Le régime juridique de la cession de créance: fonctions, conditions, effets, opposabilité

I) Définitions

A) Notion

La cession de créance est définie à l’article 1321 du Code civil comme le « contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire. »

Cette opération consiste, autrement dit, à transférer la titularité d’une créance d’un créancier à un cessionnaire, avec cette particularité que le débiteur de l’obligation cédée ne participe pas à la formation de la convention de cession, son consentement n’étant pas requis.

La cession de créance constitue ainsi un mode conventionnel de transmission des créances. Le cessionnaire prend la place du cédant, en tant que créancier du débiteur cédé.

La singularité de la cession de créance résulte du double aspect de cette opération :

  • D’un côté, la convention de cession de créance est bipartite, en ce sens que le débiteur cédé endosse la qualité de tiers à l’opération : la validité du contrat n’est nullement subordonnée à l’obtention de son consentement.
  • D’un autre côté, l’opération est tripartite dans la mesure où la cession a pour effet d’obliger le débiteur envers le cessionnaire sur le fondement du même rapport juridique qui le liait au cédant : le débiteur cédé n’est donc, en réalité, pas un tiers à l’opération, son dénouement reposant sur son paiement.

B) Distinctions

?Cession de créance et cession de dette

Plusieurs différences opposent radicalement la cession de créance de la cession de dette

  • Définition
    • La cession de créance consiste en une substitution de créancier
      • Dans cette hypothèse, le débiteur demeure inchangé
    • La cession de dette consiste en une substitution de débiteur
      • Dans cette hypothèse, c’est le créancier qui ne change pas.
  • Objet de l’opération
    • Contrairement à la cession de créance qui porte sur la dimension active de l’obligation, la cession de dette intéresse sa dimension passive.
    • Pour le comprendre, revenons un instant sur la notion d’obligation
    • Fondamentalement, l’obligation s’apparente à lien de droit entre deux personnes en vertu duquel, l’une d’elle, le créancier, peut exiger de l’autre, le débiteur, de donner, faire ou ne pas faire quelque chose.
    • Aussi, ce lien de droit que constitue l’obligation se distingue-t-il des autres rapports humains, en ce que lors de sa création il produit des effets juridiques.
    • Ces effets juridiques sont :
      • Tantôt actifs, lorsqu’ils confèrent un droit subjectif : on parle de créance
      • Tantôt passifs, lorsqu’ils exigent l’exécution d’une prestation : on parle de dette
    • Schématiquement, tandis que la cession de créance opère la transmission d’un droit, la cession de créance opère la transmission d’un devoir
    • L’objet de la cession est de la sorte radicalement inversé selon que l’on envisage l’une ou l’autre opération.
  • Consentement du tiers
    • À l’inverse de la cession de créance, en matière de cession de dette le débiteur est partie à part entière à l’opération
    • Aussi, techniquement c’est le créancier qui est ici tiers à la convention, encore qu’il ne s’agit pas vraiment d’un tiers dans la mesure où l’obtention de son consentement est une condition de validité de l’opération.
    • L’article 1327 du Code civil qui autorise la cession de dette prévoit, en effet, qu’un débiteur ne peut céder sa dette qu’« avec l’accord du créancier ».
    • Il s’agit là d’une différence majeure avec la cession de créance qui ne suppose pas l’obtention du consentement du débiteur.

?Cession de créance et délégation de paiement

  • Objet de l’opération
    • Définie à l’article 1336 du Code civil la délégation est une opération par laquelle une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur.
    • À la différence de la cession de créance, la délégation n’opère pas de transfert de créance : elle a seulement pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.
    • Il en résulte que :
      • En matière de délégation, le délégataire dispose de deux débiteurs, cette opération n’opérant pas extinction du rapport d’obligation entre le délégant et le délégué
      • En matière de cession de créance, le cessionnaire ne dispose que d’un seul débiteur, la cession ayant pour effet de désintéresser le cédant dans son rapport avec le débiteur cédé.
  • Inopposabilité des exceptions
    • La cession de créance
      • Le débiteur cédé est autorisé à opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au créancier cédant.
      • Il s’agit tant des exceptions inhérentes à la dette (exception d’inexécutions) que des exceptions qui lui sont extérieures (compensation légale).
      • La raison en est que la créance qui entre dans le patrimoine du cessionnaire par l’effet de la cession, est exactement la même que celle dont était titulaire le créancier cédant.
    • La délégation
      • Contrairement à la cession de créance, il n’y pas ici de transfert de la créance dont est titulaire le délégant contre le délégué.
      • La délégation a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire qui dispose alors de deux débiteurs.
      • Il en résulte que le délégué, en consentant à la délégation, renonce à se prévaloir des exceptions tirées du rapport qui le lie au délégant.
      • Il y a un principe d’inopposabilité des exceptions.
      • L’article 1336, al. 2 du Code civil dispose en ce sens que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »
  • Consentement
    • Contrairement à la cession de créance qui ne suppose pas le consentement du débiteur cédé, tiers à l’opération, la délégation exige toujours le consentement des trois parties à l’opération, notamment du délégataire qui doit accepter un nouveau débiteur.
    • En cela, la délégation se rapproche de la cession de dette.
    • Toutefois, elle s’en distingue dans la mesure où la dette du délégant envers le délégataire n’est nullement transférée au délégué
    • La délégation opère seulement la création d’un nouveau rapport d’obligation entre le délégué et le délégataire.

?Cession de créance et indication de paiement

L’article 1340 du Code civil prévoit que « la simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui. »

L’indication de paiement consiste ainsi pour un débiteur ou un créancier à désigner une tierce personne quant à effectuer le paiement de la dette.

Contrairement à la cession de créance, l’indication de paiement n’opère aucun transfère de créance à la faveur de la personne désignée.

Cette dernière assure simplement le règlement de la dette du débiteur.

L’indication de paiement se rapproche ainsi du mandat de payer qui peut prendre la forme, par exemple, d’une autorisation de prélèvement.

L’indication adressée au créancier ou au débiteur vaut seulement information de ce que la dette sera payée par un tiers désigné.

Elle n’emporte en rien opposabilité, ni novation de l’obligation.

?Cession de créance et subrogation personnelle

  • Définition
    • Contrairement à la cession de créance qui a pour objet un transfert de droits, la subrogation réalise une substitution de personne ou de chose.
    • Lorsqu’elle est personnelle, la subrogation produit certes les mêmes effets que la cession de créance : le créancier subrogé devient titulaire de la même créance que le créancier subrogeant ce qui revient à réaliser un transfert de ladite créance de l’un à l’autre.
    • Toutefois, elle s’en distingue sur un point majeur
      • En matière de subrogation personnelle, le transfert de créance intervient à titre accessoire à un paiement.
      • En matière de cession de créance, le transfert de créance constitue l’objet principal de l’opération.
    • Ainsi, la subrogation consiste-t-elle en un paiement par une personne autre que le débiteur de sa dette qui, du fait de ce paiement, devient titulaire dans la limite de ce qu’il a payé, de la créance et ses accessoires.
    • L’intention des parties est donc ici d’éteindre, par le paiement, un rapport d’obligation.
    • Tel n’est pas le cas en matière de cession de créance : les parties ont seulement pour intention de transférer un rapport d’obligation moyennant le paiement d’un prix.

  • Effet de l’opération
    • Particularité de la subrogation personnelle, elle n’opère qu’à concurrence de ce qui a été payé par le subrogé. Et pour cause : elle est une modalité de paiement.
    • Ainsi, la subrogation se distingue-t-elle de la cession de créances qui autorise le cessionnaire à actionner le débiteur en paiement pour le montant nominal de la créance, alors même que le prix de cession aurait été stipulé pour un prix inférieur.
    • Tel est le cas, lorsque le cessionnaire s’engage à garantir le cédant du risque d’insolvabilité du débiteur cédé.
    • L’intérêt de la cession de créance réside, dans cette hypothèse, dans la possibilité pour le cessionnaire d’exiger le montant de la totalité de la créance, indépendamment du prix de cession convenu par les parties.
    • Le subrogé ne peut, quant à lui, recouvrer sa créance que dans la limite de ce qu’il a payé et non au regard du montant nominal de la créance.
  • Consentement
    • À la différence de la cession de créance qui requiert le consentement du créancier cédant, la subrogation peut, tantôt exiger le consentement du débiteur, tantôt l’accord du créancier.
    • Tout dépend du type de subrogation (légale ou conventionnelle).

?Cession de créance et novation

  • Définition
    • Définie à l’article 1329 du Code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu’elle éteint, une obligation nouvelle qu’elle crée.
    • Elle peut avoir lieu par substitution d’obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.
    • Contrairement à la cession de créance, la novation n’opère pas de transfert de créance, elle a pour effet de créer un nouveau rapport d’obligation entre le débiteur et le cocontractant du créancier.
    • Ainsi, le nouveau créancier est-il titulaire d’une nouvelle créance qui se distingue de l’ancienne, éteinte, par l’effet de la novation.
    • L’extinction de l’obligation ancienne s’étend à tous ses accessoires.
  • Consentement
    • Tandis que la cession de créance n’exige pas l’accord du débiteur, la novation par changement de créancier requiert son consentement.
    • Celui-ci peut, par avance, accepter que le nouveau créancier soit désigné par le premier.

II) Fonctions de la cession de créance

La cession de créance est susceptible de remplir plusieurs fonctions selon qu’elle est consentie à titre gratuit ou à titre onéreux.

A) La cession de créance consentie à titre gratuit

Deux hypothèses doivent alors être distinguées :

  • Le cédant est animé d’une intention libérale
    • Dans ce cas de figure, la cession de créance s’apparente à une donation indirecte.
    • Elle est donc subordonnée à la volonté de gratifier le cessionnaire.
  • Le cédant n’est pas animé d’une intention libérale
    • Dans ce cas de figure, la cession de créance s’apparente à un prêt gratuit
    • Le cessionnaire disposera, en effet, d’un actif économique qu’il pourra mobiliser en contrepartie d’un financement.

B) La cession de créance consentie à titre onéreux

Dans cette hypothèse, la cession de créance est susceptible trois fonctions, selon qu’elle est consentie ou non en contrepartie d’une somme d’argent

?La cession consentie en contrepartie d’une somme d’argent

Dans ce cas de figure la cession de créance peut être réalisée :

  • Soit aux fins d’octroi d’un crédit
    • La cession apparaît ici comme la contrepartie de l’octroi d’un crédit.
    • Le cessionnaire acquiert la créance du cédant moyennant le paiement de son montant nominal diminué du prélèvement d’une commission.
    • Lorsque la créance cédée est de nature professionnelle, la figure juridique qui se prête le mieux à l’opération est la cession Dailly.
  • Soit aux fins de règlement d’un prix
    • La cession ne s’analysant plus comme une vente de bien incorporel
    • Il s’ensuit que sa validité n’est plus subordonnée à la détermination d’un prix.
    • À tout le moins, conformément à l’article 1163, al. 2e du Code civil, son prix doit être déterminé ou déterminable.
    • Qui plus est, rien n’interdit que le prix fixé soit inférieur au montant nominal de la créance.
    • C’est là tout l’intérêt de la cession de créance, comparativement, par exemple, à la subrogation personnelle.

?La cession consentie sans contrepartie d’une somme d’argent

Dans ce cas de figure, la cession de créance peut être réalisée :

  • Soit aux fins de règlement d’une dette
    • Sa validité doit être appréciée à l’aune des règles qui gouvernent les procédures collectives (période suspecte et interdiction des paiements).
  • Soit aux fins de constitution d’une garantie
    • Bien que le Code monétaire et financier prévoie qu’il puisse être recouru à la cession de créance aux fins de garantie, ses dispositions ne visent que les cessions réalisées par bordereau Dailly, soit les cessions qui portent sur des créances professionnelles.
    • S’agissant de la cession de créance de droit commun, le Code civil ne comporte aucune disposition en ce sens qui n’est pas sans avoir fait couler beaucoup d’encre.
    • Le principal argument avancé contre l’admission de la cession de créance à titre de garantie consistait à dire que la reconnaissance de cette fonction reviendrait à contourner la prohibition des pactes commissoires.
    • Pour rappel, le pacte commissoire est, selon Gérard Cornu, le contrat par lequel le créancier se fait consentir le droit de s’approprier de lui-même (sans avoir à le demander au juge) la chose remise en gage faute de paiement à l’échéance.
    • Dans un arrêt du 19 décembre 2006 la Cour de cassation semble s’être ralliée à la position des opposants à l’admission de la cession de créance à titre de garantie.
    • La chambre commerciale a, en effet, estimé que, « en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un° nantissement de créance » (Cass. com. 19 déc. 2006, n°05-16.395).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que la cession de créance est réalisée sans contrepartie financière elle n’opère pas de transfert des droits.
    • Elle s’apparente à un simple nantissement, de sorte que le « cédant » demeure titulaire de la créance « cédée ».
    • Cette décision a été lourdement critiquée par la doctrine, notamment en raison de la réforme des sûretés dont la Cour de cassation n’a, semble-t-il, pas voulu tenir compte.
    • Le nouvel article 2348 du Code civil reconnaît désormais la licéité du pacte commissoire en prévoyant que, « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu’à défaut d’exécution de l’obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé. »
    • La chambre commerciale n’a manifestement pas jugé utile de tenir compte de cette réforme.
    • Aussi, lorsqu’elle est consentie sans contrepartie financière, la cession de créance de droit commun opère seulement nantissement et non transfert de propriété.

Cass. com. 19 déc. 2006

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 2075 et 2078 du code civil dans leur rédaction alors applicable ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que par acte du 7 janvier 1992, la Foncière forum 20 a acquis la propriété d’un centre commercial, au moyen d’un prêt de la banque CGER, à la sûreté duquel, en garantie de toutes les sommes pouvant lui être dues, avait été consentie, par l’emprunteur, une cession des loyers dus par les locataires, parmi lesquels figurait la société Pills Music, et aux droits de laquelle est venue la société DIVA ; que la Caisse fédérale du crédit mutuel du Nord de Paris (la caisse), se prévalant d’une cession à son profit, le 30 mai 1997, de la créance résultant du prêt accordé par la banque CGER, a signifié la cession au débiteur cédé, la Foncière forum 20 ; que la caisse ayant assigné en paiement la société DIVA, en sa qualité de débiteur cédé de la cession des loyers, celle-ci a soutenu que la cession n’étant stipulée qu’à titre de garantie, n’avait pas eu pour effet de faire sortir les créances locatives litigieuses du patrimoine de la société Foncière forum avant la mise en redressement judiciaire de celle-ci, intervenue le 27 juin 1995 et qu’ainsi, la caisse était dépourvue de droit envers elle ;

Attendu que pour condamner la société DIVA à payer à la caisse la somme de 125 049,47 euros majorée des intérêts, l’arrêt retient qu’il résultait de l’acte du 7 janvier 1992 que la cession de créance de loyers au profit de la banque CGER, étant stipulée à titre de sûreté complémentaire en garantie de toutes les sommes qui pourraient lui être dues, il en résultait que la banque CGER avait acquis la propriété de cette créance dès cette date et que cette créance pouvait être transmise à la caisse par acte du 30 mai 1997 ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un° nantissement de créance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 2 mars 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

III) Conditions de la cession de créance

A) Les conditions de fond

1. Les conditions de fond ordinaires

À l’instar de n’importe quel acte juridique, la cession de créance, qui est un contrat, est soumise aux conditions ordinaires de validité des conventions.

Aussi, doit-elle satisfaire les conditions énoncées à l’article 1128 du Code civil qui prévoit que sont nécessaires à la validité d’un contrat :

  • Le consentement des parties
  • Leur capacité de contracter
  • Un contenu licite et certain

2. Les conditions de fond spécifiques

?Objet de la créance

Il ressort de l’article 1321 du Code civil que la cession peut porter sur toutes sortes de créances :

  • Une créance présente ou future
    • Tandis que la créance présente est celle dont le fait générateur est déjà intervenu, la créance future est celle qui existe seulement dans son principe sans que l’obligation à laquelle elle est attachée soit née.
    • Aussi, lorsque la créance est future rien n’interdit qu’elle puisse faire l’objet d’une cession, à la condition néanmoins, précise l’article 1321, que ladite créance soit identifiable (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 20 mars 2001, n°99-14.982).
  • Une créance déterminée ou déterminable
    • En visant les créances déterminées ou déterminables, l’article 1321 autorise que la cession porte sur une créance à terme, échue, à exécution successive ou encore conditionnelle.
    • Ce qui importe c’est que la créance soit identifiable, c’est-à-dire qu’elle soit au moins déterminée dans son objet et dans son montant (Cass. com. 22 janv. 2002, n°99-15.047).
  • Une créance totale ou partielle
    • En prévoyant que la cession de créance « est un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé », l’article 1321 envisage que cette opération puisse porter sur une créance partielle.
    • Cela ne sera toutefois possible qu’à la condition que la créance soit divisible, ce qui sera toujours le cas d’une somme d’argent.

?Cessibilité de la créance

  • Principe
    • Classiquement on enseigne que les créances sont par principe librement cessibles, quel que soit leur objet.
    • Aussi, peu importe que la cession porte sur une somme d’argent ou sur une prestation de faire ou de ne pas faire.
    • On peut ajouter que dans la mesure où il n’est pas nécessaire que le débiteur consente à l’opération, la liberté des parties à l’acte s’en trouve augmentée.
    • Le caractère intuitu personae d’une créance ne constitue aucunement un obstacle à la cession, sauf à ce que la créance soit stipulée par les parties incessible.
  • Limites
    • Par dérogation au principe, un certain nombre de créances sont frappées d’incessibilité le plus souvent pour des raisons d’ordre public.
    • Il en va ainsi de la créance de prestation compensatoire, de pension alimentaire, de salaire ou encore de prestation sociale.
    • L’article 1321, al. 4 in fine prévoit en outre que les parties ont la faculté de stipuler une créance incessible, ce qui ouvre le champ à l’autonomie de la volonté.

B) Les conditions de forme

Aux termes de l’article 1322 du Code civil « la cession de créance doit être constatée par écrit, à peine de nullité. ».

La cession de créance s’analyse, de la sorte, en un acte solennel. Aucune mention n’est toutefois exigée, ce qui sur ce point la distingue de la cession Dailly.

Il peut être observé que l’établissement d’un écrit est également exigé en matière de nantissement de créance (art. 2356, al. 1er C. civ.).

IV) Effets de la cession de créance

A) Les effets à l’égard des parties

La cession de créance produit deux effets à l’égard des parties :

  • Transmission de la créance
  • Garantie de l’existence de la créance

?La transmission de la créance

  • Principe de la transmission
    • La cession de créance a pour principal effet la transmission de la créance détenue par le cédant au cessionnaire qui en devient le titulaire.
    • Ainsi, la créance est transportée d’un patrimoine à un autre.
    • La conséquence en est que, une fois l’acte conclu, le cédant n’exerce plus aucun droit sur la créance cédée.
    • Il ne dispose donc plus d’aucun droit sur le débiteur qu’il ne peut pas actionner en paiement.
  • Étendue de la transmission
    • À la différence de la subrogation personnelle, la cession portera toujours sur le montant nominal de la créance quand bien même elle serait stipulée pour un prix inférieur.
    • Par ailleurs, la cession peut porter sur une fraction de la créance lorsqu’elle est divisible.
    • L’article 1321, al. 2e précise que la cession s’étend aux accessoires de la créance.
    • Par accessoires il faut notamment entendre les sûretés constituées à la faveur du cédant.
    • On peut ajouter à cela, les actions en justice attachées à la créance ainsi que les titres exécutoires obtenus par le cédant.
    • Le cessionnaire est investi de plein droit dans tous les droits du cédant.
  • Moment de la transmission
    • L’article 1323, al. 1er prévoit que « entre les parties, le transfert de la créance s’opère à la date de l’acte. ».
    • Cela signifie donc que la créance quitte le patrimoine du cédant au moment de la formalisation de la cession par écrit.
    • Corrélativement, ladite créance intègre le patrimoine du cessionnaire au moment.
    • Est-ce à dire que, dès la réalisation de la cession, le cessionnaire peut réclamer le paiement de la créance au débiteur cédé ?
    • On ne saurait être aussi catégorique.
    • L’article 1324 du, al. 1er dispose, en effet, que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »
    • Aussi, cela signifie-t-il que tant que la cession n’a pas été notifiée au débiteur cédé, celui-ci demeure libre de refuser de se libérer entre les mains du cessionnaire.
    • Du point de vue du débiteur, le seul titulaire de la créance c’est la cédant, à tout le moins tant que la cession ne lui a pas été notifiée.
    • Pour cette raison, il est douteux que l’effet translatif de la cession se produise au moment de la conclusion de l’acte.
    • Techniquement, c’est plutôt la notification de la cession au débiteur cédé qui opère le transfert de la créance.

?La garantie de l’existence de la créance

  • La garantie légale
    • Principe
      • L’article 1326 prévoit que « celui qui cède une créance à titre onéreux garantit l’existence de la créance et de ses accessoires ».
      • Cela signifie que si, au jour de la cession, la créance est susceptible d’être frappée par une cause d’annulation ou d’extinction, le cessionnaire doit être garanti contre cette éviction.
      • Cette garantie porte, tant sur la créance en elle-même, que sur ses accessoires (inexistence ou inefficacité d’une sûreté en raison, par exemple, d’un défaut d’inscription).
    • Exception
      • Le cédant n’est pas tenu de garantir l’existence de la créance lorsque le cessionnaire
        • Soit l’a acquise à ses risques et périls
        • Soit connaissait son caractère incertain
      • Ainsi, dès lors que l’un de ces deux éléments est entré dans le champ contractuel, le cédant n’est pas tenu de garantir l’existence de la créance.
      • Cela suppose que le cessionnaire en ait été préalablement informé par le cédant.
  • La garantie de la solvabilité du débiteur
    • Principe
      • Si, le cédant garantit l’existence de la créance, il ne garantit en aucun cas la solvabilité du débiteur cédé.
      • Autrement dit, dans l’hypothèse où le débiteur est dans l’incapacité financière de régler le cessionnaire, ce dernier ne disposera d’aucun recours contre le cédant.
      • C’est là une différence majeure entre la cession de créance de droit commun et la cession Dailly.
    • Exception
      • L’article 1326, al. 2 prévoit que les parties sont libres de déroger au principe d’absence de garantie de la solvabilité du débiteur cédé.
      • Lorsque, toutefois, le cédant s’y engage, sa garantie n’est due que dans la limite du prix qu’il a pu retirer de la cession de sa créance.
      • Autrement dit, le cessionnaire ne saurait réclamer au cédant le paiement du montant nominal de la créance.
      • L’article 1326, al. 3 précise en outre que « lorsque le cédant a garanti la solvabilité du débiteur, cette garantie ne s’entend que de la solvabilité actuelle ; elle peut toutefois s’étendre à la solvabilité à l’échéance, mais à la condition que le cédant l’ait expressément spécifié. »
      • Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition
        • D’une part, lorsque le cédant garantit la solvabilité du débiteur, il s’agit de celle dont il fait montre au jour de la conclusion de l’acte, soit de solvabilité actuelle.
        • D’autre part, les parties peuvent prévoir que la garantie portera sur la solvabilité future du débiteur, soit à l’échéance de la créance, mais à la condition de le stipuler dans l’acte de cession.

B) Les effets à l’égard du débiteur

?Opposabilité de la cession

Aux termes de l’article 1324 du Code civil « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »

Cela signifie, autrement dit, que tant que la cession ne lui a pas été notifiée il peut valablement se libérer entre les mains du cédant.

Une lecture approfondie de cette disposition révèle toutefois que deux situations doivent être distinguées :

  • Le débiteur cédé a consenti à la cession
    • Dans cette hypothèse, la cession est opposable au débiteur dès la conclusion de l’acte, sans qu’il soit besoin que la cession lui soit notifiée.
    • Dans la mesure où il est intervenu à l’acte de concert avec le cédant et le cessionnaire, la cession produira ses effets à leur égard au même moment, soit lors de la formalisation de l’opération par écrit.
  • Le débiteur cédé n’a pas consenti à la cession
    • Dans cette hypothèse, la cession doit impérativement être notifiée au débiteur faute de quoi elle lui sera inopposable.
    • Aussi, deux situations doivent être distinguées
      • La cession est notifiée au débiteur
        • La cession est pleinement opposable au débiteur
        • Si, en conséquence, il est actionné en paiement par le cessionnaire, il n’a d’autre choix que de régler le montant nominal de la créance.
        • Qui plus est, s’il se libère entre les mains du cédant, son paiement ne sera pas libératoire, de sorte qu’il s’expose à payer deux fois
      • La cession n’est pas notifiée au débiteur
        • Tant que la cession n’est pas notifiée au débiteur, elle lui est inopposable.
        • Concrètement, cela signifie que le débiteur peut valablement se libérer entre les mains du cédant.
        • Son paiement sera libératoire, à charge pour le cessionnaire de se retourner contre le cédant, avec ce risque de se retrouver en concurrence avec d’autres créanciers, notamment en cas d’ouverture d’une procédure collective.

?Opposabilité des exceptions

Selon l’adage nemo plus juris, nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a reçus.

Il en résulte que si le cédant transmet sa créance au cessionnaire avec tous ses accessoires, il la lui transmet également avec toutes les exceptions qu’elle comporte.

Autrement dit, la créance est transmise au cessionnaire tant avec ses avantages qu’avec ses faiblesses.

D’où la possibilité ouverte au débiteur d’opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au cédant.

Par exception, il faut entendre un moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…)

L’article 1324, al. 2e du Code civil prévoit ainsi que « le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation des dettes connexes. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes. »

Il ressort de cette disposition que deux catégories d’exceptions doivent être distinguées :

  • Les exceptions inhérentes à la dette
    • Il s’agit des exceptions attachées à la créance en elle-même, de sorte qu’elles suivent la créance quel que soit son titulaire.
    • Aussi, ces exceptions sont celles qui, en toute hypothèse, peuvent être opposées au cessionnaire, peu importe que la cession ait ou non été notifiée au débiteur.
    • À titre d’exemple d’exceptions inhérentes à la dette, l’article 1324 vise, la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution et la compensation des dettes connexes
    • Cette liste n’est pas limitative.
  • Les exceptions extérieures à la dette
    • Il s’agit plus précisément des exceptions tirées du rapport personnel entre le cédant et le débiteur
    • Il ressort de l’article 1324 du Code civil que ces exceptions ne peuvent être opposées au cessionnaire, qu’à la condition qu’elles soient nées avant la notification de la cession au débiteur.
    • On peut en déduire, que tant que la cession ne lui a pas été notifiée, celui-ci entretient toujours un lien avec le cédant, quand bien même la créance est sortie de son patrimoine.
    • Aussi, pourrait-on parfaitement envisager que le débiteur puisse valablement se prévaloir d’une remise de dette que lui aurait consentie le cédant postérieurement à la formalisation de la cession.

C) Les effets à l’égard des tiers

?Opposabilité de la cession

L’article 1323 du Code civil prévoit que la cession est opposable aux tiers à compter de la date de l’acte.

C’est là une grande nouveauté introduite par l’ordonnance du 10 février 2016.

Sous l’empire du droit antérieur, la cession n’était opposable aux tiers qu’à compter de l’accomplissement des formalités exigées par l’ancien article 1690.

L’article 1323 précise que « en cas de contestation, la preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire, qui peut la rapporter par tout moyen. »

?Concours de cessionnaires

  • La primauté du cessionnaire premier en date
    • Quid dans l’hypothèse où un créancier cède une même créance successivement à plusieurs cessionnaires ?
    • Afin de résoudre ce concours de cessionnaires, l’article 1325 du Code civil prévoit que « le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date »
    • Ainsi, conviendra-t-il de comparer les dates qui figurent sur les actes de cession pour déterminer à quel cessionnaire revient la titularité de la créance disputée.
  • Les recours du cessionnaire premier en date
    • Une fois la question de la titularité de la créance résolue, une autre difficulté est susceptible de se faire jour.
    • Le débiteur peut, en effet, s’être libéré entre les mains du « mauvais cessionnaire ».
    • Aussi, de quels recours dispose le cessionnaire premier en date pour se faire payer ?
    • Plusieurs situations doivent être distinguées
      • La cession n’a pas été notifiée au débiteur
        • Dans cette hypothèse, le débiteur pouvait valablement se libérer entre les mains d’un autre cessionnaire, à plus forte raison si ce dernier avait procédé à la notification.
        • Le paiement du débiteur est conséquence libératoire.
        • En application de l’article 1325 du Code civil le cessionnaire premier en date ne disposera que d’un recours contre « celui auquel le débiteur aurait fait un paiement. »
      • La cession a été notifiée au débiteur
        • Dans cette hypothèse, le paiement du débiteur entre les mains du mauvais cessionnaire n’était pas libératoire.
        • Il en résulte que le cessionnaire premier en date dispose de deux recours :
          • contre le débiteur
          • contre le cessionnaire qui a été réglé

L’opposabilité du secret bancaire au juge (Cass. com. 29 nov. 2017)

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation a considéré qu’une banque ne pouvait pas opposer au juge commercial le secret bancaire afin de se soustraire à l’injonction formulée par une ordonnance sur requête prise sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

==> Faits

Une société (SICL) régie par le droit des Îles Caïmans, a ouvert un compte dans les livres de la banque BSI Ifabanque, devenue la société IFA

La société SICL a, le 22 mai 2009, effectué un virement bancaire de la somme de 50 000 000 de dollars américains (USD) à partir d’un compte dont elle était titulaire dans une banque à Zurich, vers un autre de ses comptes, ouvert dans les livres de la société BSI Ifabanque, puis, le même jour, a viré cette somme de ce compte sur celui dont une société Delmon Dana était titulaire dans la même banque

Par une décision du 18 septembre 2009, la juridiction compétente des Îles Caïmans a prononcé la liquidation judiciaire de la société SICL et nommé trois liquidateurs qui, agissant ès qualités, ont présenté le 26 juin 2013 au président du tribunal de commerce de Paris une requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile pour que soit désigné un huissier de justice chargé de rechercher des documents permettant d’établir :

  • d’une part, la preuve que le virement fait au profit de la société Delmon Dana avait été réalisée en violation des obligations de la société BSI Ifabanque
  • d’autre part, que cet établissement bancaire, en connaissance de cause, avait facilité la réalisation d’une opération visant à détourner les avoirs de la société SICL, à un moment où sa situation financière était précaire

Le Tribunal de commerce de Paris a accédé à la demande des requérants en rendant un ordonnance le 27 juin 2017 qui prévoyait :

  • En premier lieu, la désignation d’un huissier de justice aux fins de rechercher et se faire remettre un certain nombre de documents et correspondances, y compris électroniques, relatifs aux relations entre les sociétés IFA et SICL, aux virements de 50 000 000 USD apparaissant sur le relevé du mois de mai 2009 du compte bancaire de la société SICL et aux opérations réalisées durant le mois de mai 2009 sur les comptes, autorisant l’huissier de justice à procéder à une copie complète, en deux exemplaires, des fichiers, des disques durs et autres supports de données qui lui paraîtraient en rapport avec la mission confiée, dont une copie placée sous séquestre devait servir de référentiel et ne pas être transmise à la partie requérante et l’autre permettre à l’huissier de justice de procéder, de manière différée, avec l’aide du technicien choisi par lui, à l’ensemble des recherches et analyses visées ci-avant
  • En second lieu, que faute pour les requérants d’assigner en référé les parties visées par les mesures dans un délai de trente jours après l’exécution de celles-ci, le mandataire de justice remettrait les pièces et documents recueillis à la partie dont il les aurait obtenues.

==> Demande

Après que l’huissier de justice a accompli sa mission en juillet 2013, la société SICL a, le 1er août 2013, assigné sa banque par-devant le juge des référés pour qu’il soit ordonné à l’huissier de justice de lui remettre l’intégralité des documents recueillis au cours de l’exécution de la mesure ordonnée et placés sous séquestre

Reconventionnellement, la banque a demandé la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013

Par ordonnance du 30 janvier 2014, le juge des référés a :

  • D’abord, rejeté la demande de la banque tendant à la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013,
  • Ensuite, ordonné la destruction des deux disques durs, de deux DVD et d’un fichier recueillis par l’huissier de justice
  • Enfin, dit qu’un certain nombre de documents papier seraient conservés sous séquestre entre ses mains, jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement par décision de justice, ordonnant à l’huissier de justice de remettre à la société SICL les autres documents papier copiés

La banque a interjeté appel de cette décision

==> Procédure

Par un arrêt du 9 juin 2016, la Cour d’appel de paris a débouté la banque de sa demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 201.

Les juges du fond estiment d’abord que les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce permettent au liquidateur d’une société en liquidation judiciaire d’obtenir, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, communication, notamment par les établissements de crédit, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur

Ils relèvent ensuite que la mission des liquidateurs de la société SICL était la même que celle dont ils auraient été investis s’ils avaient été désignés par une juridiction française

En outre, ils avancent que, en vertu de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la société SICL, représentée par ses liquidateurs, avait le droit de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter effectivement sa cause, y compris ses preuves, devant le juge du fond éventuellement saisi d’une action en responsabilité civile contre la banque, preuves que la société SICL ne pouvait se procurer par d’autres moyens

Le juge des requêtes était, en conséquence, fondé à ordonner les mesures permettant de connaître les conditions du virement litigieux et ses véritables bénéficiaires.

==> Solution

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque.

Elle affirme, au soutien de sa décision, que « le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée ».

Elle en déduit que le droit d’information des liquidateurs de la société SICL pouvait s’étendre à des éléments confidentiels dont la banque avait pu avoir connaissance à l’occasion de ses fonctions relatives à la société Delmon Dana ou à tout autre tiers ayant été mêlé au transfert de la somme de 50 000 000 USD puisque ces informations avaient pour objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire.

Ainsi, pour la chambre commerciale, un établissement bancaire ne peut pas opposer le secret bancaire lorsque sa levée est sollicitée dans le cadre d’une action en justice dirigée contre lui.

==> Analyse

La solution adoptée par la Cour de cassation, en l’espèce, s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence antérieure.

Pour mémoire, si conformément à l’article L. 511-33 du Code monétaire et financière les informations détenues par un établissement bancaire sur ses clients dans le cadre de l’exercice de son activité sont couvertes par le secret professionnel, il ne s’agit là en aucun cas d’un principe absolu.

Non seulement cette disposition prévoit un certain nombre de dérogations au secret bancaire, mais encore il faut compter sur d’autres exceptions énoncées en dehors du Code monétaire et financier.

La question s’est ainsi posée pour l’article 10, alinéa 1er du Code civil qui prévoit que « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », sauf à justifier, précise l’alinéa 2, d’un « motif légitime ».

L’article 11, alinéa 2 du Code de procédure civile précise que « si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime. »

Aussi, la question qui se posait en l’espèce était de savoir si une demande fondée sur l’article 145 (mesure d’instruction in futurum) du Code de procédure civile constituait un motif légitime justifiant la levée du secret bancaire.

Deux situations doivent être distinguées :

  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est un tiers à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère de façon constante que le secret bancaire est opposable au juge civil ou commercial.
    • Le secret bancaire est ainsi considéré comme constituant un motif légitime justifiant une neutralisation de l’application de l’article 10 du Code civil et de l’article 11 du Code de procédure civile.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens notamment dans un arrêt du 13 juin 1995 ( com., 13 juin 1995).
  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est partie à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a également considéré que le secret bancaire constituait un motif légitime susceptible d’être opposé au juge civil et commercial, quand bien même la banque était partie à l’instance.
    • Dans un arrêt du 25 février 2003, la chambre commerciale a jugé en ce sens, au visa des articles L. 511 du Code monétaire et financier et 10 du Code civil, que « le pouvoir du juge civil d’ordonner à une partie ou à un tiers de produire tout document qu’il estime utile à la manifestation de la vérité, est limité par l’existence d’un motif légitime tenant notamment au secret professionnel»
    • Ainsi, dans cette décision, la Cour de cassation estime-t-elle que l’établissement bancaire pouvait se prévaloir du secret bancaire pour ne pas déférer à la demande de production de pièces fût-ce-t-elle formulée par un juge.

Au regard de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation semble retenir, en l’espèce, la solution inverse de celle qui avait été adoptée en 2003.

Est-ce à dire que la chambre commerciale opère un revirement de jurisprudence ? Une lecture attentive des décisions antérieures permet d’en douter.

En effet, lorsque la banque est partie à l’instance, il convient de distinguer selon que l’information couverte par le secret professionnel concerne un tiers ou selon qu’elle est nécessaire, soit à la résolution du litige, soit à sa propre défense :

  • L’information couverte par le secret bancaire concerne un tiers
    • Dans cette hypothèse, il n’est pas douteux que le secret bancaire demeure opposable au juge civil ou commercial, quand bien même la banque est partie à l’instance.
    • La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 25 janvier 2005 ( com., 25 janv. 2005).
  • L’information couverte par le secret bancaire est nécessaire à la résolution du litige ou à la défense de la banque
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a toujours considéré que le secret bancaire ne constituait pas un motif légitime susceptible de faire échec à une injonction du juge.
    • Cette solution a été retenue notamment dans un arrêt du 19 juin 1990 ( com. 19 juin 1990).
    • Plus récemment, elle a estimé que « dès lors qu’il appartient au banquier d’établir l’existence et le montant de la créance dont il réclame le paiement à la caution ou à ses ayants droit, ceux-ci sont en droit d’obtenir la communication par lui des documents concernant le débiteur principal nécessaires à l’administration d’une telle preuve, sans que puisse leur être opposé le secret bancaire» ( com. 16 déc. 2008).

La solution adoptée, en l’espèce, par la chambre commerciale s’inscrit indéniablement dans le second cas de figure.

Les pièces sollicitées auprès de la banque étaient, en effet, nécessaires à la résolution du litige, d’où l’impossibilité pour cette dernière de se prévaloir du secret bancaire.

En conclusion, la présente décision ne constitue nullement un revirement de jurisprudence, mais seulement une confirmation des solutions antérieures.

Cass. com. 29 nov. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2016), que la Société Saad Investments Company Limited (la société SICL), régie par le droit des Îles Caïmans, a ouvert un compte dans les livres de la société BSI Ifabanque, devenue la société IFA ; que la société SICL a, le 22 mai 2009, effectué un virement bancaire de la somme de 50 000 000 de dollars américains (USD) à partir d’un compte dont elle était titulaire dans une banque à Zurich, vers un autre de ses comptes, ouvert dans les livres de la société BSI Ifabanque, puis, le même jour, a viré cette somme de ce compte sur celui dont une société Delmon Dana était titulaire dans la même banque ; que la juridiction compétente des Îles Caïmans a, le 18 septembre 2009, prononcé la liquidation judiciaire de la société SICL et nommé trois liquidateurs qui, agissant ès qualités, ont présenté le 26 juin 2013 au président du tribunal de commerce de Paris une requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile pour que soit désigné un huissier de justice chargé de rechercher des documents permettant d’établir la preuve que le virement fait au profit de la société Delmon Dana avait été réalisé en violation des obligations de la société BSI Ifabanque et que celle-ci, en connaissance de cause, avait facilité la réalisation d’une opération visant à détourner les avoirs de la société SICL, à un moment où sa situation financière était précaire ; qu’une ordonnance du 27 juin 2013 a désigné un huissier de justice, avec pour mission, notamment, de rechercher et se faire remettre un certain nombre de documents et correspondances, y compris électroniques, relatifs aux relations entre les sociétés IFA et SICL, aux virements de 50 000 000 USD apparaissant sur le relevé du mois de mai 2009 du compte bancaire de la société SICL et aux opérations réalisées durant le mois de mai 2009 sur les comptes, autorisant l’huissier de justice à procéder à une copie complète, en deux exemplaires, des fichiers, des disques durs et autres supports de données qui lui paraîtraient en rapport avec la mission confiée, dont une copie placée sous séquestre devait servir de référentiel et ne pas être transmise à la partie requérante et l’autre permettre à l’huissier de justice de procéder, de manière différée, avec l’aide du technicien choisi par lui, à l’ensemble des recherches et analyses visées ci-avant ; que l’ordonnance précisait, en outre, que faute pour les requérants d’assigner en référé les parties visées par les mesures dans un délai de trente jours après l’exécution de celles-ci, le mandataire de justice remettrait les pièces et documents recueillis à la partie dont il les aurait obtenues ; que l’huissier de justice ayant accompli sa mission en juillet 2013, la société SICL a, le 1er août 2013, assigné la société IFA devant le juge des référés pour qu’il soit ordonné à l’huissier de justice de lui remettre l’intégralité des documents recueillis au cours de l’exécution de la mesure ordonnée et placés sous séquestre ; que, reconventionnellement, la société IFA a demandé la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013 ; que, par ordonnance du 30 janvier 2014, le juge des référés a, notamment, rejeté la demande de la société IFA tendant à la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013, en a modifié certains termes, a ordonné la destruction des deux disques durs, de deux DVD et d’un fichier recueillis par l’huissier de justice et dit qu’un certain nombre de documents papier seraient conservés sous séquestre entre ses mains, jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement par décision de justice, ordonnant à l’huissier de justice de remettre à la société SICL les autres documents papier copiés ; que la société IFA a formé appel de cette décision ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société IFA fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à voir prononcer la rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 2013, d’ordonner à la SCP Chevrier de Zitter et Asperti de remettre à la société SICL, représentée par ses liquidateurs, et à la société IFA un exemplaire du DVD-R dénommé « SAAD-20130711 » incluant le répertoire Export, le sous-répertoire 1 et le fichier « Filelist » de type “Excel”, et contenant 224 éléments, ainsi que la copie des 84 documents papiers, y compris ceux numérotés n° 3, 4, 5, 18, 20, 21, 38, 39, 40, 45, 46, 55, 59, 60, 79, 80, 81 et 82 alors, selon le moyen :

1°/ que le secret professionnel institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ; que l’article L. 622-6, alinéa 3, du code de commerce, applicable en cas de liquidation judiciaire par renvoi de l’article L. 641-4, alinéa 4, du même code, ne permet au liquidateur judiciaire d’une entreprise que d’obtenir les éléments permettant de connaître la situation patrimoniale du débiteur ; qu’en l’espèce, la société IFA faisait valoir que les mesures autorisées par l’ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 27 juin 2013 contrevenaient au secret bancaire dans la mesure où elles permettaient à un huissier d’avoir accès à des documents, sur divers supports, contenant des éléments couverts par le secret professionnel, dans le but de connaître les conditions dans lesquelles avait été exécuté le transfert d’une somme de 50 millions de dollars, créditée le 22 mai 2009 sur le compte de la société SICL dans les livres de la société IFA, et virée le même jour sur un compte appartenant à une société Delmon Dana ; que, pour débouter la société IFA de sa demande de rétractation de cette ordonnance, la cour d’appel a considéré qu’en vertu des articles L. 622-6, alinéa 3 et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce, qui permettent au liquidateur d’une société en liquidation judiciaire d’obtenir, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, communication par les établissements de crédit des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur, les liquidateurs de la société SICL étaient fondés à obtenir communication d’éléments confidentiels dont la société IFA avait pu avoir connaissance à l’occasion de ses fonctions, relatifs à la société Delmon Dana ou à tout autre tiers ayant été mêlé au transfert de la somme de 50 000 000 USD, puisque ces informations avaient pour objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire ; qu’en statuant de la sorte, quand les articles L. 622-6, alinéa 3 et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce n’autorisent le liquidateur judiciaire d’une entreprise qu’à obtenir communication des éléments intéressant la situation patrimoniale du débiteur, non celle d’autres éléments couverts par le secret professionnel du banquier, la cour d’appel a violé ces dispositions, ensemble l’article L. 511-33 du code monétaire et financier et l’article 145 du code de procédure civile ;

2°/ que la procédure collective d’une entreprise de droit étranger est régie par le droit de l’Etat dont dépend cette société ; qu’en jugeant, pour dire que les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce pouvaient être invoqués par la société de droit des îles Caïmans SICL, que les liquidateurs de cette société avaient une mission identique à celle accordée par le code de commerce français au liquidateur judiciaire, pour en déduire que les règles françaises dérogeant au secret bancaire étaient applicables, comme étant celles de l’Etat dans lequel est établie la banque à laquelle les informations couvertes par le secret sont demandées, la cour d’appel a violé les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce, ensemble l’article 3 du code civil ;

3°/ que le secret professionnel institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ; qu’il ne prive pas le titulaire d’un compte bancaire de la possibilité d’établir la preuve d’un fait intéressant le fonctionnement de son compte, mais fait obstacle à la divulgation de tous autres éléments couverts par le secret bancaire ; que pour valider les mesures autorisées par l’ordonnance du 27 juin 2013, la cour d’appel a retenu qu’en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la société SICL avait le droit de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter effectivement sa cause, y compris ses preuves, devant le juge du fond éventuellement saisi d’une action en responsabilité civile à l’encontre de la société IFA, et qu’elle ne disposait d’aucun autre moyen de se procurer les preuves de l’éventuelle exécution fautive du transfert de la somme de 50 millions de dollars au profit de la société Delmon Dana ; qu’en statuant de la sorte, quand le secret professionnel auquel était tenue la société IFA faisait obstacle à ce que des pièces couvertes par celui-ci soient divulguées à des tiers, la société SICL, en qualité de client de la banque, pouvant obtenir communication des informations intéressant le fonctionnement de son compte, la cour d’appel a violé l’article L. 511-33 du code monétaire et financier, ensemble l’article 145 du code de procédure civile ;

4°/ que le secret professionnel institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ; qu’en jugeant, par motifs propres et éventuellement adoptés du premier juge, qu’en tout état de cause, le juge des référés ayant rendu l’ordonnance du 27 juin 2013 avait pris soin de prescrire des mesures permettant d’assurer le respect du secret professionnel auquel était astreinte la société IFA, puisqu’il avait prévu, dans un premier temps, la mise sous séquestre des pièces réunies par la SCP Chevrier de Zitter et Asperti et, dans un second temps, une procédure de référé pour qu’il soit statué sur la communication de ces pièces aux parties, la cour d’appel a violé l’article L. 511-33 du code monétaire et financier, ensemble l’article 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée ; qu’après avoir énoncé que les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce permettent au liquidateur d’une société en liquidation judiciaire d’obtenir, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, communication, notamment par les établissements de crédit, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur, c’est par une interprétation souveraine du droit des Îles Caïmans, non arguée de dénaturation, que l’arrêt retient que, si la procédure de liquidation de la société SICL était régie par la loi de cet Etat, les liquidateurs de cette société avaient une mission identique à celle accordée par le code de commerce français au liquidateur judiciaire et que, dès lors, les règles françaises dérogeant au secret bancaire étaient applicables, comme étant celles de l’Etat dans lequel est établie la banque à laquelle les informations couvertes par le secret étaient demandées ; que l’arrêt retient ensuite qu’en vertu de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la société SICL, représentée par ses liquidateurs, avait le droit de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter effectivement sa cause, y compris ses preuves, devant le juge du fond éventuellement saisi d’une action en responsabilité civile contre la société IFA, preuves que la société SICL ne pouvait se procurer par d’autres moyens ; que de ces énonciations et appréciations, et abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la quatrième branche, la cour d’appel a exactement déduit que le droit d’information des liquidateurs de la société SICL s’étendait à des éléments confidentiels dont la société IFA avait pu avoir connaissance à l’occasion de ses fonctions, relatifs à la société Delmon Dana ou à tout autre tiers ayant été mêlé au transfert de la somme de 50 000 000 USD puisque ces informations avaient pour objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire et que le juge des requêtes était, en conséquence, fondé à ordonner les mesures permettant de connaître les conditions du virement litigieux et ses véritables bénéficiaires ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la société IFA fait grief à l’arrêt d’infirmer l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle avait ordonné la destruction des deux disques durs placés sous séquestre entre les mains de la SCP Chevrier de Zitter et Asperti, tout en ordonnant la restitution à la société des deux disques durs placés sous séquestre entre les mains de la SCP Chevrier de Zitter et Asperti alors, selon le moyen :

1°/ que la contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de justice équivaut à une absence de motifs ; qu’en l’espèce, aux termes des motifs de l’arrêt attaqué la cour d’appel a estimé que « le premier juge a[vait] excédé ses pouvoirs en ordonnant la destruction des deux disques durs appréhendés par l’huissier de justice au cours de sa mission, puisqu’aucune des parties n’avait demandé une telle mesure, la société IFA ayant sollicité la restitution de ces supports informatiques et les liquidateurs de la société SICL en ayant réclamé la communication » ; qu’elle en a déduit que « ce seul motif suffit à justifier l’infirmation de cette disposition de la décision du juge des référés. Toutefois, rien ne s’oppose à ce que les deux disques durs soient restitués à la société IFA » ; que dans le dispositif de sa décision, la cour d’appel a toutefois « infirm[é], dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle : (…) ordonne la destruction des deux disques durs » ; qu’en l’état de cette contradiction entre ses motifs et son dispositif, l’arrêt attaqué a été rendu en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu’est privée de tout fondement la décision de justice affectée d’une contradiction entre deux chefs de son dispositif ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a « infirm[é], dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle : (…) ordonne la destruction des deux disques durs » ; qu’en statuant de la sorte, tout en ordonnant « la restitution à la société IFA des deux disques durs placés sous séquestre entre les mains de la SCP Chevrier de Zitter et Asperti », la cour d’appel s’est contredite, violant ainsi l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d’une part, que c’est à la suite d’une simple erreur matérielle, que la Cour de cassation est en mesure de rectifier au vu des autres énonciations de l’arrêt, que cette décision, dans son dispositif, a infirmé, dans la limite de l’appel auquel MM. X... et Y... n’étaient pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle (…) ordonne la destruction des deux disques durs, cependant que, dans les motifs de sa décision, la cour d’appel a retenu que le premier juge avait excédé ses pouvoirs en ordonnant la destruction des deux disques durs appréhendés par l’huissier de justice au cours de sa mission, puisqu’aucune des parties n’avait demandé une telle mesure, la société IFA ayant sollicité la restitution de ces supports informatiques et les liquidateurs de la société SICL en ayant réclamé la communication ; que ce seul motif suffisait à justifier l’infirmation de cette disposition de la décision du juge des référés et que rien ne s’opposait à ce que les deux disques durs soient restitués à la société IFA, puisqu’ils ne contenaient pas d’informations correspondant à la mission de l’huissier de justice ;

Et attendu, d’autre part, que la rectification de cette erreur matérielle a pour conséquence de supprimer la contradiction interne au dispositif de l’arrêt et de rendre le grief de la seconde branche sans portée ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Réparant l’erreur matérielle affectant l’arrêt attaqué, dit que, dans le dispositif de celui-ci, au lieu de « infirme, dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle déboute la société IFA de sa demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 2013, ordonne la destruction des deux disques durs », il faut lire « infirme, dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle déboute la société IFA de sa demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 2013 » ;

Cass. com. 25 févr. 2003
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) ayant, dans l'ignorance du décès de Fetta X... survenu le 6 mars 1993, continué à virer jusqu'en décembre 1993 les arrérages de sa retraite sur le compte dont elle titulaire à la BNP-PARIBAS (la banque), a demandé à cette dernière de lui communiquer les coordonnées de la personne ayant procuration sur le compte, aux fins de restitution de l'indu ; que la banque lui ayant opposé le secret professionnel, la CNAV a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale qui a fait droit à ses prétentions ; que la cour d'appel, après avoir annulé le jugement, a ordonné la communication sollicitée ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le moyen, que la cour d'appel a constaté que les mesures sollicitées par la CNAV l'étaient en vue de diligenter postérieurement une procédure en répétition de l'indu ; que de telles mesures relèvent du seul pouvoir du juge des référés ; qu'en s'abstenant de tirer les conséquences de son analyse concernant l'étendue de ses propres prérogatives, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir au mépris de l'article 79, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'arrêt et des conclusions de la BNP-PARIBAS que celle-ci avait demandé à la cour d'appel de faire application des dispositions de l'article 79 du nouveau Code de procédure civile et d'infirmer le jugement déféré, d'où il suit que le moyen qui repose sur une prétention contraire à celle exprimée dans les écritures d'appel et critique une disposition de l'arrêt qui a fait droit à la demande, est irrecevable ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 57 de la loi du 24 janvier 1984, devenu l'article L. 511 du Code monétaire et financier, et l'article 10 du Code civil ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que le pouvoir du juge civil d'ordonner à une partie ou à un tiers de produire tout document qu'il estime utile à la manifestation de la vérité, est limité par l'existence d'un motif légitime tenant notamment au secret professionnel ;

Attendu que, pour faire droit à la demande de la CNAV, la cour d'appel retient que le secret professionnel institué par l'article 57 de la loi du 24 janvier 1984 ne constitue pas un empêchement légitime opposable à cet organisme dès lors que les seuls renseignements sollicités étaient relatifs à l'identité de la ou des personnes qui, après le décès de la titulaire du compte, l'avaient fait fonctionner ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la production ordonnée se heurtait aux règles légales sur le secret bancaire auquel est tenu un établissement de crédit, qui ne cesse pas avec la disparition de la personne qui en bénéficie et s'étend aux personnes qui ont eu le pouvoir de faire fonctionner le compte, et qui constitue un empêchement légitime opposable au juge civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, les faits tels qu'ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, permettant à la Cour de Cassation de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que l'arrêt a fait droit à la demande de communication de renseignements de la CNAV, l'arrêt rendu le 11 septembre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande de la Caisse nationale d'assurance vieillesse ;

Condamne la Caisse nationale d'assurance vieillesse aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de la BNP-PARIBAS et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse ;

Dit que les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. Métivet , conseiller le plus ancien qui en a délibéré, en remplacement du président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille trois.

TEXTES

Code monétaire et financier

Article 511-33

I – Tout membre d’un conseil d’administration et, selon le cas, d’un conseil de surveillance et toute personne qui à un titre quelconque participe à la direction ou à la gestion d’un établissement de crédit, d’une société de financement ou d’un organisme mentionné aux 5 et 8 de l’article L. 511-6 ou qui est employée par l’un de ceux-ci est tenu au secret professionnel.

Outre les cas où la loi le prévoit, le secret professionnel ne peut être opposé ni à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ni à la Banque de France ni à l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, ni à l’Institut d’émission d’outre-mer, ni à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale, ni aux commissions d’enquête créées en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent par ailleurs communiquer des informations couvertes par le secret professionnel, d’une part, aux agences de notation pour les besoins de la notation des produits financiers et, d’autre part, aux personnes avec lesquelles ils négocient, concluent ou exécutent les opérations ci-après énoncées, dès lors que ces informations sont nécessaires à celles-ci :

1° Opérations de crédit effectuées, directement ou indirectement, par un ou plusieurs établissements de crédit ou sociétés de financement ;

2° Opérations sur instruments financiers, de garanties ou d’assurance destinées à la couverture d’un risque de crédit ;

3° Prises de participation ou de contrôle dans un établissement de crédit, une entreprise d’investissement ou une société de financement ;

4° Cessions d’actifs ou de fonds de commerce ;

5° Cessions ou transferts de créances ou de contrats ;

6° Contrats de prestations de services conclus avec un tiers en vue de lui confier des fonctions opérationnelles importantes ;

7° Lors de l’étude ou l’élaboration de tout type de contrats ou d’opérations, dès lors que ces entités appartiennent au même groupe que l’auteur de la communication.

Lors d’opérations sur contrats financiers, les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent également communiquer des informations couvertes par le secret professionnel, lorsqu’une législation ou une réglementation d’un Etat qui n’est pas membre de l’Union européenne prévoit la déclaration de ces informations à un référentiel central. Lorsque ces informations constituent des données à caractère personnel soumises à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, leur transmission doit s’effectuer dans les conditions prévues par la même loi.

Outre les cas exposés ci-dessus, les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent communiquer des informations couvertes par le secret professionnel au cas par cas et uniquement lorsque les personnes concernées leur ont expressément permis de le faire.

Les personnes recevant des informations couvertes par le secret professionnel, qui leur ont été fournies pour les besoins d’une des opérations ci-dessus énoncées, doivent les conserver confidentielles, que l’opération susvisée aboutisse ou non. Toutefois, dans l’hypothèse où l’opération susvisée aboutit, ces personnes peuvent à leur tour communiquer les informations couvertes par le secret professionnel dans les mêmes conditions que celles visées au présent article aux personnes avec lesquelles elles négocient, concluent ou exécutent les opérations énoncées ci-dessus.

II – Le personnel des établissements de crédit, des sociétés de financement, des compagnies financières holding, des compagnies financières holding mixtes et des entreprises mères de société de financement soumis au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ainsi que le personnel des prestataires externes de ces personnes, peuvent signaler à l’Autorité les manquements et infractions potentiels ou avérés au règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, aux dispositions du présent titre et du titre III du présent livre ou d’un règlement pris pour leur application ou de toute autre disposition législative ou réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées. Les signalements sont faits sous forme écrite et accompagnés de tout élément de nature à établir la réalité des faits signalés.

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution recueille les signalements dans des conditions qui garantissent la protection des personnes signalant les manquements, notamment en ce qui concerne leur identité, et la protection des données à caractère personnel relatives aux personnes concernées par les signalements.

Le principe de l’effet relatif du contrat

?Notion

Conformément au principe de l’autonomie de la volonté, seules les personnes qui ont exprimé leur consentement sont susceptibles de s’obliger.

Lorsque dès lors, l’article 1103 du Code civil prévoit que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », on peut en déduire que la loi contractuelle n’est applicable qu’aux seules parties.

Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a entendu poser ce principe à l’article 1199, al.1er qui désormais dispose : « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. »

A contrario, cela signifie que l’acte ne saurait créer aucune obligation à la charge des tiers. C’est ce qui est exprimé au second alinéa de l’article 1199 aux termes duquel « les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV ».

Le nouvel article 1199 pose ce que l’on appelle le principe de l’effet relatif du contrat. Antérieurement à la réforme des obligations, ce principe était énoncé à l’article 1165.

Cette disposition prévoyait que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu à l’article 1121 » (stipulation pour autrui).

Ainsi, en 2016, le législateur a-t-il souhaité procéder à un véritable toilettage de ce texte.

La signification du principe demeure la même : nul ne peut devenir créancier ou débiteur d’une obligation s’il n’est pas partie au contrat.

Le principe de l’effet relatif, qui était perçu comme une évidence par les rédacteurs du Code civil dans la lignée de Pothier, n’est autre que la conséquence du principe de l’autonomie de la volonté couplé à la liberté contractuelle.

Le tiers qui, par définition, n’a pas consenti à l’acte ne saurait se voir imposer des obligations ou en bénéficier.

Est-ce à dire que le contrat ne produit aucun effet à l’égard des tiers ? C’est toute la question de son opposabilité.

Nous envisagerons donc dans un premier temps la question de l’effet relatif du contrat après quoi nous nous intéresserons, dans un second temps, à son opposabilité.

I) L’effet relatif du contrat

Si, conformément au principe de l’effet relatif, le contrat ne saurait créer aucune obligation à la charge des tiers, encore faut-il que l’on s’entende sur ce qu’est un tiers.

A priori, il s’agit de toutes les personnes qui n’ont pas exprimé leur volonté de contracter. Pour identifier les tiers, cela suppose dès lors de déterminer quelles sont les parties au contrat.

Quid, néanmoins, de la personne qui, sans avoir consenti à l’acte, qui donc ne peut pas être regardé comme partie au contrat, entretient malgré tout un lien de droit, contractuel, avec l’un des cocontractants ? C’est situation se présentera notamment en présence de groupes de contrats.

A) Principe : les parties au contrat

Doivent donc être considérées comme tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie au contrat. La question qui dès lors se pose est de savoir ce que cette catégorie recoupe. Qu’est-ce qu’une partie au contrat ?

Deux catégories de parties doivent être distinguées :

  • Les parties originaires
  • Les parties subséquentes

1. Les parties originaires

Les parties originaires sont toutes celles qui ont concouru à la formation de l’acte. Autrement dit, il s’agit des personnes qui ont conclu le contrat, soit par elles-mêmes, soit par l’entreprise d’un représentant

1.1 Les personnes qui ont conclu le contrat par elles-mêmes

Les personnes qui ont conclu le contrat par elles-mêmes sont celles qui ont échangé, physiquement ou à distance, leurs consentements.

Cette catégorie de parties n’appelle pas de remarque particulière, sinon que la naissance du contrat procède de l’expression de leurs volontés respectives.

Aussi, ce sont elles qui ont déterminé le contenu du contrat.

1.2 Les personnes qui ont conclu le contrat par l’entremise d’un représentant

Il n’est pas nécessaire d’avoir été personnellement présent lors de la conclusion du contrat. Ce qui importe, c’est que la volonté des parties à l’acte ait été valablement exprimée. Or l’expression de cette volonté peut s’opérer par l’entremise d’un représentant.

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a édicté aux articles 1153 à 1161 du Code civil un droit commun de la représentation.

Jusqu’alors, le mécanisme de la représentation était abordé de façon éparse dans le Code civil. Si, la réforme des obligations remédie indubitablement à cette carence pointée par les auteurs, il n’est pas certain que le dispositif ainsi institué résolve toutes les difficultés que soulève la représentation.

Afin de bien comprendre en quoi consiste le mécanisme de représentation il convient, au préalable, de s’arrêter sur la distinction entre la capacité et le pouvoir.

a. Capacité et pouvoir

Il est courant que les notions de représentation, de pouvoir ou encore de capacité soient confondues, sinon mal comprises.

Aussi, convient-il de les distinguer afin d’être en mesure de bien en articuler le sens.

i. La capacité

Elle se définit comme la faculté pour une personne physique à être titulaire de droits et à les exercer

Classiquement on distingue la capacité de jouissance de la capacité d’exercice :

?La capacité de jouissance

C’est l’aptitude à être titulaire de droits subjectifs (droits réels et personnels)

S’agissant de la capacité de jouissance une nouvelle distinction s’opère entre les personnes physiques et les personnes morales.

  • Les personnes physiques
    • Elles jouissent toutes, sans exception, d’une capacité de jouissance générale
    • Dès lors que le nouveau-né est doté de la personnalité juridique, soit lorsqu’il est vivant et viable, il dispose d’une capacité de jouissance générale, ce jusqu’à sa mort.
    • Si, toutefois, les personnes physiques jouissent toutes d’une capacité de jouissance générale, elles peuvent, en certaines circonstances, être frappées d’une incapacité de jouissance spéciale
      • C’est le cas du médecin qui ne dispose pas de la capacité juridique à recevoir de la part de son patient des libéralités
      • C’est encore le cas de l’étranger qui est privé du droit de voter
      • Il en va également ainsi du mineur de moins de 16 ans à qui il est interdit de tester.
  • Les personnes morales
    • Elles jouissent seulement d’une capacité de jouissance spéciale
    • Leur capacité de jouissance est déterminée par leur objet social, lequel doit être spécial
    • Un objet social trop général est réputé inexistant
    • La sanction encourue est la nullité de la personne morale.

?La capacité d’exercice

C’est l’aptitude pour une personne physique ou morale à exercer les droits dont elle est titulaire au titre de sa capacité de jouissance

La capacité d’exercice renvoie à la distinction entre les personnes capables et les personnes incapables :

  • Les personnes capables
    • Ce sont celles qui jouissent d’une capacité d’exercice générale
    • Seules les personnes majeures ou mineurs émancipés jouissent d’une capacité d’exercice générale
  • Les personnes incapables
    • Les personnes incapables se divisent en deux catégories
      • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale
        • Deux catégories de personnes sont frappées d’une incapacité d’exercice générale
          • Les mineurs non émancipés
          • Les majeurs sous tutelle
        • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
        • Tant le mineur, que la personne placée sous tutelles jouissent d’une capacité de jouissance générale.
        • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
        • Il leur faut être représentés
      • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale
        • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale sont les personnes qui font l’objet :
          • Soit d’une sauvegarde de justice
          • Soit d’une curatelle
          • Soit d’un mandat de protection future
        • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
        • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
        • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

ii. Le pouvoir

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté.

Celui qui est investi d’un pouvoir de représentation ne devient pas titulaire des droits du représenté.

Le représentant est seulement habilité à les exercer, étant précisé que cela n’ôte pas au représenté, sa capacité d’exercice.

Au fond, le pouvoir de représentation est une modalité d’exercice d’un droit.

Il est conféré au représentant, soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention, le pouvoir d’exercer le droit dont est seul titulaire le représenté.

b. La représentation

i. Notion de représentation

La représentation n’est pas définie dans le Code civil. Est-ce un oubli du législateur ? Certainement.

Par chance, sa définition s’infère de son régime juridique.

Par représentant, il faut entendre celui qui agit au nom et pour le compte d’une personne, le représentant.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette définition :

  • Premier élément
    • Il ne peut être recouru au mécanisme de la représentation que pour l’accomplissement d’actes juridiques
    • La représentation ne pourra jamais jouer pour la réalisation de faits juridiques
  • Second élément
    • La représentation a pour effet de lier juridiquement le représenté à l’acte effectué par le représentant comme s’il l’avait personnellement accompli.
    • La représentation est ainsi une fiction juridique, ce qui justifie qu’elle soit strictement encadrée

ii. La source de la représentation

La représentation doit être regardée comme une situation exceptionnelle.

Le principe c’est que chacun s’engage pour lui-même. On ne saurait agir au nom et pour le compte d’autrui par l’effet de sa propre volonté

C’est la raison pour laquelle, la représentation ne se présume pas, à tout le moins les hypothèses où elle se présume sont rares et strictement encadrées.

Aussi, pour qu’une personne puisse représenter quelqu’un, encore faut-il qu’elle en ait le pouvoir.

Or on ne peut se prévaloir du pouvoir de représentation qu’à la condition d’en avoir été investi soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention

La représentation peut, de sorte, avoir trois origines différentes :

?La représentation légale

  • Les mineurs
    • Les mineurs sont frappés de ce que l’on appelle une incapacité d’exercice générale
    • Cela signifie que, s’ils peuvent être titulaires de droits et d’obligations, ils ne disposent pas, en revanche, de la faculté de les exercer.
    • Pour accomplir des actes juridiques il est donc nécessaire que le mineur soit représenté
    • Ce représentant, désigné par la loi, agira dès lors au nom et pour le compte du mineur jusqu’à sa majorité, événement à compter duquel il jouira de sa pleine de capacité, soit tant de jouissance que d’exercice.
    • La représentation du mineur est assurée
      • Soit par ses parents
      • Soit par un tuteur
  • Les personnes morales
    • À l’instar des mineurs, les personnes morales sont frappées d’une incapacité d’exercice générale.
    • Cette incapacité est permanente dans la mesure où par, par nature, une personne morale est un être fictif de sorte qu’elle ne sera jamais en mesure d’exprimer sa volonté.
    • C’est la raison pour laquelle, les personnes morales ne peuvent accomplir des actes juridiques que par l’entremise d’un représentant
    • La représentation des personnes morales est assurée par les dirigeants sociaux, lesquels ne doivent pas être confondus avec les associés.
      • Les dirigeants sociaux sont investis du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la personne morale
      • Les associés sont quant à eux investis du pouvoir, non pas de représenter la personne morale, mais d’exprimer directement sa volonté au moyen de leur droit vote
    • Ainsi, tandis que les associés expriment en assemblée la volonté de la personne morale, les dirigeants sociaux représentent cette volonté qui a été exprimée par les associés.
    • Selon la forme de la société, le représentant de la société pour être notamment :
      • Un gérant
      • Un président
      • Un directeur général
      • Un directeur général délégué
      • Un mandataire

?La représentation judiciaire

Elle correspond à l’hypothèse où le pouvoir de représentation est conféré à une personne par le juge.

Cette situation peut intervenir dans plusieurs cas :

  • Représentation d’une personne incapable
    • Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale ou spéciale, l’expression de sa volonté ne peut s’opérer que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, concomitamment à l’institution d’une mesure juridique de protection, le juge désignera, selon la mesure choisie (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), un représentant chargé d’agir au nom et pour le compte de la personne protégée.
  • La représentation de l’époux hors d’état de manifester sa volonté
    • Aux termes de l’article 219 du Code civil « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Cette disposition vise l’hypothèse où un époux qui, sans être frappé d’incapacité, est inapte à exprimer sa volonté.
    • C’est donc son conjoint qui est investi par le juge d’accomplir un certain nombre d’actes déterminés par ce dernier.
  • La représentation d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté
    • L’article 815-4 du Code civil prévoit que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • La règle est ici la même que celle énoncée à l’article 219 appliquée aux indivisaires.
    • Elle permet ainsi aux coindivisaires de prendre les mesures nécessaires à l’administration du bien indivis.
  • La représentation d’une personne présumée absente
    • Aux termes de l’article 113 du Code civil « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens ; la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille, et en outre sous les modifications qui suivent. »

?La représentation conventionnelle

Le pouvoir de représentation dont est investi un représentant peut lui avoir été conféré au titre d’un contrat

Le pouvoir de représentation sera ainsi le produit d’un accord de volontés

Cette hypothèse correspond à la conclusion d’un contrat de mandat.

L’article 1984 du Code civil prévoit en ce sens que « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. »

Ainsi, tous les actes conclus par le mandataire sont réputés avoir été accomplis par le mandant en la personne de qui ils produisent directement leurs effets

Il existe cependant des mandats sans représentation.

Il en va ainsi du contrat conclu avec un intermédiaire, tel un agent d’affaires

L’intermédiaire se distingue du mandant classique, en ce qu’il agira certes pour le compte d’autrui, mais en son nom propre.

Il en résulte qu’il ne disposera pas du pouvoir d’accomplir des actes au nom de son client et donc de le représenter.

La représentation suppose la réunion de deux éléments cumulatifs :

  • L’accomplissement d’actes pour le compte d’autrui
  • L’accomplissement d’actes au nom d’autrui

Lorsque l’agent d’affaires (courtier, agent immobilier) est mandaté, il agit pour le compte de son client mais pas en son nom, sauf à être investi d’un pouvoir spécial de représentation.

iii. L’étendue de la représentation

Aux termes de l’article 1153 du code civil « le représentant légal, judiciaire ou conventionnel n’est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés »

Cela signifie que, quelle que soit la source du pouvoir dont il est investi, le représentant ne pourra jamais engager le représentant au-delà de la limite de ses pouvoirs.

Pour déterminer l’étendue du pouvoir du représenter l’article 1155 du Code civil invite à distinguer deux situations :

  • Le pouvoir du représentant est défini en termes généraux
    • Dans cette hypothèse le pouvoir de représentation ne couvre que les actes conservatoires et d’administration
    • En somme, le représentant ne disposera pas du pouvoir d’accomplir des actes de disposition au nom et pour le compte du représenté
  • Le pouvoir du représentant est spécialement déterminé
    • Dans cette hypothèse, le représentant ne pourra accomplir que les actes pour lesquels il est habilité et ceux qui en sont l’accessoire.
    • Le représenté ne sera, en conséquence, engagé que pour les actes accomplis par le représentant en vertu de pouvoirs spéciaux qui lui ont été conférés

iv. Les effets de la représentation

Il ressort de l’article 1154 du Code civil que les effets attachés à la représentation varient, d’une part, selon que la représentation est parfaite ou imparfaite et, d’autre part, selon la source de la représentation

?Les effets tenant à la nature de la représentation

  • La représentation parfaite
    • La représentation parfaite correspond à l’hypothèse où le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté (art. 1154, al. 1er C. civ.)
    • La conséquence en est que le représenté est seul tenu à l’engagement ainsi contracté.
    • Autrement dit, il est réputé avoir accompli personnellement l’acte conclu par le représentant.
    • Celui qui est considéré comme partie au contrat c’est donc le représenté
    • En cas d’inexécution contractuelle, c’est donc la responsabilité de ce dernier qui sera recherché et non celle du représentant qui n’est pas tenu au contrat puisque considéré comme un tiers.
  • La représentation imparfaite
    • La représentation imparfaite correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom (art. 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • La question qui alors est de savoir dans quelle mesure l’acte accompli par le représentant produit des effets à l’égard du représenté ?
    • L’opération se déroule en deux temps :
      • Premier temps
        • Le représentant agit pour le compte du représenté mais en son nom personnel
        • Techniquement, seul le représentant est donc partie à l’acte ainsi conclu
        • Le représenté n’a, a priori, pas vocation à l’être car l’opération se joue en deux temps
      • Second temps
        • Les effets du contrat conclu ne vont être répercutés sur le représenté par l’entremise du représentant en ce que celui-ci va, dans un second temps, lui céder le produit de l’opération
        • Cette cession s’opérera le plus souvent moyennant le paiement d’une commission.
        • Dans cette hypothèse on parle alors moins de représentant que de commissionnaire, lequel agit en vertu d’un contrat de commission

?Les effets tenant à la source de la représentation

Les effets que l’article 1159 attache à la représentation varient selon que la représentation est d’origine légale ou judiciaire ou selon qu’elle est conventionnelle.

  • La représentation légale et judiciaire
    • Dans cette hypothèse, l’article 1159 prévoit que le représenté est dessaisit pendant toute la durée de la représentation des pouvoirs transférés au représentant
    • Cela signifie que pour tous les droits pour lesquels le représenté est frappé d’une incapacité, il ne peut y avoir d’exercice concurrent.
    • Seul le représentant est habilité à accomplir les actes qui relèvent de son pouvoir de représentation.
    • Lorsqu’une représentation légale ou judiciaire est instituée, il y a donc un véritable transfert de pouvoir qui s’opère à la faveur du représentant.
    • Le représenté est dépouillé de sa faculté à exercer les droits dont il demeure toutefois titulaire
  • La représentation conventionnelle
    • L’article 1159, al. 2 du Code civil prévoit que « la représentation conventionnelle laisse au représenté l’exercice de ses droits »
    • À la différence de la représentation légale ou judiciaire, la représentation conventionnelle ne fait pas obstacle à un exercice concurrent des droits dont est titulaire le représenté.
    • Ce sera notamment le cas lorsque le représentant sera investi d’un mandat non-exclusif.
    • Rien n’empêche toutefois qu’il soit convenu avec le représenté que le mandat soit exclusif.
    • Dans cette hypothèse, le mandat s’interdit d’exercer les droits qui relèvent du pouvoir du mandataire.

v. Les obstacles à la représentation

Les obstacles à la représentation sont au nombre de deux.

?Premier obstacle : la survenance d’une incapacité du représentant

Aux termes de l’article 1160 du Code civil « les pouvoirs du représentant cessent s’il est atteint d’une incapacité ou frappé d’une interdiction ».

Cette disposition n’appelle pas de remarque particulière sinon que l’on peut s’interroger sur la question de savoir s’il est nécessaire de jouir, ab initio, d’une pleine capacité juridique pour représenter une personne.

Le texte est silencieux sur ce point, de sorte qu’il appartiendra à la jurisprudence de se prononcer.

On peut toutefois relever qu’il n’y, a priori, aucune incompatibilité à ce que, dans le cadre d’une représentation parfaite, le représentant soit frappé d’une incapacité puisque, dans cette hypothèse, il sera un tiers au contrat.

Par conséquent, la validité de l’acte exige la seule capacité du représenté.

D’un autre côté, on peut opposer à cet argument qu’il est intellectuellement difficilement envisageable que celui désigné pour représenter une personne privée de sa capacité soit lui-même frappé d’une incapacité de même nature.

Pourquoi le représentant serait-il plus en capacité un acte pour autrui que pour lui-même ?

Cela n’a pas vraiment de sens, de sorte qu’il n’est pas à exclure que la jurisprudence exige, à l’avenir, que le représentant soit doté, ab initio, de sa pleine capacité juridique.

?Second obstacle : l’existence d’un conflit d’intérêts

  • Principe
    • L’article 1161 du Code civil prévoit que « un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté. »
    • Le principe posé par cette disposition fait indéniablement partie des grandes nouveautés de l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Pour la première fois, l’interdiction du conflit d’intérêts est instituée en principe général.
    • Certains textes avaient déjà posé cette interdiction, telle que notamment le décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.
    • La commission Sauvé avait, dans cette perspective, effectué une tentative de définition du conflit d’intérêts dans le domaine public
    • Il y était défini comme le « conflit entre la mission publique et les intérêts privés d’un agent public, dans lequel l’agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s’acquitte de ses obligations et de ses responsabilités »
    • La prohibition du conflit d’intérêts procède de l’idée que lorsqu’une même personne est chargée de représenter ou défendre des intérêts objectivement contradictoires, l’indépendance et l’impartialité que requiert sa mission s’en trouve atteinte
    • Il en résulte alors un préjudice potentiel pour le représenté dont les intérêts ne seront pas aussi bien portés que si son représentant n’avait pas été en situation de conflits d’intérêts.
    • Aussi, afin d’éviter cette situation, le législateur préfère-t-il poser un principe d’interdiction générale du conflit d’intérêts.
    • C’est ce qu’il a fait à l’article 1160 du Code civil.
  • Conditions
    • La caractérisation d’un conflit d’intérêts suppose d’établir :
      • Soit que le représentant a agi pour le compte des deux parties au contrat
      • Soit que le représentant a contracté pour son propre compte avec le représenté
  • Sanction
    • En cas d’établissement d’un conflit d’intérêts, la sanction encourue est la nullité de l’acte
    • La nullité est-elle relative ou absolue ? Le texte ne le dit pas.
    • Dans la mesure toutefois où l’interdiction du conflit d’intérêts vise à protéger un contractant en particulier, on est légitimement en droit de penser qu’il s’agit d’une nullité relative.
    • Elle ne pourra donc être invoquée que pour le contractant qui subit le conflit d’intérêts.
  • Tempérament
    • L’article 1161, al.2 du Code civil assortit l’interdiction du conflit d’intérêts de deux tempéraments
      • La permission de la loi
      • La ratification de l’acte par le représenté

vi. La sanction du dépassement et du détournement de pouvoir

Quid de la sanction dans l’hypothèse où le représentant a agi en dépassement de son pouvoir, voire en le détournant ?

Les articles 1156 et 1157 du Code civil invitent à distinguer le défaut ou dépassement de pouvoir de son détournement.

?: La sanction du défaut ou dépassement de pouvoir

?Exposé des sanctions

En cas de défaut ou de dépassement de pouvoir, l’article 1156 du Code civil envisage deux sanctions :

  • L’inopposabilité de l’acte
    • Principe
      • Aux termes de l’article 1156, al. 1er « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté »
      • Par inopposable, il faut entendre que, tout en conservant sa validité, l’acte ne produira aucun effet à l’égard du représentant
      • Cela signifie donc, concrètement, qu’il ne pourra pas être considéré comme partie à l’acte.
      • En cas d’inexécution du contrat, la responsabilité du représenté ne pourra donc pas être recherchée.
      • Seul le représentant qui a agi en dépassement de son pouvoir de représentation sera donc tenu à l’acte.
      • Il endossera donc seul la qualité de débiteur ou créancier.
    • Exception
      • L’article 1156 pose une exception au principe d’inopposabilité de l’acte en cas de défaut ou de dépassement apparent : le mandat apparent
      • L’alinéa 1 in fine de cette disposition prévoit, en effet, que si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
      • Aussi, dans cette hypothèse l’acte accompli par le représentant, en dépassement de ses pouvoirs, demeura opposable au représenté.
      • Le tiers contractant sera alors fondé à exiger de ce dernier qu’il exécute la prestation convenue.
      • Le législateur a repris ici la solution dégagée par la Cour de cassation dans son célèbre arrêt d’assemblée plénière rendu en date du 13 décembre 1962 (Cass. ass. plén., 13 déc. 1962, n°57-11.569)
      • Dans cette décision, la haute juridiction avait affirmé que « le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs »
      • Pour établir l’existence d’un mandat apparent, l’article 1156 ne semble pas exiger, à l’instar de la Cour de cassation, que le représenté ait concouru, de manière fautive, à la croyance légitime du tiers.
      • Le mandat apparent suppose seulement qu’existent des circonstances qui aient conduit le tiers contractant à se forger une croyance légitime.

Cass. ass. plén., 13 déc. 1962

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’il résulte des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué que C… président-directeur général de la Banque Canadienne société anonyme, a, sous sa seule signature, souscrit au nom de cette banque, envers l’Administration des Domaines, un cautionnement solidaire d’une société de récupération d’épaves, pour une somme de 700000 francs en mai 1953 ; que ladite administration ayant demandé l’exécution de cette obligation, la banque a soutenu que celle-ci ne lui était pas opposable, en déclarant que ses statuts exigeaient en ce cas la signature de deux mandataires sociaux habilités ;

Attendu que, pour condamner la banque, l’arrêt attaqué énonce qu’en l’espèce, l’Administration a pu légitimement penser qu’elle traitait avec un mandataire agissant dans les limites de ses pouvoirs normaux, et retient que la banque était en conséquence tenue à raison d’un mandat apparent ;

Attendu que, selon le moyen, le mandat apparent suppose une faute imputable au prétendu mandant et se trouvant à la base de l’erreur du tiers ; qu’il prétend que non seulement l’arrêt attaqué ne caractérise pas une telle faute, mais encore que, la nature même de l’engagement impliquant un pouvoir spécial que l’Administration aurait dû exiger, c’est elle qui s’est montrée imprudente en l’occurrence ;

Mais attendu, d’une part, que le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ;

Attendu, d’autre part, que le contrôle de l’imprudence alléguée à cet égard en l’espèce à l’encontre de l’Administration des Domaines nécessiterait une recherche d’éléments de fait à laquelle la Cour de Cassation ne peut procéder ;

D’où il suit qu’en aucune de ses branches, le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 6 mai 1957 par la Cour d’appel de Poitiers.

  • La nullité de l’acte
    • L’article 1156, al. 2e prévoit que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • Cela signifie donc que le tiers contractant dispose d’un choix
      • Soit il opte pour l’inopposabilité de l’acte, car il souhaite que le contrat conclu reçoive une exécution
      • Soit il opte pour la nullité de l’acte, car préfère son anéantissement
    • Cette option est laissée à la seule discrétion du tiers contractant, lequel a seul qualité à agir en nullité
    • Le législateur a ainsi entendu mettre fin à la solution dégagée par la Cour de cassation sur cette question.
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, elle avait en effet estimé que « la nullité d’un contrat en raison de l’absence de pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée » (Cass. 1ère civ. 2 nov. 2005, n°02-14.614).
    • L’article 1156 du Code civil prévoit l’exact contraire.

Cass. 1ère civ. 2 nov. 2005

Vu l’article 1984 du Code civil ;

Attendu que la nullité d’un contrat en raison de l’absence de pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée ;

Attendu que se prévalant d’un contrat collectif de prévoyance souscrit par la société La and company auprès de la Fédération nationale de la mutualité française (la FNMF), M. X…, en sa qualité de bénéficiaire des garanties prévues par le contrat, a assigné la FNMF en paiement des indemnités journalières prévues pour le cas de maladie ; que celle-ci a fait valoir que le contrat d’assurance était nul pour avoir été conclu par M. X…, qui n’avait pas le pouvoir d’engager la société La and company dont il était alors salarié ;

Attendu que l’arrêt attaqué a accueilli cette exception et déclaré “le contrat de nul effet dans les rapports entre la Fédération nationale de la mutualité française et M. X…” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 février 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

?La neutralisation des sanctions : la ratification de l’acte

En cas de ratification de l’acte par le représenté, l’article 1156, al. 3 prévoit que, tant l’inopposabilité que la nullité ne peuvent être invoquées.

Ainsi, la ratification vient-elle couvrir l’irrégularité dont l’acte est entaché.

Reste néanmoins à déterminer ce que l’on doit entendre par ratification

La ratification peut-elle s’apparenter à un commencement d’exécution de l’acte ou doit-elle être formalisée ?

Le législateur ne le dit pas.

C’est donc à la jurisprudence qu’il appartient de préciser le régime juridique de la ratification.

?: La sanction du détournement de pouvoir

Aux termes de l’article 1157 du Code civil, « lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer. »

Le détournement de pouvoir correspond à l’hypothèse très précise où le représentant a agi dans la limite de ses pouvoirs, mais dans son intérêt personnel alors qu’il est censé agir dans les intérêts du représenté.

L’article 1157 en tire la conséquence logique que, dans la mesure où le représentant, a détourné les pouvoirs qui lui ont été confiés, le représenté est tout naturellement fondé à réclamer la nullité de l’acte.

À la différence du dépassement de pouvoir, le représenté a, dans cette situation, qualité à agir en nullité de l’acte.

Deux conditions cumulatives doivent toutefois être réunies :

  • Première condition
    • Le représenté doit établir, en cas de détournement de pouvoir, que l’acte a été accompli à son détriment
    • Quid lorsque l’acte aura été accompli dans l’intérêt exclusif du représentant ?
    • L’acte sera-t-il présumé avoir été nécessairement accompli au détriment du représenté.
    • Plus délicate encore sera l’appréhension de l’hypothèse où l’acte aura été accompli au détriment seulement partiel du représenté.
  • Seconde condition
    • L’exercice par le représenté de l’action en nullité de l’acte accompli à son détriment est subordonné à la connaissance par le tiers, à tout le moins à son absence d’ignorance, du détournement de pouvoir.
    • Afin de ne pas s’exposer à une action en nullité, l’article 1158 du Code civil ouvre au tiers contractant une action interrogatoire.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que :
      • En premier lieu, le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.
      • En second lieu, l’écrit doit mentionner que, à défaut de réponse dans le délai imparti, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte.

2. Les parties subséquentes

Il est des cas où certaines personnes qui étaient des tiers au moment de la formation du contrat vont endosser la qualité de partie à l’acte en cours d’exécution.

Au nombre de ces personnes on compte :

?Les ayants cause à titre universel

  • Principe
    • Toutes les personnes qui ont vocation à recueillir la totalité ou une quote-part d’une succession ont vocation à se substituer au défunt pour devenir partie au contrat.
    • L’ouverture d’une succession opère, en effet, transfert de tous les droits réels et personnels dont était titulaire le de cujus vers les ayants cause
    • Ces derniers acquièrent alors, tant la titularité des créances que des dettes du de cujus.
  • Exception
    • Il est certaines hypothèses où les ayants cause à titre universel ne pourraient pas devenir partie au contrat en lieu et plus du contractant défunt.
    • Il en va notamment ainsi pour tous les contrats conclus « intuitus personae », soit en considération de la personne du de cujus.
    • En cas de décès de l’un des contractants, le contrat devient alors caduc.

?Les sociétés absorbantes ou fusionnantes

Lorsqu’une société fait l’objet de ce que l’on appelle une absorption, cette opération opère une transmission universelle du patrimoine de la société absorbé vers la société absorbante.

L’opération de fusion consiste quant à elle en la création d’une nouvelle personne morale, laquelle a vocation à recueillir à titre universel le patrimoine de sociétés fusionnées.

Manifestement dans ces deux cas, qu’il s’agisse de la société absorbante ou de la personne morale née de la fusion, elles ont vocation à se substituer respectivement à la société absorbée et aux sociétés fusionnées

Par voie de conséquence, elles devraient également endosser la qualité de partie au contrat pour tous ceux conclus par la société absorbée ou les sociétés fusionnées.

La Cour de cassation a eu l’occasion de statuer plusieurs fois en ce sens (V. notamment Cass. com. 25 mai 1987, n°85-94.968 ; Cass. 1ère civ. 4 mars 1981, n°80-14.123).

Même limite que pour les ayants cause à titre universel : cette règle ne vaut qu’à la condition que le contrat qui fait l’objet d’une substitution de parties n’ait pas été conclu intuitus personae (V. en ce sens Cass. com. 3 juin 2007, n°06-18.007).

?Le cessionnaire d’un contrat

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, la cession conventionnelle de contrat est consacrée.

L’article 1216 du Code civil prévoit, en ce sens que « un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé. »

Ainsi, le cessionnaire devient-il partie au contrat en lieu et place du cédant.

L’article 1216-2 dispose, dans cette perspective, que :

  • Le cessionnaire peut opposer au cédé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Il ne peut lui opposer les exceptions personnelles au cédant.
  • Réciproquement, le cédé peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant.

Est-ce à dire que le cédant est totalement déchargé de toutes ses obligations ?

En application de l’article 1216-1, cela suppose que le cédé y ait expressément consenti.

À défaut, et sauf clause contraire, le cédant est tenu solidairement à l’exécution du contrat.

B) Tempérament : les groupes de contrats

En vertu de l’effet relatif, chaque contrat doit, en principe, être regardé comme autonome de sorte qu’il ne peut produire d’effet sur les autres contrats.

Quid néanmoins, de l’hypothèse où, par exemple, un même bien fait l’objet de plusieurs contrats de vente successifs ? Le vendeur initial doit-il être regardé comme un véritable tiers pour le sous-acquéreur ? Ou peut-on estimer qu’existe un lien contractuel indirect entre eux ?

C’est toute la question de l’application du principe de l’effet relatif dans les groupes de contrats.

Deux groupes de contrats doivent être distingués :

  • Les ensembles contractuels
    • Ils regroupent des contrats qui concourent à la réalisation d’une même opération
  • Les chaînes de contrats
    • Elles regroupent des contrats qui portent sur un même objet

1. Les ensembles contractuels

Les ensembles contractuels se rencontrent lorsqu’une opération économique suppose, pour sa réalisation, la conclusion de plusieurs contrats.

La question qui alors se pose est de savoir si l’anéantissement de l’un des contrats est susceptible d’affecter l’existence des autres contrats ?

Schématiquement, deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche stricte
    • Au nom d’une application stricte du principe de l’effet relatif, chaque contrat de l’ensemble ne devrait produire d’effets qu’à l’égard de ses contractants
    • Le sort de chacun des contrats ne devrait, en conséquence, être déterminé que par son propre contenu et non par les exceptions ou causes d’extinction susceptibles d’affecter les autres.
  • L’approche souple
    • Elle consiste à considérer que de la création d’un ensemble contractuel naît un lien d’indivisibilité entre les contrats, de sorte qu’ils seraient interdépendants
    • En raison de cette interdépendance, le sort des uns serait alors lié au sort des autres.

Après s’être arc-boutés sur une position pour le moins orthodoxe pendant des années, les tribunaux ont finalement opté pour l’approche souple. Ce mouvement ne s’est cependant pas opéré sans tâtonnements.

L’ordonnance du 10 février 2016 est venue parachever cette lente évolution jurisprudentielle.

a. L’évolution de la jurisprudence

La position de la jurisprudence sur les ensembles contractuels a radicalement changé après l’adoption de la loi n°78-22 du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit.

a.1 La rigueur de la position retenue par la jurisprudence avant la loi du 10 janvier 1978

Pendant longtemps, la jurisprudence a refusé de reconnaître l’existence d’un lien d’indivisibilité entre contrats conclus en vue de la réalisation d’une même opération économique.

Pour la Cour de cassation, dès lors qu’un contrat a été conclu distinctement d’un ou plusieurs autres actes, il jouit, en application du principe de l’effet relatif, d’une autonomie propre. Son sort ne saurait, en conséquence, être lié à d’autres contrats, nonobstant leur appartenance respective à un même ensemble contractuel.

La cour de cassation a notamment fait application de cette position dans un arrêt du 21 mars 1972 (Cass. com. 21 mars 1972, n°70-12.836)

Dans cette décision elle a estimé que la nullité de deux contrats de vente conclus par une société qui souhaitait acquérir des semi-remorques était insusceptible de fonder l’anéantissement du contrat de prêt, souscrit corrélativement par l’acheteur pour financer l’opération.

Pour la chambre commerciale, quand bien même l’annulation du contrat principal faisait perdre au contrat de financement toute son utilité, cela était sans effet sur sa validité, de sorte qu’il devait, malgré tout, être maintenu.

Pour que l’interdépendance entre ces deux contrats soit admise, cela supposait donc que les parties aient expressément stipulé, dans le contrat de prêt, que l’emprunt était destiné à financer l’opération principale.

Cass. com. 21 mars 1972

Sur le premier moyen : attendu que, selon les énonciations de l’arrêt attaque, la société Venassier passa commande a x… de deux semi-remorques à construire à partir de châssis nus ;

Que ladite société sollicita deux prêts, que lui accorda la société crédit industriel et financier (CIFA) pour financer ces deux acquisitions ;

Que le CIFA remit le montant de ces prêts, non pas au vendeur, mais a l’acquéreur, société Venassier ;

Que celle-ci fut peu après déclarée en état de règlement judiciaire ;

Que x…, n’ayant jamais reçu de quiconque le prix des deux semi-remorques vendues, ne les livra pas ;

Attendu qu’il est reproche à la cour d’appel d’avoir refusé de déclarer nuls les gages pris par le CIFA sur les véhicules, et d’avoir condamne x… a remettre ceux-ci à cet établissement financier qui se les verrait attribuer, dans la limite de ses créances, après évaluation a dire d’expert, sans répondre, selon le pourvoi, aux conclusions dudit x… faisant valoir que les ventes des deux véhicules et les contrats de financement les concernant étaient atteints de nullité d’ordre public pour avoir été conclus en infraction aux dispositions de la législation sur les ventes a crédit relatives à la délivrance par le vendeur a l’acquéreur d’une attestation conforme a la réglementation en vigueur ;

Mais attendu qu’après avoir, a bon droit, énonce que le contrat de prêt en vue de financer l’acquisition d’un véhicule automobile est distinct du contrat de vente, la cour d’appel, qui a considéré qu’en l’espèce le CIFA avait ignoré la nullité des ventes alléguées par x…, a déclaré que ce dernier était d’autant moins fondé dans ses prétentions que le CIFA n’avait pu inscrire son gage que grâce aux documents régulièrement établis et transmis par lui ;

Qu’ainsi, abstraction faite du motif erroné mais surabondant tire de l’absence de sanction civile frappant l’infraction aux règles concernant le plafond des prêts dans les ventes a crédit, l’arrêt a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;

Que le moyen n’est donc pas fondé ;

Jugeant la jurisprudence de la Cour de cassation dangereuse, le législateur est intervenu le 10 janvier 1978 pour y mettre un terme.

Pour ce faire, il a institué à l’ancien article L. 311-20, devenu L. 312-48 du Code de la consommation, la règle selon laquelle les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de l’exécution complète de la fourniture de biens ou services convenue au titre d’un contrat principal.

La portée de cette règle était, cependant, pour le moins restreinte. Elle n’avait été envisagée que pour les seuls crédits à la consommation.

Très vite les juridictions ont toutefois cherché à s’émanciper de cette restriction en faisait application du concept d’interdépendance contractuelle au-delà de la sphère du droit de la consommation.

a.2 L’assouplissement de la position retenue par la jurisprudence après la loi du 10 janvier 1978

Après l’adoption de la loi du 10 janvier 1978, les tribunaux se sont donc mis en quête d’une solution juridique pour lier le sort de plusieurs contrats distincts conclus en vue de la réalisation d’une même opération économique.

La première chose qui leur fallait trouver pour y parvenir était un fondement juridique sur lequel asseoir le concept d’indivisibilité contractuelle.

Dans le même temps la question des critères et des effets de l’indivisibilité s’est posé au juge, ce qui a donné lieu à de nombreuses hésitations jurisprudentielles.

i. La recherche d’un fondement au concept d’indivisibilité contractuelle

Aux fins de justifier l’existence d’une indivisibilité ou interdépendance entre plusieurs contrats ayant concouru à la réalisation d’une même opération, plusieurs fondements juridiques ont été envisagés par la Cour de cassation.

?La règle de l’accessoire

  • Exposé du fondement
    • Selon l’adage latin accessorium sequitur principal, devenu principe général du droit, l’accessoire suit le principal.
    • Cela signifie que l’on va regrouper différents actes ou faits juridiques autour d’un principal en leur appliquant à tous les régimes juridiques applicables à l’élément prépondérant.
    • Appliquée à des contrats interdépendants, cette règle permet de considérer que dans l’hypothèse où le contrat principal disparaîtrait, il s’ensuit un anéantissement des contrats conclus à titre accessoire
    • Tel est le fondement qui a été retenu par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 avril. 1987 (Cass. com. 7 avr. 1987, n°84-16.254).
  • Critique du fondement
    • L’inconvénient de la règle de l’accessoire est qu’elle ne permet de rendre compte de la notion d’indivisibilité que pour moitié
    • L’indivisibilité suggère, en effet, que le lien d’interdépendance qui unit plusieurs contrats est à double sens, soit qu’existe une certaine réciprocité entre contrats quant aux effets qu’ils produisent les uns sur les autres
    • La règle de l’accessoire ne permet pas d’envisager cette réciprocité.
    • L’anéantissement de l’un des contrats n’est susceptible de se répercuter sur les autres qu’à la condition que le fait générateur de cet anéantissement réside dans le contrat principal.
    • Dans l’hypothèse où c’est un contrat accessoire qui serait touché en premier, cela serait sans effet sur le contrat principal.
    • Ainsi, la règle de l’accessoire est-elle à sens unique.
    • Sans doute est-ce la raison pour laquelle cette règle n’a pas été retenue par la jurisprudence comme fondement de la notion d’indivisibilité.

Cass. com. 7 avr. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 9 mai 1984) que l’Etablissement national des invalides de la marine (ENIM) a été admis au passif du règlement judiciaire de la société Compagnie de navigation fruitière et de la Société navale de transports de conteneurs, converti ensuite en liquidation des biens, pour une somme de 4 198 680,12 francs au titre du privilège spécial sur les navires prévus par l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967, en raison des cotisations qui lui restaient dues, que la société Scheepshypotheebank et la société nationale Nederlanden Scheepshypotheebank (les banques), créancières des deux sociétés en liquidation des biens, ont formé une réclamation en contestant le privilège de l’ENIM ;

Attendu que les banques font grief à l’arrêt d’avoir déclaré que les créances de cotisations sociales de l’ENIM sont privilégiées par application de l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 alors, selon le pourvoi, que, d’une part, il résulte des dispositions conjuguées des articles 31-3° et 36 de la loi du 3 janvier 1967, et les privilèges étant de droit étroit, que l’ENIM ne saurait invoquer le privilège défini par l’article 31-3° de la loi, violé par conséquent par la cour d’appel ; alors que, d’autre part, si l’ENIM pouvait invoquer ce privilège, celui-ci ne pourrait jouer pour les cotisations de la Caisse de prévoyance, la cour d’appel n’ayant pu dire le contraire sans violer l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 et l’article 41 du décret n° 68-292 du 21 mars 1968 ;

Mais attendu que c’est à bon droit que l’arrêt déclare qu’il existe entre le contrat d’engagement et les cotisations sociales un rapport étroit et nécessaire de cause à effet tel que ces cotisations, comme les autres créances résultant du contrat d’engagement, bénéficient du privilège établi par les dispositions de l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?La notion de condition

  • Exposé du fondement
    • Dans des arrêts Sedri du 4 avril 1995, la Cour de cassation a justifié l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats en considérant qu’ils constituaient les uns pour les autres « une condition de leur existence » (Cass. com. 4 avr. 1995, n°93-14.585 et 93-15.671).
    • Autrement dit, l’efficacité de chaque contrat serait subordonnée à la réalisation d’une condition suspensive laquelle consisterait en l’exécution complète des autres actes.
  • Critique du fondement
    • La principale critique que l’on peut formuler à l’encontre de ce fondement est que, là encore, la notion de condition ne permet pas de rendre compte du lien d’indivisibilité qui se noue entre contrats interdépendants.
    • Conformément à l’article 1304 du Code civil « l’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain »
    • Selon cette définition, la condition s’apparente donc à un événement extérieur au contrat.
    • Tel n’est cependant pas le cas de l’indivisibilité qui consiste toujours en un lien qui unit plusieurs actes.
    • Or, l’existence de ce lien procède de leurs contenus respectifs et non de la réalisation d’un événement qui leur serait extérieur.
    • Au surplus, tandis que l’absence de réalisation d’une condition affecte seulement la formation du contrat, l’établissement d’une indivisibilité lie le sort des contrats, tant au niveau de leur formation qu’au niveau de leur exécution.
    • Pour toutes ces raisons, les notions de condition et d’indivisibilité ne se confondent pas.

?La notion d’obligation indivisible

  • Exposé du fondement
    • Dans certaines décisions, la Cour de cassation a cherché à justifier l’existence d’une indivisibilité contractuelle en se fondant sur la notion d’obligation indivisible.
    • La Cour de cassation s’est notamment prononcée en ce sens dans un arrêt du 13 mars 2008 où elle vise expressément l’ancien article 1218 du Code civil, siège de l’obligation indivisible (Cass. 1ère civ. 13 mars 2008, n°06-19.339).
  • Critique du fondement
    • L’inconvénient du choix de ce fondement est qu’il repose sur une confusion entre les notions d’obligation indivisible et d’indivisibilité contractuelle
      • L’obligation indivisible est celle qui comporte plusieurs débiteurs ou créanciers.
      • L’indivisibilité contractuelle consiste, quant à elle, en l’existence de liens qui créent une interdépendance entre plusieurs contrats
    • La notion d’obligation indivisible apparait de la sorte inadéquate pour rendre compte du phénomène de l’indivisibilité contractuelle.

?La notion de cause

  • Exposé du fondement
    • Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a fondé l’existence d’une invisibilité sur la notion de cause.
    • Pour ce faire, elle a estimé que la cause d’un contrat appartenant à un ensemble contractuel résidait dans la conclusion des autres contrats auquel il était lié.
    • L’anéantissement de d’un acte de l’ensemble emporterait dès lors disparition de la cause des autres et réciproquement.
    • Telle a notamment été la solution retenue par la troisième chambre civile qui, dans un arrêt du 3 mars 1993, a approuvé une Cour d’appel pour avoir décidé que « la vente du terrain sur lequel était bâtie l’usine, pour le prix d’un franc, était une condition de réalisation de l’opération, cette vente ne pouvant être dissociée de celle des bâtiments et de la reprise des dettes de la société X… par la société Cerinco, l’ensemble concernant la vente de l’entreprise de briqueterie formant un tout indivisible, et que cette vente permettant l’apurement des dettes et la poursuite de l’activité, M. X… avait grand intérêt à sa réalisation, tant à titre personnel pour éviter les poursuites de ses créanciers, qu’à titre d’actionnaire de la société X… dont il détenait avec son épouse près de la moitié des parts sociales, la cour d’appel a pu en déduire que dans le cadre de l’économie générale du contrat, la vente du terrain était causée et avait une contrepartie réelle » (Cass. 3e cvi. 3 mars 1993, n°91-15.613)
    • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 1er juillet 1997 où la Cour de cassation valide l’anéantissement en cascade de deux contrats, après avoir relevé que « les deux actes de vente et de prêt, qui avaient été passés le même jour par-devant le même notaire, étaient intimement liés, et en a déduit que les parties avaient entendu subordonner l’existence du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été conclu, de sorte que les deux contrats répondaient à une cause unique » (Cass. 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-15.642)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a, dans une décision du 15 février 2000, jugé s’agissant d’une opération de crédit-bail que « le crédit-bailleur était informé que le matériel pris à bail était destiné à être exploité par la société de publicité, qu’en tant que de besoin le crédit-bailleur autorisait cette exploitation, qu’il s’agissait d’un matériel très spécifique et que la seule cause du contrat de crédit-bail était constituée par le contrat de prestations d’images, ce dont il déduit que les deux contrats étaient interdépendants et, par suite, que l’exploitation devenant impossible du fait de la défaillance de la société de publicité, la résiliation du contrat de crédit-bail devait être prononcée » (Cass. com. 25 févr. 2000, n°97-19.793).
  • Critique du fondement
    • Le recours à la notion de cause pour justifier l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats n’a pas fait l’unanimité en doctrine.
    • Le principal reproche formulé à l’encontre de cette solution consiste à dire que la cause, au sens de l’ancien article 1131 du Code civil, doit être entendue objectivement.
    • Selon cette approche, la cause représente les motifs les plus proches qui ont animé les parties au moment de la formation du contrat, soit plus exactement la contrepartie pour laquelle elles se sont engagées
    • Aussi, cette conception est-elle incompatible avec la notion de d’indivisibilité.
    • La justification de l’existence d’une indivisibilité contractuelle au moyen de la notion de cause supposerait en effet que l’on admette qu’elle puisse être recherchée dans des motifs extrinsèques à l’acte : la conclusion d’un second contrat.
    • Selon l’approche objective, la cause de l’engagement des parties réside toutefois dans un élément qui doit nécessairement avoir été intégré dans le champ contractuel.
    • D’où la réticence de certains auteurs à fonder l’anéantissement en cascade de contrats qui appartiennent à un même ensemble sur la notion de cause.

ii. La recherche des critères du concept d’indivisibilité contractuelle

?Exposé des approches objectives et subjectives

Deux approches de la notion d’indivisibilité ont été envisagées par la jurisprudence : l’une objective, l’autre subjective :

  • L’approche subjective
    • Selon cette approche, l’indivisibilité contractuelle trouverait sa source dans la seule volonté des parties.
    • Cela signifie que pour établir l’existence d’une invisibilité entre plusieurs contrats, cela suppose de déterminer si les contractants ont voulu cette indivisibilité.
    • Si tel n’est pas le cas, quand bien même les contrats en cause auraient concouru à la réalisation d’une même opération économique, ils ne pourront pas être regardés comme formant un ensemble contractuel indivisible.
  • L’approche objective
    • Selon cette approche, l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats doit être appréciée, non pas au regard de la volonté des parties, mais en considération de la convergence de l’objet de chaque contrat
    • Autrement dit, peu importe que les contractants n’aient pas voulu rendre les contrats auxquels ils sont partie interdépendants.
    • L’indivisibilité desdits contrats est établie dès lors qu’ils participent à la réalisation d’une même opération économique.

?L’absence de position arrêtée de la jurisprudence

L’incertitude quant à l’adoption de l’approche subjective ou objective de l’indivisibilité résulte des arrêts Sedri rendu, le même jour, soit le 4 avril 1995 par la chambre commerciale.

Les arrêts Sédri
  • Premier arrêt Sedri
    • Dans ce premier arrêt, la Cour de cassation approuve une Cour d’appel pour avoir « fondé sa décision relative à l’indivisibilité des conventions sur la considération de chacune d’entre elles par les parties comme une condition de l’existence des autres et non pas sur la nature spécifique de l’objet loué par rapport aux utilisations envisagées » (Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-14.585 et n° 93-15.671).
    • Ainsi, la haute juridiction retient-elle une approche subjective de la notion d’indivisibilité.
    • Elle s’attache à rechercher l’intention des parties, lesquelles avait, en l’espèce, voulu rendre les contrats indivisibles.
  • Second arrêt Sedri
    • Dans cette décision, bien que rendue le même jour que le précédent arrêt, la Cour de cassation adopte une approche radicalement différente de la notion d’indivisibilité.
    • Elle approuve une Cour d’appel pour avoir déduit l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats après avoir seulement relevé que « les matériels et logiciels ne pouvaient avoir, sans modifications substantielles, d’autre usage que la communication par le réseau Sedri, que cette spécificité était connue de la société bailleresse et que celle-ci avait participé à l’élaboration de l’ensemble complexe ayant pour objet la mise en place et le financement du système de communication » (Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, c’est parce que les contrats concourraient à la réalisation d’une même opération économique qu’ils devaient être regardés comme indivisibles.
    • La haute juridiction ne semble pas vouloir faire, en l’espèce, de la volonté des parties le critère de l’indivisibilité.
    • Seule importe l’économie générale de l’ensemble contractuel soumis à son examen.

Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 30 juin 1993), que M. X… a conclu avec la société V Conseil application (société V Conseil) un contrat lui donnant accès, par l’intermédiaire d’un matériel et d’un logiciel spécifiques, au réseau télématique de la Société d’études, de développements et de recherches industrielles (société Sedri) en vue de la diffusion d’images d’information et de publicité dans son magasin ; que, pour le financement du matériel et du logiciel, sur proposition du représentant de la société V Conseil, M. X… a souscrit un projet de contrat de location auprès de la Compagnie générale de location (société CGL), laquelle a ensuite donné son acceptation, avec la garantie d’une assurance à la charge de la société Sedri pour le cas de dommages au matériel ou d’interruption dans le paiement des loyers par le locataire ; que la prise en charge des loyers par la société Sedri a été proposée à M. X… en contrepartie de la cession de droits sur certaines images publicitaires le concernant ; qu’en août et septembre 1990, la société Sedri, la société V Conseil et la compagnie d’assurances garantissant la société CGL ont été mises en liquidations judiciaires, à la suite desquelles la diffusion des images sur le réseau a été interrompue et la résiliation des contrats de prestations de services a été notifiée aux commerçants abonnés par le mandataire de justice représentant les sociétés ; que la société CGL a réclamé à M. X… la poursuite du règlement des loyers ;

Sur le premier et le second moyens, réunis, chacun étant pris en ses deux branches :

Attendu que la société CGL fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la cessation des services promis par la société Sedri entraînait résiliation du contrat de location du matériel et du logiciel, alors, selon le pourvoi, d’une part, que, devant la cour d’appel, le commerçant invoquait une indivisibilité objective liant le contrat de location du matériel télématique conclu entre la CGL et le commerçant, et le contrat d’adhésion souscrit par le commerçant auprès du centre serveur Sedri ; que la CGL, à l’inverse, faisait valoir l’absence de lien entre ces contrats ; qu’après avoir relevé qu’il n’existait pas d’indivisibilité subjective entre ces contrats, la cour d’appel a jugé qu’il existait en revanche, entre ceux-ci, des liens tels que la résiliation de l’un entraînait la résiliation de l’autre ; qu’en statuant ainsi, sans caractériser en quoi ces deux contrats auraient été liés par l’identité de leur objet ou par un rapport de dépendance juridique nécessaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 1er, et 1184 du Code civil ; alors, d’autre part, qu’elle a, ainsi, également privé sa décision de base légale au regard de l’article 1165 du Code civil ; alors, en outre, que l’obligation d’assurer la maintenance incombait non pas au loueur mais au locataire ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, qu’en toute hypothèse, l’obligation de maintenance porte sur l’entretien du matériel loué et non sur la fourniture des images délivrées par le centre serveur ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt relève que les matériels et logiciels ne pouvaient avoir, sans modifications substantielles, d’autre usage que la communication par le réseau Sedri, que cette spécificité était connue de la société bailleresse et que celle-ci avait participé à l’élaboration de l’ensemble complexe ayant pour objet la mise en place et le financement du système de communication ; qu’en déduisant de ces constatations l’indivisibilité entre les contrats souscrits par M. X… tant avec la société V Conseil et la société Sedri qu’avec la société CGL, la cour d’appel a légalement justifié sa décision, indépendamment des motifs critiqués par le second moyen qui sont surabondants ; que les moyens ne peuvent donc être accueillis en aucune de leurs branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Après les arrêts Sedri, l’incertitude quant à au critère de l’indivisibilité était de mise : quelle conception devait-on retenir ?

?L’adoption de l’approche objective

Dans une décision du 13 février 2007, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel pour avoir décidé que « les quatre contrats litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l’acquisition de ces licences par la société Faurecia n’ayant aucune raison d’être si le contrat de mise en œuvre n’était pas exécuté, la cour d’appel n’avait pas à relever que la société Oracle en était informée, dès lors que cette société avait elle-même conclu les quatre contrats concernés » (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Dans un arrêt du 15 février 2015, la Cour de cassation a semblé abonder dans le même sens en décidant qu’une clause de divisibilité des contrats devait être réputée non-écrite, dès lors qu’elle contrevenait à l’économie générale du contrat (Cass. com., 15 févr. 2000, n°97-19.793).

Dans cette décision, la chambre commerciale fait ainsi primer, l’existence d’une interdépendance objective des actes en cause sur la volonté des parties.

On en a alors déduit que les contractants ne pouvaient pas écarter l’indivisibilité contractuelle par le jeu de leur seule volonté.

Cette solution a été réitérée par la chambre commerciale à plusieurs reprises.

Dans un arrêt du 23 octobre 2007 elle reproche encore à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « s’il existait une indivisibilité entre les contrats de location et les contrats de prestation de services, au regard de l’économie générale de l’opération pour laquelle ces deux contrats avaient été conclus et si, en conséquence, le texte de la clause n’était pas en contradiction avec la finalité de cette opération, telle que résultant de la commune intention des parties » (Cass. com., 23 oct. 2007, n°06-19.976).

Cass. com., 13 févr. 2007

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Oracle :

Attendu que la société Oracle fait grief à l’arrêt d’avoir prononcé la résolution partielle du contrat de licences et la résiliation du contrat de formation en date du 29 mai 1998 aux torts de la société Oracle, constaté la résiliation des contrats de maintenance et de mise en oeuvre, et condamné en conséquence la société Oracle, d’une part, à garantir la société Faurecia de la condamnation de cette dernière à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus à compter du 1er mars 2002, d’autre part, à payer à la société Franfinance la somme de 3 381 566,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2001 et capitalisation des intérêts échus à compter du 11 janvier 2005, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu qu’ayant retenu que les quatre contrats litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l’acquisition de ces licences par la société Faurecia n’ayant aucune raison d’être si le contrat de mise en oeuvre n’était pas exécuté, la cour d’appel n’avait pas à relever que la société Oracle en était informée, dès lors que cette société avait elle-même conclu les quatre contrats concernés ; qu’ainsi l’arrêt n’encourt aucun des griefs formulés au moyen ; que ce dernier n’est pas fondé ;

?L’adoption de l’approche subjective

À l’inverse des décisions précédemment évoquées, dans un arrêt remarqué du 28 octobre 2010, la première chambre civile a approuvé une Cour d’appel pour avoir refusé de retenir l’existence d’une indivisibilité contractuelle après avoir relevé que « la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre » (Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2010, n°09-68.014).

Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2010

Sur le moyen unique :

Attendu que par contrat du 27 décembre 2001, Mme X… a commandé à la société Génération Online un produit appelé « Net in Pack », comprenant, pendant une durée de 36 mois, la création d’un site internet marchand, du matériel informatique, des services internet et des services d’assistance téléphonique et de maintenance de ce matériel dont le financement a été assuré par la souscription auprès de la société Factobail, le 7 janvier 2002, d’un contrat de location financière d’une durée de 36 mois stipulant un loyer mensuel de 196, 64 euros ; qu’à la suite de la liquidation judiciaire de la société Génération Online, prononcée par jugement du 18 juin 2002, cette société a cessé d’exécuter ses obligations ; que Mme X… a alors interrompu le paiement des mensualités du contrat de location financière ; que la société Factobail l’a assignée en paiement des sommes dues jusqu’au terme de ce contrat et que Mme X… a reconventionnellement sollicité l’annulation du contrat pour absence de cause, à défaut la constatation de sa caducité du fait de la liquidation judiciaire de la société Génération Online et de l’indivisibilité de ces deux contrats ;

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2008), d’avoir accueilli la demande de la société Factobail et rejeté la sienne, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que la cour d’appel a constaté que le contrat de location litigieux stipulait que les produits ayant été choisis par le locataire sous sa seule responsabilité et sans la participation du loueur, ce dernier mandatait le locataire pour exercer tout recours à l’encontre du fournisseur, que le loueur serait déchargé de toute responsabilité et de toute obligation à cet égard et que l’immobilisation temporaire des produits pour quelque cause que ce soit n’entraînerait aucune diminution de loyers ni indemnité ; qu’elle en a souverainement déduit que la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre ; qu’aucun des griefs n’est donc fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Comment interpréter cette fluctuation de la position de la Cour de cassation ?

Tandis que la doctrine est pendant longtemps est demeurée partagée pendant longtemps sur cette question, ce n’est que tardivement que la Cour de cassation a finalement décidé de trancher la question.

?L’interprétation doctrinale des tergiversations de la Cour de cassation

  • Pour certains auteurs, la position de la Cour de cassation serait assise sur la distinction entre :
    • D’une part,
      • Les contrats qui n’auraient pas de fonction économique propre lorsqu’ils sont envisagés séparément.
      • Dans cette hypothèse, c’est la conception objective qui primerait.
    • D’autre part,
      • Les contrats qui rempliraient une fonction économique propre, en ce sens que, quand bien même ils seraient conclus seuls, leur exécution serait pourvue d’une utilité économique.
  • Pour d’autres d’auteurs, l’absence de position bien arrêtée de la Cour de cassation sur la question du critère de la notion d’indivisibilité résulterait d’une divergence entre :
    • La première chambre civile : favorable à l’approche subjective
    • La chambre commerciale : partisane de l’approche objective

C’est dans ce contexte que, réunie en chambre mixte, la Cour de cassation a rendu simultanément deux arrêts en date du 17 mai 2013.

?La clarification de la position de la Cour de cassation

Deux interventions ont été nécessaires à la Cour de cassation pour clarifier sa position sur l’approche à adopter s’agissant de la notion d’indivisibilité.

  • Première intervention : les arrêts du 17 mai 2013
    • Dans deux décisions rendues le 17 mai 2013, la chambre mixte de la Cour de cassation a estimé que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants » de sorte que « sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » (Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013, n°11-22.768)
    • Ces deux arrêts ont été accompagnés par un communiqué de presse par lequel la Cour de cassation explique :
      • Tout d’abord, que les deux espèces soumises portent chacune sur un ensemble de contrats comprenant un contrat de référence assorti d’un contrat de location financière nécessaire à son exécution :
        • dans un cas, le contrat de référence était une convention de partenariat pour des diffusions publicitaires
        • dans l’autre cas, le contrat de référence était un contrat de télésauvegarde informatique
      • Ensuite, que dans chaque espèce, un cocontractant unique, pivot de l’opération, s’est engagé avec deux opérateurs distincts : le prestataire de service, d’une part, le bailleur financier, d’autre part de sorte que, à chaque fois, le contrat principal a été anéanti.
        • Dans la première affaire, la cour d’appel de Paris, retenant l’interdépendance des contrats, a écarté la clause de divisibilité stipulée par les parties et a prononcé la résiliation du contrat de location.
        • Dans la seconde affaire, la cour d’appel de Lyon, statuant comme cour de renvoi après une première cassation, a écarté, au contraire, l’interdépendance des conventions.
      • La Cour de cassation vient ici préciser les éléments caractérisant l’interdépendance contractuelle, en qualifiant d’interdépendants, qualification soumise à son contrôle, les contrats concomitants ou successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière.
      • Aussi, s’inspirant de la jurisprudence de la chambre commerciale, elle juge que sont réputées non écrites les clauses de divisibilité contractuelle inconciliables avec cette interdépendance.
      • La chambre mixte rejette en conséquence le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris et casse l’arrêt de la cour d’appel de Lyon.
    • Il peut être observé que, si ces deux arrêts retiennent indubitablement une approche objective de la notion d’indivisibilité, leur portée doit être tempérée par la précision « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière »
    • Ainsi, la Cour de cassation invite-t-elle à cantonner cette solution aux seuls ensembles contractuels au sein desquels figure un contrat de location financière.
    • Dans les autres cas, la volonté des parties semble prévaloir sur l’économie générale du contrat.

Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2011), que deux conventions de partenariat ont été signées, les 25 novembre 2004 et 8 avril 2005, entre la société Bar le Paris et la société Media vitrine, aux termes desquelles la seconde s’est engagée, d’une part, à installer chez la première un “réseau global de communication interactive”, par la mise en place d’un ensemble informatique et vidéo “avec un contenu interactif pour les clients et un contenu en diffusion médiatique”, contenant notamment des spots publicitaires dont la commercialisation devait assurer l’équilibre financier de l’ensemble, d’autre part, à lui verser une redevance de 900 euros hors taxes par mois, pendant une durée de quarante huit mois, la société Bar le Paris s’obligeant à garantir à la société Media vitrine l’exclusivité de l’exploitation du partenariat publicitaire, que, les 29 décembre 2004 et 4 janvier 2005, la société Leaseo, qui avait acquis de la société Cybervitrine le matériel nécessaire, a consenti à la société Bar le Paris la location de ce matériel, avec effet au 1er janvier 2005, pour une durée identique et moyennant le paiement d’un loyer mensuel de 1 000 euros hors taxes, que, le 5 janvier 2005, la société Leaseo a cédé le matériel à la société Siemens lease services, qui a apposé sa signature sur le contrat de location en qualité de bailleur substitué, que le système n’a jamais fonctionné de manière satisfaisante, que la société Siemens lease services a mis en demeure la société Bar le Paris de lui régler les loyers impayés, puis lui a notifié la résiliation du contrat faute de règlement des arriérés s’élevant à 10 166,60 euros et l’a assignée en paiement, que la société Bar le Paris a appelé en intervention forcée la société Cybervitrine et la société Techni force, anciennement dénommée la société Media vitrine, que la société Techni force et la société Cybervitrine ont été mises en liquidation judiciaire ;

Attendu que la société Siemens lease services fait grief à l’arrêt de prononcer, avec effet au 17 janvier 2007, la résiliation du contrat de partenariat, aux torts exclusifs de la société Media vitrine, ainsi que la résiliation du contrat de location, de condamner la société Bar le Paris à lui payer la somme de 3 588 euros, outre intérêts, et de rejeter le surplus de ses demandes, alors, selon le moyen, qu’hormis le cas où la loi le prévoit, il n’existe d’indivisibilité entre deux contrats juridiquement distincts que si les parties contractantes l’ont stipulée ; qu’en énonçant, à partir des éléments qu’elle énumère, que le contrat de location des 29 décembre 2004 et 4 janvier 2005 est indivisible du contrat de partenariat des 25 novembre 2004 et 8 avril 2005, quand elle constate qu’une clause du contrat de location stipule qu’il est « indépendant » du contrat de prestation de services (partenariat), la cour d’appel, qui refuse expressément d’appliquer cette clause et qui, par conséquent, ampute la convention qui la stipule de partie de son contenu, a violé les articles 1134, 1217 et 1218 du code civil, ensemble le principe de la force obligatoire des conventions ;

Mais attendu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Seconde intervention : les arrêts du 10 septembre 2015
    • Dans deux arrêts du 10 septembre 2015, la Cour de cassation a précisé sa position en s’appuyant, tant sur l’économie générale de l’opération que sur la volonté des parties
      • Dans le premier arrêt, elle a ainsi estimé que dans la mesure où « l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du code civil » (Cass. 1ère civ.10 sept. 2015, n° 14-13.658)
      • Dans le second arrêt, la première chambre civile approuve la Cour d’appel pour avoir retenu l’existence d’une indivisibilité contractuelle après avoir constaté « d’une part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur » (Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772).
    • Ainsi, la Cour de cassation combine-t-elle dans ces deux décisions les approches objectives et subjectives de l’indivisibilité de qui témoigne de sa volonté d’adopter une approche mixte de la notion.
    • Non sans hasard, la lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 nous révèle que c’est précisément cette approche de la notion d’indivisibilité qui a été retenue par le législateur.

 Cass. 1ère civ.10 sept. 2015, n° 14-13.658

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2013), que, suivant bon de commande du 23 octobre 2008, les époux X… qui avaient fait l’acquisition, moyennant le prix de 22 600 euros, d’un toit photovoltaïque auprès de la société BSP Groupe VPF, actuellement en liquidation judiciaire, en recourant à un emprunt du même montant consenti par la société Groupe Sofemo (le prêteur), ont assigné le vendeur et le prêteur en résolution des contrats de vente et de crédit, alléguant que le matériel commandé n’avait été ni intégralement livré ni installé ;

Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :

Attendu que le prêteur fait grief à l’arrêt de prononcer la résolution du contrat de crédit après avoir prononcé celle du contrat de vente, de rejeter sa demande reconventionnelle en remboursement du prêt ainsi que de le condamner à restituer aux époux X… les mensualités par eux acquittées et à procéder à leur radiation du fichier national des incidents de paiement, en se déterminant par des motifs impropres à établir l’accord du prêteur pour déroger à la clause du contrat de crédit excluant les articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation si l’opération de crédit dépassait 21 500 euros ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du code civil ; que, par ce motif de pur droit, substitué au motif justement critiqué par le premier moyen, l’arrêt se trouve légalement justifié ; […]

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 février 2014), que, suivant offre préalable acceptée le 13 juin 2007, la société Financo (la banque) a consenti à M. et Mme X…un prêt d’un montant de 32 000 euros destiné à financer l’acquisition et l’installation d’une éolienne vendue par la société France éoliennes ; que ceux-ci ont assigné la banque et Mme Y…, ès qualités, aux fins de voir prononcer la résolution du contrat de vente et la caducité du contrat de prêt ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que la banque fait grief à l’arrêt de constater la résolution du contrat de prêt après avoir prononcé celle du contrat de vente, alors, selon le moyen :

1°/ que sont exclus du champ d’application du chapitre relatif aux crédits à la consommation les prêts d’un montant supérieur à 21 500 euros ; que la cour d’appel a constaté que l’offre préalable de crédit n’était pas soumise aux dispositions du code de la consommation compte tenu du montant du crédit accordé ; d’où il suit qu’en décidant que la résolution du contrat principal entraînait la résolution du contrat de crédit, quand la banque rappelait cependant dans ses conclusions qu’il ne saurait y avoir lieu à résolution du contrat faute de disposition analogue en droit commun à celle du droit consumériste, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 311-3, L. 311-20 et D. 311-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable au litige ;

2°/ que la cause de l’obligation de l’emprunteur résidant dans la mise à disposition du montant du prêt, viole l’article 1131 du code civil la cour d’appel qui constate la résolution du contrat de prêt, non soumis aux articles L. 311-3, L. 311-20 et D. 311-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable au litige, en conséquence de la résolution du contrat principal de vente, quand bien même le prêt litigieux eût été affecté à l’achat d’un bien déterminé, dès lors qu’il n’était pas prétendu que le vendeur et le prêteur avaient agi de concert ;

Mais attendu que la cour d’appel, qui n’a pas appliqué les dispositions du code de la consommation, a fait ressortir l’indivisibilité des contrats litigieux en énonçant, d’une part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur ; qu’elle en a justement déduit que la résolution du contrat principal emportait l’anéantissement du contrat accessoire ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

iii. La détermination des effets de l’indivisibilité contractuelle

En plus de s’être interrogé sur les fondements et les critères de la notion d’indivisibilité, la jurisprudence a éprouvé un certain nombre de difficultés à en déterminer les effets ?

Plusieurs sanctions ont été envisagées en cas de reconnaissance d’une indivisibilité contractuelle :

  • La nullité
    • Telle a été la solution retenue dans un arrêt du 18 juin 1991, la chambre commerciale ayant validé la décision d’une Cour d’appel pour avoir « souverainement, estimé que les commandes émanant de cette société, bien que passées distinctement en deux lots, n’en étaient pas moins, au su de la société BP Conseils, déterminée par des considérations globales de coûts et, comme telles, indivisibles ; que, par ces seuls motifs, elle a pu décider que l’importante majoration de prix, que la société BP Conseils a tenté d’imposer à posteriori sur le dernier lot, remettait en cause les considérations communes sur le prix total et justifiait une annulation des deux commandes » (Cass. com. 18 juin 1991, n°89-18.691).
  • La résolution
    • Dans les arrêts du 10 septembre 2015, la Cour de cassation considère que la résolution de la vente emportait la résolution du contrat de prêt (Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772)
    • À l’instar de la nullité la résolution d’un acte est assortie d’un effet rétroactif, de sorte que l’anéantissement en cascade des contrats appartenant à l’ensemble donnera lieu à des restitutions.
  • La résiliation
    • Dans d’autres décisions, la Cour de cassation a retenu comme sanction de l’anéantissement du contrat principal la résiliation des actes auxquels il était lié.
    • Elle a notamment statué en ce sens dans les arrêts Sedri du 4 avril 1995.
    • Dans l’un d’eux, elle a considéré par exemple que la cessation des services promis par la société Sedri entraînait résiliation du contrat de location du matériel et du logiciel souscrit concomitamment par son cocontractant (Cass. com. 4 avr. 1995, n°93-14.585 et 93-15.671).
  • La caducité
    • Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a retenu la caducité pour sanctionner l’anéantissement d’un contrat appartenant à un ensemble.
    • Dans une décision du 1er juillet 1997 elle a décidé en ce sens que « l’annulation du contrat de vente avait entraîné la caducité du prêt » (Cass. 1ère civ. 1èr juill. 1997, n°95-15.642).
    • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 4 avril 2006 à l’occasion duquel la première chambre civile a estimé « qu’ayant souverainement retenu que les deux conventions constituaient un ensemble contractuel indivisible, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la résiliation du contrat d’exploitation avait entraîné la caducité du contrat d’approvisionnement » (Cass. 1ère civ. 4 avr. 2006, n°02-18.277l).
    • La chambre commerciale a abondé dans le même sens dans un arrêt du 5 juin 2007.
    • Dans cette décision, elle a jugé que « alors que la résiliation des contrats de location et de maintenance n’entraîne pas, lorsque ces contrats constituent un ensemble contractuel complexe et indivisible, la résolution du contrat de vente mais seulement sa caducité » (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380).

La lecture de toutes ces décisions révèle que la Cour de cassation n’a jamais vraiment eu de position bien définie sur les effets de l’indivisibilité contractuelle.

Aussi, l’intervention du législateur se faisait-elle attendre. Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 il n’a pas manqué de se prononcer sur les effets de l’indivisibilité et plus généralement d’offrir aux ensembles contractuels le cadre juridique dont, jusqu’alors, ils étaient dépourvus.

b. L’intervention du législateur

La réforme des obligations engagée en 2016 a fourni l’occasion au législateur de faire rentrer dans le Code civil le concept d’ensemble contractuel.

Le nouvel article 1186 du Code civil prévoit ainsi à son alinéa 2 que « lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. »

La règle est désormais posée : l’anéantissement d’un acte qui appartient à un ensemble contractuel entraîne consécutivement la disparition des autres.

Quels enseignements tirer de l’édiction de cette nouvelle règle ? Ils sont au nombre de trois :

b.1 L’autonomie de la notion d’indivisibilité

Jusqu’alors, la jurisprudence s’était employée à trouver un fondement juridique au concept d’indivisibilité contractuelle, tantôt en le rattachant à la notion cause, tantôt à la notion de condition ou encore à la notion d’obligation indivisible.

Le législateur ayant consacré les ensembles contractuels, cette quête est devenue inutile.

Aussi, l’indivisibilité constitue-t-elle dorénavant une notion autonome qui dispose d’un fondement juridique qui lui propre : l’alinéa 2 de l’article 1186 du Code civil.

Nul n’est dès lors plus besoin de chercher à dévoyer les notions de cause – disparue – ou de conditions pour justifier l’anéantissement en cascade de plusieurs contrats en raison de leur appartenance à un même ensemble.

Il suffit désormais d’établir que lesdits contrats forment un tout indivisible.

b.2 Les critères de la notion d’indivisibilité

Il ressort de l’article 1186, al. 2 du code civil que, semblablement à la Cour de cassation dans ces dernières décisions, le législateur a combiné le critère objectif et le critère subjectif pour définir l’indivisibilité.

  • Le critère objectif
    • La reconnaissance d’une indivisibilité suppose :
      • D’une part, que plusieurs contrats aient été « nécessaires à la réalisation d’une même opération »
      • D’autre part, que l’un d’eux ait disparu
      • Enfin, que l’exécution ait été « rendue impossible par cette disparition »
    • Ces trois éléments doivent être établis pour que le premier critère objectif soit rempli, étant précisé qu’ils sont exigés cumulativement.
  • Le critère subjectif
    • Principe
      • La deuxième partie de l’alinéa 2 de l’article 1186 précise que l’indivisibilité peut encore être établie dans l’hypothèse où les contrats « pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie »
      • Ainsi l’indivisibilité contractuelle peut-elle résulter, en plus de l’économie générale de l’opération, de la volonté des parties.
      • Dès lors, que les contractants ont voulu rendre plusieurs contrats indivisibles, le juge est tenu d’en tirer toutes les conséquences qu’en aux événements susceptibles d’affecter l’un des actes composant l’ensemble.
    • Condition
      • L’alinéa 3 de l’article 1186 du Code civil pose une condition à l’application du critère subjectif
      • Aux termes de cette disposition, « la caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »
      • L’anéantissement des contrats liés au contrat affecté par une cause de disparition est donc subordonné à la connaissance par les différents cocontractants de l’existence de l’ensemble, soit que les contrats auxquels ils sont partie concourraient à la réalisation d’une même opération économique.

b.3 Les effets de l’indivisibilité

Les effets de l’indivisibilité sont très clairement posés par l’article 1186 du Code civil : la caducité.

Plus précisément, la disparition de l’un des contrats de l’ensemble entraîne consécutivement la caducité des autres.

i. Absence de définition de la caducité

La caducité fait partie de ces notions juridiques auxquelles le législateur et le juge font régulièrement référence sans qu’il existe pour autant de définition arrêtée.

Si, quelques études lui ont bien été consacrées[1], elles sont si peu nombreuses que le sujet est encore loin d’être épuisé. En dépit du faible intérêt qu’elle suscite, les auteurs ne manquent pas de qualificatifs pour décrire ce que la caducité est supposée être.

Ainsi, pour certains, l’acte caduc s’apparenterait à « un fruit parfaitement mûr […] tombé faute d’avoir été cueilli en son temps »[2]. Pour d’autres, la caducité évoque « l’automne d’un acte juridique, une mort lente et sans douleur »[3]. D’autres encore voient dans cette dernière un acte juridique frappé accidentellement de « stérilité »[4].

L’idée générale qui ressort de ces descriptions est que l’action du temps aurait eu raison de l’acte caduc, de sorte qu’il s’en trouverait privé d’effet.

ii. Caducité et nullité

De ce point de vue, la caducité se rapproche de la nullité, qui a également pour conséquence l’anéantissement de l’acte qu’elle affecte. Est-ce à dire que les deux notions se confondent ? Assurément non.

C’est précisément en s’appuyant sur la différence qui existe entre les deux que les auteurs définissent la caducité.

Tandis que la nullité sanctionnerait l’absence d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation, la caducité s’identifierait, quant à elle, à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence.

La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances. Cette différence d’objet ne saurait toutefois occulter les rapports étroits qu’entretiennent les deux notions, ne serait-ce parce que le vice qui affecte l’acte caduc aurait tout aussi bien pu être source de nullité s’il était apparu lors de la formation dudit acte. Sans doute est-ce d’ailleurs là l’une des raisons du regain d’intérêt pour la caducité ces dernières années.

iii. Origine

Lorsqu’elle a été introduite dans le Code civil, l’usage de cette notion est limité au domaine des libéralités. Plus précisément, il est recouru à la caducité pour sanctionner la défaillance de l’une des conditions exigées pour que le legs, la donation ou le testament puisse prospérer utilement telles la survie[5], la capacité [6] du bénéficiaire ou bien encore la non-disparition du bien légué[7].

Ce cantonnement de la caducité au domaine des actes à titre gratuit s’estompe peu à peu avec les métamorphoses que connaît le droit des contrats. Comme le souligne Véronique Wester-Ouisse « alors que la formation du contrat était le seul souci réel des rédacteurs du Code civil, le contrat, aujourd’hui, est davantage examiné au stade de son exécution »[8]. L’appropriation de la notion de caducité par les spécialistes du droit des contrats prend, dans ces conditions, tout son sens[9].

Aussi, cela s’est-il traduit par la consécration de la caducité dans l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[10].

iv. Intervention du législateur

La lecture de l’article 1186 du Code civil révèle que le législateur a donc repris in extenso la définition de la caducité.

Aux termes de l’alinéa 1er de cette disposition « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. »

Il ressort de cette définition que :

  • D’une part, la caducité ne peut affecter qu’un acte qui a été régulièrement accompli
  • D’autre part, elle suppose que l’acte anéanti ait perdu l’un des éléments essentiels à son existence

Telles sont les deux conditions cumulatives qui doivent être réunies pour qu’un contrat puisse être frappé de caducité.

v. Les conditions de la caducité

?L’exigence d’un acte valablement formé

Si l’article 1186 prévoit que pour encourir la caducité le contrat doit avoir été valablement formé.

Aussi, cela signifie-t-il qu’il ne doit, ni avoir été annulé, ni avoir fait l’objet d’une résolution.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir s’il est nécessaire que la nullité du contrat ou sa résolution aient été constatées en justice ou s’il suffit qu’il soit seulement annulable ou susceptible de faire l’objet d’une résolution.

L’article 1186 ne le dit pas, de sorte qu’il appartient à la jurisprudence de se prononcer sur ce point.

?L’exigence de disparition d’un élément essentiel de l’acte

L’article 1186 subordonne la caducité à la disparition de l’un de ses éléments essentiels du contrat.

À la lecture de cette condition, deux difficultés surviennent immédiatement :

  • Première difficulté
    • L’article 1186 se garde de bien de dire ce que l’on doit entendre par « éléments essentiels ».
    • Faut-il limiter le périmètre de la notion d’« éléments essentiels » aux seules conditions de validité du contrat ou doit-on l’étendre aux éléments qui conditionnent son exécution ?
    • Selon les auteurs, c’est vers une approche restrictive de la notion que l’on devrait se tourner.
    • Au soutien de cet argument est notamment convoqué le nouvel article 1114 du Code civil qui associe la notion d’« éléments essentiels » à l’offre contractuelle, soit au contenu du contrat.
  • Seconde difficulté
    • Une seconde difficulté naît de la lecture de l’article 1186 en ce qu’il ne dit pas si la disparition de l’un des éléments essentiels du contrat doit être volontaire ou involontaire.
    • Jusqu’alors, les auteurs ont toujours considéré qu’un acte ne pouvait être frappé de caducité qu’à la condition que la disparition de l’un de ses éléments essentiels soit indépendante de la volonté des parties.
    • Admettre le contraire reviendrait, selon eux, à conférer aux contractants un pouvoir de rupture unilatérale du contrat
    • Aussi, cela porterait-il directement atteinte au principe du mutus dissensus.
    • Encore un point sur lequel il appartiendra à la jurisprudence de se prononcer.

vi. Les effets de la caducité

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité produit deux effets : d’une part, elle met fin au contrat et, d’autre part, elle peut donner lieu à des restitutions

?L’anéantissement du contrat

En prévoyant que « la caducité met fin au contrat », l’article 1187 du Code civil soulève deux difficultés : la première tient à la prise d’effet de la caducité, la seconde à sa rétroactivité :

  • La prise d’effet de la caducité
    • Faut-il pour que la caducité prenne effet qu’elle soit constatée par un juge ou peut-elle être acquise de plein droit, soit par la seule prise d’initiative d’un des contractants ?
    • L’article 1187 est silencieux sur ce point.
    • Doit-on, sans ces conditions, se risquer à faire un parallèle avec la résolution ou la nullité ?
      • Si l’on tourne vers la résolution, l’article 1224 dispose que cette sanction devient efficace
        • Soit par l’application d’une clause résolutoire
        • Soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur
        • Soit d’une décision de justice
      • Si l’on se tourne vers la nullité, l’article 1178 prévoit sensiblement la même chose puisqu’elle peut
        • Soit être prononcée par le juge
        • Soit être constatée d’un commun accord par les parties
    • Manifestement, aucun texte ne paraît subordonner l’efficacité de la caducité à sa constatation par un juge
    • Aussi, le silence de l’article 1187 combiné aux dispositions qui régissent la résolution et la nullité laisse à penser que la caducité pourrait être acquise par l’effet de la seule initiative de l’une des parties, ce, à plus forte raison si elles y ont consenti d’un commun accord.
  • La rétroactivité de la caducité
    • S’il ne fait aucun doute que la caducité anéantit le contrat qu’elle affecte pour l’avenir, l’article 1187 ne dit pas s’il en va de même pour ses effets passés.
      • D’un côté, l’alinéa 1er de l’article 1187 prévoit que la caducité « met fin au contrat », de sorte que l’on pourrait être enclin à penser que seuls les effets futurs du contrat sont anéantis.
      • D’un autre côté, l’alinéa 2 de cette même disposition envisage la possibilité pour les parties de solliciter un retour au statu quo ante par le jeu des restitutions, ce qui suggérerait dès lors que la caducité puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • Comment comprendre l’articulation de ces deux alinéas dont il n’est pas illégitime de penser qu’ils sont porteurs du germe de la contradiction ?
    • La caducité doit-elle être assortie d’un effet rétroactif ou cette possibilité doit-elle être exclue ?
    • Pour le déterminer, revenons un instant sur la définition de la caducité.
    • Selon Gérard Cornu la caducité consisterait en l’« état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte »[11].
    • Autrement dit, l’acte caduc est réduit à néant ; il est censé n’avoir jamais existé.
    • S’il est incontestable que l’acte caduc doit être supprimé de l’ordonnancement juridique en raison de la perte d’un élément essentiel l’empêchant de prospérer utilement, rien ne justifie pour autant qu’il fasse l’objet d’un anéantissement rétroactif.
    • Pourquoi vouloir anéantir l’acte caduc rétroactivement, soit faire comme s’il n’avait jamais existé, alors qu’il était parfaitement valable au moment de sa formation ? Cela n’a pas grand sens.
    • Dès lors qu’un acte est valablement formé, il produit des effets sur lesquels on ne doit plus pouvoir revenir, sauf à nier une situation juridiquement établie[12].
    • Au vrai, l’erreur commise par les partisans de la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité vient de la confusion qui est faite entre la validité de l’acte juridique et son efficacité.
    • Ces deux questions doivent cependant être distinguées.
    • La seule condition qui doit être remplie pour qu’un acte soit valable, c’est que, tant son contenu, que ses modalités d’édiction soient conformes aux normes qui lui sont supérieures.
    • On peut en déduire que la validité d’un acte ne se confond pas avec son efficacité.
    • Si tel était le cas, cela reviendrait à remettre en cause sa validité à chaque fois que la norme dont il est porteur est violée.
    • Or comme l’a démontré Denys de Béchillon « une norme juridique ne cesse pas d’être juridique lorsqu’elle n’est pas respectée »[13].
    • L’inefficacité de l’acte caduc se distingue certes de l’hypothèse précitée en ce qu’elle est irréversible et n’a pas le même fait générateur.
    • Elle s’en rapproche néanmoins dans la mesure où, d’une part, elle s’apprécie au niveau de l’exécution de l’acte et, d’autre part, elle consiste en une inopérance de ses effets.
    • Ainsi, les conséquences que l’on peut tirer de la caducité d’un acte sont les mêmes que celles qui peuvent être déduites du non-respect d’une norme : l’inefficacité qui les atteint ne conditionne nullement leur validité.
    • D’où l’impossibilité logique d’anéantir rétroactivement l’acte ou la norme qui font l’objet de pareille inefficacité.
    • En conclusion, nous ne pensons pas qu’il faille envisager que la caducité d’un contrat puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • L’alinéa 2 de l’article 1187 du Code civil peut être compris comme confirmant cette thèse.
    • Il peut être déduit de l’utilisation, dans cet alinéa, du verbe « peut » et de non « doit » que le législateur a, en offrant la possibilité aux parties de solliciter des restitutions, posé une exception au principe de non-rétroactivité institué à l’alinéa 1er de l’article 1187 du Code civil.
    • Aussi, dans l’hypothèse où l’une des parties à l’acte formulerait une demande de restitutions en justice, il n’est pas à exclure que le juge, alors même qu’il constatera la caducité du contrat, ne fasse pas droit à sa demande estimant qu’il ressort de la lettre de l’article 1187 que les restitutions sont facultatives.

?Les restitutions

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité « peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ».

En application de ces articles, plusieurs règles doivent être observées en matière de restitutions dont les principales sont les suivantes :

D’abord, la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution (art. 1352 C. civ.).

Ensuite, La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie (art. 1352-8 C. civ.).

Enfin, la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée (art. 1352-3 C. civ.).

2. Les chaînes de contrats

Contrairement aux ensembles contractuels qui regroupent des actes qui concourent à la réalisation d’une même opération, les chaînes de contrats sont constituées d’actes qui portent sur un même objet.

Exemple : un contrat de vente est conclu entre A et B, puis entre B et C. La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de vice affectant la chose, le sous-acquéreur dispose d’une action contre le vendeur initial ?

A priori, le principe de l’effet relatif interdit au sous-acquéreur d’agir contre le vendeur initial dans la mesure où ils ne sont liés par aucun contrat. L’acquéreur fait écran entre ce que l’on appelle les « contractants extrêmes » lesquels sont des tiers l’un pour l’autre.

Aussi, une action du sous-acquéreur contre le vendeur initial ne semble pas envisageable, à plus forte raison si elle est engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Tel n’est cependant pas ce qui a été décidé par la jurisprudence qui a connu une longue évolution.

2.1 Première étape : la distinction entre les chaînes de contrats homogènes et les chaînes hétérogènes

Pour déterminer si le, sous-acquéreur était fondé à agir contre le vendeur initial, la Cour de cassation a, dans un premier temps, distingué selon que l’on était en présence d’une chaîne de contrat homogène ou hétérogène.

a. Notion

  • La chaîne de contrats homogène est celle qui est formée d’actes de même nature (plusieurs ventes successives)
  • La chaîne de contrats hétérogène est celle qui est formée de plusieurs contrats de nature différente (vente et entreprise)

b. Application

i. Pour les chaînes de contrats homogènes

?Première étape : l’indifférence du fondement

La Cour de cassation a pendant longtemps estimé que le sous-acquéreur disposait d’une option en ce sens qu’il pouvait agir contre le vendeur initial, soit sur le terrain de la responsabilité contractuelle, soit sur le terrain de la responsabilité délictuelle (V. en ce sens Cass. civ. 25 janv. 1820).

L’idée était de permettre au sous-acquéreur de ne pas demeurer sans recours dans l’hypothèse où une stipulation contractuelle l’empêcherait d’agir contre son propre vendeur.

?Deuxième étape : la responsabilité contractuelle

Considérant que l’option laissée au sous-acquéreur quant au choix du fondement de l’action dirigée contre le vendeur initial constituait une atteinte au principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt Lamborghini du 9 octobre 1979

La première chambre civile a estimé dans cette décision que « l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1979, n°78-12.502).

Cette solution repose sur l’idée que l’action dont dispose l’acquéreur contre le vendeur initial serait transmise au sous-acquéreur lors du transfert de propriété de la chose, ce qui justifie que ce dernier puisse agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

En somme l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le vendeur initial est fondée sur la théorie de l’accessoire.

Cass. 1ère civ. 9 oct. 1979

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1147 et 1648 du code civil;

Attendu que, selon les juges du fond, constant, ayant acquis le 5 septembre 1968, de Landrau, garagiste, une automobile d’occasion de marque Lamborghini, modèle <400 ct>, a provoqué le 15 septembre suivant un accident dont l’expertise a révélé qu’il était du a la rupture d’une pièce de la suspension arrière résultant d’un vice de construction, reconnu par le constructeur, qui avait, le 8 mai 1967, adresse à ce sujet une note a tous ses agents en indiquant la manière de remédier au défaut constate sur ce modèle;

Que la société des voitures paris-monceau, importateur en France des véhicules de marque Lamborghini, qui avait assure l’entretien de l’automobile litigieuse pendant un certain temps, pour le compte d’un précèdent propriétaire, n’a pas méconnu avoir reçu les instructions de la société Lamborghini, mais n’a pas procédé a la réparation préconisée par le constructeur; que constant et son assureur, l’uap, ayant assigne la société Lamborghini, Landrau et la société des voitures paris-monceau sur le fondement des articles 1147 et 1582 et suivants du code civil, Landrau a appelé en garantie la société des voitures paris-monceau;

Que le tribunal a condamné in solidum les trois défendeurs envers constant et l’Uap, en précisant que dans leurs rapports, ils supporteraient cette condamnation a raison des 3/6 a la charge de la société Lamborghini, responsable du vice de fabrication, des 2/6 a la charge de la société des voitures paris-monceau, pour n’avoir pas fait la réparation demandée par le constructeur, et de 1/6 a la charge de Landrau, en sa qualité de vendeur professionnel;

Que la cour d’appel pour confirmer la condamnation prononcée contre les sociétés Lamborghini et paris-monceau et décider qu’elles seraient tenues chacune par moitié, s’est fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle et a déclaré ces deux sociétés responsables a l’égard de constant et de son assureur, par application de l’article 1383 du code civil;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle, et qu’il appartenait des lors aux juges du fond de rechercher, comme il leur était demandé, si l’action avait été intentée dans le bref délai prévu par la loi, la cour d’appel a violé les textes susvisés;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu entre les parties le 20 décembre 1977 par la cour d’appel de paris; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.

ii. Pour les chaînes de contrats hétérogènes

Un conflit s’est noué entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation lesquelles ne se sont pas entendues sur la nature de l’action dont disposait le contractant en bout de chaîne (maître d’ouvrage) contre le premier (fabricant).

Cette opposition entre les deux chambres a provoqué l’intervention, par la suite, de l’assemblée plénière.

?Position de la première chambre civile

Dans un arrêt du 29 mai 1984, la première chambre civile s’est prononcée en faveur de la nature contractuelle de l’action (Cass. 1ère civ. 29 mai 1984, n°82-14.875).

Elle a estimé en ce sens que le maître d’ouvrage « dispose contre le fabricant de matériaux posés par son entrepreneur d’une action directe pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de nature contractuelle ».

Il s’agissait en l’espèce d’un contrat de vente suivi d’un contrat d’entreprise.

La première chambre civile retient manifestement ici la même solution que celle qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Lamborghini qui portait sur une chaîne de contrats homogène.

Cass. 1ère civ. 29 mai 1984

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : vu les articles 1147 et 1648 du code civil ;

Attendu que Mme z… et Mlle Meyniel a… x… d’une maison, avaient fait recouvrir en 1966 la toiture de celle-ci de tuiles par un entrepreneur ;

Que lesdites tuiles s’étant révélées gélives, les copropriétaires ont assigne en réparation de leur préjudice le fabricant de ce matériau, la société Perrusson-Rhomer qui avait vendu les tuiles a l’entrepreneur ;

Que pour accueillir leur demande, la cour d’appel, qui s’est referee a son précèdent arrêt du 15 juin 1981, a fait application des principes relatifs à la responsabilité quasi-délictuelle ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le maitre de y… dispose contre le fabricant de matériaux poses par son entrepreneur d’une action directe pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de nature contractuelle ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer ni sur les deux autres branches du premier moyen, ni sur le second moyen : CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu le 19 avril 1982, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ;

?Position de la troisième chambre civile

Dans un arrêt rendu sensiblement à la même époque, soit le 19 juin 1984, la troisième chambre civile s’est radicalement opposée à la première chambre civile (Cass. 3e civ. 19 juin 1984, n°83-10.901).

Elle a, en effet, validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir relevé que « par suite d’une conception défectueuse, les tuiles fabriquées par la société Lambert Céramique n’étaient pas horizontales dans le sens transversal, vice qui ne pouvait être décelé et qui était l’unique cause des désordres affectant la toiture […] par ces seuls motifs caractérisant, en dehors de tout contrat, la faute commise et sa relation de causalité avec le dommage, [elle] a pu retenir la responsabilité du fabricant même en l’absence de lien de droit direct avec le maître de l’ouvrage ».

Pour la troisième chambre civile, l’action dont dispose le maître de l’ouvrage contre le fabricant est de nature délictuelle, car « en dehors de tout contrat ».

Cass. 3e civ. 19 juin 1984

Sur le moyen unique :

Attendu que selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 6 décembre 1982) M. Y… a fait réaliser la couverture de sa villa par l’entrepreneur M. X… qui a utilisé des tuiles, fournies par les établissements Grisard et fabriquées par la Tuilerie des Mureaux aux droits et obligations de laquelle vient la société Lambert Céramique ; qu’à la suite d’infiltrations d’eau, le maître de l’ouvrage a assigné le fabricant en réparation du dommage ; que l’Union fédérale des consommateurs de la Savoie est intervenue volontairement en cause d’appel ;

Attendu que le fabricant fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré recevables les demandes du maître de l’ouvrage et de l’intervenante tendant au paiement de dommages-intérêts et de sommes non comprises dans les dépens alors, selon le moyen, “que l’action en garantie des vices cachés contre le fabricant est de nature contractuelle, que le contrat d’entreprise n’étant pas un contrat de vente, le maître de l’ouvrage n’est pas acquéreur des matériaux et ne bénéficie pas, en tant que sous-acquéreur, de la garantie des vendeurs successifs ; que, dès lors, la Cour d’appel, qui a relevé l’absence d’un lien de droit direct entre la société Lambert Céramique et M. Y…, n’a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s’imposent en déclarant recevable l’action en garantie de celui-ci et a ainsi violé l’article 1641 du Code civil” ;

Mais attendu que l’arrêt retient que par suite d’une conception défectueuse, les tuiles fabriquées par la société Lambert Céramique n’étaient pas horizontales dans le sens transversal, vice qui ne pouvait être décelé et qui était l’unique cause des désordres affectant la toiture ; que, par ces seuls motifs caractérisant, en dehors de tout contrat, la faute commise et sa relation de causalité avec le dommage, la Cour d’appel a pu retenu la responsabilité du fabricant même en l’absence de lien de droit direct avec le maître de l’ouvrage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 6 décembre 1982 par la Cour d’appel de Chambéry.

?Intervention de l’assemblée plénière

Cette opposition frontale entre la première et la troisième chambre civile a donné lieu à une intervention de l’assemblée plénière qui s’est prononcée sur la nature de l’action en responsabilité dont est titulaire le maître d’ouvrage contre le fabricant dans un arrêt remarqué du 7 février 1986.

Dans cette décision, l’assemblée plénière a tranché en faveur de la solution retenue par la première chambre civile (Cass ass. plén. 7 févr. 1986, n°84-15.189).

Elle a, en effet, estimé que le maître d’ouvrage « dispose […] contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ».

Pour l’assemblée plénière, peu importe donc que la chaîne de contrats soit homogène ou hétérogène : l’action en responsabilité dont est titulaire le maître d’ouvrage est de nature contractuelle.

Elle justifie cette solution en affirmant que « le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ».

L’assemblée plénière retient ainsi comme fondement de l’action en responsabilité contractuelle la théorie de l’accessoire : l’action est transmise concomitamment avec le transfert de propriété de la chose.

Autrement dit, tant le maître de l’ouvrage que le sous-acquéreur recueillent dans leur patrimoine avec la chose les accessoires juridiques qui y sont attachés.

Cass ass. plén. 7 févr. 1986

Sur le premier moyen :

Attendu que, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Paris, 14 juin 1984), la société civile immobilière Résidence Brigitte, assurée par l’Union des Assurances de Paris (U.A.P.) a, en 1969, confié aux architectes C… et Z…, aux droits desquels se trouvent les consorts Z…, assistés des bureaux d’études OTH et BEPET, la construction d’un ensemble immobilier, que la société Petit, chargée du gros oeuvre, a sous traité à la société Samy l’ouverture de tranchées pour la pose de canalisations effectuée par la société Laurent X…, que la société Samy a procédé à l’application sur ces canalisations de Protexculate, produit destiné à en assurer l’isolation thermique, qui lui avait vendu par la Société Commerciale de Matériaux pour la Protection et l’Isolation (MPI), fabricant, que des fuites d’eau s’étant produites, les experts désignés en référé ont conclu en 1977 à une corrosion des canalisations imputables au Protexculate et aggravée par un mauvais remblaiement des tranchées, que l’U.A.P. a assigné la société MPI, les sociétés Petit, Samy et Laurent X…, MM. C… et Z… ainsi que les bureaux d’études, pour obtenir le remboursement de l’indemnité versée aux copropriétaires suivant quittance subrogative du 30 octobre 1980 ;

Attendu que la société MPI fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli cette demande avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 1980 sur le fondement de la responsabilité délictuelle, alors, selon le moyen, d’une part, que le maître de l’ouvrage ne dispose contre le fabricant de matériaux posés par un entrepreneur que d’une action directe pour la garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication et que cette action, nécessairement de nature contractuelle, doit être engagée dans un bref délai après la découverte du vice ; qu’en accueillant donc, en l’espèce, l’action engagée le 28 janvier 1980 par l’U.A.P., subrogée dans les droits du maître de l’ouvrage, pour obtenir garantie d’un vice découvert par les experts judiciaires le 4 février 1977 et indemnisé par l’U.A.P. le 30 octobre 1980, la Cour d’appel, qui s’est refusée à rechercher si l’action avait été exercée à bref délai, a violé, par fausse application, l’article 1382 du Code civil et, par défaut d’application, l’article 1648 du même Code ;

Mais attendu que le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; qu’il dispose donc à cet effet contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ; que, dès lors, en relevant que la Société Commerciale de Matériaux pour la Protection et l’Isolation (M.P.I.) avait fabriqué et vendu sous le nom de “Protexulate” un produit non conforme à l’usage auquel il était destiné et qui était à l’origine des dommages subis par la S.C.I. Résidence Brigitte, maître de l’ouvrage, la Cour d’appel qui a caractérisé un manquement contractuel dont l’U.A.P., substituée à la S.C.I., pouvait se prévaloir pour lui demander directement réparation dans le délai de droit commun, a, par ces motifs, légalement justifié sa décision ; […]

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi

?Portée de la décision d’assemblée plénière

Après l’intervention de l’assemblée plénière, la troisième chambre civile n’a eu d’autre choix que de se rallier à sa position.

C’est ce qu’elle a fait notamment dans un arrêt du 10 mai 1990 à l’occasion duquel elle a estimé que le maître de l’ouvrage, et les acquéreurs disposent « contre le fabricant ou le fournisseur d’une action contractuelle directe » (Cass. 3e civ. 10 mai 1990, n°88-14.478).

Cass. 3e civ. 10 mai 1990

Sur le moyen unique du pourvoi provoqué :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 26 juin 1987), que la société civile immobilière du Domaine des Grands Prés (SCI) a fait édifier, un groupe de pavillons, par la société Balency-Briard, actuellement société Sogéa, entrepreneur général, qui a posé des chassis ouvrants achetés à la société Roto-Franck qui les a fabriqués ; que des désordres tenant à des phénomènes de condensation sur ces chassis s’étant manifestés après réception et la vente des pavillons intervenues en 1976-1977, plusieurs acquéreurs ont assigné en réparation la SCI, l’entrepreneur général et le fabricant, et qu’il s’en est suivi des appels en garantie ; […]

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, qui est recevable :

Vu l’article 1147 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner la société Roto-Franck à indemniser les copropriétaires et à garantir la SCI, l’arrêt retient la responsabilité de la société Roto-Franck, en tant que fabricant et fournisseur des chassis affectés de désordres, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, à l’égard des tiers que sont pour elle le maître de l’ouvrage et ses acquéreurs ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la SCI, maître de l’ouvrage, et les acquéreurs disposaient contre le fabricant ou le fournisseur d’une action contractuelle directe, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré la société Roto-Franck responsable des désordres affectant les chassis et a prononcé condamnation contre elle, l’arrêt rendu le 26 juin 1987, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans

2.2 Seconde étape : la distinction entre les chaînes de contrats translatives de propriété et les chaînes non translatives de propriété

S’il ressort de la jurisprudence précédemment étudiée que la Cour de cassation a voulu étendre le domaine de l’action contractuelle dans les chaînes de contrats, ce, en refusant de distinguer selon que la chaîne était homogène ou hétérogène, ce mouvement extensif n’a pas été sans limite.

Un coup d’arrêt lui a été porté dans une décision rendue par l’assemblée plénière elle-même le 12 juillet 1991, plus connue sous le nom d’arrêt Besse, ce qui a conduit certains auteurs à se demander si cette dernière n’entendait pas revenir sur sa position initiale (Cass. ass. plén. 12 juill. 1991, n°90-13.602)

Les circonstances dans lesquelles l’assemblée plénière a été amenée à se prononcer cette fois-ci étaient toutefois sensiblement différentes de celles qui avaient entouré sa première décision.

Dans l’arrêt du 7 février 1986, il était, en effet, question d’une chaîne de contrats dite translative de propriété, en ce sens que la chose, objet des contrats successifs, est transférée d’un acquéreur à l’autre (Cass. ass. plén. 7 févr. 1986, n°84-15.189).

Tel n’était pas dans l’arrêt Besse, lequel portait sur une chaîne de contrats non-translative de propriété (contrat d’entreprise couplé à un contrat de sous-traitance).

Il peut néanmoins être noté que l’intervention de l’assemblée plénière a une nouvelle fois été provoquée par un conflit né entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

a. L’opposition entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation

i. La position de la première chambre civile

?Première étape

Dans un arrêt du 8 mars 1988, la première chambre civile a considéré au visa des anciens articles 1147 et 1382 du Code civil que « dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d’une action de nature nécessairement contractuelle, qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué » (Cass. 1ère civ. 8 mars 1988, n°86-18.182).

Ainsi, pour cette chambre de la Cour de cassation en matière de sous-traitance, l’action dont dispose le maître de d’ouvrage contre le sous-traitant est de nature contractuelle, alors même que ces derniers ne sont liés par aucun contrat, à tout le moins de façon directe.

Cass. 1ère civ. 8 mars 1988

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

Attendu que dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d’une action de nature nécessairement contractuelle, qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué ;

Attendu que la société Clic Clac Photo, qui avait reçu de M. X… des diapositives en vue de leur agrandissement, a chargé de ce travail la société Photo Ciné Strittmatter ; que cette dernière société ayant perdu les diapositives, l’arrêt attaqué a retenu sa responsabilité délictuelle vis-à-vis de M. X… ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1382 du Code civil, et par refus d’application l’article 1147 du même code ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 mai 1986, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen

?Seconde étape

La première chambre civile ne s’est pas arrêtée à la solution qu’elle venait d’adopter le 8 mars 1988, dont la portée était circonscrite à la seule sphère des contrats de sous-traitance.

Dans une décision remarquée du 21 juin 1988 (arrêt Saxby), elle a estimé que cette solution était applicable à l’ensemble des groupes de contrats, sans distinction (Cass. 1ère civ. 21 juin 1988, n°85-12.609).

Elle a jugé en ce sens que « dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial ; qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle, même en l’absence de contrat entre eux ».

Pour la première chambre civile, peu importe donc que l’on soit en présence d’une chaîne translative ou non de propriété : le principe de l’effet relatif ne fait pas obstacle à l’existence d’une relation contractuelle entre deux cocontractants extrêmes, soit entre des parties qui n’ont pas échangé leurs consentements.

Cass. 1ère civ. 21 juin 1988

Sur le premier moyen, pris en sa première branche du pourvoi de la société Saxby Manutention, moyen étendu d’office par application de l’article 12 du nouveau Code de procédure civile au pourvoi de la société Soderep et au pourvoi incident de la Commercial Union Assurance Company Limited, assureur de Saxby ;

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

Attendu que, dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial ; qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle, même en l’absence de contrat entre eux ;

Attendu qu’un avion de la compagnie norvégienne Braathens South American and Far East Airtransport, dite Braathens SAFE, a été endommagé pendant l’opération destinée à l’éloigner à reculons du point d’embarquement de ses passagers pour lui permettre de se diriger ensuite par ses propres moyens vers la piste d’envol ; qu’en effet, le tracteur d’Aéroports de Paris qui le refoulait s’étant brusquement décroché de la ” barre de repoussage ” attelée par son autre extrémité au train d’atterrissage, l’appareil et le tracteur sont entrés en collision ; que l’accident a eu pour origine une fuite d’air comprimé due à un défaut de l’intérieur du corps d’une vanne pneumatique fabriquée par la société Soderep et incorporée au système d’attelage de la barre au tracteur par la société Saxby, devenue depuis lors Saxby Manutention, constructeur et fournisseur de l’engin à Aéroports de Paris ; que la compagnie Braathens SAFE ayant assigné en réparation Aéroports de Paris ainsi que les sociétés Saxby Manutention et Soderep, l’arrêt attaqué a dit la demande non fondée en tant que dirigée contre le premier en raison de la clause de non-recours insérée dans le contrat d’assistance aéroportuaire liant la compagnie demanderesse à Aéroports de Paris ; qu’en revanche, il a déclaré les sociétés Saxby Manutention et Soderep, la première en raison, notamment, du mauvais choix de la vanne devant équiper le tracteur, responsables, chacune pour moitié, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ;

Attendu qu’en statuant ainsi par application des règles de la responsabilité délictuelle à l’égard des sociétés Soderep et Saxby Manutention, alors que, le dommage étant survenu dans l’exécution de la convention d’assistance aéroportuaire au moyen d’une chose affectée d’un vice de fabrication imputable à la première et équipant le tracteur fourni par la seconde à Aéroports de Paris, l’action engagée contre elles par la compagnie Braathens SAFE ne pouvait être que de nature contractuelle, la cour d’appel, qui ne pouvait donc se dispenser d’interpréter la convention d’assistance aéroportuaire, a, par refus d’application du premier et fausse application du second, violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois des sociétés Soderep et Saxby Manutention et du pourvoi incident de la Commercial Union Assurance Company Limited :

CASSE ET ANNULE, en ce qu’il a déclaré responsables, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, les sociétés Saxby Manutention et Soderep des conséquences dommageables de l’accident survenu le 10 juillet 1979 à l’aéroport de Paris-Orly, l’arrêt rendu le 14 février 1985, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

ii. La position de la troisième chambre civile

Comme elle l’avait fait en matière de chaîne de contrats hétérogène, la troisième chambre civile s’est vigoureusement opposée à la première chambre civile.

Pour ce faire, elle a rendu le 22 juin 1988 dans lequel elle a considéré que « l’obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices, à laquelle le sous-traitant est tenu vis-à-vis de l’entrepreneur principal, a pour seul fondement les rapports contractuels et personnels existant entre eux et ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage, qui est étranger à la convention de sous-traitance » (Cass. 3 civ. 22 juin 1988, n°86-16.263).

Pour la troisième chambre civile, dans les groupes de contrats, les cocontractants extrêmes doivent autrement dit être regardés comme des tiers l’un pour l’autre.

L’un ne saurait, en conséquence, engager contre l’autre une action sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Seul le fondement de la responsabilité délictuelle est susceptible d’être invoqué.

Cass. 3e civ. 22 juin 1988

Sur le moyen unique

Attendu qu’ayant chargé de l’édification d’une maison individuelle la Société Corelia-Constructions, mise par la suite en état de liquidation des biens avec M. Guerin pour syndic, M. et Mme Jollivet font grief à l’arrêt attaqué (Pau, 4 juin 1986) d’avoir rejeté, en se plaçant sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la demande en réparation de malfaçons, qu’ils avaient formée contre M. Dupeyrou, sous-traitant de l’entreprise pour les travaux de charpente-couverture, et de les avoir condamnés à payer à ce dernier une somme excessive en paiement de travaux qu’ils lui avaient directement commandés,

Alors, selon le moyen, que, « d’une part, le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur et dispose, à cet effet, contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée, qu’en l’espèce, les époux Jollivet ne pouvaient être privés de cette action contractuelle directe contre M. Dupeyrou, n’ayant pas livré un arbalétrier et des éléments de charpente ou menuiserie conformes aux spécifications du marché de construction de la maison, qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué, qui a méconnu l’obligation de résultat pesant sur M. Dupeyrou et les conséquences des malfaçons constatées, a violé l’article 1147 du Code civil, ensemble et par fausse application l’article 1382 du même code, alors que, d’autre part, l’expert commis ayant retenu que les travaux concernant les solives, supports et pose de menuiserie, évaluées à 4.016,04 francs, étaient déjà compris dans le devis de M. Dupeyrou, l’arrêt attaqué ne pouvait lui accorder la même somme au titre d’un supplément de travaux à la charge des époux Jollivet, que le double emploi qui en résulte, au détriment des maîtres de l’ouvrage, aboutit à une violation de l’article 541 de l’ancien Code de procédure civile, encore en vigueur à la date de ces travaux » ;

Mais attendu, d’une part, que l’obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices, à laquelle le sous-traitant est tenu vis-à-vis de l’entrepreneur principal, a pour seul fondement les rapports contractuels et personnels existant entre eux et ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage, qui est étranger à la convention de sous-traitance ;

Attendu, d’autre part, que M. et Mme Jollivet n’ayant pas soutenu que la somme que leur réclamait M. Dupeyrou au titre des solives et support et de la pose des menuiseries se rapportaient à des travaux qui avaient été compris dans le devis, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ; D’où il suit que le moyen, qui est, pour partie, mal fondé, est pour le surplus irrecevable ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

b. L’intervention de l’assemblée plénière : l’arrêt Besse

Dans l’arrêt Besse du 12 juillet 1991, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a, à nouveau, été appelée à trancher le conflit qui opposait la première chambre à la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

Toutefois, cette fois-ci, c’est à la seconde de deux chambres qu’elle a donné raison. Elle a estimé, s’agissant d’un contrat de sous-traitance et au visa de l’article 1165 du Code civil, ancien siège du principe de l’effet relatif, que « le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage ».

Cass. ass. plén. 12 juill. 1991

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1165 du Code civil ;

Attendu que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que plus de 10 années après la réception de l’immeuble d’habitation, dont il avait confié la construction à M. X…, entrepreneur principal, et dans lequel, en qualité de sous-traitant, M. Z… avait exécuté divers travaux de plomberie qui se sont révélés défectueux, M. Y… les a assignés, l’un et l’autre, en réparation du préjudice subi ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes formées contre le sous-traitant, l’arrêt retient que, dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d’une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l’engagement du débiteur substitué ; qu’il en déduit que M. Z… peut opposer à M. Y… tous les moyens de défense tirés du contrat de construction conclu entre ce dernier et l’entrepreneur principal, ainsi que des dispositions légales qui le régissent, en particulier la forclusion décennale ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande dirigée contre M. Z…, l’arrêt rendu le 16 janvier 1990, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims

?Faits

Un maître d’ouvrage confie à un entrepreneur principal la construction d’un immeuble.

De son côté, l’entrepreneur principal délègue les travaux de plomberie à un sous-traitant

L’installation effectuée par ce dernier va toutefois se révéler défectueuse.

?Demande

Le maître d’ouvrage assigne en dommages et intérêts :

  • L’entrepreneur principal
  • Le sous-traitant

?Procédure

Par un arrêt du 16 janvier 1990, la Cour d’appel de Nancy déboute le maître d’ouvrage de son action formée contre le sous-traitant.

Les juges du fond estiment que dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d’une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l’engagement du débiteur substitué

Or en l’espèce, le sous-traitant pouvait opposer à l’entrepreneur principal la forclusion décennale.

La Cour d’appel en déduit que ladite forclusion pouvait également être opposée au maître d’ouvrage en raison de la nature contractuelle de son action.

?Solution

Par un arrêt du 12 juillet 1991, l’assemblée plénière casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’ancien article 1165 du Code civil.

La Cour de cassation estime que, en l’espèce, le sous-traitant n’était pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage, de sorte que la forclusion décennale ne lui était pas opposable.

Cela signifie, par conséquent, que l’action dont dispose le sous-traitant contre le maître d’ouvrage est de nature délictuelle.

La Cour de cassation fait ici une application stricte du principe de l’effet relatif.

Le maître d’ouvrage n’étant pas contractuellement lié au sous-traitant, les exceptions qui affectent le contrat conclu entre ce dernier et l’entrepreneur principal ne lui sont pas opposables.

?Analyse

Si, de toute évidence, le raisonnement adopté par la Cour de cassation dans cette décision est imparable, il n’en a pas moins été diversement apprécié par la doctrine.

Immédiatement après l’arrêt Besse la question s’est posée de savoir si la Cour de cassation entendait revenir sur sa position adoptée dans l’arrêt du 7 février 1986 ou si elle souhaitait seulement limiter le domaine de l’action contractuelle dans les chaînes de contrat en introduisant la distinction entre les chaînes translatives et non-translatives de propriété.

Ainsi, deux interprétations étaient envisageables :

  • Première interprétation
    • On pouvait d’abord voir dans cette nouvelle décision d’assemblée plénière un revirement de jurisprudence, dans la mesure où cinq ans plus tôt la même assemblée avait affirmé de manière fort explicite que le maître d’ouvrage « dispose […] contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée » ?
    • Une lecture rapide de l’arrêt pouvait conduire à le penser.
    • Toutefois, l’analyse des faits révèle que les circonstances de l’arrêt Besse n’étaient pas les mêmes que dans l’arrêt du 7 février 1986.
    • Dans cette décision, on était, en effet, en présence d’une chaîne de contrat translative de propriété, en ce sens que les droits réels exercés sur la chose étaient transférés d’un acquéreur à l’autre.
    • Tel n’était pas le cas dans l’arrêt Besse.
    • Il s’agissait d’un contrat d’entreprise couplé à un contrat de sous-traitance.
    • Aussi, cette chaîne de contrats n’était nullement translative de propriété
  • Seconde interprétation
    • L’assemblée plénière est simplement venue mettre un terme à l’opposition qui s’était instauré entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation sur les chaînes de contrats non-translatives de propriété.
    • Dans cette perspective, certains auteurs ont suggéré qu’en matière de chaîne de contrats, il convenait dorénavant de distinguer selon que la chaîne était translative ou non translative de propriété.
      • Les chaînes de contrats translatives de propriété
        • Dans cette hypothèse, les accessoires attachés à la chose sont transférés d’acquéreur en acquéreur ce qui dès lors permettra à l’acquéreur final d’agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle contre le vendeur initial.
        • En contrepartie, ce dernier sera fondé à opposer au sous-acquéreur les mêmes exceptions qu’il peut invoquer à l’encontre de son cocontractant.
      • Les chaînes de contrats non-translatives de propriété
        • Dans cette hypothèse, les accessoires attachés à la chose ne pourront pas, par définition, être transférés aux contractants subséquents, si bien qu’ils ne disposeront contre les contractants extrêmes que d’une action de nature délictuelle.
        • Cette situation ne sera cependant pas sans avantage pour eux dans la mesure où ils ne pourront pas se voir opposer les exceptions affectant les contrats dont ils ne sont pas parties.
    • Il ressort des arrêts rendus postérieurement à cet arrêt d’assemblée plénière que c’est la seconde interprétation qu’il fallait retenir.
    • Dans un arrêt du 23 juin 1993, la première chambre civile a par exemple jugé que « le maître de l’ouvrage dispose contre le fabricant d’une action contractuelle » (Cass. 1ère civ. 23 juin 1993, n°91-18.132).
    • Il s’agissait en l’espèce d’une chaîne translative de propriété (contrat de vente + contrat d’entreprise).
    • À l’inverse, dans un arrêt du 16 février 1994, la même chambre a estimé que, en matière de chaîne non translative de propriété, l’action était nature délictuelle.
    • Depuis ces arrêts, il convient donc de distinguer selon que la chaîne est translative ou non de propriété.

c. Le trouble semé par un arrêt du 22 mai 2002

Un arrêt rendu le 22 mai 2002 par la chambre commerciale est venu jeter le trouble sur la jurisprudence Besse (Cass. com. 22 mai 2002, n°99-11.113).

La Cour de cassation a, en effet, estimé dans cette décision que l’action dont disposait un maître d’ouvrage contre le sous-traitant était de nature contractuelle, alors même que c’est la solution inverse qui avait été adoptée dans l’arrêt Besse.

Si toutefois, l’on prête attention à la motivation de la Cour de cassation, celle-ci semble maintenir la distinction entre les chaînes translatives et non translatives de propriété.

Elle considère en ce sens que « si le maître de l’ouvrage qui agit contre le sous-traitant exerce l’action que le vendeur intermédiaire lui a transmise avec la propriété de la chose livrée, le sous-traitant, qui n’est pas lié contractuellement au maître de l’ouvrage, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le contrat principal passé entre le maître de l’ouvrage et le vendeur intermédiaire ».

Aussi, cette solution ne doit, en aucune manière, être interprétée comme remettant en cause la solution dégagée dans l’arrêt Besse. La motivation retenue par la Cour de cassation est tout au plus maladroite.

Au, vrai, cet arrêt révèle la difficulté qu’il y a à déterminer si une chaîne de contrat réalise ou non un transfert de propriété, spécialement lorsqu’elle comporte un contrat d’entreprise ce qui était le cas en l’espèce.

Cass. com. 22 mai 2002

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 1998), que la société Qatar Petrochemical Cy Ltd (la société QAPCO) a confié, dans le courant de l’année 1977 à la société Technip la réalisation d’un complexe pétrochimique au Qatar ; que, suivant bon de commande du 28 novembre 1977 faisant expressément référence aux conditions particulières du contrat 5521 B datées du mois d’avril 1977, la société Technip a demandé à la société Alsthom la fourniture d’un turbo associé à un compresseur ; qu’à la suite de deux incidents survenus le 17 janvier 1984 et le 20 janvier 1986, la société Qapco et ses assureurs ont judiciairement demandé que la société Alsthom soit déclarée responsable des vices cachés affectant la turbine et condamnée à réparer le préjudice en résultant ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Alsthom fait grief à l’arrêt d’avoir dit qu’elle était tenue de réparer l’intégralité des dommages subis par la société Qapco et ses assureurs subrogés et de l’avoir condamnée à leur payer diverses sommes au titre des préjudices subis, alors, selon le moyen […]

Mais attendu, d’une part, qu’après avoir exposé que la société Alsthom avait reçu, de la société Technip, commande du turbo-compresseur le 28 novembre 1977, l’arrêt relève que seules les conditions particulières du contrat 5521 B étaient reprises dans cette commande du 28 novembre 1977 à l’exclusion des conditions générales du contrat principal liant Qapco à la société Technip ; que, dès lors, contrairement aux allégations du moyen, la cour d’appel, en se fondant, pour condamner Alsthom au profit de la société Qapco, sur l’article 11-1 des conditions particulières du contrat 5521 B, n’a pas admis la société Qapco à se prévaloir à l’encontre d’Alsthom des stipulations liant la société Qapco à la société Technip ; que le moyen manque en fait ;

Attendu, d’autre part, que, si le maître de l’ouvrage qui agit contre le sous-traitant exerce l’action que le vendeur intermédiaire lui a transmise avec la propriété de la chose livrée, le sous-traitant, qui n’est pas lié contractuellement au maître de l’ouvrage, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le contrat principal passé entre le maître de l’ouvrage et le vendeur intermédiaire ; qu’ayant retenu que l’action du sous-acquéreur était celle de son auteur, à savoir celle du vendeur intermédiaire contre son vendeur originaire, la cour d’appel a justement décidé que la société Alsthom ne pouvait opposer que la clause limitative de responsabilité figurant dans le contrat qu’elle avait conclu avec la société Technip, vendeur intermédiaire ;

Et attendu, enfin, que l’arrêt retient que Qapco et ses assureurs subrogés étaient bien fondés à rechercher la garantie légale de l’entrepreneur et que, le contrat d’entreprise conclu par la société Alsthom ayant eu pour objet de transmettre la propriété de la chose, l’entrepreneur se trouvait tenu d’une obligation de résultat qui emportait présomption de faute et présomption de causalité ; qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas appliqué à la société Alsthom une clause relative à la garantie légale du vendeur ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

II) L’opposabilité du contrat

Conformément au principe de l’effet relatif le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge des parties. Est-ce qu’il ne produit aucun effet à l’égard des tiers ? C’est toute la question de l’opposabilité du contrat.

?Silence du Code civil

Bien que l’article 1199 du Code civil interdise de rendre les tiers créanciers ou débiteur d’une obligation stipulée par les contractants, l’exécution de l’acte n’en est pas moins susceptible d’avoir des répercussions sur leur situation personnelle.

Aussi, la question s’est-elle rapidement posée de savoir quel rapport les tiers entretiennent-ils avec le contrat.

Initialement, le Code civil était silencieux sur cette question. L’article 1165 se limitait à énoncer que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. »

Pour une partie de la doctrine cette règle était incomplète. René Savatier a écrit en ce sens que « cette conception simpliste d’une liberté absolue de l’individu ne tient pas suffisamment compte des liens qui rattachent inévitablement les uns aux autres tous les membres d’une société [où] les affaires de chacun, auprès d’un côté individuel, ont aussi un côté social. Il faut donc reconnaître qu’elles ne concernent pas seulement celui qui y préside, mais à certains points de vue la société et, par conséquent, les tiers »[14].

D’autres auteurs ont encore affirmé que « se prévaloir de ce qu’une personne a passé un contrat et même de ce qu’elle ne l’a pas exécuté, c’est se prévaloir d’un pur fait, qui existe en tant que fait, donc à l’égard de tous ».

?Consécration jurisprudentielle

La Cour de cassation n’est pas, manifestement, demeurée indifférente à ces critiques puisqu’elle a affirmé le principe de l’opposabilité du contrat au tiers à de nombreuses reprises.

Dans un arrêt du 6 février 1952 la Cour de cassation a, de la sorte, considéré que « si, en principe, les conventions ne sont pas opposables à ceux qui n’y ont pas été parties, il ne s’ensuit pas que le juge ne puisse pas rechercher dans les actes étrangers à l’une des parties en cause des renseignements de nature à éclairer sa décision, ni ne puisse considérer comme une situation de fait vis-à-vis des tiers les stipulations d’un contrat » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 1952).

Cette solution a été réaffirmée, par exemple, dans un arrêt du 22 octobre 1991 où elle estime que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

Cass. com. 22 oct. 1991

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1165 du Code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué, que la Société industrielle et forestière en Afrique Centrale (Sifac) et la société Industries forestières Batalimo (IFB), dont M. Jacques X… présidait les conseils d’administration, étaient titulaires de comptes courants dans les livres de la Banque internationale pour l’Afrique Occidentale à Bangui (BIAO Centrafrique) et dans ceux de l’agence de la Banque internationale pour l’Afrique Occidentale à Pointe-Noire, en République populaire du Congo (BIAO) ; qu’à la suite de l’expropriation de ses avoirs au Congo, la BIAO a, le 14 août 1974, signé une convention aux termes de laquelle, notamment, la Banque commerciale congolaise (BCC) devait, dans un certain délai, lui signifier la liste des créances qu’elle ne reprenait pas, les autres créances étant, passé ce délai, considérées comme acquises par cette banque ; qu’après l’expiration du délai, la BIAO a inscrit au débit des comptes des sociétés Sifac et IFB ouverts à la BIAO Centrafrique, les montants des soldes débiteurs des comptes de ces sociétés dans les livres de son agence de Pointe-Noire ; que Jacques X… et Jeanine Y…, son épouse, se sont portés cautions, au profit de la BIAO, des dettes des deux sociétés ;

Attendu que, pour condamner les époux X… à payer diverses sommes à la BIAO en exécution de leurs engagements de cautions, l’arrêt, après avoir relevé que ceux-ci ” invoquent le protocole passé entre la Banque commerciale congolaise et la BIAO pour soutenir que la BCC n’ayant pas rejeté les créances dans le délai, seule cette dernière en est titulaire “, retient que, ” n’étant pas partie à cette convention qui n’a pas été faite dans leur intérêt, ils ne peuvent s’en prévaloir ” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que, s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 juillet 1989, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier

Ainsi, pour la Cour de cassation, le contrat est opposable aux tiers car il constitue une situation de fait qu’ils ne sauraient ignorer.

La conséquence est double :

  • En premier lieu, les tiers ne doivent pas faire obstacle à l’exécution du contrat
  • En second lieu, les tiers peuvent se prévaloir du contrat à l’encontre des parties

Appliquée régulièrement par la jurisprudence, cette règle a été consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme des obligations.

?Intervention du législateur

Aux termes du nouvel article 1200 du Code civil, d’une part, « les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat », d’autre part, « ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait. »

Il ressort de cette disposition que, opposable aux tiers par les parties, la situation juridique née du contrat l’est aussi par les tiers aux parties.

Deux principes sont ainsi posés par à l’article 1200 du Code civil.

A) L’opposabilité du contrat aux tiers

1. Principe

L’article 1200, al. 1er énonce le principe selon lequel les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat

Cela signifie que les parties peuvent se prévaloir de la convention à l’encontre de personnes qui, par définition, ne l’ont pas conclue.

Cette possibilité dont disposent les contractants d’opposer le contrat aux tiers est susceptible de se rencontrer dans plusieurs situations :

?L’acte porte sur un droit réel

Dans cette hypothèse, qu’il s’agisse d’une constitution de droit réel ou d’un transfert de droit réel, l’opération conclue par les parties est opposable erga omnes.

Dans un arrêt du 22 juin 1864 la Cour de cassation a affirmé en ce sens :

  • D’une part, que « la propriété des biens s’acquiert et se transmet par l’effet des obligations, et que les contrats qui lui servent de titre et de preuve sont ceux qui sont passés entre l’acquéreur et le vendeur ».
  • D’autre part, « que le droit de propriété serait perpétuellement ébranlé si les contrats destinés à l’établir n’avaient de valeur qu’à l’égard des personnes qui y auraient été parties, puisque, de l’impossibilité de faire concourir les tiers à des contrats ne les concernant pas, résulterait l’impossibilité d’obtenir des titres protégeant la propriété contre les tiers » (Cass. civ. 22 juin 1864).

Ainsi, le contrat pourra-t-il toujours être utilisé par les parties comme mode de preuve d’un droit réel.

Cass. civ. 22 juin 1864

Vu les articles 711 et 1165 du X… Napoléon ;

Attendu qu’il a été reconnu, en fait, par les deux jugements de première instance dont l’arrêt attaqué a adopté les motifs, qu’à consulter l’acte de partage du 15 octobre 1812 et l’adjudication du 25 novembre 1855, titres invoqués par Z…, la réclamation par laquelle il revendique cette portion de haie séparant sa propriété de celle de Y… se trouve clairement établie et devrait être accueillie ;

Attendu que, s’appuyant sur ce que le partage de 1812, étranger à Y… et à ses auteurs, ne ferait pas absolument foi contre eux, le jugement préparatoire a admis les parties à faire preuve des faits de possession et de prescription, respectivement invoqués par elles, et subsidiairement par le demandeur ;

Attendu que le jugement définitif, en reconnaissant des actes de jouissance de la part de l’une et l’autre partie, a déclaré insuffisante l’enquête du demandeur, préférable celle du défendeur, et a, en conséquence, rejeté comme mal fondée la demande en revendication formée par Z… ;

Attendu qu’il ne résulte, ni du dispositif, ni des motifs de ce jugement, que la possession de Y… ou de ses auteurs ait été, pendant une durée de trente années, continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ;

Attendu que la possession de Y… n’aurait pu prévaloir sur les titres de Z… que si elle avait eu soit ce commencement, soit cette durée ; que ni l’un ni l’autre de ces caractères ne lui sont attribués par l’arrêt attaqué, et que, dans l’état des faits déclarés par cet arrêt, l’unique question qui reste à examiner est celle de savoir si les titres de Z…, quoique reconnus probants en eux-mêmes, ont à bon droit été écartés par le motif qu’ils étaient étrangers à Y… et à ses auteurs ;

Attendu qu’aux termes de l’article 711 du X… Napoléon, la propriété des biens s’acquiert et se transmet par l’effet des obligations, et que les contrats qui lui servent de titre et de preuve sont ceux qui sont passés entre l’acquéreur et le vendeur ;

Que le droit de propriété serait perpétuellement ébranlé si les contrats destinés à l’établir n’avaient de valeur qu’à l’égard des personnes qui y auraient été parties, puisque, de l’impossibilité de faire concourir les tiers à des contrats ne les concernant pas, résulterait l’impossibilité d’obtenir des titres protégeant la propriété contre les tiers ;

Attendu que, déclarer opposables aux tiers les titres réguliers de propriété, ce n’est aucunement prétendre qu’il peut résulter de ces titres une modification quelconque aux droits des tiers, et qu’ainsi la règle de l’article 1165, qui ne donne effet aux conventions qu’entre les contractants, est ici sans application ;

D’où il suit qu’en faisant prévaloir, sur les titres produits par Z…, les faits de possession tels qu’ils sont constatés dans l’espèce, et en rejetant ainsi la demande en revendication formée par Z…, l’arrêt attaqué a faussement appliqué l’article 1165 du X… Napoléon, et violé tant ledit article que l’article 711 du même code,

CASSE,

Ainsi jugé et prononcé

?L’acte porte sur une institution

Cette hypothèse vise les contrats qui créent une situation institutionnelle entre les parties à l’acte.

Tel est le cas du mariage, de l’adoption, du divorce ou encore de l’acte constitutif d’une société.

Dès lors que la situation créée entre les parties a fait l’objet des formalités de publicité requises, elle devient opposable à tous.

?L’acte porte sur un droit de créance

Le contrat ne crée, certes, d’obligations qu’à la charge des seules parties

Cette situation juridique ainsi créée n’en est pas moins opposable aux tiers.

Cela signifie, concrètement, que les tiers ne sauraient faire obstacle à l’exécution contrat.

Dans un arrêt du 26 janvier 1999, la Cour de cassation a, dans cette perspective, considéré que « le contractant, victime d’un dommage né de l’inexécution d’un contrat peut demander, sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la réparation de ce préjudice au tiers à la faute duquel il estime que le dommage est imputable » (Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999, n°96-20.782).

Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999

Attendu que M. Le Bourg, commissaire aux comptes, désirant prendre sa retraite, a, par un acte du 2 avril 1984, constitué avec MM. Bertrand et André X… ce dernier décédé en cours de procédure et aux droits de qui viennent M. Bertrand X… et les consorts X… une société civile professionnelle (la SCP) dont il a été nommé gérant et à laquelle il devait ” céder sa clientèle ” ; que le contrat de cession intervenu le 17 septembre 1984 n’a pu se réaliser en février 1985, comme il en avait été convenu, en raison des dissensions qui étaient apparues entre M. Le Bourg et M. Bertrand X…, son principal associé, quant aux conditions de mise en oeuvre de la convention ; que, conformément aux statuts de la SCP, les parties ont saisi la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris pour arbitrer le litige et une sentence arbitrale du 13 février 1985 a prononcé la dissolution de la SCP ; que M. Le Bourg a alors agi pour faire constater la caducité du contrat de cession et ordonner la liquidation de la SCP ; que, statuant sur renvoi après cassation, un arrêt du 14 septembre 1994 a renvoyé l’affaire à la mise en état pour permettre aux parties de conclure au fond, à la suite de quoi M. Le Bourg a soutenu que la rupture des relations contractuelles était exclusivement imputable à M. Bertrand X… et a demandé en conséquence, du fait de la ” caducité ” de la convention et des fautes de ce dernier, de le condamner à lui payer une somme de 100 000 francs, au titre de ” l’immobilisation de sa clientèle ” pendant plus de trois ans, et une autre somme de 100 000 francs, en réparation des divers inconvénients liés à l’échec de l’opération, ainsi qu’à lui rembourser des honoraires perçus sans contrepartie ; que M. X… a reconventionnellement demandé l’allocation de différentes sommes ; que l’arrêt attaqué, rendu en suite de celui du 14 septembre 1994, a dit que les frais de liquidation de la SCP seraient supportés par les associés dans les proportions de leurs droits sociaux, et a déclaré les autres demandes des parties irrecevables […]

Sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes de dommages-intérêts formées par M. Le Bourg contre M. X…, l’arrêt énonce que c’est à la SCP et non à M. B. X… que M. Le Bourg a cédé la clientèle de son cabinet par acte du 17 septembre 1984 et que, même s’il est constant que la rupture de cette convention a bien été la conséquence de comportements personnels, il reste que les responsabilités encourues et les conséquences à en tirer ne sauraient être jugées qu’à l’encontre de la SCP, partie au contrat litigieux et représentée par son liquidateur, à charge par ce dernier de répercuter ultérieurement les condamnations éventuelles à intervenir dans le cadre de la liquidation des droits de chacun et sauf à soumettre au juge les litiges qui pourraient subsister ;

Attendu cependant que le contractant, victime d’un dommage né de l’inexécution d’un contrat peut demander, sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la réparation de ce préjudice au tiers à la faute duquel il estime que le dommage est imputable […]

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a dit que les frais de cette liquidation seraient supportés par les associés dans les proportions de leurs droits sociaux, et en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de M. Le Bourg tendant à l’allocation de dommages-intérêts au titre de ” l’immobilisation de sa clientèle ” et des inconvénients divers liés à la non-réalisation de la cession, au remboursement d’une somme de 60 000 francs versée à M. X… à titre d’honoraires, ainsi qu’à celui d’une quote-part des frais de fonctionnement du cabinet de M. Le Bourg, l’arrêt rendu le 2 juillet 1996, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Lorsqu’un tiers compromet l’exécution d’un contrat, cette intervention est constitutive d’une faute susceptible d’engager sa responsabilité.
    • Cela suppose toutefois de démontrer l’existence, d’une part, d’un préjudice et, d’autre part, d’un lien de causalité entre ce préjudice et l’inexécution contractuelle.
  • Second enseignement
    • La réparation du préjudice causé au cocontractant victime de l’inexécution du contrat devra être recherchée sur le terrain de la responsabilité délictuelle.
    • Cette solution se justifie par le fait que, par définition, le tiers n’est pas partie au contrat.
    • Aussi, l’obligation qui lui échoit consiste, non pas à respecter les termes du contrat, mais à ne pas entraver sa bonne exécution.
    • Il ressort de la jurisprudence qu’il importe peu que l’inexécution contractuelle soit le fait du seul tiers ou que celui-ci se soit rendu complice des agissements de l’un des contractants (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 janv. 1963).
    • Dans cette dernière hypothèse, la victime pourra cumulativement agir :
      • D’abord, contre le tiers, sur le fondement de la responsabilité délictuelle
      • Ensuite, contre son cocontractant sur le fondement de la responsabilité contractuelle

2. Exception : la simulation

a. La notion de simulation

La possibilité pour les parties d’opposer le contrat aux tiers n’est pas sans limite.

Dans le droit fil des règles édictées antérieurement à la réforme des obligations, le législateur a prévu à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 que l’acte conclu par les contractants était inopposable aux tiers en cas de simulation.

La notion de simulation est présentée à l’article 1201 du Code civil qui prévoit que « lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre ».

Par simulation, il faut donc entendre l’opération qui consiste pour les parties à conclure simultanément deux actes dont les contenus différèrent.

Tandis que le premier acte est apparent, soit qu’il a été conclu au vu et au su des tiers, le second est quant à lui occulte en ce sens qu’il a vocation à demeurer secret.

La véritable intention des parties résidant dans ce dernier acte, très tôt, tant le législateur que la jurisprudence a estimé que l’acte occulte devait faire l’objet d’une appréhension juridique particulière, à tout le moins qu’il ne pût pas produire les mêmes effets que l’acte apparent.

b. Les formes de simulation

?L’acte fictif

L’acte fictif consiste pour les parties à simuler la conclusion d’un acte qui, en réalité, n’existe pas.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente et, dans le même temps, conviennent que cet acte n’opérera aucun transfert de propriété.

L’opération est ici purement fictive, dans la mesure où ses auteurs ont simplement voulu donner à l’acte qu’ils ont conclu l’apparence d’un contrat de vente, alors que, en réalité, il n’existe pas.

?L’acte déguisé

L’acte déguisé consiste pour les parties à conférer à un acte une fausse qualification.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente immobilière et conviennent, dans le même temps, que le prix ne sera, soit jamais réclamé, soit sera dérisoire.

Dans cette hypothèse, les parties choisissent délibérément de déguiser sous une autre qualification (la vente) la véritable opération qu’elles entendent conclure (une donation).

?L’interposition de personnes

Il s’agit de la manœuvre qui consiste à dissimuler l’identité du véritable contractant derrière un prête-nom.

Exemple : un bailleur consent un bail à usage d’habitation à un preneur, qui concomitamment, convient avec tiers qu’il lui concédera la jouissance des lieux.

c. Les effets de la simulation

i. À l’égard des parties la validité de l’acte occulte

?Principe

Il a toujours été admis que dès lors que les parties ont échangé leurs consentements l’acte conclu doit être regardé comme valable, quand bien même il n’a fait l’objet d’aucune révélation aux tiers.

Cette règle est exprimée à l’article 1201 du Code civil qui énonce : « le contrat occulte […] produit effet entre les parties », à supposer qu’il remplisse les conditions prévues par la loi

?Conditions

  • S’agissant des conditions de fond
    • Pour être valable, le contrat occulte doit remplir
      • Les conditions communes à tous les actes juridiques, notamment celles énoncées à l’article 1128 du Code civil.
      • Les conditions propres à l’acte dont il endosse la qualification.
    • Toutefois, pour être valable, il n’est pas nécessaire que l’acte occulte satisfasse aux conditions de validité de l’acte apparent
  • S’agissant des conditions de forme
    • Contrairement à l’acte apparent, l’acte occulte est dispensé de remplir des conditions de forme quand bien même elles seraient requises à peine de nullité.
    • Il en va ainsi d’une donation fictive qui n’aurait pas été conclue en la forme authentique comme exigé par la loi.

?Exception : la fraude

Si, en principe, l’acte simulé est valide entre les parties, il n’en va pas lorsqu’il est l’instrument d’une fraude.

L’article 1202 du Code civil énumère deux sortes d’actes occultes qui sont irréfragablement présumés frauduleux :

  • D’une part, « est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel. »
  • D’autre part, « est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. »

En dehors de ces deux hypothèses, l’acte occulte demeure valide (V. en ce sens Cass. 3e civ. 20 mars 1996), sauf à établir l’existence d’une fraude.

Quant au contrat apparent il n’encourra jamais la nullité.

ii. À l’égard des tiers : l’inopposabilité de l’acte occulte

Parce que la véritable intention des parties a été cachée aux tiers, l’acte occulte leur est inopposable en ce sens qu’il ne saurait produire aucun effet à leur endroit.

L’article 1201 du Code civil prévoit en ce sens que l’acte occulte « n’est pas opposable aux tiers »

Ainsi cette règle constitue-t-elle une exception au principe général d’opposabilité des conventions.

Elle se justifie par l’apparence créée par l’acte ostensible qui a trompé les tiers sur la véritable intention des parties.

Quid dans l’hypothèse où les tiers connaissaient ou auraient dû connaître l’acte secret ?

En pareil cas, l’acte ne revêt plus aucun caractère occulte, de sorte qu’il leur redevient opposable.

B) L’opposabilité du contrat par les tiers

Dès lors qu’il est admis que le contrat est opposable aux tiers, il serait injuste de dénier une application de ce principe en sens inverse.

C’est la raison pour laquelle l’article 1200 du Code civil autorise les tiers à se prévaloir de l’acte conclu à l’encontre des parties.

L’exercice de cette prérogative conférée aux tiers se rencontrera dans deux situations distinctes :

1. L’invocation de l’acte aux fins de rapporter la preuve d’un fait

Cette possibilité est expressément envisagée par l’article 1200 du Code civil.

La Cour de cassation avait notamment exprimé cette règle dans un arrêt du 22 octobre 1991.

Dans cette décision elle considère que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

En défense, la partie contre qui est produit l’acte peut toutefois opposer au tiers sa nullité.

Elle a affirmé en ce sens dans un arrêt du 21 février 1995 que « la victime d’un dol est en droit d’invoquer la nullité du contrat vicié contre le tiers qui se prévaut de celui-ci » (Cass. 1ère civ. 21 févr. 1995, n°92-17.814).

2. L’invocation de l’acte aux fins d’engager la responsabilité des parties

a. Principe

Il est des situations où l’exécution d’un contrat occasionnera un préjudice aux tiers.

Exemples :

    • Le vice de construction affectant une automobile a provoqué un accident dans lequel un tiers a été blessé
    • Dans le cadre de l’exécution d’un contrat de bail, le preneur dégrade les parties communes d’un immeuble

Très tôt, la jurisprudence a admis que le tiers peut invoquer un contrat pour rechercher la responsabilité d’une partie, lorsqu’il subit un préjudice du fait de la mauvaise exécution du contrat.

Dans un arrêt du 22 juillet 1931, la Cour de cassation a considéré que « si dans les rapports des parties entre elles, les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil ne peuvent en principe être invoquées pour le règlement de la faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un engagement contractuel, elles reprennent leur empire au regard des tiers étrangers au contrat » (Cass. civ. 22 juill. 1931)

Ainsi, l’opposabilité du contrat, en tant que situation de fait, induit la faculté pour les tiers, dans l’hypothèse de la méconnaissance de cette situation par ceux qui l’ont créée, d’en obtenir la sanction juridique en se plaçant sur le terrain délictuel.

b. Conditions

Si le bien-fondé de l’action en responsabilité délictuelle dont est titulaire le tiers à l’encontre de la partie au contrat auteur du dommage n’a jamais été discuté, il n’en a pas été de même pour ses conditions de mise en œuvre.

Un débat est né autour de la question de savoir si, en cas de préjudice occasionné aux tiers, la seule inexécution contractuelle suffisait à engager la responsabilité du contractant fautif où s’il fallait, en outre, que caractériser de manière distinction l’existence d’une faute délictuelle.

Il ressort de la jurisprudence une opposition entre la chambre commerciale et la première chambre civile, ce qui a donné lieu à l’intervention de l’assemblée plénière.

?La position de la chambre commerciale : le refus d’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

La chambre commerciale a estimé de manière constante que l’établissement de la seule inexécution du contrat ne suffisait pas à établir une faute de nature à engager la responsabilité de la partie au contrat qui, dans le cadre de l’exécution de ses obligations, a causé un dommage à un tiers.

Dans un arrêt du 5 avril 2005, elle a estimé en ce sens « qu’un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui » (Cass. com. 5 avr. 2005, n°03-19.370).

Ainsi, pour la chambre commerciale, pour que le tiers victime de la mauvaise exécution du contrat puisse rechercher la responsabilité du contractant fautif il est nécessaire qu’il rapporte la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle.

Cette solution repose sur l’idée que le principe de l’effet relatif des conventions fait obstacle à ce qu’un tiers au contrat puisse tirer profit d’une faute contractuelle laquelle ne peut être invoquée que par les seules parties à l’acte.

Cass. com. 5 avr. 2005

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société d’exploitation française de recherches Bioderma (la SEFRB) a consenti à la société Lyonnaise pharmaceutique (la société Lipha) une licence exclusive de commercialisation de produits cosmétiques ; que la société Merck ayant pris le contrôle de la société Lipha, cette dernière s’est engagée à s’abstenir de toute concurrence envers la SEFRB durant deux ans ; que la société Bioderma, filiale de la société SEFRB, créée après l’intervention de ce protocole afin de reprendre la commercialisation des produits, a poursuivi la société Lipha, aux droits de laquelle est désormais la société Merck santé France, en réparation du préjudice causé par manquement à son engagement ; qu’après avoir ordonné une expertise par arrêt du 14 avril 2000, la cour d’appel a liquidé ce préjudice par arrêt du 16 janvier 2003 ;

Attendu que pour déclarer la société Bioderma fondée à engager la responsabilité de la société Merck santé France en raison de la violation du protocole d’accord, et condamner celle-ci au paiement de diverses sommes en réparation du préjudice consécutif, l’arrêt du 14 avril 2000 retient que, s’ils ne peuvent être constitués débiteurs ou créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat et demander, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la réparation du préjudice résultant de la violation du contrat, et l’arrêt du 16 janvier 2003, que cette décision a reconnu l’intérêt d’un tiers à agir en réparation du préjudice résultant de la violation du contrat auquel il n’est pas partie sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si les agissements reprochés constituaient une faute à l’égard de la société Bioderma, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, les arrêts rendus les 14 avril 2000 et 16 janvier 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

?La position de la première chambre civile : l’admission de l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

Dans plusieurs décisions, la première chambre civile de la Cour de cassation a admis que la seule inexécution contractuelle suffisait à fonder l’action en responsabilité délictuelle engagée par le tiers victime à l’encontre du contractant fautif.

Dans un arrêt du 15 décembre 1998 elle a considéré par exemple que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage » (Cass. 1ère civ. 15 déc. 1998, n°96-21.905 et 96-22.440).

Nul n’est dès lors besoin de rapporter la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle.

Les deux fautes font ici l’objet d’une assimilation.

L’inexécution du contrat est, autrement dit, regardée comme une faute délictuelle, ce qui justifie que la responsabilité du contractant fautif puisse être recherchée.

La première chambre civile a réitéré cette solution dans un arrêt particulièrement remarqué du 13 février 2001 à l’occasion duquel elle a estimé que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2001, n°99-13.589).

Cass. 1ère civ. 13 févr. 2001

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu que les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve ;

Attendu qu’en 1983 Claude X… a été contaminé par le virus de l’immuno déficience humaine à l’occasion d’une transfusion sanguine réalisée avec des produits fournis par le Centre régional de transfusion sanguine de Rennes (le Centre) ; qu’il a été indemnisé de son préjudice spécifique de contamination par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles ; qu’après son décès, survenu en septembre 1992, consécutif à un SIDA déclaré, sa fille Christelle X…, alors âgée de 17 ans, a engagé devant les juridictions de droit commun une action contre le Centre et son assureur, la compagnie Axa, aux fins de réparation du préjudice par ricochet, moral et économique, qu’elle subissait du fait de la mort de son père ; que l’arrêt attaqué l’a déboutée de son action au motif qu’elle ne pouvait invoquer l’obligation contractuelle de sécurité de résultat pesant sur le Centre en l’absence de lien contractuel avec celui-ci et qu’elle ne rapportait pas la preuve d’une faute dudit centre ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors qu’un centre de transfusion sanguine est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits sanguins qu’il cède et que le manquement à cette obligation peut être invoqué aussi bien par la victime immédiate que par le tiers victime d’un dommage par ricochet, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu, en application de l’article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, qu’il y a lieu à cassation sans renvoi, en ce qui concerne le droit pour Mlle X… d’invoquer à l’encontre du Centre régional de transfusion sanguine de Rennes l’obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu, la Cour de Cassation pouvant mettre fin au litige de ce chef en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de Mlle Christelle X… tendant à la réparation de son préjudice par ricochet, l’arrêt rendu le 25 février 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

?L’intervention de l’assemblée plénière : l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

Afin de mettre un terme au conflit qui opposait la chambre commerciale à la première chambre civile, l’assemblée plénière a été contrainte d’intervenir.

Aussi dans un arrêt du 6 octobre 2006, c’est à la première chambre civile qu’elle a donné raison.

Elle a estimé en effet que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. ass. plén. 6 oct. 2006, n°05-13.255).

Cass. ass. plén. 6 oct. 2006

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2005), que les consorts X… ont donné à bail un immeuble commercial à la société Myr’Ho qui a confié la gérance de son fonds de commerce à la société Boot Shop ; qu’imputant aux bailleurs un défaut d’entretien des locaux, cette dernière les a assignés en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d’une indemnité provisionnelle en réparation d’un préjudice d’exploitation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt d’avoir accueilli la demande de la société Boot Shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen, “que si l’effet relatif des contrats n’interdit pas aux tiers d’invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n’ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse l’existence d’une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ; qu’en l’espèce, il est constant que la société Myr’Ho, preneur, a donné les locaux commerciaux en gérance à la société Boot Shop sans en informer le bailleur ; qu’en affirmant que la demande extra-contractuelle de Boot Shop à l’encontre du bailleur était recevable, sans autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d’appel a entaché sa décision d’un manque de base légale au regard de l’article 1382 du code civil” ;

Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les accès à l’immeuble loué n’étaient pas entretenus, que le portail d’entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionnait pas et qu’il en résultait une impossibilité d’utiliser normalement les locaux loués, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les 2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

La solution adoptée par l’assemblée plénière en 2006 a, par la suite, été confirmée à plusieurs reprises, tant par la première chambre civile (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 2007 ; Cass. 1ère civ. 30 sept. 2010, n°09-69.129), que par la chambre commerciale.

Dans un arrêt du 2 mars 2007, cette dernière a ainsi considéré que « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. com. 2 mars 2007, n°04-13.689)

Elle reprend ici mot pour mot la solution dégagée par l’assemblée plénière ce qui marque l’abandon de sa position antérieure.

Cass. com. 2 mars 2007

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu que le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que par contrat de licence conclu courant septembre 1991, la société Jean-Louis Scherrer a concédé à la société de droit néerlandais Elisabeth Arden international BV, aux droits de laquelle se trouve la société Unilever Cosmetics international BV (société E. Arden) le droit de fabriquer et de vendre dans le monde entier divers produits sous la dénomination et la marque Jean-Louis Scherrer ; que, par acte du 2 décembre 1992, la société Jean-Louis Scherrer a apporté à la société JLS marques la marque Jean-Louis Scherrer, ses déclinaisons et la branche d’activité relative à l’exploitation de la marque, laquelle comprenait les contrats de licence en cours, dans la mesure où ceux-ci étaient transmissibles, que la société E. Arden, arguant de la clause d’incessibilité du contrat de licence, un accord a été conclu le 10 octobre 1994 entre la société JLS marques, titulaire de la marque, la société Jean-Louis Scherrer, licencié de la société JLS marques depuis le 27 avril 1993, et la société E. Arden, aux termes duquel la convention de cession de marques signée entre les deux premières sociétés ne modifiait pas le contrat de licence conclu entre les sociétés Jean-Louis Scherrer et E. Arden ; que, le 17 mars 2000, la société E. Arden a régulièrement notifié à la société EK finances, venant aux droits de la société Jean-Louis Scherrer et à la société JLS marques sa décision de ne pas exercer l’option de renouvellement prévue au contrat de licence ; que la société JLS marques a poursuivi judiciairement la société E. Arden en responsabilité contractuelle puis en responsabilité délictuelle, la société EK finances intervenant volontairement à l’instance ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société JLS marques en responsabilité fondée sur l’article 1382 du code civil, l’arrêt retient que cette société, qui reprochait à la société E. Arden d’avoir manqué gravement à ses obligations contractuelles en ne procédant pas à une diffusion géographique et à une commercialisation mondiale suffisante des produits et en ne lançant pas la ligne pour homme, et faisait valoir que les mauvais résultats de la licence s’expliquaient par la médiocrité des efforts publicitaires et promotionnels, n’a développé aucun moyen de nature à établir la responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de la société Scherrer fondée sur les dispositions de l’article 1382 du code civil, l’arrêt rendu le 14 janvier 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

La position de la Cour de cassation a, manifestement, été accueillie pour le moins froidement par une frange de la doctrine, certains auteurs estimant qu’elle était bien trop favorable aux tiers.

Cette solution leur permet, en effet, de s’émanciper de la rigueur contractuelle à laquelle se sont astreintes les parties notamment par le jeu des obligations de résultat ou des clauses limitatives de responsabilité.

Aussi, peut-on regretter que le législateur soit resté silencieux sur ce point.

L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile laisse toutefois augurer une modification de ce point de droit.

Les auteurs de cet avant-projet envisagent d’introduire un nouvel article 1234 qui disposerait que :

  • « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II.
  • Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite. »

Le débat n’est donc pas clos.

Il est fort à parier que la position adoptée par l’assemblée plénière en 2006 sera brisée par le législateur.

  1. V. en ce sens Y. Buffelan-Lanore, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques en droit civil, LGDJ, 1963 ; N. Fricero-Goujon, La caducité en droit judiciaire privé : thèse Nice, 1979 ; C. Pelletier, La caducité des actes juridiques en droit privé, L’Harmattan, coll. « logiques juridiques », 2004 ; R. Chaaban, La caducité des actes juridiques, LGDJ, 2006. ?
  2. R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559. ?
  3. M.-C. Aubry, « Retour sur la caducité en matière contractuelle », RTD Civ., 2012, p. 625. ?
  4. H. roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, coll. « Traités », 2002, n°02, p. 38. ?
  5. Article 1089 du Code civil. ?
  6. Article 1043 du Code civil. ?
  7. Article 1042, alinéa 1er du Code civil. ?
  8. V. Wester-Ouisse, « La caducité en matière contractuelle : une notion à réinventer », JCP G, n°, Janv. 2001, I 290. ?
  9. V. en ce sens F. Garron, La caducité du contrat : étude de droit privé, PU Aix-Marseille, 2000. ?
  10. Le régime juridique de la caducité contractuelle figure désormais aux nouveaux articles 1186 et 1187 du Code civil. ?
  11. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, 2014, V. Caducité. ?
  12. V. en ce sens A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruylant, 1998, n°54 et s. ?
  13. D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, éd. Odile Jacob, 1997, p. 61. V. également en ce sens F. Rangeon, « Réflexions sur l’effectivité du droit » in les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 130 ; P. Amselek, « Kelsen et les contradictions du positivisme », APD, 1983, n°28, p. 274. Pour la thèse opposée V. H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 19 et s. ?
  14. R. Savatier, Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats, R.T.D. Civ., 1934, p. 544. ?

La simulation

1. La notion de simulation

La possibilité pour les parties d’opposer le contrat aux tiers n’est pas sans limite.

Dans le droit fil des règles édictées antérieurement à la réforme des obligations, le législateur a prévu à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 que l’acte conclu par les contractants était inopposable aux tiers en cas de simulation.

La notion de simulation est présentée à l’article 1201 du Code civil qui prévoit que « lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre ».

Par simulation, il faut donc entendre l’opération qui consiste pour les parties à conclure simultanément deux actes dont les contenus différèrent.

Tandis que le premier acte est apparent, soit qu’il a été conclu au vu et au su des tiers, le second est quant à lui occulte en ce sens qu’il a vocation à demeurer secret.

La véritable intention des parties résidant dans ce dernier acte, très tôt, tant le législateur que la jurisprudence a estimé que l’acte occulte devait faire l’objet d’une appréhension juridique particulière, à tout le moins qu’il ne pût pas produire les mêmes effets que l’acte apparent.

2. Les formes de simulation

?L’acte fictif

L’acte fictif consiste pour les parties à simuler la conclusion d’un acte qui, en réalité, n’existe pas.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente et, dans le même temps, conviennent que cet acte n’opérera aucun transfert de propriété.

L’opération est ici purement fictive, dans la mesure où ses auteurs ont simplement voulu donner à l’acte qu’ils ont conclu l’apparence d’un contrat de vente, alors que, en réalité, il n’existe pas.

?L’acte déguisé

L’acte déguisé consiste pour les parties à conférer à un acte une fausse qualification.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente immobilière et conviennent, dans le même temps, que le prix ne sera, soit jamais réclamé, soit sera dérisoire.

Dans cette hypothèse, les parties choisissent délibérément de déguiser sous une autre qualification (la vente) la véritable opération qu’elles entendent conclure (une donation).

?L’interposition de personnes

Il s’agit de la manœuvre qui consiste à dissimuler l’identité du véritable contractant derrière un prête-nom.

Exemple : un bailleur consent un bail à usage d’habitation à un preneur, qui concomitamment, convient avec tiers qu’il lui concédera la jouissance des lieux.

3. Les effets de la simulation

a. À l’égard des parties la validité de l’acte occulte

?Principe

Il a toujours été admis que dès lors que les parties ont échangé leurs consentements l’acte conclu doit être regardé comme valable, quand bien même il n’a fait l’objet d’aucune révélation aux tiers.

Cette règle est exprimée à l’article 1201 du Code civil qui énonce : « le contrat occulte […] produit effet entre les parties », à supposer qu’il remplisse les conditions prévues par la loi

?Conditions

  • S’agissant des conditions de fond
    • Pour être valable, le contrat occulte doit remplir
      • Les conditions communes à tous les actes juridiques, notamment celles énoncées à l’article 1128 du Code civil.
      • Les conditions propres à l’acte dont il endosse la qualification.
    • Toutefois, pour être valable, il n’est pas nécessaire que l’acte occulte satisfasse aux conditions de validité de l’acte apparent
  • S’agissant des conditions de forme
    • Contrairement à l’acte apparent, l’acte occulte est dispensé de remplir des conditions de forme quand bien même elles seraient requises à peine de nullité.
    • Il en va ainsi d’une donation fictive qui n’aurait pas été conclue en la forme authentique comme exigé par la loi.

?Exception : la fraude

Si, en principe, l’acte simulé est valide entre les parties, il n’en va pas lorsqu’il est l’instrument d’une fraude.

L’article 1202 du Code civil énumère deux sortes d’actes occultes qui sont irréfragablement présumés frauduleux :

  • D’une part, « est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel. »
  • D’autre part, « est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. »

En dehors de ces deux hypothèses, l’acte occulte demeure valide (V. en ce sens Cass. 3e civ. 20 mars 1996), sauf à établir l’existence d’une fraude.

Quant au contrat apparent il n’encourra jamais la nullité.

b. À l’égard des tiers : l’inopposabilité de l’acte occulte

Parce que la véritable intention des parties a été cachée aux tiers, l’acte occulte leur est inopposable en ce sens qu’il ne saurait produire aucun effet à leur endroit.

L’article 1201 du Code civil prévoit en ce sens que l’acte occulte « n’est pas opposable aux tiers »

Ainsi cette règle constitue-t-elle une exception au principe général d’opposabilité des conventions.

Elle se justifie par l’apparence créée par l’acte ostensible qui a trompé les tiers sur la véritable intention des parties.

Quid dans l’hypothèse où les tiers connaissaient ou auraient dû connaître l’acte secret ?

En pareil cas, l’acte ne revêt plus aucun caractère occulte, de sorte qu’il leur redevient opposable.

L’opposabilité du contrat ou le corollaire du principe de l’effet relatif

Conformément au principe de l’effet relatif le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge des parties. Est-ce qu’il ne produit aucun effet à l’égard des tiers ? C’est toute la question de l’opposabilité du contrat.

?Silence du Code civil

Bien que l’article 1199 du Code civil interdise de rendre les tiers créanciers ou débiteur d’une obligation stipulée par les contractants, l’exécution de l’acte n’en est pas moins susceptible d’avoir des répercussions sur leur situation personnelle.

Aussi, la question s’est-elle rapidement posée de savoir quel rapport les tiers entretiennent-ils avec le contrat.

Initialement, le Code civil était silencieux sur cette question. L’article 1165 se limitait à énoncer que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. »

Pour une partie de la doctrine cette règle était incomplète. René Savatier a écrit en ce sens que « cette conception simpliste d’une liberté absolue de l’individu ne tient pas suffisamment compte des liens qui rattachent inévitablement les uns aux autres tous les membres d’une société [où] les affaires de chacun, auprès d’un côté individuel, ont aussi un côté social. Il faut donc reconnaître qu’elles ne concernent pas seulement celui qui y préside, mais à certains points de vue la société et, par conséquent, les tiers »[14].

D’autres auteurs ont encore affirmé que « se prévaloir de ce qu’une personne a passé un contrat et même de ce qu’elle ne l’a pas exécuté, c’est se prévaloir d’un pur fait, qui existe en tant que fait, donc à l’égard de tous ».

?Consécration jurisprudentielle

La Cour de cassation n’est pas, manifestement, demeurée indifférente à ces critiques puisqu’elle a affirmé le principe de l’opposabilité du contrat au tiers à de nombreuses reprises.

Dans un arrêt du 6 février 1952 la Cour de cassation a, de la sorte, considéré que « si, en principe, les conventions ne sont pas opposables à ceux qui n’y ont pas été parties, il ne s’ensuit pas que le juge ne puisse pas rechercher dans les actes étrangers à l’une des parties en cause des renseignements de nature à éclairer sa décision, ni ne puisse considérer comme une situation de fait vis-à-vis des tiers les stipulations d’un contrat » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 1952).

Cette solution a été réaffirmée, par exemple, dans un arrêt du 22 octobre 1991 où elle estime que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

Cass. com. 22 oct. 1991

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1165 du Code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué, que la Société industrielle et forestière en Afrique Centrale (Sifac) et la société Industries forestières Batalimo (IFB), dont M. Jacques X… présidait les conseils d’administration, étaient titulaires de comptes courants dans les livres de la Banque internationale pour l’Afrique Occidentale à Bangui (BIAO Centrafrique) et dans ceux de l’agence de la Banque internationale pour l’Afrique Occidentale à Pointe-Noire, en République populaire du Congo (BIAO) ; qu’à la suite de l’expropriation de ses avoirs au Congo, la BIAO a, le 14 août 1974, signé une convention aux termes de laquelle, notamment, la Banque commerciale congolaise (BCC) devait, dans un certain délai, lui signifier la liste des créances qu’elle ne reprenait pas, les autres créances étant, passé ce délai, considérées comme acquises par cette banque ; qu’après l’expiration du délai, la BIAO a inscrit au débit des comptes des sociétés Sifac et IFB ouverts à la BIAO Centrafrique, les montants des soldes débiteurs des comptes de ces sociétés dans les livres de son agence de Pointe-Noire ; que Jacques X… et Jeanine Y…, son épouse, se sont portés cautions, au profit de la BIAO, des dettes des deux sociétés ;

Attendu que, pour condamner les époux X… à payer diverses sommes à la BIAO en exécution de leurs engagements de cautions, l’arrêt, après avoir relevé que ceux-ci ” invoquent le protocole passé entre la Banque commerciale congolaise et la BIAO pour soutenir que la BCC n’ayant pas rejeté les créances dans le délai, seule cette dernière en est titulaire “, retient que, ” n’étant pas partie à cette convention qui n’a pas été faite dans leur intérêt, ils ne peuvent s’en prévaloir ” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que, s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 juillet 1989, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier

Ainsi, pour la Cour de cassation, le contrat est opposable aux tiers car il constitue une situation de fait qu’ils ne sauraient ignorer.

La conséquence est double :

  • En premier lieu, les tiers ne doivent pas faire obstacle à l’exécution du contrat
  • En second lieu, les tiers peuvent se prévaloir du contrat à l’encontre des parties

Appliquée régulièrement par la jurisprudence, cette règle a été consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme des obligations.

?Intervention du législateur

Aux termes du nouvel article 1200 du Code civil, d’une part, « les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat », d’autre part, « ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait. »

Il ressort de cette disposition que, opposable aux tiers par les parties, la situation juridique née du contrat l’est aussi par les tiers aux parties.

Deux principes sont ainsi posés par à l’article 1200 du Code civil.

I) L’opposabilité du contrat aux tiers

A) Principe

L’article 1200, al. 1er énonce le principe selon lequel les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat

Cela signifie que les parties peuvent se prévaloir de la convention à l’encontre de personnes qui, par définition, ne l’ont pas conclue.

Cette possibilité dont disposent les contractants d’opposer le contrat aux tiers est susceptible de se rencontrer dans plusieurs situations :

?L’acte porte sur un droit réel

Dans cette hypothèse, qu’il s’agisse d’une constitution de droit réel ou d’un transfert de droit réel, l’opération conclue par les parties est opposable erga omnes.

Dans un arrêt du 22 juin 1864 la Cour de cassation a affirmé en ce sens :

  • D’une part, que « la propriété des biens s’acquiert et se transmet par l’effet des obligations, et que les contrats qui lui servent de titre et de preuve sont ceux qui sont passés entre l’acquéreur et le vendeur ».
  • D’autre part, « que le droit de propriété serait perpétuellement ébranlé si les contrats destinés à l’établir n’avaient de valeur qu’à l’égard des personnes qui y auraient été parties, puisque, de l’impossibilité de faire concourir les tiers à des contrats ne les concernant pas, résulterait l’impossibilité d’obtenir des titres protégeant la propriété contre les tiers » (Cass. civ. 22 juin 1864).

Ainsi, le contrat pourra-t-il toujours être utilisé par les parties comme mode de preuve d’un droit réel.

Cass. civ. 22 juin 1864

Vu les articles 711 et 1165 du X… Napoléon ;

Attendu qu’il a été reconnu, en fait, par les deux jugements de première instance dont l’arrêt attaqué a adopté les motifs, qu’à consulter l’acte de partage du 15 octobre 1812 et l’adjudication du 25 novembre 1855, titres invoqués par Z…, la réclamation par laquelle il revendique cette portion de haie séparant sa propriété de celle de Y… se trouve clairement établie et devrait être accueillie ;

Attendu que, s’appuyant sur ce que le partage de 1812, étranger à Y… et à ses auteurs, ne ferait pas absolument foi contre eux, le jugement préparatoire a admis les parties à faire preuve des faits de possession et de prescription, respectivement invoqués par elles, et subsidiairement par le demandeur ;

Attendu que le jugement définitif, en reconnaissant des actes de jouissance de la part de l’une et l’autre partie, a déclaré insuffisante l’enquête du demandeur, préférable celle du défendeur, et a, en conséquence, rejeté comme mal fondée la demande en revendication formée par Z… ;

Attendu qu’il ne résulte, ni du dispositif, ni des motifs de ce jugement, que la possession de Y… ou de ses auteurs ait été, pendant une durée de trente années, continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ;

Attendu que la possession de Y… n’aurait pu prévaloir sur les titres de Z… que si elle avait eu soit ce commencement, soit cette durée ; que ni l’un ni l’autre de ces caractères ne lui sont attribués par l’arrêt attaqué, et que, dans l’état des faits déclarés par cet arrêt, l’unique question qui reste à examiner est celle de savoir si les titres de Z…, quoique reconnus probants en eux-mêmes, ont à bon droit été écartés par le motif qu’ils étaient étrangers à Y… et à ses auteurs ;

Attendu qu’aux termes de l’article 711 du X… Napoléon, la propriété des biens s’acquiert et se transmet par l’effet des obligations, et que les contrats qui lui servent de titre et de preuve sont ceux qui sont passés entre l’acquéreur et le vendeur ;

Que le droit de propriété serait perpétuellement ébranlé si les contrats destinés à l’établir n’avaient de valeur qu’à l’égard des personnes qui y auraient été parties, puisque, de l’impossibilité de faire concourir les tiers à des contrats ne les concernant pas, résulterait l’impossibilité d’obtenir des titres protégeant la propriété contre les tiers ;

Attendu que, déclarer opposables aux tiers les titres réguliers de propriété, ce n’est aucunement prétendre qu’il peut résulter de ces titres une modification quelconque aux droits des tiers, et qu’ainsi la règle de l’article 1165, qui ne donne effet aux conventions qu’entre les contractants, est ici sans application ;

D’où il suit qu’en faisant prévaloir, sur les titres produits par Z…, les faits de possession tels qu’ils sont constatés dans l’espèce, et en rejetant ainsi la demande en revendication formée par Z…, l’arrêt attaqué a faussement appliqué l’article 1165 du X… Napoléon, et violé tant ledit article que l’article 711 du même code,

CASSE,

Ainsi jugé et prononcé

?L’acte porte sur une institution

Cette hypothèse vise les contrats qui créent une situation institutionnelle entre les parties à l’acte.

Tel est le cas du mariage, de l’adoption, du divorce ou encore de l’acte constitutif d’une société.

Dès lors que la situation créée entre les parties a fait l’objet des formalités de publicité requises, elle devient opposable à tous.

?L’acte porte sur un droit de créance

Le contrat ne crée, certes, d’obligations qu’à la charge des seules parties

Cette situation juridique ainsi créée n’en est pas moins opposable aux tiers.

Cela signifie, concrètement, que les tiers ne sauraient faire obstacle à l’exécution contrat.

Dans un arrêt du 26 janvier 1999, la Cour de cassation a, dans cette perspective, considéré que « le contractant, victime d’un dommage né de l’inexécution d’un contrat peut demander, sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la réparation de ce préjudice au tiers à la faute duquel il estime que le dommage est imputable » (Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999, n°96-20.782).

Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999

Attendu que M. Le Bourg, commissaire aux comptes, désirant prendre sa retraite, a, par un acte du 2 avril 1984, constitué avec MM. Bertrand et André X… ce dernier décédé en cours de procédure et aux droits de qui viennent M. Bertrand X… et les consorts X… une société civile professionnelle (la SCP) dont il a été nommé gérant et à laquelle il devait ” céder sa clientèle ” ; que le contrat de cession intervenu le 17 septembre 1984 n’a pu se réaliser en février 1985, comme il en avait été convenu, en raison des dissensions qui étaient apparues entre M. Le Bourg et M. Bertrand X…, son principal associé, quant aux conditions de mise en oeuvre de la convention ; que, conformément aux statuts de la SCP, les parties ont saisi la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris pour arbitrer le litige et une sentence arbitrale du 13 février 1985 a prononcé la dissolution de la SCP ; que M. Le Bourg a alors agi pour faire constater la caducité du contrat de cession et ordonner la liquidation de la SCP ; que, statuant sur renvoi après cassation, un arrêt du 14 septembre 1994 a renvoyé l’affaire à la mise en état pour permettre aux parties de conclure au fond, à la suite de quoi M. Le Bourg a soutenu que la rupture des relations contractuelles était exclusivement imputable à M. Bertrand X… et a demandé en conséquence, du fait de la ” caducité ” de la convention et des fautes de ce dernier, de le condamner à lui payer une somme de 100 000 francs, au titre de ” l’immobilisation de sa clientèle ” pendant plus de trois ans, et une autre somme de 100 000 francs, en réparation des divers inconvénients liés à l’échec de l’opération, ainsi qu’à lui rembourser des honoraires perçus sans contrepartie ; que M. X… a reconventionnellement demandé l’allocation de différentes sommes ; que l’arrêt attaqué, rendu en suite de celui du 14 septembre 1994, a dit que les frais de liquidation de la SCP seraient supportés par les associés dans les proportions de leurs droits sociaux, et a déclaré les autres demandes des parties irrecevables […]

Sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes de dommages-intérêts formées par M. Le Bourg contre M. X…, l’arrêt énonce que c’est à la SCP et non à M. B. X… que M. Le Bourg a cédé la clientèle de son cabinet par acte du 17 septembre 1984 et que, même s’il est constant que la rupture de cette convention a bien été la conséquence de comportements personnels, il reste que les responsabilités encourues et les conséquences à en tirer ne sauraient être jugées qu’à l’encontre de la SCP, partie au contrat litigieux et représentée par son liquidateur, à charge par ce dernier de répercuter ultérieurement les condamnations éventuelles à intervenir dans le cadre de la liquidation des droits de chacun et sauf à soumettre au juge les litiges qui pourraient subsister ;

Attendu cependant que le contractant, victime d’un dommage né de l’inexécution d’un contrat peut demander, sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la réparation de ce préjudice au tiers à la faute duquel il estime que le dommage est imputable […]

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a dit que les frais de cette liquidation seraient supportés par les associés dans les proportions de leurs droits sociaux, et en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de M. Le Bourg tendant à l’allocation de dommages-intérêts au titre de ” l’immobilisation de sa clientèle ” et des inconvénients divers liés à la non-réalisation de la cession, au remboursement d’une somme de 60 000 francs versée à M. X… à titre d’honoraires, ainsi qu’à celui d’une quote-part des frais de fonctionnement du cabinet de M. Le Bourg, l’arrêt rendu le 2 juillet 1996, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Lorsqu’un tiers compromet l’exécution d’un contrat, cette intervention est constitutive d’une faute susceptible d’engager sa responsabilité.
    • Cela suppose toutefois de démontrer l’existence, d’une part, d’un préjudice et, d’autre part, d’un lien de causalité entre ce préjudice et l’inexécution contractuelle.
  • Second enseignement
    • La réparation du préjudice causé au cocontractant victime de l’inexécution du contrat devra être recherchée sur le terrain de la responsabilité délictuelle.
    • Cette solution se justifie par le fait que, par définition, le tiers n’est pas partie au contrat.
    • Aussi, l’obligation qui lui échoit consiste, non pas à respecter les termes du contrat, mais à ne pas entraver sa bonne exécution.
    • Il ressort de la jurisprudence qu’il importe peu que l’inexécution contractuelle soit le fait du seul tiers ou que celui-ci se soit rendu complice des agissements de l’un des contractants (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 janv. 1963).
    • Dans cette dernière hypothèse, la victime pourra cumulativement agir :
      • D’abord, contre le tiers, sur le fondement de la responsabilité délictuelle
      • Ensuite, contre son cocontractant sur le fondement de la responsabilité contractuelle

B) Exception : la simulation

1. La notion de simulation

La possibilité pour les parties d’opposer le contrat aux tiers n’est pas sans limite.

Dans le droit fil des règles édictées antérieurement à la réforme des obligations, le législateur a prévu à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 que l’acte conclu par les contractants était inopposable aux tiers en cas de simulation.

La notion de simulation est présentée à l’article 1201 du Code civil qui prévoit que « lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre ».

Par simulation, il faut donc entendre l’opération qui consiste pour les parties à conclure simultanément deux actes dont les contenus différèrent.

Tandis que le premier acte est apparent, soit qu’il a été conclu au vu et au su des tiers, le second est quant à lui occulte en ce sens qu’il a vocation à demeurer secret.

La véritable intention des parties résidant dans ce dernier acte, très tôt, tant le législateur que la jurisprudence a estimé que l’acte occulte devait faire l’objet d’une appréhension juridique particulière, à tout le moins qu’il ne pût pas produire les mêmes effets que l’acte apparent.

2. Les formes de simulation

?L’acte fictif

L’acte fictif consiste pour les parties à simuler la conclusion d’un acte qui, en réalité, n’existe pas.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente et, dans le même temps, conviennent que cet acte n’opérera aucun transfert de propriété.

L’opération est ici purement fictive, dans la mesure où ses auteurs ont simplement voulu donner à l’acte qu’ils ont conclu l’apparence d’un contrat de vente, alors que, en réalité, il n’existe pas.

?L’acte déguisé

L’acte déguisé consiste pour les parties à conférer à un acte une fausse qualification.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente immobilière et conviennent, dans le même temps, que le prix ne sera, soit jamais réclamé, soit sera dérisoire.

Dans cette hypothèse, les parties choisissent délibérément de déguiser sous une autre qualification (la vente) la véritable opération qu’elles entendent conclure (une donation).

?L’interposition de personnes

Il s’agit de la manœuvre qui consiste à dissimuler l’identité du véritable contractant derrière un prête-nom.

Exemple : un bailleur consent un bail à usage d’habitation à un preneur, qui concomitamment, convient avec tiers qu’il lui concédera la jouissance des lieux.

3. Les effets de la simulation

a. À l’égard des parties la validité de l’acte occulte

?Principe

Il a toujours été admis que dès lors que les parties ont échangé leurs consentements l’acte conclu doit être regardé comme valable, quand bien même il n’a fait l’objet d’aucune révélation aux tiers.

Cette règle est exprimée à l’article 1201 du Code civil qui énonce : « le contrat occulte […] produit effet entre les parties », à supposer qu’il remplisse les conditions prévues par la loi

?Conditions

  • S’agissant des conditions de fond
    • Pour être valable, le contrat occulte doit remplir
      • Les conditions communes à tous les actes juridiques, notamment celles énoncées à l’article 1128 du Code civil.
      • Les conditions propres à l’acte dont il endosse la qualification.
    • Toutefois, pour être valable, il n’est pas nécessaire que l’acte occulte satisfasse aux conditions de validité de l’acte apparent
  • S’agissant des conditions de forme
    • Contrairement à l’acte apparent, l’acte occulte est dispensé de remplir des conditions de forme quand bien même elles seraient requises à peine de nullité.
    • Il en va ainsi d’une donation fictive qui n’aurait pas été conclue en la forme authentique comme exigé par la loi.

?Exception : la fraude

Si, en principe, l’acte simulé est valide entre les parties, il n’en va pas lorsqu’il est l’instrument d’une fraude.

L’article 1202 du Code civil énumère deux sortes d’actes occultes qui sont irréfragablement présumés frauduleux :

  • D’une part, « est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel. »
  • D’autre part, « est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. »

En dehors de ces deux hypothèses, l’acte occulte demeure valide (V. en ce sens Cass. 3e civ. 20 mars 1996), sauf à établir l’existence d’une fraude.

Quant au contrat apparent il n’encourra jamais la nullité.

b. À l’égard des tiers : l’inopposabilité de l’acte occulte

Parce que la véritable intention des parties a été cachée aux tiers, l’acte occulte leur est inopposable en ce sens qu’il ne saurait produire aucun effet à leur endroit.

L’article 1201 du Code civil prévoit en ce sens que l’acte occulte « n’est pas opposable aux tiers »

Ainsi cette règle constitue-t-elle une exception au principe général d’opposabilité des conventions.

Elle se justifie par l’apparence créée par l’acte ostensible qui a trompé les tiers sur la véritable intention des parties.

Quid dans l’hypothèse où les tiers connaissaient ou auraient dû connaître l’acte secret ?

En pareil cas, l’acte ne revêt plus aucun caractère occulte, de sorte qu’il leur redevient opposable.

II) L’opposabilité du contrat par les tiers

Dès lors qu’il est admis que le contrat est opposable aux tiers, il serait injuste de dénier une application de ce principe en sens inverse.

C’est la raison pour laquelle l’article 1200 du Code civil autorise les tiers à se prévaloir de l’acte conclu à l’encontre des parties.

L’exercice de cette prérogative conférée aux tiers se rencontrera dans deux situations distinctes :

A) L’invocation de l’acte aux fins de rapporter la preuve d’un fait

Cette possibilité est expressément envisagée par l’article 1200 du Code civil.

La Cour de cassation avait notamment exprimé cette règle dans un arrêt du 22 octobre 1991.

Dans cette décision elle considère que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

En défense, la partie contre qui est produit l’acte peut toutefois opposer au tiers sa nullité.

Elle a affirmé en ce sens dans un arrêt du 21 février 1995 que « la victime d’un dol est en droit d’invoquer la nullité du contrat vicié contre le tiers qui se prévaut de celui-ci » (Cass. 1ère civ. 21 févr. 1995, n°92-17.814).

B) L’invocation de l’acte aux fins d’engager la responsabilité des parties

1. Principe

Il est des situations où l’exécution d’un contrat occasionnera un préjudice aux tiers.

Exemples :

    • Le vice de construction affectant une automobile a provoqué un accident dans lequel un tiers a été blessé
    • Dans le cadre de l’exécution d’un contrat de bail, le preneur dégrade les parties communes d’un immeuble

Très tôt, la jurisprudence a admis que le tiers peut invoquer un contrat pour rechercher la responsabilité d’une partie, lorsqu’il subit un préjudice du fait de la mauvaise exécution du contrat.

Dans un arrêt du 22 juillet 1931, la Cour de cassation a considéré que « si dans les rapports des parties entre elles, les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil ne peuvent en principe être invoquées pour le règlement de la faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un engagement contractuel, elles reprennent leur empire au regard des tiers étrangers au contrat » (Cass. civ. 22 juill. 1931)

Ainsi, l’opposabilité du contrat, en tant que situation de fait, induit la faculté pour les tiers, dans l’hypothèse de la méconnaissance de cette situation par ceux qui l’ont créée, d’en obtenir la sanction juridique en se plaçant sur le terrain délictuel.

2. Conditions

Si le bien-fondé de l’action en responsabilité délictuelle dont est titulaire le tiers à l’encontre de la partie au contrat auteur du dommage n’a jamais été discuté, il n’en a pas été de même pour ses conditions de mise en œuvre.

Un débat est né autour de la question de savoir si, en cas de préjudice occasionné aux tiers, la seule inexécution contractuelle suffisait à engager la responsabilité du contractant fautif où s’il fallait, en outre, que caractériser de manière distinction l’existence d’une faute délictuelle.

Il ressort de la jurisprudence une opposition entre la chambre commerciale et la première chambre civile, ce qui a donné lieu à l’intervention de l’assemblée plénière.

?La position de la chambre commerciale : le refus d’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

La chambre commerciale a estimé de manière constante que l’établissement de la seule inexécution du contrat ne suffisait pas à établir une faute de nature à engager la responsabilité de la partie au contrat qui, dans le cadre de l’exécution de ses obligations, a causé un dommage à un tiers.

Dans un arrêt du 5 avril 2005, elle a estimé en ce sens « qu’un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui » (Cass. com. 5 avr. 2005, n°03-19.370).

Ainsi, pour la chambre commerciale, pour que le tiers victime de la mauvaise exécution du contrat puisse rechercher la responsabilité du contractant fautif il est nécessaire qu’il rapporte la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle.

Cette solution repose sur l’idée que le principe de l’effet relatif des conventions fait obstacle à ce qu’un tiers au contrat puisse tirer profit d’une faute contractuelle laquelle ne peut être invoquée que par les seules parties à l’acte.

Cass. com. 5 avr. 2005

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société d’exploitation française de recherches Bioderma (la SEFRB) a consenti à la société Lyonnaise pharmaceutique (la société Lipha) une licence exclusive de commercialisation de produits cosmétiques ; que la société Merck ayant pris le contrôle de la société Lipha, cette dernière s’est engagée à s’abstenir de toute concurrence envers la SEFRB durant deux ans ; que la société Bioderma, filiale de la société SEFRB, créée après l’intervention de ce protocole afin de reprendre la commercialisation des produits, a poursuivi la société Lipha, aux droits de laquelle est désormais la société Merck santé France, en réparation du préjudice causé par manquement à son engagement ; qu’après avoir ordonné une expertise par arrêt du 14 avril 2000, la cour d’appel a liquidé ce préjudice par arrêt du 16 janvier 2003 ;

Attendu que pour déclarer la société Bioderma fondée à engager la responsabilité de la société Merck santé France en raison de la violation du protocole d’accord, et condamner celle-ci au paiement de diverses sommes en réparation du préjudice consécutif, l’arrêt du 14 avril 2000 retient que, s’ils ne peuvent être constitués débiteurs ou créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat et demander, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la réparation du préjudice résultant de la violation du contrat, et l’arrêt du 16 janvier 2003, que cette décision a reconnu l’intérêt d’un tiers à agir en réparation du préjudice résultant de la violation du contrat auquel il n’est pas partie sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si les agissements reprochés constituaient une faute à l’égard de la société Bioderma, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, les arrêts rendus les 14 avril 2000 et 16 janvier 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

?La position de la première chambre civile : l’admission de l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

Dans plusieurs décisions, la première chambre civile de la Cour de cassation a admis que la seule inexécution contractuelle suffisait à fonder l’action en responsabilité délictuelle engagée par le tiers victime à l’encontre du contractant fautif.

Dans un arrêt du 15 décembre 1998 elle a considéré par exemple que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage » (Cass. 1ère civ. 15 déc. 1998, n°96-21.905 et 96-22.440).

Nul n’est dès lors besoin de rapporter la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle.

Les deux fautes font ici l’objet d’une assimilation.

L’inexécution du contrat est, autrement dit, regardée comme une faute délictuelle, ce qui justifie que la responsabilité du contractant fautif puisse être recherchée.

La première chambre civile a réitéré cette solution dans un arrêt particulièrement remarqué du 13 février 2001 à l’occasion duquel elle a estimé que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2001, n°99-13.589).

Cass. 1ère civ. 13 févr. 2001

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu que les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve ;

Attendu qu’en 1983 Claude X… a été contaminé par le virus de l’immuno déficience humaine à l’occasion d’une transfusion sanguine réalisée avec des produits fournis par le Centre régional de transfusion sanguine de Rennes (le Centre) ; qu’il a été indemnisé de son préjudice spécifique de contamination par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles ; qu’après son décès, survenu en septembre 1992, consécutif à un SIDA déclaré, sa fille Christelle X…, alors âgée de 17 ans, a engagé devant les juridictions de droit commun une action contre le Centre et son assureur, la compagnie Axa, aux fins de réparation du préjudice par ricochet, moral et économique, qu’elle subissait du fait de la mort de son père ; que l’arrêt attaqué l’a déboutée de son action au motif qu’elle ne pouvait invoquer l’obligation contractuelle de sécurité de résultat pesant sur le Centre en l’absence de lien contractuel avec celui-ci et qu’elle ne rapportait pas la preuve d’une faute dudit centre ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors qu’un centre de transfusion sanguine est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits sanguins qu’il cède et que le manquement à cette obligation peut être invoqué aussi bien par la victime immédiate que par le tiers victime d’un dommage par ricochet, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu, en application de l’article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, qu’il y a lieu à cassation sans renvoi, en ce qui concerne le droit pour Mlle X… d’invoquer à l’encontre du Centre régional de transfusion sanguine de Rennes l’obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu, la Cour de Cassation pouvant mettre fin au litige de ce chef en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de Mlle Christelle X… tendant à la réparation de son préjudice par ricochet, l’arrêt rendu le 25 février 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

?L’intervention de l’assemblée plénière : l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

Afin de mettre un terme au conflit qui opposait la chambre commerciale à la première chambre civile, l’assemblée plénière a été contrainte d’intervenir.

Aussi dans un arrêt du 6 octobre 2006, c’est à la première chambre civile qu’elle a donné raison.

Elle a estimé en effet que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. ass. plén. 6 oct. 2006, n°05-13.255).

Cass. ass. plén. 6 oct. 2006

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2005), que les consorts X… ont donné à bail un immeuble commercial à la société Myr’Ho qui a confié la gérance de son fonds de commerce à la société Boot Shop ; qu’imputant aux bailleurs un défaut d’entretien des locaux, cette dernière les a assignés en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d’une indemnité provisionnelle en réparation d’un préjudice d’exploitation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt d’avoir accueilli la demande de la société Boot Shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen, “que si l’effet relatif des contrats n’interdit pas aux tiers d’invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n’ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse l’existence d’une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ; qu’en l’espèce, il est constant que la société Myr’Ho, preneur, a donné les locaux commerciaux en gérance à la société Boot Shop sans en informer le bailleur ; qu’en affirmant que la demande extra-contractuelle de Boot Shop à l’encontre du bailleur était recevable, sans autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d’appel a entaché sa décision d’un manque de base légale au regard de l’article 1382 du code civil” ;

Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les accès à l’immeuble loué n’étaient pas entretenus, que le portail d’entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionnait pas et qu’il en résultait une impossibilité d’utiliser normalement les locaux loués, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les 2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

La solution adoptée par l’assemblée plénière en 2006 a, par la suite, été confirmée à plusieurs reprises, tant par la première chambre civile (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 2007 ; Cass. 1ère civ. 30 sept. 2010, n°09-69.129), que par la chambre commerciale.

Dans un arrêt du 2 mars 2007, cette dernière a ainsi considéré que « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. com. 2 mars 2007, n°04-13.689)

Elle reprend ici mot pour mot la solution dégagée par l’assemblée plénière ce qui marque l’abandon de sa position antérieure.

Cass. com. 2 mars 2007

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu que le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que par contrat de licence conclu courant septembre 1991, la société Jean-Louis Scherrer a concédé à la société de droit néerlandais Elisabeth Arden international BV, aux droits de laquelle se trouve la société Unilever Cosmetics international BV (société E. Arden) le droit de fabriquer et de vendre dans le monde entier divers produits sous la dénomination et la marque Jean-Louis Scherrer ; que, par acte du 2 décembre 1992, la société Jean-Louis Scherrer a apporté à la société JLS marques la marque Jean-Louis Scherrer, ses déclinaisons et la branche d’activité relative à l’exploitation de la marque, laquelle comprenait les contrats de licence en cours, dans la mesure où ceux-ci étaient transmissibles, que la société E. Arden, arguant de la clause d’incessibilité du contrat de licence, un accord a été conclu le 10 octobre 1994 entre la société JLS marques, titulaire de la marque, la société Jean-Louis Scherrer, licencié de la société JLS marques depuis le 27 avril 1993, et la société E. Arden, aux termes duquel la convention de cession de marques signée entre les deux premières sociétés ne modifiait pas le contrat de licence conclu entre les sociétés Jean-Louis Scherrer et E. Arden ; que, le 17 mars 2000, la société E. Arden a régulièrement notifié à la société EK finances, venant aux droits de la société Jean-Louis Scherrer et à la société JLS marques sa décision de ne pas exercer l’option de renouvellement prévue au contrat de licence ; que la société JLS marques a poursuivi judiciairement la société E. Arden en responsabilité contractuelle puis en responsabilité délictuelle, la société EK finances intervenant volontairement à l’instance ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société JLS marques en responsabilité fondée sur l’article 1382 du code civil, l’arrêt retient que cette société, qui reprochait à la société E. Arden d’avoir manqué gravement à ses obligations contractuelles en ne procédant pas à une diffusion géographique et à une commercialisation mondiale suffisante des produits et en ne lançant pas la ligne pour homme, et faisait valoir que les mauvais résultats de la licence s’expliquaient par la médiocrité des efforts publicitaires et promotionnels, n’a développé aucun moyen de nature à établir la responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de la société Scherrer fondée sur les dispositions de l’article 1382 du code civil, l’arrêt rendu le 14 janvier 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

La position de la Cour de cassation a, manifestement, été accueillie pour le moins froidement par une frange de la doctrine, certains auteurs estimant qu’elle était bien trop favorable aux tiers.

Cette solution leur permet, en effet, de s’émanciper de la rigueur contractuelle à laquelle se sont astreintes les parties notamment par le jeu des obligations de résultat ou des clauses limitatives de responsabilité.

Aussi, peut-on regretter que le législateur soit resté silencieux sur ce point.

L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile laisse toutefois augurer une modification de ce point de droit.

Les auteurs de cet avant-projet envisagent d’introduire un nouvel article 1234 qui disposerait que :

  • « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II.
  • Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite. »

Le débat n’est donc pas clos.

Il est fort à parier que la position adoptée par l’assemblée plénière en 2006 sera brisée par le législateur.

  1. V. en ce sens Y. Buffelan-Lanore, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques en droit civil, LGDJ, 1963 ; N. Fricero-Goujon, La caducité en droit judiciaire privé : thèse Nice, 1979 ; C. Pelletier, La caducité des actes juridiques en droit privé, L’Harmattan, coll. « logiques juridiques », 2004 ; R. Chaaban, La caducité des actes juridiques, LGDJ, 2006. ?
  2. R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559. ?
  3. M.-C. Aubry, « Retour sur la caducité en matière contractuelle », RTD Civ., 2012, p. 625. ?
  4. H. roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, coll. « Traités », 2002, n°02, p. 38. ?
  5. Article 1089 du Code civil. ?
  6. Article 1043 du Code civil. ?
  7. Article 1042, alinéa 1er du Code civil. ?
  8. V. Wester-Ouisse, « La caducité en matière contractuelle : une notion à réinventer », JCP G, n°, Janv. 2001, I 290. ?
  9. V. en ce sens F. Garron, La caducité du contrat : étude de droit privé, PU Aix-Marseille, 2000. ?
  10. Le régime juridique de la caducité contractuelle figure désormais aux nouveaux articles 1186 et 1187 du Code civil. ?
  11. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, 2014, V. Caducité. ?
  12. V. en ce sens A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruylant, 1998, n°54 et s. ?
  13. D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, éd. Odile Jacob, 1997, p. 61. V. également en ce sens F. Rangeon, « Réflexions sur l’effectivité du droit » in les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 130 ; P. Amselek, « Kelsen et les contradictions du positivisme », APD, 1983, n°28, p. 274. Pour la thèse opposée V. H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 19 et s. ?
  14. R. Savatier, Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats, R.T.D. Civ., 1934, p. 544. ?

La distinction entre rapport fondamental et rapport cambiaire

Le droit des effets de commerce tout entier s’articule autour de la distinction entre rapport fondamental et rapport cambiaire.

Les droits et obligations qui échoient au porteur d’un effet de commerce prennent, en effet, leur source nécessairement dans l’un et/ou l’autre de ces rapports.

Aussi, en simplifiant à l’extrême, on pourrait être tenté de soutenir que le droit des effets de commerce a pour fonction de régler la création, l’exécution et l’extinction des rapports fondamentaux et cambiaires.

Dans cette perspective, afin de mieux cerner la logique sur laquelle repose cette branche du droit, il convient de s’interroger, dans un premier temps, sur les notions de rapport fondamental et de rapport cambiaire (I), puis, dans un second temps, de nous intéresser aux relations que ces deux catégories de rapports entretiennent (II).

I) NOTIONS

A) Le rapport fondamental

Classiquement, le rapport fondamental se définit comme le rapport préexistant et extérieur au titre qui constitue la cause de l’engagement de chaque signataire de la traite.

Aussi, cela recoupe-t-il deux hypothèses bien distinctes :

  • Tantôt, le rapport fondamental constitue la cause de l’émission du titre : on parle de provision
  • Tantôt, le rapport fondamental constitue la cause de la transmission du titre : on parle de valeur fournie
  1. Le rapport fondamental comme cause de l’émission du titre

 Dans cette hypothèse, on qualifie le rapport fondamental de provision.

Qu’est-ce que, concrètement, la provision ?

Il s’agit de la créance que détient celui qui émet la lettre de change (TIREUR) contre son débiteur (TIRÉ).

Schéma 7

Afin de mobiliser sa créance, la plupart du temps auprès d’un banquier escompteur, le créancier va tirer une lettre de change sur son débiteur, ce qui aura pour effet d’incorporer ladite créance dans un titre négociable. Ce titre peut alors circuler librement et être endossé par les différents porteurs successifs.

Ainsi, la créance que la lettre de change incorpore n’est autre que la provision.

Cette créance de provision, que détient le tireur contre le tiré de la lettre de change, s’apparente à la contrepartie de la prestation fournie par le tireur au tiré (fourniture de marchandises, prestation de service, octroi d’un prêt etc…).

Schéma 8

Fort naturellement, le tiré sera toujours plus enclin à payer la lettre de change qui lui sera présentée à l’échéance par le porteur lorsque le tireur aura exécuté la prestation convenue entre eux.

Dans le cas contraire, le tiré sera fondé, s’il n’a pas accepté la traite en la signant, à refuser de payer la lettre de change, quand bien le porteur est de bonne foi.

Ce dernier pourra néanmoins se retourner contre le tireur, lequel est, à défaut d’acceptation du tiré, le débiteur principal de la lettre de change.

2. Le rapport fondamental comme cause de la transmission du titre

Dans cette hypothèse, on qualifie le rapport fondamental de valeur fournie.

La valeur fournie constitue la cause de la transmission de la lettre de change.

À la différence de la provision, la valeur fournie ne fait pas l’objet d’une incorporation dans le titre.

Et pour cause, l’incorporation d’une créance dans un titre est commandée par la volonté de son titulaire de mobiliser ladite créance, soit de la faire circuler.

Dès lors, la valeur fournie représente simplement la créance fondamentale que détient le porteur contre le tireur, soit la contrepartie en vertu de laquelle ce dernier décide de lui remettre la traite.

Cette créance fondamentale que constitue la valeur fournie, peut avoir des causes diverses et variées :

  • Elle peut consister en la contrepartie d’une remise de fonds consentie par le banquier escompteur au tireur en vue de lui permettre de mobiliser la créance qu’il détient contre un client
  • Elle peut encore consister en la contrepartie d’une prestation exécutée par le porteur au profit du tireur

Ainsi, la lettre de change est-elle toujours transmise au porteur en règlement d’une créance que ce dernier détient contre le tireur.

C’est ce rapport fondamental, extérieur au titre, que l’on qualifie de valeur fournie.

Une fois la lettre de change transmise au porteur, celui-ci peut, à son tour, transmettre la traite en règlement de la créance fondamentale que détient sur lui le bénéficiaire à qui il la remet.

Le rapport fondamental qui se crée entre les deux porteurs successifs est également qualifié de valeur fournie.

Il en existera autant qu’il est de créances fondamentales servant de cause à la transmission de la lettre de change.

Schéma 1

Ainsi, la valeur fournie n’intéresse que les rapports entre :

  • Tireur-porteur
  • Endosseur-endossataire

Dans les deux cas, le bénéficiaire de la traite est en position de créancier par rapport au tireur ou à l’endosseur.

Quid du rapport qui se noue entre le porteur de l’effet de commerce et le tiré ?

Lorsque le porteur de la lettre de change acquiert la lettre de change, conformément à l’article L. 511-7 du Code de commerce, la créance de provision que détenait initialement le tireur sur le tiré lui est immédiatement transmise.

Ainsi, le tiré n’est-il plus le débiteur du tireur. Il devient, par l’effet de la transmission de la traite, débiteur du porteur.

Schéma 2

Est-ce à dire que le rapport qui se crée entre le porteur de la lettre de change et le tiré peut être qualifié de rapport fondamental ?

Bien que le rapport qui se noue entre eux par l’effet de la transmission du titre ne soit pas de nature cambiaire, il ne peut pas non plus être qualifié de rapport fondamental.

La raison en est que ce rapport ne préexiste pas à l’émission du titre. Il est seulement la conséquence de sa transmission.

Partant, le rapport juridique qui se noue entre le tiré et le porteur n’est qu’indirect.

Qui plus est, ce rapport est frappé d’une grande fragilité : tant que la traite n’a pas été acceptée ou que son échéance n’est pas survenue, le porteur n’est titulaire que d’un droit de créance éventuel sur le tiré.

En effet, l’article L. 511-7 du Code civil n’interdit nullement au tireur de disposer du droit de créance dont il est titulaire sur le tiré avant l’échéance, ce quand bien même la traite a été transmise au porteur.

Prévoir le contraire, serait revenu à vider de sa substance la fonction de la lettre de change qui est un instrument de crédit

 B) Le rapport cambiaire

Le rapport cambiaire se définit très simplement comme le rapport qui se crée lors de l’émission d’un effet de commerce.

Ce rapport cambiaire engage celui qui appose sa signature sur le titre envers le porteur, soit celui à qui il transmet la traite.

Ainsi, le rapport cambiaire vient-il se superposer au rapport fondamental préexistant qui s’est noué entre le tireur et le porteur de la lettre de change.

Schéma 3

Par ailleurs, le signataire de la traite s’engage cambiairement envers tous les porteurs subséquents.

Schéma 4

Chaque souscripteur de l’effet de commerce est donc engagé cambiairement autant de fois qu’il est de porteurs subséquents. L’endosseur ne sera, en ce sens, jamais engagé cambiairement envers le tireur.

Il peut être observé que le tireur et les endosseurs ne sont pas les seuls à pouvoir s’engager cambiairement.

L’engagement cambiaire est ouvert à deux autres personnes :

  • Le tiré
  • L’avaliste

L’engagement cambiaire du tiré

L’engagement cambiaire du tiré est subordonné à ce que l’on appelle l’acceptation.

L’acceptation se définit comme la faculté pour le tiré de souscrire à la traite qui lui sera présentée « pour acceptation ».

Par cette acceptation ­? qui se traduira par l’apposition de la signature du tiré sur le titre, assortie de la mention « bon pour acceptation » ? le tiré s’engage cambiairement, d’une part, envers le porteur de la traite, d’autre part envers le tireur.

Il s’ensuit que le tiré devient le débiteur principal de l’effet de commerce.

Cela signifie qu’il n’aura de recours contre personne une fois le paiement de la traite effectué (à l’exception du tireur qui n’a pas fourni provision). Et pour cause, dans la mesure où la créance incorporée dans le titre le désigne comme débiteur !

Schéma 5

L’engagement cambiaire de l’avaliste

Lorsque le tireur, le tiré ou un endosseur souscrit à la lettre de change, il peut assortir son engagement d’une garantie, qui sera consentie, soit par un tiers, soit par un signataire de la traite.

Cette garantie porte le nom d’« aval ». Le garant est, quant à lui, qualifié d’avaliste, d’avaliseur ou bien encore de donneur d’aval.

Ainsi, l’aval constitue-t-il une « garantie personnelle de paiement du titre, donné en la forme cambiaire, par un donneur d’aval qui garantit que la lettre sera payée, en tout ou partie, à l’échéance » (R. Bonhomme, Instruments de crédit et de paiement, LGDL, 11e éd., 2015, coll. « manuel », n°193, p. 156-157.)

L’aval s’apparente, dans cette perspective, à un cautionnement consenti au bénéfice d’un ou plusieurs signataires de la traite, de sorte que l’avaliste est engagé ? cambiairement ? dans les mêmes termes que celui dont il garantit l’engagement (art. L. 511-21 C. com).

Schéma 6

En quoi le rapport cambiaire se distingue-t-il du rapport fondamental ?

Il s’en distingue en tous points :

  • L’obligation cambiaire est toujours commerciale
    • Compétence des juridictions consulaires
  • L’obligation cambiaire est solidaire
    • Le bénéficiaire de la traite est fondé à poursuivre en paiement de la traite n’importe lequel de ses signataires
  • La validité et la vigueur de l’obligation cambiaire sont subordonnées au respect des conditions de forme du titre.
    • Les signataires successifs de la traite se portent acquéreurs de la créance qu’elle incorpore en considération de l’apparence du titre; d’où la rigueur du formalisme.
  • L’obligation cambiaire est autonome, en ce sens que l’engagement cambiaire de chaque souscripteur est apprécié séparément, indépendamment de la validité de l’engagement des autres signataires.
    • C’est ce qu’on appelle le principe d’indépendance des signatures
  • L’obligation cambiaire est abstraite ce qui signifie qu’elle est détachée du rapport fondamental qui en constitue la cause.
    • Autrement dit, le vice (nullité ou extinction de l’obligation) dont est entaché le rapport fondamental n’affecte pas la validité du rapport cambiaire; d’où le principe d’inopposabilité des exceptions.

II) LES RELATIONS ENTRE LE RAPPORT FONDAMENTAL ET LE RAPPORT CAMBIAIRE

A) L’influence du rapport cambiaire sur le rapport fondamental

Depuis la moitié du XIXe siècle, il est admis par la jurisprudence, non sans de tumultueux débats, que l’émission ou l’endossement d’une lettre de change n’entraîne pas novation de l’obligation préexistante (Cass. civ. 1850, D. 1850. 1. 158).

La raison en est que, conformément à l’article 1273 du Code civil, « la novation ne se présume point ; il faut que la volonté de l’opérer résulte clairement de l’acte. ».

On ne saurait déduire, en effet, que, en acquérant la traite, le porteur a entendu renoncer aux droits attachés à la créance préexistante dont il est titulaire et, notamment, aux sûretés réelles et personnelles dont ladite créance est susceptible d’être assortie (V. en ce sens Chr. Juillet, Les accessoires de la créance, Defrénois, 2009).

Il s’ensuit que, par principe, le rapport fondamental survit à la création du rapport cambiaire pour se superposer à lui.

L’intérêt pour le créancier cambiaire est double :

  • Il conserve le bénéfice des sûretés attachées au rapport fondamental préexistant
  • En cas de négligence ou de prescription de l’action cambiaire, il se ménage un recours de droit commun contre son débiteur cambiaire
    • Soit, s’il est tiré sur le fondement de la provision
    • Soit s’il est tireur ou endosseur sur le fondement de la valeur fournie

B) L’influence du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Par principe, les rapports cambiaires et fondamentaux demeurent indépendants l’un de l’autre.

Cette indépendance souffre, néanmoins, de nombreuses exceptions en raison de la double influence que le rapport fondamental exerce sur le rapport cambiaire :

  • Tantôt, il renforce le rapport cambiaire auquel il se superpose
  • Tantôt, il fragilise ce même rapport cambiaire dont il menace l’existence
  1. L’influence positive du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Le rapport fondamental exerce une influence positive sur le rapport cambiaire auquel il se superpose pour trois raisons :

  • Tout d’abord, il confère au détenteur du titre une action fondamentale qui repose sur le droit commun, de sorte que s’il est négligent ou que l’action cambiaire est prescrite, il dispose d’une action subsidiaire lui permettant, malgré tout, d’actionner en paiement le débiteur de la traite.
  • Ensuite, la transmission de la traite à un tiers emporte, par principe, transfert de la propriété de la provision, sans qu’il soit besoin d’accomplir les formalités propres à la cession de créance
  • Enfin, le transfert de la provision opéré par la transmission de la traite a pour conséquence de transmettre, corrélativement, aux différents porteurs successifs toutes les garanties que les parties ont entendu attacher à la possession de l’effet

2. L’influence négative du rapport fondamental sur le rapport cambiaire

Bien que l’on présente le rapport fondamental comme abstrait, à la vérité, il ne l’est pas complètement comme c’est le cas en droit allemand.

En effet, dans la mesure où l’on exige, en droit français, que l’obligation cambiaire, à laquelle souscrivent les signataires successifs de la traite, soit causée, on ne saurait faire fi totalement des vices susceptibles d’affecter le rapport fondamental.

Ainsi, lorsque l’engagement cambiaire du souscripteur de la traite est sans cause ou repose sur une cause illicite, il est frappé de nullité

Il en résulte, en outre, que le principe d’inopposabilité des exceptions qui, normalement, bénéficie au porteur de l’effet voit son application écartée lorsque les exceptions invoquées sont issues des relations personnelles entretenues entre le porteur de la traite et son débiteur.

Il en va notamment ainsi des exceptions tirées de la nullité et de l’extinction du rapport fondamental qui les unit l’un à l’autre.