L’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme

Par Christophe Quézel-Ambrunaz, professeur de droit privé, Université Savoie Mont Blanc*

Les procès des attentats terroristes donnent l’occasion aux victimes de s’exprimer, cela est important, à bien des égards.

Toutefois, contrairement à une audience pénale ordinaire où le juge peut se prononcer sur les intérêts civils, autrement dit indemniser les victimes, en matière de terrorisme, les victimes ne sont pas indemnisées à l’issue de tels procès, qui ne visent qu’à la sanction des coupables. Un choix politique a été fait : séparer les questions d’indemnisation et celles de la culpabilité. Les victimes d’actes de terrorisme bénéficient d’autres voies pour obtenir réparation de leurs préjudices.

Au-delà des drames individuels qu’il provoque, le terrorisme, de par sa définition juridique portée à l’article 421-1 du code pénal, a une dimension collective : il a « pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». La résilience de la société est une réponse à apporter au terrorisme ; celle-ci passe par une solidarité forte avec les individus qui en sont victimes.

Un double impératif, collectif et individuel

Pour les victimes, un enjeu purement individuel existe : l’attentat lèse injustement leurs droits (droit à l’intégrité corporelle, et tant d’autres). Ces lésions se nomment préjudices, et doivent être réparées. Dans cette dimension individuelle, ces victimes ne se singularisent pas, a priori, par rapport aux victimes d’infractions de droit commun ou de divers accidents ; chaque poste de préjudice, tel qu’énoncé dans la nomenclature dite Dintilhac, doit trouver un équivalent monétaire. L’argent n’est souvent qu’une maigre consolation, mais a le mérite d’acter la reconnaissance du statut de victime, et de constater la violation de droits ; en outre, il est nécessaire pour couvrir nombre de dépenses que doivent exposer les victimes, ou pour compenser des pertes de gains professionnels.

Supposons une victime gardant un handicap important : elle est privée de revenus professionnels, doit assumer des dépenses pour salarier une tierce personne afin de l’assister, prévoir des dépenses de santé telles que renouvellements de prothèses ou fauteuil roulant, des frais de véhicule adapté, ou d’adaptation du logement, le tout pour sa vie entière. Compenser de tels frais représente des indemnisations pouvant atteindre ou dépasser le million d’euros. À cela s’ajoute l’indemnisation de préjudices extra-patrimoniaux, tels que les souffrances, la privation d’activités sportives, les retentissements sur la vie affective et sexuelle…

L’indemnisation des victimes de terrorisme répond donc à un double impératif, collectif et individuel. Évidemment, il est impossible de songer à faire peser la charge de l’indemnisation sur le terroriste – insolvable – ou son assureur – qui ne peut être tenu des conséquences des fautes intentionnelles.

Les bases de notre système actuel sont à rechercher dans la législation de Vichy. En effet, la loi n° 684 du 24 décembre 1943 relative à l’assurance des sinistres résultant d’actes « de sabotage » ou « de terrorisme » (JORF 12 mars 1944, p. 753) jette les fondations de la collectivisation du risque terroriste. C’est toutefois la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986, adoptée sous l’impulsion de Françoise Rudetzki, récemment décédée, qui forme le droit actuel de l’indemnisation, scindant la matière, d’une part, les dommages corporels, pour lesquels l’article L. 126-1 du Code des assurances renvoie aux articles L. 422-1 à L. 422-3 du même code, qui établissent un régime de solidarité nationale ; d’autre part, les dommages matériels, régis par les articles L. 126-2 du Code des assurances, reposant sur un mécanisme de garantie obligatoire.

Les indemnités et les aides non indemnitaires

La sollicitude de la nation accorde certaines aides aux victimes du terrorisme : notamment, elles ont droit à pension comme victimes civiles de guerre ; pour les soins liés à l’acte de terrorisme, elles sont exonérées de forfait journalier, de franchises et de participations, et les dépassements d’honoraires sont pris en charge par la sécurité sociale selon l’article L. 169-2 du Code de la sécurité sociale ; en cas de décès, leur succession est exonérée d’impôt, et d’autres avantages sont accordés ; les orphelins et enfants victimes deviennent pupilles de la nation.

L’indemnisation des victimes est assurée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, dont il s’agit de l’une des principales missions. Il indemnise les victimes françaises, quel que soit le lieu de survenance de l’attentat, et les victimes d’attentats commis sur le sol français, quelle que soit leur nationalité. Ce mécanisme suscite l’intérêt de juristes étrangers, qui souhaiteraient, dans l’intérêt des victimes, en copier les principes. Si, dans l’Union européenne, de nombreux pays ont mis en place des règles favorables aux victimes d’actes de terrorisme, le système français est certainement le plus abouti et le plus favorable aux victimes.

Pour l’attentat de Nice, le Fonds indique avoir déjà versé 92 millions d’euros aux victimes. Sur 2474 victimes directes et indirectes recensées, 2259 ont déjà reçu une offre, et, parmi celles-ci, 1728 l’ont acceptée. Plus de la moitié des dossiers ouverts sont donc clos.

Des chiffrages d’indemnités contestés

L’offre d’indemnisation est faite par le Fonds, qui s’appuie sur des expertises médicales, à partir d’un référentiel, actualisé en juillet 2022, donnant des repères pour l’indemnisation de chaque poste de préjudice : il s’agit de minimas, adaptés en fonction des situations particulières.

Néanmoins, il se trouve que les indemnisations données sont inférieures à celles qui sont habituellement allouées par les juridictions pour les victimes de droit commun, et que certaines interprétations de la nomenclature Dintilhac, par exemple sur le préjudice esthétique temporaire, sont nettement défavorables aux victimes, et contraires à ce qui est habituellement jugé.

Par exemple, là où le référentiel du Fonds indique, pour des souffrances physiques ou psychiques d’une victime directe, évaluées comme importantes (cotation de 6 sur un maximum de 7) par un médecin expert, un minima à 30 000 euros, les juridictions ne statuent en principe pas en dessous de 35 000. Autre exemple : l’indemnisation des séquelles, appelées déficit fonctionnel permanent s’indemnise en recourant à un « prix du point » ; ce prix est, pour le Fonds, sensiblement inférieur à ce qui est pratiqué actuellement par les juridictions.

Des sommes souvent majorées par le juge

Si une victime n’accepte pas l’offre du Fonds, elle peut contester devant une juridiction unique, spécialisée, au sein du Tribunal judiciaire de Paris, le Juge d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes (JIVAT). Les demandes peuvent concerner aussi bien des personnes qui s’estiment victimes, mais que le Fonds pense être trop loin des lieux de l’attentat ; ou des victimes qui contestent les montants d’indemnisation ; ou encore, des proches de victimes survivantes. En effet, le Fonds de garantie s’appuie sur une interprétation stricte de l’article L. 126-1 du Code des assurances, pour dénier aux proches de victimes traumatisées, mais non décédées, la possibilité d’être indemnisées – alors qu’elles pourraient l’être dans le cadre d’un accident de droit commun ; les juges ont pu valider cette interprétation. Des associations se sont émues, dans une lettre ouverte, de ce traitement péjoratif des proches des victimes survivantes.

Les décisions du JIVAT ne sont hélas pas accessibles ; lorsque des appels sont interjetés, toutefois, il s’avère que les juges n’hésitent pas à majorer les sommes offertes par le Fonds. Par exemple, la Cour d’appel de Paris a fixé à 100 000 euros l’indemnisation des souffrances endurées d’une victime du Bataclan dans un arrêt du 21 avril 2022 : était demandé 200 000 euros, le fonds offrait 35 000.

Des préjudices spécifiques

Il faut toutefois reconnaître que, désormais, le Fonds indemnise, conformément à une jurisprudence récente datant du 25 mars 2022, l’angoisse de mort imminente. Il s’agit de compenser, pour une victime décédée (ce sont donc ses héritiers qui en bénéficieront) les souffrances psychologiques spécifiques liées à la certitude de l’arrivée de sa mort.

Il reconnaît également un préjudice spécifique des victimes d’actes de terrorisme, lié aux circonstances particulières dans lesquels sont subis les dommages (grand nombre de personnes atteintes, médiatisation, désorganisation possible des secours…) répondant ainsi à une demande d’un collectif d’avocats et aux recommandations d’un rapport dirigées par la professeure Porchy-Simon.

Le financement de l’indemnisation des victimes et du fonctionnement du Fonds est réalisé essentiellement à l’aide d’un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens, actuellement à 5,90 euros par an. C’est donc la collectivité des assurés qui supporte le coût de ce dispositif.

S’il est fondamental que la société ait une attention particulière pour les victimes d’actes de terrorisme, les avantages fiscaux et autres ne sont sans doute pas aussi essentiels que le fait de ne pas traiter leurs demandes indemnitaires moins bien que celles émanant de victimes d’accidents ordinaires.

* Article publié in https://theconversation.com/victimes-de-terrorisme-quelle-indemnisation-189831

La réparation des risques psychosociaux

Le droit n’appréhende pas spécifiquement les risques psychosociaux (1). Aussi, l’atteinte soufferte par le travailleur, en cas de réalisation du risque, n’est pas spécialement réparée (ou compensée).

Ce n’est pas à dire que le droit est indifférent à la souffrance au travail*, mais figure plutôt que les risques psychosociaux sont une espèce de risques professionnels*. Partant, la réparation de l’altération de la santé du travailleur est censée obéir aux règles prescrites par le droit de la sécurité sociale.
Or la législation dédiée à la réparation des risques professionnels laisse à croire qu’elle n’est pas taillée pour garantir au salarié, victime de la survenance d’un risque psychosocial, une compensation.
Pour ce faire, il importerait que la réalisation du risque soit qualifiée d’accident du travail* ou de maladie professionnelle*. Or, en l’état du droit positif, l’une et l’autre qualification juridique sont a priori douteuses.
Dans le premier cas, l’interprétation du juge l’empêche. Dans le second, la lettre de la loi l’interdit.
Pour être qualifiée d’accident du travail, la réalisation du risque dommageable doit nécessairement être un événement survenu à une date certaine par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle. Et la Cour de cassation, après avoir progressivement épuré la définition de la notion, d’exiger que l’accident soit survenu de manière soudaine. Ceci posé, des risques psychosociaux ne sauraient être pris en compte, car la date de leur apparition n’est pas toujours certaine et/ou ces risques sont le fruit d’une évolution lente ou progressive d’événements. Dans ce second cas de figure, la lésion corporelle soufferte s’apparenterait plus volontiers à une maladie professionnelle. Seulement, elle est inconnue du législateur. Pour l’heure, les maladies associées à la survenance d’un risque psychosocial ne sont pas présumées d’origine professionnelle. Quant à leur reconnaissance sur expertise individuelle par un comité régional, l’issue est hypothétique. Il importerait que la victime fasse établir que la maladie soufferte est essentiellement et directement causée par son travail habituel et qu’elle a entraîné une incapacité permanente majeure. La preuve peut se révéler en pratique diabolique. La victime n’est toutefois pas abandonnée à son sort.

L’assurance maladie a vocation à servir à l’assuré social toute une série de prestations pour peu qu’il satisfasse aux conditions posées par la loi. Les unes permettent à la victime d’une lésion, non susceptible d’être imputée au travail, de faire face à une partie des frais engendrés par la maladie (prestations en nature). Les autres sont un revenu de remplacement, qui vise à compenser la perte de salaire subie par l’assuré dont l’état de santé exige un arrêt de travail (prestations en espèce). La vocation subsidiaire de la branche maladie du régime général de sécurité sociale n’est toutefois pas une panacée pour le travailleur victime, car les prestations servies sont, en toutes hypothèses, moindres au regard de celles qui auraient été allouées par la branche accident du travail
et maladies professionnelles – lesquelles sont au reste forfaitaires, à tout le moins en principe. Puisse alors la victime avoir su et/ou pu être prévoyante. Dans l’affirmative, la souscription d’une assurance de personnes, en l’occurrence une assurance contre les accidents corporels ou une assurance maladie complémentaire, lui fournira un surplus d’indemnisation en cas de réalisation du risque garanti.

D’aucuns estimeront que le système de réparation des risques psychosociaux est satisfaisant en l’état. On ne peut nier que la sécurité sociale garantit effectivement les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptible de réduire ou de supprimer leur capacité de gain. On peut également saluer un dispositif qui suscite les efforts desdits travailleurs en les associant étroitement à la gestion de leurs intérêts.
D’autres voueront pourtant un pareil système aux gémonies. Il pourrait être soutenu que la législation sociale est par trop insuffisante et que, de la même manière que le législateur s’est résolu à la fin du XIXe siècle à garantir aux ouvriers une compensation de l’atteinte à l’intégrité physique dont nombreux étaient le siège (loi du 9 avril 1898), le législateur du XXIe siècle se doit d’assurer spécifiquement les salariés contre le risque d’atteinte à leur intégrité psychique. Pour cause : l’activité professionnelle des travailleurs ne se répercute plus seulement sur leur santé physique, il est acquis à présent qu’elle a également des répercussions sur la santé mentale*. Des rapports et des études l’attestent. Forte de ces enseignements, la représentation nationale a cherché à améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Une proposition de loi a été déposée en ce sens dans le courant de l’année 2011. Mais l’essai n’a pas été transformé. Il ne s’agirait pas de conclure pour autant que la partie est perdue. Le Code de la sécurité sociale est plein de virtualités potentielles. Au reste, la jurisprudence ne saurait jamais être figée.

En définissant l’accident du travail, le législateur a été désireux d’embrasser le plus largement les champs du possible. Pour ce faire, la notion d’accident est définie de la façon suivante : « est considéré comme un accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre que ce soit ou en quelque lieu que ce soit […] ». L’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale abonde de signes et marqueurs d’extension. Sur l’invite de la loi, le juge pourrait, sans doute avec un brin d’audace, ordonner la réparation plus systématique de la lésion soufferte par le salarié victime de la réalisation d’un risque psychosocial. C’est que la distinction qui est proposée, en droit, entre l’accident du travail et la maladie professionnelle est, en fait, ténue à maints égards. Ce faisant, il serait tiré, en droit de la sécurité sociale, tous les enseignements de l’obligation
qui est faite, en droit du travail, à « l’employeur [de prendre] les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (art. L. 4121-1 du Code du travail).

(1) Article paru in Ph. Zawieja et F. Guarnieri, Dictionnaire des risques psychosociaux, v° Réparation – (compensation), éd. le Seuil, 2014 (JB)

N.b. Les mots assortis d’un astérisque sont autant d’entrées du Dictionnaires des risques psychosociaux précité lequel a été distingué par l’Académie des sciences morales et politiques (prix René-Joseph Laufer).

Le prêt de consommation : l’extinction du contrat

Durée indéterminée.- Si les parties n’ont pas convenu d’une durée, le remboursement peut être exigé à tout moment. Mais dans ce cas, le juge peut accorder un délai suivant les circonstances, c’est  dire, en réalité, fixer le terme du prêt (art. 1900 c.civ.). Il ne s’agit pas d’un délai de grâce au sens des art. 1343-5 nouv. et s. (art. 1244-1 anc. c.civ.). Le juge n’est en particulier pas limité dans la durée accordée (2 ans max. pour les délais de grâce). Il peut même fixer un intérêt, quand bien même le prêt aurait été gratuit.

Durée déterminée.- La durée convenue est impérative, et le prêteur n’a pas de possibilité – à la différence du prêt à usage – de demander une restitution avant terme, quelqu’urgent que soit son besoin des choses prêtées (art. 1899 c.civ.). Mais l’emprunteur est déchu du terme s’il diminue les sûretés qu’il avait fourni (art. 1188 c.civ.).

L’emprunteur peut se libérer par anticipation lorsque le terme est stipulé dans son intérêt exclusif – ce que la loi présume – ; le terme est impératif à son égard lorsqu’il est stipulé dans l’intérêt commun (ex. prêt à î).

Décès.- Le décès du prêteur ne change rien. Celui de l’emprunteur peut provoquer la fin du prêt si celui-ci a été conclu intuitu personae.

Le prêt de consommation : les obligations du prêteur

Le droit du prêt de consommation ne se départit pour ainsi dire pas des règles qui sont prescrites relativement au prêt à usage. C’est à un renvoi général que procède l’article 1898 c.civ., en l’occurrence à l’article 1891 c.civ., à l’exception du remboursement des dépenses (l’emprunteur étant devenu propriétaire de la chose et l’ayant consommée).

Il sera donc renvoyé à l’article intitulé « Le prêt à usage : les obligations du prêteur ».

Le contrat de consommation : la preuve du contrat

Objet de la preuve.- Rien ne change par rapport au prêt à usage. Il faut prouver non seulement la remise de la chose, mais encore, puisque le prêteur doit prouver l’existence de l’obligation qu’il invoque, l’existence de l’obligation de restitution. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence décide de manière constante, en matière de prêt d’argent, que la simple preuve de la remise des fonds ne suffit pas à démontrer l’existence d’un prêt. On en arrive à une très contestable présomption de donation…

Moyens de preuve.- Le prêt de consommation est un contrat unilatéral. Sa preuve, au-dessus de 1500 €, est donc soumise aux exigences de l’article 1376 nouv. c.civ. (ancien article 1326 anc. c.civ.) : « un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres ».

Le prêt de consommation : nature du contrat (réel vs consensuel)

Le prêt est un contrat réel : la tradition (plus que le code civil lui-même) est sur ce point d’une extrême clarté. Cela étant, l’affirmation est aujourd’hui remise en cause pour certaines catégories de prêts.

1.- L’affirmation traditionnelle du caractère réel du prêt

On déduit de l’article 1892 c.civ. que le prêt est un contrat réel, qui ne se forme que par la remise de la chose. La règle est acquise depuis le droit romain (en droit romain classique déjà le mutuum était un contrat re). Ceci signifie, mais on l’a déjà vu ailleurs, que le simple échange des consentements du prêteur et de l’emprunteur s’analyse en une promesse de prêt, qui ne vaut pas prêt. Partant, l’éventuelle inexécution, qui aura consisté à ne pas remettre matériellement la chose objet du contrat de dépôt, ne peut donner lieu qu’à dommages et intérêts.

La règle produit une autre conséquence d’importance : le transfert de propriété n’a lieu que du moment de la remise, même si les consentements ont été échangés bien avant.

2.- La remise en cause du caractère réel du prêt

Depuis un arrêt du 28 mars 2000, la Cour de cassation considère que “le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel” (Cass. 1ère., 28 mars 2000, n° 97-21422,Bull. civ. 2000, I, n° 105). N’étant pas réel, le prêt d’argent consenti par un professionnel du crédit est donc consensuel. C’est dire qu’il se forme par le simple échange des consentements, indépendamment de la remise de la chose.

Cette décision constitue un revirement de jurisprudence tout à fait remarquable, qui rompt avec la tradition juridique. Elle était prévisible. Dans un avis rendu en 1992, la Cour soutenait que le prêt soumis aux disposition du code de la consommation est un contrat consensuel (parfait une fois l’acception de l’offre préalable faite par l’emprunteur) (Cass., avis, 9 oct. 1992, n° 92-04000, Bull. civ. 1992, n° 4. Elle confirmait sa doctrine dans un arrêt rendu en 1998 rendu à propos d’un crédit immobilier (Cass. 1ère civ., 27 mai 1998, n° 96-17312, Bull. civ. 1998, I, n° 186 : “prêts qui n’ont pas la nature d’un contrat réel”).

La portée du revirement est large et circonscrite à la fois. Large en ce sens que la décision rendue le 28 mars 2000 intéresse tous les contrats de prêts conclus par un professionnel du crédit peu important qu’il soit soumis ou non au code de la consommation. Circonscrite en ce sens que seuls les prêts d’argents consentis par un professionnel du crédit sont qualifiés de contrats consensuels. Pour le dire autrement, tous les autres prêts d’argent restent qualifiés de contrats réels (Cass. 1ère 7 mars 2006. V. déjà, Cass. 1re civ., 28 févr. 1995, Bull. civ. 1995, I, n° 107).

Le professeur Grua écrira que « cette nouveauté complexifie en particulier la question de la cause de l’obligation de restitution ((la raison pour laquelle l’emprunteur doit restituer). Celle-ci est simple tant que le prêt est un contrat réel : la cause de l’obligation de restitution réside dans la remise des fonds. Elle devient plus ardue si le prêt est consensuel : pour la jurisprudence, la cause de l’obligation de restitution de l’emprunteur réside dans l’obligation souscrite par le prêteur d’avancer les fonds. Ceci revient à faire basculer le prêt de consommation de la catégorie des contrats unilatéraux dans celle des contrats synallagmatiques. L’obligation de restitution et l’obligation de délivrer les fonds se serviraient ainsi mutuellement de cause. Sauf que ces obligations ne coexistent pas : elles se succèdent. L’obligation de restitution est nécessairement postérieure dans le temps à l’obligation de délivrance ». Le prêt de consommation n’est donc peut être que « doublement unilatéral », comme a pu le suggérer François Grua (in J.-Cl. Civil, art. 1892 à 1904, fasc. unique : « Prêt de consommation, ou prêt simple », par Grua†).

Le bail d’habitation : logement non meublé – Du contrat au statut

Contrat vs statut.- Les baux de logements vides ont d’abord été soumis au droit commun des contrats : autonomie de la volonté oblige. A l’origine, les quelques règles particulières aux baux à loyers sont bien loin de suffire à former un statut, c’est-à-dire un ensemble cohérent de règles applicables à une catégorie de personnes qui en déterminent, pour l’essentiel, la condition et le régime juridique.

Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, on signe l’armistice dans le train d’État-major du maréchal Foch. La France pleure ses morts ; elle dénombre ses destructions. Jamais guerre n’a causé plus de dégâts. La pénurie de logements gagne vite. L’offre de logements ne permet pas de satisfaire la demande. Le montant des loyers proposés interdit aux plus modestes de se loger. À compter du 9 mars 1918, le législateur, au gré des circonstances, s’emploie à renforcer la stabilité des locataires et des prix. L’édiction progressive d’un droit au logement locatif ravale les dispositions du Code civil au rang de règles résiduelles.

Berlin, le 8 mai 1945, il est 23h01, on signe l’armistice de la 2nde guerre mondiale : mêmes causes, mêmes effets. De nombreux immeubles sont démolis. Pendant que de nombreux autres sont saturés d’occupants, un certain nombre de propriétaires préfèrent conserver leurs immeubles libres de toute occupation en raison du blocage antérieur des loyers. Quant à la construction de logements neufs, elle a été stoppée pour fait de guerre. La loi du 1er septembre 1948 est votée. Légiférant dans l’urgence, dans le dessein de gérer la pénurie de logements, le législateur a grand peine à placer convenablement le curseur entre les intérêts légitimes mais contradictoires des preneurs à bail et des bailleurs.

Koweït city, le 17 octobre 1973 (1er choc pétrolier), Téhéran, 8 septembre 1978 (2ème choc pétrolier), les pays arables exportateurs de pétroles réduisent leur production. La crise économique est mondiale. Tous les secteurs de l’économie sont impactés ; le secteur du bâtiment n’y échappe pas. L’histoire se répète. Il en est résulté une nouvelle raréfaction des logements locatifs ainsi qu’une augmentation des loyers.

Bis repetita : le législateur remet son ouvrage sur le métier. Se succéderont trois lois princeps, qui diront respectivement tout des obligations du bailleur et du preneur, la dernière d’entre elles ayant été depuis lors notablement complétée.

Loi n° 82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs.

Loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière.

Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

Ordre public de protection.- Les baux soumis à la loi n° 48-1360 du 1 septembre 1948 (portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement) obéissent à une législation d’ordre public de protection pour le moins singulier : non seulement le locataire est créancier d’un droit au maintien dans les lieux sans limitation de durée – à tout le moins tant que l’intéressé répond aux conditions de la loi (art. 4) –, mais le prix des loyers des locaux est déterminé par le législateur (art. 26) ! Et s’il importe de dire quelques mots de cette loi, qui pourrait passer pour datée, c’est précisément parce qu’elle encore de droit positif. Au reste, et c’est remarquable, elle a conduit à faire des immeubles soumis au statut un « secteur privé à caractère social ». Autant dire qu’on flirte avec la contradiction in terminis, l’oxymore. Comprenez bien qu’aux termes de ce statut, ce sont les propriétaires privés qui supportent le coût social de la législation. C’est suffisamment original pour être souligné.

Géographiquement, l’article 1er de la loi est explicite. Sont soumis les immeubles situés dans les communes les plus peuplées : Paris, primus inter partes. Matériellement, la loi s’applique, en principe, aux seuls locaux construits avant le 1er septembre 1948 (art. 3) pour peu qu’ils soient affectés à l’habitation ou à un usage mixte sans caractère commercial, artisanal ou rural. L’idée du législateur est la suivante : au vu du statut dérogatoire du droit commun, imposé par la loi de 1948, lequel a perdu beaucoup de sa justification, les investisseurs ont grandement intérêt à construire pour échapper à l’application de la loi.

Plusieurs méthodes ont été adoptées pour sortir du régime de 1948. En voilà une : la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, dispose : « les locaux vacants à compter du 23 décembre 1986 ne sont plus soumis à la loi du 1er sept. 1948 (art. 25). Heureux le propriétaire qui prend connaissance du congé de son locataire ou de sa mort…

À compter des années 1960 (1962 précisément), on observe un reflux progressif de l’application de loi de 1948. Par voie de conséquence, le droit commun des contrats retrouve son emprise. La conjoncture n’a pourtant pas fondamentalement changée : l’offre reste très inférieure à la demande ; les loyers sont élevés et les baux de courte durée. Confronté à la précarité trop grande des locataires, le législateur est une nouvelle fois sommé de légiférer. Soucieux de concilier des intérêts antagonistes, le législateur accorde aux propriétaires plus de latitude. Pour ce faire, il s’emploie à les distraire du régime sévère et critiqué auxquels les bailleurs sont soumis. Mais il impose, en contrepartie, l’entretien de la chose à l’usage auquel on la destine et le maintien dans les lieux du preneur à bail. Ainsi, des baux dérogatoires sont aménagés. La loi du 1er septembre 1948 en porte la trace dans ces premiers articles.

La loi Quillot du 22 juin 1982 rel. aux droits et obligations des locataires et bailleurs restaure l’équilibre rompu au profit des locataires, auxquels elle confère un « droit à l’habitat ». Ce sera révolutionnaire. C’est de cette époque que date l’idée, constante depuis lors, de prévoir que le locataire pourra mettre fin au contrat quand il le souhaite tandis que le bailleur ne pourra le faire que dans des conditions très limitatives. L’idée maîtresse est de corriger le marché en instaurant dans le contrat un déséquilibre en faveur du locataire. Il faut comprendre que ce déséquilibre est inéluctable si l’on souhaite apporter des garanties minimales aux locataires.

Cette loi ne survivra pas au retour de la droite au pouvoir en 1986. Comprenez bien que le droit du logement locatif est un droit des extrêmes pour reprendre l’expression consacrée dans le précis Dalloz. La tâche du législateur est redoutable. Il lui faut concilier l’économie et le social, les intérêts du propriétaire et ceux du locataire. Pour ce faire, il importe de discipliner la loi du marché. Faire pencher la balance du côté du locataire, c’est freiner l’investissement locatif et alimenter la crise du logement. Faire pencher la balance du côté du propriétaire, c’est autoriser la conclusion de baux par trop déséquilibrés. On dit de la critique qu’elle est facile et de l’art qu’il est difficile. L’art du juste et du bien n’est pas chose aisée (Celse : jus est ars boni et aequi – 1ère phrase du Digeste (VIe s. ap. JC). C’est la raison pour laquelle, il faut beaucoup de mesure(s) dans la recherche de la justice. La survie du groupe, le maintien de son organisation, sa cohérence, l’ordre en dépend.

La loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 revient sur les avancées de la loi Quillot en redonnant des prérogatives importantes aux propriétaires et en gommant le droit à l’habitat. Elle sera immédiatement abrogée dès le retour de la gauche au pouvoir.

La loi Mermaz n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi du 23 décembre 1986 est la loi sous l’empire de laquelle les rapports de nombre de locataires et de propriétaires sont placés. La loi a tiré les leçons du passé. Le législateur voulut sa loi d’équilibre. Ont été concilié d’une part, le droit au logement du locataire, d’autre part, le droit de propriété du bailleur.

Droit au logement. Quant à la loi du 6 juillet 1989, elle proclame dans un article premier le droit au logement. Qualifié de fondamental, le Conseil constitutionnel a élevé ce dernier droit au rang d’objectif constitutionnel (Décision n° 94-359 DC). La portée juridique d’une telle norme est indécise. Un peu moins peut-être depuis la loi n° 2007-590 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable qui a complété le code de la construction et de l’habitation …(art. L. 300-1 : Le droit à un logement décent et indépendant (…) est garanti par l’Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’Etat, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir).

Le bail de droit commun : sous-location et cession

Le bail est un contrat à exécution successive, dont les effets s’inscrivent dans le temps. Cet instrument définit entre les parties une relation de longue durée qui possède une vie propre. Certains événements peuvent venir affecter les parties au contrat. Il s’agit plus particulièrement de la sous-location (1), de la cession (2) et du décès d’un des cocontractants (3). A noter que d’autres événements ont vocation à provoquer purement et simplement son extinction. Ils seront présentés dans un second article (voy. « Le bail de droit commun : extinction »).

En bref :

Plus de parties : Un tiers peut se rajouter dans l’opération contractuelle : la sous-location (1).

D’autres parties : Le locataire ou le bailleur peuvent changer : la cession conventionnelle (2).

Moins de parties : Une partie peut mourir : la cession légale (3).

1.- La sous-location

Conditions. La sous-location est un contrat par lequel le preneur concède à un tiers, moyennant le payement d’un sous-loyer, la jouissance de tout ou partie du bien loué. Comprenons bien : il ne s’agit pas d’un changement de locataire ; le preneur conserve sa qualité. Il s’agit d’un second contrat auquel le bailleur est tiers. Attention, il ne s’agit pas non plus d’une colocation[1].

Le principe de la validité de ce sous-contrat se trouve à l’article 1717 c.civ. A noter qu’il s’agit d’un texte supplétif de volonté. Les parties peuvent donc tout à fait stipuler l’interdiction ou conditionner la faculté laissée au preneur de procéder. Une seconde précision : les statuts spéciaux renversent l’ordre des facteurs. C’est l’interdiction qui est prescrite en première intention. Tantôt, les parties sont autorisées à stipuler le contraire (droit du bail d’habitation et droit du bail commercial). Tantôt, elles sont empêchées (droit du bail rural).

Effets. Le bailleur étant un tiers à la convention conclue entre le locataire et le sous-locataire, le principe de l’effet relatif des contrats interdit de considérer que le premier est obligé envers le dernier (art. 1199 nouv. c.civ. / art 1165 anc.). Ce principe est assorti d’une exception. Le bailleur est fondé à demander directement au sous-locataire (ou sous-preneur) le paiement du sous-loyer (dans la limite bien entendu de la dette contractée par le sous-locataire).

Illustration. Soit un loyer de 550 et un sous-loyer de 400. Si une action en paiement forcée est engagée par bailleur contre le sous-locataire, ce dernier ne sera pas obligé au-delà de 400 euros. La raison est la suivante : sauf stipulation contraire (clause de solidarité), les obligations contractées par le preneur et le sous-preneur sont divises (art. 1309 nouv. c.civ. – obligation qu’on qualifiait pour mémoire de conjointe avant la réforme (voire de disjointe – pluralité de sujets – pour éviter toute confusion avec l’obligation conjonctive – pluralité d’objets).

2.- La cession conventionnelle du bail

Deux cessions sont imaginables. Soit le locataire cède sa position contractuelle à un tiers, qui devient lui-même locataire auquel cas la cession est dite autonome (2.a.-). Soit le bailleur vend la chose objet du bail. La loi décide dans ce cas de figure que le nouveau propriétaire devient lui-même bailleur. La cession est dite accessoire (2.b.-).

2.a.- La cession autonome par le locataire

Conditions. Sauf convention contraire, la cession du contrat à l’initiative du locataire est autorisée par l’art. 1717 c.civ. Même solution en droit du bail commercial qui prohibe les clauses qui auraient pour objet ou pour effet de limiter la cessibilité du contrat (art. L. 145-16, al. 1, c.com.). En revanche, la cession autonome est refusée par le statut des baux d’habitation sauf accord écrit du bailleur (art. 8 loi n° 89-462 du 6 juill. 1989). Même interdiction de principe du côté du statut du fermage (art. L. 411-35, al. 1, c. rur.).

Effets. Comprenons bien. Il s’agit d’une véritable cession de contrat. Le locataire princeps cède sa position contractuelle. Cédant, par voie de conséquence, ses créances et l’ensemble des dettes à venir, la jurisprudence soumettait le contrat aux formalités de l’ancien article 1690 c.civ. (signification de la cession au bailleur par exploit d’huissier). La réforme du droit commun des contrats et du régime des obligations a notablement assouplie cette condition (art. 1322 nouv. c.civ.). En bref, à compter de la conclusion de la cession, l’ancien locataire n’est plus débiteur des loyers. Le défaut de paiement ex post ne saurait donc plus être imputé à faute.

2.b. – La cession accessoire par le bailleur

Principe. À la différence du cas qui vient d’être examiné, qui est celui d’une cession volontaire, la vente de la chose louée par le bailleur est une hypothèse de cession forcée du bail à l’acquéreur.

Le cas de figure est réglementé à l’article 1743 c.civ. Pour faire simple, le bail est en principe poursuivi avec le nouvel acquéreur.

Une condition est posée par la loi. Le bail doit être authentique ou bien doit avoir date certaine.  (art. 1328 anc. c.civ. : enregistrement, mort de l’une des parties, ou reprise de sa substance dans un acte authentique…). Formalisme que la Cour de cassation a atténué puisque la simple connaissance du bail (même non authentique, même sans date certaine) suffit à sa transmission : (voy. not. Cass. 3ème civ., 20 juill. 1989, Bull. civ. III, n° 169).

Par exception, le contrat peut réserver au bailleur le droit d’expulser le preneur à bail en cas de vente de la chose louée. Une raison à cela : un bien libre de toute occupation est mieux valorisé sur le marché immobilier. Et c’est sans compter la faculté pour le bailleur d’en jouir aussitôt.

La situation est toutefois un peu plus complexe dans les statuts spéciaux (voy. tout particulièrement l’article “Le bail d’habitation et à usage mixte »).

3.- La mort de l’une des parties : la cession légale du bail

Aux termes de l’article 1742 c.civ., la mort du bailleur ou du preneur n’est pas une cause d’extinction du contrat. Le bail se poursuit donc avec les héritiers, à charge pour eux, qu’ils soient bailleur(s) ou locataire(s), de résilier le contrat s’ils n’en veulent plus.

A noter que l’article 1742 c.civ. n’est toutefois pas d’ordre public. Les parties peuvent en écarter le jeu. Exception faite, une fois encore des statuts spéciaux, où il existe une dévolution successorale spécifiquement encadrée.

[1] Colocation : X. Labbée, « La colocation et le droit de la famille », JCP G. 2012.534. L’auteur se demande si la colocation ne serait pas une communauté de vie forcée. À ce titre, les colocataires pourraient être bien inspirés d’inclure dans le contrat un « règlement de vie commune », comme cela est tout à fait concevable s’agissant du pacs

Le bail de droit commun : preuve du contrat

Il faut s’arrêter un instant sur la preuve du bail. Dérogeant au droit commun, elle est spécialement réglementée par le Code civil, qui distingue la preuve de l’existence du bail (1) de la preuve du contenu du bail (2).

La distinction de fond est celle que le Code civil fait entre le bail verbal et le bail fait par écrit. Il faut noter dès à présent que certains statuts spéciaux règlent le problème autrement : par ex. la loi du 6 juillet 1989, relative au bail d’habitation, impose qu’un contrat soit dressé par écrit.

1.- La preuve de l’existence du bail

Aux termes des articles 1715 et 1716 c.civ., la preuve du bail n’est pas libre, à tout le moins en droit civil, car « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi » (art. L. 110-3 c.com.).

Dans la mesure où l’on peut louer par écrit (art. 1714 c.civ.), il va sans dire que le système de la légalité des preuves a vocation à jouer. L’article 1359 nouv. c.civ. dispose en ce sens que “l’acte juridique portant sur une somme ou sur une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique” (art. 1341 anc.).

Quand est-il de la preuve de l’existence d’un bail fait sans écrit ? L’article 1715, al. 1er c.civ. est explicite : si ce bail n’a pas encore reçu exécution, et que l’une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu’en soit le prix, et quoiqu’on allègue qu’il y a eu des arrhes données. A contrario, si le bail a reçu un commencement d’exécution, il peut être prouvé par tous moyens. En logique juridique, l’argument à partir du contraire ne peut être valablement pratiqué que s’il permet de revenir d’une exception, marquée en pratique par l’emploi d’une tournure de phrase négative, à un principe. C’est le cas en l’espèce. Les tribunaux ne s’y sont pas trompés (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, no 00-15.194, Bull. civ. III, no 59, Defrénois 2002. 1541, obs. Honorat, Petites affiches 18 nov. 2002, no 230, p. 7, note Stoffel-Munck, Rev. loyers 2002. 337, obs. Canu). La preuve n’est pas pour autant aussi facile à rapporter qu’on pourrait le penser. La loi exige que le commencement d’exécution soit prouvé. Le juge demande en conséquence que les éléments essentiels du contrat et notamment le paiement d’un prix convenu soient prouvés. L’existence d’une occupation des lieux ne suffit pas (Cass. 3e civ. 5 janv. 1978, Bull. civ. III, no 10). Vous me direz que ce n’est pas insurmontable. Vous avez raison et ce d’autant plus qu’un commencement d’exécution se prouve par tout moyen (Cass. 3e civ. 26 févr. 1971, Bull. civ. III, no 147, RTD civ. 1971. 867, obs. Cornu ; 20 déc. 1971, Bull. civ. III, no 642). En définitive, cette jurisprudence revient à admettre la preuve libre pour l’existence d’un bail qui a commencé à être exécuté.

La loi réserve toutefois le serment, qui peut être déféré à celui qui nie le bail, mais omet l’aveu (art. 1383 et s. nouv. c.civ. / art. 1715, al. 2, anc.). Au reste, cela n’a pas grande importance. Le serment décisoire et l’aveu sont des modes de preuve qui sont admissibles en toutes circonstances. Bien que la loi ne le dise pas, la preuve du bail par les tiers est libre.

Revenons quelques instants sur l’article 1715 c.civ., qui réglemente la preuve en cas de bail verbal pour lequel il n’y aurait eu aucun commencement d’exécution. Dans la mesure où l’existence d’un tel bail peut être suspecte, aucune preuve visible n’existant, le législateur est plus exigeant et déroge aux règles du droit commun : la preuve testimoniale est écartée quel que soit le montant du bail, par exception à l’article 1359 c.civ. précité. Les exceptions à cet article ne peuvent non plus, dès lors, s’appliquer : peu importe qu’il y ait un commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 18 mars 1987, Bull. civ. III, no 54) et peu importe qu’il y ait eu des versements (Cass. 3e civ. 16 mai 2000, no 98-17.803, Loyers et copr., 2000, comm. 185, obs. B. Vial-Pedroletti) ou une impossibilité de se procurer un écrit : la preuve testimoniale est toujours écartée et ne peut donc venir compléter un cas d’ouverture de l’ancien article 1348, alinéa 1. (voy. cep. un auteur qui considère possible la preuve testimoniale dans le cas d’une impossibilité morale de se procurer un écrit : A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux). Seuls restent donc théoriquement possibles comme modes de preuve admissibles pour de tels baux : le serment et l’aveu.

2.- La preuve du contenu du bail

La preuve du contenu du bail est réglementée par l’article 1716 c.civ. dans un français désuet mais qui a son charme. « Lorsqu’il y aura contestation sur le prix du bail verbal dont l’exécution a commencé, et qu’il n’existera point de quittance, le propriétaire en sera cru sur son serment, si mieux n’aime le locataire demander l’estimation par experts ; auquel cas les frais de l’expertise restent à sa charge, si l’estimation excède le prix qu’il a déclaré ».

Comprenez bien : le problème n’est pas que les parties n’ont pas fixé le loyer – car à défaut le bail serait nul ou dégradé en prêt à usage (ou commodat pour employer une qualification qui a été rayée du code) – c’est seulement qu’elles n’arrivent pas à en prouver le montant. C’est la raison pour laquelle un tiers doit intervenir, et quel meilleur tiers que le juge ?

Assurance de dommages : La transmission de la chose assurée

La chose assurée est nécessairement un bien dont l’utilité justifie l’appropriation et l’intégrité commande l’assurance. Étymologiquement, les biens sont des choses qui procurent des utilités à l’homme (les biens sont des choses appropriées). Une fois son utilité perdue, le bien à vocation à être transmis, soit à cause de mort, soit entre vifs. Seulement, en doit commun des obligations, la transmission d’un bien n’entraîne pas nécessairement par elle-même la transmission des contrats afférents, en l’occurrence la transmission du contrat d’assurance.

On doit à l’article 19 de la loi du 13 juillet 1930 dite Godart relative au contrat d’assurance, devenu l’article L. 121-10 C. assur. d’avoir organisé la transmission du contrat d’assurance. Le Code des assurances pose le principe de la continuation de plein droit du contrat en cours, mais réserve le droit pour l’assureur et pour l’acquéreur de résilier la police.

Faute d’être connue des sujets du droit des assurances, cette règle a soulevé des difficultés pratiques en cas d’aliénation d’un véhicule terrestre à moteur. Le vendeur pensait, bien souvent, après la vente, pouvoir reporter l’assurance sur son nouveau véhicule. Et l’acquéreur de se croire obligé de souscrire une nouvelle assurance se retrouvait (à son corps défendant) dans une situation de cumul d’assurances (v. article “Assurance de dommages : Les valeurs garanties).

Réformé, le Code des assurances renferme un régime dérogatoire propre au contrat d’assurance afférent aux véhicules terrestres à moteur (c.assur., art. L. 121-11 sur renvoi de l’art. L. 121-10, al. 6).

1.- Le régime de droit commun

La transmission du contrat d’assurance (a). La faculté de résiliation unilatérale du contrat d’assurance (b).

a.- La transmission du contrat d’assurance

Fondement de la transmission. Le contrat d’assurance étant l’accessoire du bien. Par voie de conséquence : Accessorium sequitur principale !

Conditions de la transmission. Assurance spécifique – L’article L. 121-10 C. assur. est l’une des dispositions générales du Titre 2 consacré aux règles relatives aux assurances de dommages non maritimes. Aussi, la loi autorise-t-elle que soient transmises à l’ayant cause (acquéreur ou héritier) l’assurance de chose afférente au bien dont la propriété est transférée – transfert de la garantie souscrite contre une diminution de l’actif – mais encore l’assurance qui garantit le risque de responsabilité encouru par le propriétaire ou le gardien de la chose (usage, contrôle, direction) – transfert de la garantie souscrite contre une aggravation du passif –.

Prime spécifique – La Cour de cassation s’est employée à resserrer le domaine d’application de l’article L. 121-10 C. assur. Elle considère que « la transmission de plein droit à l’acheteur d’une chose assurée de l’assurance souscrite par le vendeur a pour condition nécessaire que la chose achetée soit la matière d’un risque qui lui est propre, auquel correspond une prime spéciale ou une partie divisible de la prime totale » (Cass. civ.  27 janv. 1948, D. 1949, p. 458, note A. Besson). Autrement dit, l’assurance doit se rapporter de façon spéciale et indépendante à la chose transférée. Cette condition n’est satisfaite que lorsque, d’une part, la chose assurée est individualisée et déterminée précisément dans la police et, d’autre part, lorsque la couverture des risques afférents à cette chose donne lieu au paiement d’une prime spéciale et indépendante. Or, en pratique, la police a fréquemment pour objet plusieurs biens, possiblement individualisés, mais garantis contre le paiement d’une prime globale et forfaitaire. L’assurance étant alors accessoire de l’ensemble des biens, elle ne peut être transmise lorsque l’un seulement des éléments est cédé.

– Contrat en cours – Seule une assurance en vigueur au moment du transfert de propriété est susceptible d’être transmise à l’acquéreur de la chose. Résiliée, la police ne pourra être transmise : nemo plus juris…(personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’il n’en a lui-même). Révoquée (convention révocatoire) par les parties, la police ne pourra pas non plus être transmise : mutuus dissensus. Il en sera ainsi toutes les fois que l’assureur et l’assuré auront convenu avant la cession de reporter l’assurance sur la chose acquise par l’assuré en remplacement du bien qu’il s’apprête à vendre.

Transfert de propriété – On aura garde noter que si le transfère de propriété de la chose assurée devait être annulé ou résolu, la transmission du contrat d’assurance serait rétroactivement anéantie. Le cédant serait considéré comme n’ayant jamais perdu la qualité d’assuré. On voit là une manifestation remarquable de l’effet des nullités sur le temps (dialectique liberté des contractants vs sécurité des contrats).

Effets de la transmission. La transmission du contrat d’assurance est active et passive. Au jour du transfert de propriété, le cessionnaire se substitue à l’ancien propriétaire. Il bénéficie des droits nés du contrat. Il est en l’occurrence créancier de la garantie souscrite par le cédant. On dit qu’il y a transmission active du contrat d’assurance. La cession de créance n’a pas d’effet novatoire (art. 1692 anc. c.civ. : « La vente ou la cession d’une créance comprend les accessoires de la créance au temps du transport, quoi qu’il soit fait sans garantie ») : l’assureur est fondé à opposer à l’assuré substitué les clauses d’exclusions et de déchéances (principe d’opposabilité des exceptions) à la condition sine qua non qu’il en ait informé son cocontractant.

S’il bénéficie des droits nés du contrat, l’assuré substitué est débiteur des obligations contractées. Il doit, énonce l’article L. 121-10 c.assur, « exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat ». Il doit déclarer toute aggravation du risque (art. L. 113-2, 3°, c.assur.), tout sinistre postérieur à l’acquisition. Il doit payer toutes les primes à échoir (à tout le moins, précise l’article L. 121-10, al. 3 c.assur., à partir du moment où le cédant à informer son assureur par lettre recommandée du changement de propriétaire).

b.- La faculté de résiliation réciproque du contrat d’assurance

La transmission de plein droit du contrat d’assurance en cas d’aliénation de la chose assurée est tempérée par la faculté de résiliation réciproque. Cette faculté entend ménager la liberté contractuelle. Il se peut fort bien que l’assureur et le nouveau propriétaire ne souhaitent pas poursuivre les relations contractuelles. L’article L. 121-10, al. 2 C. com. est un texte supplétif de volonté (voy. par ex. Cass. 2ème civ., 7 oct. 2010, n° 09-16763, Resp. civ. assur., déc. 2010, comm. 331 M. Asselain, « Aliénation de la chose assurée : modalités de résiliation de l’assurance transmise accessoirement à la chose »).

2.- Le régime spécial

La transmission de plein droit du contrat d’assurance en cas d’aliénation de la chose assurée est paralysée toutes les fois que ladite chose est un véhicule terrestre à moteur ou, par extension législative, s’il s’agit d’une cession entre vifs de « navires ou de bateaux de plaisance, quel que soit le mode de déplacement ou de propulsion utilisée » (c.assur., art. L. 121-11).

C’est qu’il existe des circonstances dans lesquelles l’aliénateur peut avoir intérêt à conserver le bénéfice de l’assurance contractée. En pratique, il est fréquent que le vendeur d’un véhicule rachète un nouvel engin et désire en conséquence transférer l’assurance du véhicule vendu au nouveau. Le transfère du contrat de l’article L. 121-10 C. assur. l’interdirait.

En cette occurrence, le contrat est suspendu, qu’il garantisse le patrimoine de l’assuré contre un risque de diminution de l’actif (assurance de choses) ou contre un risque d’aggravation du passif (assurance de responsabilité).

La suspension, qui s’effectue de plein droit – i.e. sans qu’elle ne soit subordonnée à la rédaction d’un avenant ou d’une signification faite par l’assuré à l’assureur (Cass. 1ère civ. 27 avr. 1996, Bull. civ. I, n° 248) – prend effet le lendemain du jour de l’aliénation, à 0 heure (C. assur., art. L. 121-11, al. 1er). Le nouvel acquéreur bénéficie donc de l’assurance toute la journée de son acquisition.

Suspendu, le contrat n’est pas ipso jure résilié. Il importe que les parties ne laissent pas les choses en l’état. L’acheteur peut demander le bénéfice de la garantie promise au contrat afin de couvrir le risque encouru par la chose substituée. La loi énonce que l’accord des parties doit être constaté. Il s’agira en pratique de signer un avenant au contrat. À défaut, les parties seront libres de résilier le contrat. La résiliation opérera dans les 10 jours qui suivent la dénonciation de la police. S’il s’avérait qu’aucune résiliation conventionnelle n’ait été constatée ou que le contrat n’ait plus été exécuté, la résiliation opérerait, de plein droit, à l’expiration d’un délai de 6 mois, à compter de l’aliénation (opération par laquelle celui qui aliène transmet volontairement à autrui la propriété d’une chose).