Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 23-11.656 : Reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie et condition d’inopposabilité

Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 23-11.656, publié au bulletin :

Rejet de l’action en inopposabilité de la prise en charge d’une maladie professionnelle pour défaut de communication des certificats médicaux de prolongation d’arrêt de travail

Résumé.

La Cour de cassation confirme que les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail n’ont pas à être communiqués par la caisse à l’employeur. La raison invoquée : le certificat médical initial est suffisant pour apprécier la réunion des conditions d’un tableau de maladie professionnelle. La contestation qui perdure : les effets de la prise en charge par la branche AT/Mp sont inscrites au « compte employeur » or toutes les prestations sociales servies n’ont pas nécessairement à être couvertes de la sorte. Et pour le vérifier, il importe que soient communiqués lesdits certificats…ce qui est à nouveau refusé.

Commentaire.

A l’issue de ses investigations, une caisse primaire d’assurance maladie prend en charge, au titre de la législation professionnelle, la pathologie déclarée par un salarié. L’employeur, qui conteste la qualification juridique retenue, saisit une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d’un recours en inopposabilité. L’enjeu pour l’intéressé est d’échapper aux suites de la réalisation du risque assuré, à savoir la majoration de son taux brut de cotisation (pour le cas où l’entreprise ne relève pas de la tarification collective). Dans le cas particulier, l’employeur fait grief à la caisse d’avoir violé le principe du contradictoire et méconnu les prescriptions de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale en ne lui ayant pas communiqué tous les certificats médicaux qu’elle détenait, à savoir : les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail, à la lumière desquels elle a pu forger son analyse.

Il faut bien voir qu’en raison de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, toutes les prestations en espèce comme en nature ont vocation à être inscrites au « compte employeur ». Contester la décision de la caisse primaire, c’est espérer une déclaration d’inopposabilité de la prise en charge de la maladie initiale ou, à tout le moins, l’inopposabilité de la couverture par la branche AT/MP des nouveaux symptômes ou lésions qui ont justifié la prolongation de l’arrêt de travail.

Saisie, la cour d’appel de Nancy ne fait pas droit à cette demande, qui énonce que le dossier est complet et que l’obligation d’information mise à la charge de la caisse est respectée nonobstant le défaut de communication des certificats de prolongation des arrêts de travail. L’important pour les juges du fond : c’est que l’employeur a pu apprécier la réalisation des conditions du tableau de maladie professionnelle.

La Cour de cassation partage l’analyse et rejette le pourvoi après s’être déjà prononcée sur le sujet (Civ. 2, 16 mai 2024, n° 22-22.413 et n° 22-15.499). Elle reprend du reste un attendu de principe mot à mot. A l’évidence, la deuxième chambre civile peine à convaincre les employeurs concernés.

Il faut bien dire que formellement, l’article R. 441-14, 2° du code de la sécurité sociale dispose que le dossier constitué par la caisse primaire comprend « les divers certificats médicaux détenus par la caisse » sans plus d’indication. Considérer que seuls ceux qui ont vocation à faire grief doivent être communiqués c’est introduire une condition supplémentaire douteuse, qui force à la casuistique. Et refuser de communiquer les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail, c’est empêcher l’employeur de contester éventuellement le lien de causalité entre les nouveaux symptômes ou lésions (qui ont imposé la prescription d’un nouvel arrêt de travail) et la maladie initiale. C’est donc laisser souffrir ce dernier d’une inscription sur le « compte employeur » de prestations sociales servies en regard possiblement injustifiées.

La Cour de cassation, après la cour d’appel, et conformément à sa jurisprudence, précise qu’il n’y a pas lieu de communiquer les certificats ou les avis de prolongation de soins ou arrêts de travail critiqués, délivrés après le certificat médical initial, parce qu’ils ne portent pas sur le lien entre l’affection, ou la lésion, et l’activité professionnelle. Et de limiter ce faisant les atteintes portées au secret médical dû à la victime, atteintes rendues (au passage) nécessaires pour que le procès soit équitable (art. 122-4, al. 1 ensemble art. 226-14 c. pén. V. not. Civ.2, 22 févr. 2005, n° 03-30.308, publié au bulletin). En complément des arrêts rendus au printemps 2024, la Cour de cassation précise que seul le certificat médical initial participe de l’objectivation de la maladie, les certificats médicaux de prolongation n’étant pas de nature à influer sur la caractérisation de la maladie mais sur les conséquences de celle-ci. Et d’ajouter que les pièces figurant au dossier informaient suffisamment l’employeur sur la pathologie déclarée et la réalisation des conditions du tableau.

C’est sur ce point précis que se cristallise le débat. Que le certificat médical initial renseigne l’agent causal d’une maladie professionnelle ou bien d’un accident de travail, personne n’en disconvient. Que le dossier constitué puis communiqué dans la foulée par la caisse permette à l’employeur d’apprécier le bien fondé de la qualification retenue et de faire connaître ses observations éventuelles (au sens de l’article R. 441-8, II, al. 1 c. sécu. soc.), personne ne le discute à hauteur de principe.

Mais il faut voir que consécutivement à la prise en charge de la maladie par la branche AT/MP, la charge financière de la couverture du risque est transférée à l’employeur ou bien à la communauté des employeurs (en cas de tarification collective du risque). Exiger la communication des certificats litigieux, c’est vérifier que les prestations sociales qui continuent d’être servies sont une suite directe du fameux agent causal princeps. Vérification qui est rendue d’autant plus nécessaire toutes les fois qu’un temps relativement long a pu s’écouler depuis que la victime est tombée malade.

En conclusion, refuser la communication de toutes les pièces du dossier, c’est d’une part, et nécessairement, accorder un pouvoir d’appréciation aux administrations de sécurité sociale quant à la question de savoir si les éléments en débat sont susceptibles de faire grief ou non ; c’est d’autre part, et possiblement, provoquer un appauvrissement injustifié de l’employeur.

Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (déc. 2024, n° 1321) révèle que les arrêts pour accidents du travail et maladies professionnelles continuent de croître en nombre de jours et en montant (4,1 milliards d’euros). La branche AT/MP étant financée par les seules cotisations sociales patronales, il est entendable que les employeurs, qui ont la responsabilité de maximiser l’allocation des ressources, fassent feu de tout bois pour sinon renverser la présomption légale d’imputabilité (qui suppose une preuve souvent impossible à rapporter d’une cause totalement étrangère au travail), à tout le moins réduire les incidences financières du caractère professionnel de la maladie ou bien de l’accident. Et tandis que la législation sociale a été imaginée pour prévenir le contentieux, la juridictionnalisation du droit des accidents du travail et des maladies professionnelles questionne l’économie générale des règles sous étude.

Article publié in Dalloz actualité 5 mai 2025.

Projet de réforme de la responsabilité civile et droit de la réparation du dommage corporel

Avis sur le projet de loi portant réforme de la responsabilité civile (13 mars 2017)

IV. – Règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel

Les travaux engagés par les rapporteurs de la mission d’information sur la responsabilité civile visent principalement à répondre à trois questions.

Les voici rappelées.

Quelles sont les innovations les plus positives ou, au contraire, les plus contestables apportées à ce projet ?

Prend-il correctement en compte l’évolution de la jurisprudence et de la doctrine ?

Comporte-t-il des dispositions qui méritent d’être améliorées ou corrigées, ou qui appellent une clarification pour éviter les difficultés d’application et d’interprétation ? Souffre-t-il de manques particuliers ?

 

A l’une des questions posées, et pour ce qui concerne spécialement les règles particulières sous étude, une réponse affirmative s’impose d’emblée. Le projet de réforme a certainement pris en compte l’évolution de la jurisprudence. Quant à la doctrine, ses travaux ont assurément inspiré les rédacteurs. En bref, le gros des dispositions est susceptible de recueillir l’assentiment de l’université, du palais et des cabinets.

Le projet, dont la mission d’information s’est pleinement saisie, compte de nombreuses innovations. C’est ce qui sera présenté d’abord.Quant aux corrections qui pourraient être apportées, elles retiendront l’attention ensuite.

1.- Les innovations du projet de réforme

Le projet de réforme de la responsabilité civile, relativement aux règles particulières à la réparation du dommage corporel, est des plus intéressants. Dans le cas particulier, et à l’exception d’une innovation plus contestable (b), il est fait d’innovations positives (a).

a.- Les innovations positives ont toutes été pensées dans un seul et même but, à savoir : garantir, autant que faire se peut, une égalité de traitement des victimes devant la loi. C’est tout à fait remarquable car, en l’état du droit positif, à atteinte en tout point semblable en fait, les intéressées ne sont pas du tout traitées de la même manière en droit. Quelles sont ces innovations ?

Ordre.- Les règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel auront vocation à s’appliquer – sans distinction aucune – aux juges, aux assureurs, aux fonds d’indemnisation (qui paient en première intention) et aux fonds de garantie (qui paient en désespoir de cause). Le principe est énoncé à l’article 1267. Il importera donc à tout un chacun de déférer au seul ordre de la loi civile. La solution a le mérite de mettre un terme aux désordres du droit, qui sont notamment provoqués par l’existence de deux ordres de juridiction et l’invention de systèmes de solutions arrêtés respectivement par le juge administrative et le juge judiciaire qui tantôt ne convergent pas tout à fait, tantôt divergent franchement.

Nomenclature.- Le projet doit encore être salué, car il transforme un essai manqué à plusieurs reprises en législation, à savoir la consécration d’une nomenclature (non limitative) des préjudices corporels (art. 1269). En vérité, la voie de l’uniformisation a d’ores et déjà été prise en pratique. On pourrait donc craindre qu’on légiférât sans grand intérêt sur le sujet. Dans la mesure toutefois où il est encore quelques désaccords sur la question, notamment entre le Conseil d’État et la Cour de cassation, la loi fera gagner en certitude.

Barémisation.- Autre motif de satisfaction : l’élaboration d’un barème médical unique et indicatif (art. 1270) en lieu et place de la myriade de référentiels qui changent du tout au tout l’évaluation qui est faite par les professionnels de santé du dommage subi. Il restera bien entendu à s’entendre sur la définition, d’une part, des atteintes organiques et fonctionnelles et, d’autre part, sur leur quantification respective. Mais, à hauteur de principe, l’article 1270 participe de l’égalité de traitement des victimes.

Référentiel.- L’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des chefs de préjudices extra-patrimoniaux (voy par ex. le déficit fonctionnel, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice sexuel, etc.) doit retenir l’attention. C’est que le projet de loi, aussi innovant qu’il soit sur la question, est clivant plus sûrement encore. Ni les associations de victimes, ni les avocats de ces dernières n’y sont favorables. Et pourtant, il y a des raisons d’opiner.

Il est bien su que la monétisation de ces derniers est des plus contingentes. Dans la mesure où il n’y a aucune espèce d’équivalent envisageable, la réparation des préjudices non économiques est nécessairement arbitraire.

Le référentiel permettrait de rendre la demande en justice et/ou l’offre d’indemnisation moins fantaisiste et la décision du juge moins discrétionnaire. En outre, s’il était décidé de minorer ou majorer ce qui est ordinairement accordé dans un cas approchant, il appartiendrait aux intéressés de s’en expliquer. Enfin, et c’est plus volontiers d’économie du droit dont il est question, le dispositif devrait participer à réduire la variance du risque de responsabilité et, partant, à diminuer (au moins théoriquement) les primes et cotisations appelées par les organismes d’assurance.

Indexation.- L’indexation de la rente indemnitaire (art. 1272, al. 1er) et l’actualisation du barème de capitalisation (art. 1272, al. 2) sont de graves questions. Il importait que le législateur s’en saisissent. C’est du reste une réforme qui est appelée des vœux de toutes les personnes intéressées par la compensation du dommage corporel. C’est que, en l’état du droit positif, le juge est purement et simplement abandonné à prendre une décision parmi les plus importantes qui soit en la matière (v. infra).

Remboursement.- Pour terminer sur ces innovations positives, il faut dire un mot de la réforme du recours des tiers payeurs (art. 1273-1277). Les dispositions sont parmi les plus techniques qui soient. Il importe de retenir – c’est l’essentiel – qu’à la faveur du projet, les caisses de sécurité sociale seront mieux loties qu’elles ne le sont aujourd’hui tandis que la solidarité nationale sera moins sollicitée.

Il importe également de signaler à la mission d’information que l’article 1276 devrait faire l’objet d’une vive opposition de la part des associations de victimes et des avocats défenseurs des intérêts de ces dernières. La raison tient à ceci que la correction opérée par le projet aura nécessairement pour effet de réduire quelque peu les dommages et intérêts compensatoires.

En l’état du droit positif, lorsque les caisses poursuivent le tiers responsable du dommage causé à un assuré social pour obtenir le remboursement de leurs débours, elles entrent possiblement en concours avec la victime qui, de son côté, a engagé une action aux fins d’indemnisation complémentaire. Le concours d’actions (action en remboursement vs action en indemnisation) est source d’un conflit que le droit résout au profit exclusif de la victime, qui est systématiquement préférée aux tiers payeurs alors pourtant qu’elle a pu (pour prendre un exemple typique) commettre une faute à l’origine de son dommage.

Le législateur gagnerait donc à maintenir l’article 1276, car la victime est équitablement lotie et la caisse justement remboursée.

b.- Aux nombres des règles particulières à la réparation du préjudice résultant d’un dommage corporel, le projet renferme une innovation plus contestable.

L’article 1233-1 dispose que la victime, qui est le siège d’une atteinte à son intégrité physique, est fondée à obtenir réparation sur le fondement des seules règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même que le dommage serait causé à l’occasion de l’exécution d’un contrat.

Intention.- Techniquement, la règle paralyse, d’une part, le jeu d’une clause qui aurait pour objet ou pour effet de minorer voire d’exclure la réparation (garantie de la réparation). La règle interdit, d’autre part, la découverte d’une obligation (par ex. d’information ou de sécurité) dont l’inexécution consommée assurerait un fondement commode à la condamnation du débiteur au paiement de dommages et intérêts (sécurité juridique). Fondamentalement, la règle se réclame d’une sentence prononcée par un éminent auteur, à savoir que ce serait « artifice que de faire entrer [dans le contrat] des bras cassés et des morts d’homme ; les tragédies sont de la compétence des articles 1382 et suivants » (Jean Carbonnier). En outre, c’est une proposition qui a été faite en son temps par le projet Terré.

Raison(s).- Aussi fructueuse qu’elle puisse paraître de prime abord, cette disposition préliminaire doit être écartée. Il y a deux raisons à cela. Elles sont d’inégale valeur.

D’abord, elle porte peu à conséquence, car la réparation ne peut être limitée ou exclue par contrat en cas de dommage corporel (art. 1281, al. 2). Ensuite, et surtout, il existe toute une série de situations dans lesquelles le contractant encourt un risque spécifique du fait du contrat, notamment en cas de prestations de transport, de prestations sportives, de prestations ludiques impliquant un dynamisme propre ou encore de prestations médicales. Or, la volonté d’interdire au juge qu’il ne force le contrat (au point de le gauchir purement et simplement) priverait les personnes concernées de la liberté d’aménager les modalités de la réparation.

C’est la raison pour laquelle il sera recommandé que cette disposition soit supprimée.

C’est le seul point d’achoppement qui a été relevé. Le reste des dispositions projetées est de bonne facture. Ce n’est pas à dire toutefois qu’il ne faille pas ici ou là apporter quelques corrections au projet de réforme de la responsabilité civile.

2.- Les corrections du projet de réforme

La considération du législateur et du juge pour la nature corporelle du dommage est en définitive assez récente. Il faut bien voir que jusqu’à l’insertion des articles 16 et suivants dans le Code civil en 1994 (qui renferment les règles relatives au respect du corps humain), l’homme n’est que pur esprit. Et le Code civil de 1804 de repousser toute hiérarchisation des intérêts protégés. Pour le dire autrement, tous les dommages se valent ; ils ont une égale vocation à la réparation.

Le temps a depuis fait son œuvre. La réparation du dommage corporel a été érigée en impératif catégorique.

Le projet de réforme de la responsabilité civile en porte distinctement la marque. Relativement aux règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel, et sous réserve des quelques corrections qui pourraient être faites, le projet est de la belle ouvrage.

Art. 1254.- L’alinéa 2 de l’article mériterait d’être modifié. Il est prévu que seule une faute lourde (une négligence d’une extrême gravité, « rare sottise » a pu dire en son temps la Cour de cassation) de la victime d’un dommage corporel pourrait entraîner l’exonération partielle du responsable. C’est une faveur trop grande. Il apparaît pour le moins sévère de faire supporter au défendeur à l’action en réparation, et à son assureur de responsabilité civile, les conséquences de la faute de la victime alors pourtant que cette dernière a contribué de façon patente à la réalisation du dommage. Il y a plus.

Il faut bien voir que l’assureur de responsabilité civile sur qui, par hypothèse, le poids de la réparation va être déplacé ne s’est engagé qu’à une chose : protéger le patrimoine du responsable contre une aggravation du passif (constituée par la dette de dommages et intérêts). Ce serait un tort de penser qu’il est censé couvrir le sinistre tel un assureur de personnes. C’est pourtant à une cette conséquence qu’on parvient de proche en proche. En empêchant la victime d’une faute lourde d’être complètement indemnisée du tort subi, le législateur pourrait passer pour sévère.

Cela étant, que le droit considère plus volontiers l’affliction de toute personne atteinte dans son intégrité corporelle est une chose ; elle est acquise. Que le droit exonère en revanche la victime de toute responsabilité en est une autre ; c’est plus douteux. Il ne s’agirait pas que les règles particulières sous étude dispensent tout un chacun de sa responsabilité individuelle, qui consiste : i.- à prévenir autant que faire se peut la survenance du dommage corporel ; ii.- à souscrire autant que de besoin une assurance de personnes (voy. par ex. la garantie accident de la vie) pour le cas où ce dernier dommage se réaliserait.

Art. 1268.- L’incidence de l’état antérieur de la victime (c’est-à-dire la situation dans laquelle elle se trouvait avant que l’événement dommageable ne lui préjudicie) est réglementée. Ce faisant, le projet conforte une jurisprudence qui considère que le droit à réparation ne saurait être réduit par des prédispositions pathologiques lorsque l’affection qui en résulte n’a été révélée ou provoquée que par le fait de l’accident ou de l’infraction.

Il est regrettable toutefois que l’article 1268 n’ait pas réglementé un cas particulier, qui est source d’une grande confusion en pratique : celui du fait dommage qui transforme radicalement (ou sans commune mesure) l’invalidité préexistante et qui impose, par voie de conséquence, en équité, l’indemnisation de l’entier dommage subi.

C’est pourtant un cas de figure qui n’est pas exceptionnel en pratique et qui est très mal connu et/ou compris par les professionnels de santé nommés aux fins d’expertise (amiable ou judiciaire).

On proposera donc les modifications suivantes : al. 1 : « Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable  » ; al. 2 : « Il en va de même lorsque lesdits préjudices ont transformé radicalement la nature de l’invalidité ».

Art. 1270.- L’élaboration d’un barème médical unique et indicatif est une nécessité en la matière. Une fois encore, ce dispositif participe de l’égalité de traitement des victimes. À l’expérience, les médecins et chirurgiens experts se représentent plus volontiers la « barémisation » tel un dispositif impératif. Ce qui est une erreur en droit ; c’est purement indicatif. Prescrire qu’il importe de déterminer les modalités d’élaboration, de révision et de publication apparaît donc tout aussi nécessaire.

Ceci étant dit, une difficulté n’est pas réglée par le texte. Elle a trait au déficit fonctionnel, qui ne reçoit aucune définition. De prime abord, la chose est entendue. Et pourtant, la victime peut tout à fait être le siège d’une atteinte organique et ne subir aucun retentissement fonctionnel.

Un exemple concret permettra de s’en convaincre. Une personne ingère un médicament des années durant. À l’analyse, le principe actif se révèle valvulotoxique. Les examens échographiques attestent que l’intéressée est victime d’une valvulopathie médicamenteuse. Par chance, elle n’a aucun déficit fonctionnel. Le risque que sa situation ne s’aggrave est certes plus grand. En droit, son angoisse peut assurément être indemnisée. Mais, sauf ce dernier chef de préjudice, la victime subit un dommage (c’est à dire une atteinte contemporaine de la prise de médicament) sans aucune espèce de conséquence (c’est à dire sans préjudice juridiquement réparable). Si la distinction dommage corporel / préjudices est volontiers reçue par les juristes, il n’en va nécessairement de même des professionnels de santé dont l’expertise est requise auxquels le texte s’adresse plus volontiers. On proposera donc de compléter le texte à leur attention, en précisant que le déficit fonctionnel mesure le retentissement préjudiciable subi .

Article 1270 : Sauf disposition particulière, le déficit fonctionnel, qui mesure le retentissement physiologique et situationnel préjudiciable d’une atteinte organique, est évalué selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voie réglementaire.

Article 1271. – L’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation aux fins d’évaluation des chefs de préjudices extrapatrimoniaux est une bonne chose. Cette disposition participe tout aussi certainement que les articles 1269 et 1270 de l’égalité de traitement des victimes. Ce n’est pas le seul avantage qui pourrait être retiré du texte. On peut augurer une minoration de la variance du risque de responsabilité et, partant, une réduction théorique des primes et cotisations. Au reste, et cela emporte tout autant sinon plus, la demande en justice et l’offre d’indemnisation pourront passer pour moins fantaisistes tandis que la décision du juge pourra sembler moins discrétionnaire (encore qu’il soit tenu par le principe dispositif). C’est qu’un tel référentiel supposera expliquée la raison pour laquelle la victime se verra allouer plus ou moins de dommages et intérêts en comparaison avec ce qui est ordinairement accordé.

On regrettera toutefois que la base de donnée ne rassemble que les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation. On gagnerait à recenser toutes les décisions rendues par les juges judiciaires et administratifs, comme du reste toutes les offres d’indemnisation adressées aux victimes par les fonds de garantie et d’indemnisation.

On proposera donc de corriger l’article 1271 en supprimant a minima les mots « victimes d’un accident de la circulation ».

Article 1272. – C’est de l’indexation de la rente (art. 1272, al. 1er) et de table de capitalisation (art. 1272, al. 2) dont il est question.

L’indexation de la rente indemnitaire est une nécessité, particulièrement en période d’inflation. L’article 1272 a donc le mérite de garantir un service utile des prestations (de survie) à terme. Il y a plus. Il généralise un dispositif pratiqué jusqu’à présent dans le seul droit des accidents de la circulation. Un cadre serait ainsi donné. C’est au passage une réforme qui est appelée des vœux de toutes les personnes intéressées par la compensation du dommage corporel.

Une remarque critique sera toutefois faite quant au choix de l’indice de référence. Sur la forme, le projet de réforme prescrit d’avoir égard à l’évolution du salaire minimum. Une précision s’impose. S’agit-il d’indexer la rente indemnitaire sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance ou bien le calcul doit-il être fait sur la base des revenus professionnels (nets de cotisations sociales) du crédirentier ? Dans la mesure où l’indice est fixé par voie réglementaire, la première branche de l’option s’impose manifestement. L’article 1272 gagnerait toutefois à être complété en conséquence.

Quant à la table de capitalisation, il faut saluer que le législateur se saisisse de la question et n’abandonne plus le juge à une si lourde responsabilité (v. supra). Des arrêts récents rendus dans le courant de l’année par la Cour de cassation attestent l’acuité de la problématique. Et déjà en 2002, le rapport de la commission du Conseil national d’aide aux victimes concluait à la nécessité impérative de publier un barème de capitalisation actualisé. Plus concrètement, la question se pose de savoir s’il importe de prendre en compte l’inflation future dans la base de calcul. Il importe d’avoir à l’esprit que les assureurs sont hostiles. On peut leur accorder qu’une estimation à long terme de ladite inflation est pour le moins divinatoire. Ceci étant dit, l’absence de toute prise en compte serait susceptible de conduire à des résultats plus fâcheux encore, les fluctuations de la monnaie pouvant empêcher la victime de remployer utilement les dommages et intérêts compensatoires alloués. Aussi, et parce que la loi doit être féconde en conséquences, il ne semble pas déraisonnable d’inviter le législateur à se prononcer sur ce point.

Synthèse des propositions de corrections

Art. 1254 : « Le manquement de la victime à ses obligations contractuelles, sa faute ou celle d’une personne dont elle doit répondre sont partiellement exonératoires lorsqu’ils ont contribué à la réalisation du dommage. En cas de dommage corporel, seule une faute lourde peut entraîner l’exonération partielle. »

Art. 1268, al. 1 : « Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. » Al. 2 : « Il en va de même lorsque lesdits préjudices ont transformé radicalement la nature de l’invalidité. »

Article 1270 : « Sauf disposition particulière, le déficit fonctionnel après consolidation, qui mesure le retentissement physiologique et situationnel préjudiciable d’une atteinte organique, est mesuré selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voie réglementaire. »

Article 1271 : « Un décret en Conseil d’État fixe les postes de préjudices extra-patrimoniaux qui peuvent être évalués selon un référentiel indicatif d’indemnisation, dont il détermine les modalités d’élaboration et de publication. Ce référentiel est réévalué tous les trois ans en fonction de l’évolution de la moyenne des indemnités accordées par les juridictions. A cette fin, une base de données rassemble sous le contrôle de l’État et dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation. »

Article 1272 : «  L’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de revenus des proches ou de l’assistance d’une tierce personne a lieu en principe sous forme d’une rente. Celle-ci est indexée sur un indice fixé par voie réglementaire et lié à l’évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Avec l’accord des parties, ou sur décision spécialement motivée, la rente peut être convertie en capital selon une table déterminée par voie réglementaire fondée sur un taux d’intérêt prenant en compte l’inflation prévisible et actualisée tous les trois ans suivant les dernières évaluations statistiques de l’espérance de vie publiées par l’Institut national des statistiques et des études économiques. Lorsqu’une rente a été allouée conventionnellement ou judiciairement en réparation de préjudices futurs, le crédirentier peut, si sa situation personnelle le justifie, demander que les arrérages à échoir soient remplacés en tout ou partie par un capital, suivant la table de conversion visée à l’alinéa précédent. »

La stipulation pour autrui: effets

La stipulation pour autrui, en introduisant un tiers bénéficiaire dans un rapport contractuel auquel il n’a pas pris part, s’affranchit du principe de l’effet relatif des contrats. Ce mécanisme confère à ce tiers un droit direct à l’encontre du promettant, tandis que le stipulant demeure l’architecte de cette attribution. Dès lors, les effets de la stipulation ne se limitent pas à la seule relation entre le stipulant et le promettant : ils s’étendent également aux liens qu’ils entretiennent avec le bénéficiaire, chacun jouant un rôle distinct dans l’équilibre de l’opération.

Ainsi, trois rapports juridiques se superposent tout en conservant leur autonomie : d’abord, la relation contractuelle initiale entre le stipulant et le promettant, qui constitue le fondement même de la stipulation ; ensuite, le lien qui s’établit entre le promettant et le bénéficiaire, ce dernier pouvant revendiquer l’exécution de la prestation convenue ; enfin, la relation entre le stipulant et le bénéficiaire, qui peut soulever des interrogations quant à la nature et aux limites des droits que ce dernier tient de la stipulation.

Il convient donc d’examiner successivement ces trois séries d’effets, afin de mieux saisir la portée et l’articulation des obligations nées de la stipulation pour autrui.

A) Les effets de la stipulation dans les rapports entre le stipulant et le promettant

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre contre le promettant, elle n’épuise pas pour autant les droits du stipulant, qui demeure lié contractuellement au promettant. Ce dernier, bien que tenu d’exécuter une obligation au profit d’un tiers, reste en rapport direct avec le stipulant, dont il tire l’obligation principale. La relation entre ces deux parties repose ainsi sur une articulation délicate entre l’engagement souscrit envers le bénéficiaire et les droits que le stipulant conserve du fait du contrat dont est issue la stipulation.

1. L’existence d’un droit propre du stipulant à l’égard du promettant

Le stipulant, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation pour autrui, conserve des droits propres à l’encontre du promettant, distincts de ceux conférés au bénéficiaire. Ces prérogatives trouvent leur source dans un double fondement : d’une part, le contrat conclu entre le stipulant et le promettant, qui régit leurs relations et leur confère des droits et obligations réciproques ; d’autre part, la stipulation elle-même, qui, bien qu’ayant pour finalité l’octroi d’un avantage à un tiers, ne prive pas le stipulant de toute maîtrise sur l’exécution de l’engagement souscrit par le promettant.

Ainsi, la stipulation pour autrui, loin d’anéantir les droits du stipulant, lui confère, au contraire, la possibilité d’exiger du promettant qu’il s’exécute conformément aux engagements contractuellement souscrits. Le stipulant demeure ainsi un acteur central de l’opération, disposant d’un droit propre à veiller à l’effectivité de la prestation due au bénéficiaire et, en cas d’inexécution, à en tirer toutes les conséquences juridiques.

Toutefois, la coexistence entre le droit du stipulant et celui du bénéficiaire n’est pas absolue et peut, dans certaines configurations, se trouver résorbée au profit du seul droit du bénéficiaire. Cette absorption intervient notamment lorsque l’objet du contrat consiste exclusivement à faire bénéficier un tiers d’une prestation, à l’exclusion de toute créance résiduelle du stipulant contre le promettant.

Tel est le cas, par exemple, dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie souscrit au profit d’un tiers : dès lors que l’assureur s’engage exclusivement à verser un capital au bénéficiaire, le souscripteur de l’assurance n’a plus, à l’égard de l’assureur, aucun droit propre lui permettant d’interférer dans l’exécution de l’engagement pris. Il en va de même lorsqu’un contrat de vente prévoit que le prix sera réglé directement entre les mains d’un tiers, que ce soit sous forme de rente viagère ou de capital payable en une seule fois : le droit du bénéficiaire à percevoir la somme convenue vient, en quelque sorte, supplanter et éteindre toute créance que le stipulant aurait pu initialement détenir à l’encontre du promettant.

Dans ces hypothèses, le stipulant se trouve privé de toute action propre contre le promettant et ne peut en aucun cas contester la transmission du droit au bénéficiaire. L’opération, une fois conclue, se referme sur elle-même : le stipulant disparaît de l’équation juridique, ne laissant subsister qu’une relation directe entre le bénéficiaire et le promettant.

Dans la plupart des cas, toutefois, le droit du stipulant demeure distinct de celui du bénéficiaire, ce qui soulève la question de l’articulation entre ces deux prérogatives. En effet, bien que le bénéficiaire puisse faire valoir un droit propre à l’encontre du promettant, ce dernier n’en devient pas pour autant son cocontractant direct au sens strict du terme : il reste tenu en vertu d’un engagement pris à l’égard du stipulant, qui demeure la source même de son obligation.

Dès lors, si le bénéficiaire est en droit d’exiger du promettant l’exécution de la stipulation, il ne saurait, en revanche, se prévaloir de moyens d’action propres aux parties au contrat générateur de la stipulation, tels que :

  • Les actions en nullité du contrat : seul le stipulant, en sa qualité de contractant, peut contester la validité du contrat ayant donné naissance à la stipulation. Ainsi, si le contrat est frappé de nullité pour un vice du consentement ou pour une cause illicite, le bénéficiaire ne pourra pas s’en prévaloir pour remettre en cause son droit. Cette incapacité tient au fait que les actions en nullité appartiennent aux parties contractantes et non aux tiers bénéficiant des effets d’un contrat.
  • Les actions en résolution pour inexécution des obligations contractuelles : si le promettant manque à ses engagements, le bénéficiaire ne peut, à lui seul, solliciter la résolution du contrat, car il ne détient pas la qualité de cocontractant. Cette prérogative demeure entre les mains du stipulant, qui, en tant que partie originelle au contrat, peut en poursuivre l’anéantissement en cas d’inexécution par le promettant.

Ainsi, malgré l’acquisition d’un droit propre par le bénéficiaire, la stipulation pour autrui ne le place pas sur un pied d’égalité avec le stipulant quant aux actions pouvant être exercées contre le promettant. Il en résulte que le stipulant, même après l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire, conserve un droit autonome, lui permettant d’intervenir dans l’exécution de l’engagement pris par le promettant.

Toutefois, l’exercice des droits du stipulant ne saurait être absolu et doit s’articuler avec le principe d’indépendance du droit du bénéficiaire une fois l’acceptation intervenue. En effet, si le stipulant conserve la faculté d’agir en nullité ou en résolution du contrat générateur de la stipulation, ces actions ne sauraient être mises en œuvre sans prendre en compte les effets qu’elles produisent à l’égard du bénéficiaire.

Lorsque la stipulation a été acceptée, son irrévocabilité empêche en principe le stipulant d’en anéantir les effets de manière unilatérale. Ainsi, si une action en nullité ou en résolution est engagée par le stipulant, il conviendra de distinguer selon que le bénéficiaire a été mis en cause dans la procédure ou non :

  • Si le bénéficiaire est partie au litige, la nullité ou la résolution prononcée lui est opposable et anéantit son droit. Dès lors, la disparition du contrat entraîne celle de la stipulation, dans un effet rétroactif global.
  • Si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il pourra contester l’opposabilité de la décision et faire valoir que la résolution ne saurait lui être appliquée, faute d’avoir pu défendre ses intérêts. Dans cette hypothèse, la nullité ou la résolution sera inopposable au bénéficiaire, qui pourra toujours exiger du promettant l’exécution de la stipulation.

Ce mécanisme illustre la complexité des interactions entre le stipulant et le promettant dans le cadre d’une stipulation pour autrui. Si le stipulant reste maître du contrat générateur, il ne peut ignorer que la stipulation qu’il a instituée crée un droit au profit du bénéficiaire, lequel tend à s’émanciper progressivement du cadre contractuel initial.

2. Les voies de droit ouvertes au stipulant en cas d’inexécution du promettant

Si la stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire à l’égard du promettant, elle ne prive pas pour autant le stipulant de tout recours en cas de défaillance de ce dernier. En tant que cocontractant du promettant, le stipulant demeure en effet investi d’un pouvoir d’action autonome, lui permettant d’assurer la mise en œuvre effective de la stipulation et de garantir le respect des engagements souscrits.

Ainsi, lorsqu’un manquement du promettant est constaté, trois voies de droit s’ouvrent au stipulant :

a. L’action en exécution de l’obligation souscrite par le promettant

Le stipulant, bien qu’il ne soit pas lui-même créancier direct de la prestation due au bénéficiaire, conserve la faculté d’exiger du promettant l’exécution de ses engagements. Cette prérogative repose sur le lien contractuel qui unit le stipulant et le promettant, en vertu duquel ce dernier s’est engagé à accomplir une prestation au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence admet ainsi que le stipulant dispose d’un droit d’action en exécution forcée, lui permettant de contraindre le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire. Ce droit existe indépendamment de l’initiative du bénéficiaire : le stipulant peut agir, même si le bénéficiaire n’a pas encore exercé son propre recours contre le promettant. L’action du stipulant trouve sa justification dans l’intention même qui a présidé à la stipulation : il s’agit pour lui de garantir que l’engagement pris par le promettant au profit du tiers sera effectivement respecté.

Cette action en exécution peut revêtir plusieurs formes :

  • L’exécution forcée en nature: si l’obligation du promettant est encore susceptible d’être exécutée, le stipulant pourra demander au juge d’en ordonner l’exécution, le cas échéant sous astreinte. Cette solution s’impose notamment lorsque la prestation convenue revêt un caractère spécifique ou personnalisé, rendant une indemnisation pécuniaire insuffisante.
  • L’octroi de dommages-intérêts: lorsque l’exécution en nature est impossible ou manifestement disproportionnée, le stipulant pourra obtenir une indemnisation destinée à réparer l’inexécution de l’obligation contractuelle.

Ainsi, même si le bénéficiaire est titulaire d’un droit propre contre le promettant, la stipulation pour autrui ne dépossède pas le stipulant de son pouvoir d’intervention. Il conserve un intérêt légitime à veiller à l’exécution des engagements souscrits et peut, en conséquence, agir contre le promettant pour garantir l’effectivité de la stipulation.

b. L’action en résolution du contrat pour inexécution du promettant

Lorsqu’un contrat est créateur d’une stipulation pour autrui, il est admis que le stipulant puisse en solliciter la résolution en cas d’inexécution par le promettant. Cette faculté repose sur un principe fondamental : la stipulation pour autrui ne saurait subsister si le contrat dont elle est issue disparaît.

Ainsi, si le promettant manque à ses obligations à l’égard du bénéficiaire, le stipulant peut saisir le juge afin d’obtenir l’anéantissement rétroactif du contrat. Cette solution est largement consacrée par la jurisprudence, qui considère que le stipulant, en sa qualité de partie contractante, demeure en droit d’invoquer la résolution du contrat principal, même lorsque cette inexécution concerne exclusivement la prestation due au bénéficiaire.

Toutefois, le principe d’irrévocabilité de la stipulation après acceptation par le bénéficiaire vient tempérer ce pouvoir. En effet, une fois l’acceptation intervenue, la stipulation pour autrui acquiert une autonomie qui la protège d’une remise en cause arbitraire par le stipulant. La résolution du contrat devient alors plus délicate à obtenir et suppose un équilibre entre :

  • Le principe de l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, qui empêche le stipulant de remettre en cause la stipulation de manière unilatérale après acceptation ;
  • Le principe de dépendance du droit du bénéficiaire vis-à-vis du contrat dont il est issu, qui implique que la disparition du contrat entraîne logiquement celle de la stipulation.

Dès lors, si le bénéficiaire a accepté la stipulation, la résolution ne lui sera opposable que s’il a été mis en cause dans la procédure, conformément aux principes de l’autorité relative de la chose jugée. En revanche, en l’absence d’acceptation, la résolution s’impose naturellement, l’engagement du promettant envers le bénéficiaire trouvant exclusivement sa source dans le contrat initial.

Ainsi, l’action en résolution constitue une voie de droit essentielle pour le stipulant : elle lui permet d’exercer un contrôle sur la pérennité de la stipulation et de préserver ses intérêts en cas de défaillance du promettant.

c. L’action en responsabilité contractuelle pour obtenir des dommages-intérêts

Enfin, le stipulant peut solliciter une réparation pécuniaire lorsque l’inexécution du promettant lui cause un préjudice personnel. En effet, l’inexécution de la stipulation pour autrui ne saurait être neutre pour le stipulant : selon les circonstances, elle peut entraîner une atteinte à ses propres droits ou lui occasionner une perte financière.

L’action en responsabilité contractuelle du stipulant contre le promettant est susceptible d’intervenir dans deux situations:

  • Lorsque l’exécution de la stipulation conditionne une contrepartie due par le promettant. Tel est le cas, par exemple, lorsque le stipulant a prévu une prestation au profit du bénéficiaire en contrepartie d’une obligation réciproque du promettant. L’inexécution prive alors le stipulant de l’équilibre contractuel qu’il avait initialement recherché, justifiant ainsi une demande d’indemnisation.
  • Lorsque l’inexécution cause un préjudice propre au stipulant. L’absence d’exécution de la stipulation peut avoir des conséquences dommageables pour le stipulant lui-même, indépendamment des droits du bénéficiaire. Par exemple, si le stipulant avait un intérêt financier ou moral à voir la stipulation exécutée, il pourra prétendre à la réparation du préjudice subi.

Dans ces hypothèses, le stipulant peut solliciter l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle, en démontrant :

  • Une inexécution imputable au promettant ;
  • Un préjudice personnellement subi ;
  • Un lien de causalité direct entre cette inexécution et son dommage.

Ainsi, le stipulant, loin d’être un simple intermédiaire passif dans l’opération de stipulation pour autrui, demeure pleinement investi d’un pouvoir d’action à l’égard du promettant.

3. L’incidence de la résolution du contrat sur les droits du bénéficiaire

La résolution du contrat créateur de la stipulation pour autrui soulève une question quant au sort du droit acquis par le bénéficiaire. En principe, l’anéantissement du contrat entraîne l’extinction de toutes les obligations qui en découlent, y compris celles résultant de la stipulation. Toutefois, lorsque le bénéficiaire a déjà accepté la stipulation, la situation se complexifie, suscitant une controverse doctrinale quant à la préservation ou à l’anéantissement de son droit.

a. Les thèses doctrinales

Deux approches doctrinales s’affrontent sur la question du maintien des droits du bénéficiaire après la résolution du contrat support :

  • L’autonomie du droit du bénéficiaire
    • Certains auteurs considèrent que, dès lors que le bénéficiaire a accepté la stipulation, son droit acquiert une autonomie qui le protège des aléas du contrat générateur.
    • Cette position repose sur le principe de l’irrévocabilité de la stipulation après acceptation, consacrée par l’article 1206, alinéa 3, du Code civil. L’idée sous-jacente est que le bénéficiaire ne saurait subir les conséquences d’un différend entre le stipulant et le promettant auquel il est étranger.
    • Ainsi, même en cas de résolution du contrat principal, la stipulation pour autrui perdurerait, contraignant le promettant à exécuter son obligation envers le bénéficiaire.
  • Le caractère accessoire du droit du bénéficiaire
    • À l’inverse, une autre partie de la doctrine soutient que le droit du bénéficiaire est intrinsèquement lié au contrat générateur de la stipulation, dont il constitue un accessoire.
    • Dans cette logique, la disparition du contrat principal emporte nécessairement l’extinction du droit du bénéficiaire, conformément au principe selon lequel l’accessoire suit le sort du principal.
    • Cette position repose sur une lecture rigoureuse du mécanisme de la stipulation pour autrui : le promettant ne s’engage pas directement envers le bénéficiaire, mais seulement en exécution d’une obligation contractuelle souscrite à l’égard du stipulant.
    • L’anéantissement de cette obligation contractuelle par voie de résolution priverait donc le bénéficiaire de tout fondement juridique pour réclamer l’exécution de la stipulation.

b. La solution jurisprudentielle

Face aux divergences doctrinales quant aux effets de la résolution du contrat générateur de la stipulation pour autrui, la jurisprudence a adopté une solution intermédiaire, conciliant l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire avec la nécessité de préserver la cohérence contractuelle.

Cette position repose sur un critère déterminant : la mise en cause ou non du bénéficiaire dans l’instance en résolution. Deux situations doivent ainsi être distinguées.

==>La mise en cause du bénéficiaire dans l’instance en résolution : l’extinction de ses droits

Lorsqu’un litige survient entre le stipulant et le promettant et que la résolution du contrat est sollicitée, la jurisprudence exige que le bénéficiaire soit mis en cause dans l’instance. Cette exigence repose sur le principe de l’autorité relative de la chose jugée : un jugement ne saurait affecter les droits d’un tiers qui n’a pas été partie au litige.

Ainsi, si le bénéficiaire est appelé à la procédure, il a la possibilité de faire valoir ses arguments et de défendre son droit avant que le contrat ne soit anéanti. En pareille hypothèse, la résolution lui devient opposable et entraîne l’extinction de la stipulation pour autrui, dans la mesure où son fondement juridique disparaît.

Ce principe a été affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 1888 (Req., 6 juin 1888) aux termes duquel elle a jugé que la résolution prononcée en présence du bénéficiaire mettait fin à ses droits contre le promettant. La solution a été réaffirmée plus récemment dans des décisions portant sur la révocation de donations avec charges, lesquelles s’analysent en stipulations pour autrui (V. Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

==>L’absence de mise en cause du bénéficiaire : la survie de la stipulation

En revanche, si le bénéficiaire n’a pas été mis en cause, il conserve son droit contre le promettant, qui ne pourra lui opposer la résolution du contrat principal. Dans ce cas, la stipulation survit à l’anéantissement du contrat, créant ainsi une obligation autonome du promettant envers le bénéficiaire.

Cette solution trouve son fondement dans l’idée qu’un tiers ne saurait être privé d’un droit dont il n’a pas eu l’opportunité de contester l’anéantissement devant un juge. Elle permet de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire, en évitant qu’il ne soit soudainement privé de son droit sans avoir pu intervenir à la procédure.

La Cour de cassation a consacré cette approche dans un arrêt du 22 avril 1909 (Req., 22 avr. 1909, S. 1909, 1. 349), en refusant d’opposer la résolution du contrat au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui qui n’avait pas été appelé à l’instance. Plus récemment, dans une affaire concernant l’assurance vie, elle a jugé que l’acceptation de la stipulation par le bénéficiaire créait un droit autonome, susceptible de survivre à la disparition du contrat initial (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n° 00-21.271).

==>Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée

Lorsque la résolution du contrat ne peut être opposée au bénéficiaire, le promettant demeure tenu d’exécuter la stipulation, mais il conserve un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours lui permet d’obtenir réparation du préjudice causé par l’exécution forcée d’une obligation qui aurait normalement dû disparaître avec le contrat initial.

La jurisprudence a confirmé que, dans une telle hypothèse, le promettant pouvait exercer une action en répétition des sommes versées (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n° 97-20.040), ainsi qu’un recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant s’il établissait un préjudice résultant de cette situation (Cass. com., 14 mai 1979, n°77-15.865).

4. Les recours dont dispose le promettant contre le stipulant aux fins d’exécution de ses obligations

Si la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct contre le promettant, elle ne réduit pas ce dernier à une position de simple débiteur passif, entièrement tributaire de la volonté du stipulant. En effet, en tant que partie au contrat générateur de la stipulation, le promettant conserve des voies de recours contre le stipulant, notamment lorsque ce dernier manque à ses propres engagements.

Ces recours revêtent une importance particulière dans le cadre d’un contrat synallagmatique, où l’obligation du promettant envers le bénéficiaire trouve sa contrepartie dans une prestation due par le stipulant. En ce sens, deux grandes catégories de recours sont ouvertes au promettant :

  • L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions issues du contrat principal
  • Le recours en restitution contre le stipulant en cas d’exécution contrainte de la stipulation

a. L’opposabilité au bénéficiaire des exceptions tirées du contrat principal

Bien qu’il soit tenu d’une obligation à l’égard du bénéficiaire, le promettant conserve la possibilité d’invoquer des exceptions tirées du contrat conclu avec le stipulant. Ces exceptions lui permettent de suspendre ou de refuser l’exécution de l’obligation stipulée lorsque le contrat générateur n’est pas exécuté dans les conditions prévues.

==>L’exception d’inexécution

Le promettant peut opposer l’exception d’inexécution lorsque le stipulant n’a pas rempli ses obligations issues du contrat principal. Cette possibilité, consacrée par l’article 1219 du Code civil, permet au promettant de suspendre l’exécution de son obligation tant que le stipulant demeure défaillant.

En matière d’assurance vie, la jurisprudence admet que si le souscripteur n’a pas versé les primes dues, l’assureur peut refuser de verser le capital au bénéficiaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).

==>L’exception de nullité ou de résolution du contrat principal

Si le contrat générateur de la stipulation est entaché d’une cause de nullité ou fait l’objet d’une résolution, le promettant peut invoquer cette circonstance pour refuser d’exécuter l’obligation stipulée au profit du bénéficiaire.

La jurisprudence reconnaît en effet que le bénéficiaire ne peut prétendre à un droit dont le fondement juridique a disparu avec le contrat principal (Cass. 1re civ., 14 déc. 1999, n°97-20.040).

==>Limites aux exceptions opposables au bénéficiaire

Toutefois, le promettant ne peut pas opposer au bénéficiaire certaines exceptions personnelles au stipulant, notamment celles tenant à l’incapacité du stipulant ou à un vice du consentement, conformément aux articles 1147 et 1181 du Code civil.

Ainsi, si le contrat principal est annulé pour cause d’incapacité du stipulant, le promettant ne pourra pas s’en prévaloir à l’encontre du bénéficiaire (Cass. 1re civ., 12 mars 2002, n°00-21.271).

b. Le recours du promettant contre le stipulant en cas d’exécution forcée de la stipulation

Lorsqu’un promettant est contraint d’exécuter la stipulation malgré la disparition du contrat principal, il peut exercer un recours en restitution contre le stipulant. Ce recours repose sur le principe selon lequel le promettant ne doit pas être tenu d’exécuter une obligation qui a perdu son fondement contractuel.

==>L’action en répétition des prestations indûment exécutées

Si le promettant a été contraint d’exécuter une obligation au bénéfice du tiers alors que le contrat générateur a été annulé ou résolu, il peut exiger la restitution des prestations versées auprès du stipulant.

Ce principe s’inscrit dans la logique des restitutions consécutives à l’anéantissement d’un contrat, consacrée par l’article 1352 du Code civil et confirmée par la jurisprudence (Cass. req., 22 avr. 1909).

==>Le recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant

Dans l’hypothèse où le promettant a dû exécuter la stipulation en raison d’un manquement du stipulant, il pourra engager la responsabilité contractuelle de ce dernier pour obtenir réparation du préjudice subi.

Ce recours suppose de prouver :

  • Un manquement contractuel du stipulant
  • Un préjudice pour le promettant
  • Un lien de causalité entre la faute du stipulant et le préjudice du promettant

Dans une affaire où un constructeur-promettant avait dû exécuter des travaux en faveur d’un bénéficiaire alors que le maître d’ouvrage (stipulant) n’avait pas payé le prix convenu, la Cour de cassation a admis son recours en responsabilité contractuelle contre le stipulant (Cass. com., 14 mai 1979).

c. Les actions dont dispose le stipulant après l’exécution de la stipulation

Bien que la stipulation pour autrui crée un droit direct au profit du bénéficiaire, elle ne prive pas pour autant le stipulant de toute action après l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Le renouvellement des sûretés attachées à la créance du bénéficiaire

Lorsque la stipulation est assortie d’une sûreté garantissant l’exécution de la prestation due au bénéficiaire (gage, hypothèque, cautionnement), le stipulant peut prendre l’initiative de renouveler ces garanties afin de préserver le droit du bénéficiaire.

La Cour de cassation a reconnu la possibilité pour le stipulant de renouveler une hypothèque inscrite en garantie d’une obligation au profit d’un bénéficiaire (Cass. civ., 16 avr. 1894).

==>L’intervention en justice pour défendre l’exécution de la stipulation

Le stipulant, en sa qualité d’instigateur de la stipulation, peut également agir en justice pour garantir l’exécution de l’obligation souscrite par le promettant envers le bénéficiaire.

Par exemple, la Cour de cassation a admis que le stipulant puisse prendre des mesures conservatoires pour protéger le droit du bénéficiaire, notamment en saisissant des créances du promettant (Cass. civ., 16 janv. 1888)

B) Les effets dans les rapports entre le promettant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui est un mécanisme contractuel singulier, permettant à un stipulant d’octroyer un droit à un tiers bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Ce droit, d’abord rattaché à la volonté du stipulant, s’en émancipe progressivement pour devenir pleinement autonome dès qu’il est accepté par le bénéficiaire. Ainsi, l’équilibre entre la liberté contractuelle du stipulant et la protection du bénéficiaire repose sur trois principes essentiels : un droit direct conféré indépendamment de toute acceptation, une révocabilité tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, et une irrévocabilité consacrée par son adhésion à la stipulation.

1. Un droit direct conféré au bénéficiaire indépendamment de son acceptation

La stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit direct et autonome à l’encontre du promettant, indépendamment de toute acceptation préalable de sa part. En d’autres termes, dès l’instant où la stipulation est réalisée, le bénéficiaire se trouve investi d’un droit de créance, qu’il peut faire valoir sans avoir à intervenir dans la formation du contrat initial. Ce principe, affirmé par l’article 1206, alinéa 1ere du Code civil, traduit une exception marquante au principe de l’effet relatif des contrats.

==>L’attribution immédiate d’un droit de créance au bénéficiaire

La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que la stipulation pour autrui confère immédiatement au bénéficiaire un droit de créance opposable au promettant, sans qu’il ait besoin d’exprimer son accord (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Ce droit peut naître de deux façons :

  • Une désignation immédiate du bénéficiaire au moment de la conclusion du contrat
    • Dès que le stipulant et le promettant concluent leur accord, le bénéficiaire est investi de son droit.
    • Il peut alors exiger directement du promettant l’exécution de la prestation convenue, sans intervention du stipulant.
  • Une désignation ultérieure du bénéficiaire
    • Dans ce cas, le stipulant modifie après coup le contrat pour désigner un bénéficiaire.
    • Une fois la désignation effectuée, ce dernier devient automatiquement titulaire de la créance, sans qu’il ait besoin de donner son accord préalable.

Dans tous les cas, la stipulation pour autrui opère un transfert immédiat du droit au bénéficiaire. Celui-ci peut donc exiger l’exécution de l’obligation sans qu’aucune formalité d’acceptation ne soit requise à ce stade. Cependant, tant qu’il ne l’a pas expressément acceptée, son droit demeure précaire et peut être révoqué par le stipulant.

==>Une action directe du bénéficiaire contre le promettant

L’un des principaux effets de la stipulation pour autrui réside dans la possibilité pour le bénéficiaire d’agir directement contre le promettant, sans que l’intervention du stipulant ne soit requise. Ce droit d’agir directement contre le promettant est reconnu par la Cour de cassation, qui affirme que le bénéficiaire peut réclamer l’exécution de la prestation directement entre les mains du promettant (Cass. com., 12 mai 1981, n°77-14.793).

Cette action ne dépend en rien de la volonté du stipulant : une fois la stipulation réalisée, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, indépendant de toute demande ou validation du stipulant. Le promettant est ainsi juridiquement tenu envers le bénéficiaire comme s’il était directement partie au contrat, bien qu’il n’ait contracté initialement qu’avec le stipulant.

==>L’encadrement du droit du bénéficiaire par le contrat initial

Bien que le droit du bénéficiaire soit direct et opposable, il n’échappe pas aux limites et conditions fixées par le contrat initial. En effet, la créance dont il bénéficie découle exclusivement de l’accord entre le stipulant et le promettant, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Le bénéficiaire ne peut prétendre à plus de droits que ceux prévus dans le contrat initial. Ainsi, il ne saurait revendiquer une prestation plus favorable ou en des termes différents de ceux établis par le stipulant et le promettant (Cass. com., 22 févr. 1950).
  • Le promettant peut lui opposer les exceptions inhérentes au contrat initial, comme l’extinction de l’obligation due à une inexécution fautive du stipulant, la survenance d’une condition résolutoire ou encore un vice du consentement affectant la formation du contrat (Cass. 1ere civ., 4 mai 1955)
  • La validité du contrat principal conditionne l’existence du droit du bénéficiaire. Si le contrat est nul ou anéanti, la stipulation pour autrui disparaît de plein droit, privant ainsi le bénéficiaire de toute prétention contre le promettant (Cass. 1ere civ., 17 mai 2005, n° 03-14.077).

En matière d’assurance sur la vie, ces principes sont codifiés à l’article L. 132-12 du Code des assurances, qui précise que le droit du bénéficiaire existe dès la conclusion du contrat, quelle que soit la date de sa désignation. Toutefois, tant que le bénéficiaire ne manifeste pas son adhésion à la stipulation, ce droit demeure fragile, car il reste à la merci d’une révocation par le stipulant.

==>L’incidence des clauses stipulées dans le contrat initial sur les droits du bénéficiaire

Le droit du bénéficiaire ne s’exerce pas en dehors du cadre contractuel qui le fonde. Dès lors, les clauses du contrat initial lui sont opposables, notamment :

  • Les clauses limitatives de responsabilité, qui peuvent restreindre l’étendue des obligations du promettant ;
  • Les clauses d’exclusion, notamment en matière d’assurance, où l’assureur peut refuser d’indemniser le bénéficiaire en raison des exclusions prévues dans le contrat (Cass. 1ere civ., 20 juill. 1981, n° 80-13.752) ;
  • Les clauses compromissoires et attributives de compétence, qui ont vocation à s’imposer au bénéficiaire si elles figurent dans le contrat principal (Cass. 1ere civ., 11 juill. 2006, n° 03-11.983).

Toutefois, la doctrine critique cette extension des clauses au bénéficiaire, considérant qu’il n’est pas partie au contrat et ne devrait pas être contraint par une clause compromissoire sauf acceptation expresse de sa part.

==>Un droit conféré sous conditions et limites contractuelles

Enfin, si la stipulation pour autrui octroie un droit direct au bénéficiaire, certaines situations peuvent en limiter les effets :

  • L’incapacité du stipulant : si le stipulant était juridiquement inapte à contracter, la stipulation pour autrui sera privée d’effet (Cass. 1ere civ., 8 mai 1979, n° 77-13.339).
  • L’inopposabilité de certaines clauses : le bénéficiaire ne peut se prévaloir d’une clause pénale prévue dans le contrat principal s’il n’en est pas expressément attributaire (Cass. com., 23 mai 1989, n° 86-14.936).

2. Un droit révocable jusqu’à l’acceptation du tiers bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui confère immédiatement un droit au bénéficiaire, ce dernier demeure précaire tant qu’il ne l’a pas accepté. En effet, l’article 1206, alinéa 2 du Code civil dispose que « tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée, le stipulant peut la révoquer ». Ce principe repose sur l’idée que le stipulant, à l’origine du droit conféré, conserve la maîtrise de son engagement jusqu’à ce qu’il devienne irrévocable par l’acceptation du bénéficiaire.

Cette faculté de révocation du stipulant, qui constitue le pendant négatif de son pouvoir d’attribution, se caractérise par trois éléments essentiels : son caractère unilatéral, discrétionnaire et effectif à compter de sa notification.

a. La faculté de révocation du stipulant

==>Le caractère unilatéral du droit de révocation

Le stipulant est le seul maître du sort de la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée. Il peut donc décider seul, sans requérir l’accord ni du bénéficiaire ni du promettant, de modifier, supprimer ou substituer un autre bénéficiaire à celui initialement désigné.

Ce principe a été consacré par la jurisprudence dès le XIX? siècle, qui a affirmé que le stipulant dispose d’une liberté absolue de rétractation avant acceptation du bénéficiaire (Cass. civ., 27 déc. 1853).

==>Le caractère discrétionnaire du droit de révocation

Le stipulant peut exercer sa faculté de révocation librement, sans condition de forme ou de justification. La doctrine souligne que cette prérogative repose sur le principe de l’autonomie de la volonté, qui lui permet de modifier à tout moment l’acte de stipulation.

Toutefois, des limites à cette liberté ont été reconnues par la jurisprudence :

  • Lorsque le promettant a un intérêt légitime dans la stipulation (économique ou moral), son consentement peut être requis pour révoquer la stipulation (CA Grenoble, 6 avr. 1881).
  • Une clause contractuelle peut prévoir que la stipulation est irrévocable dès son origine, restreignant ainsi la faculté du stipulant de la modifier ou de la supprimer (Cass. req., 30 juill. 1877).
  • En cas d’abus de droit, la révocation pourrait être sanctionnée si elle est exercée dans des conditions contraires à la bonne foi contractuelle (art. 1104 du Code civil).

==>Le caractère réceptice du droit de révocation

Bien que le stipulant soit libre de révoquer la stipulation, l’effet de cette révocation n’est pas automatique : l’article 1207, alinéa 3 du Code civil impose qu’elle soit portée à la connaissance du bénéficiaire ou du promettant pour être opposable. Cette exigence vise à garantir la sécurité juridique des parties et à éviter toute exécution d’une prestation en faveur d’un bénéficiaire dont le droit aurait disparu.

b. Les conditions d’exercice du droit de révocation

La révocation ne peut être exercée que sous certaines conditions tenant à la durée du pouvoir de révocation et à son extinction en cas d’acceptation du bénéficiaire.

==>Une faculté limitée dans le temps

Le pouvoir de révocation du stipulant disparaît dès l’acceptation du bénéficiaire. En vertu de l’article 1206, alinéas 2 et 3 du Code civil, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, celle-ci devient irrévocable.

La jurisprudence a confirmé ce principe, notamment en matière d’assurance sur la vie : tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la désignation, l’assuré conserve un droit absolu de révocation. En revanche, dès que l’acceptation intervient, la stipulation devient définitive, rendant toute révocation impossible (Cass. 1ere civ., 17 nov. 2021, n° 20-12.711).

==>Le droit de révocation peut être exercé par les héritiers

Si le stipulant décède avant d’avoir révoqué la stipulation, ses héritiers peuvent encore le faire, sous réserve de respecter un délai strict. L’article 1207, alinéa 1er du Code civil prévoit qu’ils doivent mettre le bénéficiaire en demeure d’accepter dans un délai de trois mois. À défaut d’acceptation dans ce délai, la stipulation est réputée révoquée.

c. Les modalités d’exercice du droit de révocation

La révocation peut être expresse ou tacite, mais elle doit être notifiée pour produire effet.

En effet, aucune forme spécifique n’est requise pour révoquer la stipulation. Elle peut être :

  • Expresse : par une déclaration écrite (courrier, acte notarié, avenant au contrat principal) ou verbale.
  • Tacite : par un acte manifestant sans équivoque la volonté du stipulant d’anéantir la stipulation (par exemple, la désignation d’un nouveau bénéficiaire).

En matière d’assurance sur la vie, la jurisprudence a reconnu qu’un testament révoquant une désignation bénéficiaire pouvait suffire à caractériser la révocation, même si l’assureur n’en était pas informé immédiatement (Cass. 1ere civ., 24 juin 1969).

Bien que le stipulant puisse révoquer la stipulation librement, cette révocation ne produit effet qu’une fois notifiée au bénéficiaire ou au promettant (art. 1207, alinéa 3 du Code civil).

Cette règle poursuit un double objectif :

  • Sécuriser la situation du bénéficiaire : tant qu’il n’a pas été informé de la révocation, il peut toujours accepter la stipulation et la rendre irrévocable.
  • Protéger le promettant : pour éviter qu’il exécute une obligation au profit d’un bénéficiaire dont le droit a été supprimé.

En cas d’acceptation du bénéficiaire avant que la révocation ne lui soit notifiée, la révocation devient sans effet (Cass. soc., 5 janv. 1956).

d. Les effets de la révocation

Une fois notifiée, la révocation anéantit rétroactivement le droit du bénéficiaire. Celui-ci est censé n’en avoir jamais été titulaire (art. 1207, alinéa 5 du Code civil).

Si la révocation est pure et simple, la stipulation disparaît, mais le contrat principal subsiste. En revanche, si la stipulation était essentielle à l’équilibre du contrat, la disparition de la stipulation peut entraîner celle du contrat principal.

  • Sort de la prestation après révocation
    • Si aucun nouveau bénéficiaire n’est désigné, la prestation profite au stipulant ou à ses héritiers (Cass. civ., 27 déc. 1853).
    • Si un nouveau bénéficiaire est désigné, la stipulation est maintenue mais le droit direct est transféré au nouveau bénéficiaire (art. 1207, alinéa 2 du Code civil).
  • Opposabilité de la révocation
    • Une fois notifiée, la révocation devient opposable au bénéficiaire, qui ne peut plus prétendre au bénéfice du contrat.
    • Si le promettant exécute la prestation en faveur d’un bénéficiaire révoqué faute d’avoir été informé, il peut réclamer restitution au bénéficiaire initial (Cass. 2? civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954).

3. Un droit irrévocable après l’acceptation du tiers bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une rupture décisive dans la construction juridique de cette institution. Tant qu’elle n’intervient pas, le bénéficiaire demeure dans une situation d’incertitude, ne tenant son droit qu’à la volonté révocable du stipulant. Mais dès lors qu’il exprime son adhésion, ce droit se fige : il acquiert un caractère irrévocable, devient pleinement opposable au promettant et échappe définitivement au pouvoir de modification du stipulant.

Cette transition d’un droit fragile à un droit définitivement établi s’inscrit dans un cadre juridique rigoureusement structuré, régi par les articles 1206 à 1208 du Code civil, et, en matière d’assurance sur la vie, par l’article L. 132-9 du Code des assurances.

a. La faculté d’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne constitue en aucun cas une obligation pour le bénéficiaire : elle demeure une simple faculté, dont l’exercice relève de son libre arbitre. Ni le stipulant, ni le promettant ne peuvent le contraindre à accepter un droit qui lui est conféré.

Cette liberté trouve son fondement dans la nature même de la stipulation pour autrui, qui confère un avantage sans imposer de charge au bénéficiaire. Contrairement à un engagement contractuel classique, la stipulation ne crée aucune obligation tant que le bénéficiaire ne manifeste pas sa volonté de l’accepter.

==>Un droit discrétionnaire

Aussi, le bénéficiaire dispose d’un pouvoir souverain de décision quant à l’acceptation de la stipulation. Il peut choisir d’accepter ou de refuser le bénéfice qui lui est offert, sans avoir à en justifier les raisons.

Exemple: une personne désignée bénéficiaire d’une assurance-vie peut refuser ce bénéfice, notamment si elle ne souhaite pas être impliquée dans une situation successorale complexe.

Le refus du bénéficiaire entraîne la caducité de la stipulation. Aucun droit ne peut plus être revendiqué sur ce fondement.

==>Absence d’effet contraignant

Tant que le bénéficiaire ne s’est pas prononcé, aucune obligation ne pèse sur lui. Il ne peut être tenu d’exécuter une quelconque prestation, ni même d’assumer une quelconque responsabilité juridique.

Dès lors, un bénéficiaire désigné dans un contrat d’assurance-vie n’a aucun devoir envers l’assureur ni envers le souscripteur tant qu’il n’a pas accepté la stipulation. Il n’a donc pas à justifier son silence, ni ne s’expose à une action en responsabilité à raison de sa passivité.

==>Un droit précaire

Avant toute acceptation, le droit conféré au bénéficiaire reste fragile et révocable. Le stipulant conserve ainsi la faculté de modifier ou de rétracter son engagement à tout moment, sans que le bénéficiaire puisse s’y opposer.

La Cour de cassation a confirmé dès le XIX? siècle que, tant que l’acceptation n’est pas intervenue, le stipulant dispose d’un droit absolu de révocation (Cass. civ., 27 déc. 1853).

Exemple pratique :

  • Un souscripteur d’une assurance-vie peut modifier la clause bénéficiaire tant que le bénéficiaire initial ne l’a pas acceptée.
  • De même, dans un contrat de prestation de services, une entreprise peut révoquer une stipulation au profit d’un tiers avant que celui-ci ne manifeste son acceptation.

==>Les options ouvertes au bénéficiaire

Le bénéficiaire dispose de trois options, chacune ayant des conséquences distinctes :

  • Accepter la stipulation
    • L’acceptation a pour effet de consolider définitivement le droit conféré au bénéficiaire :
      • Le stipulant perd alors tout pouvoir de révocation.
      • Le bénéficiaire devient créancier direct du promettant.
    • Exemple : Lorsqu’un bénéficiaire accepte une assurance-vie, il devient le titulaire irrévocable du droit sur le capital garanti, et le souscripteur ne peut plus en modifier les termes.
  • Refuser le bénéfice de la stipulation
    • Si le bénéficiaire rejette la stipulation, celle-ci est anéantie et devient définitivement caduque.
    • Cette situation peut survenir, par exemple, lorsque l’acceptation de la stipulation entraînerait des conséquences fiscales indésirables ou un conflit d’intérêts.
    • Exemple: un bénéficiaire refuse un contrat d’assurance-vie pour éviter des frais fiscaux ou une gestion successorale complexe.
  • Ne pas se prononcer
    • Lorsque le bénéficiaire demeure silencieux et ne manifeste ni acceptation ni refus, la stipulation pour autrui reste en suspens, dans une situation juridique incertaine.
    • Cette absence de prise de position n’éteint pas la stipulation, mais la laisse dans un état précaire, où aucun droit définitif n’est acquis et où la faculté de révocation du stipulant demeure entière.
    • Tant que le bénéficiaire ne se prononce pas :
      • Le stipulant conserve un pouvoir discrétionnaire de révocation : il peut revenir sur son engagement à tout moment, sans avoir à justifier sa décision.
      • Le promettant n’est pas tenu envers le bénéficiaire : tant que ce dernier n’a pas accepté, aucune créance n’est constituée en sa faveur et le promettant ne peut être contraint d’exécuter l’obligation stipulée.
    • Exemple en matière d’assurance-vie:
      • Un bénéficiaire qui tarde à accepter ne fait naître aucune obligation à la charge de l’assureur.
      • L’assureur peut solliciter une clarification afin de savoir si le capital doit être versé au bénéficiaire désigné ou si un autre bénéficiaire doit être désigné en substitution.

b. Les conditions de l’acceptation

L’acceptation, en tant qu’acte juridique unilatéral du bénéficiaire, doit satisfaire aux conditions générales de validité des actes juridiques, telles que définies par le Code civil.

==>La capacité du bénéficiaire

L’acceptation suppose que le bénéficiaire soit juridiquement capable d’exercer ses droits. La jurisprudence considère que cette capacité doit être appréciée au jour de l’attribution du droit (Cass. civ., 8 févr. 1888), ce qui implique que si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité à cette date, il ne pourra pas valablement accepter la stipulation sans l’intervention d’un représentant légal.

Si le bénéficiaire est frappé d’une incapacité juridique (mineur non émancipé, majeur sous tutelle, etc.), son représentant légal peut accepter la stipulation pour son compte. Cependant, cette acceptation ne doit pas être équivoque et doit clairement manifester l’intention du représentant d’accepter la stipulation au nom du bénéficiaire.

Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, une protection supplémentaire est prévue afin d’éviter les abus ou l’exploitation d’un bénéficiaire vulnérable. Ainsi, l’article L. 132-4-1, alinéa 4 du Code des assurances dispose que l’acceptation d’un bénéficiaire sous tutelle ou curatelle peut être annulée si son incapacité était notoire ou connue du cocontractant au moment de l’acte.

Aussi, lorsqu’une personne vulnérable est désignée bénéficiaire d’une assurance-vie, l’assureur doit s’assurer de la capacité du bénéficiaire ou de son représentant avant d’enregistrer une acceptation, sous peine de voir l’acte annulé pour cause d’incapacité manifeste.

==>L’absence de vice du consentement

L’acceptation de la stipulation pour autrui doit être donnée en toute liberté et sans contrainte. Dès lors, elle doit être exempte d’erreur, de dol ou de violence, conformément aux principes généraux régissant la validité des actes juridiques (art. 1130 et s. du Code civil).

  • L’erreur
    • L’erreur peut affecter la validité de l’acceptation si elle porte sur l’objet même de la stipulation.
    • Par exemple, si le bénéficiaire accepte en croyant que la stipulation porte sur une prestation plus avantageuse qu’elle ne l’est en réalité, son consentement pourrait être remis en cause.
    • Exemple pratique: un bénéficiaire accepte un contrat d’assurance-vie en pensant qu’il percevra immédiatement un capital alors que la clause ne prévoit qu’un versement différé sous condition suspensive. S’il prouve que cette erreur était déterminante dans sa décision, il pourrait demander l’annulation de son acceptation.
  • Le dol
    • Le dol, défini comme une manœuvre frauduleuse ayant pour objet de tromper une personne et de l’inciter à contracter, constitue un vice du consentement susceptible d’entacher l’acceptation de nullité
    • Application en assurance-vie : si un stipulant ou un assureur cache volontairement des informations essentielles au bénéficiaire pour l’inciter à accepter la stipulation, cette acceptation pourrait être frappée de nullité pour dol.
  • La violence
    • L’acceptation doit être exempte de toute contrainte physique ou morale. Si un bénéficiaire accepte sous la pression d’un tiers (chantage, menace, abus de faiblesse), il pourrait contester son engagement et obtenir son annulation.
    • Exemple : un parent exerçant une pression morale sur son enfant pour qu’il accepte une stipulation dans un contrat d’assurance au profit d’un tiers non désiré pourrait voir cette acceptation annulée pour violence morale.

==>Une stipulation précise et déterminée

L’acceptation de la stipulation pour autrui ne saurait être efficace que si le bénéficiaire est en mesure d’identifier avec certitude les droits qui lui sont conférés. À défaut, l’acceptation reposerait sur une base incertaine, dépourvue de toute valeur juridique. Ce principe trouve son fondement dans l’exigence générale de détermination de l’objet des obligations, telle que consacrée par l’article 1128 du Code civil, qui impose que tout engagement juridique repose sur un objet certain et déterminé.

En effet, l’identification du droit conféré au bénéficiaire constitue une condition essentielle à la validité de son acceptation. Il ne peut exprimer un consentement éclairé qu’à la condition de connaître exactement l’étendue de la stipulation. L’objet de cette dernière doit être formulé en des termes suffisamment clairs pour éviter toute ambiguïté ou interprétation divergente.

Si la stipulation est trop vague, le bénéficiaire se trouverait dans l’impossibilité d’évaluer la portée de son droit et d’exercer librement sa faculté d’acceptation.

La jurisprudence est venue réaffirmer cette exigence en jugeant que le bénéficiaire doit être en mesure d’identifier sans équivoque les avantages qui lui sont conférés, sous peine d’invalidité de l’acceptation (Cass. civ., 8 févr. 1888).

Une stipulation qui se contenterait de mentionner « un avantage financier dont les modalités seront définies ultérieurement » ne saurait être acceptée valablement, faute d’éléments objectifs permettant d’en préciser la teneur.

L’exigence de détermination concerne tant la nature de la prestation que ses modalités d’exécution.

L’obligation stipulée doit être clairement définie et identifiable. Elle peut porter sur le versement d’une somme d’argent, l’octroi d’un droit particulier ou encore la fourniture d’une prestation en nature. Toutefois, elle ne peut être laissée à la seule discrétion du stipulant ou du promettant sans critères objectifs de détermination.

Ainsi, une clause prévoyant que « le bénéficiaire recevra un montant déterminé en fonction de la volonté du stipulant » est nulle, car elle repose sur un engagement potestatif, ce qui est prohibé par le droit des obligations (Cass. civ., 25 avr. 1903).

En matière d’assurance-vie, l’article L. 132-9, II du Code des assurances impose que la clause bénéficiaire soit rédigée avec suffisamment de précision pour permettre une identification certaine du bénéficiaire et des droits qui lui sont conférés.

Une stipulation trop vague ne saurait produire d’effet juridique. L’exigence de détermination joue ici un rôle fondamental de sécurité juridique, en garantissant que le bénéficiaire puisse comprendre l’étendue de ses droits et que le promettant puisse exécuter son engagement sans incertitude.

Par exemple, une clause stipulant que « le bénéficiaire recevra une aide financière adaptée à ses besoins » serait irrecevable, car elle ne précise ni le montant de l’aide, ni ses modalités d’octroi. Une telle clause pourrait être jugée nulle pour indétermination de l’objet (art. 1163 du Code civil).

Lorsqu’une stipulation offre plusieurs options de prestations, elle ne peut conférer un pouvoir discrétionnaire absolu au stipulant ou au promettant. Le choix entre plusieurs prestations doit être encadré par des critères objectifs. Ainsi, une clause précisant que « le bénéficiaire pourra recevoir soit une rente viagère, soit un capital forfaitaire de 100 000 € au choix du promettant » ne serait valide que si le contrat prévoit un mode de détermination du choix.

Par ailleurs, l’identification du bénéficiaire est également une condition de validité de la stipulation. Le droit conféré par celle-ci doit être attribué à une personne précisément désignée ou, à tout le moins, déterminable au moment de l’acceptation.

Lorsque le bénéficiaire est expressément désigné, la stipulation ne soulève aucune difficulté. En revanche, si la clause ne mentionne pas un nom précis, elle doit comporter des critères objectifs permettant d’identifier avec certitude la personne appelée à bénéficier de la prestation.

Ainsi, une stipulation prévoyant que « le bénéficiaire sera mon fils aîné » est valide, car elle repose sur un critère clair et vérifiable. En revanche, une désignation trop large, comme « l’un de mes proches », serait insuffisante et pourrait entraîner la caducité de la stipulation (Cass. civ., 7 oct. 1981).

En matière d’assurance-vie, la désignation du bénéficiaire doit respecter une rigueur particulière afin d’éviter toute contestation ultérieure. Une clause indiquant que « le bénéficiaire sera la personne vivant en concubinage avec moi au moment de mon décès » est considérée comme valide, dès lors qu’elle repose sur un critère objectif permettant d’identifier clairement le bénéficiaire.

c. Les modalités de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui constitue un acte juridique unilatéral qui peut prendre différentes formes, à condition qu’elle manifeste de manière claire et non équivoque la volonté du bénéficiaire d’adhérer aux droits qui lui sont conférés.

En l’absence d’exigences imposées par le Code civil, elle peut être expresse ou tacite. Toutefois, en matière d’assurance sur la vie, un formalisme particulier a été institué afin d’encadrer cette acceptation et d’en garantir l’opposabilité aux parties concernées.

==>L’acceptation expresse

L’acceptation est réputée expresse lorsqu’elle résulte d’une manifestation de volonté explicite du bénéficiaire, exprimée par écrit, verbalement ou par tout autre procédé ne laissant place à aucune équivoque quant à son intention d’adhérer à la stipulation.

L’article 1100-1 du Code civil exige que tout acte juridique unilatéral, tel que l’acceptation d’une stipulation pour autrui, soit formulé en des termes clairs et dépourvus d’ambiguïté. Par ailleurs, l’article 1172 du même code admet que l’acceptation puisse intervenir sous toute forme, sauf si un texte impose un formalisme spécifique.

La jurisprudence, dès le XIX? siècle, a consacré cette souplesse en affirmant que l’acceptation pouvait être rendue opposable au stipulant ou au promettant dès lors qu’elle résultait d’une déclaration expresse, qu’elle soit écrite ou verbale (Cass. civ., 25 avr. 1853).

Ainsi, l’acceptation peut se manifester de différentes manières :

  • Par l’envoi d’un écrit, tel qu’une lettre ou un courriel, adressé au stipulant ou au promettant.
  • Par une déclaration verbale dont l’existence peut être attestée par un écrit ou un témoignage.
  • Par l’insertion d’une mention explicite dans un acte juridique, tel qu’un testament ou un contrat.

Exemple pratique : en matière d’assurance-vie, si le bénéficiaire adresse une lettre recommandée à l’assureur et au souscripteur exprimant son acceptation, celle-ci devient irrévocable et prive le souscripteur de la faculté de modifier ultérieurement la clause bénéficiaire.

Toutefois, bien que l’acceptation expresse constitue la voie la plus sécurisante d’un point de vue juridique, elle ne constitue pas l’unique modalité d’adhésion à la stipulation, la jurisprudence reconnaissant également l’acceptation tacite lorsque certains indices factuels démontrent sans ambiguïté la volonté du bénéficiaire de se prévaloir du droit qui lui est conféré.

==>L’acceptation tacite

L’acceptation peut également résulter d’un comportement du bénéficiaire traduisant sans équivoque sa volonté d’adhérer à la stipulation. Ce mode d’acceptation repose sur une interprétation des actes du bénéficiaire, qui doivent être suffisamment explicites pour établir son intention.

La jurisprudence a reconnu plusieurs situations dans lesquelles une acceptation tacite peut être caractérisée :

  • La perception régulière d’une prestation : lorsque le bénéficiaire d’une rente prévue par la stipulation pour autrui commence à percevoir les versements et ne manifeste aucune opposition, son acceptation est présumée (Cass. req., 2 avr. 1912).
  • Le paiement des primes d’un contrat d’assurance-vie : lorsqu’un bénéficiaire prend en charge le règlement des cotisations, il manifeste son adhésion à la stipulation faite à son profit (CA Bordeaux, 21 mai 1885).
  • L’exercice de droits liés à la stipulation : le fait pour un bénéficiaire d’intenter une action en exécution de la stipulation traduit une acceptation implicite et irrévocable.

Cependant, certains comportements ne suffisent pas à établir une acceptation tacite.

La simple détention de l’original d’un contrat d’assurance-vie ne suffit pas à caractériser une acceptation tacite, sauf si d’autres éléments viennent corroborer cette intention (CA Paris, 3 janv. 1918).

A cet égard, un bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie qui détient une copie du contrat sans jamais en demander l’exécution ne peut être considéré comme ayant accepté tacitement la stipulation. En revanche, s’il engage des démarches auprès de l’assureur pour obtenir le versement du capital, l’acceptation sera considérée comme acquise.

L’acceptation tacite repose donc sur une analyse factuelle et peut donner lieu à des débats en cas de contentieux. Elle est moins sécurisante qu’une acceptation expresse et peut être contestée en l’absence d’éléments probants.

==>Régime spécial de l’assurance-vie

L’acceptation du bénéfice d’un contrat d’assurance-vie est encadrée par un formalisme rigoureux, imposé par l’article L. 132-9, II du Code des assurances. Ce régime spécifique vise à protéger le souscripteur en lui garantissant un contrôle effectif sur la désignation du bénéficiaire tant qu’il est en vie.

  • Avant le décès du souscripteur
    • Tant que le souscripteur est en vie, l’acceptation du bénéficiaire ne peut intervenir que sous l’une des deux formes suivantes :
      • Un avenant tripartite, signé par le souscripteur, le bénéficiaire et l’assureur. Cet acte engage définitivement les parties et empêche toute modification unilatérale ultérieure du bénéficiaire.
      • Un acte authentique ou sous seing privé, signé par le souscripteur et le bénéficiaire, qui doit ensuite être notifié à l’assureur. Cette notification constitue une formalité essentielle, permettant à l’assureur d’être informé officiellement du caractère désormais irrévocable de la désignation.
    • L’une de ces deux formalités doit impérativement être respectée pour que l’acceptation produise ses effets.
    • Une simple manifestation de volonté du bénéficiaire, même exprimée clairement, ne saurait suffire. Tant que cette acceptation formalisée n’a pas eu lieu, le souscripteur conserve la liberté de modifier la clause bénéficiaire sans restriction.
  • Après le décès du souscripteur
    • À compter du décès du souscripteur, les contraintes formelles disparaissent.
    • Le bénéficiaire peut alors accepter le bénéfice du contrat par tout moyen, que ce soit de manière expresse (par une déclaration écrite) ou tacite (par un acte révélant sans équivoque sa volonté d’accepter, comme la demande de versement du capital).

L’article L. 132-9, II du Code des assurances a suscité des interrogations quant à la portée de la signature de l’assureur dans l’avenant tripartite. Certains auteurs ont estimé que cette signature traduisait une forme d’adhésion contractuelle, transformant ainsi l’acceptation en un acte nécessitant le consentement de trois parties (stipulant, bénéficiaire, assureur). D’autres ont soutenu une lecture plus restrictive, considérant que la signature de l’assureur ne constituait qu’une formalisation administrative, destinée à garantir une bonne information des parties.

En tout état de cause, ce formalisme strict répond à un impératif de protection du souscripteur. Il empêche que l’acceptation du bénéficiaire ne soit réalisée à son insu ou sous une influence extérieure, et lui garantit la possibilité de revenir sur la désignation tant qu’il est en vie. Ce n’est qu’après acceptation formelle que le bénéficiaire acquiert un droit intangible, rendant toute modification impossible sans son consentement.

En définitive, le régime de l’acceptation en assurance-vie illustre l’équilibre recherché entre la protection du souscripteur et la consolidation des droits du bénéficiaire, en fonction du moment où intervient l’acceptation.

d. Les effets de l’acceptation

L’acceptation de la stipulation pour autrui marque une transformation décisive dans le régime juridique de l’attribution au profit du bénéficiaire. Tant qu’elle n’est pas intervenue, la stipulation demeure précaire et révocable, ne créant à son profit qu’une simple expectative. En revanche, dès que le bénéficiaire exprime son acceptation, son droit acquiert une assise définitive : il devient irrévocable et directement opposable au promettant, tout en échappant à l’influence du stipulant. Cette irrévocabilité s’impose de manière absolue et ne souffre d’aucune exception, sauf stipulation expresse contraire.

Si la doctrine s’interroge sur la nature rétroactive de l’acceptation, elle s’accorde néanmoins sur son caractère déclaratif. L’acte d’acceptation ne crée pas un droit nouveau, mais vient consolider un droit préexistant, sans en modifier la substance. Loin d’opérer un bouleversement dans l’économie du contrat initial, il fige les conditions de la stipulation et confère au bénéficiaire un droit désormais intangible.

Les effets de l’acceptation revêtent une intensité particulière en matière d’assurance-vie. Loin de se limiter à la seule irrévocabilité de l’attribution, elle prive le souscripteur de la faculté de rachat du contrat, empêchant ainsi toute remise en cause ultérieure du bénéfice conféré. Le droit du bénéficiaire se trouve ainsi définitivement cristallisé, s’imposant tant au promettant qu’au stipulant.

L’analyse des effets de l’acceptation peut dès lors être structurée autour de trois axes : l’irrévocabilité du droit du bénéficiaire, son opposabilité immédiate au promettant et les conséquences spécifiques qu’elle entraîne en matière d’assurance-vie.

==>L’irrévocabilité du droit du bénéficiaire

L’acceptation de la stipulation pour autrui opère une véritable cristallisation des droits du bénéficiaire en le plaçant hors d’atteinte des volontés ultérieures du stipulant. Avant cette manifestation de volonté, la stipulation demeure fragile et révocable : le stipulant conserve toute latitude pour en modifier ou en anéantir les effets. Toutefois, dès que le bénéficiaire accepte la stipulation, son droit devient intangible. L’article 1206, alinéa 3 du Code civil consacre ce principe en affirmant que l’acceptation rend l’attribution irrévocable. Toute tentative ultérieure du stipulant de modifier ou de révoquer la stipulation se heurte alors à une nullité de plein droit. La jurisprudence a confirmé cette règle avec constance, en affirmant que toute révocation postérieure à l’acceptation demeure dépourvue d’effet et ne saurait priver le bénéficiaire du droit qui lui a été conféré (Cass. 1re civ., 26 juin 1961).

L’irrévocabilité ainsi acquise ne se limite pas à la seule impossibilité de suppression du droit du bénéficiaire : elle s’étend également aux conditions de son exécution. L’acceptation fige définitivement les termes de l’engagement souscrit par le promettant, rendant toute modification ultérieure du contrat d’origine inopposable au bénéficiaire. Dès lors que ce dernier a accepté la stipulation, les évolutions contractuelles intervenues entre le stipulant et le promettant ne peuvent en aucun cas altérer ses droits. La Cour de cassation a consacré ce principe en jugeant qu’une modification du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, postérieure à l’acceptation, reste sans effet sur la créance du bénéficiaire, qui demeure tenu aux conditions initialement convenues (Cass. 1re civ., 5 déc. 1978, n°77-14.029).

Cette règle revêt une importance particulière en matière d’assurance emprunteur. Une fois l’acceptation intervenue, toute modification du risque couvert par l’assureur, même convenue entre le stipulant et le promettant, ne saurait porter atteinte aux droits du bénéficiaire. Il en résulte une véritable stabilité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui, qui confère au bénéficiaire une protection efficace contre toute remise en cause ultérieure.

==>L’opposabilité immédiate au promettant

L’acceptation ne se borne pas à dessaisir le stipulant de sa faculté de révocation ; elle confère également au bénéficiaire un droit propre et directement opposable au promettant. Dès que l’acceptation est formulée, le bénéficiaire devient le créancier exclusif du promettant, lequel ne peut plus s’acquitter de son obligation qu’en exécutant la prestation à son profit. Toute tentative de paiement au stipulant, même conforme à la relation initiale entre ce dernier et le promettant, est juridiquement inopérante. La jurisprudence a consacré cette règle en affirmant que le bénéficiaire dispose, dès son acceptation, d’un droit autonome qui ne saurait être anéanti par un paiement effectué entre les mains du stipulant (Cass. 1re civ., 19 déc. 2000, n° 98-14.105).

Cette consécration du droit direct du bénéficiaire s’accompagne d’un corollaire essentiel: toute exécution irrégulière de l’obligation du promettant est frappée de nullité. Ainsi, le paiement effectué entre les mains du stipulant après acceptation ne produit aucun effet libératoire à l’égard du bénéficiaire, lequel demeure fondé à en exiger l’exécution intégrale. Ce principe confère à la stipulation pour autrui une efficacité propre, en soustrayant définitivement le bénéficiaire aux aléas des relations contractuelles initiales.

Toutefois, une partie de la doctrine s’est interrogée sur la possibilité d’une dérogation conventionnelle à cette règle. Il a ainsi été soutenu que le stipulant et le promettant pourraient convenir, dès la formation du contrat, que le droit direct du bénéficiaire demeurerait révocable malgré son acceptation. Une telle analyse, défendue notamment par Demogue suggère que l’acceptation du bénéficiaire ne ferait pas obstacle à une révocation convenue dès l’origine. Cette thèse reste cependant largement minoritaire et n’a reçu aucune consécration jurisprudentielle. La jurisprudence demeure en effet attachée au principe d’irrévocabilité du droit du bénéficiaire après acceptation, considérant que toute stipulation contraire porterait atteinte à la sécurité juridique du mécanisme de la stipulation pour autrui.

==>Les effets de l’acceptation en matière d’assurance-vie

L’acceptation produit des effets particulièrement marqués en matière d’assurance-vie, où elle a pour conséquence de priver le souscripteur de sa faculté de rachat. Avant acceptation, le souscripteur conserve la possibilité de modifier la clause bénéficiaire ou d’exercer son droit de rachat sur le contrat. En revanche, après acceptation, ces prérogatives lui échappent totalement. L’article L. 132-9, I du Code des assurances, dans sa version issue de la loi du 17 décembre 2007, consacre désormais ce principe en disposant qu’après acceptation, « le stipulant ne peut exercer sa faculté de rachat et l’entreprise d’assurance ne peut lui consentir d’avance sans l’accord du bénéficiaire ».

Cette interdiction du rachat a donné lieu à des controverses doctrinales et jurisprudentielles. Certains auteurs avaient soutenu que l’acceptation ne faisait pas obstacle à l’exercice du droit de rachat par le souscripteur, dès lors que ce droit était prévu dans le contrat et que le bénéficiaire avait accepté la stipulation en connaissance de cause. La chambre mixte de la Cour de cassation avait même admis, dans un premier temps, que l’acceptation du bénéficiaire ne privait pas nécessairement le souscripteur de sa faculté de rachat (Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n°06-11.934). Toutefois, cette position a finalement été abandonnée au profit de la solution actuelle, qui consacre l’irrévocabilité de l’attribution après acceptation et l’interdiction corrélative du rachat.

La justification de cette solution repose sur la nature même de l’acceptation, qui équivaut à une acceptation de donation de la part du souscripteur. Or, en application des règles encadrant les donations, l’irrévocabilité constitue un principe d’ordre public, et la faculté de rachat reviendrait à vider l’acceptation de son effet juridique. Comme l’a souligné la doctrine, une clause par laquelle le souscripteur se réserverait la possibilité de racheter le contrat malgré l’acceptation du bénéficiaire serait contraire au principe d’irrévocabilité des donations et, à ce titre, juridiquement nulle[26].

Ainsi, en matière d’assurance-vie, l’acceptation ne se contente pas de figer les droits du bénéficiaire : elle soustrait également le contrat à toute possibilité de remise en cause par le souscripteur. Dès lors que le bénéficiaire a exprimé son acceptation, la stipulation lui devient définitivement acquise, et toute tentative du souscripteur de racheter le contrat en contradiction avec cette acceptation est juridiquement inefficace.

C) Les effets dans les rapports entre le stipulant et le tiers bénéficiaire

La stipulation pour autrui ne se réduit pas à la seule création d’un lien entre le bénéficiaire et le promettant. Elle instaure également une relation juridique entre le stipulant et le bénéficiaire, dont la nature et les effets varient selon l’intention qui a présidé à l’établissement de la stipulation dans le contrat principal. Cette relation, souvent sous-estimée, est pourtant fondamentale, car elle éclaire la portée véritable de la stipulation et détermine les éventuelles obligations réciproques des parties en présence.

==>Une relation qui peut être guidée par une intention libérale

Dans de nombreux cas, la stipulation pour autrui s’analyse comme une libéralité indirecte, en ce qu’elle vise à gratifier le bénéficiaire sans contrepartie. Cette qualification a des conséquences majeures, notamment en matière de protection des créanciers et des héritiers du stipulant.

D’une part, si la stipulation pour autrui a eu pour effet d’appauvrir le stipulant, ses créanciers peuvent agir par la voie de l’action paulienne pour en obtenir l’inopposabilité, à condition d’établir que la stipulation leur a causé un préjudice et qu’elle a été conclue en fraude de leurs droits.

D’autre part, en matière successorale, les héritiers du stipulant peuvent contester l’attribution au profit du bénéficiaire si celle-ci porte atteinte à la réserve héréditaire. Toutefois, cette contestation obéit à un régime particulier en ce qui concerne l’assurance-vie. L’article L. 132-13 du Code des assurances consacre en effet une règle spécifique selon laquelle seule la fraction des primes manifestement exagérées peut être réintégrée dans la succession. Le capital décès versé au bénéficiaire échappe ainsi à toute remise en cause, sauf en cas d’abus manifeste dans le versement des primes. Cette solution, largement admise par la jurisprudence, vise à préserver la spécificité du contrat d’assurance-vie en tant qu’instrument de prévoyance et de transmission patrimoniale.

==>L’absence d’obligation du stipulant envers le bénéficiaire

En principe, dès lors que la stipulation pour autrui a conféré un droit direct au bénéficiaire, le stipulant ne demeure tenu à aucune obligation à son égard. Le bénéficiaire ne peut exiger du stipulant qu’il veille à la bonne exécution de l’engagement pris par le promettant ni qu’il garantisse la prestation qui lui est due. Cette règle découle de la nature même de la stipulation pour autrui, qui repose sur un transfert de droit sans transfert d’obligation.

Le stipulant peut néanmoins choisir d’assumer un rôle plus actif dans la mise en œuvre de la stipulation. Ainsi, s’il s’engage expressément à garantir la réalisation de la prestation, il se trouve contractuellement tenu à l’égard du bénéficiaire. Dans cette hypothèse, une inexécution du promettant pourrait justifier une action du bénéficiaire contre le stipulant, fondée sur l’engagement de garantie souscrit. Toutefois, à défaut d’une stipulation expresse en ce sens, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre le stipulant et doit se retourner exclusivement contre le promettant pour faire valoir ses droits.

==>L’absence de recours du bénéficiaire contre le stipulant en cas d’échec de la stipulation

La question se pose avec acuité lorsque la stipulation pour autrui devient inefficace en raison d’une annulation ou d’une résolution du contrat principal. En pareil cas, le bénéficiaire se retrouve privé du droit qu’il croyait acquérir, et il pourrait être tenté d’agir contre le stipulant pour obtenir réparation du préjudice subi.

En principe, une telle action est irrecevable. La stipulation pour autrui ne crée en effet aucun engagement autonome du stipulant envers le bénéficiaire : son rôle se limite à instituer un droit au profit de ce dernier, mais sans obligation corrélative à sa charge. Ainsi, si le contrat principal est anéanti, la stipulation disparaît avec lui, sans que le bénéficiaire puisse en contester les effets. Cette solution, conforme aux principes généraux du droit des obligations, vise à éviter d’imputer au stipulant une responsabilité qui excéderait son engagement initial.

Toutefois, une exception mérite d’être relevée. Si le stipulant a expressément garanti au bénéficiaire la mise en œuvre de la stipulation, il pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance du promettant. Une telle garantie ne se présume pas et doit résulter d’une clause expresse dans le contrat principal. En l’absence d’un tel engagement formel, le bénéficiaire demeure privé de tout recours contre le stipulant et doit exclusivement s’adresser au promettant pour obtenir l’exécution de la prestation qui lui est due.

 

 

 

  1. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  2. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 1901, n° 1123. ?
  3. E. Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, p. 237 ?
  4. Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
  5. M. Mignot, Commentaire article par article de l’ordonnance du 10 février 2016, LPA, 30 mars 2016, p. 11. ?
  6. F. Terré et Ph. Simler, Les obligations, Dalloz, 12e éd., 2019, n° 699. ?
  7. R. Remogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 759 ?
  8. J. Ghestin, Ch. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, LGDJ, 3? éd. 2001, n° 967. ?
  9. R. Rodière, Droit des transports, Sirey, 2? éd., 1977, n° 364 ?
  10. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, 3e éd., n° 629 ?
  11. J. Ghestin, Traité de droit civil, Les effets du contrat, LGDJ, 3e éd., 2001, n° 967 ?
  12. R. Demogue, Traité des obligations en général, t. VII, 1933, n° 77 ?
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  13. R. Beudant, Cours de droit civil français, 1953, n° 941 ?
  14. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 45. ?
  15. Portalis, Discours préliminaire du Code civil, 1801. ?
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  19. Eugène Gaudemet, Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 ?
  20. Guy Flattet, Les contrats pour le compte d’autrui, thèse, Paris, 1950, n° 106 ?
  21. G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, d’après le traité de M. Planiol, t. II, LGDJ, 1957, n° 630 et 642. ?
  22. J. Ghestin, C. Jamin et M. Billiau, Les effets du contrat, 3? éd., 2001, LGDJ, n° 994 ?
  23. Ph. Amsler, Donation à cause de mort et désignation du bénéficiaire d’une assurance de personnes, 1979, p. 68. ?
  24. D. R. Martin, La stipulation de contrat pour autrui, D. 1994. Chron. 145 ?
  25. M. Grimaldi, Les donations à terme, Études offertes à P. Catala, Litec 2001, n° 14, p. 432 ?

La stipulation pour autrui: conditions

La stipulation pour autrui constitue une exception au principe de l’effet relatif des contrats, qui veut qu’un contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties qui l’ont conclu. Elle permet ainsi à une personne (le stipulant) de prévoir, dans un contrat conclu avec une autre personne (le promettant), qu’un tiers bénéficiaire pourra directement se prévaloir d’un droit issu de cet accord.

Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution repose sur une construction doctrinale et jurisprudentielle ancienne, qui a progressivement évolué pour s’affranchir de certaines limitations initialement imposées par la théorie contractuelle classique.

Pour être valable, la stipulation pour autrui doit réunir deux conditions essentielles :

  • Son caractère contractuel : elle ne peut exister sans un accord exprès entre le stipulant et le promettant visant à conférer un droit à un tiers.
  • La désignation du bénéficiaire : le tiers doit être déterminé ou, à défaut, déterminable au moment de l’exécution du contrat.

C’est l’existence de ces deux éléments qui permet au bénéficiaire d’opposer la stipulation au promettant et d’exercer le droit qui lui a été conféré.

A) Le caractère contractuel de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui puise son essence dans la volonté concertée du stipulant et du promettant, qui s’accordent expressément à conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce fondement contractuel, consacré par l’article 1205 du Code civil, implique que la stipulation ne saurait se déduire du silence des parties : elle requiert une manifestation de volonté non équivoque (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Longtemps perçue comme un mécanisme nécessairement accessoire à une obligation sous-jacente, la stipulation pour autrui s’est progressivement affranchie de cette exigence, au point d’acquérir une autonomie conceptuelle reconnue tant par la doctrine que par la jurisprudence. Ainsi, son existence n’est plus subordonnée à l’existence d’une prestation entre le stipulant et le promettant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967).

Dès lors, la stipulation pour autrui ne procède ni d’un impératif d’utilité pour le stipulant ni d’une relation sous-jacente entre les parties contractantes, mais exclusivement de l’engagement du promettant à l’égard du tiers, par la seule force de l’accord contractuel qui l’y oblige.

1. La volonté conjointe du stipulant et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers

La stipulation pour autrui trouve son assise dans l’accord concerté du stipulant et du promettant, lesquels manifestent une volonté expresse et non équivoque de conférer un droit direct à un tiers bénéficiaire. Ce principe, désormais consacré par l’article 1205 du Code civil, constitue le fondement même de cette institution, en ce qu’il permet d’affranchir le bénéficiaire du principe de l’effet relatif des contrats.

a. Une volonté de créer un droit au profit d’un tiers

Loin de se déduire implicitement du contrat, la stipulation pour autrui exige une intention claire et indubitable des parties. Aussi, le principe selon lequel la stipulation pour autrui ne saurait se présumer est désormais bien établi en droit français. L’article 1205 du Code civil rappelle avec fermeté que la volonté de conférer un droit au tiers doit être clairement exprimée. La jurisprudence a réaffirmé cette exigence, en jugeant que l’intention des parties de créer une stipulation pour autrui devait être non équivoque et ne pouvait se déduire implicitement du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151).

Cette exigence trouve sa justification dans la nature même de la stipulation pour autrui. Elle constitue en effet une dérogation au principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 C. civ.), qui dispose que les contrats ne créent d’obligations qu’entre les parties. Dès lors, il ne saurait être admis qu’un tiers puisse revendiquer un droit contractuel sans que cette conséquence ait été expressément voulue par le stipulant et le promettant.

Toutefois, si cette volonté conjointe est essentielle à la validité de la stipulation, l’analyse du mécanisme révèle une distinction à faire entre la création de la créance et son attribution au bénéficiaire.

  • La création de la créance trouve son origine dans l’accord entre le stipulant et le promettant. C’est cette rencontre des volontés qui génère une obligation nouvelle.
  • L’attribution de la créance au bénéficiaire, en revanche, repose sur la seule volonté du stipulant. Ce dernier agit ici unilatéralement, à l’instar d’un cédant dans une cession de créance, tandis que le promettant, assimilable au cédé, n’a pas à consentir à cette transmission (art. 1321, al. 4 C. civ.). Tout au plus doit-il être informé de celle-ci (C. civ., art. 1324, al. 1er).

La distinction entre ces deux étapes de l’opération trouve une illustration particulièrement évocatrice dans la jurisprudence relative à l’assurance pour compte. En effet, l’existence d’une telle stipulation repose exclusivement sur l’accord du souscripteur et de l’assureur, indépendamment de la volonté du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-21.363). À l’inverse, lorsque cet accord fait défaut ou demeure incertain, la stipulation ne saurait prospérer, ce qui conduit la jurisprudence à refuser la reconnaissance d’une assurance pour compte en l’absence d’une volonté suffisamment caractérisée en faveur du bénéficiaire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 18-26.685 et 19-10.157).

Ainsi, plus encore que l’attribution de la créance au bénéficiaire, c’est bien la rencontre des volontés du stipulant et du promettant qui constitue le socle de la stipulation pour autrui. Loin d’être un mécanisme implicite, elle requiert une intention manifeste des parties, seule garante de la rigueur contractuelle et de la sécurité juridique de l’opération.

b. L’inopérance de l’exigence d’un intérêt du stipulant

Si l’existence d’une volonté claire est unanimement requise, la question de l’intérêt du stipulant dans l’opération a fait l’objet de vives controverses doctrinales et jurisprudentielles.

Historiquement, la jurisprudence a conditionné la validité de la stipulation pour autrui à l’existence d’un intérêt du stipulant, qu’il soit moral ou patrimonial (Cass. civ. 16 janv. 1888). Cette approche reposait sur l’idée que le stipulant devait agir dans une finalité qui lui était propre et non dans une logique purement gratuite. En d’autres termes, la stipulation pour autrui n’était admise que si le stipulant trouvait un avantage dans l’opération.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu de sa pertinence, au point d’être qualifiée de « faux problème » par la doctrine. Des auteurs tels que Marty et Raynaud soutiennent que la seule volonté conjointe du stipulant et du promettant suffit à justifier la stipulation, indépendamment de toute considération d’intérêt propre du stipulant. L’intérêt du stipulant ne constitue pas une condition essentielle, dès lors que l’acte de stipulation repose sur une autonomie juridique propre.

La jurisprudence a suivi cette évolution en cessant progressivement de faire référence à l’intérêt du stipulant comme condition de validité de la stipulation pour autrui (Cass. com. 1er déc. 1975, n°74-13.788). Désormais, l’accord des parties constitue le seul fondement du mécanisme, sans que le stipulant ait à démontrer un quelconque avantage personnel.

L’ordonnance du 10 février 2016 a définitivement consacré l’autonomie de la stipulation pour autrui en supprimant toute référence à l’intérêt du stipulant dans le Code civil. Alors que l’ancien article 1121 imposait que la stipulation fût l’accessoire d’une obligation principale pesant sur le stipulant, cette exigence a été expressément abandonnée dans les nouvelles dispositions de l’article 1205.

Cet abandon marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient son efficacité. Désormais, ce mécanisme contractuel fonctionne librement, sans que l’on ait à s’interroger sur l’utilité du stipulant dans l’opération.

Ainsi, l’essence de la stipulation pour autrui ne réside pas dans l’intérêt du stipulant, mais bien dans la volonté conjointe de ce dernier et du promettant de faire naître un droit au profit d’un tiers. Dès lors, l’accord des parties demeure le seul fondement de la stipulation, affranchi de toute exigence d’utilité ou d’intérêt personnel du stipulant.

2. L’abandon du caractère accessoire de la stipulation pour autrui

La stipulation pour autrui a longtemps été conçue comme un mécanisme intrinsèquement lié à un engagement principal du stipulant. L’ancien article 1121 du Code civil consacrait cette approche, en posant comme condition de validité que la stipulation pour autrui fût l’accessoire d’une obligation du stipulant, lequel devait lui-même retirer un bénéfice de l’opération. En d’autres termes, la stipulation pour autrui ne pouvait prospérer que dans le cadre d’une convention où le stipulant trouvait un intérêt propre à conférer un avantage au tiers bénéficiaire.

Toutefois, cette exigence a progressivement perdu en pertinence, jusqu’à être entièrement abandonnée par la doctrine et la jurisprudence. Dès 1967, la Cour de cassation a marqué un tournant décisif en reconnaissant qu’une stipulation pour autrui pouvait exister indépendamment de toute obligation principale du stipulant (Cass. 1re civ., 12 avr. 1967). Cette décision opérait une rupture avec la conception traditionnelle du mécanisme en consacrant la pleine autonomie de la stipulation pour autrui, y compris dans l’hypothèse où le stipulant ne retirait aucun avantage personnel de l’engagement pris par le promettant.

Cette évolution s’est prolongée dans la jurisprudence contemporaine, notamment en matière d’assurance, où il a été jugé que la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, effectuée par voie testamentaire, n’avait pas à être portée à la connaissance de l’assureur pour être valide (Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n°20-19.655). Cet arrêt illustre le fait que la stipulation pour autrui, loin d’être conditionnée par l’existence d’un engagement principal du stipulant, est un acte unilatéral attributif de créance, dont l’effet se déploie sans intervention nécessaire du promettant au moment de son exécution.

a. La remise en cause doctrinale de l’exigence d’accessoire

La doctrine, largement favorable à cette évolution, a souligné l’inanité d’une telle contrainte, qui limitait artificiellement la portée du mécanisme. M. Marty et M. Raynaud relèvent ainsi que « l’exigence d’accessoire constituait une entrave inutile à l’effectivité du procédé, sans fondement réel dans la logique contractuelle »[19].

Dans le même esprit, des auteurs comme Eugène Gaudemet[20], Théorie générale des obligations, 1937, Dalloz, p. 243 et Guy Flattet[21] démontrent que rien dans la construction contractuelle ne justifiait que la stipulation pour autrui fût nécessairement subordonnée à une prestation du stipulant. Loin de constituer un principe essentiel, l’ancienne exigence d’accessoire apparaissait comme un dogme artificiel, entravant la souplesse du droit des obligations.

Cette critique a conduit à une inversion des perspectives : alors que la conception classique considérait que la stipulation pour autrui devait être l’accessoire d’une obligation du stipulant, certains auteurs ont soutenu que c’est, au contraire, la stipulation pour soi-même qui peut être reléguée à un rôle secondaire, le véritable moteur du mécanisme étant l’engagement du promettant envers le bénéficiaire. Cette analyse rejoint les observations de Georges Ripert et Jean Boulanger, selon lesquels « la stipulation pour autrui n’est pas une opération technique qui se suffise à elle-même. C’est un mécanisme juridique qui fonctionne à l’intérieur d’un contrat pour en diviser les effets »[22]. Dans le même sens, d’autres auteurs ont souligné que « ce n’est plus la stipulation pour autrui qui est accessoire à un engagement du stipulant, mais bien la stipulation pour soi-même qui l’accompagne qui peut être reléguée à un rôle secondaire »[23].

Par ailleurs, il a été démontré que la stipulation pour autrui s’apparente à un acte unilatéral du stipulant attribuant une créance au bénéficiaire, sans que l’accord du promettant ne soit requis à ce stade (art. 1321, al. 4 C. civ.). Dès lors, l’existence d’un contrat générateur de la créance demeure une condition préalable nécessaire, mais la stipulation elle-même n’a plus à s’inscrire dans un cadre accessoire.

b. La consécration de l’autonomie de la stipulation pour autrui

Cette évolution doctrinale et jurisprudentielle a finalement trouvé son aboutissement dans la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016. Les nouveaux articles 1205 et suivants du Code civil consacrent désormais l’autonomie de la stipulation pour autrui, sans exiger qu’elle s’inscrive dans un engagement principal du stipulant.

Désormais, la stipulation pour autrui est reconnue comme un acte distinct du contrat générateur de la créance, soumis aux conditions générales du droit des actes juridiques, notamment en matière de capacité (art. 1128 C. civ.). La jurisprudence récente a confirmé cette autonomie, en reconnaissant notamment qu’une stipulation pour autrui pouvait être implicite, dès lors qu’elle résultait de la volonté non équivoque des parties (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).

En définitive, l’abandon du caractère accessoire marque l’aboutissement d’une évolution tendant à détacher la stipulation pour autrui des contraintes inutiles qui limitaient sa portée. Elle confère à cette institution une autonomie renouvelée, lui permettant de s’adapter plus librement aux besoins des contractants et d’assurer une meilleure prévisibilité des droits du bénéficiaire. Ainsi affranchi de son ancrage traditionnel dans une obligation du stipulant, le mécanisme de la stipulation pour autrui acquiert une souplesse nouvelle, renforçant son efficacité en tant qu’outil de structuration des relations contractuelles.

B) Le tiers bénéficiaire de la stipulation

La stipulation pour autrui confère un droit direct au bénéficiaire, bien que celui-ci ne soit pas partie au contrat initial. Toutefois, pour que ce droit soit reconnu, encore faut-il que le bénéficiaire soit déterminé ou déterminable, qu’il accepte la stipulation, et qu’il puisse, dans certains cas, être tenu d’obligations corrélatives.

L’évolution de la jurisprudence et de la doctrine a progressivement affiné ces conditions, en conciliant la flexibilité contractuelle avec la nécessité de préserver la sécurité juridique. Loin d’être un simple spectateur du contrat, le bénéficiaire devient un acteur dont les droits et obligations doivent être précisément encadrés.

1. La désignation du bénéficiaire

a. L’exercice d’un pouvoir unilatéral du stipulant

L’identification du bénéficiaire est une pierre angulaire du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle conditionne l’attribution effective du droit conféré. Ce pouvoir appartient exclusivement au stipulant, seul habilité à attribuer à un tiers la créance qu’il détient contre le promettant. Il ne s’agit pas d’une simple prérogative, mais d’un droit discrétionnaire, corollaire du principe selon lequel la stipulation pour autrui confère au stipulant la maîtrise du droit né du contrat, lui permettant d’en disposer librement (art. 537 C. civ.). Dès lors, l’acte par lequel le stipulant désigne le bénéficiaire s’analyse en un acte unilatéral, qui modifie l’économie du contrat initial en déterminant la personne à laquelle la créance sera directement transmise[24].

L’effet de cette désignation est contraignant pour le promettant, lequel, à l’instar du débiteur dans une cession de créance (art. 1321 C. civ.) ou une indication de paiement (art. 1342-2, al. 1er C. civ.,), est tenu d’exécuter son obligation au profit du bénéficiaire désigné, sans qu’un consentement de sa part soit requis pour la validité de l’attribution (art. 1321, al. 4 C. civ.). Ainsi, la jurisprudence a refusé d’admettre comme bénéficiaire d’une assurance-décès une personne mentionnée de manière informelle par l’assureur dans un certificat d’adhésion partiellement complété, au motif que seule la volonté expresse du stipulant est de nature à conférer un droit direct au tiers (CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 23 juin 2005).

La désignation du bénéficiaire emporte un effet attributif immédiat, dont la nature varie selon le moment où elle intervient. Lorsque la stipulation est formulée dès l’origine, la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans jamais transiter par celui du stipulant (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-16.151). À l’inverse, si la créance a préalablement existé dans le patrimoine du stipulant avant d’être attribuée, l’opération s’apparente davantage à une transmission. Toutefois, la stipulation pour autrui se distingue fondamentalement d’une cession de créance en ce que le bénéficiaire n’est pas l’ayant cause du stipulant : il n’hérite pas d’un droit préexistant, mais devient titulaire d’une créance qui prend naissance en sa faveur.

Ainsi, la désignation du bénéficiaire ne se réduit pas à une simple modalité du contrat : elle constitue l’acte fondateur par lequel le stipulant confère au tiers un droit direct contre le promettant, consacrant ainsi la vocation autonome de la stipulation pour autrui.

b. Moment et modalités de la désignation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui suppose que le bénéficiaire soit désigné par le stipulant au promettant (art. 1205, al. 2 C. civ). Toutefois, cette désignation ne doit pas nécessairement intervenir lors de la conclusion du contrat : elle peut être effectuée ultérieurement, sous réserve que le promettant ne s’y oppose pas. Cette possibilité découle du fait que l’attribution d’un droit au profit d’un tiers dépend exclusivement de la volonté du stipulant, lequel dispose d’une faculté de révocation tant que le bénéficiaire n’a pas accepté la stipulation (Cass., ass. plén., 12 déc. 1986, n°84-17.867).

Ainsi, le stipulant conserve la liberté de modifier la désignation du bénéficiaire à tout moment, sous réserve des conditions posées par la loi ou par la nature du contrat. Par exemple, en matière d’assurance-vie, la jurisprudence a admis qu’un souscripteur puisse substituer un nouveau bénéficiaire à l’ancien par simple déclaration, sans que cela ne constitue une cession de créance (Cass. 1re civ., 10 juill. 1996, n° 94-18.733). Cette solution repose sur l’idée que le stipulant ne saurait céder un droit qui ne lui appartient pas, dès lors qu’il l’a fait naître directement au profit du bénéficiaire désigné.

En l’absence de désignation expresse, la créance issue de la stipulation pour autrui revient au stipulant lui-même ou, en cas de décès, à sa succession (art. L. 132-11 C. ass.). Cette solution, appliquée en matière d’assurance-vie, a valeur de principe général et s’étend à toutes les hypothèses de stipulation pour autrui. Il en résulte que tant que le bénéficiaire n’est pas formellement désigné, le droit demeure dans la sphère patrimoniale du stipulant, qui peut en disposer librement.

Si le bénéficiaire est désigné, il n’est pas nécessaire que celui-ci soit informé immédiatement de l’attribution du droit à son profit. L’acte attributif est en effet non réceptice par nature : la créance est transmise indépendamment de la connaissance qu’en a le bénéficiaire. Toutefois, cette situation change dès lors que le stipulant décide de notifier la stipulation au bénéficiaire : dans ce cas, la faculté de révocation disparaît, et toute modification ultérieure de la désignation du bénéficiaire requiert son consentement (art. 1207, al. 3 C. civ.).

c. Le bénéficiaire : un ayant cause particulier du stipulant

Le bénéficiaire de la stipulation pour autrui est traditionnellement qualifié d’ayant cause à titre particulier du stipulant. Son droit résulte directement de la volonté de ce dernier et s’exerce avec les caractères qui lui ont été conférés par le stipulant (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141). Cette qualification a des implications majeures, notamment en ce qui concerne la pérennité du droit du bénéficiaire : tant que la stipulation n’a pas été acceptée, le stipulant conserve la faculté de révoquer l’attribution ou de substituer un autre bénéficiaire. Cette possibilité de révocation souligne le fait que le droit direct du bénéficiaire ne naît que de la volonté du stipulant et demeure suspendu tant qu’il ne l’a pas accepté.

D’un point de vue économique, la stipulation pour autrui peut répondre à diverses causes objectives : elle peut être motivée par une intention libérale (donation), par une logique de financement (prêt) ou par un objectif d’exécution d’une obligation préexistante (paiement). Dans tous les cas, elle se réalise en deux temps : d’abord, l’attribution de la créance, puis, le cas échéant, la transformation de cette créance en somme d’argent par l’exécution de l’obligation du promettant.

==>Qui peut être bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ?

  • Les parfaits étrangers (penitus extranei)
    • Il ne fait aucun doute qu’une stipulation pour autrui peut être faite au profit d’un tiers totalement étranger aux parties contractantes.
    • Un stipulant peut ainsi, sans difficulté, conférer un droit à une personne qui ne possède aucun lien de droit avec lui ou avec le promettant.
    • La doctrine et la jurisprudence admettent sans réserve cette faculté, considérant qu’elle ne rencontre aucun obstacle juridique ou logique.
    • Dans ce cas, l’engagement du promettant bénéficie directement à ce tiers, sans que celui-ci ait à justifier d’un lien antérieur avec le stipulant. Par exemple, en matière d’assurance, un souscripteur peut valablement stipuler au profit d’une fondation ou d’une œuvre caritative, alors même qu’aucun lien préexistant ne l’unissait à ces entités.
  • Les ayants cause à titre particulier
    • La stipulation pour autrui peut également être faite au profit des ayants cause à titre particulier du stipulant, c’est-à-dire des personnes qui reçoivent un droit précis et identifiable de sa part.
    • Ce cas est largement admis, car rien n’empêche un stipulant de transmettre à un tiers, en plus d’un droit direct, un droit accessoire contre le promettant.
    • Par exemple, lorsqu’un propriétaire vend un immeuble et impose à l’acquéreur une clause de non-concurrence en faveur du repreneur d’un fonds de commerce attenant, ce dernier devient bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Il détient ainsi un droit propre à faire respecter la clause, indépendamment du lien contractuel entre le vendeur et l’acheteur (Cass. com., 19 déc. 1960, n° 58-11.141).
  • Les ayants cause universels ou à titre universel (héritiers et successeurs)
    • Le cas des héritiers et ayants cause universels est plus complexe.
    • Traditionnellement, la jurisprudence a longtemps refusé d’admettre qu’un stipulant puisse stipuler pour ses héritiers, au motif que ces derniers recueillent déjà, par l’effet de la succession, les droits de leur auteur.
    • En d’autres termes, stipuler en faveur de ses héritiers reviendrait à se stipuler pour soi-même, ce qui viderait de son sens la stipulation pour autrui (Cass. Req. 15 juill. 1875, S. 1877. 1. 326).
    • Toutefois, cette position a évolué, notamment en matière d’assurance sur la vie.
    • L’article L. 132-8 du Code des assurances permet expressément de désigner comme bénéficiaires les héritiers de l’assuré.
    • Dans ce cas, leur droit naît du contrat d’assurance et non de la succession.
    • Ils ne recueillent donc pas un droit dérivé du défunt, mais un droit direct issu de la stipulation, ce qui les distingue des simples successeurs universels.
    • La jurisprudence a également validé des stipulations pour autrui au profit de certains héritiers seulement.
    • Si le stipulant choisit de conférer un droit à un héritier particulier sans que cette qualité n’ait d’incidence sur l’attribution du droit, alors la stipulation demeure valable.
    • Ainsi, un parent peut souscrire une assurance-vie au profit d’un seul de ses enfants sans que cette désignation soit assimilée à un pacte sur succession future prohibé (Cass., ch. réun., 28 avr. 1961, n°57.12.658).

2. La nécessité d’un bénéficiaire déterminé ou déterminable

La stipulation pour autrui, pour produire ses effets, exige que le bénéficiaire soit soit déterminé ab initio, soit déterminable avec certitude au moment de l’exécution de la promesse. Cette exigence trouve sa justification dans la nécessité d’assurer la sécurité juridique des parties et d’éviter qu’un droit soit créé sans titulaire certain.

a. Un bénéficiaire nécessairement déterminable

La stipulation pour autrui ne saurait déployer ses effets qu’au bénéfice d’un titulaire précisément identifié ou, à défaut, rigoureusement déterminable au moment où la promesse est appelée à s’exécuter. Cette exigence, désormais consacrée par l’article 1205, alinéa 2, du Code civil, assure la sécurité juridique du mécanisme en prévenant toute incertitude quant à l’attribution des droits conférés. En ce sens, le texte prévoit que le bénéficiaire peut être « déterminé au moment de l’exécution de la promesse », consacrant ainsi une solution qui, longtemps débattue, s’est progressivement imposée en doctrine et en jurisprudence.

Historiquement, l’incertitude pesait sur la possibilité d’instituer un bénéficiaire non immédiatement désigné. Le principe classique, solidement ancré en droit des obligations, commande que tout rapport d’obligation suppose nécessairement un créancier identifiable, de sorte qu’un droit ne peut exister sans titulaire certain. Cette conception rigide semblait a priori exclure toute stipulation au profit d’un bénéficiaire non encore individualisé.

Toutefois, la jurisprudence a admis, par souci de pragmatisme, que la stipulation puisse viser une personne non déterminée au jour de la conclusion du contrat, dès lors qu’elle est susceptible d’être identifiée au moment où la promesse produit ses effets. Cette évolution s’explique par la nature même du mécanisme, qui repose sur un décalage temporel entre la formation du contrat initial et l’attribution effective du droit au bénéficiaire.

Ainsi, il est jugé que la stipulation peut être consentie au profit d’un bénéficiaire dont l’identité demeure incertaine au moment de la conclusion du contrat, mais qui sera nécessairement identifiable en fonction d’éléments objectifs prédéterminés. Ce principe a été consacré en matière d’assurance pour compte, où la Cour de cassation a reconnu qu’un contrat pouvait bénéficier à un créancier encore éventuel à la date de souscription (Cass. 1re civ., 7 oct. 1959).

La reconnaissance de bénéficiaires déterminables s’est traduite par l’admission de stipulations formulées en des termes généraux, dès lors qu’elles permettent d’identifier sans ambiguïté les personnes appelées à bénéficier de la promesse. C’est ainsi que la jurisprudence a validé des stipulations visant :

  • Les héritiers directs du stipulant (Cass. civ., 28 déc. 1927) : cette désignation implique que la qualité d’héritier, appréciée au jour du décès, permette d’identifier les bénéficiaires de manière certaine.
  • Les créanciers de la communauté conjugale (Cass. 1re civ., 18 avr. 1961) : ici, l’identité des bénéficiaires est déterminable à la date de dissolution du régime matrimonial, dès lors que la communauté a vocation à s’acquitter de ses dettes à l’égard de créanciers identifiés.
  • Les ouvriers et fournisseurs d’un entrepreneur (Cass. req., 4 nov. 1907) : lorsque la stipulation pour autrui est insérée dans un marché de travaux, elle peut bénéficier à des tiers dont l’identité ne sera connue qu’au fur et à mesure de l’exécution du marché.

Dans chacun de ces cas, bien que les bénéficiaires ne soient pas nommément désignés dès la conclusion du contrat, leur individualisation devient possible grâce aux critères objectifs définis dans la stipulation.

Si l’ordonnancement juridique admet que le bénéficiaire soit déterminable, encore faut-il que la stipulation repose sur des critères suffisamment précis pour permettre son identification. À défaut, l’attribution demeure juridiquement inefficace et la créance ne peut être revendiquée par quiconque.

Ainsi, une stipulation formulée en des termes trop vagues ou généraux serait nulle, faute de conférer un droit à un titulaire identifiable. Tel serait le cas, par exemple, d’une stipulation visant de manière imprécise « les pauvres d’une ville », sans qu’aucun élément ne permette d’individualiser les personnes concernées. En revanche, la jurisprudence a admis la validité d’une stipulation au profit des pauvres d’une commune, dès lors que ceux-ci étaient représentés par un bureau d’aide sociale (Cass. req., 13 juin 1877).

De même, la stipulation au profit d’une personne future ne peut être admise que si son existence, bien que différée, est prévisible avec certitude. C’est notamment le cas en matière d’assurance sur la vie, où la loi admet qu’un contrat puisse être souscrit au bénéfice d’enfants à naître, sous réserve qu’ils soient conçus au moment du décès de l’assuré (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.).

b. L’alternative en cas d’absence de bénéficiaire désigné

La stipulation pour autrui repose sur l’attribution d’un droit à un bénéficiaire clairement désigné ou, au moins, déterminable. À défaut, elle devient inopérante et n’a pas d’effet. Autrement dit, si personne ne peut être identifié comme bénéficiaire au moment où le contrat doit produire ses effets, le droit issu de la stipulation revient au stipulant lui-même.

Cette règle est particulièrement évidente en matière d’assurance-vie. Si le souscripteur n’a désigné aucun bénéficiaire, le capital assuré intègre automatiquement sa succession (art. L. 132-11 C. civ.). La jurisprudence applique cette solution à toutes les stipulations pour autrui: lorsqu’il n’y a pas de bénéficiaire désigné ou déterminable, le droit profite au stipulant ou, s’il est décédé, à ses héritiers (Cass. 1re civ., 16 févr. 1983, n° 81-16.715).

Un autre cas d’inefficacité de la stipulation se rencontre lorsque le bénéficiaire est incapable de recevoir le droit qui lui a été attribué. Par exemple, si une personne désignée ne remplit pas les conditions légales pour bénéficier du contrat, la stipulation est considérée comme inexistante, et l’obligation du promettant s’exécute directement au profit du stipulant.

Ainsi, pour que la stipulation pour autrui soit valable, il faut impérativement qu’un bénéficiaire puisse être identifié au moment où la prestation devient exigible.

==>Peut-on stipuler pour une personne qui n’existe pas encore ?

Pendant longtemps, la possibilité de désigner comme bénéficiaire une personne non encore existante a fait débat. L’argument principal contre cette idée était simple : un droit ne peut exister sans titulaire. Si la stipulation vise un bénéficiaire qui n’est pas encore né ou qui n’a pas encore d’existence juridique, cela reviendrait, selon certains auteurs, à créer un droit sans sujet, ce qui serait contraire aux principes du droit des obligations.

Cependant, cette vision a évolué. Il est désormais admis que le bénéficiaire peut être une personne qui n’existe pas encore au moment où le contrat est conclu, tant qu’il peut être déterminé lorsque la stipulation produit ses effets. Cette solution est consacrée par l’article 1205 du Code civil, qui prévoit que « le bénéficiaire peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse ».

Un exemple courant est celui de l’assurance-vie, où il est fréquent de prévoir que le capital reviendra aux enfants à naître du souscripteur (art. L. 132-8, al. 3 C. civ.). La jurisprudence a également admis que des fondations non encore constituées puissent être désignées comme bénéficiaires, à condition que leur création intervienne avant l’exécution de la promesse (Cass. req., 7 mars 1893).

Ainsi, une stipulation pour autrui peut viser une personne qui n’existe pas encore, mais uniquement si elle est déterminable au moment où la prestation doit être effectuée. Ce principe permet d’assurer la validité de nombreuses opérations, tout en garantissant une sécurité juridique aux parties concernées.

3. La faculté de mettre une obligation à la charge du bénéficiaire

Si la stipulation pour autrui repose fondamentalement sur l’idée d’un droit conféré au tiers bénéficiaire, elle n’exclut pas pour autant que celui-ci puisse se voir imposer une obligation en contrepartie de l’avantage qui lui est accordé. Cette perspective, qui s’éloigne de la conception purement libérale de la stipulation pour autrui, trouve son fondement tant dans la jurisprudence que dans la doctrine, qui s’interroge sur les limites de cette évolution.

a. Une obligation conditionnée par l’acceptation du bénéficiaire

La stipulation pour autrui diffère fondamentalement de la promesse pour autrui en ce qu’elle ne contraint pas nécessairement le bénéficiaire à une obligation. Néanmoins, la jurisprudence admet que le bénéficiaire puisse être tenu d’une charge ou d’une contrepartie, à condition qu’il accepte expressément la stipulation pour autrui (Cass. 1re civ., 8 déc. 1987, n°85-11.769).

Cette approche se justifie par le fait que la stipulation pour autrui repose sur une logique contractuelle. En conséquence, il est envisageable que le bénéficiaire, en exerçant le droit qui lui est conféré, adhère implicitement ou explicitement aux obligations qui l’accompagnent. Toutefois, ces obligations ne sauraient lui être imposées de manière unilatérale : elles ne deviennent opposables qu’au moment où il accepte la stipulation.

b. L’exemple de l’assurance de groupe

Le domaine des assurances illustre parfaitement ce mécanisme. Dans le cadre d’un contrat d’assurance de groupe, l’adhérent – bénéficiaire de la couverture assurantielle – est tenu de s’acquitter des primes en contrepartie des garanties qui lui sont offertes. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’adhérent à un contrat d’assurance de groupe, bien que n’ayant pas directement négocié la stipulation, était tenu de respecter les obligations qui en découlaient, notamment le paiement des cotisations (Cass. 1ère civ., 7 juin 1989, n°87-14.648).

Cette décision témoigne de la reconnaissance d’un équilibre contractuel au sein de la stipulation pour autrui : si le bénéficiaire souhaite se prévaloir du droit qui lui est conféré, il doit en assumer les charges qui en découlent.

c. Une remise en question de la nature même de la stipulation pour autrui ?

L’admission d’une obligation à la charge du bénéficiaire soulève toutefois une interrogation fondamentale : ne transforme-t-elle pas la stipulation pour autrui en un contrat pour autrui ? Un auteur soutient que dès lors que le bénéficiaire est simultanément créancier et débiteur du promettant, la stipulation pour autrui perd de sa spécificité et s’apparente davantage à un mécanisme contractuel classique[25].

Cette analyse repose sur une distinction essentielle : dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire acquiert un droit par la seule volonté du stipulant, tandis que dans un contrat pour autrui, il devient directement partie à une relation contractuelle impliquant des obligations réciproques. Ainsi, si le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ne peut jouir du droit qui lui est conféré qu’en contrepartie d’une charge déterminée, on peut légitimement s’interroger sur la pertinence du maintien de la qualification initiale.

En dépit de ces évolutions, la jurisprudence demeure vigilante quant à la préservation du caractère fondamental de la stipulation pour autrui. Si elle admet que le bénéficiaire puisse se voir imposer une obligation, c’est uniquement à la condition qu’il en ait accepté la charge et que celle-ci ne remette pas en cause l’essence même de l’institution.

En définitive, la possibilité d’imposer une obligation au bénéficiaire témoigne d’une évolution pragmatique du droit des contrats, visant à concilier souplesse et équilibre contractuel. Elle confirme que la stipulation pour autrui, loin d’être un mécanisme rigide, s’adapte aux réalités économiques et aux exigences de la pratique contractuelle, tout en préservant son fondement premier : l’octroi d’un droit au profit d’un tiers, voulu par le stipulant et accepté par le promettant.

La stipulation pour autrui: vue générale

==>Notion

Il est des mécanismes juridiques dont la singularité se manifeste avec d’autant plus d’éclat qu’ils défient l’architecture traditionnelle du droit des obligations. Parmi eux, la stipulation pour autrui occupe une place de choix, en ce qu’elle permet à une personne, le stipulant, de conférer un droit à un tiers bénéficiaire, par l’intermédiaire d’un promettant, qui s’engage à accomplir une prestation au profit de ce dernier. Cet engagement, bien que contracté entre le stipulant et le promettant, fait naître au profit du bénéficiaire un droit propre et direct, qu’il pourra faire valoir lui-même contre le promettant, sans qu’il soit besoin d’une intervention supplémentaire du stipulant.

 

Le mécanisme de la stipulation pour autrui trouve aujourd’hui sa consécration à l’article 1205 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Selon cette disposition, « l’un des contractants, le stipulant, peut faire promettre à l’autre, le promettant, d’accomplir une prestation au profit d’un tiers, le bénéficiaire ». Le texte précise encore que le bénéficiaire peut être une personne future, à condition d’être déterminé ou déterminable au moment de l’exécution de la prestation.

Cette formulation entérine une évolution doctrinale et jurisprudentielle de longue date, puisque la stipulation pour autrui ne figurait que de manière incidente dans l’ancien article 1121 du Code civil de 1804, lequel stipulait que « l’on peut pareillement stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre ». Ce texte, ambigu, fut interprété de manière restrictive par une doctrine qui voyait dans la stipulation pour autrui une exception à la règle de l’effet relatif des contrats.

Le principe de l’effet relatif des conventions, codifié à l’article 1199 du Code civil, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». L’idée qui le sous-tend, héritée du droit romain (alteri stipulari nemo potest), est que les effets d’un contrat ne sauraient s’étendre à des tiers qui n’ont pas donné leur consentement. Cette règle est ancienne: Pothier rappelait déjà que « les conventions ne peuvent préjudicier à ceux qui n’y sont pas parties »[1].

Or, la stipulation pour autrui semble, en apparence, déroger à ce principe, en permettant à un tiers d’acquérir un droit directement issu du contrat conclu entre le stipulant et le promettant. Comme le relève Planiol, «cette institution, loin d’être une anomalie, est une nécessité économique et sociale qui s’est progressivement imposée dans la jurisprudence»[2]. De même, Ripert et Boulanger expliquent que la stipulation pour autrui constitue une dérogation maîtrisée au principe de l’effet relatif, en ce qu’elle repose sur un mécanisme contractuel spécifique.

Toutefois, cette rupture apparente avec la logique contractuelle classique ne doit pas masquer la véritable spécificité de l’institution : ce n’est pas tant son effet exceptionnel à l’égard des tiers qui la distingue, mais bien la manière dont ce droit se forme et se transmet.

La stipulation pour autrui repose ainsi sur une subtile combinaison entre un engagement contractuel entre stipulant et promettant et une attribution extracontractuelle d’un droit au profit du bénéficiaire. Comme l’explique Eugène Gaudemet, « l’originalité du mécanisme réside en ce que la créance naît directement dans le patrimoine du bénéficiaire, sans qu’elle ait transité par celui du stipulant »[3].

Cette distinction est d’une importance majeure car elle justifie que le droit du bénéficiaire :

Ainsi, contrairement aux autres mécanismes qui confèrent un droit à un tiers en se fondant sur un transfert ou une représentation (comme la cession de créance ou le mandat), la stipulation pour autrui ne suppose ni l’intervention du bénéficiaire dans l’accord initial, ni une transmission d’un droit déjà existant. René Demogue précise ainsi que « le droit du bénéficiaire est un droit immédiat, qui ne dépend ni d’une cession ni d’une substitution, mais d’une création contractuelle qui s’opère par l’engagement du promettant »[4].

Si le Code civil de 1804 ne consacrait qu’incidemment la stipulation pour autrui, l’ordonnance de 2016 est venue clarifier et moderniser son régime, en lui dédiant plusieurs articles (1205 à 1209 du Code civil). Toutefois, la doctrine relève que cette réforme, bien que bienvenue, n’a pas saisi toute la portée de l’institution. Marc Mignot souligne notamment que le législateur « a traité la stipulation pour autrui comme une simple exception à l’effet relatif, sans en analyser la structure fondamentale, qui repose en réalité sur une double logique d’attribution et d’engagement contractuel »[5].

D’autres auteurs regrettent que la réforme n’ait pas pris en compte certaines évolutions jurisprudentielles qui avaient fait de la stipulation pour autrui un outil juridique particulièrement souple. François Terré et Philippe Simler rappellent ainsi que la jurisprudence avait progressivement admis des stipulations pour autrui implicites, notamment dans le cadre des contrats d’assurance ou des conventions collectives, avant que le Code civil réformé ne revienne à une approche plus formelle[6].

==>Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La stipulation pour autrui ne saurait être confondue avec d’autres mécanismes juridiques impliquant plusieurs parties, bien qu’elle partage avec eux une apparente parenté structurelle. Si tous ces dispositifs permettent, d’une manière ou d’une autre, d’attribuer des droits à un tiers, leur mode opératoire diffère fondamentalement.

Là où certains reposent sur une transmission ou une substitution de droits existants, la stipulation pour autrui se singularise en ce qu’elle crée ex nihilo un droit au profit du bénéficiaire, indépendamment d’un quelconque transfert. Cette distinction est essentielle pour comprendre l’autonomie conceptuelle de l’institution et les effets qui en résultent.

  • Stipulation pour autrui et action directe
    • Si la stipulation pour autrui et l’action directe permettent toutes deux à un tiers d’exercer un droit contre une partie à un contrat auquel il n’est pas directement lié, elles reposent néanmoins sur des fondements conceptuels distincts.
    • Tandis que la stipulation pour autrui confère au bénéficiaire un droit propre, né immédiatement de la volonté du stipulant et du promettant, l’action directe se rattache au principe de transmission accessoire des créances et constitue une prérogative accordée par la loi dans des hypothèses strictement définies.
    • Pour mémoire, la stipulation pour autrui se définit comme l’acte par lequel un contractant, le stipulant, fait promettre à l’autre partie, le promettant, d’exécuter une prestation au bénéfice d’un tiers bénéficiaire.
    • Ce dernier, sans être partie au contrat, se voit immédiatement reconnaître un droit propre et direct contre le promettant.
    • L’élément central de la stipulation pour autrui réside dans la création ex nihilo d’un droit de créance dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Ce droit ne résulte ni d’une transmission de créance ni d’un déplacement d’obligation, mais bien d’une manifestation de volonté expresse ou implicite du stipulant.
    • Comme le relève Demogue, « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un transfert de droit, mais d’une attribution immédiate et autonome, qui confère au bénéficiaire un droit direct sans antécédent patrimonial »[7].
    • L’action directe, pour sa part, permet à un créancier d’agir contre un sous-débiteur dans une chaîne de contrats successifs.
    • Contrairement à la stipulation pour autrui, qui repose sur la volonté contractuelle, l’action directe est une prérogative exceptionnelle accordée par la loi.
    • Elle repose sur le principe de la transmission accessoire des créances, lequel justifie que certains droits contractuels puissent être exercés directement contre un sous-débiteur lorsque l’économie du contrat le requiert.
    • Ainsi, dans une chaîne contractuelle (par exemple, un sous-traitant qui n’est pas payé par un entrepreneur principal), le législateur ou la jurisprudence peuvent conférer à certains créanciers un droit d’agir contre le sous-débiteur final, même en l’absence de lien contractuel direct.
    • Cette prérogative s’analyse souvent comme une protection économique accordée à certaines catégories de créanciers vulnérables, comme les salariés (action directe en paiement des salaires en cas de sous-traitance), les victimes d’accidents (action directe en matière d’assurance) ou encore les fournisseurs dans les contrats de construction.
    • Comme l’indiquent des auteurs, l’action directe « ne confère pas un droit nouveau au créancier, mais lui permet seulement d’exercer un droit déjà existant, en raison d’une chaîne d’obligations préétablie »[8].
    • En ce sens, elle suppose nécessairement un lien de dépendance juridique entre l’obligation initiale et l’action conférée au créancier, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • La distinction entre stipulation pour autrui et action directe est parfois brouillée par la jurisprudence, notamment dans les affaires de responsabilité contractuelle et de contrats de transport.
    • En effet, la Cour de cassation a parfois eu recours à la stipulation pour autrui là où une action directe aurait été plus appropriée.
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 décembre 1954, la Haute juridiction a admis que le contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine contenait une stipulation pour autrui au profit des patients, leur permettant d’agir contre le centre en cas de contamination (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954).
    • Toutefois, cette analyse a été critiquée par la doctrine, notamment par René Savatier, qui souligne que le patient ne devient pas titulaire d’un droit propre, mais exerce simplement une action contractuelle sur la base d’une transmission accessoire de créance.
    • Dans les affaires de contamination par le VIH ou l’hépatite C, la jurisprudence a finalement abandonné l’analyse en termes de stipulation pour autrui et a reconnu que la victime pouvait exercer une action directe en responsabilité contractuelle contre le centre de transfusion.
    • Cette solution est plus rigoureuse, car elle repose sur une chaîne contractuelle où chaque maillon engage sa responsabilité pour inexécution de son obligation de fournir un sang exempt de vices.
    • Le contrat de transport illustre également la confusion entre action directe et stipulation pour autrui.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence a vu dans l’engagement du transporteur envers le destinataire une stipulation pour autrui au profit de ce dernier (Cass. civ., 24 mai 1897).
    • Toutefois, la doctrine moderne, à l’instar de René Rodière considère que cette analyse est erronée : le destinataire dispose en réalité d’une action directe contre le transporteur en raison de la nature même du contrat de transport, qui l’intègre intrinsèquement à l’opération économique[9].
    • La Cour de cassation a progressivement évolué et a admis que le destinataire « dispose d’une action directe pour contraindre le transporteur à exécuter ses obligations » (Cass. 1ère civ., 1er févr. 1955).
    • Cette approche est plus conforme à la nature tripartite du contrat de transport, qui crée des obligations réciproques entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire.
  • Stipulation pour autrui et cession de créance
    • Si la stipulation pour autrui et la cession de créance permettent toutes deux de conférer un droit à un tiers, elles reposent sur des logiques juridiques distinctes.
    • Tandis que la cession de créance implique une transmission d’un droit préexistant, la stipulation pour autrui crée un droit ex nihilo au profit du bénéficiaire.
    • La cession de créance, régie par l’article 1321 du Code civil, est l’acte par lequel un créancier (le cédant) transmet à un tiers (le cessionnaire) la créance qu’il détient contre un débiteur (le cédé). Cette opération repose sur un transfert de créance : le cessionnaire reçoit un droit qui appartenait préalablement au cédant, lequel se dessaisit de sa créance au profit du nouvel ayant droit.
    • À l’inverse, la stipulation pour autrui repose sur un mécanisme créateur de droit.
    • Le stipulant conclut avec le promettant un contrat prévoyant une obligation en faveur d’un tiers bénéficiaire, qui devient directement créancier du promettant.
    • Comme le souligne Planiol, « dans la cession de créance, le droit passe d’un titulaire à un autre, tandis que dans la stipulation pour autrui, le droit naît immédiatement et exclusivement dans le patrimoine du bénéficiaire »[10].
    • Ainsi, alors que la cession de créance implique une transmission, la stipulation pour autrui opère une véritable attribution de créance, sans que celle-ci ait appartenu au stipulant à un quelconque moment.
    • A cet égard, le mode d’attribution du droit constitue un second élément de différenciation essentiel.
      • Dans la cession de créance, le droit du cessionnaire contre le débiteur cédé est dérivé : il préexistait dans le patrimoine du cédant et est simplement transféré au cessionnaire. Le créancier initial (cédant) peut encore être tenu vis-à-vis du cessionnaire si la cession est assortie d’une garantie de paiement. De plus, avant sa cession, la créance peut être saisie par les créanciers du cédant, et le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant (art. 1324 C. civ.).
      • Dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire est originaire et direct. Il n’a jamais appartenu au stipulant et ne procède pas d’un transfert. Le bénéficiaire exerce directement son droit contre le promettant, sans que le stipulant intervienne dans l’exécution de l’obligation.
    • La jurisprudence a parfois hésité entre ces qualifications. En matière de crédit-bail, certaines décisions ont qualifié de stipulation pour autrui la clause permettant au crédit-preneur d’agir directement contre le fournisseur du bien loué (CA Paris, 5e ch. A, 28 nov. 1989).
    • Toutefois, d’autres décisions ont préféré voir dans ce mécanisme une cession de créance de garantie (Cass. com., 26 janv. 1977, n°75-12.613). Cette hésitation jurisprudentielle repose sur l’ambiguïté du régime juridique applicable aux garanties accordées au crédit-preneur.
    • La distinction entre la cession de créance et la stipulation pour autrui emporte des effets concrets:
      • Possibilité de recours des créanciers du cédant
        • En cas de cession de créance, les créanciers du cédant peuvent saisir la créance avant qu’elle ne soit transmise au cessionnaire.
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le droit du bénéficiaire n’a jamais appartenu au stipulant, de sorte qu’aucun créancier du stipulant ne peut exercer un recours sur ce droit.
      • Opposabilité des exceptions
        • Dans la cession de créance, le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire les mêmes exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant avant la cession (art. 1324 C. civ.).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant ne peut invoquer les éventuelles exceptions qu’il aurait pu opposer au stipulant contre le bénéficiaire, puisque la créance du bénéficiaire est une création autonome et ne résulte pas d’un transfert.
      • Nature de l’engagement du débiteur
        • En cas de cession de créance, le débiteur cédé est contraint d’accepter la substitution de son créancier, sauf si la cession est soumise à son accord préalable (C. civ., art. 1322).
        • Dans la stipulation pour autrui, le promettant s’engage librement envers le bénéficiaire dès la conclusion du contrat avec le stipulant.
    • Enfin, la jurisprudence a parfois confondu stipulation pour autrui et cession de créance dans certaines hypothèses complexes.
    • Ainsi, la transmission d’une créance résultant d’une promesse unilatérale de vente a pu être analysée tantôt comme une cession de créance, tantôt comme une stipulation pour autrui.
    • De même, la délégation d’honoraires à un expert d’assurance a fait l’objet d’une hésitation jurisprudentielle quant à sa qualification, certains y voyant une cession de créance, d’autres une stipulation pour autrui.
    • Toutefois, comme le relève Jacques Ghestin, la cession de créance implique toujours un rapport tripartite, alors que la stipulation pour autrui ne repose que sur la relation entre le stipulant et le promettant[11].
    • Cette distinction fondamentale explique que la stipulation pour autrui demeure une exception au principe de l’effet relatif des conventions, tandis que la cession de créance reste une technique de transmission des obligations.
  • Stipulation pour autrui et cession de dette
    • La stipulation pour autrui et la cession de dette sont deux mécanismes qui, bien qu’impliquant l’intervention de plusieurs parties dans un rapport obligataire, se distinguent profondément tant dans leur objet que dans leurs effets.
    • Tandis que la stipulation pour autrui crée une obligation nouvelle au profit d’un tiers, la cession de dette, prévue à l’article 1327 du Code civil, opère une substitution d’un débiteur à un autre, sans nécessairement libérer l’ancien débiteur de son engagement.
    • Si la confusion entre ces deux notions est fréquente, leur distinction est essentielle, tant pour comprendre leur régime propre que pour en maîtriser les implications pratiques.
      • Une différence de structure : création d’une obligation vs transmission d’une dette existante
        • Dans la cession de dette, un nouveau débiteur (le cessionnaire) se substitue à l’ancien débiteur (le cédant) dans l’exécution d’une obligation préexistante envers le créancier.
        • Cette opération implique donc une transmission d’une dette antérieure, dont la cause et l’objet demeurent inchangés.
        • Le créancier peut accepter ou refuser cette substitution, et, sauf stipulation contraire, il conserve son action contre le débiteur d’origine (Cass. 3e civ, 10 avr. 1973, n°71-12.719).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, aucune obligation préexistante n’est transmise.
        • Il s’agit d’un engagement nouveau pris par un promettant envers un bénéficiaire, à l’initiative d’un stipulant.
        • Ce mécanisme ne repose pas sur le transfert d’une dette, mais sur la création ex nihilo d’un droit propre et direct au profit du tiers bénéficiaire, sans qu’il y ait eu auparavant une obligation qui lui aurait été due.
        • La stipulation pour autrui trouve ainsi sa source dans la relation contractuelle entre le stipulant et le promettant, tandis que la cession de dette s’ancre dans une obligation déjà existante.
      • L’implication du créancier : consentement et effet immédiat
        • Dans la cession de dette, le créancier initial ne bénéficie pas immédiatement d’un droit contre le cessionnaire.
        • L’efficacité de la substitution dépend de son consentement : tant que celui-ci n’a pas donné son accord, il conserve une action contre le débiteur cédant, lequel demeure tenu de l’obligation.
        • Ce maintien de l’action contre le cédant traduit la nature progressive de la substitution, qui ne devient définitive qu’avec l’adhésion expresse du créancier à l’opération (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • En revanche, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est immédiatement investi d’un droit contre le promettant, sans que le consentement du stipulant ou du bénéficiaire soit requis pour conférer cet effet direct (art. 1205 C. civ.).
        • Il appartient au bénéficiaire d’accepter la stipulation pour la rendre irrévocable, mais son droit existe dès la formation du contrat.
        • Cet effet immédiat différencie la stipulation pour autrui de la cession de dette, où l’acquisition d’un droit contre le cessionnaire suppose l’adhésion du créancier.
      • L’absence de superposition des obligations dans la stipulation pour autrui
        • Une autre différence essentielle entre ces deux mécanismes réside dans l’articulation des obligations entre les parties.
        • Dans la cession de dette, il existe une période de superposition des engagements du cédant et du cessionnaire: tant que le créancier n’a pas accepté la substitution, il conserve son action contre le débiteur d’origine, qui reste tenu de la dette.
        • Cette dualité d’engagements peut, dans certains cas, générer une responsabilité solidaire, contraignant le cédant et le cessionnaire à répondre ensemble de l’exécution de l’obligation (Cass. 2e civ., 10 juill. 2014, n°13-20.620).
        • À l’inverse, dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire ne partage aucune obligation avec le stipulant : son droit naît directement de la volonté du stipulant et s’exerce exclusivement contre le promettant.
        • Il n’existe donc aucun chevauchement d’obligations entre le stipulant et le bénéficiaire, ce dernier n’ayant pas à se prévaloir d’une transmission de dette mais d’un droit originaire créé à son profit.
        • Demogue expliquait ainsi que « la stipulation pour autrui ne relève pas d’un déplacement d’obligation, mais d’une création ex nihilo d’un droit autonome, qui ne connaît pas d’antécédent patrimonial »[12].
      • Les enjeux pratiques de la distinction
        • Les implications pratiques de la distinction entre cession de dette et stipulation pour autrui, les enjeux sont considérables.
        • Dans le cadre d’une cession de dette, la nécessité de recueillir le consentement du créancier peut ralentir l’opération et en limiter l’efficacité.
        • Le créancier demeure exposé au risque d’insolvabilité du cédant tant que la substitution n’a pas été agréée.
        • En outre, l’existence d’une responsabilité conjointe entre le cédant et le cessionnaire peut poser des difficultés en cas de litige sur l’exécution de l’obligation.
        • En revanche, la stipulation pour autrui offre une plus grande sécurité juridique : le bénéficiaire acquiert immédiatement un droit direct contre le promettant, sans dépendre d’un consentement extérieur.
        • Cela en fait un outil contractuel privilégié dans des domaines tels que le droit des assurances (où l’assuré stipule pour ses ayants droit), le droit bancaire (assurances collectives souscrites par une banque pour ses clients) ou encore le droit des contrats commerciaux (garanties de passif au profit d’une société cédée).
        • Cette autonomie de la stipulation pour autrui justifie que la jurisprudence en encadre strictement l’usage, afin d’éviter toute confusion avec une reprise de dette ou une délégation.
        • Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’une clause par laquelle un cessionnaire s’engageait à prendre en charge les dettes d’une société ne constituait pas une stipulation pour autrui mais une reprise de dette externe, impliquant une acceptation du créancier concerné (Cass. com., 7 déc. 1976, n°75-12.464).
        • La distinction est donc essentielle pour déterminer le régime applicable et les exigences requises pour l’opposabilité de l’engagement au créancier.
  • Stipulation pour autrui et délégation
    • La délégation, prévue à l’article 1336 du Code civil, est l’opération par laquelle une personne, le délégant, obtient qu’un tiers, le délégué, s’engage envers un créancier, le délégataire.
    • Elle peut présenter plusieurs formes :
      • La délégation simple ou imparfaite, par laquelle le délégant reste tenu de l’obligation en parallèle du délégué.
      • La délégation novatoire ou parfaite, où l’engagement du délégué remplace celui du délégant.
    • La différence fondamentale entre la délégation et la stipulation pour autrui réside dans le fait que la délégation repose sur un engagement du délégant, alors que la stipulation pour autrui repose uniquement sur l’engagement du promettant.
    • Comme le soulignent Ambroise Colin et Henri Capitant, « dans la délégation, le débiteur (délégant) joue un rôle actif, soit en conservant une obligation conjointe, soit en se substituant totalement un tiers ; dans la stipulation pour autrui, le stipulant disparaît totalement après la formation du droit du bénéficiaire »[13].
    • Autres distinctions importantes :
      • Dans la délégation, il est souvent possible d’opposer des exceptions au délégataire (en cas de délégation imparfaite), tandis que dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire est titulaire d’un droit direct, ce qui limite les moyens de contestation du promettant.
      • La délégation crée des obligations complexes, parfois superposées, alors que la stipulation pour autrui crée une obligation unique et immédiate en faveur du bénéficiaire.
  • Stipulation pour autrui et mandat
    • Le mandat, défini par l’article 1984 du Code civil, est le contrat par lequel une personne, le mandant, confère à une autre, le mandataire, le pouvoir d’agir en son nom et pour son compte.
    • Contrairement au stipulant, le mandataire agit pour le compte du mandant et engage ce dernier dans ses relations avec les tiers.
    • Autrement dit, dans un mandat, le bénéficiaire de l’opération est également l’une des parties au contrat, ce qui le distingue radicalement de la stipulation pour autrui, où le bénéficiaire est un tiers extérieur à la convention initiale.
    • De plus, dans le mandat, le mandataire n’est qu’un intermédiaire : il ne crée aucun droit nouveau, mais exerce une action en représentation du mandant.
    • Robert Beudant souligne ainsi que « le mandataire ne fait que prolonger juridiquement la personne du mandant, tandis que le stipulant crée un droit autonome au profit du bénéficiaire, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci intervienne dans l’opération »[14].
    • Enfin, le mandat repose sur un lien de représentation, ce qui n’est pas le cas de la stipulation pour autrui.
    • Le stipulant ne représente pas le bénéficiaire, il ne contracte pas en son nom, ni pour son compte : il contracte en son propre nom, mais avec l’intention de faire naître un droit dans le patrimoine d’un tiers.
  • Stipulation pour autrui et gestion d’affaires
    • Enfin, la stipulation pour autrui ne doit pas être confondue avec la gestion d’affaires, mécanisme par lequel une personne (le gérant) prend l’initiative d’accomplir un acte dans l’intérêt d’un tiers (le maître d’affaire), en dehors de tout mandat préalable.
    • À la différence de la gestion d’affaires :
      • Le stipulant ne prend pas d’initiative pour gérer les intérêts du bénéficiaire, il se borne à faire naître un droit en sa faveur.
      • Le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui n’a pas à ratifier l’acte pour que son droit existe, contrairement au maître d’affaire, qui peut accepter ou refuser la gestion à son bénéfice.

==>Évolution historique

L’histoire de la stipulation pour autrui est celle d’une lente reconnaissance au sein du droit positif, marquée par une opposition initiale fondée sur le principe du caractère personnel des obligations, puis par une acceptation progressive sous l’effet des évolutions économiques et juridiques. Ce mécanisme, qui permet à un tiers d’acquérir un droit directement issu d’un contrat auquel il n’est pas partie, s’est heurté aux résistances d’un droit longtemps attaché au caractère strictement personnel des obligations. Il aura fallu l’effort conjoint de la doctrine et de la jurisprudence pour que la stipulation pour autrui s’impose comme un instrument juridique pleinement légitime, jusqu’à sa consécration législative par la réforme entreprise par l’ordonnance du 10 février de 2016.

  • La prohibition de la stipulation pour autrui en droit romain

Le droit romain considérait, en principe, la stipulation pour autrui comme une anomalie, en vertu de l’adage nemo alteri stipulari potest : nul ne peut stipuler pour autrui (Digeste, 45, 1, 38). L’obligation, perçue comme un lien strictement personnel entre créancier et débiteur, ne pouvait créer de droits au profit d’un tiers. Le droit romain reposait sur l’idée que seule une personne directement engagée dans un acte pouvait en tirer les effets juridiques.

Toutefois, sous l’influence des pratiques commerciales et successorales, certaines atténuations furent progressivement admises. Ainsi, Paul, jurisconsulte du II? siècle, relevait déjà que la stipulation pouvait être faite au profit d’un héritier encore à naître (D. 45, 1, 126), préfigurant ainsi l’idée d’un droit bénéficiant à une personne déterminable mais non encore existante.

Malgré ces assouplissements ponctuels, le droit romain ne consacra jamais pleinement la stipulation pour autrui en tant que mécanisme général, considérant que la transmission des droits devait passer par la novation, la cession de créance ou la représentation. Ce rigorisme allait toutefois être progressivement remis en question par les nécessités de la pratique juridique.

  • L’émergence progressive de la stipulation pour autrui en Ancien droit français

Sous l’Ancien Régime, la prohibition romaine de la stipulation pour autrui fut progressivement édulcorée, à mesure que la pratique reconnaissait la nécessité de conférer des droits à des tiers.

Le droit coutumier français, influencé par les nécessités économiques et sociales, ouvrit la voie à des formes rudimentaires de stipulation pour autrui, notamment dans le cadre de la transmission des obligations successorales et des contrats d’assurance maritime. Ces évolutions, bien que pragmatiques, demeuraient fragmentaires et ne s’accompagnaient pas d’une véritable théorie générale.

C’est dans cette perspective que Robert-Joseph Pothier (1699-1772) jeta les bases d’une reconnaissance doctrinale plus large. Dans son Traité des obligations, il admettait déjà que « rien ne s’oppose à ce qu’un contrat stipule une obligation envers un tiers, lorsque cela résulte de la commune intention des parties »[15]. Cette approche, qui reposait sur une lecture souple de l’intention contractuelle, annonçait la position qui serait progressivement adoptée par la jurisprudence du XIX? siècle.

  • Le Code civil de 1804 : une consécration timide et ambiguë

Le Code civil napoléonien n’accorda qu’une reconnaissance minimale à la stipulation pour autrui, en la cantonnant à des hypothèses précises et limitatives.

L’ancien article 1121 du Code civil disposait ainsi : « On peut stipuler au profit d’autrui lorsque telle est la condition d’une stipulation que l’on fait pour soi-même ou d’une donation que l’on fait à un autre. »

Cette formulation, volontairement restrictive, traduisait l’hésitation du législateur, qui souhaitait éviter qu’un tiers puisse acquérir un droit sans consentement explicite de sa part.

Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, justifiait cette prudence en invoquant la nécessité de protéger la sécurité juridique et de prévenir les engagements trop incertains[16]. Cette position se traduisit par une interprétation rigoriste de l’institution, qui freina son développement au cours du XIX? siècle.

  • L’essor jurisprudentiel du XIX? siècle sous l’impulsion des assurances sur la vie

C’est la jurisprudence du XIX? siècle qui allait véritablement consacrer la stipulation pour autrui comme un mécanisme autonome du droit des obligations.

L’essor des assurances sur la vie imposait la reconnaissance d’un droit propre au bénéficiaire, sans que celui-ci ait à le revendiquer auprès du souscripteur. Ce besoin pratique allait progressivement contraindre la jurisprudence à admettre que la stipulation pour autrui créait un droit direct au profit du tiers bénéficiaire.

Dans un arrêt fondateur (Cass. Req., 16 janv. 1888), la Cour de cassation admet ainsi que le bénéficiaire d’une assurance-vie dispose d’un droit propre, qui ne transite pas par le patrimoine du souscripteur. Cette décision marque un tournant décisif dans la reconnaissance de la stipulation pour autrui.

Commentant cette évolution, Paul Esmein souligna que « l’assurance sur la vie a été le catalyseur d’une évolution nécessaire du droit des obligations, en consacrant la stipulation pour autrui comme un mode normal de transmission des engagements »[17].

  • La réforme de 2016 : une consécration législative attendue

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a marqué une avancée significative en procédant à une refonte du cadre normatif de la stipulation pour autrui. Désormais consacrée aux articles 1205 à 1209 du Code civil, cette institution bénéficie d’un régime autonome, clarifiant les conditions de sa mise en œuvre et entérinant les solutions dégagées par la jurisprudence au fil du temps.

L’ambition du législateur, à travers cette réforme, était double : moderniser et sécuriser l’usage de la stipulation pour autrui, en la libérant de certaines incertitudes qui entouraient encore son régime antérieur, hérité de l’ancien article 1121 du Code civil. À cette fin, l’ordonnance lui confère une place explicite au sein du chapitre IV du titre III du Code civil, relatif aux effets du contrat à l’égard des tiers, marquant ainsi la reconnaissance de sa spécificité au regard du principe de l’effet relatif des conventions (art. 1199 c. civ.).

Désormais, la stipulation pour autrui repose sur des principes clairs et codifiés, précisant notamment que :

  • La stipulation pour autrui peut être librement stipulée, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une condition particulière pour sa validité. Cette consécration met fin aux incertitudes issues de l’ancien article 1121 du Code civil, qui ne permettait la stipulation pour autrui que lorsqu’elle constituait une condition d’un engagement pris pour soi-même ou d’une donation. Désormais, les contractants disposent d’une liberté totale pour conférer un droit direct à un tiers, dès lors qu’ils expriment une volonté en ce sens.
  • Le droit du bénéficiaire naît immédiatement du contrat conclu entre le stipulant et le promettant, sans qu’il soit nécessaire que le bénéficiaire manifeste son acceptation dès l’origine. Toutefois, tant que ce droit n’a pas été accepté, le stipulant conserve la faculté de le révoquer (art. 1206 c. civ.). Ce pouvoir de révocation, qui constitue une innovation majeure de la réforme, confère une souplesse accrue à l’institution, permettant au stipulant de revenir sur son engagement tant que le bénéficiaire ne s’en est pas prévalu.
  • La stipulation pour autrui est désormais expressément consacrée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats. Cette précision, bien qu’implicite en jurisprudence, n’avait jamais été affirmée avec autant de netteté par le législateur. Elle confirme que la stipulation pour autrui permet de conférer un droit propre au bénéficiaire, qui pourra en poursuivre l’exécution à l’encontre du promettant sans être partie au contrat initial.

Si la réforme de 2016 a le mérite d’avoir clarifié et stabilisé le régime de la stipulation pour autrui, elle n’a pas pour autant dissipé toutes les réserves doctrinales.

Certains auteurs regrettent notamment que le législateur ait inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors même qu’il aurait été préférable de consacrer son autonomie conceptuelle. Ainsi, Marc Mignot observe avec justesse que « le législateur a inscrit la stipulation pour autrui dans la logique de l’effet relatif, alors qu’il aurait dû consacrer son autonomie conceptuelle »[18].

Cette critique repose sur une analyse approfondie du mécanisme en question : en effet, la stipulation pour autrui ne se contente pas d’aménager l’effet relatif du contrat, elle procède d’une création directe d’un droit au profit du tiers bénéficiaire, sans que ce droit ait transité par le patrimoine du stipulant. Dès lors, la rattacher aux effets du contrat à l’égard des tiers, plutôt que d’affirmer son autonomie en tant que technique d’attribution de créance par acte unilatéral, apparaît comme une approche réductrice, voire incomplète.

D’autres critiques portent sur l’absence de précision sur le sort du droit du bénéficiaire avant acceptation, notamment en cas de décès du stipulant ou du promettant. En l’état du droit positif, l’article 1208 du Code civil semble suggérer que le droit du bénéficiaire peut être transmis à ses héritiers s’il décède avant d’avoir accepté la stipulation. Cette solution, bien que conforme aux principes généraux du droit des obligations, aurait mérité d’être davantage explicitée, tant elle soulève des interrogations pratiques.

En dépit de ces critiques, la réforme de 2016 constitue une étape décisive dans l’évolution de la stipulation pour autrui, qui s’affirme désormais comme un instrument contractuel incontournable, parfaitement intégré dans l’architecture du droit des obligations.

Ce mécanisme, jadis perçu comme une anomalie, s’impose aujourd’hui comme une technique juridique polyvalente, dont les applications se retrouvent dans une grande variété de domaines, allant des contrats d’assurance aux conventions collectives, en passant par les contrats de cession de contrôle et les engagements bancaires.

==>Applications pratiques

La stipulation pour autrui, en ce qu’elle permet d’attribuer à un tiers un droit direct contre un promettant sans qu’il soit partie au contrat, trouve des applications multiples dans divers domaines du droit. Son utilité s’étend à des secteurs variés, où elle assure la transmission efficace de droits et la protection des intérêts économiques et sociaux des bénéficiaires.

  • Droit des assurances

La stipulation pour autrui trouve une application particulièrement marquante dans le droit des assurances. En permettant à un tiers de bénéficier d’un contrat auquel il n’est pas partie, elle confère une assise juridique aux nombreux mécanismes d’assurance, tels que l’assurance-vie, l’assurance pour compte ou encore l’assurance de groupe.

  • L’assurance sur la vie
    • L’assurance-vie constitue l’illustration la plus aboutie de la stipulation pour autrui dans le domaine assurantiel.
    • Ce mécanisme repose sur un contrat conclu entre un souscripteur (assimilé au stipulant) et un assureur (assimilé au promettant), par lequel ce dernier s’engage, en contrepartie du paiement de primes, à verser une prestation à un bénéficiaire désigné lors du décès de l’assuré.
    • L’essence même de l’assurance-vie repose donc sur la création d’un droit direct et autonome au profit du bénéficiaire, lequel, bien qu’étranger à l’accord initial entre le souscripteur et l’assureur, acquiert un droit propre sur la prestation due.
    • Cette autonomie juridique distingue fondamentalement l’assurance-vie d’autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la cession de créance ou la donation, qui impliquent un transfert de droits existants, alors que la stipulation pour autrui, en l’espèce, génère une créance nouvelle dans le patrimoine du bénéficiaire.
    • Dès la fin du XIX? siècle, la jurisprudence a reconnu l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie.
    • Dans un arrêt du 16 janvier 1888, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie dispose d’un droit direct contre l’assureur, indépendamment de tout lien contractuel personnel avec ce dernier (Cass. civ., 16 janv. 1888).
    • Cette solution a été consacrée par le législateur à travers les articles L. 132-1 et suivants du Code des assurances, lesquels établissent expressément la validité du mécanisme de la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance-vie et précisent que la prestation due par l’assureur est directement attribuée au bénéficiaire désigné.
    • Cette reconnaissance législative confère au bénéficiaire un droit propre et opposable, qui s’impose non seulement à l’assureur, mais également aux tiers, y compris aux créanciers du souscripteur et aux héritiers.
    • Contrairement aux autres mécanismes de transmission patrimoniale, tels que la donation ou la succession, la stipulation pour autrui en matière d’assurance-vie place le bénéficiaire dans une situation privilégiée : il acquiert un droit immédiat et autonome, insusceptible d’être remis en cause par les ayants droit du souscripteur, sauf en cas de primes manifestement exagérées au regard des facultés de ce dernier.
    • Ce caractère intangible de la désignation bénéficiaire marque une rupture avec le régime de droit commun des libéralités, auquel les capitaux d’assurance-vie échappent en principe.
    • Toutefois, si la stipulation pour autrui appliquée à l’assurance-vie ne souffre aujourd’hui d’aucune contestation, la question de la distinction entre l’assurance-vie et le contrat de capitalisation a longtemps suscité des débats.
    • En effet, ces deux instruments ont en commun de permettre la constitution et la transmission d’un capital à un tiers, mais leur nature juridique et leur finalité économique divergent fondamentalement.
    • L’élément déterminant de cette distinction réside dans la présence ou l’absence d’aléa.
      • L’assurance-vie repose sur un événement incertain, à savoir le décès du souscripteur ou d’une tierce personne. Ce caractère aléatoire justifie son assimilation à un contrat de prévoyance, distinct des mécanismes purement patrimoniaux.
      • À l’inverse, le contrat de capitalisation relève d’une logique strictement financière, dans laquelle l’échéance de la prestation due par l’assureur est prédéterminée et indépendante de la durée de vie du souscripteur. Le contrat de capitalisation ne contient ainsi aucun élément d’aléa, ce qui exclut son rattachement au régime juridique de l’assurance-vie et le soumet au droit commun des obligations et des successions.
    • Cette distinction a été définitivement consacrée par la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte dans un arrêt du 23 novembre 2004 (Cass. ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592).
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « le contrat d’assurance dont les effets dépendent de la durée de la vie humaine comporte un aléa », et qu’il constitue donc un véritable contrat d’assurance-vie au sens des articles 1964 du Code civil, L. 310-1 et R. 321-1 du Code des assurances.
    • Cette solution procède du raisonnement suivant :
      • Si l’assuré est encore en vie à l’échéance du contrat, le capital lui revient ;
      • Si l’assuré décède avant l’échéance, le capital est versé aux bénéficiaires désignés ;
      • Cette incertitude quant à l’identité du créancier au moment de la souscription caractérise l’aléa inhérent à l’assurance-vie.
    • En consacrant la nécessité d’un aléa, la Cour de cassation a clairement distingué l’assurance-vie des contrats de capitalisation, qui ne peuvent bénéficier du régime juridique protecteur de l’assurance-vie.
    • Ce raisonnement est d’autant plus essentiel que la reconnaissance de cet aléa empêche toute requalification de l’assurance-vie en contrat de capitalisation, ce qui aurait des implications majeures en matière fiscale et successorale.
    • L’une des conséquences majeures de l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie réside dans son incidence sur les règles successorales.
    • Contrairement aux libéralités classiques, la prestation versée au bénéficiaire échappe, en principe, aux règles du rapport à la succession et de la réduction des libéralités excessives, sous réserve de l’application de l’article L. 132-13 du Code des assurances.
    • Toutefois, si les primes versées au titre d’un contrat d’assurance-vie sont manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur, elles peuvent être réintégrées dans la masse successorale et donner lieu à réduction au profit des héritiers réservataires.
    • Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2004, un héritier contestait ainsi le versement des capitaux aux bénéficiaires désignés, soutenant que les primes versées devaient être réintégrées dans l’actif successoral.
    • La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en confirmant que seules les primes manifestement exagérées peuvent être réintégrées dans la succession, ce qui suppose une appréciation in concreto des facultés du souscripteur au moment du versement des primes. En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que :
      • L’assurée disposait d’un patrimoine mobilier conséquent ;
      • Son revenu mensuel était de 30 000 francs ;
      • Le montant total des primes versées (310 000 francs) représentait seulement un quart de ce patrimoine.
    • En conséquence, la Cour de cassation a validé l’analyse de la cour d’appel, considérant que les primes n’étaient pas manifestement excessives.
    • Cette décision a suscité des réactions contrastées au sein de la doctrine. Jean-Luc Aubert a critiqué cette solution en estimant que la Cour de cassation avait adopté une conception extensive de l’aléa, dans une logique de sécurisation des contrats d’assurance-vie.
    • À l’inverse, Jacques Ghestin a approuvé cette qualification, soulignant qu’elle permet d’éviter une requalification en contrat de capitalisation, qui aurait eu des conséquences fiscales et successorales considérables.
    • D’un point de vue pratique, l’application de la stipulation pour autrui à l’assurance-vie emporte plusieurs conséquences majeures :
      • Une protection juridique accrue du bénéficiaire : ce dernier acquiert un droit direct opposable à l’assureur, indépendamment des héritiers du souscripteur.
      • Un régime fiscal et successoral favorable : en principe, les capitaux versés échappent aux droits de succession, sauf en cas de primes excessives.
      • Une sécurisation des opérations de prévoyance : l’assuré peut organiser la transmission de son capital en dehors du cadre rigide des successions.
    • L’assurance-vie illustre donc parfaitement le modèle de la stipulation pour autrui, en conférant au bénéficiaire un droit propre et immédiat, tout en garantissant une autonomie contractuelle qui le distingue des autres instruments de transmission patrimoniale.
  • L’assurance pour compte
    • L’assurance pour compte constitue l’une des applications les plus marquantes de la stipulation pour autrui dans le domaine des assurances.
    • Ce type de contrat repose sur la conclusion d’une convention entre un souscripteur et un assureur, au bénéfice d’un tiers, qui sera indemnisé en cas de sinistre affectant l’objet de l’assurance.
    • Ainsi, bien que ce tiers ne soit pas signataire du contrat, il bénéficie d’un droit propre sur l’indemnisation, ce qui traduit parfaitement le mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a admis cette qualification dans plusieurs hypothèses, notamment en matière d’assurance de dommages et d’assurance de transport, soulignant toutefois que la stipulation pour autrui ne saurait être présumée et doit résulter d’une volonté claire et non équivoque des parties (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n° 92-13.534).
    • A cet égard, l’assurance pour compte trouve une application privilégiée en matière d’assurance de dommages.
    • Dans ce cadre, le souscripteur du contrat ne cherche pas tant à se prémunir contre un risque personnel qu’à garantir la protection d’un tiers déterminé ou indéterminé au moment de la conclusion du contrat.
    • Une illustration marquante de ce mécanisme réside dans l’assurance dommages-ouvrage, souscrite par le maître d’ouvrage afin de garantir les désordres affectant une construction. Cette assurance bénéficie notamment aux constructeurs, dont elle couvre la responsabilité décennale sans que ceux-ci aient besoin d’être directement parties au contrat. La jurisprudence a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance dommages-ouvrage constitue une assurance pour compte bénéficiant aux propriétaires successifs de l’ouvrage (Cass. 3? civ., 30 mars 1994, n° 92-11.996).
    • L’assurance pour compte est également utilisée dans le cadre des assurances souscrites par un propriétaire pour le compte d’un locataire ou par un syndic au profit des copropriétaires.
    • Dans ces situations, l’assurance souscrite par le tiers principal garantit les occupants ou copropriétaires contre des risques spécifiques, sans qu’ils aient besoin de conclure un contrat en leur nom propre.
    • Toutefois, la stipulation pour autrui dans le cadre de l’assurance pour compte ne saurait être automatique.
    • Elle repose nécessairement sur une volonté expresse ou implicite mais non équivoque des parties, ce qui explique que la jurisprudence ait parfois refusé de reconnaître une assurance pour compte en l’absence d’une manifestation de volonté claire (Cass. 2? civ., 23 mars 2017, n°16-14.621).
    • L’assurance pour compte joue également un rôle essentiel dans le cadre du transport de marchandises.
    • En effet, les biens transportés peuvent faire l’objet de cessions successives au cours de l’exécution du contrat de transport.
    • Dès lors, il est impératif que la couverture assurantielle s’étende au propriétaire effectif des marchandises au moment du sinistre, même si ce dernier n’est pas encore identifié lors de la conclusion du contrat d’assurance.
    • La Cour de cassation a confirmé cette analyse en reconnaissant que l’assurance pour compte permet au propriétaire des marchandises, même non déterminé au moment de la souscription du contrat, d’exercer un droit propre contre l’assureur en cas de sinistre (Cass. 1ere civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534).
    • Ce mécanisme protège ainsi l’intérêt économique du propriétaire final sans nécessiter une modification du contrat d’assurance à chaque transfert de propriété.
    • Cette application de l’assurance pour compte est particulièrement fréquente dans les domaines du commerce international et du transport maritime, où les marchandises changent souvent de propriétaire avant d’arriver à destination.
    • Il est dès lors primordial que la garantie souscrite initialement puisse bénéficier à l’acquéreur final des biens, ce qui justifie pleinement le recours à la stipulation pour autrui.
    • Si la stipulation pour autrui est largement admise en matière d’assurance pour compte, elle n’est toutefois pas présumée.
    • Pour être reconnue, elle doit remplir plusieurs conditions essentielles :
      • Une volonté claire et non équivoque des parties : la stipulation pour autrui ne saurait être implicite. Il appartient au souscripteur et à l’assureur de prévoir expressément que l’assurance bénéficiera à un tiers. En l’absence d’une telle manifestation de volonté, la stipulation ne saurait être imposée (Cass. 2? civ., 18 janv. 2018, n°16-27.250).
      • Un tiers bénéficiaire identifiable : même si l’identité du bénéficiaire n’a pas besoin d’être déterminée dès la conclusion du contrat, il doit être possible de l’identifier au moment de la survenance du sinistre. C’est le cas, par exemple, du propriétaire effectif des marchandises dans une assurance pour compte en transport maritime.
      • Un engagement effectif du promettant (l’assureur) envers le bénéficiaire : l’un des principes fondamentaux de la stipulation pour autrui est que le bénéficiaire dispose d’un droit direct contre l’assureur. Ainsi, il peut agir directement en exécution du contrat sans avoir à obtenir l’autorisation du souscripteur
    • L’assurance pour compte permet de pallier les limites du principe de l’effet relatif des contrats en assurant la protection de tiers n’ayant pas directement contracté avec l’assureur.
    • Cette extension du bénéfice de l’assurance repose sur une logique économique et pratique :
      • D’abord, dans le domaine du transport ou de la construction, il est essentiel que les acteurs économiques puissent bénéficier d’une garantie sans avoir à souscrire individuellement une assurance.
      • D’autre part, l’assurance pour compte évite la nécessité de conclure une multitude de contrats distincts, tout en garantissant une couverture homogène aux personnes concernées.
      • Enfin, en permettant d’assurer un bien au profit de son propriétaire effectif au moment du sinistre, l’assurance pour compte s’adapte à la réalité des échanges économiques et du commerce international.
  • L’assurance de groupe
    • L’assurance de groupe constitue une application particulièrement aboutie du mécanisme de la stipulation pour autrui, en ce qu’elle repose sur une adhésion collective à une couverture assurantielle, organisée au profit d’un ensemble de bénéficiaires sans que ceux-ci aient nécessairement à conclure individuellement un contrat d’assurance.
    • Ce régime est expressément encadré par l’article L. 141-1 du Code des assurances, qui définit l’assurance de groupe comme celle souscrite par une personne morale (employeur, association, organisme professionnel, etc.) au bénéfice des membres d’un groupe déterminé, tels que les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une association.
    • Dans ce cadre, le souscripteur (employeur, association, institution professionnelle) contracte avec l’assureur en vue de garantir les risques pesant sur une pluralité de personnes.
    • Ces dernières, qualifiées de bénéficiaires, se voient ainsi reconnaître des droits à couverture assurantielle sans être parties directement au contrat initial, ce qui constitue l’essence même du mécanisme de la stipulation pour autrui.
    • La jurisprudence a rapidement admis que l’assurance de groupe reposait sur une stipulation pour autrui, le souscripteur ayant vocation à stipuler des garanties au profit des adhérents du groupe.
    • Dès lors, ces derniers disposent d’un droit propre à l’égard de l’assureur, indépendamment de tout engagement contractuel personnel avec ce dernier.
    • Toutefois, la Cour de cassation a précisé que l’adhésion au contrat d’assurance de groupe emportait la création d’un lien contractuel direct entre l’adhérent et l’assureur (Cass. 1ere civ., 7 juin 1989, n° 87-14.648).
    • Cette solution s’explique par le fait que l’adhérent, bien que tiers lors de la formation initiale du contrat entre le souscripteur et l’assureur, devient par la suite partie au contrat d’assurance, dès lors qu’il adhère aux garanties qui lui sont ouvertes.
    • Cette particularité conduit à s’interroger sur la nature exacte du lien juridique unissant les différentes parties au contrat d’assurance de groupe.
    • Il convient d’opérer une distinction fondamentale entre les assurances de groupe facultatives et les assurances de groupe obligatoires, distinction qui a une incidence directe sur l’application de la stipulation pour autrui.
      • Dans les assurances de groupe facultatives, chaque membre du groupe concerné est libre de souscrire ou non à l’assurance collective. L’adhésion individuelle donne lieu à la conclusion d’un contrat d’assurance spécifique entre l’adhérent et l’assureur. Dans cette hypothèse, la qualification de stipulation pour autrui est exclue, puisque le bénéficiaire ne tire pas son droit d’un engagement pris par le souscripteur en sa faveur, mais bien d’un contrat personnel conclu avec l’assureur (Cass. 1ere civ., 9 mars 1983).
      • Dans les assurances de groupe obligatoires, en revanche, l’adhésion résulte automatiquement de l’appartenance au groupe (par exemple, les salariés d’une entreprise ou les adhérents d’une mutuelle professionnelle). Ici, l’adhérent ne signe pas individuellement un contrat avec l’assureur : c’est le souscripteur qui contracte avec l’assureur pour couvrir les tiers bénéficiaires. Dans cette configuration, la stipulation pour autrui trouve pleinement à s’appliquer : les bénéficiaires sont désignés dès la conclusion du contrat, et ils disposent d’un droit direct à l’indemnisation sans qu’ils aient à être parties prenantes au contrat initial. Cette analyse a été confirmée par la jurisprudence (Cass. com., 13 avr. 2010, n° 09-13.712).
    • L’application de la stipulation pour autrui dans l’assurance de groupe entraîne plusieurs conséquences juridiques notables :
      • En premier lieu, dans une assurance de groupe obligatoire, le bénéficiaire ne tient pas son droit du souscripteur, mais directement de l’engagement de l’assureur. En d’autres termes, même si le souscripteur venait à se désengager ou à disparaître, l’adhérent conserverait ses droits, puisque ceux-ci sont autonomes et opposables à l’assureur.
      • En deuxième lieu, contrairement aux héritiers ou créanciers du souscripteur, qui pourraient prétendre à la remise en cause de certaines libéralités ou engagements, le droit du bénéficiaire d’une assurance de groupe est protégé. Ce dernier peut exiger l’exécution du contrat directement auprès de l’assureur, sans que la volonté du souscripteur puisse y faire obstacle.
      • En dernier lieu, l’un des intérêts majeurs de l’assurance de groupe est qu’elle garantit aux bénéficiaires une protection pérenne, indépendamment des éventuelles difficultés financières du souscripteur. Ainsi, dans le cadre des régimes de prévoyance collectifs, un employé couvert par une assurance de groupe bénéficie d’une protection assurantielle qui ne dépend pas de la solvabilité de son employeur.
    • Si l’assurance de groupe constitue un exemple institutionnalisé de la stipulation pour autrui, la doctrine s’est interrogée sur les limites de cette assimilation.
    • Certains auteurs ont souligné que, dans l’assurance de groupe facultative, l’adhérent devient partie au contrat, ce qui érode l’idée d’un droit conféré par une stipulation pour autrui.
    • En revanche, dans l’assurance de groupe obligatoire, la qualification de stipulation pour autrui ne souffre guère de contestation, car l’adhésion des bénéficiaires découle d’un engagement pris par un tiers (le souscripteur) à leur profit.
    • Ainsi, la jurisprudence continue de maintenir une distinction rigoureuse entre ces deux régimes, tout en assurant une protection accrue aux adhérents, conformément à l’objectif poursuivi par l’assurance collective.
  • Droit bancaire

Le droit bancaire offre de nombreux exemples d’application de la stipulation pour autrui. Ce mécanisme permet à une personne (le stipulant) de conclure un contrat avec un autre (le promettant) afin qu’un tiers (le bénéficiaire) puisse en tirer un droit direct. En d’autres termes, un contrat passé entre une banque et un client peut conférer des droits à une personne extérieure à ce contrat, sans qu’elle ait eu besoin de participer à sa conclusion.

Ce schéma se retrouve notamment dans les contrats de prêt, où l’emprunteur peut s’engager à rembourser une somme à un tiers plutôt qu’au prêteur initial, ou encore dans les contrats de crédit-bail, où le fournisseur du bien financé peut bénéficier directement d’un engagement du crédit-bailleur. Il apparaît aussi dans certains services bancaires, comme l’assurance invalidité souscrite par un emprunteur au bénéfice de sa banque, ou encore dans des situations où une entreprise de transport de fonds s’engage envers une banque à sécuriser l’acheminement des dépôts des clients.

  • Contrat de prêt
    • Le contrat de prêt constitue un cadre privilégié pour l’application de la stipulation pour autrui.
    • Dans ce contexte, l’emprunteur ne s’engage pas nécessairement à rembourser directement la banque ou l’organisme prêteur, mais peut être tenu de verser les sommes dues à un tiers désigné dans le contrat.
    • Ce mécanisme permet ainsi de conférer un droit direct au bénéficiaire, sans que celui-ci soit partie au contrat initial.
    • L’un des cas les plus typiques de stipulation pour autrui dans le cadre d’un prêt se rencontre lorsque l’emprunteur est tenu de rembourser non pas le prêteur lui-même, mais une personne expressément désignée comme bénéficiaire.
    • Cette situation a été reconnue par la Cour de cassation dans une affaire où un emprunteur s’était engagé à rembourser la somme prêtée non pas au prêteur, mais à l’épouse de ce dernier (Cass. 1re civ., 15 nov. 1978, n° 77-10.891).
    • Dans ce cas, l’épouse, bien qu’étrangère au contrat de prêt initial, a acquis un droit direct à réclamer le remboursement des sommes dues.
    • De même, une stipulation pour autrui peut être mise en œuvre lorsque l’acte de prêt prévoit que le remboursement s’effectuera directement entre l’emprunteur et un tiers désigné, par exemple un fournisseur ou un créancier du prêteur.
    • Le créancier initial ne joue alors qu’un rôle intermédiaire dans la mise en place de l’opération.
    • La stipulation pour autrui trouve également à s’appliquer dans le cadre des prêts assortis d’une hypothèque.
    • Il est possible, par exemple, que l’acte de prêt prévoie une obligation spécifique de l’emprunteur de libérer les lieux en cas de saisie et de vente de l’immeuble hypothéqué.
    • Cette obligation ne bénéficie pas directement au prêteur, mais à l’adjudicataire, qui devient ainsi bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.
    • Ainsi, dans une affaire portée devant la cour d’appel de Paris, un contrat de prêt hypothécaire stipulait que l’emprunteur devait laisser les lieux libres de toute occupation afin de permettre la vente sur saisie (CA Paris, 16? ch., 27 juin 1979).
    • Cette obligation profitait directement à l’acquéreur lors de la vente judiciaire, lequel pouvait dès lors se prévaloir de cette clause pour obtenir l’évacuation du bien. Dans cette hypothèse, l’adjudicataire bénéficie d’un droit propre découlant du contrat initial de prêt, même s’il n’était pas partie à celui-ci.
    • L’inclusion d’une stipulation pour autrui dans un contrat de prêt poursuit plusieurs objectifs :
      • Faciliter l’exécution des obligations : en prévoyant que le remboursement soit effectué directement entre l’emprunteur et un tiers bénéficiaire, on simplifie le circuit financier et on évite des transferts intermédiaires inutiles.
      • Sécuriser certaines opérations financières : par exemple, un créancier peut exiger qu’un prêt contracté par son débiteur soit directement remboursé à lui-même ou à une autre entité désignée, garantissant ainsi le bon déroulement de la transaction.
      • Préserver les intérêts des parties tierces : notamment dans les prêts hypothécaires, où les acheteurs ou adjudicataires peuvent se voir reconnaître des droits dès la conclusion du prêt initial.
  • Crédit-bail
    • Le contrat de crédit-bail donne fréquemment lieu à des stipulations pour autrui, tant en faveur du crédit-preneur que du fournisseur du matériel financé.
      • Stipulation en faveur du fournisseur: dans certains cas, le crédit-preneur ne verse pas directement les loyers au crédit-bailleur, mais au fournisseur du matériel, qui n’est pourtant pas partie au contrat initial.
      • Stipulation en faveur du crédit-preneur: il est également fréquent que le crédit-bailleur stipule, au profit du crédit-preneur, une garantie contractuelle du fournisseur, afin que ce dernier puisse directement agir contre lui en cas de défectuosité du bien loué (Cass. com., 15 mai 1979, n° 78-10.437). Dans cette hypothèse, le crédit-preneur acquiert ainsi un droit d’action propre contre le fournisseur, sans nécessiter une cession de créance.
      • Stipulation en faveur du crédit-bailleur: une autre configuration apparaît lorsque le fournisseur s’engage envers le crédit-bailleur à lui verser la valeur résiduelle du matériel en cas de non-levée de l’option d’achat par le crédit-preneur. Ici, la banque (crédit-bailleur) bénéficie directement d’un engagement pris dans un contrat auquel elle n’est pas partie.
  • Cautionnement
    • Le cautionnement bancaire constitue une autre illustration du recours à la stipulation pour autrui.
    • Ce mécanisme est particulièrement fréquent dans les relations économiques impliquant des garanties personnelles, notamment dans le cadre des groupements d’intérêt économique (GIE).
    • Dans certaines situations, le cautionnement ne bénéficie pas uniquement au créancier, mais également à des tiers qui ne sont pas directement parties au contrat de garantie.
    • C’est le cas lorsqu’un dirigeant de société se porte caution non seulement pour l’engagement de sa société, mais aussi pour les membres d’un GIE auquel elle appartient.
    • Dans cette hypothèse, les adhérents du GIE se trouvent bénéficiaires d’une stipulation pour autrui, en ce qu’ils acquièrent un droit propre contre la caution.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 novembre 1999, a confirmé cette analyse en consacrant l’irrévocabilité de l’engagement de la caution au profit des bénéficiaires de la stipulation pour autrui (Cass. com., 23 nov. 1999, n° 96-16.257).
    • Dans cette affaire, un dirigeant d’entreprise s’était porté caution pour garantir les engagements d’un GIE.
    • Par la suite, il a tenté de révoquer unilatéralement son engagement, en invoquant l’absence d’acceptation formelle des bénéficiaires.
    • Or, la Cour a rejeté cet argument, affirmant que :
      • La stipulation pour autrui confère aux bénéficiaires un droit propre et opposable à la caution ;
      • L’acceptation expresse des bénéficiaires n’est pas une condition de l’opposabilité de leur droit ;
      • L’engagement de la caution devient irrévocable dès la conclusion du contrat de cautionnement.
    • Dès lors, la caution ne peut se soustraire unilatéralement à son obligation, une fois celle-ci souscrite dans l’intérêt d’un tiers identifiable.
    • La qualification de stipulation pour autrui en matière de cautionnement bancaire présente des avantages significatifs, tant pour les créanciers que pour les bénéficiaires du cautionnement.
    • Tout d’abord, en reconnaissant aux membres du GIE un droit direct contre la caution, la stipulation pour autrui leur évite d’avoir à obtenir un nouvel engagement contractuel de la part de la caution.
    • Cette qualification renforce ainsi l’efficacité et la rapidité de mise en œuvre de la garantie, en offrant aux bénéficiaires une action immédiate contre la caution.
    • Ensuite, l’irrévocabilité de l’engagement de la caution assure une stabilité contractuelle, empêchant la caution de se rétracter au gré de ses intérêts.
    • Ainsi, les bénéficiaires sont protégés contre les risques de retrait unilatéral de la caution, ce qui est particulièrement crucial dans des structures économiques collaboratives comme les GIE ou les associations professionnelles.
    • Enfin, la finalité du cautionnement bancaire est précisément de garantir l’exécution d’une obligation en faveur du créancier ou de tiers spécifiquement désignés.
    • L’application de la stipulation pour autrui permet donc de sécuriser des engagements collectifs, notamment dans les relations interentreprises où plusieurs parties dépendent d’une même garantie.
  • Services bancaires
    • Le droit bancaire recourt fréquemment à la stipulation pour autrui, notamment dans le cadre des prestations de services impliquant des tiers.
    • Dans ces hypothèses, bien que le bénéficiaire ne soit pas directement partie au contrat, il en tire un droit propre et opposable au promettant.
    • Ce mécanisme permet ainsi d’offrir des garanties aux clients des établissements bancaires sans qu’ils aient à négocier individuellement ces engagements.
    • L’un des cas les plus emblématiques de l’application de la stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats de transport de fonds.
    • Lorsqu’une banque conclut un contrat avec une entreprise de transport spécialisé pour assurer l’acheminement sécurisé des fonds déposés par ses clients, ces derniers peuvent être considérés comme bénéficiaires d’une stipulation pour autrui.
    • La Cour de cassation a reconnu cette qualification dans un arrêt du 21 novembre 1978 (Cass. 1re civ., 21 nov. 1978, n°77-14.653), aux termes duquel elle a jugé que les clients de la banque bénéficiaient d’un droit propre à l’exécution de l’engagement pris par la société de transport.
    • Autrement dit, bien qu’ils ne soient pas signataires du contrat conclu entre la banque (stipulant) et la société de transport de fonds (promettant), ils pouvaient se prévaloir directement de l’obligation de transport sécurisé.
    • Cette solution repose sur une finalité économique : le contrat ayant été conclu dans l’intérêt direct des déposants, il était logique que ceux-ci puissent en exiger l’exécution en cas de manquement. L’obligation principale de la société de transport ne vise donc pas uniquement la banque contractante, mais aussi ses clients, qui se trouvent protégés contre les risques liés au transport des fonds.
    • Un autre exemple typique de stipulation pour autrui en droit bancaire concerne les contrats d’assurance invalidité souscrits en garantie d’un prêt bancaire.
    • Dans cette configuration, l’emprunteur souscrit une assurance invalidité, mais désigne la banque comme bénéficiaire en cas de survenance du risque couvert (invalidité empêchant le remboursement du prêt).
    • Dès lors, si l’assuré devient invalide, c’est l’assureur qui verse directement à la banque les sommes dues, lui permettant ainsi de récupérer son dû sans avoir à engager d’action contre l’emprunteur.
    • Ce schéma a été expressément reconnu comme une stipulation pour autrui par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juin 2001 (Cass. com., 12 juin 2001, n° 98-19.873).
    • La Haute juridiction a considéré que la banque bénéficiait d’un droit direct à l’exécution du contrat d’assurance, bien qu’elle n’en soit pas partie, dès lors que l’assurance avait été souscrite dans son intérêt.
    • Cette qualification a des implications majeures :
      • La banque dispose d’un droit autonome contre l’assureur, sans avoir besoin de solliciter l’emprunteur pour le paiement.
      • L’assurance ne bénéficie pas directement à l’emprunteur, mais bien à son créancier, ce qui en fait une sûreté efficace pour les établissements prêteurs.
      • L’emprunteur n’a pas de lien contractuel avec l’assureur en ce qui concerne le versement de la prestation, ce qui évite toute intervention de sa part dans le processus d’indemnisation.
  • Droit des sociétés

La stipulation pour autrui trouve certaines applications en droit des sociétés, notamment dans le cadre des cessions de contrôle et des garanties de passif. Ce mécanisme, qui permet à une société cédée de se prévaloir directement d’un engagement contractuel conclu entre le cédant et le cessionnaire, répond à une nécessité économique et juridique impérieuse : assurer la pérennité financière de la société après son changement d’actionnaire majoritaire, en la protégeant contre des dettes antérieures à la cession.

Lorsqu’un cédant transfère le contrôle d’une société, il peut s’engager, par le biais d’une garantie de passif, à couvrir certaines dettes ou charges dont l’origine est antérieure à la cession. L’objectif est de préserver la valeur patrimoniale de l’entité cédée, en évitant que le cessionnaire ne découvre ultérieurement des engagements dissimulés ou sous-évalués lors de la négociation du prix de cession.

Dans certains cas, cet engagement est stipulé non pas uniquement au bénéfice du cessionnaire, mais également au profit de la société elle-même, qui est directement impactée par ces dettes. La stipulation pour autrui trouve alors sa pleine justification : le cédant fait promettre à l’acheteur ou s’engage lui-même à exécuter une obligation financière directement au profit de la société cédée, lui conférant ainsi un droit propre.

La jurisprudence a admis qu’une telle stipulation pour autrui pouvait conférer à la société cédée un droit direct à l’exécution de la garantie, indépendamment de l’action du cessionnaire. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que, lorsque l’acte de cession stipule une garantie du passif au profit de la société, celle-ci peut directement agir en exécution de la garantie et contraindre le cédant à prendre en charge les dettes concernées (Cass. com. 7 oct. 1997, n° 95-18.119).

Cette reconnaissance d’un droit autonome au profit de la société repose sur plusieurs considérations :

  • L’intérêt économique de la société : l’endettement d’une entreprise grève sa trésorerie, fragilise sa situation financière et peut compromettre son activité. En lui permettant de réclamer directement l’exécution de la garantie, la stipulation pour autrui renforce la sécurité juridique des opérations de cession.
  • L’indépendance des intérêts en présence : le cessionnaire et la société cédée, bien que liés par l’opération de transmission, poursuivent des intérêts distincts. La reconnaissance d’un droit propre à la société lui permet d’agir sans dépendre de l’initiative du cessionnaire, qui pourrait, pour des raisons stratégiques ou transactionnelles, renoncer à invoquer la garantie.
  • La cohérence avec le régime des obligations : en l’absence de stipulation pour autrui, le cessionnaire resterait le seul créancier du cédant. Or, il n’a pas toujours vocation à réinjecter dans la société les fonds obtenus au titre de la garantie de passif. La stipulation pour autrui permet d’assurer que la compensation financière profite directement à l’entité affectée par les dettes.

En pratique, il arrive que l’acte de cession ne mentionne pas expressément que la garantie est stipulée au profit de la société cédée. Dans ce cas, les tribunaux s’attachent à rechercher l’intention des parties, afin de déterminer si elles ont entendu conférer à la société un droit propre à l’exécution de la garantie. La Cour de cassation a ainsi admis qu’une stipulation pour autrui implicite pouvait être reconnue lorsque les circonstances révèlent une volonté claire d’avantager la société cédée (Cass. com. 19 déc. 1989, n°88-15.335).

Cette solution repose sur une lecture pragmatique du contrat, visant à éviter qu’une interprétation trop stricte du principe de l’effet relatif des conventions ne prive la société du bénéfice d’une protection pourtant manifestement prévue par les parties.

  • Droit des contrats

La stipulation pour autrui intervient dans divers contrats où elle assure la transmission efficace des obligations et l’articulation des intérêts entre plusieurs parties. Son utilisation se révèle particulièrement significative dans les contrats de construction, les marchés publics et les relations de travail, où elle concourt à sécuriser les engagements contractuels et à renforcer la protection des bénéficiaires.

  • Contrats de construction et marchés publics
    • Dans le cadre des marchés de travaux, la stipulation pour autrui intervient fréquemment afin d’assurer le paiement des sous-traitants, lesquels sont juridiquement distincts du maître d’ouvrage.
    • Cette utilisation du mécanisme est dictée par un double impératif : garantir la solvabilité des opérations de construction et protéger les sous-traitants contre les défaillances de l’entrepreneur principal.
    • Le schéma contractuel repose sur un engagement du maître d’ouvrage à faire promettre à l’entrepreneur principal (le promettant) de payer directement les sous-traitants (les bénéficiaires).
    • L’effet juridique en découle directement est clair: le sous-traitant acquiert un droit propre contre l’entrepreneur principal, qui lui permet d’agir directement contre lui en cas de non-paiement, sans devoir passer par le maître d’ouvrage.
    • En pratique, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui évite que les sous-traitants ne soient privés de recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal.
    • A cet égard, la Cour de cassation a consacré dans un arrêt du 29 novembre 1994 l’analyse selon laquelle une clause de paiement direct stipulée dans un contrat de travaux pouvait être qualifiée de stipulation pour autrui, conférant ainsi au fournisseur un droit propre à l’encontre du maître d’ouvrage (Cass. 1re civ, 29 nov. 1994, n° 92-15.783).
    • Dans cette affaire, un maître d’ouvrage avait conclu un marché à forfait avec un entrepreneur général pour la construction d’un bâtiment.
    • Le contrat stipulait que le maître d’ouvrage pouvait payer directement un fournisseur désigné pour certaines fournitures nécessaires à l’exécution des travaux.
    • Le fournisseur, ayant livré les matériaux, avait adressé ses factures au maître d’ouvrage. Toutefois, lorsque l’entrepreneur principal a abandonné le chantier, le fournisseur s’est trouvé privé de paiement et a assigné le maître d’ouvrage en règlement de sa créance.
    • La Cour d’appel avait rejeté cette demande, considérant que le fournisseur n’avait pas établi l’existence d’un contrat de vente entre lui et le maître d’ouvrage.
    • La Cour de cassation, au contraire, a jugé que la clause contractuelle prévoyant la possibilité d’un paiement direct au fournisseur devait être interprétée comme une stipulation pour autrui, en raison des éléments suivants :
      • L’existence d’une stipulation claire et expresse : la Cour de cassation a retenu que la clause du marché de travaux autorisant le maître d’ouvrage à régler directement le fournisseur exprimait la volonté des parties de conférer à ce dernier un droit propre contre le maître d’ouvrage.
      • La création d’un droit direct au profit du bénéficiaire : en vertu de cette stipulation pour autrui, le fournisseur n’était pas tributaire du seul entrepreneur principal pour obtenir son paiement ; il pouvait agir directement contre le maître d’ouvrage.
      • Une justification économique et une protection du sous-traitant : cette solution vise à éviter que les fournisseurs et sous-traitants ne soient privés de tout recours en cas de défaillance financière de l’entrepreneur principal. La clause de paiement direct leur assure une source de paiement alternative, limitant ainsi le risque d’impayés.
    • Toutefois, la Cour de cassation a également précisé que le maître d’ouvrage pouvait opposer au fournisseur les mêmes exceptions qu’il aurait pu soulever à l’encontre de l’entrepreneur principal.
    • Cette précision permet d’éviter que le fournisseur ne bénéficie d’un droit absolu au paiement, qui ferait abstraction des éventuelles causes d’inexécution du marché de travaux.
    • En définitive, cette décision illustre le rôle de la stipulation pour autrui comme mécanisme de sécurisation des paiements dans les marchés de travaux.
    • Dès lors qu’un contrat prévoit expressément qu’un tiers (le fournisseur) pourra être directement payé par une partie (le maître d’ouvrage), la jurisprudence reconnaît que ce tiers bénéficie d’un droit propre à l’exécution de la prestation promise.
    • Toutefois, en l’absence de clause expresse, les juges doivent rechercher si une telle stipulation peut être déduite de l’intention des parties, ce qui témoigne de la souplesse et de l’importance pratique de ce mécanisme contractuel.
  • Contrat de bail
    • Le bail constitue un terrain propice à l’intégration de stipulations pour autrui, dès lors que certaines clauses insérées dans le contrat confèrent des droits à des tiers non parties au bail.
    • Ce mécanisme, bien que relevant d’une construction juridique classique, a donné lieu à de nombreuses applications en jurisprudence, notamment en matière de charges imposées au preneur, de protection de tiers, et de clause de non-concurrence.
    • Il est fréquent qu’un bailleur insère dans le contrat de bail des obligations qui profitent directement à un tiers.
    • Dans ce cas, le preneur, bien qu’il ne soit pas directement lié à ce tiers par un rapport contractuel, se voit imposer une obligation dont l’exécution bénéficie à ce dernier.
    • Ainsi, la jurisprudence a reconnu l’existence d’une stipulation pour autrui dans les hypothèses suivantes :
      • Lorsqu’un propriétaire d’une exploitation viticole adhère à une coopérative et insère dans le bail de son locataire une clause prévoyant que ce dernier devra payer la cotisation due à cette coopérative. Ici, la société coopérative se trouve bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (CA Montpellier, 1re ch. B, 10 févr. 1993).
      • Lorsqu’un bail prévoit que le preneur devra payer directement aux architectes ou entrepreneurs une partie des travaux réalisés dans l’immeuble loué, ces derniers pouvant alors exiger directement leur paiement sur le fondement de la stipulation pour autrui (Cass. civ., 30 nov. 1948).
    • Dans ces hypothèses, le tiers bénéficiaire se voit reconnaître un droit propre à exiger l’exécution de l’obligation stipulée en sa faveur, indépendamment de la volonté du preneur. Ce dernier, en qualité de débiteur de l’obligation, ne peut en contester l’opposabilité dès lors que cette stipulation a été expressément prévue dans le contrat de bail.
    • Une autre application marquante de la stipulation pour autrui dans le domaine des baux commerciaux réside dans la clause de non-concurrence.
    • Cette clause, souvent insérée par un bailleur lorsqu’il loue plusieurs locaux à des exploitants distincts, vise à protéger les intérêts économiques d’un locataire contre l’installation d’un concurrent direct dans un autre local du même bailleur.
    • La jurisprudence a depuis longtemps admis qu’une clause de non-concurrence stipulée dans un bail commercial peut constituer une stipulation pour autrui en faveur du preneur voisin (Cass. 3e civ., 4 févr. 1986).
    • Ainsi, lorsque le bailleur consent successivement plusieurs baux commerciaux dans un même ensemble immobilier, il peut insérer dans ces baux des clauses interdisant l’exercice d’activités concurrentes dans un autre local.
    • Cette clause profite directement au locataire initial, qui peut ainsi se prévaloir d’un droit propre à l’encontre du second locataire, en exigeant le respect de la restriction d’activité prévue dans son bail.
    • L’intérêt de qualifier la clause de non-concurrence de stipulation pour autrui est double :
      • Le locataire bénéficiaire de la clause dispose d’un droit propre, qu’il peut invoquer en justice pour empêcher l’exercice de l’activité concurrente, même s’il n’est pas partie au bail conclu avec le second locataire.
      • Le second locataire est tenu à l’égard du premier, non pas en raison d’un rapport contractuel direct, mais en vertu de l’engagement souscrit par le bailleur. Dès lors, le non-respect de la clause peut donner lieu à des sanctions, telles que la résiliation du bail ou l’octroi de dommages et intérêts au profit du locataire lésé.
    • Cette analyse a également été retenue en matière d’adhésion obligatoire à une association de commerçants d’un centre commercial.
    • La Cour de cassation a ainsi reconnu que la clause obligeant un preneur à verser des cotisations à une association de commerçants constitue une stipulation pour autrui en faveur de ladite association, celle-ci pouvant directement exiger le paiement des cotisations dues par le preneur (Cass. 1ere civ., 31 mars 1992, n° 90-18.880).
  • Conventions collectives et contrats de travail
    • En droit social, la stipulation pour autrui joue un rôle significatif dans la protection des travailleurs, en leur conférant, dans certaines hypothèses, des droits directs issus de conventions collectives ou de contrats de travail conclus entre des tiers.
      • La stipulation pour autrui dans les conventions collectives
        • Les conventions collectives, conclues entre des organisations patronales et des syndicats de salariés, comportent souvent des dispositions stipulées au profit des salariés, leur conférant des droits qu’ils peuvent invoquer directement contre leur employeur ou des organismes tiers.
        • La Cour de cassation a reconnu, par exemple, que certaines clauses de conventions collectives pouvaient comporter des stipulations pour autrui en faveur des salariés, leur permettant d’agir directement contre leur employeur ou contre des institutions sociales en cas de non-respect des engagements conventionnels (Cass. Soc. 4 févr. 1981, n°78-41.008).
        • Cette qualification leur permet d’obtenir directement l’exécution des obligations issues de la convention, sans que cela ne requiert l’intervention du syndicat négociateur.
    • La stipulation pour autrui dans les contrats de travail
      • Le contrat de travail peut lui-même comporter des stipulations pour autrui au profit des salariés, notamment lorsqu’il prévoit des engagements à leur bénéfice pris par des tiers.
      • Un exemple marquant est celui des clauses de garantie d’emploi stipulées dans les contrats de travail en cas de transfert d’entreprise.
      • Lorsqu’un employeur s’engage, en cas de cession de son entreprise, à imposer au repreneur l’obligation de reprendre les salariés, cette stipulation est analysée comme une stipulation pour autrui.
      • A cet égard, la Cour de cassation a admis que lorsqu’un contrat de travail impose à un nouvel employeur de reprendre les salariés d’une entreprise en cas de transfert, cette clause constitue bien une stipulation pour autrui au profit des salariés concernés, qui peuvent alors s’en prévaloir directement (Cass. com. 14 mai 1979, n°77-15.865).
      • Cette solution présente un enjeu social majeur : elle garantit la continuité de l’emploi et protège les salariés contre les effets souvent brutaux des restructurations.
      • En leur conférant un droit propre, elle leur permet d’obtenir l’exécution de l’engagement pris à leur égard sans qu’ils aient à démontrer une quelconque transmission contractuelle de leur contrat de travail.
  • La stipulation pour autrui présumée

Si la stipulation pour autrui repose, en principe, sur l’expression expresse de la volonté contractuelle, la jurisprudence a, dans certaines circonstances exceptionnelles, présumé son existence afin d’assurer la protection des victimes.

Cette démarche, motivée par des considérations d’équité et de sécurité juridique, a principalement été développée en matière d’accidents de transport et dans le cadre de l’affaire du sang contaminé. Toutefois, la tendance actuelle de la Cour de cassation est au repli, celle-ci réaffirmant que la stipulation pour autrui ne saurait être admise en l’absence d’une clause explicite.

  • La protection des proches de victimes d’accidents de transport
    • La stipulation pour autrui a parfois été présumée par la jurisprudence afin de garantir une protection accrue aux proches de victimes d’accidents de transport.
    • Cette construction, forgée dans un souci d’efficacité juridique et de préservation des droits des tiers affectés par l’exécution du contrat de transport, a toutefois été abandonnée par la Cour de cassation, soucieuse de préserver la rigueur du principe de l’effet relatif des conventions.
    • L’un des arrêts fondateurs de cette approche prétorienne est rendu par la chambre civile de la Cour de cassation le 6 décembre 1932.
    • Dans cette décision, la Haute juridiction admet que le contrat conclu entre un passager et un transporteur peut implicitement contenir une stipulation pour autrui au profit des proches du voyageur.
    • Ce raisonnement permettait aux ayants droit de la victime d’un accident de transport de se prévaloir de la responsabilité contractuelle du transporteur, bien plus favorable que la responsabilité délictuelle.
    • En effet, cette dernière supposait la preuve d’une faute du transporteur, tandis que l’obligation de sécurité qui pesait sur ce dernier en matière contractuelle était de nature objective, offrant aux demandeurs une meilleure garantie d’indemnisation.
    • Cette solution reposait sur une lecture extensive du contrat de transport, assimilant implicitement les proches du passager à des bénéficiaires directs de l’engagement contractuel du transporteur.
    • Toutefois, cette construction a été critiquée par la doctrine, certains auteurs dénonçant une dérive consistant à dénaturer la stipulation pour autrui en la présumant là où elle ne correspondait pas aux volontés des parties.
    • Consciente des risques d’un tel raisonnement, la Cour de cassation a progressivement infléchi sa position.
    • Dans un arrêt du 28 octobre 2003, elle met fin à cette jurisprudence en affirmant que les proches d’une victime d’accident de transport ne peuvent invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur en l’absence d’une stipulation expresse en leur faveur (Cass. 1re civ., 28 oct. 2003, n° 00-18.794).
    • Cette décision marque un revirement notable, traduisant une volonté de la Haute juridiction de ne pas altérer la nature du contrat de transport et de cantonner la stipulation pour autrui à des hypothèses où elle résulte clairement de la volonté des parties.
    • Ce revirement s’explique également par l’évolution du droit de la responsabilité.
    • Lorsque la jurisprudence des années 1930 admettait la stipulation pour autrui implicite, la responsabilité objective du fait des choses n’était pas encore solidement implantée en droit français.
    • Il était alors plus avantageux pour les proches d’une victime d’invoquer la responsabilité contractuelle du transporteur plutôt que d’agir sur le terrain de l’ancien article 1382 du Code civil (devenu art. 1240), lequel imposait la preuve d’une faute.
    • Or, avec la généralisation de la responsabilité objective du fait des choses et l’adoption de régimes spéciaux favorisant l’indemnisation des victimes d’accidents de transport, la nécessité de recourir à une stipulation pour autrui présumée a disparu.
    • En outre, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée avait conduit à des incohérences avec d’autres principes du droit des obligations, notamment la prohibition du cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
    • La jurisprudence permettait aux proches d’une victime d’accident de renoncer à la stipulation pour autrui prétendument incluse dans le contrat de transport et d’agir sur le fondement de la responsabilité délictuelle si cette dernière leur était plus favorable (Cass. 2e civ., 23 janv. 1959).
    • Cette faculté leur offrait un véritable droit d’option entre deux régimes de responsabilité, en contradiction avec la règle du non-cumul des responsabilités.
    • En mettant un terme à cette jurisprudence, la Cour de cassation a réaffirmé que les engagements contractuels ne sauraient être étendus au-delà de ce que les parties ont expressément convenu, tout en rétablissant la cohérence du droit de la responsabilité en matière d’accidents de transport.
    • Ainsi, bien que motivée à l’origine par une préoccupation de protection des victimes, la stipulation pour autrui présumée au profit des proches de passagers d’un transport a progressivement perdu sa raison d’être.
    • L’évolution du cadre juridique de la responsabilité des transporteurs a contribué à rendre ce mécanisme inutile, et la jurisprudence contemporaine s’attache désormais à exiger une volonté expresse du stipulant lorsqu’il entend conférer un droit à un tiers.
    • Cette évolution témoigne d’un retour à une application plus stricte du principe de l’effet relatif des conventions, évitant ainsi de faire de la stipulation pour autrui un instrument d’indemnisation artificiel.
  • L’affaire du sang contaminé : une présomption justifiée par l’intérêt des victimes
    • Une autre illustration marquante de la stipulation pour autrui présumée se rencontre dans l’affaire du sang contaminé.
    • La gravité du préjudice subi par les victimes de transfusions sanguines infectées par le VIH ou l’hépatite C a conduit la jurisprudence à rechercher un fondement juridique leur permettant d’obtenir réparation de manière efficace et rapide.
    • Dans cette perspective, elle s’est appuyée sur une décision antérieure (Cass. 2e civ., 17 déc. 1954) qui avait déjà admis qu’un contrat conclu entre un hôpital et un centre de transfusion sanguine pouvait contenir une stipulation pour autrui implicite en faveur des patients recevant des transfusions.
    • En reprenant cette solution, les juridictions ont considéré que les victimes de contamination transfusionnelle pouvaient se prévaloir d’un droit propre contre le centre de transfusion, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien contractuel direct avec celui-ci.
    • Cette construction permettait d’imputer aux centres de transfusion une obligation de sécurité de résultat, leur imposant de fournir un sang exempt de toute contamination (Cass 1ère civ., 14 nov. 1995, n°92-18.199).
    • L’objectif poursuivi était de soustraire les victimes aux exigences probatoires complexes du droit commun de la responsabilité, en leur permettant d’agir directement contre les organismes en charge de la collecte et de la distribution du sang.
    • Toutefois, à mesure que le droit de la responsabilité civile s’est adapté aux enjeux liés aux contaminations transfusionnelles, l’utilité de cette présomption jurisprudentielle s’est progressivement estompée.
    • Déjà avant l’intervention du législateur, la jurisprudence s’était inspirée de la directive européenne du 25 juillet 1985 pour permettre aux victimes par ricochet – notamment les ayants droit d’un patient décédé – d’invoquer le manquement de l’organisme de transfusion à son obligation de sécurité sans recourir à la stipulation pour autrui (Cass. 1ère civ., 13 févr. 2001, n°99-13.589).
    • La loi du 19 mai 1998 (art. 1245 et s. du Code civil) a parachevé cette évolution en instaurant un régime de responsabilité du fait des produits défectueux applicable aux produits de santé, rendant inutile le recours à une qualification contractuelle pour garantir l’indemnisation des victimes.
    • Dès lors, si la reconnaissance d’une stipulation pour autrui implicite a pu constituer une solution pragmatique dans un contexte d’urgence sanitaire, elle s’inscrivait avant tout dans une logique de protection des victimes.
    • L’évolution du droit positif et l’émergence de dispositifs d’indemnisation spécifiques ont cependant conduit la jurisprudence à restreindre l’usage de cette construction.
    • Aujourd’hui, la reconnaissance d’une stipulation pour autrui présumée repose sur une interprétation plus stricte, exigeant que la volonté de stipuler au profit d’un tiers résulte explicitement de l’acte.
    • Cette évolution traduit une volonté de ne pas instrumentaliser la stipulation pour autrui à des fins purement indemnitaires et de préserver l’équilibre contractuel en s’assurant que les obligations n’engagent que ceux qui les ont librement consenties.

Traces écrit et droit

Traces écrit et droit. Voilà un ternaire intéressant à interroger. C’est à l’occasion d’un colloque international et pluridisciplinaire consacré aux “Traces et écritures” qu’il a été jugé raisonnable par les organisatrices de convoquer un juriste. Voici quelques premières pistes de réflexion.

1.- L’écrit

Le droit est langage. Et comme n’importe quel langage, il est indéterminé par nature. Je veux dire par là qu’il est susceptible de revêtir plusieurs sens. C’est une expérience que tout lecteur du droit a très sûrement eue. Plusieurs sens possibles donc aucun en particulier. C’est une difficulté bien connue en science du langage – écrit – tout particulièrement. C’est du reste pour cette raison qu’ont été inventés les émoticônes ou emojis, qui illustrent le propos, le contextualisent, pour clarifier le message. Que l’émetteur et le récepteur, qui échangent à l’écrit (qui sont donc absents par définition) ne se comprennent pas bien ; cela peut être embêtant. Mais que la loi ne soit pas comprise, c’est autrement plus fâcheux. C’est que le législateur (ou le rédacteur d’un contrat qui n’est autre que la loi des parties en fin de compte) ne prend pas la parole ou la plume pour papoter. Il la prend pour ordonner, permettre, défendre, annoncer des récompenses ou bien des peines. Fort heureusement, la majorité des dispositions légales se suffisent à elles-mêmes. Seulement voilà, il arrive que les choses se compliquent sacrément. Et c’est très précisément sur cet exercice que les apprentis juristes et les juniors buttent.

L’énoncé et la règle. Aussi clair soit le texte de loi sous étude, il peut arriver qu’il soit vieilli, dépassé, en contradiction avec d’autres dispositions, contraire à des considérations plus impérieuses. Dans un tel cas de figure, l’application de la règle ne s’impose pas ou plus avec évidence. D’aucuns seront tentés de rétorquer : dura lex sed lex. Seulement voilà : chaque fois que le sens clair d’un écrit contredit la finalité de l’institution qu’il est censé servir, ou heurte l’équité, ou conduit à des conséquences socialement inadmissibles, l’interprétation s’impose (summum ius, summum injuria). Comble de droit, comble d’injustice dit l’antique adage en réponse.

Une seconde difficulté guète le juriste, qui peut se cumuler du reste avec la première que je viens de décrire.

Il arrive que la règle de droit soit susceptible de plusieurs sens. Prenons un exemple élémentaire. Le code de procédure civile dispose que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Le législateur ne saurait être plus explicite. Une question se pose pourtant : est-ce une faculté ou bien au contraire une obligation ? Le juge doit-il trancher en droit ou bien a-t-il toute latitude pour se prononcer en équité ? L’emploi de l’indicatif instille le doute pour celui qui n’a pas été initié au droit et à sa grammaire normative. Dans un tel cas de figure, assez simple celui-ci en vérité, il échoit à la personne en charge de l’application de la règle de rechercher quelle a été l’intention du locuteur.

Ce travail de recherche, qui tourne assez souvent à la fouille archéologique, consiste plus concrètement à interpréter la norme juridique. Et c’est là que le risque est grand que le récepteur-interprète substitue purement et simplement l’idée qu’il se fait de la réglementation applicable à celle de l’émetteur, qu’il commette une erreur d’analyse des dessous de l’affaire.

L’interprétation ou la maïeutique. Voilà livré en quelques mots et esquissé sommairement l’art des juristes… L’exercice ne saurait jamais être affaire de caprice ni d’inspiration créatrice loufoque. Le juriste ne saurait être un apprenti-sorcier qui déchaîne des conséquences désordonnées et imprévues pour avoir ignoré la dépendance et l’insertion de la règle de droit dans son contexte. En bref, on ne peut s’y prendre n’importe comment au risque de réécrire purement et simplement la règle sous étude et de lui faire dire n’importe quoi. Discerner le sens véritable d’un texte obscur suppose donc rigueur et méthode. Et il en faut une belle quantité car il ne s’agit pas moins que de remonter le temps pour revenir sur la trace que l’auteur de la règle sur le point d’être interprétée a laissée en préparant sa loi.

2.- La trace

Les travaux préparatoires et la règle. Revenir sur la trace que l’auteur a laissée en prenant la plume, cela consiste à entamer une étude systématique des travaux préparatoires qui ont présidé à l’édiction de la règle. La pertinence de la démarche est néanmoins suspendue à la réunion de plusieurs conditions.

En premier lieu, il importe que les travaux fassent encore sens, que l’écoulement du temps ne les ait pas trop déqualifiés. Dans un tel cas de figure, il ne serait pas de bonne méthode de se livrer à une savante exégèse. Voilà l’une des leçons parmi les plus difficiles qu’il échoit aux professeurs de droit de donner à leurs étudiants. A l’étude de la lettre et à l’analyse grammaticale du texte, il faut savoir opter pour une variante plus subjective de type téléologique, qui recommande de prendre en compte l’économie générale de loi, sa finalité au-delà du libellé, son contexte historique, social entre autres considérations. L’esprit plus que la lettre en somme.

Mais une autre condition à l’étude des travaux préparatoires doit encore être satisfaite et ce avant même de s’interroger sur la question de déterminer quelle méthode d’interprétation pratiquer. C’est qu’il faut encore que l’interprète de la loi ait matière à travailler. Or, il peut arriver qu’il n’y ait pour ainsi dire pas d’écrit du tout : que rien n’ait été rédigé, que les travaux aient été bâclés ou bien qu’ils aient été purement et simplement égarés…

On a ainsi perdu des siècles durant la trace du droit romain (- 450 avant JC). Il faudra attendre le XIIe siècle pour retrouver la loi des XII tables qui est un ensemble de lois au fondement du droit romain dont la gravure sur des plaques de bronze a été imposée par la plèbe pour prévenir une application erratique et discrétionnaire des règles par les magistrats. Droit romain dont certaines figures juridiques de la législation civile sont encore directement inspirées.

Le dépôt et la Rome antique. Permettez-moi d’illustrer le propos. Et de vous montrer combien l’étude du seul droit positif (droit applicable à un moment donné sur un territoire considéré) est bien insuffisante pour donner à la règle prescrite tout son sens et sa portée.

Il est dit dans le code civil à propos du très ordinaire contrat de dépôt que le dépositaire (celui dans les mains duquel on remet une chose – par exemple l’adorable animal de compagnie (ou les enfants) qu’on dépose chez ses charmants beaux-parents pour partir en w.end) doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent. Comprenons bien la prescription : si le dépositaire n’est absolument pas soigneux et abime par exemple la chose qui a été remise entre ses mains (qu’il laisse dépérir la pauvre bête par ex.), on appréciera sa faute relativement à la manière dont d’ordinaire il prend soin de ses affaires. Autant dire que le droit n’est pas sévère du tout. Pourquoi cela ? Eh bien parce qu’à Rome (on est en – 450 avant JC), dont ce contrat est tout droit issu, le dépôt est tout bonnement un service d’ami… Et que si une faute a été commise dans cette affaire…c’est d’avoir choisi le mauvais dépositaire (culpa in eligendo).

Sans l’étude par les étudiants de cette trace laissée par le droit romain, l’application de l’article 1927 du code civil est dénuée de sens commun. Et il y a possiblement pire dans le cas particulier. Car si aucune preuve écrite n’a été faite de la nature du contrat conclu, il pourrait être soutenu que la chose a été remise non pas pour être restituée comme convenu mais bien plutôt en guise de cadeau. On n’est donc pas prêt de récupérer le petit chien.

L’écrit et la rançon des droits. Où l’on constate à nouveau combien l’écrit est déterminant en la matière. Car ne pas avoir de droit du tout ou bien ne pas réussir à prouver son existence c’est égal en vérité. En bref et pour bien comprendre : la preuve est la rançon des droits (Jhering). C’est la raison pour laquelle l’écrit occupe une place à nulle autre pareille dans le système juridique. Les codes renferment de nombreux articles à ce sujet, qui pallient justement l’impossibilité de rédiger un écrit. C’est bien de trace dont il est question. L’écrit est exigé pour faire la preuve de ses allégations (c’est la fonction probatoire). Il l’est encore et bien plus sûrement en pratique pour rappeler aux parties concernées les obligations souscrites (c’est la fonction mémoire).

L’acte authentique dressé par un officier public ministériel, qui constate la vente d’une maison, est un exemple tout trouvé. En raison de l’importance des obligations souscrites et des droits accordés par les parties au contrat, les notaires ont l’obligation de conserver 75 années les actes qu’ils ont instrumentés (art. 1 ord. N° 45-2590 du 2 nov. 1945 rel. au statut du notariat) avant de les verser aux archives publiques (art. R. 212-15 c. patrim.). J’ai par exemple sur mon bureau un testament mystique (i.e. qui n’a jamais été ouvert) daté de 1763. En disant cela, je me demande si un système d’information pourra rouvrir un fichier vieux de + 260 années…

La trace des travaux préparatoires laissées par les législateurs (et les juristes plus généralement) doit systématiquement être recherchées par le juge. Pourquoi cela. Eh bien parce qu’on prétend (à tort ou à raison) que ce dernier a un devoir de loyauté envers la loi dont il est le serviteur en quelque sorte. Parce que la justice est rendue au nom du peuple français, il importe que le groupe social accepte le jugement. La rationalité de la décision est nécessaire mais pas suffisante. Il faut encore qu’elle soit acceptable. Pour susciter une adhésion personnelle des parties et de toutes les personnes concernées par le litige (concordia discordantium), le juge doit certainement chercher à convaincre (c’est la raison) ; il doit surtout s’employer à persuader (c’est le cœur). La connaissance et l’étude analytique des travaux préparatoires sont de nature à éclairer l’interprète sur les intentions du législateur, qui est source des règles juridiques, et à prévenir toute application discrétionnaire ou erratique du droit.

Vous penserez peut-être mais comment se fait-il que le législateur n’ait pas été invité à préciser le sens de la règle qu’il a édictée ? L’histoire du droit renseigne que cela a été essayé tout le temps qu’a duré le droit révolutionnaire (1789-1804). A l’expérience, le remède s’est avéré pire que le mal.

Depuis lors, il a été décidé que l’office de la loi serait de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. Charge au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application (Portalis, Discours préliminaire sur le projet de code civil).

Voilà l’épreuve la plus difficile à surmonter pour les étudiants et les juristes juniors qui ont vocation à être en première intention juges de l’application des règles de droit. Épreuve à la préparation de laquelle il faut des heures et des heures de leçon et cours magistraux dispensés par les maîtres à leurs élèves.

(Communication faite lors du colloque international “Traces et écritures”, Université de Lorraine, sept. 2024)

Civ. 2, 27 févr. 2025, n° 22-21.800 et n° 22-17.970 : Protection universelle maladie, cotisations subsidiaires et contrôle de constitutionnalité/conventionnalité

Résumé.

La protection universelle maladie a déconnecté le rapport fondamental qui a été fait en 1945 entre le paiement de cotisations et le droit à prestations. Dit autrement : l’usager du système de santé a droit depuis le 1er janvier 2016 aux prestations en nature quand bien même aucune cotisation de sécurité sociale n’a été payée : solidarité nationale oblige. Quant à ceux qui n’ont certes aucun revenu du travail mais qui touchent des revenus du patrimoine, il leur est demandé de fournir un effort notable. La Cour de cassation est précisément saisie de la conformité de ce dernier aux droits et libertés que la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme garantissent.

Commentaire.

En l’espèce (pourvoi n° 22-21.800), une Urssaf adresse à un cotisant un appel à cotisations subsidiaires au titre de la protection universelle maladie. Une demande en annulation de l’appel de cotisations et de restitution de l’indu est formulée. Le cotisant conteste devant le juge de la sécurité sociale les modalités de fixation de ladite cotisation en ce que les textes appliqués dans le cas particulier ne seraient pas conforment aux droits et libertés que la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme garantissent.

Successivement saisies, la cour d’appel d’Orléans et la Cour de cassation ne suivent pas le requérant dans ses conclusions.

Depuis que la protection universelle maladie a été inventée (loi n° 2015-1702 du 21 déc. 2015), toutes les personnes résidant sur le territoire de manière stable et régulière (notion définie à l’article D. 160-2 css), et peu important qu’elles travaillent ou non, ont droit à la prise en charge des frais de santé (art. L. 160-1, al. 1 css ensemble L. 111-1, al. 2 css). Qu’on comprenne bien : l’usager du système de santé est titulaire de droits à prestations en nature (tandis qu’il n’est pas ayants droit du tout) quand bien même aucune cotisation de sécurité sociale n’aura été payée faute d’emploi ou bien faute de rémunérations significatives. C’est là une illustration parmi les plus remarquables du principe de solidarité nationale, qui est proclamé à la toute première ligne du Code de la sécurité sociale (art. L. 111-1, al. 1er).

Cela étant, et pour palier tout effet d’aubaine, le législateur dispose que les personnes éligibles à la protection universelle maladie sont néanmoins redevables d’une cotisation annuelle pour le cas où, nonobstant l’absence de rémunération, l’usager tire des revenus du patrimoine au sens de l’article L. 380-2 du code de la sécurité sociale (revenus fonciers, de capitaux mobiliers, de plus-values et bénéfices divers et éléments de train de vie). De ce point de vue, et la Cour de cassation le dit franchement (point n° 25), la cotisation constitue, pour les personnes qui en sont redevables, des versements obligatoires constituant la contrepartie légale du bénéfice des prestations en nature qui leur sont servies conformément à l’article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.

Le requérant reproche aux pouvoirs publics de ne pas avoir plafonné le montant de la cotisation, qui est assise sur les revenus du patrimoine et, partant, d’avoir porté une atteinte disproportionnée à sa situation financière. Au soutien de thèse, sont convoqués le droit constitutionnel et le droit conventionnel…en vain. La critique méritait pourtant bien d’être formulée tant est bien floue la définition du rapport raisonnable de proportionnalité entre les droits et obligations respectifs des usagers du systèmes de santé concernés par le paiement de la cotisation subsidiaire.

Aux termes des textes applicables à la cause, en l’occurrence les articles L. 380-2 et D. 380-1 du code de la sécurité sociale, les personnes qui sont dépourvues de tout revenu du travail ou bien qui ont un revenu d’activité inférieur au seuil fixé règlementairement sont redevables d’une cotisation qui est assise sur l’ensemble de leurs revenus du patrimoine, laquelle n’a été plafonnée que bien après l’invention de la protection universelle maladie et la cotisation subsidiaire (1er janvier 2019) tandis que les cotisations de sécurité sociale prélevées aux fins de financement de la branche maladie de tous les autres cotisants sont nécessairement limitées par le montant des revenus professionnels. Où l’on constate que l’assiette de la cotisation subsidiaire (c’est-à-dire les valeurs qui sont prises en compte pour réaliser le calcul) des premiers était autrement plus large que celle de droit commun des seconds. Il y avait donc bien une différence de traitement ou pour le dire autrement une discrimination (la problématique est semblable dans le second arrêt recensé – pourvoi n° 22-17.970, 6ème moyen de cassation, points nos 26 et s.).

Le Conseil constitutionnel, auquel a été déféré l’article L. 380-1 du code de la sécurité sociale, a déclaré conforme la disposition litigieuse aux droits et libertés que la Constitution garantit sous réserve que les taux et modalités fixés par voie réglementaire ne soient pas constitutifs d’une rupture caractérisée d’égalité mais sans plus ample précision (décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, cons. n° 19). En bref : aussi fâcheuse que puisse être la rupture d’égalité, il faut encore qu’elle soit caractérisée pour espérer que le dispositif critiqué soit mis à l’écart. Dans ces conditions, le contentieux devant un juge a quo était inévitable.

La thèse du requérant est intéressante, qui soutient que dans la mesure où il aura fallu plusieurs mois aux pouvoirs publics pour se conformer à la décision du Conseil constitutionnel, plafonner la cotisation subsidiaire et contenir par voie de conséquence la rupture d’égalité, il n’est dès lors redevable d’aucune cotisation entre la date de l’entrée en vigueur de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 et celle de l’article D. 380-1 du code de la sécurité sociale, à savoir le 1er janvier 2019 (en application de la loi n° 2018-1203 du 22 déc. 2018).

L’argument ne convainc pourtant pas. La Cour de cassation et le Conseil d’Etat considèrent (avec la Cour d’appel d’Orléans et l’Urssaf Centre val de Loire) qu’il était suffisant pour le pouvoir réglementaire de définir les modalités de calcul de la cotisation dans des conditions qui n’entrainent pas de rupture caractérisée d’égalité devant les charges publiques (CE, 10 juill. 2019, n° 417919 – 29 juill. 2020, n° 430326) ; que c’est précisément l’objet des mécanismes d’abattement d’assiette et de limitation de l’assiette aux revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale qui atténuent la différence de traitement entre les assurés sociaux.

Dans le cas particulier, la Cour de cassation considère que la discrimination qui subsiste poursuit un but légitime et qu’au vu de ce dernier les moyens employés sont raisonnables (au sens du droit conventionnel – not. en ce sens : CEDH, 13 nov. 2007, Dh et autres c. République tchèque, n° 57325/00, § 175). Et la deuxième chambre civile dans un second arrêt rendu le même jour de considérer à propos de la cotisation subsidiaire que si elle prive le cotisant d’un élément de sa propriété, à savoir les sommes qui doivent être versées et qui sont recouvrées par les Urssaf, l’ingérence est pleinement justifiée au regard du second alinéa de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (qui garantit le droit à la propriété) en ce que l’Etat est fondé à réglementer l’usage des biens pour assurer le paiement des impôts et d’autres contributions (pourvoi n° 22-17.907, points nos 17 et 18. A noter que cette dernière décision doit encore retenir l’attention en raison du doute du requérant quant à la légalité de la transmission par l’administration fiscale de données à caractère personnel aux organismes chargés du recouvrement. V. les points nos 5 et s. spécialement analysés par Vincent Roulet).

Qu’on soit convaincu ou non par les décisions rendues en l’espèce, c’est égal ; il faut bien voir que le débat sur la signification de la réserve du Conseil constitutionnel peut se poursuivre à l’infini (M. Troper, Dictionnaire de la culture juridique, v° Interprétation ; J. Bourdoiseau, L’interprétation, https://aurelienbamde.com/2019/05/06/linterpretation). La Cour de cassation en a d’ailleurs pleinement conscience, qui s’applique à justifier le rejet du pourvoi tout en laissant subsister deux régimes juridiques distincts (2016-2019 / 2019-…). A-t-elle réussi à convaincre, rien n’est moins certain. On reconnaîtra toutefois qu’il aurait été bien décevant qu’elle se contentât de viser l’article L. 111-2-1, I, al. 2 du code de la sécurité sociale qui dispose en substance que si chacun profite selon ses besoins, chacun contribue aussi selon ses moyens au financement de la protection contre le risque maladie.

(Article publié in Dalloz actualité mars 2025)

Civ. 2, 30 janv. 2025, n° 22-18.333 : Assiette des cotisations de sécurité sociale et exclusion des sommes à caractère indemnitaire liées à la rupture du contrat de travail

Résumé.

La Cour de cassation complète le régime légal des indemnités de rupture du contrat de travail et renoue avec une jurisprudence favorable au salarié qui reçoit une somme d’argent en réparation des préjudices subis. Toutes les fois que l’indemnité versée en exécution de la transaction ayant mis fin au litige ne constitue pas un élément de rémunération dû à l’occasion du licenciement du salarié, il est fait interdiction à l’employeur de l’inclure dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale quand bien même le législateur fiscal ne l’aurait pas expressément visé au nombre des indemnités exonérées d’impôt partant de cotisation.

Commentaire.

En l’espèce, après qu’il a été mis fin à la relation de travail, une transaction est conclue aux termes de laquelle l’employeur s’engage à verser au salarié une certaine somme à titre d’indemnité compensatoire. L’entièreté de la dette n’est pas payée comme convenu. L’employeur considère qu’il lui importe de retenir une fraction de l’indemnité transactionnelle au titre des cotisations de sécurité sociale. Le salarié fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente pour obtenir paiement de la somme retenue par son employeur. Ce dernier saisit un juge de l’exécution afin d’obtenir la mainlevée de la mesure.

Le salarié reproche à l’employeur d’avoir inclus une fraction des sommes dues au nombre des valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale et, partant, d’avoir réduit à due proportion la somme convenue alors qu’elle était de nature indemnitaire.

Le contentieux trouve sa source dans l’intrication des règles fiscales et sociales qui définissent l’assiette des cotisations et, plus particulièrement, dans l’article L. 242-1, II du code de la sécurité sociale, qui liste une série d’exclusions… Le 7° de l’article dispose en ce sens : « par dérogation au I, sont exclus de l’assiette des cotisations de sécurité sociale (…), dans la limite de deux fois le montant annuel du plafond défini à l’article L. 241-3 du présent code, les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail (…) mentionnées à l’article 80 ter du code général des impôts qui ne sont pas imposables en application de l’article 80 duodecies du même code » (…) (v. égal. pour le régime agricole le renvoi à cette disposition de l’article L. 741-10 c. rur.).

La lecture de cette dernière disposition fiscale déplace d’un cran le problème social et invite l’employeur à vérifier si l’indemnité transactionnelle accordée dans le cas particulier entre ou non dans la catégorie juridique des rémunérations qui ne sont pas imposables. On rappellera que l’article 80 duodecies CGI dispose dans son premier alinéa que « toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable » ; que c’est par exception qu’une série d’indemnités est exclue de l’assiette fiscale et, par voie de conséquence, de l’assiette sociale. Dit autrement : si l’indemnité litigieuse n’est pas listée aucune exonération fiscale n’est accordée. L’employeur est donc tenu d’inclure le montant représentatif dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale dans la limite définie par l’article L. 242-1 c. sécu. soc. Le texte directeur de l’article L. 242-1 c. sécu. soc., qui renvoie aux marqueurs d’extension de l’article L. 136-1-1 c. sécu. soc., dirige l’interprétation de la loi : au vu de la quantité de prestations sociales à servir, l’assiette des cotisations de sécurité sociale doit être la plus large qui soit. Les exonérations, qui sapent l’assiette, ne sauraient être que d’interprétation stricte. C’est très précisément la conclusion à laquelle l’employeur est arrivé. Et c’est très étonnamment que la Cour de cassation censure son analyse, à tout le moins de prime abord.

Dans cette affaire, la Cour de cassation, après la cour d’appel de Rennes, renoue avec une jurisprudence qui avait été déjouée par le législateur en 1999. Dans un arrêt rendu le 28 oct. 1987 (n° 84-13.704), la chambre sociale de la Cour de cassation décide en substance que l’indemnité transactionnelle versée au salarié à l’occasion de la rupture de son contrat de travail est exclue de l’assiette des cotisations de sécurité sociale toutes les fois qu’elle a le caractère de dommages-intérêts. Et la Cour régulatrice de laisser aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation relativement à la qualification de l’indemnité litigieuse et, par voie de conséquence, relativement à la définition des valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale (Civ. 2, 21 juin 2018, n° 17-19.773, publié au bulletin), peu important donc la qualification donnée par les parties à la transaction (Soc., 11 juill. 1991, n° 89-11.440 ; Civ. 2, 16 nov. 2004, n° 03-30.364).

Et puis le législateur a introduit un régime social (loi n° 99-1140 du 29 déc. 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000) et un régime fiscal (loi n° 99-1172 du 30 déc. 1999 de finances pour 2000) spécifiques, qui « calque », pour reprendre l’expression d’un auteur, l’assiette sociale sur l’assiette fiscale (P. Morvan, Droit de la protection sociale, 11e éd., LexisNexis, 2023, n° 574). Ces régimes sont sous étude. L’indemnité litigieuse n’étant pas de celles expressément visées par la loi fiscale au nombre de celles éligibles à une exonération (v. égal. en ce sens : BOI-RSA-CHAMP-20-40-10-20, 28 juill. 2020. www.bofip.impots.gouv.fr), il n’importait désormais plus que l’indemnité litigieuse compense une perte de rémunération ou bien qu’elle répare un préjudice d’une autre nature (CE, 14 juin, n° 365253, rec. Lebon).

Après que cette réforme est entrée en vigueur, l’occasion a été donnée à la Cour de cassation de prolonger la jurisprudence précitée. Dans deux arrêts rendus le même jour, la deuxième chambre civile considère que les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat autres que les indemnités exonérées en vertu de l’article L. 242-1, II, 7° c. sécu. soc. sont comprises dans l’assiette des rémunérations « à moins que l’employeur rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice » (Civ. 2, 15 mars 2018, n° 17-10.325 et n° 17-11.336 publiés au bulletin). Ce faisant, le texte de loi était grossi d’une nouvelle cause d’exonération.

En l’espèce, la Cour de cassation continue sa construction prétorienne et complète le régime fiscal et social des indemnités de rupture prescrit par le législateur en ces termes : « n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 242-1, II, 7°, précité, les sommes qui, bien qu’allouées à l’occasion de la rupture du contrat de travail, ont pour objet d’indemniser un préjudice, même si ces sommes ne sont pas au nombre de celles limitativement énumérées à l’article 80 duodecies du code général des impôts ».

Dans le cas particulier, la Cour de cassation, qui reprend à son compte l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, note qu’il ressort du protocole transactionnel que la somme allouée au salarié avait pour objet de réparer notamment des chefs de préjudices moraux et professionnels. La nature indemnitaire étant attestée en ce sens que le salarié n’a touché aucune contrepartie du travail accompli (Civ. 2, 12 nov. 2020, n° 18-12.816) mais a reçu une somme en compensation des dommages subis, il n’appartenait pas à l’employeur de faire application de l’article L. 242-1, II, 7° c. sécu. soc. La demande de mainlevée du commandement aux fins de saisie-vente formulée par l’employeur ne pouvait aboutir par voie de conséquence.

La solution pourrait donner à penser que la Cour de cassation aurait pris quelques libertés avec l’économie générale des dispositions applicables au litige. Il pourrait être répliqué que la restauration par équivalent du salarié victime dans la situation dans laquelle il se serait retrouvé si le dommage n’avait pas eu lieu n’est en principe pas soumise à l’impôt sur le revenu. La règle est bien établie depuis 1986 à tout le moins pour ce qui concerne les dommages et intérêts attribués à un particulier par une décision judiciaire en réparation d’un préjudice corporel (Réponse écrite du ministre de l’économie, des finances et du budget à une question posée par un député datée du 25 nov. 1985, JOAN, 17 févr. 1986, p. 616). Partant, et parce que l’assiette sociale est calquée sur l’assiette fiscale, on pourrait tirer argument que cette indemnité compensatoire n’étant pas soumise à l’impôt sur le revenu, elle n’a pas à donner lieu au versement de cotisation de sécurité sociale. Reste que, dans le cas particulier, l’indemnité transactionnelle ne répare pas à proprement parler un chef de préjudice corporel. On restera donc pour le moins dubitatif relativement à l’augmentation par le juge de la liste des cas légaux d’exonération.

Il importera donc aux parties à la transaction de bien expliciter l’objet des sommes allouées à titre indemnitaire (de grossir éventuellement la somme convenue du montant des cotisations de sécurité sociale afférentes) sans quoi le pouvoir sera donné aux autorités de contrôle et juridictionnelles de procéder.

(Article publié in Dalloz actualité févr. 2025)

Civ. 2, 30 janv. 2025, n° 22-19.660 : Expatriation et couverture de la faute inexcusable de l’employeur

Résumé

La Caisse des Français de l’étranger n’est pas une caisse de sécurité sociale comme les autres. Pour preuve, si un salarié expatrié est victime de la faute inexcusable de son employeur, qui a participé à la maladie dont il est atteint, alors la CFE n’a pas à faire l’avance des indemnités majorée. En bref, le salarié privé de toute solidarité de métier se retrouve à devoir supporter seul les dépenses afférentes aux suites de la maladies professionnelles et possiblement à la sauvegarde de sa dignité. Il aura fallu deux décisions rendues par la Cour de cassation dans la même affaire pour imposer la solution à la Cour d’appel de Rennes entrée en opposition frontale avec la cour régulatrice.

Commentaire.

En l’espèce, un salarié déclare une maladie qui renseigne une exposition à l’amiante dont le caractère professionnel est reconnu par la caisse de sécurité sociale. Il introduit dans la foulée une action en reconnaissance du caractère inexcusable de la faute commise par son employeur. Dans le cas particulier, la victime est un salarié expatrié, qui a souscrit une assurance volontaire (au sens de l’article L. 762-8 c. sécu. soc.) « accident du travail et maladies professionnelles » auprès de la Caisse des Français de l’étranger (CFE). C’est la variable de complication de l’affaire.

Comprenons bien : le salarié concerné n’étant plus soumis à la législation française de sécurité sociale (en application du principe de territorialité de l’article L. 111-2-2 c. sécu. soc.), l’intéressé était tout à fait libre de contracter avec l’assureur privé ou public de son choix pour autant qu’il satisfasse naturellement les conditions fixées au contrat projeté ou bien les dispositions légales édictées par le pays d’accueil aux fins de couverture du risque professionnel. Dans le cas particulier, le salarié préfère exercer la faculté qui lui est offerte de s’assurer volontairement contre les risques professionnels auprès de la CFE (art. L. 762-2 c. sécu. soc.). I

Le différend, qui a nécessité que la Cour de cassation se prononce à deux reprises dans cette affaire, est né du refus de la CFE de faire l’avance des indemnités majorées en raison de la faute inexcusable de l’employeur, ce qui est pourtant une obligation qui pèse sur les caisses primaires d’assurance maladie ( L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc.) et les mutualités sociales agricoles (art. L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc. sur renvoi de l’art. L. 751-7 c. rur.).

La question est donc posée de savoir au fond si la CFE est une caisse de sécurité sociale comme les autres ou pas ?

Saisie, la Cour d’appel de Rennes répond dans un premier arrêt par l’affirmative (9e ch., 26 sept. 2018). Et de conclure par voie de conséquence à l’obligation faite à la CFE de payer la majoration due tout en privant en revanche cette dernière de son droit à récupérer le capital représentatif auprès de l’employeur. Qu’on ne se méprenne pas : la Cour d’appel de Rennes ne prive pas discrétionnairement la CFE d’un droit subjectif au remboursement. L’infraction à l’article L. 452-2, al. 6 c. sécu. soc. aurait été bien trop frontale. Non, il s’avère simplement (ou pas) que les règles qui fixent l’organisation et le fonctionnement de la CFE, qui sont renfermées dans un titre IV du Livre VII « Régime divers – dispositions diverses » du Code de la sécurité sociale, n’accorde aucune subrogation légale à la caisse. Dans la mesure où, il ne saurait y avoir de paiement par subrogation sans texte (art. 1346 c.civ.), et que manifestement aucune subrogation conventionnelle n’a été stipulée, la Cour d’appel de Rennes semble articuler convenablement le régime d’indemnisation des risques professionnels, les règles spéciales de couverture des salariés expatriés victimes d’une maladie et les principes directeurs du droit civil des obligations.

Dans un arrêt rendu le 16 juillet 2000 (n° 18-24.942), la Cour de cassation n’est pourtant pas de cet avis, qui casse une première fois l’arrêt au visa de l’article au visa des articles L. 762-1 et L. 762-8 c. sécu. soc. en ce que si l’assurance volontaire qui a été souscrite donne droit à l’ensemble des prestations prévues par le livre IV, c’est à l’exclusion de l’indemnisation des conséquences de la faute inexcusable de l’employeur. Et la deuxième Chambre civile de se réunir en formation de section et d’ordonner qu’une large diffusion soit donnée à sa décision (FS-P+B+I). Désignée en qualité de cour de renvoi, la Cour d’appel de Rennes s’obstine pourtant dans son analyse et entre en voie de résistance manifeste (CA Rennes (9e ch., 1er juin 2022).

C’est la raison pour laquelle – fait suffisamment rare pour être souligné – la Cour de cassation tranche définitivement le litige et ne renvoie pas une seconde fois l’affaire pour qu’il soit jugé au fond. Au vu de la situation particulière, la deuxième Chambre civile aurait peut-être gagné à enrichir sa décision et ne pas se contenter ou presque de reproduire mot à mot le chapeau intérieur. L’exercice tenant trop sûrement de la gageure, l’arrêt est promis au rapport annuel. L’occasion sera donc donnée de revenir sur le cas particulier.

C’est que le raisonnement de la victime tiré d’une application par analogie des textes applicables aux caisses primaires d’assurance maladie et mutualités sociales agricoles, qui a convaincu la Cour d’appel de Rennes, était assez séduisant. Un article D. 461-24 c. sécu. soc. dispose en effet : « conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 431-1 et des articles L. 432-1 et L. 461-1, la charge des prestations, indemnités et rentes incombe à la caisse d’assurance maladie ou à l’organisation spéciale de sécurité sociale à laquelle la victime est affiliée (…) » tandis qu’un second texte – l’article L. 762-8, alinéa 2 du code de la sécurité sociale – dispose que « l’assurance volontaire accidents du travail et maladies professionnelles donne droit à l’ensemble des prestations prévues par le livre IV ». L’application cumulée semblait fonder la condamnation de la CFE à faire l’avance des indemnités majorée (pendant que les textes relevés plus haut semblaient bien la priver de toute subrogation).

Mais c’est une autre combinaison qui a été choisie, qui tient compte de l’économie générale de la Caisse des Français de l’étranger, qui a été possiblement omise au nombre des variables qu’il s’agissait d’articuler, ou dont la considération a été jugée moins déterminante que le triste sort réservé au salarié concerné en l’espèce.

A la différence d’une caisse primaire d’assurance maladie ou bien d’une mutualité sociale agricole, la CFE est gestionnaire d’une assurance volontairement contractée par le salarié expatrié, qui est seul tenu au paiement de la dette de cotisation à l’exclusion de l’employeur par voie de conséquence. Que ce dernier décide spontanément de payer la dette du salarié (Soc., 27 nov. 2013, n° 12-23.603, inédit) ou bien qu’une convention collective l’y contraigne (Soc., 19 sept. 2007, n° 05-41.156, inédit – 26 juin 2013, n° 12-13.046, inédit), cela n’a pas pour effet de lier juridiquement la CFE et l’employeur. La solution serait du reste la même si le salarié ne disposait pas de la totalité des ressources nécessaires pour acquitter sa cotisation et que la CFE décidait de prendre en charge le reliquat sur son budget de l’action sanitaire et sociale (art. L. 762-6-5, al. 1 c. sécu. soc.. V. par ex. arr. du 21 déc. 2018 fixant le niveau de prise en charge des cotisations par le budget de l’action sanitaire et sociale de la Caisse des Français de l’étranger pour la troisième catégorie de cotisants : soit 1/3 de la cotisation).

En bref, il n’appartient donc pas à la caisse de couvrir le risque accident ou maladie aggravé par la faute inexcusable de l’employeur, risque qui n’est pas entré dans le champ contractuel. Et si aucune subrogation légale n’a été accordée à la CFE, c’est très précisément parce que cette dernière ne paie pas la dette de l’employeur mais la sienne propre née de la conclusion du contrat d’assurance.

Ceci étant dit, et le commentaire ne devrait pas plus convaincre la Cour d’appel de Rennes que la décision sous étude : le caractère sui generis de la CFE tourne au préjudice du salarié, qui est la partie faible au contrat qu’il s’agit pourtant de protéger. En pratique, c’est bien le salarié qui va supporter le risque d’opposition de son employeur voire le risque d’insolvabilité. La Cour de cassation, qui complète ici sa décision au regard du premier arrêt, indique que le salarié « dispose (…) du droit d’agir à l’encontre de son employeur, sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile contractuelle, pour obtenir la réparation des préjudices causés par le manquement de ce dernier à son obligation de sécurité » (point n° 9). Pour le dire autrement : c’est donc sur ses derniers propres qu’un salarié victime d’une exposition à l’amiante devra supporter les suites de la faute inexcusable de son employeur tant qu’un accord n’aura pas été trouvé ou bien une décision passée en force de chose jugée n’aura pas été rendue.

Cette situation n’est pas du tout conforme au droit des risques professionnels. Non seulement, le salarié victime d’une maladie professionnelle, en situation de fragilité relative du fait de l’expatriation, n’est pas traité à l’identique de ses collègues relativement aux risques professionnels, qui doit faire l’avance des fonds nécessaires à la sauvegarde de sa dignité, mais il peut en outre se retrouver en situation de transiger tandis qu’il n’est pas dans une position égale en termes de puissance avec son co-contractant, le tout en violation de l’article. L. 482-4, al. 1 c. sécu. soc. qui dispose que « toute convention contraire au présent livre (IV) est nulle de plein droit ».

La CFE est en capacité de garantir le salarié contre sa propre difficulté financière au stade de la conclusion du contrat. Pour quelle raison ne serait-elle pas en capacité de le garantir contre l’insolvabilité du tiers responsable au jour de l’exécution du contrat d’assurance ? A ces questions, il sera répondu que la CFE n’en a tout simplement pas les moyens car le régime, qui doit être équilibré en recettes et dépenses (art. R. 766-57 c. sécu. soc.) est abondé en argent grâce aux seules cotisations payées par les adhérents salariés (art. R. 766-58 c. sécu. soc.), exception faite d’une subvention annuelle qui contribue au financement du budget de l’action sanitaire et sociale art. R. 766-58-1 c. sécu. soc. Admettons. Au fond, s’il est une raison à cette solution sévère pour le salarié, elle n’est pas exclusivement d’ordre technique. Pour paraphraser une formule usitée par le Conseil constitutionnel, il s’avère que la Cour de cassation ne dispose (très vraisemblablement) pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement (J. Bourdoiseau, L’évolution de la responsabilité de l’entreprise dans la survenance du risque professionnel d’une dette d’argent de l’employeur à une créance de réparation du salarié ? Dr. social févr. 2025.178). Charge revient donc au législateur tout à fait informé à présent de remettre ou pas l’ouvrage sur le métier.

(Article publié in Dalloz actualité févr. 2025)

Crim., 16 janv. 2025, n° 23-84.994 : Dépenses périodiques futures et capitalisation des arrérages à échoir – méthodologie

Solution.

La Cour de cassation abandonne aux juges de fond le soin de choisir à quelle date il importe de prendre l’âge du crédirentier pour capitaliser les arrérages à échoir. Le jour de la décision vaut bien le jour du premier renouvellement des matériels pour autant que le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit soit observé. Elle rappelle en outre que la capitalisation ne peut se faire que pour l’avenir.

Impact.

La Chambre criminelle, qui confirme une jurisprudence qu’elle a en partage avec la 2ème Chambre civile, complète en l’espèce un régime complexe qui a été abandonné par le législateur à l’appréciation souveraine des juges du fond.

En l’espèce, après qu’un accident de la circulation est survenu, le passager d’un véhicule est très gravement blessé. Le conducteur est déclaré responsable de l’entier dommage. Sur intérêts civils, le prévenu est condamné à payer près de 3 millions d’euros. Au nombre des chefs de préjudices indemnisés, certains postes, qui ont trait à des dépenses futures (aide technique, assistance par tierce personne, pertes de gains professionnels futurs), font débat. Dans le cas particulier, il doit être procédé au calcul des arrérages à échoir en vue d’une capitalisation en se fondant sur le prix de l’euro de rente viagère. L’appréciation de l’âge du crédirentier est donc au cœur de l’affaire. Cette décision s’inscrit dans une série d’arrêts qui fixent les règles applicables à la liquidation des dépenses futures de la victime. La Cour de cassation ne varie à proprement parler : la capitalisation ne peut se faire dans le passé (2) (v. not. Crim. 13 nov. 2013, n° 12-84.838 – 3 mai 2016, n° 14-84.246 ; Civ. 2, Civ. 2e, 4 avr. 2024, n° 22-19.307, Resp. civ. et assur. 2024, comm. 148, S. Hocquet-Berg. V. égal. A. Coviaux, De l’âge de la victime crédirentière de ses dépenses de santé futures, D. actualité 28 janv. 2025). Elle donne néanmoins une indication intéressante relativement à la capitalisation des dépenses périodiques futures : le juge est libre de capitaliser au premier renouvellement ou non (1).

1.- La première question posée dans le cas particulier est de savoir, aux fins de capitalisation des arrérages à échoir, à quelle date prendre en compte l’âge de la victime. En l’espèce deux possibilités s’offraient aux juges du fond : l’âge du crédirentier au jour de la décision ou bien l’âge de l’intéressé au jour du premier renouvellement périodique de divers matériaux médicaux. Saisie, la Cour d’appel de Nîmes opte pour la première branche de l’option relativement à l’indemnisation des dépenses de santé futures. Elle est suivie par la Cour de cassation, qui ne recommande pas à proprement parler l’une ou l’autre méthode, et limite son office à un contrôle de motivation. La cour de considérer que les modalités de capitalisation les mieux à même d’assurer une réparation intégrale du dommage sans perte ni profit relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (points nos 12 et 14). La solution peut se recommander d’une simplification de l’existant, dont on ne saurait franchement dire toutefois si la victime en sort bien lotie. L’observance du principe sous étude, qui est posé en jurisprudence depuis 1942 (Cass. req., 24 mars 1942 : RTD civ. 1942, p. 289 , n° 12, obs. H. et L. Mazeaud) car c’est la date la plus proche de la réparation effective (V. F. Leduc, Fasc. 201, Régime de la réparation, Modalités de la réparation, § 59), présente un avantage : la victime est indemnisée une fois pour toute sans que le régleur ait matière à redire ex post (sans préjudice naturellement d’une action en indemnisation des chefs de préjudices nés de l’aggravation du dommage). La solution présente toutefois un inconvénient : les dommages-intérêts accordés en regard risquent de ne pas être suffisants le moment venu pour renouveler des aides techniques qui se sont améliorées entre temps et qui sont devenues très possiblement et par voie de conséquence plus onéreuses. Où l’on voit l’intérêt qu’il y aurait eu de retenir la date du renouvellement (v. not. F. Bibal et A. Guégan, L’évaluation du préjudice corporel, 22ème éd., LexisNexis, 2022, n° 234). A noter qu’une cassation aurait été encourue s’il avait été jugé que les frais futurs d’appareillage seraient remboursés au fur et à mesure de leur engagement (Civ. 1, 15 oct. 2014, n° 13-20.851 (2nd moyen), Resp. civ. et assur. janv. 2015, obs. S. Hocquet-Berg).

2.- La seconde question concerne l’âge de la victime proprement dit afin que l’argent soit placé à un certain taux pour que le crédirentier puisse en retirer à échéance une rente. A nouveau, une option à deux branches s’offre au régleur en cas de transaction et au juge dans le cas contraire pour calculer les droits à assistance par tierce personne : l’âge du crédirentier au jour de la liquidation du préjudice ou bien l’âge de l’intéressé au jour du prononcé de l’arrêt. La Cour d’appel de Nîmes opte pour la première branche. Son arrêt est cassé au visa du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. Il y a deux raisons à cela. D’une part, tandis que la victime au jour de la liquidation des chefs de préjudice avait 39 ans, les juges ont retenu, en application du barème publié en 2020 par la Gazette du palais, un prix de l’euro de rente viagère correspondant au taux retenu pour un homme âgé de 38 ans (prix retenu en première instance) : une possible erreur matérielle fait remarquer la Cour de cassation (point n° 18), qui est constitutive d’un écart de plusieurs milliers euros (en ce sens Ch. Quézel-Ambrunaz, Lexbase, 28 janv. 2025). D’autre part, et surtout, la victime avait atteint l’âge de 40 ans au jour de la décision : le prix de l’euro de rente viagère retenu était par voie de conséquence en infraction avec le principe directeur de l’article 1240 du Code civil. Il est rappelé en l’espèce que la capitalisation ne peut se faire que pour l’avenir. D’un point de vue conceptuel, il ne peut pas en être autrement : la capitalisation (à la différence de l’actualisation) suit un mouvement nécessairement prospectif (v. par ex. F. Bibal et A. Guégan, ouvrage précité, nos 223 et s. ; Ch. Quézel-Ambrunaz, Le droit du dommage corporel, 2ème éd., LGDJ 2023, n° 464). Il est à noter qu’une cassation aurait été également encourue si les juges du fond avaient retenu le jour de l’accident ou bien encore celui de la consolidation pour procéder aux opérations.

(Article publié in Responsabilité civile et assurance févr. 2025)