La stipulation pour autrui: effets

La stipulation pour autrui, en introduisant un tiers bénéficiaire dans un rapport contractuel auquel il n’a pas pris part, s’affranchit du principe de l’effet relatif des contrats. Ce mécanisme confère à ce tiers un droit direct à l’encontre du promettant, tandis que le stipulant demeure l’architecte de cette attribution. Dès lors, les effets de la stipulation ne se limitent pas à la seule relation entre le stipulant et le promettant : ils s’étendent également aux liens qu’ils entretiennent avec le bénéficiaire, chacun jouant un rôle distinct dans l’équilibre de l’opération.

Ainsi, trois rapports juridiques se superposent tout en conservant leur autonomie : d’abord, la relation contractuelle initiale entre le stipulant et le promettant, qui constitue le fondement même de la stipulation ; ensuite, le lien qui s’établit entre le promettant et le bénéficiaire, ce dernier pouvant revendiquer l’exécution de la prestation convenue ; enfin, la relation entre le stipulant et le bénéficiaire, qui peut soulever des interrogations quant à la nature et aux limites des droits que ce dernier tient de la stipulation.

Il convient donc d’examiner successivement ces trois séries d’effets, afin de mieux saisir la portée et l’articulation des obligations nées de la stipulation pour autrui.

A) Les effets de la stipulation dans les rapports entre le stipulant et le promettant

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre contre le promettant, elle n’épuise pas pour autant les droits du stipulant, qui demeure lié contractuellement au promettant. Ce dernier, bien que tenu d’exécuter une obligation au profit d’un tiers, reste en rapport direct avec le stipulant, dont il tire l’obligation principale. La relation entre ces deux parties repose ainsi sur une articulation délicate entre l’engagement souscrit envers le bénéficiaire et les droits que le stipulant conserve du fait du contrat dont est issue la stipulation.

1. L’existence d’un droit propre du stipulant à l’égard du promettant

Le stipulant, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation pour autrui, conserve des droits propres à l’encontre du promettant, distincts de ceux conférés au bénéficiaire. Ces prérogatives trouvent leur source dans un double fondement : d’une part, le contrat conclu entre le stipulant et le promettant, qui régit leurs relations et leur confère des droits et obligations réciproques ; d’autre part, la stipulation elle-même, qui, bien qu’ayant pour finalité l’octroi d’un avantage à un tiers, ne prive pas le stipulant de toute maîtrise sur l’exécution de l’engagement souscrit par le promettant.

Ainsi, la stipulation pour autrui, loin d’anéantir les droits du stipulant, lui confère, au contraire, la possibilité d’exiger du promettant qu’il s’exécute conformément aux engagements contractuellement souscrits. Le stipulant demeure ainsi un acteur central de l’opération, disposant d’un droit propre à veiller à l’effectivité de la prestation due au bénéficiaire et, en cas d’inexécution, à en tirer toutes les conséquences juridiques.

Toutefois, la coexistence entre le droit du stipulant et celui du bénéficiaire n’est pas absolue et peut, dans certaines configurations, se trouver résorbée au profit du seul droit du bénéficiaire. Cette absorption intervient notamment lorsque l’objet du contrat consiste exclusivement à faire bénéficier un tiers d’une prestation, à l’exclusion de toute créance résiduelle du stipulant contre le promettant.

Tel est le cas, par exemple, dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie souscrit au profit d’un tiers : dès lors que l’assureur s’engage exclusivement à verser un capital au bénéficiaire, le souscripteur de l’assurance n’a plus, à l’égard de l’assureur, aucun droit propre lui permettant d’interférer dans l’exécution de l’engagement pris. Il en va de même lorsqu’un contrat de vente prévoit que le prix sera réglé directement entre les mains d’un tiers, que ce soit sous forme de rente viagère ou de capital payable en une seule fois : le droit du bénéficiaire à percevoir la somme convenue vient, en quelque sorte, supplanter et éteindre toute créance que le stipulant aurait pu initialement détenir à l’encontre du promettant.

Dans ces hypothèses, le stipulant se trouve privé de toute action propre contre le promettant et ne peut en aucun cas contester la transmission du droit au bénéficiaire. L’opération, une fois conclue, se referme sur elle-même : le stipulant disparaît de l’équation juridique, ne laissant subsister qu’une relation directe entre le bénéficiaire et le promettant.

Dans la plupart des cas, toutefois, le droit du stipulant demeure distinct de celui du bénéficiaire, ce qui soulève la question de l’articulation entre ces deux prérogatives. En effet, bien que le bénéficiaire puisse faire valoir un droit propre à l’encontre du promettant, ce dernier n’en devient pas pour autant son cocontractant direct au sens strict du terme : il reste tenu en vertu d’un engagement pris à l’égard du stipulant, qui demeure la source même de son obligation.

Dès lors, si le bénéficiaire est en droit d’exiger du promettant l’exécution de la stipulation, il ne saurait, en revanche, se prévaloir de moyens d’action propres aux parties au contrat générateur de la stipulation, tels que :

  • Les actions en nullité du contrat : seul le stipulant, en sa qualité de contractant, peut contester la validité du contrat ayant donné naissance à la stipulation. Ainsi, si le contrat est frappé de nullité pour un vice du consentement ou pour une cause illicite, le bénéficiaire ne pourra pas s’en prévaloir pour remettre en cause son droit. Cette incapacité tient au fait que les actions en nullité appartiennent aux parties contractantes et non aux tiers bénéficiant des effets d’un contrat.
  • Les actions en résolution pour inexécution des obligations contractuelles : si le promettant manque à ses engagements, le bénéficiaire ne peut, à lui seul, solliciter la résolution du contrat, car il ne détient pas la qualité de cocontractant. Cette prérogative demeure entre les mains du stipulant, qui, en tant que partie originelle au contrat, peut en poursuivre l’anéantissement en cas d’inexécution par le promettant.

Ainsi, malgré l’acquisition d’un droit propre par le bénéficiaire, la stipulation pour autrui ne le place pas sur un pied d’égalité avec le stipulant quant aux actions pouvant être exercées contre le promettant. Il en résulte que le stipulant, même après l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire, conserve un droit autonome, lui permettant d’intervenir dans l’exécution de l’engagement pris par le promettant.

Toutefois, l’exercice des droits du stipulant ne saurait être absolu et doit s’articuler avec le principe d’indépendance du droit du bénéficiaire une fois l’acceptation intervenue. En effet, si le stipulant conserve la faculté d’agir en nullité ou en résolution du contrat générateur de la stipulation, ces actions ne sauraient être mises en œuvre sans prendre en compte les effets qu’elles produisent à l’égard du bénéficiaire.

Lorsque la stipulation a été acceptée, son irrévocabilité empêche en principe le stipulant d’en anéantir les effets de manière unilatérale. Ainsi, si une action en nullité ou en résolution est engagée par le stipulant, il conviendra de distinguer selon que le bénéficiaire a été mis en cause dans la procédure ou non :

  • Si le bénéficiaire est partie au litige, la nullité ou la résolution prononcée lui est opposable et anéantit son droit. Dès lors, la disparition du contrat entraîne celle de la stipulation, dans un effet rétroactif global.
  • Si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il pourra contester l’opposabilité de la décision et faire valoir que la résolution ne saurait lui être appliquée, faute d’avoir pu défendre ses intérêts. Dans cette hypothèse, la nullité ou la résolution sera inopposable au bénéficiaire, qui pourra toujours exiger du promettant l’exécution de la stipulation.

Ce mécanisme illustre la complexité des interactions entre le stipulant et le promettant dans le cadre d’une stipulation pour autrui. Si le stipulant reste maître du contrat générateur, il ne peut ignorer que la stipulation qu’il a instituée crée un droit au profit du bénéficiaire, lequel tend à s’émanciper progressivement du cadre contractuel initial.

2. Les voies de droit ouvertes au stipulant en cas d’inexécution du promettant

Si la stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire à l’égard du promettant, elle ne prive pas pour autant le stipulant de tout recours en cas de défaillance de ce dernier. En tant que cocontractant du promettant, le stipulant demeure en effet investi d’un pouvoir d’action autonome, lui permettant d’assurer la mise en œuvre effective de la stipulation et de garantir le respect des engagements souscrits.

Ainsi, lorsqu’un manquement du promettant est constaté, trois voies de droit s’ouvrent au stipulant :

a. L’action en exécution de l’obligation souscrite par le promettant

Le stipulant, bien qu’il ne soit pas lui-même créancier direct de la prestation due au bénéficiaire, conserve la faculté d’exiger du promettant l’exécution de ses engagements. Cette prérogative repose sur le lien contractuel qui unit le stipulant et le promettant, en vertu duquel ce dernier s’est engagé à accomplir une prestation au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence admet ainsi que le stipulant dispose d’un droit d’action en exécution forcée, lui permettant de contraindre le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire. Ce droit existe indépendamment de l’initiative du bénéficiaire : le stipulant peut agir, même si le bénéficiaire n’a pas encore exercé son propre recours contre le promettant. L’action du stipulant trouve sa justification dans l’intention même qui a présidé à la stipulation : il s’agit pour lui de garantir que l’engagement pris par le promettant au profit du tiers sera effectivement respecté.

Cette action en exécution peut revêtir plusieurs formes :

  • L’exécution forcée en nature: si l’obligation du promettant est encore susceptible d’être exécutée, le stipulant pourra demander au juge d’en ordonner l’exécution, le cas échéant sous astreinte. Cette solution s’impose notamment lorsque la prestation convenue revêt un caractère spécifique ou personnalisé, rendant une indemnisation pécuniaire insuffisante.
  • L’octroi de dommages-intérêts: lorsque l’exécution en nature est impossible ou manifestement disproportionnée, le stipulant pourra obtenir une indemnisation destinée à réparer l’inexécution de l’obligation contractuelle.

Ainsi, même si le bénéficiaire est titulaire d’un droit propre contre le promettant, la stipulation pour autrui ne dépossède pas le stipulant de son pouvoir d’intervention. Il conserve un intérêt légitime à veiller à l’exécution des engagements souscrits et peut, en conséquence, agir contre le promettant pour garantir l’effectivité de la stipulation.

b. L’action en résolution du contrat pour inexécution du promettant

Lorsqu’un contrat est créateur d’une stipulation pour autrui, il est admis que le stipulant puisse en solliciter la résolution en cas d’inexécution par le promettant. Cette faculté repose sur un principe fondamental : la stipulation pour autrui ne saurait subsister si le contrat dont elle est issue disparaît.

Ainsi, si le promettant manque à ses obligations à l’égard du bénéficiaire, le stipulant peut saisir le juge afin d’obtenir l’anéantissement rétroactif du contrat. Cette solution est largement consacrée par la jurisprudence, qui considère que le stipulant, en sa qualité de partie contractante, demeure en droit d’invoquer la résolution du contrat principal, même lorsque cette inexécution concerne exclusivement la prestation due au bénéficiaire.

Toutefois, le principe d’irrévocabilité de la stipulation après acceptation par le bénéficiaire vient tempérer ce pouvoir. En effet, une fois l’acceptation intervenue, la stipulation pour autrui acquiert une autonomie qui la protège d’une remise en cause arbitraire par le stipulant. La résolution du contrat devient alors plus délicate à obtenir et suppose un équilibre entre :

  • Le principe de l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, qui empêche le stipulant de remettre en cause la stipulation de manière unilatérale après acceptation ;
  • Le principe de dépendance du droit du bénéficiaire vis-à-vis du contrat dont il est issu, qui implique que la disparition du contrat entraîne logiquement celle de la stipulation.

Dès lors, si le bénéficiaire a accepté la stipulation, la résolution ne lui sera opposable que s’il a été mis en cause dans la procédure, conformément aux principes de l’autorité relative de la chose jugée. En revanche, en l’absence d’acceptation, la résolution s’impose naturellement, l’engagement du promettant envers le bénéficiaire trouvant exclusivement sa source dans le contrat initial.

Ainsi, l’action en résolution constitue une voie de droit essentielle pour le stipulant : elle lui permet d’exercer un contrôle sur la pérennité de la stipulation et de préserver ses intérêts en cas de défaillance du promettant.

c. L’action en responsabilité contractuelle pour obtenir des dommages-intérêts

Enfin, le stipulant peut solliciter une réparation pécuniaire lorsque l’inexécution du promettant lui cause un préjudice personnel. En effet, l’inexécution de la stipulation pour autrui ne saurait être neutre pour le stipulant : selon les circonstances, elle peut entraîner une atteinte à ses propres droits ou lui occasionner une perte financière.

L’action en responsabilité contractuelle du stipulant contre le promettant est susceptible d’intervenir dans deux situations:

  • Lorsque l’exécution de la stipulation conditionne une contrepartie due par le promettant. Tel est le cas, par exemple, lorsque le stipulant a prévu une prestation au profit du bénéficiaire en contrepartie d’une obligation réciproque du promettant. L’inexécution prive alors le stipulant de l’équilibre contractuel qu’il avait initialement recherché, justifiant ainsi une demande d’indemnisation.
  • Lorsque l’inexécution cause un préjudice propre au stipulant. L’absence d’exécution de la stipulation peut avoir des conséquences dommageables pour le stipulant lui-même, indépendamment des droits du bénéficiaire. Par exemple, si le stipulant avait un intérêt financier ou moral à voir la stipulation exécutée, il pourra prétendre à la réparation du préjudice subi.

Dans ces hypothèses, le stipulant peut solliciter l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en démontrant :

  • Une inexécution imputable au promettant ;
  • Un préjudice personnellement subi ;
  • Un lien de causalité direct entre cette inexécution et son dommage.

Ainsi, le stipulant, loin d’être un simple intermédiaire passif dans l’opération de stipulation pour autrui, demeure pleinement investi d’un pouvoir d’action à l’égard du promettant.

3. L’incidence de la résolution du contrat sur les droits du bénéficiaire

La résolution du contrat créateur de la stipulation pour autrui soulève une question quant au sort du droit acquis par le bénéficiaire. En principe, l’anéantissement du contrat entraîne l’extinction de toutes les obligations qui en découlent, y compris celles résultant de la stipulation. Toutefois, lorsque le bénéficiaire a déjà accepté la stipulation, la situation se complexifie, suscitant une controverse doctrinale quant à la préservation ou à l’anéantissement de son droit.

a. Les thèses doctrinales

Deux approches doctrinales s’affrontent sur la question du maintien des droits du bénéficiaire après la résolution du contrat support :

  • L’autonomie du droit du bénéficiaire
    • Certains auteurs considèrent que, dès lors que le bénéficiaire a accepté la stipulation, son droit acquiert une autonomie qui le protège des aléas du contrat générateur.
    • Cette position repose sur le principe de l’irrévocabilité de la stipulation après acceptation, consacrée par l’article 1206, alinéa 3, du Code civil. L’idée sous-jacente est que le bénéficiaire ne saurait subir les conséquences d’un différend entre le stipulant et le promettant auquel il est étranger.
    • Ainsi, même en cas de résolution du contrat principal, la stipulation pour autrui perdurerait, contraignant le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire.
  • Le caractère accessoire du droit du bénéficiaire
    • À l’inverse, une autre partie de la doctrine soutient que le droit du bénéficiaire est intrinsèquement lié au contrat générateur de la stipulation, dont il constitue un accessoire.
    • Dans cette logique, la disparition du contrat principal emporte nécessairement l’extinction du droit du bénéficiaire, conformément au principe selon lequel l’accessoire suit le sort du principal.
    • Cette position repose sur une lecture rigoureuse du mécanisme de la stipulation pour autrui : le promettant ne s’engage pas directement envers le bénéficiaire, mais seulement en exécution d’une obligation contractuelle souscrite à l’égard du stipulant.
    • L’anéantissement de cette obligation contractuelle par voie de résolution priverait donc le bénéficiaire de tout fondement juridique pour réclamer l’exécution de la stipulation.

b. La solution jurisprudentielle

Face aux divergences doctrinales quant aux effets de la résolution du contrat générateur de la stipulation pour autrui, la jurisprudence a adopté une solution intermédiaire, conciliant l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire avec la nécessité de préserver la cohérence contractuelle.

Cette position repose sur un critère déterminant : la mise en cause ou non du bénéficiaire dans l’instance en résolution. Deux situations doivent ainsi être distinguées.

==>La mise en cause du bénéficiaire dans l’instance en résolution : l’extinction de ses droits

Lorsqu’un litige survient entre le stipulant et le promettant et que la résolution du contrat est sollicitée, la jurisprudence exige que le bénéficiaire soit mis en cause dans l’instance. Cette exigence repose sur le principe de l’autorité relative de la chose jugée : un jugement ne saurait affecter les droits d’un tiers qui n’a pas été partie au litige.

Ainsi, si le bénéficiaire est appelé à la procédure, il a la possibilité de faire valoir ses arguments et de défendre son droit avant que le contrat ne soit anéanti. En pareille hypothèse, la résolution lui devient opposable et entraîne l’extinction de la stipulation pour autrui, dans la mesure où son fondement juridique disparaît.

Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 1888 (Req., 6 juin 1888) aux termes duquel elle a jugé que la résolution prononcée en présence du bénéficiaire mettait fin à ses droits contre le promettant. La solution a été réaffirmée plus récemment dans des décisions portant sur la révocation de donations avec charges, lesquelles s’analysent en stipulations pour autrui (V. Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

==>L’absence de mise en cause du bénéficiaire : la survie de la stipulation

En revanche, si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il conserve son droit contre le promettant, qui ne pourra lui opposer la résolution du contrat principal. Dans ce cas, la stipulation survit à l’anéantissement du contrat, créant ainsi une obligation autonome du promettant envers le bénéficiaire.

Cette solution trouve son fondement dans l’idée qu’un tiers ne saurait être privé d’un droit dont il n’a pas eu l’opportunité de contester l’anéantissement devant un juge. Elle permet de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire, en évitant qu’il ne soit soudainement privé de son droit sans avoir pu intervenir à la procédure.

La Cour de cassation a consacré cette approche dans un arrêt du 22 avril 1909 (Req., 22 avr. 1909, S. 1909, 1. 349), en refusant d’opposer la résolution du contrat au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui qui n’avait pas été appelé à l’instance. Plus récemment, dans une affaire concernant l’assurance vie, elle a jugé que l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire créait un droit autonome, susceptible de survivre à la disparition du contrat initial (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n° 00-21.271).

==>Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée

Lorsque la résolution du contrat ne peut être opposée au bénéficiaire, le promettant demeure tenu d’exécuter la stipulation, mais il conserve un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours lui permet d’obtenir réparation du préjudice causé par l’exécution forcée d’une obligation qui aurait normalement dû disparaître avec le contrat initial.

La jurisprudence a confirmé que, dans une telle hypothèse, le promettant pouvait exercer une action en répétition des sommes versées (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n° 97-20.040), ainsi qu’un recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant s’il établissait un préjudice résultant de cette situation (Cass. com., 14 mai 1979, n°77-15.865).

4. Les recours dont dispose le promettant contre le stipulant aux fins d’exécution de ses obligations

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct contre le promettant, elle ne réduit pas ce dernier à une position de simple débiteur passif, entièrement tributaire de la volonté du stipulant. En effet, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation, le promettant conserve des voies de recours contre le stipulant, notamment lorsque ce dernier manque à ses propres engagements.

Ces recours revêtent une importance particulière dans le cadre d’un contrat synallagmatique, où l’obligation du promettant envers le bénéficiaire trouve sa contrepartie dans une prestation due par le stipulant. En ce sens, deux grandes catégories de recours sont ouvertes au promettant :

  • L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions issues du contrat principal
  • Le recours en restitution contre le stipulant en cas d’exécution contrainte de la stipulation

a. L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions tirées du contrat principal

Bien qu’il soit tenu d’une obligation à l’égard du bénéficiaire, le promettant conserve la possibilité d’invoquer des exceptions tirées du contrat conclu avec le stipulant. Ces exceptions lui permettent de suspendre ou de refuser l’exécution de l’obligation stipulée lorsque le contrat générateur n’est pas exécuté dans les conditions prévues.

==>L’exception d’inexécution

Le promettant peut opposer l’exception d’inexécution lorsque le stipulant n’a pas rempli ses obligations issues du contrat principal. Cette possibilité, consacrée par l’article 1219 du Code civil, permet au promettant de suspendre l’exécution de son obligation tant que le stipulant demeure défaillant.

En matière d’assurance vie, la jurisprudence admet que si le souscripteur n’a pas versé les primes dues, l’assureur peut refuser de verser le capital au bénéficiaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).

==>L’exception de nullité ou de résolution du contrat principal

Si le contrat générateur de la stipulation est entaché d’une cause de nullité ou fait l’objet d’une résolution, le promettant peut invoquer cette circonstance pour refuser d’exécuter l’obligation stipulée au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence reconnaît en effet que le bénéficiaire ne peut prétendre à un droit dont le fondement juridique a disparu avec le contrat principal (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n°97-20.040).

==>Limites aux exceptions opposables au bénéficiaire

Toutefois, le promettant ne peut pas opposer au bénéficiaire certaines exceptions personnelles au stipulant, notamment celles tenant à l’incapacité du stipulant ou à un vice du consentement, conformément aux articles 1147 et 1181 du Code civil.

Ainsi, si le contrat principal est annulé pour cause d’incapacité du stipulant, le promettant ne pourra pas s’en prévaloir à l’encontre du bénéficiaire (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n°00-21.271).

b. Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée de la stipulation

Lorsqu’un promettant est contraint d’exécuter la stipulation malgré la disparition du contrat principal, il peut exercer un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours repose sur le principe selon lequel le promettant ne doit pas être tenu d’exécuter une obligation qui a perdu son fondement contractuel.

==>L’action en répétition des prestations indûment exécutées

Si le promettant a été contraint d’exécuter une obligation au bénéfice du tiers alors que le contrat générateur a été annulé ou résolu, il peut exiger la restitution des prestations versées auprès du stipulant.

Ce principe s’inscrit dans la logique des restitutions consécutives à l’anéantissement d’un contrat, consacrée par l’article 1352 du Code civil et confirmée par la jurisprudence (Cass. req., 22 avr. 1909).

==>Le recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant

Dans l’hypothèse où le promettant a dû exécuter la stipulation en raison d’un manquement du stipulant, il pourra engager la responsabilité contractuelle de ce dernier pour obtenir réparation du préjudice subi.

Ce recours suppose de prouver :

  • Un manquement contractuel du stipulant
  • Un préjudice pour le promettant
  • Un lien de causalité entre la faute du stipulant et le préjudice du promettant

Dans une affaire où un constructeur-promettant avait dû exécuter des travaux en faveur d’un bénéficiaire alors que le maître d’ouvrage (stipulant) n’avait pas payé le prix convenu, la Cour de cassation a admis son recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant (Cass. com., 14 mai 1979).

c. Les actions dont dispose le stipulant après l’exécution de la stipulation

Bien que la stipulation pour autrui crée un droit direct au profit du bénéficiaire, elle ne prive pas pour autant le stipulant de toute action après l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Le renouvellement des sûretés attachées à la créance du bénéficiaire

Lorsque la stipulation est assortie d’une sûreté garantissant l’exécution de la prestation due au bénéficiaire (gage, hypothèque, cautionnement), le stipulant peut prendre l’initiative de renouveler ces garanties afin de préserver le droit du bénéficiaire.

La Cour de cassation a reconnu la possibilité pour le stipulant de renouveler une hypothèque inscrite en garantie d’une obligation au profit d’un bénéficiaire (Cass. civ., 16 avr. 1894).

==>L’intervention en justice pour défendre l’exécution de la stipulation

Le stipulant, en sa qualité d’instigateur de la stipulation, peut également agir en justice pour garantir l’exécution de l’obligation souscrite par le promettant envers le bénéficiaire.

Par exemple, la Cour de cassation a admis que le stipulant puisse prendre des mesures conservatoires pour protéger le droit du bénéficiaire, notamment en saisissant des créances du promettant (Cass. civ., 16 janv. 1888)

B) Les effets dans les rapports entre le promettant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui est un mécanisme contractuel singulier, permettant à un stipulant d’octroyer un droit à un tiers bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Ce droit, d’abord rattaché à la volonté du stipulant, s’en émancipe progressivement pour devenir pleinement autonome dès qu’il est accepté par le bénéficiaire. Ainsi, l’équilibre entre la liberté contractuelle du stipulant et la protection du bénéficiaire repose sur trois principes essentiels : un droit direct conféré indépendamment de toute acceptation, une révocabilité tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, et une irrévocabilité consacrée par son adhésion à la stipulation.

1. Un droit direct conféré au bénéficiaire indépendamment de son acceptation

La stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct et autonome à l’encontre du promettant, indépendamment de toute acceptation préalable de sa part. En d’autres termes, dès l’instant où la stipulation est réalisée, le bénéficiaire se trouve investi d’un droit de créance, qu’il peut faire valoir sans avoir à intervenir dans la formation du contrat initial. Ce principe, affirmé par l’article 1206, alinéa 1ere du Code civil, traduit une exception marquante au principe de l’effet relatif des contrats.

==>L’attribution immédiate d’un droit de créance au bénéficiaire

La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la stipulation pour autrui confère immédiatement au bénéficiaire un droit de créance opposable au promettant, sans qu’il ait besoin d’exprimer son accord (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Ce droit peut naître de deux façons :

  • Une désignation immédiate du bénéficiaire au moment de la conclusion du contrat
    • Dès que le stipulant et le promettant concluent leur accord, le bénéficiaire est investi de son droit.
    • Il peut alors exiger directement du promettant l’exécution de la prestation convenue, sans intervention du stipulant.
  • Une désignation ultérieure du bénéficiaire
    • Dans ce cas, le stipulant modifie après coup le contrat pour désigner un bénéficiaire.
    • Une fois la désignation effectuée, ce dernier devient automatiquement titulaire de la créance, sans qu’il ait besoin de donner son accord préalable.

Dans tous les cas, la stipulation pour autrui opère un transfert immédiat du droit au bénéficiaire. Celui-ci peut donc exiger l’exécution de l’obligation sans qu’aucune formalité d’acceptation ne soit requise à ce stade. Cependant, tant qu’il ne l’a pas expressément acceptée, son droit demeure précaire et peut être révoqué par le stipulant.

==>Une action directe du bénéficiaire contre le promettant

L’un des principaux effets de la stipulation pour autrui réside dans la possibilité pour le bénéficiaire d’agir directement contre le promettant, sans que l’intervention du stipulant ne soit requise. Ce droit d’agir directement contre le promettant est reconnu par la Cour de cassation, qui affirme que le bénéficiaire peut réclamer l’exécution de la prestation directement entre les mains du promettant (Cass. com., 12 mai 1981, n°77-14.793).

Cette action ne dépend en rien de la volonté du stipulant : une fois la stipulation réalisée, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, indépendant de toute demande ou validation du stipulant. Le promettant est ainsi juridiquement tenu envers le bénéficiaire comme s’il était directement partie au contrat, bien qu’il n’ait contracté initialement qu’avec le stipulant.

==>L’encadrement du droit du bénéficiaire par le contrat initial

Bien que le droit du bénéficiaire soit direct et opposable, il n’échappe pas aux limites et conditions fixées par le contrat initial. En effet, la créance dont il bénéficie découle exclusivement de l’accord entre le stipulant et le promettant, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Le bénéficiaire ne peut prétendre à plus de droits que ceux prévus dans le contrat initial. Ainsi, il ne saurait revendiquer une prestation plus favorable ou en des termes différents de ceux établis par le stipulant et le promettant (Cass. com., 22 févr. 1950).
  • Le promettant peut lui opposer les exceptions inhérentes au contrat initial, comme l’extinction de l’obligation due à une inexécution fautive du stipulant, la survenance d’une condition résolutoire ou encore un vice du consentement affectant la formation du contrat (Cass. 1ere civ., 4 mai 1955)
  • La validité du contrat principal conditionne l’existence du droit du bénéficiaire. Si le contrat est nul ou anéanti, la stipulation pour autrui disparaît de plein droit, privant ainsi le bénéficiaire de toute prétention contre le promettant (Cass. 1ere civ., 17 mai 2005, n° 03-14.077).

En matière d’assurance sur la vie, ces principes sont codifiés à l’article L. 132-12 du Code des assurances, qui précise que le droit du bénéficiaire existe dès la conclusion du contrat, quelle que soit la date de sa désignation. Toutefois, tant que le bénéficiaire ne manifeste pas son adhésion à la stipulation, ce droit demeure fragile, car il reste à la merci d’une révocation par le stipulant.

==>L’incidence des clauses stipulées dans le contrat initial sur les droits du bénéficiaire

Le droit du bénéficiaire ne s’exerce pas en dehors du cadre contractuel qui le fonde. Dès lors, les clauses du contrat initial lui sont opposables, notamment :

  • Les clauses limitatives de responsabilité, qui peuvent restreindre l’étendue des obligations du promettant ;
  • Les clauses d’exclusion, notamment en matière d’assurance, où l’assureur peut refuser d’indemniser le bénéficiaire en raison des exclusions prévues dans le contrat (Cass. 1ere civ., 20 juill. 1981, n° 80-13.752) ;
  • Les clauses compromissoires et attributives de compétence, qui ont vocation à s’imposer au bénéficiaire si elles figurent dans le contrat principal (Cass. 1ere civ., 11 juill. 2006, n° 03-11.983).

Toutefois, la doctrine critique cette extension des clauses au bénéficiaire, considérant qu’il n’est pas partie au contrat et ne devrait pas être contraint par une clause compromissoire sauf acceptation expresse de sa part.

==>Un droit conféré sous conditions et limites contractuelles

Enfin, si la stipulation pour autrui octroie un droit direct au bénéficiaire, certaines situations peuvent en limiter les effets :

  • L’incapacité du stipulant : si le stipulant était juridiquement inapte à contracter, la stipulation pour autrui sera privée d’effet (Cass. 1ere civ., 8 mai 1979, n° 77-13.339).
  • L’inopposabilité de certaines clauses : le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’une clause pénale prévue dans le contrat principal s’il n’en est pas expressément attributaire (Cass. com., 23 mai 1989, n° 86-14.936).

2. Un droit révocable jusqu’à l’acceptation du tiers bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui confère immédiatement un droit au bénéficiaire, ce dernier demeure précaire tant qu’il ne l’a pas accepté. En effet, l’article 1206, alinéa 2 du Code civil dispose que « tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée, le stipulant peut la révoquer ». Ce principe repose sur l’idée que le stipulant, à l’origine du droit conféré, conserve la maîtrise de son engagement jusqu’à ce qu’il devienne irrévocable par l’acceptation du bénéficiaire.

Cette faculté de révocation du stipulant, qui constitue le pendant négatif de son pouvoir d’attribution, se caractérise par trois éléments essentiels : son caractère unilatéral, discrétionnaire et effectif à compter de sa notification.

a. La faculté de révocation du stipulant

==>Le caractère unilatéral du droit de révocation

Le stipulant est le seul maître du sort de la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée. Il peut donc décider seul, sans requérir l’accord ni du bénéficiaire ni du promettant, de modifier, supprimer ou substituer un autre bénéficiaire à celui initialement désigné.

Ce principe a été consacré par la jurisprudence dès le XIX? siècle, qui a affirmé que le stipulant dispose d’une liberté absolue de rétractation avant acceptation du bénéficiaire (Cass. civ., 27 déc. 1853).

==>Le caractère discrétionnaire du droit de révocation

Le stipulant peut exercer sa faculté de révocation librement, sans condition de forme ou de justification. La doctrine souligne que cette prérogative repose sur le principe de l’autonomie de la volonté, qui lui permet de modifier à tout moment l’acte de stipulation.

Toutefois, des limites à cette liberté ont été reconnues par la jurisprudence :

  • Lorsque le promettant a un intérêt légitime dans la stipulation (économique ou moral), son consentement peut être requis pour révoquer la stipulation (CA Grenoble, 6 avr. 1881).
  • Une clause contractuelle peut prévoir que la stipulation est irrévocable dès son origine, restreignant ainsi la faculté du stipulant de la modifier ou de la supprimer (Cass. req., 30 juill. 1877).
  • En cas d’abus de droit, la révocation pourrait être sanctionnée si elle est exercée dans des conditions contraires à la bonne foi contractuelle (art. 1104 du Code civil).

==>Le caractère réceptice du droit de révocation

Bien que le stipulant soit libre de révoquer la stipulation, l’effet de cette révocation n’est pas automatique : l’article 1207, alinéa 3 du Code civil impose qu’elle soit portée à la connaissance du bénéficiaire ou du promettant pour être opposable. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique des parties et à éviter toute exécution d’une prestation en faveur d’un bénéficiaire dont le droit aurait disparu.

b. Les conditions d’exercice du droit de révocation

La révocation ne peut être exercée que sous certaines conditions tenant à la durée du pouvoir de révocation et à son extinction en cas d’acceptation du bénéficiaire.

==>Une faculté limitée dans le temps

Le pouvoir de révocation du stipulant disparaît dès l’acceptation du bénéficiaire. En vertu de l’article 1206, alinéas 2 et 3 du Code civil, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, celle-ci devient irrévocable.

La jurisprudence a confirmé ce principe, notamment en matière d’assurance sur la vie : tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la désignation, l’assuré conserve un droit absolu de révocation. En revanche, dès que l’acceptation intervient, la stipulation devient définitive, rendant toute révocation impossible (Cass. 1ere civ., 17 nov. 2021, n° 20-12.711).

==>Le droit de révocation peut être exercé par les héritiers

Si le stipulant décède avant d’avoir révoqué la stipulation, ses héritiers peuvent encore le faire, sous réserve de respecter un délai strict. L’article 1207, alinéa 1er du Code civil prévoit qu’ils doivent mettre le bénéficiaire en demeure d’accepter dans un délai de trois mois. À défaut d’acceptation dans ce délai, la stipulation est réputée révoquée.

c. Les modalités d’exercice du droit de révocation

La révocation peut être expresse ou tacite, mais elle doit être notifiée pour produire effet.

En effet, aucune forme spécifique n’est requise pour révoquer la stipulation. Elle peut être :

  • Expresse : par une déclaration écrite (courrier, acte notarié, avenant au contrat principal) ou verbale.
  • Tacite : par un acte manifestant sans équivoque la volonté du stipulant d’anéantir la stipulation (par exemple, la désignation d’un nouveau bénéficiaire).

En matière d’assurance sur la vie, la jurisprudence a reconnu qu’un testament révoquant une désignation bénéficiaire pouvait suffire à caractériser la révocation, même si l’assureur n’en était pas informé immédiatement (Cass. 1ere civ., 24 juin 1969).

Bien que le stipulant puisse révoquer la stipulation librement, cette révocation ne produit effet qu’une fois notifiée au bénéficiaire ou au promettant (art. 1207, alinéa 3 du Code civil).

Cette règle poursuit un double objectif :

  • Sécuriser la situation du bénéficiaire : tant qu’il n’a pas été informé de la révocation, il peut toujours accepter la stipulation et la rendre irrévocable.
  • Protéger le promettant : pour éviter qu’il exécute une obligation au profit d’un bénéficiaire dont le droit a été supprimé.

En cas d’acceptation du bénéficiaire avant que la révocation ne lui soit notifiée, la révocation devient sans effet (Cass. soc., 5 janv. 1956).

d. Les effets de la révocation

Une fois notifiée, la révocation anéantit rétroactivement le droit du bénéficiaire. Celui-ci est censé n’en avoir jamais été titulaire (art. 1207, alinéa 5 du Code civil).

Si la révocation est pure et simple, la stipulation disparaît, mais le contrat principal subsiste. En revanche, si la stipulation était essentielle à l’équilibre du contrat, la disparition de la stipulation peut entraîner celle du contrat principal.

  • Sort de la prestation après révocation
    • Si aucun nouveau bénéficiaire n’est désigné, la prestation profite au stipulant ou à ses héritiers (Cass. civ., 27 déc. 1853).
    • Si un nouveau bénéficiaire est désigné, la stipulation est maintenue mais le droit direct est transféré au nouveau bénéficiaire (art. 1207, alinéa 2 du Code civil).
  • Opposabilité de la révocation
    • Une fois notifiée, la révocation devient opposable au bénéficiaire, qui ne peut plus prétendre au bénéfice du contrat.
    • Si le promettant exécute la prestation en faveur d’un bénéficiaire révoqué faute d’avoir été informé, il peut réclamer restitution au bénéficiaire initial (Cass. 2? civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954).

3. Un droit irrévocable après l’acceptation du tiers bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une rupture décisive dans la construction juridique de cette institution. Tant qu’elle n’intervient pas, le bénéficiaire demeure dans une situation d’incertitude, ne tenant son droit qu’à la volonté révocable du stipulant. Mais dès lors qu’il exprime son adhésion, ce droit se fige : il acquiert un caractère irrévocable, devient pleinement opposable au promettant et échappe définitivement au pouvoir de modification du stipulant.

Cette transition d’un droit fragile à un droit définitivement établi s’inscrit dans un cadre juridique rigoureusement structuré, régi par les articles 1206 à 1208 du Code civil, et, en matière d’assurance sur la vie, par l’article L. 132-9 du Code des assurances.

a. La faculté d’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne constitue en aucun cas une obligation pour le bénéficiaire : elle demeure une simple faculté, dont l’exercice relève de son libre arbitre. Ni le stipulant, ni le promettant ne peuvent le contraindre à accepter un droit qui lui est conféré.

Cette liberté trouve son fondement dans la nature même de la stipulation pour autrui, qui confère un avantage sans imposer de charge au bénéficiaire. Contrairement à un engagement contractuel classique, la stipulation ne crée aucune obligation tant que le bénéficiaire ne manifeste pas sa volonté de l’accepter.

==>Un droit discrétionnaire

Aussi, le bénéficiaire dispose d’un pouvoir souverain de décision quant à l’acceptation de la stipulation. Il peut choisir d’accepter ou de refuser le bénéfice qui lui est offert, sans avoir à en justifier les raisons.

Exemple: une personne désignée bénéficiaire d’une assurance-vie peut refuser ce bénéfice, notamment si elle ne souhaite pas être impliquée dans une situation successorale complexe.

Le refus du bénéficiaire entraîne la caducité de la stipulation. Aucun droit ne peut plus être revendiqué sur ce fondement.

==>Absence d’effet contraignant

Tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, aucune obligation ne pèse sur lui. Il ne peut être tenu d’exécuter une quelconque prestation, ni même d’assumer une quelconque responsabilité juridique.

Dès lors, un bénéficiaire désigné dans un contrat d’assurance-vie n’a aucun devoir envers l’assureur ni envers le souscripteur tant qu’il n’a pas accepté la stipulation. Il n’a donc pas à justifier son silence, ni ne s’expose à une action en responsabilité à raison de sa passivité.

==>Un droit précaire

Avant toute acceptation, le droit conféré au bénéficiaire reste fragile et révocable. Le stipulant conserve ainsi la faculté de modifier ou de rétracter son engagement à tout moment, sans que le bénéficiaire puisse s’y opposer.

La Cour de cassation a confirmé dès le XIX? siècle que, tant que l’acceptation n’est pas intervenue, le stipulant dispose d’un droit absolu de révocation (Cass. civ., 27 déc. 1853).

Exemple pratique :

  • Un souscripteur d’une assurance-vie peut modifier la clause bénéficiaire tant que le bénéficiaire initial ne l’a pas acceptée.
  • De même, dans un contrat de prestation de services, une entreprise peut révoquer une stipulation au profit d’un tiers avant que celui-ci ne manifeste son acceptation.

==>Les options ouvertes au bénéficiaire

Le bénéficiaire dispose de trois options, chacune ayant des conséquences distinctes :

  • Accepter la stipulation
    • L’acceptation a pour effet de consolider définitivement le droit conféré au bénéficiaire :
      • Le stipulant perd alors tout pouvoir de révocation.
      • Le bénéficiaire devient créancier direct du promettant.
    • Exemple : Lorsqu’un bénéficiaire accepte une assurance-vie, il devient le titulaire irrévocable du droit sur le capital garanti, et le souscripteur ne peut plus en modifier les termes.
  • Refuser le bénéfice de la stipulation
    • Si le bénéficiaire rejette la stipulation, celle-ci est anéantie et devient définitivement caduque.
    • Cette situation peut survenir, par exemple, lorsque l’acceptation de la stipulation entraînerait des conséquences fiscales indésirables ou un conflit d’intérêts.
    • Exemple: un bénéficiaire refuse un contrat d’assurance-vie pour éviter des frais fiscaux ou une gestion successorale complexe.
  • Ne pas se prononcer
    • Lorsque le bénéficiaire demeure silencieux et ne manifeste ni acceptation ni refus, la stipulation pour autrui reste en suspens, dans une situation juridique incertaine.
    • Cette absence de prise de position n’éteint pas la stipulation, mais la laisse dans un état précaire, où aucun droit définitif n’est acquis et où la faculté de révocation du stipulant demeure entière.
    • Tant que le bénéficiaire ne se prononce pas :
      • Le stipulant conserve un pouvoir discrétionnaire de révocation : il peut revenir sur son engagement à tout moment, sans avoir à justifier sa décision.
      • Le promettant n’est pas tenu envers le bénéficiaire : tant que ce dernier n’a pas accepté, aucune créance n’est constituée en sa faveur et le promettant ne peut être contraint d’exécuter l’obligation stipulée.
    • Exemple en matière d’assurance-vie:
      • Un bénéficiaire qui tarde à accepter ne fait naître aucune obligation à la charge de l’assureur.
      • L’assureur peut solliciter une clarification afin de savoir si le capital doit être versé au bénéficiaire désigné ou si un autre bénéficiaire doit être désigné en substitution.

b. Les conditions de l’acceptation

L’acceptation, en tant qu’acte juridique unilatéral du bénéficiaire, doit satisfaire aux conditions générales de validité des actes juridiques, telles que définies par le Code civil.

==>La capacité du bénéficiaire

L’acceptation suppose que le bénéficiaire soit juridiquement capable d’exercer ses droits. La jurisprudence considère que cette capacité doit être appréciée au jour de l’attribution du droit (Cass. civ., 8 févr. 1888), ce qui implique que si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité à cette date, il ne pourra pas valablement accepter la stipulation sans l’intervention d’un représentant légal.

Si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité juridique (mineur non émancipé, majeur sous tutelle, etc.), son représentant légal peut accepter la stipulation pour son compte. Cependant, cette acceptation ne doit pas être équivoque et doit clairement manifester l’intention du représentant d’accepter la stipulation au nom du bénéficiaire.

Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, une protection supplémentaire est prévue afin d’éviter les abus ou l’exploitation d’un bénéficiaire vulnérable. Ainsi, l’article L. 132-4-1, alinéa 4 du Code des assurances dispose que l’acceptation d’un bénéficiaire sous tutelle ou curatelle peut être annulée si son incapacité était notoire ou connue du cocontractant au moment de l’acte.

Aussi, lorsqu’une personne vulnérable est désignée bénéficiaire d’une assurance-vie, l’assureur doit s’assurer de la capacité du bénéficiaire ou de son représentant avant d’enregistrer une acceptation, sous peine de voir l’acte annulé pour cause d’incapacité manifeste.

==>L’absence de vice du consentement

L’acceptation de la stipulation pour autrui doit être donnée en toute liberté et sans contrainte. Dès lors, elle doit être exempte d’erreur, de dol ou de violence, conformément aux principes généraux régissant la validité des actes juridiques (art. 1130 et s. du Code civil).

  • L’erreur
    • L’erreur peut affecter la validité de l’acceptation si elle porte sur l’objet même de la stipulation.
    • Par exemple, si le bénéficiaire accepte en croyant que la stipulation porte sur une prestation plus avantageuse qu’elle ne l’est en réalité, son consentement pourrait être remis en cause.
    • Exemple pratique: un bénéficiaire accepte un contrat d’assurance-vie en pensant qu’il percevra immédiatement un capital alors que la clause ne prévoit qu’un versement différé sous condition suspensive. S’il prouve que cette erreur était déterminante dans sa décision, il pourrait demander l’annulation de son acceptation.
  • Le dol
    • Le dol, défini comme une manœuvre frauduleuse ayant pour objet de tromper une personne et de l’inciter à contracter, constitue un vice du consentement susceptible d’entacher l’acceptation de nullité
    • Application en assurance-vie : si un stipulant ou un assureur cache volontairement des informations essentielles au bénéficiaire pour l’inciter à accepter la stipulation, cette acceptation pourrait être frappée de nullité pour dol.
  • La violence
    • L’acceptation doit être exempte de toute contrainte physique ou morale. Si un bénéficiaire accepte sous la pression d’un tiers (chantage, menace, abus de faiblesse), il pourrait contester son engagement et obtenir son annulation.
    • Exemple : un parent exerçant une pression morale sur son enfant pour qu’il accepte une stipulation dans un contrat d’assurance au profit d’un tiers non désiré pourrait voir cette acceptation annulée pour violence morale.

==>Une stipulation précise et déterminée

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne saurait être efficace que si le bénéficiaire est en mesure d’identifier avec certitude les droits qui lui sont conférés. À défaut, l’acceptation reposerait sur une base incertaine, dépourvue de toute valeur juridique. Ce principe trouve son fondement dans l’exigence générale de détermination de l’objet des obligations, telle que consacrée par l’article 1128 du Code civil, qui impose que tout engagement juridique repose sur un objet certain et déterminé.

En effet, l’identification du droit conféré au bénéficiaire constitue une condition essentielle à la validité de son acceptation. Il ne peut exprimer un consentement éclairé qu’à la condition de connaître exactement l’étendue de la stipulation. L’objet de cette dernière doit être formulé en des termes suffisamment clairs pour éviter toute ambiguïté ou interprétation divergente.

Si la stipulation est trop vague, le bénéficiaire se trouverait dans l’impossibilité d’évaluer la portée de son droit et d’exercer librement sa faculté d’acceptation.

La jurisprudence est venue réaffirmer cette exigence en jugeant que le bénéficiaire doit être en mesure d’identifier sans équivoque les avantages qui lui sont conférés, sous peine d’invalidité de l’acceptation (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Une stipulation qui se contenterait de mentionner « un avantage financier dont les modalités seront définies ultérieurement » ne saurait être acceptée valablement, faute d’éléments objectifs permettant d’en préciser la teneur.

L’exigence de détermination concerne tant la nature de la prestation que ses modalités d’exécution.

L’obligation stipulée doit être clairement définie et identifiable. Elle peut porter sur le versement d’une somme d’argent, l’octroi d’un droit particulier ou encore la fourniture d’une prestation en nature. Toutefois, elle ne peut être laissée à la seule discrétion du stipulant ou du promettant sans critères objectifs de détermination.

Ainsi, une clause prévoyant que « le bénéficiaire recevra un montant déterminé en fonction de la volonté du stipulant » est nulle, car elle repose sur un engagement potestatif, ce qui est prohibé par le droit des obligations (Cass. civ., 25 avr. 1903).

En matière d’assurance-vie, l’article L. 132-9, II du Code des assurances impose que la clause bénéficiaire soit rédigée avec suffisamment de précision pour permettre une identification certaine du bénéficiaire et des droits qui lui sont conférés.

Une stipulation trop vague ne saurait produire d’effet juridique. L’exigence de détermination joue ici un rôle fondamental de sécurité juridique, en garantissant que le bénéficiaire puisse comprendre l’étendue de ses droits et que le promettant puisse exécuter son engagement sans incertitude.

Par exemple, une clause stipulant que « le bénéficiaire recevra une aide financière adaptée à ses besoins » serait irrecevable, car elle ne précise ni le montant de l’aide, ni ses modalités d’octroi. Une telle clause pourrait être jugée nulle pour indétermination de l’objet (art. 1163 du Code civil).

Lorsqu’une stipulation offre plusieurs options de prestations, elle ne peut conférer un pouvoir discrétionnaire absolu au stipulant ou au promettant. Le choix entre plusieurs prestations doit être encadré par des critères objectifs. Ainsi, une clause précisant que « le bénéficiaire pourra recevoir soit une rente viagère, soit un capital forfaitaire de 100 000 € au choix du promettant » ne serait valide que si le contrat prévoit un mode de détermination du choix.

Par ailleurs, l’identification du bénéficiaire est également une condition de validité de la stipulation. Le droit conféré par celle-ci doit être attribué à une personne précisément désignée ou, à tout le moins, déterminable au moment de l’acceptation.

Lorsque le bénéficiaire est expressément désigné, la stipulation ne soulève aucune difficulté. En revanche, si la clause ne mentionne pas un nom précis, elle doit comporter des critères objectifs permettant d’identifier avec certitude la personne appelée à bénéficier de la prestation.

Ainsi, une stipulation prévoyant que « le bénéficiaire sera mon fils aîné » est valide, car elle repose sur un critère clair et vérifiable. En revanche, une désignation trop large, comme « l’un de mes proches », serait insuffisante et pourrait entraîner la caducité de la stipulation (Cass. civ., 7 oct. 1981).

En matière d’assurance-vie, la désignation du bénéficiaire doit respecter une rigueur particulière afin d’éviter toute contestation ultérieure. Une clause indiquant que « le bénéficiaire sera la personne vivant en concubinage avec moi au moment de mon décès » est considérée comme valide, dès lors qu’elle repose sur un critère objectif permettant d’identifier clairement le bénéficiaire.

c. Les modalités de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui constitue un acte juridique unilatéral qui peut prendre différentes formes, à condition qu’elle manifeste de manière claire et non équivoque la volonté du bénéficiaire d’adhérer aux droits qui lui sont conférés.

En l’absence d’exigences imposées par le Code civil, elle peut être expresse ou tacite. Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, un formalisme particulier a été institué afin d’encadrer cette acceptation et d’en garantir l’opposabilité aux parties concernées.

==>L’acceptation expresse

L’acceptation est réputée expresse lorsqu’elle résulte d’une manifestation de volonté explicite du bénéficiaire, exprimée par écrit, verbalement ou par tout autre procédé ne laissant place à aucune équivoque quant à son intention d’adhérer à la stipulation.

L’article 1100-1 du Code civil exige que tout acte juridique unilatéral, tel que l’acceptation d’une stipulation pour autrui, soit formulé en des termes clairs et dépourvus d’ambiguïté. Par ailleurs, l’article 1172 du même code admet que l’acceptation puisse intervenir sous toute forme, sauf si un texte impose un formalisme spécifique.

La jurisprudence, dès le XIX? siècle, a consacré cette souplesse en affirmant que l’acceptation pouvait être rendue opposable au stipulant ou au promettant dès lors qu’elle résultait d’une déclaration expresse, qu’elle soit écrite ou verbale (Cass. civ., 25 avr. 1853).

Ainsi, l’acceptation peut se manifester de différentes manières :

  • Par l’envoi d’un écrit, tel qu’une lettre ou un courriel, adressé au stipulant ou au promettant.
  • Par une déclaration verbale dont l’existence peut être attestée par un écrit ou un témoignage.
  • Par l’insertion d’une mention explicite dans un acte juridique, tel qu’un testament ou un contrat.

Exemple pratique : en matière d’assurance-vie, si le bénéficiaire adresse une lettre recommandée à l’assureur et au souscripteur exprimant son acceptation, celle-ci devient irrévocable et prive le souscripteur de la faculté de modifier ultérieurement la clause bénéficiaire.

Toutefois, bien que l’acceptation expresse constitue la voie la plus sécurisante d’un point de vue juridique, elle ne constitue pas l’unique modalité d’adhésion à la stipulation, la jurisprudence reconnaissant également l’acceptation tacite lorsque certains indices factuels démontrent sans ambiguïté la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du droit qui lui est conféré.

==>L’acceptation tacite

L’acceptation peut également résulter d’un comportement du bénéficiaire traduisant sans équivoque sa volonté d’adhérer à la stipulation. Ce mode d’acceptation repose sur une interprétation des actes du bénéficiaire, qui doivent être suffisamment explicites pour établir son intention.

La jurisprudence a reconnu plusieurs situations dans lesquelles une acceptation tacite peut être caractérisée :

  • La perception régulière d’une prestation : lorsque le bénéficiaire d’une rente prévue par la stipulation pour autrui commence à percevoir les versements et ne manifeste aucune opposition, son acceptation est présumée (Cass. req., 2 avr. 1912).
  • Le paiement des primes d’un contrat d’assurance-vie : lorsqu’un bénéficiaire prend en charge le règlement des cotisations, il manifeste son adhésion à la stipulation faite à son profit (CA Bordeaux, 21 mai 1885).
  • L’exercice de droits liés à la stipulation : le fait pour un bénéficiaire d’intenter une action en exécution de la stipulation traduit une acceptation implicite et irrévocable.

Cependant, certains comportements ne suffisent pas à établir une acceptation tacite.

La simple détention de l’original d’un contrat d’assurance-vie ne suffit pas à caractériser une acceptation tacite, sauf si d’autres éléments viennent corroborer cette intention (CA Paris, 3 janv. 1918).

A cet égard, un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie qui détient une copie du contrat sans jamais en demander l’exécution ne peut être considéré comme ayant accepté tacitement la stipulation. En revanche, s’il engage des démarches auprès de l’assureur pour obtenir le versement du capital, l’acceptation sera considérée comme acquise.

L’acceptation tacite repose donc sur une analyse factuelle et peut donner lieu à des débats en cas de contentieux. Elle est moins sécurisante qu’une acceptation expresse et peut être contestée en l’absence d’éléments probants.

==>Régime spécial de l’assurance-vie

L’acceptation du bénéfice d’un contrat d’assurance-vie est encadrée par un formalisme rigoureux, imposé par l’article L. 132-9, II du Code des assurances. Ce régime spécifique vise à protéger le souscripteur en lui garantissant un contrôle effectif sur la désignation du bénéficiaire tant qu’il est en vie.

  • Avant le décès du souscripteur
    • Tant que le souscripteur est en vie, l’acceptation du bénéficiaire ne peut intervenir que sous l’une des deux formes suivantes :
      • Un avenant tripartite, signé par le souscripteur, le bénéficiaire et l’assureur. Cet acte engage définitivement les parties et empêche toute modification unilatérale ultérieure du bénéficiaire.
      • Un acte authentique ou sous seing privé, signé par le souscripteur et le bénéficiaire, qui doit ensuite être notifié à l’assureur. Cette notification constitue une formalité essentielle, permettant à l’assureur d’être informé officiellement du caractère désormais irrévocable de la désignation.
    • L’une de ces deux formalités doit impérativement être respectée pour que l’acceptation produise ses effets.
    • Une simple manifestation de volonté du bénéficiaire, même exprimée clairement, ne saurait suffire. Tant que cette acceptation formalisée n’a pas eu lieu, le souscripteur conserve la liberté de modifier la clause bénéficiaire sans restriction.
  • Après le décès du souscripteur
    • À compter du décès du souscripteur, les contraintes formelles disparaissent.
    • Le bénéficiaire peut alors accepter le bénéfice du contrat par tout moyen, que ce soit de manière expresse (par une déclaration écrite) ou tacite (par un acte révélant sans équivoque sa volonté d’accepter, comme la demande de versement du capital).

L’article L. 132-9, II du Code des assurances a suscité des interrogations quant à la portée de la signature de l’assureur dans l’avenant tripartite. Certains auteurs ont estimé que cette signature traduisait une forme d’adhésion contractuelle, transformant ainsi l’acceptation en un acte nécessitant le consentement de trois parties (stipulant, bénéficiaire, assureur). D’autres ont soutenu une lecture plus restrictive, considérant que la signature de l’assureur ne constituait qu’une formalisation administrative, destinée à garantir une bonne information des parties.

En tout état de cause, ce formalisme strict répond à un impératif de protection du souscripteur. Il empêche que l’acceptation du bénéficiaire ne soit réalisée à son insu ou sous une influence extérieure, et lui garantit la possibilité de revenir sur la désignation tant qu’il est en vie. Ce n’est qu’après acceptation formelle que le bénéficiaire acquiert un droit intangible, rendant toute modification impossible sans son consentement.

En définitive, le régime de l’acceptation en assurance-vie illustre l’équilibre recherché entre la protection du souscripteur et la consolidation des droits du bénéficiaire, en fonction du moment où intervient l’acceptation.

d. Les effets de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une transformation décisive dans le régime juridique de l’attribution au profit du bénéficiaire. Tant qu’elle n’est pas intervenue, la stipulation demeure précaire et révocable, ne créant à son profit qu’une simple expectative. En revanche, dès que le bénéficiaire exprime son acceptation, son droit acquiert une assise définitive : il devient irrévocable et directement opposable au promettant, tout en échappant à l’influence du stipulant. Cette irrévocabilité s’impose de manière absolue et ne souffre d’aucune exception, sauf stipulation expresse contraire.

Si la doctrine s’interroge sur la nature rétroactive de l’acceptation, elle s’accorde néanmoins sur son caractère déclaratif. L’acte d’acceptation ne crée pas un droit nouveau, mais vient consolider un droit préexistant, sans en modifier la substance. Loin d’opérer un bouleversement dans l’économie du contrat initial, il fige les conditions de la stipulation et confère au bénéficiaire un droit désormais intangible.

Les effets de l’acceptation revêtent une intensité particulière en matière d’assurance-vie. Loin de se limiter à la seule irrévocabilité de l’attribution, elle prive le souscripteur de la faculté de rachat du contrat, empêchant ainsi toute remise en cause ultérieure du bénéfice conféré. Le droit du bénéficiaire se trouve ainsi définitivement cristallisé, s’imposant tant au promettant qu’au stipulant.

L’analyse des effets de l’acceptation peut dès lors être structurée autour de trois axes : l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, son opposabilité immédiate au promettant et les conséquences spécifiques qu’elle entraîne en matière d’assurance-vie.

==>L’irrévocabilité du droit du bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui opère une véritable cristallisation des droits du bénéficiaire en le plaçant hors d’atteinte des volontés ultérieures du stipulant. Avant cette manifestation de volonté, la stipulation demeure fragile et révocable : le stipulant conserve toute latitude pour en modifier ou en anéantir les effets. Toutefois, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, son droit devient intangible. L’article 1206, alinéa 3 du Code civil consacre ce principe en affirmant que l’acceptation rend l’attribution irrévocable. Toute tentative ultérieure du stipulant de modifier ou de révoquer la stipulation se heurte alors à une nullité de plein droit. La jurisprudence a confirmé cette règle avec constance, en affirmant que toute révocation postérieure à l’acceptation demeure dépourvue d’effet et ne saurait priver le bénéficiaire du droit qui lui a été conféré (Cass. 1re civ., 26 juin 1961).

L’irrévocabilité ainsi acquise ne se limite pas à la seule impossibilité de suppression du droit du bénéficiaire : elle s’étend également aux conditions de son exécution. L’acceptation fige définitivement les termes de l’engagement souscrit par le promettant, rendant toute modification ultérieure du contrat d’origine inopposable au bénéficiaire. Dès lors que ce dernier a accepté la stipulation, les évolutions contractuelles intervenues entre le stipulant et le promettant ne peuvent en aucun cas altérer ses droits. La Cour de cassation a consacré ce principe en jugeant qu’une modification du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, postérieure à l’acceptation, reste sans effet sur la créance du bénéficiaire, qui demeure tenu aux conditions initialement convenues (Cass. 1re civ., 5 déc. 1978, n°77-14.029).

Cette règle revêt une importance particulière en matière d’assurance emprunteur. Une fois l’acceptation intervenue, toute modification du risque couvert par l’assureur, même convenue entre le stipulant et le promettant, ne saurait porter atteinte aux droits du bénéficiaire. Il en résulte une véritable stabilité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui, qui confère au bénéficiaire une protection efficace contre toute remise en cause ultérieure.

==>L’opposabilité immédiate au promettant

L’acceptation ne se borne pas à dessaisir le stipulant de sa faculté de révocation ; elle confère également au bénéficiaire un droit propre et directement opposable au promettant. Dès que l’acceptation est formulée, le bénéficiaire devient le créancier exclusif du promettant, lequel ne peut plus s’acquitter de son obligation qu’en exécutant la prestation à son profit. Toute tentative de paiement au stipulant, même conforme à la relation initiale entre ce dernier et le promettant, est juridiquement inopérante. La jurisprudence a consacré cette règle en affirmant que le bénéficiaire dispose, dès son acceptation, d’un droit autonome qui ne saurait être anéanti par un paiement effectué entre les mains du stipulant (Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-14.105).

Cette consécration du droit direct du bénéficiaire s’accompagne d’un corollaire essentiel: toute exécution irrégulière de l’obligation du promettant est frappée de nullité. Ainsi, le paiement effectué entre les mains du stipulant après acceptation ne produit aucun effet libératoire à l’égard du bénéficiaire, lequel demeure fondé à en exiger l’exécution intégrale. Ce principe confère à la stipulation pour autrui une efficacité propre, en soustrayant définitivement le bénéficiaire aux aléas des relations contractuelles initiales.

Toutefois, une partie de la doctrine s’est interrogée sur la possibilité d’une dérogation conventionnelle à cette règle. Il a ainsi été soutenu que le stipulant et le promettant pourraient convenir, dès la formation du contrat, que le droit direct du bénéficiaire demeurerait révocable malgré son acceptation. Une telle analyse, défendue notamment par Demogue suggère que l’acceptation du bénéficiaire ne ferait pas obstacle à une révocation convenue dès l’origine. Cette thèse reste cependant largement minoritaire et n’a reçu aucune consécration jurisprudentielle. La jurisprudence demeure en effet attachée au principe d’irrévocabilité du droit du bénéficiaire après acceptation, considérant que toute stipulation contraire porterait atteinte à la sécurité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui.

==>Les effets de l’acceptation en matière d’assurance-vie

L’acceptation produit des effets particulièrement marqués en matière d’assurance-vie, où elle a pour conséquence de priver le souscripteur de sa faculté de rachat. Avant acceptation, le souscripteur conserve la possibilité de modifier la clause bénéficiaire ou d’exercer son droit de rachat sur le contrat. En revanche, après acceptation, ces prérogatives lui échappent totalement. L’article L. 132-9, I du Code des assurances, dans sa version issue de la loi du 17 décembre 2007, consacre désormais ce principe en disposant qu’après acceptation, « le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ».

Cette interdiction du rachat a donné lieu à des controverses doctrinales et jurisprudentielles. Certains auteurs avaient soutenu que l’acceptation ne faisait pas obstacle à l’exercice du droit de rachat par le souscripteur, dès lors que ce droit était prévu dans le contrat et que le bénéficiaire avait accepté la stipulation en connaissance de cause. La chambre mixte de la Cour de cassation avait même admis, dans un premier temps, que l’acceptation du bénéficiaire ne privait pas nécessairement le souscripteur de sa faculté de rachat (Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n°06-11.934). Toutefois, cette position a finalement été abandonnée au profit de la solution actuelle, qui consacre l’irrévocabilité de l’attribution après acceptation et l’interdiction corrélative du rachat.

La justification de cette solution repose sur la nature même de l’acceptation, qui équivaut à une acceptation de donation de la part du souscripteur. Or, en application des règles encadrant les donations, l’irrévocabilité constitue un principe d’ordre public, et la faculté de rachat reviendrait à vider l’acceptation de son effet juridique. Comme l’a souligné la doctrine, une clause par laquelle le souscripteur se réserverait la possibilité de racheter le contrat malgré l’acceptation du bénéficiaire serait contraire au principe d’irrévocabilité des donations et, à ce titre, juridiquement nulle[26].

Ainsi, en matière d’assurance-vie, l’acceptation ne se contente pas de figer les droits du bénéficiaire : elle soustrait également le contrat à toute possibilité de remise en cause par le souscripteur. Dès lors que le bénéficiaire a exprimé son acceptation, la stipulation lui devient définitivement acquise, et toute tentative du souscripteur de racheter le contrat en contradiction avec cette acceptation est juridiquement inefficace.

C) Les effets dans les rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui ne se réduit pas à la seule création d’un lien entre le bénéficiaire et le promettant. Elle instaure également une relation juridique entre le stipulant et le bénéficiaire, dont la nature et les effets varient selon l’intention qui a présidé à l’établissement de la stipulation dans le contrat principal. Cette relation, souvent sous-estimée, est pourtant fondamentale, car elle éclaire la portée véritable de la stipulation et détermine les éventuelles obligations réciproques des parties en présence.

==>Une relation qui peut être guidée par une intention libérale

Dans de nombreux cas, la stipulation pour autrui s’analyse comme une libéralité indirecte, en ce qu’elle vise à gratifier le bénéficiaire sans contrepartie. Cette qualification a des conséquences majeures, notamment en matière de protection des créanciers et des héritiers du stipulant.

D’une part, si la stipulation pour autrui a eu pour effet d’appauvrir le stipulant, ses créanciers peuvent agir par la voie de l’action paulienne pour en obtenir l’inopposabilité, à condition d’établir que la stipulation leur a causé un préjudice et qu’elle a été conclue en fraude de leurs droits.

D’autre part, en matière successorale, les héritiers du stipulant peuvent contester l’attribution au profit du bénéficiaire si celle-ci porte atteinte à la réserve héréditaire. Toutefois, cette contestation obéit à un régime particulier en ce qui concerne l’assurance-vie. L’article L. 132-13 du Code des assurances consacre en effet une règle spécifique selon laquelle seule la fraction des primes manifestement exagérées peut être réintégrée dans la succession. Le capital décès versé au bénéficiaire échappe ainsi à toute remise en cause, sauf en cas d’abus manifeste dans le versement des primes. Cette solution, largement admise par la jurisprudence, vise à préserver la spécificité du contrat d’assurance-vie en tant qu’instrument de prévoyance et de transmission patrimoniale.

==>L’absence d’obligation du stipulant envers le bénéficiaire

En principe, dès lors que la stipulation pour autrui a conféré un droit direct au bénéficiaire, le stipulant ne demeure tenu à aucune obligation à son égard. Le bénéficiaire ne peut exiger du stipulant qu’il veille à la bonne exécution de l’engagement pris par le promettant ni qu’il garantisse la prestation qui lui est due. Cette règle découle de la nature même de la stipulation pour autrui, qui repose sur un transfert de droit sans transfert d’obligation.

Le stipulant peut néanmoins choisir d’assumer un rôle plus actif dans la mise en œuvre de la stipulation. Ainsi, s’il s’engage expressément à garantir la réalisation de la prestation, il se trouve contractuellement tenu à l’égard du bénéficiaire. Dans cette hypothèse, une inexécution du promettant pourrait justifier une action du bénéficiaire contre le stipulant, fondée sur l’engagement de garantie souscrit. Toutefois, à défaut d’une stipulation expresse en ce sens, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre le stipulant et doit se retourner exclusivement contre le promettant pour faire valoir ses droits.

==>L’absence de recours du bénéficiaire contre le stipulant en cas d’échec de la stipulation

La question se pose avec acuité lorsque la stipulation pour autrui devient inefficace en raison d’une annulation ou d’une résolution du contrat principal. En pareil cas, le bénéficiaire se retrouve privé du droit qu’il croyait acquérir, et il pourrait être tenté d’agir contre le stipulant pour obtenir réparation du préjudice subi.

En principe, une telle action est irrecevable. La stipulation pour autrui ne crée en effet aucun engagement autonome du stipulant envers le bénéficiaire : son rôle se limite à instituer un droit au profit de ce dernier, mais sans obligation corrélative à sa charge. Ainsi, si le contrat principal est anéanti, la stipulation disparaît avec lui, sans que le bénéficiaire puisse en contester les effets. Cette solution, conforme aux principes généraux du droit des obligations, vise à éviter d’imputer au stipulant une responsabilité qui excéderait son engagement initial.

Toutefois, une exception mérite d’être relevée. Si le stipulant a expressément garanti au bénéficiaire la mise en œuvre de la stipulation, il pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance du promettant. Une telle garantie ne se présume pas et doit résulter d’une clause expresse dans le contrat principal. En l’absence d’un tel engagement formel, le bénéficiaire demeure privé de tout recours contre le stipulant et doit exclusivement s’adresser au promettant pour obtenir l’exécution de la prestation qui lui est due.

 

 

 

  1. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  2. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 1901, n° 1123. ?
  3. E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, p. 237 ?
  4. Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
  5. M. Mignot, Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 30 mars 2016, p. 11. ?
  6. F. Terré et Ph. Simler, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2019, n° 699. ?
  7. R. Remogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 759 ?
  8. J. Ghestin, Ch. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, LGDJ, 3? éd. 2001, n° 967. ?
  9. R. Rodière, Droit des transports, Sirey, 2? éd., 1977, n° 364 ?
  10. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 3e éd., n° 629 ?
  11. J. Ghestin, Traité de droit civil, Les effets du contrat, LGDJ, 3e éd., 2001, n° 967 ?
  12. R. Demogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
    1. Colin et H. Capitant, Traité de droit civil, t. II, Dalloz, 1959, n° 973

    ?

  13. R. Beudant, Cours de droit civil français, 1953, n° 941 ?
  14. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  15. Portalis, Discours préliminaire du Code civil, 1801. ?
  16. P. Esmein, Traité pratique de droit civil français, t. VI, 1952, n° 48 ?
  17. M. Mignot, Commentaire de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 2016, n° 64, p. 11 ?
  18. M. Marty et M. Raynaud, Les obligations, t. 1, 2? éd., Sirey, 1988, n° 283. ?
  19. Eugène Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 ?
  20. Guy Flattet, Les contrats pour le compte d’autrui, thèse, Paris, 1950, n° 106 ?
  21. G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, d’après le traité de M. Planiol, t. II, LGDJ, 1957, n° 630 et 642. ?
  22. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 3? éd., 2001, LGDJ, n° 994 ?
  23. Ph. Amsler, Donation à cause de mort et désignation du bénéficiaire d’une assurance de personnes, 1979, p. 68. ?
  24. D. R. Martin, La stipulation de contrat pour autrui, D. 1994. Chron. 145 ?
  25. M. Grimaldi, Les donations à terme, Études offertes à P. Catala, Litec 2001, n° 14, p. 432 ?

La stipulation pour autrui: conditions

La stipulation pour autrui constitue une exception au principe de l’effet relatif des contrats, qui veut qu’un contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties qui l’ont conclu. Elle permet ainsi à une personne (le stipulant) de prévoir, dans un contrat conclu avec une autre personne (le promettant), qu’un tiers bénéficiaire pourra directement se prévaloir d’un droit issu de cet accord.

Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution repose sur une construction doctrinale et jurisprudentielle ancienne, qui a progressivement évolué pour s’affranchir de certaines limitations initialement imposées par la théorie contractuelle classique.

Pour être valable, la stipulation pour autrui doit réunir deux conditions essentielles :

  • Son caractère contractuel : elle ne peut exister sans un accord exprès entre le stipulant et le promettant visant à conférer un droit à un tiers.
  • La désignation du bénéficiaire : le tiers doit être déterminé ou, à défaut, déterminable au moment de l’exécution du contrat.

C’est l’existence de ces deux éléments qui permet au bénéficiaire d’opposer la stipulation au promettant et d’exercer le droit qui lui a été conféré.

A) Le caractère contractuel de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui puise son essence dans la volonté concertée du stipulant et du promettant, qui s’accordent expressément à conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce fondement contractuel, consacré par l’article 1205 du Code civil, implique que la stipulation ne saurait se déduire du silence des parties : elle requiert une manifestation de volonté non équivoque (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Longtemps perçue comme un mécanisme nécessairement accessoire à une obligation sous-jacente, la stipulation pour autrui s’est progressivement affranchie de cette exigence, au point d’acquérir une autonomie conceptuelle reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence. Ainsi, son existence n’est plus subordonnée à l’existence d’une prestation entre le stipulant et le promettant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967).

Dès lors, la stipulation pour autrui ne procède ni d’un impératif d’utilité pour le stipulant ni d’une relation sous-jacente entre les parties contractantes, mais exclusivement de l’engagement du promettant à l’égard du tiers, par la seule force de l’accord contractuel qui l’y oblige.

1. La volonté conjointe du stipulant et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers

La stipulation pour autrui trouve son assise dans l’accord concerté du stipulant et du promettant, lesquels manifestent une volonté expresse et non équivoque de conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce principe, désormais consacré par l’article 1205 du Code civil, constitue le fondement même de cette institution, en ce qu’il permet d’affranchir le bénéficiaire du principe de l’effet relatif des contrats.

a. Une volonté de créer un droit au profit d’un tiers

Loin de se déduire implicitement du contrat, la stipulation pour autrui exige une intention claire et indubitable des parties. Aussi, le principe selon lequel la stipulation pour autrui ne saurait se présumer est désormais bien établi en droit français. L’article 1205 du Code civil rappelle avec fermeté que la volonté de conférer un droit au tiers doit être clairement exprimée. La jurisprudence a réaffirmé cette exigence, en jugeant que l’intention des parties de créer une stipulation pour autrui devait être non équivoque et ne pouvait se déduire implicitement du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Cette exigence trouve sa justification dans la nature même de la stipulation pour autrui. Elle constitue en effet une dérogation au principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 C. civ.), qui dispose que les contrats ne créent d’obligations qu’entre les parties. Dès lors, il ne saurait être admis qu’un tiers puisse revendiquer un droit contractuel sans que cette conséquence ait été expressément voulue par le stipulant et le promettant.

Toutefois, si cette volonté conjointe est essentielle à la validité de la stipulation, l’analyse du mécanisme révèle une distinction à faire entre la création de la créance et son attribution au bénéficiaire.

  • La création de la créance trouve son origine dans l’accord entre le stipulant et le promettant. C’est cette rencontre des volontés qui génère une obligation nouvelle.
  • L’attribution de la créance au bénéficiaire, en revanche, repose sur la seule volonté du stipulant. Ce dernier agit ici unilatéralement, à l’instar d’un cédant dans une cession de créance, tandis que le promettant, assimilable au cédé, n’a pas à consentir à cette transmission (art. 1321, al. 4 C. civ.). Tout au plus doit-il être informé de celle-ci (C. civ., art. 1324, al. 1er).

La distinction entre ces deux étapes de l’opération trouve une illustration particulièrement évocatrice dans la jurisprudence relative à l’assurance pour compte. En effet, l’existence d’une telle stipulation repose exclusivement sur l’accord du souscripteur et de l’assureur, indépendamment de la volonté du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-21.363). À l’inverse, lorsque cet accord fait défaut ou demeure incertain, la stipulation ne saurait prospérer, ce qui conduit la jurisprudence à refuser la reconnaissance d’une assurance pour compte en l’absence d’une volonté suffisamment caractérisée en faveur du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 18-26.685 et 19-10.157).

Ainsi, plus encore que l’attribution de la créance au bénéficiaire, c’est bien la rencontre des volontés du stipulant et du promettant qui constitue le socle de la stipulation pour autrui. Loin d’être un mécanisme implicite, elle requiert une intention manifeste des parties, seule garante de la rigueur contractuelle et de la sécurité juridique de l’opération.

b. L’inopérance de l’exigence d’un intérêt du stipulant

Si l’existence d’une volonté claire est unanimement requise, la question de l’intérêt du stipulant dans l’opération a fait l’objet de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles.

Historiquement, la jurisprudence a conditionné la validité de la stipulation pour autrui à l’existence d’un intérêt du stipulant, qu’il soit moral ou patrimonial (Cass. civ. 16 janv. 1888). Cette approche reposait sur l’idée que le stipulant devait agir dans une finalité qui lui était propre et non dans une logique purement gratuite. En d’autres termes, la stipulation pour autrui n’était admise que si le stipulant trouvait un avantage dans l’opération.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu de sa pertinence, au point d’être qualifiée de « faux problème » par la doctrine. Des auteurs tels que Marty et Raynaud soutiennent que la seule volonté conjointe du stipulant et du promettant suffit à justifier la stipulation, indépendamment de toute considération d’intérêt propre du stipulant. L’intérêt du stipulant ne constitue pas une condition essentielle, dès lors que l’acte de stipulation repose sur une autonomie juridique propre.

La jurisprudence a suivi cette évolution en cessant progressivement de faire référence à l’intérêt du stipulant comme condition de validité de la stipulation pour autrui (Cass. com. 1er déc. 1975, n°74-13.788). Désormais, l’accord des parties constitue le seul fondement du mécanisme, sans que le stipulant ait à démontrer un quelconque avantage personnel.

L’ordonnance du 10 février 2016 a définitivement consacré l’autonomie de la stipulation pour autrui en supprimant toute référence à l’intérêt du stipulant dans le Code civil. Alors que l’ancien article 1121 imposait que la stipulation fût l’accessoire d’une obligation principale pesant sur le stipulant, cette exigence a été expressément abandonnée dans les nouvelles dispositions de l’article 1205.

Cet abandon marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient son efficacité. Désormais, ce mécanisme contractuel fonctionne librement, sans que l’on ait à s’interroger sur l’utilité du stipulant dans l’opération.

Ainsi, l’essence de la stipulation pour autrui ne réside pas dans l’intérêt du stipulant, mais bien dans la volonté conjointe de ce dernier et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers. Dès lors, l’accord des parties demeure le seul fondement de la stipulation, affranchi de toute exigence d’utilité ou d’intérêt personnel du stipulant.

2. L’abandon du caractère accessoire de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui a longtemps été conçue comme un mécanisme intrinsèquement lié à un engagement principal du stipulant. L’ancien article 1121 du Code civil consacrait cette approche, en posant comme condition de validité que la stipulation pour autrui fût l’accessoire d’une obligation du stipulant, lequel devait lui-même retirer un bénéfice de l’opération. En d’autres termes, la stipulation pour autrui ne pouvait prospérer que dans le cadre d’une convention où le stipulant trouvait un intérêt propre à conférer un avantage au tiers bénéficiaire.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu en pertinence, jusqu’à être entièrement abandonnée par la doctrine et la jurisprudence. Dès 1967, la Cour de cassation a marqué un tournant décisif en reconnaissant qu’une stipulation pour autrui pouvait exister indépendamment de toute obligation principale du stipulant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967). Cette décision opérait une rupture avec la conception traditionnelle du mécanisme en consacrant la pleine autonomie de la stipulation pour autrui, y compris dans l’hypothèse où le stipulant ne retirait aucun avantage personnel de l’engagement pris par le promettant.

Cette évolution s’est prolongée dans la jurisprudence contemporaine, notamment en matière d’assurance, où il a été jugé que la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, effectuée par voie testamentaire, n’avait pas à être portée à la connaissance de l’assureur pour être valide (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n°20-19.655). Cet arrêt illustre le fait que la stipulation pour autrui, loin d’être conditionnée par l’existence d’un engagement principal du stipulant, est un acte unilatéral attributif de créance, dont l’effet se déploie sans intervention nécessaire du promettant au moment de son exécution.

a. La remise en cause doctrinale de l’exigence d’accessoire

La doctrine, largement favorable à cette évolution, a souligné l’inanité d’une telle contrainte, qui limitait artificiellement la portée du mécanisme. M. Marty et M. Raynaud relèvent ainsi que « l’exigence d’accessoire constituait une entrave inutile à l’effectivité du procédé, sans fondement réel dans la logique contractuelle »[19].

Dans le même esprit, des auteurs comme Eugène Gaudemet[20], Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 et Guy Flattet[21] démontrent que rien dans la construction contractuelle ne justifiait que la stipulation pour autrui fût nécessairement subordonnée à une prestation du stipulant. Loin de constituer un principe essentiel, l’ancienne exigence d’accessoire apparaissait comme un dogme artificiel, entravant la souplesse du droit des obligations.

Cette critique a conduit à une inversion des perspectives : alors que la conception classique considérait que la stipulation pour autrui devait être l’accessoire d’une obligation du stipulant, certains auteurs ont soutenu que c’est, au contraire, la stipulation pour soi-même qui peut être reléguée à un rôle secondaire, le véritable moteur du mécanisme étant l’engagement du promettant envers le bénéficiaire. Cette analyse rejoint les observations de Georges Ripert et Jean Boulanger, selon lesquels « la stipulation pour autrui n’est pas une opération technique qui se suffise à elle-même. C’est un mécanisme juridique qui fonctionne à l’intérieur d’un contrat pour en diviser les effets »[22]. Dans le même sens, d’autres auteurs ont souligné que « ce n’est plus la stipulation pour autrui qui est accessoire à un engagement du stipulant, mais bien la stipulation pour soi-même qui l’accompagne qui peut être reléguée à un rôle secondaire »[23].

Par ailleurs, il a été démontré que la stipulation pour autrui s’apparente à un acte unilatéral du stipulant attribuant une créance au bénéficiaire, sans que l’accord du promettant ne soit requis à ce stade (art. 1321, al. 4 C. civ.). Dès lors, l’existence d’un contrat générateur de la créance demeure une condition préalable nécessaire, mais la stipulation elle-même n’a plus à s’inscrire dans un cadre accessoire.

b. La consécration de l’autonomie de la stipulation pour autrui

Cette évolution doctrinale et jurisprudentielle a finalement trouvé son aboutissement dans la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Les nouveaux articles 1205 et suivants du Code civil consacrent désormais l’autonomie de la stipulation pour autrui, sans exiger qu’elle s’inscrive dans un engagement principal du stipulant.

Désormais, la stipulation pour autrui est reconnue comme un acte distinct du contrat générateur de la créance, soumis aux conditions générales du droit des actes juridiques, notamment en matière de capacité (art. 1128 C. civ.). La jurisprudence récente a confirmé cette autonomie, en reconnaissant notamment qu’une stipulation pour autrui pouvait être implicite, dès lors qu’elle résultait de la volonté non équivoque des parties (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).

En définitive, l’abandon du caractère accessoire marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient sa portée. Elle confère à cette institution une autonomie renouvelée, lui permettant de s’adapter plus librement aux besoins des contractants et d’assurer une meilleure prévisibilité des droits du bénéficiaire. Ainsi affranchi de son ancrage traditionnel dans une obligation du stipulant, le mécanisme de la stipulation pour autrui acquiert une souplesse nouvelle, renforçant son efficacité en tant qu’outil de structuration des relations contractuelles.

B) Le tiers bénéficiaire de la stipulation

La stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Toutefois, pour que ce droit soit reconnu, encore faut-il que le bénéficiaire soit déterminé ou déterminable, qu’il accepte la stipulation, et qu’il puisse, dans certains cas, être tenu d’obligations corrélatives.

L’évolution de la jurisprudence et de la doctrine a progressivement affiné ces conditions, en conciliant la flexibilité contractuelle avec la nécessité de préserver la sécurité juridique. Loin d’être un simple spectateur du contrat, le bénéficiaire devient un acteur dont les droits et obligations doivent être précisément encadrés.

1. La désignation du bénéficiaire

a. L’exercice d’un pouvoir unilatéral du stipulant

L’identification du bénéficiaire est une pierre angulaire du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle conditionne l’attribution effective du droit conféré. Ce pouvoir appartient exclusivement au stipulant, seul habilité à attribuer à un tiers la créance qu’il détient contre le promettant. Il ne s’agit pas d’une simple prérogative, mais d’un droit discrétionnaire, corollaire du principe selon lequel la stipulation pour autrui confère au stipulant la maîtrise du droit né du contrat, lui permettant d’en disposer librement (art. 537 C. civ.). Dès lors, l’acte par lequel le stipulant désigne le bénéficiaire s’analyse en un acte unilatéral, qui modifie l’économie du contrat initial en déterminant la personne à laquelle la créance sera directement transmise[24].

L’effet de cette désignation est contraignant pour le promettant, lequel, à l’instar du débiteur dans une cession de créance (art. 1321 C. civ.) ou une indication de paiement (art. 1342-2, al. 1er C. civ.,), est tenu d’exécuter son obligation au profit du bénéficiaire désigné, sans qu’un consentement de sa part soit requis pour la validité de l’attribution (art. 1321, al. 4 C. civ.). Ainsi, la jurisprudence a refusé d’admettre comme bénéficiaire d’une assurance-décès une personne mentionnée de manière informelle par l’assureur dans un certificat d’adhésion partiellement complété, au motif que seule la volonté expresse du stipulant est de nature à conférer un droit direct au tiers (CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 23 juin 2005).

La désignation du bénéficiaire emporte un effet attributif immédiat, dont la nature varie selon le moment où elle intervient. Lorsque la stipulation est formulée dès l’origine, la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans jamais transiter par celui du stipulant (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151). À l’inverse, si la créance a préalablement existé dans le patrimoine du stipulant avant d’être attribuée, l’opération s’apparente davantage à une transmission. Toutefois, la stipulation pour autrui se distingue fondamentalement d’une cession de créance en ce que le bénéficiaire n’est pas l’ayant cause du stipulant : il n’hérite pas d’un droit préexistant, mais devient titulaire d’une créance qui prend naissance en sa faveur.

Ainsi, la désignation du bénéficiaire ne se réduit pas à une simple modalité du contrat : elle constitue l’acte fondateur par lequel le stipulant confère au tiers un droit direct contre le promettant, consacrant ainsi la vocation autonome de la stipulation pour autrui.

b. Moment et modalités de la désignation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui suppose que le bénéficiaire soit désigné par le stipulant au promettant (art. 1205, al. 2 C. civ). Toutefois, cette désignation ne doit pas nécessairement intervenir lors de la conclusion du contrat : elle peut être effectuée ultérieurement, sous réserve que le promettant ne s’y oppose pas. Cette possibilité découle du fait que l’attribution d’un droit au profit d’un tiers dépend exclusivement de la volonté du stipulant, lequel dispose d’une faculté de révocation tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la stipulation (Cass., ass. plén., 12 déc. 1986, n°84-17.867).

Ainsi, le stipulant conserve la liberté de modifier la désignation du bénéficiaire à tout moment, sous réserve des conditions posées par la loi ou par la nature du contrat. Par exemple, en matière d’assurance-vie, la jurisprudence a admis qu’un souscripteur puisse substituer un nouveau bénéficiaire à l’ancien par simple déclaration, sans que cela ne constitue une cession de créance (Cass. 1re civ., 10 juill. 1996, n° 94-18.733). Cette solution repose sur l’idée que le stipulant ne saurait céder un droit qui ne lui appartient pas, dès lors qu’il l’a fait naître directement au profit du bénéficiaire désigné.

En l’absence de désignation expresse, la créance issue de la stipulation pour autrui revient au stipulant lui-même ou, en cas de décès, à sa succession (art. L. 132-11 C. ass.). Cette solution, appliquée en matière d’assurance-vie, a valeur de principe général et s’étend à toutes les hypothèses de stipulation pour autrui. Il en résulte que tant que le bénéficiaire n’est pas formellement désigné, le droit demeure dans la sphère patrimoniale du stipulant, qui peut en disposer librement.

Si le bénéficiaire est désigné, il n’est pas nécessaire que celui-ci soit informé immédiatement de l’attribution du droit à son profit. L’acte attributif est en effet non réceptice par nature : la créance est transmise indépendamment de la connaissance qu’en a le bénéficiaire. Toutefois, cette situation change dès lors que le stipulant décide de notifier la stipulation au bénéficiaire : dans ce cas, la faculté de révocation disparaît, et toute modification ultérieure de la désignation du bénéficiaire requiert son consentement (art. 1207, al. 3 C. civ.).

c. Le bénéficiaire : un ayant cause particulier du stipulant

Le bénéficiaire de la stipulation pour autrui est traditionnellement qualifié d’ayant cause à titre particulier du stipulant. Son droit résulte directement de la volonté de ce dernier et s’exerce avec les caractères qui lui ont été conférés par le stipulant (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141). Cette qualification a des implications majeures, notamment en ce qui concerne la pérennité du droit du bénéficiaire : tant que la stipulation n’a pas été acceptée, le stipulant conserve la faculté de révoquer l’attribution ou de substituer un autre bénéficiaire. Cette possibilité de révocation souligne le fait que le droit direct du bénéficiaire ne naît que de la volonté du stipulant et demeure suspendu tant qu’il ne l’a pas accepté.

D’un point de vue économique, la stipulation pour autrui peut répondre à diverses causes objectives : elle peut être motivée par une intention libérale (donation), par une logique de financement (prêt) ou par un objectif d’exécution d’une obligation préexistante (paiement). Dans tous les cas, elle se réalise en deux temps : d’abord, l’attribution de la créance, puis, le cas échéant, la transformation de cette créance en somme d’argent par l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Qui peut être bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ?

  • Les parfaits étrangers (penitus extranei)
    • Il ne fait aucun doute qu’une stipulation pour autrui peut être faite au profit d’un tiers totalement étranger aux parties contractantes.
    • Un stipulant peut ainsi, sans difficulté, conférer un droit à une personne qui ne possède aucun lien de droit avec lui ou avec le promettant.
    • La doctrine et la jurisprudence admettent sans réserve cette faculté, considérant qu’elle ne rencontre aucun obstacle juridique ou logique.
    • Dans ce cas, l’engagement du promettant bénéficie directement à ce tiers, sans que celui-ci ait à justifier d’un lien antérieur avec le stipulant. Par exemple, en matière d’assurance, un souscripteur peut valablement stipuler au profit d’une fondation ou d’une œuvre caritative, alors même qu’aucun lien préexistant ne l’unissait à ces entités.
  • Les ayants cause à titre particulier
    • La stipulation pour autrui peut également être faite au profit des ayants cause à titre particulier du stipulant, c’est-à-dire des personnes qui reçoivent un droit précis et identifiable de sa part.
    • Ce cas est largement admis, car rien n’empêche un stipulant de transmettre à un tiers, en plus d’un droit direct, un droit accessoire contre le promettant.
    • Par exemple, lorsqu’un propriétaire vend un immeuble et impose à l’acquéreur une clause de non-concurrence en faveur du repreneur d’un fonds de commerce attenant, ce dernier devient bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Il détient ainsi un droit propre à faire respecter la clause, indépendamment du lien contractuel entre le vendeur et l’acheteur (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141).
  • Les ayants cause universels ou à titre universel (héritiers et successeurs)
    • Le cas des héritiers et ayants cause universels est plus complexe.
    • Traditionnellement, la jurisprudence a longtemps refusé d’admettre qu’un stipulant puisse stipuler pour ses héritiers, au motif que ces derniers recueillent déjà, par l’effet de la succession, les droits de leur auteur.
    • En d’autres termes, stipuler en faveur de ses héritiers reviendrait à se stipuler pour soi-même, ce qui viderait de son sens la stipulation pour autrui (Cass. Req. 15 juill. 1875, S. 1877. 1. 326).
    • Toutefois, cette position a évolué, notamment en matière d’assurance sur la vie.
    • L’article L. 132-8 du Code des assurances permet expressément de désigner comme bénéficiaires les héritiers de l’assuré.
    • Dans ce cas, leur droit naît du contrat d’assurance et non de la succession.
    • Ils ne recueillent donc pas un droit dérivé du défunt, mais un droit direct issu de la stipulation, ce qui les distingue des simples successeurs universels.
    • La jurisprudence a également validé des stipulations pour autrui au profit de certains héritiers seulement.
    • Si le stipulant choisit de conférer un droit à un héritier particulier sans que cette qualité n’ait d’incidence sur l’attribution du droit, alors la stipulation demeure valable.
    • Ainsi, un parent peut souscrire une assurance-vie au profit d’un seul de ses enfants sans que cette désignation soit assimilée à un pacte sur succession future prohibé (Cass., ch. réun., 28 avr. 1961, n°57.12.658).

2. La nécessité d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable

La stipulation pour autrui, pour produire ses effets, exige que le bénéficiaire soit soit déterminé ab initio, soit déterminable avec certitude au moment de l’exécution de la promesse. Cette exigence trouve sa justification dans la nécessité d’assurer la sécurité juridique des parties et d’éviter qu’un droit soit créé sans titulaire certain.

a. Un bénéficiaire nécessairement déterminable

La stipulation pour autrui ne saurait déployer ses effets qu’au bénéfice d’un titulaire précisément identifié ou, à défaut, rigoureusement déterminable au moment où la promesse est appelée à s’exécuter. Cette exigence, désormais consacrée par l’article 1205, alinéa 2, du Code civil, assure la sécurité juridique du mécanisme en prévenant toute incertitude quant à l’attribution des droits conférés. En ce sens, le texte prévoit que le bénéficiaire peut être « déterminé au moment de l’exécution de la promesse », consacrant ainsi une solution qui, longtemps débattue, s’est progressivement imposée en doctrine et en jurisprudence.

Historiquement, l’incertitude pesait sur la possibilité d’instituer un bénéficiaire non immédiatement désigné. Le principe classique, solidement ancré en droit des obligations, commande que tout rapport d’obligation suppose nécessairement un créancier identifiable, de sorte qu’un droit ne peut exister sans titulaire certain. Cette conception rigide semblait a priori exclure toute stipulation au profit d’un bénéficiaire non encore individualisé.

Toutefois, la jurisprudence a admis, par souci de pragmatisme, que la stipulation puisse viser une personne non déterminée au jour de la conclusion du contrat, dès lors qu’elle est susceptible d’être identifiée au moment où la promesse produit ses effets. Cette évolution s’explique par la nature même du mécanisme, qui repose sur un décalage temporel entre la formation du contrat initial et l’attribution effective du droit au bénéficiaire.

Ainsi, il est jugé que la stipulation peut être consentie au profit d’un bénéficiaire dont l’identité demeure incertaine au moment de la conclusion du contrat, mais qui sera nécessairement identifiable en fonction d’éléments objectifs prédéterminés. Ce principe a été consacré en matière d’assurance pour compte, où la Cour de cassation a reconnu qu’un contrat pouvait bénéficier à un créancier encore éventuel à la date de souscription (Cass. 1re civ., 7 oct. 1959).

La reconnaissance de bénéficiaires déterminables s’est traduite par l’admission de stipulations formulées en des termes généraux, dès lors qu’elles permettent d’identifier sans ambiguïté les personnes appelées à bénéficier de la promesse. C’est ainsi que la jurisprudence a validé des stipulations visant :

  • Les héritiers directs du stipulant (Cass. civ., 28 déc. 1927) : cette désignation implique que la qualité d’héritier, appréciée au jour du décès, permette d’identifier les bénéficiaires de manière certaine.
  • Les créanciers de la communauté conjugale (Cass. 1re civ., 18 avr. 1961) : ici, l’identité des bénéficiaires est déterminable à la date de dissolution du régime matrimonial, dès lors que la communauté a vocation à s’acquitter de ses dettes à l’égard de créanciers identifiés.
  • Les ouvriers et fournisseurs d’un entrepreneur (Cass. req., 4 nov. 1907) : lorsque la stipulation pour autrui est insérée dans un marché de travaux, elle peut bénéficier à des tiers dont l’identité ne sera connue qu’au fur et à mesure de l’exécution du marché.

Dans chacun de ces cas, bien que les bénéficiaires ne soient pas nommément désignés dès la conclusion du contrat, leur individualisation devient possible grâce aux critères objectifs définis dans la stipulation.

Si l’ordonnancement juridique admet que le bénéficiaire soit déterminable, encore faut-il que la stipulation repose sur des critères suffisamment précis pour permettre son identification. À défaut, l’attribution demeure juridiquement inefficace et la créance ne peut être revendiquée par quiconque.

Ainsi, une stipulation formulée en des termes trop vagues ou généraux serait nulle, faute de conférer un droit à un titulaire identifiable. Tel serait le cas, par exemple, d’une stipulation visant de manière imprécise « les pauvres d’une ville », sans qu’aucun élément ne permette d’individualiser les personnes concernées. En revanche, la jurisprudence a admis la validité d’une stipulation au profit des pauvres d’une commune, dès lors que ceux-ci étaient représentés par un bureau d’aide sociale (Cass. req., 13 juin 1877).

De même, la stipulation au profit d’une personne future ne peut être admise que si son existence, bien que différée, est prévisible avec certitude. C’est notamment le cas en matière d’assurance sur la vie, où la loi admet qu’un contrat puisse être souscrit au bénéfice d’enfants à naître, sous réserve qu’ils soient conçus au moment du décès de l’assuré (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.).

b. L’alternative en cas d’absence de bénéficiaire désigné

La stipulation pour autrui repose sur l’attribution d’un droit à un bénéficiaire clairement désigné ou, au moins, déterminable. À défaut, elle devient inopérante et n’a pas d’effet. Autrement dit, si personne ne peut être identifié comme bénéficiaire au moment où le contrat doit produire ses effets, le droit issu de la stipulation revient au stipulant lui-même.

Cette règle est particulièrement évidente en matière d’assurance-vie. Si le souscripteur n’a désigné aucun bénéficiaire, le capital assuré intègre automatiquement sa succession (art. L. 132-11 C. civ.). La jurisprudence applique cette solution à toutes les stipulations pour autrui: lorsqu’il n’y a pas de bénéficiaire désigné ou déterminable, le droit profite au stipulant ou, s’il est décédé, à ses héritiers (Cass. 1re civ., 16 févr. 1983, n° 81-16.715).

Un autre cas d’inefficacité de la stipulation se rencontre lorsque le bénéficiaire est incapable de recevoir le droit qui lui a été attribué. Par exemple, si une personne désignée ne remplit pas les conditions légales pour bénéficier du contrat, la stipulation est considérée comme inexistante, et l’obligation du promettant s’exécute directement au profit du stipulant.

Ainsi, pour que la stipulation pour autrui soit valable, il faut impérativement qu’un bénéficiaire puisse être identifié au moment où la prestation devient exigible.

==>Peut-on stipuler pour une personne qui n’existe pas encore ?

Pendant longtemps, la possibilité de désigner comme bénéficiaire une personne non encore existante a fait débat. L’argument principal contre cette idée était simple : un droit ne peut exister sans titulaire. Si la stipulation vise un bénéficiaire qui n’est pas encore né ou qui n’a pas encore d’existence juridique, cela reviendrait, selon certains auteurs, à créer un droit sans sujet, ce qui serait contraire aux principes du droit des obligations.

Cependant, cette vision a évolué. Il est désormais admis que le bénéficiaire peut être une personne qui n’existe pas encore au moment où le contrat est conclu, tant qu’il peut être déterminé lorsque la stipulation produit ses effets. Cette solution est consacrée par l’article 1205 du Code civil, qui prévoit que « le bénéficiaire peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse ».

Un exemple courant est celui de l’assurance-vie, où il est fréquent de prévoir que le capital reviendra aux enfants à naître du souscripteur (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.). La jurisprudence a également admis que des fondations non encore constituées puissent être désignées comme bénéficiaires, à condition que leur création intervienne avant l’exécution de la promesse (Cass. req., 7 mars 1893).

Ainsi, une stipulation pour autrui peut viser une personne qui n’existe pas encore, mais uniquement si elle est déterminable au moment où la prestation doit être effectuée. Ce principe permet d’assurer la validité de nombreuses opérations, tout en garantissant une sécurité juridique aux parties concernées.

3. La faculté de mettre une obligation à la charge du bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui repose fondamentalement sur l’idée d’un droit conféré au tiers bénéficiaire, elle n’exclut pas pour autant que celui-ci puisse se voir imposer une obligation en contrepartie de l’avantage qui lui est accordé. Cette perspective, qui s’éloigne de la conception purement libérale de la stipulation pour autrui, trouve son fondement tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, qui s’interroge sur les limites de cette évolution.

a. Une obligation conditionnée par l’acceptation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui diffère fondamentalement de la promesse pour autrui en ce qu’elle ne contraint pas nécessairement le bénéficiaire à une obligation. Néanmoins, la jurisprudence admet que le bénéficiaire puisse être tenu d’une charge ou d’une contrepartie, à condition qu’il accepte expressément la stipulation pour autrui (Cass. 1re civ., 8 déc. 1987, n°85-11.769).

Cette approche se justifie par le fait que la stipulation pour autrui repose sur une logique contractuelle. En conséquence, il est envisageable que le bénéficiaire, en exerçant le droit qui lui est conféré, adhère implicitement ou explicitement aux obligations qui l’accompagnent. Toutefois, ces obligations ne sauraient lui être imposées de manière unilatérale : elles ne deviennent opposables qu’au moment où il accepte la stipulation.

b. L’exemple de l’assurance de groupe

Le domaine des assurances illustre parfaitement ce mécanisme. Dans le cadre d’un contrat d’assurance de groupe, l’adhérent – bénéficiaire de la couverture assurantielle – est tenu de s’acquitter des primes en contrepartie des garanties qui lui sont offertes. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’adhérent à un contrat d’assurance de groupe, bien que n’ayant pas directement négocié la stipulation, était tenu de respecter les obligations qui en découlaient, notamment le paiement des cotisations (Cass. 1ère civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

Cette décision témoigne de la reconnaissance d’un équilibre contractuel au sein de la stipulation pour autrui : si le bénéficiaire souhaite se prévaloir du droit qui lui est conféré, il doit en assumer les charges qui en découlent.

c. Une remise en question de la nature même de la stipulation pour autrui ?

L’admission d’une obligation à la charge du bénéficiaire soulève toutefois une interrogation fondamentale : ne transforme-t-elle pas la stipulation pour autrui en un contrat pour autrui ? Un auteur soutient que dès lors que le bénéficiaire est simultanément créancier et débiteur du promettant, la stipulation pour autrui perd de sa spécificité et s’apparente davantage à un mécanisme contractuel classique[25].

Cette analyse repose sur une distinction essentielle : dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire acquiert un droit par la seule volonté du stipulant, tandis que dans un contrat pour autrui, il devient directement partie à une relation contractuelle impliquant des obligations réciproques. Ainsi, si le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ne peut jouir du droit qui lui est conféré qu’en contrepartie d’une charge déterminée, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence du maintien de la qualification initiale.

En dépit de ces évolutions, la jurisprudence demeure vigilante quant à la préservation du caractère fondamental de la stipulation pour autrui. Si elle admet que le bénéficiaire puisse se voir imposer une obligation, c’est uniquement à la condition qu’il en ait accepté la charge et que celle-ci ne remette pas en cause l’essence même de l’institution.

En définitive, la possibilité d’imposer une obligation au bénéficiaire témoigne d’une évolution pragmatique du droit des contrats, visant à concilier souplesse et équilibre contractuel. Elle confirme que la stipulation pour autrui, loin d’être un mécanisme rigide, s’adapte aux réalités économiques et aux exigences de la pratique contractuelle, tout en préservant son fondement premier : l’octroi d’un droit au profit d’un tiers, voulu par le stipulant et accepté par le promettant.

La stipulation pour autrui: vue générale

==>Notion

Il est des mécanismes juridiques dont la singularité se manifeste avec d’autant plus d’éclat qu’ils défient l’architecture traditionnelle du droit des obligations. Parmi eux, la stipulation pour autrui occupe une place de choix, en ce qu’elle permet à une personne, le stipulant, de conférer un droit à un tiers bénéficiaire, par l’intermédiaire d’un promettant, qui s’engage à accomplir une prestation au profit de ce dernier. Cet engagement, bien que contracté entre le stipulant et le promettant, fait naître au profit du bénéficiaire un droit propre et direct, qu’il pourra faire valoir lui-même contre le promettant, sans qu’il soit besoin d’une intervention supplémentaire du stipulant.

 

Le mécanisme de la stipulation pour autrui trouve aujourd’hui sa consécration à l’article 1205 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Selon cette disposition, « l’un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire ». Le texte précise encore que le bénéficiaire peut être une personne future, à condition d’être déterminé ou déterminable au moment de l’exécution de la prestation.

Cette formulation entérine une évolution doctrinale et jurisprudentielle de longue date, puisque la stipulation pour autrui ne figurait que de manière incidente dans l’ancien article 1121 du Code civil de 1804, lequel stipulait que « l’on peut pareillement stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre ». Ce texte, ambigu, fut interprété de manière restrictive par une doctrine qui voyait dans la stipulation pour autrui une exception à la règle de l’effet relatif des contrats.

Le principe de l’effet relatif des conventions, codifié à l’article 1199 du Code civil, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». L’idée qui le sous-tend, héritée du droit romain (alteri stipulari nemo potest), est que les effets d’un contrat ne sauraient s’étendre à des tiers qui n’ont pas donné leur consentement. Cette règle est ancienne: Pothier rappelait déjà que « les conventions ne peuvent préjudicier à ceux qui n’y sont pas parties »[1].

Or, la stipulation pour autrui semble, en apparence, déroger à ce principe, en permettant à un tiers d’acquérir un droit directement issu du contrat conclu entre le stipulant et le promettant. Comme le relève Planiol, «cette institution, loin d’être une anomalie, est une nécessité économique et sociale qui s’est progressivement imposée dans la jurisprudence»[2]. De même, Ripert et Boulanger expliquent que la stipulation pour autrui constitue une dérogation maîtrisée au principe de l’effet relatif, en ce qu’elle repose sur un mécanisme contractuel spécifique.

Toutefois, cette rupture apparente avec la logique contractuelle classique ne doit pas masquer la véritable spécificité de l’institution : ce n’est pas tant son effet exceptionnel à l’égard des tiers qui la distingue, mais bien la manière dont ce droit se forme et se transmet.

La stipulation pour autrui repose ainsi sur une subtile combinaison entre un engagement contractuel entre stipulant et promettant et une attribution extracontractuelle d’un droit au profit du bénéficiaire. Comme l’explique Eugène Gaudemet, « l’originalité du mécanisme réside en ce que la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans qu’elle ait transité par celui du stipulant »[3].

Cette distinction est d’une importance majeure car elle justifie que le droit du bénéficiaire :

Ainsi, contrairement aux autres mécanismes qui confèrent un droit à un tiers en se fondant sur un transfert ou une représentation (comme la cession de créance ou le mandat), la stipulation pour autrui ne suppose ni l’intervention du bénéficiaire dans l’accord initial, ni une transmission d’un droit déjà existant. René Demogue précise ainsi que « le droit du bénéficiaire est un droit immédiat, qui ne dépend ni d’une cession ni d’une substitution, mais d’une création contractuelle qui s’opère par l’engagement du promettant »[4].

Si le Code civil de 1804 ne consacrait qu’incidemment la stipulation pour autrui, l’ordonnance de 2016 est venue clarifier et moderniser son régime, en lui dédiant plusieurs articles (1205 à 1209 du Code civil). Toutefois, la doctrine relève que cette réforme, bien que bienvenue, n’a pas saisi toute la portée de l’institution. Marc Mignot souligne notamment que le législateur « a traité la stipulation pour autrui comme une simple exception à l’effet relatif, sans en analyser la structure fondamentale, qui repose en réalité sur une double logique d’attribution et d’engagement contractuel »[5].

D’autres auteurs regrettent que la réforme n’ait pas pris en compte certaines évolutions jurisprudentielles qui avaient fait de la stipulation pour autrui un outil juridique particulièrement souple. François Terré et Philippe Simler rappellent ainsi que la jurisprudence avait progressivement admis des stipulations pour autrui implicites, notamment dans le cadre des contrats d’assurance ou des conventions collectives, avant que le Code civil réformé ne revienne à une approche plus formelle[6].

==>Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La stipulation pour autrui ne saurait être confondue avec d’autres mécanismes juridiques impliquant plusieurs parties, bien qu’elle partage avec eux une apparente parenté structurelle. Si tous ces dispositifs permettent, d’une manière ou d’une autre, d’attribuer des droits à un tiers, leur mode opératoire diffère fondamentalement.

Là où certains reposent sur une transmission ou une substitution de droits existants, la stipulation pour autrui se singularise en ce qu’elle crée ex nihilo un droit au profit du bénéficiaire, indépendamment d’un quelconque transfert. Cette distinction est essentielle pour comprendre l’autonomie conceptuelle de l’institution et les effets qui en résultent.

  • Stipulation pour autrui et action directe
    • Si la stipulation pour autrui et l’action directe permettent toutes deux à un tiers d’exercer un droit contre une partie à un contrat auquel il n’est pas directement lié, elles reposent néanmoins sur des fondements conceptuels distincts.
    • Tandis que la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre, né immédiatement de la volonté du stipulant et du promettant, l’action directe se rattache au principe de transmission accessoire des créances et constitue une prérogative accordée par la loi dans des hypothèses strictement définies.
    • Pour mémoire, la stipulation pour autrui se définit comme l’acte par lequel un contractant, le stipulant, fait promettre à l’autre partie, le promettant, d’exécuter une prestation au bénéfice d’un tiers bénéficiaire.
    • Ce dernier, sans être partie au contrat, se voit immédiatement reconnaître un droit propre et direct contre le promettant.
    • L’élément central de la stipulation pour autrui réside dans la création ex nihilo d’un droit de créance dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Ce droit ne résulte ni d’une transmission de créance ni d’un déplacement d’obligation, mais bien d’une manifestation de volonté expresse ou implicite du stipulant.
    • Comme le relève Demogue, « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un transfert de droit, mais d’une attribution immédiate et autonome, qui confère au bénéficiaire un droit direct sans antécédent patrimonial »[7].
    • L’action directe, pour sa part, permet à un créancier d’agir contre un sous-débiteur dans une chaîne de contrats successifs.
    • Contrairement à la stipulation pour autrui, qui repose sur la volonté contractuelle, l’action directe est une prérogative exceptionnelle accordée par la loi.
    • Elle repose sur le principe de la transmission accessoire des créances, lequel justifie que certains droits contractuels puissent être exercés directement contre un sous-débiteur lorsque l’économie du contrat le requiert.
    • Ainsi, dans une chaîne contractuelle (par exemple, un sous-traitant qui n’est pas payé par un entrepreneur principal), le législateur ou la jurisprudence peuvent conférer à certains créanciers un droit d’agir contre le sous-débiteur final, même en l’absence de lien contractuel direct.
    • Cette prérogative s’analyse souvent comme une protection économique accordée à certaines catégories de créanciers vulnérables, comme les salariés (action directe en paiement des salaires en cas de sous-traitance), les victimes d’accidents (action directe en matière d’assurance) ou encore les fournisseurs dans les contrats de construction.
    • Comme l’indiquent des auteurs, l’action directe « ne confère pas un droit nouveau au créancier, mais lui permet seulement d’exercer un droit déjà existant, en raison d’une chaîne d’obligations préétablie »[8].
    • En ce sens, elle suppose nécessairement un lien de dépendance juridique entre l’obligation initiale et l’action conférée au créancier, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • La distinction entre stipulation pour autrui et action directe est parfois brouillée par la jurisprudence, notamment dans les affaires de responsabilité contractuelle et de contrats de transport.
    • En effet, la Cour de cassation a parfois eu recours à la stipulation pour autrui là où une action directe aurait été plus appropriée.
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 décembre 1954, la Haute juridiction a admis que le contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine contenait une stipulation pour autrui au profit des patients, leur permettant d’agir contre le centre en cas de contamination (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954).
    • Toutefois, cette analyse a été critiquée par la doctrine, notamment par René Savatier, qui souligne que le patient ne devient pas titulaire d’un droit propre, mais exerce simplement une action contractuelle sur la base d’une transmission accessoire de créance.
    • Dans les affaires de contamination par le VIH ou l’hépatite C, la jurisprudence a finalement abandonné l’analyse en termes de stipulation pour autrui et a reconnu que la victime pouvait exercer une action directe en responsabilité contractuelle contre le centre de transfusion.
    • Cette solution est plus rigoureuse, car elle repose sur une chaîne contractuelle où chaque maillon engage sa responsabilité pour inexécution de son obligation de fournir un sang exempt de vices.
    • Le contrat de transport illustre également la confusion entre action directe et stipulation pour autrui.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence a vu dans l’engagement du transporteur envers le destinataire une stipulation pour autrui au profit de ce dernier (Cass. civ., 24 mai 1897).
    • Toutefois, la doctrine moderne, à l’instar de René Rodière considère que cette analyse est erronée : le destinataire dispose en réalité d’une action directe contre le transporteur en raison de la nature même du contrat de transport, qui l’intègre intrinsèquement à l’opération économique[9].
    • La Cour de cassation a progressivement évolué et a admis que le destinataire « dispose d’une action directe pour contraindre le transporteur à exécuter ses obligations » (Cass. 1ère civ., 1er févr. 1955).
    • Cette approche est plus conforme à la nature tripartite du contrat de transport, qui crée des obligations réciproques entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire.
  • Stipulation pour autrui et cession de créance
    • Si la stipulation pour autrui et la cession de créance permettent toutes deux de conférer un droit à un tiers, elles reposent sur des logiques juridiques distinctes.
    • Tandis que la cession de créance implique une transmission d’un droit préexistant, la stipulation pour autrui crée un droit ex nihilo au profit du bénéficiaire.
    • La cession de créance, régie par l’article 1321 du Code civil, est l’acte par lequel un créancier (le cédant) transmet à un tiers (le cessionnaire) la créance qu’il détient contre un débiteur (le cédé). Cette opération repose sur un transfert de créance : le cessionnaire reçoit un droit qui appartenait préalablement au cédant, lequel se dessaisit de sa créance au profit du nouvel ayant droit.
    • À l’inverse, la stipulation pour autrui repose sur un mécanisme créateur de droit.
    • Le stipulant conclut avec le promettant un contrat prévoyant une obligation en faveur d’un tiers bénéficiaire, qui devient directement créancier du promettant.
    • Comme le souligne Planiol, « dans la cession de créance, le droit passe d’un titulaire à un autre, tandis que dans la stipulation pour autrui, le droit naît immédiatement et exclusivement dans le patrimoine du bénéficiaire »[10].
    • Ainsi, alors que la cession de créance implique une transmission, la stipulation pour autrui opère une véritable attribution de créance, sans que celle-ci ait appartenu au stipulant à un quelconque moment.
    • A cet égard, le mode d’attribution du droit constitue un second élément de différenciation essentiel.
      • Dans la cession de créance, le droit du cessionnaire contre le débiteur cédé est dérivé : il préexistait dans le patrimoine du cédant et est simplement transféré au cessionnaire. Le créancier initial (cédant) peut encore être tenu vis-à-vis du cessionnaire si la cession est assortie d’une garantie de paiement. De plus, avant sa cession, la créance peut être saisie par les créanciers du cédant, et le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant (art. 1324 C. civ.).
      • Dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire est originaire et direct. Il n’a jamais appartenu au stipulant et ne procède pas d’un transfert. Le bénéficiaire exerce directement son droit contre le promettant, sans que le stipulant intervienne dans l’exécution de l’obligation.
    • La jurisprudence a parfois hésité entre ces qualifications. En matière de crédit-bail, certaines décisions ont qualifié de stipulation pour autrui la clause permettant au crédit-preneur d’agir directement contre le fournisseur du bien loué (CA Paris, 5e ch. A, 28 nov. 1989).
    • Toutefois, d’autres décisions ont préféré voir dans ce mécanisme une cession de créance de garantie (Cass. com., 26 janv. 1977, n°75-12.613). Cette hésitation jurisprudentielle repose sur l’ambiguïté du régime juridique applicable aux garanties accordées au crédit-preneur.
    • La distinction entre la cession de créance et la stipulation pour autrui emporte des effets concrets:
      • Possibilité de recours des créanciers du cédant
        • En cas de cession de créance, les créanciers du cédant peuvent saisir la créance avant qu’elle ne soit transmise au cessionnaire.
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire n’a jamais appartenu au stipulant, de sorte qu’aucun créancier du stipulant ne peut exercer un recours sur ce droit.
      • Opposabilité des exceptions
        • Dans la cession de créance, le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les mêmes exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant avant la cession (art. 1324 C. civ.).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant ne peut invoquer les éventuelles exceptions qu’il aurait pu opposer au stipulant contre le bénéficiaire, puisque la créance du bénéficiaire est une création autonome et ne résulte pas d’un transfert.
      • Nature de l’engagement du débiteur
        • En cas de cession de créance, le débiteur cédé est contraint d’accepter la substitution de son créancier, sauf si la cession est soumise à son accord préalable (C. civ., art. 1322).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant s’engage librement envers le bénéficiaire dès la conclusion du contrat avec le stipulant.
    • Enfin, la jurisprudence a parfois confondu stipulation pour autrui et cession de créance dans certaines hypothèses complexes.
    • Ainsi, la transmission d’une créance résultant d’une promesse unilatérale de vente a pu être analysée tantôt comme une cession de créance, tantôt comme une stipulation pour autrui.
    • De même, la délégation d’honoraires à un expert d’assurance a fait l’objet d’une hésitation jurisprudentielle quant à sa qualification, certains y voyant une cession de créance, d’autres une stipulation pour autrui.
    • Toutefois, comme le relève Jacques Ghestin, la cession de créance implique toujours un rapport tripartite, alors que la stipulation pour autrui ne repose que sur la relation entre le stipulant et le promettant[11].
    • Cette distinction fondamentale explique que la stipulation pour autrui demeure une exception au principe de l’effet relatif des conventions, tandis que la cession de créance reste une technique de transmission des obligations.
  • Stipulation pour autrui et cession de dette
    • La stipulation pour autrui et la cession de dette sont deux mécanismes qui, bien qu’impliquant l’intervention de plusieurs parties dans un rapport obligataire, se distinguent profondément tant dans leur objet que dans leurs effets.
    • Tandis que la stipulation pour autrui crée une obligation nouvelle au profit d’un tiers, la cession de dette, prévue à l’article 1327 du Code civil, opère une substitution d’un débiteur à un autre, sans nécessairement libérer l’ancien débiteur de son engagement.
    • Si la confusion entre ces deux notions est fréquente, leur distinction est essentielle, tant pour comprendre leur régime propre que pour en maîtriser les implications pratiques.
      • Une différence de structure : création d’une obligation vs transmission d’une dette existante
        • Dans la cession de dette, un nouveau débiteur (le cessionnaire) se substitue à l’ancien débiteur (le cédant) dans l’exécution d’une obligation préexistante envers le créancier.
        • Cette opération implique donc une transmission d’une dette antérieure, dont la cause et l’objet demeurent inchangés.
        • Le créancier peut accepter ou refuser cette substitution, et, sauf stipulation contraire, il conserve son action contre le débiteur d’origine (Cass. 3e civ, 10 avr. 1973, n°71-12.719).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, aucune obligation préexistante n’est transmise.
        • Il s’agit d’un engagement nouveau pris par un promettant envers un bénéficiaire, à l’initiative d’un stipulant.
        • Ce mécanisme ne repose pas sur le transfert d’une dette, mais sur la création ex nihilo d’un droit propre et direct au profit du tiers bénéficiaire, sans qu’il y ait eu auparavant une obligation qui lui aurait été due.
        • La stipulation pour autrui trouve ainsi sa source dans la relation contractuelle entre le stipulant et le promettant, tandis que la cession de dette s’ancre dans une obligation déjà existante.
      • L’implication du créancier : consentement et effet immédiat
        • Dans la cession de dette, le créancier initial ne bénéficie pas immédiatement d’un droit contre le cessionnaire.
        • L’efficacité de la substitution dépend de son consentement : tant que celui-ci n’a pas donné son accord, il conserve une action contre le débiteur cédant, lequel demeure tenu de l’obligation.
        • Ce maintien de l’action contre le cédant traduit la nature progressive de la substitution, qui ne devient définitive qu’avec l’adhésion expresse du créancier à l’opération (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est immédiatement investi d’un droit contre le promettant, sans que le consentement du stipulant ou du bénéficiaire soit requis pour conférer cet effet direct (art. 1205 C. civ.).
        • Il appartient au bénéficiaire d’accepter la stipulation pour la rendre irrévocable, mais son droit existe dès la formation du contrat.
        • Cet effet immédiat différencie la stipulation pour autrui de la cession de dette, où l’acquisition d’un droit contre le cessionnaire suppose l’adhésion du créancier.
      • L’absence de superposition des obligations dans la stipulation pour autrui
        • Une autre différence essentielle entre ces deux mécanismes réside dans l’articulation des obligations entre les parties.
        • Dans la cession de dette, il existe une période de superposition des engagements du cédant et du cessionnaire: tant que le créancier n’a pas accepté la substitution, il conserve son action contre le débiteur d’origine, qui reste tenu de la dette.
        • Cette dualité d’engagements peut, dans certains cas, générer une responsabilité solidaire, contraignant le cédant et le cessionnaire à répondre ensemble de l’exécution de l’obligation (Cass. 2e civ., 10 juill. 2014, n°13-20.620).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire ne partage aucune obligation avec le stipulant : son droit naît directement de la volonté du stipulant et s’exerce exclusivement contre le promettant.
        • Il n’existe donc aucun chevauchement d’obligations entre le stipulant et le bénéficiaire, ce dernier n’ayant pas à se prévaloir d’une transmission de dette mais d’un droit originaire créé à son profit.
        • Demogue expliquait ainsi que « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un déplacement d’obligation, mais d’une création ex nihilo d’un droit autonome, qui ne connaît pas d’antécédent patrimonial »[12].
      • Les enjeux pratiques de la distinction
        • Les implications pratiques de la distinction entre cession de dette et stipulation pour autrui, les enjeux sont considérables.
        • Dans le cadre d’une cession de dette, la nécessité de recueillir le consentement du créancier peut ralentir l’opération et en limiter l’efficacité.
        • Le créancier demeure exposé au risque d’insolvabilité du cédant tant que la substitution n’a pas été agréée.
        • En outre, l’existence d’une responsabilité conjointe entre le cédant et le cessionnaire peut poser des difficultés en cas de litige sur l’exécution de l’obligation.
        • En revanche, la stipulation pour autrui offre une plus grande sécurité juridique : le bénéficiaire acquiert immédiatement un droit direct contre le promettant, sans dépendre d’un consentement extérieur.
        • Cela en fait un outil contractuel privilégié dans des domaines tels que le droit des assurances (où l’assuré stipule pour ses ayants droit), le droit bancaire (assurances collectives souscrites par une banque pour ses clients) ou encore le droit des contrats commerciaux (garanties de passif au profit d’une société cédée).
        • Cette autonomie de la stipulation pour autrui justifie que la jurisprudence en encadre strictement l’usage, afin d’éviter toute confusion avec une reprise de dette ou une délégation.
        • Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’une clause par laquelle un cessionnaire s’engageait à prendre en charge les dettes d’une société ne constituait pas une stipulation pour autrui mais une reprise de dette externe, impliquant une acceptation du créancier concerné (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • La distinction est donc essentielle pour déterminer le régime applicable et les exigences requises pour l’opposabilité de l’engagement au créancier.
  • Stipulation pour autrui et délégation
    • La délégation, prévue à l’article 1336 du Code civil, est l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient qu’un tiers, le délégué, s’engage envers un créancier, le délégataire.
    • Elle peut présenter plusieurs formes :
      • La délégation simple ou imparfaite, par laquelle le délégant reste tenu de l’obligation en parallèle du délégué.
      • La délégation novatoire ou parfaite, où l’engagement du délégué remplace celui du délégant.
    • La différence fondamentale entre la délégation et la stipulation pour autrui réside dans le fait que la délégation repose sur un engagement du délégant, alors que la stipulation pour autrui repose uniquement sur l’engagement du promettant.
    • Comme le soulignent Ambroise Colin et Henri Capitant, « dans la délégation, le débiteur (délégant) joue un rôle actif, soit en conservant une obligation conjointe, soit en se substituant totalement un tiers ; dans la stipulation pour autrui, le stipulant disparaît totalement après la formation du droit du bénéficiaire »[13].
    • Autres distinctions importantes :
      • Dans la délégation, il est souvent possible d’opposer des exceptions au délégataire (en cas de délégation imparfaite), tandis que dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est titulaire d’un droit direct, ce qui limite les moyens de contestation du promettant.
      • La délégation crée des obligations complexes, parfois superposées, alors que la stipulation pour autrui crée une obligation unique et immédiate en faveur du bénéficiaire.
  • Stipulation pour autrui et mandat
    • Le mandat, défini par l’article 1984 du Code civil, est le contrat par lequel une personne, le mandant, confère à une autre, le mandataire, le pouvoir d’agir en son nom et pour son compte.
    • Contrairement au stipulant, le mandataire agit pour le compte du mandant et engage ce dernier dans ses relations avec les tiers.
    • Autrement dit, dans un mandat, le bénéficiaire de l’opération est également l’une des parties au contrat, ce qui le distingue radicalement de la stipulation pour autrui, où le bénéficiaire est un tiers extérieur à la convention initiale.
    • De plus, dans le mandat, le mandataire n’est qu’un intermédiaire : il ne crée aucun droit nouveau, mais exerce une action en représentation du mandant.
    • Robert Beudant souligne ainsi que « le mandataire ne fait que prolonger juridiquement la personne du mandant, tandis que le stipulant crée un droit autonome au profit du bénéficiaire, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci intervienne dans l’opération »[14].
    • Enfin, le mandat repose sur un lien de représentation, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • Le stipulant ne représente pas le bénéficiaire, il ne contracte pas en son nom, ni pour son compte : il contracte en son propre nom, mais avec l’intention de faire naître un droit dans le patrimoine d’un tiers.
  • Stipulation pour autrui et gestion d’affaires
    • Enfin, la stipulation pour autrui ne doit pas être confondue avec la gestion d’affaires, mécanisme par lequel une personne (le gérant) prend l’initiative d’accomplir un acte dans l’intérêt d’un tiers (le maître d’affaire), en dehors de tout mandat préalable.
    • À la différence de la gestion d’affaires :
      • Le stipulant ne prend pas d’initiative pour gérer les intérêts du bénéficiaire, il se borne à faire naître un droit en sa faveur.
      • Le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui n’a pas à ratifier l’acte pour que son droit existe, contrairement au maître d’affaire, qui peut accepter ou refuser la gestion à son bénéfice.

==>Évolution historique

L’histoire de la stipulation pour autrui est celle d’une lente reconnaissance au sein du droit positif, marquée par une opposition initiale fondée sur le principe du caractère personnel des obligations, puis par une acceptation progressive sous l’effet des évolutions économiques et juridiques. Ce mécanisme, qui permet à un tiers d’acquérir un droit directement issu d’un contrat auquel il n’est pas partie, s’est heurté aux résistances d’un droit longtemps attaché au caractère strictement personnel des obligations. Il aura fallu l’effort conjoint de la doctrine et de la jurisprudence pour que la stipulation pour autrui s’impose comme un instrument juridique pleinement légitime, jusqu’à sa consécration législative par la réforme entreprise par l’ordonnance du 10 février de 2016.

  • La prohibition de la stipulation pour autrui en droit romain

Le droit romain considérait, en principe, la stipulation pour autrui comme une anomalie, en vertu de l’adage nemo alteri stipulari potest : nul ne peut stipuler pour autrui (Digeste, 45, 1, 38). L’obligation, perçue comme un lien strictement personnel entre créancier et débiteur, ne pouvait créer de droits au profit d’un tiers. Le droit romain reposait sur l’idée que seule une personne directement engagée dans un acte pouvait en tirer les effets juridiques.

Toutefois, sous l’influence des pratiques commerciales et successorales, certaines atténuations furent progressivement admises. Ainsi, Paul, jurisconsulte du II? siècle, relevait déjà que la stipulation pouvait être faite au profit d’un héritier encore à naître (D. 45, 1, 126), préfigurant ainsi l’idée d’un droit bénéficiant à une personne déterminable mais non encore existante.

Malgré ces assouplissements ponctuels, le droit romain ne consacra jamais pleinement la stipulation pour autrui en tant que mécanisme général, considérant que la transmission des droits devait passer par la novation, la cession de créance ou la représentation. Ce rigorisme allait toutefois être progressivement remis en question par les nécessités de la pratique juridique.

  • L’émergence progressive de la stipulation pour autrui en Ancien droit français

Sous l’Ancien Régime, la prohibition romaine de la stipulation pour autrui fut progressivement édulcorée, à mesure que la pratique reconnaissait la nécessité de conférer des droits à des tiers.

Le droit coutumier français, influencé par les nécessités économiques et sociales, ouvrit la voie à des formes rudimentaires de stipulation pour autrui, notamment dans le cadre de la transmission des obligations successorales et des contrats d’assurance maritime. Ces évolutions, bien que pragmatiques, demeuraient fragmentaires et ne s’accompagnaient pas d’une véritable théorie générale.

C’est dans cette perspective que Robert-Joseph Pothier (1699-1772) jeta les bases d’une reconnaissance doctrinale plus large. Dans son Traité des obligations, il admettait déjà que « rien ne s’oppose à ce qu’un contrat stipule une obligation envers un tiers, lorsque cela résulte de la commune intention des parties »[15]. Cette approche, qui reposait sur une lecture souple de l’intention contractuelle, annonçait la position qui serait progressivement adoptée par la jurisprudence du XIX? siècle.

  • Le Code civil de 1804 : une consécration timide et ambiguë

Le Code civil napoléonien n’accorda qu’une reconnaissance minimale à la stipulation pour autrui, en la cantonnant à des hypothèses précises et limitatives.

L’ancien article 1121 du Code civil disposait ainsi : « On peut stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. »

Cette formulation, volontairement restrictive, traduisait l’hésitation du législateur, qui souhaitait éviter qu’un tiers puisse acquérir un droit sans consentement explicite de sa part.

Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, justifiait cette prudence en invoquant la nécessité de protéger la sécurité juridique et de prévenir les engagements trop incertains[16]. Cette position se traduisit par une interprétation rigoriste de l’institution, qui freina son développement au cours du XIX? siècle.

  • L’essor jurisprudentiel du XIX? siècle sous l’impulsion des assurances sur la vie

C’est la jurisprudence du XIX? siècle qui allait véritablement consacrer la stipulation pour autrui comme un mécanisme autonome du droit des obligations.

L’essor des assurances sur la vie imposait la reconnaissance d’un droit propre au bénéficiaire, sans que celui-ci ait à le revendiquer auprès du souscripteur. Ce besoin pratique allait progressivement contraindre la jurisprudence à admettre que la stipulation pour autrui créait un droit direct au profit du tiers bénéficiaire.

Dans un arrêt fondateur (Cass. Req., 16 janv. 1888), la Cour de cassation admet ainsi que le bénéficiaire d’une assurance-vie dispose d’un droit propre, qui ne transite pas par le patrimoine du souscripteur. Cette décision marque un tournant décisif dans la reconnaissance de la stipulation pour autrui.

Commentant cette évolution, Paul Esmein souligna que « l’assurance sur la vie a été le catalyseur d’une évolution nécessaire du droit des obligations, en consacrant la stipulation pour autrui comme un mode normal de transmission des engagements »[17].

  • La réforme de 2016 : une consécration législative attendue

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a marqué une avancée significative en procédant à une refonte du cadre normatif de la stipulation pour autrui. Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution bénéficie d’un régime autonome, clarifiant les conditions de sa mise en œuvre et entérinant les solutions dégagées par la jurisprudence au fil du temps.

L’ambition du législateur, à travers cette réforme, était double : moderniser et sécuriser l’usage de la stipulation pour autrui, en la libérant de certaines incertitudes qui entouraient encore son régime antérieur, hérité de l’ancien article 1121 du Code civil. À cette fin, l’ordonnance lui confère une place explicite au sein du chapitre IV du titre III du Code civil, relatif aux effets du contrat à l’égard des tiers, marquant ainsi la reconnaissance de sa spécificité au regard du principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 c. civ.).

Désormais, la stipulation pour autrui repose sur des principes clairs et codifiés, précisant notamment que :

  • La stipulation pour autrui peut être librement stipulée, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une condition particulière pour sa validité. Cette consécration met fin aux incertitudes issues de l’ancien article 1121 du Code civil, qui ne permettait la stipulation pour autrui que lorsqu’elle constituait une condition d’un engagement pris pour soi-même ou d’une donation. Désormais, les contractants disposent d’une liberté totale pour conférer un droit direct à un tiers, dès lors qu’ils expriment une volonté en ce sens.
  • Le droit du bénéficiaire naît immédiatement du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, sans qu’il soit nécessaire que le bénéficiaire manifeste son acceptation dès l’origine. Toutefois, tant que ce droit n’a pas été accepté, le stipulant conserve la faculté de le révoquer (art. 1206 c. civ.). Ce pouvoir de révocation, qui constitue une innovation majeure de la réforme, confère une souplesse accrue à l’institution, permettant au stipulant de revenir sur son engagement tant que le bénéficiaire ne s’en est pas prévalu.
  • La stipulation pour autrui est désormais expressément consacrée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats. Cette précision, bien qu’implicite en jurisprudence, n’avait jamais été affirmée avec autant de netteté par le législateur. Elle confirme que la stipulation pour autrui permet de conférer un droit propre au bénéficiaire, qui pourra en poursuivre l’exécution à l’encontre du promettant sans être partie au contrat initial.

Si la réforme de 2016 a le mérite d’avoir clarifié et stabilisé le régime de la stipulation pour autrui, elle n’a pas pour autant dissipé toutes les réserves doctrinales.

Certains auteurs regrettent notamment que le législateur ait inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors même qu’il aurait été préférable de consacrer son autonomie conceptuelle. Ainsi, Marc Mignot observe avec justesse que « le législateur a inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors qu’il aurait dû consacrer son autonomie conceptuelle »[18].

Cette critique repose sur une analyse approfondie du mécanisme en question : en effet, la stipulation pour autrui ne se contente pas d’aménager l’effet relatif du contrat, elle procède d’une création directe d’un droit au profit du tiers bénéficiaire, sans que ce droit ait transité par le patrimoine du stipulant. Dès lors, la rattacher aux effets du contrat à l’égard des tiers, plutôt que d’affirmer son autonomie en tant que technique d’attribution de créance par acte unilatéral, apparaît comme une approche réductrice, voire incomplète.

D’autres critiques portent sur l’absence de précision sur le sort du droit du bénéficiaire avant acceptation, notamment en cas de décès du stipulant ou du promettant. En l’état du droit positif, l’article 1208 du Code civil semble suggérer que le droit du bénéficiaire peut être transmis à ses héritiers s’il décède avant d’avoir accepté la stipulation. Cette solution, bien que conforme aux principes généraux du droit des obligations, aurait mérité d’être davantage explicitée, tant elle soulève des interrogations pratiques.

En dépit de ces critiques, la réforme de 2016 constitue une étape décisive dans l’évolution de la stipulation pour autrui, qui s’affirme désormais comme un instrument contractuel incontournable, parfaitement intégré dans l’architecture du droit des obligations.

Ce mécanisme, jadis perçu comme une anomalie, s’impose aujourd’hui comme une technique juridique polyvalente, dont les applications se retrouvent dans une grande variété de domaines, allant des contrats d’assurance aux conventions collectives, en passant par les contrats de cession de contrôle et les engagements bancaires.

==>Applications pratiques

La stipulation pour autrui, en ce qu’elle permet d’attribuer à un tiers un droit direct contre un promettant sans qu’il soit partie au contrat, trouve des applications multiples dans divers domaines du droit. Son utilité s’étend à des secteurs variés, où elle assure la transmission efficace de droits et la protection des intérêts économiques et sociaux des bénéficiaires.

  • Droit des assurances

La stipulation pour autrui trouve une application particulièrement marquante dans le droit des assurances. En permettant à un tiers de bénéficier d’un contrat auquel il n’est pas partie, elle confère une assise juridique aux nombreux mécanismes d’assurance, tels que l’assurance-vie, l’assurance pour compte ou encore l’assurance de groupe.

  • L’assurance sur la vie
    • L’assurance-vie constitue l’illustration la plus aboutie de la stipulation pour autrui dans le domaine assurantiel.
    • Ce mécanisme repose sur un contrat conclu entre un souscripteur (assimilé au stipulant) et un assureur (assimilé au promettant), par lequel ce dernier s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une prestation à un bénéficiaire désigné lors du décès de l’assuré.
    • L’essence même de l’assurance-vie repose donc sur la création d’un droit direct et autonome au profit du bénéficiaire, lequel, bien qu’étranger à l’accord initial entre le souscripteur et l’assureur, acquiert un droit propre sur la prestation due.
    • Cette autonomie juridique distingue fondamentalement l’assurance-vie d’autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la cession de créance ou la donation, qui impliquent un transfert de droits existants, alors que la stipulation pour autrui, en l’espèce, génère une créance nouvelle dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Dès la fin du XIX? siècle, la jurisprudence a reconnu l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie.
    • Dans un arrêt du 16 janvier 1888, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie dispose d’un droit direct contre l’assureur, indépendamment de tout lien contractuel personnel avec ce dernier (Cass. civ., 16 janv. 1888).
    • Cette solution a été consacrée par le législateur à travers les articles L. 132-1 et suivants du Code des assurances, lesquels établissent expressément la validité du mécanisme de la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance-vie et précisent que la prestation due par l’assureur est directement attribuée au bénéficiaire désigné.
    • Cette reconnaissance législative confère au bénéficiaire un droit propre et opposable, qui s’impose non seulement à l’assureur, mais également aux tiers, y compris aux créanciers du souscripteur et aux héritiers.
    • Contrairement aux autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la donation ou la succession, la stipulation pour autrui en matière d’assurance-vie place le bénéficiaire dans une situation privilégiée : il acquiert un droit immédiat et autonome, insusceptible d’être remis en cause par les ayants droit du souscripteur, sauf en cas de primes manifestement exagérées au regard des facultés de ce dernier.
    • Ce caractère intangible de la désignation bénéficiaire marque une rupture avec le régime de droit commun des libéralités, auquel les capitaux d’assurance-vie échappent en principe.
    • Toutefois, si la stipulation pour autrui appliquée à l’assurance-vie ne souffre aujourd’hui d’aucune contestation, la question de la distinction entre l’assurance-vie et le contrat de capitalisation a longtemps suscité des débats.
    • En effet, ces deux instruments ont en commun de permettre la constitution et la transmission d’un capital à un tiers, mais leur nature juridique et leur finalité économique divergent fondamentalement.
    • L’élément déterminant de cette distinction réside dans la présence ou l’absence d’aléa.
      • L’assurance-vie repose sur un événement incertain, à savoir le décès du souscripteur ou d’une tierce personne. Ce caractère aléatoire justifie son assimilation à un contrat de prévoyance, distinct des mécanismes purement patrimoniaux.
      • À l’inverse, le contrat de capitalisation relève d’une logique strictement financière, dans laquelle l’échéance de la prestation due par l’assureur est prédéterminée et indépendante de la durée de vie du souscripteur. Le contrat de capitalisation ne contient ainsi aucun élément d’aléa, ce qui exclut son rattachement au régime juridique de l’assurance-vie et le soumet au droit commun des obligations et des successions.
    • Cette distinction a été définitivement consacrée par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte dans un arrêt du 23 novembre 2004 (Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592).
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa », et qu’il constitue donc un véritable contrat d’assurance-vie au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1 et R. 321-1 du Code des assurances.
    • Cette solution procède du raisonnement suivant :
      • Si l’assuré est encore en vie à l’échéance du contrat, le capital lui revient ;
      • Si l’assuré décède avant l’échéance, le capital est versé aux bénéficiaires désignés ;
      • Cette incertitude quant à l’identité du créancier au moment de la souscription caractérise l’aléa inhérent à l’assurance-vie.
    • En consacrant la nécessité d’un aléa, la Cour de cassation a clairement distingué l’assurance-vie des contrats de capitalisation, qui ne peuvent bénéficier du régime juridique protecteur de l’assurance-vie.
    • Ce raisonnement est d’autant plus essentiel que la reconnaissance de cet aléa empêche toute requalification de l’assurance-vie en contrat de capitalisation, ce qui aurait des implications majeures en matière fiscale et successorale.
    • L’une des conséquences majeures de l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie réside dans son incidence sur les règles successorales.
    • Contrairement aux libéralités classiques, la prestation versée au bénéficiaire échappe, en principe, aux règles du rapport à la succession et de la réduction des libéralités excessives, sous réserve de l’application de l’article L. 132-13 du Code des assurances.
    • Toutefois, si les primes versées au titre d’un contrat d’assurance-vie sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, elles peuvent être réintégrées dans la masse successorale et donner lieu à réduction au profit des héritiers réservataires.
    • Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2004, un héritier contestait ainsi le versement des capitaux aux bénéficiaires désignés, soutenant que les primes versées devaient être réintégrées dans l’actif successoral.
    • La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en confirmant que seules les primes manifestement exagérées peuvent être réintégrées dans la succession, ce qui suppose une appréciation in concreto des facultés du souscripteur au moment du versement des primes. En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que :
      • L’assurée disposait d’un patrimoine mobilier conséquent ;
      • Son revenu mensuel était de 30 000 francs ;
      • Le montant total des primes versées (310 000 francs) représentait seulement un quart de ce patrimoine.
    • En conséquence, la Cour de cassation a validé l’analyse de la cour d’appel, considérant que les primes n’étaient pas manifestement excessives.
    • Cette décision a suscité des réactions contrastées au sein de la doctrine. Jean-Luc Aubert a critiqué cette solution en estimant que la Cour de cassation avait adopté une conception extensive de l’aléa, dans une logique de sécurisation des contrats d’assurance-vie.
    • À l’inverse, Jacques Ghestin a approuvé cette qualification, soulignant qu’elle permet d’éviter une requalification en contrat de capitalisation, qui aurait eu des conséquences fiscales et successorales considérables.
    • D’un point de vue pratique, l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie emporte plusieurs conséquences majeures :
      • Une protection juridique accrue du bénéficiaire : ce dernier acquiert un droit direct opposable à l’assureur, indépendamment des héritiers du souscripteur.
      • Un régime fiscal et successoral favorable : en principe, les capitaux versés échappent aux droits de succession, sauf en cas de primes excessives.
      • Une sécurisation des opérations de prévoyance : l’assuré peut organiser la transmission de son capital en dehors du cadre rigide des successions.
    • L’assurance-vie illustre donc parfaitement le modèle de la stipulation pour autrui, en conférant au bénéficiaire un droit propre et immédiat, tout en garantissant une autonomie contractuelle qui le distingue des autres instruments de transmission patrimoniale.
  • L’assurance pour compte
    • L’assurance pour compte constitue l’une des applications les plus marquantes de la stipulation pour autrui dans le domaine des assurances.
    • Ce type de contrat repose sur la conclusion d’une convention entre un souscripteur et un assureur, au bénéfice d’un tiers, qui sera indemnisé en cas de sinistre affectant l’objet de l’assurance.
    • Ainsi, bien que ce tiers ne soit pas signataire du contrat, il bénéficie d’un droit propre sur l’indemnisation, ce qui traduit parfaitement le mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a admis cette qualification dans plusieurs hypothèses, notamment en matière d’assurance de dommages et d’assurance de transport, soulignant toutefois que la stipulation pour autrui ne saurait être présumée et doit résulter d’une volonté claire et non équivoque des parties (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).
    • A cet égard, l’assurance pour compte trouve une application privilégiée en matière d’assurance de dommages.
    • Dans ce cadre, le souscripteur du contrat ne cherche pas tant à se prémunir contre un risque personnel qu’à garantir la protection d’un tiers déterminé ou indéterminé au moment de la conclusion du contrat.
    • Une illustration marquante de ce mécanisme réside dans l’assurance dommages-ouvrage, souscrite par le maître d’ouvrage afin de garantir les désordres affectant une construction. Cette assurance bénéficie notamment aux constructeurs, dont elle couvre la responsabilité décennale sans que ceux-ci aient besoin d’être directement parties au contrat. La jurisprudence a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance dommages-ouvrage constitue une assurance pour compte bénéficiant aux propriétaires successifs de l’ouvrage (Cass. 3? civ., 30 mars 1994, n° 92-11.996).
    • L’assurance pour compte est également utilisée dans le cadre des assurances souscrites par un propriétaire pour le compte d’un locataire ou par un syndic au profit des copropriétaires.
    • Dans ces situations, l’assurance souscrite par le tiers principal garantit les occupants ou copropriétaires contre des risques spécifiques, sans qu’ils aient besoin de conclure un contrat en leur nom propre.
    • Toutefois, la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance pour compte ne saurait être automatique.
    • Elle repose nécessairement sur une volonté expresse ou implicite mais non équivoque des parties, ce qui explique que la jurisprudence ait parfois refusé de reconnaître une assurance pour compte en l’absence d’une manifestation de volonté claire (Cass. 2? civ., 23 mars 2017, n°16-14.621).
    • L’assurance pour compte joue également un rôle essentiel dans le cadre du transport de marchandises.
    • En effet, les biens transportés peuvent faire l’objet de cessions successives au cours de l’exécution du contrat de transport.
    • Dès lors, il est impératif que la couverture assurantielle s’étende au propriétaire effectif des marchandises au moment du sinistre, même si ce dernier n’est pas encore identifié lors de la conclusion du contrat d’assurance.
    • La Cour de cassation a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance pour compte permet au propriétaire des marchandises, même non déterminé au moment de la souscription du contrat, d’exercer un droit propre contre l’assureur en cas de sinistre (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534).
    • Ce mécanisme protège ainsi l’intérêt économique du propriétaire final sans nécessiter une modification du contrat d’assurance à chaque transfert de propriété.
    • Cette application de l’assurance pour compte est particulièrement fréquente dans les domaines du commerce international et du transport maritime, où les marchandises changent souvent de propriétaire avant d’arriver à destination.
    • Il est dès lors primordial que la garantie souscrite initialement puisse bénéficier à l’acquéreur final des biens, ce qui justifie pleinement le recours à la stipulation pour autrui.
    • Si la stipulation pour autrui est largement admise en matière d’assurance pour compte, elle n’est toutefois pas présumée.
    • Pour être reconnue, elle doit remplir plusieurs conditions essentielles :
      • Une volonté claire et non équivoque des parties : la stipulation pour autrui ne saurait être implicite. Il appartient au souscripteur et à l’assureur de prévoir expressément que l’assurance bénéficiera à un tiers. En l’absence d’une telle manifestation de volonté, la stipulation ne saurait être imposée (Cass. 2? civ., 18 janv. 2018, n°16-27.250).
      • Un tiers bénéficiaire identifiable : même si l’identité du bénéficiaire n’a pas besoin d’être déterminée dès la conclusion du contrat, il doit être possible de l’identifier au moment de la survenance du sinistre. C’est le cas, par exemple, du propriétaire effectif des marchandises dans une assurance pour compte en transport maritime.
      • Un engagement effectif du promettant (l’assureur) envers le bénéficiaire : l’un des principes fondamentaux de la stipulation pour autrui est que le bénéficiaire dispose d’un droit direct contre l’assureur. Ainsi, il peut agir directement en exécution du contrat sans avoir à obtenir l’autorisation du souscripteur
    • L’assurance pour compte permet de pallier les limites du principe de l’effet relatif des contrats en assurant la protection de tiers n’ayant pas directement contracté avec l’assureur.
    • Cette extension du bénéfice de l’assurance repose sur une logique économique et pratique :
      • D’abord, dans le domaine du transport ou de la construction, il est essentiel que les acteurs économiques puissent bénéficier d’une garantie sans avoir à souscrire individuellement une assurance.
      • D’autre part, l’assurance pour compte évite la nécessité de conclure une multitude de contrats distincts, tout en garantissant une couverture homogène aux personnes concernées.
      • Enfin, en permettant d’assurer un bien au profit de son propriétaire effectif au moment du sinistre, l’assurance pour compte s’adapte à la réalité des échanges économiques et du commerce international.
  • L’assurance de groupe
    • L’assurance de groupe constitue une application particulièrement aboutie du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle repose sur une adhésion collective à une couverture assurantielle, organisée au profit d’un ensemble de bénéficiaires sans que ceux-ci aient nécessairement à conclure individuellement un contrat d’assurance.
    • Ce régime est expressément encadré par l’article L. 141-1 du Code des assurances, qui définit l’assurance de groupe comme celle souscrite par une personne morale (employeur, association, organisme professionnel, etc.) au bénéfice des membres d’un groupe déterminé, tels que les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une association.
    • Dans ce cadre, le souscripteur (employeur, association, institution professionnelle) contracte avec l’assureur en vue de garantir les risques pesant sur une pluralité de personnes.
    • Ces dernières, qualifiées de bénéficiaires, se voient ainsi reconnaître des droits à couverture assurantielle sans être parties directement au contrat initial, ce qui constitue l’essence même du mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a rapidement admis que l’assurance de groupe reposait sur une stipulation pour autrui, le souscripteur ayant vocation à stipuler des garanties au profit des adhérents du groupe.
    • Dès lors, ces derniers disposent d’un droit propre à l’égard de l’assureur, indépendamment de tout engagement contractuel personnel avec ce dernier.
    • Toutefois, la Cour de cassation a précisé que l’adhésion au contrat d’assurance de groupe emportait la création d’un lien contractuel direct entre l’adhérent et l’assureur (Cass. 1ere civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).
    • Cette solution s’explique par le fait que l’adhérent, bien que tiers lors de la formation initiale du contrat entre le souscripteur et l’assureur, devient par la suite partie au contrat d’assurance, dès lors qu’il adhère aux garanties qui lui sont ouvertes.
    • Cette particularité conduit à s’interroger sur la nature exacte du lien juridique unissant les différentes parties au contrat d’assurance de groupe.
    • Il convient d’opérer une distinction fondamentale entre les assurances de groupe facultatives et les assurances de groupe obligatoires, distinction qui a une incidence directe sur l’application de la stipulation pour autrui.
      • Dans les assurances de groupe facultatives, chaque membre du groupe concerné est libre de souscrire ou non à l’assurance collective. L’adhésion individuelle donne lieu à la conclusion d’un contrat d’assurance spécifique entre l’adhérent et l’assureur. Dans cette hypothèse, la qualification de stipulation pour autrui est exclue, puisque le bénéficiaire ne tire pas son droit d’un engagement pris par le souscripteur en sa faveur, mais bien d’un contrat personnel conclu avec l’assureur (Cass. 1ere civ., 9 mars 1983).
      • Dans les assurances de groupe obligatoires, en revanche, l’adhésion résulte automatiquement de l’appartenance au groupe (par exemple, les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une mutuelle professionnelle). Ici, l’adhérent ne signe pas individuellement un contrat avec l’assureur : c’est le souscripteur qui contracte avec l’assureur pour couvrir les tiers bénéficiaires. Dans cette configuration, la stipulation pour autrui trouve pleinement à s’appliquer : les bénéficiaires sont désignés dès la conclusion du contrat, et ils disposent d’un droit direct à l’indemnisation sans qu’ils aient à être parties prenantes au contrat initial. Cette analyse a été confirmée par la jurisprudence (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-13.712).
    • L’application de la stipulation pour autrui dans l’assurance de groupe entraîne plusieurs conséquences juridiques notables :
      • En premier lieu, dans une assurance de groupe obligatoire, le bénéficiaire ne tient pas son droit du souscripteur, mais directement de l’engagement de l’assureur. En d’autres termes, même si le souscripteur venait à se désengager ou à disparaître, l’adhérent conserverait ses droits, puisque ceux-ci sont autonomes et opposables à l’assureur.
      • En deuxième lieu, contrairement aux héritiers ou créanciers du souscripteur, qui pourraient prétendre à la remise en cause de certaines libéralités ou engagements, le droit du bénéficiaire d’une assurance de groupe est protégé. Ce dernier peut exiger l’exécution du contrat directement auprès de l’assureur, sans que la volonté du souscripteur puisse y faire obstacle.
      • En dernier lieu, l’un des intérêts majeurs de l’assurance de groupe est qu’elle garantit aux bénéficiaires une protection pérenne, indépendamment des éventuelles difficultés financières du souscripteur. Ainsi, dans le cadre des régimes de prévoyance collectifs, un employé couvert par une assurance de groupe bénéficie d’une protection assurantielle qui ne dépend pas de la solvabilité de son employeur.
    • Si l’assurance de groupe constitue un exemple institutionnalisé de la stipulation pour autrui, la doctrine s’est interrogée sur les limites de cette assimilation.
    • Certains auteurs ont souligné que, dans l’assurance de groupe facultative, l’adhérent devient partie au contrat, ce qui érode l’idée d’un droit conféré par une stipulation pour autrui.
    • En revanche, dans l’assurance de groupe obligatoire, la qualification de stipulation pour autrui ne souffre guère de contestation, car l’adhésion des bénéficiaires découle d’un engagement pris par un tiers (le souscripteur) à leur profit.
    • Ainsi, la jurisprudence continue de maintenir une distinction rigoureuse entre ces deux régimes, tout en assurant une protection accrue aux adhérents, conformément à l’objectif poursuivi par l’assurance collective.
  • Droit bancaire

Le droit bancaire offre de nombreux exemples d’application de la stipulation pour autrui. Ce mécanisme permet à une personne (le stipulant) de conclure un contrat avec un autre (le promettant) afin qu’un tiers (le bénéficiaire) puisse en tirer un droit direct. En d’autres termes, un contrat passé entre une banque et un client peut conférer des droits à une personne extérieure à ce contrat, sans qu’elle ait eu besoin de participer à sa conclusion.

Ce schéma se retrouve notamment dans les contrats de prêt, où l’emprunteur peut s’engager à rembourser une somme à un tiers plutôt qu’au prêteur initial, ou encore dans les contrats de crédit-bail, où le fournisseur du bien financé peut bénéficier directement d’un engagement du crédit-bailleur. Il apparaît aussi dans certains services bancaires, comme l’assurance invalidité souscrite par un emprunteur au bénéfice de sa banque, ou encore dans des situations où une entreprise de transport de fonds s’engage envers une banque à sécuriser l’acheminement des dépôts des clients.

  • Contrat de prêt
    • Le contrat de prêt constitue un cadre privilégié pour l’application de la stipulation pour autrui.
    • Dans ce contexte, l’emprunteur ne s’engage pas nécessairement à rembourser directement la banque ou l’organisme prêteur, mais peut être tenu de verser les sommes dues à un tiers désigné dans le contrat.
    • Ce mécanisme permet ainsi de conférer un droit direct au bénéficiaire, sans que celui-ci soit partie au contrat initial.
    • L’un des cas les plus typiques de stipulation pour autrui dans le cadre d’un prêt se rencontre lorsque l’emprunteur est tenu de rembourser non pas le prêteur lui-même, mais une personne expressément désignée comme bénéficiaire.
    • Cette situation a été reconnue par la Cour de cassation dans une affaire où un emprunteur s’était engagé à rembourser la somme prêtée non pas au prêteur, mais à l’épouse de ce dernier (Cass. 1re civ., 15 nov. 1978, n° 77-10.891).
    • Dans ce cas, l’épouse, bien qu’étrangère au contrat de prêt initial, a acquis un droit direct à réclamer le remboursement des sommes dues.
    • De même, une stipulation pour autrui peut être mise en œuvre lorsque l’acte de prêt prévoit que le remboursement s’effectuera directement entre l’emprunteur et un tiers désigné, par exemple un fournisseur ou un créancier du prêteur.
    • Le créancier initial ne joue alors qu’un rôle intermédiaire dans la mise en place de l’opération.
    • La stipulation pour autrui trouve également à s’appliquer dans le cadre des prêts assortis d’une hypothèque.
    • Il est possible, par exemple, que l’acte de prêt prévoie une obligation spécifique de l’emprunteur de libérer les lieux en cas de saisie et de vente de l’immeuble hypothéqué.
    • Cette obligation ne bénéficie pas directement au prêteur, mais à l’adjudicataire, qui devient ainsi bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Ainsi, dans une affaire portée devant la cour d’appel de Paris, un contrat de prêt hypothécaire stipulait que l’emprunteur devait laisser les lieux libres de toute occupation afin de permettre la vente sur saisie (CA Paris, 16? ch., 27 juin 1979).
    • Cette obligation profitait directement à l’acquéreur lors de la vente judiciaire, lequel pouvait dès lors se prévaloir de cette clause pour obtenir l’évacuation du bien. Dans cette hypothèse, l’adjudicataire bénéficie d’un droit propre découlant du contrat initial de prêt, même s’il n’était pas partie à celui-ci.
    • L’inclusion d’une stipulation pour autrui dans un contrat de prêt poursuit plusieurs objectifs :
      • Faciliter l’exécution des obligations : en prévoyant que le remboursement soit effectué directement entre l’emprunteur et un tiers bénéficiaire, on simplifie le circuit financier et on évite des transferts intermédiaires inutiles.
      • Sécuriser certaines opérations financières : par exemple, un créancier peut exiger qu’un prêt contracté par son débiteur soit directement remboursé à lui-même ou à une autre entité désignée, garantissant ainsi le bon déroulement de la transaction.
      • Préserver les intérêts des parties tierces : notamment dans les prêts hypothécaires, où les acheteurs ou adjudicataires peuvent se voir reconnaître des droits dès la conclusion du prêt initial.
  • Crédit-bail
    • Le contrat de crédit-bail donne fréquemment lieu à des stipulations pour autrui, tant en faveur du crédit-preneur que du fournisseur du matériel financé.
      • Stipulation en faveur du fournisseur: dans certains cas, le crédit-preneur ne verse pas directement les loyers au crédit-bailleur, mais au fournisseur du matériel, qui n’est pourtant pas partie au contrat initial.
      • Stipulation en faveur du crédit-preneur: il est également fréquent que le crédit-bailleur stipule, au profit du crédit-preneur, une garantie contractuelle du fournisseur, afin que ce dernier puisse directement agir contre lui en cas de défectuosité du bien loué (Cass. com., 15 mai 1979, n° 78-10.437). Dans cette hypothèse, le crédit-preneur acquiert ainsi un droit d’action propre contre le fournisseur, sans nécessiter une cession de créance.
      • Stipulation en faveur du crédit-bailleur: une autre configuration apparaît lorsque le fournisseur s’engage envers le crédit-bailleur à lui verser la valeur résiduelle du matériel en cas de non-levée de l’option d’achat par le crédit-preneur. Ici, la banque (crédit-bailleur) bénéficie directement d’un engagement pris dans un contrat auquel elle n’est pas partie.
  • Cautionnement
    • Le cautionnement bancaire constitue une autre illustration du recours à la stipulation pour autrui.
    • Ce mécanisme est particulièrement fréquent dans les relations économiques impliquant des garanties personnelles, notamment dans le cadre des groupements d’intérêt économique (GIE).
    • Dans certaines situations, le cautionnement ne bénéficie pas uniquement au créancier, mais également à des tiers qui ne sont pas directement parties au contrat de garantie.
    • C’est le cas lorsqu’un dirigeant de société se porte caution non seulement pour l’engagement de sa société, mais aussi pour les membres d’un GIE auquel elle appartient.
    • Dans cette hypothèse, les adhérents du GIE se trouvent bénéficiaires d’une stipulation pour autrui, en ce qu’ils acquièrent un droit propre contre la caution.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 novembre 1999, a confirmé cette analyse en consacrant l’irrévocabilité de l’engagement de la caution au profit des bénéficiaires de la stipulation pour autrui (Cass. com., 23 nov. 1999, n° 96-16.257).
    • Dans cette affaire, un dirigeant d’entreprise s’était porté caution pour garantir les engagements d’un GIE.
    • Par la suite, il a tenté de révoquer unilatéralement son engagement, en invoquant l’absence d’acceptation formelle des bénéficiaires.
    • Or, la Cour a rejeté cet argument, affirmant que :
      • La stipulation pour autrui confère aux bénéficiaires un droit propre et opposable à la caution ;
      • L’acceptation expresse des bénéficiaires n’est pas une condition de l’opposabilité de leur droit ;
      • L’engagement de la caution devient irrévocable dès la conclusion du contrat de cautionnement.
    • Dès lors, la caution ne peut se soustraire unilatéralement à son obligation, une fois celle-ci souscrite dans l’intérêt d’un tiers identifiable.
    • La qualification de stipulation pour autrui en matière de cautionnement bancaire présente des avantages significatifs, tant pour les créanciers que pour les bénéficiaires du cautionnement.
    • Tout d’abord, en reconnaissant aux membres du GIE un droit direct contre la caution, la stipulation pour autrui leur évite d’avoir à obtenir un nouvel engagement contractuel de la part de la caution.
    • Cette qualification renforce ainsi l’efficacité et la rapidité de mise en œuvre de la garantie, en offrant aux bénéficiaires une action immédiate contre la caution.
    • Ensuite, l’irrévocabilité de l’engagement de la caution assure une stabilité contractuelle, empêchant la caution de se rétracter au gré de ses intérêts.
    • Ainsi, les bénéficiaires sont protégés contre les risques de retrait unilatéral de la caution, ce qui est particulièrement crucial dans des structures économiques collaboratives comme les GIE ou les associations professionnelles.
    • Enfin, la finalité du cautionnement bancaire est précisément de garantir l’exécution d’une obligation en faveur du créancier ou de tiers spécifiquement désignés.
    • L’application de la stipulation pour autrui permet donc de sécuriser des engagements collectifs, notamment dans les relations interentreprises où plusieurs parties dépendent d’une même garantie.
  • Services bancaires
    • Le droit bancaire recourt fréquemment à la stipulation pour autrui, notamment dans le cadre des prestations de services impliquant des tiers.
    • Dans ces hypothèses, bien que le bénéficiaire ne soit pas directement partie au contrat, il en tire un droit propre et opposable au promettant.
    • Ce mécanisme permet ainsi d’offrir des garanties aux clients des établissements bancaires sans qu’ils aient à négocier individuellement ces engagements.
    • L’un des cas les plus emblématiques de l’application de la stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats de transport de fonds.
    • Lorsqu’une banque conclut un contrat avec une entreprise de transport spécialisé pour assurer l’acheminement sécurisé des fonds déposés par ses clients, ces derniers peuvent être considérés comme bénéficiaires d’une stipulation pour autrui.
    • La Cour de cassation a reconnu cette qualification dans un arrêt du 21 novembre 1978 (Cass. 1re civ., 21 nov. 1978, n°77-14.653), aux termes duquel elle a jugé que les clients de la banque bénéficiaient d’un droit propre à l’exécution de l’engagement pris par la société de transport.
    • Autrement dit, bien qu’ils ne soient pas signataires du contrat conclu entre la banque (stipulant) et la société de transport de fonds (promettant), ils pouvaient se prévaloir directement de l’obligation de transport sécurisé.
    • Cette solution repose sur une finalité économique : le contrat ayant été conclu dans l’intérêt direct des déposants, il était logique que ceux-ci puissent en exiger l’exécution en cas de manquement. L’obligation principale de la société de transport ne vise donc pas uniquement la banque contractante, mais aussi ses clients, qui se trouvent protégés contre les risques liés au transport des fonds.
    • Un autre exemple typique de stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats d’assurance invalidité souscrits en garantie d’un prêt bancaire.
    • Dans cette configuration, l’emprunteur souscrit une assurance invalidité, mais désigne la banque comme bénéficiaire en cas de survenance du risque couvert (invalidité empêchant le remboursement du prêt).
    • Dès lors, si l’assuré devient invalide, c’est l’assureur qui verse directement à la banque les sommes dues, lui permettant ainsi de récupérer son dû sans avoir à engager d’action contre l’emprunteur.
    • Ce schéma a été expressément reconnu comme une stipulation pour autrui par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2001 (Cass. com., 12 juin 2001, n° 98-19.873).
    • La Haute juridiction a considéré que la banque bénéficiait d’un droit direct à l’exécution du contrat d’assurance, bien qu’elle n’en soit pas partie, dès lors que l’assurance avait été souscrite dans son intérêt.
    • Cette qualification a des implications majeures :
      • La banque dispose d’un droit autonome contre l’assureur, sans avoir besoin de solliciter l’emprunteur pour le paiement.
      • L’assurance ne bénéficie pas directement à l’emprunteur, mais bien à son créancier, ce qui en fait une sûreté efficace pour les établissements prêteurs.
      • L’emprunteur n’a pas de lien contractuel avec l’assureur en ce qui concerne le versement de la prestation, ce qui évite toute intervention de sa part dans le processus d’indemnisation.
  • Droit des sociétés

La stipulation pour autrui trouve certaines applications en droit des sociétés, notamment dans le cadre des cessions de contrôle et des garanties de passif. Ce mécanisme, qui permet à une société cédée de se prévaloir directement d’un engagement contractuel conclu entre le cédant et le cessionnaire, répond à une nécessité économique et juridique impérieuse : assurer la pérennité financière de la société après son changement d’actionnaire majoritaire, en la protégeant contre des dettes antérieures à la cession.

Lorsqu’un cédant transfère le contrôle d’une société, il peut s’engager, par le biais d’une garantie de passif, à couvrir certaines dettes ou charges dont l’origine est antérieure à la cession. L’objectif est de préserver la valeur patrimoniale de l’entité cédée, en évitant que le cessionnaire ne découvre ultérieurement des engagements dissimulés ou sous-évalués lors de la négociation du prix de cession.

Dans certains cas, cet engagement est stipulé non pas uniquement au bénéfice du cessionnaire, mais également au profit de la société elle-même, qui est directement impactée par ces dettes. La stipulation pour autrui trouve alors sa pleine justification : le cédant fait promettre à l’acheteur ou s’engage lui-même à exécuter une obligation financière directement au profit de la société cédée, lui conférant ainsi un droit propre.

La jurisprudence a admis qu’une telle stipulation pour autrui pouvait conférer à la société cédée un droit direct à l’exécution de la garantie, indépendamment de l’action du cessionnaire. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que, lorsque l’acte de cession stipule une garantie du passif au profit de la société, celle-ci peut directement agir en exécution de la garantie et contraindre le cédant à prendre en charge les dettes concernées (Cass. com. 7 oct. 1997, n° 95-18.119).

Cette reconnaissance d’un droit autonome au profit de la société repose sur plusieurs considérations :

  • L’intérêt économique de la société : l’endettement d’une entreprise grève sa trésorerie, fragilise sa situation financière et peut compromettre son activité. En lui permettant de réclamer directement l’exécution de la garantie, la stipulation pour autrui renforce la sécurité juridique des opérations de cession.
  • L’indépendance des intérêts en présence : le cessionnaire et la société cédée, bien que liés par l’opération de transmission, poursuivent des intérêts distincts. La reconnaissance d’un droit propre à la société lui permet d’agir sans dépendre de l’initiative du cessionnaire, qui pourrait, pour des raisons stratégiques ou transactionnelles, renoncer à invoquer la garantie.
  • La cohérence avec le régime des obligations : en l’absence de stipulation pour autrui, le cessionnaire resterait le seul créancier du cédant. Or, il n’a pas toujours vocation à réinjecter dans la société les fonds obtenus au titre de la garantie de passif. La stipulation pour autrui permet d’assurer que la compensation financière profite directement à l’entité affectée par les dettes.

En pratique, il arrive que l’acte de cession ne mentionne pas expressément que la garantie est stipulée au profit de la société cédée. Dans ce cas, les tribunaux s’attachent à rechercher l’intention des parties, afin de déterminer si elles ont entendu conférer à la société un droit propre à l’exécution de la garantie. La Cour de cassation a ainsi admis qu’une stipulation pour autrui implicite pouvait être reconnue lorsque les circonstances révèlent une volonté claire d’avantager la société cédée (Cass. com. 19 déc. 1989, n°88-15.335).

Cette solution repose sur une lecture pragmatique du contrat, visant à éviter qu’une interprétation trop stricte du principe de l’effet relatif des conventions ne prive la société du bénéfice d’une protection pourtant manifestement prévue par les parties.

  • Droit des contrats

La stipulation pour autrui intervient dans divers contrats où elle assure la transmission efficace des obligations et l’articulation des intérêts entre plusieurs parties. Son utilisation se révèle particulièrement significative dans les contrats de construction, les marchés publics et les relations de travail, où elle concourt à sécuriser les engagements contractuels et à renforcer la protection des bénéficiaires.

  • Contrats de construction et marchés publics
    • Dans le cadre des marchés de travaux, la stipulation pour autrui intervient fréquemment afin d’assurer le paiement des sous-traitants, lesquels sont juridiquement distincts du maître d’ouvrage.
    • Cette utilisation du mécanisme est dictée par un double impératif : garantir la solvabilité des opérations de construction et protéger les sous-traitants contre les défaillances de l’entrepreneur principal.
    • Le schéma contractuel repose sur un engagement du maître d’ouvrage à faire promettre à l’entrepreneur principal (le promettant) de payer directement les sous-traitants (les bénéficiaires).
    • L’effet juridique en découle directement est clair: le sous-traitant acquiert un droit propre contre l’entrepreneur principal, qui lui permet d’agir directement contre lui en cas de non-paiement, sans devoir passer par le maître d’ouvrage.
    • En pratique, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui évite que les sous-traitants ne soient privés de recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal.
    • A cet égard, la Cour de cassation a consacré dans un arrêt du 29 novembre 1994 l’analyse selon laquelle une clause de paiement direct stipulée dans un contrat de travaux pouvait être qualifiée de stipulation pour autrui, conférant ainsi au fournisseur un droit propre à l’encontre du maître d’ouvrage (Cass. 1re civ, 29 nov. 1994, n° 92-15.783).
    • Dans cette affaire, un maître d’ouvrage avait conclu un marché à forfait avec un entrepreneur général pour la construction d’un bâtiment.
    • Le contrat stipulait que le maître d’ouvrage pouvait payer directement un fournisseur désigné pour certaines fournitures nécessaires à l’exécution des travaux.
    • Le fournisseur, ayant livré les matériaux, avait adressé ses factures au maître d’ouvrage. Toutefois, lorsque l’entrepreneur principal a abandonné le chantier, le fournisseur s’est trouvé privé de paiement et a assigné le maître d’ouvrage en règlement de sa créance.
    • La Cour d’appel avait rejeté cette demande, considérant que le fournisseur n’avait pas établi l’existence d’un contrat de vente entre lui et le maître d’ouvrage.
    • La Cour de cassation, au contraire, a jugé que la clause contractuelle prévoyant la possibilité d’un paiement direct au fournisseur devait être interprétée comme une stipulation pour autrui, en raison des éléments suivants :
      • L’existence d’une stipulation claire et expresse : la Cour de cassation a retenu que la clause du marché de travaux autorisant le maître d’ouvrage à régler directement le fournisseur exprimait la volonté des parties de conférer à ce dernier un droit propre contre le maître d’ouvrage.
      • La création d’un droit direct au profit du bénéficiaire : en vertu de cette stipulation pour autrui, le fournisseur n’était pas tributaire du seul entrepreneur principal pour obtenir son paiement ; il pouvait agir directement contre le maître d’ouvrage.
      • Une justification économique et une protection du sous-traitant : cette solution vise à éviter que les fournisseurs et sous-traitants ne soient privés de tout recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal. La clause de paiement direct leur assure une source de paiement alternative, limitant ainsi le risque d’impayés.
    • Toutefois, la Cour de cassation a également précisé que le maître d’ouvrage pouvait opposer au fournisseur les mêmes exceptions qu’il aurait pu soulever à l’encontre de l’entrepreneur principal.
    • Cette précision permet d’éviter que le fournisseur ne bénéficie d’un droit absolu au paiement, qui ferait abstraction des éventuelles causes d’inexécution du marché de travaux.
    • En définitive, cette décision illustre le rôle de la stipulation pour autrui comme mécanisme de sécurisation des paiements dans les marchés de travaux.
    • Dès lors qu’un contrat prévoit expressément qu’un tiers (le fournisseur) pourra être directement payé par une partie (le maître d’ouvrage), la jurisprudence reconnaît que ce tiers bénéficie d’un droit propre à l’exécution de la prestation promise.
    • Toutefois, en l’absence de clause expresse, les juges doivent rechercher si une telle stipulation peut être déduite de l’intention des parties, ce qui témoigne de la souplesse et de l’importance pratique de ce mécanisme contractuel.
  • Contrat de bail
    • Le bail constitue un terrain propice à l’intégration de stipulations pour autrui, dès lors que certaines clauses insérées dans le contrat confèrent des droits à des tiers non parties au bail.
    • Ce mécanisme, bien que relevant d’une construction juridique classique, a donné lieu à de nombreuses applications en jurisprudence, notamment en matière de charges imposées au preneur, de protection de tiers, et de clause de non-concurrence.
    • Il est fréquent qu’un bailleur insère dans le contrat de bail des obligations qui profitent directement à un tiers.
    • Dans ce cas, le preneur, bien qu’il ne soit pas directement lié à ce tiers par un rapport contractuel, se voit imposer une obligation dont l’exécution bénéficie à ce dernier.
    • Ainsi, la jurisprudence a reconnu l’existence d’une stipulation pour autrui dans les hypothèses suivantes :
      • Lorsqu’un propriétaire d’une exploitation viticole adhère à une coopérative et insère dans le bail de son locataire une clause prévoyant que ce dernier devra payer la cotisation due à cette coopérative. Ici, la société coopérative se trouve bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (CA Montpellier, 1re ch. B, 10 févr. 1993).
      • Lorsqu’un bail prévoit que le preneur devra payer directement aux architectes ou entrepreneurs une partie des travaux réalisés dans l’immeuble loué, ces derniers pouvant alors exiger directement leur paiement sur le fondement de la stipulation pour autrui (Cass. civ., 30 nov. 1948).
    • Dans ces hypothèses, le tiers bénéficiaire se voit reconnaître un droit propre à exiger l’exécution de l’obligation stipulée en sa faveur, indépendamment de la volonté du preneur. Ce dernier, en qualité de débiteur de l’obligation, ne peut en contester l’opposabilité dès lors que cette stipulation a été expressément prévue dans le contrat de bail.
    • Une autre application marquante de la stipulation pour autrui dans le domaine des baux commerciaux réside dans la clause de non-concurrence.
    • Cette clause, souvent insérée par un bailleur lorsqu’il loue plusieurs locaux à des exploitants distincts, vise à protéger les intérêts économiques d’un locataire contre l’installation d’un concurrent direct dans un autre local du même bailleur.
    • La jurisprudence a depuis longtemps admis qu’une clause de non-concurrence stipulée dans un bail commercial peut constituer une stipulation pour autrui en faveur du preneur voisin (Cass. 3e civ., 4 févr. 1986).
    • Ainsi, lorsque le bailleur consent successivement plusieurs baux commerciaux dans un même ensemble immobilier, il peut insérer dans ces baux des clauses interdisant l’exercice d’activités concurrentes dans un autre local.
    • Cette clause profite directement au locataire initial, qui peut ainsi se prévaloir d’un droit propre à l’encontre du second locataire, en exigeant le respect de la restriction d’activité prévue dans son bail.
    • L’intérêt de qualifier la clause de non-concurrence de stipulation pour autrui est double :
      • Le locataire bénéficiaire de la clause dispose d’un droit propre, qu’il peut invoquer en justice pour empêcher l’exercice de l’activité concurrente, même s’il n’est pas partie au bail conclu avec le second locataire.
      • Le second locataire est tenu à l’égard du premier, non pas en raison d’un rapport contractuel direct, mais en vertu de l’engagement souscrit par le bailleur. Dès lors, le non-respect de la clause peut donner lieu à des sanctions, telles que la résiliation du bail ou l’octroi de dommages et intérêts au profit du locataire lésé.
    • Cette analyse a également été retenue en matière d’adhésion obligatoire à une association de commerçants d’un centre commercial.
    • La Cour de cassation a ainsi reconnu que la clause obligeant un preneur à verser des cotisations à une association de commerçants constitue une stipulation pour autrui en faveur de ladite association, celle-ci pouvant directement exiger le paiement des cotisations dues par le preneur (Cass. 1ere civ., 31 mars 1992, n° 90-18.880).
  • Conventions collectives et contrats de travail
    • En droit social, la stipulation pour autrui joue un rôle significatif dans la protection des travailleurs, en leur conférant, dans certaines hypothèses, des droits directs issus de conventions collectives ou de contrats de travail conclus entre des tiers.
      • La stipulation pour autrui dans les conventions collectives
        • Les conventions collectives, conclues entre des organisations patronales et des syndicats de salariés, comportent souvent des dispositions stipulées au profit des salariés, leur conférant des droits qu’ils peuvent invoquer directement contre leur employeur ou des organismes tiers.
        • La Cour de cassation a reconnu, par exemple, que certaines clauses de conventions collectives pouvaient comporter des stipulations pour autrui en faveur des salariés, leur permettant d’agir directement contre leur employeur ou contre des institutions sociales en cas de non-respect des engagements conventionnels (Cass. Soc. 4 févr. 1981, n°78-41.008).
        • Cette qualification leur permet d’obtenir directement l’exécution des obligations issues de la convention, sans que cela ne requiert l’intervention du syndicat négociateur.
    • La stipulation pour autrui dans les contrats de travail
      • Le contrat de travail peut lui-même comporter des stipulations pour autrui au profit des salariés, notamment lorsqu’il prévoit des engagements à leur bénéfice pris par des tiers.
      • Un exemple marquant est celui des clauses de garantie d’emploi stipulées dans les contrats de travail en cas de transfert d’entreprise.
      • Lorsqu’un employeur s’engage, en cas de cession de son entreprise, à imposer au repreneur l’obligation de reprendre les salariés, cette stipulation est analysée comme une stipulation pour autrui.
      • A cet égard, la Cour de cassation a admis que lorsqu’un contrat de travail impose à un nouvel employeur de reprendre les salariés d’une entreprise en cas de transfert, cette clause constitue bien une stipulation pour autrui au profit des salariés concernés, qui peuvent alors s’en prévaloir directement (Cass. com. 14 mai 1979, n°77-15.865).
      • Cette solution présente un enjeu social majeur : elle garantit la continuité de l’emploi et protège les salariés contre les effets souvent brutaux des restructurations.
      • En leur conférant un droit propre, elle leur permet d’obtenir l’exécution de l’engagement pris à leur égard sans qu’ils aient à démontrer une quelconque transmission contractuelle de leur contrat de travail.
  • La stipulation pour autrui présumée

Si la stipulation pour autrui repose, en principe, sur l’expression expresse de la volonté contractuelle, la jurisprudence a, dans certaines circonstances exceptionnelles, présumé son existence afin d’assurer la protection des victimes.

Cette démarche, motivée par des considérations d’équité et de sécurité juridique, a principalement été développée en matière d’accidents de transport et dans le cadre de l’affaire du sang contaminé. Toutefois, la tendance actuelle de la Cour de cassation est au repli, celle-ci réaffirmant que la stipulation pour autrui ne saurait être admise en l’absence d’une clause explicite.

  • La protection des proches de victimes d’accidents de transport
    • La stipulation pour autrui a parfois été présumée par la jurisprudence afin de garantir une protection accrue aux proches de victimes d’accidents de transport.
    • Cette construction, forgée dans un souci d’efficacité juridique et de préservation des droits des tiers affectés par l’exécution du contrat de transport, a toutefois été abandonnée par la Cour de cassation, soucieuse de préserver la rigueur du principe de l’effet relatif des conventions.
    • L’un des arrêts fondateurs de cette approche prétorienne est rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 1932.
    • Dans cette décision, la Haute juridiction admet que le contrat conclu entre un passager et un transporteur peut implicitement contenir une stipulation pour autrui au profit des proches du voyageur.
    • Ce raisonnement permettait aux ayants droit de la victime d’un accident de transport de se prévaloir de la responsabilité contractuelle du transporteur, bien plus favorable que la responsabilité délictuelle.
    • En effet, cette dernière supposait la preuve d’une faute du transporteur, tandis que l’obligation de sécurité qui pesait sur ce dernier en matière contractuelle était de nature objective, offrant aux demandeurs une meilleure garantie d’indemnisation.
    • Cette solution reposait sur une lecture extensive du contrat de transport, assimilant implicitement les proches du passager à des bénéficiaires directs de l’engagement contractuel du transporteur.
    • Toutefois, cette construction a été critiquée par la doctrine, certains auteurs dénonçant une dérive consistant à dénaturer la stipulation pour autrui en la présumant là où elle ne correspondait pas aux volontés des parties.
    • Consciente des risques d’un tel raisonnement, la Cour de cassation a progressivement infléchi sa position.
    • Dans un arrêt du 28 octobre 2003, elle met fin à cette jurisprudence en affirmant que les proches d’une victime d’accident de transport ne peuvent invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur en l’absence d’une stipulation expresse en leur faveur (Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 00-18.794).
    • Cette décision marque un revirement notable, traduisant une volonté de la Haute juridiction de ne pas altérer la nature du contrat de transport et de cantonner la stipulation pour autrui à des hypothèses où elle résulte clairement de la volonté des parties.
    • Ce revirement s’explique également par l’évolution du droit de la responsabilité.
    • Lorsque la jurisprudence des années 1930 admettait la stipulation pour autrui implicite, la responsabilité objective du fait des choses n’était pas encore solidement implantée en droit français.
    • Il était alors plus avantageux pour les proches d’une victime d’invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur plutôt que d’agir sur le terrain de l’ancien article 1382 du Code civil (devenu art. 1240), lequel imposait la preuve d’une faute.
    • Or, avec la généralisation de la responsabilité objective du fait des choses et l’adoption de régimes spéciaux favorisant l’indemnisation des victimes d’accidents de transport, la nécessité de recourir à une stipulation pour autrui présumée a disparu.
    • En outre, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée avait conduit à des incohérences avec d’autres principes du droit des obligations, notamment la prohibition du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
    • La jurisprudence permettait aux proches d’une victime d’accident de renoncer à la stipulation pour autrui prétendument incluse dans le contrat de transport et d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle si cette dernière leur était plus favorable (Cass. 2e civ., 23 janv. 1959).
    • Cette faculté leur offrait un véritable droit d’option entre deux régimes de responsabilité, en contradiction avec la règle du non-cumul des responsabilités.
    • En mettant un terme à cette jurisprudence, la Cour de cassation a réaffirmé que les engagements contractuels ne sauraient être étendus au-delà de ce que les parties ont expressément convenu, tout en rétablissant la cohérence du droit de la responsabilité en matière d’accidents de transport.
    • Ainsi, bien que motivée à l’origine par une préoccupation de protection des victimes, la stipulation pour autrui présumée au profit des proches de passagers d’un transport a progressivement perdu sa raison d’être.
    • L’évolution du cadre juridique de la responsabilité des transporteurs a contribué à rendre ce mécanisme inutile, et la jurisprudence contemporaine s’attache désormais à exiger une volonté expresse du stipulant lorsqu’il entend conférer un droit à un tiers.
    • Cette évolution témoigne d’un retour à une application plus stricte du principe de l’effet relatif des conventions, évitant ainsi de faire de la stipulation pour autrui un instrument d’indemnisation artificiel.
  • L’affaire du sang contaminé : une présomption justifiée par l’intérêt des victimes
    • Une autre illustration marquante de la stipulation pour autrui présumée se rencontre dans l’affaire du sang contaminé.
    • La gravité du préjudice subi par les victimes de transfusions sanguines infectées par le VIH ou l’hépatite C a conduit la jurisprudence à rechercher un fondement juridique leur permettant d’obtenir réparation de manière efficace et rapide.
    • Dans cette perspective, elle s’est appuyée sur une décision antérieure (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954) qui avait déjà admis qu’un contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine pouvait contenir une stipulation pour autrui implicite en faveur des patients recevant des transfusions.
    • En reprenant cette solution, les juridictions ont considéré que les victimes de contamination transfusionnelle pouvaient se prévaloir d’un droit propre contre le centre de transfusion, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien contractuel direct avec celui-ci.
    • Cette construction permettait d’imputer aux centres de transfusion une obligation de sécurité de résultat, leur imposant de fournir un sang exempt de toute contamination (Cass 1ère civ., 14 nov. 1995, n°92-18.199).
    • L’objectif poursuivi était de soustraire les victimes aux exigences probatoires complexes du droit commun de la responsabilité, en leur permettant d’agir directement contre les organismes en charge de la collecte et de la distribution du sang.
    • Toutefois, à mesure que le droit de la responsabilité civile s’est adapté aux enjeux liés aux contaminations transfusionnelles, l’utilité de cette présomption jurisprudentielle s’est progressivement estompée.
    • Déjà avant l’intervention du législateur, la jurisprudence s’était inspirée de la directive européenne du 25 juillet 1985 pour permettre aux victimes par ricochet – notamment les ayants droit d’un patient décédé – d’invoquer le manquement de l’organisme de transfusion à son obligation de sécurité sans recourir à la stipulation pour autrui (Cass. 1ère civ., 13 févr. 2001, n°99-13.589).
    • La loi du 19 mai 1998 (art. 1245 et s. du Code civil) a parachevé cette évolution en instaurant un régime de responsabilité du fait des produits défectueux applicable aux produits de santé, rendant inutile le recours à une qualification contractuelle pour garantir l’indemnisation des victimes.
    • Dès lors, si la reconnaissance d’une stipulation pour autrui implicite a pu constituer une solution pragmatique dans un contexte d’urgence sanitaire, elle s’inscrivait avant tout dans une logique de protection des victimes.
    • L’évolution du droit positif et l’émergence de dispositifs d’indemnisation spécifiques ont cependant conduit la jurisprudence à restreindre l’usage de cette construction.
    • Aujourd’hui, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée repose sur une interprétation plus stricte, exigeant que la volonté de stipuler au profit d’un tiers résulte explicitement de l’acte.
    • Cette évolution traduit une volonté de ne pas instrumentaliser la stipulation pour autrui à des fins purement indemnitaires et de préserver l’équilibre contractuel en s’assurant que les obligations n’engagent que ceux qui les ont librement consenties.

La stipulation pour autrui: régime

==>Notion

Il est des mécanismes juridiques dont la singularité se manifeste avec d’autant plus d’éclat qu’ils défient l’architecture traditionnelle du droit des obligations. Parmi eux, la stipulation pour autrui occupe une place de choix, en ce qu’elle permet à une personne, le stipulant, de conférer un droit à un tiers bénéficiaire, par l’intermédiaire d’un promettant, qui s’engage à accomplir une prestation au profit de ce dernier. Cet engagement, bien que contracté entre le stipulant et le promettant, fait naître au profit du bénéficiaire un droit propre et direct, qu’il pourra faire valoir lui-même contre le promettant, sans qu’il soit besoin d’une intervention supplémentaire du stipulant.

 

Le mécanisme de la stipulation pour autrui trouve aujourd’hui sa consécration à l’article 1205 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Selon cette disposition, « l’un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire ». Le texte précise encore que le bénéficiaire peut être une personne future, à condition d’être déterminé ou déterminable au moment de l’exécution de la prestation.

Cette formulation entérine une évolution doctrinale et jurisprudentielle de longue date, puisque la stipulation pour autrui ne figurait que de manière incidente dans l’ancien article 1121 du Code civil de 1804, lequel stipulait que « l’on peut pareillement stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre ». Ce texte, ambigu, fut interprété de manière restrictive par une doctrine qui voyait dans la stipulation pour autrui une exception à la règle de l’effet relatif des contrats.

Le principe de l’effet relatif des conventions, codifié à l’article 1199 du Code civil, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». L’idée qui le sous-tend, héritée du droit romain (alteri stipulari nemo potest), est que les effets d’un contrat ne sauraient s’étendre à des tiers qui n’ont pas donné leur consentement. Cette règle est ancienne: Pothier rappelait déjà que « les conventions ne peuvent préjudicier à ceux qui n’y sont pas parties »[1].

Or, la stipulation pour autrui semble, en apparence, déroger à ce principe, en permettant à un tiers d’acquérir un droit directement issu du contrat conclu entre le stipulant et le promettant. Comme le relève Planiol, «cette institution, loin d’être une anomalie, est une nécessité économique et sociale qui s’est progressivement imposée dans la jurisprudence»[2]. De même, Ripert et Boulanger expliquent que la stipulation pour autrui constitue une dérogation maîtrisée au principe de l’effet relatif, en ce qu’elle repose sur un mécanisme contractuel spécifique.

Toutefois, cette rupture apparente avec la logique contractuelle classique ne doit pas masquer la véritable spécificité de l’institution : ce n’est pas tant son effet exceptionnel à l’égard des tiers qui la distingue, mais bien la manière dont ce droit se forme et se transmet.

La stipulation pour autrui repose ainsi sur une subtile combinaison entre un engagement contractuel entre stipulant et promettant et une attribution extracontractuelle d’un droit au profit du bénéficiaire. Comme l’explique Eugène Gaudemet, « l’originalité du mécanisme réside en ce que la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans qu’elle ait transité par celui du stipulant »[3].

Cette distinction est d’une importance majeure car elle justifie que le droit du bénéficiaire :

Ainsi, contrairement aux autres mécanismes qui confèrent un droit à un tiers en se fondant sur un transfert ou une représentation (comme la cession de créance ou le mandat), la stipulation pour autrui ne suppose ni l’intervention du bénéficiaire dans l’accord initial, ni une transmission d’un droit déjà existant. René Demogue précise ainsi que « le droit du bénéficiaire est un droit immédiat, qui ne dépend ni d’une cession ni d’une substitution, mais d’une création contractuelle qui s’opère par l’engagement du promettant »[4].

Si le Code civil de 1804 ne consacrait qu’incidemment la stipulation pour autrui, l’ordonnance de 2016 est venue clarifier et moderniser son régime, en lui dédiant plusieurs articles (1205 à 1209 du Code civil). Toutefois, la doctrine relève que cette réforme, bien que bienvenue, n’a pas saisi toute la portée de l’institution. Marc Mignot souligne notamment que le législateur « a traité la stipulation pour autrui comme une simple exception à l’effet relatif, sans en analyser la structure fondamentale, qui repose en réalité sur une double logique d’attribution et d’engagement contractuel »[5].

D’autres auteurs regrettent que la réforme n’ait pas pris en compte certaines évolutions jurisprudentielles qui avaient fait de la stipulation pour autrui un outil juridique particulièrement souple. François Terré et Philippe Simler rappellent ainsi que la jurisprudence avait progressivement admis des stipulations pour autrui implicites, notamment dans le cadre des contrats d’assurance ou des conventions collectives, avant que le Code civil réformé ne revienne à une approche plus formelle[6].

==>Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La stipulation pour autrui ne saurait être confondue avec d’autres mécanismes juridiques impliquant plusieurs parties, bien qu’elle partage avec eux une apparente parenté structurelle. Si tous ces dispositifs permettent, d’une manière ou d’une autre, d’attribuer des droits à un tiers, leur mode opératoire diffère fondamentalement.

Là où certains reposent sur une transmission ou une substitution de droits existants, la stipulation pour autrui se singularise en ce qu’elle crée ex nihilo un droit au profit du bénéficiaire, indépendamment d’un quelconque transfert. Cette distinction est essentielle pour comprendre l’autonomie conceptuelle de l’institution et les effets qui en résultent.

  • Stipulation pour autrui et action directe
    • Si la stipulation pour autrui et l’action directe permettent toutes deux à un tiers d’exercer un droit contre une partie à un contrat auquel il n’est pas directement lié, elles reposent néanmoins sur des fondements conceptuels distincts.
    • Tandis que la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre, né immédiatement de la volonté du stipulant et du promettant, l’action directe se rattache au principe de transmission accessoire des créances et constitue une prérogative accordée par la loi dans des hypothèses strictement définies.
    • Pour mémoire, la stipulation pour autrui se définit comme l’acte par lequel un contractant, le stipulant, fait promettre à l’autre partie, le promettant, d’exécuter une prestation au bénéfice d’un tiers bénéficiaire.
    • Ce dernier, sans être partie au contrat, se voit immédiatement reconnaître un droit propre et direct contre le promettant.
    • L’élément central de la stipulation pour autrui réside dans la création ex nihilo d’un droit de créance dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Ce droit ne résulte ni d’une transmission de créance ni d’un déplacement d’obligation, mais bien d’une manifestation de volonté expresse ou implicite du stipulant.
    • Comme le relève Demogue, « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un transfert de droit, mais d’une attribution immédiate et autonome, qui confère au bénéficiaire un droit direct sans antécédent patrimonial »[7].
    • L’action directe, pour sa part, permet à un créancier d’agir contre un sous-débiteur dans une chaîne de contrats successifs.
    • Contrairement à la stipulation pour autrui, qui repose sur la volonté contractuelle, l’action directe est une prérogative exceptionnelle accordée par la loi.
    • Elle repose sur le principe de la transmission accessoire des créances, lequel justifie que certains droits contractuels puissent être exercés directement contre un sous-débiteur lorsque l’économie du contrat le requiert.
    • Ainsi, dans une chaîne contractuelle (par exemple, un sous-traitant qui n’est pas payé par un entrepreneur principal), le législateur ou la jurisprudence peuvent conférer à certains créanciers un droit d’agir contre le sous-débiteur final, même en l’absence de lien contractuel direct.
    • Cette prérogative s’analyse souvent comme une protection économique accordée à certaines catégories de créanciers vulnérables, comme les salariés (action directe en paiement des salaires en cas de sous-traitance), les victimes d’accidents (action directe en matière d’assurance) ou encore les fournisseurs dans les contrats de construction.
    • Comme l’indiquent des auteurs, l’action directe « ne confère pas un droit nouveau au créancier, mais lui permet seulement d’exercer un droit déjà existant, en raison d’une chaîne d’obligations préétablie »[8].
    • En ce sens, elle suppose nécessairement un lien de dépendance juridique entre l’obligation initiale et l’action conférée au créancier, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • La distinction entre stipulation pour autrui et action directe est parfois brouillée par la jurisprudence, notamment dans les affaires de responsabilité contractuelle et de contrats de transport.
    • En effet, la Cour de cassation a parfois eu recours à la stipulation pour autrui là où une action directe aurait été plus appropriée.
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 décembre 1954, la Haute juridiction a admis que le contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine contenait une stipulation pour autrui au profit des patients, leur permettant d’agir contre le centre en cas de contamination (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954).
    • Toutefois, cette analyse a été critiquée par la doctrine, notamment par René Savatier, qui souligne que le patient ne devient pas titulaire d’un droit propre, mais exerce simplement une action contractuelle sur la base d’une transmission accessoire de créance.
    • Dans les affaires de contamination par le VIH ou l’hépatite C, la jurisprudence a finalement abandonné l’analyse en termes de stipulation pour autrui et a reconnu que la victime pouvait exercer une action directe en responsabilité contractuelle contre le centre de transfusion.
    • Cette solution est plus rigoureuse, car elle repose sur une chaîne contractuelle où chaque maillon engage sa responsabilité pour inexécution de son obligation de fournir un sang exempt de vices.
    • Le contrat de transport illustre également la confusion entre action directe et stipulation pour autrui.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence a vu dans l’engagement du transporteur envers le destinataire une stipulation pour autrui au profit de ce dernier (Cass. civ., 24 mai 1897).
    • Toutefois, la doctrine moderne, à l’instar de René Rodière considère que cette analyse est erronée : le destinataire dispose en réalité d’une action directe contre le transporteur en raison de la nature même du contrat de transport, qui l’intègre intrinsèquement à l’opération économique[9].
    • La Cour de cassation a progressivement évolué et a admis que le destinataire « dispose d’une action directe pour contraindre le transporteur à exécuter ses obligations » (Cass. 1ère civ., 1er févr. 1955).
    • Cette approche est plus conforme à la nature tripartite du contrat de transport, qui crée des obligations réciproques entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire.
  • Stipulation pour autrui et cession de créance
    • Si la stipulation pour autrui et la cession de créance permettent toutes deux de conférer un droit à un tiers, elles reposent sur des logiques juridiques distinctes.
    • Tandis que la cession de créance implique une transmission d’un droit préexistant, la stipulation pour autrui crée un droit ex nihilo au profit du bénéficiaire.
    • La cession de créance, régie par l’article 1321 du Code civil, est l’acte par lequel un créancier (le cédant) transmet à un tiers (le cessionnaire) la créance qu’il détient contre un débiteur (le cédé). Cette opération repose sur un transfert de créance : le cessionnaire reçoit un droit qui appartenait préalablement au cédant, lequel se dessaisit de sa créance au profit du nouvel ayant droit.
    • À l’inverse, la stipulation pour autrui repose sur un mécanisme créateur de droit.
    • Le stipulant conclut avec le promettant un contrat prévoyant une obligation en faveur d’un tiers bénéficiaire, qui devient directement créancier du promettant.
    • Comme le souligne Planiol, « dans la cession de créance, le droit passe d’un titulaire à un autre, tandis que dans la stipulation pour autrui, le droit naît immédiatement et exclusivement dans le patrimoine du bénéficiaire »[10].
    • Ainsi, alors que la cession de créance implique une transmission, la stipulation pour autrui opère une véritable attribution de créance, sans que celle-ci ait appartenu au stipulant à un quelconque moment.
    • A cet égard, le mode d’attribution du droit constitue un second élément de différenciation essentiel.
      • Dans la cession de créance, le droit du cessionnaire contre le débiteur cédé est dérivé : il préexistait dans le patrimoine du cédant et est simplement transféré au cessionnaire. Le créancier initial (cédant) peut encore être tenu vis-à-vis du cessionnaire si la cession est assortie d’une garantie de paiement. De plus, avant sa cession, la créance peut être saisie par les créanciers du cédant, et le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant (art. 1324 C. civ.).
      • Dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire est originaire et direct. Il n’a jamais appartenu au stipulant et ne procède pas d’un transfert. Le bénéficiaire exerce directement son droit contre le promettant, sans que le stipulant intervienne dans l’exécution de l’obligation.
    • La jurisprudence a parfois hésité entre ces qualifications. En matière de crédit-bail, certaines décisions ont qualifié de stipulation pour autrui la clause permettant au crédit-preneur d’agir directement contre le fournisseur du bien loué (CA Paris, 5e ch. A, 28 nov. 1989).
    • Toutefois, d’autres décisions ont préféré voir dans ce mécanisme une cession de créance de garantie (Cass. com., 26 janv. 1977, n°75-12.613). Cette hésitation jurisprudentielle repose sur l’ambiguïté du régime juridique applicable aux garanties accordées au crédit-preneur.
    • La distinction entre la cession de créance et la stipulation pour autrui emporte des effets concrets:
      • Possibilité de recours des créanciers du cédant
        • En cas de cession de créance, les créanciers du cédant peuvent saisir la créance avant qu’elle ne soit transmise au cessionnaire.
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire n’a jamais appartenu au stipulant, de sorte qu’aucun créancier du stipulant ne peut exercer un recours sur ce droit.
      • Opposabilité des exceptions
        • Dans la cession de créance, le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les mêmes exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant avant la cession (art. 1324 C. civ.).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant ne peut invoquer les éventuelles exceptions qu’il aurait pu opposer au stipulant contre le bénéficiaire, puisque la créance du bénéficiaire est une création autonome et ne résulte pas d’un transfert.
      • Nature de l’engagement du débiteur
        • En cas de cession de créance, le débiteur cédé est contraint d’accepter la substitution de son créancier, sauf si la cession est soumise à son accord préalable (C. civ., art. 1322).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant s’engage librement envers le bénéficiaire dès la conclusion du contrat avec le stipulant.
    • Enfin, la jurisprudence a parfois confondu stipulation pour autrui et cession de créance dans certaines hypothèses complexes.
    • Ainsi, la transmission d’une créance résultant d’une promesse unilatérale de vente a pu être analysée tantôt comme une cession de créance, tantôt comme une stipulation pour autrui.
    • De même, la délégation d’honoraires à un expert d’assurance a fait l’objet d’une hésitation jurisprudentielle quant à sa qualification, certains y voyant une cession de créance, d’autres une stipulation pour autrui.
    • Toutefois, comme le relève Jacques Ghestin, la cession de créance implique toujours un rapport tripartite, alors que la stipulation pour autrui ne repose que sur la relation entre le stipulant et le promettant[11].
    • Cette distinction fondamentale explique que la stipulation pour autrui demeure une exception au principe de l’effet relatif des conventions, tandis que la cession de créance reste une technique de transmission des obligations.
  • Stipulation pour autrui et cession de dette
    • La stipulation pour autrui et la cession de dette sont deux mécanismes qui, bien qu’impliquant l’intervention de plusieurs parties dans un rapport obligataire, se distinguent profondément tant dans leur objet que dans leurs effets.
    • Tandis que la stipulation pour autrui crée une obligation nouvelle au profit d’un tiers, la cession de dette, prévue à l’article 1327 du Code civil, opère une substitution d’un débiteur à un autre, sans nécessairement libérer l’ancien débiteur de son engagement.
    • Si la confusion entre ces deux notions est fréquente, leur distinction est essentielle, tant pour comprendre leur régime propre que pour en maîtriser les implications pratiques.
      • Une différence de structure : création d’une obligation vs transmission d’une dette existante
        • Dans la cession de dette, un nouveau débiteur (le cessionnaire) se substitue à l’ancien débiteur (le cédant) dans l’exécution d’une obligation préexistante envers le créancier.
        • Cette opération implique donc une transmission d’une dette antérieure, dont la cause et l’objet demeurent inchangés.
        • Le créancier peut accepter ou refuser cette substitution, et, sauf stipulation contraire, il conserve son action contre le débiteur d’origine (Cass. 3e civ, 10 avr. 1973, n°71-12.719).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, aucune obligation préexistante n’est transmise.
        • Il s’agit d’un engagement nouveau pris par un promettant envers un bénéficiaire, à l’initiative d’un stipulant.
        • Ce mécanisme ne repose pas sur le transfert d’une dette, mais sur la création ex nihilo d’un droit propre et direct au profit du tiers bénéficiaire, sans qu’il y ait eu auparavant une obligation qui lui aurait été due.
        • La stipulation pour autrui trouve ainsi sa source dans la relation contractuelle entre le stipulant et le promettant, tandis que la cession de dette s’ancre dans une obligation déjà existante.
      • L’implication du créancier : consentement et effet immédiat
        • Dans la cession de dette, le créancier initial ne bénéficie pas immédiatement d’un droit contre le cessionnaire.
        • L’efficacité de la substitution dépend de son consentement : tant que celui-ci n’a pas donné son accord, il conserve une action contre le débiteur cédant, lequel demeure tenu de l’obligation.
        • Ce maintien de l’action contre le cédant traduit la nature progressive de la substitution, qui ne devient définitive qu’avec l’adhésion expresse du créancier à l’opération (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est immédiatement investi d’un droit contre le promettant, sans que le consentement du stipulant ou du bénéficiaire soit requis pour conférer cet effet direct (art. 1205 C. civ.).
        • Il appartient au bénéficiaire d’accepter la stipulation pour la rendre irrévocable, mais son droit existe dès la formation du contrat.
        • Cet effet immédiat différencie la stipulation pour autrui de la cession de dette, où l’acquisition d’un droit contre le cessionnaire suppose l’adhésion du créancier.
      • L’absence de superposition des obligations dans la stipulation pour autrui
        • Une autre différence essentielle entre ces deux mécanismes réside dans l’articulation des obligations entre les parties.
        • Dans la cession de dette, il existe une période de superposition des engagements du cédant et du cessionnaire: tant que le créancier n’a pas accepté la substitution, il conserve son action contre le débiteur d’origine, qui reste tenu de la dette.
        • Cette dualité d’engagements peut, dans certains cas, générer une responsabilité solidaire, contraignant le cédant et le cessionnaire à répondre ensemble de l’exécution de l’obligation (Cass. 2e civ., 10 juill. 2014, n°13-20.620).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire ne partage aucune obligation avec le stipulant : son droit naît directement de la volonté du stipulant et s’exerce exclusivement contre le promettant.
        • Il n’existe donc aucun chevauchement d’obligations entre le stipulant et le bénéficiaire, ce dernier n’ayant pas à se prévaloir d’une transmission de dette mais d’un droit originaire créé à son profit.
        • Demogue expliquait ainsi que « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un déplacement d’obligation, mais d’une création ex nihilo d’un droit autonome, qui ne connaît pas d’antécédent patrimonial »[12].
      • Les enjeux pratiques de la distinction
        • Les implications pratiques de la distinction entre cession de dette et stipulation pour autrui, les enjeux sont considérables.
        • Dans le cadre d’une cession de dette, la nécessité de recueillir le consentement du créancier peut ralentir l’opération et en limiter l’efficacité.
        • Le créancier demeure exposé au risque d’insolvabilité du cédant tant que la substitution n’a pas été agréée.
        • En outre, l’existence d’une responsabilité conjointe entre le cédant et le cessionnaire peut poser des difficultés en cas de litige sur l’exécution de l’obligation.
        • En revanche, la stipulation pour autrui offre une plus grande sécurité juridique : le bénéficiaire acquiert immédiatement un droit direct contre le promettant, sans dépendre d’un consentement extérieur.
        • Cela en fait un outil contractuel privilégié dans des domaines tels que le droit des assurances (où l’assuré stipule pour ses ayants droit), le droit bancaire (assurances collectives souscrites par une banque pour ses clients) ou encore le droit des contrats commerciaux (garanties de passif au profit d’une société cédée).
        • Cette autonomie de la stipulation pour autrui justifie que la jurisprudence en encadre strictement l’usage, afin d’éviter toute confusion avec une reprise de dette ou une délégation.
        • Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’une clause par laquelle un cessionnaire s’engageait à prendre en charge les dettes d’une société ne constituait pas une stipulation pour autrui mais une reprise de dette externe, impliquant une acceptation du créancier concerné (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • La distinction est donc essentielle pour déterminer le régime applicable et les exigences requises pour l’opposabilité de l’engagement au créancier.
  • Stipulation pour autrui et délégation
    • La délégation, prévue à l’article 1336 du Code civil, est l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient qu’un tiers, le délégué, s’engage envers un créancier, le délégataire.
    • Elle peut présenter plusieurs formes :
      • La délégation simple ou imparfaite, par laquelle le délégant reste tenu de l’obligation en parallèle du délégué.
      • La délégation novatoire ou parfaite, où l’engagement du délégué remplace celui du délégant.
    • La différence fondamentale entre la délégation et la stipulation pour autrui réside dans le fait que la délégation repose sur un engagement du délégant, alors que la stipulation pour autrui repose uniquement sur l’engagement du promettant.
    • Comme le soulignent Ambroise Colin et Henri Capitant, « dans la délégation, le débiteur (délégant) joue un rôle actif, soit en conservant une obligation conjointe, soit en se substituant totalement un tiers ; dans la stipulation pour autrui, le stipulant disparaît totalement après la formation du droit du bénéficiaire »[13].
    • Autres distinctions importantes :
      • Dans la délégation, il est souvent possible d’opposer des exceptions au délégataire (en cas de délégation imparfaite), tandis que dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est titulaire d’un droit direct, ce qui limite les moyens de contestation du promettant.
      • La délégation crée des obligations complexes, parfois superposées, alors que la stipulation pour autrui crée une obligation unique et immédiate en faveur du bénéficiaire.
  • Stipulation pour autrui et mandat
    • Le mandat, défini par l’article 1984 du Code civil, est le contrat par lequel une personne, le mandant, confère à une autre, le mandataire, le pouvoir d’agir en son nom et pour son compte.
    • Contrairement au stipulant, le mandataire agit pour le compte du mandant et engage ce dernier dans ses relations avec les tiers.
    • Autrement dit, dans un mandat, le bénéficiaire de l’opération est également l’une des parties au contrat, ce qui le distingue radicalement de la stipulation pour autrui, où le bénéficiaire est un tiers extérieur à la convention initiale.
    • De plus, dans le mandat, le mandataire n’est qu’un intermédiaire : il ne crée aucun droit nouveau, mais exerce une action en représentation du mandant.
    • Robert Beudant souligne ainsi que « le mandataire ne fait que prolonger juridiquement la personne du mandant, tandis que le stipulant crée un droit autonome au profit du bénéficiaire, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci intervienne dans l’opération »[14].
    • Enfin, le mandat repose sur un lien de représentation, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • Le stipulant ne représente pas le bénéficiaire, il ne contracte pas en son nom, ni pour son compte : il contracte en son propre nom, mais avec l’intention de faire naître un droit dans le patrimoine d’un tiers.
  • Stipulation pour autrui et gestion d’affaires
    • Enfin, la stipulation pour autrui ne doit pas être confondue avec la gestion d’affaires, mécanisme par lequel une personne (le gérant) prend l’initiative d’accomplir un acte dans l’intérêt d’un tiers (le maître d’affaire), en dehors de tout mandat préalable.
    • À la différence de la gestion d’affaires :
      • Le stipulant ne prend pas d’initiative pour gérer les intérêts du bénéficiaire, il se borne à faire naître un droit en sa faveur.
      • Le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui n’a pas à ratifier l’acte pour que son droit existe, contrairement au maître d’affaire, qui peut accepter ou refuser la gestion à son bénéfice.

==>Évolution historique

L’histoire de la stipulation pour autrui est celle d’une lente reconnaissance au sein du droit positif, marquée par une opposition initiale fondée sur le principe du caractère personnel des obligations, puis par une acceptation progressive sous l’effet des évolutions économiques et juridiques. Ce mécanisme, qui permet à un tiers d’acquérir un droit directement issu d’un contrat auquel il n’est pas partie, s’est heurté aux résistances d’un droit longtemps attaché au caractère strictement personnel des obligations. Il aura fallu l’effort conjoint de la doctrine et de la jurisprudence pour que la stipulation pour autrui s’impose comme un instrument juridique pleinement légitime, jusqu’à sa consécration législative par la réforme entreprise par l’ordonnance du 10 février de 2016.

  • La prohibition de la stipulation pour autrui en droit romain

Le droit romain considérait, en principe, la stipulation pour autrui comme une anomalie, en vertu de l’adage nemo alteri stipulari potest : nul ne peut stipuler pour autrui (Digeste, 45, 1, 38). L’obligation, perçue comme un lien strictement personnel entre créancier et débiteur, ne pouvait créer de droits au profit d’un tiers. Le droit romain reposait sur l’idée que seule une personne directement engagée dans un acte pouvait en tirer les effets juridiques.

Toutefois, sous l’influence des pratiques commerciales et successorales, certaines atténuations furent progressivement admises. Ainsi, Paul, jurisconsulte du II? siècle, relevait déjà que la stipulation pouvait être faite au profit d’un héritier encore à naître (D. 45, 1, 126), préfigurant ainsi l’idée d’un droit bénéficiant à une personne déterminable mais non encore existante.

Malgré ces assouplissements ponctuels, le droit romain ne consacra jamais pleinement la stipulation pour autrui en tant que mécanisme général, considérant que la transmission des droits devait passer par la novation, la cession de créance ou la représentation. Ce rigorisme allait toutefois être progressivement remis en question par les nécessités de la pratique juridique.

  • L’émergence progressive de la stipulation pour autrui en Ancien droit français

Sous l’Ancien Régime, la prohibition romaine de la stipulation pour autrui fut progressivement édulcorée, à mesure que la pratique reconnaissait la nécessité de conférer des droits à des tiers.

Le droit coutumier français, influencé par les nécessités économiques et sociales, ouvrit la voie à des formes rudimentaires de stipulation pour autrui, notamment dans le cadre de la transmission des obligations successorales et des contrats d’assurance maritime. Ces évolutions, bien que pragmatiques, demeuraient fragmentaires et ne s’accompagnaient pas d’une véritable théorie générale.

C’est dans cette perspective que Robert-Joseph Pothier (1699-1772) jeta les bases d’une reconnaissance doctrinale plus large. Dans son Traité des obligations, il admettait déjà que « rien ne s’oppose à ce qu’un contrat stipule une obligation envers un tiers, lorsque cela résulte de la commune intention des parties »[15]. Cette approche, qui reposait sur une lecture souple de l’intention contractuelle, annonçait la position qui serait progressivement adoptée par la jurisprudence du XIX? siècle.

  • Le Code civil de 1804 : une consécration timide et ambiguë

Le Code civil napoléonien n’accorda qu’une reconnaissance minimale à la stipulation pour autrui, en la cantonnant à des hypothèses précises et limitatives.

L’ancien article 1121 du Code civil disposait ainsi : « On peut stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. »

Cette formulation, volontairement restrictive, traduisait l’hésitation du législateur, qui souhaitait éviter qu’un tiers puisse acquérir un droit sans consentement explicite de sa part.

Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, justifiait cette prudence en invoquant la nécessité de protéger la sécurité juridique et de prévenir les engagements trop incertains[16]. Cette position se traduisit par une interprétation rigoriste de l’institution, qui freina son développement au cours du XIX? siècle.

  • L’essor jurisprudentiel du XIX? siècle sous l’impulsion des assurances sur la vie

C’est la jurisprudence du XIX? siècle qui allait véritablement consacrer la stipulation pour autrui comme un mécanisme autonome du droit des obligations.

L’essor des assurances sur la vie imposait la reconnaissance d’un droit propre au bénéficiaire, sans que celui-ci ait à le revendiquer auprès du souscripteur. Ce besoin pratique allait progressivement contraindre la jurisprudence à admettre que la stipulation pour autrui créait un droit direct au profit du tiers bénéficiaire.

Dans un arrêt fondateur (Cass. Req., 16 janv. 1888), la Cour de cassation admet ainsi que le bénéficiaire d’une assurance-vie dispose d’un droit propre, qui ne transite pas par le patrimoine du souscripteur. Cette décision marque un tournant décisif dans la reconnaissance de la stipulation pour autrui.

Commentant cette évolution, Paul Esmein souligna que « l’assurance sur la vie a été le catalyseur d’une évolution nécessaire du droit des obligations, en consacrant la stipulation pour autrui comme un mode normal de transmission des engagements »[17].

  • La réforme de 2016 : une consécration législative attendue

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a marqué une avancée significative en procédant à une refonte du cadre normatif de la stipulation pour autrui. Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution bénéficie d’un régime autonome, clarifiant les conditions de sa mise en œuvre et entérinant les solutions dégagées par la jurisprudence au fil du temps.

L’ambition du législateur, à travers cette réforme, était double : moderniser et sécuriser l’usage de la stipulation pour autrui, en la libérant de certaines incertitudes qui entouraient encore son régime antérieur, hérité de l’ancien article 1121 du Code civil. À cette fin, l’ordonnance lui confère une place explicite au sein du chapitre IV du titre III du Code civil, relatif aux effets du contrat à l’égard des tiers, marquant ainsi la reconnaissance de sa spécificité au regard du principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 c. civ.).

Désormais, la stipulation pour autrui repose sur des principes clairs et codifiés, précisant notamment que :

  • La stipulation pour autrui peut être librement stipulée, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une condition particulière pour sa validité. Cette consécration met fin aux incertitudes issues de l’ancien article 1121 du Code civil, qui ne permettait la stipulation pour autrui que lorsqu’elle constituait une condition d’un engagement pris pour soi-même ou d’une donation. Désormais, les contractants disposent d’une liberté totale pour conférer un droit direct à un tiers, dès lors qu’ils expriment une volonté en ce sens.
  • Le droit du bénéficiaire naît immédiatement du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, sans qu’il soit nécessaire que le bénéficiaire manifeste son acceptation dès l’origine. Toutefois, tant que ce droit n’a pas été accepté, le stipulant conserve la faculté de le révoquer (art. 1206 c. civ.). Ce pouvoir de révocation, qui constitue une innovation majeure de la réforme, confère une souplesse accrue à l’institution, permettant au stipulant de revenir sur son engagement tant que le bénéficiaire ne s’en est pas prévalu.
  • La stipulation pour autrui est désormais expressément consacrée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats. Cette précision, bien qu’implicite en jurisprudence, n’avait jamais été affirmée avec autant de netteté par le législateur. Elle confirme que la stipulation pour autrui permet de conférer un droit propre au bénéficiaire, qui pourra en poursuivre l’exécution à l’encontre du promettant sans être partie au contrat initial.

Si la réforme de 2016 a le mérite d’avoir clarifié et stabilisé le régime de la stipulation pour autrui, elle n’a pas pour autant dissipé toutes les réserves doctrinales.

Certains auteurs regrettent notamment que le législateur ait inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors même qu’il aurait été préférable de consacrer son autonomie conceptuelle. Ainsi, Marc Mignot observe avec justesse que « le législateur a inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors qu’il aurait dû consacrer son autonomie conceptuelle »[18].

Cette critique repose sur une analyse approfondie du mécanisme en question : en effet, la stipulation pour autrui ne se contente pas d’aménager l’effet relatif du contrat, elle procède d’une création directe d’un droit au profit du tiers bénéficiaire, sans que ce droit ait transité par le patrimoine du stipulant. Dès lors, la rattacher aux effets du contrat à l’égard des tiers, plutôt que d’affirmer son autonomie en tant que technique d’attribution de créance par acte unilatéral, apparaît comme une approche réductrice, voire incomplète.

D’autres critiques portent sur l’absence de précision sur le sort du droit du bénéficiaire avant acceptation, notamment en cas de décès du stipulant ou du promettant. En l’état du droit positif, l’article 1208 du Code civil semble suggérer que le droit du bénéficiaire peut être transmis à ses héritiers s’il décède avant d’avoir accepté la stipulation. Cette solution, bien que conforme aux principes généraux du droit des obligations, aurait mérité d’être davantage explicitée, tant elle soulève des interrogations pratiques.

En dépit de ces critiques, la réforme de 2016 constitue une étape décisive dans l’évolution de la stipulation pour autrui, qui s’affirme désormais comme un instrument contractuel incontournable, parfaitement intégré dans l’architecture du droit des obligations.

Ce mécanisme, jadis perçu comme une anomalie, s’impose aujourd’hui comme une technique juridique polyvalente, dont les applications se retrouvent dans une grande variété de domaines, allant des contrats d’assurance aux conventions collectives, en passant par les contrats de cession de contrôle et les engagements bancaires.

==>Applications pratiques

La stipulation pour autrui, en ce qu’elle permet d’attribuer à un tiers un droit direct contre un promettant sans qu’il soit partie au contrat, trouve des applications multiples dans divers domaines du droit. Son utilité s’étend à des secteurs variés, où elle assure la transmission efficace de droits et la protection des intérêts économiques et sociaux des bénéficiaires.

  • Droit des assurances

La stipulation pour autrui trouve une application particulièrement marquante dans le droit des assurances. En permettant à un tiers de bénéficier d’un contrat auquel il n’est pas partie, elle confère une assise juridique aux nombreux mécanismes d’assurance, tels que l’assurance-vie, l’assurance pour compte ou encore l’assurance de groupe.

  • L’assurance sur la vie
    • L’assurance-vie constitue l’illustration la plus aboutie de la stipulation pour autrui dans le domaine assurantiel.
    • Ce mécanisme repose sur un contrat conclu entre un souscripteur (assimilé au stipulant) et un assureur (assimilé au promettant), par lequel ce dernier s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une prestation à un bénéficiaire désigné lors du décès de l’assuré.
    • L’essence même de l’assurance-vie repose donc sur la création d’un droit direct et autonome au profit du bénéficiaire, lequel, bien qu’étranger à l’accord initial entre le souscripteur et l’assureur, acquiert un droit propre sur la prestation due.
    • Cette autonomie juridique distingue fondamentalement l’assurance-vie d’autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la cession de créance ou la donation, qui impliquent un transfert de droits existants, alors que la stipulation pour autrui, en l’espèce, génère une créance nouvelle dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Dès la fin du XIX? siècle, la jurisprudence a reconnu l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie.
    • Dans un arrêt du 16 janvier 1888, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie dispose d’un droit direct contre l’assureur, indépendamment de tout lien contractuel personnel avec ce dernier (Cass. civ., 16 janv. 1888).
    • Cette solution a été consacrée par le législateur à travers les articles L. 132-1 et suivants du Code des assurances, lesquels établissent expressément la validité du mécanisme de la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance-vie et précisent que la prestation due par l’assureur est directement attribuée au bénéficiaire désigné.
    • Cette reconnaissance législative confère au bénéficiaire un droit propre et opposable, qui s’impose non seulement à l’assureur, mais également aux tiers, y compris aux créanciers du souscripteur et aux héritiers.
    • Contrairement aux autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la donation ou la succession, la stipulation pour autrui en matière d’assurance-vie place le bénéficiaire dans une situation privilégiée : il acquiert un droit immédiat et autonome, insusceptible d’être remis en cause par les ayants droit du souscripteur, sauf en cas de primes manifestement exagérées au regard des facultés de ce dernier.
    • Ce caractère intangible de la désignation bénéficiaire marque une rupture avec le régime de droit commun des libéralités, auquel les capitaux d’assurance-vie échappent en principe.
    • Toutefois, si la stipulation pour autrui appliquée à l’assurance-vie ne souffre aujourd’hui d’aucune contestation, la question de la distinction entre l’assurance-vie et le contrat de capitalisation a longtemps suscité des débats.
    • En effet, ces deux instruments ont en commun de permettre la constitution et la transmission d’un capital à un tiers, mais leur nature juridique et leur finalité économique divergent fondamentalement.
    • L’élément déterminant de cette distinction réside dans la présence ou l’absence d’aléa.
      • L’assurance-vie repose sur un événement incertain, à savoir le décès du souscripteur ou d’une tierce personne. Ce caractère aléatoire justifie son assimilation à un contrat de prévoyance, distinct des mécanismes purement patrimoniaux.
      • À l’inverse, le contrat de capitalisation relève d’une logique strictement financière, dans laquelle l’échéance de la prestation due par l’assureur est prédéterminée et indépendante de la durée de vie du souscripteur. Le contrat de capitalisation ne contient ainsi aucun élément d’aléa, ce qui exclut son rattachement au régime juridique de l’assurance-vie et le soumet au droit commun des obligations et des successions.
    • Cette distinction a été définitivement consacrée par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte dans un arrêt du 23 novembre 2004 (Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592).
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa », et qu’il constitue donc un véritable contrat d’assurance-vie au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1 et R. 321-1 du Code des assurances.
    • Cette solution procède du raisonnement suivant :
      • Si l’assuré est encore en vie à l’échéance du contrat, le capital lui revient ;
      • Si l’assuré décède avant l’échéance, le capital est versé aux bénéficiaires désignés ;
      • Cette incertitude quant à l’identité du créancier au moment de la souscription caractérise l’aléa inhérent à l’assurance-vie.
    • En consacrant la nécessité d’un aléa, la Cour de cassation a clairement distingué l’assurance-vie des contrats de capitalisation, qui ne peuvent bénéficier du régime juridique protecteur de l’assurance-vie.
    • Ce raisonnement est d’autant plus essentiel que la reconnaissance de cet aléa empêche toute requalification de l’assurance-vie en contrat de capitalisation, ce qui aurait des implications majeures en matière fiscale et successorale.
    • L’une des conséquences majeures de l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie réside dans son incidence sur les règles successorales.
    • Contrairement aux libéralités classiques, la prestation versée au bénéficiaire échappe, en principe, aux règles du rapport à la succession et de la réduction des libéralités excessives, sous réserve de l’application de l’article L. 132-13 du Code des assurances.
    • Toutefois, si les primes versées au titre d’un contrat d’assurance-vie sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, elles peuvent être réintégrées dans la masse successorale et donner lieu à réduction au profit des héritiers réservataires.
    • Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2004, un héritier contestait ainsi le versement des capitaux aux bénéficiaires désignés, soutenant que les primes versées devaient être réintégrées dans l’actif successoral.
    • La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en confirmant que seules les primes manifestement exagérées peuvent être réintégrées dans la succession, ce qui suppose une appréciation in concreto des facultés du souscripteur au moment du versement des primes. En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que :
      • L’assurée disposait d’un patrimoine mobilier conséquent ;
      • Son revenu mensuel était de 30 000 francs ;
      • Le montant total des primes versées (310 000 francs) représentait seulement un quart de ce patrimoine.
    • En conséquence, la Cour de cassation a validé l’analyse de la cour d’appel, considérant que les primes n’étaient pas manifestement excessives.
    • Cette décision a suscité des réactions contrastées au sein de la doctrine. Jean-Luc Aubert a critiqué cette solution en estimant que la Cour de cassation avait adopté une conception extensive de l’aléa, dans une logique de sécurisation des contrats d’assurance-vie.
    • À l’inverse, Jacques Ghestin a approuvé cette qualification, soulignant qu’elle permet d’éviter une requalification en contrat de capitalisation, qui aurait eu des conséquences fiscales et successorales considérables.
    • D’un point de vue pratique, l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie emporte plusieurs conséquences majeures :
      • Une protection juridique accrue du bénéficiaire : ce dernier acquiert un droit direct opposable à l’assureur, indépendamment des héritiers du souscripteur.
      • Un régime fiscal et successoral favorable : en principe, les capitaux versés échappent aux droits de succession, sauf en cas de primes excessives.
      • Une sécurisation des opérations de prévoyance : l’assuré peut organiser la transmission de son capital en dehors du cadre rigide des successions.
    • L’assurance-vie illustre donc parfaitement le modèle de la stipulation pour autrui, en conférant au bénéficiaire un droit propre et immédiat, tout en garantissant une autonomie contractuelle qui le distingue des autres instruments de transmission patrimoniale.
  • L’assurance pour compte
    • L’assurance pour compte constitue l’une des applications les plus marquantes de la stipulation pour autrui dans le domaine des assurances.
    • Ce type de contrat repose sur la conclusion d’une convention entre un souscripteur et un assureur, au bénéfice d’un tiers, qui sera indemnisé en cas de sinistre affectant l’objet de l’assurance.
    • Ainsi, bien que ce tiers ne soit pas signataire du contrat, il bénéficie d’un droit propre sur l’indemnisation, ce qui traduit parfaitement le mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a admis cette qualification dans plusieurs hypothèses, notamment en matière d’assurance de dommages et d’assurance de transport, soulignant toutefois que la stipulation pour autrui ne saurait être présumée et doit résulter d’une volonté claire et non équivoque des parties (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).
    • A cet égard, l’assurance pour compte trouve une application privilégiée en matière d’assurance de dommages.
    • Dans ce cadre, le souscripteur du contrat ne cherche pas tant à se prémunir contre un risque personnel qu’à garantir la protection d’un tiers déterminé ou indéterminé au moment de la conclusion du contrat.
    • Une illustration marquante de ce mécanisme réside dans l’assurance dommages-ouvrage, souscrite par le maître d’ouvrage afin de garantir les désordres affectant une construction. Cette assurance bénéficie notamment aux constructeurs, dont elle couvre la responsabilité décennale sans que ceux-ci aient besoin d’être directement parties au contrat. La jurisprudence a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance dommages-ouvrage constitue une assurance pour compte bénéficiant aux propriétaires successifs de l’ouvrage (Cass. 3? civ., 30 mars 1994, n° 92-11.996).
    • L’assurance pour compte est également utilisée dans le cadre des assurances souscrites par un propriétaire pour le compte d’un locataire ou par un syndic au profit des copropriétaires.
    • Dans ces situations, l’assurance souscrite par le tiers principal garantit les occupants ou copropriétaires contre des risques spécifiques, sans qu’ils aient besoin de conclure un contrat en leur nom propre.
    • Toutefois, la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance pour compte ne saurait être automatique.
    • Elle repose nécessairement sur une volonté expresse ou implicite mais non équivoque des parties, ce qui explique que la jurisprudence ait parfois refusé de reconnaître une assurance pour compte en l’absence d’une manifestation de volonté claire (Cass. 2? civ., 23 mars 2017, n°16-14.621).
    • L’assurance pour compte joue également un rôle essentiel dans le cadre du transport de marchandises.
    • En effet, les biens transportés peuvent faire l’objet de cessions successives au cours de l’exécution du contrat de transport.
    • Dès lors, il est impératif que la couverture assurantielle s’étende au propriétaire effectif des marchandises au moment du sinistre, même si ce dernier n’est pas encore identifié lors de la conclusion du contrat d’assurance.
    • La Cour de cassation a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance pour compte permet au propriétaire des marchandises, même non déterminé au moment de la souscription du contrat, d’exercer un droit propre contre l’assureur en cas de sinistre (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534).
    • Ce mécanisme protège ainsi l’intérêt économique du propriétaire final sans nécessiter une modification du contrat d’assurance à chaque transfert de propriété.
    • Cette application de l’assurance pour compte est particulièrement fréquente dans les domaines du commerce international et du transport maritime, où les marchandises changent souvent de propriétaire avant d’arriver à destination.
    • Il est dès lors primordial que la garantie souscrite initialement puisse bénéficier à l’acquéreur final des biens, ce qui justifie pleinement le recours à la stipulation pour autrui.
    • Si la stipulation pour autrui est largement admise en matière d’assurance pour compte, elle n’est toutefois pas présumée.
    • Pour être reconnue, elle doit remplir plusieurs conditions essentielles :
      • Une volonté claire et non équivoque des parties : la stipulation pour autrui ne saurait être implicite. Il appartient au souscripteur et à l’assureur de prévoir expressément que l’assurance bénéficiera à un tiers. En l’absence d’une telle manifestation de volonté, la stipulation ne saurait être imposée (Cass. 2? civ., 18 janv. 2018, n°16-27.250).
      • Un tiers bénéficiaire identifiable : même si l’identité du bénéficiaire n’a pas besoin d’être déterminée dès la conclusion du contrat, il doit être possible de l’identifier au moment de la survenance du sinistre. C’est le cas, par exemple, du propriétaire effectif des marchandises dans une assurance pour compte en transport maritime.
      • Un engagement effectif du promettant (l’assureur) envers le bénéficiaire : l’un des principes fondamentaux de la stipulation pour autrui est que le bénéficiaire dispose d’un droit direct contre l’assureur. Ainsi, il peut agir directement en exécution du contrat sans avoir à obtenir l’autorisation du souscripteur
    • L’assurance pour compte permet de pallier les limites du principe de l’effet relatif des contrats en assurant la protection de tiers n’ayant pas directement contracté avec l’assureur.
    • Cette extension du bénéfice de l’assurance repose sur une logique économique et pratique :
      • D’abord, dans le domaine du transport ou de la construction, il est essentiel que les acteurs économiques puissent bénéficier d’une garantie sans avoir à souscrire individuellement une assurance.
      • D’autre part, l’assurance pour compte évite la nécessité de conclure une multitude de contrats distincts, tout en garantissant une couverture homogène aux personnes concernées.
      • Enfin, en permettant d’assurer un bien au profit de son propriétaire effectif au moment du sinistre, l’assurance pour compte s’adapte à la réalité des échanges économiques et du commerce international.
  • L’assurance de groupe
    • L’assurance de groupe constitue une application particulièrement aboutie du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle repose sur une adhésion collective à une couverture assurantielle, organisée au profit d’un ensemble de bénéficiaires sans que ceux-ci aient nécessairement à conclure individuellement un contrat d’assurance.
    • Ce régime est expressément encadré par l’article L. 141-1 du Code des assurances, qui définit l’assurance de groupe comme celle souscrite par une personne morale (employeur, association, organisme professionnel, etc.) au bénéfice des membres d’un groupe déterminé, tels que les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une association.
    • Dans ce cadre, le souscripteur (employeur, association, institution professionnelle) contracte avec l’assureur en vue de garantir les risques pesant sur une pluralité de personnes.
    • Ces dernières, qualifiées de bénéficiaires, se voient ainsi reconnaître des droits à couverture assurantielle sans être parties directement au contrat initial, ce qui constitue l’essence même du mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a rapidement admis que l’assurance de groupe reposait sur une stipulation pour autrui, le souscripteur ayant vocation à stipuler des garanties au profit des adhérents du groupe.
    • Dès lors, ces derniers disposent d’un droit propre à l’égard de l’assureur, indépendamment de tout engagement contractuel personnel avec ce dernier.
    • Toutefois, la Cour de cassation a précisé que l’adhésion au contrat d’assurance de groupe emportait la création d’un lien contractuel direct entre l’adhérent et l’assureur (Cass. 1ere civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).
    • Cette solution s’explique par le fait que l’adhérent, bien que tiers lors de la formation initiale du contrat entre le souscripteur et l’assureur, devient par la suite partie au contrat d’assurance, dès lors qu’il adhère aux garanties qui lui sont ouvertes.
    • Cette particularité conduit à s’interroger sur la nature exacte du lien juridique unissant les différentes parties au contrat d’assurance de groupe.
    • Il convient d’opérer une distinction fondamentale entre les assurances de groupe facultatives et les assurances de groupe obligatoires, distinction qui a une incidence directe sur l’application de la stipulation pour autrui.
      • Dans les assurances de groupe facultatives, chaque membre du groupe concerné est libre de souscrire ou non à l’assurance collective. L’adhésion individuelle donne lieu à la conclusion d’un contrat d’assurance spécifique entre l’adhérent et l’assureur. Dans cette hypothèse, la qualification de stipulation pour autrui est exclue, puisque le bénéficiaire ne tire pas son droit d’un engagement pris par le souscripteur en sa faveur, mais bien d’un contrat personnel conclu avec l’assureur (Cass. 1ere civ., 9 mars 1983).
      • Dans les assurances de groupe obligatoires, en revanche, l’adhésion résulte automatiquement de l’appartenance au groupe (par exemple, les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une mutuelle professionnelle). Ici, l’adhérent ne signe pas individuellement un contrat avec l’assureur : c’est le souscripteur qui contracte avec l’assureur pour couvrir les tiers bénéficiaires. Dans cette configuration, la stipulation pour autrui trouve pleinement à s’appliquer : les bénéficiaires sont désignés dès la conclusion du contrat, et ils disposent d’un droit direct à l’indemnisation sans qu’ils aient à être parties prenantes au contrat initial. Cette analyse a été confirmée par la jurisprudence (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-13.712).
    • L’application de la stipulation pour autrui dans l’assurance de groupe entraîne plusieurs conséquences juridiques notables :
      • En premier lieu, dans une assurance de groupe obligatoire, le bénéficiaire ne tient pas son droit du souscripteur, mais directement de l’engagement de l’assureur. En d’autres termes, même si le souscripteur venait à se désengager ou à disparaître, l’adhérent conserverait ses droits, puisque ceux-ci sont autonomes et opposables à l’assureur.
      • En deuxième lieu, contrairement aux héritiers ou créanciers du souscripteur, qui pourraient prétendre à la remise en cause de certaines libéralités ou engagements, le droit du bénéficiaire d’une assurance de groupe est protégé. Ce dernier peut exiger l’exécution du contrat directement auprès de l’assureur, sans que la volonté du souscripteur puisse y faire obstacle.
      • En dernier lieu, l’un des intérêts majeurs de l’assurance de groupe est qu’elle garantit aux bénéficiaires une protection pérenne, indépendamment des éventuelles difficultés financières du souscripteur. Ainsi, dans le cadre des régimes de prévoyance collectifs, un employé couvert par une assurance de groupe bénéficie d’une protection assurantielle qui ne dépend pas de la solvabilité de son employeur.
    • Si l’assurance de groupe constitue un exemple institutionnalisé de la stipulation pour autrui, la doctrine s’est interrogée sur les limites de cette assimilation.
    • Certains auteurs ont souligné que, dans l’assurance de groupe facultative, l’adhérent devient partie au contrat, ce qui érode l’idée d’un droit conféré par une stipulation pour autrui.
    • En revanche, dans l’assurance de groupe obligatoire, la qualification de stipulation pour autrui ne souffre guère de contestation, car l’adhésion des bénéficiaires découle d’un engagement pris par un tiers (le souscripteur) à leur profit.
    • Ainsi, la jurisprudence continue de maintenir une distinction rigoureuse entre ces deux régimes, tout en assurant une protection accrue aux adhérents, conformément à l’objectif poursuivi par l’assurance collective.
  • Droit bancaire

Le droit bancaire offre de nombreux exemples d’application de la stipulation pour autrui. Ce mécanisme permet à une personne (le stipulant) de conclure un contrat avec un autre (le promettant) afin qu’un tiers (le bénéficiaire) puisse en tirer un droit direct. En d’autres termes, un contrat passé entre une banque et un client peut conférer des droits à une personne extérieure à ce contrat, sans qu’elle ait eu besoin de participer à sa conclusion.

Ce schéma se retrouve notamment dans les contrats de prêt, où l’emprunteur peut s’engager à rembourser une somme à un tiers plutôt qu’au prêteur initial, ou encore dans les contrats de crédit-bail, où le fournisseur du bien financé peut bénéficier directement d’un engagement du crédit-bailleur. Il apparaît aussi dans certains services bancaires, comme l’assurance invalidité souscrite par un emprunteur au bénéfice de sa banque, ou encore dans des situations où une entreprise de transport de fonds s’engage envers une banque à sécuriser l’acheminement des dépôts des clients.

  • Contrat de prêt
    • Le contrat de prêt constitue un cadre privilégié pour l’application de la stipulation pour autrui.
    • Dans ce contexte, l’emprunteur ne s’engage pas nécessairement à rembourser directement la banque ou l’organisme prêteur, mais peut être tenu de verser les sommes dues à un tiers désigné dans le contrat.
    • Ce mécanisme permet ainsi de conférer un droit direct au bénéficiaire, sans que celui-ci soit partie au contrat initial.
    • L’un des cas les plus typiques de stipulation pour autrui dans le cadre d’un prêt se rencontre lorsque l’emprunteur est tenu de rembourser non pas le prêteur lui-même, mais une personne expressément désignée comme bénéficiaire.
    • Cette situation a été reconnue par la Cour de cassation dans une affaire où un emprunteur s’était engagé à rembourser la somme prêtée non pas au prêteur, mais à l’épouse de ce dernier (Cass. 1re civ., 15 nov. 1978, n° 77-10.891).
    • Dans ce cas, l’épouse, bien qu’étrangère au contrat de prêt initial, a acquis un droit direct à réclamer le remboursement des sommes dues.
    • De même, une stipulation pour autrui peut être mise en œuvre lorsque l’acte de prêt prévoit que le remboursement s’effectuera directement entre l’emprunteur et un tiers désigné, par exemple un fournisseur ou un créancier du prêteur.
    • Le créancier initial ne joue alors qu’un rôle intermédiaire dans la mise en place de l’opération.
    • La stipulation pour autrui trouve également à s’appliquer dans le cadre des prêts assortis d’une hypothèque.
    • Il est possible, par exemple, que l’acte de prêt prévoie une obligation spécifique de l’emprunteur de libérer les lieux en cas de saisie et de vente de l’immeuble hypothéqué.
    • Cette obligation ne bénéficie pas directement au prêteur, mais à l’adjudicataire, qui devient ainsi bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Ainsi, dans une affaire portée devant la cour d’appel de Paris, un contrat de prêt hypothécaire stipulait que l’emprunteur devait laisser les lieux libres de toute occupation afin de permettre la vente sur saisie (CA Paris, 16? ch., 27 juin 1979).
    • Cette obligation profitait directement à l’acquéreur lors de la vente judiciaire, lequel pouvait dès lors se prévaloir de cette clause pour obtenir l’évacuation du bien. Dans cette hypothèse, l’adjudicataire bénéficie d’un droit propre découlant du contrat initial de prêt, même s’il n’était pas partie à celui-ci.
    • L’inclusion d’une stipulation pour autrui dans un contrat de prêt poursuit plusieurs objectifs :
      • Faciliter l’exécution des obligations : en prévoyant que le remboursement soit effectué directement entre l’emprunteur et un tiers bénéficiaire, on simplifie le circuit financier et on évite des transferts intermédiaires inutiles.
      • Sécuriser certaines opérations financières : par exemple, un créancier peut exiger qu’un prêt contracté par son débiteur soit directement remboursé à lui-même ou à une autre entité désignée, garantissant ainsi le bon déroulement de la transaction.
      • Préserver les intérêts des parties tierces : notamment dans les prêts hypothécaires, où les acheteurs ou adjudicataires peuvent se voir reconnaître des droits dès la conclusion du prêt initial.
  • Crédit-bail
    • Le contrat de crédit-bail donne fréquemment lieu à des stipulations pour autrui, tant en faveur du crédit-preneur que du fournisseur du matériel financé.
      • Stipulation en faveur du fournisseur: dans certains cas, le crédit-preneur ne verse pas directement les loyers au crédit-bailleur, mais au fournisseur du matériel, qui n’est pourtant pas partie au contrat initial.
      • Stipulation en faveur du crédit-preneur: il est également fréquent que le crédit-bailleur stipule, au profit du crédit-preneur, une garantie contractuelle du fournisseur, afin que ce dernier puisse directement agir contre lui en cas de défectuosité du bien loué (Cass. com., 15 mai 1979, n° 78-10.437). Dans cette hypothèse, le crédit-preneur acquiert ainsi un droit d’action propre contre le fournisseur, sans nécessiter une cession de créance.
      • Stipulation en faveur du crédit-bailleur: une autre configuration apparaît lorsque le fournisseur s’engage envers le crédit-bailleur à lui verser la valeur résiduelle du matériel en cas de non-levée de l’option d’achat par le crédit-preneur. Ici, la banque (crédit-bailleur) bénéficie directement d’un engagement pris dans un contrat auquel elle n’est pas partie.
  • Cautionnement
    • Le cautionnement bancaire constitue une autre illustration du recours à la stipulation pour autrui.
    • Ce mécanisme est particulièrement fréquent dans les relations économiques impliquant des garanties personnelles, notamment dans le cadre des groupements d’intérêt économique (GIE).
    • Dans certaines situations, le cautionnement ne bénéficie pas uniquement au créancier, mais également à des tiers qui ne sont pas directement parties au contrat de garantie.
    • C’est le cas lorsqu’un dirigeant de société se porte caution non seulement pour l’engagement de sa société, mais aussi pour les membres d’un GIE auquel elle appartient.
    • Dans cette hypothèse, les adhérents du GIE se trouvent bénéficiaires d’une stipulation pour autrui, en ce qu’ils acquièrent un droit propre contre la caution.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 novembre 1999, a confirmé cette analyse en consacrant l’irrévocabilité de l’engagement de la caution au profit des bénéficiaires de la stipulation pour autrui (Cass. com., 23 nov. 1999, n° 96-16.257).
    • Dans cette affaire, un dirigeant d’entreprise s’était porté caution pour garantir les engagements d’un GIE.
    • Par la suite, il a tenté de révoquer unilatéralement son engagement, en invoquant l’absence d’acceptation formelle des bénéficiaires.
    • Or, la Cour a rejeté cet argument, affirmant que :
      • La stipulation pour autrui confère aux bénéficiaires un droit propre et opposable à la caution ;
      • L’acceptation expresse des bénéficiaires n’est pas une condition de l’opposabilité de leur droit ;
      • L’engagement de la caution devient irrévocable dès la conclusion du contrat de cautionnement.
    • Dès lors, la caution ne peut se soustraire unilatéralement à son obligation, une fois celle-ci souscrite dans l’intérêt d’un tiers identifiable.
    • La qualification de stipulation pour autrui en matière de cautionnement bancaire présente des avantages significatifs, tant pour les créanciers que pour les bénéficiaires du cautionnement.
    • Tout d’abord, en reconnaissant aux membres du GIE un droit direct contre la caution, la stipulation pour autrui leur évite d’avoir à obtenir un nouvel engagement contractuel de la part de la caution.
    • Cette qualification renforce ainsi l’efficacité et la rapidité de mise en œuvre de la garantie, en offrant aux bénéficiaires une action immédiate contre la caution.
    • Ensuite, l’irrévocabilité de l’engagement de la caution assure une stabilité contractuelle, empêchant la caution de se rétracter au gré de ses intérêts.
    • Ainsi, les bénéficiaires sont protégés contre les risques de retrait unilatéral de la caution, ce qui est particulièrement crucial dans des structures économiques collaboratives comme les GIE ou les associations professionnelles.
    • Enfin, la finalité du cautionnement bancaire est précisément de garantir l’exécution d’une obligation en faveur du créancier ou de tiers spécifiquement désignés.
    • L’application de la stipulation pour autrui permet donc de sécuriser des engagements collectifs, notamment dans les relations interentreprises où plusieurs parties dépendent d’une même garantie.
  • Services bancaires
    • Le droit bancaire recourt fréquemment à la stipulation pour autrui, notamment dans le cadre des prestations de services impliquant des tiers.
    • Dans ces hypothèses, bien que le bénéficiaire ne soit pas directement partie au contrat, il en tire un droit propre et opposable au promettant.
    • Ce mécanisme permet ainsi d’offrir des garanties aux clients des établissements bancaires sans qu’ils aient à négocier individuellement ces engagements.
    • L’un des cas les plus emblématiques de l’application de la stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats de transport de fonds.
    • Lorsqu’une banque conclut un contrat avec une entreprise de transport spécialisé pour assurer l’acheminement sécurisé des fonds déposés par ses clients, ces derniers peuvent être considérés comme bénéficiaires d’une stipulation pour autrui.
    • La Cour de cassation a reconnu cette qualification dans un arrêt du 21 novembre 1978 (Cass. 1re civ., 21 nov. 1978, n°77-14.653), aux termes duquel elle a jugé que les clients de la banque bénéficiaient d’un droit propre à l’exécution de l’engagement pris par la société de transport.
    • Autrement dit, bien qu’ils ne soient pas signataires du contrat conclu entre la banque (stipulant) et la société de transport de fonds (promettant), ils pouvaient se prévaloir directement de l’obligation de transport sécurisé.
    • Cette solution repose sur une finalité économique : le contrat ayant été conclu dans l’intérêt direct des déposants, il était logique que ceux-ci puissent en exiger l’exécution en cas de manquement. L’obligation principale de la société de transport ne vise donc pas uniquement la banque contractante, mais aussi ses clients, qui se trouvent protégés contre les risques liés au transport des fonds.
    • Un autre exemple typique de stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats d’assurance invalidité souscrits en garantie d’un prêt bancaire.
    • Dans cette configuration, l’emprunteur souscrit une assurance invalidité, mais désigne la banque comme bénéficiaire en cas de survenance du risque couvert (invalidité empêchant le remboursement du prêt).
    • Dès lors, si l’assuré devient invalide, c’est l’assureur qui verse directement à la banque les sommes dues, lui permettant ainsi de récupérer son dû sans avoir à engager d’action contre l’emprunteur.
    • Ce schéma a été expressément reconnu comme une stipulation pour autrui par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2001 (Cass. com., 12 juin 2001, n° 98-19.873).
    • La Haute juridiction a considéré que la banque bénéficiait d’un droit direct à l’exécution du contrat d’assurance, bien qu’elle n’en soit pas partie, dès lors que l’assurance avait été souscrite dans son intérêt.
    • Cette qualification a des implications majeures :
      • La banque dispose d’un droit autonome contre l’assureur, sans avoir besoin de solliciter l’emprunteur pour le paiement.
      • L’assurance ne bénéficie pas directement à l’emprunteur, mais bien à son créancier, ce qui en fait une sûreté efficace pour les établissements prêteurs.
      • L’emprunteur n’a pas de lien contractuel avec l’assureur en ce qui concerne le versement de la prestation, ce qui évite toute intervention de sa part dans le processus d’indemnisation.
  • Droit des sociétés

La stipulation pour autrui trouve certaines applications en droit des sociétés, notamment dans le cadre des cessions de contrôle et des garanties de passif. Ce mécanisme, qui permet à une société cédée de se prévaloir directement d’un engagement contractuel conclu entre le cédant et le cessionnaire, répond à une nécessité économique et juridique impérieuse : assurer la pérennité financière de la société après son changement d’actionnaire majoritaire, en la protégeant contre des dettes antérieures à la cession.

Lorsqu’un cédant transfère le contrôle d’une société, il peut s’engager, par le biais d’une garantie de passif, à couvrir certaines dettes ou charges dont l’origine est antérieure à la cession. L’objectif est de préserver la valeur patrimoniale de l’entité cédée, en évitant que le cessionnaire ne découvre ultérieurement des engagements dissimulés ou sous-évalués lors de la négociation du prix de cession.

Dans certains cas, cet engagement est stipulé non pas uniquement au bénéfice du cessionnaire, mais également au profit de la société elle-même, qui est directement impactée par ces dettes. La stipulation pour autrui trouve alors sa pleine justification : le cédant fait promettre à l’acheteur ou s’engage lui-même à exécuter une obligation financière directement au profit de la société cédée, lui conférant ainsi un droit propre.

La jurisprudence a admis qu’une telle stipulation pour autrui pouvait conférer à la société cédée un droit direct à l’exécution de la garantie, indépendamment de l’action du cessionnaire. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que, lorsque l’acte de cession stipule une garantie du passif au profit de la société, celle-ci peut directement agir en exécution de la garantie et contraindre le cédant à prendre en charge les dettes concernées (Cass. com. 7 oct. 1997, n° 95-18.119).

Cette reconnaissance d’un droit autonome au profit de la société repose sur plusieurs considérations :

  • L’intérêt économique de la société : l’endettement d’une entreprise grève sa trésorerie, fragilise sa situation financière et peut compromettre son activité. En lui permettant de réclamer directement l’exécution de la garantie, la stipulation pour autrui renforce la sécurité juridique des opérations de cession.
  • L’indépendance des intérêts en présence : le cessionnaire et la société cédée, bien que liés par l’opération de transmission, poursuivent des intérêts distincts. La reconnaissance d’un droit propre à la société lui permet d’agir sans dépendre de l’initiative du cessionnaire, qui pourrait, pour des raisons stratégiques ou transactionnelles, renoncer à invoquer la garantie.
  • La cohérence avec le régime des obligations : en l’absence de stipulation pour autrui, le cessionnaire resterait le seul créancier du cédant. Or, il n’a pas toujours vocation à réinjecter dans la société les fonds obtenus au titre de la garantie de passif. La stipulation pour autrui permet d’assurer que la compensation financière profite directement à l’entité affectée par les dettes.

En pratique, il arrive que l’acte de cession ne mentionne pas expressément que la garantie est stipulée au profit de la société cédée. Dans ce cas, les tribunaux s’attachent à rechercher l’intention des parties, afin de déterminer si elles ont entendu conférer à la société un droit propre à l’exécution de la garantie. La Cour de cassation a ainsi admis qu’une stipulation pour autrui implicite pouvait être reconnue lorsque les circonstances révèlent une volonté claire d’avantager la société cédée (Cass. com. 19 déc. 1989, n°88-15.335).

Cette solution repose sur une lecture pragmatique du contrat, visant à éviter qu’une interprétation trop stricte du principe de l’effet relatif des conventions ne prive la société du bénéfice d’une protection pourtant manifestement prévue par les parties.

  • Droit des contrats

La stipulation pour autrui intervient dans divers contrats où elle assure la transmission efficace des obligations et l’articulation des intérêts entre plusieurs parties. Son utilisation se révèle particulièrement significative dans les contrats de construction, les marchés publics et les relations de travail, où elle concourt à sécuriser les engagements contractuels et à renforcer la protection des bénéficiaires.

  • Contrats de construction et marchés publics
    • Dans le cadre des marchés de travaux, la stipulation pour autrui intervient fréquemment afin d’assurer le paiement des sous-traitants, lesquels sont juridiquement distincts du maître d’ouvrage.
    • Cette utilisation du mécanisme est dictée par un double impératif : garantir la solvabilité des opérations de construction et protéger les sous-traitants contre les défaillances de l’entrepreneur principal.
    • Le schéma contractuel repose sur un engagement du maître d’ouvrage à faire promettre à l’entrepreneur principal (le promettant) de payer directement les sous-traitants (les bénéficiaires).
    • L’effet juridique en découle directement est clair: le sous-traitant acquiert un droit propre contre l’entrepreneur principal, qui lui permet d’agir directement contre lui en cas de non-paiement, sans devoir passer par le maître d’ouvrage.
    • En pratique, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui évite que les sous-traitants ne soient privés de recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal.
    • A cet égard, la Cour de cassation a consacré dans un arrêt du 29 novembre 1994 l’analyse selon laquelle une clause de paiement direct stipulée dans un contrat de travaux pouvait être qualifiée de stipulation pour autrui, conférant ainsi au fournisseur un droit propre à l’encontre du maître d’ouvrage (Cass. 1re civ, 29 nov. 1994, n° 92-15.783).
    • Dans cette affaire, un maître d’ouvrage avait conclu un marché à forfait avec un entrepreneur général pour la construction d’un bâtiment.
    • Le contrat stipulait que le maître d’ouvrage pouvait payer directement un fournisseur désigné pour certaines fournitures nécessaires à l’exécution des travaux.
    • Le fournisseur, ayant livré les matériaux, avait adressé ses factures au maître d’ouvrage. Toutefois, lorsque l’entrepreneur principal a abandonné le chantier, le fournisseur s’est trouvé privé de paiement et a assigné le maître d’ouvrage en règlement de sa créance.
    • La Cour d’appel avait rejeté cette demande, considérant que le fournisseur n’avait pas établi l’existence d’un contrat de vente entre lui et le maître d’ouvrage.
    • La Cour de cassation, au contraire, a jugé que la clause contractuelle prévoyant la possibilité d’un paiement direct au fournisseur devait être interprétée comme une stipulation pour autrui, en raison des éléments suivants :
      • L’existence d’une stipulation claire et expresse : la Cour de cassation a retenu que la clause du marché de travaux autorisant le maître d’ouvrage à régler directement le fournisseur exprimait la volonté des parties de conférer à ce dernier un droit propre contre le maître d’ouvrage.
      • La création d’un droit direct au profit du bénéficiaire : en vertu de cette stipulation pour autrui, le fournisseur n’était pas tributaire du seul entrepreneur principal pour obtenir son paiement ; il pouvait agir directement contre le maître d’ouvrage.
      • Une justification économique et une protection du sous-traitant : cette solution vise à éviter que les fournisseurs et sous-traitants ne soient privés de tout recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal. La clause de paiement direct leur assure une source de paiement alternative, limitant ainsi le risque d’impayés.
    • Toutefois, la Cour de cassation a également précisé que le maître d’ouvrage pouvait opposer au fournisseur les mêmes exceptions qu’il aurait pu soulever à l’encontre de l’entrepreneur principal.
    • Cette précision permet d’éviter que le fournisseur ne bénéficie d’un droit absolu au paiement, qui ferait abstraction des éventuelles causes d’inexécution du marché de travaux.
    • En définitive, cette décision illustre le rôle de la stipulation pour autrui comme mécanisme de sécurisation des paiements dans les marchés de travaux.
    • Dès lors qu’un contrat prévoit expressément qu’un tiers (le fournisseur) pourra être directement payé par une partie (le maître d’ouvrage), la jurisprudence reconnaît que ce tiers bénéficie d’un droit propre à l’exécution de la prestation promise.
    • Toutefois, en l’absence de clause expresse, les juges doivent rechercher si une telle stipulation peut être déduite de l’intention des parties, ce qui témoigne de la souplesse et de l’importance pratique de ce mécanisme contractuel.
  • Contrat de bail
    • Le bail constitue un terrain propice à l’intégration de stipulations pour autrui, dès lors que certaines clauses insérées dans le contrat confèrent des droits à des tiers non parties au bail.
    • Ce mécanisme, bien que relevant d’une construction juridique classique, a donné lieu à de nombreuses applications en jurisprudence, notamment en matière de charges imposées au preneur, de protection de tiers, et de clause de non-concurrence.
    • Il est fréquent qu’un bailleur insère dans le contrat de bail des obligations qui profitent directement à un tiers.
    • Dans ce cas, le preneur, bien qu’il ne soit pas directement lié à ce tiers par un rapport contractuel, se voit imposer une obligation dont l’exécution bénéficie à ce dernier.
    • Ainsi, la jurisprudence a reconnu l’existence d’une stipulation pour autrui dans les hypothèses suivantes :
      • Lorsqu’un propriétaire d’une exploitation viticole adhère à une coopérative et insère dans le bail de son locataire une clause prévoyant que ce dernier devra payer la cotisation due à cette coopérative. Ici, la société coopérative se trouve bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (CA Montpellier, 1re ch. B, 10 févr. 1993).
      • Lorsqu’un bail prévoit que le preneur devra payer directement aux architectes ou entrepreneurs une partie des travaux réalisés dans l’immeuble loué, ces derniers pouvant alors exiger directement leur paiement sur le fondement de la stipulation pour autrui (Cass. civ., 30 nov. 1948).
    • Dans ces hypothèses, le tiers bénéficiaire se voit reconnaître un droit propre à exiger l’exécution de l’obligation stipulée en sa faveur, indépendamment de la volonté du preneur. Ce dernier, en qualité de débiteur de l’obligation, ne peut en contester l’opposabilité dès lors que cette stipulation a été expressément prévue dans le contrat de bail.
    • Une autre application marquante de la stipulation pour autrui dans le domaine des baux commerciaux réside dans la clause de non-concurrence.
    • Cette clause, souvent insérée par un bailleur lorsqu’il loue plusieurs locaux à des exploitants distincts, vise à protéger les intérêts économiques d’un locataire contre l’installation d’un concurrent direct dans un autre local du même bailleur.
    • La jurisprudence a depuis longtemps admis qu’une clause de non-concurrence stipulée dans un bail commercial peut constituer une stipulation pour autrui en faveur du preneur voisin (Cass. 3e civ., 4 févr. 1986).
    • Ainsi, lorsque le bailleur consent successivement plusieurs baux commerciaux dans un même ensemble immobilier, il peut insérer dans ces baux des clauses interdisant l’exercice d’activités concurrentes dans un autre local.
    • Cette clause profite directement au locataire initial, qui peut ainsi se prévaloir d’un droit propre à l’encontre du second locataire, en exigeant le respect de la restriction d’activité prévue dans son bail.
    • L’intérêt de qualifier la clause de non-concurrence de stipulation pour autrui est double :
      • Le locataire bénéficiaire de la clause dispose d’un droit propre, qu’il peut invoquer en justice pour empêcher l’exercice de l’activité concurrente, même s’il n’est pas partie au bail conclu avec le second locataire.
      • Le second locataire est tenu à l’égard du premier, non pas en raison d’un rapport contractuel direct, mais en vertu de l’engagement souscrit par le bailleur. Dès lors, le non-respect de la clause peut donner lieu à des sanctions, telles que la résiliation du bail ou l’octroi de dommages et intérêts au profit du locataire lésé.
    • Cette analyse a également été retenue en matière d’adhésion obligatoire à une association de commerçants d’un centre commercial.
    • La Cour de cassation a ainsi reconnu que la clause obligeant un preneur à verser des cotisations à une association de commerçants constitue une stipulation pour autrui en faveur de ladite association, celle-ci pouvant directement exiger le paiement des cotisations dues par le preneur (Cass. 1ere civ., 31 mars 1992, n° 90-18.880).
  • Conventions collectives et contrats de travail
    • En droit social, la stipulation pour autrui joue un rôle significatif dans la protection des travailleurs, en leur conférant, dans certaines hypothèses, des droits directs issus de conventions collectives ou de contrats de travail conclus entre des tiers.
      • La stipulation pour autrui dans les conventions collectives
        • Les conventions collectives, conclues entre des organisations patronales et des syndicats de salariés, comportent souvent des dispositions stipulées au profit des salariés, leur conférant des droits qu’ils peuvent invoquer directement contre leur employeur ou des organismes tiers.
        • La Cour de cassation a reconnu, par exemple, que certaines clauses de conventions collectives pouvaient comporter des stipulations pour autrui en faveur des salariés, leur permettant d’agir directement contre leur employeur ou contre des institutions sociales en cas de non-respect des engagements conventionnels (Cass. Soc. 4 févr. 1981, n°78-41.008).
        • Cette qualification leur permet d’obtenir directement l’exécution des obligations issues de la convention, sans que cela ne requiert l’intervention du syndicat négociateur.
    • La stipulation pour autrui dans les contrats de travail
      • Le contrat de travail peut lui-même comporter des stipulations pour autrui au profit des salariés, notamment lorsqu’il prévoit des engagements à leur bénéfice pris par des tiers.
      • Un exemple marquant est celui des clauses de garantie d’emploi stipulées dans les contrats de travail en cas de transfert d’entreprise.
      • Lorsqu’un employeur s’engage, en cas de cession de son entreprise, à imposer au repreneur l’obligation de reprendre les salariés, cette stipulation est analysée comme une stipulation pour autrui.
      • A cet égard, la Cour de cassation a admis que lorsqu’un contrat de travail impose à un nouvel employeur de reprendre les salariés d’une entreprise en cas de transfert, cette clause constitue bien une stipulation pour autrui au profit des salariés concernés, qui peuvent alors s’en prévaloir directement (Cass. com. 14 mai 1979, n°77-15.865).
      • Cette solution présente un enjeu social majeur : elle garantit la continuité de l’emploi et protège les salariés contre les effets souvent brutaux des restructurations.
      • En leur conférant un droit propre, elle leur permet d’obtenir l’exécution de l’engagement pris à leur égard sans qu’ils aient à démontrer une quelconque transmission contractuelle de leur contrat de travail.
  • La stipulation pour autrui présumée

Si la stipulation pour autrui repose, en principe, sur l’expression expresse de la volonté contractuelle, la jurisprudence a, dans certaines circonstances exceptionnelles, présumé son existence afin d’assurer la protection des victimes.

Cette démarche, motivée par des considérations d’équité et de sécurité juridique, a principalement été développée en matière d’accidents de transport et dans le cadre de l’affaire du sang contaminé. Toutefois, la tendance actuelle de la Cour de cassation est au repli, celle-ci réaffirmant que la stipulation pour autrui ne saurait être admise en l’absence d’une clause explicite.

  • La protection des proches de victimes d’accidents de transport
    • La stipulation pour autrui a parfois été présumée par la jurisprudence afin de garantir une protection accrue aux proches de victimes d’accidents de transport.
    • Cette construction, forgée dans un souci d’efficacité juridique et de préservation des droits des tiers affectés par l’exécution du contrat de transport, a toutefois été abandonnée par la Cour de cassation, soucieuse de préserver la rigueur du principe de l’effet relatif des conventions.
    • L’un des arrêts fondateurs de cette approche prétorienne est rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 1932.
    • Dans cette décision, la Haute juridiction admet que le contrat conclu entre un passager et un transporteur peut implicitement contenir une stipulation pour autrui au profit des proches du voyageur.
    • Ce raisonnement permettait aux ayants droit de la victime d’un accident de transport de se prévaloir de la responsabilité contractuelle du transporteur, bien plus favorable que la responsabilité délictuelle.
    • En effet, cette dernière supposait la preuve d’une faute du transporteur, tandis que l’obligation de sécurité qui pesait sur ce dernier en matière contractuelle était de nature objective, offrant aux demandeurs une meilleure garantie d’indemnisation.
    • Cette solution reposait sur une lecture extensive du contrat de transport, assimilant implicitement les proches du passager à des bénéficiaires directs de l’engagement contractuel du transporteur.
    • Toutefois, cette construction a été critiquée par la doctrine, certains auteurs dénonçant une dérive consistant à dénaturer la stipulation pour autrui en la présumant là où elle ne correspondait pas aux volontés des parties.
    • Consciente des risques d’un tel raisonnement, la Cour de cassation a progressivement infléchi sa position.
    • Dans un arrêt du 28 octobre 2003, elle met fin à cette jurisprudence en affirmant que les proches d’une victime d’accident de transport ne peuvent invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur en l’absence d’une stipulation expresse en leur faveur (Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 00-18.794).
    • Cette décision marque un revirement notable, traduisant une volonté de la Haute juridiction de ne pas altérer la nature du contrat de transport et de cantonner la stipulation pour autrui à des hypothèses où elle résulte clairement de la volonté des parties.
    • Ce revirement s’explique également par l’évolution du droit de la responsabilité.
    • Lorsque la jurisprudence des années 1930 admettait la stipulation pour autrui implicite, la responsabilité objective du fait des choses n’était pas encore solidement implantée en droit français.
    • Il était alors plus avantageux pour les proches d’une victime d’invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur plutôt que d’agir sur le terrain de l’ancien article 1382 du Code civil (devenu art. 1240), lequel imposait la preuve d’une faute.
    • Or, avec la généralisation de la responsabilité objective du fait des choses et l’adoption de régimes spéciaux favorisant l’indemnisation des victimes d’accidents de transport, la nécessité de recourir à une stipulation pour autrui présumée a disparu.
    • En outre, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée avait conduit à des incohérences avec d’autres principes du droit des obligations, notamment la prohibition du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
    • La jurisprudence permettait aux proches d’une victime d’accident de renoncer à la stipulation pour autrui prétendument incluse dans le contrat de transport et d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle si cette dernière leur était plus favorable (Cass. 2e civ., 23 janv. 1959).
    • Cette faculté leur offrait un véritable droit d’option entre deux régimes de responsabilité, en contradiction avec la règle du non-cumul des responsabilités.
    • En mettant un terme à cette jurisprudence, la Cour de cassation a réaffirmé que les engagements contractuels ne sauraient être étendus au-delà de ce que les parties ont expressément convenu, tout en rétablissant la cohérence du droit de la responsabilité en matière d’accidents de transport.
    • Ainsi, bien que motivée à l’origine par une préoccupation de protection des victimes, la stipulation pour autrui présumée au profit des proches de passagers d’un transport a progressivement perdu sa raison d’être.
    • L’évolution du cadre juridique de la responsabilité des transporteurs a contribué à rendre ce mécanisme inutile, et la jurisprudence contemporaine s’attache désormais à exiger une volonté expresse du stipulant lorsqu’il entend conférer un droit à un tiers.
    • Cette évolution témoigne d’un retour à une application plus stricte du principe de l’effet relatif des conventions, évitant ainsi de faire de la stipulation pour autrui un instrument d’indemnisation artificiel.
  • L’affaire du sang contaminé : une présomption justifiée par l’intérêt des victimes
    • Une autre illustration marquante de la stipulation pour autrui présumée se rencontre dans l’affaire du sang contaminé.
    • La gravité du préjudice subi par les victimes de transfusions sanguines infectées par le VIH ou l’hépatite C a conduit la jurisprudence à rechercher un fondement juridique leur permettant d’obtenir réparation de manière efficace et rapide.
    • Dans cette perspective, elle s’est appuyée sur une décision antérieure (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954) qui avait déjà admis qu’un contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine pouvait contenir une stipulation pour autrui implicite en faveur des patients recevant des transfusions.
    • En reprenant cette solution, les juridictions ont considéré que les victimes de contamination transfusionnelle pouvaient se prévaloir d’un droit propre contre le centre de transfusion, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien contractuel direct avec celui-ci.
    • Cette construction permettait d’imputer aux centres de transfusion une obligation de sécurité de résultat, leur imposant de fournir un sang exempt de toute contamination (Cass 1ère civ., 14 nov. 1995, n°92-18.199).
    • L’objectif poursuivi était de soustraire les victimes aux exigences probatoires complexes du droit commun de la responsabilité, en leur permettant d’agir directement contre les organismes en charge de la collecte et de la distribution du sang.
    • Toutefois, à mesure que le droit de la responsabilité civile s’est adapté aux enjeux liés aux contaminations transfusionnelles, l’utilité de cette présomption jurisprudentielle s’est progressivement estompée.
    • Déjà avant l’intervention du législateur, la jurisprudence s’était inspirée de la directive européenne du 25 juillet 1985 pour permettre aux victimes par ricochet – notamment les ayants droit d’un patient décédé – d’invoquer le manquement de l’organisme de transfusion à son obligation de sécurité sans recourir à la stipulation pour autrui (Cass. 1ère civ., 13 févr. 2001, n°99-13.589).
    • La loi du 19 mai 1998 (art. 1245 et s. du Code civil) a parachevé cette évolution en instaurant un régime de responsabilité du fait des produits défectueux applicable aux produits de santé, rendant inutile le recours à une qualification contractuelle pour garantir l’indemnisation des victimes.
    • Dès lors, si la reconnaissance d’une stipulation pour autrui implicite a pu constituer une solution pragmatique dans un contexte d’urgence sanitaire, elle s’inscrivait avant tout dans une logique de protection des victimes.
    • L’évolution du droit positif et l’émergence de dispositifs d’indemnisation spécifiques ont cependant conduit la jurisprudence à restreindre l’usage de cette construction.
    • Aujourd’hui, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée repose sur une interprétation plus stricte, exigeant que la volonté de stipuler au profit d’un tiers résulte explicitement de l’acte.
    • Cette évolution traduit une volonté de ne pas instrumentaliser la stipulation pour autrui à des fins purement indemnitaires et de préserver l’équilibre contractuel en s’assurant que les obligations n’engagent que ceux qui les ont librement consenties.

I) Conditions

La stipulation pour autrui constitue une exception au principe de l’effet relatif des contrats, qui veut qu’un contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties qui l’ont conclu. Elle permet ainsi à une personne (le stipulant) de prévoir, dans un contrat conclu avec une autre personne (le promettant), qu’un tiers bénéficiaire pourra directement se prévaloir d’un droit issu de cet accord.

Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution repose sur une construction doctrinale et jurisprudentielle ancienne, qui a progressivement évolué pour s’affranchir de certaines limitations initialement imposées par la théorie contractuelle classique.

Pour être valable, la stipulation pour autrui doit réunir deux conditions essentielles :

  • Son caractère contractuel : elle ne peut exister sans un accord exprès entre le stipulant et le promettant visant à conférer un droit à un tiers.
  • La désignation du bénéficiaire : le tiers doit être déterminé ou, à défaut, déterminable au moment de l’exécution du contrat.

C’est l’existence de ces deux éléments qui permet au bénéficiaire d’opposer la stipulation au promettant et d’exercer le droit qui lui a été conféré.

A) Le caractère contractuel de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui puise son essence dans la volonté concertée du stipulant et du promettant, qui s’accordent expressément à conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce fondement contractuel, consacré par l’article 1205 du Code civil, implique que la stipulation ne saurait se déduire du silence des parties : elle requiert une manifestation de volonté non équivoque (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Longtemps perçue comme un mécanisme nécessairement accessoire à une obligation sous-jacente, la stipulation pour autrui s’est progressivement affranchie de cette exigence, au point d’acquérir une autonomie conceptuelle reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence. Ainsi, son existence n’est plus subordonnée à l’existence d’une prestation entre le stipulant et le promettant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967).

Dès lors, la stipulation pour autrui ne procède ni d’un impératif d’utilité pour le stipulant ni d’une relation sous-jacente entre les parties contractantes, mais exclusivement de l’engagement du promettant à l’égard du tiers, par la seule force de l’accord contractuel qui l’y oblige.

1. La volonté conjointe du stipulant et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers

La stipulation pour autrui trouve son assise dans l’accord concerté du stipulant et du promettant, lesquels manifestent une volonté expresse et non équivoque de conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce principe, désormais consacré par l’article 1205 du Code civil, constitue le fondement même de cette institution, en ce qu’il permet d’affranchir le bénéficiaire du principe de l’effet relatif des contrats.

a. Une volonté de créer un droit au profit d’un tiers

Loin de se déduire implicitement du contrat, la stipulation pour autrui exige une intention claire et indubitable des parties. Aussi, le principe selon lequel la stipulation pour autrui ne saurait se présumer est désormais bien établi en droit français. L’article 1205 du Code civil rappelle avec fermeté que la volonté de conférer un droit au tiers doit être clairement exprimée. La jurisprudence a réaffirmé cette exigence, en jugeant que l’intention des parties de créer une stipulation pour autrui devait être non équivoque et ne pouvait se déduire implicitement du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Cette exigence trouve sa justification dans la nature même de la stipulation pour autrui. Elle constitue en effet une dérogation au principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 C. civ.), qui dispose que les contrats ne créent d’obligations qu’entre les parties. Dès lors, il ne saurait être admis qu’un tiers puisse revendiquer un droit contractuel sans que cette conséquence ait été expressément voulue par le stipulant et le promettant.

Toutefois, si cette volonté conjointe est essentielle à la validité de la stipulation, l’analyse du mécanisme révèle une distinction à faire entre la création de la créance et son attribution au bénéficiaire.

  • La création de la créance trouve son origine dans l’accord entre le stipulant et le promettant. C’est cette rencontre des volontés qui génère une obligation nouvelle.
  • L’attribution de la créance au bénéficiaire, en revanche, repose sur la seule volonté du stipulant. Ce dernier agit ici unilatéralement, à l’instar d’un cédant dans une cession de créance, tandis que le promettant, assimilable au cédé, n’a pas à consentir à cette transmission (art. 1321, al. 4 C. civ.). Tout au plus doit-il être informé de celle-ci (C. civ., art. 1324, al. 1er).

La distinction entre ces deux étapes de l’opération trouve une illustration particulièrement évocatrice dans la jurisprudence relative à l’assurance pour compte. En effet, l’existence d’une telle stipulation repose exclusivement sur l’accord du souscripteur et de l’assureur, indépendamment de la volonté du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-21.363). À l’inverse, lorsque cet accord fait défaut ou demeure incertain, la stipulation ne saurait prospérer, ce qui conduit la jurisprudence à refuser la reconnaissance d’une assurance pour compte en l’absence d’une volonté suffisamment caractérisée en faveur du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 18-26.685 et 19-10.157).

Ainsi, plus encore que l’attribution de la créance au bénéficiaire, c’est bien la rencontre des volontés du stipulant et du promettant qui constitue le socle de la stipulation pour autrui. Loin d’être un mécanisme implicite, elle requiert une intention manifeste des parties, seule garante de la rigueur contractuelle et de la sécurité juridique de l’opération.

b. L’inopérance de l’exigence d’un intérêt du stipulant

Si l’existence d’une volonté claire est unanimement requise, la question de l’intérêt du stipulant dans l’opération a fait l’objet de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles.

Historiquement, la jurisprudence a conditionné la validité de la stipulation pour autrui à l’existence d’un intérêt du stipulant, qu’il soit moral ou patrimonial (Cass. civ. 16 janv. 1888). Cette approche reposait sur l’idée que le stipulant devait agir dans une finalité qui lui était propre et non dans une logique purement gratuite. En d’autres termes, la stipulation pour autrui n’était admise que si le stipulant trouvait un avantage dans l’opération.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu de sa pertinence, au point d’être qualifiée de « faux problème » par la doctrine. Des auteurs tels que Marty et Raynaud soutiennent que la seule volonté conjointe du stipulant et du promettant suffit à justifier la stipulation, indépendamment de toute considération d’intérêt propre du stipulant. L’intérêt du stipulant ne constitue pas une condition essentielle, dès lors que l’acte de stipulation repose sur une autonomie juridique propre.

La jurisprudence a suivi cette évolution en cessant progressivement de faire référence à l’intérêt du stipulant comme condition de validité de la stipulation pour autrui (Cass. com. 1er déc. 1975, n°74-13.788). Désormais, l’accord des parties constitue le seul fondement du mécanisme, sans que le stipulant ait à démontrer un quelconque avantage personnel.

L’ordonnance du 10 février 2016 a définitivement consacré l’autonomie de la stipulation pour autrui en supprimant toute référence à l’intérêt du stipulant dans le Code civil. Alors que l’ancien article 1121 imposait que la stipulation fût l’accessoire d’une obligation principale pesant sur le stipulant, cette exigence a été expressément abandonnée dans les nouvelles dispositions de l’article 1205.

Cet abandon marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient son efficacité. Désormais, ce mécanisme contractuel fonctionne librement, sans que l’on ait à s’interroger sur l’utilité du stipulant dans l’opération.

Ainsi, l’essence de la stipulation pour autrui ne réside pas dans l’intérêt du stipulant, mais bien dans la volonté conjointe de ce dernier et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers. Dès lors, l’accord des parties demeure le seul fondement de la stipulation, affranchi de toute exigence d’utilité ou d’intérêt personnel du stipulant.

2. L’abandon du caractère accessoire de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui a longtemps été conçue comme un mécanisme intrinsèquement lié à un engagement principal du stipulant. L’ancien article 1121 du Code civil consacrait cette approche, en posant comme condition de validité que la stipulation pour autrui fût l’accessoire d’une obligation du stipulant, lequel devait lui-même retirer un bénéfice de l’opération. En d’autres termes, la stipulation pour autrui ne pouvait prospérer que dans le cadre d’une convention où le stipulant trouvait un intérêt propre à conférer un avantage au tiers bénéficiaire.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu en pertinence, jusqu’à être entièrement abandonnée par la doctrine et la jurisprudence. Dès 1967, la Cour de cassation a marqué un tournant décisif en reconnaissant qu’une stipulation pour autrui pouvait exister indépendamment de toute obligation principale du stipulant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967). Cette décision opérait une rupture avec la conception traditionnelle du mécanisme en consacrant la pleine autonomie de la stipulation pour autrui, y compris dans l’hypothèse où le stipulant ne retirait aucun avantage personnel de l’engagement pris par le promettant.

Cette évolution s’est prolongée dans la jurisprudence contemporaine, notamment en matière d’assurance, où il a été jugé que la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, effectuée par voie testamentaire, n’avait pas à être portée à la connaissance de l’assureur pour être valide (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n°20-19.655). Cet arrêt illustre le fait que la stipulation pour autrui, loin d’être conditionnée par l’existence d’un engagement principal du stipulant, est un acte unilatéral attributif de créance, dont l’effet se déploie sans intervention nécessaire du promettant au moment de son exécution.

a. La remise en cause doctrinale de l’exigence d’accessoire

La doctrine, largement favorable à cette évolution, a souligné l’inanité d’une telle contrainte, qui limitait artificiellement la portée du mécanisme. M. Marty et M. Raynaud relèvent ainsi que « l’exigence d’accessoire constituait une entrave inutile à l’effectivité du procédé, sans fondement réel dans la logique contractuelle »[19].

Dans le même esprit, des auteurs comme Eugène Gaudemet[20], Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 et Guy Flattet[21] démontrent que rien dans la construction contractuelle ne justifiait que la stipulation pour autrui fût nécessairement subordonnée à une prestation du stipulant. Loin de constituer un principe essentiel, l’ancienne exigence d’accessoire apparaissait comme un dogme artificiel, entravant la souplesse du droit des obligations.

Cette critique a conduit à une inversion des perspectives : alors que la conception classique considérait que la stipulation pour autrui devait être l’accessoire d’une obligation du stipulant, certains auteurs ont soutenu que c’est, au contraire, la stipulation pour soi-même qui peut être reléguée à un rôle secondaire, le véritable moteur du mécanisme étant l’engagement du promettant envers le bénéficiaire. Cette analyse rejoint les observations de Georges Ripert et Jean Boulanger, selon lesquels « la stipulation pour autrui n’est pas une opération technique qui se suffise à elle-même. C’est un mécanisme juridique qui fonctionne à l’intérieur d’un contrat pour en diviser les effets »[22]. Dans le même sens, d’autres auteurs ont souligné que « ce n’est plus la stipulation pour autrui qui est accessoire à un engagement du stipulant, mais bien la stipulation pour soi-même qui l’accompagne qui peut être reléguée à un rôle secondaire »[23].

Par ailleurs, il a été démontré que la stipulation pour autrui s’apparente à un acte unilatéral du stipulant attribuant une créance au bénéficiaire, sans que l’accord du promettant ne soit requis à ce stade (art. 1321, al. 4 C. civ.). Dès lors, l’existence d’un contrat générateur de la créance demeure une condition préalable nécessaire, mais la stipulation elle-même n’a plus à s’inscrire dans un cadre accessoire.

b. La consécration de l’autonomie de la stipulation pour autrui

Cette évolution doctrinale et jurisprudentielle a finalement trouvé son aboutissement dans la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Les nouveaux articles 1205 et suivants du Code civil consacrent désormais l’autonomie de la stipulation pour autrui, sans exiger qu’elle s’inscrive dans un engagement principal du stipulant.

Désormais, la stipulation pour autrui est reconnue comme un acte distinct du contrat générateur de la créance, soumis aux conditions générales du droit des actes juridiques, notamment en matière de capacité (art. 1128 C. civ.). La jurisprudence récente a confirmé cette autonomie, en reconnaissant notamment qu’une stipulation pour autrui pouvait être implicite, dès lors qu’elle résultait de la volonté non équivoque des parties (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).

En définitive, l’abandon du caractère accessoire marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient sa portée. Elle confère à cette institution une autonomie renouvelée, lui permettant de s’adapter plus librement aux besoins des contractants et d’assurer une meilleure prévisibilité des droits du bénéficiaire. Ainsi affranchi de son ancrage traditionnel dans une obligation du stipulant, le mécanisme de la stipulation pour autrui acquiert une souplesse nouvelle, renforçant son efficacité en tant qu’outil de structuration des relations contractuelles.

B) Le tiers bénéficiaire de la stipulation

La stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Toutefois, pour que ce droit soit reconnu, encore faut-il que le bénéficiaire soit déterminé ou déterminable, qu’il accepte la stipulation, et qu’il puisse, dans certains cas, être tenu d’obligations corrélatives.

L’évolution de la jurisprudence et de la doctrine a progressivement affiné ces conditions, en conciliant la flexibilité contractuelle avec la nécessité de préserver la sécurité juridique. Loin d’être un simple spectateur du contrat, le bénéficiaire devient un acteur dont les droits et obligations doivent être précisément encadrés.

1. La désignation du bénéficiaire

a. L’exercice d’un pouvoir unilatéral du stipulant

L’identification du bénéficiaire est une pierre angulaire du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle conditionne l’attribution effective du droit conféré. Ce pouvoir appartient exclusivement au stipulant, seul habilité à attribuer à un tiers la créance qu’il détient contre le promettant. Il ne s’agit pas d’une simple prérogative, mais d’un droit discrétionnaire, corollaire du principe selon lequel la stipulation pour autrui confère au stipulant la maîtrise du droit né du contrat, lui permettant d’en disposer librement (art. 537 C. civ.). Dès lors, l’acte par lequel le stipulant désigne le bénéficiaire s’analyse en un acte unilatéral, qui modifie l’économie du contrat initial en déterminant la personne à laquelle la créance sera directement transmise[24].

L’effet de cette désignation est contraignant pour le promettant, lequel, à l’instar du débiteur dans une cession de créance (art. 1321 C. civ.) ou une indication de paiement (art. 1342-2, al. 1er C. civ.,), est tenu d’exécuter son obligation au profit du bénéficiaire désigné, sans qu’un consentement de sa part soit requis pour la validité de l’attribution (art. 1321, al. 4 C. civ.). Ainsi, la jurisprudence a refusé d’admettre comme bénéficiaire d’une assurance-décès une personne mentionnée de manière informelle par l’assureur dans un certificat d’adhésion partiellement complété, au motif que seule la volonté expresse du stipulant est de nature à conférer un droit direct au tiers (CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 23 juin 2005).

La désignation du bénéficiaire emporte un effet attributif immédiat, dont la nature varie selon le moment où elle intervient. Lorsque la stipulation est formulée dès l’origine, la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans jamais transiter par celui du stipulant (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151). À l’inverse, si la créance a préalablement existé dans le patrimoine du stipulant avant d’être attribuée, l’opération s’apparente davantage à une transmission. Toutefois, la stipulation pour autrui se distingue fondamentalement d’une cession de créance en ce que le bénéficiaire n’est pas l’ayant cause du stipulant : il n’hérite pas d’un droit préexistant, mais devient titulaire d’une créance qui prend naissance en sa faveur.

Ainsi, la désignation du bénéficiaire ne se réduit pas à une simple modalité du contrat : elle constitue l’acte fondateur par lequel le stipulant confère au tiers un droit direct contre le promettant, consacrant ainsi la vocation autonome de la stipulation pour autrui.

b. Moment et modalités de la désignation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui suppose que le bénéficiaire soit désigné par le stipulant au promettant (art. 1205, al. 2 C. civ). Toutefois, cette désignation ne doit pas nécessairement intervenir lors de la conclusion du contrat : elle peut être effectuée ultérieurement, sous réserve que le promettant ne s’y oppose pas. Cette possibilité découle du fait que l’attribution d’un droit au profit d’un tiers dépend exclusivement de la volonté du stipulant, lequel dispose d’une faculté de révocation tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la stipulation (Cass., ass. plén., 12 déc. 1986, n°84-17.867).

Ainsi, le stipulant conserve la liberté de modifier la désignation du bénéficiaire à tout moment, sous réserve des conditions posées par la loi ou par la nature du contrat. Par exemple, en matière d’assurance-vie, la jurisprudence a admis qu’un souscripteur puisse substituer un nouveau bénéficiaire à l’ancien par simple déclaration, sans que cela ne constitue une cession de créance (Cass. 1re civ., 10 juill. 1996, n° 94-18.733). Cette solution repose sur l’idée que le stipulant ne saurait céder un droit qui ne lui appartient pas, dès lors qu’il l’a fait naître directement au profit du bénéficiaire désigné.

En l’absence de désignation expresse, la créance issue de la stipulation pour autrui revient au stipulant lui-même ou, en cas de décès, à sa succession (art. L. 132-11 C. ass.). Cette solution, appliquée en matière d’assurance-vie, a valeur de principe général et s’étend à toutes les hypothèses de stipulation pour autrui. Il en résulte que tant que le bénéficiaire n’est pas formellement désigné, le droit demeure dans la sphère patrimoniale du stipulant, qui peut en disposer librement.

Si le bénéficiaire est désigné, il n’est pas nécessaire que celui-ci soit informé immédiatement de l’attribution du droit à son profit. L’acte attributif est en effet non réceptice par nature : la créance est transmise indépendamment de la connaissance qu’en a le bénéficiaire. Toutefois, cette situation change dès lors que le stipulant décide de notifier la stipulation au bénéficiaire : dans ce cas, la faculté de révocation disparaît, et toute modification ultérieure de la désignation du bénéficiaire requiert son consentement (art. 1207, al. 3 C. civ.).

c. Le bénéficiaire : un ayant cause particulier du stipulant

Le bénéficiaire de la stipulation pour autrui est traditionnellement qualifié d’ayant cause à titre particulier du stipulant. Son droit résulte directement de la volonté de ce dernier et s’exerce avec les caractères qui lui ont été conférés par le stipulant (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141). Cette qualification a des implications majeures, notamment en ce qui concerne la pérennité du droit du bénéficiaire : tant que la stipulation n’a pas été acceptée, le stipulant conserve la faculté de révoquer l’attribution ou de substituer un autre bénéficiaire. Cette possibilité de révocation souligne le fait que le droit direct du bénéficiaire ne naît que de la volonté du stipulant et demeure suspendu tant qu’il ne l’a pas accepté.

D’un point de vue économique, la stipulation pour autrui peut répondre à diverses causes objectives : elle peut être motivée par une intention libérale (donation), par une logique de financement (prêt) ou par un objectif d’exécution d’une obligation préexistante (paiement). Dans tous les cas, elle se réalise en deux temps : d’abord, l’attribution de la créance, puis, le cas échéant, la transformation de cette créance en somme d’argent par l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Qui peut être bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ?

  • Les parfaits étrangers (penitus extranei)
    • Il ne fait aucun doute qu’une stipulation pour autrui peut être faite au profit d’un tiers totalement étranger aux parties contractantes.
    • Un stipulant peut ainsi, sans difficulté, conférer un droit à une personne qui ne possède aucun lien de droit avec lui ou avec le promettant.
    • La doctrine et la jurisprudence admettent sans réserve cette faculté, considérant qu’elle ne rencontre aucun obstacle juridique ou logique.
    • Dans ce cas, l’engagement du promettant bénéficie directement à ce tiers, sans que celui-ci ait à justifier d’un lien antérieur avec le stipulant. Par exemple, en matière d’assurance, un souscripteur peut valablement stipuler au profit d’une fondation ou d’une œuvre caritative, alors même qu’aucun lien préexistant ne l’unissait à ces entités.
  • Les ayants cause à titre particulier
    • La stipulation pour autrui peut également être faite au profit des ayants cause à titre particulier du stipulant, c’est-à-dire des personnes qui reçoivent un droit précis et identifiable de sa part.
    • Ce cas est largement admis, car rien n’empêche un stipulant de transmettre à un tiers, en plus d’un droit direct, un droit accessoire contre le promettant.
    • Par exemple, lorsqu’un propriétaire vend un immeuble et impose à l’acquéreur une clause de non-concurrence en faveur du repreneur d’un fonds de commerce attenant, ce dernier devient bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Il détient ainsi un droit propre à faire respecter la clause, indépendamment du lien contractuel entre le vendeur et l’acheteur (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141).
  • Les ayants cause universels ou à titre universel (héritiers et successeurs)
    • Le cas des héritiers et ayants cause universels est plus complexe.
    • Traditionnellement, la jurisprudence a longtemps refusé d’admettre qu’un stipulant puisse stipuler pour ses héritiers, au motif que ces derniers recueillent déjà, par l’effet de la succession, les droits de leur auteur.
    • En d’autres termes, stipuler en faveur de ses héritiers reviendrait à se stipuler pour soi-même, ce qui viderait de son sens la stipulation pour autrui (Cass. Req. 15 juill. 1875, S. 1877. 1. 326).
    • Toutefois, cette position a évolué, notamment en matière d’assurance sur la vie.
    • L’article L. 132-8 du Code des assurances permet expressément de désigner comme bénéficiaires les héritiers de l’assuré.
    • Dans ce cas, leur droit naît du contrat d’assurance et non de la succession.
    • Ils ne recueillent donc pas un droit dérivé du défunt, mais un droit direct issu de la stipulation, ce qui les distingue des simples successeurs universels.
    • La jurisprudence a également validé des stipulations pour autrui au profit de certains héritiers seulement.
    • Si le stipulant choisit de conférer un droit à un héritier particulier sans que cette qualité n’ait d’incidence sur l’attribution du droit, alors la stipulation demeure valable.
    • Ainsi, un parent peut souscrire une assurance-vie au profit d’un seul de ses enfants sans que cette désignation soit assimilée à un pacte sur succession future prohibé (Cass., ch. réun., 28 avr. 1961, n°57.12.658).

2. La nécessité d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable

La stipulation pour autrui, pour produire ses effets, exige que le bénéficiaire soit soit déterminé ab initio, soit déterminable avec certitude au moment de l’exécution de la promesse. Cette exigence trouve sa justification dans la nécessité d’assurer la sécurité juridique des parties et d’éviter qu’un droit soit créé sans titulaire certain.

a. Un bénéficiaire nécessairement déterminable

La stipulation pour autrui ne saurait déployer ses effets qu’au bénéfice d’un titulaire précisément identifié ou, à défaut, rigoureusement déterminable au moment où la promesse est appelée à s’exécuter. Cette exigence, désormais consacrée par l’article 1205, alinéa 2, du Code civil, assure la sécurité juridique du mécanisme en prévenant toute incertitude quant à l’attribution des droits conférés. En ce sens, le texte prévoit que le bénéficiaire peut être « déterminé au moment de l’exécution de la promesse », consacrant ainsi une solution qui, longtemps débattue, s’est progressivement imposée en doctrine et en jurisprudence.

Historiquement, l’incertitude pesait sur la possibilité d’instituer un bénéficiaire non immédiatement désigné. Le principe classique, solidement ancré en droit des obligations, commande que tout rapport d’obligation suppose nécessairement un créancier identifiable, de sorte qu’un droit ne peut exister sans titulaire certain. Cette conception rigide semblait a priori exclure toute stipulation au profit d’un bénéficiaire non encore individualisé.

Toutefois, la jurisprudence a admis, par souci de pragmatisme, que la stipulation puisse viser une personne non déterminée au jour de la conclusion du contrat, dès lors qu’elle est susceptible d’être identifiée au moment où la promesse produit ses effets. Cette évolution s’explique par la nature même du mécanisme, qui repose sur un décalage temporel entre la formation du contrat initial et l’attribution effective du droit au bénéficiaire.

Ainsi, il est jugé que la stipulation peut être consentie au profit d’un bénéficiaire dont l’identité demeure incertaine au moment de la conclusion du contrat, mais qui sera nécessairement identifiable en fonction d’éléments objectifs prédéterminés. Ce principe a été consacré en matière d’assurance pour compte, où la Cour de cassation a reconnu qu’un contrat pouvait bénéficier à un créancier encore éventuel à la date de souscription (Cass. 1re civ., 7 oct. 1959).

La reconnaissance de bénéficiaires déterminables s’est traduite par l’admission de stipulations formulées en des termes généraux, dès lors qu’elles permettent d’identifier sans ambiguïté les personnes appelées à bénéficier de la promesse. C’est ainsi que la jurisprudence a validé des stipulations visant :

  • Les héritiers directs du stipulant (Cass. civ., 28 déc. 1927) : cette désignation implique que la qualité d’héritier, appréciée au jour du décès, permette d’identifier les bénéficiaires de manière certaine.
  • Les créanciers de la communauté conjugale (Cass. 1re civ., 18 avr. 1961) : ici, l’identité des bénéficiaires est déterminable à la date de dissolution du régime matrimonial, dès lors que la communauté a vocation à s’acquitter de ses dettes à l’égard de créanciers identifiés.
  • Les ouvriers et fournisseurs d’un entrepreneur (Cass. req., 4 nov. 1907) : lorsque la stipulation pour autrui est insérée dans un marché de travaux, elle peut bénéficier à des tiers dont l’identité ne sera connue qu’au fur et à mesure de l’exécution du marché.

Dans chacun de ces cas, bien que les bénéficiaires ne soient pas nommément désignés dès la conclusion du contrat, leur individualisation devient possible grâce aux critères objectifs définis dans la stipulation.

Si l’ordonnancement juridique admet que le bénéficiaire soit déterminable, encore faut-il que la stipulation repose sur des critères suffisamment précis pour permettre son identification. À défaut, l’attribution demeure juridiquement inefficace et la créance ne peut être revendiquée par quiconque.

Ainsi, une stipulation formulée en des termes trop vagues ou généraux serait nulle, faute de conférer un droit à un titulaire identifiable. Tel serait le cas, par exemple, d’une stipulation visant de manière imprécise « les pauvres d’une ville », sans qu’aucun élément ne permette d’individualiser les personnes concernées. En revanche, la jurisprudence a admis la validité d’une stipulation au profit des pauvres d’une commune, dès lors que ceux-ci étaient représentés par un bureau d’aide sociale (Cass. req., 13 juin 1877).

De même, la stipulation au profit d’une personne future ne peut être admise que si son existence, bien que différée, est prévisible avec certitude. C’est notamment le cas en matière d’assurance sur la vie, où la loi admet qu’un contrat puisse être souscrit au bénéfice d’enfants à naître, sous réserve qu’ils soient conçus au moment du décès de l’assuré (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.).

b. L’alternative en cas d’absence de bénéficiaire désigné

La stipulation pour autrui repose sur l’attribution d’un droit à un bénéficiaire clairement désigné ou, au moins, déterminable. À défaut, elle devient inopérante et n’a pas d’effet. Autrement dit, si personne ne peut être identifié comme bénéficiaire au moment où le contrat doit produire ses effets, le droit issu de la stipulation revient au stipulant lui-même.

Cette règle est particulièrement évidente en matière d’assurance-vie. Si le souscripteur n’a désigné aucun bénéficiaire, le capital assuré intègre automatiquement sa succession (art. L. 132-11 C. civ.). La jurisprudence applique cette solution à toutes les stipulations pour autrui: lorsqu’il n’y a pas de bénéficiaire désigné ou déterminable, le droit profite au stipulant ou, s’il est décédé, à ses héritiers (Cass. 1re civ., 16 févr. 1983, n° 81-16.715).

Un autre cas d’inefficacité de la stipulation se rencontre lorsque le bénéficiaire est incapable de recevoir le droit qui lui a été attribué. Par exemple, si une personne désignée ne remplit pas les conditions légales pour bénéficier du contrat, la stipulation est considérée comme inexistante, et l’obligation du promettant s’exécute directement au profit du stipulant.

Ainsi, pour que la stipulation pour autrui soit valable, il faut impérativement qu’un bénéficiaire puisse être identifié au moment où la prestation devient exigible.

==>Peut-on stipuler pour une personne qui n’existe pas encore ?

Pendant longtemps, la possibilité de désigner comme bénéficiaire une personne non encore existante a fait débat. L’argument principal contre cette idée était simple : un droit ne peut exister sans titulaire. Si la stipulation vise un bénéficiaire qui n’est pas encore né ou qui n’a pas encore d’existence juridique, cela reviendrait, selon certains auteurs, à créer un droit sans sujet, ce qui serait contraire aux principes du droit des obligations.

Cependant, cette vision a évolué. Il est désormais admis que le bénéficiaire peut être une personne qui n’existe pas encore au moment où le contrat est conclu, tant qu’il peut être déterminé lorsque la stipulation produit ses effets. Cette solution est consacrée par l’article 1205 du Code civil, qui prévoit que « le bénéficiaire peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse ».

Un exemple courant est celui de l’assurance-vie, où il est fréquent de prévoir que le capital reviendra aux enfants à naître du souscripteur (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.). La jurisprudence a également admis que des fondations non encore constituées puissent être désignées comme bénéficiaires, à condition que leur création intervienne avant l’exécution de la promesse (Cass. req., 7 mars 1893).

Ainsi, une stipulation pour autrui peut viser une personne qui n’existe pas encore, mais uniquement si elle est déterminable au moment où la prestation doit être effectuée. Ce principe permet d’assurer la validité de nombreuses opérations, tout en garantissant une sécurité juridique aux parties concernées.

3. La faculté de mettre une obligation à la charge du bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui repose fondamentalement sur l’idée d’un droit conféré au tiers bénéficiaire, elle n’exclut pas pour autant que celui-ci puisse se voir imposer une obligation en contrepartie de l’avantage qui lui est accordé. Cette perspective, qui s’éloigne de la conception purement libérale de la stipulation pour autrui, trouve son fondement tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, qui s’interroge sur les limites de cette évolution.

a. Une obligation conditionnée par l’acceptation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui diffère fondamentalement de la promesse pour autrui en ce qu’elle ne contraint pas nécessairement le bénéficiaire à une obligation. Néanmoins, la jurisprudence admet que le bénéficiaire puisse être tenu d’une charge ou d’une contrepartie, à condition qu’il accepte expressément la stipulation pour autrui (Cass. 1re civ., 8 déc. 1987, n°85-11.769).

Cette approche se justifie par le fait que la stipulation pour autrui repose sur une logique contractuelle. En conséquence, il est envisageable que le bénéficiaire, en exerçant le droit qui lui est conféré, adhère implicitement ou explicitement aux obligations qui l’accompagnent. Toutefois, ces obligations ne sauraient lui être imposées de manière unilatérale : elles ne deviennent opposables qu’au moment où il accepte la stipulation.

b. L’exemple de l’assurance de groupe

Le domaine des assurances illustre parfaitement ce mécanisme. Dans le cadre d’un contrat d’assurance de groupe, l’adhérent – bénéficiaire de la couverture assurantielle – est tenu de s’acquitter des primes en contrepartie des garanties qui lui sont offertes. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’adhérent à un contrat d’assurance de groupe, bien que n’ayant pas directement négocié la stipulation, était tenu de respecter les obligations qui en découlaient, notamment le paiement des cotisations (Cass. 1ère civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

Cette décision témoigne de la reconnaissance d’un équilibre contractuel au sein de la stipulation pour autrui : si le bénéficiaire souhaite se prévaloir du droit qui lui est conféré, il doit en assumer les charges qui en découlent.

c. Une remise en question de la nature même de la stipulation pour autrui ?

L’admission d’une obligation à la charge du bénéficiaire soulève toutefois une interrogation fondamentale : ne transforme-t-elle pas la stipulation pour autrui en un contrat pour autrui ? Un auteur soutient que dès lors que le bénéficiaire est simultanément créancier et débiteur du promettant, la stipulation pour autrui perd de sa spécificité et s’apparente davantage à un mécanisme contractuel classique[25].

Cette analyse repose sur une distinction essentielle : dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire acquiert un droit par la seule volonté du stipulant, tandis que dans un contrat pour autrui, il devient directement partie à une relation contractuelle impliquant des obligations réciproques. Ainsi, si le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ne peut jouir du droit qui lui est conféré qu’en contrepartie d’une charge déterminée, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence du maintien de la qualification initiale.

En dépit de ces évolutions, la jurisprudence demeure vigilante quant à la préservation du caractère fondamental de la stipulation pour autrui. Si elle admet que le bénéficiaire puisse se voir imposer une obligation, c’est uniquement à la condition qu’il en ait accepté la charge et que celle-ci ne remette pas en cause l’essence même de l’institution.

En définitive, la possibilité d’imposer une obligation au bénéficiaire témoigne d’une évolution pragmatique du droit des contrats, visant à concilier souplesse et équilibre contractuel. Elle confirme que la stipulation pour autrui, loin d’être un mécanisme rigide, s’adapte aux réalités économiques et aux exigences de la pratique contractuelle, tout en préservant son fondement premier : l’octroi d’un droit au profit d’un tiers, voulu par le stipulant et accepté par le promettant.

II) Effets

La stipulation pour autrui, en introduisant un tiers bénéficiaire dans un rapport contractuel auquel il n’a pas pris part, s’affranchit du principe de l’effet relatif des contrats. Ce mécanisme confère à ce tiers un droit direct à l’encontre du promettant, tandis que le stipulant demeure l’architecte de cette attribution. Dès lors, les effets de la stipulation ne se limitent pas à la seule relation entre le stipulant et le promettant : ils s’étendent également aux liens qu’ils entretiennent avec le bénéficiaire, chacun jouant un rôle distinct dans l’équilibre de l’opération.

Ainsi, trois rapports juridiques se superposent tout en conservant leur autonomie : d’abord, la relation contractuelle initiale entre le stipulant et le promettant, qui constitue le fondement même de la stipulation ; ensuite, le lien qui s’établit entre le promettant et le bénéficiaire, ce dernier pouvant revendiquer l’exécution de la prestation convenue ; enfin, la relation entre le stipulant et le bénéficiaire, qui peut soulever des interrogations quant à la nature et aux limites des droits que ce dernier tient de la stipulation.

Il convient donc d’examiner successivement ces trois séries d’effets, afin de mieux saisir la portée et l’articulation des obligations nées de la stipulation pour autrui.

A) Les effets de la stipulation dans les rapports entre le stipulant et le promettant

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre contre le promettant, elle n’épuise pas pour autant les droits du stipulant, qui demeure lié contractuellement au promettant. Ce dernier, bien que tenu d’exécuter une obligation au profit d’un tiers, reste en rapport direct avec le stipulant, dont il tire l’obligation principale. La relation entre ces deux parties repose ainsi sur une articulation délicate entre l’engagement souscrit envers le bénéficiaire et les droits que le stipulant conserve du fait du contrat dont est issue la stipulation.

1. L’existence d’un droit propre du stipulant à l’égard du promettant

Le stipulant, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation pour autrui, conserve des droits propres à l’encontre du promettant, distincts de ceux conférés au bénéficiaire. Ces prérogatives trouvent leur source dans un double fondement : d’une part, le contrat conclu entre le stipulant et le promettant, qui régit leurs relations et leur confère des droits et obligations réciproques ; d’autre part, la stipulation elle-même, qui, bien qu’ayant pour finalité l’octroi d’un avantage à un tiers, ne prive pas le stipulant de toute maîtrise sur l’exécution de l’engagement souscrit par le promettant.

Ainsi, la stipulation pour autrui, loin d’anéantir les droits du stipulant, lui confère, au contraire, la possibilité d’exiger du promettant qu’il s’exécute conformément aux engagements contractuellement souscrits. Le stipulant demeure ainsi un acteur central de l’opération, disposant d’un droit propre à veiller à l’effectivité de la prestation due au bénéficiaire et, en cas d’inexécution, à en tirer toutes les conséquences juridiques.

Toutefois, la coexistence entre le droit du stipulant et celui du bénéficiaire n’est pas absolue et peut, dans certaines configurations, se trouver résorbée au profit du seul droit du bénéficiaire. Cette absorption intervient notamment lorsque l’objet du contrat consiste exclusivement à faire bénéficier un tiers d’une prestation, à l’exclusion de toute créance résiduelle du stipulant contre le promettant.

Tel est le cas, par exemple, dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie souscrit au profit d’un tiers : dès lors que l’assureur s’engage exclusivement à verser un capital au bénéficiaire, le souscripteur de l’assurance n’a plus, à l’égard de l’assureur, aucun droit propre lui permettant d’interférer dans l’exécution de l’engagement pris. Il en va de même lorsqu’un contrat de vente prévoit que le prix sera réglé directement entre les mains d’un tiers, que ce soit sous forme de rente viagère ou de capital payable en une seule fois : le droit du bénéficiaire à percevoir la somme convenue vient, en quelque sorte, supplanter et éteindre toute créance que le stipulant aurait pu initialement détenir à l’encontre du promettant.

Dans ces hypothèses, le stipulant se trouve privé de toute action propre contre le promettant et ne peut en aucun cas contester la transmission du droit au bénéficiaire. L’opération, une fois conclue, se referme sur elle-même : le stipulant disparaît de l’équation juridique, ne laissant subsister qu’une relation directe entre le bénéficiaire et le promettant.

Dans la plupart des cas, toutefois, le droit du stipulant demeure distinct de celui du bénéficiaire, ce qui soulève la question de l’articulation entre ces deux prérogatives. En effet, bien que le bénéficiaire puisse faire valoir un droit propre à l’encontre du promettant, ce dernier n’en devient pas pour autant son cocontractant direct au sens strict du terme : il reste tenu en vertu d’un engagement pris à l’égard du stipulant, qui demeure la source même de son obligation.

Dès lors, si le bénéficiaire est en droit d’exiger du promettant l’exécution de la stipulation, il ne saurait, en revanche, se prévaloir de moyens d’action propres aux parties au contrat générateur de la stipulation, tels que :

  • Les actions en nullité du contrat : seul le stipulant, en sa qualité de contractant, peut contester la validité du contrat ayant donné naissance à la stipulation. Ainsi, si le contrat est frappé de nullité pour un vice du consentement ou pour une cause illicite, le bénéficiaire ne pourra pas s’en prévaloir pour remettre en cause son droit. Cette incapacité tient au fait que les actions en nullité appartiennent aux parties contractantes et non aux tiers bénéficiant des effets d’un contrat.
  • Les actions en résolution pour inexécution des obligations contractuelles : si le promettant manque à ses engagements, le bénéficiaire ne peut, à lui seul, solliciter la résolution du contrat, car il ne détient pas la qualité de cocontractant. Cette prérogative demeure entre les mains du stipulant, qui, en tant que partie originelle au contrat, peut en poursuivre l’anéantissement en cas d’inexécution par le promettant.

Ainsi, malgré l’acquisition d’un droit propre par le bénéficiaire, la stipulation pour autrui ne le place pas sur un pied d’égalité avec le stipulant quant aux actions pouvant être exercées contre le promettant. Il en résulte que le stipulant, même après l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire, conserve un droit autonome, lui permettant d’intervenir dans l’exécution de l’engagement pris par le promettant.

Toutefois, l’exercice des droits du stipulant ne saurait être absolu et doit s’articuler avec le principe d’indépendance du droit du bénéficiaire une fois l’acceptation intervenue. En effet, si le stipulant conserve la faculté d’agir en nullité ou en résolution du contrat générateur de la stipulation, ces actions ne sauraient être mises en œuvre sans prendre en compte les effets qu’elles produisent à l’égard du bénéficiaire.

Lorsque la stipulation a été acceptée, son irrévocabilité empêche en principe le stipulant d’en anéantir les effets de manière unilatérale. Ainsi, si une action en nullité ou en résolution est engagée par le stipulant, il conviendra de distinguer selon que le bénéficiaire a été mis en cause dans la procédure ou non :

  • Si le bénéficiaire est partie au litige, la nullité ou la résolution prononcée lui est opposable et anéantit son droit. Dès lors, la disparition du contrat entraîne celle de la stipulation, dans un effet rétroactif global.
  • Si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il pourra contester l’opposabilité de la décision et faire valoir que la résolution ne saurait lui être appliquée, faute d’avoir pu défendre ses intérêts. Dans cette hypothèse, la nullité ou la résolution sera inopposable au bénéficiaire, qui pourra toujours exiger du promettant l’exécution de la stipulation.

Ce mécanisme illustre la complexité des interactions entre le stipulant et le promettant dans le cadre d’une stipulation pour autrui. Si le stipulant reste maître du contrat générateur, il ne peut ignorer que la stipulation qu’il a instituée crée un droit au profit du bénéficiaire, lequel tend à s’émanciper progressivement du cadre contractuel initial.

2. Les voies de droit ouvertes au stipulant en cas d’inexécution du promettant

Si la stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire à l’égard du promettant, elle ne prive pas pour autant le stipulant de tout recours en cas de défaillance de ce dernier. En tant que cocontractant du promettant, le stipulant demeure en effet investi d’un pouvoir d’action autonome, lui permettant d’assurer la mise en œuvre effective de la stipulation et de garantir le respect des engagements souscrits.

Ainsi, lorsqu’un manquement du promettant est constaté, trois voies de droit s’ouvrent au stipulant :

a. L’action en exécution de l’obligation souscrite par le promettant

Le stipulant, bien qu’il ne soit pas lui-même créancier direct de la prestation due au bénéficiaire, conserve la faculté d’exiger du promettant l’exécution de ses engagements. Cette prérogative repose sur le lien contractuel qui unit le stipulant et le promettant, en vertu duquel ce dernier s’est engagé à accomplir une prestation au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence admet ainsi que le stipulant dispose d’un droit d’action en exécution forcée, lui permettant de contraindre le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire. Ce droit existe indépendamment de l’initiative du bénéficiaire : le stipulant peut agir, même si le bénéficiaire n’a pas encore exercé son propre recours contre le promettant. L’action du stipulant trouve sa justification dans l’intention même qui a présidé à la stipulation : il s’agit pour lui de garantir que l’engagement pris par le promettant au profit du tiers sera effectivement respecté.

Cette action en exécution peut revêtir plusieurs formes :

  • L’exécution forcée en nature: si l’obligation du promettant est encore susceptible d’être exécutée, le stipulant pourra demander au juge d’en ordonner l’exécution, le cas échéant sous astreinte. Cette solution s’impose notamment lorsque la prestation convenue revêt un caractère spécifique ou personnalisé, rendant une indemnisation pécuniaire insuffisante.
  • L’octroi de dommages-intérêts: lorsque l’exécution en nature est impossible ou manifestement disproportionnée, le stipulant pourra obtenir une indemnisation destinée à réparer l’inexécution de l’obligation contractuelle.

Ainsi, même si le bénéficiaire est titulaire d’un droit propre contre le promettant, la stipulation pour autrui ne dépossède pas le stipulant de son pouvoir d’intervention. Il conserve un intérêt légitime à veiller à l’exécution des engagements souscrits et peut, en conséquence, agir contre le promettant pour garantir l’effectivité de la stipulation.

b. L’action en résolution du contrat pour inexécution du promettant

Lorsqu’un contrat est créateur d’une stipulation pour autrui, il est admis que le stipulant puisse en solliciter la résolution en cas d’inexécution par le promettant. Cette faculté repose sur un principe fondamental : la stipulation pour autrui ne saurait subsister si le contrat dont elle est issue disparaît.

Ainsi, si le promettant manque à ses obligations à l’égard du bénéficiaire, le stipulant peut saisir le juge afin d’obtenir l’anéantissement rétroactif du contrat. Cette solution est largement consacrée par la jurisprudence, qui considère que le stipulant, en sa qualité de partie contractante, demeure en droit d’invoquer la résolution du contrat principal, même lorsque cette inexécution concerne exclusivement la prestation due au bénéficiaire.

Toutefois, le principe d’irrévocabilité de la stipulation après acceptation par le bénéficiaire vient tempérer ce pouvoir. En effet, une fois l’acceptation intervenue, la stipulation pour autrui acquiert une autonomie qui la protège d’une remise en cause arbitraire par le stipulant. La résolution du contrat devient alors plus délicate à obtenir et suppose un équilibre entre :

  • Le principe de l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, qui empêche le stipulant de remettre en cause la stipulation de manière unilatérale après acceptation ;
  • Le principe de dépendance du droit du bénéficiaire vis-à-vis du contrat dont il est issu, qui implique que la disparition du contrat entraîne logiquement celle de la stipulation.

Dès lors, si le bénéficiaire a accepté la stipulation, la résolution ne lui sera opposable que s’il a été mis en cause dans la procédure, conformément aux principes de l’autorité relative de la chose jugée. En revanche, en l’absence d’acceptation, la résolution s’impose naturellement, l’engagement du promettant envers le bénéficiaire trouvant exclusivement sa source dans le contrat initial.

Ainsi, l’action en résolution constitue une voie de droit essentielle pour le stipulant : elle lui permet d’exercer un contrôle sur la pérennité de la stipulation et de préserver ses intérêts en cas de défaillance du promettant.

c. L’action en responsabilité contractuelle pour obtenir des dommages-intérêts

Enfin, le stipulant peut solliciter une réparation pécuniaire lorsque l’inexécution du promettant lui cause un préjudice personnel. En effet, l’inexécution de la stipulation pour autrui ne saurait être neutre pour le stipulant : selon les circonstances, elle peut entraîner une atteinte à ses propres droits ou lui occasionner une perte financière.

L’action en responsabilité contractuelle du stipulant contre le promettant est susceptible d’intervenir dans deux situations:

  • Lorsque l’exécution de la stipulation conditionne une contrepartie due par le promettant. Tel est le cas, par exemple, lorsque le stipulant a prévu une prestation au profit du bénéficiaire en contrepartie d’une obligation réciproque du promettant. L’inexécution prive alors le stipulant de l’équilibre contractuel qu’il avait initialement recherché, justifiant ainsi une demande d’indemnisation.
  • Lorsque l’inexécution cause un préjudice propre au stipulant. L’absence d’exécution de la stipulation peut avoir des conséquences dommageables pour le stipulant lui-même, indépendamment des droits du bénéficiaire. Par exemple, si le stipulant avait un intérêt financier ou moral à voir la stipulation exécutée, il pourra prétendre à la réparation du préjudice subi.

Dans ces hypothèses, le stipulant peut solliciter l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en démontrant :

  • Une inexécution imputable au promettant ;
  • Un préjudice personnellement subi ;
  • Un lien de causalité direct entre cette inexécution et son dommage.

Ainsi, le stipulant, loin d’être un simple intermédiaire passif dans l’opération de stipulation pour autrui, demeure pleinement investi d’un pouvoir d’action à l’égard du promettant.

3. L’incidence de la résolution du contrat sur les droits du bénéficiaire

La résolution du contrat créateur de la stipulation pour autrui soulève une question quant au sort du droit acquis par le bénéficiaire. En principe, l’anéantissement du contrat entraîne l’extinction de toutes les obligations qui en découlent, y compris celles résultant de la stipulation. Toutefois, lorsque le bénéficiaire a déjà accepté la stipulation, la situation se complexifie, suscitant une controverse doctrinale quant à la préservation ou à l’anéantissement de son droit.

a. Les thèses doctrinales

Deux approches doctrinales s’affrontent sur la question du maintien des droits du bénéficiaire après la résolution du contrat support :

  • L’autonomie du droit du bénéficiaire
    • Certains auteurs considèrent que, dès lors que le bénéficiaire a accepté la stipulation, son droit acquiert une autonomie qui le protège des aléas du contrat générateur.
    • Cette position repose sur le principe de l’irrévocabilité de la stipulation après acceptation, consacrée par l’article 1206, alinéa 3, du Code civil. L’idée sous-jacente est que le bénéficiaire ne saurait subir les conséquences d’un différend entre le stipulant et le promettant auquel il est étranger.
    • Ainsi, même en cas de résolution du contrat principal, la stipulation pour autrui perdurerait, contraignant le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire.
  • Le caractère accessoire du droit du bénéficiaire
    • À l’inverse, une autre partie de la doctrine soutient que le droit du bénéficiaire est intrinsèquement lié au contrat générateur de la stipulation, dont il constitue un accessoire.
    • Dans cette logique, la disparition du contrat principal emporte nécessairement l’extinction du droit du bénéficiaire, conformément au principe selon lequel l’accessoire suit le sort du principal.
    • Cette position repose sur une lecture rigoureuse du mécanisme de la stipulation pour autrui : le promettant ne s’engage pas directement envers le bénéficiaire, mais seulement en exécution d’une obligation contractuelle souscrite à l’égard du stipulant.
    • L’anéantissement de cette obligation contractuelle par voie de résolution priverait donc le bénéficiaire de tout fondement juridique pour réclamer l’exécution de la stipulation.

b. La solution jurisprudentielle

Face aux divergences doctrinales quant aux effets de la résolution du contrat générateur de la stipulation pour autrui, la jurisprudence a adopté une solution intermédiaire, conciliant l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire avec la nécessité de préserver la cohérence contractuelle.

Cette position repose sur un critère déterminant : la mise en cause ou non du bénéficiaire dans l’instance en résolution. Deux situations doivent ainsi être distinguées.

==>La mise en cause du bénéficiaire dans l’instance en résolution : l’extinction de ses droits

Lorsqu’un litige survient entre le stipulant et le promettant et que la résolution du contrat est sollicitée, la jurisprudence exige que le bénéficiaire soit mis en cause dans l’instance. Cette exigence repose sur le principe de l’autorité relative de la chose jugée : un jugement ne saurait affecter les droits d’un tiers qui n’a pas été partie au litige.

Ainsi, si le bénéficiaire est appelé à la procédure, il a la possibilité de faire valoir ses arguments et de défendre son droit avant que le contrat ne soit anéanti. En pareille hypothèse, la résolution lui devient opposable et entraîne l’extinction de la stipulation pour autrui, dans la mesure où son fondement juridique disparaît.

Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 1888 (Req., 6 juin 1888) aux termes duquel elle a jugé que la résolution prononcée en présence du bénéficiaire mettait fin à ses droits contre le promettant. La solution a été réaffirmée plus récemment dans des décisions portant sur la révocation de donations avec charges, lesquelles s’analysent en stipulations pour autrui (V. Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

==>L’absence de mise en cause du bénéficiaire : la survie de la stipulation

En revanche, si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il conserve son droit contre le promettant, qui ne pourra lui opposer la résolution du contrat principal. Dans ce cas, la stipulation survit à l’anéantissement du contrat, créant ainsi une obligation autonome du promettant envers le bénéficiaire.

Cette solution trouve son fondement dans l’idée qu’un tiers ne saurait être privé d’un droit dont il n’a pas eu l’opportunité de contester l’anéantissement devant un juge. Elle permet de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire, en évitant qu’il ne soit soudainement privé de son droit sans avoir pu intervenir à la procédure.

La Cour de cassation a consacré cette approche dans un arrêt du 22 avril 1909 (Req., 22 avr. 1909, S. 1909, 1. 349), en refusant d’opposer la résolution du contrat au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui qui n’avait pas été appelé à l’instance. Plus récemment, dans une affaire concernant l’assurance vie, elle a jugé que l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire créait un droit autonome, susceptible de survivre à la disparition du contrat initial (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n° 00-21.271).

==>Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée

Lorsque la résolution du contrat ne peut être opposée au bénéficiaire, le promettant demeure tenu d’exécuter la stipulation, mais il conserve un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours lui permet d’obtenir réparation du préjudice causé par l’exécution forcée d’une obligation qui aurait normalement dû disparaître avec le contrat initial.

La jurisprudence a confirmé que, dans une telle hypothèse, le promettant pouvait exercer une action en répétition des sommes versées (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n° 97-20.040), ainsi qu’un recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant s’il établissait un préjudice résultant de cette situation (Cass. com., 14 mai 1979, n°77-15.865).

4. Les recours dont dispose le promettant contre le stipulant aux fins d’exécution de ses obligations

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct contre le promettant, elle ne réduit pas ce dernier à une position de simple débiteur passif, entièrement tributaire de la volonté du stipulant. En effet, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation, le promettant conserve des voies de recours contre le stipulant, notamment lorsque ce dernier manque à ses propres engagements.

Ces recours revêtent une importance particulière dans le cadre d’un contrat synallagmatique, où l’obligation du promettant envers le bénéficiaire trouve sa contrepartie dans une prestation due par le stipulant. En ce sens, deux grandes catégories de recours sont ouvertes au promettant :

  • L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions issues du contrat principal
  • Le recours en restitution contre le stipulant en cas d’exécution contrainte de la stipulation

a. L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions tirées du contrat principal

Bien qu’il soit tenu d’une obligation à l’égard du bénéficiaire, le promettant conserve la possibilité d’invoquer des exceptions tirées du contrat conclu avec le stipulant. Ces exceptions lui permettent de suspendre ou de refuser l’exécution de l’obligation stipulée lorsque le contrat générateur n’est pas exécuté dans les conditions prévues.

==>L’exception d’inexécution

Le promettant peut opposer l’exception d’inexécution lorsque le stipulant n’a pas rempli ses obligations issues du contrat principal. Cette possibilité, consacrée par l’article 1219 du Code civil, permet au promettant de suspendre l’exécution de son obligation tant que le stipulant demeure défaillant.

En matière d’assurance vie, la jurisprudence admet que si le souscripteur n’a pas versé les primes dues, l’assureur peut refuser de verser le capital au bénéficiaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).

==>L’exception de nullité ou de résolution du contrat principal

Si le contrat générateur de la stipulation est entaché d’une cause de nullité ou fait l’objet d’une résolution, le promettant peut invoquer cette circonstance pour refuser d’exécuter l’obligation stipulée au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence reconnaît en effet que le bénéficiaire ne peut prétendre à un droit dont le fondement juridique a disparu avec le contrat principal (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n°97-20.040).

==>Limites aux exceptions opposables au bénéficiaire

Toutefois, le promettant ne peut pas opposer au bénéficiaire certaines exceptions personnelles au stipulant, notamment celles tenant à l’incapacité du stipulant ou à un vice du consentement, conformément aux articles 1147 et 1181 du Code civil.

Ainsi, si le contrat principal est annulé pour cause d’incapacité du stipulant, le promettant ne pourra pas s’en prévaloir à l’encontre du bénéficiaire (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n°00-21.271).

b. Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée de la stipulation

Lorsqu’un promettant est contraint d’exécuter la stipulation malgré la disparition du contrat principal, il peut exercer un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours repose sur le principe selon lequel le promettant ne doit pas être tenu d’exécuter une obligation qui a perdu son fondement contractuel.

==>L’action en répétition des prestations indûment exécutées

Si le promettant a été contraint d’exécuter une obligation au bénéfice du tiers alors que le contrat générateur a été annulé ou résolu, il peut exiger la restitution des prestations versées auprès du stipulant.

Ce principe s’inscrit dans la logique des restitutions consécutives à l’anéantissement d’un contrat, consacrée par l’article 1352 du Code civil et confirmée par la jurisprudence (Cass. req., 22 avr. 1909).

==>Le recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant

Dans l’hypothèse où le promettant a dû exécuter la stipulation en raison d’un manquement du stipulant, il pourra engager la responsabilité contractuelle de ce dernier pour obtenir réparation du préjudice subi.

Ce recours suppose de prouver :

  • Un manquement contractuel du stipulant
  • Un préjudice pour le promettant
  • Un lien de causalité entre la faute du stipulant et le préjudice du promettant

Dans une affaire où un constructeur-promettant avait dû exécuter des travaux en faveur d’un bénéficiaire alors que le maître d’ouvrage (stipulant) n’avait pas payé le prix convenu, la Cour de cassation a admis son recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant (Cass. com., 14 mai 1979).

c. Les actions dont dispose le stipulant après l’exécution de la stipulation

Bien que la stipulation pour autrui crée un droit direct au profit du bénéficiaire, elle ne prive pas pour autant le stipulant de toute action après l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Le renouvellement des sûretés attachées à la créance du bénéficiaire

Lorsque la stipulation est assortie d’une sûreté garantissant l’exécution de la prestation due au bénéficiaire (gage, hypothèque, cautionnement), le stipulant peut prendre l’initiative de renouveler ces garanties afin de préserver le droit du bénéficiaire.

La Cour de cassation a reconnu la possibilité pour le stipulant de renouveler une hypothèque inscrite en garantie d’une obligation au profit d’un bénéficiaire (Cass. civ., 16 avr. 1894).

==>L’intervention en justice pour défendre l’exécution de la stipulation

Le stipulant, en sa qualité d’instigateur de la stipulation, peut également agir en justice pour garantir l’exécution de l’obligation souscrite par le promettant envers le bénéficiaire.

Par exemple, la Cour de cassation a admis que le stipulant puisse prendre des mesures conservatoires pour protéger le droit du bénéficiaire, notamment en saisissant des créances du promettant (Cass. civ., 16 janv. 1888)

B) Les effets dans les rapports entre le promettant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui est un mécanisme contractuel singulier, permettant à un stipulant d’octroyer un droit à un tiers bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Ce droit, d’abord rattaché à la volonté du stipulant, s’en émancipe progressivement pour devenir pleinement autonome dès qu’il est accepté par le bénéficiaire. Ainsi, l’équilibre entre la liberté contractuelle du stipulant et la protection du bénéficiaire repose sur trois principes essentiels : un droit direct conféré indépendamment de toute acceptation, une révocabilité tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, et une irrévocabilité consacrée par son adhésion à la stipulation.

1. Un droit direct conféré au bénéficiaire indépendamment de son acceptation

La stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct et autonome à l’encontre du promettant, indépendamment de toute acceptation préalable de sa part. En d’autres termes, dès l’instant où la stipulation est réalisée, le bénéficiaire se trouve investi d’un droit de créance, qu’il peut faire valoir sans avoir à intervenir dans la formation du contrat initial. Ce principe, affirmé par l’article 1206, alinéa 1ere du Code civil, traduit une exception marquante au principe de l’effet relatif des contrats.

==>L’attribution immédiate d’un droit de créance au bénéficiaire

La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la stipulation pour autrui confère immédiatement au bénéficiaire un droit de créance opposable au promettant, sans qu’il ait besoin d’exprimer son accord (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Ce droit peut naître de deux façons :

  • Une désignation immédiate du bénéficiaire au moment de la conclusion du contrat
    • Dès que le stipulant et le promettant concluent leur accord, le bénéficiaire est investi de son droit.
    • Il peut alors exiger directement du promettant l’exécution de la prestation convenue, sans intervention du stipulant.
  • Une désignation ultérieure du bénéficiaire
    • Dans ce cas, le stipulant modifie après coup le contrat pour désigner un bénéficiaire.
    • Une fois la désignation effectuée, ce dernier devient automatiquement titulaire de la créance, sans qu’il ait besoin de donner son accord préalable.

Dans tous les cas, la stipulation pour autrui opère un transfert immédiat du droit au bénéficiaire. Celui-ci peut donc exiger l’exécution de l’obligation sans qu’aucune formalité d’acceptation ne soit requise à ce stade. Cependant, tant qu’il ne l’a pas expressément acceptée, son droit demeure précaire et peut être révoqué par le stipulant.

==>Une action directe du bénéficiaire contre le promettant

L’un des principaux effets de la stipulation pour autrui réside dans la possibilité pour le bénéficiaire d’agir directement contre le promettant, sans que l’intervention du stipulant ne soit requise. Ce droit d’agir directement contre le promettant est reconnu par la Cour de cassation, qui affirme que le bénéficiaire peut réclamer l’exécution de la prestation directement entre les mains du promettant (Cass. com., 12 mai 1981, n°77-14.793).

Cette action ne dépend en rien de la volonté du stipulant : une fois la stipulation réalisée, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, indépendant de toute demande ou validation du stipulant. Le promettant est ainsi juridiquement tenu envers le bénéficiaire comme s’il était directement partie au contrat, bien qu’il n’ait contracté initialement qu’avec le stipulant.

==>L’encadrement du droit du bénéficiaire par le contrat initial

Bien que le droit du bénéficiaire soit direct et opposable, il n’échappe pas aux limites et conditions fixées par le contrat initial. En effet, la créance dont il bénéficie découle exclusivement de l’accord entre le stipulant et le promettant, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Le bénéficiaire ne peut prétendre à plus de droits que ceux prévus dans le contrat initial. Ainsi, il ne saurait revendiquer une prestation plus favorable ou en des termes différents de ceux établis par le stipulant et le promettant (Cass. com., 22 févr. 1950).
  • Le promettant peut lui opposer les exceptions inhérentes au contrat initial, comme l’extinction de l’obligation due à une inexécution fautive du stipulant, la survenance d’une condition résolutoire ou encore un vice du consentement affectant la formation du contrat (Cass. 1ere civ., 4 mai 1955)
  • La validité du contrat principal conditionne l’existence du droit du bénéficiaire. Si le contrat est nul ou anéanti, la stipulation pour autrui disparaît de plein droit, privant ainsi le bénéficiaire de toute prétention contre le promettant (Cass. 1ere civ., 17 mai 2005, n° 03-14.077).

En matière d’assurance sur la vie, ces principes sont codifiés à l’article L. 132-12 du Code des assurances, qui précise que le droit du bénéficiaire existe dès la conclusion du contrat, quelle que soit la date de sa désignation. Toutefois, tant que le bénéficiaire ne manifeste pas son adhésion à la stipulation, ce droit demeure fragile, car il reste à la merci d’une révocation par le stipulant.

==>L’incidence des clauses stipulées dans le contrat initial sur les droits du bénéficiaire

Le droit du bénéficiaire ne s’exerce pas en dehors du cadre contractuel qui le fonde. Dès lors, les clauses du contrat initial lui sont opposables, notamment :

  • Les clauses limitatives de responsabilité, qui peuvent restreindre l’étendue des obligations du promettant ;
  • Les clauses d’exclusion, notamment en matière d’assurance, où l’assureur peut refuser d’indemniser le bénéficiaire en raison des exclusions prévues dans le contrat (Cass. 1ere civ., 20 juill. 1981, n° 80-13.752) ;
  • Les clauses compromissoires et attributives de compétence, qui ont vocation à s’imposer au bénéficiaire si elles figurent dans le contrat principal (Cass. 1ere civ., 11 juill. 2006, n° 03-11.983).

Toutefois, la doctrine critique cette extension des clauses au bénéficiaire, considérant qu’il n’est pas partie au contrat et ne devrait pas être contraint par une clause compromissoire sauf acceptation expresse de sa part.

==>Un droit conféré sous conditions et limites contractuelles

Enfin, si la stipulation pour autrui octroie un droit direct au bénéficiaire, certaines situations peuvent en limiter les effets :

  • L’incapacité du stipulant : si le stipulant était juridiquement inapte à contracter, la stipulation pour autrui sera privée d’effet (Cass. 1ere civ., 8 mai 1979, n° 77-13.339).
  • L’inopposabilité de certaines clauses : le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’une clause pénale prévue dans le contrat principal s’il n’en est pas expressément attributaire (Cass. com., 23 mai 1989, n° 86-14.936).

2. Un droit révocable jusqu’à l’acceptation du tiers bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui confère immédiatement un droit au bénéficiaire, ce dernier demeure précaire tant qu’il ne l’a pas accepté. En effet, l’article 1206, alinéa 2 du Code civil dispose que « tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée, le stipulant peut la révoquer ». Ce principe repose sur l’idée que le stipulant, à l’origine du droit conféré, conserve la maîtrise de son engagement jusqu’à ce qu’il devienne irrévocable par l’acceptation du bénéficiaire.

Cette faculté de révocation du stipulant, qui constitue le pendant négatif de son pouvoir d’attribution, se caractérise par trois éléments essentiels : son caractère unilatéral, discrétionnaire et effectif à compter de sa notification.

a. La faculté de révocation du stipulant

==>Le caractère unilatéral du droit de révocation

Le stipulant est le seul maître du sort de la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée. Il peut donc décider seul, sans requérir l’accord ni du bénéficiaire ni du promettant, de modifier, supprimer ou substituer un autre bénéficiaire à celui initialement désigné.

Ce principe a été consacré par la jurisprudence dès le XIX? siècle, qui a affirmé que le stipulant dispose d’une liberté absolue de rétractation avant acceptation du bénéficiaire (Cass. civ., 27 déc. 1853).

==>Le caractère discrétionnaire du droit de révocation

Le stipulant peut exercer sa faculté de révocation librement, sans condition de forme ou de justification. La doctrine souligne que cette prérogative repose sur le principe de l’autonomie de la volonté, qui lui permet de modifier à tout moment l’acte de stipulation.

Toutefois, des limites à cette liberté ont été reconnues par la jurisprudence :

  • Lorsque le promettant a un intérêt légitime dans la stipulation (économique ou moral), son consentement peut être requis pour révoquer la stipulation (CA Grenoble, 6 avr. 1881).
  • Une clause contractuelle peut prévoir que la stipulation est irrévocable dès son origine, restreignant ainsi la faculté du stipulant de la modifier ou de la supprimer (Cass. req., 30 juill. 1877).
  • En cas d’abus de droit, la révocation pourrait être sanctionnée si elle est exercée dans des conditions contraires à la bonne foi contractuelle (art. 1104 du Code civil).

==>Le caractère réceptice du droit de révocation

Bien que le stipulant soit libre de révoquer la stipulation, l’effet de cette révocation n’est pas automatique : l’article 1207, alinéa 3 du Code civil impose qu’elle soit portée à la connaissance du bénéficiaire ou du promettant pour être opposable. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique des parties et à éviter toute exécution d’une prestation en faveur d’un bénéficiaire dont le droit aurait disparu.

b. Les conditions d’exercice du droit de révocation

La révocation ne peut être exercée que sous certaines conditions tenant à la durée du pouvoir de révocation et à son extinction en cas d’acceptation du bénéficiaire.

==>Une faculté limitée dans le temps

Le pouvoir de révocation du stipulant disparaît dès l’acceptation du bénéficiaire. En vertu de l’article 1206, alinéas 2 et 3 du Code civil, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, celle-ci devient irrévocable.

La jurisprudence a confirmé ce principe, notamment en matière d’assurance sur la vie : tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la désignation, l’assuré conserve un droit absolu de révocation. En revanche, dès que l’acceptation intervient, la stipulation devient définitive, rendant toute révocation impossible (Cass. 1ere civ., 17 nov. 2021, n° 20-12.711).

==>Le droit de révocation peut être exercé par les héritiers

Si le stipulant décède avant d’avoir révoqué la stipulation, ses héritiers peuvent encore le faire, sous réserve de respecter un délai strict. L’article 1207, alinéa 1er du Code civil prévoit qu’ils doivent mettre le bénéficiaire en demeure d’accepter dans un délai de trois mois. À défaut d’acceptation dans ce délai, la stipulation est réputée révoquée.

c. Les modalités d’exercice du droit de révocation

La révocation peut être expresse ou tacite, mais elle doit être notifiée pour produire effet.

En effet, aucune forme spécifique n’est requise pour révoquer la stipulation. Elle peut être :

  • Expresse : par une déclaration écrite (courrier, acte notarié, avenant au contrat principal) ou verbale.
  • Tacite : par un acte manifestant sans équivoque la volonté du stipulant d’anéantir la stipulation (par exemple, la désignation d’un nouveau bénéficiaire).

En matière d’assurance sur la vie, la jurisprudence a reconnu qu’un testament révoquant une désignation bénéficiaire pouvait suffire à caractériser la révocation, même si l’assureur n’en était pas informé immédiatement (Cass. 1ere civ., 24 juin 1969).

Bien que le stipulant puisse révoquer la stipulation librement, cette révocation ne produit effet qu’une fois notifiée au bénéficiaire ou au promettant (art. 1207, alinéa 3 du Code civil).

Cette règle poursuit un double objectif :

  • Sécuriser la situation du bénéficiaire : tant qu’il n’a pas été informé de la révocation, il peut toujours accepter la stipulation et la rendre irrévocable.
  • Protéger le promettant : pour éviter qu’il exécute une obligation au profit d’un bénéficiaire dont le droit a été supprimé.

En cas d’acceptation du bénéficiaire avant que la révocation ne lui soit notifiée, la révocation devient sans effet (Cass. soc., 5 janv. 1956).

d. Les effets de la révocation

Une fois notifiée, la révocation anéantit rétroactivement le droit du bénéficiaire. Celui-ci est censé n’en avoir jamais été titulaire (art. 1207, alinéa 5 du Code civil).

Si la révocation est pure et simple, la stipulation disparaît, mais le contrat principal subsiste. En revanche, si la stipulation était essentielle à l’équilibre du contrat, la disparition de la stipulation peut entraîner celle du contrat principal.

  • Sort de la prestation après révocation
    • Si aucun nouveau bénéficiaire n’est désigné, la prestation profite au stipulant ou à ses héritiers (Cass. civ., 27 déc. 1853).
    • Si un nouveau bénéficiaire est désigné, la stipulation est maintenue mais le droit direct est transféré au nouveau bénéficiaire (art. 1207, alinéa 2 du Code civil).
  • Opposabilité de la révocation
    • Une fois notifiée, la révocation devient opposable au bénéficiaire, qui ne peut plus prétendre au bénéfice du contrat.
    • Si le promettant exécute la prestation en faveur d’un bénéficiaire révoqué faute d’avoir été informé, il peut réclamer restitution au bénéficiaire initial (Cass. 2? civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954).

3. Un droit irrévocable après l’acceptation du tiers bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une rupture décisive dans la construction juridique de cette institution. Tant qu’elle n’intervient pas, le bénéficiaire demeure dans une situation d’incertitude, ne tenant son droit qu’à la volonté révocable du stipulant. Mais dès lors qu’il exprime son adhésion, ce droit se fige : il acquiert un caractère irrévocable, devient pleinement opposable au promettant et échappe définitivement au pouvoir de modification du stipulant.

Cette transition d’un droit fragile à un droit définitivement établi s’inscrit dans un cadre juridique rigoureusement structuré, régi par les articles 1206 à 1208 du Code civil, et, en matière d’assurance sur la vie, par l’article L. 132-9 du Code des assurances.

a. La faculté d’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne constitue en aucun cas une obligation pour le bénéficiaire : elle demeure une simple faculté, dont l’exercice relève de son libre arbitre. Ni le stipulant, ni le promettant ne peuvent le contraindre à accepter un droit qui lui est conféré.

Cette liberté trouve son fondement dans la nature même de la stipulation pour autrui, qui confère un avantage sans imposer de charge au bénéficiaire. Contrairement à un engagement contractuel classique, la stipulation ne crée aucune obligation tant que le bénéficiaire ne manifeste pas sa volonté de l’accepter.

==>Un droit discrétionnaire

Aussi, le bénéficiaire dispose d’un pouvoir souverain de décision quant à l’acceptation de la stipulation. Il peut choisir d’accepter ou de refuser le bénéfice qui lui est offert, sans avoir à en justifier les raisons.

Exemple: une personne désignée bénéficiaire d’une assurance-vie peut refuser ce bénéfice, notamment si elle ne souhaite pas être impliquée dans une situation successorale complexe.

Le refus du bénéficiaire entraîne la caducité de la stipulation. Aucun droit ne peut plus être revendiqué sur ce fondement.

==>Absence d’effet contraignant

Tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, aucune obligation ne pèse sur lui. Il ne peut être tenu d’exécuter une quelconque prestation, ni même d’assumer une quelconque responsabilité juridique.

Dès lors, un bénéficiaire désigné dans un contrat d’assurance-vie n’a aucun devoir envers l’assureur ni envers le souscripteur tant qu’il n’a pas accepté la stipulation. Il n’a donc pas à justifier son silence, ni ne s’expose à une action en responsabilité à raison de sa passivité.

==>Un droit précaire

Avant toute acceptation, le droit conféré au bénéficiaire reste fragile et révocable. Le stipulant conserve ainsi la faculté de modifier ou de rétracter son engagement à tout moment, sans que le bénéficiaire puisse s’y opposer.

La Cour de cassation a confirmé dès le XIX? siècle que, tant que l’acceptation n’est pas intervenue, le stipulant dispose d’un droit absolu de révocation (Cass. civ., 27 déc. 1853).

Exemple pratique :

  • Un souscripteur d’une assurance-vie peut modifier la clause bénéficiaire tant que le bénéficiaire initial ne l’a pas acceptée.
  • De même, dans un contrat de prestation de services, une entreprise peut révoquer une stipulation au profit d’un tiers avant que celui-ci ne manifeste son acceptation.

==>Les options ouvertes au bénéficiaire

Le bénéficiaire dispose de trois options, chacune ayant des conséquences distinctes :

  • Accepter la stipulation
    • L’acceptation a pour effet de consolider définitivement le droit conféré au bénéficiaire :
      • Le stipulant perd alors tout pouvoir de révocation.
      • Le bénéficiaire devient créancier direct du promettant.
    • Exemple : Lorsqu’un bénéficiaire accepte une assurance-vie, il devient le titulaire irrévocable du droit sur le capital garanti, et le souscripteur ne peut plus en modifier les termes.
  • Refuser le bénéfice de la stipulation
    • Si le bénéficiaire rejette la stipulation, celle-ci est anéantie et devient définitivement caduque.
    • Cette situation peut survenir, par exemple, lorsque l’acceptation de la stipulation entraînerait des conséquences fiscales indésirables ou un conflit d’intérêts.
    • Exemple: un bénéficiaire refuse un contrat d’assurance-vie pour éviter des frais fiscaux ou une gestion successorale complexe.
  • Ne pas se prononcer
    • Lorsque le bénéficiaire demeure silencieux et ne manifeste ni acceptation ni refus, la stipulation pour autrui reste en suspens, dans une situation juridique incertaine.
    • Cette absence de prise de position n’éteint pas la stipulation, mais la laisse dans un état précaire, où aucun droit définitif n’est acquis et où la faculté de révocation du stipulant demeure entière.
    • Tant que le bénéficiaire ne se prononce pas :
      • Le stipulant conserve un pouvoir discrétionnaire de révocation : il peut revenir sur son engagement à tout moment, sans avoir à justifier sa décision.
      • Le promettant n’est pas tenu envers le bénéficiaire : tant que ce dernier n’a pas accepté, aucune créance n’est constituée en sa faveur et le promettant ne peut être contraint d’exécuter l’obligation stipulée.
    • Exemple en matière d’assurance-vie:
      • Un bénéficiaire qui tarde à accepter ne fait naître aucune obligation à la charge de l’assureur.
      • L’assureur peut solliciter une clarification afin de savoir si le capital doit être versé au bénéficiaire désigné ou si un autre bénéficiaire doit être désigné en substitution.

b. Les conditions de l’acceptation

L’acceptation, en tant qu’acte juridique unilatéral du bénéficiaire, doit satisfaire aux conditions générales de validité des actes juridiques, telles que définies par le Code civil.

==>La capacité du bénéficiaire

L’acceptation suppose que le bénéficiaire soit juridiquement capable d’exercer ses droits. La jurisprudence considère que cette capacité doit être appréciée au jour de l’attribution du droit (Cass. civ., 8 févr. 1888), ce qui implique que si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité à cette date, il ne pourra pas valablement accepter la stipulation sans l’intervention d’un représentant légal.

Si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité juridique (mineur non émancipé, majeur sous tutelle, etc.), son représentant légal peut accepter la stipulation pour son compte. Cependant, cette acceptation ne doit pas être équivoque et doit clairement manifester l’intention du représentant d’accepter la stipulation au nom du bénéficiaire.

Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, une protection supplémentaire est prévue afin d’éviter les abus ou l’exploitation d’un bénéficiaire vulnérable. Ainsi, l’article L. 132-4-1, alinéa 4 du Code des assurances dispose que l’acceptation d’un bénéficiaire sous tutelle ou curatelle peut être annulée si son incapacité était notoire ou connue du cocontractant au moment de l’acte.

Aussi, lorsqu’une personne vulnérable est désignée bénéficiaire d’une assurance-vie, l’assureur doit s’assurer de la capacité du bénéficiaire ou de son représentant avant d’enregistrer une acceptation, sous peine de voir l’acte annulé pour cause d’incapacité manifeste.

==>L’absence de vice du consentement

L’acceptation de la stipulation pour autrui doit être donnée en toute liberté et sans contrainte. Dès lors, elle doit être exempte d’erreur, de dol ou de violence, conformément aux principes généraux régissant la validité des actes juridiques (art. 1130 et s. du Code civil).

  • L’erreur
    • L’erreur peut affecter la validité de l’acceptation si elle porte sur l’objet même de la stipulation.
    • Par exemple, si le bénéficiaire accepte en croyant que la stipulation porte sur une prestation plus avantageuse qu’elle ne l’est en réalité, son consentement pourrait être remis en cause.
    • Exemple pratique: un bénéficiaire accepte un contrat d’assurance-vie en pensant qu’il percevra immédiatement un capital alors que la clause ne prévoit qu’un versement différé sous condition suspensive. S’il prouve que cette erreur était déterminante dans sa décision, il pourrait demander l’annulation de son acceptation.
  • Le dol
    • Le dol, défini comme une manœuvre frauduleuse ayant pour objet de tromper une personne et de l’inciter à contracter, constitue un vice du consentement susceptible d’entacher l’acceptation de nullité
    • Application en assurance-vie : si un stipulant ou un assureur cache volontairement des informations essentielles au bénéficiaire pour l’inciter à accepter la stipulation, cette acceptation pourrait être frappée de nullité pour dol.
  • La violence
    • L’acceptation doit être exempte de toute contrainte physique ou morale. Si un bénéficiaire accepte sous la pression d’un tiers (chantage, menace, abus de faiblesse), il pourrait contester son engagement et obtenir son annulation.
    • Exemple : un parent exerçant une pression morale sur son enfant pour qu’il accepte une stipulation dans un contrat d’assurance au profit d’un tiers non désiré pourrait voir cette acceptation annulée pour violence morale.

==>Une stipulation précise et déterminée

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne saurait être efficace que si le bénéficiaire est en mesure d’identifier avec certitude les droits qui lui sont conférés. À défaut, l’acceptation reposerait sur une base incertaine, dépourvue de toute valeur juridique. Ce principe trouve son fondement dans l’exigence générale de détermination de l’objet des obligations, telle que consacrée par l’article 1128 du Code civil, qui impose que tout engagement juridique repose sur un objet certain et déterminé.

En effet, l’identification du droit conféré au bénéficiaire constitue une condition essentielle à la validité de son acceptation. Il ne peut exprimer un consentement éclairé qu’à la condition de connaître exactement l’étendue de la stipulation. L’objet de cette dernière doit être formulé en des termes suffisamment clairs pour éviter toute ambiguïté ou interprétation divergente.

Si la stipulation est trop vague, le bénéficiaire se trouverait dans l’impossibilité d’évaluer la portée de son droit et d’exercer librement sa faculté d’acceptation.

La jurisprudence est venue réaffirmer cette exigence en jugeant que le bénéficiaire doit être en mesure d’identifier sans équivoque les avantages qui lui sont conférés, sous peine d’invalidité de l’acceptation (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Une stipulation qui se contenterait de mentionner « un avantage financier dont les modalités seront définies ultérieurement » ne saurait être acceptée valablement, faute d’éléments objectifs permettant d’en préciser la teneur.

L’exigence de détermination concerne tant la nature de la prestation que ses modalités d’exécution.

L’obligation stipulée doit être clairement définie et identifiable. Elle peut porter sur le versement d’une somme d’argent, l’octroi d’un droit particulier ou encore la fourniture d’une prestation en nature. Toutefois, elle ne peut être laissée à la seule discrétion du stipulant ou du promettant sans critères objectifs de détermination.

Ainsi, une clause prévoyant que « le bénéficiaire recevra un montant déterminé en fonction de la volonté du stipulant » est nulle, car elle repose sur un engagement potestatif, ce qui est prohibé par le droit des obligations (Cass. civ., 25 avr. 1903).

En matière d’assurance-vie, l’article L. 132-9, II du Code des assurances impose que la clause bénéficiaire soit rédigée avec suffisamment de précision pour permettre une identification certaine du bénéficiaire et des droits qui lui sont conférés.

Une stipulation trop vague ne saurait produire d’effet juridique. L’exigence de détermination joue ici un rôle fondamental de sécurité juridique, en garantissant que le bénéficiaire puisse comprendre l’étendue de ses droits et que le promettant puisse exécuter son engagement sans incertitude.

Par exemple, une clause stipulant que « le bénéficiaire recevra une aide financière adaptée à ses besoins » serait irrecevable, car elle ne précise ni le montant de l’aide, ni ses modalités d’octroi. Une telle clause pourrait être jugée nulle pour indétermination de l’objet (art. 1163 du Code civil).

Lorsqu’une stipulation offre plusieurs options de prestations, elle ne peut conférer un pouvoir discrétionnaire absolu au stipulant ou au promettant. Le choix entre plusieurs prestations doit être encadré par des critères objectifs. Ainsi, une clause précisant que « le bénéficiaire pourra recevoir soit une rente viagère, soit un capital forfaitaire de 100 000 € au choix du promettant » ne serait valide que si le contrat prévoit un mode de détermination du choix.

Par ailleurs, l’identification du bénéficiaire est également une condition de validité de la stipulation. Le droit conféré par celle-ci doit être attribué à une personne précisément désignée ou, à tout le moins, déterminable au moment de l’acceptation.

Lorsque le bénéficiaire est expressément désigné, la stipulation ne soulève aucune difficulté. En revanche, si la clause ne mentionne pas un nom précis, elle doit comporter des critères objectifs permettant d’identifier avec certitude la personne appelée à bénéficier de la prestation.

Ainsi, une stipulation prévoyant que « le bénéficiaire sera mon fils aîné » est valide, car elle repose sur un critère clair et vérifiable. En revanche, une désignation trop large, comme « l’un de mes proches », serait insuffisante et pourrait entraîner la caducité de la stipulation (Cass. civ., 7 oct. 1981).

En matière d’assurance-vie, la désignation du bénéficiaire doit respecter une rigueur particulière afin d’éviter toute contestation ultérieure. Une clause indiquant que « le bénéficiaire sera la personne vivant en concubinage avec moi au moment de mon décès » est considérée comme valide, dès lors qu’elle repose sur un critère objectif permettant d’identifier clairement le bénéficiaire.

c. Les modalités de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui constitue un acte juridique unilatéral qui peut prendre différentes formes, à condition qu’elle manifeste de manière claire et non équivoque la volonté du bénéficiaire d’adhérer aux droits qui lui sont conférés.

En l’absence d’exigences imposées par le Code civil, elle peut être expresse ou tacite. Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, un formalisme particulier a été institué afin d’encadrer cette acceptation et d’en garantir l’opposabilité aux parties concernées.

==>L’acceptation expresse

L’acceptation est réputée expresse lorsqu’elle résulte d’une manifestation de volonté explicite du bénéficiaire, exprimée par écrit, verbalement ou par tout autre procédé ne laissant place à aucune équivoque quant à son intention d’adhérer à la stipulation.

L’article 1100-1 du Code civil exige que tout acte juridique unilatéral, tel que l’acceptation d’une stipulation pour autrui, soit formulé en des termes clairs et dépourvus d’ambiguïté. Par ailleurs, l’article 1172 du même code admet que l’acceptation puisse intervenir sous toute forme, sauf si un texte impose un formalisme spécifique.

La jurisprudence, dès le XIX? siècle, a consacré cette souplesse en affirmant que l’acceptation pouvait être rendue opposable au stipulant ou au promettant dès lors qu’elle résultait d’une déclaration expresse, qu’elle soit écrite ou verbale (Cass. civ., 25 avr. 1853).

Ainsi, l’acceptation peut se manifester de différentes manières :

  • Par l’envoi d’un écrit, tel qu’une lettre ou un courriel, adressé au stipulant ou au promettant.
  • Par une déclaration verbale dont l’existence peut être attestée par un écrit ou un témoignage.
  • Par l’insertion d’une mention explicite dans un acte juridique, tel qu’un testament ou un contrat.

Exemple pratique : en matière d’assurance-vie, si le bénéficiaire adresse une lettre recommandée à l’assureur et au souscripteur exprimant son acceptation, celle-ci devient irrévocable et prive le souscripteur de la faculté de modifier ultérieurement la clause bénéficiaire.

Toutefois, bien que l’acceptation expresse constitue la voie la plus sécurisante d’un point de vue juridique, elle ne constitue pas l’unique modalité d’adhésion à la stipulation, la jurisprudence reconnaissant également l’acceptation tacite lorsque certains indices factuels démontrent sans ambiguïté la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du droit qui lui est conféré.

==>L’acceptation tacite

L’acceptation peut également résulter d’un comportement du bénéficiaire traduisant sans équivoque sa volonté d’adhérer à la stipulation. Ce mode d’acceptation repose sur une interprétation des actes du bénéficiaire, qui doivent être suffisamment explicites pour établir son intention.

La jurisprudence a reconnu plusieurs situations dans lesquelles une acceptation tacite peut être caractérisée :

  • La perception régulière d’une prestation : lorsque le bénéficiaire d’une rente prévue par la stipulation pour autrui commence à percevoir les versements et ne manifeste aucune opposition, son acceptation est présumée (Cass. req., 2 avr. 1912).
  • Le paiement des primes d’un contrat d’assurance-vie : lorsqu’un bénéficiaire prend en charge le règlement des cotisations, il manifeste son adhésion à la stipulation faite à son profit (CA Bordeaux, 21 mai 1885).
  • L’exercice de droits liés à la stipulation : le fait pour un bénéficiaire d’intenter une action en exécution de la stipulation traduit une acceptation implicite et irrévocable.

Cependant, certains comportements ne suffisent pas à établir une acceptation tacite.

La simple détention de l’original d’un contrat d’assurance-vie ne suffit pas à caractériser une acceptation tacite, sauf si d’autres éléments viennent corroborer cette intention (CA Paris, 3 janv. 1918).

A cet égard, un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie qui détient une copie du contrat sans jamais en demander l’exécution ne peut être considéré comme ayant accepté tacitement la stipulation. En revanche, s’il engage des démarches auprès de l’assureur pour obtenir le versement du capital, l’acceptation sera considérée comme acquise.

L’acceptation tacite repose donc sur une analyse factuelle et peut donner lieu à des débats en cas de contentieux. Elle est moins sécurisante qu’une acceptation expresse et peut être contestée en l’absence d’éléments probants.

==>Régime spécial de l’assurance-vie

L’acceptation du bénéfice d’un contrat d’assurance-vie est encadrée par un formalisme rigoureux, imposé par l’article L. 132-9, II du Code des assurances. Ce régime spécifique vise à protéger le souscripteur en lui garantissant un contrôle effectif sur la désignation du bénéficiaire tant qu’il est en vie.

  • Avant le décès du souscripteur
    • Tant que le souscripteur est en vie, l’acceptation du bénéficiaire ne peut intervenir que sous l’une des deux formes suivantes :
      • Un avenant tripartite, signé par le souscripteur, le bénéficiaire et l’assureur. Cet acte engage définitivement les parties et empêche toute modification unilatérale ultérieure du bénéficiaire.
      • Un acte authentique ou sous seing privé, signé par le souscripteur et le bénéficiaire, qui doit ensuite être notifié à l’assureur. Cette notification constitue une formalité essentielle, permettant à l’assureur d’être informé officiellement du caractère désormais irrévocable de la désignation.
    • L’une de ces deux formalités doit impérativement être respectée pour que l’acceptation produise ses effets.
    • Une simple manifestation de volonté du bénéficiaire, même exprimée clairement, ne saurait suffire. Tant que cette acceptation formalisée n’a pas eu lieu, le souscripteur conserve la liberté de modifier la clause bénéficiaire sans restriction.
  • Après le décès du souscripteur
    • À compter du décès du souscripteur, les contraintes formelles disparaissent.
    • Le bénéficiaire peut alors accepter le bénéfice du contrat par tout moyen, que ce soit de manière expresse (par une déclaration écrite) ou tacite (par un acte révélant sans équivoque sa volonté d’accepter, comme la demande de versement du capital).

L’article L. 132-9, II du Code des assurances a suscité des interrogations quant à la portée de la signature de l’assureur dans l’avenant tripartite. Certains auteurs ont estimé que cette signature traduisait une forme d’adhésion contractuelle, transformant ainsi l’acceptation en un acte nécessitant le consentement de trois parties (stipulant, bénéficiaire, assureur). D’autres ont soutenu une lecture plus restrictive, considérant que la signature de l’assureur ne constituait qu’une formalisation administrative, destinée à garantir une bonne information des parties.

En tout état de cause, ce formalisme strict répond à un impératif de protection du souscripteur. Il empêche que l’acceptation du bénéficiaire ne soit réalisée à son insu ou sous une influence extérieure, et lui garantit la possibilité de revenir sur la désignation tant qu’il est en vie. Ce n’est qu’après acceptation formelle que le bénéficiaire acquiert un droit intangible, rendant toute modification impossible sans son consentement.

En définitive, le régime de l’acceptation en assurance-vie illustre l’équilibre recherché entre la protection du souscripteur et la consolidation des droits du bénéficiaire, en fonction du moment où intervient l’acceptation.

d. Les effets de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une transformation décisive dans le régime juridique de l’attribution au profit du bénéficiaire. Tant qu’elle n’est pas intervenue, la stipulation demeure précaire et révocable, ne créant à son profit qu’une simple expectative. En revanche, dès que le bénéficiaire exprime son acceptation, son droit acquiert une assise définitive : il devient irrévocable et directement opposable au promettant, tout en échappant à l’influence du stipulant. Cette irrévocabilité s’impose de manière absolue et ne souffre d’aucune exception, sauf stipulation expresse contraire.

Si la doctrine s’interroge sur la nature rétroactive de l’acceptation, elle s’accorde néanmoins sur son caractère déclaratif. L’acte d’acceptation ne crée pas un droit nouveau, mais vient consolider un droit préexistant, sans en modifier la substance. Loin d’opérer un bouleversement dans l’économie du contrat initial, il fige les conditions de la stipulation et confère au bénéficiaire un droit désormais intangible.

Les effets de l’acceptation revêtent une intensité particulière en matière d’assurance-vie. Loin de se limiter à la seule irrévocabilité de l’attribution, elle prive le souscripteur de la faculté de rachat du contrat, empêchant ainsi toute remise en cause ultérieure du bénéfice conféré. Le droit du bénéficiaire se trouve ainsi définitivement cristallisé, s’imposant tant au promettant qu’au stipulant.

L’analyse des effets de l’acceptation peut dès lors être structurée autour de trois axes : l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, son opposabilité immédiate au promettant et les conséquences spécifiques qu’elle entraîne en matière d’assurance-vie.

==>L’irrévocabilité du droit du bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui opère une véritable cristallisation des droits du bénéficiaire en le plaçant hors d’atteinte des volontés ultérieures du stipulant. Avant cette manifestation de volonté, la stipulation demeure fragile et révocable : le stipulant conserve toute latitude pour en modifier ou en anéantir les effets. Toutefois, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, son droit devient intangible. L’article 1206, alinéa 3 du Code civil consacre ce principe en affirmant que l’acceptation rend l’attribution irrévocable. Toute tentative ultérieure du stipulant de modifier ou de révoquer la stipulation se heurte alors à une nullité de plein droit. La jurisprudence a confirmé cette règle avec constance, en affirmant que toute révocation postérieure à l’acceptation demeure dépourvue d’effet et ne saurait priver le bénéficiaire du droit qui lui a été conféré (Cass. 1re civ., 26 juin 1961).

L’irrévocabilité ainsi acquise ne se limite pas à la seule impossibilité de suppression du droit du bénéficiaire : elle s’étend également aux conditions de son exécution. L’acceptation fige définitivement les termes de l’engagement souscrit par le promettant, rendant toute modification ultérieure du contrat d’origine inopposable au bénéficiaire. Dès lors que ce dernier a accepté la stipulation, les évolutions contractuelles intervenues entre le stipulant et le promettant ne peuvent en aucun cas altérer ses droits. La Cour de cassation a consacré ce principe en jugeant qu’une modification du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, postérieure à l’acceptation, reste sans effet sur la créance du bénéficiaire, qui demeure tenu aux conditions initialement convenues (Cass. 1re civ., 5 déc. 1978, n°77-14.029).

Cette règle revêt une importance particulière en matière d’assurance emprunteur. Une fois l’acceptation intervenue, toute modification du risque couvert par l’assureur, même convenue entre le stipulant et le promettant, ne saurait porter atteinte aux droits du bénéficiaire. Il en résulte une véritable stabilité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui, qui confère au bénéficiaire une protection efficace contre toute remise en cause ultérieure.

==>L’opposabilité immédiate au promettant

L’acceptation ne se borne pas à dessaisir le stipulant de sa faculté de révocation ; elle confère également au bénéficiaire un droit propre et directement opposable au promettant. Dès que l’acceptation est formulée, le bénéficiaire devient le créancier exclusif du promettant, lequel ne peut plus s’acquitter de son obligation qu’en exécutant la prestation à son profit. Toute tentative de paiement au stipulant, même conforme à la relation initiale entre ce dernier et le promettant, est juridiquement inopérante. La jurisprudence a consacré cette règle en affirmant que le bénéficiaire dispose, dès son acceptation, d’un droit autonome qui ne saurait être anéanti par un paiement effectué entre les mains du stipulant (Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-14.105).

Cette consécration du droit direct du bénéficiaire s’accompagne d’un corollaire essentiel: toute exécution irrégulière de l’obligation du promettant est frappée de nullité. Ainsi, le paiement effectué entre les mains du stipulant après acceptation ne produit aucun effet libératoire à l’égard du bénéficiaire, lequel demeure fondé à en exiger l’exécution intégrale. Ce principe confère à la stipulation pour autrui une efficacité propre, en soustrayant définitivement le bénéficiaire aux aléas des relations contractuelles initiales.

Toutefois, une partie de la doctrine s’est interrogée sur la possibilité d’une dérogation conventionnelle à cette règle. Il a ainsi été soutenu que le stipulant et le promettant pourraient convenir, dès la formation du contrat, que le droit direct du bénéficiaire demeurerait révocable malgré son acceptation. Une telle analyse, défendue notamment par Demogue suggère que l’acceptation du bénéficiaire ne ferait pas obstacle à une révocation convenue dès l’origine. Cette thèse reste cependant largement minoritaire et n’a reçu aucune consécration jurisprudentielle. La jurisprudence demeure en effet attachée au principe d’irrévocabilité du droit du bénéficiaire après acceptation, considérant que toute stipulation contraire porterait atteinte à la sécurité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui.

==>Les effets de l’acceptation en matière d’assurance-vie

L’acceptation produit des effets particulièrement marqués en matière d’assurance-vie, où elle a pour conséquence de priver le souscripteur de sa faculté de rachat. Avant acceptation, le souscripteur conserve la possibilité de modifier la clause bénéficiaire ou d’exercer son droit de rachat sur le contrat. En revanche, après acceptation, ces prérogatives lui échappent totalement. L’article L. 132-9, I du Code des assurances, dans sa version issue de la loi du 17 décembre 2007, consacre désormais ce principe en disposant qu’après acceptation, « le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ».

Cette interdiction du rachat a donné lieu à des controverses doctrinales et jurisprudentielles. Certains auteurs avaient soutenu que l’acceptation ne faisait pas obstacle à l’exercice du droit de rachat par le souscripteur, dès lors que ce droit était prévu dans le contrat et que le bénéficiaire avait accepté la stipulation en connaissance de cause. La chambre mixte de la Cour de cassation avait même admis, dans un premier temps, que l’acceptation du bénéficiaire ne privait pas nécessairement le souscripteur de sa faculté de rachat (Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n°06-11.934). Toutefois, cette position a finalement été abandonnée au profit de la solution actuelle, qui consacre l’irrévocabilité de l’attribution après acceptation et l’interdiction corrélative du rachat.

La justification de cette solution repose sur la nature même de l’acceptation, qui équivaut à une acceptation de donation de la part du souscripteur. Or, en application des règles encadrant les donations, l’irrévocabilité constitue un principe d’ordre public, et la faculté de rachat reviendrait à vider l’acceptation de son effet juridique. Comme l’a souligné la doctrine, une clause par laquelle le souscripteur se réserverait la possibilité de racheter le contrat malgré l’acceptation du bénéficiaire serait contraire au principe d’irrévocabilité des donations et, à ce titre, juridiquement nulle[26].

Ainsi, en matière d’assurance-vie, l’acceptation ne se contente pas de figer les droits du bénéficiaire : elle soustrait également le contrat à toute possibilité de remise en cause par le souscripteur. Dès lors que le bénéficiaire a exprimé son acceptation, la stipulation lui devient définitivement acquise, et toute tentative du souscripteur de racheter le contrat en contradiction avec cette acceptation est juridiquement inefficace.

C) Les effets dans les rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui ne se réduit pas à la seule création d’un lien entre le bénéficiaire et le promettant. Elle instaure également une relation juridique entre le stipulant et le bénéficiaire, dont la nature et les effets varient selon l’intention qui a présidé à l’établissement de la stipulation dans le contrat principal. Cette relation, souvent sous-estimée, est pourtant fondamentale, car elle éclaire la portée véritable de la stipulation et détermine les éventuelles obligations réciproques des parties en présence.

==>Une relation qui peut être guidée par une intention libérale

Dans de nombreux cas, la stipulation pour autrui s’analyse comme une libéralité indirecte, en ce qu’elle vise à gratifier le bénéficiaire sans contrepartie. Cette qualification a des conséquences majeures, notamment en matière de protection des créanciers et des héritiers du stipulant.

D’une part, si la stipulation pour autrui a eu pour effet d’appauvrir le stipulant, ses créanciers peuvent agir par la voie de l’action paulienne pour en obtenir l’inopposabilité, à condition d’établir que la stipulation leur a causé un préjudice et qu’elle a été conclue en fraude de leurs droits.

D’autre part, en matière successorale, les héritiers du stipulant peuvent contester l’attribution au profit du bénéficiaire si celle-ci porte atteinte à la réserve héréditaire. Toutefois, cette contestation obéit à un régime particulier en ce qui concerne l’assurance-vie. L’article L. 132-13 du Code des assurances consacre en effet une règle spécifique selon laquelle seule la fraction des primes manifestement exagérées peut être réintégrée dans la succession. Le capital décès versé au bénéficiaire échappe ainsi à toute remise en cause, sauf en cas d’abus manifeste dans le versement des primes. Cette solution, largement admise par la jurisprudence, vise à préserver la spécificité du contrat d’assurance-vie en tant qu’instrument de prévoyance et de transmission patrimoniale.

==>L’absence d’obligation du stipulant envers le bénéficiaire

En principe, dès lors que la stipulation pour autrui a conféré un droit direct au bénéficiaire, le stipulant ne demeure tenu à aucune obligation à son égard. Le bénéficiaire ne peut exiger du stipulant qu’il veille à la bonne exécution de l’engagement pris par le promettant ni qu’il garantisse la prestation qui lui est due. Cette règle découle de la nature même de la stipulation pour autrui, qui repose sur un transfert de droit sans transfert d’obligation.

Le stipulant peut néanmoins choisir d’assumer un rôle plus actif dans la mise en œuvre de la stipulation. Ainsi, s’il s’engage expressément à garantir la réalisation de la prestation, il se trouve contractuellement tenu à l’égard du bénéficiaire. Dans cette hypothèse, une inexécution du promettant pourrait justifier une action du bénéficiaire contre le stipulant, fondée sur l’engagement de garantie souscrit. Toutefois, à défaut d’une stipulation expresse en ce sens, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre le stipulant et doit se retourner exclusivement contre le promettant pour faire valoir ses droits.

==>L’absence de recours du bénéficiaire contre le stipulant en cas d’échec de la stipulation

La question se pose avec acuité lorsque la stipulation pour autrui devient inefficace en raison d’une annulation ou d’une résolution du contrat principal. En pareil cas, le bénéficiaire se retrouve privé du droit qu’il croyait acquérir, et il pourrait être tenté d’agir contre le stipulant pour obtenir réparation du préjudice subi.

En principe, une telle action est irrecevable. La stipulation pour autrui ne crée en effet aucun engagement autonome du stipulant envers le bénéficiaire : son rôle se limite à instituer un droit au profit de ce dernier, mais sans obligation corrélative à sa charge. Ainsi, si le contrat principal est anéanti, la stipulation disparaît avec lui, sans que le bénéficiaire puisse en contester les effets. Cette solution, conforme aux principes généraux du droit des obligations, vise à éviter d’imputer au stipulant une responsabilité qui excéderait son engagement initial.

Toutefois, une exception mérite d’être relevée. Si le stipulant a expressément garanti au bénéficiaire la mise en œuvre de la stipulation, il pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance du promettant. Une telle garantie ne se présume pas et doit résulter d’une clause expresse dans le contrat principal. En l’absence d’un tel engagement formel, le bénéficiaire demeure privé de tout recours contre le stipulant et doit exclusivement s’adresser au promettant pour obtenir l’exécution de la prestation qui lui est due.

 

 

 

  1. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  2. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 1901, n° 1123. ?
  3. E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, p. 237 ?
  4. Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
  5. M. Mignot, Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 30 mars 2016, p. 11. ?
  6. F. Terré et Ph. Simler, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2019, n° 699. ?
  7. R. Remogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 759 ?
  8. J. Ghestin, Ch. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, LGDJ, 3? éd. 2001, n° 967. ?
  9. R. Rodière, Droit des transports, Sirey, 2? éd., 1977, n° 364 ?
  10. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 3e éd., n° 629 ?
  11. J. Ghestin, Traité de droit civil, Les effets du contrat, LGDJ, 3e éd., 2001, n° 967 ?
  12. R. Demogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
    1. Colin et H. Capitant, Traité de droit civil, t. II, Dalloz, 1959, n° 973

    ?

  13. R. Beudant, Cours de droit civil français, 1953, n° 941 ?
  14. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  15. Portalis, Discours préliminaire du Code civil, 1801. ?
  16. P. Esmein, Traité pratique de droit civil français, t. VI, 1952, n° 48 ?
  17. M. Mignot, Commentaire de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 2016, n° 64, p. 11 ?
  18. M. Marty et M. Raynaud, Les obligations, t. 1, 2? éd., Sirey, 1988, n° 283. ?
  19. Eugène Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 ?
  20. Guy Flattet, Les contrats pour le compte d’autrui, thèse, Paris, 1950, n° 106 ?
  21. G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, d’après le traité de M. Planiol, t. II, LGDJ, 1957, n° 630 et 642. ?
  22. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 3? éd., 2001, LGDJ, n° 994 ?
  23. Ph. Amsler, Donation à cause de mort et désignation du bénéficiaire d’une assurance de personnes, 1979, p. 68. ?
  24. D. R. Martin, La stipulation de contrat pour autrui, D. 1994. Chron. 145 ?
  25. M. Grimaldi, Les donations à terme, Études offertes à P. Catala, Litec 2001, n° 14, p. 432 ?

Procédure orale devant le Tribunal judiciaire: la tentative préalable de conciliation

Dans le cadre de la procédure orale devant le Tribunal judiciaire, le demandeur dispose d’une option procédurale :

  • Soit il choisit de provoquer une tentative préalable de conciliation
  • Soit il choisit d’assigner aux fins de jugement

Nous nous focaliserons ici sur la première option. La tentative de conciliation provoquée par le demandeur est régie par les articles 820 à 826 du CPC.

I) La demande de conciliation

A) La présentation de la demande de conciliation

==> Forme de la demande

L’article 820, al. 1er du CPC dispose que « la demande aux fins de tentative préalable de conciliation est formée par requête faite, remise ou adressée au greffe. »

Alors que sous l’empire du droit antérieur, la demande de tentative de conciliation devait être formulée au moyen d’une déclaration au greffe, c’est désormais par voie de requête que la juridiction doit être saisie.

Cette modification est issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

L’objectif poursuivi par le législateur était de simplifier et d’unifier les modes de saisine, ce qui s’est notamment traduit par la suppression de la déclaration au greffe et de la présentation volontaire des parties comme modes de saisine des juridictions.

En matière de tentative de conciliation, la demande doit donc dorénavant être formée par requête, laquelle remplace la déclaration au greffe.

La requête est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.

À la différence de l’assignation, la requête est donc adressée, non pas à la partie adverse, mais à la juridiction auprès de laquelle est formulée la demande en justice.

Reste qu’elle produit le même effet, en ce qu’elle est un acte introductif d’instance.

==> Formalisme

À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.

Mentions de droit commun
Art. 54• Lorsqu'elle est formée par voie électronique, la demande comporte également, à peine de nullité, les adresse électronique et numéro de téléphone mobile du demandeur lorsqu'il consent à la dématérialisation ou de son avocat.

• Elle peut comporter l'adresse électronique et le numéro de téléphone du défendeur.

• À peine de nullité, la demande initiale mentionne :

1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L'objet de la demande ;

3° a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;

b) Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier ;

5° Lorsqu'elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative ;

6° L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.
Art. 57• Elle contient, outre les mentions énoncées à l'article 54, également à peine de nullité :

-lorsqu'elle est formée par une seule partie, l'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social

-dans tous les cas, l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.

•Elle est datée et signée.
Art. 757• Outre les mentions prescrites par les articles 54 et 57, la requête doit contenir, à peine de nullité, un exposé sommaire des motifs de la demande.

• Les pièces que le requérant souhaite invoquer à l'appui de ses prétentions sont jointes à sa requête en autant de copies que de personnes dont la convocation est demandée.

• Le cas échéant, la requête mentionne l'accord du requérant pour que la procédure se déroule sans audience en application de l'article L. 212-5-1 du code de l'organisation judiciaire.

• Lorsque la requête est formée par voie électronique, les pièces sont jointes en un seul exemplaire.

• Lorsque chaque partie est représentée par un avocat, la requête contient, à peine de nullité, la constitution de l'avocat ou des avocats des parties.

• Elle est signée par les avocats constitués.

==> Absence d’exigence tenant au montant de la demande

A la différence de la procédure orale aux fins de jugement qui n’autorise l’introduction de l’instance par requête qu’à la condition que le montant de la demande n’excède pas 5.000 euros, en matière de tentative de conciliation l’instance peut être introduite selon ce mode de saisine sans condition de montant.

B) Les effets de la demande de conciliation

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que la demande aux fins de tentative préalable de conciliation formée par requête ne s’analyse pas en une citation en justice.

La conséquence en est que, en cas d’échec de cette procédure, le juge ne sera nullement tenu par les termes de la conciliation.

Le principal effet de la demande de conciliation est d’interrompre la prescription et les délais pour agir en justice à compter de la date d’enregistrement de la déclaration faite au greffe.

Cette règle, énoncée par l’article 820, al. 2e du CPC ne fait que reprendre les termes de l’article 2238 du Code civil qui dispose que « la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. »

II) le déroulement de la conciliation

La tentative de conciliation peut être menée :

  • soit par un conciliateur délégué à cet effet
  • soit par le juge lui-même

A) La conciliation déléguée à un conciliateur de justice

==> La faculté de délégation

L’article 821 du CPC dispose que « le juge peut déléguer à un conciliateur de justice la tentative préalable de conciliation. »

Il ressort de cette disposition que la désignation d’un conciliateur aux fins de trouver une issue au litige qui oppose les parties est une simple faculté laissée au juge qu’il peut choisir de ne pas exercer.

Le juge optera pour ce choix, lorsqu’il estimera qu’une solution au litige est susceptible d’être rapidement trouvée, ce qui permettra d’accélérer le processus de conciliation.

Sous l’empire du droit antérieur l’exercice de cette faculté était subordonné à l’accord des parties.

L’exigence de cet accord a été supprimée par le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 lorsque la tentative de conciliation est engagée notamment en procédure orale devant le Tribunal judiciaire.

Le législateur a considéré que dans la mesure où les parties sont d’accord sur le principe de la conciliation, les modalités de cette conciliation doivent être librement décidées par le juge, c’est-à-dire qu’il peut soit procéder directement à cette conciliation, soit la déléguer à un conciliateur de justice.

==> La convocation des parties

Une fois le conciliateur de justice désigné par le juge, le greffier accomplit deux formalités successives :

  • D’une part, il avise par tous moyens le défendeur de la décision du juge.
    • L’avis précise les nom, prénoms, profession et adresse du demandeur et l’objet de la demande.
  • D’autre part, dans l’hypothèse où le défendeur ne refuse pas la désignation d’une tierce personne, il avise le demandeur et le conciliateur de justice de la décision du juge.
    • Une copie de la demande est adressée au conciliateur.

Pour procéder à la tentative de conciliation, l’article 129-3 du CPC dispose que le conciliateur de justice convoque les parties aux lieu, jour et heure qu’il détermine.

Cette disposition précise que cette convocation n’a lieu qu’« en tant que de besoin ». En effet, elle ne sera pas nécessaire lorsque le conciliateur est déjà présent à l’audience, comme cela se pratique devant de nombreux tribunaux.

==> Assistance des parties

L’alinéa 2 de l’article 129-3 du CPC dispose que lors de leur comparution devant le conciliateur de justice, les parties peuvent être assistées par une personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction ayant délégué la conciliation.

En procédure orale devant le Tribunal judiciaire il s’agira donc des personnes figurant sur la liste énoncée à l’article 762 du CPC au nombre desquelles figurent :

  • L’avocat ;
  • Le conjoint ;
  • Le concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ;
  • Les parents ou alliés en ligne directe ;
  • Les parents ou alliés en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclus ;
  • Les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise
  • Les fonctionnaires ou agents de l’administration lorsque l’État, les départements, les régions, les communes ou les établissements publics sont parties à l’instance

L’article 823 du CPC précise que « les avis adressés aux parties par le greffier précisent que chaque partie peut se présenter devant le conciliateur avec une personne ayant qualité pour l’assister devant le juge ».

==> Pouvoirs du conciliateur

À l’instar des mesures d’« investigation » que le conciliateur peut mener dans un cadre extrajudiciaire, il est prévu qu’il peut, avec l’accord des parties, se rendre sur les lieux et entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile et qui l’accepte.

Il est précisé à l’article 129-4 du CPC que les constatations du conciliateur et les déclarations qu’il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure, sans l’accord des parties, ni, en tout état de cause, dans une autre instance.

L’article 129-5 du CPC ajoute que le conciliateur de justice doit tenir le juge informé des difficultés qu’il rencontre dans l’accomplissement de sa mission, ainsi que de la réussite ou de l’échec de la conciliation.

En cas d’échec de la conciliation, l’article 832 du CPC prévoit, à cet égard, que « le conciliateur de justice en informe le juge en précisant la date de la réunion à l’issue de laquelle il a constaté cet échec. »

==> Issue de la conciliation

  • Succès de la conciliation
    • En cas d’accord, il est établi un constat signé des parties et du conciliateur de justice.
    • En application de l’article 824 du CPC il s’ensuit la formulation d’une demande d’homologation du constat d’accord qui doit être transmise au juge par le conciliateur, étant précisé qu’une copie du constat doit y être jointe.
    • À défaut de saisine du juge par le conciliateur, l’article 131 du CPC dispose que, à tout moment, les parties ou la plus diligente d’entre elles peuvent soumettre à l’homologation du juge le constat d’accord établi par le conciliateur de justice.
    • Le juge statue sur la requête qui lui est présentée sans débat, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties à l’audience.
    • L’homologation relève de la matière gracieuse.
    • Aussi, le juge ne sera pas tenu de convoquer les parties avant de statuer sur la demande d’homologation ( 28 CPC).
    • Une telle requête pourra ainsi être présentée avant l’audience de rappel de l’affaire, pour éviter aux parties d’avoir à se déplacer à cette audience
    • En tout état de cause, conformément à l’article 130 du CPC la teneur de l’accord, même partiel, doit être consignée, selon le cas, dans un procès-verbal signé par les parties et le juge ou dans un constat signé par les parties et le conciliateur de justice.
    • Des extraits du procès-verbal dressé par le juge peuvent alors être délivrés.
    • L’article 131 du CPC prévoit que ces extraits valent titre exécutoire.
  • Échec de la conciliation
    • L’article 129-5, al. 2 du CPC prévoit que le juge peut mettre fin à tout moment à la conciliation, à la demande d’une partie ou à l’initiative du conciliateur.
    • Il peut également y mettre fin d’office lorsque le bon déroulement de la conciliation apparaît compromis.
    • Cette décision est une mesure d’administration judiciaire, prise sans forme et non susceptible de recours ( 129-6 CPC).
    • Le greffier en avise le conciliateur et les parties. La procédure reprend son cours, soit à la date qui avait été fixée par le juge pour le rappel de l’affaire, soit à une autre date dont les parties sont alors avisées conformément aux règles de procédure applicables devant la juridiction considérée.
    • En dehors de cette hypothèse, l’échec de cette tentative est constaté par le conciliateur qui en avise la juridiction ( 129-5 CPC), en lui précisant la date de la réunion à l’issue de laquelle le conciliateur a constaté cet échec (art. 822 CPC).
    • Cette date est importante à un double titre.
      • D’une part, à la différence du droit antérieur, cette date clôt la procédure de tentative de conciliation et constitue donc la date à compter de laquelle cesse l’interruption de la prescription.
      • D’autre part, elle constitue le point de départ du délai d’un mois offert au demandeur pour bénéficier de la « passerelle » permettant de saisir la juridiction par déclaration au greffe.

B) La conciliation menée par le juge

Le juge peut souhaiter mener lui-même la tentative de conciliation ou les parties s’opposer à la délégation d’un conciliateur de justice.

Dans ce cas, le régime de la tentative de conciliation est détaillé à l’article 825 du CPC.

==> Convocation des parties

Lorsque donc le juge décide de procéder lui-même à la conciliation ou que l’une des parties a refusé la désignation d’un conciliateur, l’article 825 du CPC dispose que le greffe avise le demandeur par tout moyen des lieu, jour et heure auxquels l’audience de conciliation se déroulera.

Ainsi, le demandeur est-il désormais avisé « par tout moyen » et non plus seulement par lettre simple, ce qui permet ainsi l’utilisation de moyens modernes de communication, à charge pour celui qui est en demande de donner les moyens de nature à lui transmettre utilement l’information.

Quant à la convocation du défendeur, elle intervient par lettre simple. L’article 825 al. 2 exige que la convocation mentionne les nom, prénoms, profession et adresse du demandeur ainsi que l’objet de la demande.

Enfin, l’avis et la convocation doivent préciser que chaque partie peut se faire assister par une des personnes énumérées à l’article 762 du CPC.

==> Pouvoirs du juge

L’objectif de souplesse, favorable à l’émergence d’une conciliation des parties, est conforté par la précision apportée à l’article 128 du CPC aux termes de laquelle le juge fixe les modalités de la tentative de conciliation.

Il sera ainsi possible pour le juge, s’il n’estime pas nécessaire de mobiliser un greffier pendant la tentative de conciliation se déroulant en dehors d’une audience de fond, de dispenser celui-ci d’y assister.

Cette dispense ne pourra toutefois pas concerner la phase finale de la conciliation : en cas d’accord des parties, il appartient au greffier d’établir le procès-verbal de conciliation, sous le contrôle du juge et en présence des parties, dont le greffier pourra ainsi attester du consentement.

Bien que la précision ne figure pas dans les dispositions propres à la procédure de tentative préalable de conciliation, celle-ci pourra toujours avoir lieu dans le cabinet du juge.

À cet égard, l’article 129 du CPC dispose que « la conciliation est tentée, sauf disposition particulière, au lieu et au moment que le juge estime favorables et selon les modalités qu’il fixe ».

==> Issue de la conciliation

  • Succès de la conciliation
    • En cas d’accord, même partiel, l’article 130 du CPC prévoit que la teneur de l’accord est consignée dans un procès-verbal signé par les parties et le juge
    • Des extraits de ce procès-verbal valent titre exécutoire en application de l’article 131 du CPC.
  • Échec de la conciliation
    • En cas d’échec total ou partiel de la tentative de conciliation, l’article 826 du CPC prévoit que le demandeur peut saisir la juridiction aux fins de jugement de tout ou partie de ses prétentions initiales.
    • La saisine de la juridiction est alors faite selon les modalités prévues par l’article 818 du CPC qui dispose que la demande est formée :
      • Soit par une assignation
      • Soit par une requête conjointe
      • Soit par une requête unilatérale lorsque le montant de la demande n’excède pas 5 000 euros

Procédure devant le Tribunal d’instance: la tentative préalable de conciliation

En application de l’article 829 du CPC, devant le Tribunal d’instance, le demandeur dispose d’une option procédurale :

  • Soit il choisit de provoquer une tentative préalable de conciliation
  • Soit il choisit d’assigner aux fins de jugement

La tentative de conciliation provoquée par le demandeur est régie par les articles 830 à 836 du CPC.

I) La demande de conciliation

A) La présentation de la demande de conciliation

==> Forme de la demande

L’article 830, al. 1er du CPC dispose que « la demande aux fins de tentative préalable de conciliation est formée par déclaration faite, remise ou adressée au greffe ».

==> Contenu de la demande

L’article 830, al. 2e prévoit que la déclaration faite au greffe doit comporter :

  • D’une part, les nom, prénoms, profession et adresse des parties
  • D’autre part, l’objet des prétentions du demandeur

B) Les effets de la demande de conciliation

A titre de remarque liminaire, il convient d’observer que la demande aux fins de tentative préalable de conciliation formée par déclaration faite au greffe ne s’analyse pas en une citation en justice.

La conséquence en est que, en cas d’échec de cette procédure, le juge d’instance ne sera nullement tenu par les termes de la conciliation.

Le principal effet de la demande de conciliation est d’interrompre la prescription et les délais pour agir en justice à compter de la date d’enregistrement de la déclaration faite au greffe.

Cette règle, énoncée par l’article 830, al. 3e du CPC ne fait que reprendre les termes de l’article 2238 du Code civil qui dispose que « la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. »

II) le déroulement de la conciliation

La tentative de conciliation peut être menée :

  • soit par un conciliateur délégué à cet effet
  • soit par le juge lui-même

A) La conciliation déléguée à un conciliateur de justice

==> La faculté de délégation

L’article 831 du CPC dispose que « le juge peut déléguer à un conciliateur de justice la tentative préalable de conciliation. »

IL ressort de cette disposition que la désignation d’un conciliateur aux fins de trouver une issue au litige qui oppose les parties est une simple faculté laissée au juge qu’il peut choisir de ne pas exercer.

Le juge optera pour ce choix, lorsqu’il estimera qu’une solution au litige est susceptible d’être rapidement trouvée, ce qui permettra d’accélérer le processus de conciliation.

Sous l’empire du droit antérieur l’exercice de cette faculté était subordonné à l’accord des parties.

L’exigence de cet accord a été supprimée par le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 lorsque la tentative de conciliation est engagée notamment devant le Tribunal d’instance.

Le législateur a considéré que dans la mesure où les parties sont d’accord sur le principe de la conciliation, les modalités de cette conciliation doivent être librement décidées par le juge, c’est-à-dire qu’il peut soit procéder directement à cette conciliation, soit la déléguer à un conciliateur de justice.

==> La convocation des parties

Une fois le conciliateur de justice désigné par le juge, le greffier accomplit deux formalités successives :

  • D’une part, il avise par tous moyens le défendeur de la décision du juge.
    • L’avis précise les nom, prénoms, profession et adresse du demandeur et l’objet de la demande.
  • D’autre part, dans l’hypothèse où le défendeur ne refuse pas la désignation d’une tierce personne, il avise le demandeur et le conciliateur de justice de la décision du juge.
    • Une copie de la demande est adressée au conciliateur.

Pour procéder à la tentative de conciliation, l’article 129-3 du CPC dispose que le conciliateur de justice convoque les parties aux lieu, jour et heure qu’il détermine.

Cette disposition précise que cette convocation n’a lieu qu’« en tant que de besoin ». En effet, elle ne sera pas nécessaire lorsque le conciliateur est déjà présent à l’audience, comme cela se pratique devant de nombreux tribunaux d’instance.

==> Assistance des parties

L’alinéa 2 de l’article 129-3 du CPC dispose que lors de leur comparution devant le conciliateur de justice, les parties peuvent être assistées par une personne ayant qualité pour le faire devant la juridiction ayant délégué la conciliation.

Devant le Tribunal d’instance il s’agira donc des personnes figurant sur la liste énoncée à l’article 828 du CPC au nombre desquelles figurent :

  • L’avocat ;
  • Le conjoint ;
  • Le concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité ;
  • Les parents ou alliés en ligne directe ;
  • Les parents ou alliés en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclus ;
  • Les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise
  • Les fonctionnaires ou agents de l’administration lorsque l’État, les départements, les régions, les communes ou les établissements publics sont parties à l’instance

L’article 832-1 du CPC précise que « les avis adressés aux parties par le greffier précisent que chaque partie peut se présenter devant le conciliateur avec une personne ayant qualité pour l’assister devant le juge ».

==> Pouvoirs du conciliateur

À l’instar des mesures d’« investigation » que le conciliateur peut mener dans un cadre extrajudiciaire, il est prévu qu’il peut, avec l’accord des parties, se rendre sur les lieux et entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile et qui l’accepte.

Il est précisé à l’article 129-4 du CPC que les constatations du conciliateur et les déclarations qu’il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure, sans l’accord des parties, ni, en tout état de cause, dans une autre instance.

L’article 129-5 du CPC ajoute que le conciliateur de justice doit tenir le juge informé des difficultés qu’il rencontre dans l’accomplissement de sa mission, ainsi que de la réussite ou de l’échec de la conciliation.

En cas d’échec de la conciliation, l’article 832 du CPC prévoit, à cet égard, que « le conciliateur de justice en informe le juge en précisant la date de la réunion à l’issue de laquelle il a constaté cet échec. »

==> Issue de la conciliation

  • Succès de la conciliation
    • En cas d’accord, il est établi un constat signé des parties et du conciliateur de justice.
    • En application de l’article 833 du CPC il s’ensuit la formulation d’une demande d’homologation du constat d’accord qui doit être transmise au juge par le conciliateur, étant précisé qu’une copie du constat doit y être jointe.
    • À défaut de saisine du juge par le conciliateur, l’article 131 du CPC dispose que, à tout moment, les parties ou la plus diligente d’entre elles peuvent soumettre à l’homologation du juge le constat d’accord établi par le conciliateur de justice.
    • Le juge statue sur la requête qui lui est présentée sans débat, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties à l’audience.
    • L’homologation relève de la matière gracieuse.
    • Aussi, le juge ne sera pas tenu de convoquer les parties avant de statuer sur la demande d’homologation ( 28 CPC).
    • Une telle requête pourra ainsi être présentée avant l’audience de rappel de l’affaire, pour éviter aux parties d’avoir à se déplacer à cette audience
    • En tout état de cause, conformément à l’article 130 du CPC la teneur de l’accord, même partiel, doit être consignée, selon le cas, dans un procès-verbal signé par les parties et le juge ou dans un constat signé par les parties et le conciliateur de justice.
    • Des extraits du procès-verbal dressé par le juge peuvent alors être délivrés.
    • L’article 131 du CPC prévoit que ces extraits valent titre exécutoire.
  • Échec de la conciliation
    • L’article 129-5, al. 2 du CPC prévoit que le juge peut mettre fin à tout moment à la conciliation, à la demande d’une partie ou à l’initiative du conciliateur.
    • Il peut également y mettre fin d’office lorsque le bon déroulement de la conciliation apparaît compromis.
    • Cette décision est une mesure d’administration judiciaire, prise sans forme et non susceptible de recours ( 129-6 CPC).
    • Le greffier en avise le conciliateur et les parties. La procédure reprend son cours, soit à la date qui avait été fixée par le juge pour le rappel de l’affaire, soit à une autre date dont les parties sont alors avisées conformément aux règles de procédure applicables devant la juridiction considérée.
    • En dehors de cette hypothèse, l’échec de cette tentative est constaté par le conciliateur qui en avise la juridiction ( 129-5 CPC), en lui précisant la date de la réunion à l’issue de laquelle le conciliateur a constaté cet échec (art. 832 CPC).
    • Cette date est importante à un double titre.
      • D’une part, à la différence du droit antérieur, cette date clôt la procédure de tentative de conciliation et constitue donc la date à compter de laquelle cesse l’interruption de la prescription.
      • D’autre part, elle constitue le point de départ du délai d’un mois offert au demandeur pour bénéficier de la « passerelle » permettant de saisir la juridiction par déclaration au greffe.

B) La conciliation menée par le juge d’instance

Le juge peut souhaiter mener lui-même la tentative de conciliation ou les parties s’opposer à la délégation d’un conciliateur de justice.

Dans ce cas, le régime de la tentative de conciliation est détaillé dans une section II du chapitre I, regroupant les articles 834 et 835 du CPC.

==> Convocation des parties

Lorsque donc le juge décide de procéder lui-même à la conciliation ou que l’une des parties a refusé la désignation d’un conciliateur, l’article 834 du CPC dispose que le greffe avise le demandeur par tout moyen des lieu, jour et heure auxquels l’audience de conciliation se déroulera.

Ainsi, le demandeur est-il désormais avisé « par tout moyen » et non plus seulement par lettre simple, ce qui permet ainsi l’utilisation de moyens modernes de communication, à charge pour celui qui est en demande de donner les moyens de nature à lui transmettre utilement l’information.

Quant à la convocation du défendeur, elle intervient par lettre simple. L’article 834 al. 2 exige que la convocation mentionne les nom, prénoms, profession et adresse du demandeur ainsi que l’objet de la demande.

Enfin, l’avis et la convocation doivent préciser que chaque partie peut se faire assister par une des personnes énumérées à l’article 828.

==> Pouvoirs du juge

L’objectif de souplesse, favorable à l’émergence d’une conciliation des parties, est conforté par la précision apportée à l’article 128 du CPC aux termes de laquelle le juge fixe les modalités de la tentative de conciliation.

Il sera ainsi possible pour le juge, s’il n’estime pas nécessaire de mobiliser un greffier pendant la tentative de conciliation se déroulant en dehors d’une audience de fond, de dispenser celui-ci d’y assister.

Cette dispense ne pourra toutefois pas concerner la phase finale de la conciliation : en cas d’accord des parties, il appartient au greffier d’établir le procès-verbal de conciliation, sous le contrôle du juge et en présence des parties, dont le greffier pourra ainsi attester du consentement.

Bien que la précision ne figure pas dans les dispositions propres à la procédure de tentative préalable de conciliation, celle-ci pourra toujours avoir lieu dans le cabinet du juge.

À cet égard, l’article 129 du CPC dispose que « la conciliation est tentée, sauf disposition particulière, au lieu et au moment que le juge estime favorables et selon les modalités qu’il fixe ».

==> Issue de la conciliation

  • Succès de la conciliation
    • En cas d’accord, même partiel, l’article 130 du CPC prévoit que la teneur de l’accord est consignée dans un procès-verbal signé par les parties et le juge
    • Des extraits de ce procès-verbal valent titre exécutoire en application de l’article 131 du CPC.
  • Échec de la conciliation
    • En cas d’échec de la tentative de conciliation, l’article 835 du CPC envisage deux options :
      • Première option
        • L’alinéa 1er de l’article 835 du CPC prévoit que, à défaut de conciliation, l’affaire peut être immédiatement jugée si les parties y consentent.
        • Dans ce cas, il est procédé selon les modalités de la présentation volontaire.
      • Seconde option
        • Dans l’hypothèse où les parties n’ont pas consenti à ce que l’affaire soit jugée immédiatement au fond, elles sont avisées que la juridiction peut être saisie aux fins de jugement de la demande, en application de l’article 836 dont les dispositions sont reproduites.
        • Cette disposition prévoit, pour mémoire, que, en cas d’échec total ou partiel de la tentative préalable de conciliation, le demandeur peut saisir la juridiction aux fins de jugement de tout ou partie de ses prétentions initiales.
        • La saisine de la juridiction est alors faite selon les modalités prévues par l’article 829 du CPC qui dispose que la demande est formée :
          • Soit par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation.
          • Soit par une requête conjointe remise au greffe
          • Soit par la présentation volontaire des parties devant le juge
          • Soit, dans le cas prévu à l’article 843, par une déclaration au greffe.

Le régime juridique du pacs: conditions, effets, dissolution

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[1], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale.

De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[2]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire.

Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui.

Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[3], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable.

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[4] et plus encore, comme son « acte fondateur »[5].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Parce que le contexte sociologique et juridique ne permettait plus à ce silence de prospérer, le législateur est intervenu pour remédier à cette situation.

Son intervention s’est traduite par l’adoption de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, plus couramment désigné sous le nom de pacs.

Ainsi, pour la première fois, le législateur reconnaissait-il un statut juridique au couple en dehors du mariage.

Section 1: La genèse de la loi sur le pacs

L’adoption de la loi sur le pacs procède de l’émergence à la fois d’un contexte sociologique et à la fois d’un contexte juridique.

I) Le contexte sociologique et juridique

A) Le contexte sociologique

Tout d’abord, il est apparu au législateur que le concubinage hétérosexuel est devenu un fait de société impossible à ignorer.

Depuis la fin des années 60, le nombre de couples non mariés a constamment augmenté pour atteindre la proportion, en 1999, d’un couple sur six.

Ajoutées à ce constat, la signification et les motivations du concubinage ont évolué.

À côté des personnes qui, traditionnellement, réfutaient l’institution du mariage et vivaient en union libre par idéal pour garder un caractère privé à leur engagement, sont apparus dans les années 70 des jeunes couples cohabitant en prélude au mariage.

Dans les années 1980, cette cohabitation s’est installée dans la durée sans pour autant exprimer un refus explicite et définitif du mariage.

Par ailleurs, il a été constaté que la naissance d’un enfant n’entraînait plus nécessairement le mariage. Marginale dans les deux premiers tiers du siècle, la part des naissances hors mariage n’a cessé d’augmenter avec une très nette accélération au début des années 80.

Trois enfants nés hors mariage sur quatre en 1996 ont été reconnus par leur père dès la naissance. La réforme de la filiation ayant aligné en 1972 le statut des enfants naturels conçus hors mariage sur celui des enfants légitimes explique en grande partie l’évolution des comportements. Le mariage n’est plus impératif pour éviter à un enfant de naître privé de droits.

Parallèlement, le législateur a pu relever que nombre de mariages qui avait atteint son maximum en 1972 (416 500) a notablement diminué, s’établissant à 254 000 en 1994, remariages compris. En 1996, a été enregistrée une augmentation brusque de 10%, du nombre des mariages, accompagnée d’une hausse importante du nombre d’enfants légitimés (112 000).

B) Le contexte juridique

Plusieurs facteurs ont conduit le législateur à conférer un statut juridique aux couples de concubins :

  • L’élimination des discriminations à l’égard des personnes homosexuelles
    • La demande de reconnaissance sociale du couple homosexuel s’est affirmée au terme d’une évolution juridique qui, dans les années 80, a permis d’éliminer les discriminations légales fondées sur l’orientation sexuelle des individus.
      • La loi n° 82-683 du 4 août 1982
        • Cette loi a fait disparaître du code pénal la dernière disposition réprimant spécifiquement l’homosexualité.
        • Elle a en effet abrogé le deuxième alinéa de l’article 331 de l’ancien code pénal qui réprimait les attentats à la pudeur sans violence sur mineur du même sexe alors que la majorité sexuelle pour les relations hétérosexuelles était fixée à quinze ans.
        • Au-delà du respect de leur comportement individuel, les homosexuels revendiquent la reconnaissance sociale de leur couple, ce qui a pu faire dire que sortis du code pénal, ils aspiraient à rentrer dans le code civil.
      • La loi Quilliot du 22 juin 1982
        • Cette loi a substitué à l’obligation de « jouir des locaux en bon père de famille » celle d’en jouir paisiblement.
        • L’homosexualité cessait ainsi d’être une cause d’annulation d’un bail.
      • La loi du 13 juillet 1983
        • Ce texte a supprimé les notions de « bonne moralité » et de « bonne mœurs » du statut général des fonctionnaires.
        • Parallèlement, en 1981, le Gouvernement retirait l’approbation française à l’article 302 de la classification de l’organisation mondiale de la santé faisant entrer, depuis le début des années 60, l’homosexualité dans la catégorie des pathologies.
      • Les homosexuels se sont ensuite vus reconnaître légalement le droit de ne pas subir de discriminations en raison de leurs mœurs.
        • La loi n° 85-772 du 25 juillet 1985
          • Elle a complété le code pénal en prévoyant des dispositions, reprises à l’article 225-1 du nouveau code pénal, sanctionnant les discriminations liées aux mœurs.
        • La loi n° 86-76 du 17 janvier 1986
          • Cette loi a introduit dans l’article L. 122-35 du code du travail une disposition précisant que le règlement intérieur ne peut léser les salariés en raison de leurs mœurs et la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 a modifié l’article L. 122-45 du même code pour protéger le salarié d’une sanction ou d’un licenciement opéré en raison de ses mœurs.
          • Cet article vise aujourd’hui également les refus de recrutement.
  • La prise en compte juridique du concubinage
    • En 1804, le Code civil est totalement silencieux sur le concubinage
    • Cette indifférence du Code napoléonien à l’égard du concubinage s’est poursuivie pendant tout le 19ème siècle.
    • Depuis lors, les concubins ne jouissent d’aucun statut juridique véritable.
    • Les règles qui régissent leur union sont éparses et ponctuelles
      • Les règles légales
        • En matière de logement, l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989, permet à un concubin notoire depuis un an de bénéficier de la continuation ou du transfert du bail en cas d’abandon du logement ou de décès du preneur
        • En matière civile, l’exercice commun de l’autorité parentale a été reconnu aux concubins sous les conditions posées à l’article 372 du code civil. L’assistance médicale à la procréation, au contraire de l’adoption, leur a été ouverte (art. L. 152-2 du code de la santé publique).
        • En matière pénale, une immunité est reconnue au concubin notoire pour non dénonciation d’infractions impliquant l’autre concubin (articles 434-1, 434-6 et 434-11 du code pénal ou, en matière d’aide au séjour irrégulier d’un étranger, article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945) ; en revanche le concubinage avec la victime est une circonstance aggravante de plusieurs infractions (art. 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal)
        • En matière de procédure civile, le décret du 28 décembre 1998 a autorisé le concubin à représenter les parties devant le tribunal d’instance et devant le juge de l’exécution (art. 828 du nouveau code de procédure civile et art. 12 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992).
        • En matière fiscale, le concubin peut bénéficier de la déduction des frais de transport (art. 83, 3° du code général des impôts et avis du Conseil d’Etat du 10 décembre 1993) ;
      • Les règles jurisprudentielles
        • La jurisprudence a élaboré une construction juridique du concubinage permettant de pallier l’absence de statut juridique et notamment de règles gouvernant la liquidation de l’union.
        • Au nombre de ces figures juridiques, figurent
          • La théorie de la société créée de fait
          • L’enrichissement injustifié
          • La théorie de l’apparence
          • L’admission de l’invocation d’un préjudice en cas de décès d’un concubin
  • Le refus de reconnaissance du concubinage homosexuel
    • La Cour de cassation a toujours refusé d’accorder aux couples homosexuels les droits reconnus par la loi aux concubins hétérosexuels.
    • Dans deux décisions du 11 juillet 1989 rendues en matière sociale, la haute juridiction avait, en effet, considéré que les couples homosexuels ne pouvaient bénéficier des avantages reconnus aux concubins par des textes faisant référence à la notion de vie maritale, à travers laquelle elle a considéré que le législateur avait entendu viser la « situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux sans pour autant s’unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu’un couple formé d’un homme et d’une femme » ( soc. 11 juill. 1989).
    • Cette jurisprudence a été confirmée par une décision 17 décembre 1997 en matière de droit au bail, la troisième chambre civile ayant estimé que « le concubinage ne pouvait résulter que d’une relation stable et continue ayant l’apparence du mariage, donc entre un homme et une femme» ( 3e civ. 17 déc. 1997).
    • Les homosexuels se sont ainsi vu refuser l’accès à des droits que l’épidémie de SIDA avait mis au premier rang des préoccupations de leur communauté :
      • transfert du droit au bail en vertu de l’article 14 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989
      • affiliation à la sécurité sociale en tant qu’ayant droit de leur compagnon en application de l’article L. 161-14 du code de la sécurité sociale.
    • Hormis l’assurance maladie au bout d’un an, les couples homosexuels ne bénéficiaient, en 1999, d’aucun droit découlant de leur vie commune.
    • La jurisprudence restrictive de la Cour de cassation sur le concubinage homosexuel était, à cet égard, en phase avec la jurisprudence européenne.
    • La Cour de justice des communautés européennes, par une décision du 17 février 1998, avait, par exemple, refusé de considérer comme une discrimination au sens de l’article 119 du Traité le refus à des concubins du même sexe d’une réduction sur le prix des transports accordée à des concubins de sexe opposé, relevant qu’en « l’état actuel du droit au sein de la Communauté, les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposé» (CJCE, 17 févr. 1998, Lisa jacqueline Grant c/ South-West Trains Ltd, aff. C-249/96).
    • De son côté la Commission européenne des droits de l’Homme considérait que, en dépit de l’évolution contemporaine des mentalités vis-à-vis de l’homosexualité, des relations homosexuelles durables ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégée par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
  • Les difficultés patrimoniales auxquelles se heurtent les couples hors mariage
    • La principale difficulté à laquelle se heurtent les couples hors mariage, hétérosexuels comme homosexuels, est d’ordre patrimonial et successoral.
    • Leurs biens n’étant pas soumis à un régime légal, ils peuvent utiliser plusieurs techniques pour se constituer un patrimoine commun.
      • Ils peuvent procéder à des achats en indivision (art. 815 et suivants du code civil) et passer des conventions d’indivision (art. 1873-1 et suivants du code civil).
      • Ils peuvent procéder à des achats en tontine en vertu desquels les biens reviennent en totalité au dernier vivant.
      • Ils peuvent également procéder à des achats croisés entre la nue propriété et l’usufruit.
      • Ils peuvent enfin constituer des sociétés civiles ou à responsabilité limitée.
    • Toutefois, la transmission de ce patrimoine se heurte aux règles successorales civiles et fiscales qui considèrent les concubins comme des étrangers l’un à l’égard de l’autre.
    • En conséquence, en l’absence de testament, ils n’héritent pas l’un de l’autre.
    • En cas de dispositions testamentaires, leurs droits sont limités par la réserve légale.
    • Ils ne peuvent donc pas, contrairement à l’époux survivant, recueillir plus que la quotité disponible
    • De plus, sur la part dont ils héritent, les droits de mutation sont extrêmement élevés
    • L’adage selon lequel il faut « vivre en union libre mais mourir marié» prenait alors tout son sens, Les concubins souhaitent souvent avant tout pouvoir laisser le logement commun au survivant. La souscription d’une assurance-vie permet au bénéficiaire de toucher en franchise de droit un capital échappant en grande partie à la succession du prédécédé et pouvant être utilisé pour payer les droits de succession. Peuvent également être effectués des legs en usufruit qui permettent au légataire de conserver la jouissance d’un bien en acquittant des droits moindres.

II) L’adoption de la loi sur le pacs

Deux rapports, remis à la Chancellerie au printemps 1998, respectivement par M. Jean Hauser et par Mme Irène Théry, ont proposé des solutions alternatives pour régler les questions de vie commune hors mariage :

  • Le groupe « Mission de recherche droit et justice »
    • Ce groupe de travail présidé par Jean Hauser a adopté, pour régler les problèmes de la vie en commun hors mariage, une approche purement patrimoniale, à travers le projet de pacte d’intérêt commun (PIC).
    • Inséré dans le livre III du code civil, entre les dispositions relatives à la société et celles relatives à l’indivision, ce pacte envisageait une mise en commun de biens par deux personnes souhaitant organiser leur vie commune, sans considération de leur sexe ou du type de relation existant entre elles, qu’elles soient familiales, amicales ou de couple.
    • Le PIC était un acte sous seing privé mais il était néanmoins proposé que puissent en découler, éventuellement, sous condition de durée du pacte, de nombreuses conséquences civiles, sociales et fiscales liées à la présomption de communauté de vie qu’il impliquait.
    • Cette approche avait donc pour ambition ” d’éliminer la charge idéologique de la question ” en éludant la question de la reconnaissance du couple homosexuel.
  • Le rapport d’Irène Théry intitulé « couple, filiation et parenté aujourd’hui»
    • Ce rapport choisissait une approche fondée sur la reconnaissance du concubinage homosexuel accompagnée de l’extension des droits sociaux reconnus à l’ensemble des concubins.
    • Appréhendant le concubinage comme une situation de fait génératrice de droits résultant de la communauté de vie, il a proposé d’inscrire dans le code civil que le « concubinage se constate par la possession d’état de couple naturel, que les concubins soient ou non de sexe différent».

Au total, aucune des deux solutions proposées n’a été retenue. La Présidente de la commission des Lois, a souhaité qu’un texte commun puisse être établi à partir des deux propositions de lois déposées le 23 juillet 1997 respectivement par M. Jean-Pierre Michel M. Jean-Marc Ayrault

Leurs travaux, dont le résultat a été rendu public fin mai 1998, ont donné naissance au concept de « pacte civil de solidarité ».

De cette coproduction législative est ainsi née la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité.

En proposant aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[6], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires, la démarche du législateur témoigne de sa volonté de ne plus faire fi d’une situation de fait qui, au fil des années, s’est imposée comme un modèle à partir duquel se sont construites de nombreuses familles.

En contrepartie d’en engagement contractuel[7] qu’ils doivent prendre dans l’enceinte, non pas de la mairie, mais du greffe du Tribunal de grande instance[8], les concubins, quelle que soit leur orientation sexuelle, peuvent de la sorte voir leur union hors mariage, se transformer en une situation juridique.

C’est là une profonde mutation que connaît le droit de la famille, laquelle mutation ne faisait, en réalité, que commencer.

III) La réforme de la loi sur le pacs

A) La loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités

Quelques années après l’instauration du pacs un certain nombre d’ajustements sont apparus nécessaires aux fins de remédier aux insuffisances révélées par la pratique.

Aussi, la chancellerie a-t-elle réuni un groupe de travail chargé de dresser un état des lieux, lequel déboucha sur un rapport déposé le 30 novembre 2004.

Les préconisations de ce rapport ont été, pour partie, reprises par le gouvernement de l’époque qui déposa une proposition de loi aux fins de réformer le pacs.

Cette réforme consista, en particulier, à modifier le régime patrimonial du PACS, soit plus précisément à basculer d’un régime d’indivision vers un régime de séparation de bien.

En 1999, le régime patrimonial du PACS reposait sur deux présomptions d’indivision différentes selon le type de biens :

  • les meubles meublants dont les partenaires feraient l’acquisition à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale. Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie ;
  • les autres biens dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose autrement.

Par ailleurs, le champ de l’indivision était pour le moins incertain puisque la formulation du texte ne permettait pas de savoir avec certitude s’il comprenait les revenus, les deniers, et les biens créés après la signature du PACS.

De surcroît, l’indivision est un régime qui, par nature est  temporaire et lourd qui plus est.

Aussi, le législateur a-t-il préféré soumettre le PACS au régime de la séparation des patrimoines, suivant les préconisations du groupe de travail.

L’idée était de le rapprocher du régime de séparation de biens prévu par la loi du 13 juillet 1965 pour les époux aux articles 1536 à 1543 du code civil.

Le choix est cependant laissé aux partenaires qui peuvent toujours opter pour un régime d’indivision organisé.

C’est dans ce contexte que la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a été adoptée.

B) La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

La loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité avait fixé le lieu d’enregistrement du pacs au greffe du tribunal d’instance.

La proposition de loi à l’origine de la loi de 1999 prévoyait pourtant un enregistrement par les officiers de l’état civil.

Toutefois, lors de son examen, face à une forte opposition de nombreux maires, pour des raisons symboliques tenant au risque de confusion entre PACS et mariage, l’Assemblée nationale avait confié cette compétence aux préfectures avant, finalement, de l’attribuer aux greffes des tribunaux d’instance.

Depuis la loi n°2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, les pacs peuvent également être enregistrés par un notaire.

Lors de son intervention en 2016 aux fins de moderniser la justice du XXIe siècle, le législateur a entendu transférer aux officiers de l’état civil les compétences actuellement dévolues aux greffes des tribunaux d’instance en matière de Pacs.

Pour ce faire, il s’est appuyé sur le constat que les obstacles symboliques qui avaient présidé en 1999 au choix d’un enregistrement au greffe du tribunal d’instance avaient disparu.

Le Pacs est désormais bien connu des citoyens qui ne le confondent pas avec le mariage et la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a permis d’introduire l’union homosexuelle à la mairie.

Qui plus est, ce transfert des formalités attachées au Pacs du greffe du tribunal d’instance à la mairie s’inscrit dans un mouvement qui vise à recentrer les tribunaux sur leurs activités juridictionnelles.

Désormais, ce sont donc les officiers d’état civil qui sont compétents pour connaître des formalités relatives au pacte civil de solidarité.

Section 2: Les conditions de formation du pacs

La formation du pacs est subordonnée à la satisfaction de conditions de fond et de forme.

I) Les conditions de fond

A) Les conditions tenant aux qualités physiques des partenaires

  1. L’indifférence du sexe

L’article 515-1 du Code civil que le pacs peut être conclu par deux personnes « de sexe différent ou de même sexe »

Ainsi, le législateur a-t-il accédé à une revendication pressante des couples homosexuels qui a pris racine au début des années 1990.

Ces derniers revendiquaient la création d’un statut unifiant pour l’ensemble des couples non mariés, que les partenaires soient de même sexe ou de sexe différent, ou même pour des personnes ayant un projet de vie en commun en dehors de tout lien charnel.

Une première proposition de loi tendant à instituer un contrat de partenariat civil est déposée au Sénat dès cette époque par M. Jean-Luc Mélenchon.

De nombreuses autres propositions relayées par des parlementaires de gauche vont voir le jour à partir de 1992, sous les appellations successives de contrat d’union civile, de contrat d’union sociale ou de contrat d’union civile et sociale.

Elles prévoyaient toutes l’enregistrement des unions devant l’officier d’état civil, définissaient en se référant au mariage les devoirs et le régime des biens des cocontractants et leur attribuaient des droits directement calqués sur le mariage en matière de logement, de sécurité sociale, d’impôt sur le revenu et de succession.

Les revendications portaient, en outre, sur l’élimination, à terme, de toute différence entre les couples homosexuels et hétérosexuels par l’ouverture pure et simple du mariage et du concubinage aux homosexuels.

Allant dans ce sens, le Parlement européen a adopté, le 8 février 1994, une résolution sur l’égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne invitant la Commission des communautés européennes à présenter un projet de recommandation devant chercher, notamment à mettre un terme à :

  • l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes : la recommandation devrait garantir l’ensemble des droits et des avantages du mariage, ainsi qu’autoriser l’enregistrement de partenariats,
  • toute restriction au droit des lesbiennes et des homosexuels d’être parents ou bien d’adopter ou d’élever des enfants.

En définitive, au-delà du respect de leur comportement individuel, les homosexuels revendiquaient la reconnaissance sociale de leur couple, ce qui a pu faire dire que sortis du code pénal, ils aspiraient à rentrer dans le code civil.

C’est chose faite avec l’adoption sur la loi du 15 novembre 1999 qui autorise les couples homosexuels à conclure un pacte civil de solidarité.

2. L’âge des partenaires

L’article 515-1 du Code civil prévoit expressément que le « pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures »

Ainsi, pour conclure un pacs, il faut avoir atteint l’âge de dix-huit ans révolu.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si, à l’instar du mariage, le Procureur peut consentir des dispenses d’âge.

==> S’agissant de l’émancipation

Dans le silence des textes, le mineur émancipé ne dispose pas, a priori, de la capacité de conclure un pacs.

La question avait d’ailleurs été soulevée par les parlementaires devant le Conseil constitutionnel.

Leurs auteurs de la saisine soutenaient que portaient atteinte au principe d’égalité les interdictions de conclure un pacte civil de solidarité qui visent les mineurs émancipés et les majeurs sous tutelle

Le Conseil constitutionnel a toutefois rejeté cet argument estimé que « sans méconnaître les exigences du principe d’égalité, ni celles découlant de la liberté définie à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le législateur […] a pu sans porter atteinte au principe d’égalité, ne pas autoriser la conclusion d’un pacte par une personne mineure émancipée et par une personne majeure placée sous tutelle » (Cons. Cons ; Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).

==> S’agissant de la dispense d’âge

Pour mémoire, en matière de mariage, législateur a estimé que, en certaines circonstances, il y aurait plus d’inconvénients que d’avantages à maintenir cette condition d’âge avec trop de rigidité

Avant la loi du 23 décembre 1970 modifiant l’article 145 du Code civil, le Code civil avait attribué au chef de l’État le pouvoir d’accorder des dispenses d’âge en lui laissant la libre appréciation de leur opportunité.

Il lui appartenait ainsi d’accorder ces dispenses par décret rendu sur le rapport du garde des Sceaux. Ce dossier était alors remis au procureur de la République qui instruisait l’affaire.

La loi n° 70-1266 du 23 décembre 1970 a modifié l’article 145 du Code civil à compter du 1er février 1971 et transféré au procureur de la République du lieu de la célébration du mariage le pouvoir d’accorder les dispenses d’âge dans les mêmes circonstances que pouvait le faire le Président de la République.

L’article 145 du Code civil dispose désormais que, « il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves ».

La dispense accordée par le procureur de la République ne fait toutefois pas disparaître la nécessité du consentement familial exigé pour les mineurs.

L’article 148 du Code civil précise, en effet, que « les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement ».

Ainsi, pour que des mineurs puissent se marier, encore faut-il qu’ils y soient autorisés :

  • par leurs parents
  • par le procureur de la république

Ce régime de dispense d’âge est-il transposable au pacs ?

Dans la mesure où aucune disposition ne le prévoit, une réponse négative doit être apportée à cette question, bien que l’on puisse s’interroger sur l’opportunité d’une telle interdiction.

Compte tenu de son régime juridique, la conclusion d’un pacs est un acte bien moins grave qu’en engagement dans les liens du mariage, ne serait-ce que parce le pacs repose sur un régime de séparation de biens, tandis que celui du mariage est communautaire.

B) Les conditions tenant à la nature contractuelle du pacs

Comme précisé par l’article 515-1 du Code civil le « pacte civil de solidarité est un contrat ».

Il en résulte que sa validité est subordonnée au respect des conditions de formation du contrat.

L’article 1101 du Code civil dispose que le contrat est « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »

Pour être créateur d’obligations, l’article 1103 du Code civil précise néanmoins que le contrat doit être « légalement formé ».

Aussi, cela signifie-t-il que les parties doivent satisfaire à un certain nombre de conditions posées par la loi, à défaut de quoi le contrat ne serait pas valide, ce qui est sanctionné par la nullité.

Les conditions de validité du contrat exigées par la loi sont énoncées à l’article 1128 du Code civil qui prévoit que sont nécessaires à la validité d’un contrat :

  • Le consentement des parties
  • Leur capacité de contracter
  • Un contenu licite et certain
  1. Le consentement

La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?

==> La difficile appréhension de la notion de consentement

Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.

Que l’on doit exactement entendre par consentement ?

Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.

L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :

  • L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
  • Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
  • Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
  • Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
  • Un contractant peut également s’être engagé par erreur

Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.

La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?

Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?

==> Existence du consentement et vice du consentement

Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :

  • Le consentement doit exister
    • À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé son consentement
    • Or cela constitue un obstacle à la rencontre des volontés.
    • Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
    • Autrement dit, le contrat est inexistant.
  • Le consentement ne doit pas être vicié
    • À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
    • Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
      • soit qu’il n’a pas été donné librement
      • soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
    • En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.

a) L’existence du consentement

Le nouvel article 1129 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 apporte une précision dont il n’était pas fait mention dans le droit antérieur.

Cette disposition prévoit, en effet, que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de cette exigence

  • Contenu de la règle
    • L’article 1129 pose la règle selon laquelle l’insanité d’esprit constitue une cause de nullité du contrat
    • Autrement dit, pour pouvoir contracter il ne faut pas être atteint d’un trouble mental, à défaut de quoi on ne saurait valablement consentir à l’acte.
    • Il peut être observé que cette règle existait déjà à l’article 414-1 du Code civil qui prévoit que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. »
    • Cette disposition est, de surcroît d’application générale, à la différence, par exemple de l’article 901 du Code civil qui fait également référence à l’insanité d’esprit mais qui ne se rapporte qu’aux libéralités.
    • L’article 1129 fait donc doublon avec l’article 414-1.
    • Il ne fait que rappeler une règle déjà existante qui s’applique à tous les actes juridiques en général
  • Insanité d’esprit et incapacité juridique
    • L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique
      • L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause :
        • Soit la loi
          • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés.
        • Soit une décision du juge
          • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future
      • L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne.
    • Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.
    • Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.
    • À la vérité, la règle qui exige d’être sain d’esprit pour contracter a été instaurée aux fins de protéger les personnes qui seraient frappées d’insanité d’esprit, mais qui jouiraient toujours de la capacité juridique de contracter.
    • En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).
    • L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques.
    • Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.
  • Notion d’insanité d’esprit
    • Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit
    • Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche
    • Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée» ( civ. 4 févr. 1941).
    • Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.
    • Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens 1re civ., 24 oct. 2000).
  • Sanction de l’insanité d’esprit
    • En ce que l’insanité d’esprit prive le contractant de son consentement, elle est sanctionnée par la nullité du contrat.
    • Autrement dit, le contrat est réputé n’avoir jamais été conclu.
    • Il est anéanti rétroactivement, soit tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.
    • Il peut être rappelé, par ailleurs, qu’une action en nullité sur le fondement de l’insanité d’esprit, peut être engagée quand bien même la personne concernée n’était pas frappée d’une incapacité d’exercice.
    • L’action en nullité pour incapacité et l’action en nullité pour insanité d’esprit sont deux actions bien distinctes.

b) Les vices du consentement

i) Place des vices du consentement dans le Code civil

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

ii) Énumération des vices du consentement

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Il résulte de cette disposition que les vices du consentement qui constituent des causes de nullité du contrat sont au nombre de trois :

  • L’erreur
  • Le dol
  • La violence

?) L’erreur

==> Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations: j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne: je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

==> Conditions

Pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être, déterminante et excusable

  • Une erreur déterminante
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes»
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
    • Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise» ( 3e civ., 21 sept. 2010).
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné»
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur
  • Une erreur excusable
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple 3e civ., 13 sept. 2005).
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens soc., 3 juill. 1990).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.

==> L’erreur sur les qualités essentielles de la personne

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

En matière de pacs seule l’erreur sur les qualités essentielles du partenaire apparaît pertinente :

  • Principe
    • Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité ( 1133, al. 1 C. civ.).
    • Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.
    • L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
    • Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.
    • Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.
    • Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne.»
    • L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.
    • Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.
  • Notion d’erreur sur la personne
    • L’erreur sur la personne du cocontractant peut porter
      • sur son identité
      • son honorabilité
      • sur son âge
      • sur l’aptitude aux relations sexuelles
      • sur la santé mentale

?) Le dol

==> Notion

Classiquement, le dol est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

Si, de la sorte, le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Lorsqu’il constitue un vice du consentement, le dol doit être distingué de l’erreur

Contrairement au vice du consentement que constitue l’erreur qui est nécessairement spontanée, le dol suppose l’établissement d’une erreur provoquée par le cocontractant.

En matière de dol, le fait générateur de l’erreur ne réside donc pas dans la personne de l’errans, elle est, au contraire, le fait de son cocontractant.

En somme, tandis que dans l’hypothèse de l’erreur, un contractant s’est trompé sur le contrat, dans l’hypothèse du dol ce dernier a été trompé.

==> Application

Le dol n’est pas une cause de nullité du mariage

Cette règle est associée à la célèbre formule du juriste Loysel : « en mariage trompe qui peut » (Institutes coutumières, livre Ier, titre II, no 3).

Le Code civil étant silencieux sur la question du dol en matière de mariage, la jurisprudence en a déduit que ne permettait pas d’obtenir son annulation.

Par analogie, il est fort probable que cette règle soit transposable au pacs

Admettre le contraire reviendrait à prendre le risque d’aboutir à de nombreuses actions en nullité du pacs, ne serait-ce que par le dol peut être invoqué pour tout type d’erreur, peu importe qu’elle soit ou non excusable.

?) La violence

==> Notion

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

Il ressort de cette définition que la violence doit être distinguée des autres vices du consentement pris dans leur globalité, d’une part et, plus spécifiquement du dol, d’autre part.

  • Violence et vices du consentement
    • La violence se distingue des autres vices du consentement, en ce que le consentement de la victime a été donné en connaissance de cause.
    • Cependant, elle n’a pas contracté librement
    • Autrement dit, en contractant, la victime avait pleinement conscience de la portée de son engagement, seulement elle s’est engagée sous l’empire de la menace
  • Violence et dol
    • Contrairement au dol, la violence ne vise pas à provoquer une erreur chez le cocontractant.
    • La violence vise plutôt à susciter la crainte de la victime
    • Ce qui donc vicie le consentement de cette dernière, ce n’est pas l’erreur qu’elle aurait commise sur la portée de son engagement, mais bien la crainte d’un mal qui pèse sur elle.
    • Dit autrement, la crainte est à la violence ce que l’erreur est au dol.
    • Ce qui dès lors devra être démontré par la victime, c’est que la crainte qu’elle éprouvait au moment de la conclusion de l’acte a été déterminante de son consentement
    • Il peut être observé que, depuis l’adoption de la loi n° 2006-399 du 4 avr. 2006, la violence est expressément visée par l’article 180 du Code civil applicable au couple marié.

==> Conditions

Il ressort de l’article 1140 du Code civil que la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis : l’exercice d’une contrainte et l’inspiration d’une crainte.

  • L’exercice d’une contrainte
    • L’objet de la contrainte : la volonté du contractant
      • Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.
      • La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.
    • La consistance de la contrainte : une menace
      • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
      • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
      • Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens
    • Le caractère de la contrainte : une menace illégitime
      • La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.
      • A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
      • La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.
      • En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »
      • Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif» ( 3e civ. 17 janv. 1984).
  • L’inspiration d’une crainte
    • La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.»
    • Aussi, ressort-il de cette disposition que pour que la condition tenant à l’existence d’une crainte soit remplie, cela suppose, d’une part que cette crainte consiste en l’exposition d’un mal considérable, d’autre part que ce mal considérable soit dirigé, soit vers la personne même de la victime, soit vers sa fortune, soit vers ses proches
      • L’exposition à un mal considérable
        • Reprise de l’ancien texte
          • L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.
          • Ainsi, le législateur n’a-t-il nullement fait preuve d’innovation sur ce point-là.
        • Notion
          • Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?
          • Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.
          • Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes
          • Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
          • La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.
          • Dans un arrêt du 13 janvier 1999, la Cour de cassation a par exemple approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé l’annulation d’une vente pour violence morale.
          • La haute juridiction relève, pour ce faire que la victime avait «subi, de la part des membres de la communauté animée par Roger Melchior, depuis 1972 et jusqu’en novembre 1987, date de son départ, des violences physiques et morales de nature à faire impression sur une personne raisonnable et à inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent, alors que séparée de son époux et ayant à charge ses enfants, elle était vulnérable et que ces violences l’avaient conduite à conclure l’acte de vente de sa maison en faveur de la société Jojema afin que les membres de la communauté fussent hébergés dans cet immeuble» ( 3e civ. 13 janv. 1999).
          • Il ressort manifestement de cet arrêt que la troisième chambre civile se livre à une appréciation in concreto.
        • Exclusion de la crainte révérencielle
          • L’ancien article 1114 du Code civil prévoyait que « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. »
          • Cette disposition signifiait simplement que la crainte de déplaire ou de contrarier ses parents ne peut jamais constituer en soi un cas de violence.
          • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que pour qu’une telle crainte puisse entraîner l’annulation d’un contrat, cela suppose qu’elle ait pour fait générateur une menace.
          • Dans un arrêt du 22 avril 1986, la première chambre civile a ainsi admis l’annulation d’une convention en relevant que « l’engagement pris par M.Philippe X… est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d’une mainlevée une fois l’accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d’une reconnaissance de dette antérieure ; qu’elle retient que ces contraintes étaient d’autant plus efficaces qu’à cette époque M.Philippe X… souffrait d’un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d’un jugement libre et éclairé»
          • La haute juridiction en déduit, compte tenu des circonstances que « ces pressions étaient susceptibles d’inspirer à celui qui les subissait la crainte d’exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention» ( 1ère civ. 22 avr. 1996).
          • Manifestement, le pacs se distingue sur cette question du mariage.
          • L’article 180 du Code civil prévoit, en effet, que « l’exercice d’une contrainte sur les époux ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. »
          • Ainsi, tandis qu’en matière de mariage la simple crainte révérencielle est une cause de nullité, tel n’est pas le cas en matière de pacs.
        • L’objet de la crainte
          • Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »
          • Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :
            • soit sa personne
            • soit sa fortune
            • soit celles de ses proches
          • Ainsi, le cercle des personnes visées l’ordonnance du 10 février 2016 est-il plus large que celui envisagé par les rédacteurs du Code civil.

2. La capacité

Conformément à l’article 515-1 du Code civil, il faut être majeur pour être en capacité de conclure un pacs.

Cette règle se justifie par la nature du pacs qui est un contrat. Or conformément à l’article 1145 du Code civil pour contracter il convient de n’être frappé d’aucune incapacité.

L’article 1146 précise que « sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi :

  • Les mineurs non émancipés ;
  • Les majeurs protégés au sens de l’article 425, soit « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre»

À la vérité, le cercle des personnes admises à conclure à conclure un pacs n’est pas le même que celui envisagé par le droit commun des contrats.

  • En premier, le législateur a catégoriquement refusé aux mineurs émancipés de conclure un pacs, ce qui a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 1999 ( Cons ; Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999)
  • En second lieu, les majeurs frappés d’une incapacité ne sont nullement privés de la faculté de conclure un pacs

==> Les majeurs sous tutelle

Dans sa rédaction issue de la loi du 15 novembre 1999, l’article 506-1 du Code civil disposait que « les majeurs placés sous tutelle ne peuvent conclure un pacte civil de solidarité »

Ainsi, les majeurs protégés étaient exclus du champ d’application du pacs.

Cette interdiction a, toutefois, été levée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

L’article 462 du Code civil dispose désormais que « La conclusion d’un pacte civil de solidarité par une personne en tutelle est soumise à l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, après audition des futurs partenaires et recueil, le cas échéant, de l’avis des parents et de l’entourage »

Pour ce faire, « l’intéressé est assisté de son tuteur lors de la signature de la convention. Aucune assistance ni représentation ne sont requises lors de la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil ou devant le notaire instrumentaire prévue au premier alinéa de l’article 515-3. »

==> Les majeures sous curatelle

S’agissant des majeurs sous curatelle, ils sont également autorisés à conclure un pacs.

L’article 461 du Code civil dispose en ce sens que « la personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, signer la convention par laquelle elle conclut un pacte civil de solidarité. »

À la différence du majeur sous tutelle, la personne placée sous curatelle est dispensée de l’assistance de son curateur lors de la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil ou devant le notaire instrumentaire.

==> Les majeurs sous sauvegarde de justice

Aux termes de l’article 435 du Code civil « la personne placée sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits. Toutefois, elle ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné en application de l’article 437. »

Il en résulte qu’elle est parfaitement libre de conclure un pacs, sans qu’aucune restriction ne s’impose à elle.

3. Le contenu licite et certain

Aux termes de l’article 1162 du Code civil « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

Appliquée au pacs cette exigence se traduit par l’obligation, pour les prétendants, d’adhérer à la finalité que le législateur a entendu attacher au pacs : l’organisation de la vie commune des partenaires

Autrement dit, pour être valide, le pacs ne doit pas être fictif, ce qui implique que le consentement des partenaires ne doit pas avoir été simulé.

Au vrai, il s’agit là de la même exigence que celle posée en matière matrimoniale, la jurisprudence prohibant ce que l’on appelle les « mariages blancs ».

Dans un arrêt Appietto du 20 novembre 1963, la Cour de cassation avait estimé en ce sens que « le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1963).

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :

  • Premier enseignement
    • La Cour de cassation considère que lorsque le mariage est fictif, soit lorsque les époux ont poursuivi un résultat étranger à l’union matrimonial, celui-ci doit être annulé pour défaut de consentement.
    • Il s’agit là d’une nullité absolue qui donc peut être invoquée par quiconque justifie d’un intérêt à agir et qui se prescrit par trente ans
  • Second enseignement
    • Il ressort de l’arrêt Appietto que la Cour de cassation opère une distinction entre les effets primaires du mariage et ses effets secondaires
      • Les effets primaires
        • Ils ne peuvent être obtenus que par le mariage
          • Filiation
          • Communauté de biens
      • Les effets secondaires
        • Ils peuvent être obtenus par d’autres biais que le mariage
          • Acquisition de la nationalité
          • Avantages fiscaux
          • Avantages patrimoniaux

Pour déterminer si un mariage est fictif, il convient de se demander si les époux recherchaient exclusivement ses effets secondaires – auquel cas la nullité est encourue – ou s’ils recherchaient et/ou ses effets primaires, en conséquence de quoi l’union est alors parfaitement valide.

De toute évidence, le même raisonnement peut être tenu en matière de pacs, encore que celui-ci procure aux partenaires bien moins d’avantages que n’en procure le mariage aux époux.

La conséquence en est que l’intérêt pour des partenaires de conclure un pacs blanc est pour le moins limité.

C) Les conditions tenant à la filiation des partenaires

Bien que le pacs s’apparente à un contrat, le législateur a posé un certain nombre d’empêchement qui interdisent à certaines personnes de conclure un pacs entre elles, interdictions qui tienne à des considérations d’ordre public.

==> Les empêchements qui tiennent au lien de parenté

L’article 515-2 du Code civil prévoit que, à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacs :

  • Entre ascendant et descendant en ligne directe
    • L’ascendant est la personne dont est issue une autre personne (le descendant) par la naissance ou l’adoption
    • Ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père.
    • La ligne directe est celle des parents qui descendent les uns des autres
    • Ainsi, les ascendants et descendants en ligne directe correspond à la ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père

Schéma 1.JPG

  • Entre alliés en ligne directe
    • Les alliés sont, par rapport à un époux, les parents de son conjoint (beau-père, belle-mère, gendre, bru etc…).

Schéma 2.JPG

  • Entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus
    • La ligne collatérale est celle des parents qui ne descendent pas les uns des autres mais d’un auteur commun
    • Le degré correspond à un intervalle séparant deux générations et servant à calculer la proximité de la parenté, chaque génération comptant pour un degré
    • L’article 741 du Code civil dispose que « la proximité de parenté s’établit par le nombre de générations ; chaque génération s’appelle un degré. »

Schéma 3.JPG

==> Les empêchements qui tiennent à la polygamie

Bien que le pacs soit ouvert aux couples formés entre deux personnes de même sexe, le législateur n’a pas souhaité reconnaître la polygamie.

Ainsi, a-t-il transposé, au pacs, l’interdiction posée à l’article 147 du Code civil qui prévoit que « on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. »

Dans le droit fil de cette disposition l’article 515-2 dispose que, à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité :

  • Entre deux personnes dont l’une au moins est engagée dans les liens du mariage
  • Entre deux personnes dont l’une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité

Il peut toutefois être observé que l’article 515-7, al. 3 du Code civil autorise une personne engagée dans les liens du pacs à se marier, d’où il s’ensuit une rupture de la première union.

Pacs et mariage ne sont ainsi, sur cet aspect, pas mis sur un même pied d’égalité. Si l’existence d’une union matrimoniale fait obstacle à la conclusion d’un pacs, l’inverse n’est pas.

Ces deux formes d’union conjugale se rejoignent néanmoins sur le principe de prohibition de la polygamie : dans les deux cas, l’inobservation de cette interdiction est sanctionnée par la nullité absolue.

II) Les conditions de forme

La conclusion d’un pacs est subordonnée à la réunion de trois conditions de forme

A) L’établissement d’une convention

==> Établissement d’un écrit

Aux termes de l’article 515-3 du Code civil « à peine d’irrecevabilité, les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité produisent la convention passée entre elles à l’officier de l’état civil, qui la vise avant de la leur restituer.»

Il ressort de cette disposition que la conclusion d’un pacs suppose l’établissement d’une convention. Il s’agit là d’une condition dont l’inobservance est sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande d’enregistrement du pacs.

Aussi, dans l’hypothèse où un pacs serait enregistré, en violation de cette exigence, il n’en demeurait pas moins valide.

Toutefois, l’article 515-3-1 du Code civil précise que « le pacte civil de solidarité ne prend effet entre les parties qu’à compter de son enregistrement, qui lui confère date certaine»

D’aucuns considère qu’il s’infère de cette disposition que l’établissement d’un écrit est exigé à peine de nullité.

Selon nous, il convient néanmoins de ne pas confondre la validité du pacs de son opposabilité.

Il peut être observé que dans sa rédaction antérieure, l’article 515-3 exigeait que les partenaires produisent une convention en double original ce qui, ipso facto, excluait la possibilité de recourir à l’acte authentique celui-ci ne comportant qu’un seul original : celui déposé au rang des minutes du notaire instrumentaire.

Aussi, la convention sur laquelle était assis le pacs ne pouvait être établie que par acte sous seing privé.

Pour remédier à cette anomalie le législateur a modifié, à l’occasion de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, l’article 515-3 lequel prévoit désormais en son alinéa 5 que « lorsque la convention de pacte civil de solidarité est passée par acte notarié, le notaire instrumentaire recueille la déclaration conjointe, procède à l’enregistrement du pacte et fait procéder aux formalités de publicité prévues à l’alinéa précédent. »

==> Le contenu de la convention

La circulaire n°2007-03 CIV du 5 février 2007 relative à la présentation de la réforme du pacte civil de solidarité est venue préciser ce qui devait être prévu par la convention conclue par les partenaires

  • Sur la convention en elle-même
    • Aucune forme ni contenu particulier autres que ceux prévus par les règles de droit commun applicables aux actes sous seing privé ou authentiques ne sont requis, de sorte que la convention peut simplement faire référence aux dispositions de la loi du 15 novembre 1999 et aux articles 515-1 à 515-7 du code civil.
    • La convention doit toutefois être rédigée en langue française et comporter la signature des deux partenaires.
    • Si l’un des partenaires est placé sous curatelle assortie de l’exigence de l’autorisation du curateur pour conclure un pacte civil de solidarité, la convention doit porter la signature du curateur à côté de celle de la personne protégée.
    • Il appartient au greffier de vérifier la qualité du curateur contresignataire de la convention en sollicitant la production de la décision judiciaire le désignant, ainsi que la photocopie d’un titre d’identité.
    • Il ne revient pas au greffier d’apprécier la validité des clauses de la convention de pacte civil de solidarité, ni de conseiller les parties quant au contenu de leur convention. S’il est interrogé par les partenaires sur ce point, il importe qu’il les renvoie à consulter un notaire ou un avocat.
    • Si la convention paraît contenir des dispositions contraires à l’ordre public, le greffier informe les partenaires du risque d’annulation. Si les intéressés maintiennent ces dispositions, il doit enregistrer le pacte en les informant qu’il en saisit le procureur de la République
    • À titre d’exemple, il pourra être considéré que seraient manifestement contraires à l’ordre public des dispositions d’une convention de PACS qui excluraient le principe d’aide matérielle et d’assistance réciproques entre partenaires ou le principe de solidarité entre partenaires à l’égard des tiers pour les dettes contractées par chacun d’eux au titre des dépenses de la vie courante.
    • Enfin, l’officier de l’état civil vérifiera qu’ont été respectées les conditions prévues aux articles 461 et 462 du code civil applicables lorsque l’un des partenaires est placé sous curatelle ou sous tutelle
  • Documents annexes à produire
    • Pièce d’identité
      • Le greffier doit tout d’abord s’assurer de l’identité des partenaires.
      • À cette fin, chaque partenaire doit produire l’original de sa carte nationale d’identité ou de tout autre document officiel délivré par une administration publique comportant ses noms et prénoms, la date et le lieu de sa naissance, sa photographie et sa signature, ainsi que l’identification de l’autorité qui a délivré le document, la date et le lieu de délivrance de celui-ci.
      • Il en va de même chaque fois que les partenaires doivent justifier de leur identité.
      • Le greffe conserve une copie de ce document.
    • Pièces d’état civil
      • La production des pièces d’état civil doit permettre au greffier de déterminer qu’il n’existe pas d’empêchement légal à la conclusion du pacte civil de solidarité au regard des articles 506-1, 515-1 et 515-2 du code civil.
      • Les pièces permettant de vérifier que ces trois séries de conditions sont réunies diffèrent selon que l’état civil des partenaires est ou non détenu par l’autorité française.
      • Dans tous les cas, doit être jointe une déclaration sur l’honneur par laquelle les partenaires indiquent n’avoir entre eux aucun lien de parenté ou d’alliance qui constituerait un empêchement au pacte civil de solidarité en vertu de l’article 515-2 du code civil.

B) L’enregistrement du pacs

==> Enregistrement auprès de l’officier d’état civil

  • Le transfert de compétence
    • Aux termes de l’article 515-3 du Code civil « les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune ou, en cas d’empêchement grave à la fixation de celle-ci, devant l’officier de l’état civil de la commune où se trouve la résidence de l’une des parties. »
    • Dorénavant, c’est donc auprès de l’officier d’état civil qu’il convient de faire enregistrer un pacs.
    • En 1999, le législateur avait prévu que le pacs devait être enregistré auprès du greffe du Tribunal d’instance.
    • Les députés avaient voulu marquer une différence avec le mariage.
    • Lors de son intervention en 2016, le législateur n’a toutefois pas souhaité conserver cette différence de traitement entre le pacs et le mariage.
    • Pour ce faire, il s’est appuyé sur le constat que les obstacles symboliques qui avaient présidé en 1999 au choix d’un enregistrement au greffe du tribunal d’instance avaient disparu.
    • Ainsi, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a-t-elle transféré aux officiers de l’état civil les compétences anciennement dévolues aux greffes des tribunaux d’instance.
  • La procédure d’enregistrement
    • La circulaire du 10 mai 2017 de présentation des dispositions en matière de pacte civil de solidarité issues de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et du décret du 6 mai 2017 relatif au transfert aux officiers de l’état civil de l’enregistrement des déclarations, des modifications et des dissolutions des pactes civils de solidarité précise la procédure d’enregistrement du pacs.
    • Elle prévoit notamment qu’il appartient au maire de chaque commune de déterminer s’il souhaite faire enregistrer les PACS dès que les partenaires se présentent en mairie ou s’il souhaite mettre en place un système de prise de rendez-vous de déclaration conjointe de PACS.
    • Par ailleurs, le formulaire Cerfa de déclaration de PACS, accompagné des pièces justificatives, pourra être transmis par les partenaires par correspondance à la mairie chargée d’enregistrer le PACS en amont de l’enregistrement de la déclaration conjointe de conclusion de PACS.
    • Cette transmission peut s’effectuer par voie postale ou par téléservice et permettra une analyse du dossier de demande de PACS par les services de la commune en amont de la déclaration conjointe.
    • Un téléservice, reprenant les champs du formulaire Cerfa, pourra être mis en œuvre par les communes qui le souhaitent dans le respect du référentiel général de sécurité des systèmes d’information.

==> Compétence territoriale

  • Le lieu de la résidence commune
    • L’article 515-3 prévoit que les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune
    • La circulaire du 10 mai 2017 précise que les intéressés n’ont pas besoin de résider déjà ensemble au moment de la déclaration.
    • En revanche, ils doivent déclarer à l’officier de l’état civil l’adresse qui sera la leur dès l’enregistrement du pacte.
  • La notion de résidence commune
    • La « résidence commune » doit s’entendre comme étant la résidence principale des intéressés quel que soit leur mode d’habitation (propriété, location, hébergement par un tiers).
    • La résidence désignée par les partenaires ne peut donc correspondre à une résidence secondaire.
    • En particulier, deux ressortissants étrangers résidant principalement à l’étranger ne peuvent valablement conclure un PACS.
  • La preuve de la résidence commune
    • Les partenaires feront la déclaration de leur adresse commune par une attestation sur l’honneur.
    • Aucun autre justificatif n’est à exiger mais l’officier de l’état civil doit appeler l’attention des intéressés sur le fait que toute fausse déclaration est susceptible d’engager leur responsabilité pénale.
  • L’incompétence de l’officier d’état civil
    • Lorsque la condition de résidence n’est pas remplie, l’officier de l’état civil rendra une décision d’irrecevabilité motivée par son incompétence territoriale.
    • Cette décision est remise aux intéressés avec l’information qu’ils disposent d’un recours devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés.
    • S’agissant des décisions d’irrecevabilité prises par l’autorité diplomatique ou consulaire, celles-ci pourront être contestées auprès du président du tribunal de grande instance de Nantes statuant en la forme des référés.

==> Comparution conjointe des partenaires

  • Principe
    • Il ressort de l’article 515-3 du Code civil que pour faire enregistrer leur déclaration de pacte civil de solidarité, les partenaires doivent se présenter en personne et ensemble à la mairie dans laquelle ils fixent leur résidence commune.
    • En raison du caractère éminemment personnel de cet acte, ils ne peuvent recourir à un mandataire.
    • Il est par ailleurs rappelé qu’en l’absence de dispositions en ce sens, les partenaires ne peuvent exiger la tenue d’une cérémonie pour enregistrer leur PACS, contrairement aux dispositions régissant le mariage.
    • Toutefois, le maire de chaque commune pourra prévoir à son initiative l’organisation d’une telle célébration qui pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une délégation des fonctions d’officier de l’état civil à l’un ou plusieurs fonctionnaires titulaires de la commune au même titre que l’ensemble des attributions dont l’officier de l’état civil a la charge en matière de PACS.
  • Exceptions
    • En cas d’empêchement momentané de l’un des partenaires
      • Si l’un des deux partenaires est momentanément empêché, l’officier de l’état civil devra inviter celui qui se présente seul à revenir ultérieurement avec son futur partenaire pour l’enregistrement du PACS.
    • En cas d’empêchement durable de l’un des partenaires
      • Lorsque l’un des partenaires est empêché et qu’il ne paraît pas envisageable de différer l’enregistrement dans un délai raisonnable, l’officier de l’état civil pourra se déplacer jusqu’à lui.
      • En cas d’hospitalisation ou d’immobilisation à domicile, l’impossibilité durable de se déplacer jusqu’à la mairie devra être justifiée par un certificat médical.
        • Si le partenaire empêché se trouve sur le territoire de la commune, l’officier de l’état civil se déplacera auprès de lui pour constater sa volonté de conclure un PACS avec le partenaire non empêché.
          • Il importe que l’officier de l’état civil dispose de la convention de PACS et s’assure que le partenaire empêché est bien le signataire de celle-ci.
          • La procédure d’enregistrement se poursuivra aussitôt à la mairie en présence du seul partenaire non empêché.
        • Si le partenaire empêché se trouve hors le territoire de la commune, l’officier de l’état civil transmettra à l’officier de l’état civil de la commune de résidence du partenaire empêché une demande de recueil de déclaration de volonté de conclure un PACS, précisant l’identité des intéressés et l’adresse du lieu dans lequel se trouve le partenaire empêché.
          • À la réception de cette demande, l’officier de l’état civil destinataire se déplacera pour constater la volonté de l’intéressé de conclure un PACS, qu’il consignera par tous moyens et transmettra à l’officier de l’état civil qui l’a saisi.
          • La procédure d’enregistrement se poursuivra alors à la mairie en présence du seul partenaire non empêché.
          • Une telle organisation pourra notamment être retenue lorsque l’un des partenaires est incarcéré pour une longue période et se trouve ainsi durablement empêché.

==> Vérification des pièces produites par les partenaires

L’officier de l’état civil qui constate que le dossier est incomplet devra inviter les partenaires à le compléter.

Il n’y a pas lieu, dans cette hypothèse, de rendre une décision d’irrecevabilité, sauf à ce que les partenaires persistent dans leur refus de produire une ou plusieurs pièces justificatives.

En revanche, si l’officier de l’état civil constate, au vu des pièces produites par les partenaires, soit une incapacité, soit un empêchement au regard des articles 515-1 ou 515-2 du code civil, il devra refuser d’enregistrer la déclaration de PACS.

Ce refus fera alors l’objet d’une décision motivée d’irrecevabilité dont l’officier de l’état civil conservera l’original, une copie certifiée conforme étant remise aux partenaires.

Cette décision d’irrecevabilité est enregistrée, au même titre que les déclarations, modifications et dissolutions de PACS, l’enregistrement devant préciser la date et le motif de la décision d’irrecevabilité

La décision d’irrecevabilité mentionne par ailleurs que les partenaires peuvent exercer un recours devant le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés

S’agissant des contestations relatives aux décisions d’irrecevabilité prises par l’autorité diplomatique ou consulaire, celles-ci seront portées devant le président du tribunal de grande instance de Nantes statuant en la forme des référés.

==> Modalités d’enregistrement

Après avoir procédé aux vérifications décrites ci-dessus et s’être assuré que les partenaires ont bien entendu conclure un pacte civil de solidarité, l’officier de l’état civil enregistre la déclaration conjointe de PACS.

Les déclarations conjointes de PACS sont enregistrées, sous forme dématérialisée, au sein de l’application informatique existante dans les communes pour traiter des données d’état civil

Ce n’est qu’à défaut d’une telle application informatique que l’enregistrement des PACS s’effectue dans un registre dédié, qui devra satisfaire aux conditions de fiabilité, de sécurité et d’intégrité fixées par arrêté à paraître du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre des affaires étrangères.

S’il ne s’agit pas d’un registre de l’état civil, les pages de ce registre doivent néanmoins être numérotées et utilisées dans l’ordre de leur numérotation.

Ce registre dédié fait par ailleurs l’objet d’une durée de conservation particulière, qui est de 75 ans à compter de sa clôture ou de 5 ans à compter du dernier PACS dont la dissolution y a été enregistrée, si ce dernier délai est plus bref.

Conformément à l’article 4 du décret n° 2006-1807 du 23 décembre 2006 modifié, l’officier de l’état civil enregistre :

  • Les prénoms et nom, date et lieu de naissance de chaque partenaire
  • Le sexe de chaque partenaire
  • La date et le lieu d’enregistrement de la déclaration conjointe de PACS
  • Le numéro d’enregistrement de cette déclaration.
  • Le numéro d’enregistrement doit être composé impérativement de 15 caractères comprenant :
    • le code INSEE de chaque commune (5 caractères)
    • l’année du dépôt de la déclaration conjointe de PACS (4 caractères)
    • le numéro d’ordre chronologique (6 caractères).
  • La numérotation étant annuelle, elle ne doit pas s’effectuer de manière continue mais recommencer à la première unité au début de chaque année.
  • De manière concomitante à l’enregistrement de la déclaration conjointe de PACS, l’officier de l’état civil vise en fin d’acte, après avoir numéroté et paraphé chaque page et en reportant sur la dernière le nombre total de pages, la convention qui lui a été remise par les partenaires.
  • Le visa consiste en l’apposition du numéro et de la date d’enregistrement de la déclaration, de la signature et le sceau de l’officier de l’état civil :
  • La date portée par l’officier de l’état civil sur la convention est celle du jour de l’enregistrement de la déclaration de PACS.

L’officier de l’état civil restituera aux partenaires la convention dûment visée sans en garder de copie.

Il rappelle à ces derniers que la conservation de la convention relève de leur responsabilité et les invitera à prendre toutes mesures pour en éviter la perte

==> Conservation des pièces

L’article 7 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006 modifié dispose que: « Sans préjudice de la sélection prévue à l’article L.212-3 du code du patrimoine, les pièces suivantes sont conservées, pendant une durée de cinq ans à compter de la date de la dissolution du pacte civil de solidarité, par l’officier de l’état civil auprès duquel la convention est enregistrée ou par les agents diplomatiques et consulaires lorsque le pacte civil de solidarité a fait l’objet d’une déclaration à l’étranger :

  • Les pièces, autres que la convention, qui doivent être produites en application du présent décret en vue de l’enregistrement de la déclaration de pacte civil de solidarité, parmi lesquelles la photocopie du document d’identité ;
  • La déclaration écrite conjointe prévue au quatrième alinéa de l’article 515-7 du code civil ;
  • La copie de la signification prévue au cinquième alinéa de l’article 515-7 du code civil ;
  • L’avis de mariage ou de décès visé à l’article 3 du présent décret. »

Ainsi, l’officier de l’état civil devra conserver, après enregistrement d’un PACS conclu :

  • La pièce d’identité et les pièces d’état civil
  • le formulaire Cerfa de déclaration de PACS contenant les informations relatives aux futurs partenaires ainsi que leur déclaration sur l’honneur de résidence commune et d’absence de lien de parenté ou d’alliance
  • les récépissés des avis de mention transmis à/aux officier(s) de l’état civil dépositaire(s) des actes de naissance des partenaires et/ou au service central d’état civil assurant la publicité des PACS dont l’un au moins des partenaires est de nationalité étrangère né à l’étranger.

La convention de PACS doit être restituée aux partenaires de sorte qu’aucune copie ne peut être conservée par l’officier de l’état civil.

Les pièces précitées devront être conservées pendant une durée de cinq ans à compter de la date de dissolution du PACS.

À l’issue de ce délai, ces pièces feront l’objet d’une destruction,

Enfin, il est précisé que la conservation des pièces ayant permis l’enregistrement de la déclaration de PACS s’effectue en principe sous un format papier.

Toutefois, leur conservation électronique est possible si les modalités de leur conservation respectent les conditions fixées dans le cadre de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

En effet, l’article 1379 du code civil présume « fiable jusqu’à preuve contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »

Si une telle option était privilégiée par la commune, cette dernière devrait ainsi respecter les conditions de l’archivage électronique des données prévues par le décret n° 2016-1673 du 5 décembre 2016 relatif à la fiabilité des copies et pris pour l’application de l’article 1379 du code civil.

La possibilité de détruire les pièces papier devra être validée par l’accord écrit de la personne en charge du contrôle scientifique et technique sur les archives, à savoir, pour les communes, le directeur des archives départementales territorialement compétent.

C) La publicité du pacs

  • Principe
    • Aux termes de l’article 515-3, al. 4 du Code civil « l’officier de l’état civil enregistre la déclaration et fait procéder aux formalités de publicité. »
    • La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste l’accomplissement des formalités de publicité pour l’officier d’état civil.
    • Pour le déterminer, il convient de se tourner vers l’article 515-3-1 qui précise que « il est fait mention, en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, de la déclaration de pacte civil de solidarité, avec indication de l’identité de l’autre partenaire ».
    • Cette disposition précise que « pour les personnes de nationalité étrangère nées à l’étranger, cette information est portée sur un registre tenu au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères.»
    • Par ailleurs, les conventions modificatives sont soumises à la même publicité
    • Enfin, il peut être observé que lorsque la convention de pacte civil de solidarité est passée par acte notarié, le notaire instrumentaire, en plus de recueillir la déclaration conjointe, de procéder à l’enregistrement du pacte, il lui appartient d’accomplir les formalités de publicité du pacs
    • Pour ce faire, il doit transmettre à l’officier de l’état civil du lieu de naissance des partenaires un avis aux fins d’inscription à l’état civil.
  • Modalités de publicité
    • L’officier de l’état civil ayant enregistré la déclaration de PACS doit envoyer sans délai un avis de mention aux officiers de l’état civil dépositaires des actes de naissance des partenaires.
    • Ces avis de mention sont envoyés par courrier ou, le cas échéant, par voie dématérialisée dans le cadre du dispositif COMEDEC (COMmunication Electronique de Données d’Etat Civil), plateforme d’échanges mise en œuvre par le décret n° 2011-167 du 10 février 2011.
    • Dans l’hypothèse de la mise à jour d’actes de l’état civil étranger, l’officier de l’état civil saisi transmet l’avis de mention correspondant à l’autorité désignée pour le recevoir, conformément à la convention bilatérale ou multilatérale applicable.
    • À défaut, l’officier de l’état civil saisi rappelle à l’intéressé, d’une part, qu’il lui appartient d’effectuer des démarches auprès de l’autorité locale compétente tendant à la reconnaissance du PACS et, d’autre part, que cette décision pourrait ne pas être reconnue par les autorités de cet Etat.
    • Les officiers de l’état civil destinataires de l’avis de mention doivent procéder à la mise à jour des actes de naissance des partenaires dans les trois jours (article 49 du code civil).
    • Après avoir apposé la mention de déclaration de PACS en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, l’officier de l’état civil retourne à l’autorité ayant enregistré le PACS (officier de l’état civil, poste diplomatique ou consulaire, notaire) le récépissé figurant sur l’avis de mention.
    • Il est précisé que la date d’apposition de la mention de PACS en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire n’a pas à être enregistrée par l’officier de l’état civil ayant reçu la déclaration de PACS.
    • En revanche, ledit récépissé devra être classé au dossier contenant les autres pièces dont l’officier de l’état civil doit assurer la conservation.

D) L’opposabilité du pacs

  • L’opposabilité du pacs entre les partenaires
    • L’article 515-3-1, al. 2 prévoit que le pacte civil de solidarité ne prend effet entre les parties qu’à compter de son enregistrement, qui lui confère date certaine.
    • Afin que les partenaires puissent justifier immédiatement du PACS enregistré, l’officier de l’état civil leur remet un récépissé d’enregistrement
    • La preuve de l’enregistrement du PACS peut également être effectuée par les partenaires au moyen du visa apposé par l’officier de l’état civil sur leur convention de PACS.
    • Il est noté que l’officier de l’état civil peut délivrer un duplicata du récépissé d’enregistrement en cas de perte par les partenaires de l’original de la convention de PACS et sur production d’une pièce d’identité.
  • L’opposabilité du pacs à l’égard des tiers
    • Il ressort de l’article 515-3-1, al. 2 que, à l’égard des tiers, le pacs est opposable, non pas à compter de son enregistrement, mais à compter du jour où les formalités de publicité sont accomplies.
    • Ainsi, l’officier de l’état civil ayant enregistré le PACS avise sans délai, par le biais d’un avis de mention, l’officier de l’état civil détenteur de l’acte de naissance de chaque partenaire afin qu’il y soit procédé aux formalités de publicité.
    • Si l’un des partenaires est de nationalité étrangère et né à l’étranger, l’avis est adressé au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, à charge pour celui-ci de porter sans délai la mention de la déclaration de PACS sur le registre mentionné à l’article 515-3-1 alinéa 1er du code civil.
    • Enfin, si l’un des partenaires est placé sous la protection juridique et administrative de l’OFPRA, l’avis est adressé à cet office (Décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006, article 6).

Section 3: Les effets du pacs

À l’instar du mariage le pacs produit deux sortes d’effets :

  • Des effets personnels
  • Des effets patrimoniaux

I) Les effets personnels du pacs

A) Les effets positifs

  1. L’obligation de vie commune

L’article 515-4 du Code civil prévoit que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune »

Parce que le pacs est avant tout une union entre deux personnes qui envisagent de vivre ensemble, l’obligation de vie commune est consubstantielle de cette institution.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par vie commune et plus précisément qu’est-ce que cette obligation recoupe.

Dans sa décision du 9 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a apporté un élément de réponse en affirmant que « la notion de vie commune ne couvre pas seulement une communauté d’intérêts et ne se limite pas à l’exigence d’une simple cohabitation entre deux personnes ; que la vie commune mentionnée par la loi déférée suppose, outre une résidence commune, une vie de couple qui seule justifie que le législateur ait prévu des causes de nullité du pacte qui, soit reprennent les empêchements à mariage visant à prévenir l’inceste, soit évitent une violation de l’obligation de fidélité découlant du mariage ; qu’en conséquence, sans définir expressément le contenu de la notion de vie commune, le législateur en a déterminé les composantes essentielles ».

Ainsi, pour le Conseil constitutionnel le pacs est bien plus qu’une communauté d’intérêt, telle que peut l’être, par exemple, une société.

L’obligation de vie commune suppose pour les partenaires d’observer trois règles auxquelles ils ne sauraient déroger par convention contraire :

  • Le devoir de cohabitation
    • Le devoir de cohabitation est expressément visé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 décembre 1999.
    • Partager une vie commune c’est, avant tout, cohabiter, soit vivre sous le même toit. Il appartiendra donc aux partenaires de déterminer leur lieu de résidence.
  • Le devoir charnel
    • Le Conseil constitutionnel considère que, plus qu’une communauté d’intérêts, l’obligation de vie commune suppose « une vie de couple»
    • Autrement dit, le pacs n’implique pas seulement une communauté de vie, il invite à une communauté de lit.
    • Aussi, les partenaires s’engagent-ils à avoir des rapports sexuels entre eux.
  • Devoir de fidélité
    • La question s’est posée de savoir si, à l’instar des époux, à qui s’impose un devoir de fidélité, s’il en allait de même pour les partenaires.
    • Trois arguments peuvent être avancés au soutien d’une réponse positive à cette interrogation.
      • En premier lieu, en ce que le pacs est un contrat, les partenaires sont, tenus, comme les contractants à une obligation de loyauté et de bonne foi conformément à l’article 1104 du Code civil.
      • En deuxième lieu, si, comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel, l’obligation de communauté de vie suppose une « vie de couple», cela signifie que les partenaires doivent exercer une certaine exclusivité l’un sur l’autre.
      • En troisième lieu, pourquoi le législateur a-t-il institué des d’empêchement qui tiennent au lien de parenté sinon pour prévenir les cas d’inceste, le pacs impliquant nécessairement l’entretien de rapports sexuels.
    • Pour l’heure, on ne recense qu’une seule décision sur l’obligation de fidélité dont serait assorti le pacs.
    • Elle a été rendue par le Président du Tribunal de grande instance de Lille qui a été amené à statuer en référé sur cette question.
    • Dans cette décision il a estimé que, sur le fondement de l’obligation de loyauté rattachée à l’ancien article 1134 du Code civil que l’obligation de vie commune commande de « sanctionner toute forme d’infidélité entre partenaires» (TGI Lille, ord., 5 juin 2002).
    • Bien qu’il ne s’agisse que d’une ordonnance de référé, il est de fortes chances que la Cour de cassation adopte une solution similaire, si elle était amenée à statuer sur cette question.

2. L’obligation d’assistance

L’obligation d’assistance a été introduite par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Cette obligation est prévue à l’article 515-4 du Code civil qui dispose que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à […] une assistance réciproque ».

Elle implique pour les partenaires de se prêter une aide morale et psychologique. Ils doivent, autrement dit, se soutenir l’un l’autre afin d’affronter ensemble les difficultés de la vie.

3. L’aide matérielle

==> Contenu de l’obligation

Aux termes de l’article 515-4 du Code civil, « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à […] une aide matérielle] ».

Cette disposition précise que «  si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives. »

De toute évidence, il s’agit là d’une transposition de l’article 214 applicable aux époux qui édicte à leur endroit une obligation de contribution aux charges ménagères.

Pour mémoire, cet article dispose que « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. »

La règle posée à l’article 515-4 est sensiblement la même, de sorte que les partenaires sont également tenus de contribuer aux charges du ménage à hauteur de leurs facultés respectives.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste cette obligation. Deux éléments doivent être envisagés pour le déterminer :

  • Quelles sont les charges du ménage ?
    • Il s’agit de toutes les dépenses qui assurent le fonctionnement du ménage (contrairement aux dépenses d’investissement).
    • Ce sont donc toutes les dépenses d’intérêt commun que fait naître la vie du ménage
    • Les charges du ménage correspondent au train de vie des partenaires
      • Exemples: nourriture, vêtements, loyer, gaz, eau, électricité, internet etc…
  • Quelle est étendue de la contribution des partenaires ?
    • Chaque partenaire doit contribuer aux charges du ménage en proportion de ses facultés.
    • Le conseil constitutionnel a précisé que « dans le silence du pacte, il appartiendra au juge du contrat, en cas de litige, de définir les modalités de cette aide en fonction de la situation respective des partenaires».
      • Exemple: si un partenaire gagne 1000 euros et l’autre 2000 euros alors le second devra contribuer deux fois plus que le premier aux charges du ménage.

==> Sanction de l’obligation

À la différence de l’article 214 du Code civil, l’article 515 ne prévoit pas d’action en contribution en cas de défaillance de l’un des partenaires.

En matière matrimoniale, il est, en effet, prévu que « si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile. »

Est-ce à dire que les partenaires ne disposeraient d’aucune action pour obliger l’autre à contribuer aux charges du ménage ? On peut en douter.

==> Caractère de l’obligation

On observera que, dans sa décision du 9 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a affirmé, s’agissant de l’aide matérielle à laquelle s’obligent les partenaires que « si la libre volonté des partenaires peut s’exprimer dans la détermination des modalités de cette aide, serait nulle toute clause méconnaissant le caractère obligatoire de ladite aide ».

Aussi, cela signifie-t-il que cette obligation est d’ordre public. Si, dès lors, les partenaires peuvent en aménager les modalités, ils ne sauraient la supprimer.

3. Statut fiscal

Les partenaires liés par un PACS sont soumis à une imposition commune pour les revenus dont ils ont disposé pendant l’année de la conclusion du pacte.

Par exception, ils peuvent opter pour l’imposition distincte des revenus dont chacun a personnellement disposé pendant l’année de la conclusion du pacte, ainsi que de la quote-part des revenus communs lui revenant (Art. 6 CGI)

Les partenaires sont solidairement tenus au paiement :

  • de l’impôt sur le revenu lorsqu’ils font l’objet d’une imposition commune
  • de la taxe d’habitation lorsqu’ils vivent sous le même toit ( 1691 bis I CGI)
  • de l’impôt de solidarité sur la fortune ( 1723 ter-00 B CGI).

4. Droit sociaux

Le partenaire pacsé a droit au bénéfice immédiat de l’affiliation à la sécurité sociale de son partenaire, si lui-même ne peut bénéficier de la qualité d’assuré social à un autre titre (art. L. 160-17 C. secu.).

Le partenaire pacsé bénéficie sans aucune condition, et prioritairement sur les descendants et les ascendants, du capital décès de son partenaire dû au titre du régime général de la sécurité sociale (art. L. 361-4 C. secu).

S’agissant du calcul de leurs droits à prestations sociales et familiales, la conclusion d’un PACS a pour effet de modifier l’assiette des revenus pris en considération pour la fixation du droit à allocation, les revenus des deux partenaires étant cumulés pour calculer ces droits.

Par ailleurs, la conclusion d’un PACS emporte automatiquement la suppression de l’allocation de parent isolé.

Enfin, les revenus pris en considération pour la fixation du droit à allocation adulte handicapé (AAH), revenu de solidarité active (RSA), allocation de solidarité spécifique, prime pour l’emploi, et allocation logement, sont ceux des deux partenaires du PACS.

5. Droit au logement

Le partenaire de PACS n’est réputé co-titulaire du bail sur le logement familial que si les partenaires en font conjointement la demande.

Lors du départ du partenaire unique locataire des lieux qui servaient à la résidence commune, l’autre peut bénéficier de la continuation du bail ou, en cas de décès du locataire, du transfert du droit au bail, quand bien même il n’est pas signataire du bail initialement.

Quand le PACS prend fin par décès, le partenaire survivant bénéficie d’un droit de jouissance gratuite du domicile commun ainsi que du mobilier le garnissant pendant l’année qui suit le décès, à condition qu’il l’ait occupé de façon effective et à titre d’habitation principale à l’époque du décès (art. 515-6 al.3 C. civ.).

B) Les effets négatifs

À la différence du mariage, le pacs ne produit pas un certain nombre d’effets qu’il convient de lister afin de dresser une comparaison.

==> Sur le nom d’usage

  • Le mariage
    • Chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit (article 225-1 du code civil).
    • Il s’agit d’une simple faculté.
  • Le pacs
    • Le PACS ne produit aucun effet sur le nom. Un partenaire ne peut donc pas porter, à titre d’usage, le nom de l’autre membre du couple

==> Sur la filiation

  • Le mariage
    • L’enfant conçu ou né pendant le mariage est présumé avoir pour père le mari de la mère (règle de la « présomption de paternité » – article 312 du code civil).
    • Possibilité pour le couple marié d’adopter à deux (article 343 du code civil) et possibilité pour chacun des membres du couple d’adopter l’enfant du conjoint (articles 345-1 et 360 du code civil).
    • L’assistance médicale à la procréation est ouverte aux couples mariés hétérosexuels.
  • Le pacs
    • Le PACS n’a aucun effet sur l’établissement de la filiation : il n’existe pas de présomption légale à l’égard du partenaire de la mère qui devra procéder à une reconnaissance.
    • Pas de possibilité pour les partenaires d’adopter à deux (article 343 du code civil) ou d’adopter l’enfant du partenaire.
    • L’assistance médicale à la procréation est ouverte aux couples pacsés hétérosexuels.

==> Sur la nationalité

  • Le mariage
    • Si les époux se marient, sans choisir explicitement leur régime matrimonial, sans faire de contrat de mariage, ils sont alors mariés sous un régime posé par la loi : le régime légal de la communauté réduite aux acquêts (article 1400 et s. du code civil).
    • Dans ce régime, les biens dont les époux avaient la propriété avant de se marier leur demeurent propres.
    • En revanche, les biens que les époux acquièrent à titre onéreux (acquêts) pendant le mariage, ainsi que les revenus liés à un bien propre à un époux (loyer d’un immeuble par exemple) et les gains et salaires, sont des biens communs.
  • Le pacs
    • Le PACS n’exerce aucun effet sur la nationalité.
    • Pour obtenir la nationalité française, le partenaire étranger ayant conclu un PACS avec un partenaire français doit déposer une demande de naturalisation (acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique : articles 21-14-1 et suivants du code civil).

II) Les effets patrimoniaux du pacs

L’étude des effets patrimoniaux du pacs suppose de distinguer les rapports des partenaires entre eux de ceux qu’ils entretiennent avec les tiers.

A) Les effets dans les rapports entre partenaires

  1. Principe

==> La répartition des biens

Aux termes de l’article 515-5 du Code civil « Sauf dispositions contraires de la convention visée au troisième alinéa de l’article 515-3, chacun des partenaires conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ».

Il ressort de ce principe que le législateur a souhaité instituer un régime de séparation de biens entre les partenaires.

Cette volonté a été exprimée, lors de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, dans un souci de protection des partenaires qui ignorent souvent que les biens acquis au cours du pacs sont soumis à l’indivision et a jugé préférable de prévoir la séparation des biens, sauf quand les partenaires optent pour l’indivision.

Sous l’empire du droit antérieur à cette réforme, le législateur avait instauré le régime inverse, soit une indivision entre les partenaires.

La loi du 15 novembre 1999 posait, en ce sens, l’existence d’une sorte de communauté de biens réduite aux acquêts.

En simplifiant à l’extrême, il convenait d’opérer une distinction entre les biens acquis avant et après l’enregistrement du pacs.

  • S’agissant des biens acquis avant l’enregistrement du pacs
    • Ils avaient vocation à rester dans le patrimoine personnel des partenaires, à charge pour eux de rapporter la preuve que le bien revendiqué leur appartenait en propre
  • S’agissant des biens acquis après l’enregistrement du pacs
    • Ils étaient réputés indivis, de sorte qu’à la dissolution du pacs, une répartition égalitaire était effectuée entre les concubins

La loi du 23 juin 2006 a abandonné ce régime patrimonial applicable aux partenaires. Désormais, c’est un régime de séparation de biens qui régit leurs rapports patrimoniaux.

Cela signifie que tous les biens acquis par les partenaires avant et après l’enregistrement du pacs leur appartiennent un propre.

Une lecture affinée de l’article 515-4 révèle toutefois qu’il convient de distinguer les meubles dont la propriété est établie de ceux pour lesquels aucun des partenaires ne peut prouver sa qualité de propriétaire

  • S’agissant des biens dont la propriété est établie
    • C’est l’alinéa 1er de l’article 515-4 qui s’applique en pareille hypothèse
    • Ils restent dans le patrimoine personnel du partenaire qui les a acquis
    • Il est indifférent que l’acquisition soit intervenue avant ou après l’enregistrement du pacs
  • S’agissant des biens dont la propriété n’est pas établie
    • L’article 515-5 du Code civil pris en son deuxième alinéa prévoit que :
      • D’une part, chacun des partenaires peut prouver par tous les moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien.
      • D’autre part, les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
    • Il s’évince de cette disposition que, lorsque les biens sont acquis à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS, ils sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale.
    • Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie

==> La gestion des biens

L’article 515-5, al. 3 du Code civil dispose que « le partenaire qui détient individuellement un bien meuble est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul sur ce bien tout acte d’administration, de jouissance ou de disposition. »

Il ressort de cette disposition que, à l’égard des tiers, les partenaires sont réputés être investis de tous pouvoirs sur les biens du couple.

Toutefois, l’efficacité de cette présomption est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • Le bien doit être détenu individuellement par un partenaire
  • Le tiers doit être de bonne foi, soit ne pas savoir que le bien appartient, en réalité, à l’autre partenaire

Il peut être observé que, à la différence de l’article 222 du Code civil qui, en matière matrimoniale exclut les meubles meublants du champ d’application de cette présomption, pour le pacs elle opère pour tous les meubles sans distinction.

2. Exception

==> Répartition des biens

Si le législateur a institué le régime de la séparation de biens en principe, il a offert la possibilité aux partenaires d’y déroger en concluant une convention d’indivision.

L’article 515-5-1 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l’indivision les biens qu’ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l’enregistrement de ces conventions.
  • D’autre part, ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale.

Ce régime d’indivision auquel les partenaires ont la faculté d’adhérer par convention s’articule autour de deux principes :

  • Premier principe
    • L’indivision s’applique aux seuls acquêts, c’est-à-dire aux biens acquis par les partenaires, ensemble ou séparément, après l’enregistrement de leur convention.
    • S’agissant des biens acquis l’enregistrement de la convention d’indivision qui n’est pas nécessairement concomitant à l’enregistrement du pacs, ils demeurent appartenir en propre aux partenaires
  • Second principe
    • Les biens visés par la convention conclue par les partenaires sont réputés indivis pour moitié.
    • Cela signifie qu’en cas de liquidation du pacs la répartition s’opérera à parts égales, sauf à ce qu’une fraction du bien ait été financée par des fonds propres d’un partenaire.
    • Dans cette hypothèse, seule la portion du bien qui constitue un acquêt fera d’un partage par moitié.
      • Exemple:
        • un immeuble est acquis pour 50 % avec les fonds propres d’un partenaire, pour l’autre moitié avec des fonds indivis.
        • Dans cette hypothèse, en cas de partage, le partenaire qui aura financé le bien avec ses fonds propres sera fondé à revendiquer 75% du bien, tandis que l’autre ne percevra que 25% de sa valeur.

L’article 515-5-3 du Code civil précise que la convention d’indivision est réputée conclue pour la durée du pacte civil de solidarité.

Toutefois, lors de la dissolution du pacte, les partenaires peuvent décider qu’elle continue de produire ses effets. Cette décision est soumise aux dispositions des articles 1873-1 à 1873-15 du Code civil.

==> Gestion des biens

À défaut de dispositions contraires dans la convention, chaque partenaire est gérant de l’indivision (article 515-5-3 du code civil).

Les partenaires jouissent d’une gestion concurrente, ce qui signifie que chaque partenaire peut accomplir seul des actes de conservation, d’administration et même de disposition sur les acquêts, sous réserve de certaines exceptions, telles que notamment :

  • Les aliénations à titre gratuit
  • Les aliénations d’immeuble
  • Les aliénations de meubles corporels soumises à publicité
  • Les aliénations de meubles corporels qui ne sont pas difficiles à conserver ou périssables.

Néanmoins, les règles d’administration des acquêts ne sont pas impératives. Les partenaires peuvent prévoir des dispositions contraires (article 515-5-3 al.2 du code civil).

3. Exception à l’exception

En cas de conclusion par les partenaires d’une convention d’indivision, le législateur a prévu qu’un certain nombre de biens échappaient à son champ d’application.

L’article 515-5-2 prévoit que demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire :

  1. Les deniers perçus par chacun des partenaires, à quelque titre que ce soit, postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l’acquisition d’un bien ;
  2. Les biens créés et leurs accessoires ;
  3. Les biens à caractère personnel ;
  4. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l’enregistrement de la convention initiale ou modificative aux termes de laquelle ce régime a été choisi ;
  5. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession ;
  6. Les portions de biens acquises à titre de licitation de tout ou partie d’un bien dont l’un des partenaires était propriétaire au sein d’une indivision successorale ou par suite d’une donation.

Le dernier alinéa de cette disposition précise que l’emploi de deniers tels que définis aux 4° et 5° fait l’objet d’une mention dans l’acte d’acquisition.

L’emploi est un acte qui stipule la provenance des deniers et la volonté de leur propriétaire de les employer pour l’acquisition d’un bien propre.

À défaut d’accomplissement des formalités d’emploi, le bien est réputé indivis par moitié et ne donne lieu qu’à une créance entre partenaires.

B) Les effets dans les rapports des partenaires avec les tiers

  1. Contribution aux dettes et obligation à la dette

Le législateur a institué à l’article 515-4, al. 2e du Code civil un dispositif qui gouverne les rapports entre les partenaires et les tiers.

Cette règle constitue l’un des piliers du régime juridique applicable aux partenaires.

Afin de bien cerner la place qu’elle occupe dans l’édifice élaboré par le législateur en 1999, il convient de la mettre en perspective avec une autre règle : celle édicté à l’alinéa 1er de l’article 515-4 du Code civil.

Tandis que la première porte sur l’obligation à la dette, la seconde est relative à la contribution à la dette.

  • L’obligation à la dette
    • L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des partenaires.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le partenaire de celui avec lequel il a contracté et si ou dans quelle mesure.
      • Exemple:
        • Le membre d’un couple pacsé se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son partenaire.
        • La question qui alors se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’acquéreur, le vendeur peut se retourner contre son partenaire, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération.
        • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.
    • Ainsi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les partenaires.

Schéma 4.JPG

  • La contribution à la dette
    • La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque partenaire dans les charges du ménage
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelle proportion les partenaires doivent supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.
    • L’article 515-4, al. 1er du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque partenaire est proportionnelle à leurs facultés respectives.
      • Exemple :
        • Les dépenses de fonctionnement d’un couple pacsé s’élèvent à 1.000 euros
        • L’un des partenaires dispose d’un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
        • Celui qui gagne 3.000 devra contribuer deux fois plus que son partenaire aux charges du ménage.
      • Ainsi, la contribution à la dette intéresse les rapports que les partenaires entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.

Schéma 5.JPG

En résumé, lorsque le membre d’un couple pacsé est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son partenaire, il pourra toujours se retourner contre celui-ci, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du ménage.

Afin de résoudre une problématique relative au règlement d’une dette contractée par l’un des partenaires, il conviendra ainsi toujours de raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le partenaire de celui qui a contracté la dette ?
  • Second temps : la contribution à la dette
    • Le membre du couple pacsé qui a désintéressé le tiers, alors mêmes qu’il n’avait pas contractée la dette, dans quelle proportion peut-il se retourner contre son partenaire ?

Schéma 6.JPG

2. Transposition des règles du mariage au pacs

Aux termes de l’article 515-4, al. 2e du Code civil « les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante. Toutefois, cette solidarité n’a pas lieu pour les dépenses manifestement excessives. Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Cette disposition est une transposition de l’article 220 du Code civil applicable aux époux qui prévoit, sensiblement dans les mêmes termes, que :

« Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.

 La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.

 Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Le dispositif édicté aux articles 515-4, al. 2e et 220 du Code civil constitue un point de convergence entre le pacs et le mariage.

Cette convergence s’explique par l’objectif poursuivi par ce dispositif, directement issu de la loi du 13 juillet 1965 : assurer l’indépendance des membres du couple dans la vie quotidienne

3. Le contenu du dispositif

Le dispositif institué par le législateur en 1965 à destination des couples mariés, s’articule autour de trois règles qui constituent autant d’étapes dont le franchissement détermine le passage à l’étape suivante.

==> Principe

  • Exposé du principe
    • Aux termes de l’article 515-4, al. 2e du Code civil « les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante.
    • La solidarité envisagée par l’article 515-4 du Code civil signifie que les tiers peuvent demander à n’importe quel partenaire de régler la totalité de la dette contractée, seul, par l’autre partenaire.
    • En d’autres termes, l’ensemble des biens des deux partenaires répond de la dette contractée par un seul et chacun des deux époux peut être poursuivi pour la totalité de la dette.
    • Ainsi, le tiers est-il titulaire d’une créance à l’encontre des deux membres du couple, en ce sens qu’il peut indifféremment les actionner en paiement.
    • Cette forme de solidarité, que l’on qualifie de passive, présente un réel intérêt pour le créancier dans la mesure où elle le prémunit contre une éventuelle insolvabilité de l’un de ses débiteurs.
    • Dans cette configuration, les partenaires sont garants l’un de l’autre.

Schéma 7.JPG

  • Condition d’application
    • L’article 515-4 du Code civil précise que la solidarité entre partenaires ne s’applique que pour les dettes contractées pour les besoins de la vie courante
    • Ainsi, le principe de solidarité est écarté s’agissant des dépenses non exposées pour les besoins de la vie courante.
    • La notion de « dette contractée pour les besoins de la vie courante» couvre les dépenses de fonctionnement du ménage et plus précisément toutes celles relatives au train de vie des partenaires.
    • Les dépenses de fonctionnement du ménage, s’opposent aux dépenses d’investissement qui, elles, ne donnent pas lieu à la solidarité entre partenaires.
    • Au nombre des dépenses ménagères on compte notamment :
      • Le loyer
      • Les charges locatives
      • Les frais d’habillement
      • L’énergie
      • L’eau
      • Les charges relatives au domicile familial
      • Les frais d’éducation et d’entretien des enfants
    • Sont comprises dans les dépenses exposées pour les besoins de la vie courante toutes celles strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
    • Ainsi, le législateur a-t-il adopté un critère finaliste
    • L’application du principe de solidarité entre partenaires s’apprécie au regard de la finalité de la dépense exposée

==> Exceptions

L’article 515-4, al. 2e du Code civil pose deux exceptions au principe de solidarité des dettes ménagères

  • Les dépenses manifestement excessives
    • L’article 515-4 prévoit que « la solidarité n’a pas lieu […] pour les dépenses manifestement excessives»
    • Toute la question est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « dépenses manifestement excessives»
    • Contrairement à l’article 220, l’article 515-4 ne pose aucun critère d’appréciation de cette notion
    • L’article 220, applicable aux couples mariés, précise, en effet, que le caractère manifestement excessif d’une dépense s’apprécie eu égard
      • au train de vie du ménage
      • à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération
      • à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant
    • La différence de rédaction des deux textes est somme toute étonnante.
    • Pourquoi n’avoir pas repris, à la lettre, les termes de l’article 220?
    • Sans doute est-ce là un oubli du législateur, sinon une approximation dans la rédaction de l’article 515-4.
    • En toute hypothèse, il est fort probable que lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère manifestement excessif d’une dépense exposée par un partenaire, le juge se référera aux critères posés à l’article 220 du Code civil.
  • Les achats à tempéraments
    • Il ressort de l’article 515-4, al. 2e du Code civil que la solidarité n’a pas lieu pour les achats à tempérament
    • L’achat à tempérament correspond à l’hypothèse de la vente à crédit
    • Plus précisément, le vendeur consent une facilité de paiement à l’acquéreur qui peut régler en plusieurs fois l’objet du contrat de vente.
    • Le paiement du prix est ainsi étalé sur une période déterminée, le transfert de propriété du bien s’opérant à l’issue de la durée du financement.
    • Compte tenu du caractère particulièrement dangereux d’une telle opération, il est apparu au législateur qu’elle était de nature à inciter les consommateurs à s’endetter outre mesure.
    • Aussi, a-t-il décidé d’exclure les achats à tempéraments du champ de la solidarité, quand bien même la dette aurait été contractée pour les besoins de la vie courante du couple
    • Initialement, cette exception ne figurait pas à l’article 515-4 du Code civil.
    • C’est le législateur qui, à l’occasion de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde, a entendu préciser l’article 515-4 afin qu’existe un parallélisme avec l’article 220 du Code civil applicable au couple marié.
    • Surtout, l’absence de cette précision revenait à conférer aux tiers, dans le cadre de leurs relations avec les membres d’un couple pacsé, une protection moindre que celle dont ils bénéficient lorsqu’ils contractent avec des époux.
  • Les emprunts
    • À l’instar des achats à tempérament, l’article 515-4 du Code civil exclut également du champ de la solidarité entre partenaires les emprunts.
    • Par emprunt il faut en réalité entendre les opérations de crédit.
    • L’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation définit l’opération de crédit comme celle consistant en « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […] sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture».
    • Cette exception au principe de solidarité entre partenaires est également un ajout de la loi du 1er juillet 2010.
    • Le législateur a toujours fait montre d’une grande méfiance à l’égard des opérations de crédit, en particulier lorsqu’elles concernent les ménages.
    • Ainsi, peu importe que l’emprunt contracté par un partenaire ait pour objet le financement d’un besoin de la vie courante du couple : l’application du principe de solidarité est hypothèse, sauf à ce qu’il entre dans le champ de l’exception à l’exception

==> Exception à l’exception

L’article 515-4, 2e du Code civil dispose que la solidarité « n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant des achats à tempérament et des emprunts contractés par les partenaires, la solidarité peut être rétablie dans deux cas :

  • Première situation : le consentement des deux partenaires
    • L’achat à tempérament ou l’emprunt a été conclu avec le consentement des deux partenaires
    • En pareille hypothèse, la solidarité entre partenaires est rétablie
    • Toutefois, elle ne jouera que si la dépense est exposée pour les besoins de la vie courante
    • Il importe peu qu’un seul partenaire soit signataire du contrat, ce qui compte étant que l’autre ait consenti à l’accomplissement de l’acte.
  • Seconde situation : les emprunts modestes
    • Lorsque l’emprunt porte sur des sommes modestes, la solidarité est également rétablie.
    • Toutefois, l’article 515-4 précise que deux conditions cumulatives doivent être emplies
      • L’emprunt doit porter sur des sommes nécessaires à la vie courantes
      • Le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage
    • Il appartient donc aux établissements bancaires de se montrer extrêmement vigilants lorsqu’ils consentiront un emprunt à un couple de partenaires, s’ils souhaitent bénéficier de la solidarité.
    • Sauf à exiger la signature des deux, il leur faudra vérifier la solvabilité du couple et plus spécifiquement porter une attention particulière sur les crédits en cours.

Section 4: La dissolution du pacs

I) Les cas de dissolution

Il ressort de l’article 515-7 du Code civil qu’il existe quatre causes de dissolution du pacs :

  • Le décès de l’un des partenaires
  • Le mariage de l’un ou des partenaires
  • La déclaration conjointe des partenaires
  • La décision unilatérale de l’un des partenaires

Si les trois premiers cas de dissolution du pacs ne soulèvent pas de difficultés, il n’en a pas été de même pour le quatrième cas qui autorise les partenaires à rompre leur union unilatéralement.

Lorsque la loi du sur le pacs a été déférée à l’examen du Conseil constitutionnel, les requérants ont, en effet, fait valoir que ce mode de rupture s’apparenterait à une répudiation (Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).

Aussi, ont-ils avancé que cette faculté offerte aux partenaires méconnaîtrait le principe du respect de la dignité de la personne humaine et qu’elle serait contraire au principe d’égalité entre les contractants, le pacte prenant fin, dans ce cas, immédiatement et les obligations qu’il a produites cessant sur le champ.

Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas fait droit à leur grief, en leur opposant quatre arguments :

  • Le pacte civil de solidarité étant un contrat étranger au mariage, sa rupture unilatérale ne saurait être qualifiée de « répudiation »
  • Dans la mesure où le pacs est un contrat à durée indéterminée, il est propre à cette catégorie de convention de pouvoir faire l’objet d’une résiliation unilatérale
  • La cessation immédiate du pacte en cas de mariage de l’un des partenaires répond à la nécessité de respecter l’exigence constitutionnelle de la liberté du mariage, de sorte que les partenaires ne sauraient rester enfermés dans leur union
  • Le partenaire auquel la rupture est imposée pourra toujours demander réparation du préjudice éventuellement subi, notamment en cas de faute tenant aux conditions de la rupture

Ainsi, la faculté pour les partenaires de rompre leur union unilatéralement a-t-elle été maintenue.

II) Les modalités de la dissolution

A) Dissolution du PACS par le décès ou le mariage de l’un ou des partenaires

Le PACS se dissout par la mort de l’un des partenaires, ou par le mariage des partenaires ou de l’un d’eux (article 515-7 du code civil alinéa 1er).

Dans ces hypothèses, l’officier de l’état civil qui a enregistré la déclaration de PACS est informé du décès ou du mariage des partenaires ou de l’un d’eux par l’officier de l’état civil détenteur de l’acte de naissance du ou des partenaires concernés (article 3 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006).

Ainsi informé, il lui reviendra d’enregistrer la dissolution du PACS puis d’en informer le partenaire survivant ou, en cas de mariage, les deux partenaires.

B) Dissolution par déclaration conjointe des partenaires

Les partenaires peuvent mettre fin au PACS, d’un commun accord, en remettant ou en adressant à l’officier de l’état civil une déclaration conjointe en ce sens (article 515-7 alinéas 3 et 4 du code civil).

Les formalités à respecter seront alors identiques à celles requises pour l’enregistrement d’une convention modificative de PACS

À l’instar de la possibilité introduite par le décret du 6 mai 2017 pour un partenaire de se présenter seul en mairie aux fins d’enregistrement de la convention modificative de PACS conclue avec l’autre partenaire, une telle possibilité est également prévue en cas de dissolution d’un PACS, que celle-ci soit enregistrée en mairie ou devant notaire (article 2 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006 et article 2 du décret n° 2012-966 du 20 août 2012).

À l’issue, l’officier de l’état civil remettra aux partenaires ou au seul partenaire présent, ou enverra à ceux-ci par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, un récépissé d’enregistrement de la déclaration conjointe de dissolution

C) Dissolution par décision unilatérale d’un partenaire

L’un des partenaires peut également prendre l’initiative de la dissolution, en faisant procéder à la signification de sa décision unilatérale à l’autre partenaire (article 515-7 alinéas 3 et 5 du code civil).

Sans délai, l’huissier de justice qui a effectué la signification remet, ou adresse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie de l’acte signifié à l’officier de l’état civil qui a enregistré la déclaration de PACS (article 5 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006).

À réception, l’officier de l’état civil se reportera au numéro d’enregistrement déjà attribué aux partenaires et enregistrera la dissolution du PACS.

Il informera alors les ex-partenaires, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de cet enregistrement.

L’adresse à laquelle ces avis sont envoyés est celle figurant sur la copie de l’acte notifié par huissier de justice.

III) La publicité de la dissolution

À l’instar de la publicité organisée dans le cadre d’une déclaration conjointe de conclusion d’un PACS, la dissolution d’un PACS fait l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, ou, lorsque l’un d’eux est né à l’étranger et de nationalité étrangère, d’un enregistrement sur le registre tenu par le service central d’état civil.

Il est relevé que l’avis de mention devra être adressé aux officiers de l’état civil compétents même dans l’hypothèse où l’un des officiers de l’état civil détenant l’acte de naissance d’un partenaire serait également celui qui a établi ou transcrit l’acte de décès ou de mariage. En effet, l’officier de l’état civil concerné ne pourra apposer la mention marginale de la dissolution du PACS qu’après avoir été requis en ce sens par l’officier de l’état civil ayant procédé à l’enregistrement de la dissolution du PACS.

Lorsque l’un des partenaires est de nationalité étrangère et né à l’étranger, le service central d’état civil enregistrera par ailleurs, dans les trois jours suivant la réception de cet avis, en sus des informations précitées enregistrées par l’officier de l’état civil, la date d’effet de la dissolution du PACS à l’égard des tiers (article 4 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006).

Une fois cet enregistrement effectué, il en informera l’officier de l’état civil l’ayant requis à cette fin.

Cet avis sera alors classé par l’officier de l’état civil au dossier contenant les autres pièces relatives au PACS.

Il est rappelé l’importance de transmettre sans délai les avis de mention correspondants, au regard des enjeux éventuels liés à la dissolution d’un PACS.

IV) Les effets de la dissolution

A) La date d’effet de la dissolution

La date à laquelle la dissolution du PACS produit ses effets, entre les partenaires et à l’égard des tiers, diffère selon qu’elle intervient consécutivement au mariage ou au décès d’un ou des partenaires, ou bien qu’elle résulte d’une décision conjointe ou unilatérale de ces derniers.

  • Dissolution du PACS par mariage ou décès
    • Dans ces hypothèses, la date d’effet de la dissolution du PACS correspond à la date du mariage ou du décès.
    • La dissolution du PACS est opposable aux tiers à compter de cette date (article 515-7 alinéa 1er du code civil).
  • Dissolution du PACS par déclaration conjointe des partenaires ou par décision unilatérale d’un partenaire
    • Le PACS prend fin, à l’égard des partenaires, au jour de son enregistrement par l’officier de l’état civil (article 515-7 alinéa 7 du code civil).
    • La dissolution du PACS est en revanche opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de publicité ont été accomplies (article 515-7 alinéa 8 du code civil).

B) Les conséquences de la dissolution

  1. La liquidation du pacs

L’article 515-7 du Code civil prévoit qu’il revient aux partenaires de procéder à la liquidation des droits et obligations issus du PACS.

  • Chacun des partenaires reprend ses biens personnels.
  • Les biens indivis sont partagés par moitié, sauf modalités conventionnelles contraires.
  • Les créances entre les partenaires sont réglées, sous l’empire des règles de calcul des récompenses entre époux communs en biens édictées à l’article 1469 du Code civil

Le régime de la prestation compensatoire ne s’applique pas aux partenaires de PACS

2. La rupture fautive

La question s’est posée de savoir si, en cas de rupture fautive, le partenaire victime de cette rupture était fondé à réclamer l’octroi de dommages et intérêts ?

La lecture de l’article 515-7, al. 10 du Code civil révèle qu’une réponse positive peut être apportée à cette interrogation.

Celui-ci dispose, en effet, que « les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations résultant pour eux du pacte civil de solidarité. À défaut d’accord, le juge statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi ».

Lors de son examen de la loi sur le pacs, le Conseil constitutionnel avait affirmé qu’il résultait de cette disposition que le partenaire auquel la rupture est imposée peut demander réparation du préjudice éventuellement subi, notamment en cas de faute tenant aux conditions de la rupture.

Deux enseignements peuvent être tirés de la décision du 9 novembre 1999 :

  • Premier enseignement
    • la rupture du pacs ne saurait constituer en elle-même une faute.
    • Et pour cause, admettre le contraire reviendrait à vider de sa substance la faculté conférée par la loi aux partenaires de rompre unilatéralement le pacs sur simple déclaration à l’officier d’état civil
  • Second enseignement
    • À l’instar du concubinage, pour qu’un partenaire soit fondé à obtenir des dommages et intérêts du fait de la rupture du pacs, il doit établir une faute indépendamment de la rupture
    • Autrement dit, si la rupture ne saurait constituer en elle-même une faute, les circonstances qui l’entourent peuvent fonder une action en responsabilité

Deux fondements juridiques peuvent alors être envisagés :

  • La responsabilité délictuelle
    • Dans cette hypothèse, conformément à l’article 1240 du Code civil, il conviendra de démontrer l’existence
      • D’une faute
      • D’un préjudice
      • D’un lien de causalité
    • Ces éléments doivent être établis séparément et cumulativement
  • La responsabilité contractuelle
    • Parce que le pacs est un contrat, les partenaires sont susceptibles d’engager leur responsabilité contractuelle
    • Pour ce faire, il conviendra de prouver qu’il a manqué à l’un des devoirs résultant du statut patrimonial et personnel du pacs
    • En particulier, il conviendra de se reporter à l’article 515-4 du Code civil qui édicte les principales obligations qui pèsent sur les partenaires
      • Communauté de vie
      • Assistance
      • Aide matérielle et morale
      • Loyauté

[1] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[2] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[3] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[4] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[5] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[6] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[7] Article 515-1.

[8] Article 515-3.

La notion de subrogation

Dérivée du latin subrogare, la notion de subrogation évoque l’idée de remplacement, ce qui peut expliquer pourquoi elle est parfois confondue avec la cession de créance qui produit le même effet, mais dont le régime juridique est différent.

I) Les formes de la délégation

Au vrai, le droit civil connaît deux formes très distinctes de subrogation :

  • La subrogation réelle
    • Elle réalise la substitution, dans un patrimoine, d’une chose par une autre.
    • Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé
    • Aussi, cette opération intéresse moins le droit des obligations que le droit des biens
  • La subrogation personnelle
    • Elle réalise la substitution, dans un rapport d’obligation, d’une personne par une autre.
    • Plus précisément, la subrogation personnelle opère substitution d’une personne, le subrogé, dans les droits d’un créancier, appelé subrogeant, à qui la première paie une dette à la place du débiteur

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II) Les fonctions de la délégation

Il ressort de la définition de la subrogation personnelle qu’il s’agit là d’une opération pour le moins singulière.

En principe, le paiement effectué, même par un tiers, a seulement pour effet d’éteindre le rapport d’obligation.

Pourtant, par le jeu de la subrogation, ledit rapport subsiste à la faveur du subrogé qui dispose d’un recours contre le débiteur.

Le Doyen Mestre a défini la subrogation personnelle en ce sens comme « la substitution d’une personne dans les droits attachés à la créance dont une autre est titulaire, à la suite d’un paiement effectué par la première entre les mains de la seconde ».

Ainsi, la subrogation personnelle remplit-elle deux fonctions bien distinctes

  • L’accessoire à un paiement
    • En ce que la subrogation a pour effet d’éteindre la créance du subrogeant, elle s’analyse toujours en un paiement
    • Elle consiste toutefois en un paiement spécifique, en ce que, dans le même temps, elle a pour effet d’opérer un transfert de créance
  • Le transfert d’une créance
    • La subrogation est pourvue de cette particularité de maintenir, nonobstant le paiement du créancier, le rapport d’obligation et ses accessoires, de sorte que le débiteur demeure toujours tenu
    • Pour ce faire, la subrogation opère donc un transfert de la créance dont est titulaire le créancier subrogeant à la faveur du subrogé.
    • Ce maintien du rapport d’obligation se justifie par la nécessité de fonder le recours du tiers solvens, faveur et profit conforme à l’impératif d’équité alors que le créancier, par hypothèse désintéressé, n’y trouverait plus d’utilité, et neutre à l’égard du débiteur dont la situation ne peut être aggravée.

Au regard de ces deux fonctions remplies par la subrogation, immédiatement la question se pose de savoir quelle fonction prime sur l’autre ?

Lors de la réforme des obligations, le législateur a intégré la subrogation dans la partie du Code civil consacrée au paiement.

Il en résulte que la subrogation s’analyserait moins en une opération sur obligation qu’à un paiement. Pourtant, l’évolution des fonctions de la subrogation suggérait la solution inverse.

En effet, si l’on s’attache à physionomie actuelle et à la place qu’elle occupe en droit des assurances ou en droit de la sécurité sociale, la subrogation est surtout envisagée :

  • D’une part, comme un mécanisme objectif gouvernant les recours tiers payeurs ou tiers garants
  • D’autre part, comme un mode original de transmission de créance à titre principal, se distinguant seulement de la cession de créance, en ce qu’elle intervient à titre accessoire à un paiement.

En conséquence, il aurait sans aucun doute été plus judicieux de traiter de la subrogation dans la partie dédiée aux opérations sur obligation.

Tel n’a pas été le choix du législateur qui finalement a retenu une conception somme toute classique de la subrogation.

Pour justifier sa solution, il est précisé dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 que « la subrogation, souvent considérée aujourd’hui comme une opération purement translative de créance, est délibérément maintenue dans le chapitre consacré à l’extinction de l’obligation, dans la section relative au paiement, ce qui permet de rappeler qu’elle est indissociablement liée à un paiement fait par un tiers, qui libère un débiteur – totalement ou partiellement – envers son créancier, et qu’elle ne constitue pas une opération translative autonome, mais une modalité du paiement. »

III) Distinctions

==> Subrogation personnelle et cession de créance

  • Définition
    • Contrairement à la cession de créance qui a pour objet un transfert de droits, la subrogation réalise une substitution de personne ou de chose.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit certes les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • Toutefois, elle s’en distingue sur un point majeur
      • En matière de subrogation personnelle, le transfert de créance intervient à titre accessoire à un paiement.
      • En matière de cession de créance, le transfert de créance constitue l’objet principal de l’opération.
    • Ainsi, la subrogation consiste-t-elle en un paiement par une personne autre que le débiteur de sa dette qui, du fait de ce paiement, devient titulaire dans la limite de ce qu’il a payé, de la créance et ses accessoires.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
    • Tel n’est pas le cas en matière de cession de créance : les parties ont seulement pour intention de transférer un rapport d’obligation moyennant le paiement d’un prix.
  • Effet de l’opération
    • Particularité de la subrogation personnelle, elle n’opère qu’à concurrence de ce qui a été payé par le subrogé. Et pour cause : elle est une modalité de paiement.
    • Ainsi, la subrogation se distingue-t-elle de la cession de créances qui autorise le cessionnaire à actionner le débiteur en paiement pour le montant nominal de la créance, alors même que le prix de cession aurait été stipulé pour un prix inférieur.
    • Tel est le cas, lorsque le cessionnaire s’engage à garantir le cédant du risque d’insolvabilité du débiteur cédé.
    • L’intérêt de la cession de créance réside, dans cette hypothèse, dans la possibilité pour le cessionnaire d’exiger le montant de la totalité de la créance, indépendamment du prix de cession convenu par les parties.
    • Le subrogé ne peut, quant à lui, recouvrer sa créance que dans la limite de ce qu’il a payé et non au regard du montant nominal de la créance.
  • Consentement
    • À la différence de la cession de créance qui requiert le consentement du créancier cédant, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

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==> Subrogation personnelle et délégation

  • Définition
    • La délégation et la subrogation personnelle se rejoignent sur un point majeur
    • En effet, ces deux opérations consistent en un paiement par une personne autre (le délégué) que le débiteur (le délégant) de sa dette.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
  • Objet de l’opération
    • contrairement à la subrogation personnelle, la délégation n’opère pas de transfert de la créance détenue par le délégant contre le délégué à la faveur du délégataire.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • En matière de délégation, aucun transfert de créance ne se réalise.
    • L’opération opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La subrogation personnelle
      • Le débiteur est autorisé à opposer au subrogé toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au subrogeant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la subrogation, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la subrogation, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire.»
  • Consentement
    • À la différence de délégation qui requiert toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

Schéma 3

Le régime juridique de la délégation: notion, conditions, effets

I) Définition

A) Notion de délégation

Définie à l’article 1336 du Code civil, la délégation est présentée comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. ».

Il ressort de cette définition que la délégation est constituée de deux composantes :

  • L’ordre du délégant envers le délégué
  • L’engagement du délégué envers le délégataire

Ainsi, la délégation permet-elle de réaliser un double paiement simplifié de deux obligations préexistantes.

==>Conceptions de la délégation

Deux visions de la délégation s’affrontent en doctrine :

  • La vision extensive de la délégation
    • Selon cette vision, la qualification de délégation repose, le plus souvent, sur le constat que l’obligation du délégué est destinée à se superposer à deux obligations préexistantes :
      • L’obligation du délégué envers le délégant
      • L’obligation du délégant le délégataire
    • Dans cette configuration, la délégation permet ainsi de réaliser un double paiement simplifié en éteignant, à hauteur du montant le plus faible :
      • La dette du délégué envers le délégant
      • La dette du délégant envers le délégataire
    • Cependant, rien n’empêche que la délégation vienne se greffer :
      • Soit sur une seule obligation préexistante
        • Dans cette hypothèse, de deux choses l’une :
          • Ou bien l’obligation préexistante existe entre le délégué et le délégant, auquel cas la délégation permet de réaliser une donation ou un prêt indirect à la faveur du délégataire et ne peut être alors qu’une délégation simple.
          • Ou bien l’obligation préexistante lie le délégant au seul délégataire, auquel cas la délégation, qui peut être simple ou novatoire, permet de payer la dette du délégant ou de constituer une garantie au profit du délégataire, ce que l’on appelle la délégation-sûreté.
      • Soit sur aucune obligation préexistante
        • Dans cette hypothèse, la délégation permet de réaliser une double donation indirecte ou d’un double prêt indirect entre
          • D’une part, le délégant et le délégataire
          • D’autre part, le délégué et le délégant
  • La vision restrictive de la délégation
    • Selon cette vision, la qualification de délégation ne se justifie que s’il existe une obligation préexistante entre le délégué et le délégant.
    • Plusieurs hypothèses doivent alors être envisagées :
      • Une obligation existe entre le délégant et le délégataire, mais pas entre le délégué et le délégant
        • Il s’agit alors, selon la cause de l’engagement du délégué,
          • Soit d’un contrat visant la libération du débiteur-délégant
          • Soit d’un cautionnement ou d’une garantie autonome
      • Aucune obligation n’existe, ni entre le délégant et le délégataire, ni entre le délégué et le délégant
        • La cause de l’obligation du délégué est alors à rechercher dans ses rapports avec le délégant :
          • Soit il a la volonté de consentir une donation
          • Soit il a la volonté de consentir un prêt indirect
        • En toute hypothèse, l’engagement du délégué représente l’exécution d’une promesse de donation ou de prêt implicite et concomitante à la formation de la délégation.
        • En somme, il y a quand même une obligation préexistante entre le délégué et le délégant, laquelle constitue le support juridique nécessaire de la délégation.

==>Position de la jurisprudence

Par un arrêt du 21 juin 1994, la Cour de cassation a partiellement consacré la vision extensive de la délégation en considérant que l’existence d’une obligation préexistante entre le délégué et le délégant n’était pas inhérente à la qualification de délégation.

Autrement dit, une délégation peut être stipulée en dehors de toute obligation contractée antérieurement entre le délégué et le délégant (Cass. com. 21 juin 1994, n°91-19.281).

Cass. com. 21 juin. 1994

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt critiqué (Montpellier, 25 juin 1991), qu’à la demande de M. Y…, qui devait une somme de 56 379,18 francs à M. A…, M. X… a émis un chèque de même montant à l’ordre de Ano, nom de l’entreprise personnelle de celui-ci, lequel l’a encaissé ; que M. X… a assigné M. A… en restitution de cette somme en prétendant qu’il l’avait indûment payée ;

Attendu que M. X… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d’une part, que la délégation de créance proprement dite ne peut servir de cadre à une simple libéralité et suppose l’existence, non seulement d’une créance du délégataire sur le délégant, mais également d’une créance de ce dernier sur le délégué ; que, dès lors, en affirmant qu’il importait peu que M. X… ait ou non été débiteur de M. Y… dont il a réglé la dette à M. Z… et que les conditions d’une délégation étaient réunies du seul fait de la remise, par M. X… à M. Y…, du chèque à l’ordre de Ano et de l’acceptation de ce chèque par cet établissement créancier de M. Y…, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1275 du Code civil ; et alors, d’autre part, que, pour résister à la demande en répétition de l’indu, M. Z… s’est borné à prétendre qu’il aurait été réglé dans le cadre d’une délégation de créance par M. X…, lequel serait débiteur de M. Y… ; que, dans ces conditions, si l’arrêt devait être interprété comme fondé sur une intention libérale de M. X… envers M. Y…, il serait alors entaché d’une méconnaissance des termes du litige en violation de l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d’une part, qu’après avoir retenu que l’opération litigieuse était une délégation et que M. X…, délégué, s’était engagé en toute connaissance de cause à l’égard de M. A…, délégataire, c’est à bon droit que l’arrêt déclare qu’il importait peu que M. X… ait été, ou non, débiteur à l’égard de M. Y…, délégant ;

Attendu, d’autre part, que la cour d’appel n’a pas déclaré qu’en s’engageant à l’égard de M. A…, M. X… avait eu l’intention de faire une libéralité à M. Y… ;

Que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

==>Réforme des obligations

La lecture des articles 1336 et 1337 du Code civil confirme l’absence d’exigence d’obligation préexistante préalablement à la réalisation d’une opération de délégation.

Il importe peu, en conséquence, que le délégué soit créancier du délégant pour que la délégation soit valable.

La conception extensive de la délégation l’a emporté sur la vision restrictive.

==>Délégation certaine et délégation incertaine

La distinction entre la délégation certaine et incertaine est d’origine purement doctrinale. Elle permet d’envisager l’influence du ou des rapports d’obligation préexistant sur l’engagement du délégué.

Le délégué est, en effet, susceptible de s’engager à la faveur du délégataire dans le cadre de deux schémas distincts :

  • La délégation certaine
    • Dans cette configuration, le délégué s’engage envers le délégataire sans référence à une obligation préexistante
    • Son engagement est donc des plus abstraits, en ce sens que les rapports délégant / délégué et délégant délégataire sont insusceptibles d’influer sur son existence
    • La conséquence en est que le principe d’inopposabilité des exceptions est absolu, il ne connaît aucune dérogation à l’exception de la fraude.
  • La délégation incertaine
    • Dans cette configuration, le délégué s’engage envers le délégataire en considération
      • Soit de l’obligation préexistante qui le lie au délégant
      • Soit de l’obligation préexistante qui le lie le délégant au délégataire
    • La délégation repose alors sur l’une des obligations préexistantes, en ce sens que le délégué s’engage à concurrence du montant qu’il doit au délégant ou de ce qui est par celui-ci dû au délégataire.
    • Il en résulte que le principe d’inopposabilité des exceptions est susceptible d’être écarté, en particulier dans l’hypothèse où, en cas de novation, l’obligation ancienne serait nulle.

Au total, il apparaît que l’intérêt de la distinction entre la délégation certaine et la délégation incertaine réside dans l’application du principe d’inopposabilité des exceptions qui, lorsque la délégation est incertaine, peut céder sous l’effet d’une exception tirée d’une obligation préexistante.

B) Formes de la délégation

Deux formes de délégation doivent être distinguées :

  • La délégation simple
  • La délégation novatoire

==>La délégation simple ou imparfaite

La délégation simple, dite imparfaite, correspond à l’hypothèse où, lors de la réalisation de l’opération, le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire, ce qui confère à ce dernier deux débiteurs :

  • Le délégant
  • Le délégué

La délégation simple est envisagée à l’article 1338 du Code civil qui prévoit que :

  • D’une part, lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l’a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur.
  • D’autre part, le paiement fait par l’un des deux débiteurs libère l’autre, à due concurrence.

Manifestement, la figure de la délégation simple est de loin la plus fréquente car présente l’avantage pour le délégataire de disposer d’un débiteur supplémentaire (le délégant).

==>La délégation novatoire ou parfaite

La délégation novatoire, dite parfaite, correspond à l’hypothèse où, lors de la réalisation de l’opération, le délégant est déchargé de son obligation envers le délégataire qui accepte de n’avoir comme seul débiteur le délégué.

La délégation opère ainsi un changement de débiteur, sans pour autant que la créance détenue par le délégant à l’encontre du délégué soit transférée au délégataire.

Ce changement de débiteur se réalise au moyen d’une novation, soit de la création d’un nouveau rapport d’obligation (entre le délégué et le délégataire) lequel se substitue au rapport préexistant entre le délégant et le délégué.

La délégation simple est envisagée à l’article 1337 du Code civil qui prévoit que

  • D’une part, lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation
  • D’autre part, le délégant demeure tenu s’il s’est expressément engagé à garantir la solvabilité future du délégué ou si ce dernier se trouve soumis à une procédure d’apurement de ses dettes lors de la délégation.

C) Distinctions

==>Délégation de paiement et cession de créance

  • Objet de l’opération
    • Définie à l’article 1336 du Code civil la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur.
    • À la différence de la cession de créance, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de créance, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La cession de créance
      • Le débiteur cédé est autorisé à opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au créancier cédant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la cession, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la cession de créance, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »
  • Consentement
    • Contrairement à la cession de créance qui ne suppose pas le consentement du débiteur cédé, tiers à l’opération, la délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.

==>Délégation et cession de dette

Plusieurs différences opposent radicalement la délégation de la cession de dette.

  • Définition
    • Délégation et cession de dette se rejoignent en ce que ces deux opérations consistent en une substitution de débiteur
    • Lorsque toutefois la délégation est simple, il s’agit moins d’une substitution que d’un ajout de débiteur, le délégant n’étant pas déchargé de son obligation envers le délégataire.
  • Objet de l’opération
    • À la différence de la cession de dette, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de dette, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Consentement du tiers
    • La délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.
    • En cela, la délégation se rapproche de la cession de dette.
    • Toutefois, elle s’en distingue dans la mesure où la dette du délégant envers le délégataire n’est nullement transférée au délégué
    • La délégation opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

==>Délégation et indication de paiement

L’article 1340 du Code civil prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

L’indication de paiement consiste ainsi pour un débiteur ou un créancier à désigner une tierce personne quant à effectuer le paiement de la dette.

Contrairement à la délégation, l’indication de paiement ne crée aucun rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

Cette opération assure simplement le règlement de la dette du débiteur.

L’indication de paiement se rapproche ainsi du mandat de payer qui peut prendre la forme, par exemple, d’une autorisation de prélèvement.

L’indication adressée au créancier ou au débiteur vaut seulement information de ce que la dette sera payée par un tiers désigné.

Elle n’emporte en rien opposabilité, ni novation de l’obligation.

==>Délégation et subrogation personnelle

  • Définition
    • La délégation et la subrogation personnelle se rejoignent sur un point majeur
    • En effet, ces deux opérations consistent en un paiement par une personne autre (le délégué) que le débiteur (le délégant) de sa dette.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
  • Objet de l’opération
    • Contrairement à la subrogation personnelle, la délégation n’opère pas de transfert de la créance détenue par le délégant contre le délégué à la faveur du délégataire.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • En matière de délégation, aucun transfert de créance ne se réalise.
    • L’opération opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La subrogation personnelle
      • Le débiteur est autorisé à opposer au subrogé toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au subrogeant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la subrogation, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la subrogation, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »
  • Consentement
    • À la différence de délégation qui requiert toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

II) Conditions

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que la délégation ne suppose pas le respect de conditions de forme.

Aucun formalisme n’est requis, ni pour la validité de l’opération, ni pour son opposabilité aux tiers à l’inverse de la cession de créance par exemple (V. en ce sens les articles 1322 à 1324 du Code civil).

La validité de la délégation n’est, à la vérité, subordonnée à la satisfaction d’une celle condition : le consentement des personnes intéressées à la délégation

==>Sur l’exigence de consentement

Pour mémoire, l’article 1336 du Code civil définit la délégation comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. »

Il ressort de cette disposition que la délégation soit valide, cela suppose :

  • D’abord, que le délégant accepte que le paiement effectué par le délégué à la faveur du délégataire éteigne sa créance à concurrence de ce qui a été réglé
  • Ensuite, que le délégué consente à s’engager envers le délégataire de telle sorte qu’il est tenu personnellement envers ce dernier
  • Enfin, que le délégataire accepte un nouveau débiteur et, en cas de délégation novatoire, que le délégant soit déchargé de son obligation envers lui.

==>Sur l’expression du consentement

  • Principe
    • Le consentement des personnes intéressées à la délégation peut être tout autant exprès que tacite
    • L’article 1336 du Code civil ne pose aucune exigence en particulier s’agissant de son expression.
  • Tempérament
    • S’agissant du délégué
      • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 3 avril 2012 « si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation » (Cass. com. 3 avr. 2012, n°10-24.641).
      • Ainsi, l’acceptation du délégué ne saurait se déduire de sa seule abstention.
      • Il est nécessaire qu’un certain nombre de circonstances établissent son consentement à l’opération.
      • Cette solution se justifie par la portée de l’engagement du délégué lequel s’oblige personnellement envers le délégataire.
    • S’agissant du délégataire
      • Dans l’hypothèse où la délégation est seulement imparfaite, soit n’a pas pour effet de décharger le délégant de son obligation envers le délégataire, il est indifférent que l’acceptation de ce dernier soit expresse ou tacite (V. en ce sens Cass. req. 27 févr. 1856).
      • Toutefois, lorsque la délégation est parfaite, soit lorsqu’elle opère novation, l’article 1337 du Code civil exige que le consentement du délégataire soit exprès.
      • Cette disposition prévoit que « lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation. »

III) Effets

La délégation est une opération qui implique trois personnes de sorte qu’elle produit des effets dans les rapports entre :

  • le délégant et le délégué
  • le délégant et le délégataire
  • le délégué et le délégataire

Ces effets portent, en premier lieu, sur le sort du rapport d’obligation, en second lieu, sur les exceptions tirées des rapports entre les personnes intéressées à la délégation.

A) Le sort des rapports d’obligations

1. Le rapport délégant / délégué

Deux hypothèses doivent être distinguées :

==>Existence d’un rapport d’obligation entre le délégant et le délégué

Il ressort de l’article 1339 du Code civil qu’il convient de distinguer, dans ce cas-là, selon que la délégation est simple ou novatoire.

  • La délégation simple
    • Absence d’extinction de la créance du délégant
      • En matière de délégation simple, la délégation n’opère pas novation de sorte que le délégant demeure tenu envers le délégataire.
      • Aussi, l’article 1339, al. 1er prévoit-il que la créance du délégant envers le délégué ne s’éteint que par l’exécution de l’obligation du délégué envers le délégataire et à due concurrence.
    • L’action en paiement du délégant à l’encontre du délégué
        • Dans un arrêt du 16 avril 1996, la Cour de cassation a affirmé que « si la créance du délégant sur le délégué s’éteint, non pas du fait de l’acceptation par le délégataire de l’engagement du délégué à son égard, mais seulement par le fait de l’exécution de la délégation, ni le délégant ni ses créanciers, ne peuvent, avant la défaillance du délégué envers le délégataire, exiger paiement » (Cass. com. 16 avr. 1996, n°94-14.618).
        • Autrement dit, tant que la dette du délégué envers le délégataire n’est pas exigible et que celui-ci ne manque pas à son engagement, le délégant ne peut pas actionner en paiement le délégué.
        • Il en va de même pour les créanciers ou le cessionnaire du délégant.
        • Cette règle a été consacrée à l’alinéa 2 de l’article 1339 du Code civil qui prévoit :
          • D’une part, que « le délégant ne peut en exiger ou en recevoir le paiement que pour la part qui excéderait l’engagement du délégué »
          • D’autre part, que « la cession ou la saisie de la créance du délégant ne produisent effet que sous les mêmes limitations. »
        • Tous les recours ne sont donc pas neutralisés pour le délégant qui peut toujours actionner en paiement le délégué à concurrence du montant qu’il ne s’est pas engagé à régler au délégataire.
        • Toutefois, l’article 1339, al. 2 précise que le délégant « ne recouvre ses droits qu’en exécutant sa propre obligation envers le délégataire. »
        • Ainsi, tant que celui-ci ne s’est pas exécuté envers le délégataire, il ne peut pas réclamer le paiement de sa créance au délégué.
  • La délégation novatoire
    • Extinction totale ou partielle de la créance du délégant
      • L’article 1339, al. 4 prévoit que « si le délégataire a libéré le délégant, le délégué est lui-même libéré à l’égard du délégant, à concurrence du montant de son engagement envers le délégataire. »
      • Il en résulte que le délégué n’est obligé qu’envers le seul délégataire, sauf pour la part d’obligation qui excéderait son engagement envers le délégant
        • Pour exemple :
          • Si le délégant est titulaire d’une créance de 100 à l’encontre du délégué et que celui-ci s’est engagé envers le délégataire pour un montant identique, la délégation opère une extinction totale du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué.
          • Si, en revanche, le délégant est titulaire d’une créance de 100 à l’encontre du délégué et que celui-ci s’est seulement engagé à hauteur de 50 envers le délégataire, alors le rapport d’obligation entre le délégant et le délégué subsistera à concurrence de 50.
      • Ainsi, selon l’étendue de l’engagement du délégué envers le délégataire, l’extinction de la créance du délégant sera totale ou partielle.
    • Action en paiement du délégant à l’encontre du délégué
      • L’action en paiement du délégant envers le délégué n’a de sens qu’à la condition que premier soit titulaire d’une créance à l’encontre du second.
      • Or par hypothèse, la délégation novatoire a pour effet d’éteindre le rapport d’obligation entre le délégant et le délégué.
      • Le délégant n’a, en conséquence, pas vocation à actionner en paiement le délégué, sauf à ce que l’engagement de ce dernier envers le délégataire porte sur un montant inférieur à celui dû au délégant.
      • Dans ce cas, le délégant sera fondé à réclamer au délégué la part de la créance qui excède son engagement envers le délégataire.
      • Il ne pourra toutefois exercer son action qu’à la condition que le délégué soit défaillant.

==>Absence de rapport d’obligation entre le délégant et le délégué

Dans cette hypothèse, la délégation aura, la plupart du temps, été envisagée comme une garantie constituée par délégant à la faveur du délégataire, le délégué exerçant la fonction de garant.

Aussi, le paiement du délégué a-t-il pour effet d’éteindre la dette du délégant envers le délégataire.

Le délégué disposera alors d’un recours contre le délégant par le jeu d’une subrogation légale ou conventionnelle si expressément envisagée par les parties à l’opération de délégation.

2. Le rapport délégant / délégataire

Le rapport délégant / délégataire ne se conçoit que si le délégant est débiteur du délégataire. Dans le cas contraire le paiement par le délégué n’aura aucun effet sur leur rapport qui, par hypothèse, est inexistant.

Aussi, ne doit-on envisager que l’hypothèse où un rapport d’obligation entre le délégant et le délégataire préexiste à l’opération de délégation.

Deux situations doivent alors être distinguées

  • Soit la délégation est simple
  • Soit la délégation est novatoire

==>La délégation simple

La délégation simple correspond à l’hypothèse où le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire.

Il ressort de l’article 1338 du Code civil que, dans les rapports délégant / délégataire, la délégation simple produit deux effets :

  • Adjonction d’un second débiteur
    • L’article 1338, al. 1er prévoit que lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l’a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur
    • Autrement dit, la délégation simple procure deux débiteurs au délégataire
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il existe une sorte de bénéfice de discussion à la faveur du délégant.
    • Bien que la doctrine soit divisée sur ce point, rien ne permet de reléguer le délégant au rang de débiteur accessoire, à l’instar d’une caution, qui donc ne pourrait être actionné en paiement qu’en cas de défaillance du délégué.
    • La délégation a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation sans modifier la situation du délégant, de sorte que celui est tout autant tenu envers le délégataire que l’est le délégué.
  • Extinction de dette du délégant par le paiement du délégué
    • Le second effet de la délégation simple dans les rapports délégué / délégataire est que le paiement fait par l’un des deux débiteurs libère l’autre, à due concurrence.
    • Autrement dit, dès lors que le délégataire est réglé de sa créance par le délégué, la dette du délégant envers le délégataire est éteinte à concurrence de ce qui a été payé.
    • Le délégant n’est toutefois pas libéré de toute obligation, puisque le délégué dispose, par principe, d’un recours contre lui, lequel pourra être exercé sur le fondement d’une subrogation conventionnelle ou légale.

==>La délégation novatoire

La délégation novatoire correspond à l’hypothèse où le délégant est déchargé de son obligation envers le délégataire.

Il ressort de l’article 1337 du Code civil que la délégation novatoire produit deux effets :

  • La novation
    • Lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation.
    • Cela signifie, autrement dit, que le nouveau rapport d’obligation créé entre le délégué et le délégataire vient se substituer au rapport unissant le délégant au délégataire
    • La délégation novatoire a donc pour effet d’éteindre la créance dont est titulaire le délégataire envers le délégant.
    • Le délégataire ne disposera plus que d’un débiteur : le délégué
  • La garantie de la solvabilité du délégué
    • Principe
      • En cas de délégation novatoire le délégant n’est, par principe, ni garant du paiement du délégué, ni garant de sa solvabilité.
      • Le délégant est totalement déchargé de son obligation envers le délégataire, de sorte que ce dernier ne dispose d’aucun recours contre son ancien débiteur
    • Tempérament
      • L’article 1337, al. 2 du Code civil apporte un tempérament à l’absence de garantie par le délégant de la solvabilité du délégué.
      • Cette disposition prévoit, en effet, que « le délégant demeure tenu s’il s’est expressément engagé à garantir la solvabilité future du délégué ou si ce dernier se trouve soumis à une procédure d’apurement de ses dettes lors de la délégation. »
      • Si dès lors les parties à l’opération de délégation le prévoient, au moyen d’une stipulation contractuelle, le délégant peut demeurer garant de la solvabilité du délégué, comme tel est le cas en matière de cession de créance pour le cédant.
      • Quid des sûretés dont était titulaire le délégataire en garantie de sa créance envers le délégant ?
      • En conserve-t-il le bénéfice dans l’hypothèse où la délégation novatoire serait assortie d’une clause de garantie de la solvabilité du délégué ?
      • L’article 1337 du Code civil étant silencieux sur cette question, il conviendra que la jurisprudence se prononce.

3. Le rapport délégué / délégataire

Tant la délégation simple, que la délégation novatoire a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

La création de ce nouveau rapport signifie que le délégué s’engage à titre personnel envers le délégataire, de sorte que ce dernier pourra recourir contre lui sans avoir à actionner le délégant en paiement.

Toutefois, le délégué ne sera obligé envers le délégataire qu’à concurrence de ce qui est dû par le délégant.

En outre, les parties peuvent assortir l’obligation du délégué d’une condition, telle que le respect par le délégant de ses propres obligations envers ce dernier ou dans une certaine proportion.

B) Le principe d’inopposabilité des exceptions

L’un des principes cardinaux de la délégation est que le rapport d’obligation qui unit le délégué au délégataire est totalement indépendant :

  • du rapport délégant / délégué
  • du rapport délégant / délégataire

Le rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire est donc parfaitement autonome. Le délégué est engagé à titre personnel envers le délégant.

La délégation n’emporte, en conséquence, aucun transfert :

  • ni de la créance du délégant envers le délégué
  • ni de la créance du délégataire envers le délégant

La circulation de la dette du délégant est indirecte puisqu’elle passe par la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire lequel rapport se superpose aux rapports préexistants.

L’obligation ainsi créée est donc strictement personnelle au délégué, ce qui se traduit par son indépendance par rapport aux liens d’obligation préexistants.

Il en résulte que, comme prévu à l’article 1336, al. 2e du Code civil, le délégué actionné en paiement par le délégataire ne peut lui opposer aucune exception tirée :

  • soit du rapport délégant / délégué
  • soit du rapport délégant / délégataire

Il s’agit là du principe de double inopposabilité des exceptions qui caractérise la délégation.

Par exception, il faut entendre un moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…)

1. Les exceptions tirées du rapport délégué / délégant

==>Principe

Aux termes de l’article 1336, al. 2 du Code civil « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant »

Cette solution est issue d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 janvier 1872 aux termes duquel elle affirme « qu’un créancier ayant, de bonne foi et du consentement de son débiteur, accepté au lieu et place de celui-ci, qu’il a libéré, une autre personne capable de s’obliger et qui s’est engagée envers lui sans aucune condition, a désormais action contre le nouveau débiteur ainsi substitué au premier, quelle que fût la nature des rapports juridiques qui eussent existé entre l’ancien et le nouveau débiteur ; Que celui-ci ne pourrait donc s’affranchir de son engagement envers le créancier, sous le seul prétexte que, par erreur, il se serait cru obligé lui-même envers le délégant, ou que son obligation envers celui-ci aurait été reconnue et déclarée nulle part une décision passée en force de chose jugée ».

Cass. civ., 24 janv. 1872

Sur le moyen unique de chacun desdits pourvois :

Vu les articles 1271, no 2, 1275 et 1377 du Code civil;

En fait et suivant les constatations de l’arrêt dénoncé :

Attendu que Chenard, un des associés, comme bailleur de fonds intéressé dans la charge d’agent de change dont Porché était titulaire, ayant, par conventions des 12 mars et 29 mai 1866, stipulé de celui-ci sa retraite de la société et le retrait de sa mise sociale, il est intervenu entre eux et Méry, qui avait fourni à Chenard une partie de ladite mise sociale, sous la condition de participer proportionnellement aux chances de bénéfices et de pertes, une convention postérieure, en vertu de laquelle Méry, étranger à la société organisée pour l’exploitation de la charge et ayant jusqu’alors Chenard pour unique obligé, a consenti de bonne foi, et dans l’ignorance des vices dont pouvait être infecté le contrat passé entre Chenard et Porché, à laisser dans la caisse sociale, à titre de simple créance, la somme par lui confiée à Chenard, et de compter pour débitrice la société Porché et consorts au lieu et place de Chenard, en libérant celui-ci de son ancienne obligation, et se dessaisissant, en conséquence, de son titre originaire; En droit :

Attendu, d’une part, qu’un créancier ayant, de bonne foi et du consentement de son débiteur, accepté au lieu et place de celui-ci, qu’il a libéré, une autre personne capable de s’obliger et qui s’est engagée envers lui sans aucune condition, a désormais action contre le nouveau débiteur ainsi substitué au premier, quelle que fût la nature des rapports juridiques qui eussent existé entre l’ancien et le nouveau débiteur;

Que celui-ci ne pourrait donc s’affranchir de son engagement envers le créancier, sous le seul prétexte que, par erreur, il se serait cru obligé lui-même envers le délégant, ou que son obligation envers celui-ci aurait été reconnue et déclarée nulle par une décision passée en force de chose jugée;

Attendu, d’autre part, que les parties ne se trouvaient pas dans la situation prévue par l’article 1377 du Code civil, dont la disposition, placée sous la rubrique des quasi-contrats, est par conséquent étrangère à l’hypothèse d’une convention expresse par laquelle un créancier, avec le concours de son débiteur, accepte un débiteur nouveau, qui s’oblige envers lui; que cette disposition se réfère exclusivement au cas où, en dehors de tout contrat impliquant soit délégation parfaite, soit novation, un créancier a reçu des mains et des deniers d’un tiers le payement de la dette de son débiteur, et supprimé, à raison de ce payement, son titre de créance; qu’elle ne saurait donc recevoir son application au cas où, comme dans l’espèce, le créancier a, par une convention avec son obligé originaire et son nouveau débiteur, consenti, avant tout payement, à libérer le premier et à n’avoir désormais que le second pour obligé;

D’où il suit, d’une part, qu’en déclarant mal fondée la demande reconventionnelle de Méry, par l’unique motif de droit que les conventions intervenues entre Chenard et Porché auraient été déclarées nulles et de nul effet par son arrêt antérieur, à l’égard de la société Porché, laquelle serait créancière et non débitrice de Chenard, sans avoir ni constaté que l’obligation souscrite par Porché au nom de la charge dont il était titulaire, eût été subordonnée, dans la commune intention des parties, à la régularité ou à la validité des précédentes conventions étrangères à Méry, ni recherché si, vis-à-vis de ce dernier, Porché avait ou non pouvoir d’obliger la société dont il était le représentant, l’arrêt dénoncé a méconnu et violé les dispositions des articles 1271, no 2, et 1275 du Code civil;

Et, d’autre part, qu’en décidant, dans l’hypothèse où l’obligation de la société envers Méry aurait dû être réputée nulle et non avenue, que le liquidateur de la société serait, aux termes de l’article 1377 du Code civil, mal fondé à demander le payement ou la restitution de sommes dues ou reçues par Méry, le même arrêt a faussement appliqué et par suite violé les dispositions dudit article 1377;

Casse et annule

==>Ratio legis

Les exceptions tirées du rapport délégué / délégant sont inopposables au délégataire. Cette solution se justifie par la nouveauté du rapport d’obligation créé entre le délégué et le délégant.

Surtout, les auteurs justifient le principe d’inopposabilité des exceptions en avançant que l’engagement du délégué envers le délégataire est, telle l’obligation cambiaire en matière d’effet de commerce, abstrait.

Si l’on admet que la délégation peut exister sans obligation préexistante entre le délégant et le délégué, la cause de l’engagement de ce dernier peut résider

  • Soit dans la volonté d’éteindre la créance préexistante que détient le délégataire à l’encontre du délégant
  • Soit dans la volonté de faire une donation au délégant
  • Soit dans la volonté de consentir un prêt indirect au délégant

Ainsi l’engagement du délégué envers le délégataire est détaché du rapport fondamental qui en constitue la cause.

La conséquence logique ne peut dès lors être que l’inopposabilité des exceptions tirées du rapport délégant / délégué au délégataire

==>Droit du délégataire

La délégation investit le délégataire d’un droit de créance à l’encontre du délégué dont les attributs font obstacle à ce que les exceptions tirées du rapport entre le délégant et le délégué lui soient opposables.

  • Un droit irrévocable
    • Parce que le délégué s’engage à titre personnel envers le délégataire, celui-ci dispose d’un droit de créance irrévocable.
    • Il en résulte que, à compter de l’acceptation de la délégation par le délégué, le délégataire peut ignorer toute révocation ou modification de son droit résultant du rapport entre le délégant et le délégué.
  • Un droit propre
    • Dans la mesure où le droit du délégataire lui est propre, les causes de libération du délégué envers le délégant (paiement ou compensation) lui sont inopposables.
    • Ainsi, il emporte peu que le délégué soit libéré de son obligation envers le délégant, il demeure tenu envers le délégataire à concurrence de ce qui lui est dû par le délégant.
  • Un droit indépendant
    • Le droit du délégataire est indépendant, en ce sens que son sort n’est pas lié au rapport d’obligation qui lie le délégant au délégué
    • Il en résulte que le délégué ne peut invoquer la nullité, la résolution ou encore l’exception d’inexécution tirée de son rapport avec le délégant
      • Soit pour échapper à son obligation de paiement
      • Soit pour obtenir la restitution après paiement

==>Exceptions

Le principe d’inopposabilité cède sous l’effet de deux exceptions :

  • La mauvaise foi du délégataire
    • Cette situation correspond à l’hypothèse où le délégataire connaît l’exception dont est frappé le rapport délégant / délégué au moment où ce dernier s’engage envers lui.
    • Dans un arrêt du 22 avril 1997, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « dans la délégation de créance, le délégué ne peut opposer au délégataire les exceptions nées de ses rapports avec le délégant ; que c’est donc à bon droit que l’arrêt retient que l’engagement de la société Calberson international n’était pas affecté par la fraude imputée à la société Trans Europe Sud dès lors qu’il n’était pas soutenu que la société Trans Ouest avait pris part à celle-ci » (Cass. com. 22 avr. 1997, n°95-17.664).
    • En cas de fraude, les exceptions tirées du rapport délégant / délégué redeviennent opposables au délégataire.
  • La nullité de l’obligation novée
    • L’article 1329 du Code civil définit la novation comme le « contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée. »
    • L’article 1331 précise que « la novation n’a lieu que si l’obligation ancienne et l’obligation nouvelle sont l’une et l’autre valables, à moins qu’elle n’ait pour objet déclaré de substituer un engagement valable à un engagement entaché d’un vice »
    • Autrement dit, la nullité de l’obligation ancienne affecte la validité de la novation.
    • On peut en déduire que, en matière de délégation, lorsque celle-ci est novatoire, dans l’hypothèse où l’obligation novée serait nulle, le délégué serait fondé à opposer au délégataire toutes les exceptions tirées de son rapport avec le délégant puisque la novation ne s’est pas réalisée.

2. Les exceptions tirées du rapport délégant / délégataire

La question s’est longtemps posée de savoir si le délégué pouvait opposer au délégataire les exceptions tirées du rapport entre le délégant et le délégataire.

==>Principe

Le principe est l’inopposabilité des exceptions tirées du rapport délégant / délégataire. Cette solution se justifie là encore par la nouveauté du rapport d’obligation créé entre le délégué et le délégataire.

À cela s’ajoute l’idée qu’il convient de ne pas confondre la cause du droit du délégataire qui réside dans son rapport préexistant avec le délégant et la cause de l’engagement du délégué qui est d’éteindre la dette du délégant.

Dans la mesure où l’engagement du délégué et le droit du délégataire ne se situent pas sur le même plan, il est logique d’admettre que ce dernier ne puisse pas se voir opposer les exceptions tirées de son rapport avec le délégant.

==>Tempérament

La doctrine considère que lorsque la délégation est incertaine il serait possible de déroger au principe d’inopposabilité des exceptions.

Dans la mesure où lorsque délégation est certaine le délégué s’engage uniquement en considération de la dette du délégant envers le délégataire, il devrait pouvoir se prévaloir de l’extinction de la dette du délégant pour se libérer de son engagement lequel devient alors privé d’objet.

Une partie des auteurs considère toutefois que cette thèse ne résiste pas au constat selon lequel l’engagement du délégué envers le délégataire demeure abstrait, en ce sens que la délégation n’est pas subordonnée à l’existence d’obligations préexistantes, soit entre le délégant et le délégué, soit entre le délégant et le délégataire.

==>La jurisprudence

La position de la Cour de cassation sur cette question est pour le moins très incertaine en raison de la divergence de position entre la chambre commerciale et la première chambre civile.

  • Première étape : admission du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Dans un arrêt du 25 février 1992, la chambre commerciale a affirmé « qu’en cas de délégation de paiement imparfaite, le délégué ne peut, sauf clause contraire, opposer au délégataire les exceptions dont le délégant pouvait se prévaloir à l’égard de celui-ci » (Cass. com. 25 févr. 1992, n°90-12.863).
    • Ainsi, la chambre commerciale refuse que le délégué puisse opposer au délégataire les exceptions tirées de son rapport avec le délégant.

Cass. com. 25 févr. 1992

Sur le pourvoi formé par la société à responsabilité limitée Apple Shoes, dont le siège social est … à La Gaubretière (Vendée),

en cassation d’un arrêt rendu le 6 décembre 1989 par la cour d’appel de Poitiers (Chambre civile, 2e Section), au profit du Crédit mutuel de Bretagne, dont le siège est …, Le Relecq Kerhuon (Finistère),

défendeur à la cassation ; La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; LA COUR, composée selon l’article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l’organisation judiciaire, en l’audience publique du 14 janvier 1992, où étaient présents :

Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Hatoux, conseiller, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ; Sur le rapport de M. le conseiller Dumas, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Apple Shoes, de la SCP Peignot et Garreau, avocat du Crédit mutuel de Bretagne, les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; !

Sur le moyen unique ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt déféré (Poitiers, 6 décembre 1989) que la société Rautureau a commandé des pantoufles à la société Pantouflerie de Bretagne ; qu’il était convenu que la société Rautureau fournirait le tissu nécessaire à la confection des marchandises et le facturerait à la société Pantouflerie de Bretagne, laquelle livrerait celles-ci à la société Apple Shoes en les lui facturant ; que la société Pantouflerie de Bretagne a cédé au Crédit mutuel de Bretagne (la Banque), selon les modalités prévues par la loi du 2 janvier 1981, ses créances sur la société Apple Shoes ; que celle-ci a refusé de payer à la banque le montant des créances ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Apple Shoes à payer à la banque la somme de 611 964,13 francs, outre les intérêts de droit à compter du 28 février 1986, alors, selon le pourvoi, qu’il résulte de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, que le débiteur cédé ne peut opposer au banquier cessionnaire les exceptions qui tiennent à ses rapports avec le cédant que s’il a accepté de s’engager directement à l’égard du banquier et non en cas de simple notification de la cession par le banquier au débiteur cédé ; qu’ainsi, en l’état d’une convention de délégation imparfaite de créance, si le délégataire, par ailleurs débiteur du délégant, cède à une banque sa créance contre le délégué, au moyen d’un “bordereau Dailly”, le délégué, débiteur cédé, auquel la cession a juste été notifiée, peut opposer à la banque cessionnaire l’absence de cause de la créance cédée par suite de l’extinction par compensation de la dette du délégant à l’égard du délégataire ; que, dès lors, en l’espèce, en refusant de rechercher si la société Rautureau avait délégué de manière imparfaite à la société Apples Shoes le paiement de sa dette envers la société Pantouflerie de Bretagne, et en refusant de rechercher si la créance de cette dernière n’avait pas été éteinte par compensation, ce qui aurait exclu sa cession à la banque aux simples motifs que la société Rautureau était étrangère aux relations tripartites de l’espèce, et que les relations Rautureau-Apple Shoes étaient inopposables au banquier de bonne foi, la cour d’appel a violé les articles 5 et 6 de la loi du 2 janvier 1981 et les articles 1275 et 1290 du Code civil ;

Mais attendu qu’en cas de délégation de paiement imparfaite, le délégué ne peut, sauf clause contraire, opposer au délégataire les exceptions dont le délégant pouvait se prévaloir à l’égard de celui-ci ; que, dès lors que la société Apple Shoes ne soutenait pas qu’elle s’était engagée à payer la société Pantouflerie de Bretagne sous réserve de pouvoir opposer la compensation susceptible d’exister dans les rapports entre celle-ci et la société Rautureau, la cour d’appel n’avait pas à procéder à la recherche alléguée ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Deuxième étape : rejet du principe d’inopposabilité des exceptions
    • Dans un arrêt du 17 mars 1992 la première chambre civile a pris le contre-pied de la chambre commerciale en considérant que « sauf convention contraire, le délégué est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire, et qu’il se trouve déchargé de son obligation lorsque la créance de ce dernier est atteinte par la prescription » (Cass. 1ère civ. 17 mars 1992, n°90-15.707).
    • Pour la Cour de cassation, en cas d’extinction de la dette du délégant, le délégué est fondé à opposer cette exception au délégataire.
    • Elle justifie sa solution en affirmant que, en matière de délégation simple, « le délégué est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire »

Cass. 1ère civ. 17 mars 1992

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1275 du Code civil ;

Attendu que, sauf convention contraire, le délégué est seulement obligé au paiement de la dette du délégant envers le délégataire, et qu’il se trouve déchargé de son obligation lorsque la créance de ce dernier est atteinte par la prescription ;

Attendu que, le 4 janvier 1979, la société Aux Bons Crus a vendu à M. Y… un fonds de commerce de restaurant, moyennant le prix de 320 000 francs payable en partie par reprise de dettes contractées par le vendeur auprès de tiers ; qu’en particulier, l’acquéreur s’est engagé à régler une somme de 53 000 francs, correspondant au principal et aux intérêts d’un prêt contracté le 5 décembre 1977 par ladite société Aux Bons Crus envers M. X… ; que, le 5 janvier 1989, ce dernier a assigné en remboursement du prêt M. Y…, lequel, s’agissant d’une opération commerciale, a opposé la prescription décennale ;

Attendu que, pour écarter cette fin de non-recevoir, la cour d’appel a estimé que l’engagement de M. Y… envers M. X… courait du 4 janvier 1979, jour de la délégation, et que peu importait la date à laquelle avait pris naissance la créance qui avait fait l’objet de cette délégation ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la prescription décennale, applicable à la créance de M. X…, était acquise à la date de l’assignation délivrée à M. Y…, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 mars 1990, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans

  • Troisième étape : maintien de la position de la chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 7 décembre 2004, la chambre commerciale réitère sa position en affirmant que l’obligation de l’acheteur envers le locataire résultant de la délégation contenue à cet acte, était une obligation personnelle et indépendante de l’obligation du vendeur, ce dont elle déduit que l’extinction de la créance du locataire contre le vendeur pour défaut de déclaration au passif de sa liquidation judiciaire avait laissé subsister l’obligation distincte de l’acheteur (Cass. com. 7 déc. 2004, n°03-13.595).
    • Ainsi, pour la chambre commerciale, le délégué ne peut opposer au délégataire l’extinction de la créance pour absence de déclaration à la procédure ouverte contre le délégant.

Cass. com. 7 déc. 2004

Sur le moyen unique, pris en ses six branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 15 janvier 2003), que les époux X… étaient titulaires d’un droit au bail portant sur des locaux commerciaux appartenant à la société Groupe Trianon ; que par arrêt du 1er décembre 1992, la cour d’appel a prononcé la résiliation du bail aux torts de la société Groupe Trianon et a condamné cette société à payer aux époux X… une provision à valoir sur leur préjudice ; que la société Groupe Trianon a vendu l’immeuble dont dépendent les locaux à la société Francim et que celle-ci s’est engagée à payer l’indemnité due aux époux X… ; que M. Y… agissant en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de M. X… et Mme X… ont assigné la société Francim en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la résiliation du bail ; que celle-ci a invoqué l’extinction de la créance par suite du défaut de déclaration au passif du redressement judiciaire de la société Groupe Trianon ;

Attendu que la société Francim reproche à l’arrêt d’avoir accueilli les demandes de Mme X… et du liquidateur de M. X…, alors, selon le moyen :

1 / que la délégation de créance suppose un accord de volonté entre le délégué et le délégataire ; que dans l’acte de vente du 12 septembre 1995 la société Francim ne s’est engagée qu’à l’égard du vendeur, la société Groupe Trianon ; qu’en retenant que cette clause réalisait une délégation, la cour d’appel, qui a constaté expressément que cette délégation était intervenue hors la présence des époux X…, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1134 et 1215 du Code civil ;

2 / que les conventions ne profitent point aux tiers ; qu’en se fondant sur la clause d’un contrat conclu entre la société Groupe Trianon et la société Francim pour considérer qu’elle constituait une délégation valant engagement de la part de cette derniière à l’égard des époux X…, tiers à ce contrat, de leur payer une indemnité d’éviction, la cour d’appel a violé les articles 1165 et 1275 du Code civil ;

3 / que dans leurs conclusions d’appel, les consorts X… faisaient expressément valoir que le contrat de vente du 12 septembre 1995 réalisait la transmission de la dette de la société Groupe Trianon à la société Francim, en invoquant la clause du contrat prévoyant la subrogation de l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur ; qu’en retenant que l’obligation de la société Francim portait sur une obligation distincte de celle de la société Groupe Trianon, et que la clause du contrat prévoyant la subrogation de l’acquéreur dans les droits et obligations du vendeur ne concernait pas le paiement de l’indemnité d’éviction, la cour d’appel a méconnu les termes du litige, et violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;

4 / qu’en énonçant que l’obligation de la société Francim ne portait pas sur la dette de la société Groupe Trianon à l’égard des époux X… mais constituait une obligation distincte, tout en constatant que la clause litigieuse prévoyait que la société Francim prendrait en charge l’indemnité éventuelle revenant aux époux X… par suite de l’arrêt de la cour d’appel du 1er décembre 1992 rendu dans la procédure opposant ces derniers à la société Groupe Trianon, et que le contrat stipulait ensuite que la société Francim serait subrogée tant activement que passivement dans le bénéfice des procédures opposant le vendeur à ses locataires, dont celle concernant les époux X…, la cour d’appel a dénaturé les clauses claires et précises de ce contrat et violé l’article 1134 du Code civil ;

5 / que l’acte de vente conclu entre la société Groupe Trianon et la société Francim prévoyait la reprise par cette dernière de la dette la société Groupe Trianon envers les époux X…, de sorte que la société Francim se trouvait libérée de son engagement du fait de l’extinction de cette dette faute de déclaration par les époux X… de leur créance au redressement judiciaire de la société Groupe Trianon ;

qu’en retenant que la société Francim ne pouvait opposer cette exception aux époux X…, la cour d’appel a violé les articles 1134 du Code civil, L. 621-43 et L. 621-46 du Code de commerce ;

6 / qu’en toute hypothèse, le délégué conserve la possibilité d’opposer au délégataire les exceptions affectant sa créance sur le délégant dès lors que son engagement avait pour objet le paiement de cette dette ; qu’en l’espèce la société Francim s’était engagée à payer la dette de la société Groupe Trianon envers les époux X…, de sorte qu’elle se trouvait déchargée de son obligation par l’extinction de cette dette du fait du défaut de déclaration de leur créance par les époux X… au redressement judiciaire de la société Groupe Trianon ; qu’en décidant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1275 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir constaté que par arrêt du 1er décembre 1992, la cour d’appel a condamné la société du Groupe Trianon à payer aux époux X… une provision à valoir sur leur préjudice et que dans l’acte de vente d’un immeuble conclu le 12 septembre 1995 entre la société du Groupe Trianon et la société Francim, celle-ci s’est engagée à supporter l’indemnité devant revenir aux époux X…, l’arrêt relève que Mme X… et le liquidateur de M. X… ont assigné la société Francim en exécution de cet engagement, faisant ainsi ressortir qu’ils l’ont accepté ; qu’en l’état de ces constatations qui rendent inopérants les griefs de la deuxième branche, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la première branche, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que cette opération s’analysait en une délégation au sens de l’article 1275 du Code civil ;

Attendu, en second lieu, que la cour d’appel qui n’a pas méconnu l’objet du litige et dénaturé l’acte de vente conclu entre la société du Groupe Trianon et la société Francim, a retenu que l’obligation de cette société envers les époux X… résultant de la délégation contenue à cet acte, était une obligation personnelle à la société Francim, indépendante de l’obligation de la société Groupe Trianon de sorte que l’extinction de la créance des époux X… contre cette société pour défaut de déclaration au passif de sa liquidation judiciaire avait laissé subsister l’obligation distincte de la société Francim ;

D’où il suit que la cour d’appel ayant légalement justifié sa décision, le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Quatrième étape : précision de la position de la chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 13 juin 2006, la chambre commerciale affirme « qu’en cas de délégation de créance, le délégué souscrit envers le délégataire une obligation personnelle de paiement de sorte qu’il n’est pas recevable à opposer au délégataire l’extinction de la créance pour défaut de déclaration au passif du délégant en procédure collective » (Cass. com. 13 juin 2006, n°05-17.006).
    • La Cour de cassation justifie sa solution en retenant que le délégué s’oblige à titre personnel envers du délégataire indépendamment du rapport que ce dernier entretient avec le délégant.

Cass. com. 13 juin 2006

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1134 et 1275 du code civil ;

Attendu qu’en cas de délégation de créance, le délégué souscrit envers le délégataire une obligation personnelle de paiement de sorte qu’il n’est pas recevable à opposer au délégataire l’extinction de la créance pour défaut de déclaration au passif du délégant en procédure collective ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. et Mme X… ont confié à la société Sotrabat des travaux de construction ; que la société Rubis Avignon (la société Rubis) a fourni des matériaux à la société Sotrabat d’une valeur de 200 000 francs ; que, suivant délégation de créance du 16 décembre 1999, M. X… s’est engagé à payer directement à la société Rubis toutes les sommes qui lui seraient dues par la société Sotrabat au fur et à mesure des situations présentées par le délégant ; que la société Sotrabat a été mise en redressement judiciaire le 26 avril 2000 ; que la société Rubis a assigné M. X… en paiement ;

Attendu que pour rejeter la demande, l’arrêt retient que, faute de démontrer la déclaration de sa créance entre les mains du représentant des créanciers de la société Sotrabat, la société Rubis ne justifie pas de sa créance vis-à-vis de M. X… ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a reçu l’appel régulier en la forme, l’arrêt rendu le 8 mars 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Nîmes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier ;

Au regard de ces différentes décisions, il apparaît que, en dehors d’une convention contraire aux termes de laquelle le délégataire renoncerait de façon univoque au bénéfice de l’inopposabilité des exceptions, le délégué ne peut lui opposer les exceptions tirées de son rapport avec le délégant.

==>La réforme des obligations

Le débat relatif au principe d’inopposabilité des exceptions tirées du rapport délégant / délégataire a manifestement été tranché par le législateur lors de la réforme des obligations.

Le nouvel article 1336 du Code civil dispose, en effet, que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »

Sont ainsi visées par cette disposition les exceptions tirées du rapport délégant / délégataire.

Aussi, est-ce finalement la position de la chambre commerciale qui a été consacrée.

La notion de délégation de paiement

I) Définition

Définie à l’article 1336 du Code civil, la délégation est présentée comme l’« opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. ».

Il ressort de cette définition que la délégation est constituée de deux composantes :

  • L’ordre du délégant envers le délégué
  • L’engagement du délégué envers le délégataire

Ainsi, la délégation permet-elle de réaliser un double paiement simplifié de deux obligations préexistantes.

Schéma 1.JPG

==> Conceptions de la délégation

Deux visions de la délégation s’affrontent en doctrine :

  • La vision extensive de la délégation
    • Selon cette vision, la qualification de délégation repose, le plus souvent, sur le constat que l’obligation du délégué est destinée à se superposer à deux obligations préexistantes :
      • L’obligation du délégué envers le délégant
      • L’obligation du délégant le délégataire
    • Dans cette configuration, la délégation permet ainsi de réaliser un double paiement simplifié en éteignant, à hauteur du montant le plus faible :
      • La dette du délégué envers le délégant
      • La dette du délégant envers le délégataire
    • Cependant, rien n’empêche que la délégation vienne se greffer :
      • Soit sur une seule obligation préexistante
        • Dans cette hypothèse, de deux choses l’une :
          • Ou bien l’obligation préexistante existe entre le délégué et le délégant, auquel cas la délégation permet de réaliser une donation ou un prêt indirect à la faveur du délégataire et ne peut être alors qu’une délégation simple.
          • Ou bien l’obligation préexistante lie le délégant au seul délégataire, auquel cas la délégation, qui peut être simple ou novatoire, permet de payer la dette du délégant ou de constituer une garantie au profit du délégataire, ce que l’on appelle la délégation-sûreté.
      • Soit sur aucune obligation préexistante
        • Dans cette hypothèse, la délégation permet de réaliser une double donation indirecte ou d’un double prêt indirect entre
          • D’une part, le délégant et le délégataire
          • D’autre part, le délégué et le délégant
  • La vision restrictive de la délégation
    • Selon cette vision, la qualification de délégation ne se justifie que s’il existe une obligation préexistante entre le délégué et le délégant.
    • Plusieurs hypothèses doivent alors être envisagées :
      • Une obligation existe entre le délégant et le délégataire, mais pas entre le délégué et le délégant
        • Il s’agit alors, selon la cause de l’engagement du délégué,
          • Soit d’un contrat visant la libération du débiteur-délégant
          • Soit d’un cautionnement ou d’une garantie autonome
      • Aucune obligation n’existe, ni entre le délégant et le délégataire, ni entre le délégué et le délégant
        • La cause de l’obligation du délégué est alors à rechercher dans ses rapports avec le délégant :
          • Soit il a la volonté de consentir une donation
          • Soit il a la volonté de consentir un prêt indirect
        • En toute hypothèse, l’engagement du délégué représente l’exécution d’une promesse de donation ou de prêt implicite et concomitante à la formation de la délégation.
        • En somme, il y a quand même une obligation préexistante entre le délégué et le délégant, laquelle constitue le support juridique nécessaire de la délégation.

==> Position de la jurisprudence

Par un arrêt du 21 juin 1994, la Cour de cassation a partiellement consacré la vision extensive de la délégation en considérant que l’existence d’une obligation préexistante entre le délégué et le délégant n’était pas inhérente à la qualification de délégation.

Autrement dit, une délégation peut être stipulée en dehors de toute obligation contractée antérieurement entre le délégué et le délégant.

Cass. com. 21 juin. 1994
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt critiqué (Montpellier, 25 juin 1991), qu'à la demande de M. Y..., qui devait une somme de 56 379,18 francs à M. A..., M. X... a émis un chèque de même montant à l'ordre de Ano, nom de l'entreprise personnelle de celui-ci, lequel l'a encaissé ; que M. X... a assigné M. A... en restitution de cette somme en prétendant qu'il l'avait indûment payée ;

Attendu que M. X... reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la délégation de créance proprement dite ne peut servir de cadre à une simple libéralité et suppose l'existence, non seulement d'une créance du délégataire sur le délégant, mais également d'une créance de ce dernier sur le délégué ; que, dès lors, en affirmant qu'il importait peu que M. X... ait ou non été débiteur de M. Y... dont il a réglé la dette à M. Z... et que les conditions d'une délégation étaient réunies du seul fait de la remise, par M. X... à M. Y..., du chèque à l'ordre de Ano et de l'acceptation de ce chèque par cet établissement créancier de M. Y..., la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 1275 du Code civil ; et alors, d'autre part, que, pour résister à la demande en répétition de l'indu, M. Z... s'est borné à prétendre qu'il aurait été réglé dans le cadre d'une délégation de créance par M. X..., lequel serait débiteur de M. Y... ; que, dans ces conditions, si l'arrêt devait être interprété comme fondé sur une intention libérale de M. X... envers M. Y..., il serait alors entaché d'une méconnaissance des termes du litige en violation de l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir retenu que l'opération litigieuse était une délégation et que M. X..., délégué, s'était engagé en toute connaissance de cause à l'égard de M. A..., délégataire, c'est à bon droit que l'arrêt déclare qu'il importait peu que M. X... ait été, ou non, débiteur à l'égard de M. Y..., délégant ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel n'a pas déclaré qu'en s'engageant à l'égard de M. A..., M. X... avait eu l'intention de faire une libéralité à M. Y... ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

==> Réforme des obligations

La lecture des articles 1336 et 1337 du Code civil confirme l’absence d’exigence d’obligation préexistante préalablement à la réalisation d’une opération de délégation.

Il importe peu, en conséquence, que le délégué soit créancier du délégant pour que la délégation soit valable.

La conception extensive de la délégation l’a emporté sur la vision restrictive.

II) Formes de la délégation

Deux formes de délégation doivent être distinguées :

  • La délégation simple
  • La délégation novatoire

==> La délégation simple ou imparfaite

La délégation simple, dite imparfaite, correspond à l’hypothèse où, lors de la réalisation de l’opération, le délégant n’est pas déchargé de son obligation envers le délégataire, ce qui confère à ce dernier deux débiteurs :

  • Le délégant
  • Le délégué

La délégation simple est envisagée à l’article 1338 du Code civil qui prévoit que :

  • D’une part, lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l’a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur.
  • D’autre part, le paiement fait par l’un des deux débiteurs libère l’autre, à due concurrence.

Manifestement, la figure de la délégation simple est de loin la plus fréquente car présente l’avantage pour le délégataire de disposer d’un débiteur supplémentaire (le délégant).

Schéma 2.JPG

==> La délégation novatoire ou parfaite

La délégation novatoire, dite parfaite, correspond à l’hypothèse où, lors de la réalisation de l’opération, le délégant est déchargé de son obligation envers le délégataire qui accepte de n’avoir comme seul débiteur le délégué.

La délégation opère ainsi un changement de débiteur, sans pour autant que la créance détenue par le délégant à l’encontre du délégué soit transférée au délégataire.

Ce changement de débiteur se réalise au moyen d’une novation, soit de la création d’un nouveau rapport d’obligation (entre le délégué et le délégataire) lequel se substitue au rapport préexistant entre le délégant et le délégué.

La délégation simple est envisagée à l’article 1337 du Code civil qui prévoit que

  • D’une part, lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte expressément de l’acte, la délégation opère novation
  • D’autre part, le délégant demeure tenu s’il s’est expressément engagé à garantir la solvabilité future du délégué ou si ce dernier se trouve soumis à une procédure d’apurement de ses dettes lors de la délégation.

Schéma 3.JPG

III) Distinctions

==> Délégation de paiement et cession de créance

  • Objet de l’opération
    • Définie à l’article 1336 du Code civil la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur.
    • À la différence de la cession de créance, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de créance, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La cession de créance
      • Le débiteur cédé est autorisé à opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au créancier cédant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la cession, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la cession de créance, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire.»
  • Consentement
    • Contrairement à la cession de créance qui ne suppose pas le consentement du débiteur cédé, tiers à l’opération, la délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.

Schéma 1

==> Délégation et cession de dette

Plusieurs différences opposent radicalement la délégation de la cession de dette.

  • Définition
    • Délégation et cession de dette se rejoignent en ce que ces deux opérations consistent en une substitution de débiteur
    • Lorsque toutefois la délégation est simple, il s’agit moins d’une substitution que d’un ajout de débiteur, le délégant n’étant pas déchargé de son obligation envers le délégataire.
  • Objet de l’opération
    • À la différence de la cession de dette, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de dette, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Consentement du tiers
    • La délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.
    • En cela, la délégation se rapproche de la cession de dette.
    • Toutefois, elle s’en distingue dans la mesure où la dette du délégant envers le délégataire n’est nullement transférée au délégué
    • La délégation opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

Schéma 5.JPG

==> Délégation et indication de paiement

L’article 1340 du Code civil prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

L’indication de paiement consiste ainsi pour un débiteur ou un créancier à désigner une tierce personne quant à effectuer le paiement de la dette.

Contrairement à la délégation, l’indication de paiement ne crée aucun rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

Cette opération assure simplement le règlement de la dette du débiteur.

L’indication de paiement se rapproche ainsi du mandat de payer qui peut prendre la forme, par exemple, d’une autorisation de prélèvement.

L’indication adressée au créancier ou au débiteur vaut seulement information de ce que la dette sera payée par un tiers désigné.

Elle n’emporte en rien opposabilité, ni novation de l’obligation.

Schéma 6.JPG

==> Délégation et subrogation personnelle

  • Définition
    • La délégation et la subrogation personnelle se rejoignent sur un point majeur
    • En effet, ces deux opérations consistent en un paiement par une personne autre (le délégué) que le débiteur (le délégant) de sa dette.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
  • Objet de l’opération
    • contrairement à la subrogation personnelle, la délégation n’opère pas de transfert de la créance détenue par le délégant contre le délégué à la faveur du délégataire.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • En matière de délégation, aucun transfert de créance ne se réalise.
    • L’opération opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La subrogation personnelle
      • Le débiteur est autorisé à opposer au subrogé toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au subrogeant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la subrogation, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la subrogation, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire.»
  • Consentement
    • À la différence de délégation qui requiert toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

Schéma 7.JPG