de plus en plus répandue en France notamment par l’utilisation de formulaires pré-imprimés ou disponibles sur internet, présente deux risques principaux.

  • Premier risque
    • Il peut arriver que les conséquences de cet acte ne soient pas celles que les parties attendaient :
      • soit parce que le but recherché en commun n’est pas atteint (le bail n’est pas valable par exemple)
      • soit parce que la convention est illicite.
  • Second risque
    • L’une des parties peut être tentée de contester ultérieurement l’existence du contrat ou l’un de ses éléments.
    • Les autres parties se heurtent alors à un problème de preuve.
    • L’assistance d’un avocat est insuffisante pour parer complètement à ces risques : les parties pourront éprouver des difficultés à établir que l’acte est le produit de ses conseils et aucune force probante particulière n’en résultera.

Afin de remédier à ces deux difficultés, le législateur avait bien cherché par le passé à y remédier. Elles étaient toutefois très insuffisantes.

Certes, les parties peuvent s’adresser à un notaire : l’acte authentique reçu par celui-ci engage sa responsabilité et fait foi jusqu’à inscription de faux des faits qu’il y aura énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence.

En outre cet acte bénéficie d’une caractéristique exceptionnelle attachée à la qualité d’officier public du notaire : la force exécutoire.

Cette force exécutoire permet, dans certaines circonstances, d’en assurer la réalisation sans avoir besoin au préalable de recourir à une décision de justice.

Mais, s’il est admis sans difficulté que la force exécutoire ne peut être attachée qu’à l’acte authentique, il a été jugé souhaitable que l’implication d’un avocat dans la réalisation d’un acte juridique emporte des effets plus significatifs que ceux qui lui étaient reconnus jusqu’alors.

Dans une perspective d’accès au droit, de protection de l’acte juridique et de sécurité des individus comme des entreprises, il est apparu au législateur utile d’encourager le recours aux conseils de l’avocat à l’occasion de la négociation, de la rédaction et de la conclusion des actes sous seing privé.

Il a donc été envisagé de permettre aux parties de renforcer la valeur de l’acte sous seing privé qu’elles concluent en demandant à un avocat, pouvant ou non être commun à plusieurs d’entre elles, de le contresigner.

Ce contreseing – qui existe déjà pour le mandat de protection future – entraîne deux conséquences.

  • Première conséquence
    • L’avocat ayant contresigné l’acte est présumé de manière irréfragable avoir examiné cet acte, s’il ne l’a rédigé lui-même, et avoir conseillé son client
    • À ce titre, il assume pleinement la responsabilité qui en découle.
  • Seconde conséquence
    • L’avocat atteste, après vérification de l’identité et de la qualité à agir de son client, que celui-ci a signé l’acte et en connaissance de cause, ce qui empêche celui-ci de contester ultérieurement sa signature
    • L’acte contresigné par un avocat possède alors, entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l’acte authentique.

Appliqué au divorce par consentement mutuel, l’acte sous seing privé contresigné par avocat offre à la convention de divorce un cadre juridique adapté et sécurisé.

Il présente, en effet, deux avantages par rapport à un acte sous seing privé classique.

  • D’une part, il confère une force probante renforcée puisqu’il fait pleine foi de l’écriture et de la signature des parties tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayant cause.
  • Ensuite, en contresignant l’acte, l’avocat atteste de par la loi avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte.

==> Les mentions

  • Mentions relatives à la civilité des parties
    • L’article 229-3 du Code civil prévoit que la convention comporte expressément, à peine de nullité
      • Les nom, prénoms, profession, résidence, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des époux
      • La date et le lieu de mariage
      • Les mêmes indications, le cas échéant, pour chacun des enfants du couple
  • Mentions relatives aux avocats
    • L’article 229-3 du Code civil prévoit que la convention comporte expressément, à peine de nullité
      • Le nom, l’adresse professionnelle et la structure d’exercice professionnel des avocats chargés d’assister les époux
      • Le barreau auquel ils sont inscrits
  • Mentions relatives au notaire instrumentaire
    • L’article 1144-1 du code de procédure civile ajoute que les époux doivent mentionner le nom du notaire ou de la personne morale titulaire de l’office notarial chargés du dépôt de la convention au rang de ses minutes.
    • Le cas échéant, rien ne s’oppose à ce que ce notaire soit le même que celui qui aura dressé l’acte liquidatif de partage en la forme authentique.
  • Mentions relatives à l’accord des époux
    • L’article 229-3 du Code civil prévoit que la convention comporte expressément, à peine de nullité
      • La mention de l’accord des époux sur la rupture du mariage et sur ses effets dans les termes énoncés par la convention
      • Les modalités du règlement complet des effets du divorce conformément au chapitre III du présent titre, notamment s’il y a lieu au versement d’une prestation compensatoire
      • L’état liquidatif du régime matrimonial, le cas échéant en la forme authentique devant notaire lorsque la liquidation porte sur des biens soumis à publicité foncière, ou la déclaration qu’il n’y a pas lieu à liquidation
  • Mentions relatives à la pension alimentaire et à la prestation compensatoire
    • Compte tenu de l’importance des conséquences de la prévision d’une pension alimentaire ou d’une prestation compensatoire, l’article 1444-4 du Code de procédure civile prévoit que la convention doit contenir les informations des parties sur les modalités de recouvrement, les règles de révision et les sanctions pénales encourues en cas de défaillance.
    • L’article 1144-3 précise que lorsque des biens ou droits, non soumis à la publicité foncière, sont attribués à titre de prestation compensatoire, la convention précise la valeur de ceux-ci.
    • En cas de biens soumis à publicité foncière, un acte authentique devra être rédigé par un notaire.
    • Il peut, en outre, être prévu un paiement direct entre les mains, par exemple, de l’employeur du débiteur de ladite pension ou prestation.
    • Dans ce cas, le débiteur doit indiquer dans la convention le tiers débiteur saisi chargé du paiement
  • Mentions relative à l’information de l’enfant
    • L’article 229-3 du Code civil prévoit que la convention comporte expressément, à peine de nullité
      • La mention que le mineur a été informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1 et qu’il ne souhaite pas faire usage de cette faculté.
    • L’article 1144-2 du code de procédure civile précise que la convention doit mentionner, le cas échéant, que le mineur n’a pas reçu l’information relative à son droit d’être entendu par un juge en raison de son absence de discernement, ce qui facilitera les vérifications formelles du notaire devant procéder au dépôt.

En pratique, ces mentions peuvent apparaître dans un paragraphe distinct ou en annexe afin que les informations délivrées soient suffisamment lisibles et identifiables par le créancier (cf. annexe 2 de la présente circulaire).

==> La régularisation de la convention

  • Délai de réflexion
    • L’article 229-4 du code civil fixe un délai de réflexion de quinze jours pour chacun des époux, à compter de la réception de la lettre recommandée contenant le projet de convention, pendant lequel les parties ne peuvent signer la convention.
    • Il appartient donc aux avocats et aux parties de définir une date de rendez-vous de signature qui soit fixée à plus de quinze jours à compter de la réception du dernier courrier recommandé, signé personnellement par chacune des parties. En effet, la signature de l’un des époux ne vaut pas réception de la convention par l’autre ni ne présume celle-ci.
    • Les avocats respectifs des parties doivent donc s’assurer de la signature personnelle de l’époux sur l’avis de réception de la lettre recommandée.
  • La signature et le contreseing
    • La convention est établie selon l’acte d’avocat prévu à l’article 1374 du code civil, qui fait foi de l’écriture et de la signature des parties.
    • En contresignant l’acte, les avocats attestent du consentement libre et éclairé de leur client.
    • L’article 1145 du code de procédure civile précise que la convention doit être signée par les époux et leurs avocats ensemble, ce qui signifie une mise en présence physique des signataires au moment de la signature.
    • En pratique, un rendez-vous commun aux deux époux et aux deux avocats devra être organisé en vue de la signature de la convention.
    • En effet, l’article 1175-1° du code civil exclut la possibilité d’établir et conserver sous forme électronique les actes sous signature privée relatifs aux droits de la famille de sorte qu’en l’absence de dérogation expressément prévue dans la loi du 18 novembre 2016, la signature par la voie électronique de la convention visée à l’article 229-1 du code civil est impossible.
    • La convention et ses annexes doivent être signées en trois exemplaires afin que chaque époux dispose d’un original et qu’un exemplaire soit déposé au rang des minutes du notaire désigné.
    • Lorsque la convention ou ses annexes doivent être soumises à la formalité de l’enregistrement, un quatrième exemplaire original devra être signé pour être transmis aux services fiscaux.
    • En cas de modification de la convention par rapport au projet initial, un nouveau délai de réflexion de quinze jours doit être laissé aux époux à compter de ces modifications, ce qui suppose, si celles-ci interviennent lors d’un rendez-vous de signature, d’organiser une seconde rencontre au moins quinze jours après.
  • Transmission de la convention au notaire
    • L’archivage de la convention étant déjà assuré par son dépôt au rang des minutes d’un notaire, il n’est pas nécessaire d’en prévoir un à la charge des avocats.
    • L’avocat le plus diligent, ou mandaté par les deux parties, transmet la convention de divorce accompagnée de ses annexes au notaire mentionné dans l’acte dans un délai maximum de sept jours suivant la date de la signature de la convention (article 1146 CPC).
    • À défaut de respecter ce délai, il engage sa responsabilité professionnelle.
    • Ce délai est un délai indicatif maximal qui ne constitue pas un délai de rétractation dans la mesure où les époux ont déjà bénéficié d’un délai de réflexion antérieurement à la signature de la convention.
    • Enfin, l’original de la convention devant être transmis, l’envoi ne peut être dématérialisé.
  • Frais d’acte
    • L’article 1144-5 du Code de procédure civile prévoit que la convention règle le sort des frais induits par la procédure de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocat, déposé au rang des minutes d’un notaire, sous réserve des règles spécifiques en matière d’aide juridictionnelle et qu’à défaut, ils sont partagés par moitié.
    • Ces frais devraient être détaillés pour comprendre, l’ensemble des frais prévisibles (en particulier, les frais de transmission de la convention au notaire et de dépôt, ceux de partage et, le cas échéant, de traduction de la convention).
    • Conformément à l’article 11.3 du règlement intérieur national de la profession d’avocats, les honoraires sont exclus de ces frais puisque l’avocat ne peut percevoir d’honoraires que de son client ou d’un mandataire de celui-ci.

==> L’intervention du notaire

  • La compétence territoriale des notaires
    • Conformément aux termes de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, les notaires ne sont pas assujettis à des règles de compétence internes.
    • En outre, les règles de compétence du règlement CE n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ne concernent que les juridictions appelées à rendre une décision.
    • Or, dans la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel, les notaires doivent, après un contrôle formel, déposer au rang de leurs minutes la convention constituant l’accord des époux et ils ne rendent de ce fait aucune décision, de sorte qu’ils ne sont pas des juridictions au sens de ce règlement.
    • Par conséquent, les notaires, qui ne sont pas assujettis à des règles de compétence, ont vocation à recevoir tout acte, émanant de parties françaises comme étrangères, qu’elles soient domiciliées en France ou à l’étranger dès lors que le droit français s’applique à leur divorce, sans préjudice des effets que les règles de droit international privé applicables aux parties, à raison de leur nationalité par exemple, pourraient entraîner dans un autre État, en termes de reconnaissance du divorce et de ses conséquences notamment.
    • Enfin, l’article 8 du décret du 28 décembre 2016 a expressément exclu les fonctions notariales des agents consulaires du dispositif.
    • Ces derniers ne peuvent donc procéder au dépôt de la convention de divorce.
  • Le contrôle exercé par le notaire
    • Si le notaire n’a pas à contrôler le contenu ou l’équilibre de la convention, il doit, avant de pouvoir effectuer le dépôt de la convention au rang de ses minutes, vérifier la régularité de celle-ci au regard des dispositions légales ou réglementaires.
    • Pour autant, s’il est porté manifestement atteinte à l’ordre public (une clause qui évincerait les règles d’attribution de l’autorité parentale découlant de la filiation ou une clause de non-remariage par exemple), le notaire, en sa qualité d’officier public, pourra alerter les avocats sur la difficulté.
    • Ni les époux, ni les avocats n’ont en principe à se présenter devant le notaire.
      • Le contrôle du respect du délai de réflexion
        • L’article 229-1 du code civil donne expressément au notaire compétence pour s’assurer que le délai de réflexion de quinze jours entre la rédaction de la convention et la signature prévue à l’article 229-4 du même code a bien été respecté.
        • À cette fin, la convention pourra comporter utilement en annexe la copie des avis de réception des lettres recommandées envoyées à chacune des parties et contenant le projet de convention.
        • Si le délai de réflexion de quinze jours n’a pas été respecté, le notaire ne peut procéder au dépôt de la convention.
      • Le contrôle des exigences formelles
        • Le dernier alinéa de l’article 229-1 du code civil rappelle le rôle du notaire.
        • Celui-ci doit vérifier le respect des exigences prévues aux 1° au 6° de l’article 229-3 du code civil.
        • Si la convention ne contient pas l’ensemble de ces mentions, le notaire doit refuser de procéder à son dépôt.
        • Les époux devront rédiger une nouvelle convention avec les mentions manquantes et respecter le délai de réflexion de quinze jours avant de pouvoir procéder à la signature de celle-ci et de la transmettre au notaire en vue de son dépôt.
  • Le dépôt de la convention au rang des minutes du notaire
    • L’article 1146 du Code de procédure civile prévoit que le notaire dispose d’un délai maximal de quinze jours pour procéder au contrôle susmentionné de la convention et de ses annexes et déposer l’acte au rang de ses minutes.
    • Ce délai ne constituant pas un délai de rétractation, le notaire peut procéder à ce contrôle et au dépôt dès réception des documents.
    • Le dépassement de ce délai ne constitue pas une cause de caducité de la convention mais peut être de nature à engager la responsabilité professionnelle du notaire.
    • Le dépôt de la convention de divorce au rang des minutes du notaire ne confère pas à la convention de divorce la qualité d’acte authentique mais lui donne date certaine et force exécutoire à l’accord des parties et entraîne la dissolution du mariage à cette date.
    • Les effets du divorce entre les époux, en ce qui concerne leurs biens, prennent effet à la date du dépôt, à moins que la convention n’en dispose autrement (article 262-1 du code civil).
    • Le dépôt au rang des minutes du notaire emporte l’obligation d’assurer la conservation de l’acte pendant une durée de 75 ans et le droit d’en délivrer des copies exécutoires et des copies authentiques.
    • L’article 14 du décret n° 71-942 du 26 novembre 1971, prévoit les conditions de conservation en cas de suppression ou de scission d’un office de notaire, à titre provisoire ou définitif, ce qui permet d’assurer la continuité de la conservation.
    • Le notaire doit délivrer une attestation de dépôt à chacun des époux qui contient, outre ses coordonnées, notamment :
      • la mention du divorce
      • l’identité complète des époux
      • leurs lieu et date de naissance
      • le nom de leurs avocats respectifs et le barreau auquel ils sont inscrits
      • la date de dépôt. U
    • Une attestation est également délivrée, le cas échéant, à l’avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle, à sa demande, afin que celui-ci puisse solliciter le paiement de la contribution de l’État (article 118-3 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991).
    • Cette attestation permettra aux ex-conjoints ou à leurs avocats de faire procéder à la mention du divorce sur les actes de l’état civil et de justifier du divorce auprès des tiers.

==> Publicité : la mention du divorce sur les actes d’état civil

Dès réception de l’attestation de dépôt de la convention de divorce et de ses annexes, les époux ou les avocats doivent en principe transmettre celle-ci à l’officier d’état civil de leur lieu de mariage aux fins de mention du divorce sur l’acte de mariage selon les modalités prévues à l’article 1147 du code de procédure civile.

Le mariage est dissous à la date de l’attestation de dépôt qui lui donne force exécutoire.

Conformément aux dispositions de l’article 49 du code civil, l’officier d’état civil qui a apposé la mention du divorce en marge de l’acte de mariage, transmet un avis à l’officier de l’état civil dépositaire de l’acte de naissance de chacun des époux aux fins de mise à jour de ces actes par la mention de divorce.

Si le mariage a été célébré à l’étranger et en l’absence d’acte de mariage conservé par un officier d’état civil français, la mention du divorce sera portée sur les actes de naissance et à défaut, l’attestation de dépôt sera conservée au répertoire civil annexe détenu au service central d’état civil à Nantes.

Toutefois, si le mariage a été célébré à l’étranger à compter du 1er mars 2007, sa transcription sur les registres de l’état civil français sera nécessaire avant de pouvoir inscrire la mention du divorce sur l’acte de naissance d’un Français.

II) Les effets de la convention

A) Opposabilité de la convention

==> À l’égard des parties

  • Principe
    • L’article 229-1, al. 3 du Code civil prévoit que le dépôt de la convention au rang des minutes du notaire « donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire»
    • Ainsi, ce n’est donc pas la signature de la convention qui la rend opposable entre les parties, mais son dépôt
  • Exception
    • L’article 262-1, al. 1er du Code civil dispose que « la convention ou le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens lorsqu’il est constaté par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire, à la date à laquelle la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce acquiert force exécutoire, à moins que cette convention n’en stipule autrement»
    • Les parties peuvent ainsi décider de modifier la date des effets du divorce, s’agissant de leurs rapports patrimoniaux.
    • Les effets du divorce pourront donc être reportés à une date antérieure au jour du dépôt au rang des minutes du notaire.
    • Ils pourront ainsi faire coïncider la date du divorce avec la date de leur séparation effective.

==> À l’égard des tiers

L’article 262 du Code civil prévoit que le divorce est opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de mention en marge des actes d’état civil ont été effectuées.

Tant que cette mesure de publicité n’est pas accomplie par les époux, le divorce leur sera inopposable.

Ils seront donc toujours fondés à se prévaloir du principe de solidarité des dettes ménagères par exemple.

B) Étendue des effets de la convention

==> Irrévocabilité du principe du divorce

Le caractère conventionnel de la convention de divorce devrait permettre aux époux de révoquer leur accord en cas d’inexécution de leurs obligations respectives.

Toutefois, si ce caractère conventionnel emprunte au droit des contrats, il s’en détache en raison de son caractère familial.

Dès lors, il est des dispositions qui, par nature, sont inconciliables par nature avec le divorce

Ainsi, sous réserve de l’appréciation des juridictions, une clause résolutoire portant sur le principe du divorce devrait être déclarée nulle car contraire à l’ordre public.

De la même manière, l’époux qui engage une action en résolution judiciaire sur le fondement de l’inexécution suffisamment grave après une notification au débiteur devrait être débouté de sa demande.

Dans le cas contraire, une telle action pourrait conduire à remettre en cause le principe du divorce.

Or une fois l’accord des époux scellé, cet accord est irrévocable.

==> Rétractation des époux

Il convient de distinguer selon qu’un seul des époux ou les deux se rétractent.

  • Un seul époux se rétracte
    • Dans l’hypothèse où l’un des époux se rétracterait entre la signature de la convention et son dépôt au rang des minutes, le notaire doit quand même procéder à l’enregistrement de la convention.
    • En effet, la convention de divorce constitue un contrat à terme au sens de l’article 1305 du code civil, qui engage les parties de manière irrévocable, sauf consentement mutuel des parties pour y renoncer ou pour les causes que la loi autorise (article 1193 C. civ.), en l’espèce la demande d’audition de l’enfant (article 229-2 C. civ.).
    • Seuls les effets de la convention, et donc l’exigibilité des obligations de chacun des époux, sont différés jusqu’au dépôt de l’acte au rang des minutes du notaire mais la force obligatoire de la convention s’impose aux parties dès la signature.
    • En conséquence, il est interdit à un seul des époux de “faire blocage” et de bénéficier de ce fait d’une faculté de rétractation non prévue par la loi.
  • Les deux époux se rétractent
    • Lorsque, d’un commun accord, les deux époux renoncent au divorce, ils peuvent révoquer la convention jusqu’au dépôt de celle-ci au rang des minutes du notaire en application de l’article 1193 du code civil.
    • Le notaire doit être informé de la renonciation au divorce par tous moyens, aucune condition de forme n’étant imposée.
    • Dans le cas d’un renoncement à cette voie du divorce par consentement conventionnel, l’article 1148-2, alinéa 2 du code de procédure civile, rappelle que la juridiction est saisie dans les conditions des articles 1106 et 1107 du même code.
    • La convention peut aussi être modifiée entre la signature et le dépôt d’un commun accord entre les époux (article 1193 C. civ.).
    • Dans ce cas, une nouvelle convention devra être rédigée et les avocats devront veiller à informer le notaire de ce changement afin que celui-ci ne procède pas au dépôt. Le délai de réflexion de quinze jours courra à nouveau entre la rédaction du projet et la signature de celui-ci par les parties en présence de leurs avocats.

==> Exécution forcée de la convention

La loi du 18 novembre 2016 a ajouté à la liste des titres exécutoires de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil.

Les époux peuvent donc solliciter l’exécution forcée de la convention dès lors que celle-ci a été déposée au rang des minutes du notaire.

Dès son dépôt, la convention de divorce a des effets identiques à ceux d’un jugement de divorce.

À cette fin, certaines dispositions ont été modifiées par la loi du 18 novembre 2016, le décret du 28 décembre 2016 et l’article 115 de la loi de finances rectificative pour 2016.

  • Pension alimentaire
    • En application de l’article L. 213-1 du code des procédures civiles d’exécution et de l’article 1er de la loi n° 75-618 du 11 juillet 1975 la convention de divorce permet d’engager une procédure de recouvrement de la pension alimentaire
    • En complément, Le code général des impôts a été modifié pour que les pensions alimentaires et prestations compensatoires fixées par la convention de divorce bénéficient du même régime fiscal que celles fixées par un jugement de divorce
  • Prestations sociales
    • Pour les mêmes raisons, l’article L. 523-1 du code de la sécurité sociale a fait l’objet d’une modification afin de permettre au créancier d’une pension alimentaire fixée par une convention de divorce établie par acte d’avocats ou par un acte authentique de bénéficier de l’allocation de soutien familial ou de l’allocation de soutien familial différentielle.
    • L’article L.581-2 du même code a en conséquence été modifié afin de permettre à la CAF qui a versé cette allocation, au lieu et place du parent débiteur défaillant, de recouvrer les sommes versées.

Toutefois, la convention ne constitue pas un titre permettant d’obtenir l’expulsion de l’époux qui se maintient illégitimement dans le logement dans la mesure où l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution restreint cette possibilité à la production d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation, qui est toujours signé par un juge compte tenu de l’atteinte aux libertés individuelles que constitue cette mesure.

==> La révision de la convention

  • Principe
    • L’article 1193 du Code civil prévoit de façon générale la révision des conventions par consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise.
    • Il en résulte que la convention de divorce par acte sous signature privée contresigné par avocat pourra être révisée d’un commun accord des parties, par simple acte sous seing privé ou par acte sous signature privée contresigné par avocat.
    • L’acte sous seing privé simple ou contresigné par avocat portant révision de la convention n’aura toutefois ni date certaine, ni force exécutoire, sauf à ce que les parties en fassent ultérieurement constater la substance dans un acte authentique pour lui conférer date certaine, en application de l’article 1377 du code civil.
  • Tempéraments
    • En raison de la soumission de la convention de divorce à l’ordre public familial, certaines clauses de la convention ne peuvent être révisées selon le droit commun des contrats.
    • Tel est le cas du principe du divorce en raison de l’indisponibilité de l’état des personnes, ou des clauses portant sur la prestation compensatoire, dont la révision fait l’objet de dispositions spécifiques prévues à l’article 279 du code civil.
    • Les parties pourront toujours solliciter l’homologation de leur nouvel accord portant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et fixant le montant de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant devant le juge aux affaires familiales, par requête conjointe, en application des dispositions de l’article 373-2-7 du code civil.
    • Depuis le décret n° 2016-1906 du 28 décembre 2016, le juge peut homologuer cette convention sans audience à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties.
    • Enfin, le juge aux affaires familiales pourra toujours être saisi par les deux parents, ensemble ou séparément sur le fondement de l’article 373-2-13 du code civil, aux fins de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.

==> Le contentieux de l’inexécution de la convention par l’un des ex-époux

En cas d’inexécution par l’un des ex-époux de ses obligations résultant de la convention de divorce ayant force exécutoire, l’autre pourra toujours saisir le tribunal de grande instance de la difficulté.

L’exception d’inexécution prévue à l’article 1209 du code civil ne pourra toutefois être invoquée dès lors qu’elle est contraire à l’intérêt de l’enfant.

Ainsi, le débiteur d’une pension alimentaire due pour l’éducation et l’entretien de l’enfant ne pourra refuser de verser cette contribution au motif que l’enfant ne lui est pas représenté.

Divorce par consentement mutuel judiciaire: l’intangibilité de la convention

I) Le principe d’intangibilité de la convention

==> Énoncé du principe

Il ressort de plusieurs textes que la convention de divorce est indissociable du jugement qui prononce le divorce :

  • L’article 1099 du Code de procédure civile prévoit que le Juge « rend sur-le-champ un jugement par lequel il homologue la convention et prononce le divorce. »
  • L’article 279 dispose encore que « la convention homologuée a la même force exécutoire qu’une décision de justice»
  • L’article 232 prévoit quant à lui que « le juge homologue la convention et prononce le divorce »

La jurisprudence déduit de ces textes qu’il existe une indivisibilité de l’homologation de la convention avec la décision qui prononce le divorce.

Il en résulte que, à l’instar d’un jugement, elle est pourvue de l’autorité de la chose jugée ce qui lui confère son intangibilité. Autrement dit, elle ne peut plus être attaquée par les époux.

Sur ce point, elle se distingue d’un contrat soumis au droit commun, en ce que les parties peuvent toujours revenir dessus en cas de commun accord.

Tel n’est pas le cas de la convention de divorce qui, une fois homologuée par le juge, ne peut plus être supprimée, ni révisée

Dans un arrêt du 6 mai 1987 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable et ne peuvent plus être remis en cause hors des cas limitativement prévus par la loi »

Cass. 2e civ. 6 mai 1987
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 14 février 1985), qu'un jugement, non frappé de voies de recours, a prononcé le divorce des époux X... sur leur requête conjointe et homologué la convention définitive portant réglement des conséquences du divorce ; que Mme X..., estimant être victime d'une lésion dans cette convention, en a demandé la rescision ;

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré cette action irrecevable, alors que, d'une part, la convention portant règlement des effets du divorce pourrait être dissociée du jugement prononçant celui-ci, et, n'étant pas irrévocable, pourrait faire l'objet d'une action en rescision pour lésion, et alors que, d'autre part, en considérant qu'en l'absence de clause stipulant l'égalité du partage, celui-ci pouvait être présumé inégal, ce qui rendrait irrecevable l'action en rescision pour lésion, la cour d'appel aurait violé les articles 1476 et 887 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient à bon droit que le prononcé du divorce et l'homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable et ne peuvent plus être remis en cause hors des cas limitativement prévus par la loi ;

Que par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Faits
    • Prononcé d’un divorce sur requête conjointe par un arrêt de la Cour d’appel de Lyon le 14 février 1985
  • Demande
    • Action en rescision pour lésion contre une convention d’homologation introduite par une épouse.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 14 février 1985 la Cour d’appel de Lyon déboute l’appelante de sa demande.
    • Pour les juges du fond, l’action de l’épouse est irrecevable dans la mesure où le prononcé du divorce et l’homologation de la convention sont indissociables.
    • Or un jugement bénéficie de l’autorité de la chose jugée.
  • Solution
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’épouse
    • Pour la deuxième chambre civile la convention réglant les effets du divorce devient, dès lors qu’elle a été homologuée par le juge, intangible.
    • Autrement dit, elle ne peut plus être attaquée
    • La Cour de cassation pose ici le principe d’intangibilité de la convention réglant les effets du divorce

==> Applications

Le principe d’intangibilité de la convention de divorce conduit à écarter un certain nombre d’actions :

  • Les actions en nullité de la convention
    • La question ici se pose de savoir si, en cas de non-respect d’une condition de validité de la convention de divorce, elle peut faire l’objet d’une annulation
    • La jurisprudence répond par la négative à cette question, au motif que le principe d’intangibilité de la convention prévaut
    • Peu importe donc le fondement invoqué par l’un des époux (contrariété à l’ordre public, vices du consentement ou encore irrégularité formelle) : l’action en nullité est irrecevable
  • Les actions en complément de part
    • Il s’agit de l’hypothèse où un époux aurait été lésé dans le partage des biens
    • Dès lors, est-il recevable à engager une action aux fins de rétablir l’équilibre qui a été rompu volontairement ou involontairement ?
    • L’article 889 du Code civil prévoit que dans le cadre d’opérations de partages prévues par la loi, lorsque l’un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature.
    • Pour apprécier s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage.
    • L’action en complément de part se prescrit par deux ans à compter du partage.
    • Pour les mêmes raisons que celles qui président à l’irrecevabilité de l’action en nullité, l’action en complément de parts ne saurait être accueillie lorsqu’elle est dirigée contre la convention de divorce.
    • Le principe d’intangibilité de cette convention y fait obstacle.
    • Cette solution a notamment été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 3 mars 2010.

Cass. 1re civ., 3 mars 2010
Sur le moyen unique :

Attendu que M. X... et Mme Y... ont contracté mariage le 3 octobre 1998 sous le régime de la séparation de biens ; qu'en 1999, ils ont acquis en indivision, chacun pour moitié, un terrain situé à Saint-Pierre de la Réunion sur lequel ils ont fait édifier une maison ; qu'un jugement du 3 mars 2003 a prononcé leur divorce sur requête conjointe et homologué la convention définitive par laquelle ils fixaient à 335 387 euros la valeur de l'immeuble bâti acquis durant le mariage et prévoyaient de maintenir ce bien en indivision pour une durée de deux ans renouvelable ; que par acte sous-seing privé du même 3 mars 2003, les époux sont convenus de la vente des droits indivis de M. X... sur l'immeuble à Mme Y... pour un prix de 167 693,50 euros ; que cet acte stipulait que la vente serait réitérée par acte authentique au plus tard le 15 février 2005 ; que M. X... ne s'étant pas présenté devant le notaire pour la réitération de l'acte, Mme Y... l'a fait assigner devant le tribunal de grande instance en déclaration judiciaire de vente ; que pour s'opposer à cette demande, M. X... a fait valoir que le prix fixé dans la promesse de vente était lésionnaire et a sollicité une expertise de la valeur du bien ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 19 août 2008) d'avoir déclaré irrecevable l'action en rescision pour lésion de l'acte du 3 mars 2003, dit que la vente par M. X... à Mme Y... d'une parcelle bâtie sise à Saint-Pierre pour un prix de 167 693,50 euros était parfaite et dit que le jugement tiendrait lieu d'acte authentique en vue des formalités de publicité foncière, alors, selon le moyen, que l'impossibilité de remettre en cause la convention définitive homologuée par le jugement de divorce sur demande conjointe ne concerne que le partage opéré par cette convention ; qu'ainsi en l'espèce où la convention définitive prévoyait le maintien dans l'indivision de l'immeuble litigieux, la cour d'appel, en déclarant irrecevable l'action en rescision pour lésion exercée contre une convention séparée contenant une promesse de cession par M. X... à Mme Y... de sa part indivise dans l'immeuble, non homologuée par le juge, a violé les articles 279 et 888 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a rappelé que le caractère indissociable du prononcé du divorce sur demande conjointe et de la convention définitive ne permettait aucune modification des modalités de cette dernière en dehors des cas prévus aux anciens articles 279 et 292 du code civil, a constaté par motifs propres et adoptés, d'abord, que la convention définitive homologuée comportait un chapitre intitulé "liquidation" consacré au sort de l'immeuble litigieux par lequel les époux fixaient la valeur du bien à la somme de 335 387 euros et établissaient une convention d'indivision régissant leurs droits quant à ce bien ; puis, que par acte du 3 mars 2003, les parties convenaient de la vente des droits indivis de M. X... sur l'immeuble au profit de Mme Y... pour un montant conforme à celui fixé par la convention définitive ; encore, que cet acte était antérieur au divorce puisqu'il était soumis à la condition suspensive du prononcé du divorce ; en outre, que les débats permettaient d'établir qu'il s‘agissait en réalité de trouver un statut juridique à l'immeuble permettant à la fois aux époux d'obtenir le divorce et de se ménager le bénéfice de la défiscalisation à laquelle ce bien ouvrait droit à condition qu'il ne soit pas cédé avant un délai de cinq années après son achèvement ; enfin, que les dispositions de la convention définitive relatives à l'immeuble litigieux, et notamment celle stipulant sa valeur, étaient indissociables de l'ensemble de la convention, elle-même indissociable du jugement de divorce, le consentement des époux étant dépendant du contenu de la convention définitive ; que de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu déduire que la convention définitive ne pouvait être remise en cause sans remettre en cause le consentement des époux et que dès lors l'action en rescision pour lésion de plus du quart du compromis de vente du 3 mars 2003, était irrecevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Le recours en révision
    • Le recours en révision est régi aux articles 593 et suivants et Code de procédure civile
    • Il tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit.
    • En raison de son caractère dérogatoire au droit commun, ce recours ne peut être exercé que dans des cas très restreints
    • L’article 595 prévoit ainsi que le recours en révision n’est ouvert que pour l’une des causes suivantes :
      • S’il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
      • Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d’une autre partie ;
      • S’il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
      • S’il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.
    • Dans tous ces cas, le recours n’est recevable que si son auteur n’a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu’il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.
    • Le délai du recours en révision est de deux mois.
    • Le recours en révision peut-il être exercé dans l’hypothèse où l’homologation de la convention de divorce aurait été obtenue en fraude des droits de l’un des époux ?
    • La Cour de cassation a répondu par la négative à cette question en se fondant, à encore, sur le principe d’intangibilité de la convention.
    • Dans un arrêt du 5 novembre 2008, elle a affirmé que « mais attendu qu’ayant retenu à bon droit que le prononcé du divorce et l’homologation de la convention définitive ont un caractère indissociable, la cour d’appel en a exactement déduit l’irrecevabilité du recours en révision partielle du jugement prononçant le divorce sur requête conjointe en ses seules dispositions relatives au partage des biens» ( 1ère civ., 5 nov. 2008).

==> Cas particulier des actions en interprétation

L’action en interprétation vise à solliciter les lumières du juge sur une clause imprécise ou ambiguë de la convention

Il ne s’agit pas ici pour le Juge de revenir sur la décision rendue.

Son intervention a pour seul but d’apporter un éclairage sur les termes de la convention de divorce aux fins de permettre son exécution.

Dans la mesure où cette action ne heurte pas le principe d’intangibilité, elle est admise par la jurisprudence (C. en ce sens Cass. 1ère civ., 5 févr. 2002)

Cass. 1ère civ., 5 févr. 2002
Sur le pourvoi formé par M. Dominique André Yves X..., demeurant ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 6 mai 1999 par la cour d'appel de Caen (1e chambre civile et commerciale), au profit :

1 / de Mme Françoise Marcelle Jeanne Y..., divorcée, Boudin, demeurant "La Houssaye", 61160 Mont Ormel,

2 / de la société Cétélem, société anonyme à directoire, dont le siège est ...,

défenderesses à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 18 décembre 2001, où étaient présents : M. Renard-Payen, conseiller doyen faisant fonctions de président, Mlle Barberot, conseiller référendaire rapporteur, M. Jean-Pierre Ancel, conseiller, Mme Collet, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mlle Barberot, conseiller référendaire, les observations de Me Foussard, avocat de M. X..., les conclusions écrites de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X..., qui a fait opposition à l'ordonnance lui ayant fait injonction de payer le solde d'un prêt contracté avec son épouse pendant le mariage depuis dissous par divorce pour financer des travaux sur un véhicule, a appelé celle-ci en garantie pour qu'elle soit condamnée à supporter la moitié de la condamnation prononcée au profit du prêteur ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Caen, 6 mai 1999) d'avoir rejeté cette demande, alors, selon le moyen :

1 / qu'en l'espèce, le prêt a été souscrit solidairement par M. et Mme X... ; que M. X... avait donc un recours contre Mme Y... à concurrence de la part incombant à cette dernière ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l'article 1214 du Code civil ;

2 / que la circonstance que, lors de la convention définitive conclue entre les époux à l'occasion du divorce, le véhicule ait été attribué à M. X..., qui ne concerne que la répartition des actifs, n'avait aucune incidence sur le recours dont disposait M. X... ; qu'à cet égard, les juges du fond ont violé l'article 1214 du Code civil ;

3 / qu'en se fondant sur la convention définitive conclue à l'occasion du divorce, bien que cette convention n'ait comporté aucune stipulation s'agissant de la charge du prêt, les juges du fond, qui ont ajouté a la convention de divorce, en ont dénaturé les termes ;

Mais attendu qu'après avoir admis la recevabilité de l'appel en garantie formée contre la femme qui était obligée à la dette en sa qualité de co-emprunteuse, la cour d'appel, qui a relevé, par une interprétation que les termes imprécis de la convention définitive de divorce rendaient nécessaire, qu'il entrait dans l'intention des époux que celui qui était attributaire du véhicule en supporte les charges, a souverainement estimé que le mari devait seul contribuer à la dette ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

II) Les limites au principe d’intangibilité de la convention

Le principe d’intangibilité de la convention de divorce n’est pas sans limites. Il est des situations qui permettent, tantôt aux parties, tantôt aux tiers de revenir sur ce qui a été jugé ou de compléter le dispositif.

==> L’omission d’un bien ou d’une dette

La question s’est posée en jurisprudence du sort d’un bien ou d’une dette omis lors de l’établissement de l’état liquidatif.

Une fois homologuée, la convention de divorce est, par principe, intangible, de sorte que les époux ne peuvent plus solliciter sa révision.

Est-ce à dire que le bien ou la dette omis ne peut plus faire l’objet d’un partage ?

La première et la deuxième chambre civile se sont longtemps opposées sur la réponse à apporter à cette question.

  • La position de la deuxième chambre civile
    • Dans un arrêt du 18 mars 1992, elle a considéré que, en application du principe d’intangibilité de la convention de divorce, un bien omis ne pouvait pas être intégré, postérieurement à l’homologation, dans la composition du patrimoine commun ( 2e civ. 18 mas 1992).
    • Pour la deuxième chambre civile, cela revient à modifier sans l’accord des parties, la convention définitive devenue irrévocable et violé le texte susvisé
    • Ainsi, aurait-il fallu conclure une nouvelle convention aux côtés de l’accord homologué

Cass. 2e civ. 18 mas 1992
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 279 du Code civil ;

Attendu que la convention homologuée a la même force exécutoire qu'une décision de justice ; qu'elle ne peut être modifiée que par une nouvelle convention entre les époux ;

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué, qu'un jugement a prononcé le divorce des époux X... sur leur requête conjointe, et homologué leur convention définitive ; que M. X... a fait assigner son ex-épouse pour faire juger qu'un immeuble ne figurant pas sur la convention constituait un bien propre et régulariser une déclaration de remploi ;

Attendu que pour débouter M. X... de cette demande et dire que le bien était commun, l'arrêt énonce que l'omission de toute mention de ce remploi et des biens acquis à l'aide de celui-ci dans la convention définitive de partage peut résulter d'une simple erreur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la convention définitive homologuée, qui ne faisait pas mention de l'immeuble litigieux dans l'actif commun, attribuait à Mme Y... une somme d'argent pour solde de tout compte de la communauté, la cour d'appel, en faisant entrer postérieurement cet immeuble dans la composition du patrimoine commun, a modifié, sans l'accord des parties, la convention définitive devenue irrévocable et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 octobre 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée

  • La position de la première chambre civile
    • Dans un arrêt du 3 juillet 1996 la première chambre civile a considéré quant à elle que, en cas d’omission d’un bien dépendant de la communauté conjugale dans l’état liquidatif du régime matrimonial des époux, joint à la convention définitive homologuée par le juge du divorce, la demande de partage complémentaire était recevable.
    • Pour la première chambre civile il n’y avait donc pas lieu de régulariser une nouvelle convention de divorce.
    • Cette solution a été réaffirmée dans un arrêt du 6 mars 2001 aux termes duquel, la Cour de cassation a affirmé, au visa de l’article 279 du Code civil que « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué, à l’application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l’élaboration de la convention»

Cass. 1ère civ. 6 mars 2001
Attendu que les époux Y...-X... ont divorcé sur requête conjointe par jugement du 8 mars 1990, qui a homologué la convention définitive réglant les modalités de liquidation de leur communauté, comprenant notamment les actions des sociétés Y... SA et Y... boutique, évaluées à 110 000 000 francs ; qu'ayant appris ultérieurement que son ex mari avait vendu, pour la somme de 39 000 000 francs, au groupe Seibu department store, dont dépendent les sociétés Ilona gestion et Saison Nederland BV, des actions de la société JLS KK qui ne figuraient pas dans l'état liquidatif, Mme X... a demandé la condamnation de M. Y... à lui payer l'intégralité de la somme ainsi recelée ou, subsidiairement, la moitié de cette somme à titre de partage complémentaire, ainsi que sa condamnation solidaire avec les sociétés Seibu, Ilona et Saison au paiement de dommages-intérêts ; que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevables ces demandes ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Sur le cinquième moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur les deuxième, troisième et quatrième moyens, réunis :

Vu l'article 279 du Code civil ;

Attendu que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l'état liquidatif homologué, à l'application éventuelle des sanctions du recel et au paiement de dommages-intérêts pour faute commise par son ex conjoint lors de l'élaboration de la convention ;

Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes présentées de ces chefs par Mme X..., l'arrêt attaqué se borne à énoncer qu'elles remettraient en cause la convention définitive homologuée par le jugement de divorce ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée contre les sociétés Seibu department store, Ilona gestion et Saison Nederland BV, l'arrêt rendu le 10 mars 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

  • Position actuelle
    • Bien que la deuxième chambre civile ne se soit pas prononcée récemment sur la question, la doctrine considère que c’est la position de la première chambre civile qui l’a emporté.
    • Sa solution a d’ailleurs été réitérée à de nombreuses reprises
    • Dans un arrêt du 22 février 2005, elle a une nouvelle fois jugé, dans les mêmes termes qu’en 2001, que « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs omis dans l’état liquidatif homologué» ( 1ère civ., 22 févr. 2005)
    • Dans un arrêt du 30 septembre 2009, la première chambre civile a adopté la même solution en reprenant le même attendu de principe : « si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs ou de dettes communes omis dans l’état liquidatif homologué» ( 1ère civ. 30 sept. 2009)

Cass. 1ère civ. 30 sept. 2009
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu l'article 279 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 et l'article 887 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, ensemble les articles 1477, 1478 et 1485 du code civil ;

Attendu que si la convention définitive homologuée, ayant la même force exécutoire qu'une décision de justice, ne peut être remise en cause, un époux divorcé demeure recevable à présenter une demande ultérieure tendant au partage complémentaire de biens communs ou de dettes communes omis dans l'état liquidatif homologué ;

Attendu qu'un jugement du 12 septembre 2000 a prononcé le divorce de M. X... et de Mme Y... sur leur requête conjointe et a homologué la convention définitive portant règlement des conséquences pécuniaires du divorce ; qu'aux termes de cette convention, signée en mai 2000, les époux se sont partagés le remboursement de différents prêts, sans tenir compte d'un acte notarié du 24 août 2000 par lequel ils avaient renégocié avec leur banque des "prêts consommations au CIN et chez Cofidis" ; que, reprochant à son ancienne épouse de ne pas avoir respecté ses engagements, M. X... l'a fait assigner le 28 octobre 2004 devant le tribunal de grande instance pour la voir condamner à lui rembourser les dettes communes mises à sa charge tant par la convention définitive homologuée que par la convention notariée du 24 août 2000, dont il s'était acquitté postérieurement au divorce ; que M. X... a en outre sollicité que soit ordonnée la vente aux enchères publiques d'un immeuble sis à Cernay, appartenant indivisément aux anciens époux, omis dans la convention définitive ;

Attendu que pour débouter M. X... de ses demandes et ordonner que les parties règlent le sort de la ou des dettes, ainsi que de l'immeuble commun, omis dans la convention définitive, par une nouvelle convention soumise au contrôle du juge et renvoyer à cette fin les parties devant le juge aux affaires familiales, l'arrêt attaqué énonce que si M. X... soutient et rapporte la preuve qu'une dette de communauté a été omise lors de l'établissement de la convention devant régler tous les effets du divorce et que le sort de l'immeuble de communauté, ainsi que les conséquences de son occupation par Mme Y..., postérieurement au prononcé du divorce, n'ont pas davantage été pris en considération dans la convention définitive, les demandes présentées par chacune des parties sont de nature à modifier considérablement l'économie de la convention définitive qui a été homologuée par le jugement du 12 septembre 2000 et nécessitent une nouvelle convention soumise au contrôle du juge ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 décembre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

==> La révision de la prestation compensatoire

Bien que la convention de divorce soit intangible, l’article 279 du Code civil envisage la révision de la prestation compensatoire.

L’alinéa 3 de cette disposition prévoit que :

  • D’une part, les époux ont néanmoins la faculté de prévoir dans leur convention que chacun d’eux pourra, en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties, demander au juge de réviser la prestation compensatoire.
  • D’autre part, les dispositions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 275 ainsi qu’aux articles 276-3 et 276-4 sont également applicables, selon que la prestation compensatoire prend la forme d’un capital ou d’une rente temporaire ou viagère.

Dans le silence de la convention, le débiteur d’une prestation compensatoire peut solliciter sa révision dans les conditions fixées par la loi.

La révision de la prestation compensatoire suppose toutefois de distinguer selon qu’elle est versée sous forme de capital ou de rente.

  • La révision de la prestation compensatoire versée sous forme de capital
    • L’article 275 al. 2 du Code civil autorise le débiteur d’une prestation compensatoire à demander la révision de ces modalités de paiement en cas de changement important de sa situation.
    • Lorsqu’elle est versée sous forme de capital la prestation compensatoire ne pourra donc faire l’objet d’une révision que dans ses modalités de paiement.
    • Son montant ne peut pas être revu à la baisse ou à la hausse.
    • Tout au plus, le débiteur peut obtenir un échelonnement du versement sur une durée totale supérieure à huit ans, mais ce à titre très exceptionnel.
    • Pour ce faire, deux conditions doivent être remplies
      • Il faut un changement important de la situation du débiteur
      • Le juge devra alors spécialement motiver sa décision.
  • La révision de la prestation compensatoire versée sous forme de capital
    • La règle est posée à l’article 276-3 du Code : « la prestation compensatoire fixée sous forme de rente peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties».
    • Lorsqu’elle est versée sous forme de rente, la prestation compensatoire peut également faire l’objet d’une révision
    • Cette révision peut se traduire de trois manières différentes :
      • Révision du montant de la rente
      • Suspension du versement de la rente
      • Suppression du versement de la rente
    • Plusieurs conditions doivent être remplies pour que la prestation compensatoire versée sous forme de rente puisse être révisée
      • La révision ne peut être décidée par le juge que s’il constate un changement important de la situation du débiteur ou inversement de la situation du créancier.
      • L’article 276-3 se réfère, tant aux besoins du créancier de la prestation compensatoire qu’aux ressources de son débiteur.
    • Par ailleurs, il est précisé à l’alinéa 2 de l’article 276-3 que « la révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge».
    • Autrement dit, si révision de la rente il y a, elle ne pourra se faire qu’à la baisse ; jamais à la hausse.
    • Enfin, il est à noter que le débiteur de la prestation compensatoire versée sous forme de rente peut, à tout moment, demander sa substitution par le versement d’un capital
    • L’article 276-4 dispose que « le débiteur d’une prestation compensatoire sous forme de rente peut, à tout moment, saisir le juge d’une demande de substitution d’un capital à tout ou partie de la rente. La substitution s’effectue selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat».

==> La révision des mesures prises à la faveur des enfants

L’article 373-2-13 du Code civil prévoit que les dispositions contenues dans la convention homologuée ou dans la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire ainsi que les décisions relatives à l’exercice de l’autorité parentale peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non.

Il appartiendra alors au juge de statuer sur le sort des enfants selon les articles 373-2-6 et suivants du Code civil

==> La remise en cause de convention de divorce par les tiers

L’article 1104 du Code de procédure civile prévoit que les créanciers de l’un et de l’autre époux peuvent faire déclarer que la convention homologuée leur est inopposable en formant tierce opposition contre la décision d’homologation dans l’année qui suit l’accomplissement des formalités mentionnées à l’article 262 du code civil, soit l’inscription du divorce en marge de l’état civil des époux.

Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour de cassation a précisé que, pour être recevables à former tierce opposition, il appartient aux tiers de démonter :

  • D’une part, l’existence d’une fraude des droits du créancier
  • D’autre part, l’existence d’une collusion entre les époux

Cass. 1ère civ. 13 mai 2015
Vu leur connexité, joint les pourvois n° D 14-10. 501 et D 14-10. 547 ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° D 14-10. 547 :

Vu les articles 583 et 1104 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'un jugement du 26 juin 2009 a prononcé le divorce par consentement mutuel des époux X...-B...et homologué leur convention en réglant les effets, ainsi que l'acte de liquidation partage de leur communauté établi le 29 avril 2009 ; que, le 24 juin 2010, Mme Y..., se prévalant d'une créance de dommages-intérêts contre M. X... à la suite d'une procédure pénale ayant, notamment, donné lieu à l'ouverture d'une information le 21 avril 1994 et à un jugement de condamnation du 29 avril 1999, a formé tierce opposition au jugement de divorce en ce qu'il a homologué la convention de partage ; que M. A..., agissant en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de Mme Y...est intervenu à l'instance ;

Attendu que, pour déclarer inopposable à Mme Y...et à M. A..., ès qualités, la convention du 29 avril 2009, l'arrêt retient qu'il est manifeste que la liquidation de la communauté a été faite à l'insu de la créancière du mari et que la fraude résulte des circonstances rappelées qui ont présidé à la fixation des dommages-intérêts dus à celle-ci ;

Qu'en se bornant à se référer à la chronologie des décisions intervenues dans l'instance pénale à l'issue de laquelle M. X... a été déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à des dommages-intérêts, sans rechercher si, en concluant la convention homologuée par le juge du divorce, son épouse avait pu avoir conscience d'agir en fraude des droits du créancier de son mari et s'il y avait collusion des époux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;

Et sur le moyen unique du pourvoi n° D 14-10. 501 :

Vu l'article 615 du code de procédure civile ;

Attendu qu'en raison de l'indivisibilité du litige la décision attaquée doit être annulée au regard de Mme B... comme de M. X... , de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen du pourvoi formé par celui-ci ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré inopposable à Mme Y...et à M. A..., ès qualités, la convention de liquidation partage de la communauté des époux X...-B...établie le 20 avril 2009 et homologuée par jugement du 26 juin 2009, l'arrêt rendu le 23 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Les conditions de formation du pacs

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[1], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale.

De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[2]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire.

Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui.

Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[3], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable.

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[4] et plus encore, comme son « acte fondateur »[5].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Parce que le contexte sociologique et juridique ne permettait plus à ce silence de prospérer, le législateur est intervenu pour remédier à cette situation.

Son intervention s’est traduite par l’adoption de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, plus couramment désigné sous le nom de pacs.

Ainsi, pour la première fois, le législateur reconnaissait-il un statut juridique au couple en dehors du mariage.

La formation du pacs est subordonnée à la satisfaction de conditions de fond et de forme.

I) Les conditions de fond

A) Les conditions tenant aux qualités physiques des partenaires

  1. L’indifférence du sexe

L’article 515-1 du Code civil que le pacs peut être conclu par deux personnes « de sexe différent ou de même sexe »

Ainsi, le législateur a-t-il accédé à une revendication pressante des couples homosexuels qui a pris racine au début des années 1990.

Ces derniers revendiquaient la création d’un statut unifiant pour l’ensemble des couples non mariés, que les partenaires soient de même sexe ou de sexe différent, ou même pour des personnes ayant un projet de vie en commun en dehors de tout lien charnel.

Une première proposition de loi tendant à instituer un contrat de partenariat civil est déposée au Sénat dès cette époque par M. Jean-Luc Mélenchon.

De nombreuses autres propositions relayées par des parlementaires de gauche vont voir le jour à partir de 1992, sous les appellations successives de contrat d’union civile, de contrat d’union sociale ou de contrat d’union civile et sociale.

Elles prévoyaient toutes l’enregistrement des unions devant l’officier d’état civil, définissaient en se référant au mariage les devoirs et le régime des biens des cocontractants et leur attribuaient des droits directement calqués sur le mariage en matière de logement, de sécurité sociale, d’impôt sur le revenu et de succession.

Les revendications portaient, en outre, sur l’élimination, à terme, de toute différence entre les couples homosexuels et hétérosexuels par l’ouverture pure et simple du mariage et du concubinage aux homosexuels.

Allant dans ce sens, le Parlement européen a adopté, le 8 février 1994, une résolution sur l’égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne invitant la Commission des communautés européennes à présenter un projet de recommandation devant chercher, notamment à mettre un terme à :

  • l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes : la recommandation devrait garantir l’ensemble des droits et des avantages du mariage, ainsi qu’autoriser l’enregistrement de partenariats,
  • toute restriction au droit des lesbiennes et des homosexuels d’être parents ou bien d’adopter ou d’élever des enfants.

En définitive, au-delà du respect de leur comportement individuel, les homosexuels revendiquaient la reconnaissance sociale de leur couple, ce qui a pu faire dire que sortis du code pénal, ils aspiraient à rentrer dans le code civil.

C’est chose faite avec l’adoption sur la loi du 15 novembre 1999 qui autorise les couples homosexuels à conclure un pacte civil de solidarité.

2. L’âge des partenaires

L’article 515-1 du Code civil prévoit expressément que le « pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures »

Ainsi, pour conclure un pacs, il faut avoir atteint l’âge de dix-huit ans révolu.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si, à l’instar du mariage, le Procureur peut consentir des dispenses d’âge.

==> S’agissant de l’émancipation

Dans le silence des textes, le mineur émancipé ne dispose pas, a priori, de la capacité de conclure un pacs.

La question avait d’ailleurs été soulevée par les parlementaires devant le Conseil constitutionnel.

Leurs auteurs de la saisine soutenaient que portaient atteinte au principe d’égalité les interdictions de conclure un pacte civil de solidarité qui visent les mineurs émancipés et les majeurs sous tutelle

Le Conseil constitutionnel a toutefois rejeté cet argument estimé que « sans méconnaître les exigences du principe d’égalité, ni celles découlant de la liberté définie à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le législateur […] a pu sans porter atteinte au principe d’égalité, ne pas autoriser la conclusion d’un pacte par une personne mineure émancipée et par une personne majeure placée sous tutelle » (Cons. Cons ; Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).

==> S’agissant de la dispense d’âge

Pour mémoire, en matière de mariage, législateur a estimé que, en certaines circonstances, il y aurait plus d’inconvénients que d’avantages à maintenir cette condition d’âge avec trop de rigidité

Avant la loi du 23 décembre 1970 modifiant l’article 145 du Code civil, le Code civil avait attribué au chef de l’État le pouvoir d’accorder des dispenses d’âge en lui laissant la libre appréciation de leur opportunité.

Il lui appartenait ainsi d’accorder ces dispenses par décret rendu sur le rapport du garde des Sceaux. Ce dossier était alors remis au procureur de la République qui instruisait l’affaire.

La loi n° 70-1266 du 23 décembre 1970 a modifié l’article 145 du Code civil à compter du 1er février 1971 et transféré au procureur de la République du lieu de la célébration du mariage le pouvoir d’accorder les dispenses d’âge dans les mêmes circonstances que pouvait le faire le Président de la République.

L’article 145 du Code civil dispose désormais que, « il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves ».

La dispense accordée par le procureur de la République ne fait toutefois pas disparaître la nécessité du consentement familial exigé pour les mineurs.

L’article 148 du Code civil précise, en effet, que « les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement ».

Ainsi, pour que des mineurs puissent se marier, encore faut-il qu’ils y soient autorisés :

  • par leurs parents
  • par le procureur de la république

Ce régime de dispense d’âge est-il transposable au pacs ?

Dans la mesure où aucune disposition ne le prévoit, une réponse négative doit être apportée à cette question, bien que l’on puisse s’interroger sur l’opportunité d’une telle interdiction.

Compte tenu de son régime juridique, la conclusion d’un pacs est un acte bien moins grave qu’en engagement dans les liens du mariage, ne serait-ce que parce le pacs repose sur un régime de séparation de biens, tandis que celui du mariage est communautaire.

B) Les conditions tenant à la nature contractuelle du pacs

Comme précisé par l’article 515-1 du Code civil le « pacte civil de solidarité est un contrat ».

Il en résulte que sa validité est subordonnée au respect des conditions de formation du contrat.

L’article 1101 du Code civil dispose que le contrat est « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »

Pour être créateur d’obligations, l’article 1103 du Code civil précise néanmoins que le contrat doit être « légalement formé ».

Aussi, cela signifie-t-il que les parties doivent satisfaire à un certain nombre de conditions posées par la loi, à défaut de quoi le contrat ne serait pas valide, ce qui est sanctionné par la nullité.

Les conditions de validité du contrat exigées par la loi sont énoncées à l’article 1128 du Code civil qui prévoit que sont nécessaires à la validité d’un contrat :

  • Le consentement des parties
  • Leur capacité de contracter
  • Un contenu licite et certain
  1. Le consentement

La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?

==> La difficile appréhension de la notion de consentement

Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.

Que l’on doit exactement entendre par consentement ?

Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.

L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :

  • L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
  • Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
  • Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
  • Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
  • Un contractant peut également s’être engagé par erreur

Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.

La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?

Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?

==> Existence du consentement et vice du consentement

Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :

  • Le consentement doit exister
    • À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé son consentement
    • Or cela constitue un obstacle à la rencontre des volontés.
    • Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
    • Autrement dit, le contrat est inexistant.
  • Le consentement ne doit pas être vicié
    • À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
    • Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
      • soit qu’il n’a pas été donné librement
      • soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
    • En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.

a) L’existence du consentement

Le nouvel article 1129 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 apporte une précision dont il n’était pas fait mention dans le droit antérieur.

Cette disposition prévoit, en effet, que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de cette exigence

  • Contenu de la règle
    • L’article 1129 pose la règle selon laquelle l’insanité d’esprit constitue une cause de nullité du contrat
    • Autrement dit, pour pouvoir contracter il ne faut pas être atteint d’un trouble mental, à défaut de quoi on ne saurait valablement consentir à l’acte.
    • Il peut être observé que cette règle existait déjà à l’article 414-1 du Code civil qui prévoit que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. »
    • Cette disposition est, de surcroît d’application générale, à la différence, par exemple de l’article 901 du Code civil qui fait également référence à l’insanité d’esprit mais qui ne se rapporte qu’aux libéralités.
    • L’article 1129 fait donc doublon avec l’article 414-1.
    • Il ne fait que rappeler une règle déjà existante qui s’applique à tous les actes juridiques en général
  • Insanité d’esprit et incapacité juridique
    • L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique
      • L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause :
        • Soit la loi
          • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés.
        • Soit une décision du juge
          • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future
      • L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne.
    • Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.
    • Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.
    • À la vérité, la règle qui exige d’être sain d’esprit pour contracter a été instaurée aux fins de protéger les personnes qui seraient frappées d’insanité d’esprit, mais qui jouiraient toujours de la capacité juridique de contracter.
    • En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).
    • L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques.
    • Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.
  • Notion d’insanité d’esprit
    • Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit
    • Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche
    • Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée» ( civ. 4 févr. 1941).
    • Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.
    • Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens 1re civ., 24 oct. 2000).
  • Sanction de l’insanité d’esprit
    • En ce que l’insanité d’esprit prive le contractant de son consentement, elle est sanctionnée par la nullité du contrat.
    • Autrement dit, le contrat est réputé n’avoir jamais été conclu.
    • Il est anéanti rétroactivement, soit tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.
    • Il peut être rappelé, par ailleurs, qu’une action en nullité sur le fondement de l’insanité d’esprit, peut être engagée quand bien même la personne concernée n’était pas frappée d’une incapacité d’exercice.
    • L’action en nullité pour incapacité et l’action en nullité pour insanité d’esprit sont deux actions bien distinctes.

b) Les vices du consentement

i) Place des vices du consentement dans le Code civil

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

ii) Énumération des vices du consentement

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Il résulte de cette disposition que les vices du consentement qui constituent des causes de nullité du contrat sont au nombre de trois :

  • L’erreur
  • Le dol
  • La violence

?) L’erreur

==> Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations: j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne: je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

==> Conditions

Pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être, déterminante et excusable

  • Une erreur déterminante
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes»
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
    • Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise» ( 3e civ., 21 sept. 2010).
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné»
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur
  • Une erreur excusable
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple 3e civ., 13 sept. 2005).
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens soc., 3 juill. 1990).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.

==> L’erreur sur les qualités essentielles de la personne

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

En matière de pacs seule l’erreur sur les qualités essentielles du partenaire apparaît pertinente :

  • Principe
    • Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité ( 1133, al. 1 C. civ.).
    • Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.
    • L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
    • Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.
    • Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.
    • Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne.»
    • L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.
    • Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.
  • Notion d’erreur sur la personne
    • L’erreur sur la personne du cocontractant peut porter
      • sur son identité
      • son honorabilité
      • sur son âge
      • sur l’aptitude aux relations sexuelles
      • sur la santé mentale

?) Le dol

==> Notion

Classiquement, le dol est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

Si, de la sorte, le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Lorsqu’il constitue un vice du consentement, le dol doit être distingué de l’erreur

Contrairement au vice du consentement que constitue l’erreur qui est nécessairement spontanée, le dol suppose l’établissement d’une erreur provoquée par le cocontractant.

En matière de dol, le fait générateur de l’erreur ne réside donc pas dans la personne de l’errans, elle est, au contraire, le fait de son cocontractant.

En somme, tandis que dans l’hypothèse de l’erreur, un contractant s’est trompé sur le contrat, dans l’hypothèse du dol ce dernier a été trompé.

==> Application

Le dol n’est pas une cause de nullité du mariage

Cette règle est associée à la célèbre formule du juriste Loysel : « en mariage trompe qui peut » (Institutes coutumières, livre Ier, titre II, no 3).

Le Code civil étant silencieux sur la question du dol en matière de mariage, la jurisprudence en a déduit que ne permettait pas d’obtenir son annulation.

Par analogie, il est fort probable que cette règle soit transposable au pacs

Admettre le contraire reviendrait à prendre le risque d’aboutir à de nombreuses actions en nullité du pacs, ne serait-ce que par le dol peut être invoqué pour tout type d’erreur, peu importe qu’elle soit ou non excusable.

?) La violence

==> Notion

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

Il ressort de cette définition que la violence doit être distinguée des autres vices du consentement pris dans leur globalité, d’une part et, plus spécifiquement du dol, d’autre part.

  • Violence et vices du consentement
    • La violence se distingue des autres vices du consentement, en ce que le consentement de la victime a été donné en connaissance de cause.
    • Cependant, elle n’a pas contracté librement
    • Autrement dit, en contractant, la victime avait pleinement conscience de la portée de son engagement, seulement elle s’est engagée sous l’empire de la menace
  • Violence et dol
    • Contrairement au dol, la violence ne vise pas à provoquer une erreur chez le cocontractant.
    • La violence vise plutôt à susciter la crainte de la victime
    • Ce qui donc vicie le consentement de cette dernière, ce n’est pas l’erreur qu’elle aurait commise sur la portée de son engagement, mais bien la crainte d’un mal qui pèse sur elle.
    • Dit autrement, la crainte est à la violence ce que l’erreur est au dol.
    • Ce qui dès lors devra être démontré par la victime, c’est que la crainte qu’elle éprouvait au moment de la conclusion de l’acte a été déterminante de son consentement
    • Il peut être observé que, depuis l’adoption de la loi n° 2006-399 du 4 avr. 2006, la violence est expressément visée par l’article 180 du Code civil applicable au couple marié.

==> Conditions

Il ressort de l’article 1140 du Code civil que la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis : l’exercice d’une contrainte et l’inspiration d’une crainte.

  • L’exercice d’une contrainte
    • L’objet de la contrainte : la volonté du contractant
      • Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.
      • La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.
    • La consistance de la contrainte : une menace
      • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
      • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
      • Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens
    • Le caractère de la contrainte : une menace illégitime
      • La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.
      • A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
      • La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.
      • En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »
      • Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif» ( 3e civ. 17 janv. 1984).
  • L’inspiration d’une crainte
    • La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.»
    • Aussi, ressort-il de cette disposition que pour que la condition tenant à l’existence d’une crainte soit remplie, cela suppose, d’une part que cette crainte consiste en l’exposition d’un mal considérable, d’autre part que ce mal considérable soit dirigé, soit vers la personne même de la victime, soit vers sa fortune, soit vers ses proches
      • L’exposition à un mal considérable
        • Reprise de l’ancien texte
          • L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.
          • Ainsi, le législateur n’a-t-il nullement fait preuve d’innovation sur ce point-là.
        • Notion
          • Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?
          • Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.
          • Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes
          • Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
          • La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.
          • Dans un arrêt du 13 janvier 1999, la Cour de cassation a par exemple approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé l’annulation d’une vente pour violence morale.
          • La haute juridiction relève, pour ce faire que la victime avait «subi, de la part des membres de la communauté animée par Roger Melchior, depuis 1972 et jusqu’en novembre 1987, date de son départ, des violences physiques et morales de nature à faire impression sur une personne raisonnable et à inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent, alors que séparée de son époux et ayant à charge ses enfants, elle était vulnérable et que ces violences l’avaient conduite à conclure l’acte de vente de sa maison en faveur de la société Jojema afin que les membres de la communauté fussent hébergés dans cet immeuble» ( 3e civ. 13 janv. 1999).
          • Il ressort manifestement de cet arrêt que la troisième chambre civile se livre à une appréciation in concreto.
        • Exclusion de la crainte révérencielle
          • L’ancien article 1114 du Code civil prévoyait que « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. »
          • Cette disposition signifiait simplement que la crainte de déplaire ou de contrarier ses parents ne peut jamais constituer en soi un cas de violence.
          • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que pour qu’une telle crainte puisse entraîner l’annulation d’un contrat, cela suppose qu’elle ait pour fait générateur une menace.
          • Dans un arrêt du 22 avril 1986, la première chambre civile a ainsi admis l’annulation d’une convention en relevant que « l’engagement pris par M.Philippe X… est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d’une mainlevée une fois l’accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d’une reconnaissance de dette antérieure ; qu’elle retient que ces contraintes étaient d’autant plus efficaces qu’à cette époque M.Philippe X… souffrait d’un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d’un jugement libre et éclairé»
          • La haute juridiction en déduit, compte tenu des circonstances que « ces pressions étaient susceptibles d’inspirer à celui qui les subissait la crainte d’exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention» ( 1ère civ. 22 avr. 1996).
          • Manifestement, le pacs se distingue sur cette question du mariage.
          • L’article 180 du Code civil prévoit, en effet, que « l’exercice d’une contrainte sur les époux ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. »
          • Ainsi, tandis qu’en matière de mariage la simple crainte révérencielle est une cause de nullité, tel n’est pas le cas en matière de pacs.
        • L’objet de la crainte
          • Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »
          • Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :
            • soit sa personne
            • soit sa fortune
            • soit celles de ses proches
          • Ainsi, le cercle des personnes visées l’ordonnance du 10 février 2016 est-il plus large que celui envisagé par les rédacteurs du Code civil.

2. La capacité

Conformément à l’article 515-1 du Code civil, il faut être majeur pour être en capacité de conclure un pacs.

Cette règle se justifie par la nature du pacs qui est un contrat. Or conformément à l’article 1145 du Code civil pour contracter il convient de n’être frappé d’aucune incapacité.

L’article 1146 précise que « sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi :

  • Les mineurs non émancipés ;
  • Les majeurs protégés au sens de l’article 425, soit « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre»

À la vérité, le cercle des personnes admises à conclure à conclure un pacs n’est pas le même que celui envisagé par le droit commun des contrats.

  • En premier, le législateur a catégoriquement refusé aux mineurs émancipés de conclure un pacs, ce qui a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 1999 ( Cons ; Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999)
  • En second lieu, les majeurs frappés d’une incapacité ne sont nullement privés de la faculté de conclure un pacs

==> Les majeurs sous tutelle

Dans sa rédaction issue de la loi du 15 novembre 1999, l’article 506-1 du Code civil disposait que « les majeurs placés sous tutelle ne peuvent conclure un pacte civil de solidarité »

Ainsi, les majeurs protégés étaient exclus du champ d’application du pacs.

Cette interdiction a, toutefois, été levée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

L’article 462 du Code civil dispose désormais que « La conclusion d’un pacte civil de solidarité par une personne en tutelle est soumise à l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, après audition des futurs partenaires et recueil, le cas échéant, de l’avis des parents et de l’entourage »

Pour ce faire, « l’intéressé est assisté de son tuteur lors de la signature de la convention. Aucune assistance ni représentation ne sont requises lors de la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil ou devant le notaire instrumentaire prévue au premier alinéa de l’article 515-3. »

==> Les majeures sous curatelle

S’agissant des majeurs sous curatelle, ils sont également autorisés à conclure un pacs.

L’article 461 du Code civil dispose en ce sens que « la personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, signer la convention par laquelle elle conclut un pacte civil de solidarité. »

À la différence du majeur sous tutelle, la personne placée sous curatelle est dispensée de l’assistance de son curateur lors de la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil ou devant le notaire instrumentaire.

==> Les majeurs sous sauvegarde de justice

Aux termes de l’article 435 du Code civil « la personne placée sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits. Toutefois, elle ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné en application de l’article 437. »

Il en résulte qu’elle est parfaitement libre de conclure un pacs, sans qu’aucune restriction ne s’impose à elle.

3. Le contenu licite et certain

Aux termes de l’article 1162 du Code civil « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

Appliquée au pacs cette exigence se traduit par l’obligation, pour les prétendants, d’adhérer à la finalité que le législateur a entendu attacher au pacs : l’organisation de la vie commune des partenaires

Autrement dit, pour être valide, le pacs ne doit pas être fictif, ce qui implique que le consentement des partenaires ne doit pas avoir été simulé.

Au vrai, il s’agit là de la même exigence que celle posée en matière matrimoniale, la jurisprudence prohibant ce que l’on appelle les « mariages blancs ».

Dans un arrêt Appietto du 20 novembre 1963, la Cour de cassation avait estimé en ce sens que « le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1963).

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :

  • Premier enseignement
    • La Cour de cassation considère que lorsque le mariage est fictif, soit lorsque les époux ont poursuivi un résultat étranger à l’union matrimonial, celui-ci doit être annulé pour défaut de consentement.
    • Il s’agit là d’une nullité absolue qui donc peut être invoquée par quiconque justifie d’un intérêt à agir et qui se prescrit par trente ans
  • Second enseignement
    • Il ressort de l’arrêt Appietto que la Cour de cassation opère une distinction entre les effets primaires du mariage et ses effets secondaires
      • Les effets primaires
        • Ils ne peuvent être obtenus que par le mariage
          • Filiation
          • Communauté de biens
      • Les effets secondaires
        • Ils peuvent être obtenus par d’autres biais que le mariage
          • Acquisition de la nationalité
          • Avantages fiscaux
          • Avantages patrimoniaux

Pour déterminer si un mariage est fictif, il convient de se demander si les époux recherchaient exclusivement ses effets secondaires – auquel cas la nullité est encourue – ou s’ils recherchaient et/ou ses effets primaires, en conséquence de quoi l’union est alors parfaitement valide.

De toute évidence, le même raisonnement peut être tenu en matière de pacs, encore que celui-ci procure aux partenaires bien moins d’avantages que n’en procure le mariage aux époux.

La conséquence en est que l’intérêt pour des partenaires de conclure un pacs blanc est pour le moins limité.

C) Les conditions tenant à la filiation des partenaires

Bien que le pacs s’apparente à un contrat, le législateur a posé un certain nombre d’empêchement qui interdisent à certaines personnes de conclure un pacs entre elles, interdictions qui tienne à des considérations d’ordre public.

==> Les empêchements qui tiennent au lien de parenté

L’article 515-2 du Code civil prévoit que, à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacs :

  • Entre ascendant et descendant en ligne directe
    • L’ascendant est la personne dont est issue une autre personne (le descendant) par la naissance ou l’adoption
    • Ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père.
    • La ligne directe est celle des parents qui descendent les uns des autres
    • Ainsi, les ascendants et descendants en ligne directe correspond à la ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père

Schéma 1.JPG

  • Entre alliés en ligne directe
    • Les alliés sont, par rapport à un époux, les parents de son conjoint (beau-père, belle-mère, gendre, bru etc…).

Schéma 2.JPG

  • Entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus
    • La ligne collatérale est celle des parents qui ne descendent pas les uns des autres mais d’un auteur commun
    • Le degré correspond à un intervalle séparant deux générations et servant à calculer la proximité de la parenté, chaque génération comptant pour un degré
    • L’article 741 du Code civil dispose que « la proximité de parenté s’établit par le nombre de générations ; chaque génération s’appelle un degré. »

Schéma 3.JPG

==> Les empêchements qui tiennent à la polygamie

Bien que le pacs soit ouvert aux couples formés entre deux personnes de même sexe, le législateur n’a pas souhaité reconnaître la polygamie.

Ainsi, a-t-il transposé, au pacs, l’interdiction posée à l’article 147 du Code civil qui prévoit que « on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. »

Dans le droit fil de cette disposition l’article 515-2 dispose que, à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité :

  • Entre deux personnes dont l’une au moins est engagée dans les liens du mariage
  • Entre deux personnes dont l’une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité

Il peut toutefois être observé que l’article 515-7, al. 3 du Code civil autorise une personne engagée dans les liens du pacs à se marier, d’où il s’ensuit une rupture de la première union.

Pacs et mariage ne sont ainsi, sur cet aspect, pas mis sur un même pied d’égalité. Si l’existence d’une union matrimoniale fait obstacle à la conclusion d’un pacs, l’inverse n’est pas.

Ces deux formes d’union conjugale se rejoignent néanmoins sur le principe de prohibition de la polygamie : dans les deux cas, l’inobservation de cette interdiction est sanctionnée par la nullité absolue.

II) Les conditions de forme

La conclusion d’un pacs est subordonnée à la réunion de trois conditions de forme

A) L’établissement d’une convention

==> Établissement d’un écrit

Aux termes de l’article 515-3 du Code civil « à peine d’irrecevabilité, les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité produisent la convention passée entre elles à l’officier de l’état civil, qui la vise avant de la leur restituer.»

Il ressort de cette disposition que la conclusion d’un pacs suppose l’établissement d’une convention. Il s’agit là d’une condition dont l’inobservance est sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande d’enregistrement du pacs.

Aussi, dans l’hypothèse où un pacs serait enregistré, en violation de cette exigence, il n’en demeurait pas moins valide.

Toutefois, l’article 515-3-1 du Code civil précise que « le pacte civil de solidarité ne prend effet entre les parties qu’à compter de son enregistrement, qui lui confère date certaine»

D’aucuns considère qu’il s’infère de cette disposition que l’établissement d’un écrit est exigé à peine de nullité.

Selon nous, il convient néanmoins de ne pas confondre la validité du pacs de son opposabilité.

Il peut être observé que dans sa rédaction antérieure, l’article 515-3 exigeait que les partenaires produisent une convention en double original ce qui, ipso facto, excluait la possibilité de recourir à l’acte authentique celui-ci ne comportant qu’un seul original : celui déposé au rang des minutes du notaire instrumentaire.

Aussi, la convention sur laquelle était assis le pacs ne pouvait être établie que par acte sous seing privé.

Pour remédier à cette anomalie le législateur a modifié, à l’occasion de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, l’article 515-3 lequel prévoit désormais en son alinéa 5 que « lorsque la convention de pacte civil de solidarité est passée par acte notarié, le notaire instrumentaire recueille la déclaration conjointe, procède à l’enregistrement du pacte et fait procéder aux formalités de publicité prévues à l’alinéa précédent. »

==> Le contenu de la convention

La circulaire n°2007-03 CIV du 5 février 2007 relative à la présentation de la réforme du pacte civil de solidarité est venue préciser ce qui devait être prévu par la convention conclue par les partenaires

  • Sur la convention en elle-même
    • Aucune forme ni contenu particulier autres que ceux prévus par les règles de droit commun applicables aux actes sous seing privé ou authentiques ne sont requis, de sorte que la convention peut simplement faire référence aux dispositions de la loi du 15 novembre 1999 et aux articles 515-1 à 515-7 du code civil.
    • La convention doit toutefois être rédigée en langue française et comporter la signature des deux partenaires.
    • Si l’un des partenaires est placé sous curatelle assortie de l’exigence de l’autorisation du curateur pour conclure un pacte civil de solidarité, la convention doit porter la signature du curateur à côté de celle de la personne protégée.
    • Il appartient au greffier de vérifier la qualité du curateur contresignataire de la convention en sollicitant la production de la décision judiciaire le désignant, ainsi que la photocopie d’un titre d’identité.
    • Il ne revient pas au greffier d’apprécier la validité des clauses de la convention de pacte civil de solidarité, ni de conseiller les parties quant au contenu de leur convention. S’il est interrogé par les partenaires sur ce point, il importe qu’il les renvoie à consulter un notaire ou un avocat.
    • Si la convention paraît contenir des dispositions contraires à l’ordre public, le greffier informe les partenaires du risque d’annulation. Si les intéressés maintiennent ces dispositions, il doit enregistrer le pacte en les informant qu’il en saisit le procureur de la République
    • À titre d’exemple, il pourra être considéré que seraient manifestement contraires à l’ordre public des dispositions d’une convention de PACS qui excluraient le principe d’aide matérielle et d’assistance réciproques entre partenaires ou le principe de solidarité entre partenaires à l’égard des tiers pour les dettes contractées par chacun d’eux au titre des dépenses de la vie courante.
    • Enfin, l’officier de l’état civil vérifiera qu’ont été respectées les conditions prévues aux articles 461 et 462 du code civil applicables lorsque l’un des partenaires est placé sous curatelle ou sous tutelle
  • Documents annexes à produire
    • Pièce d’identité
      • Le greffier doit tout d’abord s’assurer de l’identité des partenaires.
      • À cette fin, chaque partenaire doit produire l’original de sa carte nationale d’identité ou de tout autre document officiel délivré par une administration publique comportant ses noms et prénoms, la date et le lieu de sa naissance, sa photographie et sa signature, ainsi que l’identification de l’autorité qui a délivré le document, la date et le lieu de délivrance de celui-ci.
      • Il en va de même chaque fois que les partenaires doivent justifier de leur identité.
      • Le greffe conserve une copie de ce document.
    • Pièces d’état civil
      • La production des pièces d’état civil doit permettre au greffier de déterminer qu’il n’existe pas d’empêchement légal à la conclusion du pacte civil de solidarité au regard des articles 506-1, 515-1 et 515-2 du code civil.
      • Les pièces permettant de vérifier que ces trois séries de conditions sont réunies diffèrent selon que l’état civil des partenaires est ou non détenu par l’autorité française.
      • Dans tous les cas, doit être jointe une déclaration sur l’honneur par laquelle les partenaires indiquent n’avoir entre eux aucun lien de parenté ou d’alliance qui constituerait un empêchement au pacte civil de solidarité en vertu de l’article 515-2 du code civil.

B) L’enregistrement du pacs

==> Enregistrement auprès de l’officier d’état civil

  • Le transfert de compétence
    • Aux termes de l’article 515-3 du Code civil « les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune ou, en cas d’empêchement grave à la fixation de celle-ci, devant l’officier de l’état civil de la commune où se trouve la résidence de l’une des parties. »
    • Dorénavant, c’est donc auprès de l’officier d’état civil qu’il convient de faire enregistrer un pacs.
    • En 1999, le législateur avait prévu que le pacs devait être enregistré auprès du greffe du Tribunal d’instance.
    • Les députés avaient voulu marquer une différence avec le mariage.
    • Lors de son intervention en 2016, le législateur n’a toutefois pas souhaité conserver cette différence de traitement entre le pacs et le mariage.
    • Pour ce faire, il s’est appuyé sur le constat que les obstacles symboliques qui avaient présidé en 1999 au choix d’un enregistrement au greffe du tribunal d’instance avaient disparu.
    • Ainsi, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a-t-elle transféré aux officiers de l’état civil les compétences anciennement dévolues aux greffes des tribunaux d’instance.
  • La procédure d’enregistrement
    • La circulaire du 10 mai 2017 de présentation des dispositions en matière de pacte civil de solidarité issues de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et du décret du 6 mai 2017 relatif au transfert aux officiers de l’état civil de l’enregistrement des déclarations, des modifications et des dissolutions des pactes civils de solidarité précise la procédure d’enregistrement du pacs.
    • Elle prévoit notamment qu’il appartient au maire de chaque commune de déterminer s’il souhaite faire enregistrer les PACS dès que les partenaires se présentent en mairie ou s’il souhaite mettre en place un système de prise de rendez-vous de déclaration conjointe de PACS.
    • Par ailleurs, le formulaire Cerfa de déclaration de PACS, accompagné des pièces justificatives, pourra être transmis par les partenaires par correspondance à la mairie chargée d’enregistrer le PACS en amont de l’enregistrement de la déclaration conjointe de conclusion de PACS.
    • Cette transmission peut s’effectuer par voie postale ou par téléservice et permettra une analyse du dossier de demande de PACS par les services de la commune en amont de la déclaration conjointe.
    • Un téléservice, reprenant les champs du formulaire Cerfa, pourra être mis en œuvre par les communes qui le souhaitent dans le respect du référentiel général de sécurité des systèmes d’information.

==> Compétence territoriale

  • Le lieu de la résidence commune
    • L’article 515-3 prévoit que les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune
    • La circulaire du 10 mai 2017 précise que les intéressés n’ont pas besoin de résider déjà ensemble au moment de la déclaration.
    • En revanche, ils doivent déclarer à l’officier de l’état civil l’adresse qui sera la leur dès l’enregistrement du pacte.
  • La notion de résidence commune
    • La « résidence commune » doit s’entendre comme étant la résidence principale des intéressés quel que soit leur mode d’habitation (propriété, location, hébergement par un tiers).
    • La résidence désignée par les partenaires ne peut donc correspondre à une résidence secondaire.
    • En particulier, deux ressortissants étrangers résidant principalement à l’étranger ne peuvent valablement conclure un PACS.
  • La preuve de la résidence commune
    • Les partenaires feront la déclaration de leur adresse commune par une attestation sur l’honneur.
    • Aucun autre justificatif n’est à exiger mais l’officier de l’état civil doit appeler l’attention des intéressés sur le fait que toute fausse déclaration est susceptible d’engager leur responsabilité pénale.
  • L’incompétence de l’officier d’état civil
    • Lorsque la condition de résidence n’est pas remplie, l’officier de l’état civil rendra une décision d’irrecevabilité motivée par son incompétence territoriale.
    • Cette décision est remise aux intéressés avec l’information qu’ils disposent d’un recours devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés.
    • S’agissant des décisions d’irrecevabilité prises par l’autorité diplomatique ou consulaire, celles-ci pourront être contestées auprès du président du tribunal de grande instance de Nantes statuant en la forme des référés.

==> Comparution conjointe des partenaires

  • Principe
    • Il ressort de l’article 515-3 du Code civil que pour faire enregistrer leur déclaration de pacte civil de solidarité, les partenaires doivent se présenter en personne et ensemble à la mairie dans laquelle ils fixent leur résidence commune.
    • En raison du caractère éminemment personnel de cet acte, ils ne peuvent recourir à un mandataire.
    • Il est par ailleurs rappelé qu’en l’absence de dispositions en ce sens, les partenaires ne peuvent exiger la tenue d’une cérémonie pour enregistrer leur PACS, contrairement aux dispositions régissant le mariage.
    • Toutefois, le maire de chaque commune pourra prévoir à son initiative l’organisation d’une telle célébration qui pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une délégation des fonctions d’officier de l’état civil à l’un ou plusieurs fonctionnaires titulaires de la commune au même titre que l’ensemble des attributions dont l’officier de l’état civil a la charge en matière de PACS.
  • Exceptions
    • En cas d’empêchement momentané de l’un des partenaires
      • Si l’un des deux partenaires est momentanément empêché, l’officier de l’état civil devra inviter celui qui se présente seul à revenir ultérieurement avec son futur partenaire pour l’enregistrement du PACS.
    • En cas d’empêchement durable de l’un des partenaires
      • Lorsque l’un des partenaires est empêché et qu’il ne paraît pas envisageable de différer l’enregistrement dans un délai raisonnable, l’officier de l’état civil pourra se déplacer jusqu’à lui.
      • En cas d’hospitalisation ou d’immobilisation à domicile, l’impossibilité durable de se déplacer jusqu’à la mairie devra être justifiée par un certificat médical.
        • Si le partenaire empêché se trouve sur le territoire de la commune, l’officier de l’état civil se déplacera auprès de lui pour constater sa volonté de conclure un PACS avec le partenaire non empêché.
          • Il importe que l’officier de l’état civil dispose de la convention de PACS et s’assure que le partenaire empêché est bien le signataire de celle-ci.
          • La procédure d’enregistrement se poursuivra aussitôt à la mairie en présence du seul partenaire non empêché.
        • Si le partenaire empêché se trouve hors le territoire de la commune, l’officier de l’état civil transmettra à l’officier de l’état civil de la commune de résidence du partenaire empêché une demande de recueil de déclaration de volonté de conclure un PACS, précisant l’identité des intéressés et l’adresse du lieu dans lequel se trouve le partenaire empêché.
          • À la réception de cette demande, l’officier de l’état civil destinataire se déplacera pour constater la volonté de l’intéressé de conclure un PACS, qu’il consignera par tous moyens et transmettra à l’officier de l’état civil qui l’a saisi.
          • La procédure d’enregistrement se poursuivra alors à la mairie en présence du seul partenaire non empêché.
          • Une telle organisation pourra notamment être retenue lorsque l’un des partenaires est incarcéré pour une longue période et se trouve ainsi durablement empêché.

==> Vérification des pièces produites par les partenaires

L’officier de l’état civil qui constate que le dossier est incomplet devra inviter les partenaires à le compléter.

Il n’y a pas lieu, dans cette hypothèse, de rendre une décision d’irrecevabilité, sauf à ce que les partenaires persistent dans leur refus de produire une ou plusieurs pièces justificatives.

En revanche, si l’officier de l’état civil constate, au vu des pièces produites par les partenaires, soit une incapacité, soit un empêchement au regard des articles 515-1 ou 515-2 du code civil, il devra refuser d’enregistrer la déclaration de PACS.

Ce refus fera alors l’objet d’une décision motivée d’irrecevabilité dont l’officier de l’état civil conservera l’original, une copie certifiée conforme étant remise aux partenaires.

Cette décision d’irrecevabilité est enregistrée, au même titre que les déclarations, modifications et dissolutions de PACS, l’enregistrement devant préciser la date et le motif de la décision d’irrecevabilité

La décision d’irrecevabilité mentionne par ailleurs que les partenaires peuvent exercer un recours devant le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés

S’agissant des contestations relatives aux décisions d’irrecevabilité prises par l’autorité diplomatique ou consulaire, celles-ci seront portées devant le président du tribunal de grande instance de Nantes statuant en la forme des référés.

==> Modalités d’enregistrement

Après avoir procédé aux vérifications décrites ci-dessus et s’être assuré que les partenaires ont bien entendu conclure un pacte civil de solidarité, l’officier de l’état civil enregistre la déclaration conjointe de PACS.

Les déclarations conjointes de PACS sont enregistrées, sous forme dématérialisée, au sein de l’application informatique existante dans les communes pour traiter des données d’état civil

Ce n’est qu’à défaut d’une telle application informatique que l’enregistrement des PACS s’effectue dans un registre dédié, qui devra satisfaire aux conditions de fiabilité, de sécurité et d’intégrité fixées par arrêté à paraître du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre des affaires étrangères.

S’il ne s’agit pas d’un registre de l’état civil, les pages de ce registre doivent néanmoins être numérotées et utilisées dans l’ordre de leur numérotation.

Ce registre dédié fait par ailleurs l’objet d’une durée de conservation particulière, qui est de 75 ans à compter de sa clôture ou de 5 ans à compter du dernier PACS dont la dissolution y a été enregistrée, si ce dernier délai est plus bref.

Conformément à l’article 4 du décret n° 2006-1807 du 23 décembre 2006 modifié, l’officier de l’état civil enregistre :

  • Les prénoms et nom, date et lieu de naissance de chaque partenaire
  • Le sexe de chaque partenaire
  • La date et le lieu d’enregistrement de la déclaration conjointe de PACS
  • Le numéro d’enregistrement de cette déclaration.
  • Le numéro d’enregistrement doit être composé impérativement de 15 caractères comprenant :
    • le code INSEE de chaque commune (5 caractères)
    • l’année du dépôt de la déclaration conjointe de PACS (4 caractères)
    • le numéro d’ordre chronologique (6 caractères).
  • La numérotation étant annuelle, elle ne doit pas s’effectuer de manière continue mais recommencer à la première unité au début de chaque année.
  • De manière concomitante à l’enregistrement de la déclaration conjointe de PACS, l’officier de l’état civil vise en fin d’acte, après avoir numéroté et paraphé chaque page et en reportant sur la dernière le nombre total de pages, la convention qui lui a été remise par les partenaires.
  • Le visa consiste en l’apposition du numéro et de la date d’enregistrement de la déclaration, de la signature et le sceau de l’officier de l’état civil :
  • La date portée par l’officier de l’état civil sur la convention est celle du jour de l’enregistrement de la déclaration de PACS.

L’officier de l’état civil restituera aux partenaires la convention dûment visée sans en garder de copie.

Il rappelle à ces derniers que la conservation de la convention relève de leur responsabilité et les invitera à prendre toutes mesures pour en éviter la perte

==> Conservation des pièces

L’article 7 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006 modifié dispose que: « Sans préjudice de la sélection prévue à l’article L.212-3 du code du patrimoine, les pièces suivantes sont conservées, pendant une durée de cinq ans à compter de la date de la dissolution du pacte civil de solidarité, par l’officier de l’état civil auprès duquel la convention est enregistrée ou par les agents diplomatiques et consulaires lorsque le pacte civil de solidarité a fait l’objet d’une déclaration à l’étranger :

  • Les pièces, autres que la convention, qui doivent être produites en application du présent décret en vue de l’enregistrement de la déclaration de pacte civil de solidarité, parmi lesquelles la photocopie du document d’identité ;
  • La déclaration écrite conjointe prévue au quatrième alinéa de l’article 515-7 du code civil ;
  • La copie de la signification prévue au cinquième alinéa de l’article 515-7 du code civil ;
  • L’avis de mariage ou de décès visé à l’article 3 du présent décret. »

Ainsi, l’officier de l’état civil devra conserver, après enregistrement d’un PACS conclu :

  • La pièce d’identité et les pièces d’état civil
  • le formulaire Cerfa de déclaration de PACS contenant les informations relatives aux futurs partenaires ainsi que leur déclaration sur l’honneur de résidence commune et d’absence de lien de parenté ou d’alliance
  • les récépissés des avis de mention transmis à/aux officier(s) de l’état civil dépositaire(s) des actes de naissance des partenaires et/ou au service central d’état civil assurant la publicité des PACS dont l’un au moins des partenaires est de nationalité étrangère né à l’étranger.

La convention de PACS doit être restituée aux partenaires de sorte qu’aucune copie ne peut être conservée par l’officier de l’état civil.

Les pièces précitées devront être conservées pendant une durée de cinq ans à compter de la date de dissolution du PACS.

À l’issue de ce délai, ces pièces feront l’objet d’une destruction,

Enfin, il est précisé que la conservation des pièces ayant permis l’enregistrement de la déclaration de PACS s’effectue en principe sous un format papier.

Toutefois, leur conservation électronique est possible si les modalités de leur conservation respectent les conditions fixées dans le cadre de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

En effet, l’article 1379 du code civil présume « fiable jusqu’à preuve contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »

Si une telle option était privilégiée par la commune, cette dernière devrait ainsi respecter les conditions de l’archivage électronique des données prévues par le décret n° 2016-1673 du 5 décembre 2016 relatif à la fiabilité des copies et pris pour l’application de l’article 1379 du code civil.

La possibilité de détruire les pièces papier devra être validée par l’accord écrit de la personne en charge du contrôle scientifique et technique sur les archives, à savoir, pour les communes, le directeur des archives départementales territorialement compétent.

C) La publicité du pacs

  • Principe
    • Aux termes de l’article 515-3, al. 4 du Code civil « l’officier de l’état civil enregistre la déclaration et fait procéder aux formalités de publicité. »
    • La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste l’accomplissement des formalités de publicité pour l’officier d’état civil.
    • Pour le déterminer, il convient de se tourner vers l’article 515-3-1 qui précise que « il est fait mention, en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, de la déclaration de pacte civil de solidarité, avec indication de l’identité de l’autre partenaire ».
    • Cette disposition précise que « pour les personnes de nationalité étrangère nées à l’étranger, cette information est portée sur un registre tenu au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères.»
    • Par ailleurs, les conventions modificatives sont soumises à la même publicité
    • Enfin, il peut être observé que lorsque la convention de pacte civil de solidarité est passée par acte notarié, le notaire instrumentaire, en plus de recueillir la déclaration conjointe, de procéder à l’enregistrement du pacte, il lui appartient d’accomplir les formalités de publicité du pacs
    • Pour ce faire, il doit transmettre à l’officier de l’état civil du lieu de naissance des partenaires un avis aux fins d’inscription à l’état civil.
  • Modalités de publicité
    • L’officier de l’état civil ayant enregistré la déclaration de PACS doit envoyer sans délai un avis de mention aux officiers de l’état civil dépositaires des actes de naissance des partenaires.
    • Ces avis de mention sont envoyés par courrier ou, le cas échéant, par voie dématérialisée dans le cadre du dispositif COMEDEC (COMmunication Electronique de Données d’Etat Civil), plateforme d’échanges mise en œuvre par le décret n° 2011-167 du 10 février 2011.
    • Dans l’hypothèse de la mise à jour d’actes de l’état civil étranger, l’officier de l’état civil saisi transmet l’avis de mention correspondant à l’autorité désignée pour le recevoir, conformément à la convention bilatérale ou multilatérale applicable.
    • À défaut, l’officier de l’état civil saisi rappelle à l’intéressé, d’une part, qu’il lui appartient d’effectuer des démarches auprès de l’autorité locale compétente tendant à la reconnaissance du PACS et, d’autre part, que cette décision pourrait ne pas être reconnue par les autorités de cet Etat.
    • Les officiers de l’état civil destinataires de l’avis de mention doivent procéder à la mise à jour des actes de naissance des partenaires dans les trois jours (article 49 du code civil).
    • Après avoir apposé la mention de déclaration de PACS en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, l’officier de l’état civil retourne à l’autorité ayant enregistré le PACS (officier de l’état civil, poste diplomatique ou consulaire, notaire) le récépissé figurant sur l’avis de mention.
    • Il est précisé que la date d’apposition de la mention de PACS en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire n’a pas à être enregistrée par l’officier de l’état civil ayant reçu la déclaration de PACS.
    • En revanche, ledit récépissé devra être classé au dossier contenant les autres pièces dont l’officier de l’état civil doit assurer la conservation.

D) L’opposabilité du pacs

  • L’opposabilité du pacs entre les partenaires
    • L’article 515-3-1, al. 2 prévoit que le pacte civil de solidarité ne prend effet entre les parties qu’à compter de son enregistrement, qui lui confère date certaine.
    • Afin que les partenaires puissent justifier immédiatement du PACS enregistré, l’officier de l’état civil leur remet un récépissé d’enregistrement
    • La preuve de l’enregistrement du PACS peut également être effectuée par les partenaires au moyen du visa apposé par l’officier de l’état civil sur leur convention de PACS.
    • Il est noté que l’officier de l’état civil peut délivrer un duplicata du récépissé d’enregistrement en cas de perte par les partenaires de l’original de la convention de PACS et sur production d’une pièce d’identité.
  • L’opposabilité du pacs à l’égard des tiers
    • Il ressort de l’article 515-3-1, al. 2 que, à l’égard des tiers, le pacs est opposable, non pas à compter de son enregistrement, mais à compter du jour où les formalités de publicité sont accomplies.
    • Ainsi, l’officier de l’état civil ayant enregistré le PACS avise sans délai, par le biais d’un avis de mention, l’officier de l’état civil détenteur de l’acte de naissance de chaque partenaire afin qu’il y soit procédé aux formalités de publicité.
    • Si l’un des partenaires est de nationalité étrangère et né à l’étranger, l’avis est adressé au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, à charge pour celui-ci de porter sans délai la mention de la déclaration de PACS sur le registre mentionné à l’article 515-3-1 alinéa 1er du code civil.
    • Enfin, si l’un des partenaires est placé sous la protection juridique et administrative de l’OFPRA, l’avis est adressé à cet office (Décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006, article 6).

[1] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[2] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[3] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[4] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[5] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

Le régime juridique de la subrogation (légale et conventionnelle): notion, conditions, effets

I) Définition

A) Notion de subrogation

Dérivée du latin subrogare, la notion de subrogation évoque l’idée de remplacement, ce qui peut expliquer pourquoi elle est parfois confondue avec la cession de créance qui produit le même effet, mais dont le régime juridique est différent.

?Les formes de la délégation

Au vrai, le droit civil connaît deux formes très distinctes de subrogation :

  • La subrogation réelle
    • Elle réalise la substitution, dans un patrimoine, d’une chose par une autre.
    • Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé
    • Aussi, cette opération intéresse moins le droit des obligations que le droit des biens
  • La subrogation personnelle
    • Elle réalise la substitution, dans un rapport d’obligation, d’une personne par une autre.
    • Plus précisément, la subrogation personnelle opère substitution d’une personne, le subrogé, dans les droits d’un créancier, appelé subrogeant, à qui la première paie une dette à la place du débiteur

?Les fonctions de la délégation

Il ressort de la définition de la subrogation personnelle qu’il s’agit là d’une opération pour le moins singulière.

En principe, le paiement effectué, même par un tiers, a seulement pour effet d’éteindre le rapport d’obligation.

Pourtant, par le jeu de la subrogation, ledit rapport subsiste à la faveur du subrogé qui dispose d’un recours contre le débiteur.

Le Doyen Mestre a défini la subrogation personnelle en ce sens comme « la substitution d’une personne dans les droits attachés à la créance dont une autre est titulaire, à la suite d’un paiement effectué par la première entre les mains de la seconde ».

Ainsi, la subrogation personnelle remplit-elle deux fonctions bien distinctes

  • L’accessoire à un paiement
    • En ce que la subrogation a pour effet d’éteindre la créance du subrogeant, elle s’analyse toujours en un paiement
    • Elle consiste toutefois en un paiement spécifique, en ce que, dans le même temps, elle a pour effet d’opérer un transfert de créance.
  • Le transfert d’une créance
    • La subrogation est pourvue de cette particularité de maintenir, nonobstant le paiement du créancier, le rapport d’obligation et ses accessoires, de sorte que le débiteur demeure toujours tenu
    • Pour ce faire, la subrogation opère donc un transfert de la créance dont est titulaire le créancier subrogeant à la faveur du subrogé.
    • Ce maintien du rapport d’obligation se justifie par la nécessité de fonder le recours du tiers solvens, faveur et profit conforme à l’impératif d’équité alors que le créancier, par hypothèse désintéressé, n’y trouverait plus d’utilité, et neutre à l’égard du débiteur dont la situation ne peut être aggravée.

Au regard de ces deux fonctions remplies par la subrogation, immédiatement la question se pose de savoir quelle fonction prime sur l’autre ?

Lors de la réforme des obligations, le législateur a intégré la subrogation dans la partie du Code civil consacrée au paiement.

Il en résulte que la subrogation s’analyserait moins en une opération sur obligation qu’à un paiement. Pourtant, l’évolution des fonctions de la subrogation suggérait la solution inverse.

En effet, si l’on s’attache à physionomie actuelle et à la place qu’elle occupe en droit des assurances ou en droit de la sécurité sociale, la subrogation est surtout envisagée :

  • D’une part, comme un mécanisme objectif gouvernant les recours tiers payeurs ou tiers garants
  • D’autre part, comme un mode original de transmission de créance à titre principal, se distinguant seulement de la cession de créance, en ce qu’elle intervient à titre accessoire à un paiement.

En conséquence, il aurait sans aucun doute été plus judicieux de traiter de la subrogation dans la partie dédiée aux opérations sur obligation.

Tel n’a pas été le choix du législateur qui finalement a retenu une conception somme toute classique de la subrogation.

Pour justifier sa solution, il est précisé dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 que « la subrogation, souvent considérée aujourd’hui comme une opération purement translative de créance, est délibérément maintenue dans le chapitre consacré à l’extinction de l’obligation, dans la section relative au paiement, ce qui permet de rappeler qu’elle est indissociablement liée à un paiement fait par un tiers, qui libère un débiteur – totalement ou partiellement – envers son créancier, et qu’elle ne constitue pas une opération translative autonome, mais une modalité du paiement. »

B) Distinctions

?Subrogation personnelle et cession de créance

  • Définition
    • Contrairement à la cession de créance qui a pour objet un transfert de droits, la subrogation réalise une substitution de personne ou de chose.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit certes les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • Toutefois, elle s’en distingue sur un point majeur
      • En matière de subrogation personnelle, le transfert de créance intervient à titre accessoire à un paiement.
      • En matière de cession de créance, le transfert de créance constitue l’objet principal de l’opération.
    • Ainsi, la subrogation consiste-t-elle en un paiement par une personne autre que le débiteur de sa dette qui, du fait de ce paiement, devient titulaire dans la limite de ce qu’il a payé, de la créance et ses accessoires.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
    • Tel n’est pas le cas en matière de cession de créance : les parties ont seulement pour intention de transférer un rapport d’obligation moyennant le paiement d’un prix.
  • Effet de l’opération
    • Particularité de la subrogation personnelle, elle n’opère qu’à concurrence de ce qui a été payé par le subrogé. Et pour cause : elle est une modalité de paiement.
    • Ainsi, la subrogation se distingue-t-elle de la cession de créances qui autorise le cessionnaire à actionner le débiteur en paiement pour le montant nominal de la créance, alors même que le prix de cession aurait été stipulé pour un prix inférieur.
    • Tel est le cas, lorsque le cessionnaire s’engage à garantir le cédant du risque d’insolvabilité du débiteur cédé.
    • L’intérêt de la cession de créance réside, dans cette hypothèse, dans la possibilité pour le cessionnaire d’exiger le montant de la totalité de la créance, indépendamment du prix de cession convenu par les parties.
    • Le subrogé ne peut, quant à lui, recouvrer sa créance que dans la limite de ce qu’il a payé et non au regard du montant nominal de la créance.
  • Consentement
    • À la différence de la cession de créance qui requiert le consentement du créancier cédant, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

?Subrogation personnelle et délégation

  • Définition
    • La délégation et la subrogation personnelle se rejoignent sur un point majeur
    • En effet, ces deux opérations consistent en un paiement par une personne autre (le délégué) que le débiteur (le délégant) de sa dette.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
  • Objet de l’opération
    • contrairement à la subrogation personnelle, la délégation n’opère pas de transfert de la créance détenue par le délégant contre le délégué à la faveur du délégataire.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • En matière de délégation, aucun transfert de créance ne se réalise.
    • L’opération opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La subrogation personnelle
      • Le débiteur est autorisé à opposer au subrogé toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au subrogeant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la subrogation, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la subrogation, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »
  • Consentement
    • À la différence de délégation qui requiert toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

II) Les sources de la subrogation

Le mécanisme de subrogation est susceptible d’être mise en œuvre :

  • Soit par l’effet de la loi
  • Soit par l’effet du contrat

A) La subrogation légale

Lorsque la subrogation est d’origine légale, elle est attachée, de plein droit, au paiement d’une dette par un tiers solvens lequel disposera ensuite d’un recours contre le débiteur.

Toutefois, le tiers solvens qui paie la dette d’autrui ne pourra se prévaloir de la subrogation qu’à la condition de répondre aux exigences posées par la loi.

À défaut, il devra supporter seul le poids de la dette, sans possibilité de se retourner contre le débiteur qui est alors totalement libéré de son obligation, alors même qu’il n’a rien réglé.

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient opté pour une énonciation exhaustive des cas de subrogation (V. en ce sens Cass. civ. 3 juill. 1854), lors de la réforme des obligations le législateur a fait montre de souplesse en refusant d’enfermer les cas de subrogation dans une liste.

Aussi, afin de mieux comprendre le sens et le contenu de la réforme convient-il, en premier lieu, de faire état du droit antérieur.

1. L’état du droit avant la réforme des obligations

L’ancien article 1251 du Code civil prévoyait 5 cas de subrogation légale :

?Premier cas de subrogation

La subrogation joue « au profit de celui qui étant lui-même créancier paie un autre créancier qui lui est préférable à raison de ses privilèges ou hypothèques ».

Cette hypothèse correspondant à la situation où plusieurs créanciers sont inscrits sur l’un des immeubles dont est propriétaire leur débiteur.

La valeur de cet immeuble est insuffisante pour les désintéresser tous, mais suffisante pour éteindre la créance du premier créancier inscrit.

Tandis que ce dernier a tout intérêt à réaliser sa sûreté, le créancier de rang subséquent peut craindre de ne rien toucher du produit de la vente du bien.

Au mieux, celui-ci peut espérer bénéficier d’une plus-value à venir de l’immeuble.

Pour ce faire, il aura tout intérêt à payer lui-même le créancier de rang supérieur en contrepartie de la créance privilégiée de celui-ci.

Le moment venu, soit lorsque la plus-value sera suffisante, il pourra, à son tour, réaliser son hypothèque de premier rang.

Cet intérêt que les créanciers de rang subséquent sont susceptibles de manifester est digne de considération, sans compter que cette situation incite à régler au plus vite le créancier privilégié afin de le dissuader de mettre en œuvre sa sûreté.

D’où l’ouverture par le législateur en 1804 d’un cas de subrogation légale au profit des créanciers de rang subséquent.

La jurisprudence avait toutefois estimé que la subrogation légale ne pouvait pas jouer dans l’hypothèse où l’accipiens était de rang égal ou inférieur au tiers solvens, ce qui a pu être regretté.

?Deuxième cas de subrogation

La subrogation joue « au profit de l’acquéreur d’un immeuble, qui emploie le prix de son acquisition au paiement des créanciers auxquels cet héritage était hypothéqué »

Cette situation correspond à l’hypothèse d’un immeuble hypothéqué au bénéfice de plusieurs créanciers.

Cet immeuble est néanmoins vendu à un tiers à un prix inférieur au montant du passif global.

En raison du droit de suite conféré par l’hypothèque, l’acquéreur s’expose à un risque de saisie s’il règle sa dette entre les mains du vendeur.

Aussi, a-t-il plutôt intérêt à payer directement les créanciers dans l’ordre des inscriptions et à libérer son immeuble à due concurrence des sûretés qui le grèvent.

Il demeure cependant toujours exposé au risque de saisie par les créanciers non remplis de leurs droits.

Aussi, afin de le protéger de ce risque, le législateur lui ouvre le bénéfice de la subrogation légale, en ce sens qu’il va se subroger dans les droits des créanciers qu’il a désintéressés, de sorte que, en cas de saisie de l’immeuble, il primera sur les créanciers de rang subséquent quant à la perception du prix de vente de l’immeuble.

La subrogation dissuadera alors ces derniers d’engager une procédure de saisie.

?Troisième cas de subrogation

La subrogation joue « au profit de l’héritier bénéficiaire qui a payé de ses deniers les dettes de la succession. »

Cette hypothèse correspond à la situation où un héritier a accepté une succession à concurrence de l’actif net, soit sous bénéfice d’inventaire.

L’article 802 du Code civil institue une limite au droit de gage général des créanciers, en ce que les dettes de la succession ne seront pas exécutoires sur ses biens personnels.

En d’autres termes, l’héritier n’est tenu des dettes de la succession que dans la limite des biens qu’il reçoit.

Cependant, il peut avoir intérêt à payer les créanciers successoraux avec ses deniers personnels afin de faciliter la liquidation de la succession et, par exemple, éviter la vente forcée d’un bien.

C’est la raison pour laquelle la loi lui consent le bénéfice de la subrogation, afin qu’il puisse se faire rembourser auprès des cohéritiers.

?Quatrième cas de subrogation

La subrogation joue « au profit de celui qui a payé de ses deniers les frais funéraires pour le compte de la succession. »

Ce nouveau cas de subrogation légale a été introduit par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Il vise à permettre au tiers solvens, qui a acquitté les frais funéraires avec ses propres deniers, de ses retourner contre les cohéritiers afin de se faire rembourser.

?Cinquième cas de subrogation

La subrogation joue « au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt de l’acquitter ».

Il s’agit là du cas de subrogation le plus large, ce d’autant plus que le législateur s’est appuyé sur ce cas pour énoncer un principe général.

  • Les hypothèses envisagées par le législateur
    • Elles sont au nombre de deux :
      • Celui qui est « tenu avec d’autres »
        • Il s’agit de l’hypothèse où des codébiteurs sont tenus à une obligation solidaire
        • Le créancier peut alors actionner en paiement chacun d’entre eux pour le tout
        • La loi permet à celui qui a réglé de se subroger dans les droits du créancier afin de se retourner contre ses codébiteurs
      • Celui qui est « tenu pour d’autres »
        • Il s’agit de l’hypothèse où une personne est le débiteur accessoire d’une obligation, tels la caution ou le donneur d’aval en matière cambiaire.
        • Dans l’hypothèse où le garant est actionné en paiement par le créancier, la lui permet, au moyen d’une subrogation, d’exercer un recours contre le débiteur principal
  • Le principe général dégagé par la jurisprudence
    • Il ressort de la lettre de l’ancien article 1251, 3° du Code civil que le législateur n’a pas envisagé consentir le bénéfice de la subrogation à celui qui a réglé une dette personnelle dont il est tenu envers le créancier.
    • Seules les personnes qui ont réglé une dette solidaire ou la dette d’un tiers sont susceptibles de se prévaloir de la subrogation.
    • Pourtant, il est un certain nombre de cas où lorsqu’un débiteur a payé une dette qui lui était personnelle, se profile un second débiteur qui, parce qu’il a tiré avantage de l’extinction de l’obligation, doit assurer la charge définitive de la dette.
    • Il s’agit notamment du cas de l’assureur de dommages.
    • Par son paiement, il libère le tiers responsable ou coresponsable sur qui doit peser totalement ou partiellement la charge définitive de la dette.
    • Aussi, afin de lui permettre d’exercer un recours, la jurisprudence, puis le législateur, lui ont ouvert le droit de se subroger dans les droits de son assuré.
    • Le lien avec l’idée d’un tiers solvens tenu avec d’autres ou pour d’autres, en somme le lien avec la dette d’autrui, se retrouve et l’esprit du texte est préservé.
    • Le principe général posé par la jurisprudence a été consacré en dehors du Code civil par des textes spéciaux.
      • Le recours de l’assureur
        • L’article L. 121-12 du Code des assurances dispose que « l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur. »
      • Le recours du tiers payeur
        • Le législateur a institué une liste de tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime d’un dommage corporel, quelle que soit la nature de l’événement ayant occasionné ce dommage
        • Y figurent les Caisses de sécurité sociale et les établissements et services gérant un régime obligatoire de sécurité sociale (EDF, SNCF, RATP).
        • Ces derniers bénéficient d’un recours subrogatoire contre l’auteur du dommage dont est victime leur affilié.

2. L’état du droit positif

?L’élargissement du domaine d’application de la subrogation légale

Lors de l’adoption de la réforme des obligations, le législateur a entendu rénover les règles relatives à la subrogation personnelle.

Dans cette perspective, l’ordonne du 10 février 2016 a élargi le champ d’application de la subrogation légale en abolissant la liste – à l’origine exhaustive – des cas de subrogation légale prévus à l’ancien article 1251 du Code civil.

Ainsi, dépassant les hypothèses spécifiques figurant aujourd’hui dans le code civil ainsi que dans divers textes spéciaux, le bénéfice de la subrogation légale est généralisé.

Le nouvel article 1346 du Code civil prévoit en ce sens que « la subrogation a lieu par le seul effet de la loi au profit de celui qui, y ayant un intérêt légitime, paie dès lors que son paiement libère envers le créancier celui sur qui doit peser la charge définitive de tout ou partie de la dette. »

Cet élargissement du domaine d’application de la subrogation légale vise à entériner la jurisprudence qui, à partir de l’article 1251, avait dégagé un principe général.

?L’exigence d’un intérêt légitime

Le bénéfice de la subrogation légale n’est pas sans condition.

L’article 1346 exige que le tiers solvens, pour bénéficier de la subrogation, justifie d’un intérêt légitime.

L’exigence de cet intérêt au paiement permet d’éviter qu’un tiers totalement étranger à la dette et qui serait mal intentionné (dans des relations de concurrence par exemple) puisse bénéficier de la subrogation légale.

Il ne faudrait pas, en effet, que ce tiers puisse, par le jeu de la subrogation, s’ingérer dans les affaires du débiteur et l’actionner en paiement pour lui nuire.

Reste à savoir ce que l’on doit entendre par intérêt légitime.

  • D’une part, cette notion vise tous les anciens cas de subrogation légale prévus par l’ancien article 1251 du Code civil
  • D’autre part, la notion d’intérêt légitime permet d’envisager que le cas où un débiteur a payé une dette qui lui était personnelle, tandis que se profile en arrière-plan un second débiteur qui, parce qu’il a tiré avantage de l’extinction de l’obligation, doit assurer la charge définitive de la dette.
  • Enfin, la notion d’intérêt peut être envisagée négativement en déniant à un tiers qui poursuivrait un but illégitime, et plus généralement qui serait de mauvaise foi, le bénéfice de la subrogation légale

B) La subrogation conventionnelle

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, bien qu’encadrée par les textes, la subrogation conventionnelle est, par définition, abandonnée à la volonté des parties.

Elle a notamment vocation à jouer dans des hypothèses où l’effet de la loi ne permet pas de bénéficier de la subrogation.

Il ressort de la combinaison des articles 1346-1 et 1346-2 que la subrogation conventionnelle peut intervenir :

  • Soit à l’initiative du créancier : on parle de subrogation ex parte creditoris
  • Soit à l’initiative du débiteur : on parle de subrogation ex parte debitoris

1. La subrogation ex parte creditoris

?Principe

L’article 1346-1 du Code civil prévoit que « la subrogation conventionnelle s’opère à l’initiative du créancier lorsque celui-ci, recevant son paiement d’une tierce personne, la subroge dans ses droits contre le débiteur. »

Cette forme de subrogation procède donc d’une convention conclue entre le créancier accipiens et le tiers solvens dans le cas où ce dernier ne peut pas bénéficier d’une subrogation légale.

Le débiteur n’y prend aucune part dans la mesure où cette convention ne modifie pas sa situation.

?Ratio legis

Compte tenu de cette généralisation de la subrogation légale, il aurait pu être envisagé de supprimer la subrogation conventionnelle ex parte creditoris (c’est-à-dire de la part du créancier), qui semblait dès lors inutile.

Toutefois, les inquiétudes formulées par de nombreux professionnels, qui ont souligné la fréquence du recours à la subrogation conventionnelle dans la pratique des affaires, notamment dans des techniques de financement telles que l’affacturage, justifient de la maintenir, afin de ne pas créer d’insécurité juridique.

?Conditions

Trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette forme de subrogation conventionnelle opère :

  • Un consentement exprès
    • L’article 1346-1 du Code civil prévoit que la subrogation ex parte creditoris doit être expresse
    • Cela signifie que les parties doivent avoir clairement exprimé leur volonté de conclure une subrogation conventionnelle
    • Aucune formule sacramentelle n’est toutefois exigée
    • Dans un arrêt du 18 octobre 2005, la Cour de cassation a clairement rejeté la possibilité que la subrogation puisse être tacite (Cass. 1ère civ. 18 oct. 2005, n°04-12.513).
    • Pour constater la subrogation, il est d’usage que, en contrepartie du paiement, le créancier délivre au tiers solvens une quittance subrogatoire.
  • Une subrogation concomitante au paiement
    • Aux termes de l’alinéa 3 de l’article 1346-1 du Code civil, pour être valide la subrogation « doit être consentie en même temps que le paiement, à moins que, dans un acte antérieur, le subrogeant n’ait manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement. La concomitance de la subrogation et du paiement peut être prouvée par tous moyens »
    • Il ressort de cette disposition que la subrogation doit nécessairement être concomitante au paiement.
    • La raison en est que la subrogation est constitutive d’un mode de paiement ; elle est son accessoire.
    • On ne saurait, en conséquence, envisager qu’elle soit déconnectée du paiement.
    • Cela signifie que la subrogation ne peut intervenir, ni avant, ni après.
      • Si la subrogation intervient avant le paiement
        • Elle s’analyse en une cession de créance ou éventuellement en une promesse de délégation
        • Elle sera alors soumise au régime de la figure juridique à laquelle elle correspond
      • Si la subrogation intervient après le paiement
        • Elle est sans objet, car le paiement a produit son effet extinctif
        • Autrement dit, dans la mesure où le paiement a désintéressé créancier accipiens, le tiers solvens ne saurait se subroger dans ses droits, qui par hypothèse, sont éteints
        • Après le paiement, la créance ne peut revivre
    • Ainsi la subrogation ne se conçoit pas en dehors d’un paiement.
    • L’article 1346-1 du Code civil admet tout au plus que les parties puissent convenir, dans une convention antérieure, que le tiers solvens sera subrogé dans les droits du créancier accipiens au moment du paiement.
    • Dans un arrêt du 29 janvier 1991, la Cour de cassation avait affirmé en ce sens que « la condition de concomitance de la subrogation au paiement, exigée par l’article 1250, 1°, du Code civil, peut être remplie lorsque le subrogeant a manifesté expressément, fût-ce dans un document antérieur, sa volonté de subroger son cocontractant dans ses créances à l’instant même du paiement » (Cass. com. 29 janv. 1991, n°89-10.085).
    • A contrario, cela signifie que la subrogation ne saurait être envisagée rétroactivement : le paiement a eu pour effet d’éteindre le rapport d’obligation qui donc ne peut plus faire l’objet d’aucun transfert.
  • Un paiement effectué par le tiers solvens
    • Pour que la subrogation opère, il est nécessaire que le paiement ait été directement effectué par le tiers solvens ou par son mandataire
    • Aussi, dans l’hypothèse où le paiement aurait été effectué par le débiteur au moyen de deniers que lui aurait prêté un tiers, ce dernier ne saurait se prévaloir du bénéfice de la subrogation.

?Application : l’affacturage

La subrogation conventionnelle ex parte creditoris se rencontre notamment en matière d’affacturage, domaine dans lequel elle joue un rôle essentiel

L’affacturage consiste en l’opération par laquelle un créancier, l’adhérent, transfert à un établissement de crédit, le factor qualifié également d’affactureur, des créances commerciales par le jeu d’une subrogation personnelle moyennant le paiement d’une commission.

Ainsi, l’affactureur s’engage-t-il à régler, par anticipation, tout ou partie des créances qui lui sont transférées par l’adhérent ce qui permet à ce dernier d’être réglé immédiatement des créances à court terme qu’il détient contre ses propres clients.

L’une des principales caractéristiques de l’affacturage réside dans l’engagement pris par le factor de garantir à la faveur de l’adhérent le paiement des créances qui lui sont transférées.

Autrement dit, le factor s’engage à supporter le risque d’impayé en lieu et place de l’adhérent.

L’affacturage se distingue, dès lors, de l’escompte, du contrat de mandat ou encore de l’assurance-crédit.

L’opération d’affacturage repose sur le mécanisme de la subrogation personnelle.

L’affactureur (tiers solvens subrogé) paie l’adhérent (créancier subrogeant) qui, en contrepartie, lui transmet la titularité de la créance qu’il détient contre son client (débiteur subrogataire).

2. La subrogation ex parte debitoris

?Principe

Il y a subrogation ex parte debitoris lorsque le débiteur emprunte une somme d’argent à l’effet de payer sa dette et de subroger le prêteur dans les droits du créancier.

L’article 1346-2 du Code civil prévoit en ce sens que « la subrogation a lieu également lorsque le débiteur, empruntant une somme à l’effet de payer sa dette, subroge le prêteur dans les droits du créancier

Ainsi, dans ce cas de subrogation conventionnelle, c’est le débiteur qui est à l’initiative de l’opération.

Le créancier est donc tiers à la convention subrogatoire.

L’opération s’explique lorsque les conditions de remboursement du prêteur, qui entend être subrogé par le débiteur, sont plus intéressantes que celles convenues avec le créancier originaire.

L’ordonnance du 10 février 2016 s’est inspirée du droit positif pour cette forme de subrogation.

?Conditions

Il ressort de l’article 1346-2 du Code civil que les conditions de la subrogation ex parte creditoris ne sont pas les mêmes selon qu’elle intervient avec ou sans le concours du créancier.

  • La subrogation intervient avec le concours du créancier
    • Dans cette hypothèse, trois conditions doivent être réunies :
      • La subrogation doit être consentie par le débiteur
      • La subrogation doit être expresse
      • La quittance donnée par le créancier doit indiquer l’origine des fonds.
  • La subrogation intervient sans le concours du créancier
    • Les conditions de fond
      • La dette doit être échue
      • Le terme doit être stipulé à la faveur du débiteur en ce sens qu’il doit être le seul à pouvoir y renoncer
    • Les conditions de forme
      • Il faut que l’acte d’emprunt et la quittance soient passés devant notaire (en la forme authentique)
      • Dans l’acte d’emprunt il doit être déclaré que la somme a été empruntée pour faire le paiement
      • Dans la quittance il doit être déclaré que le paiement a été fait des sommes versées à cet effet par le nouveau créancier.

III) Les effets de la subrogation

Comme précisé par le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, le régime de la subrogation, s’il s’inspire des solutions classiques prévues dans le code civil ou admises par la jurisprudence, est néanmoins clarifié sur plusieurs points :

  • Sur les droits du créancier, auquel la subrogation ne peut nuire
  • Sur la transmission des accessoires de la créance et sur l’intérêt auquel peut prétendre le subrogé
  • Sur l’opposabilité de la subrogation au débiteur et aux tiers
  • Sur les exceptions que peut opposer le débiteur au créancier subrogé

A) La transmission de la créance

Aux termes de l’article 1346-4 du Code civil « la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires ».

Il ressort de cette disposition que la subrogation produit un effet translatif. Ainsi, la créance du subrogeant fait l’objet d’une transmission à la faveur du tiers subrogé.

Cette opération opère un transfert d’actif d’un patrimoine à un autre à l’instar de la cession de créance. Le tiers subrogé se retrouve substitué dans les droits du titulaire originaire de la créance.

La conséquence en est que le subrogé ne saurait acquérir plus de droits que n’en avaient le subrogeant au moment de la subrogation.

1. L’objet de la transmission

?La créance principale

Il ressort de l’article 1346 du Code civil que la subrogation a pour effet de transmettre au subrogé la créance principale

Toutefois cette disposition précise, dans le même temps, que la subrogation n’opère qu’à concurrence des sommes payées par le tiers solvens au créancier

C’est là une grande différence avec la cession de créance

Contrairement au cessionnaire qui peut agir contre le débiteur pour le montant nominal de la créance sans égard pour le prix de cession éventuellement inférieur qu’il a réglé, le subrogé ne bénéficie de l’effet translatif de la subrogation qu’à la hauteur de ce qu’il a payé.

Cela s’explique par la nature de la subrogation qui est indéfectiblement attachée au paiement, de sorte qu’elle suit le même sort

?Les accessoires de la créance

L’article 1346 du Code civil prévoit que la subrogation a également pour effet de transmettre au subrogé les accessoires de la créance

Ce sera ainsi le cas des sûretés et privilèges attachés à la créance, des garanties (vice caché, éviction), des actions en responsabilité etc.

?Exclusion des droits attachés à la personne

L’article 1346 dispose que la subrogation n’opère pas de transmission « des droits exclusivement attachés à la personne du créancier »

Il s’agit de tous les droits consentis par le débiteur au subrogeant en considération de sa personne, soit qui présentent un caractère intuitu personae

Sont également visées toutes les prérogatives qui sont strictement attachées à la qualité du subrogeant

Dans un arrêt du 25 novembre 1992 la Cour de cassation a par exemple affirmé que « la suspension de la prescription dont bénéficie un mineur, qui lui est purement personnelle, cesse de produire effet à l’égard de la partie subrogée dans ses droits à partir du jour de la subrogation » (Cass. 2e civ. 25 nov. 1992, n°94-13.665).

2. Les limites de la transmission

?Le paiement partiel

Aux termes de l’article 1346-3 du Code civil « la subrogation ne peut nuire au créancier lorsqu’il n’a été payé qu’en partie ; en ce cas, il peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel ».

Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où le créancier n’a reçu qu’un paiement partiel de sa créance sans avoir renoncé au surplus de sa créance, celle-ci est alors fractionnée :

  • Le subrogeant demeure titulaire de la créance à concurrence du reliquat non payé
  • Le subrogé ne devient titulaire de la créance qu’à concurrence de ce qu’il a payé

Cette règle se justifie pour deux raisons :

  • Première raison
    • L’effet translatif de la subrogation ne saurait nuire en aucune manière au subrogeant
    • Or tel serait le cas si la subrogation lui interdisait d’exercer tout recours contre le débiteur en cas de paiement partiel
    • C’est là une autre distinction avec la cession de créance qui, dès lors que le prix a été payé par le cessionnaire, prive le cédant de tout recours contre le débiteur.
  • Seconde raison
    • Dans la mesure où la subrogation repose sur le paiement, ses effets en sont à la mesure
    • En conséquence, lorsque le paiement est partiel, l’effet translatif de la subrogation ne peut être partiel
    • Tant que le créancier subrogeant n’est pas rempli dans ses droits, il doit demeurer titulaire de la fraction de créance dont il n’a pas été réglé.

?La priorité de paiement du créancier subrogeant

La question s’est posée de savoir si, en cas de paiement partiel, il n’y avait pas co-titularité conjointe des obligations.

Autrement dit, doit-on considérer que le subrogeant et le subrogé sont sur un même pied d’égalité s’agissant du droit – fractionné – de créance dont ils sont titulaires ?

La lecture de l’article 1346-3 révèle qu’il convient d’apporter une réponse négative à cette question.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que, en cas de paiement partiel, le créancier subrogeant « peut exercer ses droits, pour ce qui lui reste dû, par préférence à celui dont il n’a reçu qu’un paiement partiel. »

Ainsi, si le subrogé se voit transmettre une créance hypothécaire de 1.000.000 euros en contrepartie d’un paiement de 500.000 euros et que l’immeuble est adjugé à 750.000 euros, le subrogeant percevra 500.000 euros et le subrogé 250.000 euros.

L’effet translatif n’aura donc pas opéré à concurrence du paiement du subrogé en raison de la préférence accordée au subrogeant. D’où l’adage nemo contra se subrogare censetur qui signifie que « nul n’est censé avoir subrogé contre soi ».

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence avait toutefois limité l’application de cette règle aux seules créances assorties d’une sûreté ou d’un privilège.

Lorsque la créance est chirographaire, la Cour de cassation estimait que le créancier subrogeant ne disposait d’aucun privilège (V. en ce sens Cass. 3e civ. 12 févr. 2003, n°01-12.234).

De toute évidence, la réforme est venue remettre en cause cette jurisprudence, dans la mesure où l’article 1346-3 ne distingue pas selon la nature de la créance.

Celui-ci n’est cependant pas d’ordre public, de sorte que les parties pourront y déroger.

3. Le sort des intérêts

La question s’est posée de savoir si le subrogé avait le droit aux intérêts conventionnels prévus dans le contrat initialement conclu entre le créancier subrogeant et le débiteur.

Dans un arrêt du 29 octobre 2002, la Cour de cassation avait répondu par la négative à cette question.

Au soutien de sa décision, elle avait affirmé que « la subrogation est à la mesure du paiement ; que le subrogé ne peut prétendre, en outre, qu’aux intérêts produits au taux légal par la dette qu’il a acquittée, lesquels, en vertu du second, courent de plein droit à compter du paiement » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2002, n°00-12.703).

Cette solution repose donc sur l’idée que, en ce que la subrogation est assise sur le paiement, c’est celui-ci qui constitue le fait générateur du droit de créance du subrogé.

En conséquence, il ne peut prétendre qu’aux intérêts au taux légal qui courent à compter de la date du paiement.

Cass. 1ère civ. 29 oct. 2002

Attendu que, par acte sous seing privé du 4 novembre 1986, le Crédit lyonnais a consenti à M. Dikran X… et à Mme Françoise X… un prêt de la somme de 200 000 francs, au taux effectif global de 12,33 % l’an, remboursable moyennant cent quatre vingt versements mensuels d’un montant de 2 442,96 francs, chacun ; que Mme Patricia X… s’est portée caution solidaire du remboursement de ce prêt par acte sous seing privé du 8 octobre 1986 comportant la mention manuscrite suivante : “lu et approuvé, bon pour caution solidaire de la somme de deux cent mille francs, plus les intérêts frais et accessoires” ;

qu’en conséquence de la défaillance des emprunteurs, le Crédit logement, qui s’était également porté caution solidaire du remboursement de ce même prêt, a payé le solde de celui-ci au Crédit lyonnais et a exercé un recours contre Mme Patricia X…, sur le fondement de quittances subrogatives des 3 janvier 1990 et 6 juillet 1992 ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :

Vu les articles 1252 et 2033 du Code civil ;

Attendu, selon le premier des textes susvisés, que la subrogation est à la mesure du paiement ; que le subrogé ne peut prétendre, en outre, qu’aux intérêts produits au taux légal par la dette qu’il a acquittée, lesquels, en vertu du second, courent de plein droit à compter du paiement ;

Attendu que pour condamner Mme Patricia X…, à payer, pour sa part et portion, au Crédit logement les intérêts conventionnels de la dette cautionnée échus après la date des paiements faits par celui-ci au Crédit lyonnais, les juges du second degré ont retenu que le Crédit logement était conventionnellement subrogé dans les droits du Crédit lyonnais ; qu’en statuant ainsi, ils ont violé, par fausse application, les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais uniquement en ce qu’il a condamné Mme Patricia X… à payer au Crédit logement les intérêts au taux de 12,33 % calculés sur la somme de 120 496,43 francs à compter du 7 octobre 1994, l’arrêt rendu le 3 juin 1998, entre les parties, par la cour d’appel d’Agen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux

L’ordonnance du 10 février 2016 a maintenu cette jurisprudence.

L’article 1346-4 du Code civil prévoit en ce sens que « le subrogé n’a droit qu’à l’intérêt légal à compter d’une mise en demeure, s’il n’a convenu avec le débiteur d’un nouvel intérêt. »

Toutefois, les intérêts commencent à courir, non pas à compter de la date du paiement comme affirmé en 2002 par la Cour de cassation, mais à partir de la mise en demeure adressée au débiteur.

Par ailleurs, le texte précise que « ces intérêts sont garantis par les sûretés attachées à la créance, dans les limites, lorsqu’elles ont été constituées par des tiers, de leurs engagements initiaux s’ils ne consentent à s’obliger au-delà. »

B) L’opposabilité de la subrogation

Il convient de distinguer le régime de l’opposabilité de la subrogation au débiteur de celui applicable à l’opposabilité aux tiers.

?L’opposabilité de la subrogation au débiteur

  • La date d’opposabilité
    • L’article 1346-5 distingue selon que la subrogation est invoquée par le créancier subrogé ou par le débiteur
      • La subrogation est invoquée par le débiteur
        • Dans cette hypothèse il peut invoquer la subrogation dès qu’il en a connaissance
        • Aucune démarche particulière ne doit être accomplie pour que le débiteur puisse se prévaloir de la subrogation
      • La subrogation est invoquée par le créancier subrogé
        • Dans cette hypothèse, il ne pourra opposer la subrogation au débiteur que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte.
        • Il faudra, autrement dit, que le subrogé parvienne à démontrer que la subrogation a été portée à la connaissance du débiteur pour qu’il puisse s’en prévaloir.
  • L’opposabilité des exceptions
    • L’article 1346-5 prévoit que le débiteur peut opposer au créancier subrogé deux sortes d’exceptions :
      • Les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes
      • Les exceptions nées de ses rapports avec le subrogeant avant que la subrogation lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes.
    • Le principe d’opposabilité des exceptions au subrogé repose sur l’idée que celui-ci ne saurait acquérir plus de droit que n’en avait le subrogeant.
    • Il est, dans ces conditions, logique que le débiteur puisse opposer au subrogé toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au subrogeant.

?L’opposabilité de la subrogation aux tiers

L’article 1346-5 prévoir que « la subrogation est opposable aux tiers dès le paiement. »

Cette règle présente un intérêt en cas de concours de créanciers.

Ce n’est donc pas la date de notification de la quittance subrogative au débiteur dont il être tenu compte pour déterminer la date du transfert de la créance, mais bien la date du paiement.

Le régime juridique de la délégation: notion, conditions, effets

I) Définition

A) Notion de délégation

Définie à l’article 1336 du Code civil, la délégation est présentée comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. ».

Il ressort de cette définition que la délégation est constituée de deux composantes :

  • L’ordre du délégant envers le délégué
  • L’engagement du délégué envers le délégataire

Ainsi, la délégation permet-elle de réaliser un double paiement simplifié de deux obligations préexistantes.

?Conceptions de la délégation

Deux visions de la délégation s’affrontent en doctrine :

  • La vision extensive de la délégation
    • Selon cette vision, la qualification de délégation repose, le plus souvent, sur le constat que l’obligation du délégué est destinée à se superposer à deux obligations préexistantes :
      • L’obligation du délégué envers le délégant
      • L’obligation du délégant le délégataire
    • Dans cette configuration, la délégation permet ainsi de réaliser un double paiement simplifié en éteignant, à hauteur du montant le plus faible :
      • La dette du délégué envers le délégant
      • La dette du délégant envers le délégataire
    • Cependant, rien n’empêche que la délégation vienne se greffer :
      • Soit sur une seule obligation préexistante
        • Dans cette hypothèse, de deux choses l’une :
          • Ou bien l’obligation préexistante existe entre le délégué et le délégant, auquel cas la délégation permet de réaliser une donation ou un prêt indirect à la faveur du délégataire et ne peut être alors qu’une délégation simple.
          • Ou bien l’obligation préexistante lie le délégant au seul délégataire, auquel cas la délégation, qui peut être simple ou novatoire, permet de payer la dette du délégant ou de constituer une garantie au profit du délégataire, ce que l’on appelle la délégation-sûreté.
      • Soit sur aucune obligation préexistante
        • Dans cette hypothèse, la délégation permet de réaliser une double donation indirecte ou d’un double prêt indirect entre
          • D’une part, le délégant et le délégataire
          • D’autre part, le délégué et le délégant
  • La vision restrictive de la délégation
    • Selon cette vision, la qualification de délégation ne se justifie que s’il existe une obligation préexistante entre le délégué et le délégant.
    • Plusieurs hypothèses doivent alors être envisagées :
      • Une obligation existe entre le délégant et le délégataire, mais pas entre le délégué et le délégant
        • Il s’agit alors, selon la cause de l’engagement du délégué,
          • Soit d’un contrat visant la libération du débiteur-délégant
          • Soit d’un cautionnement ou d’une garantie autonome
      • Aucune obligation n’existe, ni entre le délégant et le délégataire, ni entre le délégué et le délégant
        • La cause de l’obligation du délégué est alors à rechercher dans ses rapports avec le délégant :
          • Soit il a la volonté de consentir une donation
          • Soit il a la volonté de consentir un prêt indirect
        • En toute hypothèse, l’engagement du délégué représente l’exécution d’une promesse de donation ou de prêt implicite et concomitante à la formation de la délégation.
        • En somme, il y a quand même une obligation préexistante entre le délégué et le délégant, laquelle constitue le support juridique nécessaire de la délégation.

?Position de la jurisprudence

Par un arrêt du 21 juin 1994, la Cour de cassation a partiellement consacré la vision extensive de la délégation en considérant que l’existence d’une obligation préexistante entre le délégué et le délégant n’était pas inhérente à la qualification de délégation.

Autrement dit, une délégation peut être stipulée en dehors de toute obligation contractée antérieurement entre le délégué et le délégant (Cass. com. 21 juin 1994, n°91-19.281).

Cass. com. 21 juin. 1994

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt critiqué (Montpellier, 25 juin 1991), qu’à la demande de M. Y…, qui devait une somme de 56 379,18 francs à M. A…, M. X… a émis un chèque de même montant à l’ordre de Ano, nom de l’entreprise personnelle de celui-ci, lequel l’a encaissé ; que M. X… a assigné M. A… en restitution de cette somme en prétendant qu’il l’avait indûment payée ;

Attendu que M. X… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d’une part, que la délégation de créance proprement dite ne peut servir de cadre à une simple libéralité et suppose l’existence, non seulement d’une créance du délégataire sur le délégant, mais également d’une créance de ce dernier sur le délégué ; que, dès lors, en affirmant qu’il importait peu que M. X… ait ou non été débiteur de M. Y… dont il a réglé la dette à M. Z… et que les conditions d’une délégation étaient réunies du seul fait de la remise, par M. X… à M. Y…, du chèque à l’ordre de Ano et de l’acceptation de ce chèque par cet établissement créancier de M. Y…, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1275 du Code civil ; et alors, d’autre part, que, pour résister à la demande en répétition de l’indu, M. Z… s’est borné à prétendre qu’il aurait été réglé dans le cadre d’une délégation de créance par M. X…, lequel serait débiteur de M. Y… ; que, dans ces conditions, si l’arrêt devait être interprété comme fondé sur une intention libérale de M. X… envers M. Y…, il serait alors entaché d’une méconnaissance des termes du litige en violation de l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d’une part, qu’après avoir retenu que l’opération litigieuse était une délégation et que M. X…, délégué, s’était engagé en toute connaissance de cause à l’égard de M. A…, délégataire, c’est à bon droit que l’arrêt déclare qu’il importait peu que M. X… ait été, ou non, débiteur à l’égard de M. Y…, délégant ;

Attendu, d’autre part, que la cour d’appel n’a pas déclaré qu’en s’engageant à l’égard de M. A…, M. X… avait eu l’intention de faire une libéralité à M. Y… ;

Que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

?Réforme des obligations

La lecture des articles 1336 et 1337 du Code civil confirme l’absence d’exigence d’obligation préexistante préalablement à la réalisation d’une opération de délégation.

Il importe peu, en conséquence, que le délégué soit créancier du délégant pour que la délégation soit valable.

La conception extensive de la délégation l’a emporté sur la vision restrictive.

?Délégation certaine et délégation incertaine

La distinction entre la délégation certaine et incertaine est d’origine purement doctrinale. Elle permet d’envisager l’influence du ou des rapports d’obligation préexistant sur l’engagement du délégué.

Le délégué est, en effet, susceptible de s’engager à la faveur du délégataire dans le cadre de deux schémas distincts :

  • La délégation certaine
    • Dans cette configuration, le délégué s’engage envers le délégataire sans référence à une obligation préexistante
    • Son engagement est donc des plus abstraits, en ce sens que les rapports délégant / délégué et délégant délégataire sont insusceptibles d’influer sur son existence
    • La conséquence en est que le principe d’inopposabilité des exceptions est absolu, il ne connaît aucune dérogation à l’exception de la fraude.
  • La délégation incertaine
    • Dans cette configuration, le délégué s’engage envers le délégataire en considération
      • Soit de l’obligation préexistante qui le lie au délégant
      • Soit de l’obligation préexistante qui le lie le délégant au délégataire
    • La délégation repose alors sur l’une des obligations préexistantes, en ce sens que le délégué s’engage à concurrence du montant qu’il doit au délégant ou de ce qui est par celui-ci dû au délégataire.
    • Il en résulte que le principe d’inopposabilité des exceptions est susceptible d’être écarté, en particulier dans l’hypothèse où, en cas de novation, l’obligation ancienne serait nulle.

Au total, il apparaît que l’intérêt de la distinction entre la délégation certaine et la délégation incertaine réside dans l’application du principe d’inopposabilité des exceptions qui, lorsque la délégation est incertaine, peut céder sous l’effet d’une exception tirée d’une obligation préexistante.

B) Formes de la délégation

Deux formes de délégation doivent être distinguées :

  • La délégation simple
  • La délégation novatoire

?La délégation simple ou imparfaite

La délégation simple, dite imparfaite, correspond à l’hypothèse où, lors de la réalisation de l’opération, le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire, ce qui confère à ce dernier deux débiteurs :

  • Le délégant
  • Le délégué

La délégation simple est envisagée à l’article 1338 du Code civil qui prévoit que :

  • D’une part, lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l’a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur.
  • D’autre part, le paiement fait par l’un des deux débiteurs libère l’autre, à due concurrence.

Manifestement, la figure de la délégation simple est de loin la plus fréquente car présente l’avantage pour le délégataire de disposer d’un débiteur supplémentaire (le délégant).

?La délégation novatoire ou parfaite

La délégation novatoire, dite parfaite, correspond à l’hypothèse où, lors de la réalisation de l’opération, le délégant est déchargé de son obligation envers le délégataire qui accepte de n’avoir comme seul débiteur le délégué.

La délégation opère ainsi un changement de débiteur, sans pour autant que la créance détenue par le délégant à l’encontre du délégué soit transférée au délégataire.

Ce changement de débiteur se réalise au moyen d’une novation, soit de la création d’un nouveau rapport d’obligation (entre le délégué et le délégataire) lequel se substitue au rapport préexistant entre le délégant et le délégué.

La délégation simple est envisagée à l’article 1337 du Code civil qui prévoit que

  • D’une part, lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation
  • D’autre part, le délégant demeure tenu s’il s’est expressément engagé à garantir la solvabilité future du délégué ou si ce dernier se trouve soumis à une procédure d’apurement de ses dettes lors de la délégation.

C) Distinctions

?Délégation de paiement et cession de créance

  • Objet de l’opération
    • Définie à l’article 1336 du Code civil la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur.
    • À la différence de la cession de créance, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de créance, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La cession de créance
      • Le débiteur cédé est autorisé à opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au créancier cédant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la cession, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la cession de créance, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »
  • Consentement
    • Contrairement à la cession de créance qui ne suppose pas le consentement du débiteur cédé, tiers à l’opération, la délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.

?Délégation et cession de dette

Plusieurs différences opposent radicalement la délégation de la cession de dette.

  • Définition
    • Délégation et cession de dette se rejoignent en ce que ces deux opérations consistent en une substitution de débiteur
    • Lorsque toutefois la délégation est simple, il s’agit moins d’une substitution que d’un ajout de débiteur, le délégant n’étant pas déchargé de son obligation envers le délégataire.
  • Objet de l’opération
    • À la différence de la cession de dette, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de dette, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Consentement du tiers
    • La délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.
    • En cela, la délégation se rapproche de la cession de dette.
    • Toutefois, elle s’en distingue dans la mesure où la dette du délégant envers le délégataire n’est nullement transférée au délégué
    • La délégation opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

?Délégation et indication de paiement

L’article 1340 du Code civil prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

L’indication de paiement consiste ainsi pour un débiteur ou un créancier à désigner une tierce personne quant à effectuer le paiement de la dette.

Contrairement à la délégation, l’indication de paiement ne crée aucun rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

Cette opération assure simplement le règlement de la dette du débiteur.

L’indication de paiement se rapproche ainsi du mandat de payer qui peut prendre la forme, par exemple, d’une autorisation de prélèvement.

L’indication adressée au créancier ou au débiteur vaut seulement information de ce que la dette sera payée par un tiers désigné.

Elle n’emporte en rien opposabilité, ni novation de l’obligation.

?Délégation et subrogation personnelle

  • Définition
    • La délégation et la subrogation personnelle se rejoignent sur un point majeur
    • En effet, ces deux opérations consistent en un paiement par une personne autre (le délégué) que le débiteur (le délégant) de sa dette.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
  • Objet de l’opération
    • Contrairement à la subrogation personnelle, la délégation n’opère pas de transfert de la créance détenue par le délégant contre le délégué à la faveur du délégataire.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • En matière de délégation, aucun transfert de créance ne se réalise.
    • L’opération opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La subrogation personnelle
      • Le débiteur est autorisé à opposer au subrogé toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au subrogeant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la subrogation, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la subrogation, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »
  • Consentement
    • À la différence de délégation qui requiert toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

II) Conditions

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que la délégation ne suppose pas le respect de conditions de forme.

Aucun formalisme n’est requis, ni pour la validité de l’opération, ni pour son opposabilité aux tiers à l’inverse de la cession de créance par exemple (V. en ce sens les articles 1322 à 1324 du Code civil).

La validité de la délégation n’est, à la vérité, subordonnée à la satisfaction d’une celle condition : le consentement des personnes intéressées à la délégation

?Sur l’exigence de consentement

Pour mémoire, l’article 1336 du Code civil définit la délégation comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. »

Il ressort de cette disposition que la délégation soit valide, cela suppose :

  • D’abord, que le délégant accepte que le paiement effectué par le délégué à la faveur du délégataire éteigne sa créance à concurrence de ce qui a été réglé
  • Ensuite, que le délégué consente à s’engager envers le délégataire de telle sorte qu’il est tenu personnellement envers ce dernier
  • Enfin, que le délégataire accepte un nouveau débiteur et, en cas de délégation novatoire, que le délégant soit déchargé de son obligation envers lui.

?Sur l’expression du consentement

  • Principe
    • Le consentement des personnes intéressées à la délégation peut être tout autant exprès que tacite
    • L’article 1336 du Code civil ne pose aucune exigence en particulier s’agissant de son expression.
  • Tempérament
    • S’agissant du délégué
      • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 3 avril 2012 « si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation » (Cass. com. 3 avr. 2012, n°10-24.641).
      • Ainsi, l’acceptation du délégué ne saurait se déduire de sa seule abstention.
      • Il est nécessaire qu’un certain nombre de circonstances établissent son consentement à l’opération.
      • Cette solution se justifie par la portée de l’engagement du délégué lequel s’oblige personnellement envers le délégataire.
    • S’agissant du délégataire
      • Dans l’hypothèse où la délégation est seulement imparfaite, soit n’a pas pour effet de décharger le délégant de son obligation envers le délégataire, il est indifférent que l’acceptation de ce dernier soit expresse ou tacite (V. en ce sens Cass. req. 27 févr. 1856).
      • Toutefois, lorsque la délégation est parfaite, soit lorsqu’elle opère novation, l’article 1337 du Code civil exige que le consentement du délégataire soit exprès.
      • Cette disposition prévoit que « lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation. »

III) Effets

La délégation est une opération qui implique trois personnes de sorte qu’elle produit des effets dans les rapports entre :

  • le délégant et le délégué
  • le délégant et le délégataire
  • le délégué et le délégataire

Ces effets portent, en premier lieu, sur le sort du rapport d’obligation, en second lieu, sur les exceptions tirées des rapports entre les personnes intéressées à la délégation.

A) Le sort des rapports d’obligations

1. Le rapport délégant / délégué

Deux hypothèses doivent être distinguées :

?Existence d’un rapport d’obligation entre le délégant et le délégué

Il ressort de l’article 1339 du Code civil qu’il convient de distinguer, dans ce cas-là, selon que la délégation est simple ou novatoire.

  • La délégation simple
    • Absence d’extinction de la créance du délégant
      • En matière de délégation simple, la délégation n’opère pas novation de sorte que le délégant demeure tenu envers le délégataire.
      • Aussi, l’article 1339, al. 1er prévoit-il que la créance du délégant envers le délégué ne s’éteint que par l’exécution de l’obligation du délégué envers le délégataire et à due concurrence.
    • L’action en paiement du délégant à l’encontre du délégué
        • Dans un arrêt du 16 avril 1996, la Cour de cassation a affirmé que « si la créance du délégant sur le délégué s’éteint, non pas du fait de l’acceptation par le délégataire de l’engagement du délégué à son égard, mais seulement par le fait de l’exécution de la délégation, ni le délégant ni ses créanciers, ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le délégataire, exiger paiement » (Cass. com. 16 avr. 1996, n°94-14.618).
        • Autrement dit, tant que la dette du délégué envers le délégataire n’est pas exigible et que celui-ci ne manque pas à son engagement, le délégant ne peut pas actionner en paiement le délégué.
        • Il en va de même pour les créanciers ou le cessionnaire du délégant.
        • Cette règle a été consacrée à l’alinéa 2 de l’article 1339 du Code civil qui prévoit :
          • D’une part, que « le délégant ne peut en exiger ou en recevoir le paiement que pour la part qui excéderait l’engagement du délégué »
          • D’autre part, que « la cession ou la saisie de la créance du délégant ne produisent effet que sous les mêmes limitations. »
        • Tous les recours ne sont donc pas neutralisés pour le délégant qui peut toujours actionner en paiement le délégué à concurrence du montant qu’il ne s’est pas engagé à régler au délégataire.
        • Toutefois, l’article 1339, al. 2 précise que le délégant « ne recouvre ses droits qu’en exécutant sa propre obligation envers le délégataire. »
        • Ainsi, tant que celui-ci ne s’est pas exécuté envers le délégataire, il ne peut pas réclamer le paiement de sa créance au délégué.
  • La délégation novatoire
    • Extinction totale ou partielle de la créance du délégant
      • L’article 1339, al. 4 prévoit que « si le délégataire a libéré le délégant, le délégué est lui-même libéré à l’égard du délégant, à concurrence du montant de son engagement envers le délégataire. »
      • Il en résulte que le délégué n’est obligé qu’envers le seul délégataire, sauf pour la part d’obligation qui excéderait son engagement envers le délégant
        • Pour exemple :
          • Si le délégant est titulaire d’une créance de 100 à l’encontre du délégué et que celui-ci s’est engagé envers le délégataire pour un montant identique, la délégation opère une extinction totale du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué.
          • Si, en revanche, le délégant est titulaire d’une créance de 100 à l’encontre du délégué et que celui-ci s’est seulement engagé à hauteur de 50 envers le délégataire, alors le rapport d’obligation entre le délégant et le délégué subsistera à concurrence de 50.
      • Ainsi, selon l’étendue de l’engagement du délégué envers le délégataire, l’extinction de la créance du délégant sera totale ou partielle.
    • Action en paiement du délégant à l’encontre du délégué
      • L’action en paiement du délégant envers le délégué n’a de sens qu’à la condition que premier soit titulaire d’une créance à l’encontre du second.
      • Or par hypothèse, la délégation novatoire a pour effet d’éteindre le rapport d’obligation entre le délégant et le délégué.
      • Le délégant n’a, en conséquence, pas vocation à actionner en paiement le délégué, sauf à ce que l’engagement de ce dernier envers le délégataire porte sur un montant inférieur à celui dû au délégant.
      • Dans ce cas, le délégant sera fondé à réclamer au délégué la part de la créance qui excède son engagement envers le délégataire.
      • Il ne pourra toutefois exercer son action qu’à la condition que le délégué soit défaillant.

?Absence de rapport d’obligation entre le délégant et le délégué

Dans cette hypothèse, la délégation aura, la plupart du temps, été envisagée comme une garantie constituée par délégant à la faveur du délégataire, le délégué exerçant la fonction de garant.

Aussi, le paiement du délégué a-t-il pour effet d’éteindre la dette du délégant envers le délégataire.

Le délégué disposera alors d’un recours contre le délégant par le jeu d’une subrogation légale ou conventionnelle si expressément envisagée par les parties à l’opération de délégation.

2. Le rapport délégant / délégataire

Le rapport délégant / délégataire ne se conçoit que si le délégant est débiteur du délégataire. Dans le cas contraire le paiement par le délégué n’aura aucun effet sur leur rapport qui, par hypothèse, est inexistant.

Aussi, ne doit-on envisager que l’hypothèse où un rapport d’obligation entre le délégant et le délégataire préexiste à l’opération de délégation.

Deux situations doivent alors être distinguées

  • Soit la délégation est simple
  • Soit la délégation est novatoire

?La délégation simple

La délégation simple correspond à l’hypothèse où le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire.

Il ressort de l’article 1338 du Code civil que, dans les rapports délégant / délégataire, la délégation simple produit deux effets :

  • Adjonction d’un second débiteur
    • L’article 1338, al. 1er prévoit que lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l’a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur
    • Autrement dit, la délégation simple procure deux débiteurs au délégataire
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il existe une sorte de bénéfice de discussion à la faveur du délégant.
    • Bien que la doctrine soit divisée sur ce point, rien ne permet de reléguer le délégant au rang de débiteur accessoire, à l’instar d’une caution, qui donc ne pourrait être actionné en paiement qu’en cas de défaillance du délégué.
    • La délégation a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation sans modifier la situation du délégant, de sorte que celui est tout autant tenu envers le délégataire que l’est le délégué.
  • Extinction de dette du délégant par le paiement du délégué
    • Le second effet de la délégation simple dans les rapports délégué / délégataire est que le paiement fait par l’un des deux débiteurs libère l’autre, à due concurrence.
    • Autrement dit, dès lors que le délégataire est réglé de sa créance par le délégué, la dette du délégant envers le délégataire est éteinte à concurrence de ce qui a été payé.
    • Le délégant n’est toutefois pas libéré de toute obligation, puisque le délégué dispose, par principe, d’un recours contre lui, lequel pourra être exercé sur le fondement d’une subrogation conventionnelle ou légale.

?La délégation novatoire

La délégation novatoire correspond à l’hypothèse où le délégant est déchargé de son obligation envers le délégataire.

Il ressort de l’article 1337 du Code civil que la délégation novatoire produit deux effets :

  • La novation
    • Lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation.
    • Cela signifie, autrement dit, que le nouveau rapport d’obligation créé entre le délégué et le délégataire vient se substituer au rapport unissant le délégant au délégataire
    • La délégation novatoire a donc pour effet d’éteindre la créance dont est titulaire le délégataire envers le délégant.
    • Le délégataire ne disposera plus que d’un débiteur : le délégué
  • La garantie de la solvabilité du délégué
    • Principe
      • En cas de délégation novatoire le délégant n’est, par principe, ni garant du paiement du délégué, ni garant de sa solvabilité.
      • Le délégant est totalement déchargé de son obligation envers le délégataire, de sorte que ce dernier ne dispose d’aucun recours contre son ancien débiteur
    • Tempérament
      • L’article 1337, al. 2 du Code civil apporte un tempérament à l’absence de garantie par le délégant de la solvabilité du délégué.
      • Cette disposition prévoit, en effet, que « le délégant demeure tenu s’il s’est expressément engagé à garantir la solvabilité future du délégué ou si ce dernier se trouve soumis à une procédure d’apurement de ses dettes lors de la délégation. »
      • Si dès lors les parties à l’opération de délégation le prévoient, au moyen d’une stipulation contractuelle, le délégant peut demeurer garant de la solvabilité du délégué, comme tel est le cas en matière de cession de créance pour le cédant.
      • Quid des sûretés dont était titulaire le délégataire en garantie de sa créance envers le délégant ?
      • En conserve-t-il le bénéfice dans l’hypothèse où la délégation novatoire serait assortie d’une clause de garantie de la solvabilité du délégué ?
      • L’article 1337 du Code civil étant silencieux sur cette question, il conviendra que la jurisprudence se prononce.

3. Le rapport délégué / délégataire

Tant la délégation simple, que la délégation novatoire a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

La création de ce nouveau rapport signifie que le délégué s’engage à titre personnel envers le délégataire, de sorte que ce dernier pourra recourir contre lui sans avoir à actionner le délégant en paiement.

Toutefois, le délégué ne sera obligé envers le délégataire qu’à concurrence de ce qui est dû par le délégant.

En outre, les parties peuvent assortir l’obligation du délégué d’une condition, telle que le respect par le délégant de ses propres obligations envers ce dernier ou dans une certaine proportion.

B) Le principe d’inopposabilité des exceptions

L’un des principes cardinaux de la délégation est que le rapport d’obligation qui unit le délégué au délégataire est totalement indépendant :

  • du rapport délégant / délégué
  • du rapport délégant / délégataire

Le rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire est donc parfaitement autonome. Le délégué est engagé à titre personnel envers le délégant.

La délégation n’emporte, en conséquence, aucun transfert :

  • ni de la créance du délégant envers le délégué
  • ni de la créance du délégataire envers le délégant

La circulation de la dette du délégant est indirecte puisqu’elle passe par la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire lequel rapport se superpose aux rapports préexistants.

L’obligation ainsi créée est donc strictement personnelle au délégué, ce qui se traduit par son indépendance par rapport aux liens d’obligation préexistants.

Il en résulte que, comme prévu à l’article 1336, al. 2e du Code civil, le délégué actionné en paiement par le délégataire ne peut lui opposer aucune exception tirée :

  • soit du rapport délégant / délégué
  • soit du rapport délégant / délégataire

Il s’agit là du principe de double inopposabilité des exceptions qui caractérise la délégation.

Par exception, il faut entendre un moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…)

1. Les exceptions tirées du rapport délégué / délégant

?Principe

Aux termes de l’article 1336, al. 2 du Code civil « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant »

Cette solution est issue d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 janvier 1872 aux termes duquel elle affirme « qu’un créancier ayant, de bonne foi et du consentement de son débiteur, accepté au lieu et place de celui-ci, qu’il a libéré, une autre personne capable de s’obliger et qui s’est engagée envers lui sans aucune condition, a désormais action contre le nouveau débiteur ainsi substitué au premier, quelle que fût la nature des rapports juridiques qui eussent existé entre l’ancien et le nouveau débiteur ; Que celui-ci ne pourrait donc s’affranchir de son engagement envers le créancier, sous le seul prétexte que, par erreur, il se serait cru obligé lui-même envers le délégant, ou que son obligation envers celui-ci aurait été reconnue et déclarée nulle part une décision passée en force de chose jugée ».

Cass. civ., 24 janv. 1872

Sur le moyen unique de chacun desdits pourvois :

Vu les articles 1271, no 2, 1275 et 1377 du Code civil;

En fait et suivant les constatations de l’arrêt dénoncé :

Attendu que Chenard, un des associés, comme bailleur de fonds intéressé dans la charge d’agent de change dont Porché était titulaire, ayant, par conventions des 12 mars et 29 mai 1866, stipulé de celui-ci sa retraite de la société et le retrait de sa mise sociale, il est intervenu entre eux et Méry, qui avait fourni à Chenard une partie de ladite mise sociale, sous la condition de participer proportionnellement aux chances de bénéfices et de pertes, une convention postérieure, en vertu de laquelle Méry, étranger à la société organisée pour l’exploitation de la charge et ayant jusqu’alors Chenard pour unique obligé, a consenti de bonne foi, et dans l’ignorance des vices dont pouvait être infecté le contrat passé entre Chenard et Porché, à laisser dans la caisse sociale, à titre de simple créance, la somme par lui confiée à Chenard, et de compter pour débitrice la société Porché et consorts au lieu et place de Chenard, en libérant celui-ci de son ancienne obligation, et se dessaisissant, en conséquence, de son titre originaire; En droit :

Attendu, d’une part, qu’un créancier ayant, de bonne foi et du consentement de son débiteur, accepté au lieu et place de celui-ci, qu’il a libéré, une autre personne capable de s’obliger et qui s’est engagée envers lui sans aucune condition, a désormais action contre le nouveau débiteur ainsi substitué au premier, quelle que fût la nature des rapports juridiques qui eussent existé entre l’ancien et le nouveau débiteur;

Que celui-ci ne pourrait donc s’affranchir de son engagement envers le créancier, sous le seul prétexte que, par erreur, il se serait cru obligé lui-même envers le délégant, ou que son obligation envers celui-ci aurait été reconnue et déclarée nulle par une décision passée en force de chose jugée;

Attendu, d’autre part, que les parties ne se trouvaient pas dans la situation prévue par l’article 1377 du Code civil, dont la disposition, placée sous la rubrique des quasi-contrats, est par conséquent étrangère à l’hypothèse d’une convention expresse par laquelle un créancier, avec le concours de son débiteur, accepte un débiteur nouveau, qui s’oblige envers lui; que cette disposition se réfère exclusivement au cas où, en dehors de tout contrat impliquant soit délégation parfaite, soit novation, un créancier a reçu des mains et des deniers d’un tiers le payement de la dette de son débiteur, et supprimé, à raison de ce payement, son titre de créance; qu’elle ne saurait donc recevoir son application au cas où, comme dans l’espèce, le créancier a, par une convention avec son obligé originaire et son nouveau débiteur, consenti, avant tout payement, à libérer le premier et à n’avoir désormais que le second pour obligé;

D’où il suit, d’une part, qu’en déclarant mal fondée la demande reconventionnelle de Méry, par l’unique motif de droit que les conventions intervenues entre Chenard et Porché auraient été déclarées nulles et de nul effet par son arrêt antérieur, à l’égard de la société Porché, laquelle serait créancière et non débitrice de Chenard, sans avoir ni constaté que l’obligation souscrite par Porché au nom de la charge dont il était titulaire, eût été subordonnée, dans la commune intention des parties, à la régularité ou à la validité des précédentes conventions étrangères à Méry, ni recherché si, vis-à-vis de ce dernier, Porché avait ou non pouvoir d’obliger la société dont il était le représentant, l’arrêt dénoncé a méconnu et violé les dispositions des articles 1271, no 2, et 1275 du Code civil;

Et, d’autre part, qu’en décidant, dans l’hypothèse où l’obligation de la société envers Méry aurait dû être réputée nulle et non avenue, que le liquidateur de la société serait, aux termes de l’article 1377 du Code civil, mal fondé à demander le payement ou la restitution de sommes dues ou reçues par Méry, le même arrêt a faussement appliqué et par suite violé les dispositions dudit article 1377;

Casse et annule

?Ratio legis

Les exceptions tirées du rapport délégué / délégant sont inopposables au délégataire. Cette solution se justifie par la nouveauté du rapport d’obligation créé entre le délégué et le délégant.

Surtout, les auteurs justifient le principe d’inopposabilité des exceptions en avançant que l’engagement du délégué envers le délégataire est, telle l’obligation cambiaire en matière d’effet de commerce, abstrait.

Si l’on admet que la délégation peut exister sans obligation préexistante entre le délégant et le délégué, la cause de l’engagement de ce dernier peut résider

  • Soit dans la volonté d’éteindre la créance préexistante que détient le délégataire à l’encontre du délégant
  • Soit dans la volonté de faire une donation au délégant
  • Soit dans la volonté de consentir un prêt indirect au délégant

Ainsi l’engagement du délégué envers le délégataire est détaché du rapport fondamental qui en constitue la cause.

La conséquence logique ne peut dès lors être que l’inopposabilité des exceptions tirées du rapport délégant / délégué au délégataire

?Droit du délégataire

La délégation investit le délégataire d’un droit de créance à l’encontre du délégué dont les attributs font obstacle à ce que les exceptions tirées du rapport entre le délégant et le délégué lui soient opposables.

  • Un droit irrévocable
    • Parce que le délégué s’engage à titre personnel envers le délégataire, celui-ci dispose d’un droit de créance irrévocable.
    • Il en résulte que, à compter de l’acceptation de la délégation par le délégué, le délégataire peut ignorer toute révocation ou modification de son droit résultant du rapport entre le délégant et le délégué.
  • Un droit propre
    • Dans la mesure où le droit du délégataire lui est propre, les causes de libération du délégué envers le délégant (paiement ou compensation) lui sont inopposables.
    • Ainsi, il emporte peu que le délégué soit libéré de son obligation envers le délégant, il demeure tenu envers le délégataire à concurrence de ce qui lui est dû par le délégant.
  • Un droit indépendant
    • Le droit du délégataire est indépendant, en ce sens que son sort n’est pas lié au rapport d’obligation qui lie le délégant au délégué
    • Il en résulte que le délégué ne peut invoquer la nullité, la résolution ou encore l’exception d’inexécution tirée de son rapport avec le délégant
      • Soit pour échapper à son obligation de paiement
      • Soit pour obtenir la restitution après paiement

?Exceptions

Le principe d’inopposabilité cède sous l’effet de deux exceptions :

  • La mauvaise foi du délégataire
    • Cette situation correspond à l’hypothèse où le délégataire connaît l’exception dont est frappé le rapport délégant / délégué au moment où ce dernier s’engage envers lui.
    • Dans un arrêt du 22 avril 1997, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « dans la délégation de créance, le délégué ne peut opposer au délégataire les exceptions nées de ses rapports avec le délégant ; que c’est donc à bon droit que l’arrêt retient que l’engagement de la société Calberson international n’était pas affecté par la fraude imputée à la société Trans Europe Sud dès lors qu’il n’était pas soutenu que la société Trans Ouest avait pris part à celle-ci » (Cass. com. 22 avr. 1997, n°95-17.664).
    • En cas de fraude, les exceptions tirées du rapport délégant / délégué redeviennent opposables au délégataire.
  • La nullité de l’obligation novée
    • L’article 1329 du Code civil définit la novation comme le « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée. »
    • L’article 1331 précise que « la novation n’a lieu que si l’obligation ancienne et l’obligation nouvelle sont l’une et l’autre valables, à moins qu’elle n’ait pour objet déclaré de substituer un engagement valable à un engagement entaché d’un vice »
    • Autrement dit, la nullité de l’obligation ancienne affecte la validité de la novation.
    • On peut en déduire que, en matière de délégation, lorsque celle-ci est novatoire, dans l’hypothèse où l’obligation novée serait nulle, le délégué serait fondé à opposer au délégataire toutes les exceptions tirées de son rapport avec le délégant puisque la novation ne s’est pas réalisée.

2. Les exceptions tirées du rapport délégant / délégataire

La question s’est longtemps posée de savoir si le délégué pouvait opposer au délégataire les exceptions tirées du rapport entre le délégant et le délégataire.

?Principe

Le principe est l’inopposabilité des exceptions tirées du rapport délégant / délégataire. Cette solution se justifie là encore par la nouveauté du rapport d’obligation créé entre le délégué et le délégataire.

À cela s’ajoute l’idée qu’il convient de ne pas confondre la cause du droit du délégataire qui réside dans son rapport préexistant avec le délégant et la cause de l’engagement du délégué qui est d’éteindre la dette du délégant.

Dans la mesure où l’engagement du délégué et le droit du délégataire ne se situent pas sur le même plan, il est logique d’admettre que ce dernier ne puisse pas se voir opposer les exceptions tirées de son rapport avec le délégant.

?Tempérament

La doctrine considère que lorsque la délégation est incertaine il serait possible de déroger au principe d’inopposabilité des exceptions.

Dans la mesure où lorsque délégation est certaine le délégué s’engage uniquement en considération de la dette du délégant envers le délégataire, il devrait pouvoir se prévaloir de l’extinction de la dette du délégant pour se libérer de son engagement lequel devient alors privé d’objet.

Une partie des auteurs considère toutefois que cette thèse ne résiste pas au constat selon lequel l’engagement du délégué envers le délégataire demeure abstrait, en ce sens que la délégation n’est pas subordonnée à l’existence d’obligations préexistantes, soit entre le délégant et le délégué, soit entre le délégant et le délégataire.

?La jurisprudence

La position de la Cour de cassation sur cette question est pour le moins très incertaine en raison de la divergence de position entre la chambre commerciale et la première chambre civile.

  • Première étape : admission du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Dans un arrêt du 25 février 1992, la chambre commerciale a affirmé « qu’en cas de délégation de paiement imparfaite, le délégué ne peut, sauf clause contraire, opposer au délégataire les exceptions dont le délégant pouvait se prévaloir à l’égard de celui-ci » (Cass. com. 25 févr. 1992, n°90-12.863).
    • Ainsi, la chambre commerciale refuse que le délégué puisse opposer au délégataire les exceptions tirées de son rapport avec le délégant.

Cass. com. 25 févr. 1992

Sur le pourvoi formé par la société à responsabilité limitée Apple Shoes, dont le siège social est … à La Gaubretière (Vendée),

en cassation d’un arrêt rendu le 6 décembre 1989 par la cour d’appel de Poitiers (Chambre civile, 2e Section), au profit du Crédit mutuel de Bretagne, dont le siège est …, Le Relecq Kerhuon (Finistère),

défendeur à la cassation ; La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 14 janvier 1992, où étaient présents :

Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Hatoux, conseiller, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Apple Shoes, de la SCP Peignot et Garreau, avocat du Crédit mutuel de Bretagne, les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; !

Sur le moyen unique ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt déféré (Poitiers, 6 décembre 1989) que la société Rautureau a commandé des pantoufles à la société Pantouflerie de Bretagne ; qu’il était convenu que la société Rautureau fournirait le tissu nécessaire à la confection des marchandises et le facturerait à la société Pantouflerie de Bretagne, laquelle livrerait celles-ci à la société Apple Shoes en les lui facturant ; que la société Pantouflerie de Bretagne a cédé au Crédit mutuel de Bretagne (la Banque), selon les modalités prévues par la loi du 2 janvier 1981, ses créances sur la société Apple Shoes ; que celle-ci a refusé de payer à la banque le montant des créances ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Apple Shoes à payer à la banque la somme de 611 964,13 francs, outre les intérêts de droit à compter du 28 février 1986, alors, selon le pourvoi, qu’il résulte de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, que le débiteur cédé ne peut opposer au banquier cessionnaire les exceptions qui tiennent à ses rapports avec le cédant que s’il a accepté de s’engager directement à l’égard du banquier et non en cas de simple notification de la cession par le banquier au débiteur cédé ; qu’ainsi, en l’état d’une convention de délégation imparfaite de créance, si le délégataire, par ailleurs débiteur du délégant, cède à une banque sa créance contre le délégué, au moyen d’un “bordereau Dailly”, le délégué, débiteur cédé, auquel la cession a juste été notifiée, peut opposer à la banque cessionnaire l’absence de cause de la créance cédée par suite de l’extinction par compensation de la dette du délégant à l’égard du délégataire ; que, dès lors, en l’espèce, en refusant de rechercher si la société Rautureau avait délégué de manière imparfaite à la société Apples Shoes le paiement de sa dette envers la société Pantouflerie de Bretagne, et en refusant de rechercher si la créance de cette dernière n’avait pas été éteinte par compensation, ce qui aurait exclu sa cession à la banque aux simples motifs que la société Rautureau était étrangère aux relations tripartites de l’espèce, et que les relations Rautureau-Apple Shoes étaient inopposables au banquier de bonne foi, la cour d’appel a violé les articles 5 et 6 de la loi du 2 janvier 1981 et les articles 1275 et 1290 du Code civil ;

Mais attendu qu’en cas de délégation de paiement imparfaite, le délégué ne peut, sauf clause contraire, opposer au délégataire les exceptions dont le délégant pouvait se prévaloir à l’égard de celui-ci ; que, dès lors que la société Apple Shoes ne soutenait pas qu’elle s’était engagée à payer la société Pantouflerie de Bretagne sous réserve de pouvoir opposer la compensation susceptible d’exister dans les rapports entre celle-ci et la société Rautureau, la cour d’appel n’avait pas à procéder à la recherche alléguée ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Deuxième étape : rejet du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Dans un arrêt du 17 mars 1992 la première chambre civile a pris le contre-pied de la chambre commerciale en considérant que « sauf convention contraire, le délégué est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire, et qu’il se trouve déchargé de son obligation lorsque la créance de ce dernier est atteinte par la prescription » (Cass. 1ère civ. 17 mars 1992, n°90-15.707).
    • Pour la Cour de cassation, en cas d’extinction de la dette du délégant, le délégué est fondé à opposer cette exception au délégataire.
    • Elle justifie sa solution en affirmant que, en matière de délégation simple, « le délégué est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire »

Cass. 1ère civ. 17 mars 1992

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1275 du Code civil ;

Attendu que, sauf convention contraire, le délégué est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire, et qu’il se trouve déchargé de son obligation lorsque la créance de ce dernier est atteinte par la prescription ;

Attendu que, le 4 janvier 1979, la société Aux Bons Crus a vendu à M. Y… un fonds de commerce de restaurant, moyennant le prix de 320 000 francs payable en partie par reprise de dettes contractées par le vendeur auprès de tiers ; qu’en particulier, l’acquéreur s’est engagé à régler une somme de 53 000 francs, correspondant au principal et aux intérêts d’un prêt contracté le 5 décembre 1977 par ladite société Aux Bons Crus envers M. X… ; que, le 5 janvier 1989, ce dernier a assigné en remboursement du prêt M. Y…, lequel, s’agissant d’une opération commerciale, a opposé la prescription décennale ;

Attendu que, pour écarter cette fin de non-recevoir, la cour d’appel a estimé que l’engagement de M. Y… envers M. X… courait du 4 janvier 1979, jour de la délégation, et que peu importait la date à laquelle avait pris naissance la créance qui avait fait l’objet de cette délégation ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la prescription décennale, applicable à la créance de M. X…, était acquise à la date de l’assignation délivrée à M. Y…, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 mars 1990, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans

  • Troisième étape : maintien de la position de la chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 7 décembre 2004, la chambre commerciale réitère sa position en affirmant que l’obligation de l’acheteur envers le locataire résultant de la délégation contenue à cet acte, était une obligation personnelle et indépendante de l’obligation du vendeur, ce dont elle déduit que l’extinction de la créance du locataire contre le vendeur pour défaut de déclaration au passif de sa liquidation judiciaire avait laissé subsister l’obligation distincte de l’acheteur (Cass. com. 7 déc. 2004, n°03-13.595).
    • Ainsi, pour la chambre commerciale, le délégué ne peut opposer au délégataire l’extinction de la créance pour absence de déclaration à la procédure ouverte contre le délégant.

Cass. com. 7 déc. 2004

Sur le moyen unique, pris en ses six branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2003), que les époux X… étaient titulaires d’un droit au bail portant sur des locaux commerciaux appartenant à la société Groupe Trianon ; que par arrêt du 1er décembre 1992, la cour d’appel a prononcé la résiliation du bail aux torts de la société Groupe Trianon et a condamné cette société à payer aux époux X… une provision à valoir sur leur préjudice ; que la société Groupe Trianon a vendu l’immeuble dont dépendent les locaux à la société Francim et que celle-ci s’est engagée à payer l’indemnité due aux époux X… ; que M. Y… agissant en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de M. X… et Mme X… ont assigné la société Francim en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la résiliation du bail ; que celle-ci a invoqué l’extinction de la créance par suite du défaut de déclaration au passif du redressement judiciaire de la société Groupe Trianon ;

Attendu que la société Francim reproche à l’arrêt d’avoir accueilli les demandes de Mme X… et du liquidateur de M. X…, alors, selon le moyen :

1 / que la délégation de créance suppose un accord de volonté entre le délégué et le délégataire ; que dans l’acte de vente du 12 septembre 1995 la société Francim ne s’est engagée qu’à l’égard du vendeur, la société Groupe Trianon ; qu’en retenant que cette clause réalisait une délégation, la cour d’appel, qui a constaté expressément que cette délégation était intervenue hors la présence des époux X…, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1134 et 1215 du Code civil ;

2 / que les conventions ne profitent point aux tiers ; qu’en se fondant sur la clause d’un contrat conclu entre la société Groupe Trianon et la société Francim pour considérer qu’elle constituait une délégation valant engagement de la part de cette derniière à l’égard des époux X…, tiers à ce contrat, de leur payer une indemnité d’éviction, la cour d’appel a violé les articles 1165 et 1275 du Code civil ;

3 / que dans leurs conclusions d’appel, les consorts X… faisaient expressément valoir que le contrat de vente du 12 septembre 1995 réalisait la transmission de la dette de la société Groupe Trianon à la société Francim, en invoquant la clause du contrat prévoyant la subrogation de l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur ; qu’en retenant que l’obligation de la société Francim portait sur une obligation distincte de celle de la société Groupe Trianon, et que la clause du contrat prévoyant la subrogation de l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur ne concernait pas le paiement de l’indemnité d’éviction, la cour d’appel a méconnu les termes du litige, et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / qu’en énonçant que l’obligation de la société Francim ne portait pas sur la dette de la société Groupe Trianon à l’égard des époux X… mais constituait une obligation distincte, tout en constatant que la clause litigieuse prévoyait que la société Francim prendrait en charge l’indemnité éventuelle revenant aux époux X… par suite de l’arrêt de la cour d’appel du 1er décembre 1992 rendu dans la procédure opposant ces derniers à la société Groupe Trianon, et que le contrat stipulait ensuite que la société Francim serait subrogée tant activement que passivement dans le bénéfice des procédures opposant le vendeur à ses locataires, dont celle concernant les époux X…, la cour d’appel a dénaturé les clauses claires et précises de ce contrat et violé l’article 1134 du Code civil ;

5 / que l’acte de vente conclu entre la société Groupe Trianon et la société Francim prévoyait la reprise par cette dernière de la dette la société Groupe Trianon envers les époux X…, de sorte que la société Francim se trouvait libérée de son engagement du fait de l’extinction de cette dette faute de déclaration par les époux X… de leur créance au redressement judiciaire de la société Groupe Trianon ;

qu’en retenant que la société Francim ne pouvait opposer cette exception aux époux X…, la cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil, L. 621-43 et L. 621-46 du Code de commerce ;

6 / qu’en toute hypothèse, le délégué conserve la possibilité d’opposer au délégataire les exceptions affectant sa créance sur le délégant dès lors que son engagement avait pour objet le paiement de cette dette ; qu’en l’espèce la société Francim s’était engagée à payer la dette de la société Groupe Trianon envers les époux X…, de sorte qu’elle se trouvait déchargée de son obligation par l’extinction de cette dette du fait du défaut de déclaration de leur créance par les époux X… au redressement judiciaire de la société Groupe Trianon ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1275 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir constaté que par arrêt du 1er décembre 1992, la cour d’appel a condamné la société du Groupe Trianon à payer aux époux X… une provision à valoir sur leur préjudice et que dans l’acte de vente d’un immeuble conclu le 12 septembre 1995 entre la société du Groupe Trianon et la société Francim, celle-ci s’est engagée à supporter l’indemnité devant revenir aux époux X…, l’arrêt relève que Mme X… et le liquidateur de M. X… ont assigné la société Francim en exécution de cet engagement, faisant ainsi ressortir qu’ils l’ont accepté ; qu’en l’état de ces constatations qui rendent inopérants les griefs de la deuxième branche, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que cette opération s’analysait en une délégation au sens de l’article 1275 du Code civil ;

Attendu, en second lieu, que la cour d’appel qui n’a pas méconnu l’objet du litige et dénaturé l’acte de vente conclu entre la société du Groupe Trianon et la société Francim, a retenu que l’obligation de cette société envers les époux X… résultant de la délégation contenue à cet acte, était une obligation personnelle à la société Francim, indépendante de l’obligation de la société Groupe Trianon de sorte que l’extinction de la créance des époux X… contre cette société pour défaut de déclaration au passif de sa liquidation judiciaire avait laissé subsister l’obligation distincte de la société Francim ;

D’où il suit que la cour d’appel ayant légalement justifié sa décision, le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Quatrième étape : précision de la position de la chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 13 juin 2006, la chambre commerciale affirme « qu’en cas de délégation de créance, le délégué souscrit envers le délégataire une obligation personnelle de paiement de sorte qu’il n’est pas recevable à opposer au délégataire l’extinction de la créance pour défaut de déclaration au passif du délégant en procédure collective » (Cass. com. 13 juin 2006, n°05-17.006).
    • La Cour de cassation justifie sa solution en retenant que le délégué s’oblige à titre personnel envers du délégataire indépendamment du rapport que ce dernier entretient avec le délégant.

Cass. com. 13 juin 2006

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1134 et 1275 du code civil ;

Attendu qu’en cas de délégation de créance, le délégué souscrit envers le délégataire une obligation personnelle de paiement de sorte qu’il n’est pas recevable à opposer au délégataire l’extinction de la créance pour défaut de déclaration au passif du délégant en procédure collective ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. et Mme X… ont confié à la société Sotrabat des travaux de construction ; que la société Rubis Avignon (la société Rubis) a fourni des matériaux à la société Sotrabat d’une valeur de 200 000 francs ; que, suivant délégation de créance du 16 décembre 1999, M. X… s’est engagé à payer directement à la société Rubis toutes les sommes qui lui seraient dues par la société Sotrabat au fur et à mesure des situations présentées par le délégant ; que la société Sotrabat a été mise en redressement judiciaire le 26 avril 2000 ; que la société Rubis a assigné M. X… en paiement ;

Attendu que pour rejeter la demande, l’arrêt retient que, faute de démontrer la déclaration de sa créance entre les mains du représentant des créanciers de la société Sotrabat, la société Rubis ne justifie pas de sa créance vis-à-vis de M. X… ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a reçu l’appel régulier en la forme, l’arrêt rendu le 8 mars 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier ;

Au regard de ces différentes décisions, il apparaît que, en dehors d’une convention contraire aux termes de laquelle le délégataire renoncerait de façon univoque au bénéfice de l’inopposabilité des exceptions, le délégué ne peut lui opposer les exceptions tirées de son rapport avec le délégant.

?La réforme des obligations

Le débat relatif au principe d’inopposabilité des exceptions tirées du rapport délégant / délégataire a manifestement été tranché par le législateur lors de la réforme des obligations.

Le nouvel article 1336 du Code civil dispose, en effet, que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »

Sont ainsi visées par cette disposition les exceptions tirées du rapport délégant / délégataire.

Aussi, est-ce finalement la position de la chambre commerciale qui a été consacrée.