Mariage: les conditions tenant à la parenté ou la prohibition de l’inceste

La subordination de la validité du mariage au respect de conditions tenant à la parenté des époux, s’explique par la prohibition générale de l’inceste en droit français

I) La prohibition de l’inceste

Les origines de l’interdit de l’inceste ont été longuement étudiées par les sciences humaines et sociales.

De façon schématique, l’interdit de l’inceste relève de considérations :

  • Biologiques: les unions consanguines créent un risque de dégénérescence de l’espèce
  • Sociales: la prohibition de l’inceste est une règle de l’échange social, qui se traduit par l’obligation de prendre femme en dehors du clan familial
  • Psychanalytiques: l’interdiction de tuer son père et d’épouser sa mère découle de l’interdit du meurtre et du cannibalisme

Dans l’ouvrage collectif De l’inceste, Boris Cyrulnik relève que « le mot « inceste » désigne des circuits sexuels très variables d’une culture à l’autre. Pourtant, chaque fois qu’il est employé, il suscite un authentique sentiment d’horreur, comme si tous les membres d’un groupe s’en servaient pour charpenter un imaginaire commun ».

Le droit français ne reconnaît pas explicitement la notion d’inceste. À aucun moment cette notion n’est évoquée explicitement dans notre législation : comme l’a écrit Jean Carbonnier, « paradoxalement, ce tabou si profond n’est inscrit en termes généraux dans aucun texte, ni au code civil ni au nouveau code pénal (non plus que dans les Dix Commandements). Et il n’est point constitutionnalisé : il plane très au-dessus des droits de l’homme ».

Néanmoins, cet interdit universel que constitue l’union sexuelle au sein de la famille sous-tend, d’une part, les dispositions du code civil relatives au mariage et à la filiation, et, d’autre part, les dispositions du code pénal relatives à la répression des violences sexuelles commises au sein de la famille.

En droit pénal, il n’existe pas d’incrimination spéciale de l’inceste mais une circonstance aggravante des viols, agressions sexuelles et atteintes sexuelles sur mineur lorsque ceux-ci sont commis « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime »

Le code pénal distingue en effet trois catégories de violences sexuelles :

  • Le viol (articles 222-23 à 222-26 du code pénal), défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise» et puni de quinze ans de réclusion criminelle ;
  • L’agression sexuelle (articles 222-22, 222-27 à 222-31 du code pénal), définie comme « toute atteinte sexuelle [autre que le viol] commise avec violence, contrainte, menace ou surprise» et punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende ;
  • L’atteinte sexuelle (articles 227-25 à 227-27-1 du code pénal), définie comme « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans» et punie également de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.

Lorsque l’infraction a été commise « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime », les peines sont donc aggravées :

  • Le viol est alors puni de vingt ans de réclusion criminelle, qu’il ait été commis sur un mineur de quinze ans ou non
  • L’agression sexuelle est quant à elle punie de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende si elle est commise sur un majeur ou sur un mineur âgé de plus de quinze ans, et de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende si elle est commise sur un mineur de quinze ans
  • L’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende

En droit civil, l’interdit de l’inceste fonde l’interdiction du mariage entre personnes de la même famille (ou, le cas échéant, la nullité d’un tel mariage) ainsi que l’interdiction de faire reconnaître la filiation d’un enfant qui serait issu d’une telle union.

II) Le domaine de l’inceste

A) La prohibition de l’inceste en ligne directe

L’article 161 du Code civil dispose que « en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne. »

Il ressort de cette disposition qu’il ne peut y avoir de mariage à peine de nullité :

==> Entre ascendant et descendant en ligne directe

L’ascendant est la personne dont est issue une autre personne (le descendant) par la naissance ou l’adoption

Ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père.

La ligne directe est celle des parents qui descendent les uns des autres.

Ainsi, les ascendants et descendants en ligne directe correspond à la ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père

Schéma 1.JPG

==> Entre alliés en ligne directe

Les alliés sont, par rapport à un époux, les parents de son conjoint (beau-père, belle-mère, gendre, bru etc…).

Schéma 2.JPG

L’article 161 du Code civil est formel : le mariage entre alliés en ligne direct est prohibé.

La question s’est toutefois posée de savoir si cette prohibition s’imposait toujours en cas de divorce du couple marié.

La Grande Bretagne qui connaît une interdiction similaire a, en effet, été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt du 13 septembre 2005 (CEDH 13 sept. 2005, B. et L. c/ United Kingdom, req. no 36536/02) dans une affaire opposant un beau-père et sa belle-fille.

Dans cet arrêt, les Juges strasbourgeois ont considéré qu’un tel empêchement, bien que poursuivant un but légitime de protection de l’intégrité de la famille, constituait une atteinte excessive au droit au mariage, ce en violation de l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

Pour mémoire, cette disposition, qui garantit le droit au mariage, prévoit que « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. ».

Non sans une certaine surprise, dans un arrêt du 4 décembre 2013, la Cour de cassation a semblé adopter la solution inverse de celle retenue par la Cour européenne des droits de l’Homme (Cass. 1ère civ. 4 déc. 2013, n°12-26.006).

Dans cette décision, la Première chambre civile a, en effet, décidé que le prononcé de la nullité du mariage d’un beau-père avec sa belle-fille, divorcée d’avec son fils, revêt à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans.

Toutefois, les circonstances de fait ont joué un rôle déterminant dans cette affaire où l’annulation du mariage avait été sollicitée, et prononcée par les juges du fond, sur le fondement de l’article 161 du code civil, qui interdit notamment le mariage entre le beau-père et sa belle-fille, lorsque l’union de cette dernière avec le fils de celui-ci a été dissoute par divorce.

Cass. 1ère civ. 4 déc. 2013
Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :

Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme X... et M. Claude Y... se sont mariés le 6 septembre 1969 et qu’une fille, née le 15 août 1973, est issue de leur union ; qu’après leur divorce, prononcé le 7 octobre 1980, Mme X... a épousé le père de son ex mari, Raymond Y..., le 17 septembre 1983 ; qu’après avoir consenti à sa petite fille une donation le 31 octobre 1990, ce dernier est décédé le 24 mars 2005 en laissant pour lui succéder son fils unique et en l’état d’un testament instituant son épouse légataire universelle ; qu’en 2006, M. Claude Y... a, sur le fondement de l’article 161 du code civil, assigné Mme X... en annulation du mariage contracté avec Raymond Y... ;

Attendu que, pour accueillir cette demande, l’arrêt, par motifs propres et adoptés, après avoir relevé qu’ainsi que l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt récent, les limitations apportées au droit au mariage par les lois nationales des Etats signataires ne doivent pas restreindre ou réduire ce droit d’une manière telle que l’on porte atteinte à l’essence même du droit, retient que la prohibition prévue par l’article 161 du code civil subsiste lorsque l’union avec la personne qui a créé l’alliance est dissoute par divorce, que l’empêchement à mariage entre un beau père et sa bru qui, aux termes de l’article 164 du même code, peut être levé par le Président de la République en cas de décès de la personne qui a créé l’alliance, est justifié en ce qu’il répond à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille en maintenant des relations saines et stables à l’intérieur du cercle familial, que cette interdiction permet également de préserver les enfants, qui peuvent être affectés, voire perturbés, par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d’eux, que, contrairement à ce que soutient Mme X..., il ressort des conclusions de sa fille que le mariage célébré le 17 septembre 1983, alors qu’elle n’était âgée que de dix ans, a opéré dans son esprit une regrettable confusion entre son père et son grand père, que l’article 187 dudit code interdit l’action en nullité aux parents collatéraux et aux enfants nés d’un autre mariage non pas après le décès de l’un des époux, mais du vivant des deux époux, qu’enfin, la présence d’un conjoint survivant, même si l’union a été contractée sous le régime de la séparation de biens, entraîne nécessairement pour M. Claude Y..., unique enfant et héritier réservataire de Raymond Y..., des conséquences préjudiciables quant à ses droits successoraux, la donation consentie à Mme Fleur Y... et la qualité de Mme Denise X... en vertu du testament du défunt étant sans incidence sur cette situation, de sorte que M. Claude Y... a un intérêt né et actuel à agir en nullité du mariage contracté par son père ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le prononcé de la nullité du mariage de Raymond Y... avec Mme Denise X... revêtait, à l’égard de cette dernière, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors que cette union, célébrée sans opposition, avait duré plus de vingt ans, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l’article L. 411 3 du code de l’organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition prononçant l’annulation du mariage célébré le 17 septembre 1983 entre Raymond Y... et Mme Denise X..., ainsi qu’en sa disposition allouant une somme à M. Claude Y... sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 21 juin 2012, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

  • Faits
    • Le fils de l’époux avait introduit l’action en nullité du mariage, 22 ans après sa célébration, après le décès de son père, lequel avait institué son épouse légataire universelle.
    • Celle-ci avait invoqué, pour s’y opposer, une atteinte à la substance du droit au mariage garanti par l’article 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en se fondant sur un arrêt rendu en ce sens le 13 septembre 2005 par la Cour européenne des droits de l’homme, relatif à un projet de mariage entre alliés, se prévalant de nombreuses années de vie commune.
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 21 juin 2012, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a accueilli la demande de nullité en considérant que l’empêchement à mariage entre un beau-père et sa bru, prévu par l’article 161 du code civil, était justifié en ce qu’il répondait à des finalités légitimes de sauvegarde de l’homogénéité de la famille et qu’en l’espèce, la présence d’un conjoint survivant entraînait nécessairement des conséquences successorales préjudiciables à cet unique héritier qui, dès lors, justifiait d’un intérêt à l’annulation.
  • Solution
    • La Cour de cassation a jugé que les constatations des juges du fond étaient suffisantes pour en déduire que le droit au respect de la vie privée et familiale, au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, commandait de rejeter la demande d’annulation de ce mariage, célébré sans que le ministère public ait formé opposition au mariage, alors que les pièces d’état civil qui avaient été produites par les futurs époux révélaient nécessairement la cause de l’empêchement au mariage.
  • Portée
    • En raison de son fondement, la portée de cette décision est limitée au cas particulier examiné.
    • Ainsi, le principe de la prohibition du mariage entre alliés n’est pas remis en question par cette décision de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 8 décembre 2016, la Cour de cassation a confirmé la prohibition du mariage entre alliés en ligne direct (Cass. 1ère civ. 8 déc. 2016, n°15-27.201).

Au soutien de sa décision elle rappelle que « que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que constitue l’annulation d’un mariage entre alliés en ligne directe est prévue par les articles 161 et 184 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu’elle vise à sauvegarder l’intégrité de la famille et à préserver les enfants des conséquences résultant d’une modification de la structure familiale »

À cet égard, elle précise « qu’il appartient toutefois au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces dispositions ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi »

En l’espèce, la Cour de cassation relève que :

  • D’une part, la belle-fille avait 9 ans quand son beau-père a épousé sa mère en troisièmes noces
  • D’autre part, qu’elle avait 25 ans lorsque ces derniers ont divorcé et 27 ans lorsque son beau-père l’a épousée

Il en résulte que l’intéressée a vécu, alors qu’elle était mineure, durant neuf années, avec celui qu’elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu’elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique

La Première chambre civile relève encore que l’union de la belle-fille avec son beau-père n’avait duré que huit années lorsque l’action en nullité a été engagée et qu’aucun enfant n’est issu de cette union prohibée

Au regard de tous ces éléments, la Cour de cassation valide la décision des juges du fond qui ont pu valablement déduire que l’annulation du mariage ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la belle-fille au regard du but légitime poursuivi.

Cass. 1ère civ. 8 déc. 2016
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 décembre 2014), que Pierre Y..., né le 10 janvier 1925, et Mme Z..., née le 6 juillet 1949, se sont mariés le 28 janvier 1984 ; qu’après leur divorce, prononcé par jugement du 13 décembre 2000, Pierre Y... a épousé, le 12 janvier 2002, Mme X..., fille de Mme Z..., née le 24 avril 1975 d’une précédente union ; qu’après le décès de Pierre Y..., le 5 avril 2010, Mme Anne Y..., épouse A... et MM. Philippe, Jacques et Frédéric Y... (les consorts Y...) ont assigné Mme X... aux fins de voir prononcer, sur le fondement de l’article 161 du code civil, l’annulation de son mariage avec leur père et beau-père ; que, Mme X... ayant été placée sous curatelle renforcée en cours de procédure, son curateur, l’ATMP du Var, est intervenu à l’instance ;

Attendu que Mme X... et l’ATMP du Var font grief à l’arrêt de prononcer l’annulation du mariage et, en conséquence, de rejeter leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe, après la dissolution par divorce de la première union qui avait été contractée par l’un des deux alliés avec le parent du second, porte une atteinte disproportionnée au droit du mariage ; qu’en prononçant, sur le fondement de l’article 161 du code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre Y... et Mme X..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand l’empêchement à mariage entre alliés en ligne directe, qui peut néanmoins être célébré en vertu d’une dispense si celui qui a créé l’alliance est décédé et ne repose pas sur l’interdiction de l’inceste, inexistant entre personnes non liées par le sang, porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage, la cour d’appel a violé l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 ;

2°/ que le prononcé de la nullité du mariage célébré entre anciens alliés en ligne directe est susceptible de revêtir, à leur égard, le caractère d’une ingérence injustifiée dans l’exercice de leur droit au respect de la vie privée et familiale, dès lors que leur union, célébrée sans opposition, a duré plusieurs années ; qu’en prononçant, sur le fondement de l’article 161 du code civil, la nullité du mariage célébré le 12 janvier 2002 entre Pierre Y... et Mme X..., fille de sa précédente épouse toujours en vie, quand ce mariage célébré sans opposition, avait duré pendant huit années, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 161 du code civil, en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne ; que, selon l’article 184 du même code, tout mariage contracté en contravention à ces dispositions peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par tous ceux qui y ont intérêt ;

Qu’aux termes de l’article 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ;

Que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, si l’exercice de ce droit est soumis aux lois nationales des Etats contractants, les limitations en résultant ne doivent pas le restreindre ou le réduire d’une manière ou à un degré qui l’atteindraient dans sa substance même ; qu’il en résulte que les conditions requises pour se marier dans les différentes législations nationales ne relèvent pas entièrement de la marge d’appréciation des Etats contractants car, si tel était le cas, ceux-ci pourraient interdire complètement, en pratique, l’exercice du droit au mariage ;

Que, cependant, le droit de Mme X... et Pierre Y... de se marier n’a pas été atteint, dès lors que leur mariage a été célébré sans opposition et qu’ils ont vécu maritalement jusqu’au décès de l’époux ; qu’en annulant le mariage, la cour d’appel n’a donc pas méconnu les exigences conventionnelles résultant du texte susvisé ;

Attendu, en second lieu, qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;

Que l’ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale que constitue l’annulation d’un mariage entre alliés en ligne directe est prévue par les articles 161 et 184 du code civil et poursuit un but légitime en ce qu’elle vise à sauvegarder l’intégrité de la famille et à préserver les enfants des conséquences résultant d’une modification de la structure familiale ;

Qu’il appartient toutefois au juge d’apprécier si, concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces dispositions ne porte pas au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention une atteinte disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ;

Attendu que l’arrêt relève, d’abord, que Mme X... avait 9 ans quand Pierre Y... a épousé sa mère en troisièmes noces, qu’elle avait 25 ans lorsque ces derniers ont divorcé et 27 ans lorsque son beau-père l’a épousée ; qu’il en déduit que l’intéressée a vécu, alors qu’elle était mineure, durant neuf années, avec celui qu’elle a ultérieurement épousé et qui représentait nécessairement pour elle, alors qu’elle était enfant, une référence paternelle, au moins sur le plan symbolique ; qu’il constate, ensuite, que son union avec Pierre Y... n’avait duré que huit années lorsque les consorts Y... ont saisi les premiers juges aux fins d’annulation ; qu’il relève, enfin, qu’aucun enfant n’est issu de cette union prohibée ; que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu déduire que l’annulation du mariage ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme X..., au regard du but légitime poursuivi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

B) La prohibition de l’inceste en ligne collatérale

L’article 162 du Code civil prévoit encore que « en ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre le frère et la sœur, entre frères et entre sœurs »

L’article 163 du Code civil ajoute que « le mariage est prohibé entre l’oncle et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le neveu ou la nièce. »

Ainsi, il ne peut y avoir de mariage à peine de nullité :

==> Entre collatéraux

La ligne collatérale est celle des parents qui ne descendent pas les uns des autres mais d’un auteur commun.

Le degré correspond à un intervalle séparant deux générations et servant à calculer la proximité de la parenté, chaque génération comptant pour un degré

L’article 741 du Code civil dispose que « la proximité de parenté s’établit par le nombre de générations ; chaque génération s’appelle un degré. »

L’interdiction s’étend aux degrés suivants :

  • Au deuxième degré
    • Entre frères et sœurs, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils sont germains, consanguins ou utérins.

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  • Au troisième degré
    • Le mariage est prohibé entre l’oncle et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le neveu ou la nièce

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  • Au quatrième degré
    • Très tôt la question s’est posée de savoir s’il convenait d’étendre la prohibition de l’inceste au quatrième degré et plus particulièrement entre grand-oncle et petite-nièce et grand-tante et petit-neveu
    • Dans un avis du 23 avril 1808, le Conseil d’État répondit par la négative à cette question validant le mariage entre les personnes visées.
    • Toutefois, cet avis fut immédiatement réprouvé par l’Empereur qui, aux termes d’une décision publiée au Bulletins des lois du 7 mai 1808, arrêta que « le mariage entre un grand-oncle et sa petite-nièce ne peut avoir lieu qu’en conséquence de dispenses accordées conformément à ce qui est prescrit par l’article 164 du Code civil…».
    • Cette position a été confirmée, 70 ans plus tard, par la Cour de cassation dans un arrêt du 28 novembre 1877 ( req. 28 nov. 1877).

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C) Les dispenses

Deux sortes d’empêchements doivent être distinguées en matière de prohibition de l’inceste :

  • Les empêchements absolus qui ne peuvent faire l’objet d’aucune dispense
  • Les empêchements relatifs qui peuvent être levés au moyen d’une dispense

==> Les empêchements absolus

Il s’agit de tous ceux pour lesquels aucune dispense n’est prévue. Il en va ainsi de l’interdiction à mariage notamment entre :

  • Parents en ligne directe
  • Alliés en ligne directe
  • Frères et sœurs

==> Les empêchements relatifs

Il s’agit de toutes les interdictions à mariage pour lesquelles le législateur a prévu une dispense.

L’article 164 du Code civil prévoit qu’il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées :

  • Par l’article 161 aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée ;
  • Par l’article 163, soit les interdictions à mariage qui intéressent l’oncle et la nièce, la tante et le neveu.

L’article 366, al. 7 dispose encore que la prohibition au mariage portée entre l’adopté et le conjoint de l’adoptant ; réciproquement entre l’adoptant et le conjoint de l’adopté peut être levée dans les mêmes conditions lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée.

La dispense ne pourra être obtenue qu’à la condition de justifier d’un motif grave. L’examen de la jurisprudence révèle que l’intérêt de l’enfant né ou à naître est l’une des principales causes d’obtention d’une dispense.

Les conditions de formation du pacs

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[1], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale.

De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[2]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire.

Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui.

Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[3], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable.

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[4] et plus encore, comme son « acte fondateur »[5].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Parce que le contexte sociologique et juridique ne permettait plus à ce silence de prospérer, le législateur est intervenu pour remédier à cette situation.

Son intervention s’est traduite par l’adoption de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, plus couramment désigné sous le nom de pacs.

Ainsi, pour la première fois, le législateur reconnaissait-il un statut juridique au couple en dehors du mariage.

La formation du pacs est subordonnée à la satisfaction de conditions de fond et de forme.

I) Les conditions de fond

A) Les conditions tenant aux qualités physiques des partenaires

  1. L’indifférence du sexe

L’article 515-1 du Code civil que le pacs peut être conclu par deux personnes « de sexe différent ou de même sexe »

Ainsi, le législateur a-t-il accédé à une revendication pressante des couples homosexuels qui a pris racine au début des années 1990.

Ces derniers revendiquaient la création d’un statut unifiant pour l’ensemble des couples non mariés, que les partenaires soient de même sexe ou de sexe différent, ou même pour des personnes ayant un projet de vie en commun en dehors de tout lien charnel.

Une première proposition de loi tendant à instituer un contrat de partenariat civil est déposée au Sénat dès cette époque par M. Jean-Luc Mélenchon.

De nombreuses autres propositions relayées par des parlementaires de gauche vont voir le jour à partir de 1992, sous les appellations successives de contrat d’union civile, de contrat d’union sociale ou de contrat d’union civile et sociale.

Elles prévoyaient toutes l’enregistrement des unions devant l’officier d’état civil, définissaient en se référant au mariage les devoirs et le régime des biens des cocontractants et leur attribuaient des droits directement calqués sur le mariage en matière de logement, de sécurité sociale, d’impôt sur le revenu et de succession.

Les revendications portaient, en outre, sur l’élimination, à terme, de toute différence entre les couples homosexuels et hétérosexuels par l’ouverture pure et simple du mariage et du concubinage aux homosexuels.

Allant dans ce sens, le Parlement européen a adopté, le 8 février 1994, une résolution sur l’égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne invitant la Commission des communautés européennes à présenter un projet de recommandation devant chercher, notamment à mettre un terme à :

  • l’interdiction faite aux couples homosexuels de se marier ou de bénéficier de dispositions juridiques équivalentes : la recommandation devrait garantir l’ensemble des droits et des avantages du mariage, ainsi qu’autoriser l’enregistrement de partenariats,
  • toute restriction au droit des lesbiennes et des homosexuels d’être parents ou bien d’adopter ou d’élever des enfants.

En définitive, au-delà du respect de leur comportement individuel, les homosexuels revendiquaient la reconnaissance sociale de leur couple, ce qui a pu faire dire que sortis du code pénal, ils aspiraient à rentrer dans le code civil.

C’est chose faite avec l’adoption sur la loi du 15 novembre 1999 qui autorise les couples homosexuels à conclure un pacte civil de solidarité.

2. L’âge des partenaires

L’article 515-1 du Code civil prévoit expressément que le « pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures »

Ainsi, pour conclure un pacs, il faut avoir atteint l’âge de dix-huit ans révolu.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si, à l’instar du mariage, le Procureur peut consentir des dispenses d’âge.

==> S’agissant de l’émancipation

Dans le silence des textes, le mineur émancipé ne dispose pas, a priori, de la capacité de conclure un pacs.

La question avait d’ailleurs été soulevée par les parlementaires devant le Conseil constitutionnel.

Leurs auteurs de la saisine soutenaient que portaient atteinte au principe d’égalité les interdictions de conclure un pacte civil de solidarité qui visent les mineurs émancipés et les majeurs sous tutelle

Le Conseil constitutionnel a toutefois rejeté cet argument estimé que « sans méconnaître les exigences du principe d’égalité, ni celles découlant de la liberté définie à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le législateur […] a pu sans porter atteinte au principe d’égalité, ne pas autoriser la conclusion d’un pacte par une personne mineure émancipée et par une personne majeure placée sous tutelle » (Cons. Cons ; Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).

==> S’agissant de la dispense d’âge

Pour mémoire, en matière de mariage, législateur a estimé que, en certaines circonstances, il y aurait plus d’inconvénients que d’avantages à maintenir cette condition d’âge avec trop de rigidité

Avant la loi du 23 décembre 1970 modifiant l’article 145 du Code civil, le Code civil avait attribué au chef de l’État le pouvoir d’accorder des dispenses d’âge en lui laissant la libre appréciation de leur opportunité.

Il lui appartenait ainsi d’accorder ces dispenses par décret rendu sur le rapport du garde des Sceaux. Ce dossier était alors remis au procureur de la République qui instruisait l’affaire.

La loi n° 70-1266 du 23 décembre 1970 a modifié l’article 145 du Code civil à compter du 1er février 1971 et transféré au procureur de la République du lieu de la célébration du mariage le pouvoir d’accorder les dispenses d’âge dans les mêmes circonstances que pouvait le faire le Président de la République.

L’article 145 du Code civil dispose désormais que, « il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves ».

La dispense accordée par le procureur de la République ne fait toutefois pas disparaître la nécessité du consentement familial exigé pour les mineurs.

L’article 148 du Code civil précise, en effet, que « les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement ».

Ainsi, pour que des mineurs puissent se marier, encore faut-il qu’ils y soient autorisés :

  • par leurs parents
  • par le procureur de la république

Ce régime de dispense d’âge est-il transposable au pacs ?

Dans la mesure où aucune disposition ne le prévoit, une réponse négative doit être apportée à cette question, bien que l’on puisse s’interroger sur l’opportunité d’une telle interdiction.

Compte tenu de son régime juridique, la conclusion d’un pacs est un acte bien moins grave qu’en engagement dans les liens du mariage, ne serait-ce que parce le pacs repose sur un régime de séparation de biens, tandis que celui du mariage est communautaire.

B) Les conditions tenant à la nature contractuelle du pacs

Comme précisé par l’article 515-1 du Code civil le « pacte civil de solidarité est un contrat ».

Il en résulte que sa validité est subordonnée au respect des conditions de formation du contrat.

L’article 1101 du Code civil dispose que le contrat est « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »

Pour être créateur d’obligations, l’article 1103 du Code civil précise néanmoins que le contrat doit être « légalement formé ».

Aussi, cela signifie-t-il que les parties doivent satisfaire à un certain nombre de conditions posées par la loi, à défaut de quoi le contrat ne serait pas valide, ce qui est sanctionné par la nullité.

Les conditions de validité du contrat exigées par la loi sont énoncées à l’article 1128 du Code civil qui prévoit que sont nécessaires à la validité d’un contrat :

  • Le consentement des parties
  • Leur capacité de contracter
  • Un contenu licite et certain
  1. Le consentement

La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?

==> La difficile appréhension de la notion de consentement

Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.

Que l’on doit exactement entendre par consentement ?

Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.

L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :

  • L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
  • Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
  • Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
  • Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
  • Un contractant peut également s’être engagé par erreur

Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.

La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?

Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?

==> Existence du consentement et vice du consentement

Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :

  • Le consentement doit exister
    • À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé son consentement
    • Or cela constitue un obstacle à la rencontre des volontés.
    • Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
    • Autrement dit, le contrat est inexistant.
  • Le consentement ne doit pas être vicié
    • À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
    • Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
      • soit qu’il n’a pas été donné librement
      • soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
    • En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.

a) L’existence du consentement

Le nouvel article 1129 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 apporte une précision dont il n’était pas fait mention dans le droit antérieur.

Cette disposition prévoit, en effet, que « conformément à l’article 414-1, il faut être sain d’esprit pour consentir valablement à un contrat. ».

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de cette exigence

  • Contenu de la règle
    • L’article 1129 pose la règle selon laquelle l’insanité d’esprit constitue une cause de nullité du contrat
    • Autrement dit, pour pouvoir contracter il ne faut pas être atteint d’un trouble mental, à défaut de quoi on ne saurait valablement consentir à l’acte.
    • Il peut être observé que cette règle existait déjà à l’article 414-1 du Code civil qui prévoit que « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. »
    • Cette disposition est, de surcroît d’application générale, à la différence, par exemple de l’article 901 du Code civil qui fait également référence à l’insanité d’esprit mais qui ne se rapporte qu’aux libéralités.
    • L’article 1129 fait donc doublon avec l’article 414-1.
    • Il ne fait que rappeler une règle déjà existante qui s’applique à tous les actes juridiques en général
  • Insanité d’esprit et incapacité juridique
    • L’insanité d’esprit doit impérativement être distinguée de l’incapacité juridique
      • L’incapacité dont est frappée une personne a pour cause :
        • Soit la loi
          • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice général dont sont frappés les mineurs non émancipés.
        • Soit une décision du juge
          • Tel est le cas s’agissant de l’incapacité d’exercice dont sont frappées les personnes majeures qui font l’objet d’une tutelle, d’une curatelle, d’une sauvegarde de justice ou encore d’un mandat de protection future
      • L’insanité d’esprit n’a pour cause la loi ou la décision d’un juge : son fait générateur réside dans le trouble mental dont est atteinte une personne.
    • Aussi, il peut être observé que toutes les personnes frappées d’insanité d’esprit ne sont pas nécessairement privées de leur capacité juridique.
    • Réciproquement, toutes les personnes incapables (majeures ou mineures) ne sont pas nécessairement frappées d’insanité d’esprit.
    • À la vérité, la règle qui exige d’être sain d’esprit pour contracter a été instaurée aux fins de protéger les personnes qui seraient frappées d’insanité d’esprit, mais qui jouiraient toujours de la capacité juridique de contracter.
    • En effet, les personnes placées sous curatelle ou sous mandat de protection future sont seulement frappées d’une incapacité d’exercice spécial, soit pour l’accomplissement de certains actes (les plus graves).
    • L’article 1129 du Code civil jouit donc d’une autonomie totale par rapport aux dispositions qui régissent les incapacités juridiques.
    • Il en résulte qu’une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit pourrait indifféremment être engagée à l’encontre d’une personne capable ou incapable.
  • Notion d’insanité d’esprit
    • Le Code civil ne définit pas l’insanité d’esprit
    • Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue cette tâche
    • Dans un arrêt du 4 février 1941, la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’insanité d’esprit doit être regardée comme comprenant « toutes les variétés d’affections mentales par l’effet desquelles l’intelligence du disposant aurait été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée» ( civ. 4 févr. 1941).
    • Ainsi, l’insanité d’esprit s’apparente au trouble mental dont souffre une personne qui a pour effet de la priver de sa faculté de discernement.
    • Il peut être observé que la Cour de cassation n’exerce aucun contrôle sur la notion d’insanité d’esprit, de sorte que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond (V. notamment en ce sens 1re civ., 24 oct. 2000).
  • Sanction de l’insanité d’esprit
    • En ce que l’insanité d’esprit prive le contractant de son consentement, elle est sanctionnée par la nullité du contrat.
    • Autrement dit, le contrat est réputé n’avoir jamais été conclu.
    • Il est anéanti rétroactivement, soit tant pour ses effets passés, que pour ses effets futurs.
    • Il peut être rappelé, par ailleurs, qu’une action en nullité sur le fondement de l’insanité d’esprit, peut être engagée quand bien même la personne concernée n’était pas frappée d’une incapacité d’exercice.
    • L’action en nullité pour incapacité et l’action en nullité pour insanité d’esprit sont deux actions bien distinctes.

b) Les vices du consentement

i) Place des vices du consentement dans le Code civil

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

ii) Énumération des vices du consentement

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Il résulte de cette disposition que les vices du consentement qui constituent des causes de nullité du contrat sont au nombre de trois :

  • L’erreur
  • Le dol
  • La violence

?) L’erreur

==> Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations: j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne: je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

==> Conditions

Pour constituer une cause de nullité l’erreur doit, en toutes hypothèses, être, déterminante et excusable

  • Une erreur déterminante
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes»
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans.
    • Cette exigence est conforme à la position de la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 21 septembre 2010, la troisième chambre civile a, par exemple, rejeté le pourvoi formé par la partie à une promesse synallagmatique de vente estimant que cette dernière « ne justifiait pas du caractère déterminant pour son consentement de l’erreur qu’il prétendait avoir commise» ( 3e civ., 21 sept. 2010).
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné»
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur
  • Une erreur excusable
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple 3e civ., 13 sept. 2005).
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens soc., 3 juill. 1990).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.

==> L’erreur sur les qualités essentielles de la personne

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

En matière de pacs seule l’erreur sur les qualités essentielles du partenaire apparaît pertinente :

  • Principe
    • Au même titre que l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, le législateur a entendu faire de l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant une cause de nullité ( 1133, al. 1 C. civ.).
    • Le législateur a ainsi reconduit la solution retenue en 1804 à la nuance près toutefois qu’il a inversé le principe et l’exception.
    • L’ancien article 1110 prévoyait, en effet, que l’erreur « n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention. »
    • Ainsi, l’erreur sur les qualités essentielles de la personne n’était, par principe, pas sanctionnée.
    • Elle ne constituait une cause de nullité qu’à la condition que le contrat ait été conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du cocontractant.
    • Aujourd’hui, le nouvel article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne.»
    • L’exception instaurée en 1804 est, de la sorte, devenue le principe en 2016.
    • Cette inversion n’a cependant aucune incidence sur le contenu de la règle dans la mesure où, in fine, l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité qu’en matière de contrats conclus intuitu personae.
  • Notion d’erreur sur la personne
    • L’erreur sur la personne du cocontractant peut porter
      • sur son identité
      • son honorabilité
      • sur son âge
      • sur l’aptitude aux relations sexuelles
      • sur la santé mentale

?) Le dol

==> Notion

Classiquement, le dol est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

Si, de la sorte, le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Lorsqu’il constitue un vice du consentement, le dol doit être distingué de l’erreur

Contrairement au vice du consentement que constitue l’erreur qui est nécessairement spontanée, le dol suppose l’établissement d’une erreur provoquée par le cocontractant.

En matière de dol, le fait générateur de l’erreur ne réside donc pas dans la personne de l’errans, elle est, au contraire, le fait de son cocontractant.

En somme, tandis que dans l’hypothèse de l’erreur, un contractant s’est trompé sur le contrat, dans l’hypothèse du dol ce dernier a été trompé.

==> Application

Le dol n’est pas une cause de nullité du mariage

Cette règle est associée à la célèbre formule du juriste Loysel : « en mariage trompe qui peut » (Institutes coutumières, livre Ier, titre II, no 3).

Le Code civil étant silencieux sur la question du dol en matière de mariage, la jurisprudence en a déduit que ne permettait pas d’obtenir son annulation.

Par analogie, il est fort probable que cette règle soit transposable au pacs

Admettre le contraire reviendrait à prendre le risque d’aboutir à de nombreuses actions en nullité du pacs, ne serait-ce que par le dol peut être invoqué pour tout type d’erreur, peu importe qu’elle soit ou non excusable.

?) La violence

==> Notion

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

Il ressort de cette définition que la violence doit être distinguée des autres vices du consentement pris dans leur globalité, d’une part et, plus spécifiquement du dol, d’autre part.

  • Violence et vices du consentement
    • La violence se distingue des autres vices du consentement, en ce que le consentement de la victime a été donné en connaissance de cause.
    • Cependant, elle n’a pas contracté librement
    • Autrement dit, en contractant, la victime avait pleinement conscience de la portée de son engagement, seulement elle s’est engagée sous l’empire de la menace
  • Violence et dol
    • Contrairement au dol, la violence ne vise pas à provoquer une erreur chez le cocontractant.
    • La violence vise plutôt à susciter la crainte de la victime
    • Ce qui donc vicie le consentement de cette dernière, ce n’est pas l’erreur qu’elle aurait commise sur la portée de son engagement, mais bien la crainte d’un mal qui pèse sur elle.
    • Dit autrement, la crainte est à la violence ce que l’erreur est au dol.
    • Ce qui dès lors devra être démontré par la victime, c’est que la crainte qu’elle éprouvait au moment de la conclusion de l’acte a été déterminante de son consentement
    • Il peut être observé que, depuis l’adoption de la loi n° 2006-399 du 4 avr. 2006, la violence est expressément visée par l’article 180 du Code civil applicable au couple marié.

==> Conditions

Il ressort de l’article 1140 du Code civil que la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis : l’exercice d’une contrainte et l’inspiration d’une crainte.

  • L’exercice d’une contrainte
    • L’objet de la contrainte : la volonté du contractant
      • Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.
      • La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.
    • La consistance de la contrainte : une menace
      • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
      • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
      • Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens
    • Le caractère de la contrainte : une menace illégitime
      • La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.
      • A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
      • La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.
      • En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »
      • Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif» ( 3e civ. 17 janv. 1984).
  • L’inspiration d’une crainte
    • La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable.»
    • Aussi, ressort-il de cette disposition que pour que la condition tenant à l’existence d’une crainte soit remplie, cela suppose, d’une part que cette crainte consiste en l’exposition d’un mal considérable, d’autre part que ce mal considérable soit dirigé, soit vers la personne même de la victime, soit vers sa fortune, soit vers ses proches
      • L’exposition à un mal considérable
        • Reprise de l’ancien texte
          • L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.
          • Ainsi, le législateur n’a-t-il nullement fait preuve d’innovation sur ce point-là.
        • Notion
          • Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?
          • Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.
          • Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes
          • Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
          • La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.
          • Dans un arrêt du 13 janvier 1999, la Cour de cassation a par exemple approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé l’annulation d’une vente pour violence morale.
          • La haute juridiction relève, pour ce faire que la victime avait «subi, de la part des membres de la communauté animée par Roger Melchior, depuis 1972 et jusqu’en novembre 1987, date de son départ, des violences physiques et morales de nature à faire impression sur une personne raisonnable et à inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent, alors que séparée de son époux et ayant à charge ses enfants, elle était vulnérable et que ces violences l’avaient conduite à conclure l’acte de vente de sa maison en faveur de la société Jojema afin que les membres de la communauté fussent hébergés dans cet immeuble» ( 3e civ. 13 janv. 1999).
          • Il ressort manifestement de cet arrêt que la troisième chambre civile se livre à une appréciation in concreto.
        • Exclusion de la crainte révérencielle
          • L’ancien article 1114 du Code civil prévoyait que « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. »
          • Cette disposition signifiait simplement que la crainte de déplaire ou de contrarier ses parents ne peut jamais constituer en soi un cas de violence.
          • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que pour qu’une telle crainte puisse entraîner l’annulation d’un contrat, cela suppose qu’elle ait pour fait générateur une menace.
          • Dans un arrêt du 22 avril 1986, la première chambre civile a ainsi admis l’annulation d’une convention en relevant que « l’engagement pris par M.Philippe X… est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d’une mainlevée une fois l’accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d’une reconnaissance de dette antérieure ; qu’elle retient que ces contraintes étaient d’autant plus efficaces qu’à cette époque M.Philippe X… souffrait d’un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d’un jugement libre et éclairé»
          • La haute juridiction en déduit, compte tenu des circonstances que « ces pressions étaient susceptibles d’inspirer à celui qui les subissait la crainte d’exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention» ( 1ère civ. 22 avr. 1996).
          • Manifestement, le pacs se distingue sur cette question du mariage.
          • L’article 180 du Code civil prévoit, en effet, que « l’exercice d’une contrainte sur les époux ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. »
          • Ainsi, tandis qu’en matière de mariage la simple crainte révérencielle est une cause de nullité, tel n’est pas le cas en matière de pacs.
        • L’objet de la crainte
          • Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »
          • Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :
            • soit sa personne
            • soit sa fortune
            • soit celles de ses proches
          • Ainsi, le cercle des personnes visées l’ordonnance du 10 février 2016 est-il plus large que celui envisagé par les rédacteurs du Code civil.

2. La capacité

Conformément à l’article 515-1 du Code civil, il faut être majeur pour être en capacité de conclure un pacs.

Cette règle se justifie par la nature du pacs qui est un contrat. Or conformément à l’article 1145 du Code civil pour contracter il convient de n’être frappé d’aucune incapacité.

L’article 1146 précise que « sont incapables de contracter, dans la mesure définie par la loi :

  • Les mineurs non émancipés ;
  • Les majeurs protégés au sens de l’article 425, soit « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre»

À la vérité, le cercle des personnes admises à conclure à conclure un pacs n’est pas le même que celui envisagé par le droit commun des contrats.

  • En premier, le législateur a catégoriquement refusé aux mineurs émancipés de conclure un pacs, ce qui a été validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 novembre 1999 ( Cons ; Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999)
  • En second lieu, les majeurs frappés d’une incapacité ne sont nullement privés de la faculté de conclure un pacs

==> Les majeurs sous tutelle

Dans sa rédaction issue de la loi du 15 novembre 1999, l’article 506-1 du Code civil disposait que « les majeurs placés sous tutelle ne peuvent conclure un pacte civil de solidarité »

Ainsi, les majeurs protégés étaient exclus du champ d’application du pacs.

Cette interdiction a, toutefois, été levée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.

L’article 462 du Code civil dispose désormais que « La conclusion d’un pacte civil de solidarité par une personne en tutelle est soumise à l’autorisation du juge ou du conseil de famille s’il a été constitué, après audition des futurs partenaires et recueil, le cas échéant, de l’avis des parents et de l’entourage »

Pour ce faire, « l’intéressé est assisté de son tuteur lors de la signature de la convention. Aucune assistance ni représentation ne sont requises lors de la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil ou devant le notaire instrumentaire prévue au premier alinéa de l’article 515-3. »

==> Les majeures sous curatelle

S’agissant des majeurs sous curatelle, ils sont également autorisés à conclure un pacs.

L’article 461 du Code civil dispose en ce sens que « la personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, signer la convention par laquelle elle conclut un pacte civil de solidarité. »

À la différence du majeur sous tutelle, la personne placée sous curatelle est dispensée de l’assistance de son curateur lors de la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil ou devant le notaire instrumentaire.

==> Les majeurs sous sauvegarde de justice

Aux termes de l’article 435 du Code civil « la personne placée sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits. Toutefois, elle ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné en application de l’article 437. »

Il en résulte qu’elle est parfaitement libre de conclure un pacs, sans qu’aucune restriction ne s’impose à elle.

3. Le contenu licite et certain

Aux termes de l’article 1162 du Code civil « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. »

Appliquée au pacs cette exigence se traduit par l’obligation, pour les prétendants, d’adhérer à la finalité que le législateur a entendu attacher au pacs : l’organisation de la vie commune des partenaires

Autrement dit, pour être valide, le pacs ne doit pas être fictif, ce qui implique que le consentement des partenaires ne doit pas avoir été simulé.

Au vrai, il s’agit là de la même exigence que celle posée en matière matrimoniale, la jurisprudence prohibant ce que l’on appelle les « mariages blancs ».

Dans un arrêt Appietto du 20 novembre 1963, la Cour de cassation avait estimé en ce sens que « le mariage est nul, faute de consentement, lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1963).

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :

  • Premier enseignement
    • La Cour de cassation considère que lorsque le mariage est fictif, soit lorsque les époux ont poursuivi un résultat étranger à l’union matrimonial, celui-ci doit être annulé pour défaut de consentement.
    • Il s’agit là d’une nullité absolue qui donc peut être invoquée par quiconque justifie d’un intérêt à agir et qui se prescrit par trente ans
  • Second enseignement
    • Il ressort de l’arrêt Appietto que la Cour de cassation opère une distinction entre les effets primaires du mariage et ses effets secondaires
      • Les effets primaires
        • Ils ne peuvent être obtenus que par le mariage
          • Filiation
          • Communauté de biens
      • Les effets secondaires
        • Ils peuvent être obtenus par d’autres biais que le mariage
          • Acquisition de la nationalité
          • Avantages fiscaux
          • Avantages patrimoniaux

Pour déterminer si un mariage est fictif, il convient de se demander si les époux recherchaient exclusivement ses effets secondaires – auquel cas la nullité est encourue – ou s’ils recherchaient et/ou ses effets primaires, en conséquence de quoi l’union est alors parfaitement valide.

De toute évidence, le même raisonnement peut être tenu en matière de pacs, encore que celui-ci procure aux partenaires bien moins d’avantages que n’en procure le mariage aux époux.

La conséquence en est que l’intérêt pour des partenaires de conclure un pacs blanc est pour le moins limité.

C) Les conditions tenant à la filiation des partenaires

Bien que le pacs s’apparente à un contrat, le législateur a posé un certain nombre d’empêchement qui interdisent à certaines personnes de conclure un pacs entre elles, interdictions qui tienne à des considérations d’ordre public.

==> Les empêchements qui tiennent au lien de parenté

L’article 515-2 du Code civil prévoit que, à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacs :

  • Entre ascendant et descendant en ligne directe
    • L’ascendant est la personne dont est issue une autre personne (le descendant) par la naissance ou l’adoption
    • Ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père.
    • La ligne directe est celle des parents qui descendent les uns des autres
    • Ainsi, les ascendants et descendants en ligne directe correspond à la ligne généalogique dans laquelle on remonte du fils au père

Schéma 1.JPG

  • Entre alliés en ligne directe
    • Les alliés sont, par rapport à un époux, les parents de son conjoint (beau-père, belle-mère, gendre, bru etc…).

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  • Entre collatéraux jusqu’au troisième degré inclus
    • La ligne collatérale est celle des parents qui ne descendent pas les uns des autres mais d’un auteur commun
    • Le degré correspond à un intervalle séparant deux générations et servant à calculer la proximité de la parenté, chaque génération comptant pour un degré
    • L’article 741 du Code civil dispose que « la proximité de parenté s’établit par le nombre de générations ; chaque génération s’appelle un degré. »

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==> Les empêchements qui tiennent à la polygamie

Bien que le pacs soit ouvert aux couples formés entre deux personnes de même sexe, le législateur n’a pas souhaité reconnaître la polygamie.

Ainsi, a-t-il transposé, au pacs, l’interdiction posée à l’article 147 du Code civil qui prévoit que « on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. »

Dans le droit fil de cette disposition l’article 515-2 dispose que, à peine de nullité, il ne peut y avoir de pacte civil de solidarité :

  • Entre deux personnes dont l’une au moins est engagée dans les liens du mariage
  • Entre deux personnes dont l’une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité

Il peut toutefois être observé que l’article 515-7, al. 3 du Code civil autorise une personne engagée dans les liens du pacs à se marier, d’où il s’ensuit une rupture de la première union.

Pacs et mariage ne sont ainsi, sur cet aspect, pas mis sur un même pied d’égalité. Si l’existence d’une union matrimoniale fait obstacle à la conclusion d’un pacs, l’inverse n’est pas.

Ces deux formes d’union conjugale se rejoignent néanmoins sur le principe de prohibition de la polygamie : dans les deux cas, l’inobservation de cette interdiction est sanctionnée par la nullité absolue.

II) Les conditions de forme

La conclusion d’un pacs est subordonnée à la réunion de trois conditions de forme

A) L’établissement d’une convention

==> Établissement d’un écrit

Aux termes de l’article 515-3 du Code civil « à peine d’irrecevabilité, les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité produisent la convention passée entre elles à l’officier de l’état civil, qui la vise avant de la leur restituer.»

Il ressort de cette disposition que la conclusion d’un pacs suppose l’établissement d’une convention. Il s’agit là d’une condition dont l’inobservance est sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande d’enregistrement du pacs.

Aussi, dans l’hypothèse où un pacs serait enregistré, en violation de cette exigence, il n’en demeurait pas moins valide.

Toutefois, l’article 515-3-1 du Code civil précise que « le pacte civil de solidarité ne prend effet entre les parties qu’à compter de son enregistrement, qui lui confère date certaine»

D’aucuns considère qu’il s’infère de cette disposition que l’établissement d’un écrit est exigé à peine de nullité.

Selon nous, il convient néanmoins de ne pas confondre la validité du pacs de son opposabilité.

Il peut être observé que dans sa rédaction antérieure, l’article 515-3 exigeait que les partenaires produisent une convention en double original ce qui, ipso facto, excluait la possibilité de recourir à l’acte authentique celui-ci ne comportant qu’un seul original : celui déposé au rang des minutes du notaire instrumentaire.

Aussi, la convention sur laquelle était assis le pacs ne pouvait être établie que par acte sous seing privé.

Pour remédier à cette anomalie le législateur a modifié, à l’occasion de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, l’article 515-3 lequel prévoit désormais en son alinéa 5 que « lorsque la convention de pacte civil de solidarité est passée par acte notarié, le notaire instrumentaire recueille la déclaration conjointe, procède à l’enregistrement du pacte et fait procéder aux formalités de publicité prévues à l’alinéa précédent. »

==> Le contenu de la convention

La circulaire n°2007-03 CIV du 5 février 2007 relative à la présentation de la réforme du pacte civil de solidarité est venue préciser ce qui devait être prévu par la convention conclue par les partenaires

  • Sur la convention en elle-même
    • Aucune forme ni contenu particulier autres que ceux prévus par les règles de droit commun applicables aux actes sous seing privé ou authentiques ne sont requis, de sorte que la convention peut simplement faire référence aux dispositions de la loi du 15 novembre 1999 et aux articles 515-1 à 515-7 du code civil.
    • La convention doit toutefois être rédigée en langue française et comporter la signature des deux partenaires.
    • Si l’un des partenaires est placé sous curatelle assortie de l’exigence de l’autorisation du curateur pour conclure un pacte civil de solidarité, la convention doit porter la signature du curateur à côté de celle de la personne protégée.
    • Il appartient au greffier de vérifier la qualité du curateur contresignataire de la convention en sollicitant la production de la décision judiciaire le désignant, ainsi que la photocopie d’un titre d’identité.
    • Il ne revient pas au greffier d’apprécier la validité des clauses de la convention de pacte civil de solidarité, ni de conseiller les parties quant au contenu de leur convention. S’il est interrogé par les partenaires sur ce point, il importe qu’il les renvoie à consulter un notaire ou un avocat.
    • Si la convention paraît contenir des dispositions contraires à l’ordre public, le greffier informe les partenaires du risque d’annulation. Si les intéressés maintiennent ces dispositions, il doit enregistrer le pacte en les informant qu’il en saisit le procureur de la République
    • À titre d’exemple, il pourra être considéré que seraient manifestement contraires à l’ordre public des dispositions d’une convention de PACS qui excluraient le principe d’aide matérielle et d’assistance réciproques entre partenaires ou le principe de solidarité entre partenaires à l’égard des tiers pour les dettes contractées par chacun d’eux au titre des dépenses de la vie courante.
    • Enfin, l’officier de l’état civil vérifiera qu’ont été respectées les conditions prévues aux articles 461 et 462 du code civil applicables lorsque l’un des partenaires est placé sous curatelle ou sous tutelle
  • Documents annexes à produire
    • Pièce d’identité
      • Le greffier doit tout d’abord s’assurer de l’identité des partenaires.
      • À cette fin, chaque partenaire doit produire l’original de sa carte nationale d’identité ou de tout autre document officiel délivré par une administration publique comportant ses noms et prénoms, la date et le lieu de sa naissance, sa photographie et sa signature, ainsi que l’identification de l’autorité qui a délivré le document, la date et le lieu de délivrance de celui-ci.
      • Il en va de même chaque fois que les partenaires doivent justifier de leur identité.
      • Le greffe conserve une copie de ce document.
    • Pièces d’état civil
      • La production des pièces d’état civil doit permettre au greffier de déterminer qu’il n’existe pas d’empêchement légal à la conclusion du pacte civil de solidarité au regard des articles 506-1, 515-1 et 515-2 du code civil.
      • Les pièces permettant de vérifier que ces trois séries de conditions sont réunies diffèrent selon que l’état civil des partenaires est ou non détenu par l’autorité française.
      • Dans tous les cas, doit être jointe une déclaration sur l’honneur par laquelle les partenaires indiquent n’avoir entre eux aucun lien de parenté ou d’alliance qui constituerait un empêchement au pacte civil de solidarité en vertu de l’article 515-2 du code civil.

B) L’enregistrement du pacs

==> Enregistrement auprès de l’officier d’état civil

  • Le transfert de compétence
    • Aux termes de l’article 515-3 du Code civil « les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune ou, en cas d’empêchement grave à la fixation de celle-ci, devant l’officier de l’état civil de la commune où se trouve la résidence de l’une des parties. »
    • Dorénavant, c’est donc auprès de l’officier d’état civil qu’il convient de faire enregistrer un pacs.
    • En 1999, le législateur avait prévu que le pacs devait être enregistré auprès du greffe du Tribunal d’instance.
    • Les députés avaient voulu marquer une différence avec le mariage.
    • Lors de son intervention en 2016, le législateur n’a toutefois pas souhaité conserver cette différence de traitement entre le pacs et le mariage.
    • Pour ce faire, il s’est appuyé sur le constat que les obstacles symboliques qui avaient présidé en 1999 au choix d’un enregistrement au greffe du tribunal d’instance avaient disparu.
    • Ainsi, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a-t-elle transféré aux officiers de l’état civil les compétences anciennement dévolues aux greffes des tribunaux d’instance.
  • La procédure d’enregistrement
    • La circulaire du 10 mai 2017 de présentation des dispositions en matière de pacte civil de solidarité issues de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle et du décret du 6 mai 2017 relatif au transfert aux officiers de l’état civil de l’enregistrement des déclarations, des modifications et des dissolutions des pactes civils de solidarité précise la procédure d’enregistrement du pacs.
    • Elle prévoit notamment qu’il appartient au maire de chaque commune de déterminer s’il souhaite faire enregistrer les PACS dès que les partenaires se présentent en mairie ou s’il souhaite mettre en place un système de prise de rendez-vous de déclaration conjointe de PACS.
    • Par ailleurs, le formulaire Cerfa de déclaration de PACS, accompagné des pièces justificatives, pourra être transmis par les partenaires par correspondance à la mairie chargée d’enregistrer le PACS en amont de l’enregistrement de la déclaration conjointe de conclusion de PACS.
    • Cette transmission peut s’effectuer par voie postale ou par téléservice et permettra une analyse du dossier de demande de PACS par les services de la commune en amont de la déclaration conjointe.
    • Un téléservice, reprenant les champs du formulaire Cerfa, pourra être mis en œuvre par les communes qui le souhaitent dans le respect du référentiel général de sécurité des systèmes d’information.

==> Compétence territoriale

  • Le lieu de la résidence commune
    • L’article 515-3 prévoit que les personnes qui concluent un pacte civil de solidarité en font la déclaration conjointe devant l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune
    • La circulaire du 10 mai 2017 précise que les intéressés n’ont pas besoin de résider déjà ensemble au moment de la déclaration.
    • En revanche, ils doivent déclarer à l’officier de l’état civil l’adresse qui sera la leur dès l’enregistrement du pacte.
  • La notion de résidence commune
    • La « résidence commune » doit s’entendre comme étant la résidence principale des intéressés quel que soit leur mode d’habitation (propriété, location, hébergement par un tiers).
    • La résidence désignée par les partenaires ne peut donc correspondre à une résidence secondaire.
    • En particulier, deux ressortissants étrangers résidant principalement à l’étranger ne peuvent valablement conclure un PACS.
  • La preuve de la résidence commune
    • Les partenaires feront la déclaration de leur adresse commune par une attestation sur l’honneur.
    • Aucun autre justificatif n’est à exiger mais l’officier de l’état civil doit appeler l’attention des intéressés sur le fait que toute fausse déclaration est susceptible d’engager leur responsabilité pénale.
  • L’incompétence de l’officier d’état civil
    • Lorsque la condition de résidence n’est pas remplie, l’officier de l’état civil rendra une décision d’irrecevabilité motivée par son incompétence territoriale.
    • Cette décision est remise aux intéressés avec l’information qu’ils disposent d’un recours devant le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés.
    • S’agissant des décisions d’irrecevabilité prises par l’autorité diplomatique ou consulaire, celles-ci pourront être contestées auprès du président du tribunal de grande instance de Nantes statuant en la forme des référés.

==> Comparution conjointe des partenaires

  • Principe
    • Il ressort de l’article 515-3 du Code civil que pour faire enregistrer leur déclaration de pacte civil de solidarité, les partenaires doivent se présenter en personne et ensemble à la mairie dans laquelle ils fixent leur résidence commune.
    • En raison du caractère éminemment personnel de cet acte, ils ne peuvent recourir à un mandataire.
    • Il est par ailleurs rappelé qu’en l’absence de dispositions en ce sens, les partenaires ne peuvent exiger la tenue d’une cérémonie pour enregistrer leur PACS, contrairement aux dispositions régissant le mariage.
    • Toutefois, le maire de chaque commune pourra prévoir à son initiative l’organisation d’une telle célébration qui pourra, le cas échéant, faire l’objet d’une délégation des fonctions d’officier de l’état civil à l’un ou plusieurs fonctionnaires titulaires de la commune au même titre que l’ensemble des attributions dont l’officier de l’état civil a la charge en matière de PACS.
  • Exceptions
    • En cas d’empêchement momentané de l’un des partenaires
      • Si l’un des deux partenaires est momentanément empêché, l’officier de l’état civil devra inviter celui qui se présente seul à revenir ultérieurement avec son futur partenaire pour l’enregistrement du PACS.
    • En cas d’empêchement durable de l’un des partenaires
      • Lorsque l’un des partenaires est empêché et qu’il ne paraît pas envisageable de différer l’enregistrement dans un délai raisonnable, l’officier de l’état civil pourra se déplacer jusqu’à lui.
      • En cas d’hospitalisation ou d’immobilisation à domicile, l’impossibilité durable de se déplacer jusqu’à la mairie devra être justifiée par un certificat médical.
        • Si le partenaire empêché se trouve sur le territoire de la commune, l’officier de l’état civil se déplacera auprès de lui pour constater sa volonté de conclure un PACS avec le partenaire non empêché.
          • Il importe que l’officier de l’état civil dispose de la convention de PACS et s’assure que le partenaire empêché est bien le signataire de celle-ci.
          • La procédure d’enregistrement se poursuivra aussitôt à la mairie en présence du seul partenaire non empêché.
        • Si le partenaire empêché se trouve hors le territoire de la commune, l’officier de l’état civil transmettra à l’officier de l’état civil de la commune de résidence du partenaire empêché une demande de recueil de déclaration de volonté de conclure un PACS, précisant l’identité des intéressés et l’adresse du lieu dans lequel se trouve le partenaire empêché.
          • À la réception de cette demande, l’officier de l’état civil destinataire se déplacera pour constater la volonté de l’intéressé de conclure un PACS, qu’il consignera par tous moyens et transmettra à l’officier de l’état civil qui l’a saisi.
          • La procédure d’enregistrement se poursuivra alors à la mairie en présence du seul partenaire non empêché.
          • Une telle organisation pourra notamment être retenue lorsque l’un des partenaires est incarcéré pour une longue période et se trouve ainsi durablement empêché.

==> Vérification des pièces produites par les partenaires

L’officier de l’état civil qui constate que le dossier est incomplet devra inviter les partenaires à le compléter.

Il n’y a pas lieu, dans cette hypothèse, de rendre une décision d’irrecevabilité, sauf à ce que les partenaires persistent dans leur refus de produire une ou plusieurs pièces justificatives.

En revanche, si l’officier de l’état civil constate, au vu des pièces produites par les partenaires, soit une incapacité, soit un empêchement au regard des articles 515-1 ou 515-2 du code civil, il devra refuser d’enregistrer la déclaration de PACS.

Ce refus fera alors l’objet d’une décision motivée d’irrecevabilité dont l’officier de l’état civil conservera l’original, une copie certifiée conforme étant remise aux partenaires.

Cette décision d’irrecevabilité est enregistrée, au même titre que les déclarations, modifications et dissolutions de PACS, l’enregistrement devant préciser la date et le motif de la décision d’irrecevabilité

La décision d’irrecevabilité mentionne par ailleurs que les partenaires peuvent exercer un recours devant le président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés

S’agissant des contestations relatives aux décisions d’irrecevabilité prises par l’autorité diplomatique ou consulaire, celles-ci seront portées devant le président du tribunal de grande instance de Nantes statuant en la forme des référés.

==> Modalités d’enregistrement

Après avoir procédé aux vérifications décrites ci-dessus et s’être assuré que les partenaires ont bien entendu conclure un pacte civil de solidarité, l’officier de l’état civil enregistre la déclaration conjointe de PACS.

Les déclarations conjointes de PACS sont enregistrées, sous forme dématérialisée, au sein de l’application informatique existante dans les communes pour traiter des données d’état civil

Ce n’est qu’à défaut d’une telle application informatique que l’enregistrement des PACS s’effectue dans un registre dédié, qui devra satisfaire aux conditions de fiabilité, de sécurité et d’intégrité fixées par arrêté à paraître du garde des sceaux, ministre de la justice et du ministre des affaires étrangères.

S’il ne s’agit pas d’un registre de l’état civil, les pages de ce registre doivent néanmoins être numérotées et utilisées dans l’ordre de leur numérotation.

Ce registre dédié fait par ailleurs l’objet d’une durée de conservation particulière, qui est de 75 ans à compter de sa clôture ou de 5 ans à compter du dernier PACS dont la dissolution y a été enregistrée, si ce dernier délai est plus bref.

Conformément à l’article 4 du décret n° 2006-1807 du 23 décembre 2006 modifié, l’officier de l’état civil enregistre :

  • Les prénoms et nom, date et lieu de naissance de chaque partenaire
  • Le sexe de chaque partenaire
  • La date et le lieu d’enregistrement de la déclaration conjointe de PACS
  • Le numéro d’enregistrement de cette déclaration.
  • Le numéro d’enregistrement doit être composé impérativement de 15 caractères comprenant :
    • le code INSEE de chaque commune (5 caractères)
    • l’année du dépôt de la déclaration conjointe de PACS (4 caractères)
    • le numéro d’ordre chronologique (6 caractères).
  • La numérotation étant annuelle, elle ne doit pas s’effectuer de manière continue mais recommencer à la première unité au début de chaque année.
  • De manière concomitante à l’enregistrement de la déclaration conjointe de PACS, l’officier de l’état civil vise en fin d’acte, après avoir numéroté et paraphé chaque page et en reportant sur la dernière le nombre total de pages, la convention qui lui a été remise par les partenaires.
  • Le visa consiste en l’apposition du numéro et de la date d’enregistrement de la déclaration, de la signature et le sceau de l’officier de l’état civil :
  • La date portée par l’officier de l’état civil sur la convention est celle du jour de l’enregistrement de la déclaration de PACS.

L’officier de l’état civil restituera aux partenaires la convention dûment visée sans en garder de copie.

Il rappelle à ces derniers que la conservation de la convention relève de leur responsabilité et les invitera à prendre toutes mesures pour en éviter la perte

==> Conservation des pièces

L’article 7 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006 modifié dispose que: « Sans préjudice de la sélection prévue à l’article L.212-3 du code du patrimoine, les pièces suivantes sont conservées, pendant une durée de cinq ans à compter de la date de la dissolution du pacte civil de solidarité, par l’officier de l’état civil auprès duquel la convention est enregistrée ou par les agents diplomatiques et consulaires lorsque le pacte civil de solidarité a fait l’objet d’une déclaration à l’étranger :

  • Les pièces, autres que la convention, qui doivent être produites en application du présent décret en vue de l’enregistrement de la déclaration de pacte civil de solidarité, parmi lesquelles la photocopie du document d’identité ;
  • La déclaration écrite conjointe prévue au quatrième alinéa de l’article 515-7 du code civil ;
  • La copie de la signification prévue au cinquième alinéa de l’article 515-7 du code civil ;
  • L’avis de mariage ou de décès visé à l’article 3 du présent décret. »

Ainsi, l’officier de l’état civil devra conserver, après enregistrement d’un PACS conclu :

  • La pièce d’identité et les pièces d’état civil
  • le formulaire Cerfa de déclaration de PACS contenant les informations relatives aux futurs partenaires ainsi que leur déclaration sur l’honneur de résidence commune et d’absence de lien de parenté ou d’alliance
  • les récépissés des avis de mention transmis à/aux officier(s) de l’état civil dépositaire(s) des actes de naissance des partenaires et/ou au service central d’état civil assurant la publicité des PACS dont l’un au moins des partenaires est de nationalité étrangère né à l’étranger.

La convention de PACS doit être restituée aux partenaires de sorte qu’aucune copie ne peut être conservée par l’officier de l’état civil.

Les pièces précitées devront être conservées pendant une durée de cinq ans à compter de la date de dissolution du PACS.

À l’issue de ce délai, ces pièces feront l’objet d’une destruction,

Enfin, il est précisé que la conservation des pièces ayant permis l’enregistrement de la déclaration de PACS s’effectue en principe sous un format papier.

Toutefois, leur conservation électronique est possible si les modalités de leur conservation respectent les conditions fixées dans le cadre de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

En effet, l’article 1379 du code civil présume « fiable jusqu’à preuve contraire toute copie résultant d’une reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et dont l’intégrité est garantie dans le temps par un procédé conforme à des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »

Si une telle option était privilégiée par la commune, cette dernière devrait ainsi respecter les conditions de l’archivage électronique des données prévues par le décret n° 2016-1673 du 5 décembre 2016 relatif à la fiabilité des copies et pris pour l’application de l’article 1379 du code civil.

La possibilité de détruire les pièces papier devra être validée par l’accord écrit de la personne en charge du contrôle scientifique et technique sur les archives, à savoir, pour les communes, le directeur des archives départementales territorialement compétent.

C) La publicité du pacs

  • Principe
    • Aux termes de l’article 515-3, al. 4 du Code civil « l’officier de l’état civil enregistre la déclaration et fait procéder aux formalités de publicité. »
    • La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste l’accomplissement des formalités de publicité pour l’officier d’état civil.
    • Pour le déterminer, il convient de se tourner vers l’article 515-3-1 qui précise que « il est fait mention, en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, de la déclaration de pacte civil de solidarité, avec indication de l’identité de l’autre partenaire ».
    • Cette disposition précise que « pour les personnes de nationalité étrangère nées à l’étranger, cette information est portée sur un registre tenu au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères.»
    • Par ailleurs, les conventions modificatives sont soumises à la même publicité
    • Enfin, il peut être observé que lorsque la convention de pacte civil de solidarité est passée par acte notarié, le notaire instrumentaire, en plus de recueillir la déclaration conjointe, de procéder à l’enregistrement du pacte, il lui appartient d’accomplir les formalités de publicité du pacs
    • Pour ce faire, il doit transmettre à l’officier de l’état civil du lieu de naissance des partenaires un avis aux fins d’inscription à l’état civil.
  • Modalités de publicité
    • L’officier de l’état civil ayant enregistré la déclaration de PACS doit envoyer sans délai un avis de mention aux officiers de l’état civil dépositaires des actes de naissance des partenaires.
    • Ces avis de mention sont envoyés par courrier ou, le cas échéant, par voie dématérialisée dans le cadre du dispositif COMEDEC (COMmunication Electronique de Données d’Etat Civil), plateforme d’échanges mise en œuvre par le décret n° 2011-167 du 10 février 2011.
    • Dans l’hypothèse de la mise à jour d’actes de l’état civil étranger, l’officier de l’état civil saisi transmet l’avis de mention correspondant à l’autorité désignée pour le recevoir, conformément à la convention bilatérale ou multilatérale applicable.
    • À défaut, l’officier de l’état civil saisi rappelle à l’intéressé, d’une part, qu’il lui appartient d’effectuer des démarches auprès de l’autorité locale compétente tendant à la reconnaissance du PACS et, d’autre part, que cette décision pourrait ne pas être reconnue par les autorités de cet Etat.
    • Les officiers de l’état civil destinataires de l’avis de mention doivent procéder à la mise à jour des actes de naissance des partenaires dans les trois jours (article 49 du code civil).
    • Après avoir apposé la mention de déclaration de PACS en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, l’officier de l’état civil retourne à l’autorité ayant enregistré le PACS (officier de l’état civil, poste diplomatique ou consulaire, notaire) le récépissé figurant sur l’avis de mention.
    • Il est précisé que la date d’apposition de la mention de PACS en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire n’a pas à être enregistrée par l’officier de l’état civil ayant reçu la déclaration de PACS.
    • En revanche, ledit récépissé devra être classé au dossier contenant les autres pièces dont l’officier de l’état civil doit assurer la conservation.

D) L’opposabilité du pacs

  • L’opposabilité du pacs entre les partenaires
    • L’article 515-3-1, al. 2 prévoit que le pacte civil de solidarité ne prend effet entre les parties qu’à compter de son enregistrement, qui lui confère date certaine.
    • Afin que les partenaires puissent justifier immédiatement du PACS enregistré, l’officier de l’état civil leur remet un récépissé d’enregistrement
    • La preuve de l’enregistrement du PACS peut également être effectuée par les partenaires au moyen du visa apposé par l’officier de l’état civil sur leur convention de PACS.
    • Il est noté que l’officier de l’état civil peut délivrer un duplicata du récépissé d’enregistrement en cas de perte par les partenaires de l’original de la convention de PACS et sur production d’une pièce d’identité.
  • L’opposabilité du pacs à l’égard des tiers
    • Il ressort de l’article 515-3-1, al. 2 que, à l’égard des tiers, le pacs est opposable, non pas à compter de son enregistrement, mais à compter du jour où les formalités de publicité sont accomplies.
    • Ainsi, l’officier de l’état civil ayant enregistré le PACS avise sans délai, par le biais d’un avis de mention, l’officier de l’état civil détenteur de l’acte de naissance de chaque partenaire afin qu’il y soit procédé aux formalités de publicité.
    • Si l’un des partenaires est de nationalité étrangère et né à l’étranger, l’avis est adressé au service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, à charge pour celui-ci de porter sans délai la mention de la déclaration de PACS sur le registre mentionné à l’article 515-3-1 alinéa 1er du code civil.
    • Enfin, si l’un des partenaires est placé sous la protection juridique et administrative de l’OFPRA, l’avis est adressé à cet office (Décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006, article 6).

[1] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[2] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[3] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[4] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[5] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

Qu’est-ce que la réserve héréditaire?

La compréhension du concept juridique de réserve héréditaire suppose de remonter aux règles qui gouvernent la dévolution successorale, soit, en somme, celles qui déterminent, d’une part, les conditions d’éligibilité au rang de successible et, d’autre part, l’ordre des héritiers.

Ce corpus normatif s’articule autour d’un principe, d’une exception et, en bout de chaîne, d’une exception à l’exception laquelle n’est autre que la réserve héréditaire.

I) Principe : la dévolution légale

Aux termes de l’article 721, al. 1er du Code civil « les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités »

Il ressort de cette disposition que la dévolution successorale, soit la détermination des successibles, est réalisée conformément aux règles édictée par le législateur

Ces règles sont énoncées aux articles 731 à 755 du Code civil.

Pour déterminer l’ordre des successibles il convient donc de se reporter à ces dispositions.

L’article 734 prévoit notamment que, en l’absence de conjoint successible, les parents sont appelés à succéder ainsi qu’il suit :

  • Les enfants et leurs descendants ;
  • Les père et mère ; les frères et sœurs et les descendants de ces derniers ;
  • Les ascendants autres que les père et mère ;
  • Les collatéraux autres que les frères et sœurs et les descendants de ces derniers.
  • Chacune de ces quatre catégories constitue un ordre d’héritiers qui exclut les suivants.

L’article 735 précise que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes. »

Il n’y a donc pas lieu de distinguer selon que les enfants sont légitimes, naturels, adultérins ou encore issus d’une adoption simple ou plénière.

En toute hypothèse, dès lors qu’un lien de filiation est établi entre le de cujus et un enfant, celui-ci endosse la qualité de successible.

II) Exception : la dévolution testamentaire

En prévoyant que « les successions sont dévolues selon la loi lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens par des libéralités », cela signifie que, en cas de volonté contraire, dont la principale manifestation est le testament, cet acte prime sur les règles de dévolution successorale prévues par la loi.

Ainsi, cela confère-t-il au défunt la faculté de déroger à l’ordre des héritiers, voire de désigner comme successible une personne non désignée par la loi.

L’article 721 pris en son alinéa 2 précise néanmoins que les successions « peuvent être dévolues par les libéralités du défunt dans la mesure compatible avec la réserve héréditaire. »

Cette précision n’est pas sans importance.

Elle signifie que le testateur ne peut librement disposer de ses biens par voie de testament qu’autant qu’il ne porte pas atteinte à la réserve héréditaire.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste cette réserve héréditaire.

III) Exception à l’exception : la réserve héréditaire

A) Notion

Afin de comprendre la notion de réserve héréditaire il convient de se reporter à l’article 912 du Code civil.

Cette disposition définit la réserve héréditaire comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. »

Il s’agit, autrement dit, de la portion de biens dont le défunt ne peut pas disposer à sa guise, la réserve héréditaire présentant un caractère d’ordre public (Cass. req., 26 juin 1882).

Dans un arrêt du 9 novembre 1959, la Cour de cassation a affirmé en ce sens, au visa de l’article 913, « qu’il résulte de ce texte que l’héritier réservataire a, dans tous les cas, droit à sa réserve intégrale, et que le testateur ne peut, en le réduisant à sa seule part de réserve, lui imposer des obligations dont l’effet porterait indirectement atteinte aux droits successoraux que lui accorde la loi » (Cass. 1ère civ., 9 nov. 1959).

Ainsi, la réserve s’impose-t-elle impérativement au testateur qui ne pourra déroger aux règles de dévolution légale qu’en ce qui concerne ce que l’on appelle la quotité disponible.

L’alinéa 2 de l’article 912 définit la quotité disponible comme « la part des biens et droits successoraux qui n’est pas réservée par la loi et dont le défunt a pu disposer librement par des libéralités. »

Ces observations d’ordre notionnel étant faites, quid des bénéficiaires de la réserve héréditaire et de la proportion de cette réserve.

B) Les héritiers réservataires

Pour le déterminer qui endosse la qualité d’héritier réservataire, il convient de se reporter aux articles 913, 913-1 et 914-1 du Code civil.

Il ressort de ces deux dispositions que jouissent du statut d’héritier réservataire :

  • Les enfants
    • Par enfants, il faut entendre les descendants en quelque degré que ce soit, encore qu’ils ne doivent être comptés que pour l’enfant dont ils tiennent la place dans la succession du disposant ( 913-1 C. civ.)
  • Le conjoint survivant
    • Pour endosser la qualité de conjoint survivant, il convient d’être marié avec le défunt et non divorcé ( 914-1 C. civ.)

C) L’assiette de la réserve

Il ressort de l’article 913 du Code civil que la réserve héréditaire comprend deux masses distinctes de biens :

  • Les biens transmis par voie de testament
  • Les biens transmis par voie de donation

Ainsi, afin de reconstituer la réserve conviendra-t-il de procéder à un inventaire des différentes libéralités consenties par le défunt, puis de d’opérer leur réunion fictive en une seule masse de biens.

Cette masse servira alors de base de calcul pour déterminer l’assiette de la réserve.

 D) La quotité disponible

Une fois identifié les bénéficiaires de la réserve héréditaire et son assiette, reste à déterminer la quotité disponible, soit la portion de biens dont le défunt peut disposer librement par voie testamentaire.

Deux hypothèses doivent être envisagées :

  1.  En présence de descendants

L’article 913 distingue 3 situations :

  • En présence d’un enfant, la quotité disponible s’élève à la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la quotité disponible s’élève au tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la quotité disponible s’élève au quart des biens du disposant

 A contrario, cela signifie que :

  • En présence d’un enfant, la réserve héréditaire comprend la moitié des biens du disposant
  • En présence de deux enfants, la réserve héréditaire comprend le tiers des biens du disposant
  • En présence de trois enfants et plus, la réserve héréditaire comprend le quart des biens du disposant

Schéma 1.JPG

2. En l’absence de descendants

Deux situations doivent être distinguées :

==> En présence d’un conjoint survivant

  • La réserve ordinaire
    • L’article 914-1 du Code civil prévoit que, « les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendant, le défunt laisse un conjoint survivant, non divorcé»
    • Cela signifie que, en l’absence de descendants, le conjoint survivant – non divorcé – bénéficie d’une réserve héréditaire qui s’élève à un quart des biens du disposant

Schéma 2.JPG

  • La réserve spéciale
    • Aux termes de l’article 1094-1 du Code civil « pour le cas où l’époux laisserait des enfants ou descendants, issus ou non du mariage, il pourra disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement.»
    • Il ressort de ce texte que le défunt est autorisé à disposer à la faveur du conjoint survivant d’une quotité disponible dite « spéciale », car supérieure à celle qu’il lui est permis d’octroyer à des tiers.
    • Cette faculté est, toutefois, rigoureusement encadrée par la loi
    • Aussi, le défunt dispose-t-il de trois options :
      • Soit il octroie au conjoint survivant la quotité disponible spéciale à hauteur de la quotité disponible ordinaire en pleine propriété
        • Dans cette hypothèse, la quotité disponible dont il peut disposer à la faveur de son conjoint dépend du nombre d’enfants
        • Aussi, peut-elle être égale à
          • la moitié des biens du disposant si un enfant
          • le tiers des biens du disposant si deux enfants
          • le quart des biens du disposant si trois enfants et plus
      • Soit il octroie au conjoint survivant la quotité disponible à hauteur d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit
        • Dans cette hypothèse, la quotité disponible spéciale est invariable
        • Elle demeure la même quel que soit le nombre d’enfants laissés par le disposant
      • Soit il octroie au conjoint survivant la totalité de ses biens en usufruit seulement
        • Cette option a pour conséquence de réduire la portion de biens qui revient aux enfants à la nue-propriété
        • Elle ne redeviendra pleine propriété qu’au décès du conjoint survivant.

Schéma 3.JPG

==> En l’absence d’un conjoint survivant

L’article 916 dispose que « à défaut de descendant et de conjoint survivant non divorcé, les libéralités par actes entre vifs ou testamentaires pourront épuiser la totalité des biens. »

Il en résulte que, dans cette seule hypothèse, le défunt peut librement disposer de l’intégralité de son patrimoine par voie de libéralités.

Schéma 4.JPG

La violence: notion, éléments constitutifs et réforme des obligations

La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?

?La difficile appréhension de la notion de consentement

Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.

Que l’on doit exactement entendre par consentement ?

Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.

L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :

  • L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
  • Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
  • Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
  • Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
  • Un contractant peut également s’être engagé par erreur

Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.

La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?

Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?

?Existence du consentement et vice du consentement

Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :

  • Le consentement doit exister
    • À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé sa volonté
    • Or cela constitue un obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
    • Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
    • Autrement dit, le contrat est inexistant.
  • Le consentement ne doit pas être vicié
    • À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
    • Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
      • soit qu’il n’a pas été donné librement
      • soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
    • En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’exigence relative à l’absence de vices du consentement.

?Place des vices du consentement dans le Code civil

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

?Énumération des vices du consentement

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Pour mémoire, l’ancien article 1109 prévoyait que « il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »

Quelle différence y a-t-il entre ces deux dispositions ?

  • Point commun
    • Il ressort de la comparaison de l’ancienne et la nouvelle version, que les vices du consentement énumérés sont identiques.
    • Il n’y a, ni ajout, ni suppression.
    • Ainsi, les vices du consentement qui constituent une cause de nullité du contrat sont-ils toujours au nombre de trois :
      • L’erreur
      • Le dol
      • La violence
  • Différence
    • Contrairement à l’ancien article 1109, l’article 1130 énonce des règles communes aux trois vices du consentement
    • Ainsi, pour être constitutifs d’une cause de nullité du contrat, les vices du consentement doivent être de « telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »
    • Autrement dit, le vice doit être déterminant du consentement de celui qui s’en prévaut.
    • De surcroît, l’alinéa 2 de l’article 1130 précise que « leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
    • Cette disposition commande, en d’autres termes, d’adopter la méthode d’appréciation in concreto pour déterminer si la condition commune aux trois vices du consentement visée à l’alinéa 1 est remplie.

Le propos se focalisera ici sur la violence.

?Notion

Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.

Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».

Il ressort de cette définition que la violence doit être distinguée des autres vices du consentement pris dans leur globalité, d’une part et, plus spécifiquement du dol, d’autre part.

  • Violence et vices du consentement
    • La violence se distingue des autres vices du consentement, en ce que le consentement de la victime a été donné en connaissance de cause.
    • Cependant, elle n’a pas contracté librement
    • Autrement dit, en contractant, la victime avait pleinement conscience de la portée de son engagement, seulement elle s’est engagée sous l’empire de la menace.
  • Violence et dol
    • Contrairement au dol, la violence ne vise pas à provoquer une erreur chez le cocontractant.
    • La violence vise plutôt à susciter la crainte de la victime
    • Ce qui donc vicie le consentement de cette dernière, ce n’est pas l’erreur qu’elle aurait commise sur la portée de son engagement, mais bien la crainte d’un mal qui pèse sur elle.
    • Dit autrement, la crainte est à la violence ce que l’erreur est au dol.
    • Ce qui dès lors devra être démontré par la victime, c’est que la crainte qu’elle éprouvait au moment de la conclusion de l’acte a été déterminante de son consentement

Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil consacrait cinq dispositions à la violence : les articles 1111 à 1115.

L’article 1112 prévoyait notamment que « il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ».

Dorénavant, quatre articles sont consacrés par le Code civil au dol : les articles 1140 à 1143. Fondamentalement, le législateur n’a nullement modifié le droit positif, il s’est simplement contenté de remanier les dispositions existantes et d’entériner les solutions classiquement admises en jurisprudence.

Aussi, ressort-il de ces dispositions que la caractérisation de la violence suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son origine

I) Les conditions relatives aux éléments constitutifs de la violence

Il ressort de l’article 1140 du Code civil que la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis :

  • L’exercice d’une contrainte
  • L’inspiration d’une crainte

A) Une contrainte

?L’objet de la contrainte : la volonté du contractant

Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.

La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.

?La consistance de la contrainte : une menace

    • La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
    • Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
    • Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens

?Le caractère de la contrainte : une menace illégitime

La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.

A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.

La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.

En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »

Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif » (Cass. 3e civ. 17 janv. 1984, n°82-15.753).

Cass. 3e civ. 17 janv. 1984

Sur les deux moyens réunis : attendu que les époux x… reprochent à l’arrêt attaque (paris, 8 juillet 1982) de les avoir déboutés de leur demande de nullité, pour violence, de la vente de leur appartement et les meubles le garnissant alors, selon le moyen, que, “d’une part, la violence illégitime vicie le consentement, que la menace d’exercer une voie de droit est une violence lorsque l’avantage obtenu est sans rapport direct avec le droit prétendu, qu’en l’espèce, si un tel lien existait entre la menace, par la société crauzas-modelin, de se constituer partie civile et la reconnaissance de dette signée par les époux x… le 3 novembre 1976, aucun rapport de causalité direct ne pouvait être caractérisé entre cette même menace et la vente de l’appartement constituant le domicile conjugal et des meubles le garnissant, vente consentie par les époux x… sous la contrainte le 15 décembre suivant, qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a directement viole les articles 1109 et suivants du code civil, alors que, d’autre part, le dol est une cause de nullité des conventions, que, dans leurs écritures, les époux x… établissaient les manœuvres dont ils avaient été victimes et le fait que sans lesdites manœuvres, ils n’auraient pas consenti à la vente de leur logement et de leurs meubles, qu’ainsi, faute par la cour d’appel d’avoir répondu sur ces points, elle a violé l’article 455 du nouveau code de procédure civile, et alors, enfin, que les juges du fond doivent motiver leur décision afin de permettre à la cour suprême de contrôler les éléments pris en considération pour décider que l’engagement pris sous la contrainte, présente ou non un caractère excessif, qu’en l’espèce, la cour d’appel de paris s’est seulement referee a l’évolution du marché immobilier entre 1967 et 1976, et a l’indice du cout de la construction, sans caractériser plus avant l’incidence de ces éléments sur le prix de vente de l’appartement ;

Que, de même, elle s’est fondée sur la liste du mobilier vendu et la nature des meubles, sans énoncer le moindre élément lui permettant de décider que leur valeur n’excédait pas “et ne pourrait, en tous cas, excéder la somme de 150000 francs”, qu’ainsi, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau code de procédure civile” ;

Mais attendu, d’une part, qu’après avoir exactement énonce que la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif, l’arrêt, qui n’avait pas a répondre a de simples allégations, a pu décider qu’il existait un rapport direct entre le droit de créance découlant pour la société crauzas-modelin de la reconnaissance de dette signée par les époux x… et le règlement partiel de cette créance par l’imputation du prix de vente de leur appartement et du mobilier qu’il contenait ;

Attendu, d’autre part, que la cour d’appel a motivé sa décision en se référant, pour apprécier la valeur de l’appartement et des meubles des époux x…, au prix auquel ceux-ci avaient acheté leur appartement neuf ans auparavant, et a l’évolution du marché immobilier et de l’indice du cout de la construction depuis cette date ainsi qu’à la liste du mobilier figurant a l’acte de vente et a la nature du mobilier vendu ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 8 juillet 1982 par la cour d’appel de paris ;

Quel enseignement retenir de la règle énoncée par la jurisprudence, puis reprise sensiblement dans les mêmes termes par le législateur ?

Un principe assorti d’une limite.

  • Principe
    • La menace exercée à l’encontre d’un contractant est toujours légitime lorsqu’elle consiste en l’exercice d’une voie de droit
    • Ainsi, la menace d’une poursuite judiciaire ou de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée ne saurait constituer, en elle-même, une contrainte illégitime.
    • Dans un arrêt du 22 janvier 2013, la Cour de cassation a estimé en ce sens, au sujet d’un cautionnement qui aurait été conclu sous la contrainte, que « la violence morale ne pouvait résulter des appels même incessants d’un banquier, dès lors qu’il existait une raison légitime comme celle de finaliser un acte de cautionnement pour garantir un concours bancaire à la société, dont le gérant n’était autre que le fils de la caution, et ce, bien avant la procédure de redressement judiciaire qui n’était intervenue que quinze mois plus tard et qu’aucun élément médical personnel ne venait corroborer la détresse psychologique dont elle se prévalait, qui l’aurait conduite à un discernement suffisamment altéré pour remettre en cause la validité de son consentement » (Cass. com. 22 janv. 2013).
  • Limites
    • La légitimité de la menace cesse, nous dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
      • Soit détournée de son but
        • Il en va ainsi lorsque l’avantage procuré par l’exercice d’une voie de droit à l’auteur de la menace est sans rapport avec le droit dont il se prévaut
        • La Cour de cassation a, de la sorte, approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé la nullité d’une reconnaissance de dette qui avait été « obtenue sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance » (Cass. 1ère civ. 25 mars 2003, n°99-21.348)
      • Soit invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif
        • La menace sera ainsi considérée comme illégitime lorsqu’elle est exercée en vue d’obtenir un avantage hors de proportion avec l’engagement primitif ou le droit invoqué
        • La Cour de cassation a ainsi estimé que la contrainte consistant à menacer son cocontractant d’une procédure de faillite était illégitime, dans la mesure où elle avait conduit le créancier à obtenir de son débiteur des avantages manifestement excessifs (Cass. com. 28 avr. 1953).

B) Une crainte

La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. »

Aussi, ressort-il de cette disposition que pour que la condition tenant à l’existence d’une crainte soit remplie, cela suppose :

  • D’une part que cette crainte consiste en l’exposition d’un mal considérable
  • D’autre part que ce mal considérable soit dirigé
    • soit vers la personne même de la victime
    • soit vers sa fortune
    • soit vers ses proches

1. L’exposition à un mal considérable

?Reprise de l’ancien texte

L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.

Ainsi, le législateur n’a-t-il nullement fait preuve d’innovation sur ce point là.

?Notion

Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?

Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.

Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes.

Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.

Dans un arrêt du 13 janvier 1999, la Cour de cassation a par exemple approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé l’annulation d’une vente pour violence morale.

La haute juridiction relève, pour ce faire que la victime avait «subi, de la part des membres de la communauté animée par Roger Melchior, depuis 1972 et jusqu’en novembre 1987, date de son départ, des violences physiques et morales de nature à faire impression sur une personne raisonnable et à inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent, alors que séparée de son époux et ayant à charge ses enfants, elle était vulnérable et que ces violences l’avaient conduite à conclure l’acte de vente de sa maison en faveur de la société Jojema afin que les membres de la communauté fussent hébergés dans cet immeuble » (Cass. 3e civ. 13 janv. 1999, n°96-18.309).

Il ressort manifestement de cet arrêt que la troisième chambre civile se livre à une appréciation in concreto.

?Exclusion de la crainte révérencielle

L’ancien article 1114 du Code civil prévoyait que « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. »

Cette disposition signifiait simplement que la crainte de déplaire ou de contrarier ses parents ne peut jamais constituer en soi un cas de violence.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que pour qu’une telle crainte puisse entraîner l’annulation d’un contrat, cela suppose qu’elle ait pour fait générateur une menace.

Dans un arrêt du 22 avril 1986, la première chambre civile a ainsi admis l’annulation d’une convention en relevant que « l’engagement pris par M.Philippe X… est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d’une mainlevée une fois l’accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d’une reconnaissance de dette antérieure ; qu’elle retient que ces contraintes étaient d’autant plus efficaces qu’à cette époque M.Philippe X… souffrait d’un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d’un jugement libre et éclairé »

La haute juridiction en déduit, compte tenu des circonstances que « ces pressions étaient susceptibles d’inspirer à celui qui les subissait la crainte d’exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention » (Cass. 1ère civ. 22 avr. 1986, n°85-11.666).

2. L’objet de la crainte

Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »

Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :

  • soit sa personne
  • soit sa fortune
  • soit celles de ses proches

Ainsi, le cercle des personnes visées l’ordonnance du 10 février 2016 est-il plus large que celui envisagé par les rédacteurs du Code civil.

II) Les conditions relatives à l’origine de la violence

Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.

Contrairement au dol, elle peut émaner :

  • Soit d’un tiers
  • Soit de circonstances particulières

A) La violence émanant d’un tiers

L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »

Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »

Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.

Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.

B) La violence émanant de circonstances

?Exposé de la problématique

S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.

Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.

En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.

L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.

Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?

?Hésitations

Les opinions divergent et la jurisprudence n’est guère abondante sur le sujet.

Certaines décisions, toutefois, paraissent ne pas exclure l’idée qu’il puisse y avoir là un cas de violence.

  • Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
    • Le premier argument consistait à dire que lorsqu’un contrat est conclu alors qu’une partie se trouvait dans un état de nécessité, cela relève moins du vice de violence que de la lésion. Or la lésion n’est pas sanctionnée en droit français
    • Quant au second argument avancé par les auteurs, il trouvait sa source dans une interprétation stricte des anciennes dispositions du Code civil qui n’envisageait pas que la violence puisse émaner de circonstances.
  • Arguments pour l’assimilation de l’état de nécessité à la violence
    • L’existence d’une lésion ne constitue nullement un obstacle à l’annulation d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le consentement de la victime a été vicié.
    • En outre, lorsque la violence résulte de circonstances, elle n’en a pas moins toujours pour origine, in fine, une personne qui a abusé des circonstances en vue de priver la victime de sa liberté de contracter.

?Assimilation de l’état de nécessité à la violence en matière de contrat d’assistance maritime

Convaincue par ces derniers arguments, dans un arrêt célèbre du 28 avril 1887, la Cour de cassation a admis que les circonstances, qui avaient conduit le capitaine d’un bateau à accepter des conditions qu’il n’aurait jamais acceptées si son navire n’était pas en péril, étaient constitutives du vice de violence (Cass. req., 27 avr. 1887)

Plus tard, le législateur consacrera cette jurisprudence dans une loi du 29 avril 1916, relative au sauvetage en mer.

Désormais, elle figure à l’article L. 5132-6 du Code des transports qui prévoit qu’un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés, si :

  • Soit le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables
  • Soit le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus

Le domaine d’application de cette disposition est cependant circonscrit aux seuls contrats d’assistance maritime.

La question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de lui donner une portée générale

?La reconnaissance de la violence économique

Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en dehors du cadre d’un contrat d’assistance maritime.

Elle a affirmé à cette occasion que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).

Cass. 1ère civ. 30 mai 2000

Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;

Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen :

Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés

  • Faits
    • Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
    • Le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
  • Demande
    • L’assuré engage une action en nullité du protocole d’accord, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
  • Procédure
    • Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
    • Elle estime que la convention ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français
  • Solution
    • Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
  • Analysé
    • Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.

?La délimitation de la violence économique : l’arrêt Bordas

Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).

Arrêt Bordas

(Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002)

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1112 du Code civil ;

Attendu que Mme X… était collaboratrice puis rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que selon une convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire ; que, devenue ” directeur éditorial langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996 ; que, en 1997, elle a assigné la société Larousse-Bordas en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite de l’exploitation de l’ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont elle avait été privée ;

Attendu que, pour accueillir ces demandes, l’arrêt retient qu’en 1984, son statut salarial plaçait Mme X… en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur ; que leur refus par elle aurait nécessairement fragilisé sa situation, eu égard au risque réel et sérieux de licenciement inhérent à l’époque au contexte social de l’entreprise, une coupure de presse d’août 1984 révélant d’ailleurs la perspective d’une compression de personnel en son sein, même si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises à cet égard ; que de plus l’obligation de loyauté envers celui-ci ne lui permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent ; que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant, ce lien n’ayant cessé qu’avec son licenciement ultérieur ;

Attendu, cependant, que seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans constater, que lors de la cession, Mme X… était elle-même menacée par le plan de licenciement et que l’employeur avait exploité auprès d’elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

  • Faits
    • Une rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas a, par convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
    • Devenue ” directrice éditoriale langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996.
  • Demande
    • La salariée licenciée assigne son employeur en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 12 janvier 2000, la Cour d’appel de paris, accède à la demande de nullité de la salariée licenciée la requérante.
    • Les juges du fond estiment que :
      • d’une part, le statut salarial plaçait la requérante en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur
      • d’autre part, la Cour d’appel relève que l’obligation de loyauté due envers son employeur ne permettait pas à la salariée licenciée, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent
      • Les juges du fond en déduisent que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant.
  • Solution
    • Par un arrêt du 3 avril 2002, au visa de l’article 1112 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris
    • La première chambre civil avance, au soutien de sa décision, que la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.
    • Pour la Cour de cassation, le vice de violence ne pouvait être caractérisé en l’espèce que si la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée était exploitée abusivement par son employeur.
    • Or aucun des éléments sur lesquels les juges du fond se sont appuyés ne permettait d’établir l’existence d’un tel abus.
    • D’où la cassation de l’arrêt pour défaut de base légale.
    • L’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel, à qui il est revenu la tâche de déterminer si l’employeur avait ou non abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée.

?Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance

L’ordonnance du 10 février 2016 est, manifestement, venue consacrer la jurisprudence Bordas en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :

  • Une situation de dépendance
    • Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
    • Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
    • Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
  • Un abus de la situation de dépendance
    • Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
    • Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
    • Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
  • L’octroi d’un avantage manifestement excessif
    • Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
    • Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).

III) La sanction de la violence

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un acte de violence, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

?Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime de la violence, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).

?Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que la violence constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, la violence a été commise antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (V. notamment Cass. com. 18 février 1997, n°94-19.272).