La possession: vue générale

Ainsi que l’écrivait le Doyen Carbonnier « les biens n’ont de sens que par rapport à l’homme »[1]. Autrement dit, le droit n’a pas vocation à appréhender les choses en tant que telles, soit indépendamment de l’utilité qu’elles procurent à l’homme ; il les envisage, bien au contraire, dans leur rapport exclusif avec lui.

Plus précisément, c’est l’appropriation dont les choses sont susceptibles de faire l’objet qui intéresse le droit.

Si cette appropriation s’exprime toujours par l’exercice par l’homme d’un pouvoir sur la chose, ce pouvoir peut être de deux ordres :

  • D’une part, il peut s’agir d’un pouvoir de fait : on parle alors de possession de la chose
  • D’autre part, il peut s’agir d’un pouvoir de droit : on parle alors de propriété de la chose

==> Distinction entre la possession et la propriété

Possession et propriété peuvent, en quelque sorte, être regardés comme les deux faces d’une même pièce.

  • La possession : un pouvoir de fait sur la chose
    • La possession est le pouvoir physique exercé sur une chose, de sorte qu’elle confère au possesseur une emprise matérielle sur elle.
    • À cet égard, pour le Doyen Cornu « le possesseur a la maîtrise effective de la chose possédée. Il la détient matériellement. Elle est entre ses mains. En sa puissance».
    • Ainsi, la possession est un fait, par opposition à la propriété qui est le droit, ce qui a conduit le Doyen Carbonnier à dire de la possession qu’elle est l’ombre de la propriété.
    • La possession n’est, toutefois, pas n’importe quel fait : elle est un fait juridique, soit un agissement auquel la loi attache des effets de droit.
    • Et la situation juridique ainsi créée est protégée en elle-même.
  • La propriété : un pouvoir de droit sur la chose
    • À la différence de la possession qui relève du fait, la propriété est le pouvoir de droit exercé sur une chose.
    • Par pouvoir de droit, il faut entendre la faculté pour le propriétaire d’user, de jouir et de disposer de la chose.
    • Ainsi, la propriété confère une plénitude de pouvoirs sur la chose, lesquels pouvoirs s’incarnent dans ce que l’on appelle le droit réel (« réel » vient du latin « res» : la chose).
    • Ce droit réel dont est titulaire le propriétaire est le plus complet de tous.
    • La raison en est que la propriété, en ce qu’elle procure au propriétaire l’ensemble des utilités de la chose, fonde la souveraineté qu’il exerce sur elle à l’exclusion de toute autre personne.
    • À la différence de la possession qui est susceptible, à tout instant, d’être remise en cause par le véritable propriétaire de la chose, la propriété confère au à son titulaire un droit – réel – dont il ne peut être privé par personne, sauf à faire l’objet d’une procédure d’expropriation, laquelle procédure est strictement encadrée par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

La plupart du temps, la propriété coïncide avec la possession, de sorte que le propriétaire qui est titulaire d’un droit réel sur la chose, exerce également sur elle une emprise physique.

Réciproquement, l’immense majorité des possesseurs exercent un pouvoir de fait sur la chose qui est corroboré par un titre, si bien que le fait est couvert par le droit.

Il est néanmoins des cas où la possession ne correspond pas à la propriété : il y a celui qui  exerce un pouvoir de fait sur la chose que tout le monde croit être le propriétaire et il y a celui qui est titulaire d’un titre de propriété mais qui n’a pas la maîtrise physique de la chose.

Cette situation, qui est de nature à troubler la paix sociale, doit être réglée. Pour ce faire, le droit part du postulat que, en général, le possesseur se confond avec le propriétaire, raison pour laquelle il fait produire des effets juridiques à la situation de fait qu’est la possession.

Tantôt les effets attachés à la possession permettront de rapporter la preuve du droit, tantôt ils opéreront acquisition du droit.

Dans les deux cas, la possession confère au possesseur une protection lui permettant de faire échec à une action en revendication exercée par le propriétaire de la chose. Encore faut-il néanmoins que cette possession soit caractérisée.

==> Théories de la possession

Deux théories s’opposent sur la possession :

  • La théorie subjective
    • Cette théorie a été développée, en 1803, par Savigny pour qui la possession se caractérise avant tout par l’état d’esprit du possesseur (animus), soit par sa volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose.
    • Pour cet auteur c’est cet élément psychologique, l’animo domini (l’esprit du maître), qui confère à celui qui exerce une emprise physique sur la chose la qualité de possesseur.
  • La théorie objective
    • Cette théorie a été pensée en 1865 par Jhering pour qui, l’état d’esprit est indifférent : ce qui importe c’est l’emprise matérielle exercée sur la chose (corpus).
    • Aussi, pour cet auteur la maîtrise physique de la chose suffit à établir la possession et donc à octroyer à celui qui détient le pouvoir de fait la protection possessoire
    • À cet égard, pour Jhering, cette protection possessoire emporte présomption de propriété, ce qui a pour conséquence de dispenser celui qui exerce son emprise sur la chose de prouver qu’elle est corroborée par un titre

À l’examen, le droit français a envisagé la possession en combinant ses deux théories : la qualité de possesseur tient tout autant à l’état d’esprit de celui qui se présente comme le propriétaire de la chose, qu’à l’emprise physique qu’il exerce sur la chose.

 

[1] J. Carbonnier, Droit civil – Les biens, éd. PUF, 2004, n°729, p.1636.

La clause pénale: régime juridique

L’aménagement conventionnel de la réparation – qui se distingue de l’aménagement de la responsabilité, puisqu’il ne porte que sur les effets de la responsabilité, même s’il peut avoir, en pratique, des effets semblables à une exonération de responsabilité – peut prendre deux formes :

  • Première forme
    • Il peut s’agir de clauses limitatives de réparation, se traduisant par une diminution du montant de la réparation.
  • Seconde forme
    • Il peut s’agir de clauses dites « pénales », par lesquelles les contractants évaluent forfaitairement et par avance les dommages et intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution totale ou partielle, ou d’exécution tardive du contrat.
    • Le forfait peut s’avérer soit plus élevé, soit plus faible que le préjudice résultant de l’inexécution de l’obligation.

Nous nous focaliserons ici sur la clause pénale.

?Notion

La clause pénale fait très souvent l’objet d’âpres discussions lors de la conclusion de contrats commerciaux. Et pour cause, c’est à ce moment précis de la négociation que les parties évoquent la question de la réparation du préjudice en cas de manquement contractuel du prestataire.

La clause pénale se définit comme la stipulation « par laquelle les parties déterminent, forfaitairement et d’avance, l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée »[1].

En stipulant une clause pénale, les contractants cherchent à anticiper les difficultés liées à l’évaluation judiciaire des dommages et intérêts en cas d’inexécution totale, partielle ou tardive d’une obligation contractuelle. L’évaluation peut, de la sorte, être inférieure au montant du préjudice effectivement subi. Elle présentera alors de nombreuses similitudes avec les clauses limitatives de responsabilité.

Mais elle peut également prévoir une indemnisation supérieure au dommage susceptible d’être occasionné ; ce en vue de mettre la pression sur le débiteur pour qu’il satisfasse, spontanément, à ses engagements. Elle s’apparentera en ce cas à une peine privée.

Bien que la stipulation de cette clause tende à concurrencer, voire empiéter, sur le monopole juridictionnel de l’État[2], elle n’en a pas moins toujours été admise en droit français.

Ainsi, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil abordait-il les clauses pénales, d’abord, de manière générale, à l’article 1152, puis, de façon plus spécifique, aux articles 1226 et suivants.

Elle est désormais régie à l’article 1231-5 qui simplifie et synthétise, en un seul texte, l’essentiel des dispositions des anciens articles 1226 à 1233 et 1152 relatifs aux clauses pénales.

?Nature

Parce que la clause pénale emprunte ses caractères à de nombreuses figures juridiques, les opinions divergent quant à sa nature.

Pour certains, elle serait une peine privée contractuelle[3]. Les partisans de cette thèse le justifient en soutenant, tout d’abord, que la fonction principale de la clause pénale consiste à contraindre le débiteur à satisfaire à ses obligations.

Ainsi se caractériserait-elle, essentiellement, par sa fonction comminatoire[4]. Or cette fonction est inhérente à la notion de peine.

Le deuxième argument – déterminant – avancé par les tenants de la thèse répressive consiste à dire que l’inexécution d’une obligation contractuelle suffit à déclencher l’application de la clause pénale.

Aussi, comme en matière de peine, sa mise en œuvre est indépendante de la caractérisation d’un préjudice. Enfin, si la clause pénale s’apparente à une peine privée cela s’explique par le fait que son montant est forfaitaire, de sorte que la gravité du manquement sanctionné est sans importance.

Dès lors qu’une inexécution est constatée, le débiteur doit s’acquitter de l’intégralité du montant prévu contractuellement par la clause. Bien que les arguments qui abondent dans le sens de la thèse répressive soient pour le moins séduisants, cette thèse ne fait pas l’unanimité.

Pour des auteurs tels que Demolombe, Josserand ou encore Philippe Le Tourneau, la clause pénale ne serait, en réalité, qu’une clause de dommages-intérêts. L’argument principal avancé repose sur l’ancien article 1229 du Code civil qui disposait que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale ».

Sa fonction principale serait donc la réparation ; une réparation qui viendrait se substituer à l’évaluation judiciaire. D’où la règle énoncée à l’alinéa 2 de l’article 1229, qui prévoyait que le bénéfice de la clause pénale ne peut pas se cumuler avec l’exécution de l’obligation principale.

Le principe de non-cumul posé par cette disposition démontrerait que la clause pénale a vocation à réparer et non à punir. Là encore, les arguments avancés au soutien de la thèse réparatrice sont extrêmement convaincants.

Les auteurs qui la soutiennent demeurent néanmoins minoritaires. Au surplus, la définition de la clause pénale posée par l’ancien article 1229 du Code civil n’a pas été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016, ce qui n’est pas, désormais, sans priver leur raisonnement de base légale.

À l’examen, la majorité des auteurs estiment que la vérité se situerait au milieu, soit entre la thèse répressive et la thèse réparatrice.

Autrement dit, la clause pénale revêtirait une nature hybride. La conjugaison de sa fonction comminatoire et réparatrice ferait d’elle, tout à la fois une peine privée et une clause de dommages-intérêts.

Pour justifier cette thèse il est avancé que, dans la mesure où le montant fixé conventionnement par les parties peut être inférieur ou supérieur au préjudice éprouvé par le créancier, la clause pénale s’apparenterait, tantôt à une clause limitative de responsabilité, tantôt à une peine privée. D’où sa nature hybride.

Au total, il apparaît que, tant les théories monistes, que la théorie dualiste sont séduisantes : chaque thèse a le mérite, en faisant ressortir un ou plusieurs traits saillants de la clause pénale, de lever un peu plus le voile sur sa nature.

À cet égard, nonobstant leurs divergences, ces thèses partagent toutes un point en commun : les auteurs admettent, en effet, unanimement que la clause pénale remplit une fonction réparatrice.

Et si, pour les partisans de la thèse répressive, cette fonction n’est qu’accessoire, elle n’en demeure pas moins pour eux une caractéristique de la clause pénale. Denis Mazeaud affirme en ce sens que « quand un préjudice a été causé par l’inexécution illicite imputable au débiteur, la peine fait accessoirement fonction de réparation »[5].

Elle remplit ainsi la même fonction que la responsabilité contractuelle, à la différence près, néanmoins, que la clause pénale vise, non pas à réparer le préjudice effectivement subi par le cocontractant, mais à allouer au créancier une indemnité de réparation forfaitaire.

?Le caractère forfaitaire de la clause pénale

L’article 1231-5 du Code civil prévoit que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. »

Il s’infère de cette disposition que la clause pénale présente un caractère forfaitaire, en ce sens que, en cas d’inexécution contractuelle, elle fera office d’indemnité de réparation indépendamment du montant du préjudice subi par le créancier.

L’enjeu pour les parties sera alors de fixer un montant de la clause pénale qui, d’une part, ne risque pas d’être révisé par le juge, parce qu’excessif, d’autre part, qui soit suffisamment élevé pour correspondre au préjudice qu’elle vise à réparer.

Conséquence, du caractère forfaitaire de la clause pénale, d’aucuns soutiennent qu’elle est libératoire.

?Le caractère libératoire de la clause pénale

Dans la pratique, il est un débat récurrent qui revient entre les parties : la clause pénale est-elle ou non libératoire ? L’enjeu de cette question ne saurait être mésestimé.

Dans l’hypothèse où elle le serait, le paiement de la pénalité par la partie qui a manqué à son obligation ferait purement et simplement obstacle à l’introduction postérieure, par le créancier, d’une action en responsabilité contractuelle devant les tribunaux.

À l’inverse, si l’on admettait que la clause pénale ne présente aucun caractère libératoire, cela signifierait que l’allocation de dommages et intérêts conventionnels pourrait se cumuler avec une indemnisation judiciaire. L’hésitation entre les deux thèses est permise.

D’un côté, lorsque la clause pénale stipule que le débiteur devra payer une indemnité en cas de retard dans l’exécution de sa prestation, elle se rapproche très fortement de l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte par le juge est indépendant de l’octroi au créancier de dommages et intérêts (Cass. 1ère civ., 28 fév. 1989, n°85-16.973).

D’un autre côté, la clause pénale vise à indemniser les conséquences d’un manquement à une obligation contractuelle. Il apparaîtrait dès lors troublant que le créancier puisse bénéficier d’une double indemnisation, avec le risque que le montant des dommages et intérêts cumulés soit supérieur à celui qui lui aurait été alloué judiciairement.

Reste que si la clause pénale se voit assigner, même accessoirement, une fonction réparatrice, il peut en être réduit qu’elle revêt, corrélativement, un caractère libératoire.

L’ancien article 1229 du Code civil prévoyait en ce sens que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts ». Par compensation il fallait comprendre que l’indemnité perçue par le créancier supplante l’indemnité réparatrice qui lui aurait été allouée par le juge.

À cet égard, on peut ainsi lire sous la plume d’éminents auteurs que « l’évaluation conventionnelle des dommages-intérêts est substituée à l’évaluation judiciaire qu’elle rend inutile »[6].

Par ailleurs, si la clause pénale n’était pas libératoire, rien ne la distinguerait de l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte peut se cumuler avec l’octroi de dommages et intérêts (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 28 fév. 1989, n°85-16.973).

L’application de la clause pénale ne saurait, en conséquence, se cumuler avec l’octroi d’une indemnisation judiciaire. La Cour de cassation abonde indirectement en ce sens lorsqu’elle admet qu’un cumul n’est possible que dans l’hypothèse où le préjudice dont la réparation est demandée est distinct de celui couvert par la clause (Cass. soc., 21 nov. 1978, n°76-41.060 ; Cass. com., 20 mai 1997, n°95-12.392).

Mieux, dans un arrêt du 14 juin 2006, la Cour de cassation a jugé que la clause pénale « constitue une évaluation forfaitaire et anticipée du montant du préjudice » (Cass. com. 14 juin 2016 n°15-12.734).

La solution ici dégagée par la Cour de cassation, qui ne laisse guère place au doute sur le caractère libératoire de la clause pénale, a été confirmée par l’ordonnance du 10 février 2016 qui précise à l’article 1231-5 du Code civil que cette clause vise à octroyer à cocontractant victime d’une inexécution contractuelle « une certaine somme à titre de dommages et intérêts ».

Si le créancier perçoit des dommages et intérêts du chef de l’application de la clause pénale, c’est que son préjudice a été réparé et que, par voie de conséquence, l’objet du litige potentiel susceptible de l’opposer au débiteur est épuisé.

Aussi, sera-t-il irrecevable à agir en responsabilité contractuelle une fois le montant de la clause pénale réglé. Encore faut-il que les conditions de mise en œuvre de la clause pénale soient réunies.

1. Les conditions de mise en œuvre de la clause pénale

a. Une inexécution contractuelle

La clause pénale vise à sanctionner une inexécution contractuelle, indépendamment du préjudice susceptible d’être causé au créancier.

L’inexécution donnant lieu à la mise en œuvre de la clause pénale doit néanmoins avoir été définie contractuellement pas les parties.

Autrement dit, il doit avoir été prévu, dans le contrat, le fait générateur qui ouvrira le droit au paiement de pénalités.

Quant à la nature de l’inexécution, elle peut consister, tant en un retard, qu’en l’absence de délivrance de la chose. Plus généralement elle consiste en la fourniture d’une prestation non conforme aux stipulations contractuelles.

À cet égard, il est indifférent que l’inexécution sanctionnée porte ou non sur une obligation essentielle : ce qui importe c’est que l’obligation en cause soit expressément visée par la clause pénale.

En cas de survenance d’une cause étrangère ayant pour effet d’empêcher le débiteur d’exécuter son obligation, la jurisprudence admet que le jeu de la clause pénale est neutralisé, sauf stipulation contraire (V. en ce sens Cass. req. 3 déc. 1890)

Ainsi, pour que les pénalités soient dues, l’inexécution contractuelle doit être imputable au débiteur.

Enfin, il convient d’observer que l’inexécution du contrat est une condition suffisante à la mise en œuvre de la clause pénale. Des pénalités pourront, dans ces conditions, être dues au créancier même en l’absence de préjudice (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 janv. 1994, n°91-19.540).

C’est là tout l’intérêt de la clause pénale, elle ne remplit pas seulement une fonction réparatrice : elle vise également à sanctionner une inexécution contractuelle.

b. La mise en demeure du débiteur

L’article 1231-5 du Code civil dispose que « sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. »

Ainsi, la mise en œuvre de la clause pénale suppose, au préalable, la mise en demeure de la clause pénale, faute de quoi les pénalités ne sont pas dues.

Cette exigence est directement reprise de l’ancien article 1230 du Code civil qui prévoyait que « soit que l’obligation primitive contienne, soit qu’elle ne contienne pas un terme dans lequel elle doive être accomplie, la peine n’est encourue que lorsque celui qui s’est obligé soit à livrer, soit à prendre, soit à faire, est en demeure. »

Si la mise en demeure est la règle, le créancier en sera dispensé lorsque l’inexécution de l’obligation est définitive, soit lorsque le débiteur ne sera pas en mesure de surmonter son retard. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il a failli à son obligation d’acheminer au pli avant une date butoir.

En tout état de cause, dans les cas où elle est exigée, la mise en demeure devra être adressée au débiteur selon les formes prévues aux articles 1344 et suivants du Code civil.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution d’une obligation vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de tenir en échec la demande d’application de la clause pénale formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

2. La révision judiciaire de la clause pénale

Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si le montant de la clause pénale était susceptible de faire l’objet d’une révision par le juge lorsque le préjudice effectivement subi par le créancier ne correspond pas au montant des pénalités dues.

  • D’un côté, il a été avancé que l’exercice de ce pouvoir de révision par le juge est justifié lorsque le montant de clause pénale est manifestement excessif.
  • D’un autre côté, il est fait interdiction au juge de modifier les prévisions des parties, sauf pour les cas de contrariété d’une clause à l’ordre public

En réaction à la jurisprudence qui avait refusé d’annuler les clauses pénales dont le montant était excessif au motif qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les relations contractuelles des parties, le législateur lui a reconnu ce pouvoir par l’adoption de la loi du 9 juillet 1975.

Il était ainsi prévu à l’ancien article 1152, al. 2 du Code civil que « le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. »

Ce pouvoir de révision de la clause pénale octroyé au juge a été confirmé par l’ordonnance du 10 février 2016 qui a repris, dans les mêmes termes, à l’article 1231-5, al. 2 du Code civil, le second alinéa de l’ancien article 1152.

Ainsi, la révision de la clause pénale doit demeurer exceptionnelle : ce n’est que dans l’hypothèse où l’écart entre le préjudice subi et le montant des pénalités dues est manifestement excessif que la clause peut être révisée.

Cette révision peut conduire le juge, tant à augmenter le montant de la clause, qu’à le diminuer, ce qui sera le plus souvent le cas.

Il doit donc se livrer à une sorte de contrôle de proportionnalité, étant précisé qu’il est interdit au juge de se référer, tant au comportement du débiteur (V. en ce sens Cass. com. 11 févr. 1997, n°95-10.851), qu’à sa situation financière (Cass. 1ère civ., 14 nov. 1995, n°94-04.008).

Le juge n’est autorisé à apprécier le caractère excessif du montant de la clause qu’au regard du préjudice effectivement subi par le créancier. À cet égard, la jurisprudence admet qu’il puisse se faire assister d’un expert (Cass. 3e civ., 13 nov. 2003, n°01-12.646).

Dans l’hypothèse où le juge estime que la clause est manifestement excessive, aucune obligation ne lui est faite de ramener son montant au niveau du préjudice subi par le créancier.

Par ailleurs, dans un arrêt du 24 juillet 1978, la Cour de cassation a précisé que s’« ‘il appartient aux juges du fond, souverains dans l’appréciation du préjudice subi par le créancier, de fixer librement le montant de l’indemnité résultant de l’application d’une clause pénale dès lors qu’ils l’estiment manifestement excessive », ils ne peuvent toutefois pas « allouer une somme inférieure au montant du dommage » (Cass. 1ère civ. 24 juill. 1978, n°77-11.170).

Il existe donc un seuil qui s’impose au juge – le montant du préjudice subi par le créancier – en deçà duquel les pénalités dues ne peuvent pas être réduites.

Les solutions ci-dessus énoncées valent non seulement en cas d’inexécution totale de l’obligation sanctionnée par la clause pénale, mais également en cas d’inexécution partielle.

L’alinéa 3 de l’article 1231-5, qui lui reprend les termes de l’ancien article 1231, dispose en ce sens que « lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent. »

  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

Le mandat : vue générale et théorie générale

Définition.- Contrat de services, contrat d’intermédiaire, le mandat est une convention « aux mille visages » (Fr. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque). C’est « un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom » (art. 1984 c.civ.). Au sens le plus large, le mandat est un « contrat par lequel on commet le soin d’une affaire à quelqu’un qui s’en charge » (Littré). Une définition plus juridique, et plus restrictive, est proposée par le Vocabulaire juridique : « acte par lequel une personne donne à une autre de faire quelque chose pour elle et en son nom. Plus spécifiquement, le mandat est un contrat révocable au gré du mandant par lequel celui-ci confère à une personne, qui en accepte la charge, le pouvoir et la mission d’accomplir pour elle et en son nom, à titre de représentant, un acte juridique ». Malgré ces précisions, le contrat de mandat reste « un mystère ». De quel « acte juridique » est-il question ? Quel est ce « quelque chose » que la personne du mandant donne pouvoir à une autre de faire ?

L’interprétation littérale de l’article 1984 c.civ. présente le mandat comme une opération réalisée en deux temps : un acte par lequel le mandant donne “pouvoir” ; en vue de “faire quelque chose.

Acte par lequel une personne donne […] le pouvoir.- Le Code civil ne fait pas référence à l’existence d’un contrat. Il paraît donc pas exclure l’existence de mandats non conventionnels tels que les “mandats légaux” (ex. celui des parents relativement aux biens de l’enfant mineur – art. 382 c.civ.) ou judiciaires (ex. celui des administrateurs  – art. L. 811-1 c.com. – ou celui des mandataires judiciaires – art. L. 812-1 c.com. – relativement aux entreprises en difficulté). Cependant, la source légale du mandat n’exclut pas toujours la formation in fine d’un véritable contrat (voy. par ex. arts. 408, 815-3, 1432 c.civ.). En tout état de cause, la majorité de la doctrine entend le mandat comme un contrat de représentation.

De faire quelque chose.- La personne du mandant donne pouvoir au mandataire de “faire quelque chose”. La formule est ambiguë. Elle pourrait donner à penser que le mandat se caractérise par l’accomplissement d’actes quelconque, même matériels, rendant alors la distinction avec le contrat d’entreprise problématique (voy. l’article intitulé “Le contrat d’entreprise – vue générale”). À dire vrai, l’article 1984 c.civ. signifie seulement que le mandat fait naître une obligation de faire. Reste à déterminer quelle est la nature de l’acte à accomplir. En général, il est entendu en doctrine que le mandat se définit comme le pouvoir d’effectuer des actes juridiques. Ces actes juridiques peuvent être de différentes natures. Il peut s’agir d’actes unilatéraux (payer, donner congé, renoncer, confirmer, formuler une demande en justice ou administrative, publier une hypothèque), d’actes collectifs (constituer une société ou une association) ou de contrats. Selon l’opinion dominante, sans acte(s) juridique(s), il ne paraît pas possible de qualifier l’acte de contrat de mandat. Ce n’est pas dire qu’un mandataire est interdit d’effectuer certains actes matériels. Il en va ainsi de l’activité des sociétés de ventes volontaires meubles aux enchères publiques (https://www.conseildesventes.fr). L’important c’est que ces derniers actes restent accessoires.

Acte juridique.- On peut s’interroger sur l’opportunité qu’il y a à faire de l’accomplissement d’actes juridiques un critère du mandat. Cet abandon aurait le mérite de simplifier la situation. Certains actes sont, par exemple, difficiles à cataloguer. Ainsi du paiement qui est tantôt un acte juridique, tantôt un fait juridique en fonction de l’obligation dont il entraîne l’extinction (G. Loiseau, Réflexion sur la nature juridique du paiement : JCP G 2006, I, 171). Même difficulté de qualification juridique de l’acte de réception de marchandises (voy. not. l’article « Le contrat d’entreprise : les obligations du client »). En outre, dans de nombreux cas, le mandataire effectue à la fois des actes juridiques et des actes matériels sans que le critère de l’accessoire ne soit opératoire. Ex. :  L’architecte qui conclut des marchés et dirige les travaux. Le transporteur qui déplace la marchandise et réclame le paiement au destinataire. Autre ex. : Le courtier ne peut pas, en principe, accomplir des actes juridiques pour son client car il se limite au rapprochement des parties sans conclure l’acte qu’elles passeront elles-mêmes. Pourtant, la Cour de cassation n’exclut pas la qualification de mandat dans certaines hypothèses (V. par exemple, Cass. com., 13 mai 2003 : Bull. civ. 2003, IV, n° 82 ; RTD civ. 2003, p. 727, n° 5, obs. P.-Y. Gautier). Par ailleurs, il n’est pas facile de dire avec précision ce qui différencie un acte juridique d’un acte matériel (V. L. Mayer, Actes du procès et théorie de l’acte juridique, thèse dactylographiée : Paris I, 2007, n° 153 et s. qui raisonne en deux temps afin de tenter, tout d’abord, une distinction entre fait juridique et acte matériel, puis entre acte matériel et acte juridique). Est-ce qu’il faut entendre acte matériel comme synonyme de fait juridique ? Au sein même de l’article 1984 c.civ., il n’est pas expressément question d’un acte juridique (même si les exemples des articles 1988 et 1989 c.civ. concernent des actes juridiques) mais de “faire quelque chose” pour autrui. Quant à la représentation conventionnelle, est-elle déterminante ? Il y a matière à hésitation. C’est que, à l’origine, cette notion n’était pas au cœur du contrat de mandat ?

Évolution contemporaine du mandat.- Le mandat a évolué sous plusieurs aspects. Il est, tout d’abord, l’objet d’une diversification. Le mandat est un “contrat vivant”. Il est au cœur de la vie des affaires de la vie familiale, de la vie des personnes, de la vie intellectuelle, de la vie judiciaire…

Il est, ensuite, l’objet d’une professionnalisation. Autrefois contrat à titre gratuit, conclu dans le contexte amical ou familial, il devient désormais un acte à titre onéreux. Des agents de toute sorte, régis par un ensemble de dispositions spéciales, concluent désormais des mandats rémunérés. Que l’on songe aux agents de voyages, aux agents d’assurance, aux agents immobiliers, aux agents commerciaux, aux agents artistiques, aux agents de publicité ; autant d’exemples qui illustrent la construction de “l’agency” à la française. L’agent d’affaires est aujourd’hui l’archétype du mandat professionnel. Cette professionnalisation est étroitement liée au développement du monde des services et du pôle tertiaire de notre économie. L’une des singularités de ces agents est qu’ils agissent parfois au nom et toujours pour le compte d’autrui, tout en conservant une part d’indépendance, amenant une partie de la doctrine à défendre une notion nouvelle d’intermédiation (V. not. N. Dissaux, La qualification d’intermédiaire dans les relations contractuelles, préf. Chr. Jamin, t. 485 : LGDJ, 2007). Cette indépendance justifie qu’ils accomplissent tant des actes juridiques, considérés par la doctrine majoritaire et la jurisprudence de la Cour de cassation comme la caractéristique du mandat, que des actes matériels, généralement perçus comme extérieurs au mandat. Petit contrat à l’origine, il est devenu « un grand » parmi les grands (l’un des deux grands selon le professeur le Tourneau). Il ne faut pas croire pour autant que le mandat de bienfaisance a disparu de notre droit. Au contraire, il connaît, comme un mouvement de balancier, un regain d’intérêt dans les législations les plus récentes. On pense au mandat donné à une personne de confiance en matière médicale (art. L. 1111-6 c. santé publ.) ou, dans une certaine mesure, au mandat de protection future (art. 477 c.civ.). Enfin, le mandat devient un “contrat à tout faire” (Ph. le Tourneau), en ce sens qu’il est souvent à l’appui d’autres conventions dont il permet la conclusion ou l’exécution. Il est en quelque sorte une matrice contractuelle. Les pools bancaires, l’ingénierie financière sont autant d’exemples du mandat “accessoire d’une opération juridique complexe” (D. Rambure-Barathon, Le mandat, accessoire d’une opération juridique complexe : Thèse Paris I, Dactyl., 1981). Le succès économique du mandat est à l’origine de certains excès terminologiques. Le législateur est ainsi tenté de voir du mandat partout au détriment de la rigueur juridique (exemple “mandat pur et simple de payer une somme déterminée” pour la lettre de change et le chèque alors qu’il ne s’agit que d’un ordre de payement ; promoteur immobilier qualifié de mandat d’intérêt commun (art. 1831-1 c.civ.) alors que son régime semble bien plus complexe).

Droit comparé du mandat.- Le mandat appartient, dans le droit de common law, à la théorie de l’agency. Il s’agit d’une opération à trois personnes comprenant “the principal” (mandant), “the agent” (mandataire) et “the third” parties (les tiers). The law of agency est beaucoup plus étendu que le droit français de la représentation. Le droit anglais, réticent à l’idée de définir ne donne aucune définition de l’agency. L’idée est la suivante : “Il y a agency lorsqu’un mandant (principal) donne pouvoir (authority) à un mandataire (agent) d’agir activement et notamment de passer des contrats au nom du mandant avec des tiers (third parties)” (O. Moréteau). Le mandataire, comme en droit français, s’efface derrière la personne du mandant. Il n’est qu’un intermédiaire. Cependant, sa responsabilité peut être engagée soit par le mandant, soit par les tiers.

La doctrine allemande a progressivement distingué le mandat de la représentation. La représentation est un mécanisme d’imputation des actes (Vertretung) alors que la relation contractuelle entre les parties est un comportement humain (Grundverhältnis). Pour en convaincre, le mandat (Auftrag) est traité dans le BGB au § 662 comme la gestion gratuite d’une affaire (unentgeltliche Geschäftsbesorgung). Malgré quelques incohérences, le critère du mandat semble être, comme en droit romain, la gratuité (C. Witz, op. cit., n° 25 et s.). La représentation est quant à elle régie par les § 164 à 181 du BGB (Titre V du Livre I). Lorsque la source n’est pas légale mais découle d’un acte juridique, deux types d’actes sont distingués : celui par lequel est confié au mandataire le soin de représenter le mandant ; celui par lequel le mandataire exécute le mandat (§ 164 Effet de la déclaration du représentant (1) “Toute déclaration de volonté faite par une personne, dans les limites de son pouvoir de représentation, au nom du représenté, produit directement ses effets au profit et à l’encontre du représenté. Il est sans importance que la déclaration soit faite expressément au nom du représenté ou qu’il résulte des circonstances qu’elle doit être faite en son nom”, trad. F. Sturm, éditions Jupiter. – V. déjà, R. von Jhering, De la coopération aux actes juridiques d’autrui, trad. A. Meulenaere : in Etudes complémentaires de l’Esprit du droit romain, étude n° VI, p. 113). Le droit allemand distingue ainsi le rapport interne (Grundverhältnis), acte par lequel est octroyé le pouvoir de représentation, et le rapport externe (Aussenverhältnis), qui renvoie à l’opération que doit accomplir le représentant à l’égard du tiers (sur cette distinction, K. Larenz et M. Wolf, Allgemeiner Teil des Bürgerlichen Rechts : Beck, 8e éd. 1997, AT, § 47, n° 13 et s. – H. Brox, Allgemeiner Teil des Burgerlichen Gesetzbuchs : Carl Heymanns Verlag, 27e éd. 2003, AT, n° 51. En français, V. M. Pédamon, Le contrat en droit allemand : LGDJ, 2e éd. 2004, spéc. n° 98 et s., p. 74 et s. – C. Witz, Droit privé allemand : Litec, 1992, n° 509 et s., p. 393 et s.).

Cela emporte trois séries de conséquences. Tout d’abord, le mandat est un lien contractuel entre les parties indépendant de la représentation. Il est donc possible qu’il y ait représentation avec un lien contractuel autre que le mandat tel qu’un louage de service (contrat de travail) ou un louage d’ouvrage (contrat d’entreprise). Ensuite, le contrat de mandat et la représentation ont des domaines distincts. Le débiteur peut être tenu d’une obligation de faire des actes juridiques et matériels. Seuls les actes juridiques engageront le créancier. Enfin, pour déterminer l’étendue du pouvoir du représentant, il ne faut pas avoir égard à la relation contractuelle mais à l’acte par lequel on établit la représentation (sur ces trois points, Ph. Didier, De la représentation en droit privé, Préf. Y. Lequette, t. 339 : LGDJ, n° 63, p. 41).

Cette façon de raisonner va influencer le Code suisse des obligations de 1911 (P. Engel, Contrats de droit suisse : Ed. Staempfli, 1992, Berne, p. 446 et s. – M. Mustafa, La distinction du mandat et du contrat d’entreprise en droit suisse : Thèse Genève, 1958). Au départ, le mandat est défini de manière négative comme un contrat portant sur un service ou une affaire qui n’est ni un louage d’ouvrage ni un louage de service (P. Engel, op. cit., p. 446). La représentation est régie par les articles 32 et suivants du Code des obligations suivant en cela les réflexions du droit allemand. Une distinction est ainsi réalisée entre la relation juridique qui existe entre le représenté et le représentant, par laquelle on détermine les droits et les obligations de chaque partie, et la procuration au sens propre qui précise “si et dans quelle mesure les actes accomplis par le [représentant] au nom [du représenté] sont opposables à ce dernier” (P. Engel, Traité des obligations en droit suisse : éd. Ides et calendes, 1973, p. 79).

La même séparation existe en droit italien. Le Code civil italien (1942) distingue le mandat et la représentation. L’article 1703 définit le mandat par l’obligation pour le mandataire de faire des actes juridiques pour le compte d’autrui. Pour savoir s’il y a lieu et dans quelle mesure il y a lieu d’imputer ces actes sur le mandant, il faut se référer à l’existence d’un pouvoir de représentation régi par les articles 1387 et suivants du Code civil.

En droit français, en revanche et de manière paradoxale, les relations qui naissent entre tous les acteurs juridiques du mandat (mandant, mandataire et tiers) sont conçues comme formant un ensemble (sur la comparaison du modèle français et du modèle allemand, M. Storck, Essai sur le mécanisme de la représentation dans les actes juridiques : LGDJ, 1982, spéc. n° 320 et s.). Pourtant une distinction entre relation interne et relation externe figure, en filigrane, dans les principes du droit européen du contrat (Pedc). En effet, l’article 3 : 101 Pedc dispose que “le présent chapitre (chapitre 3 : pouvoir de représentation) régit le pouvoir d’un représentant ou d’un autre intermédiaire d’obliger le représenté en vertu d’un contrat avec un tiers”. C’est ainsi l’acte de représentation qui est ici encadré, moins que le contrat de mandat (V. not. G. Rouhette avec le concours de I. De Lambertie, D. Tallon et Cl. Witz, Principes du droit européen du contrat : Société de législation comparée, 1998, spéc. p. 157 et s.). Les PDEC distinguent la représentation directe (art. 3 : 102 [1]) lorsque le représentant agit au nom du représenté, et la représentation indirecte (art. 3 : 102 [2]) lorsqu'”un intermédiaire agit sur les instructions et pour le compte, mais non au nom d’un représenté”. Dans ce deuxième cas, seul “l’intermédiaire” est engagé par ses actes. Cette distinction entre les deux formes de représentation n’est pas reprise, formellement du moins, dans les principes Unidroit, ni dans l’avant-projet de Code européen des contrats ou dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription. En outre, le projet de cadre commun de référence supprime cette distinction qu’il juge inutile (pour une étude d’ensemble, B. Fauvarque-Cosson et D. Mazeaud [dir.], Projet de cadre commun de référence. Principes contractuels communs, Association Henri Capitant et Société de Législation Comparée, vol. 7 : éd. Société de législation comparée, 2008, spéc. p. 285 et s.).

Le critère douteux du mandat (la représentation).- La notion de représentation est au cœur du débat et du contentieux relatifs au mandat. Il convient, en premier lieu, de relativiser la représentation comme critère du mandat, afin, en deuxième lieu, de pouvoir concevoir l’existence de mandats sans représentation.

Le critère du contrat de mandat ?

La notion de représentation – La représentation recouvre, dès les origines, une connotation religieuse. Est-il possible de représenter Dieu ? (sur cette question, V. Deroche, Entre Rome et l’Islam. Les Chrétiens d’Orient : Sedes, 1996, spéc. p. 214 et s.). Prohibée par la religion musulmane, la représentation de Dieu est perçue comme une nécessité par les Chrétiens. “Elle est nécessaire car seule la représentation permet d’exprimer le mystère de l’incarnation alors que le langage humain ne le peut pas” (Ph. Didier, De la représentation en droit privé, Préf. Y. Lequette, t. 339 : LGDJ, n° 1, p. 2). Il y aurait ainsi une part de magie dans la représentation (V. G. Gurvitch, La magie et le droit, Préf. Fr. Terré : rééd. Dalloz, 2004).

Sur le plan étymologique, la représentation a pour racine latine repraesentare qui signifie l’action de mettre la chose sous les yeux de l’observateur (Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, V° Représentation). La représentation consiste donc à rendre présent. L’étymologie ne doit pas dissimuler la polysémie du mot. Le Littré ne relève pas moins de 18 sens (sur cette polysémie, V. Ph. Didier, th. préc., n° 3 et s., p. 2 et s.). À l’égard du contrat de mandat, la définition de la représentation qui importe est celle qui se présente comme le fruit d’une évolution historique. Représenter c’est l’action de faire un acte au nom et pour le compte d’autrui, en vertu d’un pouvoir.

Dès le départ, la doctrine a adopté une conception restrictive de la représentation en niant quasiment le rôle du représentant (V. not. le tribun Tarrible : “la personne du mandataire disparaît comme un échafaudage devenu inutile après la construction de l’édifice” : Jurispr. Gén. Dalloz, V° Mandat, travaux préparatoires, n° 15). La représentation, dont le modèle est le mandat, repose entièrement sur la personne du mandant dont le mandataire, transparent, ne fait qu’exprimer la volonté (J.-B. Duvergier, t. IV, n° 272 : “Lorsque [le mandataire] accomplit la mission qu’il a reçue, ce n’est pas lui qui agit, c’est le mandant”). Cette conception volontariste voire robinsoniste de la représentation (E. Gaillard, La représentation et ses idéologies en droit privé français, in La représentation : Revue Droits, n° 6, 1987, p. 91 et s., spéc. p. 93. – Ph. Didier, th. préc., n° 10, p. 6), a dû être tempérée lorsque la personne représentée est incapable de manifester une telle volonté. Certains auteurs tels que G. Ripert et J. Boulanger ont alors tenté de proposer deux formes de représentation : une première qui aurait pour objet la volonté du représenté ; une seconde ayant pour objet l’intérêt du représenté (G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, t. II, Obligations, droits réels : LGDJ, 1957, n° 214). Malgré les critiques que l’on peut formuler à l’encontre d’une telle distinction, dès les origines les débats doctrinaux se concentrent sur ce nœud gordien de la représentation et ce, plus spécialement, en matière conventionnelle.

La représentation est présentée, à l’époque de J.-B. Duvergier et encore de nos jours, comme un élément déterminant du mandat. Cependant, une fois ce postulat posé, il est difficile de déterminer la place qu’il convient de lui attribuer. S’agit-il d’un élément essentiel, naturel ou accidentel. Essentiel, il serait impossible de concevoir un mandat sans représentation. Naturel, le mandat est toujours présumé reposer sur ce mécanisme de représentation mais il peut parfois faire défaut. Accidentel, il dépendrait entièrement des stipulations contractuelles. En somme, si le mandat est difficile à appréhender, c’est en raison de la complexité même du mécanisme de représentation. Un rapide rappel historique s’impose.

Élément essentiel ou naturel ? – À l’origine, la représentation n’était pas un élément essentiel du mandat mais un élément naturel. Les premiers signes du mandat apparaissent à Rome sous le nom de procurator. Le pater familias se faisait aider de ses esclaves dans la gestion de ses affaires. Devant l’absence plus fréquente du pater familias, cette aide devint plus fréquente en contrepartie de quoi les esclaves, ayant bien géré les affaires du pater familias, devenaient des affranchis tout en continuant à rester dans la famille où ils continuaient leur gestion. Progressivement, cette pratique s’est banalisée et les familles ont fait appel à des affranchis extérieurs. Se met alors en place un mécanisme de remplacement appelé la procuratio sanctionnée par une actio negotiorum gestorum (G. Le Bras, L’évolution générale du procurateur en droit privé romain des origines au IIIe siècle : Thèse, Paris, 1922, spéc. p. 30 et s.). Le procurator est un administrateur général des biens d’autrui qui est rémunéré en nature ou en espèce (J.-H. Michel, Quelques observations sur l’évolution du procurator en droit romain, in Mélanges Macqueron : Université Aix-Marseille, 1970, p. 519 et s.). La procuratio a étendu son champ d’application avec l’apparition d’une procuratio ad litem puis d’une procuratio spéciale et non plus d’administration générale.

C’est par la suite qu’est apparu le contrat de mandat. À l’opposé de la procuratio, le mandat était au départ pourvu d’un objet spécial (R. Monier, Manuel de droit romain, 5e éd. 1954, réimpression 1970, t. II, p. 181 et s.) pour, ensuite, voir son objet s’élargir. Dès cette époque, procuratio et mandat se rapprochent pour finalement être confondus au sein du Code Justinien (A. Watson, Contract of mandate in Roman law, Oxford, 1961, p. 60 et s.).

On perçoit à travers l’objet du mandat la grande hétérogénéité du concept à l’époque romaine. On a l’impression d’un contrat fourre-tout. Tout est susceptible d’être l’objet d’un mandat : déposer des vêtements à laver, accompagner quelqu’un en un lieu indiqué, réparer une chose. Le mandat ne peut être conçu à l’époque que comme le fait de confier “quelque chose à faire” (P.-F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain : par F. Senn, 8e éd. 1929, p. 618). Il s’agit d’un “service” (A.-E. Giffard et R. Villers, Droit romain et ancien droit français [Obligations] : Précis Dalloz, 4e éd. 1976, n° 131). Difficile à ce titre de distinguer le mandat du louage si ce n’est en soulignant le caractère essentiellement gratuit du mandat (C. Giverdon, L’évolution du contrat de mandat : thèse Paris, 1947, n° 61 et s., p. 41 et s.). Cependant, non seulement cette gratuité à l’époque romaine est discutable (Ph. Didier, th. préc., n° 48 et s., p. 32 et s.) mais en outre, avec l’évolution de la société française, la gratuité devient naturelle et non plus essentielle (Ph. Le Tourneau, De l’évolution…, op. cit., spéc. p. 157).

En définitive, conclure un mandat à l’époque romaine revient à confier une mission à quelqu’un sans qu’une relation avec un tiers soit nécessaire, même si elle est possible. Surtout, peu importe les moyens mis en oeuvre, actes matériels ou actes juridiques, ce qui importe est le but assigné au mandataire.

Quant à la représentation, c’est-à-dire le pouvoir d’engager autrui, elle faisait défaut en tant que telle à Rome. On la retrouve sous la forme limitée d’une double action en justice attribuée au tiers contre le “représentant” (fils ou esclave) et contre le “représenté” (le paterfamilias) (P.-F. Girard, op. cit., p. 709 et s.). Mais il ne s’agit pas encore d’une véritable représentation car le fils ou l’esclave est personnellement engagé. Sous l’Ancien régime, le mandat disparaît. Reste uniquement la procuration, spécialement en justice, dans la pratique médiévale (J.-L. Gazzaniga, Mandat et représentation dans l’ancien droit, in La représentation : Revue Droits, p. 21 et s., spéc. p. 23). Cette procuration en justice, d’abord exceptionnelle, s’étend pour devenir le principe tout en restant dépourvue de toute représentation (J. Brissaud, Manuel d’histoire du droit français : Paris, 1904, p. 1446 et s.).

Il faut attendre les post-glossateurs, avec notamment Bartole, pour que la représentation trouve toute sa place dans le mandat. En élargissant l’objet du mandat, il se rapproche de la procuration et s’échappe progressivement du modèle romain (F. Cagninacci, Le mandat dans la doctrine française de l’Ancien Régime XIIIe-XVIII : Thèse Nancy, 1959, p. 163 et s.). Bartole lance l’idée d’un mandat avec représentation. Cette idée est réceptionnée, en France, par un arrêt du Parlement de Paris en 1551 (L.-E. Barthélémy, Du mandat en droit romain et en droit civil français : Thèse Toulouse, 1886, p. 122). Ce mécanisme gagne, tout d’abord, le procès avec le mandat ad litem pour être, par la suite, généralisé à tous les mandats. Désormais le principe est inversé. Le mandataire ne s’engage plus en principe personnellement. Il y a dans le mandat une représentation de principe dès le 16e siècle.

Reste à savoir si la représentation est devenue à cette époque un élément essentiel. À l’analyse des définitions proposées par Domat et Pothier (J. Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel : t. XV, sect. 1, § 1 : la procuration est “l’acte par lequel celui qui ne peut vaquer lui-même à ses affaires donne pouvoir à un autre de le faire pour lui, comme s’il était présent : soit qu’il faille simplement gérer, et prendre soin de quelque biens ou de quelque affaire, ou que ce soit pour traiter avec d’autres” ; Pothier, Traité du mandat, 1781, article préliminaire : le mandat [qu’il différencie de la gestion d’affaire uniquement en ce qu’elle ne serait pas un contrat] est le contrat par “lequel l’un des contractants confie la gestion d’une ou de plusieurs affaires pour la faire en sa place et à ses risques, à l’autre contractant qui s’en charge gratuitement et s’oblige à lui rendre compte”), la représentation n’est pas de l’essence du mandat. Elle n’en est qu’un élément naturel.

En conclusion, à la veille du Code civil, tout mandat ne suppose pas représentation.

Dès le 19e siècle, la représentation passe du statut d’élément naturel à celui d’élément essentiel (sur le rapprochement des techniques sous la forme d’une attraction, V. R. Perrot, De l’influence de la technique sur le but des institutions juridiques : Thèse Paris, Sirey, 1947, spéc. n° 28, p. 45 et 46). Ce faisant, le droit français est à contre-courant de l’ensemble de ses voisins européens qui, à la même époque, distinguent sous l’influence du droit allemand le mandat et la représentation (V. supra).

Dans les premiers projets de Cambacérès, la représentation est négligée au profit de la gestion des affaires d’autrui qui se présente comme l’élément central du contrat de mandat (A. Fenet, t. I, p. 92, art. 12 ; p. 135, art. 261 ; p. 319, art. 1063 ; p. 136). Inspiré des réflexions de Domat et Pothier, l’article 1984 c.civ. dispose que “le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandat et en son nom. Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire”. Les termes de cette disposition laissent entendre qu’aucune distinction n’est opérée entre mandat et représentation. Pourtant, dans la présentation que faisait le tribun Tarrible du projet, où les mêmes termes y figuraient, il précisait que “le mandat a fréquemment pour objet des traités avec des tierces personnes”, ce qui signifie, a contrario, pas exclusivement (A. Fenet, t. XIV, p. 602. Sur cette remarque, V. Ph. Didier, th. préc., n° 73, p. 46 et s. qui souligne l’influence dans la rédaction du Code civil Prussien de 1794). Les premiers commentateurs du Code civil, fidèles à Pothier, vont assimiler représentation et mandat (Merlin de Douai, Répertoire de Jurisprudence : 4e éd., t. 8, 1813, V° Notaires, § VI, p. 631) et la Cour de cassation dans un arrêt de la Chambre civile du 27 janvier 1812 est également en ce sens (Cass. civ., 27 janv. 1812 : Journal des audiences 1812, p. 216, aff. Anjubault).

La doctrine moderne se compose de deux clans. Le premier, mené par les idées dites révolutionnaires de J.-B. Duvergier (J.-B. Duvergier, Le droit civil français suivant l’ordre du Code, t. 19 du traité de Toullier, t. 4 de la continuation : Paris, 1837, n° 270 et s., p. 307 et s.), relayé par la suite par Ch. Aubry et Ch. Rau, fait de la représentation le critère moderne du mandat (C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, t. 3, 3e éd. 1856, § 344 et s.). Selon J.-B. Duvergier, « celui qui loue son travail, agit en son nom ; les actes qu’il fait émanent de sa volonté et de sa capacité personnelle. Au contraire, le mandataire agit au nom du mandant ; c’est la capacité et la volonté du mandant qui donnent force et effet à ses actes » (J.-B. Duvergier, op. cit., n° 272, p. 313). Les soubassements volontaristes de cette explication moderne sont manifestes (V. E. Gaillard, La représentation et ses idéologies…, op. cit., spéc. p. 93 et 94 : “tout entière construite sur le modèle du mandat et de la représentation volontaire, la représentation efface la volonté du représentant, conçu comme un simple exécutant, et magnifie la volonté, réelle ou supposée, du représenté, seul sujet de droits subjectifs et seul personnage conçu dans la permanence par le droit privé français classique”).

L’autre clan persiste à faire reposer le critère du mandat sur la nature des faits qui en sont l’objet, le mandat appartenant à l’ordre non marchand (sur les critiques formulées contre J.-B. Duvergier, M. Troplong, Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du Code. De l’échange et du louage, t. 2 : 3e éd. 1859, n° 805 et s.). Les arts libéraux insusceptibles d’évaluation en argent sont l’objet d’un mandat à la différence des arts mécaniques (en ce sens, M. Troplong, Ibid, n° 792 et s.).

La doctrine dite paradoxalement “moderne” l’emporte (J. Valéry, Des caractères distinctifs du contrat de mandat dans le Code civil : Thèse Aix-Marseille, 1898, p. 57 et s., qui reprend la démonstration de J.-B. Duvergier ; adde, Fr. Laurent, Principes de droit civil français, t. 27, Bruxelles : 2e éd. 1877, n° 334, p. 376) avec le soutien de la jurisprudence. Par un arrêt de principe du 14 avril 1886 la Cour de cassation prend le parti de l’École dite moderne. Au fondement de l’article 1984 du Code civil, elle a jugé que : “le caractère essentiel de ce contrat [le mandat] consiste dans le pouvoir donné au mandataire de représenter le mandant […]”. La représentation est alors sacralisée comme critère du mandat.

La conclusion de M. Ph. Didier est alors éclairante : “En reprenant l’évolution du mandat, on mesure tout le chemin parcouru par celui-ci. Il apparaît ainsi qu’il s’est pendant longtemps développé indépendamment de la représentation. La liaison de ces deux éléments n’a été que tardive. Elle ne semble s’être faite qu’accidentellement. Ce n’est que parce que la distinction des activités mécaniques et des activités libérales a décliné que s’est posé le problème du critère du mandat. Le choix fait par Duvergier de la représentation comme critère du mandat ne nous apparaît ainsi que comme une solution par élimination. Sa proposition n’a pas été une réponse à une attente mais résulte uniquement de l’impossibilité de conserver d’autres critères” (Ph. Didier, th. préc., n° 77, p. 50 ; dans le même esprit “accidentel”, Ch.-W. Chen, Apparence et représentation en droit positif français, Paris, t. 340 : LGDJ 2000, n° 26 et s., p. 21 et s.).

Le lien entre représentant et mandat – Malgré ce constat, dans la doctrine contemporaine, le lien entre représentation et mandat a la peau dure (V. not. P. Puig, th. préc., spéc. n° 137, p. 205 : “la définition du mandat implique en effet la représentation : le mandataire agit pour le compte de son mandant et “en son nom”. Il est toujours permis de regretter une définition aussi étroite, même de la critiquer, mais le fait est que la notion de représentation est au cœur de l’opération visée à l’article 1984 du Code civil, dont elle constitue l’essence” ; dans le même sens, Ph. le Tourneau, Mandat : Rép. civ. Dalloz, 2000, n° 68 et s., p. 13 et s. – Ph. Pétel, Le contrat de mandat : Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1994, p. 2. – M. Storck, th. préc., n° 130 et s., p. 97 et s. – P.-H. Antonmattéi et J. Raynard, Droit civil. Contrats spéciaux : Litec, 5e éd. n° 457, p. 343, l’accomplissement d’actes juridiques est de l’essence du mandat. – Chr. Larroumet, Droit civil. Les obligations. Le contrat. 1re partie conditions de formation, t. II : Economica, 6e éd. 2007, n° 153 et s., p. 134 et s.). La représentation n’est pas uniquement conventionnelle. Elle peut être légale ou judiciaire.

À l’analyse des pratiques contractuelles, il serait pourtant opportun d’aller au-delà du mandat réduit au seul critère de la représentation. À ce titre, de manière plus originale, un certain courant doctrinal, citant le prête-nom et la commission, défend l’existence de mandats sans représentation (sur cette question, M.-L. Izorche, À propos de “mandat sans représentation” : D. 1999, chron. p. 369 et s. – A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux. Fr. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux. V. déjà en ce sens Troplong, Du mandat. Contra, Ph. Malaurie, L. Aynès et P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux). En effet, a priori, les termes de l’article 1984 c.civ. ne s’y opposent pas. Agir pour le compte et au nom d’autrui n’exige pas la représentation. Agir au nom d’autrui ce n’est “rien d’autre pour une personne qu’entrer en relations avec un tiers en lui faisant savoir qu’elle s’affuble du nom d’autrui pour ce faire” (N. Dissaux, th. préc., n° 248, p. 108). Cette acception ouvre des perspectives importantes pour le mandat qui peut être conçu comme une forme d’intermédiation, voire le modèle de l’intermédiation, sans pour autant qu’il y ait représentation.

À dire vrai, c’est la représentation elle-même qui ne peut être maintenue dans son statut d’élément essentiel au mandat. Par un effet boule de neige, la nature des actes accomplis devient alors indifférente. La défense d’un mandat sans représentation ou pourvu d’une conception plus large de la notion de représentation peut se fonder sur une série d’arguments. Il est, tout d’abord, possible de distinguer, comme en droit allemand, la procuration, acte juridique unilatéral, qui crée la représentation, et le contrat de base (mandat, entreprise, dépôt) (sur cette distinction, V. supra. Dans le même sens, V. F. Leduc, Deux contrats en quête d’identité. Les avatars de la distinction entre le contrat de mandat et le contrat d’entreprise, in Etudes G. Viney : LGDJ, 2008, p. 595 et s., spéc. p. 626). Il est également possible de jouer sur le terme de “pouvoir”. Le pouvoir consiste à exercer les droits subjectifs d’autrui. En ce sens, le mandataire est habilité à exercer les droits du mandant qui l’a habilité (F. Leduc, op. cit., p. 627). Le mandat serait ainsi un “contrat par lequel une personne, le mandant, confère à une autre personne, le mandataire, le pouvoir d’exercer ses droits subjectifs, en prenant des décisions qui s’imposeront à lui, que celles-ci se traduisent concrètement par l’accomplissement d’actes juridiques ou matériels” (F. Leduc, op. cit., p. 628). Alors que dans le contrat d’entreprise, l’entrepreneur reçoit la mission d’exécuter la volonté du maître d’ouvrage, il y a mandat si on “décide pour autrui”. Il y a entreprise lorsqu’il s’agit “d’exécuter la volonté d’autrui”. Même si la distinction paraît subtile, elle a le mérite de ne pas s’arrêter aux deux postulats selon lesquels, d’une part, le mandat présuppose la représentation et, d’autre part, le mandataire est celui qui accomplit des actes juridiques. L’échange d’argumentations n’est pas épuisé et le débat n’est pas clos.

Dans ce contexte, la lumière peut être faite sur ce qu’il est convenu d’appeler des mandats “sans représentation”.

 Les mandats “sans représentation”. Il existe certaines hypothèses où la qualification de mandat est problématique. Il en est ainsi du contrat de commission et de la convention de prête-nom. Si l’on applique le critère de la représentation, faisant défaut, la qualification de mandat est exclue. Si la représentation n’est plus conçue comme un élément essentiel du mandat, ou du moins s’il l’on adhère à l’idée d’une représentation “indirecte” ou “imparfaite”, il est alors possible de défendre la qualité de mandataire du prête-nom ou du commissionnaire (A. Bénabent, op. cit., n° 694 et s., p. 476. – Fr. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, op. cit., n° 659 et s., p. 552 et s. – Contra, N. Dissaux, th. préc., n° 251 et s., p. 112 et s. : l’auteur rejette la qualification de mandat car, dans le contrat de commission, le commissionnaire refuse de donner l’identité de la personne pour le compte de laquelle il agit et, dans le prête-nom, le tiers ignore l’existence même de la personne pour le compte de laquelle le prête-nom agit. Ces deux contrats ne sont pas des mandats non pas parce qu’il n’y aurait pas représentation, ce qui importe peu. Ils ne sont pas simplement des mandats car ils n’agissent pas au nom d’un mandant).

Les composantes du mandats.- Plusieurs éléments viennent structurer la convention de mandat. Il s’agit d’une convention aux multiples facettes puisqu’elle est consensuelle ou solennelle, tacite ou expresse, unilatérale ou synallagmatique, accessoire ou principale, à titre gratuit ou à titre onéreux, civile ou commerciale, générale ou spéciale, conclue intuitu personae ou sans considération de la personne.

La représentation des parties devant le Tribunal de commerce

Lorsqu’une procédure est introduite devant le Tribunal de commerce la représentation par un avocat n’est pas obligatoire contrairement à ce qui est exigé dans le cadre d’une procédure pendante devant le Tribunal de grande instance.

L’article 853 du CPC dispose en ce sens que :

  • Soit les parties se défendent elles-mêmes.
  • Soit elles ont la faculté de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix

Devant le Tribunal de commerce, les parties disposent ainsi du choix d’assurer leur propre défense ou de désigner un mandataire.

I) La comparution personnelle des parties

L’article 853 du CPC prévoit que les parties disposent de la faculté de se défendre elles-mêmes.

Cette faculté qui leur est octroyée implique que non seulement elles sont autorisées à accomplir des actes de procédure (assignation, déclaration au greffe, requête, conclusions etc.), mais encore qu’elles peuvent plaider pour leur propre compte sans qu’il leur soit besoin de solliciter l’intervention d’un avocat.

Les enjeux financiers limités des affaires soumises aux tribunaux d’instance peuvent justifier qu’une partie fasse le choix de ne pas recourir à l’assistance d’un avocat pour participer à une procédure qui peut d’ailleurs ne présenter aucune complexité particulière.

Dans une réponse du Ministère de la justice et des libertés publiée le 13 janvier 2011, il a été précisé que ce dispositif n’a, en revanche, aucunement pour effet d’exclure les personnes ayant des moyens financiers limités du bénéfice de l’assistance d’un avocat.

Ainsi les parties qui remplissent les conditions de ressources peuvent demander le bénéfice de l’aide juridictionnelle.

De nombreux contrats d’assurance offrent aux assurés le bénéfice d’une protection juridique. En ce cas, le financement de l’assistance de l’avocat pourra être assuré par la compagnie en question selon les modalités fixées au contrat.

Il ne peut donc être conclu que la possibilité pour les parties de se faire assister ou représenter par avocat soit de nature à créer une iniquité entre les parties.

En outre, si la partie qui comparaît seule à une audience face à une partie adverse représentée par un avocat n’est pas tenue elle-même de constituer avocat, elle peut en revanche solliciter du juge un renvoi de l’affaire à une audience ultérieure pour lui permettre de préparer utilement sa défense.

À cet effet, la partie peut décider de se faire assister ou représenter pour la suite de la procédure, ou solliciter en amont de l’audience les conseils juridiques d’un avocat, le cas échéant lors des permanences gratuites qui peuvent être organisées dans le cadre de la politique de l’accès au droit.

Reste que les parties qui entendent, de bout en bout de la procédure, assurer leur propre défense ne doivent pas être frappées d’une incapacité.

En pareil cas, seul le représentant de l’incapable pourrait agir en justice au nom et pour son compte.

II) La désignation d’un mandataire par les parties

A) Le choix du mandataire

Lorsque les parties décident de se faire assister ou représenter, elles peuvent désigner « toute personne de leur choix ».

C’est là une différence notable avec les règles applicables devant le Tribunal d’instance qui limitent le nombre de personnes susceptibles de représenter ou d’assister les parties.

Il est donc indifférent que le représentant soit l’avocat, le concubin, un parent ou encore un officier ministériel.

Ce qui importe c’est que le mandataire désigné soit muni d’un pouvoir spécial.

B) Le pouvoir du mandataire

L’article 853, al. 3e du CPC dispose que « le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial. »

Ainsi, s’agissant du pouvoir dont est investi le mandataire désigné pour représenter une partie devant le Tribunal de commerce, il y a lieu de distinguer selon qu’il est avocat ou non.

  1. Le mandataire exerçant la profession d’avocat

Lorsque le mandataire est avocat, il n’a pas l’obligation de justifier d’un pouvoir spécial, l’article 411 du CPC disposant que « la constitution d’avocat emporte mandat de représentation en justice »

Le plus souvent, sa mission consistera à assister et représenter la partie dont il assure la défense des intérêts.

a) Représentation et assistance

==> Notion

L’article 411 du CPC prévoit que « le mandat de représentation en justice emporte pouvoir et devoir d’accomplir au nom du mandant les actes de la procédure. »

Il ressort de cette disposition que la mission de représentation dont est investi l’avocat consiste à endosser la qualité de mandataire.

Lorsque l’avocat intervient en tant que représentant de son client, il est mandaté par lui, en ce sens qu’il est investi du pouvoir d’accomplir au nom et pour son compte des actes de procédure.

Aussi, dans cette configuration, les actes régularisés par l’avocat engagent son client comme si celui-ci les avait accomplis personnellement.

À cet égard, la mission de représentation de l’avocat ne se confond pas avec sa mission d’assistance.

==> Représentation et assistance

La différence entre la représentation et l’assistance tient à l’étendue des pouvoirs dont est investi l’avocat dans l’une et l’autre mission.

  • Lorsque l’avocat assiste son client, il peut :
    • Lui fournir des conseils
    • Plaider sa cause
  • Lorsque l’avocat représente son client, il peut
    • Lui fournir des conseils
    • Plaider sa cause
    • Agir en son nom et pour son compte

Lorsque dès lors l’avocat plaide la cause de son client dans le cadre de sa mission d’assistance, il ne le représente pas : il ne se fait que son porte-voix.

Lorsque, en revanche, l’avocat se livre à la joute oratoire dans le cadre d’un mandat de représentation, ses paroles engagent son client comme s’il s’exprimait à titre personnel.

Ainsi, la mission de représentation est bien plus large que la mission d’assistance. C’est la raison pour laquelle l’article 413 du CPC prévoit que « le mandat de représentation emporte mission d’assistance, sauf disposition ou convention contraire ».

À cet égard, tandis que l’avocat investi d’un mandat de représentation est réputé à l’égard du juge et de la partie adverse avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement, tel n’est pas le cas de l’avocat seulement titulaire d’un mandat d’assistance.

La raison en est que dans cette dernière hypothèse, l’avocat n’agit pas au nom et pour le compte de son client. Il ne peut donc accomplir aucun acte qui l’engage personnellement.

b) Le mandat ad litem

==> Le principe du mandat ad litem

Aux termes de l’article 411 du CPC, la constitution d’avocat emporte mandat de représentation en justice : l’avocat reçoit ainsi pouvoir et devoir d’accomplir pour son mandant et en son nom, les actes de la procédure. On parle alors traditionnellement de mandat « ad litem », en vue du procès.

Comme démontré précédemment, ce mandat ad litem est obligatoire devant certaines juridictions (Tribunal de grande instance, Cour d’appel, Cour de cassation etc.).

L’article 413 du CPC précise que le mandat de représentation emporte mission d’assistance (présenter une argumentation orale ou écrite et plaider).

Par dérogation à l’exigence qui pèse sur le représentant d’une partie de justifier d’un mandat ad litem, l’avocat est dispensé de justifier du mandat qu’il a reçu de son mandant (art. 416 CPC).

L’article 416 du CPC prévoit en ce sens que « quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu’il en a reçu le mandat ou la mission. L’avocat est toutefois dispensé d’en justifier ».

L’article 6.2 du Règlement Intérieur National de la Profession d’Avocat dispose encore que « lorsqu’il assiste ou représente ses clients en justice, devant un arbitre, un médiateur, une administration ou un délégataire du service public, l’avocat n’a pas à justifier d’un mandat écrit, sous réserve des exceptions prévues par la loi ou le règlement ».

La présomption ainsi établie de l’existence même du mandat de représentation peut néanmoins être combattue par la preuve contraire (Cass. com., 19 octobre 1993 n°91-15795).

Le mandat de représentation emporte, à l’égard du juge et de la partie adverse, pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement (art. 417 CPC).

La Cour de Cassation juge qu’il s’agit là d’une règle de fond, non susceptible de preuve contraire, dont il découle qu’un acquiescement donné par le représentant ad litem engage irrévocablement le mandant (Cass. 2e civ, 27 février 1980 n°78-14761).

Par ailleurs, si une partie peut révoquer son avocat, c’est à la condition de pourvoir immédiatement à son remplacement, faute de quoi son adversaire serait fondé à poursuivre la procédure jusqu’à la décision de la cour en continuant à ne connaître que l’avocat révoqué (art. 418 CPC).

Inversement, un avocat ayant décidé de se démettre de son mandat n’en est effectivement déchargé, d’une part, qu’après avoir informé son mandant, le juge et la partie adverse de son intention, et, d’autre part, seulement à compter du jour où il est remplacé par un nouvel avocat (art. 419 CPC).

Enfin, l’avocat est tenu de porter à la connaissance du juge son nom et sa qualité dans une déclaration au secrétariat-greffe.

==> L’étendue du mandat ad litem

L’avocat qui a reçu mandat par son client de le représenter en justice peut accomplir tous les actes de procédures utiles à la conduite du procès.

À cet égard, lorsque la représentation est obligatoire, c’est « l’avocat postulant » qui exercera cette mission, tandis que « l’avocat plaidant » ne pourra qu’assurer, à l’oral, la défense du justiciable devant la juridiction saisie.

En tout état de cause, le mandat ad litem confère à l’avocat lui confère les pouvoirs les plus étendus pour accomplir les actes de procédure, tant au stade de l’instance, qu’au stade de l’exécution de la décision.

L’article 420 du CPC dispose en ce sens que « l’avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau pouvoir jusqu’à l’exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d’un an après que ce jugement soit passé en force de chose jugée »

  • Au stade de l’instance l’avocat investi d’un mandat ad litem peut :
    • Placer l’acte introductif d’instance
    • Prendre des conclusions et mémoires
    • Provoquer des incidents de procédure
  • Au stade de l’exécution de la décision, l’avocat peut :
    • Faire notifier la décision
    • Mandater un huissier aux fins d’exécution de la décision rendue

Bien que le périmètre des pouvoirs de l’avocat postulant soit relativement large, le mandat ad litem dont est investi l’avocat ne lui confère pas des pouvoirs illimités.

Pour l’accomplissement de certains actes, les plus graves, l’avocat devra obtenir un pouvoir spécial afin qu’il soit habilité à agir au nom et pour le compte de son client.

Tel n’est notamment le cas s’agissant de l’exercice d’une voie de recours (appel et pourvoi en cassation), en conséquence de quoi l’avocat devra justifier d’un pouvoir spécial (V. en ce sens Cass. soc. 2 avr. 1992, n° 87-44229 et Cass. 2e civ., 10 févr. 1993, n° 92-50008)

Il en va également ainsi en matière d’inscription en faux, de déféré de serment décisoire, de demande de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime ou encore de la transaction.

Plus généralement, il ressort de la jurisprudence constante que l’avocat ne peut accomplir aucun acte qui serait étranger à l’instance.

S’agissant des actes énoncés à l’article 417 du Code de procédure civile, (faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement) si l’avocat est réputé être investi d’un pouvoir spécial à l’égard du juge et de la partie adverse, il engage sa responsabilité à l’égard de son mandant en cas de défaut de pouvoir.

2. Le mandataire n’exerçant pas la profession d’avocat

En application de l’article 853, al. 3e du CPC, « le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial. »

À la différence de l’avocat qui est présumé être investi d’un pouvoir général pour représenter son client, tel n’est pas le cas d’un mandataire ordinaire qui doit justifier d’un pouvoir spécial.

Non seulement ce dernier devra justifier de sa qualité de représentant, mais encore de son pourvoir d’agir en justice au nom et pour le compte de la partie dont il représente les intérêts (Cass. 2e civ., 23 mars 1995).

À cet égard, l’article 415 du CPC précise que « le nom du représentant et sa qualité doivent être portés à la connaissance du juge par déclaration au greffier de la juridiction. »

Une fois cette démarche accomplie, en application de l’article 417 « la personne investie d’un mandat de représentation en justice est réputée, à l’égard du juge et de la partie adverse, avoir reçu pouvoir spécial de faire ou accepter un désistement, d’acquiescer, de faire, accepter ou donner des offres, un aveu ou un consentement. »

L’apparence : Théorie et régime juridique

Habit, barbe etc. Le Littré prête à Madame de Sévigné de ne pas toujours juger sur les apparences. Quelques sentences courtes et imagées, d’usage commun, qui expriment une vérité d’expérience ou un conseil de sagesse, autrement dit quelques proverbes, ne disent pas autre chose : « l’habit ne fait pas le moine » ; « la barbe ne fait pas le philosophe » ; « tout ce qui brille n’est pas or ». Est apparent, ce qui n’est pas tel qu’il paraît être (Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française – le Nouveau Petit Robert, v° Apparent). On sait tout cela depuis Rome.

Barbarius Philippus avait été suffisamment habile pour dissimuler sa véritable condition d’esclave et exercer la charge de préteur. Chargé d’apprécier la recevabilité de la demande, c’est lui qui donne une action (actio legis) au demandeur et nomme un juge. Pour mémoire, le droit romain ancien (ante 150 avant J.-C.) est dépendant de la procédure. Les Romains ne raisonnent pas en termes de droits subjectifs, mais en termes d’actions. Et c’est seulement dans la mesure où ils disposaient d’une action en justice qu’ils pouvaient s’estimer titulaires d’un droit. En bref, l’action précédait le droit (voy. J.-L. Thireau, Introduction historique au droit, Flammarion, 2001, pp. 66, 67).

Hésitation. Une fois Barbarius Philippus démasqué, un double problème s’est posé. Sanctionner le magistrat ; la chose était facile. Annuler ou valider les actes accomplis du prétendu magistrat ; l’affaire s’avérait plus délicate. En dépit de l’incompétence manifeste du préteur, la solution de validité s’est imposée (Ulpien, D. 1, 14, 3). Serait-ce que toute vérité ne serait décidément pas bonne à dire… Justinien (qui régna en Orient de 527 à 565 fut aux compilations éponymes ce que Portalis fut au Code civil. Il éleva un monument juridique à la gloire de la haute Antiquité romaine : le corpus juris civilis, composé not. du Digeste, qui rassemble les écrits des jurisconsultes classiques romains, des Institutes, le Codex, qui reprend les constitutions antérieures et les Novelles, qui reprennent l’activité législative de Justinien) reprit la solution en posant que la sentence rendue par un arbitre, réputé libre alors qu’il était esclave, devait conserver son autorité. Accurse (1182-1260 est resté célèbre pour avoir rassemblé les principaux commentaires dans un souci de présentation critique, aux fins de conciliation. Ce faisant, il a fixé de manière quasi définitive la doctrine des glossateurs du corpus juris civilis), glosant sur la lex Barbarius Philippus, formula ladite solution par la maxime : « error communis facit jus » (H. Mazeaud, La maxime « Error communis facit jus », RTDciv. 1924.929).

Solution. L’expression étant trouvée, la règle commença à faire fortune sans discontinuité. Et la jurisprudence de l’appliquer comme un précepte ayant pour lui l’autorité du droit romain. Ce que ne firent pas les rédacteurs du Code qui l’ont formellement passée sous silence. Et ce n’est que trois ans après la promulgation du Code civil qu’un texte législatif consacrera expressément sa validité (Avis du Conseil d’État du 2 juill. 1807, avis interprétatif ayant force de loi en vertu de la Constitution du 22 frimaire an VIII – 13 déc. 1799).

Consécration. Le Code civil, relisons-le. À bien y réfléchir, plusieurs textes consacrent des conséquences juridiques à l’apparence ou à des droits apparents. Une consultation sommaire de la législation codifiée sur le site Internet de diffusion du droit en ligne (www.legifrance.gouv.fr) l’atteste (voy. not. la table alphabétique du Code civil, v° Apparence). C’est le cas, par exemple, en droit du paiement de l’obligation. En pratique, il n’est jamais possible à un débiteur d’obtenir de quelqu’un une preuve incontestable de sa qualité de créancier. Le débiteur ne peut jamais être sûr que la personne dans les mains de laquelle il s’acquitte est réellement le créancier. La créance a pu être cédée. La dette a pu s’éteindre… Dans tout paiement, il y a une irréductible part de risque de mauvais paiement. C’est pourquoi article 1240 C.civ. (devenu l’art. 1342-3 bien plus simplement formulé) pose une règle importante pour protéger le débiteur. Il dit que le débiteur est libéré (et qu’il ne risque donc pas de payer deux fois) lorsqu’il a payé à une personne “en possession” de la créance, c’est-à-dire à une personne qui a la possession d’état de créancier ou, pour le dire autrement, à une personne qui a l’apparence de la qualité de créancier. Le débiteur peut donc se fier à l’apparence. Il est dispensé d’investigations en vue de s’assurer que cette apparence correspond à la réalité. Si elle n’y correspondait pas, le débiteur serait de bonne foi et sa dette serait éteinte. C’est donc le créancier véritable qui supporterait alors le mauvais paiement. C’est lui qui assume le risque d’un paiement à un faux créancier apparent.

En résumé, “lorsqu’une personne exerce un droit sans titre, une fonction sans qualité, et passe aux yeux de tous, par suite d’une erreur invincible comme détenant la légitimité juridique, ceux qui ont traité avec elle ou recouru à son office sont protégés contre le défaut de droit ou le défaut de pouvoir : la croyance collective à un droit ou à un pouvoir, quoique erronée, équivaut à l’existence de ce droit ou de ce pouvoir ; la réalité est sacrifiée à l’apparence, d’où résulte le maintien de l’opération qui, au regard des principes, devrait être annulée sans discussion”. La maxime ne se contente donc pas de condenser en une formule brève les règles dans le détail desquelles s’est complu le législateur. Elle ne permet pas seulement de trancher l’une des multitudes de questions laissées dans l’ombre par les rédacteurs. Elle heurte le droit civil (H. Mazeaud, op. cit.).

Chaque fois que l’adage est invoqué, la loi a été méconnue. Appliquer la maxime, c’est toujours valider une violation de la règle de droit. L’application de ce que l’on nomme ordinairement la théorie de l’apparence a un effet d’inhibition de la norme. Elle traduit en quelque sorte une certaine soumission du droit aux faits (J. Ghestin et alii, Droit civil, Introduction générale, p. 829).

Les fonctions de l’apparence (I). Les conditions de l’apparence (II).

I – Les fonctions de l’apparence

Plusieurs séries de considérations président aux fonctions de l’apparence.

En technique, l’apparence et sa théorie sont une construction méthodologique qui offre au juge un guide pour motiver des décisions qui font prévaloir le fait sur le droit. De ce point de vue, l’expression désigne la matrice d’un principe dérogatoire à l’application normale des règles de formation et de transmission des droits. Cette matrice est tel ce dieu de la mythologie grecque à une tête, mais à deux visages : Janus. Pendant que le système du Code civil assigne aux apparences une fonction de présomption, le juge leur attribue une fonction de validation des actes nuls.

En pratique, l’apparence et sa théorie ont pour fonctions d’assurer la sécurité des tiers et la rapidité des transactions. Plus le commerce juridique a besoin de rapidité, plus se justifie que l’on puisse se fier aux apparences.

En théorie, l’ordre public, la paix publique, la sécurité sociale exigent que ceux qui ont failli ne soient pas laissés sans protection ; parce qu’il leur était impossible de ne pas se tromper, il importe de faire fléchir en leur faveur la rigueur de la loi (H. Mazeaud, op. cit., p. 950). Comprenons bien. Il ne s’agit pas d’ériger la théorie de l’apparence en règle générale et abstraite. Le vers serait dans le fruit. Si l’on a fini par donner à l’erreur la puissance du droit, ce n’est que de façon très circonstanciée. L’ignorance de la situation véritable ne suffit pas à justifier la dérogation aux conséquences logiques de l’application des règles de droit. Les conditions de l’apparence l’attestent.

II – Les conditions de l’apparence

La notion d’apparence étant invoquée dans maints domaines, elle tend à devenir protéiforme. Il reste pour autant qu’il s’agit nécessairement d’une situation de fait visible qui provoque une croyance erronée. En toute hypothèse, la question est de savoir si, conformément aux règles et aux usages de la matière considérée, un individu normalement avisé aurait admis pour vrai ce qui n’était au mieux que vraisemblable.

En définitive, l’apparence suppose réunies une condition matérielle et une condition intellectuelle ou psychologique.

Réalité. Pour que la théorie de l’apparence s’applique, la valeur indicative des faits doit être telle qu’elle s’impose spontanément à l’esprit, sans le détour de raisonnements compliqués. Autrement présenté, il faut une réalité visible que l’observateur considérera comme révélatrice de la situation de droit. Les faits accumulés se renforcent et s’éclairent les uns aux autres de telle façon qu’aucun doute n’effleure le spectateur sur leur signification. La notion de possession d’état est topique. La loi dispose qu’elle s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite intervenir (C.civ., art. 311-1).

Erreur. La théorie est salvatrice pour les tiers qui, de bonne foi, se sont fiés à ce qu’ils ont pu voir. Voy. par ex. art. 1998 C.civ. (mandat apparent). Il ne s’agirait pas qu’elle déresponsabilisât les sujets de droit. L’error n’est pas n’importe quelle erreur. Il faut que l’erreur commise présente certains caractères qui dépassent la bonne foi strictement entendue. L’erreur doit traditionnellement être commune. La jurisprudence paraît se contenter plus récemment d’une erreur légitime. L’erreur commune est source de droit, elle fait le droit, dit l’adage. Elle doit être partagée. Dans la mesure où il s’agit de protéger, dans l’intérêt général, les relations juridiques, la contemplation de l’erreur dans la personne d’un seul individu serait incongrue. L’intérêt dont il est question n’est menacé que si un grand nombre d’individus est tombé ou aurait pu tomber dans l’erreur. C’est l’erreur, non pas universelle, mais celle commise par la masse. Il se créé alors la fameuse situation apparente à laquelle chacun a pu légitimement se fier. Le critère est objectif, assez facile à pratiquer, trop du reste. Il ne s’agirait pas qu’une erreur grossière torde le coup au droit pour la seule raison qu’elle a été partagée. En cette occurrence, il n’y a pas lieu de protéger l’errans. Le juge ne protège pas ceux qui ne sont pas suffisamment diligent et vigilant : de non vigilantibus non curat praetor (des non vigilant le préteur n’a cure).

Errans. Aussi bien, il importe pour celui qui est dans l’erreur de satisfaire un second critère, subjectif. L’attitude de l’errans doit être excusable et raisonnable. Considérant qu’à l’impossible nul n’est tenu, s’il était humainement impossible d’éviter le piège de l’apparence, la règle de droit doit être refoulée : summum jus, summa injuria (comble de droit, comble d’injustice). Il n’est pas tolérable qu’une application trop rigoureuse de la loi puisse déboucher sur une injustice suprême. Souvenons-nous que le doit est l’art du bon et de l’équitable.

Le caractère commun de l’erreur a été jugé un peu trop rigoureux. Aussi l’on a fait appel à une notion moins exigeante, l’erreur légitime. Cette erreur est appréciée dans la seule personne de l’errans. Peu importe en d’autres termes qu’aucune autre personne n’ait été trompée. Si la personne considérée avait de bonne raison de se tromper, son erreur est légitime.

La jurisprudence ne paraît pas avoir opté exclusivement pour l’une ou l’autre des conditions. Le juge est pragmatique. Il pratique l’une ou l’autre condition au gré des circonstances de l’espèce. La seconde a le mérite de “donner aux individus l’assurance que leur croyance légitime suffit à garantir leurs droits. [Ce faisant], on les incite encore davantage à agir et on leur permet de le faire vite”(J. Ghestin et alii, op. cit., p. 842).

Quelques esprits chagrins dénonceront l’incertitude qui règne en la matière. Ils ont raison. Encore qu’il n’y a pas à craindre de grands troubles dans la force, car si le domaine de cette théorie est vaste, l’application de ladite théorie présente un caractère subsidiaire. Selon l’opinion générale, les juridictions ne doivent y avoir recours que si elles ne trouvent pas dans les textes un moyen adéquat de justifier la solution qui leur paraît nécessaire. Force est de le répéter : le risque de subversion du Droit existe. Il doit être canalisé. L’apparence ne saurait prévaloir sur des solutions précises de la loi exactement adaptées à la situation (voy. égal. v° La fraude).

J.B.

Les effets patrimoniaux et personnels du pacs

À l’instar du mariage le pacs produit deux sortes d’effets :

  • Des effets personnels
  • Des effets patrimoniaux

I) Les effets personnels du pacs

A) Les effets positifs

  1. L’obligation de vie commune

L’article 515-4 du Code civil prévoit que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune »

Parce que le pacs est avant tout une union entre deux personnes qui envisagent de vivre ensemble, l’obligation de vie commune est consubstantielle de cette institution.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par vie commune et plus précisément qu’est-ce que cette obligation recoupe.

Dans sa décision du 9 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a apporté un élément de réponse en affirmant que « la notion de vie commune ne couvre pas seulement une communauté d’intérêts et ne se limite pas à l’exigence d’une simple cohabitation entre deux personnes ; que la vie commune mentionnée par la loi déférée suppose, outre une résidence commune, une vie de couple qui seule justifie que le législateur ait prévu des causes de nullité du pacte qui, soit reprennent les empêchements à mariage visant à prévenir l’inceste, soit évitent une violation de l’obligation de fidélité découlant du mariage ; qu’en conséquence, sans définir expressément le contenu de la notion de vie commune, le législateur en a déterminé les composantes essentielles ».

Ainsi, pour le Conseil constitutionnel le pacs est bien plus qu’une communauté d’intérêt, telle que peut l’être, par exemple, une société.

L’obligation de vie commune suppose pour les partenaires d’observer trois règles auxquelles ils ne sauraient déroger par convention contraire :

  • Le devoir de cohabitation
    • Le devoir de cohabitation est expressément visé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 décembre 1999.
    • Partager une vie commune c’est, avant tout, cohabiter, soit vivre sous le même toit. Il appartiendra donc aux partenaires de déterminer leur lieu de résidence.
  • Le devoir charnel
    • Le Conseil constitutionnel considère que, plus qu’une communauté d’intérêts, l’obligation de vie commune suppose « une vie de couple»
    • Autrement dit, le pacs n’implique pas seulement une communauté de vie, il invite à une communauté de lit.
    • Aussi, les partenaires s’engagent-ils à avoir des rapports sexuels entre eux.
  • Devoir de fidélité
    • La question s’est posée de savoir si, à l’instar des époux, à qui s’impose un devoir de fidélité, s’il en allait de même pour les partenaires.
    • Trois arguments peuvent être avancés au soutien d’une réponse positive à cette interrogation.
      • En premier lieu, en ce que le pacs est un contrat, les partenaires sont, tenus, comme les contractants à une obligation de loyauté et de bonne foi conformément à l’article 1104 du Code civil.
      • En deuxième lieu, si, comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel, l’obligation de communauté de vie suppose une « vie de couple», cela signifie que les partenaires doivent exercer une certaine exclusivité l’un sur l’autre.
      • En troisième lieu, pourquoi le législateur a-t-il institué des d’empêchement qui tiennent au lien de parenté sinon pour prévenir les cas d’inceste, le pacs impliquant nécessairement l’entretien de rapports sexuels.
    • Pour l’heure, on ne recense qu’une seule décision sur l’obligation de fidélité dont serait assorti le pacs.
    • Elle a été rendue par le Président du Tribunal de grande instance de Lille qui a été amené à statuer en référé sur cette question.
    • Dans cette décision il a estimé que, sur le fondement de l’obligation de loyauté rattachée à l’ancien article 1134 du Code civil que l’obligation de vie commune commande de « sanctionner toute forme d’infidélité entre partenaires» (TGI Lille, ord., 5 juin 2002).
    • Bien qu’il ne s’agisse que d’une ordonnance de référé, il est de fortes chances que la Cour de cassation adopte une solution similaire, si elle était amenée à statuer sur cette question.

2. L’obligation d’assistance

L’obligation d’assistance a été introduite par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Cette obligation est prévue à l’article 515-4 du Code civil qui dispose que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à […] une assistance réciproque ».

Elle implique pour les partenaires de se prêter une aide morale et psychologique. Ils doivent, autrement dit, se soutenir l’un l’autre afin d’affronter ensemble les difficultés de la vie.

3. L’aide matérielle

==> Contenu de l’obligation

Aux termes de l’article 515-4 du Code civil, « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à […] une aide matérielle] ».

Cette disposition précise que «  si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives. »

De toute évidence, il s’agit là d’une transposition de l’article 214 applicable aux époux qui édicte à leur endroit une obligation de contribution aux charges ménagères.

Pour mémoire, cet article dispose que « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. »

La règle posée à l’article 515-4 est sensiblement la même, de sorte que les partenaires sont également tenus de contribuer aux charges du ménage à hauteur de leurs facultés respectives.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste cette obligation. Deux éléments doivent être envisagés pour le déterminer :

  • Quelles sont les charges du ménage ?
    • Il s’agit de toutes les dépenses qui assurent le fonctionnement du ménage (contrairement aux dépenses d’investissement).
    • Ce sont donc toutes les dépenses d’intérêt commun que fait naître la vie du ménage
    • Les charges du ménage correspondent au train de vie des partenaires
      • Exemples: nourriture, vêtements, loyer, gaz, eau, électricité, internet etc…
  • Quelle est étendue de la contribution des partenaires ?
    • Chaque partenaire doit contribuer aux charges du ménage en proportion de ses facultés.
    • Le conseil constitutionnel a précisé que « dans le silence du pacte, il appartiendra au juge du contrat, en cas de litige, de définir les modalités de cette aide en fonction de la situation respective des partenaires».
      • Exemple: si un partenaire gagne 1000 euros et l’autre 2000 euros alors le second devra contribuer deux fois plus que le premier aux charges du ménage.

==> Sanction de l’obligation

À la différence de l’article 214 du Code civil, l’article 515 ne prévoit pas d’action en contribution en cas de défaillance de l’un des partenaires.

En matière matrimoniale, il est, en effet, prévu que « si l’un des époux ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile. »

Est-ce à dire que les partenaires ne disposeraient d’aucune action pour obliger l’autre à contribuer aux charges du ménage ? On peut en douter.

==> Caractère de l’obligation

On observera que, dans sa décision du 9 décembre 1999, le Conseil constitutionnel a affirmé, s’agissant de l’aide matérielle à laquelle s’obligent les partenaires que « si la libre volonté des partenaires peut s’exprimer dans la détermination des modalités de cette aide, serait nulle toute clause méconnaissant le caractère obligatoire de ladite aide ».

Aussi, cela signifie-t-il que cette obligation est d’ordre public. Si, dès lors, les partenaires peuvent en aménager les modalités, ils ne sauraient la supprimer.

3. Statut fiscal

Les partenaires liés par un PACS sont soumis à une imposition commune pour les revenus dont ils ont disposé pendant l’année de la conclusion du pacte.

Par exception, ils peuvent opter pour l’imposition distincte des revenus dont chacun a personnellement disposé pendant l’année de la conclusion du pacte, ainsi que de la quote-part des revenus communs lui revenant (Art. 6 CGI)

Les partenaires sont solidairement tenus au paiement :

  • de l’impôt sur le revenu lorsqu’ils font l’objet d’une imposition commune
  • de la taxe d’habitation lorsqu’ils vivent sous le même toit ( 1691 bis I CGI)
  • de l’impôt de solidarité sur la fortune ( 1723 ter-00 B CGI).

4. Droit sociaux

Le partenaire pacsé a droit au bénéfice immédiat de l’affiliation à la sécurité sociale de son partenaire, si lui-même ne peut bénéficier de la qualité d’assuré social à un autre titre (art. L. 160-17 C. secu.).

Le partenaire pacsé bénéficie sans aucune condition, et prioritairement sur les descendants et les ascendants, du capital décès de son partenaire dû au titre du régime général de la sécurité sociale (art. L. 361-4 C. secu).

S’agissant du calcul de leurs droits à prestations sociales et familiales, la conclusion d’un PACS a pour effet de modifier l’assiette des revenus pris en considération pour la fixation du droit à allocation, les revenus des deux partenaires étant cumulés pour calculer ces droits.

Par ailleurs, la conclusion d’un PACS emporte automatiquement la suppression de l’allocation de parent isolé.

Enfin, les revenus pris en considération pour la fixation du droit à allocation adulte handicapé (AAH), revenu de solidarité active (RSA), allocation de solidarité spécifique, prime pour l’emploi, et allocation logement, sont ceux des deux partenaires du PACS.

5. Droit au logement

Le partenaire de PACS n’est réputé co-titulaire du bail sur le logement familial que si les partenaires en font conjointement la demande.

Lors du départ du partenaire unique locataire des lieux qui servaient à la résidence commune, l’autre peut bénéficier de la continuation du bail ou, en cas de décès du locataire, du transfert du droit au bail, quand bien même il n’est pas signataire du bail initialement.

Quand le PACS prend fin par décès, le partenaire survivant bénéficie d’un droit de jouissance gratuite du domicile commun ainsi que du mobilier le garnissant pendant l’année qui suit le décès, à condition qu’il l’ait occupé de façon effective et à titre d’habitation principale à l’époque du décès (art. 515-6 al.3 C. civ.).

B) Les effets négatifs

À la différence du mariage, le pacs ne produit pas un certain nombre d’effets qu’il convient de lister afin de dresser une comparaison.

==> Sur le nom d’usage

  • Le mariage
    • Chacun des époux peut porter, à titre d’usage, le nom de l’autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l’ordre qu’il choisit (article 225-1 du code civil).
    • Il s’agit d’une simple faculté.
  • Le pacs
    • Le PACS ne produit aucun effet sur le nom. Un partenaire ne peut donc pas porter, à titre d’usage, le nom de l’autre membre du couple

==> Sur la filiation

  • Le mariage
    • L’enfant conçu ou né pendant le mariage est présumé avoir pour père le mari de la mère (règle de la « présomption de paternité » – article 312 du code civil).
    • Possibilité pour le couple marié d’adopter à deux (article 343 du code civil) et possibilité pour chacun des membres du couple d’adopter l’enfant du conjoint (articles 345-1 et 360 du code civil).
    • L’assistance médicale à la procréation est ouverte aux couples mariés hétérosexuels.
  • Le pacs
    • Le PACS n’a aucun effet sur l’établissement de la filiation : il n’existe pas de présomption légale à l’égard du partenaire de la mère qui devra procéder à une reconnaissance.
    • Pas de possibilité pour les partenaires d’adopter à deux (article 343 du code civil) ou d’adopter l’enfant du partenaire.
    • L’assistance médicale à la procréation est ouverte aux couples pacsés hétérosexuels.

==> Sur la nationalité

  • Le mariage
    • Si les époux se marient, sans choisir explicitement leur régime matrimonial, sans faire de contrat de mariage, ils sont alors mariés sous un régime posé par la loi : le régime légal de la communauté réduite aux acquêts (article 1400 et s. du code civil).
    • Dans ce régime, les biens dont les époux avaient la propriété avant de se marier leur demeurent propres.
    • En revanche, les biens que les époux acquièrent à titre onéreux (acquêts) pendant le mariage, ainsi que les revenus liés à un bien propre à un époux (loyer d’un immeuble par exemple) et les gains et salaires, sont des biens communs.
  • Le pacs
    • Le PACS n’exerce aucun effet sur la nationalité.
    • Pour obtenir la nationalité française, le partenaire étranger ayant conclu un PACS avec un partenaire français doit déposer une demande de naturalisation (acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique : articles 21-14-1 et suivants du code civil).

II) Les effets patrimoniaux du pacs

L’étude des effets patrimoniaux du pacs suppose de distinguer les rapports des partenaires entre eux de ceux qu’ils entretiennent avec les tiers.

A) Les effets dans les rapports entre partenaires

  1. Principe

==> La répartition des biens

Aux termes de l’article 515-5 du Code civil « Sauf dispositions contraires de la convention visée au troisième alinéa de l’article 515-3, chacun des partenaires conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ».

Il ressort de ce principe que le législateur a souhaité instituer un régime de séparation de biens entre les partenaires.

Cette volonté a été exprimée, lors de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, dans un souci de protection des partenaires qui ignorent souvent que les biens acquis au cours du pacs sont soumis à l’indivision et a jugé préférable de prévoir la séparation des biens, sauf quand les partenaires optent pour l’indivision.

Sous l’empire du droit antérieur à cette réforme, le législateur avait instauré le régime inverse, soit une indivision entre les partenaires.

La loi du 15 novembre 1999 posait, en ce sens, l’existence d’une sorte de communauté de biens réduite aux acquêts.

En simplifiant à l’extrême, il convenait d’opérer une distinction entre les biens acquis avant et après l’enregistrement du pacs.

  • S’agissant des biens acquis avant l’enregistrement du pacs
    • Ils avaient vocation à rester dans le patrimoine personnel des partenaires, à charge pour eux de rapporter la preuve que le bien revendiqué leur appartenait en propre
  • S’agissant des biens acquis après l’enregistrement du pacs
    • Ils étaient réputés indivis, de sorte qu’à la dissolution du pacs, une répartition égalitaire était effectuée entre les concubins

La loi du 23 juin 2006 a abandonné ce régime patrimonial applicable aux partenaires. Désormais, c’est un régime de séparation de biens qui régit leurs rapports patrimoniaux.

Cela signifie que tous les biens acquis par les partenaires avant et après l’enregistrement du pacs leur appartiennent un propre.

Une lecture affinée de l’article 515-4 révèle toutefois qu’il convient de distinguer les meubles dont la propriété est établie de ceux pour lesquels aucun des partenaires ne peut prouver sa qualité de propriétaire

  • S’agissant des biens dont la propriété est établie
    • C’est l’alinéa 1er de l’article 515-4 qui s’applique en pareille hypothèse
    • Ils restent dans le patrimoine personnel du partenaire qui les a acquis
    • Il est indifférent que l’acquisition soit intervenue avant ou après l’enregistrement du pacs
  • S’agissant des biens dont la propriété n’est pas établie
    • L’article 515-5 du Code civil pris en son deuxième alinéa prévoit que :
      • D’une part, chacun des partenaires peut prouver par tous les moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien.
      • D’autre part, les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
    • Il s’évince de cette disposition que, lorsque les biens sont acquis à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS, ils sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale.
    • Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie

==> La gestion des biens

L’article 515-5, al. 3 du Code civil dispose que « le partenaire qui détient individuellement un bien meuble est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul sur ce bien tout acte d’administration, de jouissance ou de disposition. »

Il ressort de cette disposition que, à l’égard des tiers, les partenaires sont réputés être investis de tous pouvoirs sur les biens du couple.

Toutefois, l’efficacité de cette présomption est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • Le bien doit être détenu individuellement par un partenaire
  • Le tiers doit être de bonne foi, soit ne pas savoir que le bien appartient, en réalité, à l’autre partenaire

Il peut être observé que, à la différence de l’article 222 du Code civil qui, en matière matrimoniale exclut les meubles meublants du champ d’application de cette présomption, pour le pacs elle opère pour tous les meubles sans distinction.

2. Exception

==> Répartition des biens

Si le législateur a institué le régime de la séparation de biens en principe, il a offert la possibilité aux partenaires d’y déroger en concluant une convention d’indivision.

L’article 515-5-1 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l’indivision les biens qu’ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l’enregistrement de ces conventions.
  • D’autre part, ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale.

Ce régime d’indivision auquel les partenaires ont la faculté d’adhérer par convention s’articule autour de deux principes :

  • Premier principe
    • L’indivision s’applique aux seuls acquêts, c’est-à-dire aux biens acquis par les partenaires, ensemble ou séparément, après l’enregistrement de leur convention.
    • S’agissant des biens acquis l’enregistrement de la convention d’indivision qui n’est pas nécessairement concomitant à l’enregistrement du pacs, ils demeurent appartenir en propre aux partenaires
  • Second principe
    • Les biens visés par la convention conclue par les partenaires sont réputés indivis pour moitié.
    • Cela signifie qu’en cas de liquidation du pacs la répartition s’opérera à parts égales, sauf à ce qu’une fraction du bien ait été financée par des fonds propres d’un partenaire.
    • Dans cette hypothèse, seule la portion du bien qui constitue un acquêt fera d’un partage par moitié.
      • Exemple:
        • un immeuble est acquis pour 50 % avec les fonds propres d’un partenaire, pour l’autre moitié avec des fonds indivis.
        • Dans cette hypothèse, en cas de partage, le partenaire qui aura financé le bien avec ses fonds propres sera fondé à revendiquer 75% du bien, tandis que l’autre ne percevra que 25% de sa valeur.

L’article 515-5-3 du Code civil précise que la convention d’indivision est réputée conclue pour la durée du pacte civil de solidarité.

Toutefois, lors de la dissolution du pacte, les partenaires peuvent décider qu’elle continue de produire ses effets. Cette décision est soumise aux dispositions des articles 1873-1 à 1873-15 du Code civil.

==> Gestion des biens

À défaut de dispositions contraires dans la convention, chaque partenaire est gérant de l’indivision (article 515-5-3 du code civil).

Les partenaires jouissent d’une gestion concurrente, ce qui signifie que chaque partenaire peut accomplir seul des actes de conservation, d’administration et même de disposition sur les acquêts, sous réserve de certaines exceptions, telles que notamment :

  • Les aliénations à titre gratuit
  • Les aliénations d’immeuble
  • Les aliénations de meubles corporels soumises à publicité
  • Les aliénations de meubles corporels qui ne sont pas difficiles à conserver ou périssables.

Néanmoins, les règles d’administration des acquêts ne sont pas impératives. Les partenaires peuvent prévoir des dispositions contraires (article 515-5-3 al.2 du code civil).

3. Exception à l’exception

En cas de conclusion par les partenaires d’une convention d’indivision, le législateur a prévu qu’un certain nombre de biens échappaient à son champ d’application.

L’article 515-5-2 prévoit que demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire :

  1. Les deniers perçus par chacun des partenaires, à quelque titre que ce soit, postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l’acquisition d’un bien ;
  2. Les biens créés et leurs accessoires ;
  3. Les biens à caractère personnel ;
  4. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l’enregistrement de la convention initiale ou modificative aux termes de laquelle ce régime a été choisi ;
  5. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession ;
  6. Les portions de biens acquises à titre de licitation de tout ou partie d’un bien dont l’un des partenaires était propriétaire au sein d’une indivision successorale ou par suite d’une donation.

Le dernier alinéa de cette disposition précise que l’emploi de deniers tels que définis aux 4° et 5° fait l’objet d’une mention dans l’acte d’acquisition.

L’emploi est un acte qui stipule la provenance des deniers et la volonté de leur propriétaire de les employer pour l’acquisition d’un bien propre.

À défaut d’accomplissement des formalités d’emploi, le bien est réputé indivis par moitié et ne donne lieu qu’à une créance entre partenaires.

B) Les effets dans les rapports des partenaires avec les tiers

  1. Contribution aux dettes et obligation à la dette

Le législateur a institué à l’article 515-4, al. 2e du Code civil un dispositif qui gouverne les rapports entre les partenaires et les tiers.

Cette règle constitue l’un des piliers du régime juridique applicable aux partenaires.

Afin de bien cerner la place qu’elle occupe dans l’édifice élaboré par le législateur en 1999, il convient de la mettre en perspective avec une autre règle : celle édicté à l’alinéa 1er de l’article 515-4 du Code civil.

Tandis que la première porte sur l’obligation à la dette, la seconde est relative à la contribution à la dette.

  • L’obligation à la dette
    • L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des partenaires.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le partenaire de celui avec lequel il a contracté et si ou dans quelle mesure.
      • Exemple:
        • Le membre d’un couple pacsé se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son partenaire.
        • La question qui alors se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’acquéreur, le vendeur peut se retourner contre son partenaire, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération.
        • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.
    • Ainsi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les partenaires.

Schéma 4.JPG

  • La contribution à la dette
    • La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque partenaire dans les charges du ménage
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelle proportion les partenaires doivent supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.
    • L’article 515-4, al. 1er du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque partenaire est proportionnelle à leurs facultés respectives.
      • Exemple :
        • Les dépenses de fonctionnement d’un couple pacsé s’élèvent à 1.000 euros
        • L’un des partenaires dispose d’un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
        • Celui qui gagne 3.000 devra contribuer deux fois plus que son partenaire aux charges du ménage.
      • Ainsi, la contribution à la dette intéresse les rapports que les partenaires entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.

Schéma 5.JPG

En résumé, lorsque le membre d’un couple pacsé est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son partenaire, il pourra toujours se retourner contre celui-ci, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du ménage.

Afin de résoudre une problématique relative au règlement d’une dette contractée par l’un des partenaires, il conviendra ainsi toujours de raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le partenaire de celui qui a contracté la dette ?
  • Second temps : la contribution à la dette
    • Le membre du couple pacsé qui a désintéressé le tiers, alors mêmes qu’il n’avait pas contractée la dette, dans quelle proportion peut-il se retourner contre son partenaire ?

Schéma 6.JPG

2. Transposition des règles du mariage au pacs

Aux termes de l’article 515-4, al. 2e du Code civil « les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante. Toutefois, cette solidarité n’a pas lieu pour les dépenses manifestement excessives. Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Cette disposition est une transposition de l’article 220 du Code civil applicable aux époux qui prévoit, sensiblement dans les mêmes termes, que :

« Chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.

 La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.

 Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Le dispositif édicté aux articles 515-4, al. 2e et 220 du Code civil constitue un point de convergence entre le pacs et le mariage.

Cette convergence s’explique par l’objectif poursuivi par ce dispositif, directement issu de la loi du 13 juillet 1965 : assurer l’indépendance des membres du couple dans la vie quotidienne

3. Le contenu du dispositif

Le dispositif institué par le législateur en 1965 à destination des couples mariés, s’articule autour de trois règles qui constituent autant d’étapes dont le franchissement détermine le passage à l’étape suivante.

==> Principe

  • Exposé du principe
    • Aux termes de l’article 515-4, al. 2e du Code civil « les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante.
    • La solidarité envisagée par l’article 515-4 du Code civil signifie que les tiers peuvent demander à n’importe quel partenaire de régler la totalité de la dette contractée, seul, par l’autre partenaire.
    • En d’autres termes, l’ensemble des biens des deux partenaires répond de la dette contractée par un seul et chacun des deux époux peut être poursuivi pour la totalité de la dette.
    • Ainsi, le tiers est-il titulaire d’une créance à l’encontre des deux membres du couple, en ce sens qu’il peut indifféremment les actionner en paiement.
    • Cette forme de solidarité, que l’on qualifie de passive, présente un réel intérêt pour le créancier dans la mesure où elle le prémunit contre une éventuelle insolvabilité de l’un de ses débiteurs.
    • Dans cette configuration, les partenaires sont garants l’un de l’autre.

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  • Condition d’application
    • L’article 515-4 du Code civil précise que la solidarité entre partenaires ne s’applique que pour les dettes contractées pour les besoins de la vie courante
    • Ainsi, le principe de solidarité est écarté s’agissant des dépenses non exposées pour les besoins de la vie courante.
    • La notion de « dette contractée pour les besoins de la vie courante» couvre les dépenses de fonctionnement du ménage et plus précisément toutes celles relatives au train de vie des partenaires.
    • Les dépenses de fonctionnement du ménage, s’opposent aux dépenses d’investissement qui, elles, ne donnent pas lieu à la solidarité entre partenaires.
    • Au nombre des dépenses ménagères on compte notamment :
      • Le loyer
      • Les charges locatives
      • Les frais d’habillement
      • L’énergie
      • L’eau
      • Les charges relatives au domicile familial
      • Les frais d’éducation et d’entretien des enfants
    • Sont comprises dans les dépenses exposées pour les besoins de la vie courante toutes celles strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
    • Ainsi, le législateur a-t-il adopté un critère finaliste
    • L’application du principe de solidarité entre partenaires s’apprécie au regard de la finalité de la dépense exposée

==> Exceptions

L’article 515-4, al. 2e du Code civil pose deux exceptions au principe de solidarité des dettes ménagères

  • Les dépenses manifestement excessives
    • L’article 515-4 prévoit que « la solidarité n’a pas lieu […] pour les dépenses manifestement excessives»
    • Toute la question est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « dépenses manifestement excessives»
    • Contrairement à l’article 220, l’article 515-4 ne pose aucun critère d’appréciation de cette notion
    • L’article 220, applicable aux couples mariés, précise, en effet, que le caractère manifestement excessif d’une dépense s’apprécie eu égard
      • au train de vie du ménage
      • à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération
      • à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant
    • La différence de rédaction des deux textes est somme toute étonnante.
    • Pourquoi n’avoir pas repris, à la lettre, les termes de l’article 220?
    • Sans doute est-ce là un oubli du législateur, sinon une approximation dans la rédaction de l’article 515-4.
    • En toute hypothèse, il est fort probable que lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère manifestement excessif d’une dépense exposée par un partenaire, le juge se référera aux critères posés à l’article 220 du Code civil.
  • Les achats à tempéraments
    • Il ressort de l’article 515-4, al. 2e du Code civil que la solidarité n’a pas lieu pour les achats à tempérament
    • L’achat à tempérament correspond à l’hypothèse de la vente à crédit
    • Plus précisément, le vendeur consent une facilité de paiement à l’acquéreur qui peut régler en plusieurs fois l’objet du contrat de vente.
    • Le paiement du prix est ainsi étalé sur une période déterminée, le transfert de propriété du bien s’opérant à l’issue de la durée du financement.
    • Compte tenu du caractère particulièrement dangereux d’une telle opération, il est apparu au législateur qu’elle était de nature à inciter les consommateurs à s’endetter outre mesure.
    • Aussi, a-t-il décidé d’exclure les achats à tempéraments du champ de la solidarité, quand bien même la dette aurait été contractée pour les besoins de la vie courante du couple
    • Initialement, cette exception ne figurait pas à l’article 515-4 du Code civil.
    • C’est le législateur qui, à l’occasion de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde, a entendu préciser l’article 515-4 afin qu’existe un parallélisme avec l’article 220 du Code civil applicable au couple marié.
    • Surtout, l’absence de cette précision revenait à conférer aux tiers, dans le cadre de leurs relations avec les membres d’un couple pacsé, une protection moindre que celle dont ils bénéficient lorsqu’ils contractent avec des époux.
  • Les emprunts
    • À l’instar des achats à tempérament, l’article 515-4 du Code civil exclut également du champ de la solidarité entre partenaires les emprunts.
    • Par emprunt il faut en réalité entendre les opérations de crédit.
    • L’article L. 311-1, 6° du Code de la consommation définit l’opération de crédit comme celle consistant en « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […] sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture».
    • Cette exception au principe de solidarité entre partenaires est également un ajout de la loi du 1er juillet 2010.
    • Le législateur a toujours fait montre d’une grande méfiance à l’égard des opérations de crédit, en particulier lorsqu’elles concernent les ménages.
    • Ainsi, peu importe que l’emprunt contracté par un partenaire ait pour objet le financement d’un besoin de la vie courante du couple : l’application du principe de solidarité est hypothèse, sauf à ce qu’il entre dans le champ de l’exception à l’exception

==> Exception à l’exception

L’article 515-4, 2e du Code civil dispose que la solidarité « n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant des achats à tempérament et des emprunts contractés par les partenaires, la solidarité peut être rétablie dans deux cas :

  • Première situation : le consentement des deux partenaires
    • L’achat à tempérament ou l’emprunt a été conclu avec le consentement des deux partenaires
    • En pareille hypothèse, la solidarité entre partenaires est rétablie
    • Toutefois, elle ne jouera que si la dépense est exposée pour les besoins de la vie courante
    • Il importe peu qu’un seul partenaire soit signataire du contrat, ce qui compte étant que l’autre ait consenti à l’accomplissement de l’acte.
  • Seconde situation : les emprunts modestes
    • Lorsque l’emprunt porte sur des sommes modestes, la solidarité est également rétablie.
    • Toutefois, l’article 515-4 précise que deux conditions cumulatives doivent être emplies
      • L’emprunt doit porter sur des sommes nécessaires à la vie courantes
      • Le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage
    • Il appartient donc aux établissements bancaires de se montrer extrêmement vigilants lorsqu’ils consentiront un emprunt à un couple de partenaires, s’ils souhaitent bénéficier de la solidarité.
    • Sauf à exiger la signature des deux, il leur faudra vérifier la solvabilité du couple et plus spécifiquement porter une attention particulière sur les crédits en cours.

La responsabilité du banquier du fait des retraits de fonds accomplis par le représentant légal d’un mineur (Cass. 1ère civ. 11 oct. 2017)

Par un arrêt du 11 octobre 2017, la Cour de cassation a précisé les contours de la responsabilité du banquier en cas de retraits de fonds accomplis sur le compte d’un mineur par son représentant légal.

  • Faits
    • La mère d’un mineur placée sous contrôle judiciaire a ouvert un compte de dépôt au nom de ce dernier auprès de la société Banque CIC Ouest, sur lequel elle a placé une somme de 20 000 euros provenant de la succession de son père
    • Sur ce montant, cette dernière a prélevé, à son profit, la somme de 14 151,04 euros, par divers retraits et virements bancaires effectués du 3 avril 2007 au 23 février 2011.
    • Entre-temps, le juge des tutelles des mineurs avait ouvert une tutelle aux biens le 11 janvier 2011
  • Demande
    • Le département de la Haute-Vienne, agissant en qualité de tuteur aux biens du mineur, a assigné en responsabilité et remboursement des sommes prélevées la banque, qui a appelé la mère du mineur
  • Procédure
    • Par un arrêt du 8 juillet 2015, la Cour de d’appel de Limoges a fait droit à la demande du tuteur en condamnant la banque au paiement de la somme de 4200 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le mineur.
    • Les juges du fond ont estimé que les prélèvements effectués par la mère sur le compte du mineur, sur la période du 27 janvier au 3 février 2011, par trois retraits et un virement à hauteur de 4 200 euros, auraient dû, par leur répétition, leur importance et la période resserrée d’une semaine sur laquelle ils ont eu lieu, attirer l’attention de la banque et entraîner une vigilance particulière de sa part, s’agissant d’un compte ouvert au nom d’un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire.
  • Solution
    • Par un arrêt du 11 octobre 2017, la première chambre civile casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Au soutien de sa décision, elle énonce que « l’administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire, a le pouvoir de faire seul les actes d’administration ; qu’il peut, à ce titre, procéder à la réception des capitaux échus au mineur et les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés ; que la banque n’est pas garante de l’emploi des capitaux»
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, la banque n’était pas responsable de l’utilisation des fonds déposés sur le compte du mineur par sa mère à des fins personnelles, dans la mesure où cette dernière était investie, au moment des retraits litigieux, d’un pouvoir d’administration sur les biens de son fils.
    • Or conformément à l’annexe 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, la perception de capitaux relève du périmètre de ce pouvoir d’administration.
    • En visant, par ailleurs, l’article 499 du Code civil, la Cour de cassation rappelle que les tiers « ne sont pas garants de l’emploi des capitaux du mineur».
    • Cette disposition précise que, éventuellement« si à l’occasion de cet emploi ils ont connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement l’intérêt de la personne protégée, ils en avisent le juge».
  • Analyse
    • La solution retenue par la Cour de cassation a été adoptée sous l’empire du droit ancien.
    • Antérieurement à l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, le Code civil distinguait le régime de l’administration légale pure et simple de l’administration légale sous contrôle judiciaire.
    • Tandis que dans le premier cas l’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents, dans le second l’autorité parentale est exercée par un seul parent en raison soit d’un décès, d’une séparation, d’une déchéance ou encore d’une adoption.
    • En l’espèce, le mineur faisait l’objet d’une administration légale sous contrôle judiciaire.
    • Est-ce à dire que sa mère disposait de moins de prérogatives que si elle était investie d’un pouvoir d’administration légale pure et simple ?
    • La Cour de cassation répond par négative à cette question, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement de l’acte qui consiste à percevoir les capitaux échus du mineur.
    • Et pour cause, l’ancien article 389-6, al. 2e du Code civil prévoyait que dans le cadre de l’administration sous contrôle judiciaire, l’administrateur peut accomplir seul tous les actes qu’un tuteur peut effectuer sans se pourvoir d’une autorisation du Juge des tutelles, soit d’une part, les actes conservatoires et, d’autre part, les actes d’administration.
    • Dans le litige soumis à l’appréciation de la haute juridiction, l’acte litigieux appartenait à la seconde catégorie d’actes ; d’où la précision apportée par la haute juridiction sur le fait qu’il était indifférent que l’administrateur soit placé sous contrôle judiciaire, dès lors que l’opération contestée consistait en un acte d’administration.
    • La banque ne pouvait, en conséquence, être tenue pour responsable de l’exercice d’un pouvoir dont était valablement investie la mère.
    • Tout au plus, lorsqu’un représentant légal envisage d’accomplir des actes d’administration sur le compte du mineur, le banquier doit vérifier qu’il est autorisé à exercer les pouvoirs dont il se prétend investi.
    • La réforme de l’administration légale introduite par l’ordonnance du 15 octobre 2015 n’a ni renforcé, ni diminué les obligations du banquier en la matière, de sorte qu’il n’est toujours pas responsable des actes accomplis par l’administrateur légal qui agit dans la limite de ses pouvoirs.
    • En conséquence, il n’est guère douteux que la solution adoptée par la Cour de cassation en l’espèce sera reconduite dans la jurisprudence à venir.

Cass. 1ère civ. 11 oct. 2017
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Vu les articles 389-6 et 389-7 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, ensemble l'article 499 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que l'administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire, a le pouvoir de faire seul les actes d'administration ; qu'il peut, à ce titre, procéder à la réception des capitaux échus au mineur et les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés ; que la banque n'est pas garante de l'emploi des capitaux ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., administratrice légale sous contrôle judiciaire de son fils mineur Marius Y..., a ouvert un compte de dépôt au nom de ce dernier auprès de la société Banque CIC Ouest (la banque), sur lequel elle a placé une somme de 20 000 euros provenant de la succession de son père ; que, sur ce montant, elle a prélevé, à son profit, la somme de 14 151,04 euros, par divers retraits et virements bancaires effectués du 3 avril 2007 au 23 février 2011 ; que, le juge des tutelles des mineurs ayant ouvert une tutelle aux biens le 11 janvier 2011, le département de la Haute-Vienne, agissant en qualité de tuteur aux biens du mineur, a assigné en responsabilité et remboursement des sommes prélevées la banque, qui a appelé en garantie Mme X... ;

Attendu que, pour condamner la banque au paiement de la somme de 4 200 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le mineur, l'arrêt retient que les prélèvements effectués par la mère sur le compte de celui-ci, sur la période du 27 janvier au 3 février 2011, par trois retraits et un virement à hauteur de 4 200 euros, auraient dû, par leur répétition, leur importance et la période resserrée d'une semaine sur laquelle ils ont eu lieu, attirer l'attention de la banque et entraîner une vigilance particulière de sa part, s'agissant d'un compte ouvert au nom d'un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen du pourvoi principal et sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juillet 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

TEXTES

Code civil

Article 389-6 (abrogé)

Dans l’administration légale sous contrôle judiciaire, l’administrateur doit se pourvoir d’une autorisation du juge des tutelles pour accomplir les actes qu’un tuteur ne pourrait faire qu’avec une autorisation.

Il peut faire seul les autres actes.

Article 389-7 (abrogé)

Les règles de la tutelle sont, pour le surplus, applicables à l’administration légale, avec les modalités résultant de ce que celle-ci ne comporte ni conseil de famille ni subrogé tuteur, et sans préjudicier, d’autre part, aux droits que les père et mère tiennent du titre “De l’autorité parentale”, notamment quant à l’éducation de l’enfant et à l’usufruit de ses biens.

Article 499

Les tiers peuvent informer le juge des actes ou omissions du tuteur qui leur paraissent de nature à porter préjudice aux intérêts de la personne protégée.

Ils ne sont pas garants de l’emploi des capitaux. Toutefois, si à l’occasion de cet emploi ils ont connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement l’intérêt de la personne protégée, ils en avisent le juge.

La tierce opposition contre les autorisations du conseil de famille ou du juge ne peut être exercée que par les créanciers de la personne protégée et en cas de fraude à leurs droits.

 

Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil

ANNEXE 1

LISTE DES ACTES REGARDÉS COMME ACTES D'ADMINISTRATION
OU COMME ACTES DE DISPOSITION
COLONNE 1 : ACTES D'ADMINISTRATIONCOLONNE 2 : ACTES DE DISPOSITION
I. ― Actes portant sur les immeubles :
― convention de jouissance précaire (art. 426, al. 2, du code civil) ;
― conclusion et renouvellement d'un bail de neuf ans au plus en tant que bailleur (art. 595 et 1718 du code civil) ou preneur ;
― bornage amiable de la propriété de la personne protégée ;
― travaux d'améliorations utiles, aménagements, réparations d'entretien des immeubles de la personne protégée ;
― résiliation du bail d'habitation en tant que bailleur ;
― prêt à usage et autre convention de jouissance ou d'occupation précaire ;
― déclaration d'insaisissabilité des immeubles non professionnels de l'entrepreneur individuel (art. 1526-1 du code de commerce) ;
― mainlevée d'une inscription d'hypothèque en contrepartie d'un paiement.
I. ― Actes portant sur les immeubles :
― disposition des droits relatifs au logement de la personne protégée, par aliénation, résiliation ou conclusion d'un bail (art. 426, al. 3, du code civil) ;
― vente ou apport en société d'un immeuble (art. 505, al. 3, du code civil) ;
― achat par le tuteur des biens de la personne protégée, ou prise à bail ou à ferme de ces biens par le tuteur (art. 508, al. 1, du code civil) ;
― échange (art. 1707 du code civil) ;
― acquisition d'immeuble en emploi ou remploi de sommes d'argent judiciairement prescrit (art. 501 du code civil) ;
― acceptation par le vendeur d'une promesse d'acquisition (art. 1589 du code civil) ;
― acceptation par l'acquéreur d'une promesse de vente (art. 1589 du code civil) ;
― dation ;
― tout acte grave, notamment la conclusion et le renouvellement du bail, relatif aux baux ruraux, commerciaux, industriels, artisanaux, professionnels et mixtes, grosses réparations sur l'immeuble ;
― constitution de droits réels principaux (usufruit, usage, servitude...) et de droits réels accessoires (hypothèques...) et autres sûretés réelles ;
― consentement à une hypothèque (art. 2413 du code civil) ;
― mainlevée d'une inscription d'hypothèque sans contrepartie d'un paiement.
II. ― Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d'argent :
― ouverture d'un premier compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (art. 427, al. 4, du code civil) ;
― emploi et remploi de sommes d'argent qui ne sont ni des capitaux ni des excédents de revenus (art. 468 et 501 du code civil) ;
― emploi et remploi des sommes d'argent non judiciairement prescrits par le juge des tutelles ou le conseil de famille (art. 501 du code civil) ;
― perception des revenus ;
― réception des capitaux ;
― quittance d'un paiement ;
― demande de délivrance d'une carte bancaire de retrait.
II. ― Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d'argent :
― modification de tout compte ou livrets ouverts au nom de la personne protégée (art. 427, al. 1 et 2, du code civil) ;
― ouverture de tout nouveau compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (art. 427, al. 1 et 2, du code civil) ;
― ouverture de tout compte, y compris d'un compte de gestion du patrimoine, auprès de la Caisse des dépôts et consignations (art. 427, al. 3, et art. 501, al. 4, du code civil) ;
― lorsque la personne protégée a fait l'objet d'une interdiction d'émettre des chèques, fonctionnement de ses comptes sous la signature de la personne chargée de la mesure de protection et disposition par celle-ci de tous les moyens de paiement habituels (art. 427, al. 7, du code civil) ;
― emploi et remploi des capitaux et des excédents de revenus (art. 468 et 501 du code civil) ;
― à compter du 1er février 2009 : contrat de fiducie par une personne sous curatelle (art. 468, al. 2, du code civil) ;
― clôture d'un compte bancaire ;
― ouverture d'un compte de gestion de patrimoine ;
― demande de délivrance d'une carte bancaire de crédit.
2° Instruments financiers :
― résiliation d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (art. 500, al. 3, du code civil).
2° Instruments financiers (au sens de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier) :
― conclusion d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (art. 500, al. 3, du code civil) ;
― vente ou apport en société d'instruments financiers non admis à la négociation sur un marché réglementé (art. 505, al. 3, du code civil) ;
― vente d'instruments financiers (art. 505, al. 4, du code civil).
3° Autres meubles, corporels et incorporels :
― louage-prêt-emprunt-vente-échange-dation et acquisition de meubles d'usage courant ou de faible valeur ;
― perception des fruits ;
― location d'un coffre-fort.
3° Autres meubles, corporels et incorporels :
― aliénation des meubles meublant du logement ou résiliation ou conclusion d'un bail sur ces meubles (art. 426, al. 3, du code civil) ;
― vente ou apport d'un fonds de commerce en société (art. 505, al. 3, du code civil) ;
― louage-prêt-vente-échange-dation de meubles de valeur ou qui constituent, au regard de l'inventaire, une part importante du patrimoine du mineur ou du majeur protégé ;
― vente-échange-dation d'un fonds de commerce ;
― conclusion d'un contrat de location gérance sur un fonds de commerce.
III. ― Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :III. ― Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :
― candidature aux fonctions de gérant et d'administrateur ;
― copropriété des immeubles bâtis : actes visés aux art. 25 à 28-1, 30, 35 et 38 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.
IV. ― Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale :
― en cas d'indivision légale : vente d'un bien indivis pour payer les dettes de l'indivision (art. 815-3 [3°] du code civil).
IV. ― Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale :
― communauté conjugale : actes qu'un époux ne peut pas faire seul ;
― indivision conventionnelle : actes que le gérant ou l'un des coindivisaires ne peut pas faire seul ;
― en cas de démembrement du droit de propriété : vente-échange-dation du droit démembré, actes auxquels les titulaires des droits démembrés doivent consentir conjointement, grosses réparations non urgentes.
V. ― Actes à titre gratuit :
― inventaire (art. 503 du code civil) ;
― acceptation d'une succession à concurrence de l'actif net (art. 507-1 du code civil) ;
― acceptation d'un legs universel ou à titre universel à concurrence de l'actif net (art. 507-1 et 724-1 du code civil) ;
― acte de notoriété (art. 730-1 du code civil) ;
― action interrogatoire à l'encontre des héritiers taisants (art. 771, al. 2, du code civil) ;
― mandat aux fins de partage (art. 837 du code civil) ;
― acceptation de legs à titre particulier et de donation non grevés de charge ;
― délivrance de legs ;
― déclaration de succession ;
― attestation de propriété.
V. - Actes à titre gratuit :
― donation consentie par une personne protégée majeure (art. 470, al. 2 et 476, al. 1er du code civil) ;
― partage amiable (art. 507 du code civil) ;
― acceptation pure et simple d'une succession (art. 507-1, al. 1er, du code civil) ;
― révocation d'une renonciation à une succession ou à un legs universel ou à titre universel (art. 507-2 du code civil) ;
― acceptation pure et simple d'un legs universel ou à titre universel (art. 724-1 du code civil) ;
― révocation d'une renonciation à un legs (art. 724-1 du code civil) ;
― choix par le donataire de rapporter en nature le bien donné (art. 859 du code civil) ;
― renonciation à une succession (art. 507-1, al. 2, du code civil) ;
― renonciation à un legs (art. 724-1 du code civil) ;
― renonciation à une action en réduction des libéralités excessives après le décès du prémourant (art. 920 du code civil) ;
― acceptation de legs à titre particulier et de donations grevés de charges ;
― renonciation à un legs universel grevé de charges ;
― révocation d'une donation entre époux (art. 953 du code civil) ;
― consentement à exécution d'une donation entre époux.
VI. ― Actions en justice :
― toute action en justice relative à un droit patrimonial de la personne sous tutelle (art. 504, al. 2, du code civil) ;
― tout acte de procédure qui n'emporte pas perte du droit d'action.
VI. ― Actions en justice :
― toute action en justice relative à un droit extrapatrimonial de la personne sous tutelle (art. 475, al. 2, du code civil) ;
― toute action en justice relative à un droit patrimonial ou extrapatrimonial de la personne en curatelle (art. 468, al. 3, du code civil) ;
― action par la personne chargée de la protection en nullité, rescision ou réduction, selon le cas, des actes accomplis par la personne protégée (art. 465, al. 6, du code civil) ;
― tout acte de procédure qui n'emporte pas perte du droit d'action.
VII. ― Assurances :
― conclusion ou renouvellement d'un contrat d'assurance de biens ou de responsabilité civile.
VII. ― Assurances :
― demande d'avance sur contrat d'assurance (art. L. 132-21 du code des assurances).
VIII. ― Actes de poursuite et d'exécution :
― mesures conservatoires (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991) ;
― procédures d'exécution mobilière (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991).
VIII. ― Actes de poursuite et d'exécution :
― saisie immobilière (art. 2206, al. 1, du code civil et 13 du décret n° 2006-236 du 27 juillet 2006).
IX. ― Actes divers :
― indivision légale : actes visés par l'article 815-3 (1° et 2°) du code civil (acte d'administration des biens indivis et mandat général d'administration) ;
― tout acte relatif à l'animal domestique de la personne protégée.
IX. ― Actes divers :
― transaction et compromis et clause compromissoire au nom de la personne protégée (art. 506 du code civil) ;
― changement ou modification du régime matrimonial (art. 1397 du code civil) ;
― souscription ou rachat d'un contrat d'assurance-vie et désignation ou substitution du bénéficiaire (art. L. 132-4-1 du code des assurances et art. L. 223-7-1 du code de la mutualité) ;
― révocation du bénéfice non accepté d'un contrat d'assurance-vie (art. L. 132-9 du code des assurances et art. L. 223-11 du code de la mutualité) ;
― confirmation de l'acte nul pour insanité d'esprit (art. 414-2 du code civil) ;
― confirmation d'un acte nul pour avoir été accompli par le tuteur ou le curateur seul (art. 465, al. 8, du code civil) ;
― convention d'honoraires proportionnels en toute ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires.

La représentation: droit commun

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a édicté aux articles 1153 à 1161 du Code civil un droit commun de la représentation.

Jusqu’alors, le mécanisme de la représentation était abordé de façon éparse dans le Code civil. Si, la réforme des obligations remédie indubitablement à cette carence pointée par les auteurs, il n’est pas certain que le dispositif ainsi institué résolve toutes les difficultés que soulève la représentation.

I) Notion de représentation

La représentation n’est pas définie dans le Code civil. Est-ce un oubli du législateur ? Certainement.

Par chance, sa définition s’infère de son régime juridique.

Par représentant, il faut entendre celui qui agit au nom et pour le compte d’une personne, le représentant.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette définition :

  • Premier élément
    • Il ne peut être recouru au mécanisme de la représentation que pour l’accomplissement d’actes juridiques.
    • La représentation ne pourra jamais jouer pour la réalisation de faits juridiques.
  • Second élément
    • La représentation a pour effet de lier juridiquement le représenté à l’acte effectué par le représentant comme s’il l’avait personnellement accompli.
    • La représentation est ainsi une fiction juridique, ce qui justifie qu’elle soit strictement encadrée.

II) La source de la représentation

La représentation doit être regardée comme une situation exceptionnelle.

Le principe c’est que chacun s’engage pour lui-même. On ne saurait agir au nom et pour le compte d’autrui par l’effet de sa propre volonté

C’est la raison pour laquelle, la représentation ne se présume pas, à tout le moins les hypothèses où elle se présume sont rares et strictement encadrées.

Aussi, pour qu’une personne puisse représenter quelqu’un, encore faut-il qu’elle en ait le pouvoir.

Or on ne peut se prévaloir du pouvoir de représentation qu’à la condition d’en avoir été investi soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention

La représentation peut, de sorte, avoir trois origines différentes :

?La représentation légale

  • Les mineurs
    • Les mineurs sont frappés de ce que l’on appelle une incapacité d’exercice générale
    • Cela signifie que, s’ils peuvent être titulaires de droits et d’obligations, ils ne disposent pas, en revanche, de la faculté de les exercer.
    • Pour accomplir des actes juridiques il est donc nécessaire que le mineur soit représenté
    • Ce représentant, désigné par la loi, agira dès lors au nom et pour le compte du mineur jusqu’à sa majorité, événement à compter duquel il jouira de sa pleine de capacité, soit tant de jouissance que d’exercice.
    • La représentation du mineur est assurée
      • Soit par ses parents
      • Soit par un tuteur
  • Les personnes morales
    • À l’instar des mineurs, les personnes morales sont frappées d’une incapacité d’exercice générale.
    • Cette incapacité est permanente dans la mesure où par, par nature, une personne morale est un être fictif de sorte qu’elle ne sera jamais en mesure d’exprimer sa volonté.
    • C’est la raison pour laquelle, les personnes morales ne peuvent accomplir des actes juridiques que par l’entremise d’un représentant
    • La représentation des personnes morales est assurée par les dirigeants sociaux, lesquels ne doivent pas être confondus avec les associés.
      • Les dirigeants sociaux sont investis du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la personne morale
      • Les associés sont quant à eux investis du pouvoir, non pas de représenter la personne morale, mais d’exprimer directement sa volonté au moyen de leur droit vote
    • Ainsi, tandis que les associés expriment en assemblée la volonté de la personne morale, les dirigeants sociaux représentent cette volonté qui a été exprimée par les associés.
    • Selon la forme de la société, le représentant de la société pour être notamment :
      • Un gérant
      • Un président
      • Un directeur général
      • Un directeur général délégué
      • Un mandataire

?La représentation judiciaire

Elle correspond à l’hypothèse où le pouvoir de représentation est conféré à une personne par le juge.

Cette situation peut intervenir dans plusieurs cas :

  • Représentation d’une personne incapable
    • Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale ou spéciale, l’expression de sa volonté ne peut s’opérer que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, concomitamment à l’institution d’une mesure juridique de protection, le juge désignera, selon la mesure choisie (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), un représentant chargé d’agir au nom et pour le compte de la personne protégée.
  • La représentation de l’époux hors d’état de manifester sa volonté
    • Aux termes de l’article 219 du Code civil « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Cette disposition vise l’hypothèse où un époux qui, sans être frappé d’incapacité, est inapte à exprimer sa volonté.
    • C’est donc son conjoint qui est investi par le juge d’accomplir un certain nombre d’actes déterminés par ce dernier.
  • La représentation d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté
    • L’article 815-4 du Code civil prévoit que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • La règle est ici la même que celle énoncée à l’article 219 appliquée aux indivisaires.
    • Elle permet ainsi aux coindivisaires de prendre les mesures nécessaires à l’administration du bien indivis.
  • La représentation d’une personne présumée absente
    • Aux termes de l’article 113 du Code civil « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens ; la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille, et en outre sous les modifications qui suivent. »

?La représentation conventionnelle

Le pouvoir de représentation dont est investi un représentant peut lui avoir été conféré au titre d’un contrat

Le pouvoir de représentation sera ainsi le produit d’un accord de volontés

Cette hypothèse correspond à la conclusion d’un contrat de mandat.

L’article 1984 du Code civil prévoit en ce sens que « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. »

Ainsi, tous les actes conclus par le mandataire sont réputés avoir été accomplis par le mandant en la personne de qui ils produisent directement leurs effets

Il existe cependant des mandats sans représentation.

Il en va ainsi du contrat conclu avec un intermédiaire, tel un agent d’affaires

L’intermédiaire se distingue du mandant classique, en ce qu’il agira certes pour le compte d’autrui, mais en son nom propre.

Il en résulte qu’il ne disposera pas du pouvoir d’accomplir des actes au nom de son client et donc de le représenter.

La représentation suppose la réunion de deux éléments cumulatifs :

  • L’accomplissement d’actes pour le compte d’autrui
  • L’accomplissement d’actes au nom d’autrui

Lorsque l’agent d’affaires (courtier, agent immobilier) est mandaté, il agit pour le compte de son client mais pas en son nom, sauf à être investi d’un pouvoir spécial de représentation.

III) L’étendue de la représentation

Aux termes de l’article 1153 du code civil « le représentant légal, judiciaire ou conventionnel n’est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés »

Cela signifie que, quelle que soit la source du pouvoir dont il est investi, le représentant ne pourra jamais engager le représentant au-delà de la limite de ses pouvoirs.

Pour déterminer l’étendue du pouvoir du représenter l’article 1155 du Code civil invite à distinguer deux situations :

  • Le pouvoir du représentant est défini en termes généraux
    • Dans cette hypothèse le pouvoir de représentation ne couvre que les actes conservatoires et d’administration.
    • En somme, le représentant ne disposera pas du pouvoir d’accomplir des actes de disposition au nom et pour le compte du représenté.
  • Le pouvoir du représentant est spécialement déterminé
    • Dans cette hypothèse, le représentant ne pourra accomplir que les actes pour lesquels il est habilité et ceux qui en sont l’accessoire.
    • Le représenté ne sera, en conséquence, engagé que pour les actes accomplis par le représentant en vertu de pouvoirs spéciaux qui lui ont été conférés

IV) Les effets de la représentation

Il ressort de l’article 1154 du Code civil que les effets attachés à la représentation varient, d’une part, selon que la représentation est parfaite ou imparfaite et, d’autre part, selon la source de la représentation

?Les effets tenant à la nature de la représentation

  • La représentation parfaite
    • La représentation parfaite correspond à l’hypothèse où le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté (art. 1154, al. 1er C. civ.)
    • La conséquence en est que le représenté est seul tenu à l’engagement ainsi contracté.
    • Autrement dit, il est réputé avoir accompli personnellement l’acte conclu par le représentant.
    • Celui qui est considéré comme partie au contrat c’est donc le représenté
    • En cas d’inexécution contractuelle, c’est donc la responsabilité de ce dernier qui sera recherché et non celle du représentant qui n’est pas tenu au contrat puisque considéré comme un tiers.
  • La représentation imparfaite
    • La représentation imparfaite correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom (art. 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • La question qui alors est de savoir dans quelle mesure l’acte accompli par le représentant produit des effets à l’égard du représenté ?
    • L’opération se déroule en deux temps :
      • Premier temps
        • Le représentant agit pour le compte du représenté mais en son nom personnel
        • Techniquement, seul le représentant est donc partie à l’acte ainsi conclu
        • Le représenté n’a, a priori, pas vocation à l’être car l’opération se joue en deux temps
      • Second temps
        • Les effets du contrat conclu ne vont être répercutés sur le représenté par l’entremise du représentant en ce que celui-ci va, dans un second temps, lui céder le produit de l’opération
        • Cette cession s’opérera le plus souvent moyennant le paiement d’une commission.
        • Dans cette hypothèse on parle alors moins de représentant que de commissionnaire, lequel agit en vertu d’un contrat de commission

?Les effets tenant à la source de la représentation

Les effets que l’article 1159 attache à la représentation varient selon que la représentation est d’origine légale ou judiciaire ou selon qu’elle est conventionnelle.

  • La représentation légale et judiciaire
    • Dans cette hypothèse, l’article 1159 prévoit que le représenté est dessaisit pendant toute la durée de la représentation des pouvoirs transférés au représentant
    • Cela signifie que pour tous les droits pour lesquels le représenté est frappé d’une incapacité, il ne peut y avoir d’exercice concurrent.
    • Seul le représentant est habilité à accomplir les actes qui relèvent de son pouvoir de représentation.
    • Lorsqu’une représentation légale ou judiciaire est instituée, il y a donc un véritable transfert de pouvoir qui s’opère à la faveur du représentant.
    • Le représenté est dépouillé de sa faculté à exercer les droits dont il demeure toutefois titulaire.
  • La représentation conventionnelle
    • L’article 1159, al. 2 du Code civil prévoit que « la représentation conventionnelle laisse au représenté l’exercice de ses droits »
    • À la différence de la représentation légale ou judiciaire, la représentation conventionnelle ne fait pas obstacle à un exercice concurrent des droits dont est titulaire le représenté.
    • Ce sera notamment le cas lorsque le représentant sera investi d’un mandat non-exclusif.
    • Rien n’empêche toutefois qu’il soit convenu avec le représenté que le mandat soit exclusif.
    • Dans cette hypothèse, le mandat s’interdit d’exercer les droits qui relèvent du pouvoir du mandataire.

V) Les obstacles à la représentation

Les obstacles à la représentation sont au nombre de deux.

?Premier obstacle : la survenance d’une incapacité du représentant

Aux termes de l’article 1160 du Code civil « les pouvoirs du représentant cessent s’il est atteint d’une incapacité ou frappé d’une interdiction ».

Cette disposition n’appelle pas de remarque particulière sinon que l’on peut s’interroger sur la question de savoir s’il est nécessaire de jouir, ab initio, d’une pleine capacité juridique pour représenter une personne.

Le texte est silencieux sur ce point, de sorte qu’il appartiendra à la jurisprudence de se prononcer.

On peut toutefois relever qu’il n’y, a priori, aucune incompatibilité à ce que, dans le cadre d’une représentation parfaite, le représentant soit frappé d’une incapacité puisque, dans cette hypothèse, il sera un tiers au contrat.

Par conséquent, la validité de l’acte exige la seule capacité du représenté.

D’un autre côté, on peut opposer à cet argument qu’il est intellectuellement difficilement envisageable que celui désigné pour représenter une personne privée de sa capacité soit lui-même frappé d’une incapacité de même nature.

Pourquoi le représentant serait-il plus en capacité un acte pour autrui que pour lui-même ?

Cela n’a pas vraiment de sens, de sorte qu’il n’est pas à exclure que la jurisprudence exige, à l’avenir, que le représentant soit doté, ab initio, de sa pleine capacité juridique.

?Second obstacle : l’existence d’un conflit d’intérêts

  • Principe
    • L’article 1161 du Code civil prévoit que « un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté. »
    • Le principe posé par cette disposition fait indéniablement partie des grandes nouveautés de l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Pour la première fois, l’interdiction du conflit d’intérêts est instituée en principe général.
    • Certains textes avaient déjà posé cette interdiction, telle que notamment le décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.
    • La commission Sauvé avait, dans cette perspective, effectué une tentative de définition du conflit d’intérêts dans le domaine public
    • Il y était défini comme le « conflit entre la mission publique et les intérêts privés d’un agent public, dans lequel l’agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s’acquitte de ses obligations et de ses responsabilités »
    • La prohibition du conflit d’intérêts procède de l’idée que lorsqu’une même personne est chargée de représenter ou défendre des intérêts objectivement contradictoires, l’indépendance et l’impartialité que requiert sa mission s’en trouve atteinte
    • Il en résulte alors un préjudice potentiel pour le représenté dont les intérêts ne seront pas aussi bien portés que si son représentant n’avait pas été en situation de conflits d’intérêts.
    • Aussi, afin d’éviter cette situation, le législateur préfère-t-il poser un principe d’interdiction générale du conflit d’intérêts.
    • C’est ce qu’il a fait à l’article 1160 du Code civil.
  • Conditions
    • La caractérisation d’un conflit d’intérêts suppose d’établir :
      • Soit que le représentant a agi pour le compte des deux parties au contrat
      • Soit que le représentant a contracté pour son propre compte avec le représenté
  • Sanction
    • En cas d’établissement d’un conflit d’intérêts, la sanction encourue est la nullité de l’acte
    • La nullité est-elle relative ou absolue ? Le texte ne le dit pas.
    • Dans la mesure toutefois où l’interdiction du conflit d’intérêts vise à protéger un contractant en particulier, on est légitimement en droit de penser qu’il s’agit d’une nullité relative.
    • Elle ne pourra donc être invoquée que pour le contractant qui subit le conflit d’intérêts.
  • Tempérament
    • L’article 1161, al.2 du Code civil assortit l’interdiction du conflit d’intérêts de deux tempéraments
      • La permission de la loi
      • La ratification de l’acte par le représenté

VI) La sanction du dépassement et du détournement de pouvoir

Quid de la sanction dans l’hypothèse où le représentant a agi en dépassement de son pouvoir, voire en le détournant ?

Les articles 1156 et 1157 du Code civil invitent à distinguer le défaut ou dépassement de pouvoir de son détournement.

A) La sanction du défaut ou dépassement de pouvoir

?Exposé des sanctions

En cas de défaut ou de dépassement de pouvoir, l’article 1156 du Code civil envisage deux sanctions :

  • L’inopposabilité de l’acte
    • Principe
      • Aux termes de l’article 1156, al. 1er « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté »
      • Par inopposable, il faut entendre que, tout en conservant sa validité, l’acte ne produira aucun effet à l’égard du représentant
      • Cela signifie donc, concrètement, qu’il ne pourra pas être considéré comme partie à l’acte.
      • En cas d’inexécution du contrat, la responsabilité du représenté ne pourra donc pas être recherchée.
      • Seul le représentant qui a agi en dépassement de son pouvoir de représentation sera donc tenu à l’acte.
      • Il endossera donc seul la qualité de débiteur ou créancier.
    • Exception
      • L’article 1156 pose une exception au principe d’inopposabilité de l’acte en cas de défaut ou de dépassement apparent : le mandat apparent
      • L’alinéa 1 in fine de cette disposition prévoit, en effet, que si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
      • Aussi, dans cette hypothèse l’acte accompli par le représentant, en dépassement de ses pouvoirs, demeura opposable au représenté.
      • Le tiers contractant sera alors fondé à exiger de ce dernier qu’il exécute la prestation convenue.
      • Le législateur a repris ici la solution dégagée par la Cour de cassation dans son célèbre arrêt d’assemblée plénière rendu en date du 13 décembre 1962 (Cass. ass. plén., 13 déc. 1962, n°57-11.569)
      • Dans cette décision, la haute juridiction avait affirmé que « le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs »
      • Pour établir l’existence d’un mandat apparent, l’article 1156 ne semble pas exiger, à l’instar de la Cour de cassation, que le représenté ait concouru, de manière fautive, à la croyance légitime du tiers.
      • Le mandat apparent suppose seulement qu’existent des circonstances qui aient conduit le tiers contractant à se forger une croyance légitime.

Cass. ass. plén., 13 déc. 1962

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’il résulte des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué que C… président-directeur général de la Banque Canadienne société anonyme, a, sous sa seule signature, souscrit au nom de cette banque, envers l’Administration des Domaines, un cautionnement solidaire d’une société de récupération d’épaves, pour une somme de 700000 francs en mai 1953 ; que ladite administration ayant demandé l’exécution de cette obligation, la banque a soutenu que celle-ci ne lui était pas opposable, en déclarant que ses statuts exigeaient en ce cas la signature de deux mandataires sociaux habilités ;

Attendu que, pour condamner la banque, l’arrêt attaqué énonce qu’en l’espèce, l’Administration a pu légitimement penser qu’elle traitait avec un mandataire agissant dans les limites de ses pouvoirs normaux, et retient que la banque était en conséquence tenue à raison d’un mandat apparent ;

Attendu que, selon le moyen, le mandat apparent suppose une faute imputable au prétendu mandant et se trouvant à la base de l’erreur du tiers ; qu’il prétend que non seulement l’arrêt attaqué ne caractérise pas une telle faute, mais encore que, la nature même de l’engagement impliquant un pouvoir spécial que l’Administration aurait dû exiger, c’est elle qui s’est montrée imprudente en l’occurrence ;

Mais attendu, d’une part, que le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ;

Attendu, d’autre part, que le contrôle de l’imprudence alléguée à cet égard en l’espèce à l’encontre de l’Administration des Domaines nécessiterait une recherche d’éléments de fait à laquelle la Cour de Cassation ne peut procéder ;

D’où il suit qu’en aucune de ses branches, le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 6 mai 1957 par la Cour d’appel de Poitiers.

  • La nullité de l’acte
    • L’article 1156, al. 2e prévoit que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • Cela signifie donc que le tiers contractant dispose d’un choix
      • Soit il opte pour l’inopposabilité de l’acte, car il souhaite que le contrat conclu reçoive une exécution
      • Soit il opte pour la nullité de l’acte, car préfère son anéantissement
    • Cette option est laissée à la seule discrétion du tiers contractant, lequel a seul qualité à agir en nullité
    • Le législateur a ainsi entendu mettre fin à la solution dégagée par la Cour de cassation sur cette question.
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, elle avait en effet estimé que « la nullité d’un contrat en raison de l’absence de pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée » (Cass. 1ère civ. 2 nov. 2005, n°02-14.614).
    • L’article 1156 du Code civil prévoit l’exact contraire.

Cass. 1ère civ. 2 nov. 2005

Vu l’article 1984 du Code civil ;

Attendu que la nullité d’un contrat en raison de l’absence de pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée ;

Attendu que se prévalant d’un contrat collectif de prévoyance souscrit par la société La and company auprès de la Fédération nationale de la mutualité française (la FNMF), M. X…, en sa qualité de bénéficiaire des garanties prévues par le contrat, a assigné la FNMF en paiement des indemnités journalières prévues pour le cas de maladie ; que celle-ci a fait valoir que le contrat d’assurance était nul pour avoir été conclu par M. X…, qui n’avait pas le pouvoir d’engager la société La and company dont il était alors salarié ;

Attendu que l’arrêt attaqué a accueilli cette exception et déclaré “le contrat de nul effet dans les rapports entre la Fédération nationale de la mutualité française et M. X…” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 février 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

?La neutralisation des sanctions : la ratification de l’acte

En cas de ratification de l’acte par le représenté, l’article 1156, al. 3 prévoit que, tant l’inopposabilité que la nullité ne peuvent être invoquées.

Ainsi, la ratification vient-elle couvrir l’irrégularité dont l’acte est entaché.

Reste néanmoins à déterminer ce que l’on doit entendre par ratification

La ratification peut-elle s’apparenter à un commencement d’exécution de l’acte ou doit-elle être formalisée ?

Le législateur ne le dit pas.

C’est donc à la jurisprudence qu’il appartient de préciser le régime juridique de la ratification.

B) La sanction du détournement de pouvoir

Aux termes de l’article 1157 du Code civil, « lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer. »

Le détournement de pouvoir correspond à l’hypothèse très précise où le représentant a agi dans la limite de ses pouvoirs, mais dans son intérêt personnel alors qu’il est censé agir dans les intérêts du représenté.

L’article 1157 en tire la conséquence logique que, dans la mesure où le représentant, a détourné les pouvoirs qui lui ont été confiés, le représenté est tout naturellement fondé à réclamer la nullité de l’acte.

À la différence du dépassement de pouvoir, le représenté a, dans cette situation, qualité à agir en nullité de l’acte.

Deux conditions cumulatives doivent toutefois être réunies :

  • Première condition
    • Le représenté doit établir, en cas de détournement de pouvoir, que l’acte a été accompli à son détriment
    • Quid lorsque l’acte aura été accompli dans l’intérêt exclusif du représentant ?
    • L’acte sera-t-il présumé avoir été nécessairement accompli au détriment du représenté.
    • Plus délicate encore sera l’appréhension de l’hypothèse où l’acte aura été accompli au détriment seulement partiel du représenté.
  • Seconde condition
    • L’exercice par le représenté de l’action en nullité de l’acte accompli à son détriment est subordonné à la connaissance par le tiers, à tout le moins à son absence d’ignorance, du détournement de pouvoir.
    • Afin de ne pas s’exposer à une action en nullité, l’article 1158 du Code civil ouvre au tiers contractant une action interrogatoire.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que :
      • En premier lieu, le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.
      • En second lieu, l’écrit doit mentionner que, à défaut de réponse dans le délai imparti, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte.

Les acteurs de la lutte contre les clauses abusives: juge, associations de consommateurs, commission des clauses abusives, pouvoir réglementaire

Quatre acteurs majeurs participent à la lutte contre les clauses abusives :

  • Le pouvoir réglementaire
  • Le juge
  • La commission des clauses abusives
  • Les associations de consommateur
  • La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

I) Le pouvoir réglementaire

Lors de son adoption, la loi du 10 janvier 1978 conférait au pouvoir réglementaire une compétence exclusive pour déterminer les clauses abusives.

Seul un décret du Conseil d’État pris après avis de la commission des clauses abusives pouvait limiter ou interdire ces clauses.

Plusieurs explications peuvent être apportées à cette exclusion du juge du processus de détermination des clauses abusives :

  • D’abord, il y a toujours eu une méfiance du législateur à l’égard du juge s’agissant de son immixtion dans le jeu contractuel. Lorsqu’il intervient, son action doit se limiter au strict contrôle des conditions de validité du contrat. Elle ne saurait avoir pour effet de modifier les prévisions des parties. Dans le cas contraire, cela reviendrait à admettre qu’il puisse porter atteinte à la force obligatoire du contrat.
  • Ensuite, les auteurs de la loi du 10 janvier 1978 avaient peur qu’en conférant au juge un pouvoir de détermination des clauses abusives, cette solution conduise à des divergences d’appréciation entre les juridictions. Il en résulterait alors une insécurité juridique pour les agents.
  • Enfin, il a été avancé la protection des consommateurs contre les clauses abusives devait être efficace. Or cette efficacité ne pouvait pas être assurée par le juge. Le processus de formation de la jurisprudence est lent. L’exercice du pouvoir prétorien est, par ailleurs, subordonné à la saisine des juridictions par les consommateurs.

Pour toutes ces raisons, le législateur a préféré s’en remettre à la diligence du pouvoir réglementaire pour mener la lutte contre les clauses abusives.

À cette fin, un décret a été adopté le 24 mars 1978 qui établissait une seule liste de clauses abusives. Après avoir été annulé pour partie par un arrêt du Conseil d’État du 3 décembre 1980, ce décret a été codifié aux articles R. 132-1 et R. 132-2 du Code de la consommation, devenus les articles R. 212-1 et 212-2 du même code.

II) Le juge

Privés par le législateur de la possibilité d’apprécier le caractère abusif d’une clause, les juges se sont rapidement affranchis de cette interdiction.

Jusqu’alors, le pouvoir réglementaire n’avait listé que deux clauses abusives dans le décret du 24 mars 1978, ce qui témoignait d’une certaine incurie de sa part.

Aussi, la question fut-elle posée à la Cour de cassation de savoir si une clause pouvait être déclarée abusive par le juge, alors même qu’elle ne figurait pas dans la liste établie par le pouvoir réglementaire.

La Cour de cassation a répondu en deux temps à cette question, après quoi la loi est venue consacrer sa position

A) L’évolution jurisprudentielle

?Premier temps

Dans un arrêt du 16 juillet 1987, non sans une certaine ambiguïté, la première chambre civile a estimé qu’une clause qui ne figurait pas dans le décret du 24 janvier 1978 pouvait être qualifiée d’abusive (Cass. 1ère civ. 16 juill. 1987, n°84-17.731)

Elle a de la sorte censuré une Cour d’appel en relevant que « en statuant ainsi, au motif que la clause invoquée par Home Salons à son bénéfice n’était pas abusive, alors que conférant au professionnel vendeur un avantage excessif, notamment en lui laissant en fait l’appréciation du délai de livraison et en réduisant le droit à réparation prévu par l’article 1610 du Code civil au bénéfice de l’acquéreur non professionnel en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu, cette clause devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Une décision du même ordre a été adoptée par la Cour de cassation le 25 janvier 1989 (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1989, n°87-13.640).

Cass. 1ère civ. 16 juill. 1987

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, soutenu par M. X… et sur le second moyen pris en sa branche unique, soutenu par l’Union départementale des consommateurs de l’Hérault ; .

Vu l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et services et les articles 2 et 3 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 pris pour l’application de cet article ;

Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que sont interdites et réputées non écrites les clauses, relatives notamment à la livraison de la chose et aux conditions de résolution de la convention lorsqu’elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et conférent à cette dernière un avantage excessif ; qu’il résulte du second qu’est abusive la clause ayant pour objet, ou pour effet, de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non-professionnel en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ;

Attendu que M. X… a passé commande à la société Home Salons d’un mobilier pour lequel il a versé un acompte ; qu’au recto du bon de commande figurait la mention imprimée en caractères apparents ” date de livraison ” suivie de la mention manuscrite ” deux mois ” ; qu’en dessous on pouvait lire en petits caractères ” prévue à titre indicatif ” et ” conditions de vente au verso ” ; qu’au verso, parmi de nombreuses autres dispositions, figurait, sous l’intitulé ” livraison “, la mention ci-après ” les dates de livraison, que nous nous efforçons toujours de respecter, ne sont données toutefois qu’à titre indicatif, et il est bien évident qu’un retard dans la livraison ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande ni ouvrir droit à des dommages-intérêts ” ; que le texte poursuivait ainsi ” toutefois l’acheteur pourra demander l’annulation de sa commande et la restitution sans intérêts autres que ceux prévus par la loi des sommes versées si la marchandise n’est pas livrée dans les 90 jours d’une mise en demeure restée sans effet, étant entendu que cette mise en demeure ne pourra être faite qu’après la date de livraison prévue à titre indicatif ” ;

Attendu que le 5 novembre 1980, date limite prévue normalement pour la livraison, M. X… n’avait rien reçu ; que le 8 janvier 1981 il a, par l’intermédiaire de l’Union départementale des consommateurs de l’Hérault, mis le vendeur en demeure de livrer sa commande ; que la livraison ayant été offerte un mois et 8 jours plus tard il a refusé cette livraison comme trop tardive et demandé en justice l’annulation du contrat litigieux et du contrat de crédit correspondant ; que la cour d’appel l’a débouté de sa demande ; qu’elle a également débouté de la sienne l’Union départementale des consommateurs de l’Hérault, qui était intervenue volontairement à l’instance ;

Attendu qu’en statuant ainsi, au motif que la clause invoquée par Home Salons à son bénéfice n’était pas abusive, alors que conférant au professionnel vendeur un avantage excessif, notamment en lui laissant en fait l’appréciation du délai de livraison et en réduisant le droit à réparation prévu par l’article 1610 du Code civil au bénéfice de l’acquéreur non professionnel en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu, cette clause devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen :

CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu le 25 septembre 1984, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse

?Deuxième temps

Dans un arrêt remarqué du 14 mai 1991, la Cour de cassation a très explicitement affirmé qu’une clause pouvait être considérée comme abusive en dehors de tout acte réglementaire la désignant comme telle (Cass. 1ère civ. 14 mai 1991, n°89-20.999).

Elle considère en ce sens que « ayant relevé que la clause figurant sur le bulletin de dépôt exonérait le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, le jugement attaqué, dont il ressort qu’une telle clause procurait un avantage excessif à la société Minit France et que celle-ci, du fait de sa position économique, se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle, a décidé à bon droit que cette clause revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite ».

Si, dans cette décision, la première chambre civile, ne vise aucun texte, elle reprend :

  • D’une part, tous les éléments constitutifs des clauses abusives au sens de l’ancien article 35 de la loi du 10 janvier 1978, soit :
    • L’octroi d’un avantage excessif
    • Un abus de puissance économique
  • D’autre part, la sanction spécifique prévue à l’ancien article 35 de la du 10 janvier 1978 : le réputé non-écrit
  • Par cette décision du 14 mai 1991, la Cour de cassation reconnaît pour la première fois au juge le pouvoir d’apprécier le caractère abusif d’une clause.

Cass. 1ère civ. 14 mai 1991

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, le 4 février 1989, M. X… a confié au magasin Minit Foto de Béthune, succursale de la société Minit France, dix-huit diapositives en vue de leur reproduction sur papier ; que ces diapositives ayant été perdues, le jugement attaqué (tribunal d’instance de Béthune, 28 septembre 1989) a condamné la société Minit France à payer à M. X… la somme de 3 000 francs en réparation de son préjudice ;

Attendu que, la société Minit France fait grief au jugement d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d’une part, que l’entrepreneur-dépositaire est tenu d’une obligation de moyen, en ce qui concerne la conservation de la chose qui lui a été confiée en vue de l’exécution d’un travail ; qu’en se bornant à affirmer, sans s’expliquer sur ce point, que le magasin Minit Foto était tenu d’une obligation de résultat, le jugement attaqué a privé sa décision de base légale au regard des articles 1137, 1787 et 1927 et suivants du Code civil ; et alors, d’autre part, que sont licites les clauses susceptibles d’atténuer ou de diminuer la responsabilité du locateur ; qu’en se contentant d’affirmer, sans s’expliquer davantage sur ce second point, que la clause de non-responsabilité, figurant sur le bulletin de dépôt des diapositives, apparaissait comme une clause abusive, inopposable à un client de bonne foi, le tribunal d’instance n’a pas légalement justifié sa décision au regard des mêmes textes ;

Mais attendu, d’abord, selon l’article 1789 du Code civil, que le locateur d’ouvrage est tenu de restituer la chose qu’il a reçue et ne peut s’exonérer de sa responsabilité que par la preuve de l’absence de faute ; que, dès lors, le jugement attaqué, d’où il résulte que la cause de la disparition des diapositives est inconnue, est légalement justifié, abstraction faite du motif surabondant relatif à l’obligation de résultat, critiqué par le moyen ;

Attendu, ensuite, qu’ayant relevé que la clause figurant sur le bulletin de dépôt exonérait le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, le jugement attaqué, dont il ressort qu’une telle clause procurait un avantage excessif à la société Minit France et que celle-ci, du fait de sa position économique, se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle, a décidé à bon droit que cette clause revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite ; d’où il suit que le moyen ne peut être retenu en aucune de ses deux branches ;

Attendu que, M. X… sollicite l’allocation d’une somme de 4 000 francs, sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu’il y a lieu de faire droit à cette demande ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Troisième temps

La Cour de cassation a parachevé l’évolution de sa jurisprudence dans un arrêt du 26 mai 1993 (Cass. 1ère civ. 26 mai 1993, n°92-16.327).

Dans cette décision, elle énonce la règle générale, au visa de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978, que « il résulte de ce texte que sont réputées non écrites les clauses relatives à la charge du risque lorsqu’elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif ».

La position de la haute juridiction est désormais fixée.

Cass. 1ère civ. 26 mai 1993

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que sont réputées non écrites les clauses relatives à la charge du risque lorsqu’elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et conférent à cette dernière un avantage excessif ;

Attendu que les époux X…, adhérents du Crédit social des fonctionnaires CSF, ont obtenu par son intermédiaire un prêt de 10 000 francs, assorti de la caution solidaire de CRESERFI, organisme financier de cette association ; qu’à titre de dépôt destiné à alimenter le fonds mutuel, ils ont versé 3 % du montant de leur prêt, soit 300 francs, somme stipulée remboursable après retenue de la part du risque constitué par les défaillances de certains débiteurs dans leurs remboursements ; qu’après avoir honoré tous leurs engagements les époux X… ont obtenu la restitution de la seule somme de 60 francs ;

Attendu que, pour accueillir la demande en paiement de la somme de 240 francs formée par ces emprunteurs, la décision attaquée a retenu que l’article 16 du règlement intérieur du CSF-CRESERFI, prévoyant une retenue d’un montant égal à la part du risque supporté par les adhérents, s’analysait en une clause conférant un avantage excessif à cet organisme pour lequel cette part du risque est extrêmement faible, voire nulle, puisqu’il s’adresse à des fonctionnaires dont la stabilité de l’emploi et donc du revenu est assurée, et qui, en contrepartie, n’offre pas à ses adhérents des prêts à un taux d’intérêts concurrentiel ;

Attendu qu’en se déterminant par ces motifs alors que le CRESERFI avait retenu la somme litigieuse en vertu d’un contrat fondé sur le principe de mutualisation des risques constitués par les prêts non remboursés par les emprunteurs et que ce contrat n’était pas imposé par un abus de puissance économique et ne conférait pas à cet organisme un avantage excessif, le tribunal d’instance a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

Et attendu qu’il y a lieu de faire application de l’article 627, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la cassation encourue n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE le jugement rendu le 19 mars 1992, entre les parties, par le tribunal d’instance de Bar-sur-Aube ;

B) La consécration par la loi de la jurisprudence

La solution retenue par la Cour de cassation dans ses arrêts des 14 mai 1991 et 26 mai 1993 a été consacrée par le législateur lors de l’adoption de la loi du 1er février 1995 qui est venue transposer la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

Cette loi a modifié l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation sur trois points majeurs :

  • Elle réaffirme les prérogatives du pouvoir réglementaire en matière de détermination des clauses abusives
  • Elle dresse une liste indicative des clauses abusives
  • Elle énonce une nouvelle définition des clauses abusives : les critères de l’avantage excessif et de l’abus de dépendance économiques sont abandonnés à la faveur de la notion de déséquilibre significatif.

Bien que loi du 1er février 1995 ne consacre pas explicitement le pouvoir du juge en matière de détermination des clauses abusives, il se déduit néanmoins des termes de l’article L. 132-1 du Code de la consommation.

Ce texte dispose que « dans les contrats […] sont abusives les clauses […] ». Une clause peut donc être abusive dès lors qu’elle répond à la définition posée par l’article L. 132-1. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit visée par un décret.

Le système posé par la loi du 1er février 1995 a été maintenu. Encore aujourd’hui, coexistent les pouvoirs reconnus au juge et au gouvernement en matière de détermination des clauses abusives.

C) Le pouvoir du juge

Deux questions se posent ici :

  • Quelle est l’étendue du pouvoir du juge ?
  • Le juge peut-il relever d’office le caractère abusif d’une clause ?

1. L’étendue du pouvoir du juge

S’agissant du pouvoir du juge en matière de clause abusive, il peut être observé qu’il est d’inégale étendue selon que la clause qui lui est soumise figure ou non dans l’une des deux listes établies par décret.

Trois hypothèses doivent être distinguées :

  • La clause figure dans la liste noire : le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation. Il n’a d’autre choix que de constater le caractère abusif de la clause qui lui est soumise.
  • La clause figure dans la liste grise : le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation réduit. La clause qui lui est soumise est présumée abusive. Sauf à ce que le professionnel rapporte la preuve contraire, il devra la réputer non-écrite.
  • La clause ne figure dans aucune liste : le juge recouvre son plein pouvoir d’appréciation. Il pourra qualifier la clause abusive dès lors qu’il constate l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

2. Le relevé d’office d’une clause abusive

Le juge peut-il relever d’office le caractère abusif d’une clause stipulée dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, alors même que le moyen n’a pas été soulevé par l’une des parties au litige ?

L’examen de la jurisprudence révèle que la position de la Cour de cassation a considérablement évolué sur cette question, notamment sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne

?Première étape : refus de la faculté de relever d’office une clause abusive

Dans un arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation a tout d’abord refusé au juge la faculté de relever d’office le caractère abusif d’une clause (Cass. 1ère civ. 15 févr. 2000, n°98-12.713)

Elle estime dans cette décision que « la méconnaissance des exigences des textes susvisés, même d’ordre public, ne peut être opposée qu’à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ».

Cette solution a été confirmée dans plusieurs autres décisions (V. en ce sens notamment Cass. 1ère civ. 2 oct. 2002 ; Cass. 1ère civ. 16 mars 2004).

Cass. 1ère civ. 15 févr. 2000

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles L. 311-2, L. 311-8 et L. 311-10 du Code de la consommation ;

Attendu que la méconnaissance des exigences des textes susvisés, même d’ordre public, ne peut être opposée qu’à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ;

Attendu que pour débouter la société Cofica de sa demande dirigée contre M. X… auquel elle avait donné un véhicule en location, avec option d’achat, et qui avait cessé d’exécuter ses obligations après le vol du véhicule, la cour d’appel, devant laquelle ce dernier n’avait pas comparu, a retenu d’office que les pièces produites ne permettaient pas de s’assurer de la régularité de l’offre ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 septembre 1997, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée.

?Deuxième étape : la position de la Cour de justice de l’Union européenne

Dans un arrêt 27 juin 2000, la Cour de justice de l’Union européenne condamne la position de la Cour de cassation en admettant que le juge puisse relever le caractère abusif d’une clause, quand bien même les parties n’ont pas soulevé ce moyen (CJCE, 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial SA c/ Rocio Murciano Quintero et autre).

Au soutien de leur décision, les juges luxembourgeois affirment que :

  • D’une part, « la protection que la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, assure à ceux-ci., implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales »
  • D’autre part, « la juridiction nationale est tenue lorsqu’elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à ladite directive, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette directive. L’exigence d’une interprétation conforme requiert en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive. »

La Cour de justice de l’Union européenne a réitéré sa solution, notamment dans un arrêt du 4 octobre 2007 (CJCE, 4 oct. 2007, aff. C-429/05, Rampion)

Elle y affirme que « la directive 87/102 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation, telle que modifiée par la directive 98/7, doit être interprétée en ce sens qu’elle permet au juge national d’appliquer d’office les dispositions transposant en droit interne son article 11, paragraphe 2. »

?Troisième étape : durcissement de la position de la Cour de justice de l’Union européenne

Dans un arrêt du 26 octobre 2006, la Cour de justice de l’Union européenne durcit sa position en estimant que le relevé d’office du caractère abusif d’une clause n’est pas une simple faculté. Il s’agit d’une obligation qui échoit au juge national (CJCE 26 oct. 2006, Mostaza Claro, aff. C-168/05).

Elle affirme en ce sens que « c’est à l’aune de ces principes que la Cour a jugé que la faculté pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause constitue un moyen propre à la fois à atteindre le résultat fixé à l’article 6 de la directive, à savoir empêcher qu’un consommateur individuel ne soit lié par une clause abusive, et à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à son article 7, dès lors qu’un tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêts Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 28, ainsi que du 21 novembre 2002, Cofidis, C-473/00, Rec. p. I-10875, point 32) ».

Les juges luxembourgeois justifient leur position en considérant que « la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs justifient, en outre, que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel. »

?Quatrième étape : intervention du législateur français

Lors de l’adoption de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, le législateur a introduit dans le Code de la consommation un article L. 141-4 qui prévoyait que « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ».

Cette disposition était toutefois contraire à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, car il s’agissait là d’une simple faculté qui était laissée au juge, alors que pour les juges luxembourgeois ce devait être une obligation.

?Cinquième étape : revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’a eu d’autre choix que de se conformer, d’une part à la position de la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, à la solution retenue par le législateur en 2008.

C’est la raison pour laquelle dans un arrêt du 22 janvier 2009, la première chambre civile a opéré un revirement de jurisprudence en reconnaissant au juge le pouvoir de relever le caractère abusif d’une clause stipulée dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur (Cass. 1ère civ. 22 janv. 2009, n°05-20.176).

Elle affirme que « la méconnaissance des dispositions d’ordre public du code de la consommation peut être relevée d’office par le juge ».

Bien que la Cour de cassation soit revenue sur sa position antérieure, elle ne se conforme manifestement pas totalement à la position de la Cour de justice de l’Union européenne.

Selon elle, le relevé d’office d’une clause abusive n’est qu’une simple faculté offerte au juge et non une obligation.

?Sixième étape : recul de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 14 mai 2009, la Cour de cassation semble subordonner la faculté pour le juge de relever d’office une clause abusive à la condition que les parties rapportent la preuve des faits sur la base desquels le juge est susceptible de se saisir (Cass. 1re civ., 14 mai 2009, n°08-12.836).

Elle avance que « si les juges du fond sont tenus de relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la forclusion édictée par l’article L. 311-37 du code de la consommation c’est à la condition que celle-ci résulte des faits litigieux, dont l’allégation, comme la preuve, incombe aux parties ».

Cass. 1re civ., 14 mai 2009

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Mediatis, qui avait consenti un crédit renouvelable à M. X…, a agi contre celui-ci en recouvrement du solde de ce crédit ; que M. X… reproche au jugement attaqué (tribunal d’instance de Paris, 18e arrondissement, 17 octobre 2007) d’avoir accueilli cette demande, alors, selon le moyen, que “le délai biennal étant d’ordre public, le juge du fond aurait dû rechercher s’il avait été respecté ; qu’ainsi le jugement attaqué a violé l’article L. 311-37 du code de la consommation” ;

Mais attendu que si les juges du fond sont tenus de relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la forclusion édictée par l’article L. 311-37 du code de la consommation c’est à la condition que celle-ci résulte des faits litigieux, dont l’allégation, comme la preuve, incombe aux parties ; que le tribunal, devant lequel M. X… ne s’était pas prévalu d’une telle forclusion, ni n’avait invoqué aucun fait propre à la caractériser, n’avait pas à procéder à une recherche que les faits dont il était saisi n’appelaient pas ; que le moyen n’est donc pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Septième étape : réaffirmation de la position de la Cour de justice de l’Union européenne

Dans un important arrêt du 4 juin 2009, la Cour de justice de l’Union européenne réaffirme que le relevé d’office du caractère abusif d’une clause n’est pas une simple faculté. Il s’agit d’une obligation qui échoit au juge national (CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt, aff. C-243/08).

Elle considère, sans ambiguïté, que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ».

?Huitième étape : le ralliement de la Cour de cassation à la position de la Cour de justice de l’Union européenne

C’est dans un arrêt du 1er octobre 2014, que la Cour de cassation abandonne finalement sa position pour se conformer à la jurisprudence de la CJUE (Cass. 1re civ., 1er oct. 2014, n°13-21.801)

Elle admet dans cette décision que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ».

La solution est entendue.

Cass. 1re civ., 1er oct. 2014

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, courant novembre 2008, l’Union fédérale des consommateurs de l’Isère (UFC 38) a assigné la Mutualité française Isère pour faire juger illicites et abusives vingt-trois clauses du contrat de résident proposé par celle-ci aux résidents de l’EHPAD “Les Solambris”, faire condamner celle-ci à les supprimer de ses contrats et obtenir réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs par l’utilisation de ces clauses, qu’un jugement du 11 octobre 2010, assorti de l’exécution provisoire, a déclaré illicites ou abusives onze clauses, les a réputées non écrites, ordonné leur suppression sous astreinte et la publication du jugement, et condamné la Mutualité française Isère à verser à l’association UFC 38 la somme de 1 500 euros en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs, que, courant avril 2011, la Mutualité française Isère a communiqué à l’UFC 38 une version modifiée de son contrat type dont le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Grenoble a, par jugement du 27 avril 2012, constaté qu’il conservait quatre clauses illicites et abusives, et liquidé l’astreinte, que l’UFC 38 a interjeté appel du jugement du 11 octobre 2010 du chef des six clauses que celui-ci n’avait pas estimées abusives ou illicites ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l’article L. 421-6 du code de la consommation ;

Attendu que, pour débouter l’UFC 38 de sa demande en suppression de “six autres clauses de l’ancien contrat de séjour”, l’arrêt constate qu’elle ne conclut pas sur les dispositions de ce nouveau contrat et que la cour d’appel n’est donc pas saisie d’une demande de suppression des clauses qu’il contient ;

Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que l’UFC 38 avait, dans le dispositif de ses conclusions d’appel, sollicité la suppression de clauses illicites ou abusives sans limiter sa demande à l’ancien contrat, d’autre part, que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

?Neuvième étape : consécration légale de position de la Cour de justice de l’Union européenne

Lors de l’adoption de la loi du 3 janvier 2008, le législateur avait érigé le pouvoir du juge de relever d’office une clause abusive en simple faculté, et non comme une obligation.

Le texte introduit dans le Code de la consommation était dès lors contraire à la solution retenue en 2006 par la Cour de justice de l’Union européenne.

Aussi à l’occasion de la loi Hamon du 17 mars 2014 le législateur a-t-il entendu rectifier le tir.

Pour ce faire, il a ajouté, à l’article L. 141-4 du Code de la consommation, un nouvel alinéa aux termes duquel le juge « écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat »

Cette règle est dorénavant codifiée à l’article R. 632-1 du Code de la consommation.

III) La commission des clauses abusives

La Commission des clauses abusives a été instituée par la loi du 10 janvier 1978. Les règles qui régissent son organisation et son fonctionnement sont énoncées par les articles R. 822-18 et suivants du Code de la consommation.

A) Composition de la commission

Aux termes de l’article R. 822-18 du Code de la consommation :

« la commission des clauses abusives comprend treize membres répartis de la manière suivante :

1° Un magistrat de l’ordre judiciaire, président ;

2° Deux magistrats de l’ordre judiciaire ou administratif ou membres du Conseil d’État parmi lesquels est désigné le vice-président ;

3° Deux personnalités qualifiées en matière de droit ou de technique des contrats, choisies après avis du Conseil national de la consommation ;

4° Quatre représentants des professionnels ;

5° Quatre représentants des consommateurs.

Le directeur général de l’Institut ou son représentant peut participer aux séances de la commission des clauses abusives. Il ne prend pas part aux votes sur les recommandations et avis. »

B) Organisation et fonctionnement de la commission

L’article R. 822-19 du Code de la consommation prévoit que :

« Le président et les membres de la commission sont nommés par arrêté du ministre chargé de la consommation pour un mandat de trois ans renouvelable une fois. Cet arrêté désigne un suppléant pour chaque membre titulaire à l’exception du président. La nomination des magistrats est faite sur proposition du ministre de la justice.
Tout membre de la commission ne peut prendre part aux délibérations lorsqu’il a un intérêt personnel à l’affaire qui en est l’objet ou s’il représente ou a représenté moins de cinq ans avant la délibération une des parties intéressées.
 »

L’article R. 822-20 ajoute que :

« La commission siège en formation plénière.

Le président peut désigner un rapporteur parmi les membres de la commission pour l’instruction d’une affaire. Le rapporteur peut également être désigné dans les conditions prévues au II de l’article R. 822-32.

La commission ne peut régulièrement délibérer qu’en présence de son président ou de son remplaçant et d’au moins six autres de ses membres.

Les parties intéressées peuvent demander à être entendues avant le délibéré sauf lorsqu’est examinée une saisine judiciaire. »

C) Missions de la commission

La commission des clauses abusives est investie de deux missions principales :

  • Rendre des avis consultatifs
  • Formuler des recommandations

1. Les avis de la commission des clauses abusives

La commission peut être saisie pour avis :

  • Soit par le ministre chargé de la consommation lorsqu’il projette d’adopter un décret interdisant certaines clauses (Art. L. 212-1 C. conso)
    • L’avis de la commission est facultatif. Le pouvoir réglementaire n’est nullement tenu de se conformer à sa décision.
  • Soit par le juge, « lorsque, à l’occasion d’une instance, le caractère abusif d’une clause contractuelle est soulevé » par une partie
    • Cette procédure est encadrée par plusieurs règles :
      • Tout d’abord, le juge compétent demande à la commission, par décision non susceptible de recours, son avis sur le caractère abusif de cette clause tel que défini à l’article L. 212-1. L’avis ne lie pas le juge.
      • Ensuite, la commission fait connaître son avis dans un délai maximum de trois mois à compter de sa saisine.
      • Enfin, il est sursis à toute décision sur le fond de l’affaire jusqu’à réception de l’avis de la commission ou, à défaut, jusqu’à l’expiration du délai de trois mois susmentionné. Toutefois, les mesures urgentes ou conservatoires nécessaires peuvent être prises.

2. Les recommandations de la commission des clauses abusives

Aux termes de l’article L. 822-4 du Code de la consommation :

« la commission des clauses abusives, placée auprès du ministre chargé de la consommation, connaît des modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels à leurs contractants consommateurs ou non professionnels. Elle est chargée de rechercher si ces documents contiennent des clauses qui pourraient présenter un caractère abusif. »

C’est là la principale mission de la commission des clauses abusives : analyser les pratiques contractuelles et identifier les clauses susceptibles de revêtir un caractère abusif

Plusieurs questions immédiatement se posent sur la mise en œuvre de cette mission.

?Qui peut saisir la commission des clauses abusives ?

  • Le ministre chargé de la consommation
  • Les associations agréées de défense des consommateurs
  • Les professionnels intéressés
  • La commission elle-même

?Quel est le pouvoir de la commission des clauses abusives ?

Aux termes de l’article L. 822-6 du Code de la consommation, « la commission recommande la suppression ou la modification des clauses qui présentent un caractère abusif. »

?Quels sont les moyens d’investigation de la commission des clauses abusives ?

Plusieurs prérogatives ont été conférées par le législateur à la Commission en vue de lui permettre de mener à bien sa mission (Art. L. 822-10 C. conso). On en dénombre quatre :

  • Première prérogative
    • Elle peut se faire communiquer tous les renseignements ou consulter sur place tous les documents qu’elle estime utiles à l’accomplissement de ses missions, sans que puissent lui être opposés les articles 226-13 et 226-14 du code pénal ni l’article L. 1227-1 du code du travail.
  • Deuxième prérogative
    • Le président de la commission peut, par décision motivée, procéder ou faire procéder par les membres de la commission ou les agents de l’Institut national de la consommation désignés par le directeur général de celui-ci à la convocation ou à l’audition de toute personne susceptible de leur fournir des informations concernant des affaires dont cette commission est saisie. Toute personne convoquée a le droit de se faire assister du conseil de son choix.
  • Troisième prérogative
    • Avant de rendre des avis, la commission entend les personnes concernées, sauf cas d’urgence. En tout état de cause, elle entend les professionnels concernés. Elle procède aux consultations nécessaires.
  • Quatrième prérogative
    • Lorsque, pour l’exercice de ses missions, la commission doit prendre connaissance d’informations relevant du secret de fabrication ou d’affaires, elle désigne en son sein un rapporteur. Celui-ci se fait communiquer tous les documents utiles et porte à la connaissance de la commission les informations obtenues.

?Quid de la normativité des recommandations émises par la Commission ?

La question s’est rapidement posée de savoir si les recommandations émises par la Commission des clauses abusives liaient le juge ou si, au contraire, elles étaient dépourvues de toute force obligatoire.

Dans un arrêt du 13 novembre 1996 la Cour de cassation a opté pour la seconde solution (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1996, n°94-17.369).

Elle a estimé très explicitement que « les recommandations de la Commission des clauses abusives ne sont pas génératrices de règles dont la méconnaissance ouvre la voie de la cassation ».

Cass. 1ère civ. 13 nov. 1996

Sur le moyen unique, pris en ses huit branches :

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la société France Télécom a commercialisé une carte téléphonique dénommée ” Pastel “, qui permet à ses utilisateurs de téléphoner de tout poste public ou privé situé en France ou à l’étranger sans avoir à payer le prix de la communication, dont le montant est débité directement sur le compte du titulaire de la carte auquel une facturation détaillée est ensuite adressée ; que cette carte comporte un numéro gravé sur l’une de ses faces et un numéro de code secret qui est attribué à chaque titulaire ; que, lorsque l’abonné téléphone sur le réseau automatique, il compose successivement le numéro qui lui permet d’entrer dans le service, celui qui figure sur sa carte, son code secret et enfin le numéro de téléphone de son correspondant et, lorsqu’il téléphone en France depuis l’étranger, sans que la communication soit automatique, il donne à l’opérateur de France Télécom le numéro de sa carte, celui de son code et celui du correspondant qu’il veut atteindre ; que le contrat d’accès à ce service stipule, dans son article 6, que, ” … Pour les communications passées depuis l’étranger par l’intermédiaire d’un opérateur de ce pays, le code ne doit pas être communiqué. Dans le cas contraire, France Télécom dégage toute responsabilité ” ; qu’estimant que le fait de donner son numéro de code confidentiel à un opérateur qui n’est pas étranger présente des risques pour l’abonné, l’association Union fédérale des consommateurs (UFC) a assigné France Télécom pour le faire constater et faire déclarer abusifs et réputés non écrits les articles 6 et 10 du contrat stipulant, notamment, que ” l’usager est seul responsable de l’utilisation et de la conservation de sa carte ” et que France Télécom ne peut être déclaré responsable des ” conséquences de l’impossibilité pour l’abonné d’utiliser sa carte par suite de son altération, ou du fonctionnement défectueux des matériels de France Télécom, de leur non-fonctionnement ou de leur mauvaise utilisation… ” ; que l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 10 mai 1994) a débouté l’UFC de ses demandes ;

Attendu que l’UFC reproche à l’arrêt de s’être prononcé ainsi, alors que […]

Mais attendu, d’abord, que la clause de confidentialité du code d’utilisation de la carte, loin de constituer une clause abusive, apparaît comme la contrepartie, nécessaire pour la sauvegarde des intérêts des abonnés, de la commodité d’utilisation du réseau téléphonique aménagée par le service proposé ; que c’est donc à bon droit que la cour d’appel, qui a souligné que France Télécom demeurait responsable de ses propres opérateurs, a dit que la demande d’annulation de cette clause n’était pas justifiée, que ce soit au regard de l’article L. 132-1 du Code de la consommation ou en vertu de l’article 1134 du Code civil auquel le pourvoi prête une portée dont ce texte est dépourvu ; qu’ensuite la clause stipulant que la responsabilité de l’utilisation et de la conservation de la carte incombe à son titulaire, qui n’emporte aucune dispense de l’obligation de garantie au bénéfice de France Télécom, dont, par motif expressément adopté, les juges du fond ont relevé qu’il s’obligeait à remplacer les cartes défectueuses, n’est pas davantage entachée d’abus ; que c’est donc à juste titre, également, que la cour d’appel, qui relève que la clause n’est pas en contradiction avec les principes qui régissent la responsabilité civile, énonce qu’elle n’a aucun caractère abusif ; qu’ensuite encore la clause stipulant que France Télécom ne saurait être tenue pour responsable des conséquences résultant pour l’abonné de l’altération et du fonctionnement défectueux de son matériel ou de la mauvaise utilisation de celui-ci ne relève pas de l’article 2 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978, qui ne concerne que la vente ; que cette clause, qui ne tend, dans le cadre du service spécifique convenu, lequel vise à donner, avec un service de facturation, un mode d’accès facilité aux réseaux téléphoniques interne et international, qu’à interdire à l’abonné d’invoquer les dysfonctionnements propres à ces réseaux, et dont la cour d’appel a relevé que, pas plus que la précédente, elle ne conférait à France Télécom un avantage excessif, n’est pas abusive ; qu’enfin les recommandations de la Commission des clauses abusives ne sont pas génératrices de règles dont la méconnaissance ouvre la voie de la cassation ; qu’il suit de là que le moyen, qui n’est pas fondé en ses six premières branches, est inopérant en ses deux dernières ;

Et attendu que le pourvoi est abusif ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Dans un arrêt du 16 janvier 2006, le Conseil d’État a abondé dans le même sens que la Cour de cassation en affirmant que « la commission des clauses abusives, lorsqu’elle émet des recommandations, n’édicte pas des règles qui s’imposeraient aux particuliers ou aux autorités publiques, mais se borne à inviter les professionnels concernés à supprimer ou modifier les clauses dont elle estime qu’elles présentent un caractère abusif » (CE, 16 janv. 2006, n°274721).

Au fond, il importe peu que les recommandations émises par la Commission des clauses abusives soient non contraignantes.

L’objectif affiché par la Commission est d’exercer, au moyen, des recommandations qu’elle prend une pression sur les professionnels afin qu’ils changent leur comportement.

Pour y parvenir, la Commission entend surtout s’appuyer sur la publicité de ses décisions.

D’où l’article L. 822-9 du Code de la consommation qui prévoit que « la commission mentionnée à l’article L. 822-4 assure la diffusion des informations, avis et recommandations qu’elle estime nécessaire de porter à la connaissance du public. »

La cible de la commission des clauses abusives c’est le grand public avant tout.

Son action vise moins à stigmatiser une entreprise en particulier, qu’à condamner une pratique contractuelle.

C’est la raison pour laquelle l’alinéa 2 de l’article L. 822-9 du Code de la consommation dispose que « les informations, avis et recommandations que [la commission] diffuse ne peuvent contenir aucune indication de nature à permettre l’identification de situations individuelles. »

L’article L. 822-11 du Code de la consommation précise que « les membres et le personnel de la commission mentionnée à l’article L. 822-4 sont astreints au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance en raison de leurs fonctions, dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 226-13 du code pénal ou à l’article L. 621-1 du code de la propriété intellectuelle en cas de divulgation d’informations relevant du secret de fabrication ou du secret d’affaires. »

IV) Les associations de consommateurs

L’article L. 621 du Code de la consommation institue une action spéciale en suppression des clauses abusives.

Cette dernière se singularise de l’action de droit commun prévue à l’article L. 212-1 du Code de la consommation en plusieurs points :

A) Titularité de l’action

Aux termes de l’article L. 621-2, al. 1er du Code de la consommation « les associations de consommateurs mentionnées à l’article L. 621-1 et agissant dans les conditions précisées à cet article peuvent demander à la juridiction civile, statuant sur l’action civile ou à la juridiction répressive, statuant sur l’action civile, d’ordonner au défendeur ou au prévenu, le cas échéant sous astreinte, toute mesure destinée à faire cesser des agissements illicites ou à supprimer une clause illicite dans le contrat ou le type de contrat proposé aux consommateurs ou dans tout contrat en cours d’exécution. »

Le législateur a ainsi conféré aux associations une action en suppression des clauses abusives, à condition qu’elles soient agréées.

Pour ce faire, cela suppose que l’association justifie auprès de l’administration d’un objet statutaire consistant en la défense des intérêts des consommateurs.

B) Objet de l’action

De façon générale, l’action en justice ouverte aux associations de consommateurs a pour objet la suppression des clauses abusives.

Deux actions en suppression doivent être distinguées : l’action en suppression des contrats à conclure et l’action en suppression des contrats déjà conclus

?L’action en suppression des clauses abusives contenues dans les contrats à conclure

Tout d’abord, il peut être observé que, initialement, l’action ouverte aux associations ne pouvait être introduite qu’en amont du processus contractuel, soit pour les contrats qui n’avaient pas encore été conclus.

L’action ne pouvait donc être exercée qu’aux fins d’anéantir les clauses abusives matériellement et non juridiquement.

Autrement dit, l’action tendait à suppression des clauses :

  • soit dans les modèles de conventions qui serviront de base à des contrats futurs
  • soit dans les conditions générales de vente habituellement proposées au consommateur avant la conclusion du contrat.

L’objectif poursuivi par l’ancien article L. 421-6 du Code de la consommation était donc seulement préventif et non curatif : lorsque l’association intervient, le contrat ne devait pas avoir été conclu. D’où l’impossibilité de réputer la clause non-écrite.

Elle ne pouvait faire l’objet que d’une suppression matérielle du modèle de contrat élaboré par le professionnel.

Ce mécanisme, introduit par le législateur par une loi du 5 janvier 1988, a été élaboré en vue d’accentuer la pression sur les professionnels.

Les recommandations formulées par la commission des clauses abusives étant dépourvues de force obligatoire, l’efficacité de dispositif reposait sur la seule bonne volonté des agents.

Par ailleurs, les consommateurs peuvent être hésitants à agir en justice aux fins d’annulation d’une clause abusive.

L’enjeu est la plupart du temps trop faible. Ils préfèrent donc subir l’effet de la clause abusive.

D’où l’idée du législateur de surmonter cette difficulté en conférant aux associations une action spéciale en suppression des clauses abusives, lesquelles disposeraient alors du pouvoir de contraindre en amont les professionnels récalcitrants à revoir leurs pratiques.

Ensuite, il peut être noté que l’ancien article L. 421-6 du Code de commerce prévoyait que « les associations mentionnées à l’article L. 421-1 peuvent demander à la juridiction civile d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression de clauses abusives dans les modèles de conventions habituellement proposés par les professionnels aux consommateurs. »

La Cour de cassation en avait déduit que les associations ne pouvaient agir en suppression d’une clause abusive que pour les contrats qui étaient toujours proposés aux consommateurs.

Dans le cas contraire, l’action introduite par l’association serait sans objet, la clause abusive visée ne représentant plus aucun danger pour le consommateur.

Dans un arrêt du 13 mars 1996, la première chambre civile a validé en ce sens la décision d’une Cour d’appel qui après avoir « constaté qu’il était établi que le type du contrat présenté par la Régie Renault et mis en œuvre par le garage Girard n’était plus proposé aux consommateurs […] en a exactement déduit que l’action de l’UFC 38, recevable initialement par voie d’intervention, était devenue sans objet » (Cass. 1ère civ. 13 mars 1996, n°93-21.070).

Cass. 1ère civ. 13 mars 1996

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. X…, qui avait commandé une automobile au garage Girard, concessionnaire Renault, a, le lendemain, déclaré renoncer à cette commande ; qu’il a assigné celui-ci en annulation du contrat et en restitution de l’acompte versé ; qu’à l’instance sont intervenues l’Union fédérale des consommateurs de l’Isère (UFC 38) et la Régie nationale des usines Renault ; que le Tribunal a déclaré l’UFC 38 recevable en son intervention pour faire déclarer abusives certaines clauses des contrats proposés par le réseau Renault à sa clientèle, mais constaté que cette intervention était devenue sans objet, le type de contrat litigieux n’étant plus utilisé ; que l’appel formé par l’UFC 38 contre cette décision a été déclaré irrecevable par l’arrêt attaqué (Grenoble, 6 octobre 1993) ;

Attendu que l’UFC 38 fait grief à cette décision d’avoir ainsi statué alors que, de première part, la cour d’appel aurait violé l’article 6 de la loi du 5 janvier 1988, en rejetant son action au motif qu’elle n’avait pas agi à titre principal ; alors que, de deuxième part, il n’aurait pas été répondu aux conclusions selon lesquelles les contrats modifiés reprenaient les mêmes termes que ceux figurant dans l’exemplaire signé par M. X… ; alors que, de troisième part, l’intervenant pouvant exercer toutes les voies de recours, la cour d’appel aurait violé l’article 329 du nouveau Code de procédure civile en jugeant que l’appel de l’UFC était irrecevable au motif que ni M. X… ni le garage Girard n’avaient interjeté appel du jugement ; alors que, enfin, la cour d’appel aurait dénaturé les termes clairs et précis des conclusions de l’UFC, en relevant que l’extinction de l’action de M. X… privait l’action de celle-ci de la base nécessaire à son examen au fond ;

Mais attendu que, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation des éléments de la cause, les juges du second degré ont constaté qu’il était établi que le type du contrat présenté par la Régie Renault et mis en oeuvre par le garage Girard n’était plus proposé aux consommateurs ; que la cour d’appel en a exactement déduit que l’action de l’UFC 38, recevable initialement par voie d’intervention, était devenue sans objet ; que, par ces seuls motifs, et abstraction faite du motif erroné critiqué par la première branche du moyen, la cour d’appel, qui a répondu aux conclusions invoquées, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Ainsi, pour la Cour de cassation l’action dévolue aux associations n’est recevable que si le modèle de contrat visé est toujours utilisé par les professionnels.

Cette interprétation que la haute juridiction faisait de l’ancien article 421-6 du Code de la consommation n’était pas sans inconvénients :

  • D’une part, ce mécanisme avait pour effet de considérablement limiter l’efficacité du dispositif, dans la mesure où les associations ne pouvaient dénoncer que les modèles de contrats encore actifs.
  • D’autre part, cette solution revenait à considérer que les consommateurs victimes de clauses abusives contenus dans les contrats en cours d’exécution étaient condamnés à subir la situation.

L’intervention du législateur en 2014 a mis un terme à cette jurisprudence.

?L’action en suppression des clauses abusives contenues dans les contrats déjà conclus

Afin de répondre aux critiques formulées par la doctrine à l’endroit de la jurisprudence de la Cour de cassation, le législateur a, lors de l’adoption de la loi Hamon du 17 mars 2014, ajouté un troisième alinéa à l’article L. 421-6 du Code de commerce aux termes duquel « les associations et les organismes mentionnés au premier alinéa peuvent également demander au juge de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs, y compris les contrats qui ne sont plus proposés, et de lui ordonner d’en informer à ses frais les consommateurs concernés par tous moyens appropriés. ».

Il est intervenu une seconde fois à l’occasion de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, l’objectif affiché étant une simplification du texte

L’article L. 421-6 remanié prévoit désormais que les associations « peuvent également demander, selon le cas, à la juridiction civile ou à la juridiction répressive de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques en cours d’exécution conclus par le défendeur ou le prévenu avec des consommateurs et de lui ordonner d’en informer à ses frais les consommateurs concernés par tous moyens appropriés. »

Cette disposition est, depuis l’adoption de l’ordonnance du 14 mars 2016 portant réforme du droit des obligations codifiée à l’article L. 621-2 du Code de la consommation.

Est ainsi, dorénavant offerte la possibilité aux associations la possibilité d’agir en justice, non seulement pour solliciter la suppression de clauses abusives dans les contrats à conclure, mais encore pour demander que soit réputées non écrites celles figurant dans les contrats déjà conclus, soit dans les actes qui potentiellement sont en cours d’exécution.

Il importe peu que ces contrats dont l’exécution n’est pas achevée ne soient plus proposés.

Qui plus, dans l’hypothèse où le contrat serait en cours d’exécution, il appartiendra au professionnel visé « d’informer à ses frais les consommateurs concernés par tous moyens appropriés » que telle ou telle clause du contrat est réputée non écrite.

La décision rendue par le juge n’aura vocation à l’appliquer qu’au seul professionnel contre qui l’action en suppression a été dirigée, de sorte que ne sera réputée non écrite que la clause figurant dans le contrat examiné par le juge.

Cette sanction ne pourra donc pas être étendue aux autres professionnels, quand bien même ils utiliseraient les mêmes modèles de contrats ou conditions de générales de vente que ceux invalidés par le juge.

Admettre le contraire reviendrait à porter atteinte au principe d’interdiction des arrêts de règlement ainsi qu’à l’effet relatif de la chose jugée.

V) La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

Conformément à l’article L. 524-1 du Code de la consommation, lorsqu’elle constate l’existence d’une clause abusive dans un contrat, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dispose de trois options.

En peut, en effet, demander à la juridiction civile ou, s’il y a lieu, à la juridiction administrative :

d’ordonner, le cas échéant sous astreinte, la suppression d’une clause illicite, interdite ou abusive insérée par un professionnel dans tout contrat ou type de contrat proposé ou destiné aux consommateurs ou aux non-professionnels ou dans tout contrat en cours d’exécution ;

de déclarer que cette clause est réputée non écrite dans tous les contrats identiques conclus par le même professionnel avec des consommateurs ou des non-professionnels ;

et d’ordonner au professionnel d’en informer à ses frais les consommateurs ou les non-professionnels concernés par tous moyens appropriés. »

Le silence en droit de la famille

Je le confesse : quelle curieuse idée que de vouloir traiter, conjointement, dans un même sujet, le silence et le droit. Dans son acception première, le silence désigne le « fait de ne pas parler, de se taire»[1]. Il s’apparente, autrement dit, à une abstention. Aussi, comment le droit pourrait-il entretenir quelques accointances avec le silence alors qu’il est le pur produit d’une action : l’« acte de volonté »[2] qui le pose. Sans qu’il soit besoin d’entrer dans des considérations de théorie générale, nombreux sont les éléments qui, intuitivement, laissent à penser que le droit se tiendrait loin du silence. Il apparaît en ce sens peu aisé, même pour le juriste, de dissocier la règle juridique du vacarme parlementaire que suscite, parfois, son adoption, des passions qu’elle a vocation à contenir ou de l’expression nationale dont elle est l’émanation. Nombreux sont les auteurs qui associent le droit à ces différentes manifestations bruyantes de l’expression humaine. Montaigne a, par exemple, écrit qu’« il n’est rien sujet à plus continuelle agitation que les lois »[3]. Pour Rousseau encore, la loi « est une déclaration publique et solennelle de la volonté générale »[4]. Parce que le droit appartiendrait au monde de l’action, tout l’opposerait donc au silence, à supposer qu’on le considère comme indissociable de l’abstention.

Un détour rapide par la littérature tend, cependant, à montrer qu’il n’en est rien. Le vide et le néant n’ont pas le monopole du silence. Pour Jean-Paul Sartre, la liberté, qu’il définit dans l’un de ses premiers essais philosophiques[5], comme la capacité à s’engager, à agir, à faire des choix, soit tout le contraire de s’abstenir, n’est jamais autant exaltée que lorsque l’homme est réduit, par la contrainte, au silence. Cette thèse le conduira, plus tard, à affirmer, dans La République du silence, le paradoxe suivant : « jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande»[6]. Sartre n’est pas le seul à soutenir que le silence est bavard. Déjà au XVIIe siècle Pascal écrivait qu’« il y a une grande éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire »[7]. Encore avant lui, les pères du bouddhisme ont fait du silence la plus haute expression de la communication avec soi-même et le divin. Si, dès lors, le silence est roi au royaume du vide et du néant, il peut également être regardé comme une forme d’expression de l’action humaine. Or n’est-ce pas là, la fonction première du droit, que de se trouver là où se développe cette action. C’est ce qu’exprime l’adage ubi societas, ibi jus. D’où l’inévitable rencontre entre le silence et le droit.

Cette rencontre est à double sens. Tantôt c’est la règle juridique que l’on va conduire vers le silence afin de lui faire produire des effets de droit. Cette situation se présente notamment lorsque la jurisprudence décide, qu’en matière contractuelle, le silence peut valoir, lorsque certaines conditions sont réunies, offre[8] ou acceptation[9]. De la même manière, l’article 22 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations[10] dispose que le silence opposé par une autorité publique pendant plus de deux mois à un administré peut signifier, dans certains cas, qu’il a été accédé à sa requête. Parfois le silence ne sera pas seulement traité comme générateur d’effets de droit, il sera érigé en véritable droit subjectif comme c’est le cas en matière pénale. La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de rappeler, dans un arrêt du 14 octobre 2010 où elle condamne la France, que « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable»[11]. Ce droit au silence bénéficie également aux journalistes qui, dans l’exercice de leur fonction, ne sont pas tenus de révéler leurs sources à l’autorité judiciaire[12]. Force est de constater que, dans toutes ces hypothèses, c’est le droit qui, par l’entremise du juge ou du législateur, va exercer une action sur le silence.

Tantôt, il est, toutefois, des situations où c’est le silence qui exercera une action sur le droit. Il en va ainsi, lorsque le silence préside à la création de la règle juridique. Si l’on adhère à l’idée que la norme n’est pas une chose, mais « la signification d’une proposition prescriptive indiquant un modèle de conduite»[13], il doit corrélativement être admis que la création de la norme procède d’un acte d’interprétation[14]. Dans la mesure où, tout ce qui est susceptible de faire sens peut faire l’objet d’une interprétation, il peut être conféré au silence, au même titre qu’un texte législatif ou règlementaire, une signification normative. C’est ce que fait le juge lorsqu’il découvre des principes généraux du droit dont la production est moins issue de l’interprétation d’un texte précis, que d’une « généralisation des solutions convergentes portées par des règles particulières »[15]. Cette rencontre entre le silence et le droit est bien plus fréquente qu’on ne le pense. Toutes les branches de l’arbre juridique sont concernées et, tout particulièrement, celle du droit de la famille.

Pourquoi la relation de cette ramification du droit avec le silence serait-elle marquée du sceau de la singularité ? Deux raisons peuvent être avancées. En premier lieu, c’est dans le cadre de la structuration des rapports entretenus entre les membres du groupe que constitue la famille que le droit serait sorti du silence pour connaître ses premiers balbutiements. Pour Norbert Rouland la « précoce organisation de la famille autour des rapports de parenté»[16] qui, selon lui, sont « d’essence juridique »[17], sont le « berceau du droit »[18]. L’apparition des premières règles juridiques remonterait donc au paléolithique. Ces dernières auraient été créées dans le dessein de déterminer « l’orientation des alliances matrimoniales, le choix des critères de filiation et la fixation du lieu de résidence des époux ». Partant, la formation du droit de la famille peut être regardée comme mettant fin au silence normatif dans lequel était plongée la société humaine[19]. Là n’est pas la seule raison pour laquelle cette branche du droit, plus qu’une autre, entretient un rapport privilégié avec le silence.

En second lieu, si la famille est le groupe au sein duquel l’être humain a vocation à naître, grandir, s’épanouir, soit se construire en tant qu’individu doué de la faculté de s’exprimer socialement, elle est aussi l’endroit où les agents vivent de profonds silences. Le décès d’un parent, d’un enfant, d’un frère ; la séparation d’un couple, le divorce ; l’absence ou la disparition d’un conjoint sont autant d’évènements propres à générer les plus grands silences que l’homme est amené à connaître au cours de son existence. Or, comme le font observer des auteurs, c’est, surtout, dans ces « heures sombres de la vie» que le droit de la famille s’impose[20]. Le reste du temps, celui-ci est éclipsé par d’autres normes – non-juridiques – que sont les règles morales, religieuses et coutumières ; mais nous y reviendrons.

Ce qu’il importe, pour l’heure, de noter, c’est que le silence, lorsqu’il s’insinue dans la famille, constitue un élément déclencheur du droit. Inversement, le droit peut, se révéler être source de nombreux silences. C’est, notamment le cas, lorsque le législateur estime qu’une situation, bien que présentant un caractère familial, tel le concubinage, n’a pas vocation à être régie spécifiquement par le droit, ou qu’il condamne au silence certaines pratiques se déroulant au sein de la famille, en raison de leur contrariété à l’ordre publique. Tous ces silences dont est susceptible d’être porteuse la règle juridique, sont autant d’éléments à partir desquels il est possible de dresser une esquisse de ce que, juridiquement, n’est pas la famille et donc, a contrario, d’identifier précisément quels sont les traits du modèle de famille prescrit par le droit. Au total, il apparaît que les rapports qu’entretiennent le silence et le droit de la famille dépassent le simple cadre de la relation syllogistique qui peut exister entre la règle juridique et un fait quelconque.

Car le silence n’est pas un fait ordinaire : en plus d’être potentiellement générateur d’effets juridiques, il peut également s’immiscer, tant dans la création de la règle de droit, que dans son contenu. D’où l’existence d’une relation bilatérale entre le droit de la famille et le silence. La question qui dès lors se pose est de savoir comment interagissent-ils, l’enjeu étant, à partir de l’étude de cette interaction, d’appréhender la conception que le droit se fait de la famille, tant dans ses composantes, que dans son fonctionnement, sous un angle radicalement différent de celui adopté habituellement. Pour ce faire, cela suppose de se demander d’une part, dans quelle mesure le droit est-il susceptible d’être saisi par le silence (I) après quoi il conviendra de s’interroger, d’autre part, sur la manière dont le droit se saisit du silence (II).

I) Le droit de la famille saisi par le silence

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la famille fait partie de ces entités pour lesquelles le droit accorde une place de choix dans son giron, sans pour autant lui conférer de définition. La notion de famille n’est, en effet, définie nulle part, ni dans les textes de droit interne, ni dans les conventions internationales[21]. Tout au plus, on trouve, dans les travaux préparatoires du Code civil, une définition du mariage que nous livre Portalis[22]. Bien qu’apportant un éclairage fort intéressant sur la conception que le législateur se faisait, en 1804, de la famille, cette définition n’en revêt pas moins qu’une valeur purement symbolique.

En outre, depuis l’adoption de la loi sur le pacs, la famille ne se limite plus à l’union conjugale. À cela s’ajoute le fait qu’il s’agit d’un concept dont le contenu est étroitement lié à la traduction culturelle d’une société et à l’évolution des mœurs ; d’où le grand nombre de significations qu’il comporte. Cela a conduit un auteur à affirmer que « la définition de la famille apparaît comme la première difficulté que celle-ci propose au droit»[23]. Est-ce à dire qu’il est impossible d’en délimiter les pourtours ? Manifestement non. Il est un moyen de mener à bien cette entreprise. À bien y réfléchir, si le droit ne donne aucune définition de la famille, il nous dit, en revanche, ce qu’elle n’est pas. Il le fait toutes les fois, soit qu’il garde le silence (A), soit qu’il l’impose (B), dans le cadre de l’appréhension de rapports familiaux.

A) Le silence gardé par le droit

 Si, comme le fait observer Pierre Delvolvé la règle juridique, lorsqu’elle est adoptée, rompt le silence[24], elle ne saurait, cependant tout dire, sur la conduite qu’elle a vocation régir, si bien qu’il est de nombreux cas où le juge est confronté au silence du droit (1). Ce silence ne tient, toutefois pas toujours au contenu de la norme ; il est des cas où il vient de ce que le droit peine à s’appliquer (2).

  1. Le silence dans le contenu du droit

 Dans Le curé de village, Balzac a écrit que « la famille sera toujours la base des sociétés»[25]. Force est de constater que, pour l’heure, rien n’est venu contrarier cette prévision. Nombreux, voire unanimes, sont les auteurs qui, aujourd’hui, abondent en ce sens. Pour Carbonnier, la famille constitue le principal pilier de l’ordre social[26]. Gérard Cornu considère, quant à lui, que la famille est « porteuse de civilisation »[27]. De ce constat, certains auteurs en déduisent qu’« une société sans famille ou sans familles fécondes est impitoyablement condamnée à disparaître »[28]. S’il est, par conséquent, une structure humaine vis-à-vis de laquelle le droit ne saurait rester silencieux, c’est bien la famille. Le législateur ne s’y est d’ailleurs jamais trompé. Que ce soit à l’époque de la Rome antique, au Moyen Âge ou encore à l’ère industrielle, le droit s’est toujours montré très bavard concernant l’organisation de la famille. L’existence d’un droit de la famille relève de l’évidence[29], encore qu’il est certains auteurs qui ont pu se demander s’il s’agissait bien d’un droit[30]. La question qui, conséquemment, se pose est moins de savoir si le droit connaît de la famille, que de se demander si toutes les formes de familles intéressent le droit.

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[31], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale. De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[32]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire. Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui. Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[33], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable. La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[34] et plus encore, comme son « acte fondateur »[35]. Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[36]. En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[37]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[38]. Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage[39]. Excepté quelques cas marginaux[40], leur situation n’est réglée que par le seul droit commun. Pour les couples qui choisissent de se tenir à l’écart de l’union conjugale, c’est donc un silence juridique qui les attend.

Depuis l’adoption de la loi sur le pacs, ce silence n’est, cependant, plus aussi assourdissant qu’il a pu l’être. En proposant aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage» diront certains[41], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires, la démarche du législateur témoigne de sa volonté de ne plus faire fi d’une situation de fait qui, au fil des années, s’est imposée comme un modèle à partir duquel se sont construites de nombreuses familles. En contrepartie d’en engagement contractuel[42] qu’ils doivent prendre dans l’enceinte, non pas de la mairie, mais du greffe du Tribunal de grande instance[43], les concubins, quelle que soit leur orientation sexuelle, peuvent de la sorte voir leur union hors mariage, se transformer en une situation juridique. C’est là une profonde mutation que connaît le droit de la famille. Cette mutation ne se traduit pas seulement par un recul du silence de la loi sur des situations qui, jusque récemment, étaient ignorées du législateur, elle peut également être observée à travers l’application même de la règle de droit qui, de plus en plus, tend à devenir silencieuse.

2. Le silence dans l’application du droit

Certains auteurs l’avancent : la famille, malgré toutes les règles dont elle fait l’objet, est un endroit privilégié du non-droit. Pour Carbonnier la famille connaîtrait « de longs jours de non-droit, pour quelques instants de droit »[44]. Bien qu’applicable, la règle juridique serait, dans ces conditions, réduite au silence, soit parce que les agents l’ignorent et, de ce fait, ne sauraient l’observer, soit parce qu’ils préfèrent suivre leurs propres règles de conduite, issues du milieu socio-culturel auquel ils appartiennent ou de leur tradition familiale[45]. Ce silence auquel est contraint la règle de droit lorsque son champ d’application rencontre le cercle calfeutré de la famille, ne signifie donc pas absence de normes. Bien au contraire, la famille est un terrain fertile pour l’internormativité, car se trouvant au « carrefour de la religion, de la morale et des mœurs »[46]. Parmi ces normes, on trouve évidemment la coutume, auquel le droit se réfère, parfois, directement[47] ou indirectement[48]. Surtout, les normes au profit desquelles la règle juridique se retire dans le silence, sont de plus en plus de nature contractuelle. La doctrine a qualifié ce mouvement de contractualisation de la famille. En quoi consiste-t-il exactement ?

Il procède d’un recul de l’ordre public familial combiné à un changement de nature de celui-ci. Alors que cet ordre public familial, qui prend racine dans les nombreuses règles impératives qui composent le droit de la famille[49], était tourné, traditionnellement, vers « la défense de la famille légitime hiérarchisée »[50], aujourd’hui il est plutôt orienté vers la préservation de l’autonomie des membres de cette dernière. Autrement dit, désormais ce n’est plus l’intérêt du groupe que constitue la famille qui prévaut sur celui de ses composantes, mais les intérêts particuliers qui priment l’intérêt collectif de sorte que d’un ordre public familial de direction, on est passé, bien que celui-ci n’ait pas totalement disparu[51], à un ordre public de protection. Il s’ensuit, que l’« on peut y renoncer à l’occasion d’un rapport de type contractuel »[52], ce dont se privent de en moins les époux, en raison d’un accroissement de l’autonomie de leur volonté. Et si, comme le remarquent certains, le fait « que les époux soient libres d’organiser les effets de leur union peut sembler plus anachronique au regard de l’idée selon laquelle le mariage est avant tout un statut légal »[53], ce mouvement n’en est pas moins à l’origine d’une « véritable refondation du droit de la famille au début du XXIe siècle »[54].

Nombreux sont les exemples qui peuvent être pris pour illustrer cette contractualisation de la famille. Ainsi, les couples mariés, sont-ils libres, à condition de ne pas violer les règles impératives qui composent le régime primaire, de conclure « des conventions spéciales […] comme ils le jugent à propos»[55]. De la même manière, il leur est possible d’aménager contractuellement la transmission successorale par le jeu des libéralités faites entre vifs[56]. On peut également évoquer la possibilité offerte aux époux de changer de régime matrimonial, le principe d’immutabilité ayant considérablement été assoupli par les réformes successives dont a fait l’objet le droit patrimonial de la famille[57]. Une contractualisation peut encore être observée dans les rapports personnels qu’entretiennent les membres de la famille entre eux. La loi du 4 juin 1970 a, de la sorte, permis l’aménagement, par convention homologuée judiciairement, de l’exercice de l’autorité parentale[58]. Les effets, tant personnels que patrimoniaux, du divorce peuvent tout autant être contractualisés depuis la loi du 11 juillet 1975 instituant le divorce par consentement mutuel. De toute évidence, cette contractualisation de la famille, participe à « l’éviction progressive de la loi »[59]. Il est, néanmoins, encore des cas où, parce que l’ordre public le commande, non-seulement celle-ci sort de son silence, mais encore il peut arriver qu’elle l’impose, à son tour, aux agents.

B) Le silence imposé par le droit

Parce qu’il est, pour une large part, d’ordre public, nombreux sont les silences que le droit familial impose aux membres de la famille. Depuis que les mœurs se sont libérées, l’étendue de ce silence (1), tend cependant à reculer (2).

  1. L’étendue du silence imposé par le droit

La famille est, nous venons de le voir, une zone privilégiée du non-droit. Est-ce à dire que la règle juridique n’a pas vocation à s’y appliquer ? Certainement pas, ce, en raison de l’existence de règles impératives auxquelles il ne saurait être dérogé par contrat. À l’inverse de ce qui a été fait précédemment, il convient, dès lors, de déterminer jusqu’où l’ordre public qu’elles forment s’insinue dans les rapports familiaux. Quelle démarche doit-on adopter ? Manifestement, il n’existe aucune règle précise qui fixe le périmètre de cet ordre public familial. Il se signale, toutefois, de lui-même par le silence qu’il impose, chaque fois qu’il est présent, aux agents.

Dans cette configuration-là, le silence doit être entendu dans le sens d’abstention. La prescription de pareille abstention se rencontre, concrètement, lorsque le législateur dénie la possibilité à des agents d’entrer ou de sortir du périmètre de la famille, reconnue comme telle par lui, ou lorsqu’il interdit l’accomplissement d’un acte qu’il considère comme portant atteinte au fonctionnement de cette dernière. Aussi, à partir de la détermination de l’étendue du silence que le droit commande aux justiciables d’observer, devient-il possible de délimiter les contours de l’ordre public familial.

Comme composante de celui-ci, on peut commencer par évoquer les empêchements à mariage qui s’apparentent à des silences imposés aux couples qui ont entrepris de s’unir devant le maire. Doivent s’abstenir de former une union conjugale, ceux ne remplissant pas les conditions liées à l’âge[60], à la parenté[61] ou encore au consentement[62]. La réunion de conditions relatives à la publicité[63], à la production de pièces administratives[64] et à la célébration du mariage[65], est aussi nécessaire. Le non-respect de certaines de ces conditions[66] constitue, dans une moindre mesure, un obstacle à la conclusion d’un pacs. Sont également concernés par cette abstention, que le droit impose aux couples désireux de fonder une famille, les personnes à qui il refuse l’adoption ou le recours à la procréation médicalement assistée.

Dans un autre ordre d’idée, il est des cas où ce sont ceux qui veulent entrer dans le périmètre de la famille – au sens juridique du terme – qui sont réduits au silence. Cela se produit quand, par exemple, un parent ou un enfant qui manifeste l’envie de faire établir sa filiation, se voit opposer l’écoulement du délai de prescription de l’action en justice dont il dispose, lequel délai est, selon les cas prévus par la loi, compris entre cinq[67] et dix ans[68]. Pareillement, sont enfermés dans un tel silence les agents à qui le droit interdit de sortir du cercle de la famille juridique, soit parce que l’action en contestation de filiation est prescrite, soit en raison de leur impossibilité d’invoquer l’un des quatre cas de divorce prévus par la loi[69].

Enfin, il est une dernière hypothèse où les membres d’une famille peuvent être réduits au silence : l’accomplissement d’actes contraires à la manière dont le droit commande à la famille de fonctionner. Il en va ainsi d’un testament qui exhéréderait les enfants du de cujus au-delà de la quotité disponible ou qui instituerait un légataire frappé d’une incapacité de recevoir[70]. On peut, en outre, prendre l’exemple de l’acte consistant à effectuer à un changement de régime matrimonial qui ne serait pas conforme à l’intérêt de la famille[71]. L’interdiction faite à l’époux propriétaire du domicile conjugal de procéder, seul, à un acte de disposition de son bien peut, tout autant, être regardée comme une abstention que le droit lui impose.

Au total, il apparaît que l’étendue du silence que les agents doivent observer dans le cadre de rapports familiaux, témoigne de l’insinuation de l’ordre public familial dans de nombreux compartiments de la famille, de sa formation, à sa dissolution, en passant par son fonctionnement. Cela confirme le grand intérêt que le droit lui porte. Il peut d’ailleurs être relevé que, à mesure que les mœurs se libèrent, les silences imposés à ses membres, reculent, ce qui a pour effet de libérer la famille de la conception restrictive que le droit s’en faisait.

2. Le recul du silence imposé par le droit

Pourquoi le droit de la famille est-il, comme a pu le remarquer Carbonnier, un domaine où, globalement, « la part de l’autonomie de la volonté [y est] réduite, l’ordre public plus développé»[72] ? C’est, à l’époque de l’Ancien Régime, qu’il faut remonter pour trouver une explication à cette situation. À cette période, comme le fait observer un auteur, la famille est utilisée comme métaphore pour légitimer la monarchie. Celle-ci est érigée en modèle de société afin qu’il soit possible de déduire la nature des liens qui unissent le Roi et ses sujets. Cela se traduit, par exemple, par le statut que la législation royale confère au père de famille, statut qui fait de lui une personne à l’image du Roi : un être tout puissant. Cette utilisation de la famille, comme d’un instrument pour assurer l’assise du pouvoir en place, s’est poursuivie après la Révolution.

C’est de cette manière que Napoléon voyait la famille. Lorsque les rédacteurs du Code civil se sont employés à la tâche, ils percevaient cette dernière comme « la cellule de base de la société»[73]. Leur ambition était « de s’appuyer sur la famille pour en faire le relais et garantir l’ordre politique, économique et social »[74] qu’ils entendraient instaurer. Les règles qui structurent la famille ont donc été pensées comme ayant vocation à structurer la société toute entière. La famille à laquelle fait référence le Code civil en 1804 apparaît de la sorte, comme le montre Pierre Bréchon, comme une structure donnée d’avance qui ne saurait faire l’objet d’aucune contestation : l’attaquer serait de nature à mettre en péril la Nation[75]. D’où la forte proportion de règles d’ordre public en droit de la famille. À partir du début des années soixante, l’ordre public familial – de direction – tend, cependant, à s’estomper et, corrélativement, le silence imposé aux agents, dans le cadre de rapports familiaux, à reculer.

Ce mouvement est certes, comme nous l’avons vu[76], très étroitement lié à la contractualisation de la famille ; surtout, il procède du pouvoir d’attraction grandissant qu’ont sur elle les Droits de l’homme. On assisterait, en ce sens, selon Gérard Cornu, à une « subjectivisation du droit familial». Ce phénomène « consiste à réduire le droit de la famille à une collection de droits subjectifs établis sur la tête de chacun de ses membres, homme, femme, enfant »[77]. De l’avis général de la doctrine, la famille serait appréhendée par le droit, moins par rapport à l’institution juridique qu’elle constitue, que par rapport aux droits individuels qui, notamment sous l’impulsion de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, sont de plus en plus nombreux à échoir à ses membres[78]. Dès lors, à partir du moment où le législateur admet que l’intérêt du groupe familial puisse s’effacer, lorsqu’il est porté atteinte à un droit subjectif, il s’en suit, mécaniquement, une libération de l’individu du silence dans lequel il était enfermé naguère, au nom de l’intérêt collectif[79].

L’exemple topique de ce mouvement est le droit, récent, reconnu à tout un chacun de voir sa filiation légalement établie. Jusqu’à l’adoption de la loi du 3 janvier 1972, ce droit était, en effet, dénié à l’enfant adultérin auquel le droit sommait de taire sa filiation, l’intérêt supérieur étant l’exclusivité de la filiation légitime, et la préservation de la paix des familles. Désormais, peuvent s’en prévaloir, tant les enfants issus d’une union conjugale, que ceux nés d’une relation adultérine[80], conformément à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui proscrit toute discrimination fondée sur la naissance. S’il existe, encore aujourd’hui, des restrictions au droit d’établir sa filiation[81], il apparaît néanmoins que, sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, leurs jours sont, pour certaines, dorénavant comptés[82].

Bien que, comme le souligne Carbonnier, il est un risque pour le droit de la famille que « l’exaltation des droits individuels ne désagrège les institutions»[83], celle-ci n’en demeure pas moins à l’origine d’un bannissement des discriminations dont faisaient l’objet de nombreux membres de la famille biologique, tant en matière d’état des personnes, que sur le plan successoral pour les enfants naturels, adultérins et adoptés, ou encore en matière matrimoniale, pour la femme mariée qui, jusqu’en 1938 était enfermée dans le même silence que celui imposé à l’incapable et qui a dû attendre l’adoption de la loi du 13 juillet 1965 pour jouir du droit d’ouvrir un compte bancaire personnel. La libération de la famille s’est donc traduite par un recul significatif du silence auquel étaient réduits tous ceux qui, soit entretenaient une relation en dehors du cadre du mariage, soit qui, au sein de l’union conjugale, ne revêtaient pas la qualité de mari. Cela ne signifie pas pour autant que le silence se soit totalement retiré de la famille. La preuve en est l’intérêt que lui porte, en tant que fait, le droit.

II) Le silence saisi par le droit de la famille

S’il est incontestable que la famille constitue le groupe au sein duquel s’expriment les passions les plus vives, naissent les sentiments les plus profonds et où se tissent les liens les plus forts, elle est aussi l’endroit où ses membres sont amenés à rencontrer de nombreux silences dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux, à commencer par la mort, le mensonge ou encore le secret. Comment le droit appréhende-t-il le silence qui s’insinue dans les rapports familiaux ? Autrement dit, quels effets juridiques lui fait-il produire ? Deux situations doivent être distinguées : tantôt le droit organise le silence (A), tantôt il le sanctionne (B).

A) L’organisation du silence par le droit

L’organisation du silence par le droit est réalisée à une fin bien précise : assurer l’autonomie des époux sans laquelle le couple ne saurait fonctionner correctement. Cette autonomie dont ils disposent, tient à la répartition des pouvoirs dont ils sont investis d’une part (1) et à l’existence de présomption de pouvoirs, d’autre part (2).

  1. La répartition des pouvoirs

 S’il n’est, désormais, plus besoin de revenir sur l’existence, depuis le début du siècle dernier, d’un mouvement de « libération continuelle»[84] de la famille du modèle étriquée dans lequel elle était enfermée, jadis, par le droit, il nous faut, en revanche, nous arrêter sur l’une des facettes de ce mouvement en particulier : l’instauration d’une égalité parfaite entre époux ou, dit autrement, d’un l’alignement progressif du statut de la femme sur celui du mari[85]. Pour mener à bien cette réforme, qui est venue bouleverser une conception de la famille datant du fond des âges, il a, en effet, fallu que le législateur repense intégralement le fonctionnement du couple quant à la répartition des pouvoirs. Car dès lors qu’est inoculé dans les rapports conjugaux le germe de l’égalité, survient le risque de l’adoption, par les époux, de décisions contraires. Or pareille situation est susceptible de nuire grandement à l’intérêt de la famille toute entière. Comment, dans ces conditions, faire en sorte d’assurer son bon fonctionnement ?

Si l’on soumet l’accomplissement des actes qui intéressent la communauté à l’aval des deux conjoints, non seulement il est un risque de blocage dans la prise de décision du couple, mais encore que le traitement des impératifs et autres contingences de la vie quotidienne ne soit rendu impossible. Pour l’éviter, le législateur n’a, par conséquent, eu d’autre choix que de concéder aux époux une dose d’autonomie quant aux décisions se rapportant au couple. Comment s’y est-il pris ? Tout simplement en organisant le silence dans les rapports de pouvoir entre conjoints. Le silence doit, ici, être entendu comme celui d’un époux qui, bien que son consentement n’ait pas été sollicité par l’autre pour l’accomplissement d’un acte, ne fait pas obstacle à l’engagement des biens de la communauté. Le droit fait, en d’autres termes, produire à ce silence les effets d’une acceptation. Dans quelles circonstances pareille situation est-elle susceptible de se produire ?

On pense aussitôt à l’article 220 du Code civil qui dispose, en substance, que le silence d’un époux vaut, quel que soit le régime matrimonial applicable, acceptation lorsque le conjoint effectue une dépense ménagère, celle-ci faisant jouer, de plein droit, le mécanisme de la solidarité. Sont concernées toutes les dépenses de fonctionnement du ménage que sont les loyers du domicile conjugal, les frais médicaux, les dépenses courantes en tous genres (eau, électricité, accès à l’internet) ou encore les frais de scolarité des enfants. Il peut, par ailleurs, être souligné que, en vertu de l’article 515-4 alinéa 2, le principe de la solidarité ménagère s’applique, dans les mêmes termes, aux pacsés.

Là n’est pas la seule hypothèse où le membre d’un couple peut être considéré comme ayant consenti à l’accomplissement d’un acte, nonobstant son silence. Cette situation se rencontre, également, lorsque le Code pose pour certains biens qui composent, dans le cadre d’un mariage, la masse commune – si tant est que l’on ne soit pas dans un régime de séparation de biens – le principe de gestion concurrente. Au titre de l’article 1421 alinéa 1er « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer […]». En outre, on peut évoquer l’article 219 qui prévoit que, « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter », soit à faire produire à son silence – contraint – les effets d’une acceptation, quant à l’accomplissement de certains actes graves qui supposent la réunion des deux consentements, tels que la vente du logement familial. En définitive, il apparaît que le droit organise le silence dans les rapports entre époux dans de nombreuses situations. Si, la plupart du temps, le pouvoir qu’ils détiennent quant à agir, seuls, au nom du couple, repose sur un droit qui leur échoit, il arrive néanmoins, parfois, que ce pouvoir soit précaire, celui-ci ne tenant qu’à l’existence d’une simple présomption.

2. Les présomptions de pouvoir

Afin de libérer encore un peu plus l’action des époux à qui les tiers pourraient, dans le dessein de se protéger d’un dépassement de leurs prérogatives respectives, être tentés de refuser à l’un, l’accomplissement d’un acte, en raison du silence de l’autre, le droit patrimonial de la famille instaure un certain nombre de présomptions de pouvoir. La plus première dont on peut faire état, est celle relative aux meubles – non meublants – dont est en possession un époux. Au titre de l’article 222 du Code civil, celui-ci est, pour « un acte d’administration, de jouissance ou de disposition […], réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte». Peu importe que le meuble en question appartienne, en propre à l’autre époux et que donc le conjoint qui a agi, ne se soit vu conférer par son régime matrimonial, aucun pouvoir dessus. La présomption qui pèse sur lui a pour effet d’assimiler le silence de l’époux propriétaire à une acceptation, de sorte que pour le tiers de bonne foi, l’acte accompli est inattaquable.

Pareille présomption existe également pour les actes concernant l’ouverture et le fonctionnement d’un compte bancaire. En vertu de l’article 221 « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres de dépôt». Ainsi, même si l’époux à qui les fonds ou titres appartiennent, n’a pas donné son consentement quant à leur dépôt sur le compte de son conjoint, son silence vaut acceptation, si bien qu’il ne saurait engager la responsabilité du banquier. Cette volonté que manifeste le législateur de protéger les tiers de l’acte accompli par un époux, en violation des règles du régime matrimonial qui lui est applicable, transparait, tout autant, de la présomption de mandat d’administration qui bénéficie à l’époux collaborant à l’activité professionnelle de son conjoint[86]. La présomption de pouvoir se révèle, de la sorte, comme un instrument très efficace pour faire produire des effets juridiques au silence, lequel silence peut, d’ailleurs, ne pas seulement faire l’objet d’une organisation dans les rapports entre époux, mais aussi d’une sanction.

B) La sanction du silence par le droit

Quand il se produit, le silence est un évènement, selon la forme qu’il empreinte, susceptible d’avoir des répercussions considérables sur la famille. C’est la raison pour laquelle, afin de préserver la pérennité du groupe familial et l’intérêt de ses membres, il est de nombreux cas où le droit le sanctionne, qu’il consiste (1) ou non (2), en une faute.

  1. La sanction du silence fautif

Cela n’est désormais plus à démontrer : la famille est le groupe social où la pression normative qui s’exerce sur ses membres est la plus forte. Cela fait-il de ces derniers des êtres vertueux ne se livrant à aucune forfaiture en son sein ? Naturellement non. Comme n’importe quel autre ensemble humain, la famille est susceptible de voir les agents qui la composent adopter des conduites déviantes, qui, pour certaines, peuvent consister en un silence. Quelles sont les silences malveillants, et donc fautifs, que le droit sanctionne-t-il ? Il en existe deux sortes. Il y a les silences dont la réalisation est de nature à nuire à un ou plusieurs membres de la famille, voire à des tiers et ceux qui, lorsqu’ils sont constatés, peuvent conduire, ni plus, ni moins, à la dissolution de la famille.

S’agissant de la première catégorie de silence, en fait partie, notamment, l’acte consistant, de la part d’un héritier, à s’approprier, frauduleusement, un bien de la masse successorale, en violation des règles de partage, de sorte que les cohéritiers s’en trouvent lésés. C’est ce que l’on appelle le recel successoral[87]. Celui-ci s’opère, le plus souvent, par dissimulation et, parfois, par omission, soit dans le silence ; un silence fautif sanctionné par une déchéance du receleur de ses droits sur les biens recélés. Ce silence qui entoure le recel successoral, caractérise une autre sorte d’acte frauduleux accompli dans le cadre de la transmission de biens familiaux : les donations déguisées[88].

La manœuvre consiste ici à simuler la conclusion d’un acte à titre gratuit, alors qu’il s’agit, en réalité, d’un acte à titre onéreux. La donation déguisée peut revêtir la forme, par exemple, d’une vente dont le prix est fictif ou encore d’une reconnaissance de dette qui n’a jamais existé. La sanction d’une telle simulation sera, non pas l’annulation de l’acte, mais sa disqualification afin de lui faire produire ses véritables effets, notamment sur le plan fiscal. Cette sanction témoigne du souci qu’a le droit de préserver l’intérêt de la famille – en reconnaissant la validité de l’acte – tout en protégeant l’ordre public, ce qui se traduit par l’application, aux parties à l’acte, des règles contournées. Il est cependant des fois, où l’atteinte portée à l’ordre public est telle que le droit n’a d’autre choix que de prescrire une dissolution pure et simple de la famille.

Les silences appartenant à la seconde catégorie conduisent, lorsqu’ils sont constatés, à cette extrémité. Tel est le cas, lorsque les futurs époux cachent à l’officier d’état civil leur défaut d’intention conjugale, condition indispensable à la formation du mariage. Cette hypothèse se rencontre, comme il l’a été précisé dans le célèbre arrêt Apietto, lorsque « les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale »[89], soit de bénéficier des seuls effets secondaires du mariage, comme peut l’être l’obtention d’un titre de séjour, ou d’un avantage fiscal[90]. Le silence frauduleux auquel se sont livrés les conjoints sera sanctionné par la nullité du mariage, laquelle est encourue, plus généralement, toutes les fois qu’un époux, ou les deux, taisent l’existence d’un empêchement dirimant entachant la formation de leur mariage. Nul n’est cependant besoin d’un silence malveillant pour que soit prononcée, en guise de sanction, la dissolution de la famille. Il est des cas où le silence ne constitue aucune faute, mais à qui le droit fait produire les effets de pareille sanction.

2. La sanction du silence non-fautif

L’hypothèse à laquelle on songe en premier est évidemment la mort, qui n’est autre que le plus grand des silences susceptible de venir frapper la famille. En vertu des articles 227 et 515-7 du Code civil, elle met définitivement un terme au mariage et au pacs. Il en va de même de l’absence et de la disparition qui, dès lors que sont prononcés les jugements déclaratifs de décès ou d’absence, entraînent la dissolution de l’union conjugale. Là ne sont pas les seules situations où un silence non-fautif, peut conduire à la fin du couple. On peut encore évoquer l’hypothèse du silence gardé par un époux qui, en ce qu’il refuse opiniâtrement de répondre à la demande de son conjoint de se défaire des liens du mariage alors qu’existe entre eux, pendant plus de deux ans, une cessation de la vie commune, constitue un cas de divorce[91]. Même non-fautif, le silence peut donc être sanctionné par le droit d’une dissolution de la famille.

Fort naturellement, ce n’est pas, toutefois, la sanction la plus courante. À la vérité, le droit sanctionne le silence qui s’insinue dans les rapports familiaux de bien d’autres manières, l’objectif étant toujours la préservation de l’intérêt de la famille. Ainsi, par le jeu de la présomption pater is es quem nuptiæ demonstrant, érigée à l’article 312 du Code civil, le silence du mari de la mère est-il sanctionné par l’établissement de sa filiation avec l’enfant. Le seul moyen pour lui de ne pas voir sa paternité reconnue, c’est d’agir en justice pour que, en quelque sorte, son silence ne vaille pas acceptation. Ce silence qui produit les effets d’une acceptation, se retrouve également en matière successorale lorsqu’un héritier, soit se comporte comme acceptant la succession, en se livrant, par exemple, à des actes de disposition sur un bien de la masse successorale, soit ne procède pas à l’exercice de son option deux mois après avoir été sommé de le faire par un créancier[92]. Dans les deux cas, le droit sanctionne le silence du successible par une acceptation.

La sanction du silence – non fautif – connaît une autre sanction : la révocation. C’est ce dont est susceptible de faire l’objet le testament sur lequel est revenu tacitement son auteur en en rédigeant un nouveau ou en aliénant tout bonnement la chose léguée. Lorsqu’il correspond à l’une de ces situations envisagées aux articles 1036 et 1038 du Code, le silence de l’auteur d’un testament vaut révocation de celui-ci. Au total, il apparaît que, fautif ou non, le silence est sanctionné, selon la forme qu’il revêt, de très différentes manières, dans le cadre de l’appréhension des rapports familiaux par le droit. Cela témoigne, une fois encore, de l’étroitesse des rapports qui existent entre le droit de la famille et le silence, lesquels sont décidemment amenés à se rencontrer en de nombreuses occasions.

[1] A. Rey (dir.), Dictionnaire Le Grand Robert, Robert, 2001, t. 6, p. 448.

[2] H. Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 1999, p. 14.

[3] Montaigne, Les Essais, Gallimard, coll. « La pléiade », 2007, II, 12.

[4] J.-J. Rousseau, Lettres écrites à la montagne, P. I, Lettre VI.

[5] V. en ce sens J.-P. Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, coll. « Folio », 1976.

[6] J.-P. Sartre, Situations, III. Lendemain de guerre, Gallimard, coll. « Blanche », 2003, p. 11.

[7] B. Pascal, Discours sur les passions de l’amour, Mille et une nuits, 1998.

[8] Par exemple, conformément à l’article 1738 du Code civil, le locataire qui, en restant dans les locaux qu’il loue à l’échéance du bail, offre tacitement à son bailleur de reconduire le contrat qui les lie.

[9] L’acceptation tacite est valide, notamment dans les contrats à exécution successive, ou lorsque le comportement de l’acceptant laisse transparaître, sans équivoque, sa volonté de contracter.

[10] Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF n°88 du 13 avril 2000, p. 5646.

[11] CEDH, 14 oct. 2010, n° 1466/07, Brusco c/ France : JCP G 2010, act. 1064, F. Sudre. V. également sur cette question des décisions plus anciennes CEDH, 25 févr. 1993, Funke c/ France, série A, n° 256 : Juris-Data n° 1993-605005 ; JCP G 1993, II, 22073, note Renucci ; Rev. sc. crim. 1993, p. 581, chron. Pettiti ; CEDH, 17 déc. 1996, Saunders c/ Royaume-Uni : Rec. CEDH 1996, VI.

[12] L’article 109 alinéa 2 du Code pénal dispose en ce sens que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ».

[13] D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Odile Jacob, Paris, 1997, p. 171.

[14] V. en ce sens M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, coll. « Leviathan », 2001, pp. 68 et s.

[15] P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, coll. « Manuel », 2011, n°15, p. 24.

[16] N. Rouland, Aux confins du droit, Odile Jacob, coll. « sciences humaines », 1991, p. 40.

[17] Ibid., p. 39.

[18]  Ibid., p. 40.

[19] Norbert Rouland n’hésite pas à affirmer en ce sens que le droit de la famille « paraît avoir contribué à la naissance de l’Homme, peut-être même avant la religion » (ibid., p. 39).

[20] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[21] On pense notamment à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. En son article 8, celle-ci ne fait, d’ailleurs, pas référence à la famille en tant que groupe humain, mais à la « vie familiale ».

[22] Pour cet auteur, le mariage n’est autre que « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et à partager leur commune destinée ».

[23] P. Vouin, préface de l’ouvrage de M. Delmas Marty, Le droit de la famille, PUF, 1972, coll. « Que sais-je ? », p. 6.

[24] P. Delvolvé, « Le silence en droit public », RDP, juil. 2012, n°4, p. 1171.

[25] H. de Balzac, Le curé du village. Œuvres complètes, Gallimard, coll. « La Pléiade », vol. IX, 1975.

[26] J. Carbonnier, « Les trois piliers du droit », Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, pp. 257 et s.

[27] G. Cornu, Droit civil. La famille, Montchrestien, coll. « Domat droit privé », 2007, n°1, p. 7.

[28] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°1, p. 5.

[29] Pour Claude Colombet, « la famille ne se passe pas de droit ; mieux elle en abonde » (C. Colombet, La famille, PUF, coll. « Droit fondamental », 1999, p. 13).

[30] Pour Cabonnier, « le doute vient de ce que [le droit de la famille] est fortement pénétré de morale et de mœurs » (J. Carbonnier, Droit civil. Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige », n°390, p. 771).

[31] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[32] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[33] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[34] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[35] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[36] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[37] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[38] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[39] Cass. 1re civ., 19 mars 1991 : Defrénois 1991, p. 942, obs. J. Massip ; Cass. 1re civ., 17 oct. 2000 : Dr. famille 2000, comm. 139, note B. Beignier.

[40] En matière fiscale, pour ce qui concerne l’assiette de l’ISF, les concubins sont assimilés à des époux. Il en va de même en matière de protection sociale où le concubin est considéré comme un ayant du droit de celui qui bénéficie de l’affiliation à la sécurité sociale.

[41] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[42] Article 515-1.

[43] Article 515-3.

[44] J. Carbonnier, « L’hypothèse du non-droit », in Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, op. préc., p. 34.

[45] Pour Carbonnier « dans le déroulement quotidien d’une institution familiale, les individus […] ne pratiquent le droit que de loin en loin quand ils ne peuvent pas faire autrement […] : dans l’intervalle, ils vivent comme si le droit n’existait pas » (Ibid.).

[46] C. Colombet, op. préc., p. 16.

[47] Article 372-2.

[48] Les notions de « charges du mariage » ou de « dépenses ménagères » que l’on trouve respectivement aux articles 214 et 220 du Code civil sont des notions dont l’appréciation commande au juge de faire appel à la coutume.

[49] V. en ce sens A. Benabent, « L’ordre public en droit de la famille », in T. Revet (dir.), L’ordre public à la fin du XXème siècle, Dalloz, 1996, pp. 27-31.

[50] Ch. Ropers, « Reste-t-il un ordre public familial », in Ch. Pigache (dir.), Les évolutions du droit : contractualisation et procéduralisation, Publications de l’Université de Rouen et du Havre, 2004, p. 90.

[51] V. en ce sens la thèse défendue par Frédérique Niboyet (F. Niboyet, l’ordre public matrimonial, LGDJ, 2008).

[52] D. Boulanger, « Droit patrimonial du couple et contractualisation », LPA, 20 déc. 2007, n°254, pp. 34 et s.

[53] J.-J. Lemouland, « Le couple en droit civil », Droit de la famille, juil. 2003, n°7, chron. 22.

[54] A. Bénabent, Droit civil. Droit de la famille. Montchrestien, coll. « Domat droit privé », 2010, p. 10.

[55] Article 1387.

[56] V. en ce sens P.-M. Reverdy, « La contractualisation de la transmission successorale », LPA, 14 fév. 2007, n°33, pp. 4 et s.

[57] Sur cette question v. notamment N. Pétroni-Maudière, Le déclin du principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux, Presses Universitaires de Limoges, 2004.

[58] En vertu de l’article 373-2-7 « les parents peuvent saisir le juge aux affaires familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils organisent les modalités d’exercice de l’autorité parentale […] ».

[59] J.-J. Lemouland, « Le pluralisme et le droit de la famille, post-modernité ou pré-déclin ? », D. 1997, chron., pp. 133 et s.

[60] Article 144.

[61] Articles 161,162 et 163.

[62] Article 146.

[63] Article 63.

[64] Articles 63 et 70.

[65] Articles 75 et 165.

[66] Article 515-2.

[67] Article 333 al. 1er.

[68] Article 321.

[69] Article 229.

[70] Sont frappés d’une telle incapacité du tuteur qui ne peut rien recevoir, dans le cadre d’une succession, de son pupille (article 907 al. 1er) ou du médecin qui ne saurait être le légataire de son patient (article 909 al. 1er).

[71] Article 1397.

[72] J. Carbonnier, La famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 771.

[73] S. Minvielle, La famille en France à l’époque moderne, Armand Colin, 2010, p. 21.

[74] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. cit. p. 18.

[75] P. Bréchon, La famille. Idées traditionnelles et idées nouvelles, Le centurion, 1976.

[76] V. supra, n°15-16.

[77] G. Cornu, op. cit., p. 20.

[78] V. notamment sur cette question F. Vasseur-Lambry, La famille et la convention européenne des droits de l’homme,, L’Harmattan, 2000 ; F. Krenc et M. Puéchavy, Le droit de la famille à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme, Anthemis, 2008 ; S. Lagoutte, Le droit au respect de la vie familiale dans la jurisprudence conventionnelle européenne, thèse: Paris 2, 2002.

[79] Ainsi pour Carbonnier « maintenant, le droit civil ayant décidément épousé les Droits de l’homme, c’est la valeur de la personne qui prend le dessus » (J. Carbonnier, op. cit., p. 750).

[80] L’ancien article 334 du Code civil introduit par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation disposait que « l’enfant naturel a en général les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’enfant légitime dans ses rapports avec ses père et mère ».

[81] On pense, notamment, à la possibilité pour la femme d’accoucher anonymement au titre de l’article 326 du Code civil, ou encore à la prohibition édictée à l’article 310-2 d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de l’un de ses parents biologiques, s’il est issu d’une relation incestueuse. Peut également être évoquée la situation des enfants qui font l’objet d’une adoption plénière dont le placement définitif fait, au titre de l’article 352, « échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ».

[82] C’est ainsi que, de peur d’être condamné par les juges strasbourgeois, sur le fondement de la discrimination, dans la mesure où il n’existe aucune fin de non-recevoir à l’action en recherche de paternité alors qu’il en existe une pour l’action en recherche de maternité, le législateur a adopté la loi du 16 janvier 2009 qui est venue supprimer la fin de non-recevoir qui bénéficiait à la mère ayant accouché anonymement, laquelle ne pouvait, jusqu’alors, voir sa filiation établie dans le cadre d’une action en recherche de maternité. Cela ne l’empêche pas, pour autant, de revendiquer le droit d’accoucher dans l’anonymat, la difficulté étant pour l’enfant s’il souhaite, plus tard, établir sa filiation, de retrouver l’identité de sa mère.

[83] J. Carbonnier, La famille, l’enfant, le couple, op. cit., p. 768.

[84] J. Carbonnier, « Terre et ciel dans le droit français du mariage », in Mélanges Ripert, Dalloz, 1950, p. 328.

[85] Sur cette question v. notamment P. Catala, « Rapport de synthèse », Travaux de l’Association Capitant, 1988, t. XXXIX, Aspects de l’évolution récente du droit de la famille, pp. 1 et s.

[86] L’article 321-1 alinéa 1er du Code rural dispose que « lorsque des époux exploitent ensemble et pour leur compte une même exploitation agricole, ils sont présumés s’être donné réciproquement mandat d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation ».

[87] Le recel successoral est régi à l’article 778 du Code civil.

[88] Sur cette question v. notamment H. Meau-Latour, La donation déguisée en droit civil français. Contribution à la théorie générale de la donation, LGDJ, 1985.

[89] Cass. 1ère Civ., 20 nov. 1963 : D. 1963, note Raymond ; JCP G 1964, II, 13498, note J. Mazeaud..

[90] Cass. 1ère Civ., 28 oct. 2003, D. 2004.21, note Gridel ; RTD civ. 2004.66, obs. J. Hauser.

[91] Article 238.

[92] Article 772.