La force obligatoire du contrat à l’égard du juge

?Notion

Aux termes de l’article 1103 du Code civil, « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »

Que doit-on par cette formule directement issue de l’ancien article 1134 ?

Il faut comprendre cette disposition comme posant la règle fondamentale selon laquelle, dès lors que le contrat est valablement conclu, il est créateur de normes.

Or la principale caractéristique d’une norme est qu’elle est obligatoire, de sorte qu’elle s’impose aux parties sous peine de sanctions.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir d’où les stipulations contractuelles, qui donc constituent des normes, tirent-elles leur force obligatoire ?

?Autonomie de la volonté et normativisme

Deux thèses s’affrontent :

  • L’autonomie de la volonté
    • La thèse de l’autonomie de la volonté repose sur l’idée que l’Homme est libre, de sorte qu’il ne saurait s’obliger qu’en vertu de sa propre volonté.
    • Seule la volonté serait, en d’autres termes, source d’obligations.
    • On ne saurait obliger quelqu’un contre sa volonté, sauf à porter atteinte à sa liberté individuelle.
    • Dès lors, si l’on admet qu’un contrat ait force obligatoire, c’est seulement parce que celui qui s’est obligé l’a voulu.
  • Le normativisme
    • Le normativisme repose sur l’idée que la force obligatoire d’une norme ne saurait résider dans l’acte de volonté qui la pose en raison de l’impossibilité absolue de faire dériver « un devoir-être » (une prescription) d’un « être » (un fait).
    • Or comme le souligne, à très juste titre, Kelsen « la norme est un ?devoir-être? (sollen), alors que l’acte de volonté dont elle est la signification est un ? être ? (sein) »[2].
    • La force obligatoire que possède une norme ne peut, dans ces conditions, trouver sa source que dans quelque chose d’extérieur à l’acte de volonté dont elle est issue.
    • Aussi, ce quelque chose ne peut qu’appartenir au monde du devoir-être (de la prescription)
    • Il s’ensuit que ce ne peut être qu’une norme.
    • Partant, le caractère obligatoire d’une proposition prescriptive viendrait de son adoption conformément à une norme qui lui est supérieure.
    • Pour s’en convaincre, il suffit de prendre deux exemples.
      • Si la règle selon laquelle nul ne peut impunément porter atteinte à la vie d’autrui est obligatoire, cela ne tient pas au fait qu’elle procède de la volonté d’interdire pareil comportement, mais qu’elle a été adoptée par le parlement qui tient son pouvoir d’une norme supérieure : la constitution.
      • De la même manière, l’obligation qui impose à tout un chacun de se soumettre aux règles de politesse vient de l’acceptation par tous du principe plus général de respect mutuel des individus.
    • Dans cette perspective, la force obligatoire dont est pourvu un contrat n’a pas pour origine la commune volonté des parties, mais bien la loi
    • Cette vision est manifestement parfaitement conforme avec de l’article 1103 du Code civil « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

Quelle que soit la thèse à laquelle on adhère, les conséquences de la force obligatoire sont toujours les mêmes. On en dénombre deux :

  • Le contrat s’impose aux parties
  • Le contrat s’impose au juge

Nous nous focaliserons ici sur la seconde situation.

La force obligatoire ne produit pas seulement des effets à l’égard des parties, elle a également des conséquences pour le juge qui tiennent :

  • d’une part, à l’interprétation du contrat
  • d’autre part, à la révision du contrat

I) L’interprétation du contrat

En matière contractuelle, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification à une clause du contrat.

En cours d’exécution, il est possible que la rédaction d’une ou plusieurs stipulations apparaisse maladroite, sibylline, voire incomplète, de sorte que la compréhension du contenu des obligations des parties s’en trouverait malaisée.

Aussi, conviendra-t-il d’interpréter le contrat, soit pour en élucider le sens, soit pour en combler les lacunes.

  • Dans le premier cas, il s’agira d’une interprétation explicative : la recherche de la signification du contrat devra être effectuée en considération de la volonté des parties
  • Dans le second cas, il s’agira de combler les lacunes du contrat : l’interprétation du juge deviendra alors créatrice, de sorte qu’il n’aura d’autre choix que de s’écarter de la volonté des parties et d’interpréter le contrat à la lumière de la loi, l’équité et les usages

A) L’interprétation explicative au nom de la volonté des parties

Lorsque le juge se livre à une interprétation explicative du contrat, son pouvoir est encadré par deux règles auxquelles il ne saurait déroger sous aucun prétexte, sous peine de censure par la Cour de cassation :

  • La recherche exclusive de la commune intention des parties
  • L’interdiction absolue de dénaturer le sens ou la portée de stipulations claires et précise

1. La recherche de la commune intention des parties

a. Principe

i. Principe cardinal

Aux termes de l’article 1188, al. 1er du Code civil « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. »

Cette disposition exprime l’objectif qui doit toujours être poursuivi par le juge lorsqu’il interprète le contrat : la recherche de l’intention des parties.

Aussi, est-ce la méthode subjective qui, lorsque cela est possible, doit toujours prévaloir sur toutes autres considérations.

Cela signifie donc que la recherche de la commune intention des parties doit primer :

  • d’une part, sur le sens littéral des termes du contrat
  • d’autre part, sur l’équité à laquelle le juge pourrait être tenté de succomber

Afin de parvenir à interpréter le contrat à la lumière de cette commune intention des parties qui ne sera pas toujours aisé de déceler, le législateur lui a adressé un certain nombre de directives complémentaires, énoncées aux articles 1189 à 1191 du Code civil.

ii. Directives complémentaires

?Première directive : l’interprétation en considération de la globalité du contrat ou de l’ensemble contractuel

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le contrat est conclu de manière isolée
    • Dans cette hypothèse, l’article 1189, al. 1er du Code civil prévoit que « toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. »
    • Cela signifie que les stipulations contractuelles ne doivent pas être interprétées isolément en faisant abstraction de l’environnement contractuel dans lequel elles s’insèrent.
    • Chaque clause appartient à tout, en conséquence de quoi l’interprétation du contrat doit être envisagée de manière globale
    • Lorsque, dès lors, le juge se livre à l’interprétation d’une stipulation en particulier, il doit veiller à ce que la signification qu’il lui confère ne heurte pas la cohérence du contrat.
  • Le contrat appartient à un ensemble contractuel
    • L’ordonnance du 10 février 2016 a anticipé cette hypothèse en posant à l’article 1189, al. 2 du Code civil que « lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. »
    • Ainsi, c’est au regard de l’ensemble contractuel pris dans sa globalité que les contrats qui le composent doivent être interprétés.

?Deuxième directive : l’interprétation en considération de l’utilité de la clause

Aux termes de l’article 1191 du Code civil, « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun. »

Cette directive adressée au juge relève manifestement du bon sens

À quoi bon donner un sens à une clause qui serait dépourvue d’effet au détriment d’une stipulation qui produirait un effet utile ?

Cette règle vise, manifestement, à remplacer celle posée par l’ancien article 1157 du Code civil qui prévoyait que « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun »

Cet article était lui-même inspiré de l’adage « actus interpretandus est potius ut valeat quam ut pereat » : un acte doit être interprété plutôt pour qu’il produise un effet que pour qu’il reste lettre morte

?Troisième directive : l’interprétation en considération de la qualité d’une partie

Aux termes de l’article 1190 du Code civil « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »

Cette disposition est directement inspirée de l’ancien article 1162 du Code civil qui prévoyait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »

À la différence de l’article 1162, l’article 1190 distingue désormais selon que le contrat est de gré à gré ou d’adhésion.

  • S’agissant du contrat de gré à gré
    • Il ressort de l’article 1190 que, en cas de doute, le contrat de gré à gré doit être interprété contre le créancier
    • Ainsi, lorsque le contrat a été librement négocié, le juge peut l’interpréter en fonction, non pas de ses termes ou de l’utilité de la clause litigieuse, mais de la qualité des parties.
    • Au fond, cette règle repose sur l’idée que, de par sa qualité de créancier, celui-ci est réputé être en position de force par rapport au débiteur.
    • Dans ces conditions, aux fins de rétablir l’équilibre, il apparaît juste que le doute profite au débiteur.
    • Il peut être observé que, sous l’empire du droit ancien, l’interprétation d’une clause ambiguë a pu conduire la Cour de cassation à valider la requalification de cette stipulation en clause abusive (Cass. 1er civ. 19 juin 2001, n°99-13.395).
    • Plus précisément, la première chambre civile a estimé, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [qu’en] affranchissant dans ces conditions le prestataire de services des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives ».
  • S’agissant du contrat d’adhésion
    • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
    • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
    • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (art. 1110, al. 2 C. civ.)
    • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
    • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.
    • Cette règle n’est pas isolée
    • L’article L. 211-1 du Code de la consommation prévoit que
      • D’une part, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. »
      • D’autre part, « elles s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables aux procédures engagées sur le fondement de l’article L. 621-8. »
    • Dans un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n°00-13.342 et 00-19.001)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public.
    • La question que l’on est alors légitimement en droit de se poser est de savoir s’il en va de même pour le nouvel article 1190 du Code civil.

Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 133-2, alinéa 2, du Code de la consommation ;

Attendu, selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel ;

Attendu que le 26 juin 1984, M. X… a souscrit auprès de la compagnie Préservatrice Foncière assurances (PFA Vie) deux contrats d’assurance de groupe garantissant en cas de décès et d’invalidité permanente totale, le versement d’un capital ; qu’il a cédé, le même jour, le bénéfice de l’un des contrats à la société Union pour le financement d’immeubles de sociétés (UIS) ; que M. X…, atteint d’une sclérose en plaque, a cessé son activité professionnelle en 1994, a été placé en invalidité et a sollicité la mise en oeuvre des garanties contractuelles ; que s’étant heurté à un refus de la compagnie d’assurances faisant valoir qu’il ne remplissait pas la double condition prévue au contrat, il a fait assigner cette dernière, le 17 septembre 1996, devant le tribunal de grande instance ;

Attendu qu’il résulte des énonciations mêmes de l’arrêt attaqué qui a débouté M. X… de sa demande, que la clause définissant le risque invalidité était bien ambiguë de sorte qu’elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable à M. X… ;

qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Agen ;

b. Tempérament

L’obligation de recherche pour le juge de la commune intention des parties n’est pas sans tempérament.

Il est des situations où faute de stipulations suffisamment claires et précises, les directives d’interprétation complémentaires ne lui seront d’aucun secours.

Le législateur a anticipé cette hypothèse en prévoyant à l’article 1188, al.2 que « lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »

Aussi, cette disposition autorise-t-elle le juge à s’écarter de la méthode d’interprétation subjective à la faveur de la méthode objective.

Plus précisément, lorsque la recherche de la commune intention des parties se heurte à l’ambiguïté du corpus contractuel, le juge peut se reporter à l’intention susceptible d’être prêtée à « une personne raisonnable » ?

Que doit-on entendre par « personne raisonnable »? Il s’agissait, autrefois, du bon père de famille. Cet élément posé, cela ne nous renseigne pas plus sur le sens de cette formule.

Quoi qu’il en soit, cette possibilité pour le juge de se reporter à l’intention d’une « personne raisonnable » est conditionnée par l’impossibilité de rechercher la commune intention des parties.

L’article 1188 du Code civil institue ainsi clairement une hiérarchie entre la méthode d’interprétation subjective et objective.

2. L’interdiction de dénaturer le sens et la portée de stipulations claires et précises

Aux termes de l’article 1192 du Code civil « on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Cette disposition doit être comprise comme posant une limite au pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière contractuelle : l’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

?Le pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière d’interprétation

En principe, l’interprétation des contrats est une question abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond.

Cette règle se justifie par le fait que la Cour de cassation n’a pas vocation à connaître « du fond » des litiges. Or l’interprétation d’un contrat relève clairement d’une question de fond, sinon de fait.

La norme contractuelle ne produit, effectivement, qu’un effet relatif, en ce sens qu’elle ne s’applique qu’aux seules parties. Le contrat, bien qu’opposable aux tiers, ne crée aucune obligation à leur égard, sinon celle de ne pas faire obstacle à son exécution.

Il en résulte que l’on ne saurait voir dans l’interprétation de la norme contractuelle une question de droit, comme c’est le cas d’une règle d’application plus générale telle que, par exemple, une convention collective.

Dès lors, l’interprétation d’une stipulation obscure ou ambiguë échappe totalement au contrôle de la Cour de cassation, sauf à ce que les juges du fond aient dénaturé le sens du contrat.

?L’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

Si donc l’interprétation des contrats est, en principe, une question de fait abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond pour les raisons précédemment évoquées, après quelques atermoiements (V. en ce sens notamment Cass. ch. réunies, 2 févr. 1808) la Cour de cassation s’est reconnu le droit de censurer les décisions qui modifient le sens de clauses claires et précises.

Dans un célèbre arrêt du 15 avril 1872, elle a ainsi jugé « qu’il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes de ces conventions sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent, et de modifier les stipulations qu’elles renferment » (Cass. civ. 15 avr. 1872).

Autrement dit, il est fait défense aux juges du fond d’altérer le sens du contrat, sous couvert d’interprétation, pour des considérations d’équité, dès lors que les stipulations sont suffisamment claires et précises.

C’est là le sens de la règle qui a été consacrée à l’article 1192 du Code civil. Antérieurement à la réforme des obligations, cette règle avait pour fondement l’ancien article 1134, car elle n’est autre que l’émanation du principe de force obligatoire du contrat.

Parce que le contrat est intangible, la liberté du juge doit être limitée dès lors qu’il s’agit de conférer une signification à l’acte.

B) L’interprétation créatrice au nom de la loi, de l’équité et les usages

En cas de lacunes et de silence du contrat, il est illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

Tel est le sens de l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. ». Il est manifestement formulé dans les mêmes termes que l’ancien article 1135 du Code civil.

En somme, cette disposition autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

?Le forçage du contrat ou le pouvoir créateur du juge

L’histoire du droit civil moderne révèle que l’ancien article 1135, désormais 1194, a joué en rôle central dans l’évolution de la jurisprudence.

Son œuvre créatrice en matière contractuelle est, pour une large part, assise sur cette disposition qui permet au juge d’étendre le champ contractuel bien au-delà de ce qui était initialement prévu par les parties.

  • Exemple :
    • afin d’éviter à la victime d’un accident de transport de devoir prouver la faute du transporteur pour obtenir réparation, les tribunaux ont découvert dans le contrat de transport une obligation de sécurité, qualifiée de résultat.
    • La victime est, de la sorte, dispensée de rapporter la preuve d’une faute.
    • C’est ici clairement l’équité qui a fondé l’adjonction de cette obligation, alors même qu’elle n’était pas prévue au contrat.
    • Pour autant, la jurisprudence a estimé qu’elle n’en résultait pas moins de sa nature (Cass. civ. 21 nov. 1911)

Cass. civ. 21 nov. 1911

Sur l’unique moyen du pourvoi :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué, il résulte que le billet de passage remis, en mars 1907, par la Compagnie Générale Transatlantique à Y… Hamida X…, lors de son embarquement à Tunis pour Bône, renfermait, sous l’article 11, une clause, attribuant compétence exclusive au tribunal de commerce de Marseille pour connaître des difficultés auxquelles l’exécution du contrat de transport pourrait donner lieu ;

Qu’au cours du voyage, Y… Hamida, à qui la Compagnie avait assigné une place dans le sous-pont, à côté des marchandises, a été grièvement blessé au pied par la chute d’un tonneau mal arrimé ;

Attendu que, quand une clause n’est pas illicite, l’acceptation du billet sur lequel elle est inscrite, implique, hors les cas de dol ou de fraude, acceptation, par le voyageur qui la reçoit, de la clause elle-même ;

Que, vainement, l’arrêt attaqué déclare que les clauses des billets de passage de la Compagnie Transatlantique, notamment l’article 11, ne régissent que le contrat de transport proprement dit et les difficultés pouvant résulter de son exécution, et qu’en réclamant une indemnité à la Compagnie pour la blessure qu’il avait reçue, Y… agissait contre elle non “en vertu de ce contrat et des stipulations dont il lui imputait la responsabilité” ;

Que l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination, et que la cour d’Alger constate elle-même que c’est au cours de cette exécution et dans des circonstances s’y rattachant, que Y… a été victime de l’accident dont il poursuit la réparation ;

Attendu, dès lors, que c’est à tort que l’arrêt attaqué a refusé de donner effet à la clause ci-dessus relatée et déclaré que le tribunal civil de Bône était compétent pour connaître de l’action en indemnité intentée par Y… Hamida contre la Compagnie Transatlantique ; Qu’en statuant ainsi, il a violé l’article ci-dessus visé.

Par ces motifs, CASSE,

Au nombre de ces obligations découvertes par la jurisprudence on compte notamment :

  • L’obligation de sécurité
  • L’obligation d’information
  • L’obligation de conseil
  • L’obligation de renseignement

S’agissant de l’œuvre créatrice des juges du fond, le contrôle de la Cour de cassation s’en trouve nécessairement renforcé.

La haute juridiction peut, sans aucune difficulté, censurer des tribunaux pour avoir découvert une obligation qu’elle n’entendait pas consacrer ou, au contraire, pour avoir refusé de reconnaître une obligation qu’elle souhaitait imposer.

Quoi qu’il en soit, cette faculté dont dispose le juge de découvrir des obligations non prévues par les parties, conduit à se demander ce qu’il reste du principe d’intangibilité des conventions.

Sous couvert d’équité, de loyauté ou encore de bonne foi, la jurisprudence a de plus en plus tendance à user de la technique du forçage du contrat afin d’en modifier les termes, ce qui, dans certains cas, est susceptible de produire les mêmes effets qu’une révision.

II) La révision du contrat

A) Problématique

Le juge peut-il, de sa propre initiative, réviser le contrat ? La réponse est à double détente.

?Première détente

Le juge pourra modifier le contrat toutes les fois qu’il sera investi de ce pouvoir par la loi.

Manifestement, ces dernières années, les textes qui lui ont octroyé cette faculté se sont multipliés

Trois textes illustrent parfaitement de cette évolution :

  • L’article 1194, anciennement 1135 du Code civil prévoit par exemple que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce qui signifie que le juge peut, sur ce fondement, mettre à la charge des parties des obligations qui n’auraient éventuellement pas été prévues initialement dans le contrat (on pense notamment à l’obligation d’information).
  • L’article 1231-5 du Code civil, confère encore au juge un pouvoir de révision de la clause pénale dans l’hypothèse où elle serait dérisoire ou excessive.
  • L’article 1171 du Code civil, permet également au juge de prononcer la nullité d’une clause abusive.

La liste n’est pas exhaustive ; d’autres textes confèrent au juge la faculté de réviser un contrat.

À la vérité, la difficulté n’est pas là, ce qui nous amène à la seconde détente de notre réponse

?Seconde détente

Quid dans l’hypothèse où le juge n’est investi par aucun texte du pouvoir de modifier le contrat ?

Plus précisément, le juge peut-il réviser le contrat lorsque l’évolution des circonstances a rompu l’équilibre contractuel initial ?

C’est toute la question de la révision du contrat pour imprévision

Cette question a, jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, fait l’objet d’un vif débat doctrinal et jurisprudentiel.

Ce débat a particulièrement été prégnant dans l’entre-deux-guerres, période de grande instabilité économique et politique.

Ajouté à cela l’érosion monétaire, le risque pour les parties de voir à moyen terme, voire à court terme, l’équilibre contractuel rompu en raison d’un bouleversement des circonstances économique était pour le moins élevé.

D’où la discussion relative à la théorie de l’imprévision qui, jusqu’à la réforme des obligations, n’a jamais vraiment cessé.

Bien au contraire, cette discussion a été abondamment nourrie.

B) La discussion par la doctrine de la théorie de l’imprévision

Plusieurs arguments ont été avancés par les réfractaires et les défenseurs de la théorie de l’imprévision :

1. Les arguments contre l’admission de la théorie de l’imprévision

?La force obligatoire du contrat

Le principe de force obligatoire du contrat commande aux parties de respecter la parole donnée.

Aussi, ne sauraient-elles, au nom de la force obligatoire du contrat, revenir sur leur engagement.

Quand bien même des circonstances extérieures à la volonté des contractants viendraient bouleverser l’économie du contrat, seul le mécanisme du mutus dissens peut de défaire ce qui a été fait.

Qui plus est, rien n’empêche les parties d’anticiper sur la survenance de telles circonstances en stipulant dans le contrat une clause de hardship (renégociation)

À cet effet, ne pourrait-on pas voir l’absence de pareille clause, comme un manque de diligence ?

Autre argument contre l’admission de la théorie de l’imprévision, il est de l’essence des contrats à exécution successive d’être soumis à un aléa.

Le problème de l’imprévision est, par conséquent, susceptible de se présenter chaque fois que conditions dans lesquelles les parties ont contracté se trouvent modifiées et qu’il en résulte un déséquilibre grave de leurs prestations.

D’une certainement manière, admettre la théorie de l’imprévision aurait pour effet d’instituer la règle selon laquelle le contrat doit être révisé dès lors que l’équilibre contractuel a été rompu.

Aussi, cela reviendrait finalement à sacrifier le principe de force obligatoire du contrat sur l’autel de l’équité.

Les facteurs s’en trouveraient alors inversés.

Pour rappel, le principe c’est que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (art. 1103 C. civ) et l’exception que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. » (art. 1194 C. civ.)

L’admission de la théorie de l’imprévision aurait pour conséquence de modifier l’articulation de la règle.

Enfin, à supposer que l’on admette la théorie de l’imprévision, cela supposerait que l’on octroie la faculté au juge de réviser le contrat.

Or le principe de force obligatoire a pour conséquence d’interdire au juge, hors des cas expressément prévus par la loi, de s’immiscer dans le contrat

?Le principe de non-immixtion du juge

Du principe de force obligatoire on en déduit la règle de non-immixtion du juge dans les rapports contractuels.

Selon cette règle, le juge n’est pas habilité à substituer sa propre volonté à celle des parties.

Tout au plus, il lui est possible de leur apporter son concours quant à l’interprétation du contrat.

Il ne saurait néanmoins réécrire les stipulations contractuelles qui lui sont soumises, sauf à s’exposer au couperet de la cassation pour dénaturation des termes du contrat.

Le contrat est la chose exclusive des parties.

Le juge ne saurait en conséquence avoir un droit de regard sur lui.

Surtout, admettre que le juge puisse réviser le contrat serait porteur d’insécurité juridique.

D’où la défiance des rédacteurs du Code civil à l’égard du juge en matière contractuelle.

Son rôle doit se cantonner à la vérification des conditions de validité du contrat et au contrôle de sa bonne exécution.

En dehors de ces deux hypothèses, le juge ne doit pas interférer avec les prévisions des parties.

2. Les arguments pour l’admission de la théorie de l’imprévision

?La clause rebus sic stantibus

Il s’agit d’une clause qui aurait été tacitement convenue par les parties.

Elle subordonnerait l’exécution du contrat au maintien des circonstances économiques existant au jour de la conclusion de l’accord.

Cette clause a été théorisée et défendue notamment par Saint-Thomas d’Aquin

Certains auteurs ont été jusqu’à estimer que le changement des circonstances économiques constituerait une cause d’extinction du contrat

Larombière a affirmé en ce sens que « les obligations s’éteignent encore par la survenance de circonstances telles que les parties n’auraient pas contracté, si elles les avaient prévues »[2]

?La cause du contrat

Autre argument pour l’admission de la théorie de l’imprécision, les parties auraient contracté en considération de certaines circonstances qui constituent la cause de leur engagement

Or cette cause ne doit pas être seulement présente au moment de la formation du contrat, elle doit continuer à exister lors de son exécution.

Si dès lors, les circonstances économiques étaient amenées à changer de manière significative, le contrat s’en trouverait privé de cause ce qui justifierait, a minima, qu’une obligation de renégociation pèse sur les parties

?La bonne foi

Les parties étant tenues d’exécuter les conventions de bonne foi, il découlerait de cette exigence une obligation de renégociation du contrat en cas de bouleversement des circonstances économiques

Il ne s’agit pas d’imposer au cocontractant une modification qu’il n’aurait pas acceptée.

Il est seulement question de l’inviter à discuter de l’adaptation des termes du contrat aux nouvelles circonstances économiques qui portent atteinte à l’équilibre contractuel, alors même qu’il a été initialement voulu par les parties.

?L’équité

Selon la célèbre formule de Fouillé : « qui dit contractuel dit juste ».

Toutefois, qu’est-ce qu’il y aurait de juste à maintenir en l’état un contrat dont l’équilibre a été rompu par des circonstances extérieures à la volonté des parties ?

Aussi, l’équité, qui a toujours figuré en bonne place dans le Code civil, commanderait que le juge découvre une obligation de renégociation ou de restaurer l’équilibre contractuel en considération duquel les parties se sont engagées.

Il ne s’agirait pas d’introduire par une voie détournée la lésion, celle-ci ne s’appréciant qu’au jour de la formation du contrat, mais seulement de restaurer l’équité qui a été rompue au cours de l’exécution.

?Droit étranger

Dans de nombreux droits étrangers, la théorie de l’imprévision a été admis, sans pourtant qu’ait été engendrée l’insécurité juridique tant redoutée par les juristes

C’est ainsi le cas en Allemagne, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Italie ou encore en Grèce et au Portugal.

Pourquoi pas, dès lors, ne pas admettre la théorie de l’imprévision en droit français ?

C) Le rejet par la jurisprudence civile de la théorie de l’imprévision

Bien que la jurisprudence civile ait toujours rejeté la théorie de l’imprévision au nom du sacro-saint principe d’intangibilité des conventions, certains auteurs ont cru déceler dans ses dernières décisions – à tort ou à raison – un léger fléchissement de sa position.

1. Première étape : l’arrêt Canal de Craponne du 6 mars 1876

Cass. civ., 6 mars 1876

Sur le premier moyen du pourvoi :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que la disposition de cet article n’étant que la reproduction des anciens principes constamment suivis en matière d’obligations conventionnelles, la circonstance que les contrats dont l’exécution donne lieu au litige sont antérieurs à la promulgation du Code civil ne saurait être, dans l’espèce, un obstacle à l’application dudit article ;

Attendu que la règle qu’il consacre est générale, absolue et régit les contrats dont l’exécution s’étend à des époques successives de même qu’à ceux de toute autre nature ;

Que, dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse apparaître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ;

Qu’en décidant le contraire et en élevant à 30 centimes de 1834 à 1874, puis à 60 centimes à partir de 1874, la redevance d’arrosage, fixée à 3 sols par les conventions de 1560 et 1567, sous prétexte que cette redevance n’était plus en rapport avec les frais d’entretien du canal de Craponne, l’arrêt attaqué a formellement violé l’article 1134 ci-dessus visé ;

Par ces motifs, casse, dans la disposition relative à l’augmentation du prix de la redevance d’arrosage, l’arrêt rendu entre les parties par la Cour d’appel d’Aix le 31 décembre.

?Faits

Des contrats conclus au 16ème siècle obligeaient le propriétaire d’un canal d’irrigation à fournir de l’eau à la société la Plaine moyennant une certaine redevance.

À la fin du 18ème siècle, cette redevance était toutefois devenue purement symbolique en raison de la forte dépréciation monétaire et corrélativement de l’augmentation significative des frais d’entretien.

?Demande

Le propriétaire demande aux tribunaux la révision à la hausse de la redevance fixée trois siècles auparavant.

?Procédure

Par un arrêt du 31 décembre 1875, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence fait droit à la demande du propriétaire du canal.

Les juges du fond relèvent que, en l’espèce, le contrat litigieux était à exécution successif, de sorte qu’il ne rentrerait pas dans le champ d’application de l’article 1134.

Aussi, selon eux, cette catégorie de contrat pourrait parfaitement faire l’objet d’une révision par le juge dès lors qu’avec l’écoulement du temps et le changement des circonstances, il n’existerait plus de corrélation entre les redevances et les charges.

?Solution

Par un arrêt du 6 mars 1876, la Cour de cassation casse et annulé l’arrêt de la Cour d’appel.

Au visa de l’article 1134 du Code civil, la chambre civile estime que :

  • D’une part, la règle que cette disposition « consacre est générale, absolue et régit les contrats dont l’exécution s’étend à des époques successives de même qu’à ceux de toute autre nature »
  • D’autre part, « que dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse apparaître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants »

La Cour de cassation en conclut que la révision du contrat à laquelle s’étaient livrés les juges du fond était inopérante.

Ainsi, rejette-t-elle en bloc la théorie de l’imprévision en brandissant avec force le principe d’intangibilité du contrat.

Elle se conforme de la sorte à la pensée d’Ulpien qui autrefois observait qu’il faut respecter dans le contrat ce qui a été initialement convenu parce que le contrat donne une loi sûre aux parties.

Autrement dit, rien ne saurait déroger à la loi contractuelle qui apporte aux parties ce dont elles ont le plus besoin : prévisibilité et sécurité.

?Portée

À la suite de l’arrêt Canal de Craponne, la Cour de cassation réitéra cette solution à maintes reprises.

Dans un arrêt du 6 juin 1921, elle a par exemple refusé de valider la décision d’une Cour d’appel qui avait accédé à la demande de révision d’un bail portant sur du cheptel.

Les juges du fond avaient justifié leur décision en considérant que lors de la conclusion du contrat « les parties, en contractant, n’avaient pu prévoir l’augmentation extraordinaire du prix des bestiaux résultant de la guerre de 1914, mais seulement une hausse normale “dont le maximum correspondait évidemment au prix le plus fort du bétail pendant la période des dernières années antérieures à la conclusion du contrat »

Malgré les circonstances, l’argument avancé par la Cour d’appel n’a pas suffi à emporter la conviction de la Cour de cassation qui réaffirme, toujours au visa de l’article 1134, que « les parties, en contractant, n’avaient pu prévoir l’augmentation extraordinaire du prix des bestiaux résultant de la guerre de 1914, mais seulement une hausse normale “dont le maximum correspondait évidemment au prix le plus fort du bétail pendant la période des dernières années antérieures à la conclusion du contrat » (Cass. civ. 6 juin 1921).

Ainsi, pour la haute juridiction les juges du fond ne sauraient au nom de l’équité réviser les termes d’un contrat librement consenti par les parties, sauf à porter atteinte à sa force obligatoire.

Or il s’agit là d’un principe auquel on ne saurait déroger.

Cass. civ. 6 juin 1921

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1134 et 1826 du Code civil ;

Attendu que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et qu’aucune considération d’équité n’autorise le juge, lorsque ces conventions sont claires et précises, à modifier, sous prétexte de les interpréter, les stipulations qu’elles renferment ;

Attendu qu’à la date du 4 décembre 1910 Y…, propriétaire, a conclu avec X… un contrat de louage à cheptel de fer contenant la clause suivante : “Le pied du capital qui a été pris en charge par le fermier s’élève à la somme de 3000 francs pour le bétail et de 2245 francs pour le troupeau, et c’est de cette valeur, en espèces ou en nature, au choix du propriétaire, qu’il rendra compte à sa sortie” ;

Que cette clause, claire et précise, dérogeait aux clauses du Code civil relatives aux baux à cheptel de fer, contenant un état estimatif des animaux, uniquement en ce qu’elle attribuait au bailleur le droit d’opter, lors de la fin du bail, entre un règlement en espèces ou la restitution en nature, mais que, pour le surplus, elle laissait les parties sous l’empire du droit commun ;

Que, dès lors, le compte de cheptel devait être régi par l’article 1826 du Code civil ;

Attendu qu’aux termes de cette disposition le fermier, à la fin du bail, est tenu de laisser un cheptel “de valeur pareille à celui qu’il a reçu” ; que, s’il y a du déficit, il doit le payer, mais que l’excédent lui appartient ; que, d’une part, aucune distinction n’est faite entre la plus-value apportée au cheptel par les soins ou les améliorations du fermier et celle qui provient de circonstances accidentelles ; que, du rapprochement de l’article 1826 avec l’article 1821, définissant le cheptel de fer celui par lequel le fermier “laissera des bestiaux d’une valeur égale au prix de l’estimation de ceux qu’il aura reçus”, il résulte, d’autre part, que la loi a envisagé la valeur vénale du cheptel et non sa puissance comme instrument d’exploitation ;

Que c’est donc à tort que l’arrêt attaqué, au lieu d’attribuer à X… la totalité de la plus-value acquise par le bétail et par le troupeau, a décidé qu’il devrait la partager avec le propriétaire ;

Attendu que la cour d’appel allègue vainement que les parties, en contractant, n’avaient pu prévoir l’augmentation extraordinaire du prix des bestiaux résultant de la guerre de 1914, mais seulement une hausse normale “dont le maximum correspondait évidemment au prix le plus fort du bétail pendant la période des dernières années antérieures à la conclusion du contrat” ;

Attendu, en effet, qu’en s’astreignant à supporter le risque d’une élévation future du cours des bestiaux et du troupeau, contre-partie des risqques pouvant résulter, soit de l’abaissement des mêmes cours, soit de la perte fortuite des animaux et mis à la charge du fermier, Y… s’était fait à lui-même une loi dont il ne pouvait s’affranchir, en alléguant que ses prévisions avaient été trompées ; qu’il lui aurait appartenu de restreindre son engagement à un taux déterminé, mais qu’en induisant cette restriction de circonstances sur lesquelles le bail ne s’était pas expliqué,

l’arrêt attaqué n’a fait que substituer une convention supposée

à la convention exprimée par les contractants ;

En quoi il a violé les textes de loi susvisés ;

Par ces motifs, CASSE,

2. Deuxième étape : l’arrêt Huard du 3 novembre 1992

Cass. com. 3 nov. 1992

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 31 mai 1990), que, le 2 octobre 1970, la Société française des pétroles BP (société BP) a conclu avec M. X… un contrat de distributeur agréé, pour une durée de 15 années, prenant effet le 25 mars 1971 ; que, par avenant du 14 octobre 1981, le contrat a été prorogé jusqu’au 31 décembre 1988 ; qu’en 1983, les prix de vente des produits pétroliers au détail ont été libérés ; que M. X…, se plaignant de ce que, en dépit de l’engagement de la société BP de l’intégrer dans son réseau, cette dernière ne lui a pas donné les moyens de pratiquer des prix concurrentiels, l’a assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que la société BP reproche à l’arrêt d’avoir accueilli cette demande à concurrence de 150 000 francs, alors, selon le pourvoi, d’une part, que, dans son préambule, l’accord de distributeur agréé du 2 octobre 1970 prévoyait que la société BP devrait faire bénéficier M. X… de diverses aides ” dans les limites d’une rentabilité acceptable ” ; qu’en jugeant dès lors que la société BP était contractuellement tenue d’intégrer M. X… dans son réseau en lui assurant une rentabilité acceptable, la cour d’appel a dénaturé cette clause stipulée au profit de la société pétrolière et non à celui de son distributeur agréé, en violation de l’article 1134 du Code civil ; alors, d’autre part, que nul ne peut se voir imputer une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité sans que soit établie l’existence d’une inexécution de ses obligations contenues dans le contrat ; qu’en ne retenant à l’encontre de la société BP que le seul grief de n’avoir pas recherché un accord de coopération commerciale avec son distributeur agréé, M. X…, la cour d’appel n’a relevé à son encontre aucune violation de ses obligations contractuelles et ne pouvait dès lors juger qu’elle avait commis une faute contractuelle dont elle devait réparer les conséquences dommageables, en violation de l’article 1147 du Code civil ; et alors, enfin, que nul ne peut être tenu pour responsable du préjudice subi par son cocontractant lorsque ce préjudice trouve sa source dans une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ; qu’en jugeant dès lors que la société BP devait être tenue pour contractuellement responsable du préjudice invoqué par M. X…, préjudice tenant aux difficultés consécutives à l’impossibilité pour ce dernier de faire face à la concurrence, après avoir pourtant constaté qu’elle était néanmoins tenue, en raison de la politique des prix en matière de carburants, de lui vendre ceux-ci au prix qu’elle pratiquait effectivement, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait, en violation des articles 1147 et 1148 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt ne dit pas que la société BP était tenue d’intégrer M. X… dans son réseau ” en lui assurant une rentabilité acceptable ” ;

Attendu, en second lieu, qu’ayant relevé que le contrat contenait une clause d’approvisionnement exclusif, que M. X… avait effectué des travaux d’aménagement dans la station-service, et que ” le prix de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs agréés était, pour le supercarburant et l’essence, supérieur à celui auquel elle vendait ces mêmes produits au consommateur final par l’intermédiaire de ses mandataires “, l’arrêt retient que la société BP, qui s’était engagée à maintenir dans son réseau M. X…, lequel n’était pas obligé de renoncer à son statut de distributeur agréé résultant du contrat en cours d’exécution pour devenir mandataire comme elle le lui proposait, n’est pas fondée à soutenir qu’elle ne pouvait, dans le cadre du contrat de distributeur agréé, approvisionner M. X… à un prix inférieur au tarif ” pompiste de marque “, sans enfreindre la réglementation, puisqu’il lui appartenait d’établir un accord de coopération commerciale entrant ” dans le cadre des exceptions d’alignement ou de pénétration protectrice d’un détaillant qui ont toujours été admises ” ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, d’où il résultait l’absence de tout cas de force majeure, la cour d’appel a pu décider qu’en privant M. X… des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, la société BP n’avait pas exécuté le contrat de bonne foi ;

D’où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, est mal fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

Conclusion d’un contrat de distribution entre une société pétrolière et un distributeur de carburant pour une durée de 15 années.

Alors que jusqu’en 1982, les prix de vente des produits pétroliers au détail avaient été fixés par les pouvoirs publics, un arrêté du 29 avril 1982 fixant le régime des barèmes d’écart, puis un autre arrêté du 9 novembre 1983 relatif aux prix de vente au détail, qui imposèrent aux compagnies pétrolières d’appliquer le même tarif de vente à leurs détaillants, choisirent de libérer les prix de vente au détail, et autorisèrent les distributeurs à consentir, par rapport au prix plancher fixé par les pouvoirs publics, un rabais à la pompe de 16 centimes par litre d’essence et de 17 centimes par litre de supercarburant.

Aussi, pour permettre à Monsieur Huard de résister à la vive concurrence qui en découla, la société PB lui proposa, comme aux autres distributeurs agréés, d’adopter le statut de commissionnaire pour la vente des carburants, ce qui impliquait que le prix du carburant soit dorénavant fixé par la société BP.

Mais M. Huard refusa cette proposition, et préféra garder la maîtrise de ses propres prix de vente.

Seulement, sa situation ne s’améliora pas.

Le 14 mars 1985, il attira l’attention de son cocontractant sur la baisse inquiétante des ventes et sollicita une aide supplémentaire.

La société pétrolière refusa.

Finalement, le 24 novembre 1986, M. Huard assigna la société BP en justice.

?Demande

Le distributeur demande la condamnation de la société BP au paiement de dommages et intérêt en réparation du préjudice occasionné par le refus de cette dernière de baisser ses prix sur le carburant.

?Procédure

Par un arrêt du 31 mai 1990, la Cour d’appel de Paris accède à la requête du distributeur.

Les juges du fond estiment que la société BP n’ayant pas permis à son distributeur de pratiquer des prix concurrentiels, elle aurait manqué à son obligation de bonne foi contractuelle.

Pour retenir cette violation la Cour d’appel de Paris relève notamment que

  • D’une part, Monsieur Huard avait de son côté effectué des travaux de rénovation dans sa station-service lesquels lui étaient demandés par la société BP
  • D’autre part, le prix de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs était supérieur à celui du consommateur final

?Solution

Par un arrêt du 3 novembre 1992, la Cour de cassation valide la motivation de la Cour d’appel (Cass. com. 3 nov. 1992, n°90-18.547).

La chambre commerciale considère que, en refusant de renégocier son contrat de distribution avec son distributeur alors que les circonstances économiques avaient changé de façon imprévue, la société BP a manqué à son obligation de bonne foi durant l’exécution du contrat.

?Analyse

Comment analyser cette décision de la Cour de cassation qui semble admettre en creux, sur le fondement de la bonne foi, que pesait sur le cocontractant une obligation de renégociation du contrat, en raison du bouleversement des circonstances économiques ?

Spontanément, on est légitimement en droit de se demander si, finalement, la Cour de cassation ne serait pas revenue sur son refus d’admettre la théorie de l’imprévision.

Toutefois, à regarder cet arrêt plus en détail, il ne semble pas que l’on puisse retenir une telle analyse.

Plusieurs arguments peuvent être avancés :

  • Premier argument
    • Il s’agit d’un arrêt de rejet
    • Or il est toujours difficile d’apprécier la portée de cette catégorie de décision.
  • Deuxième argument
    • Le bouleversement économique n’a, en l’espèce, pas seulement pour fait générateur un changement des circonstances extérieures.
    • Le comportement du distributeur qui refuse le statut de mandataire que lui offre la société BP n’est exempt de tout reproche.
  • Troisième argument
    • Il apparaît que la mauvaise foi de la société BP est ici particulièrement caractérisée.
    • Il suffit de se remémorer les faits pour s’en apercevoir :
      • La posture adoptée par la société BP vise indubitablement à étrangler économiquement ses distributeurs (prix supérieur à celui qu’elle fait à ses consommateurs finaux)
      • Aussi, est-elle clairement de mauvaise foi.
      • Sa mauvaise foi est telle qu’elle justifie, pour les juges, la condamnation à des dommages-intérêts.
  • Quatrième argument
    • À aucun moment la Cour de cassation reconnaît aux juges du fond le pouvoir de réviser le contrat
    • Elle semble seulement admettre, en creux, que pesait sur la société BP une obligation de renégociation du contrat ce qui ne relève pas vraiment de la théorie de l’imprévision, encore que pour certains auteurs on s’en rapproche fortement.

Au total, pour toutes les raisons sus-évoquées, il est très peu probable que la Cour de cassation ait voulu remettre en cause la théorie de l’imprévision avec cet arrêt.

3. Troisième étape : Arrêt Chevassus Marche du 24 novembre 1998

Dans cette décision, la Cour de cassation adopte sensiblement la même solution que dans l’arrêt Huard.

La chambre commerciale décide que manquait à son obligation de loyauté le mandant qui, informé des difficultés de son mandataire, le mandant qui n’a pas pris des mesures concrètes pour permettre à son agent commercial de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux des mêmes produits vendus dans le cadre de ventes parallèles, et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat (Cass. com. 24 nov. 1998, n°96-18.357).

Cass. com. 24 nov. 1998

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1184 du Code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts de M. X…, l’arrêt, après avoir relevé que le mandataire avait demandé l’application de la clause résolutoire ainsi que la résiliation du contrat, et retenu, sur la première demande, que les conditions de mise en jeu de la clause résolutoire n’étaient pas réunies et, sur la demande en résiliation, que la preuve d’un manquement des sociétés n’était pas rapportée, énonce ” qu’il s’ensuit qu’en prenant l’initiative de cesser toute relation avec ses mandants “, M. X… a perdu le droit de percevoir une indemnité de rupture ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les demandes de M. X…, à elles seules, n’emportaient pas rupture du contrat de la part du mandataire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Sur le troisième moyen : (sans intérêt) ;

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche : (sans intérêt) ;

Et sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l’article 4 de la loi du 25 juin 1991 ;

Attendu, selon ce texte, que les rapports entre l’agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et que le mandant doit mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat ;

Attendu que, pour rejeter la demande en résiliation de contrat présentée par M. X… et, par voie de conséquence, sa demande en paiement de dommages-intérêts, l’arrêt retient que les sociétés n’avaient pas à intervenir sur les commandes qui pouvaient être passées directement par l’intermédiaire d’une centrale d’achats à partir de la métropole, qu’elles devaient respecter le principe essentiel de la libre concurrence et qu’il n’est pas établi qu’elles aient mis des ” obstacles ” à la représentation de leur mandataire ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si, informées des difficultés de M. X… en raison des ventes parallèles de produits venant des centrales d’achats qui s’approvisionnaient en métropole, les sociétés ont pris des mesures concrètes pour permettre à leur mandataire de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux des mêmes produits vendus dans le cadre de ces ventes parallèles, et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de M. X… en constatation de la résiliation et en résiliation du contrat d’agent commercial du 14 avril 1987, ainsi qu’en paiement d’une indemnité de rupture, l’arrêt rendu le 5 juillet 1996, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

4. Quatrième étape : arrêt société Les Repas Parisiens du 16 mars 2004

Cass. 1ère civ. 16 mars 2004

Attendu que la commune de Cluses a concédé, en 1974, à l’Association Foyer des jeunes travailleurs (AFJT) l’exploitation d’un restaurant à caractère social et d’entreprises ; qu’une convention tripartite a été signée le 15 octobre 1984 entre la commune, l’AFJT et la société Les Repas Parisiens (LRP) pour une durée de dix ans ; qu’aux termes de cet accord, l’AFJT, confirmée en qualité de concessionnaire a sous-concédé l’exploitation à la LRP, avec l’accord de la commune ; que la LRP, obtenant de ses cocontractantes d’importants travaux d’investissement, s’engageait à payer un loyer annuel à l’AFJT et une redevance à la commune ; que, par lettre du 31 mars 1989, la LRP a résilié unilatéralement cette convention, au motif qu’elle se trouvait dans l’impossibilité économique de poursuivre l’exploitation ; que, par ordonnance de référé du 25 avril 1989, l’AFJT et la commune ont obtenu la condamnation de la LRP à poursuivre son exploitation ; que cette société a, néanmoins, cessé son activité le 31 juillet 1989 ; qu’invoquant un bouleversement de l’équilibre économique du contrat, elle a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande en résiliation de cette convention et, à défaut, en dommages-intérêts ; que, parallèlement, l’AFJT et la commune ont saisi le tribunal de grande instance de Bonneville aux fins d’obtention, du fait de la résiliation unilatérale du contrat, de dommages-intérêts pour les dégradations causées aux installations ; qu’après saisine du Tribunal des conflits qui, par décision du 17 février 1997, a déclaré compétente la juridiction judiciaire, s’agissant d’un contrat de droit privé, l’arrêt attaqué (Chambéry, 5 juin 2001) a jugé que la LRP avait rompu unilatéralement le contrat et l’a condamnée à payer à l’AFJT les sommes de 273 655,37 francs et 911 729,92 francs, au titre, respectivement, des loyers et redevances dus au 31 juillet 1989 et de l’indemnité de résiliation, et à la commune de Cluses la somme de 116 470,17 francs au titre des travaux de remise en état des installations, et celle de 73 216,50 francs au titre de la redevance restant due ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la LRP fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué alors, selon le moyen, que les parties sont tenues d’exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans rechercher si, en raison des contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par la collectivité publique dans la détermination des conditions d’exploitation de la concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, les personnes morales concédantes n’avaient pas le devoir de mettre la société prestataire de services en mesure d’exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d’accepter de reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l’AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traitant au mépris de leur obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi ; qu’elle a ajouté que la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n’avait pas su apprécier ; qu’elle a, ainsi, légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la demanderesse au pourvoi reproche encore à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à l’AFJT une indemnité de résiliation de 911 729,92 francs alors, selon le moyen, que la garantie assumée par la société LRP rendait indispensable sa participation au choix de son successeur ainsi qu’à la négociation des conditions de reprise de l’exploitation ; qu’en appréciant le montant du préjudice indemnisable à partir du manque à gagner mensuel subi par les concédantes sans préciser dans quelles conditions le choix du successeur et les conditions du nouveau contrat de concession d’exploitation du restaurant avaient été décidés, ni rechercher si ces conditions étaient à tout le moins meilleures que celles offertes par le successeur présenté par la LRP mais que la commune avait refusé d’agréer, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle de l’application des articles 1134 et 1147 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel a relevé, d’une part, que, selon le contrat litigieux, tout éventuel concessionnaire présenté par la LRP devait reprendre l’intégralité des engagements de cette société, laquelle demeurait solidairement tenue jusqu’à complet remboursement du prêt, d’autre part, que le successeur présenté par elle ne satisfaisait pas à cette condition ; que le moyen manque en fait ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Faits

Contrat tripartie signé le 15 octobre 1984 entre une commune (Cluses), une association et un restaurateur, contrat dont l’objet était l’exploitation d’un restaurant.

La commune concède l’exploitation du restaurant à l’association, laquelle sous-concède cette exploitation au restaurateur pour une durée de 10 ans.

En contrepartie de la réalisation de travaux d’aménagement du restaurant, le restaurateur s’est engagé à payer un loyer à l’association et une redevance à la commune.

Résiliation unilatérale du contrat par le restaurateur le 31 mars 1989, en raison de son incapacité économique à assurer l’exploitation du restaurant.

?Demande

Assignation en paiement du restaurateur qui n’a pas satisfait à son engagement par la Commune et l’association

?Procédure

  • Premier temps
    • Une Ordonnance de référé du 25 avril 1989 donne gain de cause à la commune et à l’association
    • Le litige n’est, toutefois, pas tranché au fond.
  • Deuxième temps
    • Saisine du tribunal administratif de Grenoble par le restaurateur afin de valider la résiliation unilatérale de la convention le liant à la commune et à l’association.
    • Parallèlement, la commune et l’association saisissent le TGI de Bonneville.
  • Troisième temps
    • Afin de déterminer qui du juge administratif ou du juge judiciaire est compétent, saisine du tribunal des conflits qui, le 17 février 1997, décide que c’est la juridiction civile qui est compétente pour se prononcer sur le litige.
  • Quatrième temps
    • Par un arrêt du 5 juin 2001, la Cour d’appel de Chambéry fait droit à la demande de la commune et de l’association et condamne le restaurateur au paiement de dommages et intérêt en réparation du préjudice causé par la rupture unilatérale du contrat.
    • Les juges du fond estiment que l’existence d’un déséquilibre structurel du contrat, ne saurait fonder une résiliation unilatérale
    • Plus précisément, ils refusent d’accéder à la demande du restaurateur car le déséquilibre économique est né au moment de la formation du contrat et non au cours de son exécution comme exigée par la théorie de l’imprévision.

?Moyens

Au soutien de son pourvoi, le restaurateur invoque l’obligation de loyauté en vertu de laquelle l’économie générale du contrat ne saurait être déséquilibrée

Dans ces conditions, les juges du fond auraient dû se demander :

  • D’une part, si les contraintes économiques qui pesaient sur le restaurateur au moment de la formation de l’acte n’étaient pas de nature à l’empêcher d’exécuter sa prestation
  • D’autre part, si au regard de ces circonstances, s’il ne pesait pas sur la commune et l’association une obligation de renégociation du contrat.

?Solution

Par un arrêt du 16 mars 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le restaurateur (Cass. 1ère civ. 16 mars 2004, n°01-15.804).

Deux remarques s’imposent à la lecture de cet arrêt :

  • Première remarque :
    • On constate que la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi formé par le restaurateur, valide la motivation de la Cour d’appel en approuvant qu’un déséquilibre structurel présent dès la formation du contrat ne saurât conférer le droit, pour une partie, de résilier unilatéralement le contrat.
    • Admettre pareille résiliation reviendrait à reconnaître la lésion en droit français.
    • Or le Code civil est clair à ce sujet : la lésion n’est pas une cause de nullité.
  • Seconde remarque
    • une partie de la motivation de la Cour de cassation interpelle :
    • « et non le refus injustifié de la commune et de l’AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traitant au mépris de leur obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi ».
    • En première intention, on pourrait comprendre cette proposition, par une lecture a contrario, comme signifiant que si le restaurateur avait mis en cause devant la Cour d’appel le refus injustifié de la Commune de renégocier le contrat en raison d’un changement des circonstances économiques, il aurait vraisemblablement obtenu gain de cause, l’association et la Commune ayant manqué à leur obligation de bonne foi
    • Est-ce la reconnaissance tant attendue de la théorie de l’imprévision ?
    • Certains auteurs l’ont pensé
      • Pour Eric Borysewicz : « remettant en cause l’un des fondements les mieux établis du droit privé français, la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2004, pose le principe d’une obligation générale de renégociation des contrats en cours en cas de modification imprévue des circonstances économiques ». Il affirme ensuite que « l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2004 pose les bases de l’imprévision dans les contrats de droit privé ».
      • Denis Mazeaud écrit encore sous le titre « Du nouveau sur l’obligation de renégocier » que, « sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c’est cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de l’obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II) ».
    • La grande majorité des auteurs n’a, toutefois, pas partagé cette analyse.
    • Dans un article extrêmement virulent intitulé « De l’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation », Jacques Ghestin a, par exemple, vertement critiqué la position de Denis Maezeaud.
    • Pour ce faire, il n’a pas hésité à affirmer au sujet du commentaire d’arrêt réalisé par son collègue que « cela conduit à se demander s’il ne serait pas opportun d’introduire dans les conditions d’accès à la magistrature, au barreau ou au notariat, voire aux divers postes d’enseignants à l’université, tout spécialement pour les responsables, à tous les niveaux, des travaux dirigés, une épreuve obligatoire d’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, comprenant son analyse logique détaillée, dont l’apprentissage deviendrait ainsi un point de passage obligé. On me dira qu’il s’agit d’un exercice bien difficile et trop « scolaire ». Cependant, savoir rédiger une note de synthèse est très utile pour de futurs grands commis de l’Etat. Mais savoir lire et comprendre un arrêt de la Cour de cassation est un préalable indispensable à la connaissance du droit positif, qu’il faut bien connaître pour l’appliquer et en informer les assujettis, et aussi pour le critiquer ».
    • Le moins que l’on puisse dire, c’est que la critique est rude, sévère. Était-elle justifiée ?
    • Autrement dit, peut-on raisonnablement penser que cet arrêt du 16 mars 2004 consacre la théorie de l’imprévision ?
    • Pour le savoir, c’est vers l’analyse du Conseiller-doyen de la première chambre civile de la Cour de cassation qu’il faut se tourner.
    • Celui-ci a écrit au sujet de cet arrêt que « en toute hypothèse, le moyen était ici en porte-à-faux au regard des constatations de l’arrêt attaqué ».
    • Autrement dit, dans cet arrêt la Cour de cassation relève que le demandeur n’avait pas invoqué le déséquilibre financier né de circonstances économiques imprévues, mais seulement le déséquilibre structurel du contrat présent dès sa formation.
    • Elle ne fait donc que relever l’inadéquation du moyen rédigé par le demandeur, par rapport à la motivation de l’arrêt attaqué.
    • Alors que l’auteur du pourvoi se positionne sur le terrain de l’exécution du contrat et donc du changement de circonstances économiques, la Cour d’appel se situe sur le terrain de la formation du contrat.
    • Dans la première proposition de son attendu, la Cour de cassation ne fait donc que reprendre cette inadéquation entre le moyen et la motivation de la Cour d’appel.
    • Quant à la seconde proposition de son attendu, la Cour de cassation finit par répondre à la motivation de la Cour d’appel en approuvant le fait qu’un déséquilibre structurel du contrat ne saurait fonder une résiliation unilatérale.
    • Par conséquent, la Cour de cassation n’affirme en rien qu’une obligation de renégociation du contrat pèserait sur les parties en cas de changement imprévu des circonstances économiques.
    • Elle approuve simplement la Cour d’appel pour avoir décidé qu’un déséquilibre structurel du contrat ne saurait fonder une résiliation unilatérale.
    • Si elle évoque la théorie de l’imprévision, c’est seulement pour indiquer à l’auteur du pourquoi qu’il s’est positionné sur un terrain autre que celui de la Cour d’appel.
    • Or lorsque l’on se pourvoit en cassation, la règle c’est de critiquer la règle appliquée par les juges du fond et non une règle qui n’a jamais été débattue au fond.

5. Cinquième étape : arrêt du 29 juin 2010

Cass. com. 29 juin 2010

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société d’Exploitation de chauffage (société SEC) a fait assigner en référé la société Soffimat, avec laquelle elle avait conclu le 24 décembre 1998 un contrat d’une durée de 12 ans ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs d’une centrale de production de co-génération moyennant une redevance forfaitaire annuelle, aux fins qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1131 du code civil et 873, alinéa 2 du code de procédure civile ;

Attendu que pour retenir que l’obligation de la société Soffimat de satisfaire à l’obligation de révision des moteurs n’était pas sérieusement contestable et confirmer la décision ayant ordonné à la société Soffimat de réaliser à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus et, notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs et d’en justifier par l’envoi journalier d’un rapport d’intervention, le tout sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours à compter du 6 octobre 2008, l’arrêt relève qu’il n’est pas allégué que le contrat était dépourvu de cause à la date de sa signature, que l’article 12 du contrat invoqué par la société Soffimat au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat est relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son exécution et que la force majeure ne saurait résulter de la rupture d’équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de la société SEC de renégocier les modalités du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’évolution des circonstances économiques et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n’avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société SEC sollicitait l’exécution, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

  • Faits
    • Conclusion entre deux sociétés d’un contrat d’entreprise pour une durée de 12 mois ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs d’une centrale de production de co-génération moyennant une redevance forfaitaire annuelle
    • En cours d’exécution du contrat, survenance d’une augmentation du coût des matières premières et des métaux ce qui a une incidence sur le prix des pièces de rechange
    • En raison du changement des circonstances économiques, la société prestataire n’est plus en mesure d’exécuter le contrat.
  • Demande
    • En réaction, la société cliente assigne en référé sous astreinte son prestataire aux fins qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 27 mars 2009, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la société cliente et somme le prestataire d’exécuter la prestation prévue contractuellement
    • Au soutien de leur décision, les juges du fonds considèrent que l’obligation de révision des moteurs n’était pas sérieusement contestable.
  • Solution
    • Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-67.369).
    • Elle reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si l’évolution des circonstances économiques et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n’avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société SEC sollicitait l’exécution »
    • Manifestement, la lecture de cet arrêt laisse à penser que la Chambre commerciale revient ici sur l’arrêt Canal de Craponne !
    • Elle affirme, en effet, à demi-mot que dès lors qu’est établi un bouleversement des circonstances économiques de nature à porter atteinte à l’équilibre contractuel, cela reviendrait à priver de cause l’engagement du débiteur et, par voie de conséquence, justifierait la mise à mal le contrat.
    • Si l’on prête une attention particulière à cet arrêt, cette thèse ne résiste pas à l’analyse
      • D’abord, l’arrêt a été rendu en formation restreinte
      • Ensuite, il n’a fait l’objet d’aucune publication
      • Ensuite, cette décision ne traite que d’une question de compétence du juge des référés
      • Enfin, il ressort de l’arrêt que le bouleversement des circonstances économiques conduit, non pas à une révision du contrat – cela n’est évoqué nulle part – mais seulement à la caducité du contrat pour défaut de cause.
      • Au surplus, l’examen de la jurisprudence postérieure révèle que la Cour de cassation n’a jamais réitéré cette solution.

6. Sixième étape : arrêt du 18 mars 2014

Cass. com. 18 mars 2014

Sur le moyen unique, qui est recevable comme étant de pur droit :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2012), que le 27 novembre 2006, la société Les Complices a concédé à la société Yangtzekiang, devenue la société Yang design (la société Yang) une licence d’exploitation de sa marque « Les Complices » en contrepartie d’une redevance annuelle calculée par un pourcentage sur le chiffre d’affaires, avec minima ; que n’ayant pas reçu paiement des redevances convenues, la société Les Complices a obtenu une ordonnance d’injonction de payer à laquelle la société Yang a fait opposition ;

Attendu que la société Yang fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à la société Les Complices les sommes de 37 685,13 euros et 42 319,75 euros avec intérêts, alors, selon le moyen, que la disparition de la cause d’un engagement à exécution successive en cours d’exécution du contrat entraîne sa caducité ; que l’évolution des circonstances économiques peut déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties et priver de contrepartie réelle l’engagement de l’une d’elles qui devient caduc ; que la société Yang a fait valoir que l’évolution des circonstances économiques du marché du textile et la chute des ventes dans la grande distribution ont entraîné un déséquilibre du contrat le rendant non viable pour elle et privant de cause son obligation au titre des minima garantis ; que pour rejeter ce moyen, la cour d’appel a jugé que la rentabilité du contrat ne participe pas davantage à la définition de la cause dont l’existence s’apprécie au moment de sa conclusion ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu que la cause de l’obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d’appel, appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat ; que par ce seul motif, la cour d’appel a justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Faits
    • Un contrat est conclu entre deux sociétés aux termes duquel, l’une d’elles concède à l’autre une licence d’exploitation de sa marque « Les Complices » en contrepartie d’une redevance annuelle calculée par un pourcentage sur le chiffre d’affaires, avec minima.
    • Toutefois, un effondrement du marché du textile intervient, accompagné d’une chute des ventes dans la grande distribution.
    • La société concessionnaire de la marque n’est alors plus en capacité financière de régler la redevance au titre de son contrat de licence.
  • Demande
    • À la suite du non-paiement des redevances, la société concédant obtient une ordonnance d’injonction de payer à laquelle le concessionnaire fait opposition.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 28 septembre 2012, la Cour d’appel de Paris déboute le cessionnaire de son opposition
    • Les juges du fond refusent de prononcer la caducité du contrat pour défaut de cause, estimant que la rentabilité du contrat ne participe pas à la définition de la cause dont l’existence s’apprécie au moment de sa conclusion.
  • Procédure
    • Au soutien de son pourvoi, le concessionnaire avance que :
      • d’une part, la disparition de la cause d’un engagement à exécution successive en cours d’exécution du contrat entraîne sa caducité
      • d’autre part, l’évolution des circonstances économiques peut déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties et priver de contrepartie réelle l’engagement de l’une d’elles qui devient caduc
      • enfin, que l’évolution des circonstances économiques du marché du textile et la chute des ventes dans la grande distribution ont entraîné un déséquilibre du contrat le rendant non viable pour elle et privant de cause son obligation au titre des minima garantis.
  • Solution
    • Par un arrêt du 18 mars 2014, la Cour de cassation est insensible à l’argumentation développée par le concessionnaire (Cass. com. 18 mars 2014, n°12-29.453).
    • Aussi, rejette-t-elle le pourvoi.
    • La chambre commerciale souscrit à la motivation de la Cour d’appel, estimant que la cause de l’obligation constitue bien une condition de la formation du contrat de sorte que la cause de l’engagement du concessionnaire résidait, non pas dans la rentabilité du contrat, mais dans la mise à disposition de la marque
    • Un bouleversement des circonstances économiques au cours de l’exécution du contrat, ne saurait, en conséquence, fonder une caducité du contrat pour défaut de cause.
    • Manifestement, la Cour de cassation retient ici la solution radicalement inverse de celle adoptée dans l’arrêt du 29 juin 2010, ce qui confirme que cette décision était bien, au minimum un arrêt d’espèce, sinon une erreur de plume.

D) L’admission par la jurisprudence administrative de la théorie de l’imprévision

Contrairement à la Cour de cassation, par l’arrêt Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux du 30 mars 1916, le Conseil d’État a dégagé la théorie de l’imprévision, qui permet d’assurer la pérennité des contrats administratifs en cas de bouleversement temporaire de leur économie, du fait d’événements que les parties ne pouvaient prévoir (CE 30 mars 1916, 59928).

CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour la “Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux”, société anonyme, dont le siège social est à Bordeaux, rue de Condé, n° 5, agissant poursuites et diligences de ses directeurs et administrateurs en exercice, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 1er et 29 septembre 1915 et tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler un arrêté en date du 30 juillet 1915 par lequel le conseil de préfecture du département de la Gironde l’a déboutée de sa demande tendant à faire juger qu’elle a droit à un relèvement du prix fixé par son contrat de concession pour le gaz fourni par elle à la ville et aux particuliers et à faire condamner la ville de Bordeaux à lui payer une indemnité ; Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ; Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la ville de Bordeaux : Considérant que les conclusions de la compagnie requérante tendaient devant le conseil de préfecture comme elles tendent devant le Conseil d’Etat à faire condamner la ville de Bordeaux à supporter l’aggravation des charges résultant de la hausse du prix du charbon ; que, dès lors, s’agissant d’une difficulté relative à l’exécution du contrat, c’est à bon droit que par application de la loi du 28 pluviôse an VIII, la compagnie requérante a porté ces conclusions en première instance devant le conseil de préfecture et en appel devant le Conseil d’Etat ;

Au fond : Considérant qu’en principe le contrat de concession règle d’une façon définitive jusqu’à son expiration, les obligations respectives du concessionnaire et du concédant ; que le concessionnaire est tenu d’exécuter le service prévu dans les conditions précisées au traité et se trouve rémunéré par la perception sur les usagers des taxes qui y sont stipulées ; que la variation du prix des matières premières à raison des circonstances économiques constitue un aléa du marché qui peut, suivant le cas être favorable ou défavorable au concessionnaire et demeure à ses risques et périls, chaque partie étant réputée avoir tenu compte de cet aléa dans les calculs et prévisions qu’elle a faits avant de s’engager ;

Mais considérant que, par suite de l’occupation par l’ennemi de la plus grande partie des régions productrices de charbon dans l’Europe continentale, de la difficulté de plus en plus considérable des transports par mer à raison tant de la réquisition des navires que du caractère et de la durée de la guerre maritime, la hausse survenue au cours de la guerre actuelle, dans le prix du charbon qui est la matière première de la fabrication du gaz, s’est trouvé atteindre une proportion telle que non seulement elle a un caractère exceptionnel dans le sens habituellement donné à ce terme, mais qu’elle entraîne dans le coût de la fabrication du gaz une augmentation qui, dans une mesure déjouant tous les calculs, dépasse certainement les limites extrêmes des majorations ayant pu être envisagées par les parties lors de la passation du contrat de concession ; que, par suite du concours des circonstances ci-dessus indiquées, l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée. Que la compagnie est donc fondée à soutenir qu’elle ne peut être tenue d’assurer aux seules conditions prévues à l’origine, le fonctionnement du service tant que durera la situation anormale ci-dessus rappelée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que si c’est à tort que la compagnie prétend ne pouvoir être tenue de supporter aucune augmentation du prix du charbon au-delà de 28 francs la tonne, ce chiffre ayant, d’après elle, été envisagé comme correspondant au prix maximum du gaz prévu au marché, il serait tout à fait excessif d’admettre qu’il y a lieu à l’application pure et simple du cahier des charges comme si l’on se trouvait en présence d’un aléa ordinaire de l’entreprise ; qu’il importe au contraire, de rechercher pour mettre fin à des difficultés temporaires, une solution qui tienne compte tout à la fois de l’intérêt général, lequel exige la continuation du service par la compagnie à l’aide de tous ses moyens de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas au contrat de recevoir son application normale. Qu’à cet effet, il convient de décider, d’une part, que la compagnie est tenue d’assurer le service concédé et, d’autre part, qu’elle doit supporter seulement au cours de cette période transitoire, la part des conséquences onéreuses de la situation de force majeure ci-dessus rappelée que l’interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à sa charge ; qu’il y a lieu, en conséquence, en annulant l’arrêté attaqué, de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture auquel il appartiendra, si elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les conditions spéciales dans lesquelles la compagnie pourra continuer le service, de déterminer, en tenant compte de tous les faits de la cause, le montant de l’indemnité à laquelle la compagnie a droit à raison des circonstances extracontractuelles dans lesquelles elle aura à assurer le service pendant la période envisagée ;

DECIDE : Article 1er : L’arrêté susvisé du conseil de préfecture du département de la Gironde en date du 30 juillet 1915 est annulé. Article 2 : La Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux et la ville de Bordeaux sont renvoyées devant le conseil de préfecture pour être procédé, si elles ne s’entendent pas amiablement sur les conditions spéciales auxquelles la compagnie continuera son service, à la fixation de l’indemnité à laquelle la compagnie a droit à raison des circonstances extracontractuelles dans lesquelles elle aura dû assurer le service concédé. Article 3 : La ville de Bordeaux est condamnée à tous les dépens de première instance et d’appel. Article 4 : Expédition … Intérieur.

  • Faits
    • La compagnie générale d’éclairage de Bordeaux cherchait à obtenir de la ville de Bordeaux qu’elle supporte le surcoût résultant pour elle de la très forte augmentation du prix du charbon, multiplié par cinq entre la signature de la concession d’éclairage et l’année 1916
    • En raison de la guerre, la plus grande partie des régions productrices de charbon était occupée par l’Allemagne et les transports par mer étaient devenus de plus en plus difficiles.
  • Solution
    • À cette occasion, le Conseil d’État jugea qu’en principe le contrat de concession règle de façon définitive les obligations du concessionnaire et du concédant et que la variation du prix des matières premières du fait des circonstances économiques constitue un aléa du marché que doit assumer le concessionnaire.
    • Toutefois, lorsque l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée, comme en l’espèce où l’augmentation du coût de la fabrication du gaz du fait du prix du charbon dépassait les limites extrêmes de ce qui avait pu être envisagé par les parties, le concessionnaire ne peut être tenu d’assurer le fonctionnement du service dans les conditions prévues à l’origine.
    • Il convenait, pour mettre fin à des difficultés temporaires, de rechercher une solution qui tienne compte de l’intérêt général, exigeant la continuation du service, mais aussi des circonstances particulières.
    • Aussi, le Conseil d’État décida que la compagnie restait tenue d’assurer le service mais qu’elle avait le droit d’être indemnisée de la part des conséquences pécuniaires de la situation de force majeure qui excédait l’aléa économique normal.

?Conditions de l’imprévision

La jurisprudence ultérieure précisa les conditions d’application de la théorie de l’imprévision.

  • Première condition
    • Les événements affectant l’exécution du contrat doivent être imprévisibles.
    • Il peut s’agir de circonstances économiques, de phénomènes naturels ou de mesures prises par les pouvoirs publics, mais dans tous les cas ils doivent déjouer les prévisions qui pouvaient raisonnablement être faites lors de la conclusion du contrat.
  • Deuxième condition
    • Les circonstances doivent être extérieures aux parties ; en particulier, si elles sont dues à l’administration contractante, c’est la théorie du fait du prince et non celle de l’imprévision qui jouera.
  • Troisième condition
    • Les événements affectant l’exécution du contrat doivent entraîner un bouleversement de l’économie du contrat.
    • Certes, ils ne doivent pas faire obstacle à l’exécution du contrat car ils seraient alors irrésistibles et exonéreraient le cocontractant de ses obligations ; mais il ne doit pas s’agir d’un simple manque à gagner.

?Effets de l’imprévision

L’imprévision n’étant pas un cas de force majeure, le cocontractant doit poursuivre l’exécution du contrat.

Il commettrait une faute en interrompant ses prestations.

En contrepartie, il a le droit d’être indemnisé, sinon de la totalité, du moins de la plus grande partie de la charge extracontractuelle, c’est-à-dire du montant du déficit provoqué par l’exécution du contrat pendant la période au cours de laquelle il y a eu bouleversement par les circonstances imprévisibles.

Deux cas de figure peuvent ensuite se produire :

  • Soit l’équilibre contractuel se rétablit, par disparition des circonstances imprévisibles ou du fait de nouveaux arrangements entre les parties.
  • Soit le bouleversement de l’économie du contrat se révèle définitif, et l’imprévision se transforme alors en cas de force majeure justifiant la résiliation du contrat.

Il est intéressant de constater que la théorie de l’imprévision a conduit l’administration et ses cocontractants à introduire dans leurs contrats des clauses de révision qui permettent une adaptation aux évolutions de la situation économique et financière, conférant ainsi un caractère subsidiaire au jeu de l’imprévision.

E) La consécration par le législateur de la théorie de l’imprévision

En réaction au vif débat suscité par la théorie de l’imprévision qui, depuis plus d’un siècle, a tant agité la doctrine, le législateur a profité de la réforme des obligations pour clarifier les choses et calmer les esprits. L’occasion était trop belle !

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit un article 1195 dans le Code civil aux termes duquel :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Il ressort de cette disposition que :

  • d’une part, la possibilité pour le juge de réviser le contrat au cours de son exécution en cas de changement des circonstances n’est pas sans conditions
  • d’autre part, en raison de l’atteinte portée à la force obligatoire du contrat, le législateur a entendu encadrer strictement le processus de révision du contrat

1. Les conditions de la théorie de l’imprévision

Les conditions d’application de la théorie de l’imprévision sont au nombre de trois :

?Première condition : le changement de circonstances est imprévisible lors de la conclusion du contrat

Que doit-on entendre par « changement de circonstances imprévisibles » ?

Le législateur ne nous en a donné aucune définition, ni critères d’appréciation.

Aussi, appartiendra-t-il à la jurisprudence de se prononcer sur cette question.

Dans cette attente, deux approches de la notion sont envisageables :

  • L’approche objective
    • Le changement de circonstances imprévisibles est celui qui n’aurait pas pu être envisagé par une personne raisonnable placée dans la même situation que les parties
    • Le juge se livrera ainsi à une appréciation in abstracto des circonstances qui ont porté atteinte à l’équilibre contractuel.
  • L’approche subjective
    • Selon cette approche, le changement de circonstances imprévisibles est celui que les parties n’avaient pas prévu, d’où l’absence de clause dans le contrat anticipant cet aléa.
    • L’imprévision sera alors appréciée dans cette hypothèse in concreto, ce qui supposera pour le juge de ne se focaliser que sur la commune intention des parties.

Au fond, d’un côté, si l’on retient l’approche objective, on ne devrait tenir compte que des circonstances que les parties n’ont pas pu prévoir.

D’un autre côté, si l’on opte pour l’approche subjective seules les circonstances que les parties n’ont pas prévues devraient être prises en compte

Il ressort de cette comparaison que l’approche subjective conférerait à la théorie de l’imprévision un champ d’application bien plus étendu que ne le ferait l’approche objective.

En contrepartie, il en résulterait néanmoins une atteinte plus forte à la force obligatoire du contrat.

Quelle approche sera retenue in fine par la Cour de cassation ?

Il n’est pas à exclure que le choix de cette dernière soit guidé par l’article 1218 du Code civil, lequel porte sur une notion qui n’est pas très éloignée de celle que l’on cherche à définir : la force majeure.

Selon cette disposition, il y aurait force majeure « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

L’article 1218 du Code civil semble ainsi lier la force majeure à la faculté de contrôle du débiteur.

Rapportée à l’imprévision, cette définition pourrait laisser à penser que l’approche subjective l’emporterait.

L’article 1218 pose toutefois, dans le même temps, l’exigence d’un événement raisonnablement imprévisible, ce qui serait tout autant de nature à justifier l’adoption de l’approche objective.

Au total, difficile à dire sur quelle approche le choix de la Cour de cassation portera.

?Deuxième condition : le changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat

Contrairement à la force majeure, il n’est pas nécessaire que le changement de circonstances rende impossible l’exécution du contrat.

L’article 1195 du Code civil exige seulement que celui-ci la rende excessivement onéreuse.

C’est là la grande différence entre l’imprévision et la force majeure.

Pour être caractérisée, l’imprévision doit donc seulement porter atteinte à l’équilibre du contrat.

Cette atteinte aussi préjudiciable soit-elle pour l’une des parties ne fait toutefois pas obstacle à l’exécution de ses obligations.

L’article 1195 du Code civil précise, par ailleurs, que, en plus de l’établissement d’un bouleversement de l’économie du contrat, il faut démontrer que ce bouleversement est grave, sans quoi il n’ouvrira pas droit à révision.

Aussi, les petits déséquilibres contractuels devront-ils être entièrement assumés par les parties au nom de la force obligatoire du contrat.

?Troisième condition : aucune des parties ne doit pas avoir accepté d’assumer les risques de l’imprévision

Dernière condition d’application de la théorie de l’imprévision, les parties ne doivent pas avoir accepté d’assumer les risques de l’imprévision.

En d’autres termes, dès lors que l’aléa a été envisagé par les contractants, il ne relèverait plus de l’imprévision.

Si, dans ces conditions, les parties souhaitent confiner à la portion congrue le champ d’application de la théorie de l’imprévision, elles auront tout intérêt à soigner la rédaction de la clause d’acceptation des risques.

Il ne faudrait pas, toutefois, que cette clause soit trop large, sous peine d’encourir une requalification en clause abusive.

Dans cette perspective, il appartiendra au juge de toujours rechercher si le changement de circonstances invoqué par les parties n’était pas entré dans le champ contractuel.

En s’abstenant de procéder à cette recherche, il s’exposerait à une censure de la Cour de cassation pour défaut de base légale.

2. Le processus de révision du contrat

Le processus de révision du contrat comporte plusieurs étapes :

?Première étape : la formulation d’une demande de révision du contrat

  • Objet de la demande
    • La partie pour laquelle l’exécution de ses obligations est devenue excessivement onéreuse en raison d’un changement des circonstances est fondée à solliciter une renégociation du contrat auprès de son cocontractant.
    • Il s’agit là d’un droit qui est conféré aux contractants dont l’exercice ne saurait, en aucune manière, constituer une faute (V. en ce sens Cass. com. 18 sept. 2012).
  • Absence d’obligation de renégocier
    • Tout autant que les parties sont libres de solliciter une révision de la convention, elles sont libres de refuser de renégocier
    • Ainsi, le législateur n’a-t-il pas entendu mettre à la charge des parties une obligation de renégociation du contrat contrairement à ce qui avait pu être suggéré par certains auteurs.
    • Cette solution s’inscrit, par ailleurs, en opposition à une certaine jurisprudence qui, sur le fondement de la bonne foi contractuelle (Cass.com 3 nov. 1992, n°90-18.547) ou de l’exigence de cause, avait estimé que les parties étaient tenues, a minima, de collaborer en cas de changement des circonstances économiques.
  • Obligation de poursuivre l’exécution du contrat
    • Les rédacteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 ont pris le soin de préciser que la demande de révision du contrat ne dispense pas son auteur de poursuivre l’exécution de ses obligations
    • S’il suspendait la fourniture de sa prestation, sa responsabilité contractuelle pourrait être engagée.
    • L’exécution du contrat devra en conséquence nécessairement se poursuivre jusqu’à ce que le juge se prononce.

?Deuxième étape : résolution ou révision amiable

L’alinéa 2 de l’article 1195 du Code civil prévoit que, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties disposent de deux options :

  • Soit elles peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent
    • Cela suppose donc qu’elles expriment un mutus dissensus
    • À défaut, la voie de la résolution amiable leur demeurera fermée
  • Soit, elles peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat aux nouvelles circonstances.
    • Dans cette hypothèse, les parties peuvent saisir le juge aux fins de constater leur accord amiable
    • Immédiatement, la question alors se pose de l’intérêt pratique de cette saisine du juge, dans la mesure où elle ne peut intervenir que si les parties se sont au préalable entendues.
    • Or si tel est le cas, pourquoi saisir le juge pour réviser un contrat qu’elles pourraient d’un commun accord modifier elles-mêmes ?

?Troisième étape : résolution ou révision judiciaire

C’est là le véritable apport de l’article 1195 du Code civil

À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie ainsi qu’à la date et aux conditions qu’il fixe :

  • Soit réviser le contrat
  • Soit y mettre fin

Il ressort toutefois de l’économie de l’article 1195 du Code civil que cette possibilité pour le juge de résilier ou de réviser judiciairement le contrat est envisagée comme une mesure ultime.

C’est à la condition exclusive qu’aucun « accord dans un délai raisonnable » ne puisse être trouvé entre les parties que le juge pourra leur imposer sa propre volonté.

En pratique, il est toutefois fort peu probable que le juge soit saisi lorsque les parties auront trouvé un point d’accord.

Le juge ne sera dès lors sollicité que lorsque la voie de la renégociation amiable sera sans issue.

  1. J. Carbonnier, Droit civil, tome 4, Les Obligations, PUF, 22e éd., 2000, § 314 ?
  2. Larombière M.L., Théorie et pratique des obligations, ou Commentaire aux titres III et IV du Code Napoléon, art. 1101 à 1386, T. III, Éd.1., Paris, 1858, art.1234, nº4. ?
  3. http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Les-decisions-les-plus-importantes-du Conseil-d-Etat/30-mars-1916-Compagnie-generale-d-eclairage-de-Bordeaux ?

La force obligatoire du contrat: régime

?Notion

Aux termes de l’article 1103 du Code civil, « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »

Que doit-on par cette formule directement issue de l’ancien article 1134 ?

Il faut comprendre cette disposition comme posant la règle fondamentale selon laquelle, dès lors que le contrat est valablement conclu, il est créateur de normes.

Or la principale caractéristique d’une norme est qu’elle est obligatoire, de sorte qu’elle s’impose aux parties sous peine de sanctions.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir d’où les stipulations contractuelles, qui donc constituent des normes, tirent-elles leur force obligatoire ?

?Autonomie de la volonté et normativisme

Deux thèses s’affrontent :

  • L’autonomie de la volonté
    • La thèse de l’autonomie de la volonté repose sur l’idée que l’Homme est libre, de sorte qu’il ne saurait s’obliger qu’en vertu de sa propre volonté.
    • Seule la volonté serait, en d’autres termes, source d’obligations.
    • On ne saurait obliger quelqu’un contre sa volonté, sauf à porter atteinte à sa liberté individuelle.
    • Dès lors, si l’on admet qu’un contrat ait force obligatoire, c’est seulement parce que celui qui s’est obligé l’a voulu.
  • Le normativisme
    • Le normativisme repose sur l’idée que la force obligatoire d’une norme ne saurait résider dans l’acte de volonté qui la pose en raison de l’impossibilité absolue de faire dériver « un devoir-être » (une prescription) d’un « être » (un fait).
    • Or comme le souligne, à très juste titre, Kelsen « la norme est un ?devoir-être? (sollen), alors que l’acte de volonté dont elle est la signification est un ? être ? (sein) »[2].
    • La force obligatoire que possède une norme ne peut, dans ces conditions, trouver sa source que dans quelque chose d’extérieur à l’acte de volonté dont elle est issue.
    • Aussi, ce quelque chose ne peut qu’appartenir au monde du devoir-être (de la prescription)
    • Il s’ensuit que ce ne peut être qu’une norme.
    • Partant, le caractère obligatoire d’une proposition prescriptive viendrait de son adoption conformément à une norme qui lui est supérieure.
    • Pour s’en convaincre, il suffit de prendre deux exemples.
      • Si la règle selon laquelle nul ne peut impunément porter atteinte à la vie d’autrui est obligatoire, cela ne tient pas au fait qu’elle procède de la volonté d’interdire pareil comportement, mais qu’elle a été adoptée par le parlement qui tient son pouvoir d’une norme supérieure : la constitution.
      • De la même manière, l’obligation qui impose à tout un chacun de se soumettre aux règles de politesse vient de l’acceptation par tous du principe plus général de respect mutuel des individus.
    • Dans cette perspective, la force obligatoire dont est pourvu un contrat n’a pas pour origine la commune volonté des parties, mais bien la loi
    • Cette vision est manifestement parfaitement conforme avec de l’article 1103 du Code civil « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

Quelle que soit la thèse à laquelle on adhère, les conséquences de la force obligatoire sont toujours les mêmes. On en dénombre deux :

  • Le contrat s’impose aux parties
  • Le contrat s’impose au juge

I) La force obligatoire à l’égard des parties

Parce que le contrat est pourvu de la force obligatoire, il s’impose donc aux parties qui n’ont d’autre choix que de l’exécuter.

À défaut, le créancier est fondé à saisir le juge afin, d’une part, qu’il constate l’inexécution et, d’autre part, qu’il commande au débiteur de s’exécuter, si besoin sous la contrainte.

Le nouvel article 1193 du Code civil tire deux conséquences de la force obligatoire du contrat : tant la modification que la révocation du contrat ne peut être que conjointe.

A) La modification du contrat

L’article 1193 du Code civil prévoit « les contrats ne peuvent être modifiés […] que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise »

Cela signifie que toute modification du contrat suppose un nouvel accord de volonté entre les parties. Deux conséquences peuvent être tirées de cette exigence de volonté commune :

  • D’une part, l’intangibilité du contrat neutralise la volonté unilatérale des parties
  • D’autre part, l’intangibilité du contrat cède sous la volonté commune des parties

Il en résulte que le principe d’intangibilité du contrat n’est pas sans tempérament.

1. Principe

L’intangibilité du contrat fait obstacle à ce que l’une des parties puisse, au moyen de sa seule volonté, modifier le contenu du contrat, quand bien même des circonstances objectives le justifieraient.

Ce principe repose sur l’idée que les parties ne s’auraient se départir de la loi contractuelle, sauf à porter atteinte au principe de force obligatoire du contrat

Aussi, appartient-il aux parties d’anticiper sur les difficultés qui pourraient survenir, notamment s’agissant des circonstances extérieures à leur volonté qui, au cours de l’exécution du contrat, sont susceptibles de rompre l’équilibre contractuel.

Pour se prémunir de cette situation la pratique a développé un certain nombre de clauses qui permettent de faire évoluer le contenu du contrat au gré des circonstances

2. Tempérament

Dire que le contrat est intangible ne signifie pas qu’il est définitivement figé et que rien ne pourrait venir le modifier.

Les parties sont parfaitement libres de prévoir que, en cas de survenance d’un événement donné, le contenu du contrat s’en trouvera modifié.

C’est ce que l’on appelle les clauses d’adaptation automatique, laquelle permet, comme son nom l’indique, une modification automatique des termes du contrat dès lors que la condition prévue dans l’accord s’est réalisée

Parmi ces clauses, on compte notamment :

  • La clause d’indexation
    • Il s’agit de la stipulation qui fait varier le prix en fonction d’un indice de référence désigné dans le contrat
  • La clause du client le plus favorisé
    • L’une des parties s’engage à faire bénéficier à son cocontractant des conditions plus favorables consenties à un autre client
  • La clause de l’offre concurrente
    • L’une des parties peut ici invoquer la proposition la plus favorable reçue d’un tiers, afin d’exiger de son partenaire, l’alignement sur cette proposition ou la résiliation ou suspension du contrat
  • La clause de renégociation
    • Il s’agit de la clause par laquelle les parties s’obligent à renégocier le contrat en cas de changement de circonstances, qu’elles tiennent pour essentielles.
    • Tel est l’objet de la clause de hardship qui permet à chaque partie de solliciter un réaménagement du contrat si un bouleversement des circonstances vient à modifier l’équilibre contractuel au point de faire subir à l’une d’elles une rigueur (hardship) injuste.
    • Contrairement aux précédentes clauses, cette stipulation n’emporte pas modification automatique du contrat.
    • Cette clause a seulement pour effet de contraindre les parties à renégocier les termes de leur accord initial.
    • Si elles n’y parviennent pas, deux hypothèses peuvent être envisagées :
      • Soit le contrat prend fin par l’effet d’une clause de résiliation
      • Soit le contrat est maintenu en l’état en l’absence d’une clause de résiliation
    • D’aucuns estiment, que l’obligation de renégociation serait de l’essence même du contrat, les parties étant notamment tenues à une obligation de loyauté, voire, selon certains, de solidarité.
    • Bien que la Cour de cassation se soit opposée fermement à cette approche solidariste du contrat, les partisans de cette thèse ont finalement obtenu gain cause avec la consécration, par l’ordonnance du 10 février 2016 de la fameuse théorie de l’imprévision.
    • Le nouvel article 1195 du Code civil prévoit en effet que, dorénavant, « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».

B) La révocation du contrat

1. Le principe du mutus dissensus

Comme exprimé précédemment, le principe d’intangibilité du contrat qui s’impose aux parties ne signifie pas que, une fois conclu, le contrat échappe définitivement à l’emprise des parties.

Ce que les parties ont fait conjointement, elles peuvent le défaire de la même manière.

C’est ce que l’on appelle le principe du mutus dissensus

Ce principe n’est autre que le corollaire de la force obligatoire.

Tout autant que la formation du contrat suppose la rencontre des volontés, sa révocation suppose cette même rencontre des volontés.

La question qui alors se pose est de savoir si les parties doivent observer un certain parallélisme des formes, lorsqu’elles envisagent conjointement une révocation du contrat ?

?Formalisme de la révocation

Dans un arrêt du 22 novembre 1960, la Cour de cassation a estimé « que si aux termes de l’article 1134, les conventions légalement formées ne peuvent être révoquées que par l’accord des contractants, semblable accord, qui n’est soumis à aucune condition de forme, peut être tacite et résulter des circonstances dont l’appréciation appartient aux juges du fond » (Cass. 1ère civ. 22 nov. 1960).

Ainsi, la Cour de cassation n’exige pas un parallélisme des formes.

Dans un arrêt du 18 juin 1994, la Cour de cassation a confirmé cette solution en affirmant que « la révocation d’un contrat par consentement mutuel peut être tacite et résulter des circonstances de fait souverainement appréciées par les juges du fond sans qu’il soit nécessaire d’en rapporter la preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 18 juin 1994, n°92-15.184).

Cass. 1ère civ. 18 juin 1994

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1134, alinéa 2, du Code civil ;

Attendu que le 16 novembre 1981, la société civile d’exploitation agricole des Masquières, aux droits de laquelle est la SCEA Saint-Benoît, a conclu avec la société Agri Gestion une convention par laquelle elle lui confiait la direction d’un domaine agricole ; que le contrat, conclu pour une durée de 5 années à compter du 1er janvier 1982, prévoyait pour la société Agri Gestion la faculté de rompre le contrat à tout moment moyennant l’obligation de respecter un préavis de 12 mois ou de payer une indemnité compensatrice correspondant à une année de rémunération ; que le 16 mai 1984, la société Agri Gestion a notifié à la SCEA des Masquières son intention de mettre fin au contrat ; qu’assignée par sa cocontractante le 23 mai 1989 en paiement de l’indemnité compensatrice de la rupture, la société Agri Gestion a soutenu que la convention avait été résiliée du commun accord des parties ;

Attendu que pour condamner la société Agri Gestion au paiement de l’indemnité réclamée, l’arrêt attaqué retient que cette société, qui se prétend libérée de son obligation, doit rapporter dans les termes de l’article 1341 du Code civil la preuve que la rupture est intervenue d’accord entre les parties ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la révocation d’un contrat par consentement mutuel des parties peut être tacite et résulter des circonstances de fait souverainement appréciées par les juges du fond, sans qu’il soit nécessaire d’en rapporter la preuve par écrit, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 mars 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse autrement composée.

?Effets de la révocation

Quel est l’effet de la révocation d’un contrat ?

Dans l’hypothèse où les parties ont réglé dans leur accord initial les conséquences de la révocation, leur volonté prime sur toute autre considération.

La difficulté survient, lorsqu’elles n’ont rien prévu.

Doit-on attacher à la révocation les mêmes effets qu’une résolution, soit un effet rétroactif ?

  • Principe : les contrats à exécution instantanée
    • La Cour de cassation a apporté une réponse positive à cette question en estimant que « les conventions peuvent être révoquées du consentement mutuel des parties, et que cette révocation produit le même effet que l’accomplissement d’une condition résolutoire, c’est-à-dire que les choses sont remises au même état que si l’obligation n’avait pas existé » (Cass. civ., 27 juill. 1892).
    • Ainsi, non seulement la révocation met fin pour l’avenir au contrat, mais encore elle produit un effet rétroactif.
    • Il y aura donc lieu de procéder à des restitutions afin de revenir au statu quo ante.
  • Exception : les contrats à exécution successive
    • Dans l’hypothèse où le contrat était à exécution successive, la jurisprudence considère que la révocation aura seulement pour effet de mettre fin au contrat que pour l’avenir (V. notamment en ce sens Cass. com., 1er févr. 1994, n°92-18.276)

2. Dérogations

À titre dérogatoire, le contrat peut être révoqué par une manifestation unilatérale de volonté : les dérogations peuvent être d’origine légale ou conventionnelle.

2.1 Les dérogations d’origine légale

La loi prévoit plusieurs dérogations au principe du mutus dissensus qui gouverne la révocation du contrat :

a. La faculté de résiliation unilatérale

Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, les parties disposent d’une faculté de résiliation unilatérale

Cette faculté qui déroge au principe de force obligatoire des contrats a pour fondement le principe de prohibition des engagements perpétuels.

Elle a été consacrée par le législateur lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016.

i. Le fondement de la faculté de résiliation unilatérale : la prohibition des engagements perpétuels

?Signification du principe

Le principe de prohibition des engagements perpétuels signifie que nul ne saurait être engagé indéfiniment dans des liens contractuels.

Le Doyen Carbonnier observait en ce sens que le Code civil de 1804 « ne paraît avoir envisagé pour les obligations, une fois nées, d’autre destin que de s’éteindre »[1].

Quelques dispositions éparses fondent cette analyse telle que l’article 1710 du Code civil qui prévoit, par exemple, que « on ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée ».

Aussi, tout contrat doit être borné dans le temps, quand bien même il aurait été conclu pour une durée indéterminée.

Dans son rapport annuel de l’année 2014 la Cour de cassation exprime parfaitement bien cette idée en affirmant que « la liberté contractuelle de choisir le temps pour lequel on s’engage s’enchâsse alors dans une limite maximale impérative, qui peut être légale (six ans pour les contrats de louage d’emplacement publicitaire, article L. 581-25 du code de l’environnement ; quatre-vingt-dix-neuf ans pour les sociétés civiles et commerciales, articles 1838 du code civil et L. 210-2 du code de commerce), ou prétorienne (quatre-vingt-dix-neuf ans pour les baux, Cass. 3e civ., 27 mai 1998, n°96-15.774), mais dont la mesure est toujours sensible à l’objet du contrat. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par engagement perpétuel.

Concrètement, les engagements perpétuels recoupent deux situations bien distinctes :

  • Soit le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, mais, par le jeu d’une clause, il ne permet pas l’exercice de la faculté de résiliation unilatérale
  • Soit le contrat a été conclu pour une durée déterminée, mais cette durée est anormalement longue

?Reconnaissance du principe

Le principe de prohibition des engagements perpétuels a été reconnu en trois temps :

  • Premier temps : la Cour de cassation
  • Deuxième temps : le Conseil constitutionnel
    • Le principe de prohibition des engagements perpétuel a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 9 novembre 1999 (Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC)
    • Les juges de la rue de Montpensier ont estimé, que « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties ».
  • Troisième temps : le législateur
    • Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a introduit un article 1210 dans le Code civil qui prévoit que
      • « les engagements perpétuels sont prohibés. »
      • « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »

?Effets du principe

Deux effets sont attachés au principe de prohibition des engagements perpétuels :

  • Lorsque le contrat est à durée déterminée
    • Dans l’hypothèse où le contrat comporte un terme, qui peut être tacite sous réserve que sa survenue soit certaine, le contrat s’éteint par l’arrivée de ce terme à la condition sine qua non que le terme prévu par les parties n’excède pas un éventuel plafond légal
    • À défaut, le contrat est réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée
    • Son extinction relève alors du pouvoir des parties, chacune disposant d’un droit de résiliation unilatérale pour se prémunir des dangers d’un engagement perpétuel.
  • Lorsque le contrat est à durée indéterminée
    • Dans cette hypothèse, chaque partie dispose de la faculté de mettre fin au contrat en sollicitant unilatéralement sa résiliation
    • Dans un arrêt du 31 mai 1994, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l’alinéa 3 du même texte, offerte aux parties » (Cass. com. 31 mai 1994, n°88-10.757)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle les parties ne sauraient déroger par clause contraire (Cass. 3e civ. 19 févr. 1992, n°90-16.148).

Cass. com. 31 mai 1994

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1134, alinéa 2, du Code civil ;

Attendu que, dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l’alinéa 3 du même texte, offerte aux parties ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Etablissements Gabriel et compagnie (la société), qui avait une activité industrielle à Lyon, a créé, en 1972, un restaurant d’entreprise dont elle a confié la gestion à M. X… à compter du 24 avril 1975, pour une durée indéterminée ; que par lettre du 23 novembre 1989 la société a informé M. X… du prochain transfert de l’entreprise à Reyrieux et lui a notifié que de ce fait le contrat de concession serait ” caduc ” ; que M. X…, soutenant que la résiliation de ce contrat était abusive, a demandé la condamnation de la société au paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient que l’article 12 du contrat litigieux prévoyait plusieurs cas de rupture ; que la société prétend se trouver dans la troisième hypothèse, c’est-à-dire la fermeture de ses établissements, mais qu’il s’agit d’un transfert et non d’une fermeture de l’entreprise ; qu’ainsi, en prenant unilatéralement la décision de supprimer, à l’occasion d’un simple transfert de locaux, et hors des cas de rupture prévus au contrat, le restaurant d’entreprise concédé à M. X… , la société a rompu abusivement la convention conclue avec ce dernier ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’abus de droit imputé à la société ne pouvait résulter du seul fait que la résiliation était intervenue en dehors des cas prévus au contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 décembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble.

?Sanction du principe

Sous l’empire du droit antérieur à la réforme des obligations, la sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels a fait l’objet d’une vive controverse

Trois sortes de sanctions ont été discutées par la jurisprudence et la doctrine :

  • Première sanction : la nullité totale
    • Cette sanction a été envisagée de nombreuses fois par la jurisprudence (v. notamment en ce sens Cass. 3e civ., 20 févr. 1991)
    • L’avantage de la nullité est qu’il s’agit d’une sanction suffisamment vigoureuse pour dissuader les agents de contrevenir au principe de prohibition des engagements perpétuels
    • Toutefois, cette sanction n’est pas sans inconvénient
    • Il peut, en effet, être observé que l’action en nullité est enfermée dans un certain délai
    • Cela signifie donc que si la prescription est acquise, l’action en nullité ne peut plus être exercée, ce qui dès lors produit l’effet inverse de celui recherché : l’engagement perpétuel que l’on cherchait à annuler ne peut plus être délié.
    • Il devient irrévocablement perpétuel.
  • Deuxième sanction : la nullité partielle
    • Afin de se prémunir de l’anomalie ci-dessus évoquée, la jurisprudence a circonscrit, dans certains arrêts la nullité à la seule clause qui contrevenait au principe de prohibition des engagements perpétuels.
    • Telle a été la solution rendue par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 7 mars 2006 (Cass. 1ère civ. 7 mars 2006, n°04-12.914).
    • La sanction de la nullité partielle ne pourra toutefois être prononcée qu’à la condition que la clause n’ait pas été déterminante du consentement des parties.
    • Si elle a été la cause « impulsive et déterminante » de leur engagement, le juge n’aura d’autre choix que d’annuler le contrat dans son ensemble (Cass. 1ère civ., 24 juin 1971, n°70-11.730).
    • Dans l’hypothèse où la nullité partielle pourra jouer, les contractants retrouveront la faculté de résiliation unilatérale propre aux contrats à durée indéterminée.
  • Troisième sanction : la réduction de la durée du contrat au maximum légal
    • Dans l’hypothèse où la durée du contrat excèderait le plafond prévu par la loi, le juge réduira cette durée d’autant qu’elle dépasse le maximum légal.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de prononcer cette sanction à plusieurs reprises (V. en ce sens Cass. com., 10 févr. 1998, 95-21.906).
    • Dans un arrêt du 13 novembre 2002 elle a notamment estimé que « le contrat de louage d’emplacement publicitaire ne peut être conclu pour une durée supérieure à six ans à compter de sa signature ; que la stipulation d’une durée plus longue est soumise à réduction » (Cass. 1re civ., 13 nov. 2002, n°99-21.816).
    • Si, de toute évidence, cette solution permet de surmonter les difficultés soulevées par la nullité totale ou partielle, elle n’est pas non plus à sans faille.
    • La possibilité de réduire la durée du contrat à hauteur du plafond légal n’est envisageable qu’à la condition que ce plafond existe.
    • Or pour la plupart des contrats aucun maximum de durée n’a été institué par le législateur.
    • Ainsi, apparaît-il que le champ d’application de la sanction qui consiste à réduire la durée du contrat est pour le moins restreint.

Au total, il ressort de l’examen général de chacune des mesures envisagées en guise de sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels qu’aucune d’elles n’était véritablement satisfaisante.

C’est la raison pour laquelle le législateur n’en a retenu aucune. Il a préféré emprunter une autre voie.

  • L’intervention du législateur
    • À l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a introduit un article 1210, al. 2 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit en contrepoint de l’alinéa 1er, lequel pose le principe de prohibition des engagements perpétuels, que « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »
    • Ainsi, la sanction d’un contrat conclu à titre perpétuel n’est autre que la requalification en contrat à durée indéterminée.
    • Les parties retrouvent alors leur faculté de résiliation unilatérale.
    • En cas d’exercice de cette faculté, elles ne seront toutefois pas dispensées d’observer l’exigence de préavis prévue à l’article 1211.

?Limites au principe

  • L’abus
    • Le principe de prohibition des engagements perpétuels est tempéré par l’obligation pour la partie qui entend exercer sa faculté de résiliation unilatérale de ne pas commettre d’abus.
    • Dans un arrêt du 15 novembre 1969 la Cour de cassation a par exemple estimé que le contractant « pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement » (Cass. com. 15 déc. 1969)
    • Elle a encore jugé dans un arrêt du 5 février 1985 que « dans les contrats a exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionne par l’alinea 3 de [l’ancien article 1134], offert aux deux parties » (Cass. 1ère civ. 5 févr. 1985, n°83-15.895).
  • Les relations commerciales établies
    • Dans le domaine des affaires, la faculté de rupture unilatérale est strictement encadrée, en particulier lorsque les relations commerciales sont dites établies.
    • L’article 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : […] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d’une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l’application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d’au moins un an dans les autres cas »

Cass. com. 15 déc. 1969

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1134 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que la société des établissements Castaing fils a concédé en septembre 1961 a valentin y… de la vente des appareils agricoles qu’elle fabriquait dans quatre départements du sud-est de la France ;

Que, par lettre du 13 avril 1965, la société Castaing, invoquant la faiblesse des résultats obtenus par a…, a dénoncé le contrat de 1961 en proposant a ce dernier de continuer à lui livrer le matériel qui pourrait lui être utile, mais sans exclusivité ;

Que a… et les deux sociétés qu’il avait constituées pour l’exercice de son activité commerciale, le comptoir industriel et agricole méditerranéen (ciam) et les établissements Paul a… ont alors fait assigner la société Castaing devant le tribunal de commerce en paiement de dommages-intérêts pour rupture unilatérale des conventions liant les parties, en demandant en outre que les établissements Castaing soient condamnes a reprendre les pièces détachées qu’ils avaient livrées a a… ou à ces deux sociétés ;

Attendu que le tribunal de commerce a fait droit a la demande concernant les pièces détachées mais a x… valentin et les deux sociétés susvisées de leur demande en dommages-intérêts en relevant notamment que le retrait d’exclusivité était justifié par l’absence complète de toute vente d’appareils au cours des années 1964 et 1965 succédant au nombre très réduit et en diminution constante et progressive des ventes réalisées au cours des trois années précédentes ;

Attendu que l’arrêt déféré infirme le jugement entrepris et ordonne une expertise pour rechercher notamment quelles diligences ont été faites par a… et ses sociétés concessionnaires pour implanter les produits Castaing dans le secteur concédé, si ces diligences étaient normales et suffisantes eu égard aux conditions du marché, aux motifs que si “le contrat étant a durée indéterminée, les établissements Castaing pouvaient le dénoncer de leur seule volonté, à condition de ne pas agir abusivement, et ce, sans avoir à s’adresser à justice” , et que “la seule question qui se pose est donc de savoir si cette dénonciation est justifiée par un motif légitime, tel qu’un manquement du concessionnaire a ses obligations, qu’a cet égard, la société Castaing est mal fondée a prétendre que celui-ci avait une obligation de résultat, qu’en effet, la convention ne prévoyait aucun chiffre d’affaires a réaliser par lui, que a…, n’était donc tenu que d’une obligation de diligence normale, eu égard aux usages de la profession et aux possibilités du marché des produits à vendre” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que, ayant déclaré à juste titre, que le concédant pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement, la cour d’appel ne pouvait imposer à ce dernier la charge de rapporter la preuve de l’existence d’un juste motif de résiliation du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale a sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le second moyen :

CASSE et ANNULE l’arrêt rendu entre les parties le 28 juin 1968 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

ii. La reconnaissance de la faculté de résiliation unilatérale : l’article 1211 du Code civil

La jurisprudence qui s’était fondée sur le principe de la prohibition des engagements perpétuels pour reconnaître aux parties une faculté de résiliation unilatérale en matière de contrat à durée indéterminée a été consacrée par le législateur lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016.

Le nouvel article 1211 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable. »

Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition. Une interrogation néanmoins subsiste.

?Premier enseignement : la reconnaissance d’un droit

La faculté de rupture unilatérale appartient aux deux parties qui dès lors sont mises sur un pied d’égalité

Qui plus est, il s’agit là d’une disposition d’ordre public à laquelle les contractants ne sauraient déroger par clause contraire.

?Second enseignement : le respect d’un délai de préavis

L’exercice de la faculté de rupture unilatérale est subordonné à l’observation d’un délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, raisonnable.

L’objectif poursuivi par le législateur est de permettre au cocontractant de disposer du temps nécessaire pour s’organiser.

La question qui inévitablement se posera à l’avenir est de savoir ce que l’on doit entendre par la notion de « délai raisonnable ».

Le délai raisonnable de l’article 1211 est-il le même que celui visé par l’article 442-6, I, 5° du Code de commerce en matière de rupture des relations commerciales établies ?

Ajouté à cela, en cas de litige, comment le juge va-t-il apprécier le caractère raisonnable du délai ?

?L’interrogation : la sanction

Silence volontaire ou non du législateur, l’article 1211 du Code civil ne dit mot sur la sanction dont est assortie une résiliation unilatérale fautive du contrat.

Deux solutions sont envisageables :

  • Première solution
    • La sanction d’une rupture contractuelle pourrait en l’allocation de dommages et intérêts au cocontractant
    • Toutefois, la résiliation du contrat serait réputée acquise, quelles que soient les circonstances, conformément au principe de prohibition des engagements perpétuels.
  • Seconde solution
    • Dans la mesure où la résiliation n’a pas été effectuée conformément aux formes requises, on pourrait estimer qu’elle est inefficace
    • Ainsi, le contrat serait maintenu, nonobstant l’exercice par la partie fautive de sa faculté de résiliation unilatérale
    • Il lui appartiendra alors de dénoncer une nouvelle fois le contrat en satisfaisant aux exigences de l’article 1211 du Code civil.

b. Le droit de rétractation

Il est certains cas où la loi offre à la possibilité à une partie de rétracter son consentement.

Lorsqu’elle est prévue par un texte, cette faculté de rétractation se justifie par le souci de protéger la partie faible du contrat.

La question qui s’est alors posée a été de savoir si le droit de rétractation constituait une atteinte au principe de force obligatoire du contrat

Deux thèses s’affrontent, dont l’une d’elles a été consacrée, d’abord par la jurisprudence, puis par le législateur :

  • Première thèse
    • Pour certains, dans la mesure où le contrat est réputé formé dès la rencontre de l’offre et de l’acceptation, le droit de rétractation doit s’analyser comme une faculté, pour l’acceptant, d’anéantir unilatéralement le contrat.
    • Il s’agirait donc bien d’une atteinte à la force obligatoire du contrat.
  • Seconde thèse
    • À l’inverse, pour les partisans de cette thèse, le contrat ne serait définitivement formé qu’à l’expiration du délai de rétractation.
    • Il en résulte que le droit de rétractation ne porterait nullement atteinte à la force obligatoire du contrat qui, par définition, n’existe pas encore.
  • La jurisprudence
    • Dans un arrêt du 10 juin 1992, la Cour de cassation a estimé que s’agissant d’un contrat de vente que « le contrat était formé dès la commande », nonobstant l’existence d’un droit de rétractation (Cass.1ère civ. 10 juin 1992).
    • Ainsi, la haute juridiction considère-t-elle que la formation du contrat est acquise dès l’échange des consentements, soit lorsque les parties se sont entendues sur les éléments essentiels du contrat.
    • Le droit de rétractation porterait donc bien atteinte au principe de force obligatoire du contrat.
  • Le législateur
    • À l’examen, l’ordonnance du 10 février 2016 semble opiner dans le sens de la Cour de cassation
    • Car si le délai de rétractation est celui « avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement », cela signifie, implicitement, que pour pouvoir « rétracter son consentement », le destinataire de l’offre doit, au préalable, l’avoir exprimé.
    • Or, conformément au principe du consensualisme, le contrat est réputé formé dès l’échange des consentements des parties.
    • Si dès lors, le législateur avait estimé que l’existence d’un droit de rétractation faisait obstacle à la formation du contrat, il est peu probable qu’il ait associé cette faculté à la manifestation du consentement de l’acceptant.
    • Dès lors, il apparaît que le délai de rétractation n’interdit pas au destinataire de l’offre de consentir au contrat qui lui est proposé.
    • Ce délai lui offre seulement la faculté de se rétracter pendant une période déterminée.
    • En conséquence, la faculté de rétractation que la loi offre, dans certains cas, à la partie faible au contrat est bien constitutive d’une atteinte au principe de force obligatoire du contrat.

Types de contrats Délais de réflexion ou de rétractation Modalités de renonciation: sur papier libre, par courrier recommandé avec avis de réception (AR)
Crédit à la consommationRétractation : 14 jours
à compter du jour de l'acceptation de l’offre préalable de contrat de crédit
Renvoi du bordereau de rétractation détachable à l’organisme prêteur, sous pli recommandé avec avis de réception
Construction et acquisition d'un logement à usage d'habitation (comptant ou crédit)Rétractation : 10 jours
à compter du lendemain de la première présentation de la lettre ayant pour objet l'acquisition ou la construction de l'immeuble à usage d'habitation (l'acte doit avoir été adressé à l’acquéreur par lettre recommandée avec avis de réception).
Par lettre recommandée avec avis de réception
Construction d’une maison individuelleRétractation : 10 jours
à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte (l'acte doit avoir été adressé à l’acquéreur par lettre recommandée avec avis de réception).
Par lettre recommandée avec avis de réception
Contrats conclus hors établissement (domicile, travail, excursion, lieux inhabituels de vente, etc.)

ou

Contrats conclus à distance (télé-Achat, internet, vente par correspondance, démarchage téléphonique, etc.)
Délai de rétractation de 14 jours

- à compter de la conclusion du contrat pour les prestations de service (+ contrats d’eau, de gaz ou d’électricité, de chauffage urbain, et de contenu numérique non fourni sur un support matériel)

- à compter de la réception du bien pour les contrats de vente de bien ou de prestation de service impliquant la livraison d’un bien

- à compter de la réception du dernier bien ou lot lors de livraison séparée de plusieurs biens ou d’une commande composée de lot/pièce à livraison échelonnée

- à compter de la réception du premier bien lors de livraison régulière de biens sur une période définie.

Prolongation du délai de 12 mois

Lorsque l’information précontractuelle du consommateur sur son droit de rétractation n’a pas été respectée par le professionnel. Si ce dernier informe le consommateur pendant la prolongation, le délai de rétractation expire après un délai de 14 jours à compter de la réception des informations.
Renvoi du formulaire type de rétractation

Ou

Envoi d’une déclaration dénuée d’ambiguïté exprimant sa volonté de se rétracter

Ou

Formulaire en ligne : le professionnel peut permettre au consommateur de remplir et de transmettre en ligne, sur son site internet, le formulaire. Dans ce cas, il accuse réception de la rétractation du consommateur sur un support durable.

Il n’y a pas d’exigence de forme pour l’envoi du formulaire ou de la déclaration de rétractation, mais en cas de litige c’est au consommateur d’apporter la preuve de sa rétractation. Il convient donc d’utiliser un mode d’envoi permettant cette preuve (courrier recommandé avec accusé de réception ou courrier électronique)
Assurance vieRétractation : 30 jours calendaires révolus à compter du jour où le souscripteur est informé de la conclusion du contrat.Par lettre recommandée avec avis de réception.
Remboursement de la prime se fait dans un délai d’un mois à compter de la réception de la lettre recommandée.
Agences matrimoniales/
Courtage matrimonial
Rétractation :
- 7 jours
à compter de la signature du contrat en agence (AUCUN VERSEMENT ne peut être exigé pendant ce délai)

- 14 jours
à compter de la signature du contrat sur internet, à distance ou hors établissement commercial (AUCUN VERSEMENT ne peut être exigé pendant le délai de 7 jours)
Par lettre recommandée avec avis de réception
Contrats de jouissance de biens immobiliers en temps partagéRétractation : 14 jours
à compter du jour de la conclusion du contrat.
Aucun versement ou engagement du versement à quelque titre ou sous quelque forme que ce soit ne peut avoir lieu durant ce délai de rétractation
Renvoi du formulaire de rétractation détachable sous pli recommandé avec avis de réception.

2.2 Les dérogations d’origine conventionnelle

?La clause de dédit (contrats à exécution instantanée)

La clause de dédit est une stipulation, qui généralement opère dans les contrats à exécution instantanée, par laquelle l’une des parties se voit conférer le droit de se délier unilatéralement de son engagement avant l’exécution du contrat, moyennant le paiement d’une indemnité.

La clause de dédit doit être distinguée de la clause prévoyant une indemnité d’immobilisation à la faveur du bénéficiaire d’une promesse contractuelle, dans l’hypothèse où l’option ne serait pas levée.

  • S’agissant de la clause de dédit, elle n’a de sens que si le contrat est déjà formé.
    • Pour qu’une partie puisse se dédire, encore faut-il qu’elle soit engagée contractuellement.
  • S’agissant de l’indemnité d’immobilisation, elle n’intervient que dans le cadre d’une promesse de contrat, soit lorsque celui-ci n’est, par définition, par encore formé
    • Elle correspond, pour le débiteur de la promesse, au prix à payer pour exercer son droit de ne pas contracter.

?La clause de résiliation (contrats à exécution successive)

La clause de résiliation est une stipulation, qui généralement opère dans les contrats à exécution successive, qui offre la possibilité aux parties de mettre fin au contrat unilatéralement et discrétionnairement

  • S’agissant des contrats à durée déterminée, cette clause permet de révoquer le contrat avant l’arrivée du terme
  • S’agissant des contrats à durée indéterminée, cette clause facilite le droit de résiliation unilatérale dont sont, de plein droit titulaires les parties, conformément au principe de prohibition des engagements perpétuels

Dans les deux cas, aucune atteinte à la force obligatoire du contrat ne peut être relevée, dans la mesure où la clause de résiliation procédure de la volonté conjointe des parties.

II) La force obligatoire à l’égard du juge

La force obligatoire ne produit pas seulement des effets à l’égard des parties, elle a également des conséquences pour le juge qui tiennent :

  • d’une part, à l’interprétation du contrat
  • d’autre part, à la révision du contrat

A) L’interprétation du contrat

En matière contractuelle, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification à une clause du contrat.

En cours d’exécution, il est possible que la rédaction d’une ou plusieurs stipulations apparaisse maladroite, sibylline, voire incomplète, de sorte que la compréhension du contenu des obligations des parties s’en trouverait malaisée.

Aussi, conviendra-t-il d’interpréter le contrat, soit pour en élucider le sens, soit pour en combler les lacunes.

  • Dans le premier cas, il s’agira d’une interprétation explicative : la recherche de la signification du contrat devra être effectuée en considération de la volonté des parties
  • Dans le second cas, il s’agira de combler les lacunes du contrat : l’interprétation du juge deviendra alors créatrice, de sorte qu’il n’aura d’autre choix que de s’écarter de la volonté des parties et d’interpréter le contrat à la lumière de la loi, l’équité et les usages

1. L’interprétation explicative au nom de la volonté des parties

Lorsque le juge se livre à une interprétation explicative du contrat, son pouvoir est encadré par deux règles auxquelles il ne saurait déroger sous aucun prétexte, sous peine de censure par la Cour de cassation :

  • La recherche exclusive de la commune intention des parties
  • L’interdiction absolue de dénaturer le sens ou la portée de stipulations claires et précise

1.1 La recherche de la commune intention des parties

a. Principe

i. Principe cardinal

Aux termes de l’article 1188, al. 1er du Code civil « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. »

Cette disposition exprime l’objectif qui doit toujours être poursuivi par le juge lorsqu’il interprète le contrat : la recherche de l’intention des parties.

Aussi, est-ce la méthode subjective qui, lorsque cela est possible, doit toujours prévaloir sur toutes autres considérations.

Cela signifie donc que la recherche de la commune intention des parties doit primer :

  • d’une part, sur le sens littéral des termes du contrat
  • d’autre part, sur l’équité à laquelle le juge pourrait être tenté de succomber

Afin de parvenir à interpréter le contrat à la lumière de cette commune intention des parties qui ne sera pas toujours aisé de déceler, le législateur lui a adressé un certain nombre de directives complémentaires, énoncées aux articles 1189 à 1191 du Code civil.

ii. Directives complémentaires

?Première directive : l’interprétation en considération de la globalité du contrat ou de l’ensemble contractuel

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le contrat est conclu de manière isolée
    • Dans cette hypothèse, l’article 1189, al. 1er du Code civil prévoit que « toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. »
    • Cela signifie que les stipulations contractuelles ne doivent pas être interprétées isolément en faisant abstraction de l’environnement contractuel dans lequel elles s’insèrent.
    • Chaque clause appartient à tout, en conséquence de quoi l’interprétation du contrat doit être envisagée de manière globale
    • Lorsque, dès lors, le juge se livre à l’interprétation d’une stipulation en particulier, il doit veiller à ce que la signification qu’il lui confère ne heurte pas la cohérence du contrat.
  • Le contrat appartient à un ensemble contractuel
    • L’ordonnance du 10 février 2016 a anticipé cette hypothèse en posant à l’article 1189, al. 2 du Code civil que « lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. »
    • Ainsi, c’est au regard de l’ensemble contractuel pris dans sa globalité que les contrats qui le composent doivent être interprétés.

?Deuxième directive : l’interprétation en considération de l’utilité de la clause

Aux termes de l’article 1191 du Code civil, « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun. »

Cette directive adressée au juge relève manifestement du bon sens

À quoi bon donner un sens à une clause qui serait dépourvue d’effet au détriment d’une stipulation qui produirait un effet utile ?

Cette règle vise, manifestement, à remplacer celle posée par l’ancien article 1157 du Code civil qui prévoyait que « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun »

Cet article était lui-même inspiré de l’adage « actus interpretandus est potius ut valeat quam ut pereat » : un acte doit être interprété plutôt pour qu’il produise un effet que pour qu’il reste lettre morte

?Troisième directive : l’interprétation en considération de la qualité d’une partie

Aux termes de l’article 1190 du Code civil « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »

Cette disposition est directement inspirée de l’ancien article 1162 du Code civil qui prévoyait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »

À la différence de l’article 1162, l’article 1190 distingue désormais selon que le contrat est de gré à gré ou d’adhésion.

  • S’agissant du contrat de gré à gré
    • Il ressort de l’article 1190 que, en cas de doute, le contrat de gré à gré doit être interprété contre le créancier
    • Ainsi, lorsque le contrat a été librement négocié, le juge peut l’interpréter en fonction, non pas de ses termes ou de l’utilité de la clause litigieuse, mais de la qualité des parties.
    • Au fond, cette règle repose sur l’idée que, de par sa qualité de créancier, celui-ci est réputé être en position de force par rapport au débiteur.
    • Dans ces conditions, aux fins de rétablir l’équilibre, il apparaît juste que le doute profite au débiteur.
    • Il peut être observé que, sous l’empire du droit ancien, l’interprétation d’une clause ambiguë a pu conduire la Cour de cassation à valider la requalification de cette stipulation en clause abusive (Cass. 1er civ. 19 juin 2001, n°99-13.395).
    • Plus précisément, la première chambre civile a estimé, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [qu’en] affranchissant dans ces conditions le prestataire de services des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives ».
  • S’agissant du contrat d’adhésion
    • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
    • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
    • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (art. 1110, al. 2 C. civ.)
    • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
    • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.
    • Cette règle n’est pas isolée
    • L’article L. 211-1 du Code de la consommation prévoit que
      • D’une part, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. »
      • D’autre part, « elles s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables aux procédures engagées sur le fondement de l’article L. 621-8. »
    • Dans un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n°00-13.342 et 00-19.001)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public.
    • La question que l’on est alors légitimement en droit de se poser est de savoir s’il en va de même pour le nouvel article 1190 du Code civil.

Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 133-2, alinéa 2, du Code de la consommation ;

Attendu, selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel ;

Attendu que le 26 juin 1984, M. X… a souscrit auprès de la compagnie Préservatrice Foncière assurances (PFA Vie) deux contrats d’assurance de groupe garantissant en cas de décès et d’invalidité permanente totale, le versement d’un capital ; qu’il a cédé, le même jour, le bénéfice de l’un des contrats à la société Union pour le financement d’immeubles de sociétés (UIS) ; que M. X…, atteint d’une sclérose en plaque, a cessé son activité professionnelle en 1994, a été placé en invalidité et a sollicité la mise en oeuvre des garanties contractuelles ; que s’étant heurté à un refus de la compagnie d’assurances faisant valoir qu’il ne remplissait pas la double condition prévue au contrat, il a fait assigner cette dernière, le 17 septembre 1996, devant le tribunal de grande instance ;

Attendu qu’il résulte des énonciations mêmes de l’arrêt attaqué qui a débouté M. X… de sa demande, que la clause définissant le risque invalidité était bien ambiguë de sorte qu’elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable à M. X… ;

qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Agen ;

B. Tempérament

L’obligation de recherche pour le juge de la commune intention des parties n’est pas sans tempérament.

Il est des situations où faute de stipulations suffisamment claires et précises, les directives d’interprétation complémentaires ne lui seront d’aucun secours.

Le législateur a anticipé cette hypothèse en prévoyant à l’article 1188, al.2 que « lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »

Aussi, cette disposition autorise-t-elle le juge à s’écarter de la méthode d’interprétation subjective à la faveur de la méthode objective.

Plus précisément, lorsque la recherche de la commune intention des parties se heurte à l’ambiguïté du corpus contractuel, le juge peut se reporter à l’intention susceptible d’être prêtée à « une personne raisonnable » ?

Que doit-on entendre par « personne raisonnable »? Il s’agissait, autrefois, du bon père de famille. Cet élément posé, cela ne nous renseigne pas plus sur le sens de cette formule.

Quoi qu’il en soit, cette possibilité pour le juge de se reporter à l’intention d’une « personne raisonnable » est conditionnée par l’impossibilité de rechercher la commune intention des parties.

L’article 1188 du Code civil institue ainsi clairement une hiérarchie entre la méthode d’interprétation subjective et objective.

1.2 L’interdiction de dénaturer le sens et la portée de stipulations claires et précises

Aux termes de l’article 1192 du Code civil « on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Cette disposition doit être comprise comme posant une limite au pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière contractuelle : l’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

?Le pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière d’interprétation

En principe, l’interprétation des contrats est une question abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond.

Cette règle se justifie par le fait que la Cour de cassation n’a pas vocation à connaître « du fond » des litiges. Or l’interprétation d’un contrat relève clairement d’une question de fond, sinon de fait.

La norme contractuelle ne produit, effectivement, qu’un effet relatif, en ce sens qu’elle ne s’applique qu’aux seules parties. Le contrat, bien qu’opposable aux tiers, ne crée aucune obligation à leur égard, sinon celle de ne pas faire obstacle à son exécution.

Il en résulte que l’on ne saurait voir dans l’interprétation de la norme contractuelle une question de droit, comme c’est le cas d’une règle d’application plus générale telle que, par exemple, une convention collective.

Dès lors, l’interprétation d’une stipulation obscure ou ambiguë échappe totalement au contrôle de la Cour de cassation, sauf à ce que les juges du fond aient dénaturé le sens du contrat.

?L’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

Si donc l’interprétation des contrats est, en principe, une question de fait abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond pour les raisons précédemment évoquées, après quelques atermoiements (V. en ce sens notamment Cass. ch. réunies, 2 févr. 1808) la Cour de cassation s’est reconnu le droit de censurer les décisions qui modifient le sens de clauses claires et précises.

Dans un célèbre arrêt du 15 avril 1872, elle a ainsi jugé « qu’il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes de ces conventions sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent, et de modifier les stipulations qu’elles renferment » (Cass. civ. 15 avr. 1872).

Autrement dit, il est fait défense aux juges du fond d’altérer le sens du contrat, sous couvert d’interprétation, pour des considérations d’équité, dès lors que les stipulations sont suffisamment claires et précises.

C’est là le sens de la règle qui a été consacrée à l’article 1192 du Code civil. Antérieurement à la réforme des obligations, cette règle avait pour fondement l’ancien article 1134, car elle n’est autre que l’émanation du principe de force obligatoire du contrat.

Parce que le contrat est intangible, la liberté du juge doit être limitée dès lors qu’il s’agit de conférer une signification à l’acte.

2. L’interprétation créatrice au nom de la loi, de l’équité et les usages

En cas de lacunes et de silence du contrat, il est illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

Tel est le sens de l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. ». Il est manifestement formulé dans les mêmes termes que l’ancien article 1135 du Code civil.

En somme, cette disposition autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

?Le forçage du contrat ou le pouvoir créateur du juge

L’histoire du droit civil moderne révèle que l’ancien article 1135, désormais 1194, a joué en rôle central dans l’évolution de la jurisprudence.

Son œuvre créatrice en matière contractuelle est, pour une large part, assise sur cette disposition qui permet au juge d’étendre le champ contractuel bien au-delà de ce qui était initialement prévu par les parties.

  • Exemple :
    • afin d’éviter à la victime d’un accident de transport de devoir prouver la faute du transporteur pour obtenir réparation, les tribunaux ont découvert dans le contrat de transport une obligation de sécurité, qualifiée de résultat.
    • La victime est, de la sorte, dispensée de rapporter la preuve d’une faute.
    • C’est ici clairement l’équité qui a fondé l’adjonction de cette obligation, alors même qu’elle n’était pas prévue au contrat.
    • Pour autant, la jurisprudence a estimé qu’elle n’en résultait pas moins de sa nature (Cass. civ. 21 nov. 1911)

Cass. civ. 21 nov. 1911

Sur l’unique moyen du pourvoi :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué, il résulte que le billet de passage remis, en mars 1907, par la Compagnie Générale Transatlantique à Y… Hamida X…, lors de son embarquement à Tunis pour Bône, renfermait, sous l’article 11, une clause, attribuant compétence exclusive au tribunal de commerce de Marseille pour connaître des difficultés auxquelles l’exécution du contrat de transport pourrait donner lieu ;

Qu’au cours du voyage, Y… Hamida, à qui la Compagnie avait assigné une place dans le sous-pont, à côté des marchandises, a été grièvement blessé au pied par la chute d’un tonneau mal arrimé ;

Attendu que, quand une clause n’est pas illicite, l’acceptation du billet sur lequel elle est inscrite, implique, hors les cas de dol ou de fraude, acceptation, par le voyageur qui la reçoit, de la clause elle-même ;

Que, vainement, l’arrêt attaqué déclare que les clauses des billets de passage de la Compagnie Transatlantique, notamment l’article 11, ne régissent que le contrat de transport proprement dit et les difficultés pouvant résulter de son exécution, et qu’en réclamant une indemnité à la Compagnie pour la blessure qu’il avait reçue, Y… agissait contre elle non “en vertu de ce contrat et des stipulations dont il lui imputait la responsabilité” ;

Que l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination, et que la cour d’Alger constate elle-même que c’est au cours de cette exécution et dans des circonstances s’y rattachant, que Y… a été victime de l’accident dont il poursuit la réparation ;

Attendu, dès lors, que c’est à tort que l’arrêt attaqué a refusé de donner effet à la clause ci-dessus relatée et déclaré que le tribunal civil de Bône était compétent pour connaître de l’action en indemnité intentée par Y… Hamida contre la Compagnie Transatlantique ; Qu’en statuant ainsi, il a violé l’article ci-dessus visé.

Par ces motifs, CASSE,

Au nombre de ces obligations découvertes par la jurisprudence on compte notamment :

  • L’obligation de sécurité
  • L’obligation d’information
  • L’obligation de conseil
  • L’obligation de renseignement

S’agissant de l’œuvre créatrice des juges du fond, le contrôle de la Cour de cassation s’en trouve nécessairement renforcé.

La haute juridiction peut, sans aucune difficulté, censurer des tribunaux pour avoir découvert une obligation qu’elle n’entendait pas consacrer ou, au contraire, pour avoir refusé de reconnaître une obligation qu’elle souhaitait imposer.

Quoi qu’il en soit, cette faculté dont dispose le juge de découvrir des obligations non prévues par les parties, conduit à se demander ce qu’il reste du principe d’intangibilité des conventions.

Sous couvert d’équité, de loyauté ou encore de bonne foi, la jurisprudence a de plus en plus tendance à user de la technique du forçage du contrat afin d’en modifier les termes, ce qui, dans certains cas, est susceptible de produire les mêmes effets qu’une révision.

B) La révision du contrat

1. Problématique

Le juge peut-il, de sa propre initiative, réviser le contrat ? La réponse est à double détente.

?Première détente

Le juge pourra modifier le contrat toutes les fois qu’il sera investi de ce pouvoir par la loi.

Manifestement, ces dernières années, les textes qui lui ont octroyé cette faculté se sont multipliés

Trois textes illustrent parfaitement de cette évolution :

  • L’article 1194, anciennement 1135 du Code civil prévoit par exemple que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce qui signifie que le juge peut, sur ce fondement, mettre à la charge des parties des obligations qui n’auraient éventuellement pas été prévues initialement dans le contrat (on pense notamment à l’obligation d’information).
  • L’article 1231-5 du Code civil, confère encore au juge un pouvoir de révision de la clause pénale dans l’hypothèse où elle serait dérisoire ou excessive.
  • L’article 1171 du Code civil, permet également au juge de prononcer la nullité d’une clause abusive.

La liste n’est pas exhaustive ; d’autres textes confèrent au juge la faculté de réviser un contrat.

À la vérité, la difficulté n’est pas là, ce qui nous amène à la seconde détente de notre réponse

?Seconde détente

Quid dans l’hypothèse où le juge n’est investi par aucun texte du pouvoir de modifier le contrat ?

Plus précisément, le juge peut-il réviser le contrat lorsque l’évolution des circonstances a rompu l’équilibre contractuel initial ?

C’est toute la question de la révision du contrat pour imprévision

Cette question a, jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, fait l’objet d’un vif débat doctrinal et jurisprudentiel.

Ce débat a particulièrement été prégnant dans l’entre-deux-guerres, période de grande instabilité économique et politique.

Ajouté à cela l’érosion monétaire, le risque pour les parties de voir à moyen terme, voire à court terme, l’équilibre contractuel rompu en raison d’un bouleversement des circonstances économique était pour le moins élevé.

D’où la discussion relative à la théorie de l’imprévision qui, jusqu’à la réforme des obligations, n’a jamais vraiment cessé.

Bien au contraire, cette discussion a été abondamment nourrie.

2. La discussion par la doctrine de la théorie de l’imprévision

Plusieurs arguments ont été avancés par les réfractaires et les défenseurs de la théorie de l’imprévision :

a. Les arguments contre l’admission de la théorie de l’imprévision

?La force obligatoire du contrat

Le principe de force obligatoire du contrat commande aux parties de respecter la parole donnée.

Aussi, ne sauraient-elles, au nom de la force obligatoire du contrat, revenir sur leur engagement.

Quand bien même des circonstances extérieures à la volonté des contractants viendraient bouleverser l’économie du contrat, seul le mécanisme du mutus dissens peut de défaire ce qui a été fait.

Qui plus est, rien n’empêche les parties d’anticiper sur la survenance de telles circonstances en stipulant dans le contrat une clause de hardship (renégociation)

À cet effet, ne pourrait-on pas voir l’absence de pareille clause, comme un manque de diligence ?

Autre argument contre l’admission de la théorie de l’imprévision, il est de l’essence des contrats à exécution successive d’être soumis à un aléa.

Le problème de l’imprévision est, par conséquent, susceptible de se présenter chaque fois que conditions dans lesquelles les parties ont contracté se trouvent modifiées et qu’il en résulte un déséquilibre grave de leurs prestations.

D’une certainement manière, admettre la théorie de l’imprévision aurait pour effet d’instituer la règle selon laquelle le contrat doit être révisé dès lors que l’équilibre contractuel a été rompu.

Aussi, cela reviendrait finalement à sacrifier le principe de force obligatoire du contrat sur l’autel de l’équité.

Les facteurs s’en trouveraient alors inversés.

Pour rappel, le principe c’est que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » (art. 1103 C. civ) et l’exception que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. » (art. 1194 C. civ.)

L’admission de la théorie de l’imprévision aurait pour conséquence de modifier l’articulation de la règle.

Enfin, à supposer que l’on admette la théorie de l’imprévision, cela supposerait que l’on octroie la faculté au juge de réviser le contrat.

Or le principe de force obligatoire a pour conséquence d’interdire au juge, hors des cas expressément prévus par la loi, de s’immiscer dans le contrat

?Le principe de non-immixtion du juge

Du principe de force obligatoire on en déduit la règle de non-immixtion du juge dans les rapports contractuels.

Selon cette règle, le juge n’est pas habilité à substituer sa propre volonté à celle des parties.

Tout au plus, il lui est possible de leur apporter son concours quant à l’interprétation du contrat.

Il ne saurait néanmoins réécrire les stipulations contractuelles qui lui sont soumises, sauf à s’exposer au couperet de la cassation pour dénaturation des termes du contrat.

Le contrat est la chose exclusive des parties.

Le juge ne saurait en conséquence avoir un droit de regard sur lui.

Surtout, admettre que le juge puisse réviser le contrat serait porteur d’insécurité juridique.

D’où la défiance des rédacteurs du Code civil à l’égard du juge en matière contractuelle.

Son rôle doit se cantonner à la vérification des conditions de validité du contrat et au contrôle de sa bonne exécution.

En dehors de ces deux hypothèses, le juge ne doit pas interférer avec les prévisions des parties.

b. Les arguments pour l’admission de la théorie de l’imprévision

?La clause rebus sic stantibus

Il s’agit d’une clause qui aurait été tacitement convenue par les parties.

Elle subordonnerait l’exécution du contrat au maintien des circonstances économiques existant au jour de la conclusion de l’accord.

Cette clause a été théorisée et défendue notamment par Saint-Thomas d’Aquin

Certains auteurs ont été jusqu’à estimer que le changement des circonstances économiques constituerait une cause d’extinction du contrat

Larombière a affirmé en ce sens que « les obligations s’éteignent encore par la survenance de circonstances telles que les parties n’auraient pas contracté, si elles les avaient prévues »[2]

?La cause du contrat

Autre argument pour l’admission de la théorie de l’imprécision, les parties auraient contracté en considération de certaines circonstances qui constituent la cause de leur engagement

Or cette cause ne doit pas être seulement présente au moment de la formation du contrat, elle doit continuer à exister lors de son exécution.

Si dès lors, les circonstances économiques étaient amenées à changer de manière significative, le contrat s’en trouverait privé de cause ce qui justifierait, a minima, qu’une obligation de renégociation pèse sur les parties

?La bonne foi

Les parties étant tenues d’exécuter les conventions de bonne foi, il découlerait de cette exigence une obligation de renégociation du contrat en cas de bouleversement des circonstances économiques

Il ne s’agit pas d’imposer au cocontractant une modification qu’il n’aurait pas acceptée.

Il est seulement question de l’inviter à discuter de l’adaptation des termes du contrat aux nouvelles circonstances économiques qui portent atteinte à l’équilibre contractuel, alors même qu’il a été initialement voulu par les parties.

?L’équité

Selon la célèbre formule de Fouillé : « qui dit contractuel dit juste ».

Toutefois, qu’est-ce qu’il y aurait de juste à maintenir en l’état un contrat dont l’équilibre a été rompu par des circonstances extérieures à la volonté des parties ?

Aussi, l’équité, qui a toujours figuré en bonne place dans le Code civil, commanderait que le juge découvre une obligation de renégociation ou de restaurer l’équilibre contractuel en considération duquel les parties se sont engagées.

Il ne s’agirait pas d’introduire par une voie détournée la lésion, celle-ci ne s’appréciant qu’au jour de la formation du contrat, mais seulement de restaurer l’équité qui a été rompue au cours de l’exécution.

?Droit étranger

Dans de nombreux droits étrangers, la théorie de l’imprévision a été admis, sans pourtant qu’ait été engendrée l’insécurité juridique tant redoutée par les juristes

C’est ainsi le cas en Allemagne, en Suisse, en Grande-Bretagne, en Italie ou encore en Grèce et au Portugal.

Pourquoi pas, dès lors, ne pas admettre la théorie de l’imprévision en droit français ?

3. Le rejet par la jurisprudence civile de la théorie de l’imprévision

Bien que la jurisprudence civile ait toujours rejeté la théorie de l’imprévision au nom du sacro-saint principe d’intangibilité des conventions, certains auteurs ont cru déceler dans ses dernières décisions – à tort ou à raison – un léger fléchissement de sa position.

i. Première étape : l’arrêt Canal de Craponne du 6 mars 1876

Cass. civ., 6 mars 1876

Sur le premier moyen du pourvoi :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que la disposition de cet article n’étant que la reproduction des anciens principes constamment suivis en matière d’obligations conventionnelles, la circonstance que les contrats dont l’exécution donne lieu au litige sont antérieurs à la promulgation du Code civil ne saurait être, dans l’espèce, un obstacle à l’application dudit article ;

Attendu que la règle qu’il consacre est générale, absolue et régit les contrats dont l’exécution s’étend à des époques successives de même qu’à ceux de toute autre nature ;

Que, dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse apparaître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants ;

Qu’en décidant le contraire et en élevant à 30 centimes de 1834 à 1874, puis à 60 centimes à partir de 1874, la redevance d’arrosage, fixée à 3 sols par les conventions de 1560 et 1567, sous prétexte que cette redevance n’était plus en rapport avec les frais d’entretien du canal de Craponne, l’arrêt attaqué a formellement violé l’article 1134 ci-dessus visé ;

Par ces motifs, casse, dans la disposition relative à l’augmentation du prix de la redevance d’arrosage, l’arrêt rendu entre les parties par la Cour d’appel d’Aix le 31 décembre.

?Faits

Des contrats conclus au 16ème siècle obligeaient le propriétaire d’un canal d’irrigation à fournir de l’eau à la société la Plaine moyennant une certaine redevance.

À la fin du 18ème siècle, cette redevance était toutefois devenue purement symbolique en raison de la forte dépréciation monétaire et corrélativement de l’augmentation significative des frais d’entretien.

?Demande

Le propriétaire demande aux tribunaux la révision à la hausse de la redevance fixée trois siècles auparavant.

?Procédure

Par un arrêt du 31 décembre 1875, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence fait droit à la demande du propriétaire du canal.

Les juges du fond relèvent que, en l’espèce, le contrat litigieux était à exécution successif, de sorte qu’il ne rentrerait pas dans le champ d’application de l’article 1134.

Aussi, selon eux, cette catégorie de contrat pourrait parfaitement faire l’objet d’une révision par le juge dès lors qu’avec l’écoulement du temps et le changement des circonstances, il n’existerait plus de corrélation entre les redevances et les charges.

?Solution

Par un arrêt du 6 mars 1876, la Cour de cassation casse et annulé l’arrêt de la Cour d’appel.

Au visa de l’article 1134 du Code civil, la chambre civile estime que :

  • D’une part, la règle que cette disposition « consacre est générale, absolue et régit les contrats dont l’exécution s’étend à des époques successives de même qu’à ceux de toute autre nature »
  • D’autre part, « que dans aucun cas, il n’appartient aux tribunaux, quelque équitable que puisse apparaître leur décision, de prendre en considération le temps et les circonstances pour modifier les conventions des parties et substituer des clauses nouvelles à celles qui ont été librement acceptées par les contractants »

La Cour de cassation en conclut que la révision du contrat à laquelle s’étaient livrés les juges du fond était inopérante.

Ainsi, rejette-t-elle en bloc la théorie de l’imprévision en brandissant avec force le principe d’intangibilité du contrat.

Elle se conforme de la sorte à la pensée d’Ulpien qui autrefois observait qu’il faut respecter dans le contrat ce qui a été initialement convenu parce que le contrat donne une loi sûre aux parties.

Autrement dit, rien ne saurait déroger à la loi contractuelle qui apporte aux parties ce dont elles ont le plus besoin : prévisibilité et sécurité.

?Portée

À la suite de l’arrêt Canal de Craponne, la Cour de cassation réitéra cette solution à maintes reprises.

Dans un arrêt du 6 juin 1921, elle a par exemple refusé de valider la décision d’une Cour d’appel qui avait accédé à la demande de révision d’un bail portant sur du cheptel.

Les juges du fond avaient justifié leur décision en considérant que lors de la conclusion du contrat « les parties, en contractant, n’avaient pu prévoir l’augmentation extraordinaire du prix des bestiaux résultant de la guerre de 1914, mais seulement une hausse normale “dont le maximum correspondait évidemment au prix le plus fort du bétail pendant la période des dernières années antérieures à la conclusion du contrat »

Malgré les circonstances, l’argument avancé par la Cour d’appel n’a pas suffi à emporter la conviction de la Cour de cassation qui réaffirme, toujours au visa de l’article 1134, que « les parties, en contractant, n’avaient pu prévoir l’augmentation extraordinaire du prix des bestiaux résultant de la guerre de 1914, mais seulement une hausse normale “dont le maximum correspondait évidemment au prix le plus fort du bétail pendant la période des dernières années antérieures à la conclusion du contrat » (Cass. civ. 6 juin 1921).

Ainsi, pour la haute juridiction les juges du fond ne sauraient au nom de l’équité réviser les termes d’un contrat librement consenti par les parties, sauf à porter atteinte à sa force obligatoire.

Or il s’agit là d’un principe auquel on ne saurait déroger.

Cass. civ. 6 juin 1921

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1134 et 1826 du Code civil ;

Attendu que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et qu’aucune considération d’équité n’autorise le juge, lorsque ces conventions sont claires et précises, à modifier, sous prétexte de les interpréter, les stipulations qu’elles renferment ;

Attendu qu’à la date du 4 décembre 1910 Y…, propriétaire, a conclu avec X… un contrat de louage à cheptel de fer contenant la clause suivante : “Le pied du capital qui a été pris en charge par le fermier s’élève à la somme de 3000 francs pour le bétail et de 2245 francs pour le troupeau, et c’est de cette valeur, en espèces ou en nature, au choix du propriétaire, qu’il rendra compte à sa sortie” ;

Que cette clause, claire et précise, dérogeait aux clauses du Code civil relatives aux baux à cheptel de fer, contenant un état estimatif des animaux, uniquement en ce qu’elle attribuait au bailleur le droit d’opter, lors de la fin du bail, entre un règlement en espèces ou la restitution en nature, mais que, pour le surplus, elle laissait les parties sous l’empire du droit commun ;

Que, dès lors, le compte de cheptel devait être régi par l’article 1826 du Code civil ;

Attendu qu’aux termes de cette disposition le fermier, à la fin du bail, est tenu de laisser un cheptel “de valeur pareille à celui qu’il a reçu” ; que, s’il y a du déficit, il doit le payer, mais que l’excédent lui appartient ; que, d’une part, aucune distinction n’est faite entre la plus-value apportée au cheptel par les soins ou les améliorations du fermier et celle qui provient de circonstances accidentelles ; que, du rapprochement de l’article 1826 avec l’article 1821, définissant le cheptel de fer celui par lequel le fermier “laissera des bestiaux d’une valeur égale au prix de l’estimation de ceux qu’il aura reçus”, il résulte, d’autre part, que la loi a envisagé la valeur vénale du cheptel et non sa puissance comme instrument d’exploitation ;

Que c’est donc à tort que l’arrêt attaqué, au lieu d’attribuer à X… la totalité de la plus-value acquise par le bétail et par le troupeau, a décidé qu’il devrait la partager avec le propriétaire ;

Attendu que la cour d’appel allègue vainement que les parties, en contractant, n’avaient pu prévoir l’augmentation extraordinaire du prix des bestiaux résultant de la guerre de 1914, mais seulement une hausse normale “dont le maximum correspondait évidemment au prix le plus fort du bétail pendant la période des dernières années antérieures à la conclusion du contrat” ;

Attendu, en effet, qu’en s’astreignant à supporter le risque d’une élévation future du cours des bestiaux et du troupeau, contre-partie des risqques pouvant résulter, soit de l’abaissement des mêmes cours, soit de la perte fortuite des animaux et mis à la charge du fermier, Y… s’était fait à lui-même une loi dont il ne pouvait s’affranchir, en alléguant que ses prévisions avaient été trompées ; qu’il lui aurait appartenu de restreindre son engagement à un taux déterminé, mais qu’en induisant cette restriction de circonstances sur lesquelles le bail ne s’était pas expliqué,

l’arrêt attaqué n’a fait que substituer une convention supposée

à la convention exprimée par les contractants ;

En quoi il a violé les textes de loi susvisés ;

Par ces motifs, CASSE,

ii. Deuxième étape : l’arrêt Huard du 3 novembre 1992

Cass. com. 3 nov. 1992

Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 31 mai 1990), que, le 2 octobre 1970, la Société française des pétroles BP (société BP) a conclu avec M. X… un contrat de distributeur agréé, pour une durée de 15 années, prenant effet le 25 mars 1971 ; que, par avenant du 14 octobre 1981, le contrat a été prorogé jusqu’au 31 décembre 1988 ; qu’en 1983, les prix de vente des produits pétroliers au détail ont été libérés ; que M. X…, se plaignant de ce que, en dépit de l’engagement de la société BP de l’intégrer dans son réseau, cette dernière ne lui a pas donné les moyens de pratiquer des prix concurrentiels, l’a assignée en paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que la société BP reproche à l’arrêt d’avoir accueilli cette demande à concurrence de 150 000 francs, alors, selon le pourvoi, d’une part, que, dans son préambule, l’accord de distributeur agréé du 2 octobre 1970 prévoyait que la société BP devrait faire bénéficier M. X… de diverses aides ” dans les limites d’une rentabilité acceptable ” ; qu’en jugeant dès lors que la société BP était contractuellement tenue d’intégrer M. X… dans son réseau en lui assurant une rentabilité acceptable, la cour d’appel a dénaturé cette clause stipulée au profit de la société pétrolière et non à celui de son distributeur agréé, en violation de l’article 1134 du Code civil ; alors, d’autre part, que nul ne peut se voir imputer une faute contractuelle de nature à engager sa responsabilité sans que soit établie l’existence d’une inexécution de ses obligations contenues dans le contrat ; qu’en ne retenant à l’encontre de la société BP que le seul grief de n’avoir pas recherché un accord de coopération commerciale avec son distributeur agréé, M. X…, la cour d’appel n’a relevé à son encontre aucune violation de ses obligations contractuelles et ne pouvait dès lors juger qu’elle avait commis une faute contractuelle dont elle devait réparer les conséquences dommageables, en violation de l’article 1147 du Code civil ; et alors, enfin, que nul ne peut être tenu pour responsable du préjudice subi par son cocontractant lorsque ce préjudice trouve sa source dans une cause étrangère qui ne peut lui être imputée ; qu’en jugeant dès lors que la société BP devait être tenue pour contractuellement responsable du préjudice invoqué par M. X…, préjudice tenant aux difficultés consécutives à l’impossibilité pour ce dernier de faire face à la concurrence, après avoir pourtant constaté qu’elle était néanmoins tenue, en raison de la politique des prix en matière de carburants, de lui vendre ceux-ci au prix qu’elle pratiquait effectivement, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations de fait, en violation des articles 1147 et 1148 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt ne dit pas que la société BP était tenue d’intégrer M. X… dans son réseau ” en lui assurant une rentabilité acceptable ” ;

Attendu, en second lieu, qu’ayant relevé que le contrat contenait une clause d’approvisionnement exclusif, que M. X… avait effectué des travaux d’aménagement dans la station-service, et que ” le prix de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs agréés était, pour le supercarburant et l’essence, supérieur à celui auquel elle vendait ces mêmes produits au consommateur final par l’intermédiaire de ses mandataires “, l’arrêt retient que la société BP, qui s’était engagée à maintenir dans son réseau M. X…, lequel n’était pas obligé de renoncer à son statut de distributeur agréé résultant du contrat en cours d’exécution pour devenir mandataire comme elle le lui proposait, n’est pas fondée à soutenir qu’elle ne pouvait, dans le cadre du contrat de distributeur agréé, approvisionner M. X… à un prix inférieur au tarif ” pompiste de marque “, sans enfreindre la réglementation, puisqu’il lui appartenait d’établir un accord de coopération commerciale entrant ” dans le cadre des exceptions d’alignement ou de pénétration protectrice d’un détaillant qui ont toujours été admises ” ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, d’où il résultait l’absence de tout cas de force majeure, la cour d’appel a pu décider qu’en privant M. X… des moyens de pratiquer des prix concurrentiels, la société BP n’avait pas exécuté le contrat de bonne foi ;

D’où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, est mal fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

Conclusion d’un contrat de distribution entre une société pétrolière et un distributeur de carburant pour une durée de 15 années.

Alors que jusqu’en 1982, les prix de vente des produits pétroliers au détail avaient été fixés par les pouvoirs publics, un arrêté du 29 avril 1982 fixant le régime des barèmes d’écart, puis un autre arrêté du 9 novembre 1983 relatif aux prix de vente au détail, qui imposèrent aux compagnies pétrolières d’appliquer le même tarif de vente à leurs détaillants, choisirent de libérer les prix de vente au détail, et autorisèrent les distributeurs à consentir, par rapport au prix plancher fixé par les pouvoirs publics, un rabais à la pompe de 16 centimes par litre d’essence et de 17 centimes par litre de supercarburant.

Aussi, pour permettre à Monsieur Huard de résister à la vive concurrence qui en découla, la société PB lui proposa, comme aux autres distributeurs agréés, d’adopter le statut de commissionnaire pour la vente des carburants, ce qui impliquait que le prix du carburant soit dorénavant fixé par la société BP.

Mais M. Huard refusa cette proposition, et préféra garder la maîtrise de ses propres prix de vente.

Seulement, sa situation ne s’améliora pas.

Le 14 mars 1985, il attira l’attention de son cocontractant sur la baisse inquiétante des ventes et sollicita une aide supplémentaire.

La société pétrolière refusa.

Finalement, le 24 novembre 1986, M. Huard assigna la société BP en justice.

?Demande

Le distributeur demande la condamnation de la société BP au paiement de dommages et intérêt en réparation du préjudice occasionné par le refus de cette dernière de baisser ses prix sur le carburant.

?Procédure

Par un arrêt du 31 mai 1990, la Cour d’appel de Paris accède à la requête du distributeur.

Les juges du fond estiment que la société BP n’ayant pas permis à son distributeur de pratiquer des prix concurrentiels, elle aurait manqué à son obligation de bonne foi contractuelle.

Pour retenir cette violation la Cour d’appel de Paris relève notamment que

  • D’une part, Monsieur Huard avait de son côté effectué des travaux de rénovation dans sa station-service lesquels lui étaient demandés par la société BP
  • D’autre part, le prix de vente appliqué par la société BP à ses distributeurs était supérieur à celui du consommateur final

?Solution

Par un arrêt du 3 novembre 1992, la Cour de cassation valide la motivation de la Cour d’appel (Cass. com. 3 nov. 1992, n°90-18.547).

La chambre commerciale considère que, en refusant de renégocier son contrat de distribution avec son distributeur alors que les circonstances économiques avaient changé de façon imprévue, la société BP a manqué à son obligation de bonne foi durant l’exécution du contrat.

?Analyse

Comment analyser cette décision de la Cour de cassation qui semble admettre en creux, sur le fondement de la bonne foi, que pesait sur le cocontractant une obligation de renégociation du contrat, en raison du bouleversement des circonstances économiques ?

Spontanément, on est légitimement en droit de se demander si, finalement, la Cour de cassation ne serait pas revenue sur son refus d’admettre la théorie de l’imprévision.

Toutefois, à regarder cet arrêt plus en détail, il ne semble pas que l’on puisse retenir une telle analyse.

Plusieurs arguments peuvent être avancés :

  • Premier argument
    • Il s’agit d’un arrêt de rejet
    • Or il est toujours difficile d’apprécier la portée de cette catégorie de décision.
  • Deuxième argument
    • Le bouleversement économique n’a, en l’espèce, pas seulement pour fait générateur un changement des circonstances extérieures.
    • Le comportement du distributeur qui refuse le statut de mandataire que lui offre la société BP n’est exempt de tout reproche.
  • Troisième argument
    • Il apparaît que la mauvaise foi de la société BP est ici particulièrement caractérisée.
    • Il suffit de se remémorer les faits pour s’en apercevoir :
      • La posture adoptée par la société BP vise indubitablement à étrangler économiquement ses distributeurs (prix supérieur à celui qu’elle fait à ses consommateurs finaux)
      • Aussi, est-elle clairement de mauvaise foi.
      • Sa mauvaise foi est telle qu’elle justifie, pour les juges, la condamnation à des dommages-intérêts.
  • Quatrième argument
    • À aucun moment la Cour de cassation reconnaît aux juges du fond le pouvoir de réviser le contrat
    • Elle semble seulement admettre, en creux, que pesait sur la société BP une obligation de renégociation du contrat ce qui ne relève pas vraiment de la théorie de l’imprévision, encore que pour certains auteurs on s’en rapproche fortement.

Au total, pour toutes les raisons sus-évoquées, il est très peu probable que la Cour de cassation ait voulu remettre en cause la théorie de l’imprévision avec cet arrêt.

iii. Troisième étape : Arrêt Chevassus Marche du 24 novembre 1998

Dans cette décision, la Cour de cassation adopte sensiblement la même solution que dans l’arrêt Huard.

La chambre commerciale décide que manquait à son obligation de loyauté le mandant qui, informé des difficultés de son mandataire, le mandant qui n’a pas pris des mesures concrètes pour permettre à son agent commercial de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux des mêmes produits vendus dans le cadre de ventes parallèles, et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat (Cass. com. 24 nov. 1998, n°96-18.357).

Cass. com. 24 nov. 1998

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1184 du Code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts de M. X…, l’arrêt, après avoir relevé que le mandataire avait demandé l’application de la clause résolutoire ainsi que la résiliation du contrat, et retenu, sur la première demande, que les conditions de mise en jeu de la clause résolutoire n’étaient pas réunies et, sur la demande en résiliation, que la preuve d’un manquement des sociétés n’était pas rapportée, énonce ” qu’il s’ensuit qu’en prenant l’initiative de cesser toute relation avec ses mandants “, M. X… a perdu le droit de percevoir une indemnité de rupture ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les demandes de M. X…, à elles seules, n’emportaient pas rupture du contrat de la part du mandataire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Sur le troisième moyen : (sans intérêt) ;

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche : (sans intérêt) ;

Et sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l’article 4 de la loi du 25 juin 1991 ;

Attendu, selon ce texte, que les rapports entre l’agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et que le mandant doit mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat ;

Attendu que, pour rejeter la demande en résiliation de contrat présentée par M. X… et, par voie de conséquence, sa demande en paiement de dommages-intérêts, l’arrêt retient que les sociétés n’avaient pas à intervenir sur les commandes qui pouvaient être passées directement par l’intermédiaire d’une centrale d’achats à partir de la métropole, qu’elles devaient respecter le principe essentiel de la libre concurrence et qu’il n’est pas établi qu’elles aient mis des ” obstacles ” à la représentation de leur mandataire ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si, informées des difficultés de M. X… en raison des ventes parallèles de produits venant des centrales d’achats qui s’approvisionnaient en métropole, les sociétés ont pris des mesures concrètes pour permettre à leur mandataire de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux des mêmes produits vendus dans le cadre de ces ventes parallèles, et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté les demandes de M. X… en constatation de la résiliation et en résiliation du contrat d’agent commercial du 14 avril 1987, ainsi qu’en paiement d’une indemnité de rupture, l’arrêt rendu le 5 juillet 1996, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

iv. Quatrième étape : arrêt société Les Repas Parisiens du 16 mars 2004

Cass. 1ère civ. 16 mars 2004

Attendu que la commune de Cluses a concédé, en 1974, à l’Association Foyer des jeunes travailleurs (AFJT) l’exploitation d’un restaurant à caractère social et d’entreprises ; qu’une convention tripartite a été signée le 15 octobre 1984 entre la commune, l’AFJT et la société Les Repas Parisiens (LRP) pour une durée de dix ans ; qu’aux termes de cet accord, l’AFJT, confirmée en qualité de concessionnaire a sous-concédé l’exploitation à la LRP, avec l’accord de la commune ; que la LRP, obtenant de ses cocontractantes d’importants travaux d’investissement, s’engageait à payer un loyer annuel à l’AFJT et une redevance à la commune ; que, par lettre du 31 mars 1989, la LRP a résilié unilatéralement cette convention, au motif qu’elle se trouvait dans l’impossibilité économique de poursuivre l’exploitation ; que, par ordonnance de référé du 25 avril 1989, l’AFJT et la commune ont obtenu la condamnation de la LRP à poursuivre son exploitation ; que cette société a, néanmoins, cessé son activité le 31 juillet 1989 ; qu’invoquant un bouleversement de l’équilibre économique du contrat, elle a saisi le tribunal administratif de Grenoble d’une demande en résiliation de cette convention et, à défaut, en dommages-intérêts ; que, parallèlement, l’AFJT et la commune ont saisi le tribunal de grande instance de Bonneville aux fins d’obtention, du fait de la résiliation unilatérale du contrat, de dommages-intérêts pour les dégradations causées aux installations ; qu’après saisine du Tribunal des conflits qui, par décision du 17 février 1997, a déclaré compétente la juridiction judiciaire, s’agissant d’un contrat de droit privé, l’arrêt attaqué (Chambéry, 5 juin 2001) a jugé que la LRP avait rompu unilatéralement le contrat et l’a condamnée à payer à l’AFJT les sommes de 273 655,37 francs et 911 729,92 francs, au titre, respectivement, des loyers et redevances dus au 31 juillet 1989 et de l’indemnité de résiliation, et à la commune de Cluses la somme de 116 470,17 francs au titre des travaux de remise en état des installations, et celle de 73 216,50 francs au titre de la redevance restant due ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la LRP fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué alors, selon le moyen, que les parties sont tenues d’exécuter loyalement la convention en veillant à ce que son économie générale ne soit pas manifestement déséquilibrée ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans rechercher si, en raison des contraintes économiques particulières résultant du rôle joué par la collectivité publique dans la détermination des conditions d’exploitation de la concession, et notamment dans la fixation du prix des repas, les personnes morales concédantes n’avaient pas le devoir de mettre la société prestataire de services en mesure d’exécuter son contrat dans des conditions qui ne soient pas manifestement excessives pour elle et d’accepter de reconsidérer les conditions de la convention dès lors que, dans son économie générale, un déséquilibre manifeste était apparu, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel a relevé que la LRP mettait en cause le déséquilibre financier existant dès la conclusion du contrat et non le refus injustifié de la commune et de l’AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traitant au mépris de leur obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi ; qu’elle a ajouté que la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n’avait pas su apprécier ; qu’elle a, ainsi, légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la demanderesse au pourvoi reproche encore à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à l’AFJT une indemnité de résiliation de 911 729,92 francs alors, selon le moyen, que la garantie assumée par la société LRP rendait indispensable sa participation au choix de son successeur ainsi qu’à la négociation des conditions de reprise de l’exploitation ; qu’en appréciant le montant du préjudice indemnisable à partir du manque à gagner mensuel subi par les concédantes sans préciser dans quelles conditions le choix du successeur et les conditions du nouveau contrat de concession d’exploitation du restaurant avaient été décidés, ni rechercher si ces conditions étaient à tout le moins meilleures que celles offertes par le successeur présenté par la LRP mais que la commune avait refusé d’agréer, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de Cassation en mesure d’exercer son contrôle de l’application des articles 1134 et 1147 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel a relevé, d’une part, que, selon le contrat litigieux, tout éventuel concessionnaire présenté par la LRP devait reprendre l’intégralité des engagements de cette société, laquelle demeurait solidairement tenue jusqu’à complet remboursement du prêt, d’autre part, que le successeur présenté par elle ne satisfaisait pas à cette condition ; que le moyen manque en fait ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Faits

Contrat tripartie signé le 15 octobre 1984 entre une commune (Cluses), une association et un restaurateur, contrat dont l’objet était l’exploitation d’un restaurant.

La commune concède l’exploitation du restaurant à l’association, laquelle sous-concède cette exploitation au restaurateur pour une durée de 10 ans.

En contrepartie de la réalisation de travaux d’aménagement du restaurant, le restaurateur s’est engagé à payer un loyer à l’association et une redevance à la commune.

Résiliation unilatérale du contrat par le restaurateur le 31 mars 1989, en raison de son incapacité économique à assurer l’exploitation du restaurant.

?Demande

Assignation en paiement du restaurateur qui n’a pas satisfait à son engagement par la Commune et l’association

?Procédure

  • Premier temps
    • Une Ordonnance de référé du 25 avril 1989 donne gain de cause à la commune et à l’association
    • Le litige n’est, toutefois, pas tranché au fond.
  • Deuxième temps
    • Saisine du tribunal administratif de Grenoble par le restaurateur afin de valider la résiliation unilatérale de la convention le liant à la commune et à l’association.
    • Parallèlement, la commune et l’association saisissent le TGI de Bonneville.
  • Troisième temps
    • Afin de déterminer qui du juge administratif ou du juge judiciaire est compétent, saisine du tribunal des conflits qui, le 17 février 1997, décide que c’est la juridiction civile qui est compétente pour se prononcer sur le litige.
  • Quatrième temps
    • Par un arrêt du 5 juin 2001, la Cour d’appel de Chambéry fait droit à la demande de la commune et de l’association et condamne le restaurateur au paiement de dommages et intérêt en réparation du préjudice causé par la rupture unilatérale du contrat.
    • Les juges du fond estiment que l’existence d’un déséquilibre structurel du contrat, ne saurait fonder une résiliation unilatérale
    • Plus précisément, ils refusent d’accéder à la demande du restaurateur car le déséquilibre économique est né au moment de la formation du contrat et non au cours de son exécution comme exigée par la théorie de l’imprévision.

?Moyens

Au soutien de son pourvoi, le restaurateur invoque l’obligation de loyauté en vertu de laquelle l’économie générale du contrat ne saurait être déséquilibrée

Dans ces conditions, les juges du fond auraient dû se demander :

  • D’une part, si les contraintes économiques qui pesaient sur le restaurateur au moment de la formation de l’acte n’étaient pas de nature à l’empêcher d’exécuter sa prestation
  • D’autre part, si au regard de ces circonstances, s’il ne pesait pas sur la commune et l’association une obligation de renégociation du contrat.

?Solution

Par un arrêt du 16 mars 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le restaurateur (Cass. 1ère civ. 16 mars 2004, n°01-15.804).

Deux remarques s’imposent à la lecture de cet arrêt :

  • Première remarque :
    • On constate que la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi formé par le restaurateur, valide la motivation de la Cour d’appel en approuvant qu’un déséquilibre structurel présent dès la formation du contrat ne saurât conférer le droit, pour une partie, de résilier unilatéralement le contrat.
    • Admettre pareille résiliation reviendrait à reconnaître la lésion en droit français.
    • Or le Code civil est clair à ce sujet : la lésion n’est pas une cause de nullité.
  • Seconde remarque
    • une partie de la motivation de la Cour de cassation interpelle :
    • « et non le refus injustifié de la commune et de l’AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques et ainsi de renégocier les modalités du sous-traitant au mépris de leur obligation de loyauté et d’exécution de bonne foi ».
    • En première intention, on pourrait comprendre cette proposition, par une lecture a contrario, comme signifiant que si le restaurateur avait mis en cause devant la Cour d’appel le refus injustifié de la Commune de renégocier le contrat en raison d’un changement des circonstances économiques, il aurait vraisemblablement obtenu gain de cause, l’association et la Commune ayant manqué à leur obligation de bonne foi
    • Est-ce la reconnaissance tant attendue de la théorie de l’imprévision ?
    • Certains auteurs l’ont pensé
      • Pour Eric Borysewicz : « remettant en cause l’un des fondements les mieux établis du droit privé français, la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2004, pose le principe d’une obligation générale de renégociation des contrats en cours en cas de modification imprévue des circonstances économiques ». Il affirme ensuite que « l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2004 pose les bases de l’imprévision dans les contrats de droit privé ».
      • Denis Mazeaud écrit encore sous le titre « Du nouveau sur l’obligation de renégocier » que, « sans forcer exagérément le trait, ni solliciter excessivement cet arrêt, il semble bien que c’est cette stimulante leçon de politique contractuelle que la première Chambre civile a entendu donner, à cette occasion, en réaffirmant, fort opportunément, le principe de l’obligation de renégocier (I) et en en déterminant, avec précision, le domaine (II) ».
    • La grande majorité des auteurs n’a, toutefois, pas partagé cette analyse.
    • Dans un article extrêmement virulent intitulé « De l’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation », Jacques Ghestin a, par exemple, vertement critiqué la position de Denis Maezeaud.
    • Pour ce faire, il n’a pas hésité à affirmer au sujet du commentaire d’arrêt réalisé par son collègue que « cela conduit à se demander s’il ne serait pas opportun d’introduire dans les conditions d’accès à la magistrature, au barreau ou au notariat, voire aux divers postes d’enseignants à l’université, tout spécialement pour les responsables, à tous les niveaux, des travaux dirigés, une épreuve obligatoire d’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, comprenant son analyse logique détaillée, dont l’apprentissage deviendrait ainsi un point de passage obligé. On me dira qu’il s’agit d’un exercice bien difficile et trop « scolaire ». Cependant, savoir rédiger une note de synthèse est très utile pour de futurs grands commis de l’Etat. Mais savoir lire et comprendre un arrêt de la Cour de cassation est un préalable indispensable à la connaissance du droit positif, qu’il faut bien connaître pour l’appliquer et en informer les assujettis, et aussi pour le critiquer ».
    • Le moins que l’on puisse dire, c’est que la critique est rude, sévère. Était-elle justifiée ?
    • Autrement dit, peut-on raisonnablement penser que cet arrêt du 16 mars 2004 consacre la théorie de l’imprévision ?
    • Pour le savoir, c’est vers l’analyse du Conseiller-doyen de la première chambre civile de la Cour de cassation qu’il faut se tourner.
    • Celui-ci a écrit au sujet de cet arrêt que « en toute hypothèse, le moyen était ici en porte-à-faux au regard des constatations de l’arrêt attaqué ».
    • Autrement dit, dans cet arrêt la Cour de cassation relève que le demandeur n’avait pas invoqué le déséquilibre financier né de circonstances économiques imprévues, mais seulement le déséquilibre structurel du contrat présent dès sa formation.
    • Elle ne fait donc que relever l’inadéquation du moyen rédigé par le demandeur, par rapport à la motivation de l’arrêt attaqué.
    • Alors que l’auteur du pourvoi se positionne sur le terrain de l’exécution du contrat et donc du changement de circonstances économiques, la Cour d’appel se situe sur le terrain de la formation du contrat.
    • Dans la première proposition de son attendu, la Cour de cassation ne fait donc que reprendre cette inadéquation entre le moyen et la motivation de la Cour d’appel.
    • Quant à la seconde proposition de son attendu, la Cour de cassation finit par répondre à la motivation de la Cour d’appel en approuvant le fait qu’un déséquilibre structurel du contrat ne saurait fonder une résiliation unilatérale.
    • Par conséquent, la Cour de cassation n’affirme en rien qu’une obligation de renégociation du contrat pèserait sur les parties en cas de changement imprévu des circonstances économiques.
    • Elle approuve simplement la Cour d’appel pour avoir décidé qu’un déséquilibre structurel du contrat ne saurait fonder une résiliation unilatérale.
    • Si elle évoque la théorie de l’imprévision, c’est seulement pour indiquer à l’auteur du pourquoi qu’il s’est positionné sur un terrain autre que celui de la Cour d’appel.
    • Or lorsque l’on se pourvoit en cassation, la règle c’est de critiquer la règle appliquée par les juges du fond et non une règle qui n’a jamais été débattue au fond.

v. Cinquième étape : arrêt du 29 juin 2010

Cass. com. 29 juin 2010

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société d’Exploitation de chauffage (société SEC) a fait assigner en référé la société Soffimat, avec laquelle elle avait conclu le 24 décembre 1998 un contrat d’une durée de 12 ans ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs d’une centrale de production de co-génération moyennant une redevance forfaitaire annuelle, aux fins qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1131 du code civil et 873, alinéa 2 du code de procédure civile ;

Attendu que pour retenir que l’obligation de la société Soffimat de satisfaire à l’obligation de révision des moteurs n’était pas sérieusement contestable et confirmer la décision ayant ordonné à la société Soffimat de réaliser à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus et, notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs et d’en justifier par l’envoi journalier d’un rapport d’intervention, le tout sous astreinte de 20 000 euros par jour de retard, et ce pendant 30 jours à compter du 6 octobre 2008, l’arrêt relève qu’il n’est pas allégué que le contrat était dépourvu de cause à la date de sa signature, que l’article 12 du contrat invoqué par la société Soffimat au soutien de sa prétention fondée sur la caducité du contrat est relatif aux conditions de reconduction de ce dernier au-delà de son terme et non pendant les douze années de son exécution et que la force majeure ne saurait résulter de la rupture d’équilibre entre les obligations des parties tenant au prétendu refus de la société SEC de renégocier les modalités du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’évolution des circonstances économiques et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n’avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société SEC sollicitait l’exécution, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

  • Faits
    • Conclusion entre deux sociétés d’un contrat d’entreprise pour une durée de 12 mois ou 43 488 heures portant sur la maintenance de deux moteurs d’une centrale de production de co-génération moyennant une redevance forfaitaire annuelle
    • En cours d’exécution du contrat, survenance d’une augmentation du coût des matières premières et des métaux ce qui a une incidence sur le prix des pièces de rechange
    • En raison du changement des circonstances économiques, la société prestataire n’est plus en mesure d’exécuter le contrat.
  • Demande
    • En réaction, la société cliente assigne en référé sous astreinte son prestataire aux fins qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de réaliser, à compter du 2 octobre 2008, les travaux de maintenance prévus contractuellement et notamment, la visite des 30 000 heures des moteurs.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 27 mars 2009, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la société cliente et somme le prestataire d’exécuter la prestation prévue contractuellement
    • Au soutien de leur décision, les juges du fonds considèrent que l’obligation de révision des moteurs n’était pas sérieusement contestable.
  • Solution
    • Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-67.369).
    • Elle reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si l’évolution des circonstances économiques et notamment l’augmentation du coût des matières premières et des métaux depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n’avait pas eu pour effet, compte tenu du montant de la redevance payée par la société SEC, de déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat, ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l’obligation dont la société SEC sollicitait l’exécution »
    • Manifestement, la lecture de cet arrêt laisse à penser que la Chambre commerciale revient ici sur l’arrêt Canal de Craponne !
    • Elle affirme, en effet, à demi-mot que dès lors qu’est établi un bouleversement des circonstances économiques de nature à porter atteinte à l’équilibre contractuel, cela reviendrait à priver de cause l’engagement du débiteur et, par voie de conséquence, justifierait la mise à mal le contrat.
    • Si l’on prête une attention particulière à cet arrêt, cette thèse ne résiste pas à l’analyse
      • D’abord, l’arrêt a été rendu en formation restreinte
      • Ensuite, il n’a fait l’objet d’aucune publication
      • Ensuite, cette décision ne traite que d’une question de compétence du juge des référés
      • Enfin, il ressort de l’arrêt que le bouleversement des circonstances économiques conduit, non pas à une révision du contrat – cela n’est évoqué nulle part – mais seulement à la caducité du contrat pour défaut de cause.
      • Au surplus, l’examen de la jurisprudence postérieure révèle que la Cour de cassation n’a jamais réitéré cette solution.

vi. Sixième étape : arrêt du 18 mars 2014

Cass. com. 18 mars 2014

Sur le moyen unique, qui est recevable comme étant de pur droit :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2012), que le 27 novembre 2006, la société Les Complices a concédé à la société Yangtzekiang, devenue la société Yang design (la société Yang) une licence d’exploitation de sa marque « Les Complices » en contrepartie d’une redevance annuelle calculée par un pourcentage sur le chiffre d’affaires, avec minima ; que n’ayant pas reçu paiement des redevances convenues, la société Les Complices a obtenu une ordonnance d’injonction de payer à laquelle la société Yang a fait opposition ;

Attendu que la société Yang fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à la société Les Complices les sommes de 37 685,13 euros et 42 319,75 euros avec intérêts, alors, selon le moyen, que la disparition de la cause d’un engagement à exécution successive en cours d’exécution du contrat entraîne sa caducité ; que l’évolution des circonstances économiques peut déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties et priver de contrepartie réelle l’engagement de l’une d’elles qui devient caduc ; que la société Yang a fait valoir que l’évolution des circonstances économiques du marché du textile et la chute des ventes dans la grande distribution ont entraîné un déséquilibre du contrat le rendant non viable pour elle et privant de cause son obligation au titre des minima garantis ; que pour rejeter ce moyen, la cour d’appel a jugé que la rentabilité du contrat ne participe pas davantage à la définition de la cause dont l’existence s’apprécie au moment de sa conclusion ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu que la cause de l’obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d’appel, appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat ; que par ce seul motif, la cour d’appel a justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Faits
    • Un contrat est conclu entre deux sociétés aux termes duquel, l’une d’elles concède à l’autre une licence d’exploitation de sa marque « Les Complices » en contrepartie d’une redevance annuelle calculée par un pourcentage sur le chiffre d’affaires, avec minima.
    • Toutefois, un effondrement du marché du textile intervient, accompagné d’une chute des ventes dans la grande distribution.
    • La société concessionnaire de la marque n’est alors plus en capacité financière de régler la redevance au titre de son contrat de licence.
  • Demande
    • À la suite du non-paiement des redevances, la société concédant obtient une ordonnance d’injonction de payer à laquelle le concessionnaire fait opposition.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 28 septembre 2012, la Cour d’appel de Paris déboute le cessionnaire de son opposition
    • Les juges du fond refusent de prononcer la caducité du contrat pour défaut de cause, estimant que la rentabilité du contrat ne participe pas à la définition de la cause dont l’existence s’apprécie au moment de sa conclusion.
  • Procédure
    • Au soutien de son pourvoi, le concessionnaire avance que :
      • d’une part, la disparition de la cause d’un engagement à exécution successive en cours d’exécution du contrat entraîne sa caducité
      • d’autre part, l’évolution des circonstances économiques peut déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties et priver de contrepartie réelle l’engagement de l’une d’elles qui devient caduc
      • enfin, que l’évolution des circonstances économiques du marché du textile et la chute des ventes dans la grande distribution ont entraîné un déséquilibre du contrat le rendant non viable pour elle et privant de cause son obligation au titre des minima garantis.
  • Solution
    • Par un arrêt du 18 mars 2014, la Cour de cassation est insensible à l’argumentation développée par le concessionnaire (Cass. com. 18 mars 2014, n°12-29.453).
    • Aussi, rejette-t-elle le pourvoi.
    • La chambre commerciale souscrit à la motivation de la Cour d’appel, estimant que la cause de l’obligation constitue bien une condition de la formation du contrat de sorte que la cause de l’engagement du concessionnaire résidait, non pas dans la rentabilité du contrat, mais dans la mise à disposition de la marque
    • Un bouleversement des circonstances économiques au cours de l’exécution du contrat, ne saurait, en conséquence, fonder une caducité du contrat pour défaut de cause.
    • Manifestement, la Cour de cassation retient ici la solution radicalement inverse de celle adoptée dans l’arrêt du 29 juin 2010, ce qui confirme que cette décision était bien, au minimum un arrêt d’espèce, sinon une erreur de plume.

4. L’admission par la jurisprudence administrative de la théorie de l’imprévision

Contrairement à la Cour de cassation, par l’arrêt Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux du 30 mars 1916, le Conseil d’État a dégagé la théorie de l’imprévision, qui permet d’assurer la pérennité des contrats administratifs en cas de bouleversement temporaire de leur économie, du fait d’événements que les parties ne pouvaient prévoir (CE 30 mars 1916, 59928).

CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux

Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif présentés pour la “Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux”, société anonyme, dont le siège social est à Bordeaux, rue de Condé, n° 5, agissant poursuites et diligences de ses directeurs et administrateurs en exercice, ladite requête et ledit mémoire enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 1er et 29 septembre 1915 et tendant à ce qu’il plaise au Conseil annuler un arrêté en date du 30 juillet 1915 par lequel le conseil de préfecture du département de la Gironde l’a déboutée de sa demande tendant à faire juger qu’elle a droit à un relèvement du prix fixé par son contrat de concession pour le gaz fourni par elle à la ville et aux particuliers et à faire condamner la ville de Bordeaux à lui payer une indemnité ; Vu la loi du 28 pluviôse an VIII ; Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la ville de Bordeaux : Considérant que les conclusions de la compagnie requérante tendaient devant le conseil de préfecture comme elles tendent devant le Conseil d’Etat à faire condamner la ville de Bordeaux à supporter l’aggravation des charges résultant de la hausse du prix du charbon ; que, dès lors, s’agissant d’une difficulté relative à l’exécution du contrat, c’est à bon droit que par application de la loi du 28 pluviôse an VIII, la compagnie requérante a porté ces conclusions en première instance devant le conseil de préfecture et en appel devant le Conseil d’Etat ;

Au fond : Considérant qu’en principe le contrat de concession règle d’une façon définitive jusqu’à son expiration, les obligations respectives du concessionnaire et du concédant ; que le concessionnaire est tenu d’exécuter le service prévu dans les conditions précisées au traité et se trouve rémunéré par la perception sur les usagers des taxes qui y sont stipulées ; que la variation du prix des matières premières à raison des circonstances économiques constitue un aléa du marché qui peut, suivant le cas être favorable ou défavorable au concessionnaire et demeure à ses risques et périls, chaque partie étant réputée avoir tenu compte de cet aléa dans les calculs et prévisions qu’elle a faits avant de s’engager ;

Mais considérant que, par suite de l’occupation par l’ennemi de la plus grande partie des régions productrices de charbon dans l’Europe continentale, de la difficulté de plus en plus considérable des transports par mer à raison tant de la réquisition des navires que du caractère et de la durée de la guerre maritime, la hausse survenue au cours de la guerre actuelle, dans le prix du charbon qui est la matière première de la fabrication du gaz, s’est trouvé atteindre une proportion telle que non seulement elle a un caractère exceptionnel dans le sens habituellement donné à ce terme, mais qu’elle entraîne dans le coût de la fabrication du gaz une augmentation qui, dans une mesure déjouant tous les calculs, dépasse certainement les limites extrêmes des majorations ayant pu être envisagées par les parties lors de la passation du contrat de concession ; que, par suite du concours des circonstances ci-dessus indiquées, l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée. Que la compagnie est donc fondée à soutenir qu’elle ne peut être tenue d’assurer aux seules conditions prévues à l’origine, le fonctionnement du service tant que durera la situation anormale ci-dessus rappelée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que si c’est à tort que la compagnie prétend ne pouvoir être tenue de supporter aucune augmentation du prix du charbon au-delà de 28 francs la tonne, ce chiffre ayant, d’après elle, été envisagé comme correspondant au prix maximum du gaz prévu au marché, il serait tout à fait excessif d’admettre qu’il y a lieu à l’application pure et simple du cahier des charges comme si l’on se trouvait en présence d’un aléa ordinaire de l’entreprise ; qu’il importe au contraire, de rechercher pour mettre fin à des difficultés temporaires, une solution qui tienne compte tout à la fois de l’intérêt général, lequel exige la continuation du service par la compagnie à l’aide de tous ses moyens de production, et des conditions spéciales qui ne permettent pas au contrat de recevoir son application normale. Qu’à cet effet, il convient de décider, d’une part, que la compagnie est tenue d’assurer le service concédé et, d’autre part, qu’elle doit supporter seulement au cours de cette période transitoire, la part des conséquences onéreuses de la situation de force majeure ci-dessus rappelée que l’interprétation raisonnable du contrat permet de laisser à sa charge ; qu’il y a lieu, en conséquence, en annulant l’arrêté attaqué, de renvoyer les parties devant le conseil de préfecture auquel il appartiendra, si elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les conditions spéciales dans lesquelles la compagnie pourra continuer le service, de déterminer, en tenant compte de tous les faits de la cause, le montant de l’indemnité à laquelle la compagnie a droit à raison des circonstances extracontractuelles dans lesquelles elle aura à assurer le service pendant la période envisagée ;

DECIDE : Article 1er : L’arrêté susvisé du conseil de préfecture du département de la Gironde en date du 30 juillet 1915 est annulé. Article 2 : La Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux et la ville de Bordeaux sont renvoyées devant le conseil de préfecture pour être procédé, si elles ne s’entendent pas amiablement sur les conditions spéciales auxquelles la compagnie continuera son service, à la fixation de l’indemnité à laquelle la compagnie a droit à raison des circonstances extracontractuelles dans lesquelles elle aura dû assurer le service concédé. Article 3 : La ville de Bordeaux est condamnée à tous les dépens de première instance et d’appel. Article 4 : Expédition … Intérieur.

  • Faits
    • La compagnie générale d’éclairage de Bordeaux cherchait à obtenir de la ville de Bordeaux qu’elle supporte le surcoût résultant pour elle de la très forte augmentation du prix du charbon, multiplié par cinq entre la signature de la concession d’éclairage et l’année 1916
    • En raison de la guerre, la plus grande partie des régions productrices de charbon était occupée par l’Allemagne et les transports par mer étaient devenus de plus en plus difficiles.
  • Solution
    • À cette occasion, le Conseil d’État jugea qu’en principe le contrat de concession règle de façon définitive les obligations du concessionnaire et du concédant et que la variation du prix des matières premières du fait des circonstances économiques constitue un aléa du marché que doit assumer le concessionnaire.
    • Toutefois, lorsque l’économie du contrat se trouve absolument bouleversée, comme en l’espèce où l’augmentation du coût de la fabrication du gaz du fait du prix du charbon dépassait les limites extrêmes de ce qui avait pu être envisagé par les parties, le concessionnaire ne peut être tenu d’assurer le fonctionnement du service dans les conditions prévues à l’origine.
    • Il convenait, pour mettre fin à des difficultés temporaires, de rechercher une solution qui tienne compte de l’intérêt général, exigeant la continuation du service, mais aussi des circonstances particulières.
    • Aussi, le Conseil d’État décida que la compagnie restait tenue d’assurer le service mais qu’elle avait le droit d’être indemnisée de la part des conséquences pécuniaires de la situation de force majeure qui excédait l’aléa économique normal.

?Conditions de l’imprévision

La jurisprudence ultérieure précisa les conditions d’application de la théorie de l’imprévision.

  • Première condition
    • Les événements affectant l’exécution du contrat doivent être imprévisibles.
    • Il peut s’agir de circonstances économiques, de phénomènes naturels ou de mesures prises par les pouvoirs publics, mais dans tous les cas ils doivent déjouer les prévisions qui pouvaient raisonnablement être faites lors de la conclusion du contrat.
  • Deuxième condition
    • Les circonstances doivent être extérieures aux parties ; en particulier, si elles sont dues à l’administration contractante, c’est la théorie du fait du prince et non celle de l’imprévision qui jouera.
  • Troisième condition
    • Les événements affectant l’exécution du contrat doivent entraîner un bouleversement de l’économie du contrat.
    • Certes, ils ne doivent pas faire obstacle à l’exécution du contrat car ils seraient alors irrésistibles et exonéreraient le cocontractant de ses obligations ; mais il ne doit pas s’agir d’un simple manque à gagner.

?Effets de l’imprévision

L’imprévision n’étant pas un cas de force majeure, le cocontractant doit poursuivre l’exécution du contrat.

Il commettrait une faute en interrompant ses prestations.

En contrepartie, il a le droit d’être indemnisé, sinon de la totalité, du moins de la plus grande partie de la charge extracontractuelle, c’est-à-dire du montant du déficit provoqué par l’exécution du contrat pendant la période au cours de laquelle il y a eu bouleversement par les circonstances imprévisibles.

Deux cas de figure peuvent ensuite se produire :

  • Soit l’équilibre contractuel se rétablit, par disparition des circonstances imprévisibles ou du fait de nouveaux arrangements entre les parties.
  • Soit le bouleversement de l’économie du contrat se révèle définitif, et l’imprévision se transforme alors en cas de force majeure justifiant la résiliation du contrat.

Il est intéressant de constater que la théorie de l’imprévision a conduit l’administration et ses cocontractants à introduire dans leurs contrats des clauses de révision qui permettent une adaptation aux évolutions de la situation économique et financière, conférant ainsi un caractère subsidiaire au jeu de l’imprévision.

5. La consécration par le législateur de la théorie de l’imprévision

En réaction au vif débat suscité par la théorie de l’imprévision qui, depuis plus d’un siècle, a tant agité la doctrine, le législateur a profité de la réforme des obligations pour clarifier les choses et calmer les esprits. L’occasion était trop belle !

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit un article 1195 dans le Code civil aux termes duquel :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Il ressort de cette disposition que :

  • d’une part, la possibilité pour le juge de réviser le contrat au cours de son exécution en cas de changement des circonstances n’est pas sans conditions
  • d’autre part, en raison de l’atteinte portée à la force obligatoire du contrat, le législateur a entendu encadrer strictement le processus de révision du contrat

a. Les conditions de la théorie de l’imprévision

Les conditions d’application de la théorie de l’imprévision sont au nombre de trois :

?Première condition : le changement de circonstances est imprévisible lors de la conclusion du contrat

Que doit-on entendre par « changement de circonstances imprévisibles » ?

Le législateur ne nous en a donné aucune définition, ni critères d’appréciation.

Aussi, appartiendra-t-il à la jurisprudence de se prononcer sur cette question.

Dans cette attente, deux approches de la notion sont envisageables :

  • L’approche objective
    • Le changement de circonstances imprévisibles est celui qui n’aurait pas pu être envisagé par une personne raisonnable placée dans la même situation que les parties
    • Le juge se livrera ainsi à une appréciation in abstracto des circonstances qui ont porté atteinte à l’équilibre contractuel.
  • L’approche subjective
    • Selon cette approche, le changement de circonstances imprévisibles est celui que les parties n’avaient pas prévu, d’où l’absence de clause dans le contrat anticipant cet aléa.
    • L’imprévision sera alors appréciée dans cette hypothèse in concreto, ce qui supposera pour le juge de ne se focaliser que sur la commune intention des parties.

Au fond, d’un côté, si l’on retient l’approche objective, on ne devrait tenir compte que des circonstances que les parties n’ont pas pu prévoir.

D’un autre côté, si l’on opte pour l’approche subjective seules les circonstances que les parties n’ont pas prévues devraient être prises en compte

Il ressort de cette comparaison que l’approche subjective conférerait à la théorie de l’imprévision un champ d’application bien plus étendu que ne le ferait l’approche objective.

En contrepartie, il en résulterait néanmoins une atteinte plus forte à la force obligatoire du contrat.

Quelle approche sera retenue in fine par la Cour de cassation ?

Il n’est pas à exclure que le choix de cette dernière soit guidé par l’article 1218 du Code civil, lequel porte sur une notion qui n’est pas très éloignée de celle que l’on cherche à définir : la force majeure.

Selon cette disposition, il y aurait force majeure « lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

L’article 1218 du Code civil semble ainsi lier la force majeure à la faculté de contrôle du débiteur.

Rapportée à l’imprévision, cette définition pourrait laisser à penser que l’approche subjective l’emporterait.

L’article 1218 pose toutefois, dans le même temps, l’exigence d’un événement raisonnablement imprévisible, ce qui serait tout autant de nature à justifier l’adoption de l’approche objective.

Au total, difficile à dire sur quelle approche le choix de la Cour de cassation portera.

?Deuxième condition : le changement de circonstances rend excessivement onéreuse l’exécution du contrat

Contrairement à la force majeure, il n’est pas nécessaire que le changement de circonstances rende impossible l’exécution du contrat.

L’article 1195 du Code civil exige seulement que celui-ci la rende excessivement onéreuse.

C’est là la grande différence entre l’imprévision et la force majeure.

Pour être caractérisée, l’imprévision doit donc seulement porter atteinte à l’équilibre du contrat.

Cette atteinte aussi préjudiciable soit-elle pour l’une des parties ne fait toutefois pas obstacle à l’exécution de ses obligations.

L’article 1195 du Code civil précise, par ailleurs, que, en plus de l’établissement d’un bouleversement de l’économie du contrat, il faut démontrer que ce bouleversement est grave, sans quoi il n’ouvrira pas droit à révision.

Aussi, les petits déséquilibres contractuels devront-ils être entièrement assumés par les parties au nom de la force obligatoire du contrat.

?Troisième condition : aucune des parties ne doit pas avoir accepté d’assumer les risques de l’imprévision

Dernière condition d’application de la théorie de l’imprévision, les parties ne doivent pas avoir accepté d’assumer les risques de l’imprévision.

En d’autres termes, dès lors que l’aléa a été envisagé par les contractants, il ne relèverait plus de l’imprévision.

Si, dans ces conditions, les parties souhaitent confiner à la portion congrue le champ d’application de la théorie de l’imprévision, elles auront tout intérêt à soigner la rédaction de la clause d’acceptation des risques.

Il ne faudrait pas, toutefois, que cette clause soit trop large, sous peine d’encourir une requalification en clause abusive.

Dans cette perspective, il appartiendra au juge de toujours rechercher si le changement de circonstances invoqué par les parties n’était pas entré dans le champ contractuel.

En s’abstenant de procéder à cette recherche, il s’exposerait à une censure de la Cour de cassation pour défaut de base légale.

b. Le processus de révision du contrat

Le processus de révision du contrat comporte plusieurs étapes :

?Première étape : la formulation d’une demande de révision du contrat

  • Objet de la demande
    • La partie pour laquelle l’exécution de ses obligations est devenue excessivement onéreuse en raison d’un changement des circonstances est fondée à solliciter une renégociation du contrat auprès de son cocontractant.
    • Il s’agit là d’un droit qui est conféré aux contractants dont l’exercice ne saurait, en aucune manière, constituer une faute (V. en ce sens Cass. com. 18 sept. 2012).
  • Absence d’obligation de renégocier
    • Tout autant que les parties sont libres de solliciter une révision de la convention, elles sont libres de refuser de renégocier
    • Ainsi, le législateur n’a-t-il pas entendu mettre à la charge des parties une obligation de renégociation du contrat contrairement à ce qui avait pu être suggéré par certains auteurs.
    • Cette solution s’inscrit, par ailleurs, en opposition à une certaine jurisprudence qui, sur le fondement de la bonne foi contractuelle (Cass.com 3 nov. 1992, n°90-18.547) ou de l’exigence de cause, avait estimé que les parties étaient tenues, a minima, de collaborer en cas de changement des circonstances économiques.
  • Obligation de poursuivre l’exécution du contrat
    • Les rédacteurs de l’ordonnance du 10 février 2016 ont pris le soin de préciser que la demande de révision du contrat ne dispense pas son auteur de poursuivre l’exécution de ses obligations
    • S’il suspendait la fourniture de sa prestation, sa responsabilité contractuelle pourrait être engagée.
    • L’exécution du contrat devra en conséquence nécessairement se poursuivre jusqu’à ce que le juge se prononce.

?Deuxième étape : résolution ou révision amiable

L’alinéa 2 de l’article 1195 du Code civil prévoit que, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties disposent de deux options :

  • Soit elles peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent
    • Cela suppose donc qu’elles expriment un mutus dissensus
    • À défaut, la voie de la résolution amiable leur demeurera fermée
  • Soit, elles peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat aux nouvelles circonstances.
    • Dans cette hypothèse, les parties peuvent saisir le juge aux fins de constater leur accord amiable
    • Immédiatement, la question alors se pose de l’intérêt pratique de cette saisine du juge, dans la mesure où elle ne peut intervenir que si les parties se sont au préalable entendues.
    • Or si tel est le cas, pourquoi saisir le juge pour réviser un contrat qu’elles pourraient d’un commun accord modifier elles-mêmes ?

?Troisième étape : résolution ou révision judiciaire

C’est là le véritable apport de l’article 1195 du Code civil

À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie ainsi qu’à la date et aux conditions qu’il fixe :

  • Soit réviser le contrat
  • Soit y mettre fin

Il ressort toutefois de l’économie de l’article 1195 du Code civil que cette possibilité pour le juge de résilier ou de réviser judiciairement le contrat est envisagée comme une mesure ultime.

C’est à la condition exclusive qu’aucun « accord dans un délai raisonnable » ne puisse être trouvé entre les parties que le juge pourra leur imposer sa propre volonté.

En pratique, il est toutefois fort peu probable que le juge soit saisi lorsque les parties auront trouvé un point d’accord.

Le juge ne sera dès lors sollicité que lorsque la voie de la renégociation amiable sera sans issue.

  1. J. Carbonnier, Droit civil, tome 4, Les Obligations, PUF, 22e éd., 2000, § 314 ?
  2. Larombière M.L., Théorie et pratique des obligations, ou Commentaire aux titres III et IV du Code Napoléon, art. 1101 à 1386, T. III, Éd.1., Paris, 1858, art.1234, nº4. ?
  3. http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Les-decisions-les-plus-importantes-du Conseil-d-Etat/30-mars-1916-Compagnie-generale-d-eclairage-de-Bordeaux ?

Le recours en interprétation d’une décision de justice (art. 481 CPC)

L’un des principaux attributs d’un jugement est le dessaisissement du juge. Cet attribut est exprimé par l’adage lata sententia judex desinit esse judex : une fois la sentence rendue, le juge cesse d’être juge.

La règle est énoncée à l’article 481 du CPC qui dispose que « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ». En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.

Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.

Le principe du dessaisissement du juge n’est toutefois pas sans limites. Ces limites tiennent, d’une part, à la nature de la décision rendue et, d’autre part, à certains vices susceptibles d’en affecter le sens, la portée ou encore le contenu.

  • S’agissant des limites qui tiennent à la nature de la décision rendue
    • Il peut être observé que toutes les décisions rendues n’opèrent pas dessaisissement du juge.
    • Il est classiquement admis que seules les décisions contentieuses qui possèdent l’autorité absolue de la chose jugée sont assorties de cet attribut.
    • Aussi, le dessaisissement du juge n’opère pas pour :
      • Les décisions rendues en matière gracieuses
      • Les jugements avants dire-droit
      • Les décisions provisoires (ordonnances de référé et ordonnances sur requête).
  • S’agissant des limites qui tiennent aux vices affectant la décision rendue
    • Il est certains vices susceptibles d’affecter la décision rendue qui justifient un retour devant le juge alors même qu’il a été dessaisi.
    • La raison en est qu’il s’agit d’anomalies tellement mineures (une erreur de calcul, une faute de frappe, une phrase incomplète etc.) qu’il serait excessif d’obliger les parties à exercer une voie de recours tel qu’un appel ou un pourvoi en cassation.
    • Non seulement, cela les contraindrait à exposer des frais substantiels, mais encore cela conduirait la juridiction saisie à procéder à un réexamen général de l’affaire : autant dire que ni les justiciables, ni la justice ne s’y retrouveraient.
    • Fort de ce constat, comme l’observe un auteur, « le législateur a estimé que pour les malfaçons mineures qui peuvent affecter les jugements, il était préférable de permettre au juge qui a déjà statué de revoir sa décision »[1].
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à revenir devant le juge qui a rendu une décision aux fins de lui demander de l’interpréter en cas d’ambiguïté, de la rectifier en cas d’erreurs ou d’omissions purement matérielles, de la compléter en cas d’omission de statuer ou d’en retrancher une partie dans l’hypothèse où il aurait statué ultra petita, soit au-delà de ce qui lui était demandé.
    • À cette fin, des petites voies de recours sont prévues par le Code de procédure civile, voies de recours dont l’objet est rigoureusement limité.

C’est sur ces petites voies de recours que nous nous focaliserons ici. Elles sont envisagées aux articles 461 à 464 du Code de procédure civile.

Au nombre de ces voies de recours, qui donc vise à obtenir du juge qui a statué qu’il revienne sur sa décision, figurent :

  • Le recours en interprétation
  • Le recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle
  • Le recours en retranchement
  • Le recours aux fins de remédier à une omission de statuer

Nous nous focaliserons ici sur le recours en interprétation.

Il est des cas où, parce qu’une disposition de la décision rendue est obscure, ambiguë ou comporte une contradiction, les parties ne sont pas d’accord sur le sens ou la portée de ce qui a été tranché.

Dans cette hypothèse, un recours leur est ouvert aux fins d’obtenir du juge qui a statué une interprétation des termes discutés de la décision rendue.

L’article 461 du CPC prévoit en ce sens que « il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel. »

L’objectif recherché est de prévenir une exécution de la décision rendue qui ne serait pas conforme à l’intention du juge.

I) Conditions de recevabilité du recours

?Une décision obscure

Pour que les parties à un litige soient recevables à exercer un recours en interprétation, il doit être démontré que les termes de la décision rendue prêtent à discussion et plus précisément que l’une de ses dispositions présente une ambiguïté, une obscurité ou une contradiction.

Dans un arrêt du 8 novembre 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si les juges ne peuvent, sous prétexte d’interpréter leurs décisions, les modifier, y ajouter ou les restreindre, il leur appartient d’en fixer le sens et d’en expliquer les dispositions dont les termes ont donné lieu à quelques doutes » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1976, n° 75-12.380).

À l’inverse, lorsque la décision rendue est claire et précise, le recours en interprétation est irrecevable, les parties ne justifiant alors pas d’un intérêt à agir au sens de l’article 31 du Code de procédure civile (Cass. 2e civ. 22 oct. 2009, n°07-21.834).

Il est indifférent que les parties s’accordent sur le caractère obscur de la décision, celui-ci devant être appréciée objectivement (V. en ce sens Cass. ch. Mixte, 6 juill. 1984, n°80-12.965).

Seul compte l’existence d’une obscurité ou d’une ambiguïté qui rende incertaine, à tout le moins difficultueuse, l’exécution de la décision.

À cet égard, la Cour de cassation considère que les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain pour juger de la nécessité d’interpréter, soit d’apprécier le caractère obscur ou ambigu d’une disposition du jugement (Cass., com., 7 octobre 1981, n° 79-16.416).

?Une décision non frappée d’appel

L’article 461 du CPC prévoit que « il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel ».

Il ressort de cette disposition que l’appel fait obstacle à l’exercice du recours en interprétation.

La raison en est que cette voie de réformation des décisions de justice produit un effet dévolutif, en ce sens que la Cour d’appel devient seule compétente pour connaître du litige à l’exclusion de toute autre juridiction

L’exercice du recours en interprétation redeviendra néanmoins possible en cas d’irrecevabilité de l’appel.

Quant au pourvoi en cassation, il est sans incidence sur le recours en interprétation qui peut parfaitement être exercé.

II) Pouvoirs du juge

Parce que le recours en interprétation vise seulement à éclairer les parties sur le sens ou la portée d’une décision rendue, le juge ne saurait en modifier les dispositions.

Il en résulte qu’il ne peut, ni revenir sur les droits et obligations reconnues aux parties, ni modifier les mesures ou sanctions prononcées, ce pouvoir étant dévolu aux seules juridictions de réformation.

Régulièrement la Cour de cassation rappelle que « les juges saisis d’une contestation relative à l’interprétation d’une précédente décision ne peuvent, sous prétexte d’en déterminer le sens, apporter une modification quelconque aux dispositions précises de celle-ci » (Cass. civ. 30 mars 1965, n°63-10.370).

Dans le même sens, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt du 2 juin 2015 que « le juge, saisi d’une contestation relative à l’interprétation d’une précédente décision, ne peut, sous le prétexte d’en déterminer le sens, apporter une quelconque modification à cette dernière, en modifiant les droits et obligations qu’il a reconnus aux parties » (Cass. 3e civ., 2 juin 2015, n°14-15.043).

Il est indifférent que les dispositions de la décision déférée au juge pour interprétation soient erronées (Cass. 1ère civ. 28 mai 2008, n°07-16.990). Admettre la solution inverse reviendrait à porter atteinte à l’autorité de la chose jugée dont est assortie la décision rendue.

Aussi, est-il fait interdiction au juge dans le cadre de l’exercice de son office d’interprétation de :

  • De prendre en compte des éléments de fait ou de droit nouveaux
  • De tirer des constatations établies dans sa décision des conséquences juridiques nouvelles
  • D’opérer des ajouts, des substitutions ou encore des retranchements sur la décision rendue

III) Procédure

A) Compétence

?Principe

Le juge compétent pour connaître d’un recours en interprétation est, en application de l’article 461 du CPC, celui-là même qui a rendu la décision.

Il n’est toutefois nullement exigé qu’il s’agisse de la même personne physique. Ce qui importe c’est qu’il y ait identité de juridiction et non de personne.

?Tempéraments

  • Interprétation incidente
    • Bien que seul le juge qui a rendu la décision soit compétent pour connaître d’un recours en interprétation, ce monopole ne fait pas obstacle à ce qu’une autre juridiction interprète cette décision dans le cadre d’une autre instance (Cass. 1ère civ. 18 janv. 1989, n°87-13.177).
    • L’interprétation incidence, soit effectuée par un autre juge, est dans ce cadre parfaitement admis.
  • Juge de l’exécution
    • Le pouvoir d’interpréter une décision est également dévolu au Juge de l’exécution qui, conformément à l’article L. 218-6 du Code de l’organisation judiciaire « connaît de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ».
    • La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 7 avril 2016 (Cass. 2e civ. 7 avr. 2016, n°15-17.398).
    • Ce pouvoir d’interprétation ne pourra toutefois être exercé que dans le cadre d’une contestation portant sur une mesure d’exécution prise en application d’un titre exécutoire.
    • Le juge de l’exécution ne pourra, en aucun cas, faire droit à une demande en interprétation formulée à titre principal

B) Saisine du juge

1. Délai pour agir

Contrairement au recours en omission de statuer qui doit être exercé dans le délai d’un an après que la décision est passée en force de chose jugée, l’exercice du recours en interprétation n’est subordonné à l’observation d’aucun délai.

Aussi, convient-il de se reporter au délai de droit commun d’exécution des décisions de justice qui, en application de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution est porté à 10 ans sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.

2. Auteur de la saisine

À la différence de la procédure en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui peut être initiée par le juge qui dispose d’un pouvoir de se saisir d’office, la procédure d’interprétation ne peut être engagée que par les parties elles-mêmes.

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 décembre 2013 aux termes duquel elle a affirmé que « la demande en interprétation est formée par simple requête de l’une des parties » (Cass. 2e civ. 5 déc. 2013, n°12-27.461).

À cet égard, lorsque la représentation est obligatoire, le recours devra être par l’entremise d’un avocat.

3. Mode de saisine

Si, par principe, le recours en interprétation est exercé par voie de requête, il est admis que l’instance puisse être introduite au moyen d’une assignation.

?Principe

  • Une requête
    • L’article 461 du CPC prévoit que « la demande en interprétation est formée par simple requête de l’une des parties ou par requête commune. »
    • Le recours en interprétation doit ainsi être exercé par voie de requête unilatérale ou conjointe.
    • Pour rappel :
      • La requête unilatérale est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
      • La requête conjointe est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte commun par lequel les parties soumettent au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
  • Forme de la requête
    • À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.
    • Ces mentions sont énoncées aux articles 54, 57 et 757 du CPC.
  • Dépôt de la requête
    • La requête doit être déposée au greffe de la juridiction saisie en deux exemplaires.
    • La remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué au déposant afin qu’il conserve une preuve du dépôt.
    • L’article 461 du CPC prévoyant que « le juge se prononce les parties entendues ou appelées », on en déduit que la procédure est contradictoire.
    • Aussi, en cas de dépôt d’une requête unilatérale, il y a lieu de la notifier à la partie adverse.

?Exception

La jurisprudence admet que le mode de saisine énoncé par l’article 461 du CPC n’est pas exclusif, de sorte que le recours en interprétation peut être exercé par voie d’assignation.

Ce mode de saisine présente l’avantage d’ouvrir immédiatement un débat contradictoire, raison pour laquelle il est admis.

C) Convocation des parties

L’article 461, al. 2 in fine du CPC prévoit que « le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées »

Ainsi, afin d’adopter sa décision interprétative, le juge a l’obligation d’auditionner et d’entendre les parties, étant précisé que, en l’absence de délai de comparution, le juge doit leur laisser un temps suffisant pour préparer leur défense.

D) Représentation

S’agissant de la représentation des parties, la procédure d’interprétation répond aux mêmes règles que celles ayant donné lieu à la décision rendue.

Aussi, selon les cas, la représentation par avocat sera obligatoire ou facultative. En cas de représentation facultative, la requête pourra, dans ces conditions, être déposée par les parties elles-mêmes.

E) Régime de la décision interprétative

?Incorporation dans la décision initiale

Ainsi que le rappelle régulièrement la jurisprudence, la décision interprétative a vocation à s’incorporer à la décision interprétée.

Il en résulte qu’elle est assujettie aux mêmes règles que le jugement sur lequel elle porte. Plus précisément elle en emprunte tous les caractères.

Ainsi, la décision interprétative donne lieu aux mêmes voies de recours que la décision rectifiée. Si elle est rendue en dernier ressort, il en ira de même pour le jugement interprétatif.

Surtout, en cas d’exercice d’une voie de recours contre la décision interprétée, la décision interprétatrice subira le même sort, y compris s’agissant de l’issue de la procédure d’appel ou de cassation.

?Voies de recours

Il y a lieu ici de distinguer selon que le juge fait droit à la demande d’interprétation ou la rejette.

  • Le juge fait droit à la demande d’interprétation
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence admet qu’un recours puisse être exercé contre la décision interprétative prise isolément à la condition toutefois que les griefs formulés portent sur l’interprétation en tant que telle de la décision rectifiée.
    • À cet égard, il est indifférent que cette dernière soit passée en force de chose jugée, l’important étant que la voie de recours soit exercée dans les délais requis.
  • Le juge rejette la demande de rectification
    • Dans cette hypothèse, le recours exercé est indépendant des recours susceptibles d’être exercés contre la décision initiale.
    • Il s’agit ici de critiquer, non pas l’interprétation du jugement rendu, mais le refus d’interprétation opposé par le juge.
  1. J. Heron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé ?

Les servitudes relatives aux égouts des toits

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation ainsi que les égouts des toits. Nous nous focaliserons ici sur ces dernières.

L’article 681 du Code civil dispose que « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »

Il ressort de cette disposition que tout propriétaire doit construire le toit qui couvre l’immeuble situé sur son fonds de telle manière que les eaux pluviales ne se déversent pas sur le fonds voisin.

Par eaux pluviales, il faut entendre toutes celles qui n’ont pas été altérées par le fait de l’homme, telles que les eaux industrielles, usées, fétides ou insalubres (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1963).

Une fois tombées au sol, les eaux pluviales pourront néanmoins, en application de l’article 641 du Code civil, s’écouler sur les fonds inférieurs, dès lors que cet écoulement est le résultat naturel de la configuration des lieux (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 nov. 1972).

En tout état de cause, il appartient au propriétaire de bâtir son toit de telle manière que l’eau de pluie se déverse :

  • Soit sur son propre fonds
  • Soit sur la voie publique

Cette obligation qui pèse sur les propriétaires s’applique quelle que soit la localisation du fonds et de l’usage qui est fait du bâtiment.

Il peut être observé que le déversement des eaux pluviales sur la voie publique est susceptible d’être encadrée par la commune, des règles d’urbanisme pouvant notamment imposer des raccordements au réseau communal.

Par ailleurs, il a été admis que, lorsqu’une partie d’un fonds est détenue en indivision par plusieurs propriétaires, le déversement des eaux pluviales puisse s’effectuer sur une bande de terrain indivis, dès lors que cet écoulement est conforme à la destination des lieux et n’est pas incompatible avec le droit d’un coindivisaire (Cass. 3e civ. 9 janv. 1985, n°83-14000).

Les servitudes relatives à l’écoulement des eaux (naturel et aggravé)

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation.

Nous nous focaliserons ici sur celles relatives à l’écoulement des eaux, lesquelles se divisent en deux catégories :

  • Les servitudes relatives à l’écoulement naturel des eaux
  • Les servitudes relatives à l’écoulement aggravé des eaux

I) La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux

  • Principe
    • L’article 640 du Code civil dispose que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé en aval d’un fonds situé en amont ne peut pas faire obstacle à l’écoulement des eaux, dès lors que celui-ci est le résultat naturel de la situation des lieux et non celui du fait de l’homme.
  • Domaine
    • La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux pèse tant sur les fonds privés que sur les fonds relevant du domaine public.
    • À cet égard, il est indifférent que le fonds servant et le fonds dominant soient séparés par une voie publique.
    • Cette servitude s’applique encore aux eaux d’infiltration, et de source, aussi bien qu’aux eaux pluviales et à celles qui proviennent de la fonte des neiges
  • Condition
    • Le bénéfice de la servitude d’écoulement naturel des eaux est subordonné à l’absence d’intervention de la main de l’homme.
    • Autrement dit, l’écoulement de l’eau doit être le résultat naturel de la configuration des lieux.
    • Cette servitude n’a donc pas vocation à s’appliquer aux eaux usées, aux eaux ménagères ou encore aux eaux industrielles
  • Obligations
    • La servitude d’écoulement naturel des eaux emporte deux conséquences pour les propriétaires des fonds servants et dominants
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant
        • L’article 663, al.2e prévoit que « le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. »
        • Ainsi est-il fait défense au propriétaire du fonds servant d’empêcher l’écoulement des eaux et édifiant quelque obstacle que ce soit.
        • Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité délictuelle (V. en ce sens 3e civ. 3 avr. 2012, n°11-14328)
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds dominant
        • L’article 663, al. 3e dispose que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »
        • Cette obligation mise à la charge du propriétaire du fonds dominant doit être comprise comme lui interdisant d’affecter l’écoulement naturel des eaux en déversant, par exemple, des eaux usées ou ménagères.
        • Dès lors que l’intervention du propriétaire du fonds dominant modifie l’écoulement des eaux, il y a aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.
        • Or cette aggravation est constitutive d’une faute susceptible de donner lieu à une indemnisation du préjudice causé.
        • Le propriétaire du fonds servant peut encore contraindre, sous astreinte, le propriétaire du fonds supérieur à réaliser des travaux afin que cesse l’écoulement anormal des eaux.

II) La servitude relative à l’écoulement aggravé des eaux

Si, en application de l’article 663, al. 3e du Code civil « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur », la loi du 8 avril 1898 est venue assortir ce principe d’exceptions.

Ces exceptions ne sont autres que des applications du principe général posé à l’article 641, al. 1er du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds. »

Aussi, est-il certains cas où le propriétaire du fonds dominant est en droit d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant, cette aggravation n’étant permise que dans le cadre d’une utilisation des eaux à des fins agricoles ou industrielles.

  • Les cas d’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux
    • Premier cas
      • L’aggravation est permise lorsque le propriétaire du fonds dominant fait usage des eaux pluviales ou en affecte la direction de leur écoulement ( 641, al. 2e C. civ.).
      • Il en va également pour les eaux de sources nées sur un fonds ( 641, al. 3 C. civ.)
      • En contrepartie, l’article 641 prévoit qu’une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur.
    • Second cas
      • L’aggravation est encore permise lorsque, par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir ( 641, al. 4e C. civ.)
      • Le propriétaire du fonds servant aura alors droit à une indemnité en cas de dommages résultant de l’écoulement des eaux
  • Exceptions
    • L’article 641, al. 5 du Code civil prévoit que « les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la servitude d’écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents.»
    • Dans les hypothèses visées par cet alinéa, l’aggravation de la servitude d’écoulement naturel des eaux est ainsi prohibée.
  • Procédure
    • L’article 641, al. 6 du Code civil précise que les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice des servitudes prévues par ces paragraphes et le règlement, s’il y a lieu, des indemnités dues aux propriétaires des fonds inférieurs sont portées, en premier ressort, devant le juge du tribunal judiciaire du canton qui, en prononçant, doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l’industrie avec le respect dû à la propriété.
    • En outre, s’il y a lieu à expertise, il peut n’être nommé qu’un seul expert ( 641, al. 7e C. civ.)

Les servitudes naturelles: régime juridique

L’article 639 du Code civil distingue trois modes de constitution des servitudes :

  • Les servitudes qui dérivent de la situation des lieux
  • Les servitudes qui sont établies par la loi
  • Les servitudes qui sont établies par le fait de l’homme

S’agissant des premières, elles se justifient par la configuration de certains fonds qui les rend nécessaires. Ces servitudes intéressent principalement l’écoulement des eaux, le drainage et l’irrigation.

Si les rédacteurs du Code civil ont également rangé dans cette catégorie les opérations de bornage et de clôture d’un fonds, il est admis que ces opérations ne s’apparentent nullement en des servitudes, raison pour laquelle elles sont traitées dans un fascicule séparé.

I) Les servitudes relatives à l’écoulement des eaux

==> La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux

  • Principe
    • L’article 640 du Code civil dispose que « les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué. »
    • Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé en aval d’un fonds situé en amont ne peut pas faire obstacle à l’écoulement des eaux, dès lors que celui-ci est le résultat naturel de la situation des lieux et non celui du fait de l’homme.
  • Domaine
    • La servitude relative à l’écoulement naturel des eaux pèse tant sur les fonds privés que sur les fonds relevant du domaine public.
    • À cet égard, il est indifférent que le fonds servant et le fonds dominant soient séparés par une voie publique.
    • Cette servitude s’applique encore aux eaux d’infiltration, et de source, aussi bien qu’aux eaux pluviales et à celles qui proviennent de la fonte des neiges
  • Condition
    • Le bénéfice de la servitude d’écoulement naturel des eaux est subordonné à l’absence d’intervention de la main de l’homme.
    • Autrement dit, l’écoulement de l’eau doit être le résultat naturel de la configuration des lieux.
    • Cette servitude n’a donc pas vocation à s’appliquer aux eaux usées, aux eaux ménagères ou encore aux eaux industrielles
  • Obligations
    • La servitude d’écoulement naturel des eaux emporte deux conséquences pour les propriétaires des fonds servants et dominants
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant
        • L’article 663, al.2e prévoit que « le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. »
        • Ainsi est-il fait défense au propriétaire du fonds servant d’empêcher l’écoulement des eaux et édifiant quelque obstacle que ce soit.
        • Le manquement à cette obligation engage sa responsabilité délictuelle (V. en ce sens 3e civ. 3 avr. 2012, n°11-14328)
      • Création d’une obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds dominant
        • L’article 663, al. 3e dispose que « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »
        • Cette obligation mise à la charge du propriétaire du fonds dominant doit être comprise comme lui interdisant d’affecter l’écoulement naturel des eaux en déversant, par exemple, des eaux usées ou ménagères.
        • Dès lors que l’intervention du propriétaire du fonds dominant modifie l’écoulement des eaux, il y a aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.
        • Or cette aggravation est constitutive d’une faute susceptible de donner lieu à une indemnisation du préjudice causé.
        • Le propriétaire du fonds servant peut encore contraindre, sous astreinte, le propriétaire du fonds supérieur à réaliser des travaux afin que cesse l’écoulement anormal des eaux.

==> La servitude relative à l’écoulement aggravé des eaux

Si, en application de l’article 663, al. 3e du Code civil « le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur », la loi du 8 avril 1898 est venue assortir ce principe d’exceptions.

Ces exceptions ne sont autres que des applications du principe général posé à l’article 641, al. 1er du Code civil qui prévoit que « tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds. »

Aussi, est-il certains cas où le propriétaire du fonds dominant est en droit d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant, cette aggravation n’étant permise que dans le cadre d’une utilisation des eaux à des fins agricoles ou industrielles.

  • Les cas d’aggravation de la servitude d’écoulement des eaux
    • Premier cas
      • L’aggravation est permise lorsque le propriétaire du fonds dominant fait usage des eaux pluviales ou en affecte la direction de leur écoulement ( 641, al. 2e C. civ.).
      • Il en va également pour les eaux de sources nées sur un fonds ( 641, al. 3 C. civ.)
      • En contrepartie, l’article 641 prévoit qu’une indemnité est due au propriétaire du fonds inférieur.
    • Second cas
      • L’aggravation est encore permise lorsque, par des sondages ou des travaux souterrains, un propriétaire fait surgir des eaux dans son fonds, les propriétaires des fonds inférieurs doivent les recevoir ( 641, al. 4e C. civ.)
      • Le propriétaire du fonds servant aura alors droit à une indemnité en cas de dommages résultant de l’écoulement des eaux
  • Exceptions
    • L’article 641, al. 5 du Code civil prévoit que « les maisons, cours, jardins, parcs et enclos attenant aux habitations ne peuvent être assujettis à aucune aggravation de la servitude d’écoulement dans les cas prévus par les paragraphes précédents.»
    • Dans les hypothèses visées par cet alinéa, l’aggravation de la servitude d’écoulement naturel des eaux est ainsi prohibée.
  • Procédure
    • L’article 641, al. 6 du Code civil précise que les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice des servitudes prévues par ces paragraphes et le règlement, s’il y a lieu, des indemnités dues aux propriétaires des fonds inférieurs sont portées, en premier ressort, devant le juge du tribunal judiciaire du canton qui, en prononçant, doit concilier les intérêts de l’agriculture et de l’industrie avec le respect dû à la propriété.
    • En outre, s’il y a lieu à expertise, il peut n’être nommé qu’un seul expert ( 641, al. 7e C. civ.)

II) Les servitudes relatives à l’irrigation et au drainage

Le code rural et de la pêche maritime envisage des servitudes spécifiques qui visent à permettre l’irrigation et le drainage des sols.

  • La Servitude pour l’établissement de canalisations publiques d’eau ou d’assainissement
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-1 à L. 152-2 du Code rural
    • L’article L. 152-1 prévoit que, « il est institué au profit des collectivités publiques, des établissements publics ou des concessionnaires de services publics qui entreprennent des travaux d’établissement de canalisations d’eau potable ou d’évacuation d’eaux usées ou pluviales une servitude leur conférant le droit d’établir à demeure des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. »
    • L’établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité.
    • Il fait l’objet d’une enquête publique réalisée selon les modalités prévues au livre Ier du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
    • Les contestations relatives à l’indemnité prévue au deuxième alinéa de l’article L. 152-1 sont jugées comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
  • La Servitude de passage des conduites d’irrigation
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-3 à L. 152-6 du Code rural
    • L’article L. 152-3 prévoit que « il est institué, au profit de collectivités publiques et de leurs concessionnaires ainsi qu’au profit des établissements publics, une servitude leur conférant le droit d’établir à demeure, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l’exploitation présente et future, en vue de l’irrigation, des canalisations souterraines dans les terrains privés non bâtis, excepté les cours et jardins attenant aux habitations. »
    • L’établissement de cette servitude ouvre droit à indemnité.
    • Les contestations relatives à cette indemnité sont jugées comme en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.
  • La servitude de passage des engins mécaniques et de dépôt pour l’entretien des canaux d’irrigation
    • Cette servitude est régie aux articles L. 152-7 à L. 152-12 du Code rural
    • L’article L. 152-7 prévoit que les riverains de celles des sections de canaux d’irrigation pour lesquelles l’application des dispositions du présent article aura été déclarée d’utilité publique sont tenus de permettre le libre passage et l’emploi sur leurs propriétés, dans la limite d’une largeur de quatre mètres à partir de la rive, des engins mécaniques servant aux opérations d’entretien.
    • Ils doivent également permettre en certains endroits le dépôt des produits de curage et de faucardement.
    • À ces endroits, la zone grevée de servitude peut atteindre le double de la largeur existant entre les berges opposées du canal reprofilé.
    • En outre, les terrains bâtis ou clos de murs, les cours et jardins attenants aux habitations à la date de publication de l’acte prescrivant l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique sont exonérés des servitudes de passage et de dépôt.
    • Si le propriétaire le requiert, l’expropriation des terrains grevés de la servitude de dépôt est obligatoire.
    • L’établissement des servitudes donne droit à indemnité.
  • La servitude de passage des engins mécaniques et de dépôt pour l’entretien de certains canaux d’assainissement
    • Cette servitude est régie par l’article L. 152-13 du Code rural
    • Ce texte prévoit que les dispositions des articles L. 152-7 à L. 152-11 relatifs à une servitude de passage des engins mécaniques sur les terrains bordant certains canaux d’irrigation et à une servitude de dépôts sont applicables à ceux des émissaires d’assainissement qui, n’ayant pas le caractère de cours d’eau naturels, sont exclus du bénéfice des dispositions relatives aux servitudes de passage sur les berges des cours d’eau non domaniaux.
  • La servitude dite d’aqueduc
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-14 à L. 152-16 du Code rural
    • L’article L. 152-14 prévoit que toute personne physique ou morale, qui veut user pour l’alimentation en eau potable, pour l’irrigation ou, plus généralement, pour les besoins de son exploitation, des eaux dont elle a le droit de disposer, peut obtenir le passage par conduite souterraine de ces eaux sur les fonds intermédiaires, dans les conditions les plus rationnelles et les moins dommageables à l’exploitation présente et future de ces fonds, à charge d’une juste et préalable indemnité.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours et jardins y attenant.
    • Cette servitude s’applique également en zone de montagne pour obtenir le passage des eaux destinées à l’irrigation par aqueduc ou à ciel ouvert dans les mêmes conditions que celles prévues au premier alinéa.
    • L’article L. 152-15 du Code rural précise que les propriétaires des fonds inférieurs doivent recevoir les eaux qui s’écoulent des terrains ainsi arrosés, sauf l’indemnité qui peut leur être due.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours, jardins, parcs et enclos y attenant.
    • Les eaux usées, provenant des habitations alimentées et des exploitations desservies en application de l’article L. 152-14, peuvent être acheminées par canalisation souterraine vers des ouvrages de collecte et d’épuration sous les mêmes conditions et réserves énoncées à l’article L. 152-14, concernant l’amenée de ces eaux.
    • Enfin, les contestations auxquelles peut donner lieu l’établissement de la servitude, la fixation du parcours de la conduite d’eau, de ses dimensions et de sa forme, et les indemnités dues soit au propriétaire du fonds traversé, soit à celui du fonds qui reçoit l’écoulement des eaux sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire qui, en prononçant, doivent concilier l’intérêt de l’opération avec le respect dû à la propriété.
  • La servitude d’appui
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-17 à L. 152-19 du Code rural
    • L’article L. 152-17 prévoit que tout propriétaire qui veut se servir, pour l’irrigation de ses propriétés, des eaux naturelles ou artificielles dont il a le droit de disposer, peut obtenir la faculté d’appuyer sur la propriété du riverain opposé les ouvrages d’art nécessaires à sa prise d’eau, à la charge d’une juste et préalable indemnité.
    • Sont exceptés de cette servitude les bâtiments, cours et jardins attenants aux habitations.
    • L’article L. 152-18 précise que le riverain sur les fonds duquel l’appui est réclamé peut toujours demander l’usage commun du barrage, en contribuant pour moitié aux frais d’établissement et d’entretien ; aucune indemnité n’est respectivement due dans ce cas, et celle qui aurait été payée doit être rendue.
    • Lorsque cet usage commun n’est réclamé qu’après le commencement ou la confection des travaux, celui qui le demande doit supporter seul l’excédent auquel donnent lieu les changements à faire au barrage pour le rendre propre à l’irrigation des deux rives.
    • Enfin, les contestations auxquelles peut donner lieu l’application de cette servitude sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire.
  • La servitude d’écoulement
    • Cette servitude est régie par les articles L. 152-20 à L. 152-23 du Code rural
    • L’article L. 152-20 prévoit que tout propriétaire qui veut assainir son fonds par le drainage ou un autre mode d’assèchement peut, moyennant une juste et préalable indemnité, en conduire les eaux souterrainement ou à ciel ouvert à travers les propriétés qui séparent ce fonds d’un cours d’eau ou de toute autre voie d’écoulement.
    • Sont exceptés de cette servitude les habitations et les cours, jardins, parcs et enclos y attenant.
    • L’article L. 152-21 du Code rural précise que
    • Les propriétaires de fonds voisins ou traversés ont la faculté de se servir des travaux faits en vertu de l’article L. 152-20, pour l’écoulement des eaux et de leurs fonds.
    • Ils supportent dans ce cas :
      • Une part proportionnelle dans la valeur des travaux dont ils profitent ;
      • Les dépenses résultant des modifications que l’exercice de cette faculté peut rendre nécessaires ;
      • Pour l’avenir, une part contributive dans l’entretien des travaux devenus communs.
    • À cet égard, les associations syndicales, pour l’assainissement des terres par le drainage et par tout autre mode d’assèchement, et l’État, pour le dessèchement de marais ou la mise en valeur de terres incultes appartenant aux communes ou sections de communes, jouissent des mêmes droits et supportent les mêmes obligations.
    • Enfin, les contestations auxquelles peuvent donner lieu l’établissement et l’exercice de la servitude, la fixation du parcours des eaux, l’exécution des travaux de drainage ou d’assèchement, les indemnités et les frais d’entretien sont portées devant les tribunaux de l’ordre judiciaire qui, en prononçant, doivent concilier les intérêts de l’opération avec le respect dû à la propriété.

III) Les servitudes relatives aux égouts des toits

L’article 681 du Code civil dispose que « tout propriétaire doit établir des toits de manière que les eaux pluviales s’écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin. »

Il ressort de cette disposition que tout propriétaire doit construire le toit qui couvre l’immeuble situé sur son fonds de telle manière que les eaux pluviales ne se déversent pas sur le fonds voisin.

Par eaux pluviales, il faut entendre toutes celles qui n’ont pas été altérées par le fait de l’homme, telles que les eaux industrielles, usées, fétides ou insalubres (Cass. 1ère civ. 4 déc. 1963).

Une fois tombées au sol, les eaux pluviales pourront néanmoins, en application de l’article 641 du Code civil, s’écouler sur les fonds inférieurs, dès lors que cet écoulement est le résultat naturel de la configuration des lieux (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 nov. 1972).

En tout état de cause, il appartient au propriétaire de bâtir son toit de telle manière que l’eau de pluie se déverse :

  • Soit sur son propre fonds
  • Soit sur la voie publique

Cette obligation qui pèse sur les propriétaires s’applique quelle que soit la localisation du fonds et de l’usage qui est fait du bâtiment.

Il peut être observé que le déversement des eaux pluviales sur la voie publique est susceptible d’être encadrée par la commune, des règles d’urbanisme pouvant notamment imposer des raccordements au réseau communal.

Par ailleurs, il a été admis que, lorsqu’une partie d’un fonds est détenue en indivision par plusieurs propriétaires, le déversement des eaux pluviales puisse s’effectuer sur une bande de terrain indivis, dès lors que cet écoulement est conforme à la destination des lieux et n’est pas incompatible avec le droit d’un coindivisaire (Cass. 3e civ. 9 janv. 1985, n°83-14000).

Servitude de passage: la notion d’enclave

Première condition exigée pour qu’une servitude de passage puisse être constituée, le propriétaire qui s’en prévaut doit justifier de l’état d’enclave de son fonds.

Cette condition ressort expressément de l’article 682 du Code civil qui définit le fonds enclavé comme celui qui ne comporte, soit aucune issue, soit qu’un accès réduit et insuffisant à la voie publique.

La situation d’enclave se caractérise ainsi par la réunion de deux éléments cumulatifs

  • L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie
  • L’absence de voie ouverture au public

I) L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie

==> L’absence d’issue sur la voie publique

L’article 682 du Code civil prévoit que le fonds enclavé est d’abord celui « qui n’a sur la voie publique aucune issue »

À l’examen, cette absence d’issue peut tenir, soit à l’impossibilité physique s’accéder au fonds, soit à une impossibilité juridique.

  • L’impossibilité matérielle d’accéder au fond
    • Critère physique
      • La situation d’enclave d’un fonds est le plus souvent liée à la configuration des lieux qui rendent sont accès impossible.
      • Cette situation se rencontrera lorsque le fonds est entouré par des terres qui appartiennent à d’autres propriétaires.
      • Il a par exemple été jugé dans un arrêt du 30 janvier 1884 rendu par la Cour de cassation que l’état d’enclave était caractérisé lorsque le fonds était séparé de la voie publique par un talus dont la pense rendait impossible le passage des chevaux et des bestiaux affectés à son exploitation ( req. 30 janv. 1884).
      • Plus généralement, cet état d’enclave est établi lorsqu’il est physiquement impossible d’aménager un accès à la voie publique, en raison du relief, de la position du fonds, ou de la configuration des lieux.
      • Il convient enfin d’observer que l’état d’enclave s’apprécie globalement, soit en considération de l’ensemble des parcelles contiguës susceptibles d’être détenus par un même propriétaire et constituant un même fonds.
      • En effet, La servitude de passage est réservée à celui dont le fonds est enclavé, et n’est pas applicable dès lors que seulement l’une des parcelles qui compose le fonds est enclavée.
      • La demande en reconnaissance de servitude de passage est par conséquent infondée dès lors que le fonds est constitué de plusieurs parcelles contiguës dont l’une dispose d’un accès à la voie publique, le propriétaire de ce fonds devant faire son affaire de l’enclavement de l’autre parcelle (CA Douai, 1re ch., 2e sect., 25 janv. 2018, n° 17/02067).
    • Critère économique
      • Afin d’apprécier le caractère enclavé d’un terrain, les juridictions tiennent compte du coût des travaux à réaliser pour établir une communication avec la voie publique.
      • Dans un arrêt du 4 juin 1971 la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’état d’enclave était établi lorsque les chemins ruraux permettant d’accéder au fonds sont impraticables et que leur remise en état engendrerait une dépense excessive « qui serait hors de proportion avec l’usage qui en serait fait et la valeur de la propriété» ( 3e civ. 4 juin 1971, n°70-11857).
      • Les juges refuseront, en revanche, de considérer qu’un fonds est enclavé lorsqu’il est possible de le rendre accessible en mettant en œuvre des moyens normaux et raisonnables.
      • Ainsi, les juridictions doivent-elles vérifier si le propriétaire du fonds enclavé ne dispose pas d’une solution de nature à remédier à l’absence d’issue ( 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-18488).
      • Dans un arrêt du 8 juillet 2009, la Cour de cassation a par exemple reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « comme il le lui était demandé, s’il suffisait à Mme X… de réaliser sur ses parcelles des travaux permettant un accès à la voie publique dont le coût ne serait pas disproportionné par rapport à la valeur de son fonds» ( 3e civ. 8 juill. 2009, n°08-11745).
      • La troisième chambre civile a néanmoins précisé dans un arrêt du 8 avril 1999, qu’il n’appartient pas au juge de procéder d’office à cette recherche tenant à la disproportion du coût des travaux à réaliser pour désenclaver le fonds ( 3e civ. 8 avr. 1999, n°97-11716).
      • Ce moyen doit être soulevé par les parties, faute de quoi le juge ne pourra pas tenir compte du critère économique pour déterminer si le fonds est enclavé.
  • L’impossibilité juridique d’accéder au fonds
    • La situation d’enclave d’un terrain ne tient pas seulement à la configuration physique des lieux, elle peut également procéder de contraintes juridiques.
    • Tel sera le cas lorsque l’accès à la voie publique est interdit, soit par une règle juridique, soit par une décision prise par une autorité compétente.
    • Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a, par exemple, admis l’état d’enclave juridique d’un fonds, au motif que « le certificat d’urbanisme interdisait tout accès direct depuis la route départementale 183 au fonds de la SCI»
    • Or dans la mesure où cette dernière « ne pouvait se voir contrainte à exercer un recours à l’encontre de cet acte […] le fonds concerné était enclavé et devait bénéficier d’une servitude légale de passage» ( 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-26640).
    • Dans un arrêt du 8 octobre 1985, la troisième chambre civile a précisé qu’il ne suffit pas que l’accès à la voie publique soit subordonné à l’obtention d’une autorisation administrative, encore faut-il que la demande d’autorisation soit valablement refusée ( 3e civ. 8 oct. 1985, n°84-12213).

==> L’insuffisance de l’issue sur la voie publique

La situation d’enclave d’un fonds est caractérisée, non seulement lorsque celui-ci ne comporte aucune issue, mais encore lorsque l’accès qui le relie à la voie publique est insuffisant.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la notion d’« issue insuffisance » visée par l’article 682 du Code civil.

À l’examen, cette insuffisance d’accès est appréciée, selon la formule de la Cour de cassation, en considération « de l’état des lieux et des communications nécessaires à l’utilisation normale du fonds dominant, compte tenu de sa destination » (Cass. 1ère civ. 8 mars 1965, n°63-11698).

En la matière les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation, la Cour de cassation se limitant à un contrôle restreint de la motivation (Cass. 3e civ., 27 oct. 2004, n° 03-15151).

L’insuffisance d’accès justifiant la constitution d’une servitude de passage résultera le plus souvent de la configuration des lieux.

Tel est le cas notamment lorsque l’accès qui relie le fonds à la voie publique est :

  • Soit trop étroit, de telle sorte qu’il ne peut pas être emprunté en voiture ou qu’il n’est pas possible de faire passer des véhicules utilitaires ou des engins agricoles (V. en ce sens 3e civ., 16 mars 2017, 15-28551).
  • Soit trop dangereux, en ce sens que son utilisation fait courir un risque au propriétaire car supposant, par exemple, d’emprunter une voie d’eau, de longer une falaise ou encore d’utiliser un chemin escarpé en proie aux éboulements ( req., 31 juill. 1844).

En revanche, l’état d’enclave sera refusé :

  • Soit en cas de possibilité d’aménagement de l’accès
    • Lorsque des travaux dont le coût n’est pas excessif eu égard la valeur du fonds peuvent être réalisés afin d’aménager un accès à la voie publique, le terrain ne sera pas considéré comme enclavé ( 3e civ., 11 févr. 1975, n° 73-13974).
    • Ainsi, lorsque les obstacles qui limitent l’accès peuvent être facilement supprimés au moyen d’aménagement peu coût, le propriétaire du fonds ne sera pas fondé à réclamer la constitution d’une servitude.
    • Il ne faut toutefois pas que le coût des travaux à réaliser soit hors de proportion avec l’usage qui sera fait du fonds et la valeur de la propriété.
    • C’est donc sur la base d’un critère économique qu’il pourra être déterminé si un aménagement de l’accès à la charge du propriétaire du fonds est envisageable dans des conditions raisonnables.
  • Soit en cas de simple commodité
    • Un terrain ne sera pas considéré comme enclavé lorsque l’insuffisance d’accès dont se prévaut le propriétaire du fonds procède d’une simple commodité personnelle, en ce sens que la constitution de la servitude n’est pas indispensable à l’usage normal du fonds ( 3e civ. 24 juin 2008, n°07-15944).
    • Tel sera le cas lorsque le fonds dispose déjà d’un accès à la voie publique et que son propriétaire cherche à réduire son temps de trajet pour y accéder (CA Nîmes, 2e ch. civ., A, 6 oct. 2016, n° 14/04909)
    • Si dès lors il existe un passage suffisant pour accéder au fonds, la demande de désenclavement ne pourra pas prospérer, les juridictions considérant qu’elle relève de la simple commodité ainsi que de la convenance personnelle.
    • La constitution d’une servitude de passage est une atteinte significative au droit de propriété
    • Aussi, ne doit-elle être admise que lorsqu’il est démontré qu’elle est indispensable et que le propriétaire du fonds ne dispose d’aucune alternative raisonnable pour y accéder.

II) L’existence d’une voie ouverte au public

L’état d’enclave suppose, outre la difficulté d’accès au fonds, l’absence d’issue sur la voie publique.

La notion de « voie publique » doit être entendue de façon extensive, en ce sens qu’il faut l’envisager, non pas sous l’angle du droit public – ce qui exclurait les voies privées –, mais la comprendre dans une acception générale.

Par « voie publique », il faut ainsi plutôt comprendre voie « ouverte au public » ou « affectée à l’usage du public ».

Il suffit pour s’en convaincre de tourner le regard vers un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 13 mai 2009 (Cass. 3e civ. 13 mai 2009, n°08-14640).

Dans cette affaire, une Cour d’appel avait admis la constitution d’une servitude de passage considérant que le fonds bénéficiaire était seulement desservi par des voies privées et non par une voie publique.

La Cour de cassation censure cette décision au motif que les juges du fonds auraient dû rechercher si les parcelles étaient ouvertes au public et permettaient à leur propriétaire d’accéder à son fonds.

Le statut de la voie par laquelle est desservi le fonds est ainsi sans incidence sur la qualification d’enclave. Il est indifférent que cette voie relève du domaine privé ou qu’elle soit détenue à titre privatif.

Seul importe qu’elle soit ouverte au public et que, par conséquent, elle puisse être empruntée par le propriétaire du fonds qui se prévaut d’une situation d’enclave.

Au nombre des voies affectées à l’usage du public figurent les voies terrestres mais également les voies d’eau, pourvu qu’elles constituent les moyens normaux de communication, de transport et d’exploitation des terrains qui les bordent.

Dès lors que la voie est interdite d’accès au public et qu’elle représente la seule issue pour un fonds, la situation d’enclave sera établie (CA Nancy, 1re ch. civ., 9 déc. 2008).

L’extinction de la servitude de passage

Les servitudes unilatérales se caractérisent par l’absence de réciprocité de la charge qui pèse le propriétaire d’un fonds.

Surtout, à la différence de la servitude réciproque, la servitude unilatérale donne lieu à une indemnisation du propriétaire du fonds servant. Son préjudice n’est, en effet, pas compensé par la réciprocité de la charge qui pèse sur lui.

Aussi, une indemnité est due par le propriétaire du fonds dominant, dont la propriété est valorisée par l’existence d’une telle servitude constituée à son profit.

L’illustration même de la servitude unilatérale, c’est la servitude de passage qui est une servitude positive puisqu’elle autorise le propriétaire du fonds dominant à accomplir un acte sur le fonds servant (passage, puisage etc.), à la différence des servitudes négatives qui exigent du propriétaire du fonds servant une abstention.

Cette servitude légale est régie aux articles 682 à 685-1 du Code civil, étant précisé qu’elle n’est envisagée qu’en cas d’enclave du fonds. L’une des principales difficultés consistera ainsi à définir ce qu’est un fonds enclavé, puisque c’est ce qui déterminera la constitution d’une servitude de passage.

  1. Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur il a longtemps été soutenu par les auteurs que la fin de l’état d’enclave emportait nécessairement remise en cause de la servitude qui était, en quelque sorte, privée de cause.

Surtout, admettre le contraire reviendrait à maintenir une servitude qui ne répondrait plus aux exigences énoncées à l’article 682 du Code civil.

Au surplus, ce serait là porter une atteinte excessive au droit de propriété du propriétaire du fonds servant qui ne doit souffrir d’un passage qu’en cas d’absolue nécessité, soit dans l’hypothèse où l’absence d’issue fait obstacle à l’utilisation normale du fonds enclavé.

Il a été opposé à cette thèse, que parce que les servitudes sont perpétuelles, le désenclavement du fonds dominant ne suffit pas à éteindre le droit de passage exercé par son propriétaire.

Finalement, la Cour de cassation a tranché en faveur dernière position, considérant que dans deux cas au moins, la servitude subsiste même quand l’enclave a cessé, d’une part, lorsqu’elle trouve sa source dans un contrat, et, d’autre part, lorsque son assiette et son mode d’exercice ont été déterminés par trente ans d’usage continu (Cass. civ., 26 août 1874, n°75.1.124).

Si le maintien de la servitude en cas de disparition de l’enclave se justifie aisément lorsqu’elle résulte d’un accord qui aura été librement discuté et négociée par les propriétaires des fonds concernés, ce maintien est moins évident lorsqu’il procède de la prescription acquisitive qui, pour la jurisprudence valait titre.

En effet, l’article 691 du Code civil pose que les servitudes discontinues, au nombre desquelles figure le droit de passage, ne peuvent pas être établies par prescription.

Admettre que, au bout de trente années d’exercice de droit de passage, le propriétaire du fonds enclavé acquiert la servitude définitivement, y compris en cas de désenclavement, c’était là manifestement faire une entorse malheureuse à la règle, car portant une atteinte excessive au droit de propriété du voisin, à plus forte raison parce que la servitude grevant son fonds n’était plus nécessaire.

Entendant les nombreuses critiques formulées par la doctrine à l’encontre de cette position jurisprudentielle, le législateur est intervenu en 1971 pour y mettre un terme.

2. Droit positif

La loi du 25 juin 1971 relative à l’extinction de la servitude de passage pour cause d’enclave a été adoptée afin d’anéantir la solution retenue par la Cour de cassation qui consistait à maintenir la servitude de passage acquise par prescription alors même que l’état d’enclave du fonds dominant avait cessé.

Selon les mots du rapporteur de ce texte, il apparaîtrait pourtant logique qu’en contrepartie de la sujétion parfois très lourde imposée au propriétaire sur le terrain duquel s’exerce la servitude, celle-ci soit limitée dans le temps par la durée même des circonstances qui en ont justifié la création.

C’est la raison pour laquelle le texte prévoit expressément que la servitude disparaît lorsque cesse l’enclave.

==> Principe

La règle est énoncée à l’article 685-1 du Code civil qui dispose que « en cas de cessation de l’enclave et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 ».

Il ressort de cette disposition que la disparition de l’état d’enclave du fonds grevé emporte anéantissement de la servitude lorsqu’elle a été établie dans les conditions de l’article 682 du Code civil.

Le jeu de la prescription acquisitive ne permet donc plus de faire subsister la servitude dont le sort est désormais lié au seul état d’enclave du fonds.

==> Domaine

Peu de temps après l’adoption de la loi du 25 juin 1971, la Cour de cassation est venue préciser dans un arrêt du 27 février 1974 que « l’article 685-1 du code civil qui ne vise que l’extinction du titre légal fondant la servitude de passage pour cause d’enclave, laisse en dehors de son champ d’application les servitudes conventionnelles » (Cass. 3e civ. 27 févr. 1974, n°72-14016).

Ainsi, lorsque l’établissement du droit de passage procède d’un accord de volonté des propriétaires, la disparition de la situation d’enclave est sans effet sur la servitude qui subsiste.

Il en va de même lorsqu’elle a été établie par destination du père de famille. Cette solution a été affirmée dans un arrêt du 16 juillet 1974 aux termes duquel il a été jugé, dans les mêmes termes que la décision précédente, que l’article 685-1 du Code civil « qui ne vise que l’extinction du titre légal fondant la servitude de passage pour cause d’enclave, laisse en dehors de son champ d’application, les servitudes conventionnelles ou résultant de la destination du père de famille » (Cass. 3e civ. 16 juill. 1974, n°73-12580).

La jurisprudence a toutefois précisé que lorsque la convention visait seulement à fixer l’assiette et les modalités du passage, l’article 685-1 demeurait applicable

Dans un arrêt du 3 novembre 1982, la troisième chambre civile a affirmé en ce sens que « en cas de cessation de l’enclave, et quelle que soit la manière dont l’assiette et le mode de la servitude ont été déterminés, le propriétaire du fonds servant peut, à tout moment, invoquer l’extinction de la servitude si la desserte du fonds dominant est assurée dans les conditions de l’article 682 du même code » (Cass. 3e civ. 3 nov. 1982).

L’application de l’article 685-1 du Code civil est donc exclue uniquement lorsque l’accord conclu entre les propriétaires porte sur le principe même de l’établissement de la servitude de passage.

Aussi, appartient-il aux juridictions de vérifier si l’état d’enclave n’a pas été la cause déterminante de la stipulation conventionnelle d’une servitude de passage, faute de quoi l’accord conclu entre les parties ne pourra pas faire obstacle à la disparition de la servitude engendrée par le désenclavement du fonds (Cass. 3e civ. 18 févr. 1997, n°95-14.389).

==> Conditions

Pour que l’extinction de la servitude de passage soit acquise, deux conditions doivent être réunies :

  • Première condition : le désenclavement du fonds
    • L’article 685-1 du Code civil prévoit que l’extinction du droit de passage est subordonnée à la disparition de l’état d’enclavement du fonds.
    • Autrement dit, il doit être démontré que le propriétaire fonds qui était enclavé dispose désormais d’un accès suffisant sur la voie publique.
    • Plus précisément il faut que cet accès permette une utilisation normale du fonds correspondant aux besoins de son exploitation ( 3e civ., 12 déc. 2006, n° 05-20857).
    • C’est donc la démonstration inverse à celle qui avait permis la constitution de la servitude qui doit être faite.
    • À cet égard, peu importe la cause du désenclavement qui peut être le fait du propriétaire lui-même, du fait d’un tiers ou d’un cas fortuit.
    • Ce qui compte c’est que ce désenclavement ait lui et qu’il offre une issue suffisante.
  • Seconde condition : constatation conventionnelle ou judiciaire
    • La disparition de l’état d’enclave du fonds n’emporte pas cessation de plein droit de la servitude du passage.
    • Pour que cette cessation soit effective, encore faut-il qu’elle soit constatée, soit par convention, soit par décision de justice (V. en ce sens 3e civ. 1er juill. 1980, n°79-11264)
    • Cette exigence s’infère du second alinéa de l’article 658-1 du Code civil dispose que « à défaut d’accord amiable, cette disparition est constatée par une décision de justice. »
    • On pourrait légitimement s’interroger sur la nécessité de ce second alinéa : si la servitude est éteinte du seul fait de la cessation de l’enclave, pourquoi devoir recourir à une décision de justice ?
    • Pour le rapporteur de la loi du 25 juin 1971, il semble toutefois que cette disposition soit indispensable pour assurer au texte une certaine souplesse d’application.
    • Plusieurs raisons sont avancées :
      • Tout d’abord, il peut y avoir lieu à contestation sur l’existence même d’une cause de cessation de l’enclave, celle-ci étant caractérisée par l’absence d’une sortie suffisante sur la voie publique.
      • Or, même s’il a acquis des parcelles d’un seul tenant jusqu’à celle-ci, le propriétaire peut rester enclavé en fait, à cause, notamment, de l’existence d’obstacles naturels.
      • Ensuite, la servitude a pu entraîner le versement d’une indemnité au profit du propriétaire du fonds servant, indemnité consistant soit en une somme en capital payée une fois pour toutes, soit en une somme annuelle, proportionnelle au dommage causé par l’exercice du droit de passage ( Req., 25 nov. 1845).
      • En outre, le bénéficiaire de la servitude a pu être amené à engager d’autres dépenses : construction d’un chemin, par exemple.
      • Il appartiendra, dans toutes ces hypothèses, au tribunal de déterminer si les frais assumés par le bénéficiaire de la servitude n’ont pas excédé le montant du préjudice qu’il a causé au propriétaire du fonds servant, ou si, au contraire, ce dernier ne bénéficie pas, du fait de la cessation de la servitude, d’un enrichissement sans cause, tant du fait des sommes reçues par lui en contrepartie d’une servitude qui n’existe plus qu’en raison des travaux accomplis par l’ancien bénéficiaire et qui peuvent conserver une utilité.
      • Le tribunal appréciera, dans ce dernier cas, le montant de l’indemnité éventuellement due par le propriétaire du terrain sur lequel s’exerçait antérieurement la servitude.
      • Enfin, Le tribunal devra dans le cas d’une servitude ayant fait l’objet d’une convention entre les parties, apprécier si l’état d’enclave a constitué la cause déterminante de cette convention, qui se trouve ainsi remise en cause si l’enclave cesse, ou si, au contraire, il s’agit d’un droit de passage pour la simple convenance du bénéficiaire, auquel cas la convention reste valable, la cause qui l’a motivée restant inchangée.
    • Pour toutes ces raisons, le législateur a souhaité mettre un garde-fou, le juge, faute d’accord amiable entre les propriétaires.

L’exercice de la servitude de passage

Les servitudes unilatérales se caractérisent par l’absence de réciprocité de la charge qui pèse le propriétaire d’un fonds.

Surtout, à la différence de la servitude réciproque, la servitude unilatérale donne lieu à une indemnisation du propriétaire du fonds servant. Son préjudice n’est, en effet, pas compensé par la réciprocité de la charge qui pèse sur lui.

Aussi, une indemnité est due par le propriétaire du fonds dominant, dont la propriété est valorisée par l’existence d’une telle servitude constituée à son profit.

L’illustration même de la servitude unilatérale, c’est la servitude de passage qui est une servitude positive puisqu’elle autorise le propriétaire du fonds dominant à accomplir un acte sur le fonds servant (passage, puisage etc.), à la différence des servitudes négatives qui exigent du propriétaire du fonds servant une abstention.

Cette servitude légale est régie aux articles 682 à 685-1 du Code civil, étant précisé qu’elle n’est envisagée qu’en cas d’enclave du fonds. L’une des principales difficultés consistera ainsi à définir ce qu’est un fonds enclavé, puisque c’est ce qui déterminera la constitution d’une servitude de passage.

  1. Les fonds assujettis au droit de passage

Il est admis que la servitude de passage est susceptible de grever tous les fonds voisins qui séparent le fonds enclavé de la voie publique.

Peu importe la nature de ces fonds, qu’ils soient contigus, qu’ils soient bâtis ou encore qu’ils soient clôturés. Leur configuration physique ou juridique est indifférente.

Il pourra donc s’agir d’un fonds sur lequel est établi une habitation, un jardin, un parc, soit n’importe quel fonds au travers duquel il est possible de relier la parcelle enclavée à la voie publique.

La seule limite a été posée par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 mars 1994 qui a jugé « qu’il résulte du principe de l’inaliénabilité des biens du domaine public qu’ils ne peuvent être grevés de servitudes légales de droit privé, et notamment d’un droit de passage en cas d’enclave » (Cass. 1ère civ. 2 mars 1994, n°87-16932).

Ainsi, les fonds qui relèvent du domaine public ne peuvent être grevés d’aucune servitude de passage, en raison de leur inaliénabilité.

2. La détermination de l’assiette de passage

Lorsque les conditions de constitution d’une servitude de passage sont réunies, cette dernière grève de plein droit les fonds voisins permettant de libérer le fonds dominant de son enclave.

Reste qu’il y a lieu de déterminer l’endroit où la servitude prendra son emprise, étant précisé que son assiette sera limitée à ce qui est nécessaire pour ouvrir une issue suffisante au fonds enclavé.

La détermination de cette assiette peut résulter de plusieurs situations :

  • La conclusion d’une convention
  • La décision du juge
  • La prescription
  • La division du fonds

a) La détermination de l’assiette de passage par convention

L’assiette du droit de passage peut, tout d’abord, être fixé par convention entre propriétaires du fonds servant et du fonds dominant.

Ce mode de détermination de l’assiette de la servitude présente l’avantage de permettre aux contractants de déroger aux critères énoncés par l’article 683 du Code civil qui aura vocation à s’appliquer faute d’accord.

La seule contrainte dont ne peuvent pas s’exonérer les parties a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 2000 : « une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété »

Il en résulte que la constitution d’une servitude doit se limiter à « l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire » (Cass. 3e civ. 24 mai 2000, n°97-22255).

Cass. 3e civ. 24 mai 2000
Sur le premier moyen :
Vu l'article 544 du Code civil, ensemble l'article 637 de ce Code ;

Attendu que la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; qu'une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 octobre 1997) que les consorts Y..., propriétaires d'un terrain, portant plusieurs bâtiments, ont vendu, après division parcellaire, à la société Toutes transactions immobilières (TTI), le 13 septembre 1988, le lot B, 21, rue Fabre-d'Eglantine et le 9 juillet 1990 le lot A, ... ; que la société TTI a revendu le lot B à la société immobilière Bust, puis le lot A à la société Natiocrédibail-Sicomi (Natiocrédibail) ; que celle-ci et la société Leva, constructeur d'un nouvel immeuble sur le terrain correspondant au lot A, ont assigné la société Immobilière Bust et le syndicat des copropriétaires du 21, rue Fabre-d'Eglantine, pour faire juger que l'enclave, dans le lot A, d'un petit local avec cabinet d'aisances attaché au lot n° 51 du lot B, était leur propriété et obtenir, avec la suppression de l'empiétement, la libération de ce local et la réparation de leur préjudice ; que la société Immobilière Bust a assigné la société Cabinet Fabre-d'Eglantine, cessionnaire d'un bail consenti par les consorts Y... en 1985 et occupant à ce titre le lot n° 51 du lot B, ainsi que la société TTI ; que les instances ont été jointes ;

Attendu que pour dire que la société Immobilière Bust dispose d'un droit de jouissance sur la parcelle, portant le cabinet d'aisances litigieux, propriété de la société Natiocrédibail, et que le bail consenti à la société Cabinet Fabre-d'Eglantine incluant ce local est opposable à la société Natiocrédibail, l'arrêt retient que l'empiétement reproché, continu et apparent, antérieur à la division parcellaire et maintenu en l'état par les auteurs communs des deux lots, relève d'une servitude de père de famille, de l'auteur commun, de droit exclusif de jouissance grevant le lot A au profit du lot B, de l'enclave incorporée dans les locaux commerciaux du lot B donnés à bail par l'auteur et qui revêt un caractère définitif compte tenu de la configuration des lieux antérieurement murés et hermétiques du côté du fonds servant et ouverts et accessibles seulement du côté du fonds dominant à partir du lot auquel la servitude est attachée ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une servitude ne peut être constituée par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il met M. X..., ès qualités, hors de cause, l'arrêt rendu le 21 octobre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Enfin, il est admis que le propriétaire du fonds dominant renonce unilatéralement à la servitude de passage.

Dans un arrêt du 3 mars 2009, la troisième chambre civile a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait fait application de l’article 682 du Code civil afin de reconnaître l’établissement d’une servitude de passage, alors même que le propriétaire du fonds enclavé y avait renoncé par déclaration unilatérale.

Au soutien de sa décision la Cour de cassation avance que « la renonciation à un droit peut résulter d’actes manifestant sans équivoque la volonté de son bénéficiaire d’y renoncer », de sorte que la renonciation du propriétaire du fonds dominant à son droit de passage était pleinement valide (Cass. 3e civ., 3 mars 2009, n°08-11.540).

b) La détermination de l’assiette de passage par décision du juge

Ce n’est que lorsque le propriétaire d’un fonds enclavé n’est pas parvenu à s’entendre sur son droit de passage avec le propriétaire du fonds voisin que le juge a vocation à intervenir.

Son intervention aura pour objet, outre la confirmation du bien-fondé de la demande de constitution d’une servitude, de déterminer son assiette.

Pour ce faire, il lui faudra faire application des critères légaux, étant précisé, ainsi que l’a indiqué la Cour de cassation dans un arrêt du 4 janvier 1991 « qu’il appartient au juge et non au propriétaire du fonds servant de fixer l’assiette du passage pour la desserte d’une parcelle enclavée, conformément aux dispositions de l’article 683 du Code civil » (Cass. 3e civ. 4 janv. 1991, n°89-18492).

À cet égard, l’article 683 du Code civil adresse une double directive au juge en prévoyant que :

  • D’une part, le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique.
  • D’autre part, il doit néanmoins être fixé dans l’endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé.

Il ressort de cette disposition que si, en principe, le trajet du passage reliant le fonds enclavé à la voie publique, c’est la ligne droite, celle-ci peut, en application de l’alinéa 2 de l’article 683, subir quelques contorsions afin de limiter le préjudice causé propriétaire du fonds servant.

En somme, l’objectif qui devra être recherché par le juge, c’est de concilier les intérêts en présence, ce qui consistera :

  • D’un côté, à définir le passage le plus court et qui corresponde à une utilisation normale du fonds dominant conformément à sa destination
  • D’un autre côté, à veiller à ce que ce passage soit le moins dommageable pour le fonds servant et qui soit compatible avec les contraintes d’urbanisme et environnementales applicables au fonds servant situé en zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager

A priori, le tracé qui permet de remplir au mieux cet objectif de conciliation des intérêts c’est la ligne droite car elle permet :

  • Du point de vue du propriétaire du fonds servant, une emprise moindre de la servitude de passage sur son terrain
  • Du point de vue du propriétaire du fonds dominant, un accès à la voie publique plus rapide et moins onéreux

À l’évidence, si le trajet rectiligne consiste a priori, en la solution la plus avantageuse pour les propriétaires voisins, cela est vrai tant que trajet ne se heurte pas à une construction où à un obstacle topographique, telle qu’un rocher ou une pente trop abrupte.

Lorsque, en effet, un obstacle se dresse sur le chemin le plus court offrant au fonds enclavé un accès sur la voie publique, il appartiendra au juge de définir des trajets alternatifs en combinant avec méthode les alinéas 1 et 2 de l’article 683 du Code civil.

À cet égard, la Cour de cassation rappelle régulièrement que les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer l’assiette qui répond aux exigences fixées par le texte (Cass. 1ère civ. 19 janv. 1969).

La Cour de cassation n’hésite pas à censurer les Cours d’appel qui retiendront la de solution de désenclavement la plus adéquate pour le fonds dominant sans rechercher si elle constitue l’endroit le moins dommageable pour le fonds servant (Cass. 3e civ. 3 mars 1993, n°91-12673).

La troisième chambre civile a précisé que dans un arrêt du 20 décembre 1989 que lorsque le maintien de l’assiette de passage à son emplacement initial entraînait un trouble au fonds dominant et que sa modification n’intervenait que pour la commodité du propriétaire du fonds servant qui avait modifié l’usage de son terrain, les frais d’implantation afférents à la nouvelle assiette sont à la seule charge de ce dernier (Cass. 3e civ. 20 déc. 1989, n°88-15376).

c) La détermination de l’assiette de passage par prescription

L’article 685, al. 1er dispose que « l’assiette et le mode de servitude de passage pour cause d’enclave sont déterminés par trente ans d’usage continu. »

Il ressort de cette disposition que la détermination de l’assiette du passage peut résulter de la prescription acquisitive.

La prescription aura pour effet de figer cette assiette, quand bien même elle ne répondrait pas aux exigences fixées à l’article 683 du Code civil.

Tel ne sera pas le cas, en revanche, du passage qui résultera d’un acte de pure faculté ou de simple tolérance lequel consiste en la permission tacite ou expresse du propriétaire octroyé à autrui.

Aussi, pour que la démarche du propriétaire du fonds enclavé puisse faire jouer la prescription acquisitive, elle devra remplir les conditions énoncées à l’article 2261 qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Aussi, est-il absolument nécessaire que le propriétaire du fonds enclavé emprunte toujours le même trajet, faute de quoi la prescription ne pourra pas jouer.

Lorsqu’il existera plusieurs tracés de servitude, la Cour de cassation considérera qu’il s’agit là d’une circonstance impropre à caractériser une possession non équivoque de l’assiette de la servitude de passage de sorte que la possession ne pourra produire aucun effet acquisitif (Cass. 3e civ. 19 oct. 2017, n° 16-23.679)

Dans un arrêt du 17 septembre 2008, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire d’un fonds bénéficiant d’une servitude conventionnelle de passage ne peut prétendre avoir prescrit par une possession trentenaire une assiette différente de celle originairement convenue » (Cass. 3e civ., 17 sept. 2008, n°07-14043).

Il ressort de cette décision que la prescription ne permet pas de modifier une assiette qui a été fixée conventionnellement. Admettre le contraire reviendrait à contrevenir à l’article 691 du Code civil qui prévoit que les servitudes discontinues ne peuvent pas être établies par prescription.

En dehors de ce cas, lorsque la prescription trentenaire est acquise, l’article 683 du Code civil ne pourra plus être invoqué aux fins de modifier l’assiette de passage, quand bien même le chemin tracé serait plus long pour le propriétaire du fonds dominant ou plus dommageable pour le propriétaire du fonds servant (V. en ce sens Cass. civ. 26 août 1874).

La possession trentenaire a donc pour effet de figer irrévocablement l’assiette du passage à l’endroit où il a toujours été exercé sans protestation.

Seule solution pour les propriétaires du fonds servant et du fonds dominant s’ils éprouvent le besoin d’anéantir les effets de la prescription : conclure une convention modifiant l’assiette de passage fixée par prescription (Cass. req. 16 juill. 1899). Cela suppose néanmoins que s’opère une rencontre des volontés, faute de quoi aucun accord ne saurait être scellé.

d) La détermination de l’assiette de passage procède d’une division

  • Principe
    • L’article 684 du Code civil dispose que « si l’enclave résulte de la division d’un fonds par suite d’une vente, d’un échange, d’un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l’objet de ces actes. »
    • Ainsi, lorsque la situation d’enclave d’un fonds est le résultat de la division de l’unité foncière d’origine en plusieurs parcelles, il appartient aux parties à l’opération de s’entendre pour octroyer une issue au fonds enclavée, issue qui doit nécessairement prendre assise sur les fonds divisés, peu importe que l’accès créé soit moins commode que si son assiette avait été déterminée application de l’article 682 du Code civil.
    • Il est classiquement admis que la règle posée à l’article 684 du Code civil se justifie par l’obligation de garantie qui pèse sur les parties à l’acte de division.
    • Elles ne sauraient, en effet, faire peser la charge d’un droit de passage aux propriétaires des fonds voisins qui sont étrangers à l’opération.
    • Au surplus, il est admis de longue date que la constitution d’une servitude sur l’héritage d’autrui ne peut jamais procéder de son propre fait ( req. 27 avr. 1898).
    • Aussi, ainsi que l’ont écrit des auteurs les parties à l’acte de division du fonds « sont tenus d’une obligation de garantie qui implique de fournir un accès permettant l’exploitation du fonds»[1].
    • Il en résulte que l’acquéreur d’un fonds enclavé issu d’une division après partage ne peut réclamer un droit de passage qu’à ses copartageants (V. en ce sens 3e civ., 3 mars 1993, n°91-16065).
  • Conditions
    • Deux conditions doivent être réunies pour que l’article 684 du Code civil s’applique :
      • La division doit résulter d’un fait volontaire
        • La règle édictée à l’article 684, al.1er du Code civil ne s’applique que si la division de l’unité foncière d’origine procède d’un fait volontaire des parties à l’acte.
        • Lorsque, dès lors, elle résulte d’une vente forcée qui s’inscrit dans le cadre d’une liquidation judiciaire ou d’une procédure d’expropriation, l’article 684 ne sera pas applicable
      • La situation d’enclave doit être la conséquence directe de la division
        • Pour que l’article 684 du Code civil s’applique, il faut que la situation d’enclave soit la conséquence directe de l’opération de division.
        • Cela signifie que l’unité foncière d’origine devait comporte, avant la division, une issue sur la voie publique
        • À défaut, les articles 682 et 683 demeurent applicables
        • Dans un arrêt du 27 novembre 1973, la Cour de cassation a précisé que lorsque des fonds proviennent de la division d’une parcelle d’un auteur commun en application de l’article 684, le passage peut être demandé sur les terrains qui ont fait l’objet de cet acte sans qu’il puisse être opposé aux acquéreurs le fait de l’enclave volontaire de leur auteur ( 3e civ. 27 nov. 1973, n°72-13948).
        • Plus récemment, la troisième chambre civile a encore affirmé, au visa des articles 682 et 684 du Code civil, que consécutivement à une division de fonds « l’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée» ( 3e civ. 24 oct. 2019, n°18-20.119).
        • Ainsi, la renonciation par le propriétaire d’une parcelle dont la situation d’enclave procède d’une division à un droit de passage, ne fait pas obstacle à ce que l’acquéreur se prévale de l’article 682 du Code civil afin de solliciter la constitution d’une servitude de passage.
  • Versement d’une indemnité
    • Initialement, la servitude de passage telle qu’envisagée à l’article 684 du Code civil, était regardée comme une servitude conventionnelle car procédant de l’accomplissement d’un acte – conventionnel – de division.
    • La jurisprudence en tirait la conséquence qu’il n’y avait pas lieu d’octroyer une indemnité au propriétaire du fonds grevé par la servitude de passage, celle-ci étant incluse dans l’estimation des fonds divisés (V. en ce sens req. 1er août 1861).
    • La Cour de cassation a néanmoins revu sa position dans un arrêt du 15 octobre 2013 aux termes duquel elle censure la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé l’octroi d’une indemnité au propriétaire du fonds servant, considérant que la servitude de passage avait un fondement conventionnel car instituée sur le fondement de l’article 684 du Code civil.
    • La troisième chambre civile prend le contre-pied de ce raisonnement en jugeant que « alors qu’elle constatait que la parcelle E 156 était enclavée et que l’acte de partage n’avait pas pour effet de modifier le fondement légal de la servitude et ne contenait aucune renonciation des propriétaires du fonds servant à la perception d’une indemnité, la cour d’appel a violé les textes susvisés» ( 3e civ. 15 oct. 2013, n°12-19563).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, parce que le droit de passage envisagé à l’article 684 a un fondement légal et non conventionnel, il justifie le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi par le propriétaire du fonds servant.
    • Elle précise néanmoins que cette indemnité est due sauf clause contraire dans l’acte de division.
    • À l’examen, il ressort de cette décision que l’article 684 du Code civil doit être lu comme opérant une dichotomie entre, d’une part, la fixation de l’assiette du droit de passage et, d’autre part, le versement d’une indemnité au propriétaire du fonds servant.
      • S’agissant de la détermination de l’assiette du droit de passage
        • L’article 684 est d’ordre public de sorte qu’il ne peut pas y être dérogé par convention contraire.
        • Cela signifie que la servitude devra prioritairement être constituée sur les fonds issus de la division de l’unité foncière d’origine.
        • Elle ne pourra pas être établie sur les parcelles étrangères à l’opération de partage
      • S’agissant du versement d’une indemnité
        • Lorsque la servitude est constituée sur le fondement de l’article 684 du Code civil, l’indemnité due au propriétaire du fonds servant n’est pas d’ordre public
        • Ce dernier peut y renoncer dans l’acte de division, ce qui devra être expressément stipulé
  • Exception
    • Ce n’est que lorsqu’aucun passage suffisant ne peut être créé sur les fonds qui ont fait l’objet d’une division que l’article 682 du Code civil redevient applicable.
    • Cette exception est issue de la loi du 20 août 1881 qui a admis que, bien que le passage nécessaire à l’exploitation d’un fonds actuellement enclavé à la suite d’une division aurait du être pris sur les autres portions de l’ancienne unité foncière, sans qu’il y ait lieu d’examiner si le passage par d’autres terrains limitrophes ne serait pas plus court et moins dommageable, une exception aux articles 682 et 683 du Code civil ne pouvait être invoquée par les voisins lorsque, à raison de la conformation des lieux, il y avait impossibilité d’établir ailleurs que sur leur fonds un chemin offrant les moyens de communication nécessaires.
    • Ainsi, afin de déterminer si la servitude doit ou non être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division, il conviendra d’établir qu’aucune issue suffisante permettant une utilisation normale du fonds enclavé ne peut être créée sur les fonds divisés.
    • Ce n’est que lorsque cette insuffisance d’accès sera démontrée, que l’article 682 du Code civil pourra s’appliquer.
    • La conséquence en est qu’une servitude de passage pourra alors être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division.
    • Dans cette hypothèse, non seulement une indemnité sera due au propriétaire du fond servant, mais encore celui-ci ne pourra pas y renoncer dans l’acte de division, l’article 682 étant d’ordre public sur ce point.

3. Les modalités du passage

Ni l’article 682, ni l’article 683 du Code civil n’évoque les modalités du passage octroyé au propriétaire du fonds enclavé.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de définir les règles applicables, au premier rang desquelles figure celle imposant que le titulaire de la servitude puisse avoir une utilisation normale du fonds conformément à sa destination.

La largeur du passage devra, de la sorte, être plus ou moins importante, selon que le fonds est affecté à une exploitation agricole ou à usage d’habitation.

Dans un arrêt du 19 juin 2002, la Cour de cassation a, par exemple, après avoir rappelé que « le droit pour le propriétaire d’une parcelle enclavée de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l’utilisation normale du fonds quelle qu’en soit la destination » censuré à une Cour d’appel qui pour déterminer les modalités du passage octroyé au propriétaire du fonds enclavé s’est « déterminée par un motif d’ordre général sans caractériser une telle utilisation ni rechercher si l’accès des voitures automobiles aux parcelles de M. X… répondait à des nécessités découlant de cette utilisation » (Cass. 3e civ. 19 juin 2002, n°00-11675).

Au cas particulier, les juges du fonds avaient estimé que le bénéficiaire de la servitude devait pouvoir accéder à son fonds avec le mode de locomotion habituel en cette fin de XXème siècle : une voiture automobile, alors même que celui-ci était totalement inexploité

L’enseignement à retirer de cet arrêt, c’est que les modalités du passage dépendent du seul besoin du propriétaire du fonds dominant.

Cass. 3e civ. 19 juin 2002
Sur le moyen unique :

Vu l'article 682 du Code civil ensemble l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que pour décider que les parcelles appartenant à M. X... sont enclavées et que leur desserte s'effectue par le chemin privé situé sur la propriété de ses voisins les époux Y..., l'arrêt attaqué (Montpellier 2 décembre 1999), rendu après expertise judiciaire, retient que les époux Y... ne contestent pas les constatations techniques de l'expert mais la qualité d'exploitant agricole de M. X... et la nature de ses parcelles qui sont inexploitées et que, quel que soit le mode d'exploitation dont peuvent faire l'objet ses parcelles, ce dernier doit pouvoir y accéder avec le mode de locomotion habituel en cette fin de XXème siècle : une voiture automobile ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le droit pour le propriétaire d'une parcelle enclavée de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins est fonction de l'utilisation normale du fonds quelle qu'en soit la destination, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif d'ordre général sans caractériser une telle utilisation ni rechercher si l'accès des voitures automobiles aux parcelles de M. X... répondait à des nécessités découlant de cette utilisation, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

La question se pose également de la nature de la voie de passage susceptible d’être empruntée. S’agit-il nécessairement de la voie terrestre, ou peut-il également s’agir de la voie aérienne, souterraine ou encore fluviale ?

À l’examen, la jurisprudence est assez libérale, celle-ci n’excluant aucune possibilité. L’objectif recherché c’est de permettre une utilisation normale du fonds.

Dès lors, tous les modes de passage sont envisageables, à commencer par la voie souterraine qui a été admise très tôt par la jurisprudence.

Dans cet arrêt du 22 novembre 1937, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le droit de passage visé par ce texte doit s’entendre en ce sens que les mots “sur les fonds de ses voisins” ne visent pas seulement la surface du sol, mais peuvent aller jusqu’à comprendre “le dessous”, afin d’assurer les communications strictement nécessaires à l’utilisation normale du fonds enclavé ; qu’il s’applique ainsi aux canalisations souterraines indispensables à cet effet » (Cass. civ. 22 nov. 1937).

Cass. civ. 22 nov. 1937
La Cour,

Ouï, en l'audience publique du 8 novembre 1937, M. le conseiller Kastler, en son rapport ; Maîtres Bosviel et Aguillon, avocat des parties en leurs observations respectives, ainsi que M. Chartrou, avocat général, en ses conclusions.

Et après en avoir délibéré le 22 novembre 1937, en la chambre du conseil ;

Sur le moyen unique :

Attendu que le droit de passage visé par ce texte doit s'entendre en ce sens que les mots "sur les fonds de ses voisins" ne visent pas seulement la surface du sol, mais peuvent aller jusqu'à comprendre "le dessous", afin d'assurer les communications strictement nécessaires à l'utilisation normale du fonds enclavé ; qu'il s'applique ainsi aux canalisations souterraines indispensables à cet effet ;

Attendu que la demoiselle X..., propriétaire à Trouville-sur-Mer, d'une maison n'ayant d'accès à la voie publique qu'au moyen d'une ruelle appartenant au sieur Y..., a fait ouvrir dans celle-ci des tranchées destinées à l'adduction de l'eau, de gaz, de l'électricité et à l'évacuation des eaux ménagères, mais que l'arrêt attaqué a décidé que si, en raison de l'état d'enclave, elle possédait un droit de passage, ce droit lui permettait uniquement le passage à pied, à cheval ou en voiture, l'établissement de travaux permanents destinés à un autre usage ne rentrant pas dans les prévisions de l'article 682 du Code civil ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi au lieu de rechercher, d'une part, si les travaux projetés seraient de nature à réagir sur le montant de l'indemnité prévue par l'article susvisé, et d'autre part, si ces travaux pouvaient s'effectuer d'une façon moins dommageable pour le fonds servant et aussi appropriés aux besoins de l'exploitation du fonds dominant, l'arrêt n'a pas donné de base légale à sa décision

Par ces motifs ;
Casse.

La Cour de cassation a encore validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir constaté que la cave, a usage de champignonnière, située dans le sous-sol du fonds appartenant à un exploitant, était enclavée a accordé, pour sa desserte, un droit de passage à travers la cave attenante où son voisin exploitait une industrie de même nature (Cass. 1ère 3 déc. 1962).

Il est également admis que la voie souterraine puisse être utilisée pour la pose des canalisations nécessaires à la satisfaction des besoins de la construction édifiée sur leur propriété, notamment lorsqu’il s’avère que le trajet le plus court pour rejoindre la voie publique était une ligne droite traversant, à l’endroit le moins dommageable, plusieurs parcelles, et s’identifiant au chemin empierre sous lequel se trouvaient des canalisations d’eau et d’électricité (Cass. 3e civ., 14 déc. 1977, n°76-11254).

S’agissant de la voie aérienne, elle est également susceptible de servir d’assiette à la servitude de passage, notamment lorsqu’il s’agit de tirer des câbles entre la voie publique et le fonds enclavé afin de le raccorder à l’électricité (V. en ce sens Cass. civ., 24 févr. 1930).

La constitution de la servitude de passage

L’article 682 du Code civil prévoit que « le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Ainsi, en cas de situation d’enclave d’un fonds, soit sans issue sur la voie publique, la loi confère à son propriétaire le droit d’exiger l’établissement d’un passage sur le fonds voisin.

L’objectif recherché ici par le législateur est de permettre l’exploitation du fonds conformément à sa destination. Sans accès à la voie publique, l’exercice du droit de propriété sur le fonds est, en effet, pour le moins limité, sinon illusoire.

Aussi, afin que le fonds enclavé puisse être exploité et puisse arborer une certaine valeur marchande dans une logique de circulation économique des biens une servitude légale est consentie au propriétaire.

L’exercice de cette servitude – de passage – est néanmoins subordonné à la réunion de plusieurs conditions, à commencer par l’existence d’une situation d’enclave.

Cette situation doit, par ailleurs, ne peut être le fait du propriétaire du fonds enclavé faute de quoi il ne pourra se prévaloir d’aucun droit de passage sur le fonds voisin.

  1. Principe

1.1 Les conditions tenant à la configuration du fonds

Il ressort de l’article 682 du Code civil que pour que puisse être constituée une servitude de passage :

  • D’une part, le fonds doit être enclavé
  • D’autre part, un besoin d’exploitation du fonds doit exister

a) Un fonds enclavé

Première condition exigée pour qu’une servitude de passage puisse être constituée, le propriétaire qui s’en prévaut doit justifier de l’état d’enclave de son fonds.

Cette condition ressort expressément de l’article 682 du Code civil qui définit le fonds enclavé comme celui qui ne comporte, soit aucune issue, soit qu’un accès réduit et insuffisant à la voie publique.

La situation d’enclave se caractérise ainsi par la réunion de deux éléments cumulatifs

  • L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie
  • L’absence de voie ouverture au public

a.1. L’absence ou l’insuffisance d’accès à une voie

==> L’absence d’issue sur la voie publique

L’article 682 du Code civil prévoit que le fonds enclavé est d’abord celui « qui n’a sur la voie publique aucune issue »

À l’examen, cette absence d’issue peut tenir, soit à l’impossibilité physique s’accéder au fonds, soit à une impossibilité juridique.

  • L’impossibilité matérielle d’accéder au fond
    • Critère physique
      • La situation d’enclave d’un fonds est le plus souvent liée à la configuration des lieux qui rendent sont accès impossible.
      • Cette situation se rencontrera lorsque le fonds est entouré par des terres qui appartiennent à d’autres propriétaires.
      • Il a par exemple été jugé dans un arrêt du 30 janvier 1884 rendu par la Cour de cassation que l’état d’enclave était caractérisé lorsque le fonds était séparé de la voie publique par un talus dont la pense rendait impossible le passage des chevaux et des bestiaux affectés à son exploitation ( req. 30 janv. 1884).
      • Plus généralement, cet état d’enclave est établi lorsqu’il est physiquement impossible d’aménager un accès à la voie publique, en raison du relief, de la position du fonds, ou de la configuration des lieux.
      • Il convient enfin d’observer que l’état d’enclave s’apprécie globalement, soit en considération de l’ensemble des parcelles contiguës susceptibles d’être détenus par un même propriétaire et constituant un même fonds.
      • En effet, La servitude de passage est réservée à celui dont le fonds est enclavé, et n’est pas applicable dès lors que seulement l’une des parcelles qui compose le fonds est enclavée.
      • La demande en reconnaissance de servitude de passage est par conséquent infondée dès lors que le fonds est constitué de plusieurs parcelles contiguës dont l’une dispose d’un accès à la voie publique, le propriétaire de ce fonds devant faire son affaire de l’enclavement de l’autre parcelle (CA Douai, 1re ch., 2e sect., 25 janv. 2018, n° 17/02067).
    • Critère économique
      • Afin d’apprécier le caractère enclavé d’un terrain, les juridictions tiennent compte du coût des travaux à réaliser pour établir une communication avec la voie publique.
      • Dans un arrêt du 4 juin 1971 la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’état d’enclave était établi lorsque les chemins ruraux permettant d’accéder au fonds sont impraticables et que leur remise en état engendrerait une dépense excessive « qui serait hors de proportion avec l’usage qui en serait fait et la valeur de la propriété» ( 3e civ. 4 juin 1971, n°70-11857).
      • Les juges refuseront, en revanche, de considérer qu’un fonds est enclavé lorsqu’il est possible de le rendre accessible en mettant en œuvre des moyens normaux et raisonnables.
      • Ainsi, les juridictions doivent-elles vérifier si le propriétaire du fonds enclavé ne dispose pas d’une solution de nature à remédier à l’absence d’issue ( 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-18488).
      • Dans un arrêt du 8 juillet 2009, la Cour de cassation a par exemple reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « comme il le lui était demandé, s’il suffisait à Mme X… de réaliser sur ses parcelles des travaux permettant un accès à la voie publique dont le coût ne serait pas disproportionné par rapport à la valeur de son fonds» ( 3e civ. 8 juill. 2009, n°08-11745).
      • La troisième chambre civile a néanmoins précisé dans un arrêt du 8 avril 1999, qu’il n’appartient pas au juge de procéder d’office à cette recherche tenant à la disproportion du coût des travaux à réaliser pour désenclaver le fonds ( 3e civ. 8 avr. 1999, n°97-11716).
      • Ce moyen doit être soulevé par les parties, faute de quoi le juge ne pourra pas tenir compte du critère économique pour déterminer si le fonds est enclavé.
  • L’impossibilité juridique d’accéder au fonds
    • La situation d’enclave d’un terrain ne tient pas seulement à la configuration physique des lieux, elle peut également procéder de contraintes juridiques.
    • Tel sera le cas lorsque l’accès à la voie publique est interdit, soit par une règle juridique, soit par une décision prise par une autorité compétente.
    • Dans un arrêt du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a, par exemple, admis l’état d’enclave juridique d’un fonds, au motif que « le certificat d’urbanisme interdisait tout accès direct depuis la route départementale 183 au fonds de la SCI»
    • Or dans la mesure où cette dernière « ne pouvait se voir contrainte à exercer un recours à l’encontre de cet acte […] le fonds concerné était enclavé et devait bénéficier d’une servitude légale de passage» ( 3e civ. 14 janv. 2016, n°14-26640).
    • Dans un arrêt du 8 octobre 1985, la troisième chambre civile a précisé qu’il ne suffit pas que l’accès à la voie publique soit subordonné à l’obtention d’une autorisation administrative, encore faut-il que la demande d’autorisation soit valablement refusée ( 3e civ. 8 oct. 1985, n°84-12213).

==> L’insuffisance de l’issue sur la voie publique

La situation d’enclave d’un fonds est caractérisée, non seulement lorsque celui-ci ne comporte aucune issue, mais encore lorsque l’accès qui le relie à la voie publique est insuffisant.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la notion d’« issue insuffisance » visée par l’article 682 du Code civil.

À l’examen, cette insuffisance d’accès est appréciée, selon la formule de la Cour de cassation, en considération « de l’état des lieux et des communications nécessaires à l’utilisation normale du fonds dominant, compte tenu de sa destination » (Cass. 1ère civ. 8 mars 1965, n°63-11698).

En la matière les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain d’appréciation, la Cour de cassation se limitant à un contrôle restreint de la motivation (Cass. 3e civ., 27 oct. 2004, n° 03-15151).

L’insuffisance d’accès justifiant la constitution d’une servitude de passage résultera le plus souvent de la configuration des lieux.

Tel est le cas notamment lorsque l’accès qui relie le fonds à la voie publique est :

  • Soit trop étroit, de telle sorte qu’il ne peut pas être emprunté en voiture ou qu’il n’est pas possible de faire passer des véhicules utilitaires ou des engins agricoles (V. en ce sens 3e civ., 16 mars 2017, 15-28551).
  • Soit trop dangereux, en ce sens que son utilisation fait courir un risque au propriétaire car supposant, par exemple, d’emprunter une voie d’eau, de longer une falaise ou encore d’utiliser un chemin escarpé en proie aux éboulements ( req., 31 juill. 1844).

En revanche, l’état d’enclave sera refusé :

  • Soit en cas de possibilité d’aménagement de l’accès
    • Lorsque des travaux dont le coût n’est pas excessif eu égard la valeur du fonds peuvent être réalisés afin d’aménager un accès à la voie publique, le terrain ne sera pas considéré comme enclavé ( 3e civ., 11 févr. 1975, n° 73-13974).
    • Ainsi, lorsque les obstacles qui limitent l’accès peuvent être facilement supprimés au moyen d’aménagement peu coût, le propriétaire du fonds ne sera pas fondé à réclamer la constitution d’une servitude.
    • Il ne faut toutefois pas que le coût des travaux à réaliser soit hors de proportion avec l’usage qui sera fait du fonds et la valeur de la propriété.
    • C’est donc sur la base d’un critère économique qu’il pourra être déterminé si un aménagement de l’accès à la charge du propriétaire du fonds est envisageable dans des conditions raisonnables.
  • Soit en cas de simple commodité
    • Un terrain ne sera pas considéré comme enclavé lorsque l’insuffisance d’accès dont se prévaut le propriétaire du fonds procède d’une simple commodité personnelle, en ce sens que la constitution de la servitude n’est pas indispensable à l’usage normal du fonds ( 3e civ. 24 juin 2008, n°07-15944).
    • Tel sera le cas lorsque le fonds dispose déjà d’un accès à la voie publique et que son propriétaire cherche à réduire son temps de trajet pour y accéder (CA Nîmes, 2e ch. civ., A, 6 oct. 2016, n° 14/04909)
    • Si dès lors il existe un passage suffisant pour accéder au fonds, la demande de désenclavement ne pourra pas prospérer, les juridictions considérant qu’elle relève de la simple commodité ainsi que de la convenance personnelle.
    • La constitution d’une servitude de passage est une atteinte significative au droit de propriété
    • Aussi, ne doit-elle être admise que lorsqu’il est démontré qu’elle est indispensable et que le propriétaire du fonds ne dispose d’aucune alternative raisonnable pour y accéder.

a.2. L’existence d’une voie ouverte au public

L’état d’enclave suppose, outre la difficulté d’accès au fonds, l’absence d’issue sur la voie publique.

La notion de « voie publique » doit être entendue de façon extensive, en ce sens qu’il faut l’envisager, non pas sous l’angle du droit public – ce qui exclurait les voies privées –, mais la comprendre dans une acception générale.

Par « voie publique », il faut ainsi plutôt comprendre voie « ouverte au public » ou « affectée à l’usage du public ».

Il suffit pour s’en convaincre de tourner le regard vers un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 13 mai 2009 (Cass. 3e civ. 13 mai 2009, n°08-14640).

Dans cette affaire, une Cour d’appel avait admis la constitution d’une servitude de passage considérant que le fonds bénéficiaire était seulement desservi par des voies privées et non par une voie publique.

La Cour de cassation censure cette décision au motif que les juges du fonds auraient dû rechercher si les parcelles étaient ouvertes au public et permettaient à leur propriétaire d’accéder à son fonds.

Le statut de la voie par laquelle est desservi le fonds est ainsi sans incidence sur la qualification d’enclave. Il est indifférent que cette voie relève du domaine privé ou qu’elle soit détenue à titre privatif.

Seul importe qu’elle soit ouverte au public et que, par conséquent, elle puisse être empruntée par le propriétaire du fonds qui se prévaut d’une situation d’enclave.

Au nombre des voies affectées à l’usage du public figurent les voies terrestres mais également les voies d’eau, pourvu qu’elles constituent les moyens normaux de communication, de transport et d’exploitation des terrains qui les bordent.

Dès lors que la voie est interdite d’accès au public et qu’elle représente la seule issue pour un fonds, la situation d’enclave sera établie (CA Nancy, 1re ch. civ., 9 déc. 2008).

b) Le besoin d’exploitation du fonds

==> Utilisation normale du fonds

Pour que l’état d’enclave soit caractérisé, il ne suffit pas d’établir l’absence ou l’insuffisance d’issue stricto sensu, il faut encore démontrer que la difficulté d’accès empêche l’exploitation du fonds et plus précisément son utilisation normale.

C’est là le sens de l’article 682 du Code civil qui précise qu’il y a enclave si l’issue est insuffisante pour la desserte complète du fonds dans lequel est exercée une activité agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété ou sur lequel sont susceptibles d’être réalisées des opérations de construction ou de lotissement.

Selon le Doyen Cornu, « l’état d’enclave est toujours apprécié par rapport à une situation d’activité. ». Autrement dit, la desserte doit toujours s’apprécier en fonction de l’exploitation de la parcelle enclavée et des moyens nécessaires à celle-ci, étant précisé que cette desserte doit être complète (Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n ° 16-22841).

Alors que l’article 682 du Code civil ne vise que des activités professionnelles comme susceptibles de justifier l’état d’enclave, la Cour de cassation considère que la notion d’exploitation doit être entendue largement, ce qui signifie que la constitution d’une servitude de passage peut être sollicitée pour n’importe quel besoin d’exploitation du fonds (V. en ce sens Cass. req., 7 mai 1879).

Ainsi, pour la Cour de cassation, « le droit, pour le propriétaire d’une parcelle enclavée, de réclamer un passage sur les fonds de ses voisins, conformément aux dispositions de l’article 682 du code civil, est fonction non de l’existence d’une exploitation agricole ou industrielle, au sens étroit de ces termes, mais de l’utilisation normale du fonds, quelle qu’en soit la destination » (Cass. 1ère civ. 2 mai 1961).

Dans le même sens, la Cour de cassation rappelle régulièrement, sous la même formulation, que l’article 682 du Code civil ne distingue pas « entre les divers modes d’exploitation dont peut être l’objet le fonds dominant » (Cass. 3e civ. 7 avr. 1994, n°89-20964 ; Cass. 3e civ. 2 juin 1999, n°96-21594).

La Cour de cassation a ainsi admis qu’un fonds était enclavé, car l’exploitation d’un cinéma exigeait la création d’une issue de secours (Cass. 3e civ. 5 mars 1974). Elle a statué dans le même sens dans les situations suivantes :

  • Besoin de la création d’un passage qui puisse être emprunté par un véhicule, compte tenu des conditions actuelles de la vie et de la nécessité de permettre un secours rapide en cas d’incendie ( 3e civ. 28 oct. 1974).
  • Besoin de la création d’un passage qui puisse être emprunté par des machines agricoles pour les besoins d’exploitation du fonds ( 3e civ. 9 mars 1976)
  • Besoin de la création d’un passage pour que la clientèle d’un hôtel puisse y accéder au moyen d’un véhicule (CA Chambéry, 2e ch., 11 oct. 2005, n° 04/01893).
  • Besoin de la création d’un passage en raison de la construction d’un grand ensemble immobilier, le fonds bénéficiaire étant insuffisamment desservi pour la réalisation de cette opération ( 3e civ. 29 avr. 1981).

Ce qui devra être démontré par le propriétaire du fonds qui se prévaut d’un droit de passage sur le fonds voisin, c’est que sans la constitution de la servitude il ne peut pas faire un usage normal de son fonds.

L’appréciation des besoins d’utilisation normale du fonds sera appréciée objectivement par le juge qui vérifiera si le besoin exprimé est réel et réalisable.

Si, en effet, il s’agit de solliciter un droit de passage en prétextant qu’il a vocation à permettre la réalisation d’une opération immobilière, alors que le terrain ne se situe pas sur une zone constructible, la demande sera rejetée par le juge (CA Aix-en-Provence, 4e ch., A, 2 juill. 2015, n° 14/17422).

==> Changement de destination

S’agissant du changement de destination du fonds, la Cour de cassation considère qu’il ne s’agit pas d’un obstacle à la constitution d’une servitude de passage (V. en ce sens Cass. req. 7 mai 1879).

Dans un arrêt du 4 octobre 2000, la troisième chambre civile a, par exemple, confirmé la décision d’une Cour d’appel qui avait admis que le changement de destination d’un terrain puisse justifier l’octroi d’un droit de passage à son propriétaire sur le fonds voisin.

Les juges du fonds avaient constaté que « le terrain des consorts X…, précédemment à vocation agricole et forestière, avait été classé en zone constructible du plan d’occupation des sols (POS) modifié de la commune, que l’autorisation de bâtir avait cependant été refusée en 1995 en raison de ce que le projet ne comportait qu’un accès unique, générateur d’insécurité dans l’usage de la voie publique, et relevé que l’opération de lotissement envisagée constituait une utilisation normale du fonds »

Prenant ensuite considération « les exigences du POS en la matière et les nécessités de circulation découlant de la vocation nouvelle du fonds des consorts X… à être loti », ils en déduisent que « les passages existants, reliant les terrains des demandeurs à la voie publique à travers ceux de la SICA, tels que résultant de servitudes conventionnelles, n’assuraient pas une desserte suffisante du futur lotissement, et que celui-ci se trouvait donc en état d’enclave » (Cass. 3e civ. 4 oct. 2000, n°98-12284).

Il est donc indifférent que la demande de droit de passage soit fondée sur le changement de destination du fonds dont l’exploitation qui était antérieurement à vocation agricole, est devenue industrielle.

Ce qui importe c’est que la nouvelle exploitation corresponde à une utilisation normale et légitime du fonds (CA Chambéry, 6 févr. 1951).

Dans un arrêt du 25 juin 1997, la Cour de cassation a affirmé que le changement de destination du fonds ne devait pas être confondu avec la situation de l’enclave volontaire, cause d’exclusion de la constitution d’une servitude de passage, dès lors que la nouvelle exploitation s’apparentait à une utilisation normale du fonds (Cass. 3e civ. 25 juin 1997, n°95-15772).

1.2. Les conditions tenant à l’exercice du droit de passage

La constitution d’une servitude ne suppose pas seulement que soit établie une situation d’enclave, il faut encore que :

  • D’une part, que celui qui se prévaut d’un droit de passage soit titulaire d’un droit réel
  • D’autre part, que le propriétaire du fonds grevé par la servitude soit indemnisé

==> La titularité du droit

La question qui se pose ici est de savoir qu’elle est la nature du droit qui doit être exercé sur le fonds enclavé pour que celui qui l’exploite soit fondé à solliciter un droit de passage.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 682 du Code civil qui ne laisse que peu de place à l’ambiguïté.

Il ressort, en effet, de cette disposition que seul « le propriétaire dont les fonds sont enclavés » peut solliciter la constitution d’une servitude de passage.

Plus généralement, il est admis que la demande d’octroi d’un droit de passage puisse émaner de celui qui exerce un droit réel sur le fonds.

Dans un arrêt du 6 juin 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le texte, qui accorde l’exercice de l’action au titulaire possédant un droit réel sur le fonds dominant, n’interdisant nullement que cette utilisation du fonds soit mise en œuvre par un autre que le propriétaire, auquel celui-ci a donné son agrément » (Cass. 3e civ. 6 juin 1969).

Il en résulte qu’il n’est pas nécessaire d’être investi de tous les attributs du droit de propriété pour solliciter la constitution d’une servitude de passage. Ce droit est également ouvert à l’usufruitier, l’usager ou l’emphytéote.

En revanche, les personnes qui exploitent le fonds au titre d’un droit personnel qu’ils exercent contre le propriétaire, ne sont pas fondées à solliciter l’octroi d’un droit de passage sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 2 mars 1983, la Cour de cassation a, par exemple, jugé « qu’un fermier est sans droit à se prévaloir de l’état d’enclave pour réclamer une servitude de passage au profit du fonds qui lui est donne à bail » (Cass. 3e civ. 2 mars 1983, n°81-16323).

La même solution pourrait être retenue pour le titulaire d’un bail commercial ou d’un bail d’habitation, celui-ci n’étant investi que d’un droit personnel contre le bailleur.

Dans un arrêt du 18 décembre 1991, la troisième chambre civile a précisé que « toute servitude étant une charge imposée à un héritage pour l’usage et l’utilité d’un autre héritage, seules peuvent être prises en considération, pour reconnaître à un fonds le bénéfice d’une servitude, les conditions que les conventions ou la loi ont posées pour ce bénéfice [de sorte] qu’il importe peu, lorsque le fonds est mis en vente, que la réclamation de la servitude soit formulée par le propriétaire vendeur ou le propriétaire acquéreur » (Cass. 3e civ. 18 déc. 1991, n°89-19245).

==> Versement d’une indemnité

L’article 682 du Code civil prévoit que si le propriétaire d’un fonds enclavé peut solliciter la constitution d’une servitude sur le fonds voisin, cette constitution ne peut intervenir qu’en contrepartie du versement « d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Cette indemnité vise à réparer le préjudice résultant de l’atteinte portée au droit de propriété du propriétaire du fonds grevé par la servitude de passage.

Dans un arrêt du 16 avril 1973, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire d’un fonds assujetti au passage a droit à une indemnité proportionnée au dommage que le passage peut occasionner, donc indépendante du profit procuré au propriétaire du fonds enclave » (Cass. 3e civ. 16 avr. 1973, n°71-14703).

Il en résulte que l’indemnité versée doit être fixée en considération, non pas de la valeur vénale du terrain correspondant à l’assiette de passage, mais du seul préjudice occasionné par le passage (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 févr. 1994, n°92-11500).

S’agissant de la forme de l’indemnité, elle peut consister en le versement d’un capital ou d’une redevance annuelle (Cass. req. 15 juin 1875).

Enfin, l’article 685, al. 2e du Code civil prévoit que « l’action en indemnité, dans le cas prévu par l’article 682, est prescriptible, et le passage peut être continué, quoique l’action en indemnité ne soit plus recevable. »

La prescription de l’action est ici attachée à la possession de la servitude par le propriétaire du fonds dominant, de sorte qu’elle se prescrit par trente ans.

Son point de départ correspond au jour où le droit de passage à commencer à s’exercer, soit à partir du moment où les éléments constitutifs de la possession sont réunis (Cass. req. 10 févr. 1941).

Cette possession devra, en outre, satisfaire à toutes les exigences prescrites à l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

2. Exceptions

Par exception au principe posé à l’article 682 du Code civil qui octroie au propriétaire d’un fonds enclavé un droit de passage sur le fonds voisin, il est certains cas où ce droit de passage lui sera refusé.

==> L’enclave procède du fait volontaire du propriétaire du fonds

Lorsque la situation d’enclave du fonds procède d’un fait volontaire du propriétaire, il n’est pas fondé à solliciter la constitution d’une servitude de passage sur le fonds voisin.

Dans un arrêt du 4 mai 1964, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé que le propriétaire d’un fonds « ne pouvait invoquer un état d enclave de son immeuble dès lors qu’il avait lui-même obstrué l’issue lui donnant accès à la voie publique et ouvert une porte sur la cour intérieure pour le desservir » (Cass. 1ère civ. 4 mai 1964).

Tout l’enjeu consistera alors à déterminer si la situation d’enclave du fonds résulte du fait personnel de son propriétaire, les juges du fonds étant investis, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation (Cass. 3e civ., 7 févr. 1969).

Aussi, l’enclave pour justifier la constitution d’une servitude de passage ne peut procéder que d’un cas événement indépendant de la volonté du propriétaire du fonds (cas fortuit, force majeure, fait d’un tiers etc.).

C’est seulement lorsqu’il sera établi que l’absence ou l’insuffisance d’issue est imputable au fait personnel du propriétaire du fonds qu’il lui est fait interdiction de se prévaloir du dispositif prévu à l’article 682 du Code civil. Il peut s’agir, tant d’un fait positif, tel qu’un mauvais aménagement du fonds, ou la création d’un obstacle, que d’un fait négatif, tel qu’un défaut d’entretien qui a rendu la voie d’accès au fonds impraticable.

Dans un arrêt du 7 mai 1986, la Cour de cassation a précisé que la charge de la preuve du caractère volontaire devait être supportée par le propriétaire du fonds servant (Cass. 3e civ. 7 mai 1986, n°84-16957).

L’enclave volontaire ne serait toutefois pas caractérisée lorsque l’absence ou l’insuffisance d’issue procède d’un changement de destination du fonds qui, alors qu’il était affecté à une exploitation agricole par exemple, est affecté à une exploitation industrielle (Cass. 3e civ. 25 juin 1997, n°95-15772).

==> Le propriétaire du fonds enclavé dispose d’un droit de passage conventionnel

Le propriétaire d’un fonds enclavé ne peut pas non plus se prévaloir d’un droit de passage, lorsqu’il dispose d’un accès établi conventionnellement avec le propriétaire d’un fonds voisin.

Il importe peu que cet accès soit moins commode que celui auquel pourrait prétendre le propriétaire du fonds en application de l’article 683 du Code civil, soit « être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique ».

Ce qui compte c’est qu’il dispose d’une issue conduisant sur une voie ouverte au public et que cette issue permet une utilisation normale du fonds.

Si dès lors, le fonds est affecté à une exploitation agricole et que l’issue établie conventionnellement ne peut pas être empruntée par des engins agricoles, le propriétaire du fonds pourra se prévaloir d’un droit de passage.

Aussi, c’est aux juges qu’il appartiendra de déterminer souverainement si l’accès conventionnel permet un usage normal du fonds enclavé.

==> Le fonds enclavé comporte une issue de tolérance

Il est admis que lorsque le fonds enclavé comporte une issue de tolérance sont propriétaire ne peut pas se prévaloir d’un droit de passage.

Dans un arrêt du 16 juin 1981, la Cour de cassation a par exemple jugé que le fonds qui bénéficie d’une tolérance de passage lui permettant un libre accès pour les besoins de son exploitation, n’est pas enclavé tant que cette tolérance est maintenue (Cass. 3e civ. 16 juin 1981, n°80-11230).

La troisième chambre civile a encore statué en ce sens dans un arrêt du 27 septembre 2007 (Cass. 3e civ. 27 sept. 2007, n°05-16451).

Dans cette affaire elle a notamment estimé qu’une parcelle n’est pas enclavée dès lors que les propriétaires du fonds voisin ont laissé en toute connaissance de cause son propriétaire passer sur leur parcelle pendant vingt-sept ans sans protester.

Cette situation s’analyse, manifestement, en une tolérance de passage qui, parce qu’elle offre une issue au fonds enclavé, fait obstacle à la constitution d’une servitude.

Seule la révocation de la tolérance est de nature à justifier la demande d’un droit de passage par le propriétaire du fonds enclavé (V. en ce sens Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 16-27702).

Dans un arrêt du 2 juin 1999, la Cour de cassation a précisé qu’il convenait, pour déterminer si l’existence d’une tolérance faisait obstacle à la demande d’un droit de passage, que cette tolérance permette un usage normal du fonds conformément à sa destination.

Ainsi, a-t-elle validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir relevé « que les consorts Y… exploitaient dans les lieux un poney club et que l’ouverture d’une entrée sur le parc de stationnement communal, dont ils bénéficiaient en vertu d’une tolérance de la municipalité, ne permettait pas le passage de véhicules de plus de 3 tonnes 5 assurant la livraison du fourrage ou le transport des équidés, a […] caractérisé l’utilisation normale du fonds et souverainement retenu l’état d’enclave de celui-ci » (Cass. 3e civ. 2 juin 1999, n°96-21594).

==> La division du fonds consécutivement à l’accomplissement d’un acte

  • Principe
    • L’article 684 du Code civil dispose que « si l’enclave résulte de la division d’un fonds par suite d’une vente, d’un échange, d’un partage ou de tout autre contrat, le passage ne peut être demandé que sur les terrains qui ont fait l’objet de ces actes. »
    • Ainsi, lorsque la situation d’enclave d’un fonds est le résultat de la division de l’unité foncière d’origine en plusieurs parcelles, il appartient aux parties à l’opération de s’entendre pour octroyer une issue au fonds enclavée, issue qui doit nécessairement prendre assise sur les fonds divisés, peu importe que l’accès créé soit moins commode que si son assiette avait été déterminée application de l’article 682 du Code civil.
    • Il est classiquement admis que la règle posée à l’article 684 du Code civil se justifie par l’obligation de garantie qui pèse sur les parties à l’acte de division.
    • Elles ne sauraient, en effet, faire peser la charge d’un droit de passage aux propriétaires des fonds voisins qui sont étrangers à l’opération.
    • Au surplus, il est admis de longue date que la constitution d’une servitude sur l’héritage d’autrui ne peut jamais procéder de son propre fait ( req. 27 avr. 1898).
    • Aussi, ainsi que l’ont écrit des auteurs les parties à l’acte de division du fonds « sont tenus d’une obligation de garantie qui implique de fournir un accès permettant l’exploitation du fonds»[1].
    • Il en résulte que l’acquéreur d’un fonds enclavé issu d’une division après partage ne peut réclamer un droit de passage qu’à ses copartageants (V. en ce sens 3e civ., 3 mars 1993, n°91-16065).
  • Exception
    • Ce n’est que lorsqu’aucun passage suffisant ne peut être créé sur les fonds qui ont fait l’objet d’une division que l’article 682 du Code civil redevient applicable.
    • Cette exception est issue de la loi du 20 août 1881 qui a admis que, bien que le passage nécessaire à l’exploitation d’un fonds actuellement enclavé à la suite d’une division aurait du être pris sur les autres portions de l’ancienne unité foncière, sans qu’il y ait lieu d’examiner si le passage par d’autres terrains limitrophes ne serait pas plus court et moins dommageable, une exception aux articles 682 et 683 du Code civil ne pouvait être invoquée par les voisins lorsque, à raison de la conformation des lieux, il y avait impossibilité d’établir ailleurs que sur leur fonds un chemin offrant les moyens de communication nécessaires.
    • Ainsi, afin de déterminer si la servitude doit ou non être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division, il conviendra d’établir qu’aucune issue suffisante permettant une utilisation normale du fonds enclavé ne peut être créée sur les fonds divisés.
    • Ce n’est que lorsque cette insuffisance d’accès sera démontrée, que l’article 682 du Code civil pourra s’appliquer.
    • La conséquence en est qu’une servitude de passage pourra alors être constituée sur un autre fonds que ceux objet de la division.
    • Dans cette hypothèse, non seulement une indemnité sera due au propriétaire du fond servant, mais encore celui-ci ne pourra pas y renoncer dans l’acte de division, l’article 682 étant d’ordre public sur ce point.