Mise en œuvre de la réparation en matière de responsabilité contractuelle : l’octroi de dommages et intérêts

La mise en œuvre de la réparation est envisagée aux articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil. Tandis que le premier encadre les dommages et intérêts dus à raison du retard de paiement d’une obligation, le second régit ceux dus à raison d’une condamnation en justice

I) Les dommages et intérêts dus à raison du retard de paiement d’une obligation de somme d’argent

L’article 1231-6 du Code civil dispose que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »

À l’examen, ce texte reprend les dispositions de l’ancien article 1153 mais en modernise et simplifie la formulation.

Ainsi, en cas de retard d’exécution d’une obligation portant sur une somme d’argent, le texte prévoit que l’indemnisation du créancier pour le préjudice causé par ce retard, consiste en l’octroi, à titre forfaitaire, d’intérêts – moratoires – calculés au taux légal et dont l’assiette correspond au montant de la créance due. L’article 1231-6 ayant une valeur supplétive, il n’est pas interdit aux parties de prévoir un taux conventionnel. Ce taux conventionnel devra néanmoins, pour s’appliquer, être expressément stipulé dans le contrat et ne peut être inférieur à trois fois le taux légal.

En tout état de cause, l’alinéa 2 de l’article 1231-6 précise que les intérêts moratoires « sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte ». Est ici posée une présomption de dommage en cas de retard dans l’exécution d’une obligation de somme d’argent.

Cela signifie que les intérêts moratoires sont automatiquement alloués au créancier, sauf à ce que le débiteur neutralise la présomption de dommage et démontrer l’absence de préjudice à raison du retard dans l’exécution de l’obligation.

Quant au point de départ des intérêts moratoires, l’alinéa 1er de l’article 1231-6 du Code civil prévoit qu’ils courent à compter de la mise en demeure du débiteur.

L’alinéa 3 dispose, enfin, que « le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire. »

Il ressort de cette disposition que le retard dans l’exécution d’une obligation peut donner lieu à une indemnisation distincte des intérêts moratoires. Il appartiendra néanmoins au créancier de démontrer, d’une part, la mauvaise foi du débiteur, d’autre part l’existence d’un préjudice distinct du retard.

II) Les dommages et intérêts dus à raison d’une condamnation en justice

L’article 1231-7 du Code civil dispose que « en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. »

À l’instar de l’article 1236-1, ce texte porte donc sur les intérêts moratoires qui, là encore, sont forfaitaires et automatiques, puisque fixés au taux légal.

La particularité de ces intérêts moratoires est toutefois triple :

  • D’une part, ils sont dus à raison d’une condamnation en justice et non à raison de l’inexécution d’une obligation contractuelle
  • D’autre part, ils jouent de plein droit, même en l’absence de demande ou de mention au jugement
  • Enfin, ils ne sont pas circonscrits au domaine des obligations de somme d’argent : ils s’appliquent « en toute matière », contrairement aux intérêts moratoires visés à l’article 1231-6

Quant au point de départ des intérêts moratoires dus à raison d’une condamnation en justice, l’article 1231-7 pose le principe qu’ils courent à compter du prononcé du jugement, sauf si la loi ou le juge en disposent autrement.

L’alinéa 2 de cette disposition complète le dispositif en prévoyant que « en cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel ».

Deux situations doivent alors être distinguées :

  • Le jugement de première instance est confirmé en appel
    • Dans cette hypothèse, les intérêts moratoires dus à raison de la condamnation courent à compter de la décision de première instance.
  • Le jugement de première instance est infirmé en appel
    • Dans cette hypothèse, les intérêts moratoires dus à raison de la condamnation courent à compter de la décision d’appel.

En dépit de la règle ainsi posée, l’article 1231-7 octroie au juge la faculté d’y déroger, ce qui pourrait impliquer qu’il décide de faire courir les intérêts moratoires à compter de la décision d’appel au lieu de la décision de première instance et inversement.

Le dommage: régime juridique

Pour mémoire, l’article 1240 du Code civil dispose que :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Au regard de cette disposition, le dommage apparaît comme la première condition de mise en œuvre de la responsabilité civile.

?Dommage ou préjudice ?

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que l’utilisation du terme dommage ou de préjudice est indifférente. La plupart des auteurs les tiennent pour synonymes.

Pour certains, il convient néanmoins de les distinguer en ce que :

  • Le dommage serait le fait brut originaire de la lésion affectant la victime
  • Le préjudice constituerait, quant à lui, la conséquence de cette lésion

?Pas de responsabilité sans dommage

À la différence de la responsabilité pénale, la responsabilité civile ne se conçoit pas, du moins en principe, en dehors de l’existence d’un dommage, même si celui-ci est particulièrement difficile à évaluer et si sa réparation laisse, le cas échéant, au juge une très grande latitude pour éventuellement sanctionner un comportement qu’il juge répréhensible.

Manifestement, si toute réparation requiert la caractérisation d’un dommage, tous les dommages ne sont pas nécessairement réparables.

Aussi, afin de déterminer si l’auteur d’un fait illicite engage sa responsabilité civile, il conviendra toujours de se demander, avant l’examen de toute autre condition, si le préjudice occasionné à la victime est réparable.

?Qu’est-ce qu’un préjudice réparable ?

Ni la jurisprudence, ni la doctrine ne définissent vraiment ce qu’est un dommage réparable. À la vérité le dommage est moins défini qu’il n’est décrit.

Dès lors, afin de savoir si un dommage est ou non réparable, cela suppose de se demander s’il répond aux critères posés par la jurisprudence.

Pour être réparable, un dommage doit, en effet, présenter un certain nombre de caractères (I), ce qui a conduit la jurisprudence à reconnaître, par une appréciation parfois audacieuse desdits caractères, de nombreuses variétés de dommages.

I) Les caractères du dommage

Classiquement on enseigne que, pour être réparable, le dommage doit être :

  • Personnel
  • Direct
  • Actuel
  • Certain
  • Licite

Bien que reprise dans de nombreux manuels de droit, cette pentalogie est moins pertinente qu’il y paraît.

  • En premier lieu, si l’on exige que le dommage soit direct, cela signifie qu’un lien de causalité doit exister entre le fait générateur de responsabilité et le dommage.
    • Or cette question du caractère direct du dommage relève plus de la problématique relative au lien de causalité que du dommage en lui-même.
  • En second lieu, si l’on exige que le dommage soit actuel, on saurait toutefois en déduire que le juge n’aurait pas le droit de se projeter dans l’avenir pour évaluer le préjudice ou qu’il ne peut faire état que de certitudes absolues.
    • En effet, pour être réparable il faut une probabilité suffisante quant à la réalisation du préjudice.
    • Aussi, cela renvoie-t-il à l’exigence de certitude du préjudice, de sorte que celui-ci doit moins être actuel que certain.
    • En ce sens, un préjudice futur peut parfaitement être réparable
      • Si sa réalisation est certains
      • Si son évaluation est possible

On peut donc estimer que, pour être réparable, un préjudice doit, en réalité, présenter non pas 5 caractères, mais trois. Il doit être :

  • Certain
  • Personnel
  • Licite

A) Le caractère certain du dommage

Pour être réparable, le préjudice subi par la victime doit être certain.

?Notion de dommage certain

Si l’on se reporte à la définition du dictionnaire, est certain ce qui ne fait pas de doute, ce qui est conforme aux critères de la vérité.

Ainsi, le dommage est certain lorsqu’il est établi et avéré.

Le dommage certain s’oppose, en ce sens, au préjudice éventuel, soit le préjudice dont on ne sait pas s’il se produira.

?Exceptions à l’exigence de certitude du dommage

Il peut être observé que l’exigence de certitude du dommage est écartée, partiellement voire totalement dans trois hypothèses :

  • En matière d’atteinte au droit à la vie privée
    • La Cour de cassation a estimé que « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation » (Cass. 1re civ., 5 nov. 1996, n°94-14.798).
    • Ainsi, n’est-il pas nécessaire de justifier d’un dommage pour obtenir réparation sur le fondement de l’article 9 du Code civil.
    • La seule violation du droit à la vie privée suffit à engager la responsabilité de l’auteur de la violation.
  • En matière de troubles anormaux du voisinage
    • Comme en matière d’atteinte à la vie privée, les troubles anormaux de voisinage constituent une source autonome de la responsabilité, en ce sens qu’elle est détachée de l’article 1240 du Code civil, soit de toute idée de faute.
    • Aussi, cela signifie-t-il que cette responsabilité repose sur le seul constat de l’anormalité du trouble causé à la victime (V. en ce sens Cass. 3e civ., 21 juill. 1999, n°96-22.735).
  • En matière de concurrence déloyale
    • Dans l’hypothèse d’une action en concurrence déloyale diligentée par la victime, si l’existence d’un dommage certain est exigée, celui-ci est présumé dès lors qu’un comportement fautif est établi (Cass. com., 9 févr. 1983, n°91-12.258)
    • Ainsi, en pareille situation, revient-il à l’auteur du dommage que l’action dirigée contre lui est infondée.

?L’étendue de la notion de certitude du dommage

Par certitude du dommage il faut entendre que le dommage s’est réalisé :

  • Soit parce que la victime a éprouvé une perte
  • Soit parce que la victime a manqué un gain

On peut ajouter, qu’il est indifférent que la victime ait ou non conscience de son dommage.

1. La victime a éprouvé une perte

La perte éprouvée par la victime peut être :

  • Soit actuelle
  • Soit future

a. Le préjudice actuel

Le dommage actuel est celui qui s’est déjà réalisé.

Aussi, la Cour de cassation estime-t-elle dans cette hypothèse que « le droit pour la victime d’un accident d’obtenir réparation du préjudice subi existe dès que le dommage a été causé ».

Ainsi, pour la haute juridiction le fait générateur de la créance de réparation se confond avec la date de réalisation du dommage (Cass. 2e civ., 21 mars 1983, n°82-10.770)

À la vérité, lorsque le dommage est déjà survenu, cette situation ne soulève guère de difficulté s’agissant de l’indemnisation de la victime.

Mais quid lorsque le dommage ne s’est pas encore réalisé ? Peut-on réparer un préjudice futur ?

b. Le préjudice futur

?Préjudice futur et préjudice actuel

Contrairement à une idée reçue, le préjudice futur ne s’oppose pas au préjudice actuel en ce qu’il ne serait pas réparable.

Ces deux sortes de préjudice s’opposent uniquement en raison de leur date de survenance.

Au vrai, dès lors que le préjudice futur et le préjudice actuel présentent un caractère certain, tous deux sont réparables.

?Préjudice futur et préjudice éventuel

En matière de responsabilité, le préjudice futur s’oppose, en réalité, au préjudice éventuel dont la réalisation n’est pas certaine.

Dès lors que l’éventualité du préjudice « ne s’est pas transformée en certitude », pour reprendre une expression de François Terré, le préjudice n’est pas réparable, contrairement au préjudice futur dont la réalisation est certaine.

?Le préjudice futur certain

Ce qui importe c’est donc que le préjudice futur soit certain pour être réparable.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer ce principe en jugeant, dès 1932 que « s’il n’est pas possible d’allouer des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel et comme étant susceptible d’estimation immédiate » (Cass. crim., 1er juin 1932).

Exemples :

  • Dans un arrêt du 13 mars 1967, la Cour de cassation a estimé que la victime d’un accident de la circulation était fondée à obtenir réparation du préjudice futur occasionné par l’ablation de la rate, laquelle est de nature à raccourcir son espérance de vie (Cass. 2e civ., 13 mars 1967).
  • Dans un arrêt du 3 mars 1993, la Cour de cassation a jugé que «  des propriétaires d’immeubles justifiaient d’un préjudice certain du fait de la présence d’une ancienne carrière de calcaire asphaltique et du classement, à la suite d’effondrements du sol, comme zone de risque d’une partie du territoire de la commune, dès lors qu’elle relève que les tassements de sol se poursuivront de façon lente et irrégulière, avec parfois une accélération brutale, imprévisible et dangereuse, et que le sous-sol étant “déconsolidé” d’une manière irréversible, les immeubles seront soumis à plus ou moins brève échéance à de graves désordres voire à un effondrement qui les rendra inhabitables » (Cass. 2e civ., 3 mars 1993, n°91-17.200).

?L’aggravation du dommage

  • Principe
    • En cas d’aggravation du dommage, la Cour de cassation considère qu’il est toujours possible pour la victime d’engager une nouvelle action en réparation.
  • Fondement
    • L’idée sur laquelle s’appuie la Cour de cassation consiste à dire que « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit ».
    • Autrement dit, c’est le principe de réparation intégrale qui préside à l’action en responsabilité, de sorte que tant que tous les préjudices, mêmes futurs, dès lors qu’ils sont certains doivent être réparés.
  • Illustration
    • Dans un arrêt du 19 février 2004, la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas accédé à la demande en réparation formulée par une victime, suite à l’aggravation de son préjudice « alors que le préjudice dont Mme X… demandait réparation était constitué par l’augmentation, en raison de la présence de ses deux enfants, de l’aide-ménagère dont l’indemnisation lui avait été précédemment accordée à titre personnel en raison de son handicap, et que ce préjudice économique nouveau, indépendant de l’évolution de l’état séquellaire de la victime, n’avait pas été pris en compte par le jugement, antérieur à la naissance des enfants» (Cass. 2e Civ. 19 févr. 2004, n°02-17.954).
  • Condition
    • Une nouvelle action en réparation suppose néanmoins, nous dit la Cour de cassation « qu’une demande en réparation de l’aggravation d’un préjudice ne peut être accueillie que si la responsabilité de l’auteur prétendu du dommage et le préjudice initialement indemnisé ont pu être déterminés » (Cass. 1re civ., 14 janv. 2016, n° 14-30.086).

2. La victime a manqué un gain

Le dommage réparable ne consiste pas toujours en une perte pour la victime ; il peut également s’agir d’un manque à gagner.

La Cour de cassation qualifie ce manque à gagner, lorsqu’il est réparable, de perte d’une chance.

  • Reconnaissance de la perte d’une chance comme préjudice réparable
    • Dans un arrêt fondateur du 17 juillet 1989 la Cour de cassation a reconnu, pour la première fois, le caractère réparable de la perte de chance.
      • En l’espèce, le client d’un huissier de justice est privé de la possibilité de faire appel d’un jugement et, par voie de conséquence, de gagner son procès en raison de la faute commise par l’officier ministériel, laquelle faute a entraîné la nullité de l’acte portant déclaration d’appel.
      • La Cour de cassation reconnaît au client de l’étude un droit à réparation, sur le fondement de la perte de chance (Cass. req., 17 juill. 1889)
    • Depuis lors, la Cour de cassation reconnaît de façon constante à la perte de chance le caractère de préjudice réparable (V. en ce sens Cass. 1re civ., 27 janv. 1970, n°68-12.782 ; Cass. 2e civ., 7 févr. 1996, n°94-12.965 ; Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n°12-14.439)
  • Définition
    • La Cour de cassation définit la perte de chance comme « la disparition, par l’effet d’un délit, de la probabilité d’un événement favorable, encore que ; par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim., 18 mars 1975, n°74-92.118).
    • Dans un arrêt du 4 décembre 1996, la Cour de cassation a sensiblement rectifié sa définition de la perte de chance en jugeant que « l’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet de l’infraction, de la probabilité d’un événement favorable encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim., 4 déc. 1996, n°96-81.163).
  • Conditions
    • Il ressort des définitions retenues par la Cour de cassation de la perte de chance que pour être réparable, elle doit satisfaire à plusieurs conditions :
      • L’éventualité favorable doit exister
        • Autrement dit, la victime doit avoir été en position de chance, position dont elle a été privée en raison de la production du fait dommageable.
        • Exemple : la Cour de cassation a-t-elle refusé d’indemniser un ouvrier boulanger, victime d’un accident le privant de la possibilité d’ouvrir sa propre boulangerie, dans la mesure où il n’avait effectué aucune démarche en ce sens (Cass. 2e civ., 3 déc. 1997, n°96-11.816)
        • Le critère utilisé par la Cour de cassation afin de déterminer si l’éventualité existe est, le plus souvent, le bref délai.
        • Moins l’éventualité favorable espérée par la victime se réalisera à brève échéance et plus le juge sera réticent à reconnaître la perte de chance.
      • La disparition de l’éventualité favorable doit être réelle
        • Autrement dit, la perte de chance ne doit pas être hypothétique.
        • La disparition de l’événement favorable doit être acquise, certaine.
        • En somme, la condition qui tient au caractère réel de la perte de chance n’est autre que la traduction de l’exigence d’un préjudice certain
        • La victime ne doit pas avoir la possibilité de voir se représenter l’éventualité favorable espérée.
        • En somme, la disparition de cette éventualité doit être irréversible.
        • Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle estimé que le candidat qui a perdu la chance de se présenter à un concours ne peut obtenir réparation de son préjudice, dès lors qu’il a la possibilité de s’inscrire une nouvelle fois audit concours (Cass. 2e civ., 24 juin 1999, n°97-13.408).
      • La chance perdue doit être sérieuse
        • Cela signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que l’événement favorable se réalise (V. en ce sens Cass. 1er civ. 4 avr. 2001, n°98-23.157).
        • On peut ainsi douter du caractère sérieux de la chance d’un étudiant de réussir un concours, s’il n’a pas été assidu en cours et s’il ne s’est livré à aucune révision.
        • On peut également douter du sérieux de la chance d’un justiciable de gagner un procès, dans l’hypothèse où il ne dispose d’aucune preuve de ce qu’il avance.
  • Présomption du préjudice
    • Dans un arrêt du 14 octobre 2010, la Cour de cassation a posé une présomption de certitude de la perte de chance, « chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable » (Cass. 1ère civ. 14 oct. 2010, n°09-69.195).
    • Autrement dit, la haute juridiction estime que le préjudice est certain, et donc réparable, dès lors qu’est établie la disparition du gain espéré par la victime.
    • Il s’agit d’une présomption simple, qui donc supporte la preuve du contraire.
  • Réparation de la perte d’une chance
    • Dans la mesure où la réalisation de l’événement favorable n’est, par définition, pas certaine, l’indemnité allouée à la victime ne saurait égaler le gain espéré.
    • Ainsi, le montant de la réparation du préjudice sera-t-il toujours proportionnel à la probabilité que l’événement se réalise (Cass. 1ère civ., 27 mars 1973, n°71-14.587).
    • Le juge devra donc toujours prendre en compte l’aléa lors de la réparation du préjudice.
    • Est-ce à dire qu’il s’agit là d’une entorse au principe de réparation intégrale ?
      • La réponse est non
      • Deux choses doivent être distinguées :
        • La disparition de l’événement favorable
        • La réalisation de l’événement favorable
      • Dans la mesure où seule la disparition de l’événement favorable est certaine, sa réalisation étant hypothétique, seul ce fait dommageable pourra donner lieu à réparation.
  • Contrôle exercé par la Cour de cassation
    • L’évaluation de la perte de chance relève de l’appréciation souveraine des juges du fond
    • La Cour de cassation ne contrôlera que la prise en compte de l’aléa dans l’indemnisation.
    • Elle rappelle en ce sens régulièrement que « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Cass. 1er civ., 9 avr. 2002, n°00-13.314).

3. L’indifférence de l’état d’inconscience dans lequel se trouve la victime

Est-il nécessaire que la victime ait conscience de son dommage pour celui-ci puisse faire l’objet d’une indemnisation ?

Telle est la question qui s’est posée dans un arrêt rendu le 22 février 1995 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 22 févr. 1995, n°92-18.731).

Cass. 2e civ., 22 févr. 1995

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que l’auteur d’un délit ou d’un quasi-délit est tenu à la réparation intégrale du dommage qu’il a causé ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Mme Annick X… qui circulait à bicyclette a été heurtée et blessée par l’automobile de M. Y…, que Mlle Catherine X… agissant tant en son nom qu’en celui de Mme Annick X… sa mère, a assigné M. Y… et son assureur, la compagnie Norwich Union, la caisse primaire d’assurance maladie d’Elbeuf et la société Transport agglomération Elbeuvienne en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour exclure Mme X… de la réparation de son préjudice personnel l’arrêt relève que, selon l’expert, la victime, réduite à l’état végétatif, n’est absolument pas apte à ressentir quoi que ce soit qu’il s’agisse d’une douleur, d’un sentiment de diminution du fait d’une disgrâce esthétique ou d’un phénomène de frustration des plaisirs comme des soucis de l’existence ; que la cour d’appel en déduit qu’il n’existe pas la preuve d’un préjudice certain ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’état végétatif d’une personne humaine n’excluant aucun chef d’indemnisation son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qui concerne le préjudice personnel de Mme X…, l’arrêt rendu le 25 juin 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

La Cour de cassation répond, dans cet arrêt, sans ambiguïté à la question posée : « l’état végétatif d’une personne humaine n’excluant aucun chef d’indemnisation son préjudice doit être réparé dans tous ses éléments »

Ainsi, la deuxième chambre civile se rallie-t-elle à la position de la chambre criminelle qui, dès 1978, avait estimé que « l’indemnisation d’un dommage n’est pas fonction de la représentation que s’en fait la victime, mais de sa constatation par le juge et de son évaluation objective » (Cass. crim., 3 avr. 1978).

Le préjudice doit ainsi être appréhendé de façon objective, sans considération de la capacité de la victime à se représenter son propre dommage.

B) Le caractère personnel du dommage

?Notion

  • En plus de devoir remplir la condition de certitude pour être réparable, le préjudice doit être personnel.
  • Par personnel, il faut entendre que, seule la victime qui a souffert du fait dommageable, est fondée à agir en responsabilité.
  • A contrario, cela signifie que l’on ne saurait agir en responsabilité, en vue être indemnisé pour le préjudice subi par un tiers

?Fondement

  • L’exigence du caractère personnel du préjudice est formulée à l’article 31 du Code de procédure civile
  • Cette disposition prévoit que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ».
  • L’intérêt à agir ne peut se comprendre en matière de responsabilité, que si l’on a personnellement souffert du dommage.

?Préjudice immédiat/médiat

  • Une distinction est faite en jurisprudence et en doctrine entre le préjudice immédiat et le préjudice médiat
    • Le préjudice est immédiat lorsque, selon Ph. Malinvaud, « il atteint la victime dans sa personne ou dans ses biens, sans intermédiaire »
      • Exemple : le motard victime d’un accident de la circulation
    • Le préjudice est médiat lorsque, à l’inverse, il « est la conséquence d’un préjudice immédiat frappant une première personne » (Ph. Malinvaud).
      • On parle plus couramment, dans cette hypothèse, de préjudice par ricochet.
      • Exemple : l’épouse du motard victime d’un accident de la circulation
        • Son préjudice ne sera, certes, pas d’ordre matériel.
        • Elle pourra néanmoins faire état d’un préjudice moral.
  • Au total, il peut être observé que, si le préjudice immédiat et médiat se distinguent sur le plan notionnel, ils se rejoignent néanmoins en ce que, pour être réparables, la victime doit, dans les deux cas, justifier d’un préjudice personnel.
  • Le caractère médiat du préjudice ne fait ainsi nullement obstacle à sa réparation, dès lors que la victime est en mesure d’établir qu’elle souffre personnellement du dommage.

?Le préjudice par ricochet

  • Notion
    • Le préjudice par ricochet ou médiat, n’est autre que la conséquence du préjudice subi par la victime immédiate.
    • Autrement dit, il s’agit du préjudice causé aux proches de la victime
    • Le préjudice par ricochet suppose donc, pour être réparable, l’existence d’une victime immédiate, à défaut de quoi l’on sort du cadre du préjudice par ricochet.
  • Reconnaissance du préjudice par ricochet
    • Très tôt la Cour de cassation a estimé que le préjudice par ricochet pouvait faire l’objet d’une réparation.
    • Dans un arrêt du 20 février 1863, elle a ainsi jugé que « l’article 1382, en ordonnant en termes absolus la réparation de tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, ne limite en rien la nature du fait dommageable, ni la nature du lien qui doit unir, en cas de décès, la victime du fait avec celui de ses ayants droit qui en demanderait réparation » (Cass. crim., 20 févr. 1863).
    • On devine que la Cour de cassation fonde, en l’espèce, sa décision sur l’adage ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus : là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’article 1382 n’opère aucune distinction entre les victimes.
    • Il en résulte que dès lors qu’elles sont en mesure de justifier d’un préjudice certain et personnel, leur dommage doit être réparé.
    • Malgré la grande libéralité dont a fait preuve la Cour de cassation dans cette décision, elle n’en a pas moins subordonné, par la suite, la réparation du préjudice par ricochet à un certain nombre de conditions.
    • Ces conditions se sont tantôt durcies, tantôt assouplies au fil du temps.
  • Conditions
    • L’exigence d’une victime immédiate
      • Pour obtenir réparation de son préjudice par ricochet, la victime médiate doit être en mesure de démontrer l’existence d’une victime immédiate
      • À défaut, on ne saurait parler de préjudice par ricochet, dans la mesure où il serait privé de sa cause : le préjudice immédiat
      • Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle validé la décision d’une Cour d’appel ayant jugé qu’une société « était sans droit à invoquer le préjudice par ricochet qui aurait résulté pour elle d’un abus de dépendance économique dont [une autre société] n’a pas été reconnue victime par cette sentence, a statué à bon droit » (Cass. com., 7 janv. 2004, n°02-11.014).
    • Un préjudice certain et personnel
      • Pour être réparable, le préjudice par ricochet doit présenter les mêmes attributs que le préjudice immédiat.
      • Autrement dit, il doit être certain et personnel
      • Il peut être observé que le préjudice par ricochet est autonome, en ce sens qu’il ne constitue pas le reflet du préjudice immédiat.
      • Tandis que le préjudice immédiat sera, le plus souvent, d’ordre corporel ou matériel, le préjudice par ricochet sera moral.
      • Le seul lien qui lie le préjudice par ricochet au préjudice immédiat n’est autre que la personne par l’entreprise de laquelle il s’est produit.
    • L’exigence d’un lien de droit
      • Après avoir estimé en 1863 qu’il n’était pas nécessaire que la victime immédiate et la victime médiate soit unies par un lien de droit pour que le préjudice par ricochet soit réparable, la chambre criminelle a radicalement changé de position dans un arrêt du 13 février 1937 (Cass. crim. 13 févr. 1937). La chambre civile s’est ralliée à cette solution dans un arrêt du 28 juillet 1937 (Cass. civ. 28 juill. 1937).
      • Dans cette dernière décision, la Cour de cassation a jugé que « le demandeur d’une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle doit justifier, non d’un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d’un intérêt légitime juridiquement protégé ».
      • L’adoption de cette position par la Cour de cassation a conduit les juges du fond à débouter systématiquement les victimes par ricochet de leur demande de réparation, dès lors qu’elle ne justifiait pas d’un lien droit (filiation, mariage) avec la victime immédiate.
    • L’abandon de l’exigence du lien de droit : l’arrêt Dangereux
      • La position adoptée par la Cour de cassation en 1937 a finalement été abandonnée dans un célèbre arrêt Dangereux rendu en date du 27 février 1970 par la chambre mixte (Cass. ch. mixte, 27 févr. 1970, n°68-10.276).
      • Dans cet arrêt, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui avait débouté une demanderesse de son action en réparation du préjudice subi suite au décès de son concubin.
      • La haute juridiction rompt avec la jurisprudence antérieure en jugeant que, « en subordonnant ainsi l’application de l’article 1382 à une condition qu’il ne contient pas, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
      • Dorénavant, il n’est donc plus nécessaire pour la victime par ricochet de justifier d’un lien de droit avec la victime immédiate afin d’obtenir réparation de son préjudice.
    • La restriction posée par l’arrêt Dangereux
      • La Cour de cassation a, certes, dans l’arrêt Dangereux abandonné l’exigence du lien droit entre la victime immédiate et la victime médiate.
      • Elle a néanmoins subordonné la réparation du préjudice par ricochet subi par la concubine à deux conditions :
        • Le concubinage doit être stable
        • Le concubinage ne doit pas être délictueux
      • Ainsi, au regard de l’arrêt Dangereux, si la concubine avait entretenu une relation adultère avec la victime immédiate, le caractère délictueux de cette relation aurait fait obstacle à la réparation de son préjudice
    • L’assouplissement de la jurisprudence Dangereux
      • La Cour de cassation a très vite infléchi sa position en jugeant que l’existence d’une relation adultère entre la victime immédiate et la victime médiate ne faisait pas obstacle à la réparation du préjudice par ricochet (Cass. crim. 20 avr. 1972, n°71-91.750).
  • Le cas particulier de la victime par ricochet d’un accident de la circulation
    • La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation prévoit en son article 6 que « le préjudice subi par un tiers du fait des dommages causés à la victime directe d’un accident de la circulation est réparé en tenant compte des limitations ou exclusions applicables à l’indemnisation de ces dommages. »
    • Cela signifie, autrement dit, que si la victime immédiate d’un accident de la circulation est fautive, la victime par ricochet pourra voir son indemnisation limitée dans les mêmes proportions que la victime immédiate.
    • Ainsi, dans l’hypothèse où une cause d’exonération serait opposable à cette dernière, elle le serait aussi à la victime par ricochet.

C) La licéité de l’intérêt lésé

Il ne suffit pas que le préjudice soit certain et personnel pour être réparable, encore faut-il que l’intérêt lésé soit licite.

?Évolution de la condition de licéité

L’exigence de licéité du préjudice est une condition qui a manifestement évolué dans le temps.

  • L’exigence d’un intérêt légitime juridiquement protégé
    • Pour mémoire, dans l’arrêt du 28 juillet 1937 précité, la Cour de cassation avait jugé que « le demandeur d’une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle doit justifier, non d’un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d’un intérêt légitime juridiquement protégé » (Cass. civ. 28 juill. 1937).
    • Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle d’abord fait référence à « l’intérêt légitime juridiquement protégé ».
    • Pendant, longtemps la haute juridiction s’est abritée derrière cette formule notamment afin de refuser à la concubine d’une victime la réparation de son préjudice par ricochet.
    • L’arrêt Dangereux a, certes, mis un terme à cette jurisprudence. La condition tenant à l’intérêt légitime juridiquement protégé n’a pas pour autant disparu, bien que plusieurs arrêts nous incitent à le penser :
      • Dans un arrêt du 19 février 1992, la Cour de cassation a, par exemple, estimé qu’un voyeur sans titre de transport était fondé à agir en responsabilité, les juges du fond n’établissant pas, selon elle, « l’illégitimité de l’intérêt [de la victime] à demander réparation de son dommage » (Cass. 2e civ., 19 févr. 1992, n°90-19.237).
      • Dans un arrêt du 7 juillet 1993, une prostituée victime d’un accident sur son lieu de travail a également été entendue par la Cour de cassation, laquelle a estimé que le préjudice subi par la victime ne revêtait aucun caractère illégitime (Cass. 2e civ., 7 juill. 1993, n°92-10.447).
      • On peut encore signaler un arrêt du 2 février 1994 dans lequel la Cour de cassation a fait droit à la demande d’une victime qui se livrait à un commerce de stupéfiants (Cass. 2e civ., 2 févr. 1994, n°92-14.005).
    • Au regard de ces arrêts, tout porte à croire que la condition de légitimité a bel et bien été abandonnée par la Cour de cassation, ce qui a conduit certains auteurs à s’interroger.
    • Cependant, plusieurs autres décisions ont jeté le trouble sur cette analyse.
    • En témoigne un arrêt du 30 novembre 1999 par lequel la Cour de cassation valide la décision d’une Cour d’appel qui avait débouté une victime de sa demande d’indemnisation, au motif qu’elle avait été convaincue du délit d’escroquerie (Cass. com., 30 nov. 1999, n°97-15.978).
    • À la vérité, la condition tenant à la légitimité du préjudice n’a jamais totalement été abandonnée par la haute juridiction, elle est simplement réapparue sous une autre forme : l’exigence de licéité de l’intérêt lésé.
  • L’exigence de licéité de l’intérêt lésé
    • Dans un arrêt notable du 24 janvier 2002, la deuxième chambre civile a estimé que « une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites » (Cass. 2e civ., 24 janv. 2002, n°99-16.576).
    • Comment interpréter cet arrêt au regard de la jurisprudence antérieure ?
    • Comment justifier qu’un voyageur sans titre de transport puisse obtenir réparation de son préjudice, tandis qu’un travailleur non-déclaré n’est pas fondé à agir en responsabilité ?
    • Pour certains auteurs, l’exigence tenant à la licéité de l’intérêt lésé dépendrait de la nature du préjudice subi par la victime.
    • Ainsi, l’indemnisation du préjudice corporel primerait sur toute autre considération de légitimité, tandis que la réparation du préjudice seulement matériel serait subordonnée à la licéité de l’intérêt lésé.

Pour conclure, il peut être observé que la Cour de cassation aime à rappeler régulièrement que l’adage nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes) « est étranger aux règles de la responsabilité délictuelle » (Cass. 1re civ., 17 nov. 1993, n°91-15.867).

Aussi, cela signifie-t-il, en somme, que l’illicéité d’un préjudice ne fait pas nécessairement obstacle à sa réparation.

II) Les variétés de dommages

Classiquement, on distingue deux grandes catégories de préjudices :

  • Les préjudices patrimoniaux
  • Les préjudices extrapatrimoniaux

Il conviendra également de s’interroger sur le sort des préjudices qui ne relèvent d’aucune catégorie (C).

A) Les préjudices patrimoniaux

Les préjudices patrimoniaux sont ceux qui sont consécutifs

  • Soit à une atteinte aux biens
  • Soit à une atteinte aux personnes
  • Soit à l’atteinte d’un intérêt purement économique

1. Le préjudice consécutif à une atteinte aux biens

  • Définition
    • Le dommage aux biens peut se définir comme « la destruction ou la détérioration de choses appartenant à la victime »[1].
    • Le dommage consécutif à l’atteinte aux biens peut prendre plusieurs formes. Il peut s’agir :
      • d’une destruction
      • d’une détérioration
      • d’une perte
      • d’une dépréciation
    • Il peut s’agir, tant d’une atteinte à des biens corporels qu’à des biens incorporels
    • Le juge ne distingue pas non plus entre les biens mobiliers et les biens immobiliers
  • Réparation
    • En vertu du principe de réparation intégrale, le dommage aux biens fait l’objet, lorsqu’il est établi, d’une indemnisation à la faveur de la victime en considération de la valeur vénale du bien détérioré ou détruit
    • La Cour de cassation a, par ailleurs, admis d’assortir la réparation du préjudice purement matériel d’une réparation du préjudice moral occasionné par la perte du bien en lui-même (V. en ce sens Cass. 1re civ., 16 janv. 1962).

2. Le préjudice consécutif à une atteinte aux personnes

  • Notion
    • Il s’agit de réparer ici le préjudice matériel d’une victime consécutif à un dommage corporel
    • Les implications patrimoniales peuvent être nombreuses :
      • Frais médicaux et paramédicaux
      • Frais d’hospitalisation à domicile
      • Appareillage
      • Rééducation
      • Frais résultant de l’incapacité professionnelle
  • Nomenclature Dintilhac
    • La Nomenclature Dintilhac, du nom de son auteur, Jean-Pierre Dintilhac, ancien président de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, est une sorte de cartographie des chefs de préjudices.
    • Elle est utilisée par les praticiens du droit comme un outil d’évaluation de l’indemnisation des victimes de préjudices corporels.
    • L’objectif affiché par le groupe de travail Dintilhac est, selon les termes de son rapport, de « bâtir une classification méthodique rassemblant différents chefs de préjudice selon un ordonnancement rationnel tenant compte de leur nature propre » en vue de garantir « le droit des victimes de préjudices corporels à une juste indemnisation ».
    • Bien que la Cour de cassation s’y soit déjà référée dans plusieurs décisions (V. notamment Cass. avis, 29 oct. 2007, n° 07-00.015), la nomenclature Dintilhac ne revêt aucun caractère obligatoire.
    • Ainsi, le Conseil d’État a-t-il préféré conserver sa propre grille d’évaluation des préjudices (CE, 5 mars 2008, n° 272447).
  • Identification des principaux postes de préjudices
    • S’agissant du dommage consécutif à l’atteinte aux personnes, la nomenclature dintilhac distingue deux principaux postes de préjudices
      • Les préjudices patrimoniaux temporaires nés avant la consolidation de l’atteinte à l’intégrité physique :
        • Les dépenses de santé actuelles, la perte de gains professionnels actuels, le préjudice scolaire, universitaire ou de formation etc…
      • Les préjudices patrimoniaux permanents, soit ceux qui persistent après la consolidation de l’atteinte à l’intégrité physique :
        • Les dépenses de santé futures, la perte de gains professionnels futurs, les incidences professionnelles, les frais d’aménagement du logement, les frais de véhicule adapté etc.

3. Le préjudice consécutif à l’atteinte d’un intérêt purement économique

  • Notion
    • Le préjudice économique est défini par Ph. Brun comme « le préjudice de nature patrimoniale consistant dans la perte d’un profit ou d’une espérance de gain qui ne résulte pas d’une atteinte aux biens ou à la personne de la victime »[2].
      • Exemples : le préjudice résultant d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le préjudice résultant de l’inexécution d’un contrat de fourniture ou de service, le préjudice résultant de la violation d’une règle de droit de la concurrence etc…
  • Réparation
    • En tant que tel, le préjudice économique pur (pure economic loss en droit anglo-saxon) ne donne pas lieu à réparation en droit français.
    • L’article 1245-1 du Code civil (ancien article 1386-2) prévoit que seul le préjudice qui « résulte d’une atteinte à un bien » de la victime est réparable.
    • Pourtant, la Cour de cassation rappelle régulièrement que « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de remplacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » (Cass. civ. 2, 28 oct. 1954, JCP 1955, II, 876).
    • Ainsi, dès lors qu’une victime fait état d’une perte ou d’un manque à gagner, elle devrait obtenir réparation de son préjudice.
    • Dans ces conditions, comme le relève un auteur, « au regard de l’orientation du droit français de la responsabilité civile, il est […] possible que la Cour de cassation ne laisse pas un tel dommage sans réparation. Parce qu’il est naturellement porté à n’opérer aucune distinction entre les chefs de préjudice lorsqu’il s’agit de définir ce qui est réparable, le juge français pourrait considérer que la notion de « dommages aux biens » évoquée dans la responsabilité du fait des produits doit être interprétée de façon particulièrement extensive. »[3].
    • Reste, néanmoins, en suspens la question de l’évaluation du préjudice économique qui se posera nécessairement au juge.

B) Les préjudices extrapatrimoniaux

?Notion

S’ils donnent lieu à une réparation pécuniaire, les préjudices extrapatrimoniaux consistent en la lésion d’un intérêt de nature extrapatrimoniale

Le préjudice extrapatrimonial est, de par sa nature, difficilement évaluable en argent.

Comment, en effet, évaluer le préjudice moral d’une mère qui vient de perdre son enfant dans un accident de voiture ? Pareille douleur a-t-elle un prix ? Si oui, comment l’évaluer ?

Aussi, compte-tenu de la particularité du préjudice extrapatrimonial, une partie de la doctrine s’est montrée pour le moins hostile quant à la réparation du préjudice moral

La jurisprudence a, de son côté, très tôt estimé que le préjudice moral constituait un préjudice réparable

En témoigne cet arrêt du 13 février 1923 rendu par la chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ., 13 févr.1923).

Cass. civ., 13 févr.1923

LA COUR ; – Sur la première branche du moyen unique :

Attendu que Templier ayant été mortellement blessé par un cheval qui appartenait à Lejars, l’arrêt attaqué a condamné celui-ci, par confirmation du jugement, à payer aux trois fils et à la fille de Templier une indemnité comprenant, en outre du préjudice matériel, le dommage moral résultant de la douleur qu’éprouvent les enfants par la mort de leur père ; qu’en statuant ainsi, il n’a pas violé l’article 1382 c.civ. visé au moyen ; qu’en effet, cet article, d’après lequel quiconque par sa faute cause à autrui un dommage est obligé de le réparer, s’applique, par la généralité de ses termes, aussi bien au dommage moral qu’au dommage matériel ; que, dès lors, la première branche du moyen n’est pas fondée;

Sur la seconde branche : – Attendu que l’arrêt attaqué déclare que les enfants de Templier ont été atteints dans leurs plus légimes et plus chères affections et que les éléments de la cause permettent de déterminer l’importance de l’indemnité ; que ces déclarations sont souveraines ;

Par ces motifs, rejette.

? Identifications des différentes postes de préjudices extrapatrimoniaux

Selon la nomenclature Dindilhac (V. en ce sens le rapport Dindilhac dont sont issus les développements qui suivent), il convient de distinguer les préjudices extrapatrimoniaux temporaires (avant consolidation), des préjudices extrapatrimoniaux permanents (après consolidation) ainsi que les préjudices extrapatrimoniaux évolutifs :

  • Les préjudices extrapatrimoniaux temporaires (avant consolidation)
    • Le Déficit fonctionnel temporaire (DFT)
      • Ce poste de préjudice cherche à indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire jusqu’à sa consolidation.
      • Cette invalidité par nature temporaire est dégagée de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime, laquelle est d’ailleurs déjà réparée au titre du poste “Pertes de gains professionnels actuels”.
    • Les souffrances endurées (SE)
      • Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation.
    • Le préjudice esthétique temporaire (PET)
      • Il a été observé que, durant la maladie traumatique, la victime subissait bien souvent des atteintes physiques, voire une altération de son apparence physique, certes temporaire, mais aux conséquences personnelles très préjudiciables, liée à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers.
      • Or ce type de préjudice est souvent pris en compte au stade des préjudices extrapatrimoniaux permanents, mais curieusement omis de toute indemnisation au titre de la maladie traumatique où il est pourtant présent, notamment chez les grands brûlés ou les traumatisés de la face.
  • Les préjudices extrapatrimoniaux permanents (après consolidation)
    • Le déficit fonctionnel permanent (DFP)
      • Ce poste de préjudice cherche à indemniser un préjudice extrapatrimonial découlant d’une incapacité constatée médicalement qui établit que le dommage subi a une incidence sur les fonctions du corps humain de la victime.
      • Il s’agit ici de réparer les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime.
      • Il convient d’indemniser, à ce titre, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien après sa consolidation.
      • Ce poste peut être défini, selon la Commission européenne à la suite des travaux de Trèves de juin 2000, comme correspondant à « la réduction définitive du potentiel physique, psycho-sensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique médicalement constatable donc appréciable par un examen clinique approprié complété par l’étude des examens complémentaires produits, à laquelle s’ajoutent les phénomenes douloureux et les répercussions psychologiques, normalement liées à l’atteinte séquellaire décrite ainsi que les conséquences habituellement et objectivement liées à cette atteinte dans la vie de tous les jours ».
    • Le préjudice d’agrément (PA)
      • Ce poste de préjudice vise exclusivement à réparer le préjudice d’agrément spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.
      • Ce poste de préjudice doit être apprécié in concreto en tenant compte de tous les paramètres individuels de la victime (âge, niveau, etc.).
    • Le préjudice esthétique permanent (PEP)
      • Ce poste cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement les éléments de nature à altérer l’apparence physique de la victime notamment comme le fait de devoir se présenter avec une cicatrice permanente sur le visage.
      • Ce préjudice a un caractère strictement personnel et il est en principe évalué par les experts selon une échelle de 1 à 7 (de très léger à très important).
    • Le préjudice sexuel (PS)
      • Ce poste concerne la réparation des préjudices touchant à la sphère sexuelle.
      • Il convient de distinguer trois types de préjudice de nature sexuelle :
        • le préjudice morphologique qui est lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi
        • le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel (perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte, perte de la capacité à accéder au plaisir)
        • le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc.).
      • Là encore, ce préjudice doit être apprécié in concreto en prenant en considération les paramètres personnels de chaque victime.
    • Le préjudice d’établissement (PE)
      • Ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale “normale” en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteint la victime après sa consolidation :
      • Il s’agit de la perte d’une chance de se marier, de fonder une famille, d’élever des enfants et plus généralement des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui l’obligent à effectuer certaines renonciations sur le plan familial.
      • Il convient ici de le définir par référence à la définition retenue par le Conseil national de l’aide aux victimes comme la “perte d’espoir et de chance de normalement réaliser un projet de vie familiale (se marier, fonder une famille, élever des enfants, etc.) en raison de la gravité du handicap”.
      • Ce type de préjudice doit être apprécié in concreto pour chaque individu en tenant compte notamment de son âge.
    • Les préjudices permanents exceptionnels (PPE)
      • Lors de ses travaux, le groupe de travail a pu constater combien il était nécessaire de ne pas retenir une nomenclature trop rigide de la liste des postes de préjudice corporel.
      • Ainsi, il existe des préjudices atypiques qui sont directement liés aux handicaps permanents, dont reste atteint la victime après sa consolidation et dont elle peut légitimement souhaiter obtenir une réparation.
      • À cette fin, dans un souci de pragmatisme – qui a animé le groupe de travail durant ses travaux -, il semble important de prévoir un poste “préjudices permanents exceptionnels” qui permettra, le cas échéant, d’indemniser, à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice extrapatrimonial permanent particulier non indemnisable par un autre biais.
      • Ainsi, il existe des préjudices extrapatrimoniaux permanents qui prennent une résonance toute particulière soit en raison de la nature des victimes, soit en raison des circonstances ou de la nature de l’accident à l’origine du dommage’.
      • Il s’agit ici des préjudices spécifiques liés à des événements exceptionnels comme des attentats, des catastrophes collectives naturelles ou industrielles de type “A.Z.F., ou sinistres collectifs, tels une catastrophe aérienne.
  • Les préjudices extrapatrimoniaux évolutifs
    • Préjudices liés à des pathologies évolutives (PEV)
      • Il s’agit d’un poste de préjudice relativement récent qui concerne toutes les pathologies évolutives.
      • Il s’agit notamment de maladies incurables susceptibles d’évoluer et dont le risque d’évolution constitue en lui-même un chef de préjudice distinct qui doit être indemnisé en tant que tel.
      • C’est un chef de préjudice qui existe en dehors de toute consolidation des blessures, puisqu’il se présente pendant et après la maladie traumatique.
      • Tel est le cas du préjudice lié à la contamination d’une personne par le virus de l’hépatite C, celui du V.I.H., la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou l’amiante, etc.
      • Il s’agit ici d’indemniser “le préjudice résultant pour une victime de la connaissance de sa contamination par un agent exogène, quelle que soit sa nature (biologique, physique ou chimique), qui comporte le risque d’apparition à plus ou moins brève échéance, d’une pathologie mettant en jeu le pronostic vital.
      • Bien évidemment, la liste de ce type de préjudice est susceptible de s’allonger dans l’avenir au regard des progrès de la médecine qui mettent de plus en plus en évidence ce type de pathologie virale ou autre jusque-là inexistante ou non détectée.

C) Les préjudices ne relevant d’aucune catégorie

Quid lorsqu’un dommage ne s’insère pas dans l’une des catégories sus-énoncées ?

En principe, dès lors qu’un préjudice est certain, personnel et licite, il est réparable. Est-ce à dire que dès lors qu’un préjudice revêt ces caractères, la victime est fondée à agir en réparation ?

Comme le relève Bertrand Fages, si « le droit français de la responsabilité extracontractuelle se caractérise par sa tendance naturelle à considérer que tous les types de préjudice doivent être réparés intégralement, il ne propose aucun élément précis de définition de ce qu’est un préjudice et n’opère pas, au sein des différents intérêts pouvant être lésés par un fait dommageable, de sélection entre ceux qui sont susceptibles d’être indemnisés par le biais de la responsabilité extracontractuelle et ceux qui ne le sont pas »[4]

Lorsque le préjudice est d’ordre corporel ou matériel, la question de sa réparation ne soulève guère de difficultés,

Quid, lorsque le préjudice invoqué par la victime ne consiste, ni en une perte, ni en un manque à gagner ?

La question s’est ainsi posée de savoir si la naissance d’un enfant handicapé pouvait constituer, en elle-même, un préjudice réparable.

Saisie de cette question, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, y a apporté une réponse positive dans un arrêt Perruche du 17 novembre 2000 (Cass., ass. plén., 17 nov. 2000, n°99-13.701).

Indépendamment de la véritable onde de choc provoquée par cette affaire – dont l’issue judiciaire a contraint le législateur à intervenir – la solution adoptée par la Cour de cassation a mis en exergue le besoin, ô combien impérieux, de définir la notion de préjudice réparable.

Focus sur l’affaire Perruche

?Première étape : l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu qu’un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d’appel de Paris a jugé, de première part, que M. Y…, médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux droits duquel est M. A…, avaient commis des fautes contractuelles à l’occasion de recherches d’anticorps de la rubéole chez Mme X… alors qu’elle était enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont l’enfant avait développé de graves séquelles consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu’elle avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas d’atteinte rubéolique et que les fautes commises lui avaient fait croire à tort qu’elle était immunisée contre cette maladie, de troisième part, que le préjudice de l’enfant n’était pas en relation de causalité avec ces fautes ; que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l’enfant, l’arrêt attaqué de la Cour de renvoi dit que ” l’enfant Nicolas X… ne subit pas un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises ” par des motifs tirés de la circonstance que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole transmise par sa mère et non ces fautes et qu’il ne pouvait se prévaloir de la décision de ses parents quant à une interruption de grossesse ;

Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme X… avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l’un et l’autre des pourvois:

CASSE ET ANNULE, en son entier, l’arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée que lors de l’audience du 17 décembre 1993

Faits :

Un enfant naît lourdement handicapé à la suite d’une erreur médicale commise par un médecin. Aussi, cette erreur a-t-elle privé la mère de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse.

Demande :

Les parents introduisent une action en justice pour obtenir réparation :

  • D’une part, du préjudice occasionné par l’erreur de diagnostic du médecin, cette erreur les ayant privés de la possibilité de recourir à une IVG
  • D’autre part, du préjudice de leur enfant, né handicapé

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt du 17 décembre 1993, la Cour d’appel de Paris déboute partiellement les parents de leur demande de réparation
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment, en effet, que les parents étaient parfaitement fondés à obtenir réparation du préjudice personnellement subi par eux du fait de l’erreur de diagnostic commise par le médecin.
    • Les juges du fond estiment, néanmoins, que le préjudice subi par leur enfant du fait de son handicap ne saurait faire l’objet d’une réparation dans la mesure où il n’existerait aucun lien de causalité entre la faute du médecin et le handicap de l’enfant.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si un enfant né handicapé à la suite d’une erreur de diagnostic d’un médecin pouvait obtenir réparation du fait de sa naissance ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 17 novembre 2000, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • Visa : art. 1165 et 1382 du Code civil
    • Cas d’ouverture à cassation : violation de la loi

Sens de l’arrêt

La Cour de cassation reproche, en l’espèce, à la Cour d’appel d’avoir estimé qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’erreur de diagnostic du médecin et le handicap de l’enfant.

Pour l’assemblée plénière, dès lors que les parents de l’enfant ont été « empêchés » de recourir à une IVG, il existe un lien de causalité entre la faute du médecin et le préjudice résultant pour l’enfant de son handicap.

Analyse de l’arrêt

La solution adoptée par la Cour de cassation interroge manifestement sur deux points :

  • L’existence d’un lien de causalité entre la faute du médecin et le préjudice de l’enfant
  • La réparation du préjudice de l’enfant résultant de son handicap
  • Sur le lien de causalité

Une lecture attentive de l’attendu de principe de l’arrêt Perruche nous révèle que l’Assemblée plénière ne s’est pas arrêtée aux constatations des juges du fond qui attribuaient les troubles dont souffrait l’enfant à la rubéole contractée pendant sa vie intra-utérine

Elle déduit la responsabilité des praticiens vis-à-vis de l’enfant de l’existence d’une faute à l’égard de la mère : « dès lors que la mère a été empêchée »

La causalité retenue est, par conséquent, indirecte et non directe, comme l’exige pourtant l’article 1382 du Code civil.

De toute évidence, les juges du fond ne se sont guère expliqués, en l’espèce, sur le lien causal, tant il leur a paru évident que les fautes constatées n’étaient pas en corrélation avec les malformations.

Ces malformations préexistaient à leur intervention. La naissance n’a fait que les révéler, comme le thermomètre révèle la température sans en être la cause.

En clair, les échographies n’ont pas suscité de malformations sur un enfant précédemment sain.

Dans ces conditions, comment est-il possible d’affirmer que le handicap dont souffrait Nicolas Perruche a été causé par une faute consistant précisément à ne pas déceler ce handicap ?

On a soutenu que les fautes étaient bien causales, dès lors que, sans leur commission, le dommage aurait pu être évité.

Toutefois s ces fautes ont eu pour seule conséquence de priver la mère de la possibilité de recourir à l’interruption de grossesse, laquelle n’aurait alors pu faire obstacle qu’à la naissance.

De même, on a pu invoquer l’inexécution fautive du contrat médical qui cause un préjudice à un tiers, en l’occurrence l’enfant, argument en trompe-l’œil, car il ne s’agit de rien d’autre que du manquement au devoir d’information envers la mère dont celle-ci est la seule victime.

D’évidence, seule la naissance de l’enfant est en lien directe avec le handicap.

Si l’on veut découvrir un préjudice causé à l’enfant, on est contraint d’en déduire que c’est la naissance car, même informée, la mère n’aurait pu empêcher le handicap.

Elle aurait seulement pu empêcher la naissance, ce qui, par l’absurde, aurait empêché le handicap.

Le handicap étant consubstantiel à la personne de l’enfant, la tentation était donc forte pour la Cour de cassation d’amalgamer naissance et handicap.

C’est, en réalité, le préjudice consécutif au fait d’être né handicapé que l’Assemblée plénière a accepté d’indemniser.

Mais, l’enfant, en l’absence de traitement connu, aurait pareillement été atteint de malformations sans les fautes médicales.

Dans cette hypothèse, l’enfant aurait peut-être été avorté et il serait mort avec son handicap.

De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer la décision rendue par la Cour de cassation : la cause du handicap de l’enfant, ce n’est pas la faute du médecin, mais la maladie génétique contractée par l’enfant lui-même !

Plusieurs remarques toutefois s’imposent :

  • Il faut remarquer qu’en matière de causalité, les règles sont particulièrement souples.
    • Il est donc un peu hypocrite de relever dans l’arrêt en l’espèce un problème de causalité, alors que de façon générale la jurisprudence est peu regardante sur la question.
  • Surtout, s’il n’y a pas de causalité entre le dommage de l’enfant – son handicap – et la faute du médecin, il n’y en a pas plus entre le dommage des parents et la faute du médecin, car la véritable cause du dommage c’est la maladie génétique de l’enfant.
  • Si, dès lors, on refuse de voir un lien de causalité entre le dommage de l’enfant et la faute du médecin on doit également refuser de le voir entre le dommage des parents et l’erreur de diagnostic.
  • La causalité n’est donc sans doute pas la principale problématique dans l’arrêt en l’espèce.

On peut d’ailleurs tenir la même réflexion à propos d’un arrêt du 24 février 2005 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dont la problématique interroge, une nouvelle fois sur la notion de préjudice (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005 : n°02-11.999)

Cass. 2e civ., 24 févr. 2005

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que M. X… a été victime en 1974 d’un accident de la circulation dont M. Y…, assuré par la compagnie L’Alsacienne, aux droits de laquelle vient la société Azur assurances (Azur), a été reconnu responsable ; que M. X…, qui a conservé un handicap, a eu des enfants nés en 1977, 1985 et 1987 ; que ceux-ci ont estimé n’avoir jamais pu établir des relations ludiques et affectives normales avec leur père dont ils vivaient au quotidien la souffrance du fait de son handicap ; que Mme X…, en qualité d’administratrice légale de sa fille mineure, et les enfants majeurs, ont assigné l’assureur du responsable en réparation de leur préjudice moral ;

Attendu que, pour condamner la société Azur à indemniser le préjudice moral subi par les enfants de M. X…, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le handicap de M. X… a empêché ses enfants de partager avec lui les joies normales de la vie quotidienne ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’existait pas de lien de causalité entre l’accident et le préjudice allégué, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE,

Les faits étaient les suivants :

Les enfants d’un homme handicap agissent sur le fondement de l’article 1382 pour obtenir réparation de leur préjudice moral : ils estimaient n’avoir jamais pu établir des relations ludiques et affectives normales avec leur père dont ils vivaient au quotidien la souffrance du fait de son handicap.

Parce que ce handicap était consécutif à un accident de la circulation, ils demandent réparation à celui qui avait été considéré comme responsable de l’accident.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel qui avait décidé de les indemniser.

Selon la deuxième chambre civile, il n’y aurait pas de lien de causalité entre l’accident et le préjudice allégué, car, selon elle, les enfants sont nés après l’accident de leur père : le fait de leur naissance viendrait donc briser la chaîne des causalités.

Cette affirmation est cependant très contestable.

En effet, les privations des enfants consécutives au handicap de leur père sont bien une conséquence de l’accident.

On aurait donc pu trouver un lien de causalité, si l’on avait voulu. Mais on ne l’a pas fait.

Pourquoi ?

Très certainement parce que cela serait revenu à admettre qu’être élevé par un parent handicapé était un préjudice réparable, ce qui laissait entendre que les enfants estimaient qu’il eût été préférable pour eux d’être élevés par une personne valide…

C’est, en réalité ce type de question qui est au cœur de la controverse née de l’arrêt Perruche : peut-on considérer qu’être né, certes handicapé, constitue un préjudice en soi ?

  • Sur la question du préjudice

La véritable question que pose l’arrêt Perruche a trait à l’association de deux mots : « né handicapé ».

La Cour de cassation affirme dans cet arrêt que l’enfant peut obtenir réparation « du préjudice résultant de son handicap ».

Par cette formule habile, la Cour de cassation tente ici de nier qu’elle répare la naissance : comment peut-on dissocier le handicap de Nicolas Perruche et sa naissance ?

Le raisonnement tenu par la Cour de cassation est exact, mais fait l’impasse sur cette question de la réparation du préjudice que constitue la naissance !

En temps normal, pour savoir s’il y a préjudice, on se demande quelle serait la situation de la victime si le fait dommageable ne s’était pas produit.

On compare cette situation à la situation actuelle : la différence entre les deux constitue le préjudice.

  • Du point de vue de la mère, si aucune faute du médecin n’avait été commise, alors il y aurait probablement eu avortement.
    • Mais comme il y a eu une faute, la conséquence en est la naissance d’un enfant handicapé.
    • Le préjudice serait donc, non seulement le handicap, mais également la naissance de l’enfant !
  • Du point de vue de l’enfant, s’il n’y a pas eu de faute, la mère procède à l’IVG et donc il n’existe pas.
    • Il n’y aurait donc aucun préjudice pour lui : il ne saurait se plaindre d’exister.
    • Or s’il n’y a pas faute, il n’existe pas.

L’argument est ici extrêmement fort. On peut néanmoins se demander si la négation de l’existence d’un préjudice est opportune.

C’est donc là une question d’éthique qui se pose à la Cour de cassation.

Ne peut-on pas, en effet, se contenter de constater l’existence la charge financière et matérielle que représente la vie de l’enfant né handicapé ? L’enfant né handicapé ne vit pas comme les autres. Sa vie sera bien plus coûteuse que celle d’enfants valides.

Dans cette perspective, une définition du préjudice se fait sentir, ne serait-ce que pour pouvoir échapper à la question posée par l’arrêt Perruche à savoir : peut-on indemniser un enfant du fait d’être né handicapé ?

Au nom de la dignité de l’enfant, faut-il estimer qu’il est plus respectueux d’indemniser ou de ne pas indemniser ? Telle est la question qu’il faudrait se poser.

La solution à cette problématique résiderait peut-être dans la reconnaissance de dommages et intérêts punitifs.

De tels dommages et intérêt sont alloués à la victime en considération, non pas de l’existence d’un dommage, mais de la caractérisation d’une faute de l’auteur du fait dommageable.

Ces dommages et intérêts punitifs seraient donc une porte de sortie intéressante dans l’affaire Perruche.

Car en vérité, qu’est-ce que l’assemblée plénière a cherché à faire dans cette décision ?

La Cour de cassation a simplement souhaité indemniser Nicolas Perruche afin de permettre à ses parents de subvenir aux très lourdes dépenses auxquelles ils vont devoir faire face pour l’élever et l’assister dans son quotidien.

En consacrant les dommages et intérêts punitifs, il aurait été possible de retenir la responsabilité des médecins qui ont incontestablement commis une faute, sans pour autant être contraint de caractériser un préjudice qui, en l’espèce, est pour le moins difficilement caractérisable !

On échapperait ainsi au débat éthique !

?Deuxième étape : l’intervention du législateur.

Manifestement, telle n’est pas la voie qui a été empruntée par le législateur, lequel est intervenu à la suite de l’affaire Perruche, sous la pression des associations de personnes handicapées.

C’est dans ce contexte que la loi du 4 mars 2002 a été adoptée. Elle prévoit en son article 1er que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».

Ainsi, le législateur a-t-il choisi d’exclure l’indemnisation de l’enfant ainsi que celle des parents pour leur préjudice autre que moral. Il s’agit là, indéniablement, d’une double sanction : et pour les parents et pour l’enfant !

A cet égard, le 3e paragraphe du I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 prévoyait que « les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. »

Ce paragraphe a par suite été repris par la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Le texte prévoit que « Les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles tel qu’il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. »

?Troisième étape : condamnation de la France par la CEDH.

La loi du 4 mars 2002 était applicable aux litiges en cours, de sorte que l’on était en présence d’une loi rétroactive.

Cette application rétroactive de la loi a, cependant, été censurée par la CEDH dans deux arrêts relatifs à des demandes d’indemnisation à l’encontre d’hôpitaux et donc formée devant le juge administratif français (CEDH, 21 juin 2006, Maurice c/ France et CEDH, 6 octobre 2005, Draon c/ France et Maurice c/ France)

La CEDH a construit son raisonnement sur l’existence d’un bien, en l’occurrence une créance de réparation d’un préjudice.

Car pour les juges strasbourgeois, les requérants ont été privés de ce bien (la créance de réparation) par l’intervention du législateur français.

Pour la CEDH il y a, en effet, eu atteinte par le législateur français au droit au respect de ses biens.

Or cette atteinte est, selon la CEDH, disproportionnée, bien qu’elle poursuive un but d’intérêt général.

?Quatrième étape : application par le juge français de la décision rendue par la CEDH

Ce raisonnement soutenu par la CEDH va être repris par la Cour de cassation dans trois arrêts du 24 janvier 2006 (Cass. 1re civ., 24 janv. 2006, n° 02-13.775 ; 01-16.684 et 02-12.260) et par le Conseil d’État dans un arrêt du 24 février 2006 (CE, 24 févr. 2006, n° 250704, CHU Brest).

Ainsi, la solution de la Cour de cassation dégagée dans l’affaire Perruche s’impose-t-elle, désormais, au législateur interne.

?Cinquième étape : reconduite de la position de la Cour de cassation pour des affaires portant sur des naissances antérieures à la loi du 4 mars 2002

La Cour de cassation a eu à connaître, par suite, d’affaires portant sur des naissances antérieures à l’entrée en vigueur de loi du 4 mars 2002 mais avec des instances introduites ultérieurement.

Dans un arrêt rendu le 30 octobre 2007, la Cour de cassation a appliqué sa jurisprudence antérieure à la loi du 4 mars 2002 au dommage dont la « révélation (…) était nécessairement antérieure à l’entrée en vigueur de la loi » du 4 mars 2002 (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2007, n°06-17.325).

Cette même solution a été reprise par un arrêt de la première chambre civile du 8 juillet 2008. La Cour de cassation a jugé dans cette décision que « les intéressés pouvaient, en l’état de la jurisprudence applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait toutes les charges particulières invoquées, s’agissant d’un dommage survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi […], indépendamment de la date d’introduction de la demande en justice. » (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2008, n°07-12.159).

La Cour de cassation a suivi ici les vœux de certains civilistes, qui faisaient remarquer que « l’atteinte au droit de créance semble caractérisée de façon parfaitement égale qu’une action en justice ait été ou non formée avant l’adoption de la loi »[5] et non pas ceux qui estimaient que le raisonnement de la CEDH n’était pas fondé sur les règles du droit civil français.

La jurisprudence antérieure à la loi du 4 mars 2002 a donc été maintenue pour tous les dommages antérieurs au 7 mars 2002, sous la seule réserve des décisions ayant force de chose jugée.

?Sixième étape : censure par le Conseil constitutionnel de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002

Par suite, le Conseil constitutionnel le 14 avril 2010 d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par le Conseil d’État à l’occasion d’un pourvoi en cassation formé devant lui a, à son tour, écarté la rétroactivité de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002, en abrogeant la disposition de la loi du 11 février 2005 qui la prévoyait, en jugeant notamment que « si les motifs d’intérêt général précités pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice » (Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010).

Comme l’écrit un auteur « l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a été vaincu par l’union des juges » !

Restait toutefois à déterminer quel sort réserver aux actions concernant des enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 mais engagées postérieurement.

?Septième étape : réception de la décision du Conseil constitutionnel par le Conseil d’État et la Cour de cassation

Par un arrêt du 13 mai 2011, le Conseil d’État a jugé que l’effet rétroactif de la loi du 4 mars 2002 ne pouvait être neutralisé que pour les seules instances en cours à la date d’entrée en vigueur de cette loi.

Pour celles introduites postérieurement, la juridiction administrative estime qu’il y a lieu de faire rétroagir les effets de la loi (CE, ass., 13 mai 2011, n°329290).

La Cour de cassation, saisie la même année, a retenu une solution radicalement opposée à celle adoptée par le Conseil d’État.

Par un arrêt du 15 décembre 2011, elle a jugé que la loi du 4 mars 2002 n’avait pas vocation à s’appliquer aux dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur, soit aux naissances survenues avant le 7 mars 2002, quand bien même la demande en justice était postérieure (Cass. 1ère civ., 15 déc. 2011, n° 10-27.473).

Trois ans plus tard, la Conseil d’État confirmera malgré tout sa position dans un arrêt du 31 mars 2014.

Au soutien de sa décision il affirme que les requérants, parents d’un enfant né handicapé, faute d’avoir engagé une instance avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 « n’étaient pas titulaires à cette date d’un droit de créance indemnitaire qui aurait été lui-même constitutif d’un bien au sens de ces stipulations conventionnelles » et que, à ce titre, « le moyen tiré de ce que l’application de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles aux instances engagées après le 7 mars 2002 à des situations nées avant cette date porterait une atteinte disproportionnée aux droits qui leur sont garantis par ces stipulations doit être écarté » (CE, 31 mars 2014, n°345812).

Contestant la décision rendue par le Conseil d’État, les requérants forment un recours auprès de la CEDH.

?Huitième étape : nouvelle condamnation de la France par la CEDH

Saisie pour violation de l’article 1 du protocole additionnel (droit aux biens) et des articles 6-1 (droit au procès équitable), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction de non-discrimination) de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, par un arrêt du 3 février 2022, la CEDH condamne une nouvelle fois la France pour violation de l’article 1er du protocole additionnel (CEDH, 3 févr. 2022, n° 66328/14, N. M. et a. c/ France).

Contrairement à ce qui avait été décidé par le Conseil d’État, les juges strasbourgeois considèrent que, à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, les requérants détenaient bien une créance qu’ils pouvaient légitimement espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de la responsabilité pour faute, s’agissant d’un dommage survenu antérieurement à l’intervention de la loi litigieuse.

Pour fonder sa décision, la CEDH relève que, au cas particulier, les juridictions nationales avaient établi sans ambiguïté, dans le cadre des décisions rendues, et à tous les stades de ces procédures, l’existence d’une faute ainsi que d’un lien de causalité directe entre la faute commise et le préjudice subi.

Les juridictions ont en effet considéré qu’en l’espèce la faute du centre hospitalier a conduit les requérants à croire que l’enfant conçu n’était pas atteint d’anomalie et que la grossesse pouvait être normalement menée à son terme, alors que les requérants avaient clairement manifesté leur volonté d’éviter le risque d’un accident génétique.

La faute ainsi commise a dissuadé la requérante de pratiquer tout examen complémentaire qu’elle aurait pu faire dans la perspective d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique.

Les conditions d’engagement de la responsabilité du Centre hospitalier étaient donc bien réunies, et les requérants disposaient par conséquent d’une créance correspondant au droit à l’indemnisation des frais liés à la prise en charge d’un enfant né handicapé après une erreur de diagnostic prénatal s’analysant en une « valeur patrimoniale ».

Quant à la date à laquelle cette créance aurait été constituée en droit interne sans l’application contestée des dispositions de l’article L. 114-5 du CASF, la CEDH relève que les jurisprudences administratives et judiciaires sont concordantes : le droit à réparation d’un dommage, quelle que soit sa nature, s’ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause, et ce, indépendamment de la date d’introduction d’une demande en justice tendant à la réparation de ce dommage (voir paragraphe 19 ci-dessus).

Elle en déduit que, compte tenu des principes de droit commun français et de la jurisprudence constante en matière de responsabilité selon lesquels la créance en réparation prend naissance dès la survenance du dommage qui en constitue le fait générateur, les requérants pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice correspondant aux frais de prise en charge de leur enfant handicapé dès la survenance du dommage, à savoir la naissance de cet enfant.

Or cette espérance est née antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ; d’où la naissance avant cette date de leur créance d’indemnisation. Ils étaient donc titulaires d’un “bien” au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole n° 1, lequel s’applique dès lors en l’espèce.

  1. J. Flour et J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t. 2, Le fait juridique : Sirey, 12e éd. 2007 ?
  2. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, éd. Lexisnexis, 2005, n°253, p. 131 ?
  3. J. Traullé, « Les dommages réparables », Responsabilité civile et assurances, janv. 2016, Dr 4 ?
  4. B. Farges, Droit des obligations, LGDJ, 6e éd., 2016, n°371, p. 320 ?
  5. Cass., Ass. pl., 8 juillet 2008, n° 07-12159 ; D. 2008, p. 2765, note Porchy-Simon, JCP 2008, II, 10166, avis Mellottée et note Sargos. ?

Troubles de voisinage: la responsabilité du propriétaire (maître d’ouvrage) du fait de l’entrepreneur de travaux

lors même qu’il n’est pas l’auteur du trouble, la jurisprudence a admis que le propriétaire du terrain dont ce trouble émane engage sa responsabilité.

Il s’agit là d’un cas spécifique de responsabilité du fait d’autrui qui ne repose, ni sur l’article 1240 du Code civil, ni sur l’article 1242, al. 1er, mais sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Ainsi que le résument Philippe Malaurie et Laurent Aynès « la victime peut agir directement contre l’auteur du trouble, même s’il n’est pas propriétaire : locataire ou entrepreneur ; ou contre le propriétaire, même s’il n’est pas l’auteur du trouble, car il répond du locataire ou de l’entrepreneur. Le propriétaire, le locataire et l’entrepreneur sont solidairement responsables ».

L’objectif ici visé par la jurisprudence est de faciliter l’exercice du droit à réparation en multipliant les débiteurs d’indemnisation.

Ainsi, le propriétaire du fonds engage sa responsabilité de plein droit à raison du trouble anormal causé par son locataire ou par l’entrepreneur de travaux qu’il a commis .

Nous nous focaliserons ici sur la responsabilité du propriétaire du fait de l’entrepreneur de travaux.

Plusieurs actions doivent être envisagées :

  • L’action de la victime des troubles contre le maître d’ouvrage
  • Le recours du maître d’ouvrage contre les entrepreneurs de travaux
  • Les recours des entrepreneurs de travaux entre eux

==> L’action de la victime des troubles contre le maître d’ouvrage

À l’instar de la responsabilité du propriétaire du fait de son locataire, lorsqu’il endosse la qualité de maître d’ouvrage il est pareillement responsable du fait de l’intervention de l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Cette solution a d’abord été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 février 1971.

La troisième chambre civile a estimé, dans cette décision, au visa des articles 544 et 1382 (nouvellement 1240) du Code civil que :

  • D’une part, si « aux termes du premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, le propriétaire voisin de celui qui construit légitimement sur son terrain est néanmoins tenu de subir les inconvénients normaux du voisinage»
  • D’autre part, « qu’en revanche, il est en droit d’exiger une réparation dès lors que ces inconvénients excédent cette limite»

Il ressort ainsi de cet arrêt que le maître d’ouvrage est responsable du fait de son constructeur dont l’intervention est à l’origine du trouble.

La Cour de cassation a statué, dans le même sens, d’un arrêt du 22 juin 2005, aux termes duquel elle a estimé que « le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés » (Cass. 3e civ., 22 juin 2005, n° 03-20.068 et 03-20.991).

Le propriétaire engage également sa responsabilité du fait de l’entrepreneur (Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n°98-18249) ou encore du maître d’œuvre (Cass. 3e civ., 20 déc. 2006, n°05-10.855)

À cet égard, il convient d’observer que, à la différence du maître d’ouvrage qui engage sa responsabilité de plein droit dès lors que le trouble anormal est caractérisé, celle de l’entrepreneur de travaux ne peut l’être qu’à la condition qu’il soit démontré que le trouble est en relation directe avec la mission qui lui a été confiée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 févr. 2011, n°09-71.570 et 09-72.494).

==> Le recours du maître d’ouvrage contre les entrepreneurs de travaux

Lorsque le propriétaire a été condamné à indemniser la victime du trouble, alors même qu’il n’en était pas à l’origine, la jurisprudence admet qu’il dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux.

Dans un arrêt du 2 juin 2015, la Cour de cassation a, par exemple, jugé « qu’un maître de l’ouvrage condamné pour avoir réalisé des travaux ayant causé à autrui un trouble anormal de voisinage et contre lequel n’est établi ni immixtion fautive ni acceptation délibérée des risques est, subrogé, après paiement de l’indemnité, dans les droits de la victime et est bien fondé, avec son assureur, à recourir contre les constructeurs qui par leur action ont été seuls à l’origine des troubles invoqués et leurs assureurs, sans avoir à prouver leur faute, pour obtenir leur garantie intégrale » (Cass. 3e civ., 2 juin 2015, n° 14-11149)

Ainsi, en cas de condamnation consécutivement à l’action engagée par la victime de troubles anormaux de voisinage, le propriétaire du fonds dont émanent ces troubles dispose d’un recours contre l’entrepreneur de travaux qu’il a commis.

Selon que l’auteur des troubles sera l’entrepreneur principal ou un sous-traitant le fondement du recours sera, tantôt de nature contractuelle, tantôt de nature délictuelle.

Il importe encore de distinguer selon que le recours du maître d’ouvrage est exercé, avant l’indemnisation de la victime du trouble ou après.

  • Le recours intervient avant l’indemnisation de la victime du trouble
    • Dans cette hypothèse, le maître d’ouvrage ne disposera que d’un seul recours, fondé sur la responsabilité contractuelle.
    • Aussi, pour mener à bien son action contre l’auteur des troubles devra-t-il établir une inexécution contractuelle.
    • Cette exigence a été affirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 28 novembre 2001.
    • Elle a, en effet, jugé dans cette décision que « la responsabilité de l’entrepreneur vis-à-vis du maître de l’ouvrage condamné à réparer les dommages causés à un tiers sur le fondement des troubles anormaux du voisinage est de nature contractuelle, et que le maître de l’ouvrage ne peut invoquer une présomption de responsabilité à l’encontre de l’entrepreneur gardien du chantier» ( 3e civ. 28 nov. 2001, n°00-13559 00-14450).
    • Manifestement, lorsque le maître d’ouvrage est contraint d’agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, sa situation n’est pas des plus confortables, dans la mesure où il est contraint de caractériser une faute.
    • Cette exigence a été rappelée dans un arrêt du 24 février 2003 aux termes duquel la 3e chambre civile a reproché à une Cour d’appel d’avoir condamné l’entrepreneur de travaux « sans caractériser les fautes éventuellement commises par la société Sade CGTH, sur le fondement de la responsabilité contractuelle régissant les rapports unissant le maître de l’ouvrage à l’entrepreneur ayant exécuté les travaux» ( 3e civ. 24 févr. 2003, n°01-18017).
    • Pour cette raison, le maître d’ouvrage a plutôt intérêt à indemniser la victime du trouble avant d’exercer son recours contre l’entrepreneur de travaux, ce afin de bénéficier du recours subrogatoire qui, en ce qu’il repose sur la théorie des troubles de voisinage, le dispense de rapporter la preuve de la faute.
  • Le recours intervient après l’indemnisation de la victime du trouble
    • Lorsque le recours exercé par le maître d’ouvrage intervient postérieurement à l’indemnisation de la victime du trouble, le maître d’ouvrage dispose de deux sortes de recours : un recours personnel et un recours personnel
      • S’agissant du recours personnel
        • Ce recours présente l’inconvénient d’exiger du maître d’ouvrage qu’il rapporte la preuve d’un manquement par l’entrepreneur de travaux à ses obligations contractuelles
        • Le succès de son action s’en trouve dès lors pour le moins incertain.
        • Il se retrouve, en effet, dans la même situation que si l’indemnisation de la victime du trouble était intervenue après l’exercice de son recours.
      • S’agissant du recours subrogatoire
        • Ce recours présente l’avantage de permettre au maître d’ouvrage de se subroger dans les droits de la victime du trouble et, par voie de conséquence, d’exercer son recours sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage.
        • Dans ces conditions, il sera dispensé de rapporter la preuve d’une faute : la seule caractérisation du trouble suffit à obtenir gain de cause.
        • C’est ainsi que dans un arrêt du 21 juillet 1999, la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel qui pour débouter un maître d’ouvrage et son assureur, de leur action récursoire, elle considère que « le maître de l’ouvrage, agissant contre l’entrepreneur général sur un fondement juridique qui n’est pas celui de l’article 1792 du Code civil doit démontrer l’existence d’une faute et que la preuve de cette faute n’est pas rapportée»
        • La troisième chambre civile juge néanmoins « qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé, par un motif non critiqué, que l’association Institut Curie était subrogée dans les droits et actions de ses voisins, victimes de troubles anormaux du voisinage, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé» ( 3e civ. 21 juill. 1999, n°96-22735).
        • Lorsque donc le maître d’ouvrage exerce un recours subrogatoire, il est dispensé de rapporter la preuve d’une faute.
        • La Cour de cassation a réitéré cette solution dans un arrêt du 24 septembre 2003 en jugeant « qu’ayant relevé qu’il était établi par les pièces produites que [le maître d’ouvrage] avait effectué des paiements au profit des voisins victimes des désordres, la cour d’appel a retenu à bon droit qu’étant subrogée dans les droits de ces derniers à hauteur de ces paiements, cette société était bien fondée à recourir contre les constructeurs et leurs assureurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux du voisinage, qui ne requiert pas la preuve d’une faute» ( 3e civ. 24 sept. 2003, n°02-12873).
        • Elle a encore précisé, dans un arrêt du 22 juin 2005, que le maître d’ouvrage était fondé à solliciter des entrepreneurs de travaux une indemnisation à hauteur de l’intégralité des sommes versées à l’auteur du trouble, nonobstant l’absence de faute commise par eux.
        • Ainsi, dans cet arrêt la troisième chambre civile juge « qu’ayant relevé que l’Hôtel George V avait exécuté le jugement et payé les dédommagements accordés aux voisins par le Tribunal, et retenu qu’il n’était pas démontré par les contrats, les correspondances échangées et le rapport des experts que le maître de l’ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles au voisinage, ait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités, et ait prescrit dans ces conditions la poursuite du chantier, la cour d’appel en a déduit à bon droit, sans dénaturation, que du fait de la subrogation dont elle était bénéficiaire dans les droits des victimes, la société George V était fondée à obtenir la garantie totale des locateurs d’ouvrage auteurs du trouble, dont la responsabilité vis-à-vis du maître de l’ouvrage n’exigeait pas la caractérisation d’une faute» ( 3e civ. 22 juin 2005, n°03-20068).
        • Il ressort de cet arrêt que si le maître d’ouvrage dispose d’un recours contre les sous-traitants, par exception, il peut être privé de ce recours dans l’hypothèse où pleinement informé des risques de troubles au voisinage, il aurait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités en leur prescrivant, nonobstant la situation, de poursuivre le chantier sans en tirer les conséquences qui s’imposent

==> Les recours des entrepreneurs de travaux entre eux

Le maître d’ouvrage n’est pas le seul à bénéficier d’une action récursoire en cas de condamnation à indemniser l’auteur des troubles, les entrepreneurs de travaux disposent également de recours entre eux.

À cet égard, dans un arrêt du 26 avril 2006, la Cour de cassation a précisé que « l’entrepreneur principal ne peut exercer de recours subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la charge définitive » (Cass. 3e civ. 26 avr. 2006, n°05-10100).

S’agissant, par ailleurs, de la contribution à la dette des entrepreneurs de travaux lorsqu’ils sont plusieurs à être intervenus sur le chantier, il y a lieu de distinguer deux situations

À cet égard, deux situations doivent être distinguées :

  • Des fautes peuvent être reprochées aux entrepreneurs de travaux
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt du 26 avril 2006 que « dans les rapports entre le locateur d’ouvrage auteur du trouble anormal causé aux voisins et les autres professionnels dont la responsabilité peut être recherchée, la charge finale de la condamnation, formant contribution à la dette, se répartit en fonction de la gravité de leurs fautes respectives» ( 3e civ. 26 avr. 2006, n°05-10100).
    • Lorsque, de la sorte, le trouble de voisinage procède de fautes commises par les entrepreneurs de travaux, ils engagent leur responsabilité à concurrence de la gravité du manquement susceptible de leur être reproché
  • Aucune faute ne peut être reprochée aux entrepreneurs des travaux
    • Dans un arrêt du 20 décembre 2006, la Cour de cassation a considéré que « dans l’exercice du recours du maître de l’ouvrage ou de son assureur au titre d’un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, la contribution à la dette, en l’absence de faute, se répartit à parts égales entre les co-obligés» ( 3e civ. 20 déc. 2006, n°05-10855).
    • Dans cette situation, si plusieurs entrepreneurs de travaux ont concouru à la production du préjudice subi par la victime des troubles de voisinage, aucune faute ne peut leur être reproché.
    • C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation décide qu’il s’agit là d’un cas de partage de responsabilité.

La responsabilité contractuelle: régime juridique

Cinquième et dernière sanction susceptible d’être encourue par la partie qui a manqué à ses obligations contractuelles : la condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Cette sanction prévue par l’article 1217 du Code civil présente la particularité de pouvoir être cumulée avec les autres sanctions énoncées par le texte. Anciennement traitée aux articles 1146 à 1155 du Code civil, elle est désormais envisagée dans une sous-section 5 intitulée « la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ».

Tel qu’indiqué par l’intitulé de cette sous-section 5, l’octroi des dommages et intérêts au créancier vise, à réparer les conséquences de l’inexécution contractuelle dont il est victime.

Si, à certains égards, le système ainsi institué se rapproche de l’exécution forcée par équivalent, en ce que les deux sanctions se traduisent par le paiement d’une somme d’argent, il s’en distingue fondamentalement, en ce que l’octroi de dommages et intérêts a pour finalité, non pas de garantir l’exécution du contrat, mais de réparer le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution du contrat. Les finalités recherchées sont donc différentes.

S’agissant de l’octroi de dommages et intérêts au créancier victime d’un dommage, le mécanisme institué aux articles 1231 et suivants du Code civil procède de la mise en œuvre d’une figure bien connue du droit des obligations, sinon centrale : la responsabilité contractuelle.

Classiquement, il est admis que cette forme de responsabilité se rapproche très étroitement de la responsabilité délictuelle.

Ce rapprochement ne signifie pas pour autant que les deux régimes de responsabilité se confondent, bien que le maintien de leur distinction soit contesté par une partie de la doctrine.

?Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle

  • La responsabilité contractuelle désigne l’obligation de réparer les dommages résultant d’un défaut dans l’exécution d’un contrat : inexécution, mauvaise exécution ou encore exécution tardive.
  • La responsabilité délictuelle, encore appelée extracontractuelle, sanctionne quant à elle les dommages causés à autrui en dehors de tout lien contractuel, l’obligation de réparation puisant alors à la seule source de la loi.

Deux thèses s’affrontent s’agissant du maintien de la dualité entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle :

  • La thèse contre le maintien de la dualité
    • Premier argument
      • Le principe même de l’existence d’une responsabilité contractuelle est contesté.
      • Pour les tenants de cette vision, la réparation des dommages causés par le défaut d’exécution d’un contrat relève du domaine de la responsabilité délictuelle ; en l’absence de dommage, seule l’exécution forcée du contrat peut être recherchée, le cas échéant sous la forme d’un équivalent pécuniaire à l’exécution en nature.
    • Deuxième argument
      • Les frontières entre le domaine de la responsabilité contractuelle et celui de la responsabilité délictuelle s’avèrent incertaines et mouvantes, l’évolution de la jurisprudence se caractérisant, pour l’essentiel, par un élargissement du domaine de la responsabilité contractuelle, un accroissement des obligations résultant du contrat et une extension des personnes liées par un contrat.
    • Troisième argument
      • La portée de la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle s’amenuise.
      • Leurs régimes se ressemblent en effet sur bien des points – définition du préjudice réparable, établissement du lien de causalité, règles de prescription – et leurs résultats sont souvent semblables, de sorte qu’une erreur de qualification peut rester sans conséquence. Elle n’est pas sanctionnée par la Cour de cassation.
  • La thèse pour le maintien de la dualité
    • Premier argument
      • La responsabilité contractuelle poursuit un objectif indemnitaire qui ne saurait se limiter à la seule fonction d’exécution forcée du contrat.
      • En cas d’inexécution, le créancier insatisfait doit pouvoir non seulement exiger l’exécution du contrat ou sa résolution, mais aussi et cumulativement, le cas échéant, obtenir réparation.
      • Or cette réparation, économiquement et juridiquement, ne se confond pas avec la prestation conventionnellement due.
    • Deuxième argument
      • Si les règles communes aux deux branches de la responsabilité l’emportent assez largement (…), il en subsiste d’autres qui, propres à la responsabilité contractuelle, font obstacle à une assimilation complète.
      • Ainsi le principe selon lequel la réparation est à la mesure du dommage prévisible se justifie par le fait que l’économie du contrat consiste précisément à prévoir et à organiser, par anticipation, un rapport conventionnel.
      • Les mêmes considérations conduisent à admettre plus largement le jeu de clauses exclusives ou limitatives de responsabilité en matière contractuelle.

La distinction entre les deux régimes de responsabilité a classiquement pour corollaire le principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

?Principe de non-cumul

La jurisprudence a depuis longtemps posé un important principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle (V. en ce sens Cass. req. 21 janv. 1880).

Certains auteurs, minoritaires, étaient pourtant contre la reconnaissance de ce principe, au premier rang desquels figurait Planiol. Selon lui, partisan du cumul des responsabilités « la responsabilité délictuelle est préexistante à toute réglementation et se superpose seulement à la première à la manière d’un sédiment ».

La thèse avancée n’a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui a toujours maintenu sa position.

Dans un arrêt du 11 janvier 1922 la haute juridiction a ainsi jugé que « les articles 1382 et suivants sont sans application lorsqu’il s’agit d’une faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un contrat » (Cass. civ. 11 janv. 1922).

Dans un arrêt du 11 janvier 1989, la Cour de cassation a encore considéré que « le créancier d’une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle » (Cass. 1ère civ. 11 janv. 1989, n°86-17.323).

Selon le principe du non-cumul encore qualifié de non-option, si un dommage se rattache à l’exécution d’un contrat, il n’est pas possible d’en demander la réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Il n’est donc a fortiori pas possible de cumuler les deux voies et de demander réparation du même dommage sur deux fondements différents car il y aurait enrichissement sans cause de la victime à être indemnisée deux fois pour un seul dommage.

Les raisons de ce principe sont diverses. Il s’agit principalement d’éviter que le demandeur, en choisissant la voie de la responsabilité délictuelle, puisse échapper à des contraintes qu’il avait acceptées et qui rentraient dans les prévisions de son cocontractant, en particulier une clause limitative de responsabilité, ou encore se dispenser de la charge de la preuve, en invoquant la responsabilité de plein droit prévue par le premier alinéa de l’article 1242 du code civil.

En faveur du cumul des responsabilités, on a surtout fait valoir que la responsabilité délictuelle serait une institution d’ordre public. Elle constituerait un minimum que le contrat pourrait augmenter mais non diminuer. Or les clauses limitatives de responsabilité sont admises.

Telles sont les raisons pour lesquelles, l’avant-projet de loi de réforme du droit de la responsabilité civile consacre ce principe de non-cumul sous réserve d’une exception très importante au profit des victimes de dommages corporels.

Celles-ci doivent pouvoir opter en faveur du régime qu’elles estiment leur être le plus favorable, à condition toutefois d’être en mesure d’apporter la preuve des conditions exigées pour justifier le type de responsabilité qu’elles invoquent.

?Un régime juridique provisoire

Ainsi qu’il l’est précisé dans le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, la réforme du droit des obligations n’opère aucun bouleversement radical en matière de responsabilité contractuelle.

En effet, la sous-section 5 consacrée à la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat est une reprise à droit constant de la section 4 du chapitre III de l’actuel titre III du code civil, avec quelques ajustements formels.

La raison en est, selon le rapport, que la responsabilité contractuelle ne peut être réformée isolément de la responsabilité extracontractuelle : il est généralement admis que, fondamentalement, ces deux formes de responsabilité sont des mécanismes de même nature, qui reposent sur l’existence d’un fait générateur, d’un dommage, et d’un lien de causalité entre les deux.

Seules des différences de régime les opposent, fondées essentiellement sur l’originalité du fait générateur en matière contractuelle, et que l’ordonnance du 10 février 2016 ne modifie pas.

Aussi, a-t-il été annoncé que le régime de la responsabilité contractuelle a vocation à être réformé dans le cadre du futur projet de réforme globale de la responsabilité civile, qui détaillera les dispositions communes aux responsabilités contractuelle et extracontractuelle, et les dispositions propres à chacun de ces deux régimes.

Pour l’heure, c’est seulement une modernisation du régime de la responsabilité contractuelle qui est intervenue, ce qui s’est traduit essentiellement par une codification des grands principes forgés par la jurisprudence antérieure.

Ces grands principes s’articulent autour de deux axes que sont :

  • D’une part, les conditions de la responsabilité contractuelle
  • D’autre part, l’aménagement de la responsabilité contractuelle

I) Les conditions de la responsabilité contractuelle

À l’instar de la responsabilité délictuelle la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • L’inexécution d’une obligation contractuelle
  • Un dommage
  • Un lien de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le dommage

A) L’inexécution d’une obligation contractuelle

L’article 1231-1 du Code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Il ressort de cette disposition que, pour être remplie, la condition tenant à l’exécution contractuelle, un manquement contractuel doit, d’une part, être caractérisé. D’autre part, ce manquement doit pouvoir être imputé au débiteur, faute de quoi sa responsabilité ne pourra pas être recherchée.

1. L’exigence d’un manquement contractuel

L’article 1231-1 du Code civil subordonne la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle à l’existence :

  • Soit à l’inexécution de l’obligation
  • Soit d’un retard dans l’exécution de l’obligation

Il ressort de cette disposition que l’inexécution contractuelle doit être entendue largement, celle-ci pouvant être totale ou partielle. Mais elle peut également consister en une exécution tardive ou défectueuse.

Plus généralement, l’inexécution visée par l’article 1231-1 du Code civil s’apparente en un manquement, par le débiteur, aux stipulations contractuelles.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi ce manquement doit-il consister pour être générateur de responsabilité contractuelle ; d’où il s’ensuit la problématique de la preuve.

a. Le contenu du manquement

Très tôt la question s’est donc posée de savoir ce que l’on doit entendre par manquement contractuel, le Code civil étant silencieux sur ce point.

Plus précisément on s’est demandé si, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur, le manquement constaté devait être constitutif d’une faute ou si l’établissement d’une faute était indifférent.

a.1. Problématique de la faute

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil semblait apporter deux réponses contradictoires à cette interrogation.

  • D’un côté, l’article 1137, al. 1er disposait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables. »
    • On en déduisait, que pour rechercher la responsabilité contractuelle du débiteur, il appartenait au créancier, non seulement de rapporter la preuve d’une inexécution, mais encore d’établir que le débiteur ne s’était pas comporté en bon père de famille.
    • Classiquement, l’expression « bon père de famille » désigne la personne qui est avisée, soignée et diligente.
    • Conformément à cette définition, le débiteur ne pourrait, dès lors, voir sa responsabilité contractuelle engagée que s’il peut lui être reproché des faits de négligence ou d’imprudence que le contractant, bon père de famille, placé dans les mêmes conditions, n’aurait pas commis.
  • D’un autre côté, l’article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • À la différence de l’ancien article 1137 du Code civil cette disposition n’exigeait pas du créancier qu’il prouve que le débiteur ne s’est pas comporté en bon père de famille pour que sa responsabilité puisse être recherchée.
    • Il s’évinçait donc de l’article 1147 que l’absence de faute du débiteur était sans incidence : seule importe l’existence d’une inexécution contractuelle.

Au bilan, tandis que l’ancien article 1137 du Code civil subordonnait la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle à l’établissement d’une faute, l’article 1147 ne l’exigeait pas, la seule inexécution contractuelle se suffisant à elle-même.

Pour sortir de l’impasse et résoudre cette contradiction, un auteur, René Demogue, suggéra de raisonner en opérant une distinction entre :

  • D’une part, les obligations de moyens qui relèveraient de l’application de l’article 1137 du Code civil
  • D’autre part, les obligations de résultat qui obéiraient, quant à elles, à la règle posée à l’article 1147

a.2. Obligations de moyens et obligations de résultat

?Exposé de la distinction

Demogue soutenait ainsi que la conciliation entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil tenait à la distinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens :

  • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur est contraint d’atteindre un résultat déterminé
    • Exemple: Dans le cadre d’un contrat de vente, pèse sur le vendeur une obligation de résultat : celle livrer la chose promise. L’obligation est également de résultat pour l’acheteur qui s’engage à payer le prix convenu.
    • Il suffira donc au créancier de démontrer que le résultat n’a pas été atteint pour établir un manquement contractuel, source de responsabilité pour le débiteur
  • L’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
    • Exemplele médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
    • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat

La distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat rappelle immédiatement la contradiction entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil.

  • En matière d’obligation de moyens
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Cette règle n’est autre que celle posée à l’ancien article 1137 du Code civil.
  • En matière d’obligation de résultat
    • Il est indifférent que le débiteur ait commis une faute, sa responsabilité pouvant être recherchée du seul fait de l’inexécution du contrat.
    • On retrouve ici la règle édictée à l’ancien article 1147 du Code civil.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat.

?Critères de la distinction

En l’absence d’indications textuelles, il convient de se reporter à la jurisprudence qui se détermine au moyen d’un faisceau d’indices.

Plusieurs critères – non cumulatifs – sont, en effet, retenus par le juge pour déterminer si l’on est en présence d’une obligation de résultat ou de moyens :

  • La volonté des parties
    • La distinction entre obligation de résultat et de moyens repose sur l’intensité de l’engagement pris par le débiteur envers le créancier.
    • La qualification de l’obligation doit donc être appréhendée à la lumière des clauses du contrat et, le cas échéant, des prescriptions de la loi.
    • En cas de silence de contrat, le juge peut se reporter à la loi qui, parfois, détermine si l’obligation est de moyens ou de résultat.
    • En matière de mandat, par exemple, l’article 1991 du Code civil dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ».
    • C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur le mandataire.
  • Le contrôle de l’exécution
    • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur a la pleine maîtrise de l’exécution de la prestation due.
    • Inversement, l’obligation est plutôt de moyens, lorsqu’il existe un aléa quant à l’obtention du résultat promis
    • En pratique, les obligations qui impliquent une action matérielle sur une chose sont plutôt qualifiées de résultat.
    • À l’inverse, le médecin, n’est pas tenu à une obligation de guérir (qui serait une obligation de résultat) mais de soigner (obligation de moyens).
    • La raison en est que le médecin n’a pas l’entière maîtrise de la prestation éminemment complexe qu’il fournit.
  • Rôle actif/passif du créancier
    • L’obligation est de moyens lorsque le créancier joue un rôle actif dans l’exécution de l’obligation qui échoit au débiteur
    • En revanche, l’obligation est plutôt de résultat, si le créancier n’intervient pas

?Mise en œuvre de la distinction

Le recours à la technique du faisceau d’indices a conduit la jurisprudence à ventiler les principales obligations selon qu’elles sont de moyens ou de résultat.

L’examen de la jurisprudence révèle néanmoins que cette dichotomie entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’est pas toujours aussi marquée.

Il est, en effet, certaines obligations qui peuvent être à cheval sur les deux catégories, la jurisprudence admettant, parfois, que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il n’a commis aucune faute.

Pour ces obligations on parle d’obligations de résultat atténué ou d’obligation de moyens renforcée : c’est selon. Trois variétés d’obligations doivent donc, en réalité, être distinguées.

  • Les obligations de résultat
    • Au nombre des obligations de résultat on compte notamment :
      • L’obligation de payer un prix, laquelle se retrouve dans la plupart des contrats (vente, louage d’ouvrage, bail etc.)
      • L’obligation de délivrer la chose en matière de contrat de vente
      • L’obligation de fabriquer la chose convenue dans le contrat de louage d’ouvrage
      • L’obligation de restituer la chose en matière de contrat de dépôt, de gage ou encore de prêt
      • L’obligation de mettre à disposition la chose et d’en assurer la jouissance paisible en matière de contrat de bail
      • L’obligation d’acheminer des marchandises ou des personnes en matière de contrat de transport
      • L’obligation de sécurité lorsqu’elle est attachée au contrat de transport de personnes (V. en ce sens Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307).
  • Les obligations de résultat atténuées ou de moyens renforcées
    • Parfois la jurisprudence admet donc que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Pour ce faire, il devra renverser la présomption de responsabilité en démontrant qu’il a exécuté son obligation sans commettre de faute.
    • Tel est le cas pour :
      • L’obligation de conservation de la chose en matière de contrat de dépôt
      • L’obligation qui pèse sur le preneur en matière de louage d’immeuble qui, en application de l’article 1732 du Code civil, « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute »
      • L’obligation de réparation qui échoit au garagiste et plus généralement à tout professionnel qui fournit une prestation de réparation de biens (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 2 févr. 1994, n°91-18764).
      • L’obligation qui échoit sur le transporteur, en matière de transport maritime, qui « est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge, que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés » (art. L. 5421-4 du code des transports)
      • L’obligation de conseil que la jurisprudence appréhende parfois en matière de contrats informatiques comme une obligation de moyen renforcée.
  • Les obligations de moyens
    • À l’analyse les obligations de moyens sont surtout présentes, soit dans les contrats qui portent sur la fourniture de prestations intellectuelles, soit lorsque le résultat convenu entre les parties est soumis à un certain aléa
    • Aussi, au nombre des obligations de moyens figurent :
      • L’obligation qui pèse sur le médecin de soigner son patient, qui donc n’a nullement l’obligation de guérir (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-13.579).
        • Par exception, l’obligation qui échoit au médecin est de résultat lorsqu’il vend à son patient du matériel médical qui est légitimement en droit d’attendre que ce matériel fonctionne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°03-12.146).
        • Il en va de même s’agissant de l’obligation d’information qui pèse sur le médecin, la preuve de l’exécution de cette obligation étant à sa charge et pouvant se faire par tous moyens.
      • L’obligation qui pèse sur la partie qui fournit une prestation intellectuelle, tel que l’expert, l’avocat (réserve faite de la rédaction des actes), l’enseignant,
      • L’obligation qui pèse sur le mandataire qui, en application de l’article 1992 du Code civil « répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. »
      • L’obligation de surveillance qui pèse sur les structures qui accueillent des enfants ou des majeurs protégés (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-12.891).

?Sort de la distinction après la réforme du droit des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 révèle que la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’a pas été reprise par le législateur, à tout le moins formellement.

Est-ce à dire que cette distinction a été abandonnée, de sorte qu’il n’a désormais plus lieu d’envisager la responsabilité du débiteur selon que le manquement contractuel porte sur une obligation de résultat ou de moyens ?

Pour la doctrine rien n’est joué. Il n’est, en effet, pas à exclure que la Cour de cassation maintienne la distinction en s’appuyant sur les nouveaux articles 1231-1 et 1197 du Code civil, lesquels reprennent respectivement les anciens articles 1147 et 1137.

Pour s’en convaincre il suffit de les comparer :

  • S’agissant des articles 1231-1 et 1147
    • L’ancien article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • Le nouvel article 1231-1 prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
  • S’agissant des articles 1197 et 1137
    • L’ancien article 1137 prévoyait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables ».
    • Le nouvel article 1197 prévoit que « l’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

Une analyse rapide de ces dispositions révèle que, au fond, la contradiction qui existait entre les anciens articles 1137 et 1147 a survécu à la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et la loi de ratification du 21 avril 2018, de sorte qu’il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation ne manquera pas de se saisir de ce constat pour confirmer la jurisprudence antérieure.

b. La preuve du manquement

La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est subordonnée à la preuve d’un manquement contractuel.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, sur qui pèse la charge de la preuve ?
  • D’autre part, quel est l’objet de la preuve ?

Ces questions sont manifestement indissociables de la problématique consistant à se demander si, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur, le manquement constaté doit être constitutif d’une faute ou si l’établissement d’une faute est indifférent.

Le régime de la preuve en matière contractuelle est, en effet, radicalement différent selon que la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est ou non subordonnée à la caractérisation d’une faute.

On en revient alors à la distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat qui détermine le régime probatoire applicable.

  • Lorsque l’obligation est de moyen, le créancier doit établir la faute du débiteur
    • Autrement dit, il doit démontrer que le débiteur n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat convenu ainsi que l’aurait fait le bon père de famille.
    • La gravité de la faute ici importe peu : la responsabilité du débiteur est engagée dès lors qu’il est établi qu’il a manqué à ses obligations contractuelles par négligence ou une imprudence.
    • Cette gravité de la faute ne sera prise en compte que pour déterminer s’il y a lieu d’exclure les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité.
  • Lorsque l’obligation est de résultat, il suffit au créancier de démontrer que le résultat promis n’a pas été atteint
    • Dans cette configuration, la charge de la preuve est en quelque sorte inversée : ce n’est pas au créancier de démontrer que le débiteur a manqué à ses obligations, mais au débiteur de prouver que le résultat stipulé au contrat a bien été atteint.
    • L’exécution, même partielle, des obligations du débiteur, ne lui permet pas de s’exonérer de sa responsabilité.
    • Seul compte ici l’atteinte du résultat auquel s’est engagé le débiteur.
    • Pour s’exonérer de sa responsabilité, ce dernier ne disposera que d’une seule option : établir la survenance d’une cause étrangère.

2. L’imputabilité du manquement

S’il est absolument nécessaire pour que le débiteur d’une obligation engage sa responsabilité qu’une inexécution du contrat, même partielle, puisse lui être reprochée, il est indifférent que cette inexécution ne résulte pas de son fait personnel.

Lorsque, en effet, l’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui ou au fait d’une chose, le débiteur est également susceptible d’engager sa responsabilité.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir dans quelle mesure le débiteur répond-il du fait d’autrui et du fait d’une chose.

?L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui

Il est classiquement admis que le débiteur d’une obligation peut engager sa responsabilité contractuelle du fait d’autrui.

Tout d’abord, la loi prévoit de nombreux cas de responsabilité contractuelle du fait d’autrui. Il en va ainsi en matière de :

  • Contrat de bail, le preneur répondant des dégradations et des pertes qui arrivent par « le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires » (art. 1735 C.civ.)
  • Contrat d’entreprise, le maître d’ouvrage répondant « du fait des personnes qu’il emploie » (art. 1797 C. civ.)
  • Contrat d’hôtellerie, l’hôtelier étant responsable « du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel. » (art. 1953 C. civ.)
  • Contrat de mandat, le mandataire répondant « de celui qui s’est substitué dans sa gestion (art. 1994 C. civ.)
  • Contrat de transport, le commissionnaire de transport étant « garant des faits du commissionnaire intermédiaire auquel il adresse les marchandises. » (art. L. 132-6 C. com.)

Ensuite, la jurisprudence reconnaît la responsabilité contractuelle du fait d’autrui lorsque le débiteur a volontairement introduit un tiers dans l’exécution de son obligation.

Il en va ainsi du préposé, du sous-traitant, du mandataire, des représentants du débiteur et plus généralement de tous ceux interviennent sur la demande du débiteur dans la relation contractuelle.

Il en résulte a contrario que lorsque l’intervention du tiers est spontanée, le débiteur n’engage pas sa responsabilité contractuelle en cas d’inexécution contractuelle du fait de ce tiers.

Dans un arrêt du 15 janvier 1993 la Cour d’appel de Grenoble a parfaitement résumé la règle en affirmant que « la responsabilité contractuelle du fait d’autrui couvre les fautes de toutes les personnes auxquelles le débiteur de l’obligation fait appel pour l’exécution du contrat » (CA Grenoble, 15 janv. 1993).

Reste que la responsabilité contractuelle du fait d’autrui ne va en général conduire à faire peser la charge de la dette de réparation sur la tête du cocontractant débiteur que de manière temporaire.

En effet, celui-ci sera fondé, dans le cadre de l’exercice d’une action récursoire, à obtenir le remboursement des sommes qu’il aura exposées auprès du tiers à l’origine du dommage.

?L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’une chose

Bien que le Code civil soit silencieux sur la responsabilité contractuelle du fait des choses, elle a pourtant été conceptualisée par la doctrine qui distingue deux hypothèses :

  • Première hypothèse : la chose est l’objet de l’obligation
    • Cette hypothèse renvoie aux contrats qui ont pour objet le transfert de propriété de la chose ou sa mise à disposition.
    • Tel est le cas des contrats de vente, d’entreprise ou encore de bail
    • Pour ces contrats, le contractant qui transfère la propriété ou la jouissance de la chose est, la plupart du temps, tenu de garantir son cocontractant contre les vices cachés
    • Aussi, lorsqu’un tel vice affecte l’usage de la chose, l’inexécution contractuelle a bien pour origine cette chose.
    • Le débiteur de l’obligation de garantie engage donc bien sa responsabilité contractuelle du fait de la chose objet du contrat.
  • Seconde hypothèse : la chose est un moyen d’exécuter l’obligation
    • Cette hypothèse renvoie principalement aux contrats d’entreprise dont l’exécution suppose l’utilisation de choses par le maître d’œuvre tels que, par exemple, des outils ou des instruments.
    • Aussi, le maître d’œuvre engage sa responsabilité lorsqu’un dommage est causé par l’une des choses qu’il avait sous sa garde et qu’il a utilisée pour fournir la prestation promise.

B) Le dommage

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que l’utilisation du terme dommage ou de préjudice est indifférente. La plupart des auteurs les tiennent pour synonymes.

Pour certains, il convient néanmoins de les distinguer en ce que :

  • Le dommage serait le fait brut originaire de la lésion affectant la victime
  • Le préjudice constituerait, quant à lui, la conséquence de cette lésion

Toujours est-il que, à l’instar de la responsabilité délictuelle, la responsabilité contractuelle requiert la caractérisation d’un préjudice. La réparation due au créancier de l’obligation demeura néanmoins limitée au préjudice prévisible.

1. L’exigence d’un préjudice

Alors que la responsabilité délictuelle ne se conçoit pas en dehors de l’existence d’un dommage, la question s’est posée en matière de responsabilité contractuelle.

On s’est, en effet, demandé s’il était nécessaire de rapporter la preuve d’un dommage pour engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant.

Cette interrogation a suscité vif débat en doctrine, notamment en suite d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 janvier 2002.

Dans cette décision, la troisième chambre civile avait, au visa de l’article 1147 du Code civil ensemble l’article 1731, affirmé que « l’indemnisation du bailleur en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni à la justification d’un préjudice » (Cass. 3e civ. 30 janv. 2002, n°00-15.784).

Par cette décision, il était donc admis qu’en matière de bail le créancier n’avait pas à justifier d’un préjudice pour engager la responsabilité contractuelle du preneur.

Finalement, la Cour de cassation est revenue sur sa position dans un arrêt du 3 décembre 2003 aux termes duquel elle a jugé que « dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » (Cass. 3e civ. 3 déc. 2003, n°02-18.033).

Cette position a manifestement été confirmée par le législateur à l’occasion de la réforme du droit des obligations, lequel n’a pas repris l’ancien article 1145 du Code civil, disposition sur laquelle s’appuyait la jurisprudence pour écarter l’exigence du préjudice en matière de responsabilité contractuelle.

À cet égard l’article 1145 disposait que « si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »

Aussi, la Cour de cassation en déduisait que pour les obligations de ne pas faire, il n’y avait pas lieu pour le créancier de justifier d’un préjudice, ce qui était une lecture pour le moins erronée du texte, celui-ci le dispensant seulement de mettre en demeure son débiteur (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 mai 2005, n°02-15.910).

En tout état de cause, l’article 1145 du Code civil a été écarté par l’ordonnance du 10 février 2016 qui a, en revanche, repris l’ancien article 1149 devenu 1231-2.

Cette disposition prévoit, pour mémoire, que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »

La lettre du texte ne laisse que peu de place au doute quant à l’exigence d’établir un préjudice pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur.

2. Les caractères du préjudice

Reprenant les termes de l’ancien article 1149 du Code civil, l’article 1231-2 issu de l’ordonnance du 10 février 2016 dispose que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »

L’article 1231-3 ajoute que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. »

Il ressort de la combinaison de ces deux dispositions que, pour être réparable, le préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit

  • D’une part, être certain.
  • D’autre part, être prévisible

a. Un préjudice certain

Si l’on se reporte à la définition du dictionnaire, est certain ce qui ne fait pas de doute, ce qui est conforme aux critères de la vérité.

Ainsi, le dommage est certain lorsqu’il est établi et avéré.

Le dommage certain s’oppose, en ce sens, au préjudice éventuel, soit le préjudice dont on ne sait pas s’il se produira.

Pratiquement, par certitude du dommage, il faut entendre, au sens de l’article 1231-2 du Code civil, que le dommage s’est réalisé :

  • Soit parce que la victime a éprouvé une perte (1)
  • Soit parce que la victime a manqué un gain (2)

a.1 La victime a éprouvé une perte

La perte éprouvée par la victime peut être :

  • Soit actuelle
  • Soit future

i. Le préjudice actuel

Le dommage actuel est celui qui s’est déjà réalisé. À la vérité, lorsque le dommage est déjà survenu, cette situation ne soulève guère de difficulté s’agissant de l’indemnisation de la victime.

Mais quid lorsque le dommage ne s’est pas encore réalisé ? Peut-on réparer un préjudice futur ?

ii. Le préjudice futur

?Préjudice futur et préjudice actuel

Contrairement à une idée reçue, le préjudice futur ne s’oppose pas au préjudice actuel en ce qu’il ne serait pas réparable.

Ces deux sortes de préjudice s’opposent uniquement en raison de leur date de survenance.

Au vrai, dès lors que le préjudice futur et le préjudice actuel présentent un caractère certain, tous deux sont réparables.

?Préjudice futur et préjudice éventuel

En matière de responsabilité, le préjudice futur s’oppose, en réalité, au préjudice éventuel dont la réalisation n’est pas certaine.

Dès lors que l’éventualité du préjudice « ne s’est pas transformée en certitude », pour reprendre une expression de François Terré, le préjudice n’est pas réparable, contrairement au préjudice futur dont la réalisation est certaine.

?Le préjudice futur certain

Ce qui importe c’est donc que le préjudice futur soit certain pour être réparable.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer ce principe en jugeant, dès 1932 que « s’il n’est pas possible d’allouer des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel et comme étant susceptible d’estimation immédiate » (Cass. crim., 1er juin 1932).

Surtout, le projet de réforme de la responsabilité civile envisage l’introduction d’un article 1236 dans le Code civil qui disposerait que « le préjudice futur est réparable lorsqu’il est la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel »

Exemples :

  • Dans un arrêt du 13 mars 1967, la Cour de cassation a estimé que la victime d’un accident de la circulation était fondée à obtenir réparation du préjudice futur occasionné par l’ablation de la rate, laquelle est de nature à raccourcir son espérance de vie (Cass. 2e civ., 13 mars 1967).
  • Dans un arrêt du 3 mars 1993, la Cour de cassation a jugé que «  des propriétaires d’immeubles justifiaient d’un préjudice certain du fait de la présence d’une ancienne carrière de calcaire asphaltique et du classement, à la suite d’effondrements du sol, comme zone de risque d’une partie du territoire de la commune, dès lors qu’elle relève que les tassements de sol se poursuivront de façon lente et irrégulière, avec parfois une accélération brutale, imprévisible et dangereuse, et que le sous-sol étant “déconsolidé” d’une manière irréversible, les immeubles seront soumis à plus ou moins brève échéance à de graves désordres voire à un effondrement qui les rendra inhabitables » (Cass. 2e civ., 3 mars 1993, n°91-17.199).

a.2 La victime a manqué un gain

Le dommage réparable ne consiste pas toujours en une perte pour la victime ; il peut également s’agir d’un manque à gagner.

La Cour de cassation qualifie ce manque à gagner, lorsqu’il est réparable, de perte d’une chance.

?Reconnaissance de la perte d’une chance comme préjudice réparable

Dans un arrêt fondateur du 17 juillet 1889 la Cour de cassation a reconnu, pour la première fois, le caractère réparable de la perte de chance.

En l’espèce, le client d’un huissier de justice est privé de la possibilité de faire appel d’un jugement et, par voie de conséquence, de gagner son procès en raison de la faute commise par l’officier ministériel, laquelle faute a entraîné la nullité de l’acte portant déclaration d’appel.

La Cour de cassation reconnaît au client de l’étude un droit à réparation, sur le fondement de la perte de chance (Cass. req., 17 juill. 1889)

Depuis lors, la Cour de cassation reconnaît de façon constante à la perte de chance le caractère de préjudice réparable (V. en ce sens Cass. 1re civ., 27 janv. 1970, n°68-12.782 ; Cass. 2e civ., 7 févr. 1996, n°94-12.965 ; Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n°12-14.439)

?Définition

La Cour de cassation définit la perte de chance comme « la disparition, par l’effet d’un délit, de la probabilité d’un événement favorable, encore que ; par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim., 18 mars 1975, n°74-92.118).

Dans un arrêt du 4 décembre 1996, la Cour de cassation a sensiblement rectifié sa définition de la perte de chance en jugeant que « l’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet de l’infraction, de la probabilité d’un événement favorable encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim., 4 déc. 1996, n°96-81.163).

?Conditions

Il ressort des définitions retenues par la Cour de cassation de la perte de chance que pour être réparable, elle doit satisfaire à plusieurs conditions :

  • L’éventualité favorable doit exister
    • Autrement dit, la victime doit avoir été en position de chance, position dont elle a été privée en raison de la production du fait dommageable.
    • Exemple : la Cour de cassation a-t-elle refusé d’indemniser un ouvrier boulanger, victime d’un accident le privant de la possibilité d’ouvrir sa propre boulangerie, dans la mesure où il n’avait effectué aucune démarche en ce sens (Cass. 2e civ., 3 déc. 1997, n°96-11.816).
    • Le critère utilisé par la Cour de cassation afin de déterminer si l’éventualité existe est, le plus souvent, le bref délai.
    • Moins l’éventualité favorable espérée par la victime se réalisera à brève échéance et plus le juge sera réticent à reconnaître la perte de chance.
  • La disparition de l’éventualité favorable doit être réelle
    • Autrement dit, la perte de chance ne doit pas être hypothétique.
    • La disparition de l’événement favorable doit être acquise, certaine.
    • En somme, la condition qui tient au caractère réel de la perte de chance n’est autre que la traduction de l’exigence d’un préjudice certain.
    • La victime ne doit pas avoir la possibilité de voir se représenter l’éventualité favorable espérée.
    • En somme, la disparition de cette éventualité doit être irréversible.
    • Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle estimé que le candidat qui a perdu la chance de se présenter à un concours ne peut obtenir réparation de son préjudice, dès lors qu’il a la possibilité de s’inscrire une nouvelle fois audit concours (Cass. 2e civ., 24 juin 1999, n°97-13.408).
  • La chance perdue doit être sérieuse
    • Cela signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que l’événement favorable se réalise (V. en ce sens Cass. 1er civ. 4 avr. 2001, n°98-23.157).
    • On peut ainsi douter du caractère sérieux de la chance d’un étudiant de réussir un concours, s’il n’a pas été assidu en cours et s’il ne s’est livré à aucune révision.
    • On peut également douter du sérieux de la chance d’un justiciable de gagner un procès, dans l’hypothèse où il ne dispose d’aucune preuve de ce qu’il avance.

?Présomption du préjudice

Dans un arrêt du 14 octobre 2010, la Cour de cassation a posé une présomption de certitude de la perte de chance, « chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable » (Cass. 1ère civ. 14 oct. 2010, n°09-69.195).

Autrement dit, la haute juridiction estime que le préjudice est certain, et donc réparable, dès lors qu’est établie la disparition du gain espéré par la victime.

Il s’agit d’une présomption simple, qui donc supporte la preuve du contraire.

?Réparation de la perte d’une chance

Dans la mesure où la réalisation de l’événement favorable n’est, par définition, pas certaine, l’indemnité allouée à la victime ne saurait égaler le gain espéré.

Ainsi, le montant de la réparation du préjudice sera-t-il toujours proportionnel à la probabilité que l’événement se réalise (Cass. 1ère civ., 27 mars 1973, n°71-14.587).

Le juge devra donc toujours prendre en compte l’aléa lors de la réparation du préjudice.

?Contrôle exercé par la Cour de cassation

L’évaluation de la perte de chance relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

La Cour de cassation ne contrôlera que la prise en compte de l’aléa dans l’indemnisation.

Elle rappelle en ce sens régulièrement que « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Cass. 1er civ., 9 avr. 2002, n°00-13.314).

b. Un préjudice prévisible

L’article 1231-3 du Code civil prévoit que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. »

Pour être réparable, le préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit ainsi être prévisible, soit avoir été envisagé contractuellement par les parties.

Lorsque, toutefois, une faute lourde ou dolosive est susceptible d’être reprochée au débiteur, le son cocontractant sera fondé à réclamer une réparation intégrale de son préjudice, soit au-delà de ce qui avait été prévu au contrat.

?Principe

C’est là une différence fondamentale avec la responsabilité délictuelle, la responsabilité contractuelle ne donne pas lieu à application du principe de réparation intégrale du dommage.

En effet, l’article 1231-3 du Code civil dispose que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat […] ».

Cette règle procède de l’idée, comme rappelé dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 que le contrat est avant tout un instrument de prévisibilité.

Il est donc logique d’en limiter la réparation aux dommages qui ont été prévus ou qui étaient prévisibles lors de la conclusion du contrat.

À cet égard, la prévisibilité porte tant sur la cause du dommage (sa nature) que sur sa quotité (son montant).

Aussi, en matière de contrat de transport par exemple, il ne suffit pas que le transporteur soit en mesure de prévoir les dommages susceptibles d’advenir aux marchandises pour que son cocontractant soit fondé à solliciter une complète indemnisation en cas de sinistre.

Il faut encore que les parties aient prévu la valeur des marchandises acheminées, en particulier si elle est élevée. À défaut, l’indemnisation sera limitée au remboursement du prix moyen des marchandises qu’il transporte habituellement.

Ainsi, l’exigence de prévisibilité du préjudice suppose que celui qui s’engage soit en mesure de savoir à quoi il s’expose dans l’hypothèse où l’inexécution de son obligation cause un dommage à son cocontractant.

Lorsque, dès lors, la prestation porte sur une chose, le débiteur doit en connaître la valeur, faute de quoi en cas de perte, de disparition ou de détérioration, les dommages et intérêts alloués au créancier de l’obligation inexécutée ne pourront pas correspondre à cette valeur.

?Exception

Par exception au principe de prévisibilité du préjudice, l’article 1231-3 du Code civil pose que, en cas de faute lourde ou dolosive, la réparation du préjudice causé au cocontractant est intégrale.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par faute dolosive et faute lourde.

Si les textes sont silencieux sur ce point, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 indique que « les articles 1231-3 et 1231-4 sont conformes aux articles 1150 et 1151, mais consacrent en outre la jurisprudence assimilant la faute lourde au dol, la gravité de l’imprudence délibérée dans ce cas confinant à l’intention. »

C’est donc vers la jurisprudence antérieure qu’il convient de se tourner pour déterminer ce que l’on doit entendre par faute lourde et par faute dolosive.

La différence entre les deux fautes tient, en substance, à l’intention de l’auteur de la faute :

  • La faute lourde
    • Elle est définie par la jurisprudence, selon la formule consacrée, comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté » (V. en ce sens Cass. Ch. Mixte 22 avr. 2005, n° 03-14.112).
    • La faute lourde comprend donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif : l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • La faute dolosive
    • Elle est définie quant à elle comme l’inexécution délibérée, et donc volontaire, des obligations contractuelles.
    • À cet égard dans un arrêt du 27 juin 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le constructeur […] est sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles » (Cass. 3e civ. 27 juin 2001, n°99-21.017).
    • Il ressort de la jurisprudence que la faute dolosive suppose que le débiteur ait seulement voulu manquer à ses obligations contractuelles. Il est indifférent qu’il ait voulu causer un préjudice à son cocontractant.

Nonobstant la différence qui existe entre ces deux notions, la faute lourde est régulièrement assimilée à la faute dolosive par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour de cassation a ainsi rappelé que « la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-responsabilité » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-21.980).

L’assimilation de la faute lourde à la faute dolosive aurait, selon le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, été reconduite par le législateur, de sorte que les solutions dégagées par la jurisprudence antérieure sont toujours valides.

En tout état de cause, lorsque la faute lourde ou la faute dolosive sont caractérisées, la limitation de l’indemnisation à concurrence du préjudice prévisible est écartée à la faveur du principe de réparation intégrale qui trouve alors à s’appliquer.

C) Le lien de causalité

À l’instar de la responsabilité délictuelle, la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est subordonnée à l’établissement d’un lieu de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le préjudice causé au cocontractant.

Cette exigence est exprimée à l’article 1231-4 du Code civil qui dispose que « dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution. »

Autrement dit, selon ce texte, qui est une reprise de l’ancien article 1151 du Code civil, y compris lorsque le débiteur a commis une faute lourde ou dolosive, il n’engage sa responsabilité contractuelle qu’à la condition que soit établi un lien de causalité entre le préjudice et l’inexécution du contrat.

L’exigence d’un rapport de causalité entre le fait générateur et le dommage constitue ainsi le troisième terme de l’équation en matière de responsabilité contractuelle.

Il ne suffit pas, en effet, d’établir l’existence d’un fait générateur et d’un dommage pour que le cocontractant victime soit fondée à se prévaloir d’un droit à indemnisation.

Pour que naisse l’obligation de réparation, encore faut-il que soit établie l’existence d’une relation de cause à effet.

On ne saurait rechercher la responsabilité d’une personne si elle est étrangère à la réalisation du fait dommageable. Comme s’accordent à le dire les auteurs, il s’agit là d’une exigence de la raison !

Comme le souligne le doyen Carbonnier le rapport de causalité peut être envisagé de deux façons distinctes dans le procès en responsabilité :

  • La victime du dommage tentera, de son côté, d’établir l’existence d’un lien de causalité afin d’être indemnisée de son préjudice. Pour ce faire, il lui appartiendra :
    • D’une part, d’identifier la cause du dommage
    • D’autre part, de prouver le lien de causalité
  • L’auteur du dommage s’emploiera, quant à lui, à démontrer la rupture du lien de causalité afin de faire échec à l’action en responsabilité dirigée contre lui.
    • Cela revient, pour ce dernier, à se prévaloir de causes d’exonération.

Ainsi, l’étude du lien de causalité suppose-t-elle d’envisager les deux facettes du lien de causalité

1. L’existence d’un lien de causalité

Bien que l’exigence d’un rapport de causalité ne soulève guère de difficulté dans son énoncé, sa mise en œuvre n’en est pas moins éminemment complexe.

La complexité du problème tient à la détermination du lien de causalité en elle-même.

Afin d’apprécier la responsabilité du défendeur, la question se posera, en effet, au juge de savoir quel fait retenir parmi toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage.

Or elles sont potentiellement multiples, sinon infinies dans l’absolu.

?Illustration de la difficulté d’appréhender le rapport de causalité

  • En glissant sur le sol encore humide d’un supermarché, un vendeur heurte un client qui, en tombant, se fracture le coccyx
  • Ce dernier est immédiatement pris en charge par les pompiers qui décident de l’emmener à l’hôpital le plus proche.
  • En chemin, l’ambulance a un accident causant, au patient qu’elle transportait, au traumatisme crânien.
  • Par chance, l’hôpital n’étant plus très loin, la victime a été rapidement conduite au bloc opératoire.
  • L’opération se déroule au mieux.
  • Cependant, à la suite de l’intervention chirurgicale, elle contracte une infection nosocomiale, dont elle décédera quelques jours plus tard

?Quid juris : qui est responsable du décès de la victime?

Plusieurs responsables sont susceptibles d’être désignés en l’espèce :

  • Est-ce l’hôpital qui a manqué aux règles d’asepsie qui doivent être observées dans un bloc opératoire ?
  • Est-ce le conducteur du véhicule à l’origine de l’accident dont a été victime l’ambulance ?
  • Est-ce le supermarché qui n’a pas mis en garde ses clients que le sol était encore glissant ?
  • Est-ce le vendeur du magasin qui a heurté le client ?

À la vérité, si l’on raisonne par l’absurde, il est possible de remonter la chaîne de la causalité indéfiniment.

Il apparaît, dans ces conditions, que pour chaque dommage les causes sont multiples.

Une question alors se pose :

Faut-il retenir toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage ou doit-on seulement en retenir certaines ?

?Causes juridiques / causes scientifiques

Fort logiquement, le juge ne s’intéressera pas à toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage.

Ainsi, les causes scientifiques lui importeront peu, sauf à ce qu’elles conduisent à une personne dont la responsabilité est susceptible d’être engagée

Deux raisons l’expliquent :

  • D’une part, le juge n’a pas vocation à recenser toutes les causes du dommage. Cette tâche revient à l’expert.
  • D’autre part, sa mission se borne à déterminer si le défendeur doit ou non répondre du dommage.

Ainsi, le juge ne s’intéressera qu’aux causes du dommage que l’on pourrait qualifier de juridiques, soit aux seules causes génératrices de responsabilité.

Bien que cela exclut, de fait, un nombre important de causes – scientifiques – le problème du lien de causalité n’en est pas moins résolu pour autant.

En effet, faut-il retenir toutes les causes génératrices de responsabilité ou seulement certaines d’entre elles ?

?Les théories de la causalité

Afin d’appréhender le rapport de causalité dont l’appréhension est source de nombreuses difficultés, la doctrine a élaboré deux théories :

  • La théorie de l’équivalence des conditions
  • La théorie de la causalité adéquate
La théorie de l’équivalence des conditions
  • Exposé de la théorie
    • Selon la théorie de l’équivalence des conditions, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage doivent être retenus, de manière équivalente, comme les causes juridiques dudit dommage, sans qu’il y ait lieu de les distinguer, ni de les hiérarchiser.
    • Cette théorie repose sur l’idée que si l’un des faits à l’origine de la lésion n’était pas survenu, le dommage ne se serait pas produit.
    • Aussi, cela justifie-t-il que tous les faits qui ont été nécessaires à la production du dommage soient placés sur un pied d’égalité.
  • Critique
    • Avantages
      • La théorie de l’équivalence des conditions est, incontestablement, extrêmement simple à mettre en œuvre, dans la mesure où il n’est point d’opérer de tri entre toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage
      • Tous les maillons de la chaîne de responsabilité sont mis sur le même plan.
    • Inconvénients
      • L’application de la théorie de l’équivalence des conditions est susceptible de conduire à retenir des causes très lointaines du dommage dès lors que, sans leur survenance, le dommage ne se serait pas produit, peu importe leur degré d’implication.
      • Comme le relève Patrice Jourdain, il y a donc un risque, en retenant cette théorie de contraindre le juge à remonter la « causalité de l’Univers ».
La théorie de la causalité adéquate
  • Exposé de la théorie
    • Selon la théorie de la causalité adéquate, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ne sont pas des causes juridiques.
    • Tous ne sont pas placés sur un pied d’égalité, dans la mesure où chacun possède un degré d’implication différent dans la survenance du dommage.
    • Aussi, seule la cause prépondérante doit être retenue comme fait générateur de responsabilité.
    • Il s’agit, en d’autres termes, pour le juge de sélectionner, parmi la multitude de causes qui se présentent à lui, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du préjudice.
  • Critique
    • Avantage
      • En ne retenant comme fait générateur de responsabilité que la cause « adéquate », cela permet de dispenser le juge de remonter à l’infini la chaîne de la causalité
      • Ainsi, seules les causes proches peuvent être génératrices de responsabilité
    • Inconvénient
      • La détermination de la « véritable cause du dommage », procède plus de l’arbitraire que de la raison.
      • Sur quel critère objectif le juge doit-il s’appuyer pour déterminer quelle cause est adéquate parmi tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ?
      • La théorie est alors susceptible de conduire à une injustice :
        • Tantôt en écartant la responsabilité d’un agent au seul motif qu’il n’a pas joué à un rôle prépondérant dans la réalisation du préjudice.
        • Tantôt en retenant la responsabilité de ce même agent au motif qu’il se situe en amont de la chaîne de causalité.

?L’état du droit positif

Quelle théorie la jurisprudence a-t-elle retenu entre la thèse de l’équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate ?

À la vérité, la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme en matière de causalité, en ce sens que son choix se portera sur l’une ou l’autre théorie selon le résultat recherché :

  • Lorsqu’elle souhaitera trouver un responsable à tout prix, il lui faudra retenir une conception large de la causalité, de sorte que cela la conduira à faire application de la théorie de l’équivalence des conditions
  • Lorsque, en revanche, la Cour de cassation souhaitera écarter la responsabilité d’un agent, elle adoptera une conception plutôt restrictive de la causalité, ce qui la conduira à recourir à la théorie de la causalité adéquate

En matière de responsabilité contractuelle, afin de guider le juge dans sa recherche du lien de causalité, les parties n’hésiteront pas à établir, dans le contrat, une liste des préjudices qu’elles considèrent comme indirect et donc exclus du domaine du droit à indemnisation.

L’analyse de la jurisprudence révèle que le préjudice indirect est celui, soit qui n’est pas une conséquence immédiate de l’inexécution, soit qui résulte de la survenance d’une cause étrangère (fait de la nature, fait d’un tiers ou fait du créancier).

En tout état de cause, la Cour de cassation exerce un contrôle sur la caractérisation du lien de causalité par les juges du fond, de sorte que la preuve de la causalité ne saurait être négligée par les parties (V. en ce sens Com. 13 sept. 2011, n°10-15732).

2. La rupture du lien de causalité

a. Notion de cause étrangère

Il ne suffit pas qu’une inexécution contractuelle soit établie pour que naisse une obligation de réparation à la charge du débiteur de l’obligation violée.

Encore faut-il que ce dernier ne puisse pas s’exonérer de sa responsabilité.

Pour mémoire :

Dans la mesure où les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile sont cumulatives, le non-respect d’une d’entre elles suffit à faire obstacle à l’indemnisation de la victime.

Aussi, en simplifiant à l’extrême, le défendeur dispose-t-il de deux leviers pour faire échec à l’action en réparation :

  • Soit, il démontre que le dommage subi par le demandeur ne constitue pas un préjudice réparable, en ce sens qu’il ne répond pas aux exigences requises (certain et prévisible).

  • Soit, il démontre que le dommage ne se serait jamais produit si un événement étranger à son propre fait n’était pas survenu.
    • Il doit, en d’autres termes, établir que, de par l’intervention de cet événement – que l’on qualifie de cause étrangère – le lien de causalité a été partiellement ou totalement rompu.

?Notion de cause étrangère

La notion de cause étrangère désigne, de façon générique tout événement, non imputable à l’auteur du dommage dont la survenance a pour effet de rompre totalement ou partiellement le rapport causal.

Autrement dit, si la cause étrangère au fait personnel, au fait de la chose ou au fait d’autrui ne s’était pas réalisée, le dommage ne se serait pas produit, à tout le moins pas dans les mêmes proportions.

C’est la raison pour laquelle, dès lors qu’elle est établie, la cause étrangère est susceptible de constituer une cause d’exonération totale ou partielle de responsabilité.

Si les textes relatifs à la responsabilité civile ne font nullement référence à la cause étrangère, tel n’est pas le cas en matière de responsabilité contractuelle.

L’article 1218 du Code civil dispose en ce sens que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

L’article 1351 prévoit encore que :

« L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure. »

?Manifestations de la cause étrangère

La cause étrangère est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • Le fait d’un tiers
    • Un tiers peut avoir concouru à la production du dommage, de sorte que s’il n’était pas intervenu aucun fait illicite n’aurait pu être imputé au défendeur.
  • Le fait de la victime
    • La victime peut avoir commis une faute qui a contribué à la production de son propre dommage.
  • Le cas fortuit
    • Il s’agit d’événements naturels (inondation, tornade, incendie) ou d’actions humaines collectives (grève, guerre, manifestation)

b. Cause étrangère et force majeure

Trop souvent la cause étrangère est confondue avec la force majeure alors qu’il s’agit là de deux notions bien distinctes :

  • La cause étrangère consiste en un fait, un événement dont la survenance a pour effet de rompre le lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage
  • La force majeure consiste quant à elle, non pas en un fait, mais en plusieurs caractères que la cause étrangère est susceptible d’endosser.

Si sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 le cas de force majeur n’était défini par aucun texte, il était traditionnellement défini comme un événement présentant les trois caractères cumulatifs que sont l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

Les critères traditionnels que l’on prête à la force majeure ont-ils été repris par l’article 1218 du Code civil qui définit la force majeure comme ?

Cette disposition prévoit qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Selon le Rapport au président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 l’intention du législateur est claire : le texte reprend la définition prétorienne de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère d’extériorité, également abandonné par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006, pour ne retenir que ceux d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.

Si la volonté d’abandonner le critère d’extériorité est difficilement contestable, reste qu’une analyse de l’article 1218 interroge sur le succès de la manœuvre.

?: Sur le critère d’extériorité

?Notion

Dans la conception classique, l’événement constitutif de la force majeure doit être extérieur (ou résulter d’une cause étrangère), c’est-à-dire doit être indépendant de la volonté de l’agent, à tout le moins à son activité.

En matière contractuelle, la condition d’extériorité était évoquée à l’article 1147 du Code civil, qui faisait référence à la « cause étrangère » non imputable au débiteur.

L’extériorité s’entendait ici d’un événement indépendant de la volonté de celui qui doit exécuter le contrat et rendant impossible l’exécution du contrat.

À cet égard, il ne suffisait pas que l’exécution de l’obligation soit rendue plus difficile ou plus onéreuse par la survenance de l’événement extérieur (Cass., com., 12 novembre 1969), il fallait qu’elle soit effectivement impossible.

Si l’empêchement n’était que momentané, la jurisprudence considérait le débiteur n’était pas libéré et l’exécution de l’obligation était, dans ces conditions, seulement suspendue jusqu’au moment où l’événement extérieur venait à cesser (Cass., 1ère civ., 24 février 1981, n°79-12.710).

La condition d’extériorité de l’événement n’était pas, non plus, caractérisée si l’empêchement d’exécution du contrat résultait de l’attitude ou du comportement fautif du débiteur (Cass., 1ère civ., 21 mars 2000, n° 98-14.246).

Ainsi, le vendeur ne pouvait pas invoquer une force majeure extérieure pour s’exonérer de sa responsabilité en cas de vice caché (Cass. 1ère civ., 29 octobre 1985, n°83-17.091), ni en principe le chef d’entreprise en cas de grève de son propre personnel (Cass., Com., 24 novembre 1953).

Reste que la Cour de cassation a finalement renoncé à l’exigence d’extériorité de l’événement pour retenir le cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

?Les fluctuations de la jurisprudence

À compter des années 1990, la Cour de cassation a commencé à admettre, dans plusieurs arrêts, que puissent exister des circonstances internes au débiteur, comme la maladie, la grève ou des circonstances économiques (le chômage ou l’absence de ressources, par exemple) susceptibles de constituer des cas de force majeure ;

  • La grève a ainsi pu être considérée comme un événement extérieur (Cass., 1ère civ., 24 janvier 1995, n°92-18.227), sauf si elle résultait du fait ou d’une faute de l’employeur.
  • La maladie a également été déclarée constitutive d’un cas de force majeure irrésistible, bien qu’elle n’ait pas été extérieure à la personne :

Afin de mettre un terme à l’incertitude qui régnait en jurisprudence, la Cour de cassation a voulu entériner l’abandon du critère de l’extériorité dans un arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006 (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168).

Dans cette décision, après avoir rappelé « qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit » les juges ont affirmé « qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ».

Cass. ass. plé. 14 avr. 2006

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Douai, 12 novembre 2001), que M. X… a commandé à M. Y… une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle ; qu’en raison de l’état de santé de ce dernier, les parties sont convenues d’une nouvelle date de livraison qui n’a pas été respectée ; que les examens médicaux qu’il a subis ont révélé l’existence d’un cancer des suites duquel il est décédé quelques mois plus tard sans que la machine ait été livrée ; que M. X… a fait assigner les consorts Y…, héritiers du défunt, en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1) qu’en estimant que la maladie dont a souffert M. Michel Z… avait un caractère imprévisible, pour en déduire qu’elle serait constitutive d’un cas de force majeure, après avoir constaté qu’au 7 janvier 1998, date à laquelle M. Michel Y… a fait à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, M. Michel Y… savait souffrir, depuis plusieurs mois, d’une infection du poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail et se soumettait à de nombreux examens médicaux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

2) qu’un événement n’est pas constitutif de force majeure pour le débiteur lorsque ce dernier n’a pas pris toutes les mesures que la prévisibilité de l’événement rendait nécessaires pour en éviter la survenance et les effets ; qu’en reconnaissant à la maladie dont a souffert M. Michel Y… le caractère d’un cas de force majeure, quand elle avait constaté que, loin d’informer son cocontractant qu’il ne serait pas en mesure de livrer la machine commandée avant de longs mois, ce qui aurait permis à M. Philippe X… de prendre toutes les dispositions nécessaires pour pallier le défaut de livraison à la date convenue de la machine commandée, M. Michel Y… avait fait, le 7 janvier 1998, à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, soit à une date qu’il ne pouvait prévisiblement pas respecter, compte tenu de l’infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail, dont il savait souffrir depuis plusieurs mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

Mais attendu qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ; qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y… était en mesure de réaliser la machine et qu’il s’en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l’incapacité physique résultant de l’infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d’une maladie irrésistible, la cour d’appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d’un cas de force majeure ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X… fait encore grief à l’arrêt d’avoir omis, après avoir prononcé la résolution du contrat, de condamner in solidum les défenderesses à lui payer les intérêts au taux légal, à compter de la date de l’acte introductif d’instance et jusqu’à celle de son versement, sur la somme correspondant aux acomptes qu’il avait versés à son débiteur alors, selon le moyen, que les intérêts au taux légal sont dus du jour de la demande en justice équivalent à la sommation de payer jusqu’à la date de leur versement sur le prix qui doit être restitué à la suite de l’exécution d’un contrat ; qu’en omettant, après avoir prononcé la résolution du contrat conclu le 11 juin 1997 entre M. Michel Y… et M. Philippe X…, de condamner in solidum Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à payer à M. Philippe X… les intérêts au taux légal sur la somme correspondant au montant des acomptes initialement versés à M. Michel Y… par M. Philippe X…, à compter de la date de la délivrance de l’acte introductif d’instance jusqu’à celle de son versement par Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à ce dernier, la cour d’appel a violé l’article 1153 du code civil ;

Mais attendu que l’omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l’article 463 du nouveau code de procédure civile, le moyen n’est pas recevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X… aux dépens ;

Cette solution a, deux ans plus tard, été reprise par la première chambre civile qui, dans un arrêt du 30 octobre 2008, a considéré que « seul un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ». Elle ne fait ainsi plus de l’extériorité de l’événement une condition au caractère exonératoire de la force majeure (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2008, n°07-17134).

Bien que l’on eût pu penser que la définition du cas de force majeure était désormais ancrée en jurisprudence, cela était sans compter sur la chambre sociale de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 16 mai 2012, a réintroduit l’exigence d’extériorité de l’événement, en affirmant que « la force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d’un contrat de travail s’entend de la survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution » (Cass. soc. 16 mai 2012, n° 10-17.726)

Manifestement, cet arrêt n’est pas sans avoir jeté le trouble sur l’exigence d’extériorité dont la mention n’a pas manqué d’interroger les auteurs sur les intentions de la Cour de cassation.

Cette interrogation s’est d’autant plus renforcée par la suite que la troisième chambre civile s’est, à son tour, référée dans un arrêt du 15 octobre 2013 au critère de l’extériorité pour retenir un cas de force majeure (Cass. 3e civ. 15 oct. 2013, n°12-23.126).

Constatant que la jurisprudence ne parvenait pas à se fixer en arrêtant une définition de la force majeure, le législateur a profité de la réforme du droit des obligations pour mettre un terme, à tout le moins s’y essayer, à l’incertitude jurisprudentielle qui perdurait jusqu’alors, nonobstant l’intervention de l’assemblée plénière en 2006.

?La réforme du droit des obligations

Bien que le rapport au Président de la République signale que le législateur a, lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, entendu délaisser « le traditionnel critère d’extériorité », les termes de l’article 1218 du Code civil pris en son alinéa 1er interrogent sur l’effectivité de cette annonce.

Cette définition prévoit, en effet, que pour constituer un cas de force majeure l’événement invoqué doit avoir échappé au contrôle du débiteur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir à quelles hypothèses correspond un événement qui échappe au contrôle du débiteur.

En première intention, on pourrait considérer qu’il s’agit d’un événement qui serait étranger à son activité, car ne relevant pas de son contrôle. Cette interprétation conduirait néanmoins à réintroduire le critère d’extériorité. Or cela serait contraire à la volonté du législateur.

Aussi, convient-il d’admettre que le nouveau critère posé par l’article 1218 couvre un spectre plus large de situations, lesquelles situations sont susceptibles de correspondre, tant à des événements externes qu’internes. Ce qui importe, pour constituer un cas de force majeure, c’est que le débiteur n’ait pas de prise sur l’événement invoqué.

Pris dans cette acception, le critère de « l’absence de contrôle » autorise à inclure, à l’instar de certaines décisions, dans le giron des cas de force majeure la maladie du débiteur ou encore la grève à la condition néanmoins que, dans ces deux cas, l’événement invoqué ne résulte pas de la conduite du débiteur.

En effet, la maladie qui serait causée par la conduite à risque du débiteur ne devrait, a priori, pas être constitutive d’un cas de force majeure. Il en va de même pour une grève qui prendrait sa source dans une décision de l’employeur.

?: Sur le critère d’imprévisibilité

Le deuxième élément de la définition de la force majeure posé par l’article 1218 du Code civil est l’imprévisibilité de l’événement.

Le texte prévoit en ce sens que la force majeure est constituée lorsque notamment l’événement invoqué « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ».

La reprise du critère de l’imprévisibilité par le législateur appelle trois remarques :

En premier lieu, il peut être observé que l’imprévisibilité s’apprécie par référence à une personne ou un contractant prudent et diligent, et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps, de saison. Il faut que le sujet n’ait pas pu prévoir la réalisation du dommage.

En deuxième lieu, l’imprévisibilité doit s’apprécier au jour de la formation ou de la conclusion du contrat, le débiteur ne s’étant engagé qu’en fonction de ce qui était prévisible à cette date (Cass. com., 3 octobre 1989, n°87-18.479).

Tout s’ordonne, dans le domaine contractuel, autour des prévisions des parties et des attentes légitimes du créancier : il faut que l’événement-obstacle crée une difficulté d’exécution dont le créancier ne pouvait raisonnablement espérer la prise en charge par le débiteur (20).

Dès lors, si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation.

En dernier lieu, l’emploi de la formule « raisonnablement prévu » suggère que l’imprévisibilité de l’événement puisse n’être que relative, en ce sens qu’il n’est pas nécessaire que l’événement soit absolument imprévisible pour constituer un cas de force majeure.

Cette conception de l’imprévisibilité est conforme à la jurisprudence antérieure qui se contentait d’événements « normalement prévisibles » (Cass., 2e civ. 6 juillet 1960 ; Cass. 2e civ. 27 octobre 1965).

Il est, en effet, constant en jurisprudence que, l’événement est jugé imprévisible en fonction du temps et du lieu où il se produit et des circonstances qui l’accompagnent. Il s’apprécie par référence à un homme prudent, mais aussi par rapport à l’absence de faute de l’agent qui ne pouvait pas prévoir l’événement.

Pour que l’événement soit imprévisible, il faut, peut-on dire, qu’il provoque un “effet de surprise” au regard du lieu, du moment et des circonstances dans lesquels il se produit, de telle manière qu’il n’ait pu être prévu par un homme prudent et avisé.

Ce caractère relatif de l’imprévisibilité est admis par la jurisprudence même dans le cas d’événements naturels : ainsi, en fonction des circonstances de lieu, de date, de saison, peuvent ne peut pas être regardés comme des cas de force majeure, le verglas, la tempête, le vent, l’orage, les inondations, les chutes de neige, le brouillard, les glissements et effondrements de terrains, etc…

?: Sur le critère d’irrésistibilité

Troisième et dernier critère caractérisant la force majeure posée par l’article 1218, al. 1er du Code civil : l’irrésistibilité.

Le texte dispose que la force majeure est constituée lorsque les effets de l’événement « ne peuvent être évités par des mesures appropriées. »

Le rapport au Président de la république précise que l’irrésistibilité de l’événement doit l’être, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables).

L’irrésistibilité implique donc une appréciation du comportement de l’individu pendant toute la durée de réalisation de l’événement : de son fait générateur à ses conséquences.

Pour que l’événement soit irrésistible il faut que la personne concernée ait été dans l’impossibilité d’agir autrement qu’elle l’a fait.

À cet égard, la doctrine à la notion d’événement « inévitable » ou « insurmontable ». Aussi, dès lors que l’événement peut être surmonté, y compris dans des conditions plus difficiles par le débiteur, il n’est pas fondé à se prévaloir de la force majeure.

C’est donc à une appréciation “in concreto” de l’irrésistibilité que se livre la jurisprudence, en recherchant si l’événement a engendré ou non pour le sujet une impossibilité d’exécuter l’obligation ou d’éviter la réalisation du dommage et en vérifiant si un individu moyen, placé dans les mêmes circonstances, aurait pu résister et surmonter l’obstacle.

Il peut, en outre, être observé que la jurisprudence antérieure n’exigeait pas une impossibilité absolue de résister, pour le débiteur, à l’événement à l faveur d’une approche relative de l’irrésistibilité

En effet, cette dernière est appréciée par référence à un individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances de temps, de lieu, de conjoncture. De nombreux arrêts jugent fortuit, par exemple, l’événement “normalement irrésistible” ou celui dont on ne pouvait pallier les inconvénients par des mesures suffisantes.

Il est intéressant de noter que cette approche relative de l’irrésistibilité de la force majeure est aussi celle de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a rendu un arrêt, le 17 septembre 1987, s’efforçant de donner une définition de la force majeure en excluant l’idée d’une “impossibilité absolue” (CJUE 17 septembre 1987).

La Cour de Luxembourg affirme dans cet arrêt que la force majeure « ne présuppose pas une impossibilité absolue », mais qu’elle « exige toutefois qu’il s’agisse de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne et apparaissant inévitables mêmes si toutes les diligences utiles sont mises en œuvre ».

c. Cause étrangère de l’inexécution et cause étrangère du préjudice

En matière de responsabilité contractuelle, la cause étrangère est susceptible d’affecter la chaîne de la causalité à deux endroits différents :

  • En premier lieu, la cause étrangère peut être à l’origine de l’inexécution contractuelle, de sorte que cette inexécution ne pourra pas être imputée au débiteur, à tout le moins que partiellement
  • En second lieu, la cause étrangère peut être à l’origine de la production du dommage de sorte que celui-ci ne pourra pas être imputé à l’inexécution contractuelle

Dans les deux cas, la survenance de la cause étrangère a pour effet de rompre, tantôt totalement, tantôt partiellement, la chaîne de la causalité.

La question qui alors se pose est de savoir dans quels cas cette rupture de la causalité justifie que le débiteur de l’obligation inexécutée puisse s’exonérer de sa responsabilité.

?: La cause étrangère de l’inexécution

L’article 1231-1 du Code civil prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Ainsi, lorsque l’inexécution contractuelle est imputable à une cause étrangère, l’article 1231-1 exonère le débiteur de sa responsabilité. Cette cause étrangère peut résulter du fait de la nature, du fait du créancier ou du fait d’un tiers.

En tout état de cause, pour être exonératoire de responsabilité, elle devra présenter les caractères de la force majeure, soit, conformément à l’article 1218, al. 1er du Code civil, consister en un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

A contrario, lorsque la cause étrangère ne revêt pas les caractères de la force majeure, les conséquences de l’inexécution contractuelle devront intégralement être supportées par le débiteur.

À l’examen, l’appréhension de la cause étrangère par la jurisprudence diffère selon qu’elle résulte du fait d’autrui ou du fait du créancier.

?La cause étrangère résulte du fait d’autrui

Pour que l’implication d’autrui dans l’inexécution contractuelle soit exonératoire de responsabilité pour le débiteur, cette implication doit présenter les caractères de la force majeure.

Dans le cas contraire, le débiteur devra indemniser le créancier du préjudice qui lui a été causé par autrui. Tout au plus, ce dernier disposera d’une action récursoire contre le tiers impliqué dans l’inexécution du contrat.

?La cause étrangère résulte du fait du créancier

Lorsque cette inexécution est imputable au créancier, deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation : l’implication du créancier dans l’inexécution contractuelle présente les caractères de la force majeure
    • Dans cette hypothèse, la règle posée à l’article 1231-1 du Code civil ne soulève pas de difficulté : le débiteur peut s’exonérer de sa responsabilité
    • À cet égard, il est indifférent que l’implication du créancier soit fautive : le seul fait du créancier suffit à libérer le débiteur du paiement de dommages et intérêts
    • Ce qui importe c’est la caractérisation de la force majeure qui dès lors qu’elle est établie produit un effet exonératoire.
  • Seconde situation : l’implication du créancier dans l’inexécution contractuelle ne présente pas les caractères de la force majeure
    • La problématique est ici plus délicate à résoudre.
    • En effet, se pose la question de savoir si, en raison de l’implication du créancier dans l’inexécution du contrat et, par voie de conséquence, dans la production de son propre dommage, cette, circonstance pour le moins particulière, ne pourrait pas justifier, nonobstant l’absence de force majeure, que le débiteur puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Une application stricte de l’article 1231-1 du Code civil devrait conduire à répondre par la négative.
    • Seule la force majeure peut exonérer le débiteur de sa responsabilité.
    • Reste que lorsque c’est le créancier lui-même qui concourt à la production de son propre dommage, il ne serait pas illégitime de lui en faire supporter, au moins pour partie, les conséquences de l’inexécution.
    • À l’examen, la jurisprudence a tendance à exiger une faute du créancier pour que le débiteur soit dispensé, à due concurrence de son implication dans l’inexécution contractuelle, du paiement de dommages et intérêts.
    • Dans un arrêt du 25 novembre 2015, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faute du client, lorsqu’elle revêt une certaine gravité, exonère, totalement ou partiellement en fonction de son influence causale, l’hôtelier de sa propre responsabilité » (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2015, n°14-21434).
    • Le seul fait non fautif du créancier ne permettra donc pas au débiteur de se dégager de sa responsabilité : il doit pour y parvenir démontrer la faute de son cocontractant.

?: La cause étrangère du préjudice

Lorsque la cause étrangère a pour effet de rompre la causalité entre l’inexécution contractuelle et le préjudice, il est indifférent qu’elle présente ou non les caractères de la force majeure.

Dans cette configuration, nonobstant l’imputation de l’inexécution contractuelle au débiteur, il n’a pas concouru à la production du dommage.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de retenir sa responsabilité, sa défaillance, bien que caractérisée, étant étrangère au préjudice causé à son cocontractant.

II) La mise en œuvre de la réparation du dommage

La mise en œuvre de la réparation est envisagée aux articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil. Tandis que le premier encadre les dommages et intérêts dus à raison du retard de paiement d’une obligation, le second régit ceux dus à raison d’une condamnation en justice

A) Les dommages et intérêts dus à raison du retard de paiement d’une obligation de somme d’argent

L’article 1231-6 du Code civil dispose que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »

À l’examen, ce texte reprend les dispositions de l’ancien article 1153 mais en modernise et simplifie la formulation.

Ainsi, en cas de retard d’exécution d’une obligation portant sur une somme d’argent, le texte prévoit que l’indemnisation du créancier pour le préjudice causé par ce retard, consiste en l’octroi, à titre forfaitaire, d’intérêts – moratoires – calculés au taux légal et dont l’assiette correspond au montant de la créance due. L’article 1231-6 ayant une valeur supplétive, il n’est pas interdit aux parties de prévoir un taux conventionnel. Ce taux conventionnel devra néanmoins, pour s’appliquer, être expressément stipulé dans le contrat et ne peut être inférieur à trois fois le taux légal.

En tout état de cause, l’alinéa 2 de l’article 1231-6 précise que les intérêts moratoires « sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte ». Est ici posée une présomption de dommage en cas de retard dans l’exécution d’une obligation de somme d’argent.

Cela signifie que les intérêts moratoires sont automatiquement alloués au créancier, sauf à ce que le débiteur neutralise la présomption de dommage et démontrer l’absence de préjudice à raison du retard dans l’exécution de l’obligation.

Quant au point de départ des intérêts moratoires, l’alinéa 1er de l’article 1231-6 du Code civil prévoit qu’ils courent à compter de la mise en demeure du débiteur.

L’alinéa 3 dispose, enfin, que « le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire. »

Il ressort de cette disposition que le retard dans l’exécution d’une obligation peut donner lieu à une indemnisation distincte des intérêts moratoires. Il appartiendra néanmoins au créancier de démontrer, d’une part, la mauvaise foi du débiteur, d’autre part l’existence d’un préjudice distinct du retard.

B) Les dommages et intérêts dus à raison d’une condamnation en justice

L’article 1231-7 du Code civil dispose que « en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. »

À l’instar de l’article 1236-1, ce texte porte donc sur les intérêts moratoires qui, là encore, sont forfaitaires et automatiques, puisque fixés au taux légal.

La particularité de ces intérêts moratoires est toutefois triple :

  • D’une part, ils sont dus à raison d’une condamnation en justice et non à raison de l’inexécution d’une obligation contractuelle
  • D’autre part, ils jouent de plein droit, même en l’absence de demande ou de mention au jugement
  • Enfin, ils ne sont pas circonscrits au domaine des obligations de somme d’argent : ils s’appliquent « en toute matière », contrairement aux intérêts moratoires visés à l’article 1231-6

Quant au point de départ des intérêts moratoires dus à raison d’une condamnation en justice, l’article 1231-7 pose le principe qu’ils courent à compter du prononcé du jugement, sauf si la loi ou le juge en disposent autrement.

L’alinéa 2 de cette disposition complète le dispositif en prévoyant que « en cas de confirmation pure et simple par le juge d’appel d’une décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, celle-ci porte de plein droit intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel ».

Deux situations doivent alors être distinguées :

  • Le jugement de première instance est confirmé en appel
    • Dans cette hypothèse, les intérêts moratoires dus à raison de la condamnation courent à compter de la décision de première instance.
  • Le jugement de première instance est infirmé en appel
    • Dans cette hypothèse, les intérêts moratoires dus à raison de la condamnation courent à compter de la décision d’appel.

En dépit de la règle ainsi posée, l’article 1231-7 octroie au juge la faculté d’y déroger, ce qui pourrait impliquer qu’il décide de faire courir les intérêts moratoires à compter de la décision d’appel au lieu de la décision de première instance et inversement.

III) L’aménagement de la responsabilité contractuelle

L’aménagement conventionnel de la réparation – qui se distingue de l’aménagement de la responsabilité, puisqu’il ne porte que sur les effets de la responsabilité, même s’il peut avoir, en pratique, des effets semblables à une exonération de responsabilité – peut prendre deux formes :

  • Première forme
    • Il peut s’agir de clauses limitatives de réparation, se traduisant par une diminution du montant de la réparation.
  • Seconde forme
    • Il peut s’agir de clauses dites « pénales », par lesquelles les contractants évaluent forfaitairement et par avance les dommages et intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution totale ou partielle, ou d’exécution tardive du contrat.
    • Le forfait peut s’avérer soit plus élevé, soit plus faible que le préjudice résultant de l’inexécution de l’obligation.

A) La clause pénale

?Notion

La clause pénale fait très souvent l’objet d’âpres discussions lors de la conclusion de contrats commerciaux. Et pour cause, c’est à ce moment précis de la négociation que les parties évoquent la question de la réparation du préjudice en cas de manquement contractuel du prestataire.

La clause pénale se définit comme la stipulation « par laquelle les parties déterminent, forfaitairement et d’avance, l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée »[1].

En stipulant une clause pénale, les contractants cherchent à anticiper les difficultés liées à l’évaluation judiciaire des dommages et intérêts en cas d’inexécution totale, partielle ou tardive d’une obligation contractuelle. L’évaluation peut, de la sorte, être inférieure au montant du préjudice effectivement subi. Elle présentera alors de nombreuses similitudes avec les clauses limitatives de responsabilité.

Mais elle peut également prévoir une indemnisation supérieure au dommage susceptible d’être occasionné ; ce en vue de mettre la pression sur le débiteur pour qu’il satisfasse, spontanément, à ses engagements. Elle s’apparentera en ce cas à une peine privée.

Bien que la stipulation de cette clause tende à concurrencer, voire empiéter, sur le monopole juridictionnel de l’État[2], elle n’en a pas moins toujours été admise en droit français.

Ainsi, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil abordait-il les clauses pénales, d’abord, de manière générale, à l’article 1152, puis, de façon plus spécifique, aux articles 1226 et suivants.

Elle est désormais régie à l’article 1231-5 qui simplifie et synthétise, en un seul texte, l’essentiel des dispositions des anciens articles 1226 à 1233 et 1152 relatifs aux clauses pénales.

?Nature

Parce que la clause pénale emprunte ses caractères à de nombreuses figures juridiques, les opinions divergent quant à sa nature.

Pour certains, elle serait une peine privée contractuelle[3]. Les partisans de cette thèse le justifient en soutenant, tout d’abord, que la fonction principale de la clause pénale consiste à contraindre le débiteur à satisfaire à ses obligations.

Ainsi se caractériserait-elle, essentiellement, par sa fonction comminatoire[4]. Or cette fonction est inhérente à la notion de peine.

Le deuxième argument – déterminant – avancé par les tenants de la thèse répressive consiste à dire que l’inexécution d’une obligation contractuelle suffit à déclencher l’application de la clause pénale.

Aussi, comme en matière de peine, sa mise en œuvre est indépendante de la caractérisation d’un préjudice. Enfin, si la clause pénale s’apparente à une peine privée cela s’explique par le fait que son montant est forfaitaire, de sorte que la gravité du manquement sanctionné est sans importance.

Dès lors qu’une inexécution est constatée, le débiteur doit s’acquitter de l’intégralité du montant prévu contractuellement par la clause. Bien que les arguments qui abondent dans le sens de la thèse répressive soient pour le moins séduisants, cette thèse ne fait pas l’unanimité.

Pour des auteurs tels que Demolombe, Josserand ou encore Philippe Le Tourneau, la clause pénale ne serait, en réalité, qu’une clause de dommages-intérêts. L’argument principal avancé repose sur l’ancien article 1229 du Code civil qui disposait que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale ».

Sa fonction principale serait donc la réparation ; une réparation qui viendrait se substituer à l’évaluation judiciaire. D’où la règle énoncée à l’alinéa 2 de l’article 1229, qui prévoyait que le bénéfice de la clause pénale ne peut pas se cumuler avec l’exécution de l’obligation principale.

Le principe de non-cumul posé par cette disposition démontrerait que la clause pénale a vocation à réparer et non à punir. Là encore, les arguments avancés au soutien de la thèse réparatrice sont extrêmement convaincants.

Les auteurs qui la soutiennent demeurent néanmoins minoritaires. Au surplus, la définition de la clause pénale posée par l’ancien article 1229 du Code civil n’a pas été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016, ce qui n’est pas, désormais, sans priver leur raisonnement de base légale.

À l’examen, la majorité des auteurs estiment que la vérité se situerait au milieu, soit entre la thèse répressive et la thèse réparatrice.

Autrement dit, la clause pénale revêtirait une nature hybride. La conjugaison de sa fonction comminatoire et réparatrice ferait d’elle, tout à la fois une peine privée et une clause de dommages-intérêts.

Pour justifier cette thèse il est avancé que, dans la mesure où le montant fixé conventionnement par les parties peut être inférieur ou supérieur au préjudice éprouvé par le créancier, la clause pénale s’apparenterait, tantôt à une clause limitative de responsabilité, tantôt à une peine privée. D’où sa nature hybride.

Au total, il apparaît que, tant les théories monistes, que la théorie dualiste sont séduisantes : chaque thèse a le mérite, en faisant ressortir un ou plusieurs traits saillants de la clause pénale, de lever un peu plus le voile sur sa nature.

À cet égard, nonobstant leurs divergences, ces thèses partagent toutes un point en commun : les auteurs admettent, en effet, unanimement que la clause pénale remplit une fonction réparatrice.

Et si, pour les partisans de la thèse répressive, cette fonction n’est qu’accessoire, elle n’en demeure pas moins pour eux une caractéristique de la clause pénale. Denis Mazeaud affirme en ce sens que « quand un préjudice a été causé par l’inexécution illicite imputable au débiteur, la peine fait accessoirement fonction de réparation »[5].

Elle remplit ainsi la même fonction que la responsabilité contractuelle, à la différence près, néanmoins, que la clause pénale vise, non pas à réparer le préjudice effectivement subi par le cocontractant, mais à allouer au créancier une indemnité de réparation forfaitaire.

?Le caractère forfaitaire de la clause pénale

L’article 1231-5 du Code civil prévoit que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. »

Il s’infère de cette disposition que la clause pénale présente un caractère forfaitaire, en ce sens que, en cas d’inexécution contractuelle, elle fera office d’indemnité de réparation indépendamment du montant du préjudice subi par le créancier.

L’enjeu pour les parties sera alors de fixer un montant de la clause pénale qui, d’une part, ne risque pas d’être révisé par le juge, parce qu’excessif, d’autre part, qui soit suffisamment élevé pour correspondre au préjudice qu’elle vise à réparer.

Conséquence, du caractère forfaitaire de la clause pénale, d’aucuns soutiennent qu’elle est libératoire.

?Le caractère libératoire de la clause pénale

Dans la pratique, il est un débat récurrent qui revient entre les parties : la clause pénale est-elle ou non libératoire ? L’enjeu de cette question ne saurait être mésestimé.

Dans l’hypothèse où elle le serait, le paiement de la pénalité par la partie qui a manqué à son obligation ferait purement et simplement obstacle à l’introduction postérieure, par le créancier, d’une action en responsabilité contractuelle devant les tribunaux.

À l’inverse, si l’on admettait que la clause pénale ne présente aucun caractère libératoire, cela signifierait que l’allocation de dommages et intérêts conventionnels pourrait se cumuler avec une indemnisation judiciaire. L’hésitation entre les deux thèses est permise.

D’un côté, lorsque la clause pénale stipule que le débiteur devra payer une indemnité en cas de retard dans l’exécution de sa prestation, elle se rapproche très fortement de l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte par le juge est indépendant de l’octroi au créancier de dommages et intérêts (Cass. 1ère civ., 28 fév. 1989, n°85-16.973).

D’un autre côté, la clause pénale vise à indemniser les conséquences d’un manquement à une obligation contractuelle. Il apparaîtrait dès lors troublant que le créancier puisse bénéficier d’une double indemnisation, avec le risque que le montant des dommages et intérêts cumulés soit supérieur à celui qui lui aurait été alloué judiciairement.

Reste que si la clause pénale se voit assigner, même accessoirement, une fonction réparatrice, il peut en être réduit qu’elle revêt, corrélativement, un caractère libératoire.

L’ancien article 1229 du Code civil prévoyait en ce sens que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts ». Par compensation il fallait comprendre que l’indemnité perçue par le créancier supplante l’indemnité réparatrice qui lui aurait été allouée par le juge.

À cet égard, on peut ainsi lire sous la plume d’éminents auteurs que « l’évaluation conventionnelle des dommages-intérêts est substituée à l’évaluation judiciaire qu’elle rend inutile »[6].

Par ailleurs, si la clause pénale n’était pas libératoire, rien ne la distinguerait de l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte peut se cumuler avec l’octroi de dommages et intérêts (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 28 fév. 1989, n°85-16.973).

L’application de la clause pénale ne saurait, en conséquence, se cumuler avec l’octroi d’une indemnisation judiciaire. La Cour de cassation abonde indirectement en ce sens lorsqu’elle admet qu’un cumul n’est possible que dans l’hypothèse où le préjudice dont la réparation est demandée est distinct de celui couvert par la clause (Cass. soc., 21 nov. 1978, n°76-41.060 ; Cass. com., 20 mai 1997, n°95-12.392).

Mieux, dans un arrêt du 14 juin 2006, la Cour de cassation a jugé que la clause pénale « constitue une évaluation forfaitaire et anticipée du montant du préjudice » (Cass. com. 14 juin 2016 n°15-12.734).

La solution ici dégagée par la Cour de cassation, qui ne laisse guère place au doute sur le caractère libératoire de la clause pénale, a été confirmée par l’ordonnance du 10 février 2016 qui précise à l’article 1231-5 du Code civil que cette clause vise à octroyer à cocontractant victime d’une inexécution contractuelle « une certaine somme à titre de dommages et intérêts ».

Si le créancier perçoit des dommages et intérêts du chef de l’application de la clause pénale, c’est que son préjudice a été réparé et que, par voie de conséquence, l’objet du litige potentiel susceptible de l’opposer au débiteur est épuisé.

Aussi, sera-t-il irrecevable à agir en responsabilité contractuelle une fois le montant de la clause pénale réglé. Encore faut-il que les conditions de mise en œuvre de la clause pénale soient réunies.

1. Les conditions de mise en œuvre de la clause pénale

a. Une inexécution contractuelle

La clause pénale vise à sanctionner une inexécution contractuelle, indépendamment du préjudice susceptible d’être causé au créancier.

L’inexécution donnant lieu à la mise en œuvre de la clause pénale doit néanmoins avoir été définie contractuellement pas les parties.

Autrement dit, il doit avoir été prévu, dans le contrat, le fait générateur qui ouvrira le droit au paiement de pénalités.

Quant à la nature de l’inexécution, elle peut consister, tant en un retard, qu’en l’absence de délivrance de la chose. Plus généralement elle consiste en la fourniture d’une prestation non conforme aux stipulations contractuelles.

À cet égard, il est indifférent que l’inexécution sanctionnée porte ou non sur une obligation essentielle : ce qui importe c’est que l’obligation en cause soit expressément visée par la clause pénale.

En cas de survenance d’une cause étrangère ayant pour effet d’empêcher le débiteur d’exécuter son obligation, la jurisprudence admet que le jeu de la clause pénale est neutralisé, sauf stipulation contraire (V. en ce sens Cass. req. 3 déc. 1890)

Ainsi, pour que les pénalités soient dues, l’inexécution contractuelle doit être imputable au débiteur.

Enfin, il convient d’observer que l’inexécution du contrat est une condition suffisante à la mise en œuvre de la clause pénale. Des pénalités pourront, dans ces conditions, être dues au créancier même en l’absence de préjudice (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 janv. 1994, n°91-19.540).

C’est là tout l’intérêt de la clause pénale, elle ne remplit pas seulement une fonction réparatrice : elle vise également à sanctionner une inexécution contractuelle.

b. La mise en demeure du débiteur

L’article 1231-5 du Code civil dispose que « sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. »

Ainsi, la mise en œuvre de la clause pénale suppose, au préalable, la mise en demeure de la clause pénale, faute de quoi les pénalités ne sont pas dues.

Cette exigence est directement reprise de l’ancien article 1230 du Code civil qui prévoyait que « soit que l’obligation primitive contienne, soit qu’elle ne contienne pas un terme dans lequel elle doive être accomplie, la peine n’est encourue que lorsque celui qui s’est obligé soit à livrer, soit à prendre, soit à faire, est en demeure. »

Si la mise en demeure est la règle, le créancier en sera dispensé lorsque l’inexécution de l’obligation est définitive, soit lorsque le débiteur ne sera pas en mesure de surmonter son retard. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il a failli à son obligation d’acheminer au pli avant une date butoir.

En tout état de cause, dans les cas où elle est exigée, la mise en demeure devra être adressée au débiteur selon les formes prévues aux articles 1344 et suivants du Code civil.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution d’une obligation vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de tenir en échec la demande d’application de la clause pénale formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

2. La révision judiciaire de la clause pénale

Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si le montant de la clause pénale était susceptible de faire l’objet d’une révision par le juge lorsque le préjudice effectivement subi par le créancier ne correspond pas au montant des pénalités dues.

  • D’un côté, il a été avancé que l’exercice de ce pouvoir de révision par le juge est justifié lorsque le montant de clause pénale est manifestement excessif.
  • D’un autre côté, il est fait interdiction au juge de modifier les prévisions des parties, sauf pour les cas de contrariété d’une clause à l’ordre public

En réaction à la jurisprudence qui avait refusé d’annuler les clauses pénales dont le montant était excessif au motif qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les relations contractuelles des parties, le législateur lui a reconnu ce pouvoir par l’adoption de la loi du 9 juillet 1975.

Il était ainsi prévu à l’ancien article 1152, al. 2 du Code civil que « le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. »

Ce pouvoir de révision de la clause pénale octroyé au juge a été confirmé par l’ordonnance du 10 février 2016 qui a repris, dans les mêmes termes, à l’article 1231-5, al. 2 du Code civil, le second alinéa de l’ancien article 1152.

Ainsi, la révision de la clause pénale doit demeurer exceptionnelle : ce n’est que dans l’hypothèse où l’écart entre le préjudice subi et le montant des pénalités dues est manifestement excessif que la clause peut être révisée.

Cette révision peut conduire le juge, tant à augmenter le montant de la clause, qu’à le diminuer, ce qui sera le plus souvent le cas.

Il doit donc se livrer à une sorte de contrôle de proportionnalité, étant précisé qu’il est interdit au juge de se référer, tant au comportement du débiteur (V. en ce sens Cass. com. 11 févr. 1997, n°95-10.851), qu’à sa situation financière (Cass. 1ère civ., 14 nov. 1995, n°94-04.008).

Le juge n’est autorisé à apprécier le caractère excessif du montant de la clause qu’au regard du préjudice effectivement subi par le créancier. À cet égard, la jurisprudence admet qu’il puisse se faire assister d’un expert (Cass. 3e civ., 13 nov. 2003, n°01-12.646).

Dans l’hypothèse où le juge estime que la clause est manifestement excessive, aucune obligation ne lui est faite de ramener son montant au niveau du préjudice subi par le créancier.

Par ailleurs, dans un arrêt du 24 juillet 1978, la Cour de cassation a précisé que s’« ‘il appartient aux juges du fond, souverains dans l’appréciation du préjudice subi par le créancier, de fixer librement le montant de l’indemnité résultant de l’application d’une clause pénale dès lors qu’ils l’estiment manifestement excessive », ils ne peuvent toutefois pas « allouer une somme inférieure au montant du dommage » (Cass. 1ère civ. 24 juill. 1978, n°77-11.170).

Il existe donc un seuil qui s’impose au juge – le montant du préjudice subi par le créancier – en deçà duquel les pénalités dues ne peuvent pas être réduites.

Les solutions ci-dessus énoncées valent non seulement en cas d’inexécution totale de l’obligation sanctionnée par la clause pénale, mais également en cas d’inexécution partielle.

L’alinéa 3 de l’article 1231-5, qui lui reprend les termes de l’ancien article 1231, dispose en ce sens que « lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent. »

B) Les clauses limitatives de responsabilité

1. Le principe de validité des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité

Alors que l’on assiste à une convergence des règles qui régissent la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle, une différence subsiste : tandis que la première peut être limitée, voire écartée par le jeu d’une convention, la seconde ne peut souffrir d’aucun aménagement contractuel.

  • S’agissant de la responsabilité délictuelle
    • La jurisprudence a toujours condamné les clauses limitatives de réparation en matière délictuelle lorsqu’elles concernent des cas de responsabilité pour faute.
    • Dans un arrêt du 5 juillet 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du code civil, sont d’ordre public et que leur application ne peut être neutralisée contractuellement par anticipation, de sorte que sont nulles les clauses d’exonération ou d’atténuation de responsabilité en matière délictuelle » (Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017, n°16-13.407).
    • La haute juridiction admet, en revanche, de telles clauses dans le cadre de régimes de responsabilité pour faute présumée ou de responsabilité sans faute.
    • Est ainsi licite la clause par laquelle des propriétaires d’animaux décident de s’affranchir de l’application des dispositions de l’article 1385 du code civil, lesquelles mettent en place une responsabilité de plein droit du propriétaire d’animaux pour les dommages causés par ces derniers (V. en ce sens Cass. req. 16 nov. 1931).
    • La pertinence du maintien d’une exclusion de toute possibilité d’aménagement contractuel en matière de responsabilité pour faute prouvée est discutée.
    • Certains auteurs estiment en effet souhaitable d’autoriser des clauses limitatives ou exonératoires dans des conditions plus proches de celles existant en matière contractuelle.
    • Ces derniers sont, semble-t-il, en passe d’être entendus puisque le projet de réforme du droit de la responsabilité civile envisage d’autoriser la stipulation de telles clauses, dès lors qu’elles ne visent pas à limiter ou exclure l’indemnisation en cas de dommage corporel (art. 1281 C. civ.).
  • S’agissant de la responsabilité contractuelle
    • Parce que le débiteur n’est tenu de réparer que le préjudice prévisible, soit celui prévu par les parties au contrat, la jurisprudence a admis, très tôt, la validité des clauses limitatives de responsabilité (
    • Les juridictions sont, à cet égard, allées plus loin en autorisant les parties, au nom de la liberté contractuelle, à stipuler des clauses qui exonèrent de toute responsabilité (V. en ce sens Cass. civ. 15 juin 1959, n°57-12.362).
    • À l’examen, la validité des clauses exonératoires et limitatives de responsabilité n’a nullement été remise en cause par la réforme du droit des obligations.
    • Le nouvel article 1231-3 du Code civil prévoit, en effet, que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat ».

Au total, seules les clauses exonératoires ou limitatives en matière de responsabilité contractuelle bénéficient d’une validité de principe.

Elles sont particulièrement fréquentes, par exemple, dans les contrats de transport ou de déménagement, dans lesquels sont insérées des clauses dont l’objet est de fixer, une fois la faute contractuelle établie, le maximum des dommages et intérêts que le créancier pourra recevoir, c’est-à-dire, en d’autres termes, un plafond de réparation.

Reste, que la stipulation de ces clauses est prohibée dans un certain nombre de contrats, sans compter que leurs effets sont susceptibles d’être neutralisés dans plusieurs situations.

2. Les exceptions au principe de validité des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité

Bien que, en matière de responsabilité contractuelle, la validité des clauses limitatives et exonératoires de responsabilité soit, par principe, admise, certains textes encadrent, voire prohibent leur stipulation.

Aux côtés de ces textes spéciaux qui tendent à se multiplier et intéressent des matières pour le moins variées, il faut également compter sur une disposition de portée générale, introduite par l’ordonnance de 10 février 2016, qui vise à réputer non-écrite toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

2.1 Les textes spéciaux qui prohibent de l’aménagement conventionnel de la responsabilité

De nombreux textes spéciaux prohibent donc la stipulation de clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité :

  • En matière de contrat de travail, l’article L. 1231-4 du Code du travail prévoit que l’employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles qui régissent le licenciement, soit, en particulier, celles qui gouvernent les indemnités de rupture
  • En matière de contrat de bail d’habitation, l’article 4, m) de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs prohibe toute clause « qui interdit au locataire de rechercher la responsabilité du bailleur ou qui exonère le bailleur de toute responsabilité »
  • En matière de contrat de consommation, l’article R. 212-1, 6° du Code de la consommation dispose que « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de […] supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations »
  • En matière de contrat de vente volontaire de meubles aux enchères publiques, l’article 321-14 du Code de commerce prévoit que « les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont responsables à l’égard du vendeur et de l’acheteur de la représentation du prix et de la délivrance des biens dont elles ont effectué la vente. Toute clause qui vise à écarter ou à limiter leur responsabilité est réputée non écrite. »
  • En matière de contrat d’hôtellerie, l’article 1953, al. 2 du Code civil pose que, d’une part, les hôteliers « sont responsables du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel », d’autre part, que « cette responsabilité est illimitée, nonobstant toute clause contraire, au cas de vol ou de détérioration des objets de toute nature déposés entre leurs mains ou qu’ils ont refusé de recevoir sans motif légitime. »
  • En matière de contrat de louage d’ouvrage, l’article 1792-5 du Code civil prévoit que « toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de limiter la responsabilité [du constructeur], soit d’exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée non écrite »
  • En matière de contrat de transport de marchandises, l’article 133-1 du Code de commerce énonce que « le voiturier est garant de la perte des objets à transporter, hors les cas de la force majeure. […]. Toute clause contraire insérée dans toute lettre de voiture, tarif ou autre pièce quelconque, est nulle. »
  • En matière de contrat de transport maritime, l’article L. 5422-15 du Code des transports dispose que « est nulle et de nul effet toute clause ayant directement ou indirectement pour objet ou pour effet […] de soustraire le transporteur à la responsabilité définie par les dispositions de l’article L. 5422-12 »

En dehors des textes spéciaux qui prohibent l’aménagement conventionnel de la responsabilité, c’est le droit commun qui s’applique. Or en droit, commun, les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité sont valides, sous réserve qu’elles ne portent pas atteinte à une obligation essentielle du contrat.

2.2 L’atteinte à une obligation essentielle du contrat

L’article 1170 du Code civil prévoit que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil, ce texte trouve notamment à s’appliquer aux clauses limitatives et exonératoires de responsabilité.

La codification de cette dernière solution, sur une question qui a donné lieu à de nombreux arrêts parfois inconciliables, permet de fixer clairement le droit positif sur le sort de ces clauses.

Contrairement à ce qu’avaient pu retenir certaines décisions de la Cour de cassation, une clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle du débiteur ne sera pas nécessairement réputée non écrite : elle n’est prohibée que si elle contredit la portée de l’engagement souscrit, en vidant de sa substance cette obligation essentielle.

a. La construction de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

a.1 La saga Chronopost

En résumant à gros trait, dans le cadre de l’affaire Chronopost, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si une clause stipulée en contradiction avec l’engagement principal pris par l’une des parties pouvait faire l’objet d’une annulation.

C’est sur le terrain de la cause que la Cour de cassation a tenté de répondre en se servant de cette notion comme d’un instrument de contrôle de la cohérence du contrat, ce qui n’a pas été sans alimenter le débat sur la subjectivisation de la cause.

Afin de bien saisir les termes du débat auquel a donné lieu la jurisprudence Chronopost, revenons sur les principales étapes de cette construction jurisprudentielle qui a conduit à l’introduction d’un article 1170 du Code civil.

i. Premier acte : arrêt Chronopost du 22 octobre 1996

Arrêt Chronopost I

(Cass. com. 22 oct. 1996)

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, que la société Banchereau a confié, à deux reprises, un pli contenant une soumission à une adjudication à la société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI ; que ces plis n’ayant pas été livrés le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi que la société Chronopost s’y était engagée, la société Banchereau a assigné en réparation de ses préjudices la société Chronopost ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Attendu que, pour débouter la société Banchereau de sa demande, l’arrêt retient que, si la société Chronopost n’a pas respecté son obligation de livrer les plis le lendemain du jour de l’expédition avant midi, elle n’a cependant pas commis une faute lourde exclusive de la limitation de responsabilité du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Banchereau dans un délai déterminé, et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 juin 1993, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen.

?Faits

Une société (la société Chronopost), spécialiste du transport rapide, s’est engagée à livrer sous 24 heures un pli contenant une réponse à une adjudication.

Le pli arrive trop tard, de sorte que la société cliente ne parvient pas à remporter l’adjudication.

?Demande

La société cliente demande réparation du préjudice subi auprès du transporteur

Toutefois, la société Chronopost lui oppose une clause qui limite sa responsabilité au montant du transport, soit 122 francs.

?Procédure

Par un arrêt du 30 juin 1993, la Cour d’appel de Rennes, déboute la requérante de sa demande.

Les juges du fond estiment que la responsabilité contractuelle du transporteur n’aurait pu être recherchée que dans l’hypothèse où elle avait commis une faute lourde.

Or selon la Cour d’appel le retard dans la livraison du pli ne constituait pas une telle faute.

En conséquence, le client du transporteur ne pouvait être indemnisé du préjudice subi qu’à hauteur du montant prévu par le contrat soit le coût du transport : 122 francs.

?Solution

Par un arrêt du 22 octobre 1996, la chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 22 oct. 1996, n°93-18.632).

La Cour de cassation affirme, au soutien de sa décision que dans la mesure où la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant, à ce titre, la fiabilité et la célérité de son service, s’était engagée à livrer les plus de son client dans un délai déterminé, « en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».

?Analyse

Tout d’abord, il peut être observé que, en visant l’ancien article 1131 du Code civil, la Cour de cassation assimile à l’absence de cause l’hypothèse où la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité a pour effet de contredire la portée de l’obligation essentielle contractée par les parties.

En l’espèce, la société Chronopost, spécialisée dans le transport rapide, s’est engagée à acheminer le plus confié dans un délai déterminé en contrepartie de quoi elle facture à ses clients un prix bien supérieur à ce qu’il est pour un envoi simple par voie postale.

En effet, c’est pour ce service, en particulier, que les clients de la société Chronopost, se sont adressé à elle, sinon pourquoi ne pas s’attacher les services d’un transporteur classique dont la prestation serait bien moins chère.

Ainsi, y a-t-il manifestement dans le délai rapide d’acheminement une obligation essentielle soit une obligation qui constitue l’essence même du contrat : son noyau dur.

Pourtant, la société Chronopost a inséré dans ses conditions générales une clause aux termes de laquelle elle limite sa responsabilité, en cas de non-respect du délai d’acheminement fixé, au montant du transport, alors même que le préjudice subi par le client est sans commune mesure.

D’où la question posée à la Cour de cassation : une telle clause ne vide-t-elle pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat, laquelle n’est autre que la stipulation en considération de laquelle le client s’est engagé ?

En d’autres termes, peut-on envisager que la société Chronopost s’engage à acheminer des plis dans un délai rapide et, corrélativement, limiter sa responsabilité en cas de non-respect du délai stipulé à la somme de 122 francs ?

Il ressort du présent arrêt, que la Cour de cassation répond par la négative à cette question.

Elle estime, en ce sens, que la stipulation de la clause limitative de responsabilité était de nature à contredire la portée de l’engagement pris au titre de l’obligation essentielle du contrat.

En réduisant à presque rien l’indemnisation en cas de manquement à l’obligation essentielle du contrat, la clause litigieuse vide de sa substance ladite obligation.

Aussi, cela reviendrait, selon la Cour de cassation qui vise l’article 1131 du Code civil, à priver de cause l’engagement du client, laquelle cause résiderait dans l’obligation d’acheminer le pli dans un délai déterminé.

Elle en déduit que la clause limitative de responsabilité doit être réputée non-écrite.

?Critiques

Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de la solution retenue par la haute juridiction

  • Le visa de la solution
    • Pourquoi annuler la clause du contrat sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil alors même qu’il existe une contrepartie à l’obligation de chacun des contractants ?
      • La contrepartie de l’obligation de la société Chronopost consiste en le paiement du prix par son client.
      • La contrepartie de l’obligation du client consiste quant à elle en l’acheminement du pli par Chronopost.
    • Jusqu’alors, afin de contrôler l’existence d’une contrepartie, le contrat était appréhendé globalement et non réduit à une de ses clauses en particulier.
  • La subjectivisation de la cause
    • Autre critique formulée par les auteurs, la Cour de cassation se serait attachée, en l’espèce, à la fin que les parties ont poursuivie d’un commun accord, ce qui revient à recourir à la notion de cause subjective alors que le contrôle de l’existence de contrepartie s’opère, classiquement, au moyen de la seule cause objective.
    • Pour la Cour de cassation, en concluant un contrat de transport rapide, les parties ont voulu que le pli soit acheminé à son destinataire dans un certain délai.
    • Or, si l’on s’en tient à un contrôle de la cause objective (l’existence d’une contrepartie), cela ne permet pas d’annuler la clause limitative de responsabilité dont la mise en œuvre porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat : l’obligation de délivrer le pli dans le délai convenu.
    • Pour y parvenir, il est en effet nécessaire d’apprécier la validité des clauses du contrat en considération de l’objectif recherché par les contractants.
    • Le recours à la notion de cause subjective permet alors d’écarter la clause qui contredit la portée de l’engagement pris, car elle entrave la fin poursuivie et ainsi la cause qui a déterminé les parties à contracter.
    • Tel est le cas de la clause limitative de responsabilité qui fait obstacle à la réalisation du but poursuivi par les parties, cette clause étant de nature à ne pas inciter la société Chronopost à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose afin d’exécuter son obligation, soit acheminer les plis qui lui sont confiés dans le délai stipulé.
    • Au total, la conception que la Cour de cassation se fait de la cause renvoie à l’idée que la cause de l’obligation correspondrait au but poursuivi par les parties, ce qui n’est pas sans faire écho à l’arrêt Point club vidéo rendu le 3 juillet 1996, soit trois mois plus tôt, où elle avait assimilé le défaut d’utilité de l’opération économique envisagé par l’une des parties à l’absence de cause.
  • La sanction de l’atteinte à l’obligation essentielle
    • La cause étant une condition de validité du contrat, son absence était sanctionnée, en principe, par une nullité du contrat lui-même.
    • Tel n’est cependant pas le cas dans l’arrêt Chronopost où la Cour de cassation estime que la clause limitative de responsabilité est seulement réputée non-écrite.
    • Pourquoi cette solution ?
    • De toute évidence, en l’espèce, la Cour de cassation a statué pour partie en opportunité.
    • Si, en effet, elle avait prononcé la nullité du contrat dans son ensemble, cela aurait abouti au même résultat que si l’on avait considéré la clause valide :
      • Le client reprenait son pli
      • Chronopost reprend ses 122 francs.
    • Aussi, en réputant la clause non-écrite, cela permet d’envisager la question de la responsabilité contractuelle de la société Chronopost, la clause limitative de responsabilité ayant été neutralisée.
    • Plus largement, la sanction retenue participe d’un mouvement en faveur du maintien du contrat : plutôt que d’anéantir l’acte dans son ensemble, on préfère le maintenir, amputé de ses stipulations illicites.
    • La Cour de cassation parvient donc ici à une solution équivalente à laquelle aurait conduit l’application des règles relatives à la prohibition des clauses abusives.
    • Toutefois, ce corpus normatif ne trouve d’application que dans le cadre des relations entre professionnels et consommateurs, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, on peut estimer que la Cour de cassation s’est servie dans cet arrêt du concept de cause comme d’un instrument d’éradication d’une clause abusive stipulée dans un contrat qui, par nature, échappait au droit de la consommation.

ii. Deuxième acte : arrêt Chronopost du 9 juillet 2002

La solution retenue dans l’arrêt Chronopost n’a pas manqué de soulever plusieurs questions, dont une en particulier : une fois que l’on a réputé la clause limitative de responsabilité non-écrite comment apprécier la responsabilité de la société Chronopost ? Autrement dit, quelle conséquence tirer de cette sanction ?

Arrêt Chronopost II

(Cass. com. 9 juill. 2002)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 22 octobre 1996, bulletin n° 261), qu’à deux reprises, la société Banchereau a confié à la Société française de messagerie internationale (SFMI), un pli destiné à l’office national interprofessionnel des viandes, de l’élevage et de l’agriculture en vue d’une soumission à une adjudication de viande ; que ces plis n’ayant pas été remis au destinataire le lendemain de leur envoi, avant midi, ainsi que la SFMI s’y était engagée, la société Banchereau n’a pu participer aux adjudications ;

qu’elle a assigné la SFMI en réparation de son préjudice ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8, paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er et 15 du contrat type messagerie, établi par décret du 4 mai 1988, applicable en la cause ;

Attendu que pour déclarer inapplicable le contrat type messagerie, l’arrêt retient que le contrat comporte une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité qui rend inapplicable les dispositions du droit commun du transport ;

Attendu qu’en statuant ainsi, après avoir décidé que la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du deuxième moyen et sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;

  • Faits
    • La Cour de cassation est amenée à se prononcer une seconde fois sur l’affaire Chronopost jugée une première fois par elle le 22 octobre 1996.
    • Elle statue ici sur le pourvoi formé par la société Chronopost contre l’arrêt rendu sur renvoi le 5 janvier 1999 par la Cour d’appel de Rouen.
  • Problématique
    • À l’instar du contrat vente, de bail ou encore de prêt, le contrat de messagerie est encadré par des dispositions réglementaires.
    • Plus précisément il est réglementé par le décret du 4 mai 1988 qui organise son régime juridique.
    • Aussi, dans le deuxième volet de l’affaire Chronopost, la question s’est posée de savoir si le décret du 4 mai 1988 réglementant les contrats de type transport était applicable au contrat conclu entre la société Chronopost et son client ou si c’est le droit commun de la responsabilité contractuelle qui devait s’appliquer.
    • Quel était l’enjeu ?
      • Si le décret s’applique, en cas de non-acheminement du pli dans les délais par le transporteur, celui-ci prévoit une clause équivalente à celle déclarée nulle par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 octobre 1996 : le remboursement du montant du transport, soit la somme de 122 francs, celle-là même prévue dans les conditions générales de la société Chronopost.
      • Si, au contraire, c’est le droit commun de la responsabilité qui s’applique, une réparation du préjudice subie par la société cliente du transporteur est alors envisageable.
  • Solution
    • Tandis que la Cour d’appel condamne la société Chronopost sur le terrain du droit commun (réparation intégrale du préjudice) estimant que le contrat type messagerie était inapplicable en l’espèce, la Cour de cassation considère que le décret du 4 mai 1988 avait bien vocation à s’appliquer (Cass. com. 9 juill. 2002, n°99-12.554).
    • Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que dans la mesure où la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, cela entraîne nécessairement « l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec ».
    • En appliquant le droit commun des transports, cela revient alors à adopter une solution qui produit le même effet que si elle n’avait pas annulé la clause litigieuse : le remboursement de la somme de 122 francs !
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise toutefois que le plafond légal d’indemnisation est susceptible d’être écarté en rapportant la preuve d’une faute lourde imputable au transporteur.
    • D’où la référence dans le visa, entre autres, à l’ancien article 1150 du Code civil qui prévoyait que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »
    • La solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2002 a immédiatement soulevé une nouvelle question :le manquement à une obligation essentielle du contrat pouvait être assimilé à une faute lourde, ce qui dès lors permettrait d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.

iii. Troisième acte : arrêts Chronopost du 22 avril 2005

Arrêts Chronopost III

(Cass. ch. mixte, 22 avril 2005)

Première espèce

Attendu, selon l’arrêt attaqué que la société D… France (la société D…) ayant décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de sa candidature qui n’est parvenue à destination que le 26 mai 1999 ; que la société D… a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard du contrat-type “messagerie” ; Sur le second moyen :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8 paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu que pour écarter le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type “messagerie” et condamner la société Chronopost à payer à la société D… la somme de 100 000 francs, l’arrêt retient que la défaillance de la société Chronopost consistant en un retard de quatre jours, qualifié par elle-même “d’erreur exceptionnelle d’acheminement”, sans qu’elle soit en mesure d’y apporter une quelconque explication, caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société Chronopost, l’arrêt rendu le 24 mai 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Seconde espèce

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 7 février 2003), que le 31 décembre 1998, la société Dubosc et Landowski (société Dubosc) a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes ; que le dossier qui aurait dû parvenir au jury avant le 4 janvier 1999, a été livré le lendemain ; que la société Dubosc, dont la candidature n’a pu de ce fait être examinée, a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard figurant au contrat-type annexé au décret du 4 mai 1988 ;

Attendu que la société Dubosc fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Chronopost à lui payer seulement la somme de 22,11 euros, alors, selon le moyen, “que l’arrêt relève que l’obligation de célérité, ainsi que l’obligation de fiabilité, qui en est le complément nécessaire, s’analysent en des obligations essentielles résultant de la convention conclue entre la société Dubosc et la société Chronopost ; que l’inexécution d’une obligation essentielle par le débiteur suffit à constituer la faute lourde et à priver d’effet la clause limitative de responsabilité dont le débiteur fautif ne peut se prévaloir pour s’exonérer de la réparation du préjudice qui en résulte pour le créancier ; qu’en décidant que faute d’établir des faits précis caractérisant la faute lourde du débiteur, le créancier ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du prix du transport, la cour d’appel a violé les articles 1131, 1134, 1147 et 1315 du Code civil, 8, alinéa 2, de !a loi du 30 décembre 1982, 1 et 15 du contrat messagerie établi par le décret du 4 mai 1988″ ;

Mais attendu qu’il résulte de l’article 1150 du Code civil et du décret du 4 mai 1988 portant approbation du contrat-type pour le transport public terrestre de marchandises applicable aux envois de moins de trois tonnes pour lesquels il n’existe pas de contrat-type spécifique que, si une clause limitant le montant de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, seule une faute lourde, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat-type établi annexé au décret ;

Qu’ayant énoncé à bon droit que la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il convenait de limiter l’indemnisation de la société Dubosc au coût du transport ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • Dans la première espèce
    • Une société qui avait décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de
    • Sa candidature n’est cependant parvenue à destination que le 26 mai 1999 en raison d’un retard dans l’acheminement du pli.
  • Dans la seconde espèce
    • Une société a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes.
    • Le dossier devait parvenir au jury avant le 4 janvier 1999.
    • Toutefois, il n’est délivré que le lendemain.

?Demande

Dans les deux arrêts, les clients de la société Chronopost demandent réparation du préjudice occasionné du fait du retard de livraison du pli confié au transporteur

?Procédure

  • Première espèce
    • Par un arrêt du 24 mai 2002, la Cour d’appel de Paris accède à la requête du client de la société Chronopost.
    • Les juges du fond estiment que le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type messagerie devait être écarté dans la mesure où le retard d’acheminement du pli qui avait été confié à la société Chronopost « caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ».
  • Seconde espèce
    • Par un arrêt du 7 février 2003, la Cour d’appel de Versailles déboute le client de la société Chronopost de sa demande.
    • Les juges du fond estiment dans cette espèce que si l’obligation de livrer dans les délais le pli confié au transporteur constitue une obligation essentielle du contrat, le manquement à cette obligation ne suffit pas à caractériser une faute lourde.
    • Dès lors, pour la Cour d’appel de Versailles, il n’y a pas lieu d’écarter le plafond d’indemnisation prévu par le décret qui réglemente les contrats-type messagerie.

?Solution

Tandis que dans la première espèce, la Chambre mixte casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, dans la seconde le pourvoi formé par le client de la société Chronopost est rejeté.

Deux enseignements peuvent être tirés des deux arrêts rendus le même jour par la chambre mixte le 22 avril 2005 :

  • Définition de la faute lourde
    • La Cour de cassation répond à l’interrogation née de l’arrêt du 9 juillet 2002 : la définition de la faute lourde
    • Aussi, dans la deuxième espèce jugée par la chambre mixte, la faute lourde est définie comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté ».
    • La faute lourde comprendrait donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif : l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • Faute lourde et manquement à l’obligation essentielle
    • Dans la première espèce la Cour de cassation estime que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°02-18.326).
    • Dans la seconde espèce, la haute juridiction affirme encore que « la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°03-14.112).
    • En d’autres termes, il résulte des deux arrêts rendus par la chambre mixte le 22 avril 2005 que le simple manquement à une obligation essentielle du contrat ne saurait caractériser à lui seul une faute lourde
    • Pour que la faute lourde soit retenue, il aurait fallu que soit établie, en plus, l’existence d’un élément subjectif : le comportement d’une extrême gravité confinant au dol.
    • Ainsi, était-il nécessaire de démontrer que la société Chronopost avait délibérément livré le pli qui lui a été confié en retard, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’espèce.
    • D’où le refus de la Cour de cassation d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.
    • La chambre mixte a dès lors fait le choix d’une approche extrêmement restrictive de la faute lourde, à tel point que les auteurs se sont demandé si cela ne revenait pas à exclure toute possibilité d’écarter le plafond légal d’indemnisation en raison de l’impossibilité de rapporter la preuve de la faute lourde.

iv. Quatrième acte : Arrêt Chronopost du 30 mai 2006

Arrêt Chronopost IV

(Cass. com. 30 mai 2006)

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que deux montres, confiées par la société JMB International à la société Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport ; que la société JMB International a contesté la clause de limitation de responsabilité que lui a opposée la société Chronopost ;

Attendu que pour débouter la société JMB International de toutes ses demandes, l’arrêt retient que celle-ci, qui faisait valoir le grave manquement de la société Chronopost à son obligation essentielle d’acheminement du colis à elle confié, avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a dit que l’action de la société JMB International était recevable et n’était pas prescrite, l’arrêt rendu le 11 mars 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris

  • Faits
    • Deux montres, confiées par une société au transporteur Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport.
  • Demande
    • La société cliente engage la responsabilité de Chronopost.
    • Au soutien de sa demande, elle avance que la clause limitative de responsabilité dont se prévaut le transporteur ne lui est pas opposable.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 mars 2004, la Cour d’appel de Paris déboute le client de la société Chronopost de toutes ses demandes.
    • Étonnamment, les juges du fond adoptent une solution pour le moins différente de la jurisprudence initiée par la Cour de cassation dix ans plus tôt.
    • Ils considèrent que, en confiant un pli à la société Chronopost pour qu’elle l’achemine jusqu’à son destinataire, elle « avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté »
    • La clause limitative de responsabilité était, dans ces conditions, parfaitement applicable à la société cliente.
    • Ainsi, la Cour d’appel refuse-t-elle d’apprécier la validité de la clause limitative de responsabilité en se demandant si elle ne portait pas atteinte à une obligation essentielle, ni même si la société Chronopost n’avait pas manqué à son obligation de délivrer le pli dans le délai prévu par le contrat.
  • Solution
    • Par un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 30 mai 2006, n°04-14.974).
    • Sans surprise, la chambre commerciale reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché « si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat »
    • Ainsi, la haute juridiction fait-elle une exacte application de la solution dégagée dans le premier arrêt Chronopost rendu le 22 octobre 1996.

v. Cinquième acte : Arrêt Chronopost du 13 juin 2006

Arrêt Chronopost V

(Cass. com. 13 juin 2006)

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1150 du code civil, l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Dole froid service a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi” ; que ce délai n’ayant pas été respecté, la société Dole froid service, dont l’offre n’a pu être examinée, a assigné la société Chronopost service en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour dire inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et du contrat type messagerie applicables en la cause et condamner en conséquence la société Chronopost à payer à la société Dole froid service la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice, l’arrêt retient que la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a condamné la société Chronopost à verser à la société Dole froid service la somme complémentaire de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts, l’arrêt rendu le 2 décembre 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

  • Faits
    • Une société a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi”.
    • Le délai de livraison n’ayant pas été respecté, l’offre n’a pu être examinée.
  • Demande
    • Le client de la société Chronopost engage sa responsabilité aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 décembre 2004, la Cour d’appel de Paris accède à la demande du demandeur en déclarant le plafond légal d’indemnisation inapplicable,
    • La Cour d’appel relève pour ce faire que « la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée »
    • Elle en déduit que, en l’espèce, la faute lourde ce qui, conformément à l’ancien article 1150 du Code civil, rendait inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 juin 2006, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond notamment au visa de l’article 1150 du Code civil (Cass. com. 13 juin 2006, n°05-12.619).
    • La chambre commerciale réitère ici la solution dégagée par la chambre mixte le 22 avril 2005 en affirmant que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
    • Or en l’espèce, le seul manquement susceptible d’être reproché au transporteur était de n’avoir pas exécuté son obligation essentielle, de sorte que cela n’était pas suffisant pour caractériser une faute lourde.
    • Pour y parvenir, la Cour de cassation rappelle que cela suppose de démontrer d’adoption par le transporteur d’un comportement d’une extrême gravité confinant au dol.

a.2 L’épilogue de la saga Chronopost : les arrêts Faurecia

La saga des arrêts Chronopost a donné lieu à un épilogue qui s’est déroulé en deux actes.

i. Premier acte : arrêt Faurecia du 13 février 2007

Arrêt Faurecia I

(Cass. com. 13 févr. 2007)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

[…]

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l’article 1131 du code civil ;

Attendu que, pour limiter les sommes dues par la société Oracle à la société Faurecia à la garantie de la condamnation de cette société au paiement de la somme de 203 312 euros à la société Franfinance et rejeter les autres demandes de la société Faurecia, l’arrêt retient que la société Faurecia ne caractérise pas la faute lourde de la société Oracle qui permettrait d’écarter la clause limitative de responsabilité, se contentant d’évoquer des manquements à des obligations essentielles, sans caractériser ce que seraient les premiers et les secondes et dès lors que de tels manquements ne peuvent résulter du seul fait que la version V 12 n’ait pas été livrée ou que l’installation provisoire ait été ultérieurement “désinstallée” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait, d’abord, constaté que la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12, ce dont il résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

?Faits

La société Faurecia a souhaité déployer sur ses sites en 1997 un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale

Conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999

Des contrats de licence, de maintenance et de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en œuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte

Dans l’attente de la livraison de la livraison du nouveau logiciel, une solution provisoire a été installée

Toutefois, cette solution provisoire ne fonctionnait pas correctement et la version V 12 du logiciel n’était toujours pas livrée.

La société Faurecia a dès lors cessé de régler les redevances dues à son fournisseur, la société Oracle, laquelle avait, entre-temps, cédé ses droits à la société Franfinance.

?Demande

La société Faurecia assigne alors la société Oracle ainsi que la société Deloitte aux fins d’obtenir la nullité des contrats conclus pour dol et subsidiairement leur résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties.

?Procédure

Par un arrêt du 31 mars 2005, la Cour d’appel de Versailles a estimé que l’indemnisation susceptible d’être allouée à la société Faurecia en réparation de son préjudice devait être limitée au montant prévu par la clause limitative de responsabilité.

Cette clause trouvait, en effet, pleinement à s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où la société Faurecia ne caractérisait pas la faute lourde de la société Oracle.

Les juges du fond avancent au soutien de cette affirmation que, non seulement la société Faurecia n’établit aucun des manquements aux obligations essentiels reprochés à la société Oracle, mais encore que ces manquements ne sauraient résulter du seul fait que le logiciel ne lui a pas été livré, ni que l’installation provisoire ait été ultérieurement désinstallée.

La solution de la Cour d’appel était ainsi, en tous points, conforme à la jurisprudence Chronopost de la Cour de cassation.

?Solution

Par un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Après avoir relevé que « la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12 », la cour de cassation considère que le manquement reproché à la société Oracle portait sur une obligation essentielle.

Or elle estime que pareil manquement « est de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt Faurecia I.

  • En premier lieu
    • Dès lors qu’une clause vient limiter la responsabilité du débiteur d’une obligation essentielle, elle doit être réputée non écrite.
    • Les clauses limitatives de responsabilité seraient, en somme, sans effet dès lors que le manquement reproché à une partie porterait sur une obligation essentielle.
  • En second lieu
    • Le seul manquement à une obligation essentielle suffit à caractériser la faute lourde.
    • Il s’agit donc de la solution radicalement opposée à celle adoptée par la Cour de cassation, par deux fois, dans ses arrêts du 22 avril 2005 et du 13 juin 2006.
    • Sur ce point, la chambre commerciale opère donc un revirement de jurisprudence.
    • Désormais, le simple manquement est suffisant quant à faire échec à la clause limitative de responsabilité.
    • Il n’est plus besoin de rapporter la preuve d’un comportement d’une extrême gravité imputable au débiteur de l’obligation essentielle.

?Analyse

La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt Faurecia I a été unanimement critiquée par la doctrine.

Les auteurs ont reproché à la chambre commerciale d’avoir retenu une solution « liberticide » en ce sens que cela revenait à priver les parties de la possibilité de stipuler une clause limitative de responsabilité dès lors qu’une obligation essentielle était en jeu.

L’application de cette jurisprudence aurait conduit, en effet, à considérer que seules les obligations accessoires au contrat pouvaient désormais faire l’objet d’une limitation de responsabilité, ce qui n’est pas sans porter atteinte à la liberté contractuelle des parties.

La Cour de cassation s’est, de la sorte, écartée de la solution dégagée dans l’arrêt Chronopost I où elle avait décidé que la clause limitative de responsabilité ne devait être réputée non écrite qu’à la condition que ladite clause prive la portée de l’engagement pris.

Dans l’arrêt Faurecia I, la chambre commerciale ne formule pas cette exigence.

Elle se satisfait de la seule présence dans le contrat, d’une clause limitative de responsabilité susceptible d’être activée en cas de manquement à une obligation essentielle.

Animée d’une volonté d’encadrer le recours aux clauses limitatives de responsabilité la Cour de cassation est, à l’évidence, allée trop loin.

Aussi, un retour à la solution antérieure s’est très rapidement imposé.

ii. Second acte : arrêt Faurecia du 29 juin 2010

Arrêt Faurecia II

(Cass. com. 29 juin 2010)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2008), que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; qu’elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre ces sociétés ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ; que la cour d’appel a, par application d’une clause des conventions conclues entre les parties, limité la condamnation de la société Oracle envers la société Faurecia à la garantie de la condamnation de celle-ci envers la société Franfinance et rejeté les autres demandes de la société Faurecia ; que cet arrêt a été partiellement cassé de ce chef (chambre commerciale, financière et économique, 13 février 2007, pourvoi n° Z 05-17.407) ; que, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel, faisant application de la clause limitative de réparation, a condamné la société Oracle à garantir la société Faurecia de sa condamnation à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel légal de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus dans les termes de l’article 1154 à compter du 1er mars 2002 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Faurecia fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l’arrêt relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications ; que la cour d’appel en a déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Faurecia fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, qu’après avoir constaté que la société Oracle n’avait pas livré la version V 12, en considération de laquelle la société Faurecia avait signé les contrats de licences, de support technique, de formation et de mise en oeuvre du programme Oracle applications, qu’elle avait ainsi manqué à une obligation essentielle et ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l’aurait empêchée d’accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d’appel a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une faute d’une gravité telle qu’elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil ;

Mais attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que les deuxième et quatrième moyens ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits / procédure

Après que dans l’arrêt Faurecia I, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel de Versailles, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

Par un arrêt du 26 novembre 2008, les juges parisiens, qui donc statuent sur renvoi, décident de résister à la chambre commerciale.

Ils estiment, en effet, que la clause limitative de responsabilité était pleinement applicable en l’espèce, conformément à la solution qui avait été adoptée par la première Cour d’appel qui avait été saisie.

?Solution

Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Faurecia contre la décision de la Cour d’appel de Paris (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

Deux questions étaient soumises à la chambre commerciale :

  • Première question : la clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle doit-elle être réputée non-écrite ?
    • À cette question, la Cour de cassation répond par la négative.
    • Elle affirme en ce sens que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »
    • Ainsi, la Cour de cassation renoue-t-elle à la solution classique dégagée dans l’arrêt Chronopost I.
    • Pour qu’une clause limitative de responsabilité soit annulée, elle doit vider de sa substance l’obligation essentielle.
    • Dans le cas contraire, elle demeure valide.
    • En l’espèce, la Chambre commerciale relève que « si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications »
    • Elle en déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle
    • Rien ne justifiait donc que ladite clause soit réputée non-écrite.
  • Seconde question : le manquement à une obligation essentielle est-il constitutif d’une faute lourde ?
    • La Cour de cassation renoue là aussi avec la solution antérieure.
    • Elle affirme que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur »
    • Le seul manquement à une obligation essentielle ne suffit donc pas à caractériser une faute lourde.
    • Il est nécessaire de démontrer l’existence d’un comportant d’une extrême gravité confinant au dol imputable au débiteur de l’obligation essentielle.
    • Or en l’espèce, la société Oracle n’a pas rapporté la preuve d’une telle faute.

Au total, avec l’arrêt Faurecia II la Cour de cassation renoue avec la jurisprudence Chronopost dont elle s’était écartée dans l’arrêt Faurecia I.

Le législateur n’a pas manqué de saluer ce revirement en consacrant la solution adoptée dans l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1170 du Code civil.

b. La consécration légale de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

Aux termes de l’article 1170 du Code civil « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Ainsi, le législateur a-t-il entendu consacrer la jurisprudence initiée par l’arrêt Chronopost I, puis qui s’est conclue sur l’arrêt Faurecia II.

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de la règle introduite par l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil.

?Sur le domaine d’application de la règle

Il peut tout d’abord être observé que, de par sa généralité, l’application de la règle édictée à l’article 1170 n’est pas cantonnée au domaine des clauses limitatives de responsabilité.

Cette disposition a vocation à s’appliquer à toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

On peut ainsi envisager que cela concerne, par exemple les clauses de non-concurrence qui seraient stipulées sans contrepartie.

Il peut encore s’agir des clauses dites de réclamation insérées dans les contrats d’assurance vie aux termes desquelles la victime d’un sinistre doit, pour être indemnisée par son assureur, présenté sa réclamation pendant la durée de validité du contrat. À défaut, la clause a pour effet de priver l’assuré de l’indemnisation d’un sinistre alors même que celui-ci est survenu pendant la durée d’efficacité du contrat et que les primes d’assurance ont été dûment réglées.

?Sur les conditions d’application de la règle

L’application de la règle édictée à l’article 1170 du Code civil est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • L’existence d’une obligation essentielle
    • Le législateur a repris à son compte la notion d’obligation essentielle dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost I
    • Que doit-on entendre par obligation essentielle ?
    • L’ordonnance du 10 février 2016 ne le dit pas.
    • Une ébauche de définition a été donnée par Pothier qui, dès le XVIIIe siècle, décrivaient les obligations essentielles comme celles « sans lesquelles le contrat ne peut subsister. Faute de l’une ou de l’autre de ces choses, ou il n’y a point du tout de contrat ou c’est une autre espèce de contrat ».
    • Il s’agit, autrement dit, de l’obligation en considération de laquelle les parties se sont engagées.
    • Ainsi, la réalisation de l’opération économique envisagée par les parties dépend de l’exécution de l’obligation essentielle.
    • Elle constitue, en somme, le pilier central autour duquel l’édifice contractuel tout entier est bâti.
  • La stipulation d’une clause qui viderait de sa substance l’obligation essentielle
    • L’ordonnance d’une 10 février 2016 conditionne l’annulation d’une clause sur le fondement de l’article 1170 du Code civil qu’à la condition qu’elle « prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur »
    • Ainsi, le législateur a-t-il choisi de reprendre à l’identique la solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Faurecia II ?
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Faurecia I, la Chambre commerciale avait estimé que dès lors qu’une clause limitative de responsabilité portait sur une obligation essentielle elle devait être réputée non écrite (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).
    • Sous le feu des critiques, la Cour de cassation a été contrainte de revoir sa position dans l’arrêt Faurecia II.
    • Dans cette décision, elle choisit de renouer avec la jurisprudence Chronopost en affirmant que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).
    • Si, indéniablement, l’article 1170 consacre cette solution, reste néanmoins une question en suspens : que doit-on entendre par « substance » ?
    • Plus précisément, qu’est-ce qu’une clause qui prive de sa substance une obligation essentielle ?
    • Dans l’arrêt Chronopost, la Cour de cassation s’était placée sur le terrain de la cause pour justifier sa solution.
    • Elle estimait, en effet, que la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité conduisait à priver de son intérêt l’utilité de l’opération économique convenue par les parties : l’acheminement du pli confié au transporteur dans un bref délai.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si le législateur a entendu assimiler la privation de l’obligation essentielle de sa substance à l’absence de cause, telle que, envisagée dans l’arrêt Chronopost, soit dans sa conception subjective ?
    • Si l’on compare les expressions « substance de l’obligation » (art. 1170) et « portée de l’obligation » (arrêt Chronopost), il apparaît que le sens de chacune d’elles est sensiblement différent.
      • Le terme substance renvoie à l’idée de contenu de l’obligation : en quoi consiste la prestation convenue par les parties ?
      • Le terme de portée renvoie quant à lui à l’idée de cause de l’obligation : pourquoi les contractants se sont-ils engagés ?
    • Aussi, selon que l’on raisonne sur la base de l’un ou l’autre terme, le champ d’application de l’article 1170 du Code civil est susceptible d’être plus ou moins étendu.
      • Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 1170, ne pourront être pris en considération que les éléments prévus dans le contrat pour apprécier la validité d’une clause qui affecterait une obligation essentielle
      • Si en revanche, l’on s’écarte de la lettre de l’article 1170 à la faveur d’une conception finaliste, pourront alors être pris en compte, les mobiles des parties, telle que l’utilité de l’opération économique envisagée individuellement par elles.
    • Pratiquement, la seconde conception offre, de toute évidence, une bien plus grande marge de manœuvre au juge qui pourra, pour apprécier la validité de la clause affectant une obligation essentielle, se référer à des éléments extérieurs au contrat : les mobiles des parties.

?La sanction de la règle

Le législateur a décidé d’étendre la sanction prévue initialement pour les seules clauses abusives, aux clauses qui portent atteinte à une obligation essentielle du contrat : elles sont réputées non-écrite.

Cela signifie que, non seulement la clause est privée d’effet, mais encore qu’elle disparaît du contrat.

La conséquence en est un retour immédiat au droit commun qui s’appliquera à la situation juridique, initialement réglée par les parties, mais qui, sous l’effet de la sanction du juge, est devenue orpheline de tout cadre contractuel.

Est-ce à dire que, dans les différents arrêts Chronopost la suppression de la clause limitative de responsabilité permettrait aux clients d’être indemnisés de leurs préjudices ?

S’agissant de ce cas spécifique, la réponse ne peut être que négative.

Le droit commun a prévu que, en matière de contrat-type message, l’indemnisation du préjudice en cas de retard de livraison du pli ne peut excéder un certain plafond, soit celui-là même fixé par la société Chronopost.

Une suppression de la clause serait donc inopérante, sauf à ce que le client soit susceptible d’établir une faute lourde à l’encontre du transporteur, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (V. notamment l’arrêt Faurecia II : Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

3. La neutralisation des effets des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité

Plusieurs moyens de droit sont susceptibles d’être invoqués aux fins de neutraliser les effets d’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité.

a. Les moyens de droit tirés de l’opposabilité de la clause

Pour être opposables, les clauses qui aménagent la responsabilité contractuelle doivent avoir été stipulées dans le contrat et acceptées par le cocontractant.

L’article 1119 du Code civil dispose en ce sens que « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. »

Il en résulte que la clause doit être insérée dans la documentation contractuelle et être lisible. S’il est admis qu’elle puisse figurer sur une facture, c’est à la condition qu’il soit établi que la partie contre laquelle elle est stipulée en a eu connaissance et qu’elle y a consenti.

Certaines juridictions ont pu déduire ce consentement, dans le cadre de relations d’affaires, de l’absence de contestation du cocontractant dans un certain délai.

Lorsque, par ailleurs, la clause est contredite par des mentions manuscrites ou des courriers échangés entre les parties, la Cour de cassation considère qu’elle est de pur style, en conséquence de quoi elle est privée d’effet.

Dans un arrêt du 14 octobre 2008, la chambre commerciale a ainsi jugé que « c’est sans dénaturation des conclusions de la société LCI mais par une interprétation souveraine de la portée de la mention “sans reconnaissance de responsabilité de la part des armateurs” que la cour d’appel, en relevant que cette mention était contredite par les courriers échangés, en a déduit qu’elle n’était qu’une clause de style dépourvue de valeur juridique » (Cass. com. 14 oct. 2008, n°07-18.955).

Enfin, en cas de discordance entre clauses contractuelles, l’interprétation du contrat doit se faire à la lumière des alinéas 2 et 3 de l’article 1119 du Code civil qui prévoient que :

  • D’une part, « en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet. »
  • D’autre part, « en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. »

Pour produire ses pleins effets, une clause limitative ou exonératoire de responsabilité doit ainsi, non seulement, être dépourvue de toute ambiguïté quant à sa formulation, mais encore ne pas être contredite par une autre clause du contrat, voire par les échanges qui ont pu intervenir entre les parties dans le cadre de la conclusion de l’acte.

b. Les moyens de droit tirés de la faute lourde ou dolosive

En application de l’article 1231-3 du code civil, les effets d’une clause exonératoire ou limitative de responsabilité peuvent être neutralisés en cas de faute lourde ou dolosive, le créancier de l’obligation violée étant alors fondé à réclamer la réparation intégrale de son préjudice.

Très tôt, la jurisprudence a abondé en ce sens. Dans un arrêt du 15 juin 1959 la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « seuls le dol ou la faute lourde de la partie qui invoque, pour se soustraire à son obligation, une clause d’irresponsabilité insérée au contrat et acceptée par l’autre partie, peuvent faire échec à l’application de ladite clause » (Cass. com., 15 juin 1959, n° 57-12.362)

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par faute dolosive et faute lourde.

Si les textes sont silencieux sur ce point, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 indique que « les articles 1231-3 et 1231-4 sont conformes aux articles 1150 et 1151, mais consacrent en outre la jurisprudence assimilant la faute lourde au dol, la gravité de l’imprudence délibérée dans ce cas confinant à l’intention. »

C’est donc vers la jurisprudence antérieure qu’il convient de se tourner pour déterminer ce que l’on doit entendre par faute lourde et par faute dolosive.

La différence entre les deux fautes tient, en substance, à l’intention de l’auteur de la faute :

  • La faute lourde
    • Elle est définie par la jurisprudence, selon la formule consacrée, comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté » (V. en ce sens Cass. Ch. Mixte 22 avr. 2005, n° 03-14.112).
    • La faute lourde comprend donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif: l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • La faute dolosive
    • Elle est définie quant à elle comme l’inexécution délibérée, et donc volontaire, des obligations contractuelles.
    • À cet égard dans un arrêt du 27 juin 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le constructeur […] est sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles » (Cass. 3e civ. 27 juin 2001, n°99-21.017).
    • Il ressort de la jurisprudence que la faute dolosive suppose que le débiteur ait seulement voulu manquer à ses obligations contractuelles. Il est indifférent qu’il ait voulu causer un préjudice à son cocontractant.

Nonobstant la différence qui existe entre ces deux notions, la faute lourde est régulièrement assimilée à la faute dolosive par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour de cassation a ainsi rappelé que « la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-responsabilité » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-21.980).

L’assimilation de la faute lourde à la faute dolosive aurait, selon le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, été reconduite par le législateur, de sorte que les solutions dégagées par la jurisprudence antérieure sont toujours valides.

En tout état de cause, lorsque la faute lourde ou la faute dolosive sont caractérisées, la clause limitative ou exonératoire de responsabilité est écartée à la faveur du principe de réparation intégrale qui trouve alors à s’appliquer.

  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

La clause pénale: régime juridique

L’aménagement conventionnel de la réparation – qui se distingue de l’aménagement de la responsabilité, puisqu’il ne porte que sur les effets de la responsabilité, même s’il peut avoir, en pratique, des effets semblables à une exonération de responsabilité – peut prendre deux formes :

  • Première forme
    • Il peut s’agir de clauses limitatives de réparation, se traduisant par une diminution du montant de la réparation.
  • Seconde forme
    • Il peut s’agir de clauses dites « pénales », par lesquelles les contractants évaluent forfaitairement et par avance les dommages et intérêts dus par le débiteur en cas d’inexécution totale ou partielle, ou d’exécution tardive du contrat.
    • Le forfait peut s’avérer soit plus élevé, soit plus faible que le préjudice résultant de l’inexécution de l’obligation.

Nous nous focaliserons ici sur la clause pénale.

?Notion

La clause pénale fait très souvent l’objet d’âpres discussions lors de la conclusion de contrats commerciaux. Et pour cause, c’est à ce moment précis de la négociation que les parties évoquent la question de la réparation du préjudice en cas de manquement contractuel du prestataire.

La clause pénale se définit comme la stipulation « par laquelle les parties déterminent, forfaitairement et d’avance, l’indemnité à laquelle donnera lieu l’inexécution de l’obligation contractée »[1].

En stipulant une clause pénale, les contractants cherchent à anticiper les difficultés liées à l’évaluation judiciaire des dommages et intérêts en cas d’inexécution totale, partielle ou tardive d’une obligation contractuelle. L’évaluation peut, de la sorte, être inférieure au montant du préjudice effectivement subi. Elle présentera alors de nombreuses similitudes avec les clauses limitatives de responsabilité.

Mais elle peut également prévoir une indemnisation supérieure au dommage susceptible d’être occasionné ; ce en vue de mettre la pression sur le débiteur pour qu’il satisfasse, spontanément, à ses engagements. Elle s’apparentera en ce cas à une peine privée.

Bien que la stipulation de cette clause tende à concurrencer, voire empiéter, sur le monopole juridictionnel de l’État[2], elle n’en a pas moins toujours été admise en droit français.

Ainsi, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil abordait-il les clauses pénales, d’abord, de manière générale, à l’article 1152, puis, de façon plus spécifique, aux articles 1226 et suivants.

Elle est désormais régie à l’article 1231-5 qui simplifie et synthétise, en un seul texte, l’essentiel des dispositions des anciens articles 1226 à 1233 et 1152 relatifs aux clauses pénales.

?Nature

Parce que la clause pénale emprunte ses caractères à de nombreuses figures juridiques, les opinions divergent quant à sa nature.

Pour certains, elle serait une peine privée contractuelle[3]. Les partisans de cette thèse le justifient en soutenant, tout d’abord, que la fonction principale de la clause pénale consiste à contraindre le débiteur à satisfaire à ses obligations.

Ainsi se caractériserait-elle, essentiellement, par sa fonction comminatoire[4]. Or cette fonction est inhérente à la notion de peine.

Le deuxième argument – déterminant – avancé par les tenants de la thèse répressive consiste à dire que l’inexécution d’une obligation contractuelle suffit à déclencher l’application de la clause pénale.

Aussi, comme en matière de peine, sa mise en œuvre est indépendante de la caractérisation d’un préjudice. Enfin, si la clause pénale s’apparente à une peine privée cela s’explique par le fait que son montant est forfaitaire, de sorte que la gravité du manquement sanctionné est sans importance.

Dès lors qu’une inexécution est constatée, le débiteur doit s’acquitter de l’intégralité du montant prévu contractuellement par la clause. Bien que les arguments qui abondent dans le sens de la thèse répressive soient pour le moins séduisants, cette thèse ne fait pas l’unanimité.

Pour des auteurs tels que Demolombe, Josserand ou encore Philippe Le Tourneau, la clause pénale ne serait, en réalité, qu’une clause de dommages-intérêts. L’argument principal avancé repose sur l’ancien article 1229 du Code civil qui disposait que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale ».

Sa fonction principale serait donc la réparation ; une réparation qui viendrait se substituer à l’évaluation judiciaire. D’où la règle énoncée à l’alinéa 2 de l’article 1229, qui prévoyait que le bénéfice de la clause pénale ne peut pas se cumuler avec l’exécution de l’obligation principale.

Le principe de non-cumul posé par cette disposition démontrerait que la clause pénale a vocation à réparer et non à punir. Là encore, les arguments avancés au soutien de la thèse réparatrice sont extrêmement convaincants.

Les auteurs qui la soutiennent demeurent néanmoins minoritaires. Au surplus, la définition de la clause pénale posée par l’ancien article 1229 du Code civil n’a pas été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016, ce qui n’est pas, désormais, sans priver leur raisonnement de base légale.

À l’examen, la majorité des auteurs estiment que la vérité se situerait au milieu, soit entre la thèse répressive et la thèse réparatrice.

Autrement dit, la clause pénale revêtirait une nature hybride. La conjugaison de sa fonction comminatoire et réparatrice ferait d’elle, tout à la fois une peine privée et une clause de dommages-intérêts.

Pour justifier cette thèse il est avancé que, dans la mesure où le montant fixé conventionnement par les parties peut être inférieur ou supérieur au préjudice éprouvé par le créancier, la clause pénale s’apparenterait, tantôt à une clause limitative de responsabilité, tantôt à une peine privée. D’où sa nature hybride.

Au total, il apparaît que, tant les théories monistes, que la théorie dualiste sont séduisantes : chaque thèse a le mérite, en faisant ressortir un ou plusieurs traits saillants de la clause pénale, de lever un peu plus le voile sur sa nature.

À cet égard, nonobstant leurs divergences, ces thèses partagent toutes un point en commun : les auteurs admettent, en effet, unanimement que la clause pénale remplit une fonction réparatrice.

Et si, pour les partisans de la thèse répressive, cette fonction n’est qu’accessoire, elle n’en demeure pas moins pour eux une caractéristique de la clause pénale. Denis Mazeaud affirme en ce sens que « quand un préjudice a été causé par l’inexécution illicite imputable au débiteur, la peine fait accessoirement fonction de réparation »[5].

Elle remplit ainsi la même fonction que la responsabilité contractuelle, à la différence près, néanmoins, que la clause pénale vise, non pas à réparer le préjudice effectivement subi par le cocontractant, mais à allouer au créancier une indemnité de réparation forfaitaire.

?Le caractère forfaitaire de la clause pénale

L’article 1231-5 du Code civil prévoit que « lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. »

Il s’infère de cette disposition que la clause pénale présente un caractère forfaitaire, en ce sens que, en cas d’inexécution contractuelle, elle fera office d’indemnité de réparation indépendamment du montant du préjudice subi par le créancier.

L’enjeu pour les parties sera alors de fixer un montant de la clause pénale qui, d’une part, ne risque pas d’être révisé par le juge, parce qu’excessif, d’autre part, qui soit suffisamment élevé pour correspondre au préjudice qu’elle vise à réparer.

Conséquence, du caractère forfaitaire de la clause pénale, d’aucuns soutiennent qu’elle est libératoire.

?Le caractère libératoire de la clause pénale

Dans la pratique, il est un débat récurrent qui revient entre les parties : la clause pénale est-elle ou non libératoire ? L’enjeu de cette question ne saurait être mésestimé.

Dans l’hypothèse où elle le serait, le paiement de la pénalité par la partie qui a manqué à son obligation ferait purement et simplement obstacle à l’introduction postérieure, par le créancier, d’une action en responsabilité contractuelle devant les tribunaux.

À l’inverse, si l’on admettait que la clause pénale ne présente aucun caractère libératoire, cela signifierait que l’allocation de dommages et intérêts conventionnels pourrait se cumuler avec une indemnisation judiciaire. L’hésitation entre les deux thèses est permise.

D’un côté, lorsque la clause pénale stipule que le débiteur devra payer une indemnité en cas de retard dans l’exécution de sa prestation, elle se rapproche très fortement de l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte par le juge est indépendant de l’octroi au créancier de dommages et intérêts (Cass. 1ère civ., 28 fév. 1989, n°85-16.973).

D’un autre côté, la clause pénale vise à indemniser les conséquences d’un manquement à une obligation contractuelle. Il apparaîtrait dès lors troublant que le créancier puisse bénéficier d’une double indemnisation, avec le risque que le montant des dommages et intérêts cumulés soit supérieur à celui qui lui aurait été alloué judiciairement.

Reste que si la clause pénale se voit assigner, même accessoirement, une fonction réparatrice, il peut en être réduit qu’elle revêt, corrélativement, un caractère libératoire.

L’ancien article 1229 du Code civil prévoyait en ce sens que « la clause pénale est la compensation des dommages et intérêts ». Par compensation il fallait comprendre que l’indemnité perçue par le créancier supplante l’indemnité réparatrice qui lui aurait été allouée par le juge.

À cet égard, on peut ainsi lire sous la plume d’éminents auteurs que « l’évaluation conventionnelle des dommages-intérêts est substituée à l’évaluation judiciaire qu’elle rend inutile »[6].

Par ailleurs, si la clause pénale n’était pas libératoire, rien ne la distinguerait de l’astreinte. Or le prononcé d’une astreinte peut se cumuler avec l’octroi de dommages et intérêts (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 28 fév. 1989, n°85-16.973).

L’application de la clause pénale ne saurait, en conséquence, se cumuler avec l’octroi d’une indemnisation judiciaire. La Cour de cassation abonde indirectement en ce sens lorsqu’elle admet qu’un cumul n’est possible que dans l’hypothèse où le préjudice dont la réparation est demandée est distinct de celui couvert par la clause (Cass. soc., 21 nov. 1978, n°76-41.060 ; Cass. com., 20 mai 1997, n°95-12.392).

Mieux, dans un arrêt du 14 juin 2006, la Cour de cassation a jugé que la clause pénale « constitue une évaluation forfaitaire et anticipée du montant du préjudice » (Cass. com. 14 juin 2016 n°15-12.734).

La solution ici dégagée par la Cour de cassation, qui ne laisse guère place au doute sur le caractère libératoire de la clause pénale, a été confirmée par l’ordonnance du 10 février 2016 qui précise à l’article 1231-5 du Code civil que cette clause vise à octroyer à cocontractant victime d’une inexécution contractuelle « une certaine somme à titre de dommages et intérêts ».

Si le créancier perçoit des dommages et intérêts du chef de l’application de la clause pénale, c’est que son préjudice a été réparé et que, par voie de conséquence, l’objet du litige potentiel susceptible de l’opposer au débiteur est épuisé.

Aussi, sera-t-il irrecevable à agir en responsabilité contractuelle une fois le montant de la clause pénale réglé. Encore faut-il que les conditions de mise en œuvre de la clause pénale soient réunies.

1. Les conditions de mise en œuvre de la clause pénale

a. Une inexécution contractuelle

La clause pénale vise à sanctionner une inexécution contractuelle, indépendamment du préjudice susceptible d’être causé au créancier.

L’inexécution donnant lieu à la mise en œuvre de la clause pénale doit néanmoins avoir été définie contractuellement pas les parties.

Autrement dit, il doit avoir été prévu, dans le contrat, le fait générateur qui ouvrira le droit au paiement de pénalités.

Quant à la nature de l’inexécution, elle peut consister, tant en un retard, qu’en l’absence de délivrance de la chose. Plus généralement elle consiste en la fourniture d’une prestation non conforme aux stipulations contractuelles.

À cet égard, il est indifférent que l’inexécution sanctionnée porte ou non sur une obligation essentielle : ce qui importe c’est que l’obligation en cause soit expressément visée par la clause pénale.

En cas de survenance d’une cause étrangère ayant pour effet d’empêcher le débiteur d’exécuter son obligation, la jurisprudence admet que le jeu de la clause pénale est neutralisé, sauf stipulation contraire (V. en ce sens Cass. req. 3 déc. 1890)

Ainsi, pour que les pénalités soient dues, l’inexécution contractuelle doit être imputable au débiteur.

Enfin, il convient d’observer que l’inexécution du contrat est une condition suffisante à la mise en œuvre de la clause pénale. Des pénalités pourront, dans ces conditions, être dues au créancier même en l’absence de préjudice (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 janv. 1994, n°91-19.540).

C’est là tout l’intérêt de la clause pénale, elle ne remplit pas seulement une fonction réparatrice : elle vise également à sanctionner une inexécution contractuelle.

b. La mise en demeure du débiteur

L’article 1231-5 du Code civil dispose que « sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure. »

Ainsi, la mise en œuvre de la clause pénale suppose, au préalable, la mise en demeure de la clause pénale, faute de quoi les pénalités ne sont pas dues.

Cette exigence est directement reprise de l’ancien article 1230 du Code civil qui prévoyait que « soit que l’obligation primitive contienne, soit qu’elle ne contienne pas un terme dans lequel elle doive être accomplie, la peine n’est encourue que lorsque celui qui s’est obligé soit à livrer, soit à prendre, soit à faire, est en demeure. »

Si la mise en demeure est la règle, le créancier en sera dispensé lorsque l’inexécution de l’obligation est définitive, soit lorsque le débiteur ne sera pas en mesure de surmonter son retard. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il a failli à son obligation d’acheminer au pli avant une date butoir.

En tout état de cause, dans les cas où elle est exigée, la mise en demeure devra être adressée au débiteur selon les formes prévues aux articles 1344 et suivants du Code civil.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution d’une obligation vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de tenir en échec la demande d’application de la clause pénale formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

2. La révision judiciaire de la clause pénale

Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si le montant de la clause pénale était susceptible de faire l’objet d’une révision par le juge lorsque le préjudice effectivement subi par le créancier ne correspond pas au montant des pénalités dues.

  • D’un côté, il a été avancé que l’exercice de ce pouvoir de révision par le juge est justifié lorsque le montant de clause pénale est manifestement excessif.
  • D’un autre côté, il est fait interdiction au juge de modifier les prévisions des parties, sauf pour les cas de contrariété d’une clause à l’ordre public

En réaction à la jurisprudence qui avait refusé d’annuler les clauses pénales dont le montant était excessif au motif qu’il n’appartenait pas au juge de s’ingérer dans les relations contractuelles des parties, le législateur lui a reconnu ce pouvoir par l’adoption de la loi du 9 juillet 1975.

Il était ainsi prévu à l’ancien article 1152, al. 2 du Code civil que « le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. »

Ce pouvoir de révision de la clause pénale octroyé au juge a été confirmé par l’ordonnance du 10 février 2016 qui a repris, dans les mêmes termes, à l’article 1231-5, al. 2 du Code civil, le second alinéa de l’ancien article 1152.

Ainsi, la révision de la clause pénale doit demeurer exceptionnelle : ce n’est que dans l’hypothèse où l’écart entre le préjudice subi et le montant des pénalités dues est manifestement excessif que la clause peut être révisée.

Cette révision peut conduire le juge, tant à augmenter le montant de la clause, qu’à le diminuer, ce qui sera le plus souvent le cas.

Il doit donc se livrer à une sorte de contrôle de proportionnalité, étant précisé qu’il est interdit au juge de se référer, tant au comportement du débiteur (V. en ce sens Cass. com. 11 févr. 1997, n°95-10.851), qu’à sa situation financière (Cass. 1ère civ., 14 nov. 1995, n°94-04.008).

Le juge n’est autorisé à apprécier le caractère excessif du montant de la clause qu’au regard du préjudice effectivement subi par le créancier. À cet égard, la jurisprudence admet qu’il puisse se faire assister d’un expert (Cass. 3e civ., 13 nov. 2003, n°01-12.646).

Dans l’hypothèse où le juge estime que la clause est manifestement excessive, aucune obligation ne lui est faite de ramener son montant au niveau du préjudice subi par le créancier.

Par ailleurs, dans un arrêt du 24 juillet 1978, la Cour de cassation a précisé que s’« ‘il appartient aux juges du fond, souverains dans l’appréciation du préjudice subi par le créancier, de fixer librement le montant de l’indemnité résultant de l’application d’une clause pénale dès lors qu’ils l’estiment manifestement excessive », ils ne peuvent toutefois pas « allouer une somme inférieure au montant du dommage » (Cass. 1ère civ. 24 juill. 1978, n°77-11.170).

Il existe donc un seuil qui s’impose au juge – le montant du préjudice subi par le créancier – en deçà duquel les pénalités dues ne peuvent pas être réduites.

Les solutions ci-dessus énoncées valent non seulement en cas d’inexécution totale de l’obligation sanctionnée par la clause pénale, mais également en cas d’inexécution partielle.

L’alinéa 3 de l’article 1231-5, qui lui reprend les termes de l’ancien article 1231, dispose en ce sens que « lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent. »

  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

Conditions de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle: le lien de causalité

Cinquième et dernière sanction susceptible d’être encourue par la partie qui a manqué à ses obligations contractuelles : la condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Cette sanction prévue par l’article 1217 du Code civil présente la particularité de pouvoir être cumulée avec les autres sanctions énoncées par le texte. Anciennement traitée aux articles 1146 à 1155 du Code civil, elle est désormais envisagée dans une sous-section 5 intitulée « la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ».

Tel qu’indiqué par l’intitulé de cette sous-section 5, l’octroi des dommages et intérêts au créancier vise, à réparer les conséquences de l’inexécution contractuelle dont il est victime.

Si, à certains égards, le système ainsi institué se rapproche de l’exécution forcée par équivalent, en ce que les deux sanctions se traduisent par le paiement d’une somme d’argent, il s’en distingue fondamentalement, en ce que l’octroi de dommages et intérêts a pour finalité, non pas de garantir l’exécution du contrat, mais de réparer le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution du contrat. Les finalités recherchées sont donc différentes.

S’agissant de l’octroi de dommages et intérêts au créancier victime d’un dommage, le mécanisme institué aux articles 1231 et suivants du Code civil procède de la mise en œuvre d’une figure bien connue du droit des obligations, sinon centrale : la responsabilité contractuelle.

Classiquement, il est admis que cette forme de responsabilité se rapproche très étroitement de la responsabilité délictuelle.

Ce rapprochement ne signifie pas pour autant que les deux régimes de responsabilité se confondent, bien que le maintien de leur distinction soit contesté par une partie de la doctrine.

En effet, à l’instar de la responsabilité délictuelle la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • L’inexécution d’une obligation contractuelle
  • Un dommage
  • Un lien de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le dommage

Nous nous focaliserons ici sur la dernière condition.

À l’instar de la responsabilité délictuelle, la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est subordonnée à l’établissement d’un lieu de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le préjudice causé au cocontractant.

Cette exigence est exprimée à l’article 1231-4 du Code civil qui dispose que « dans le cas même où l’inexécution du contrat résulte d’une faute lourde ou dolosive, les dommages et intérêts ne comprennent que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution. »

Autrement dit, selon ce texte, qui est une reprise de l’ancien article 1151 du Code civil, y compris lorsque le débiteur a commis une faute lourde ou dolosive, il n’engage sa responsabilité contractuelle qu’à la condition que soit établi un lien de causalité entre le préjudice et l’inexécution du contrat.

L’exigence d’un rapport de causalité entre le fait générateur et le dommage constitue ainsi le troisième terme de l’équation en matière de responsabilité contractuelle.

Il ne suffit pas, en effet, d’établir l’existence d’un fait générateur et d’un dommage pour que le cocontractant victime soit fondée à se prévaloir d’un droit à indemnisation.

Pour que naisse l’obligation de réparation, encore faut-il que soit établie l’existence d’une relation de cause à effet.

On ne saurait rechercher la responsabilité d’une personne si elle est étrangère à la réalisation du fait dommageable. Comme s’accordent à le dire les auteurs, il s’agit là d’une exigence de la raison !

Comme le souligne le doyen Carbonnier le rapport de causalité peut être envisagé de deux façons distinctes dans le procès en responsabilité :

  • La victime du dommage tentera, de son côté, d’établir l’existence d’un lien de causalité afin d’être indemnisée de son préjudice. Pour ce faire, il lui appartiendra :
    • D’une part, d’identifier la cause du dommage
    • D’autre part, de prouver le lien de causalité
  • L’auteur du dommage s’emploiera, quant à lui, à démontrer la rupture du lien de causalité afin de faire échec à l’action en responsabilité dirigée contre lui.
    • Cela revient, pour ce dernier, à se prévaloir de causes d’exonération.

Ainsi, l’étude du lien de causalité suppose-t-elle d’envisager les deux facettes du lien de causalité

1. L’existence d’un lien de causalité

Bien que l’exigence d’un rapport de causalité ne soulève guère de difficulté dans son énoncé, sa mise en œuvre n’en est pas moins éminemment complexe.

La complexité du problème tient à la détermination du lien de causalité en elle-même.

Afin d’apprécier la responsabilité du défendeur, la question se posera, en effet, au juge de savoir quel fait retenir parmi toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage.

Or elles sont potentiellement multiples, sinon infinies dans l’absolu.

?Illustration de la difficulté d’appréhender le rapport de causalité

  • En glissant sur le sol encore humide d’un supermarché, un vendeur heurte un client qui, en tombant, se fracture le coccyx
  • Ce dernier est immédiatement pris en charge par les pompiers qui décident de l’emmener à l’hôpital le plus proche.
  • En chemin, l’ambulance a un accident causant, au patient qu’elle transportait, au traumatisme crânien.
  • Par chance, l’hôpital n’étant plus très loin, la victime a été rapidement conduite au bloc opératoire.
  • L’opération se déroule au mieux.
  • Cependant, à la suite de l’intervention chirurgicale, elle contracte une infection nosocomiale, dont elle décédera quelques jours plus tard

?Quid juris : qui est responsable du décès de la victime?

Plusieurs responsables sont susceptibles d’être désignés en l’espèce :

  • Est-ce l’hôpital qui a manqué aux règles d’asepsie qui doivent être observées dans un bloc opératoire ?
  • Est-ce le conducteur du véhicule à l’origine de l’accident dont a été victime l’ambulance ?
  • Est-ce le supermarché qui n’a pas mis en garde ses clients que le sol était encore glissant ?
  • Est-ce le vendeur du magasin qui a heurté le client ?

À la vérité, si l’on raisonne par l’absurde, il est possible de remonter la chaîne de la causalité indéfiniment.

Il apparaît, dans ces conditions, que pour chaque dommage les causes sont multiples.

Une question alors se pose :

Faut-il retenir toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage ou doit-on seulement en retenir certaines ?

?Causes juridiques / causes scientifiques

Fort logiquement, le juge ne s’intéressera pas à toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage.

Ainsi, les causes scientifiques lui importeront peu, sauf à ce qu’elles conduisent à une personne dont la responsabilité est susceptible d’être engagée

Deux raisons l’expliquent :

  • D’une part, le juge n’a pas vocation à recenser toutes les causes du dommage. Cette tâche revient à l’expert.
  • D’autre part, sa mission se borne à déterminer si le défendeur doit ou non répondre du dommage.

Ainsi, le juge ne s’intéressera qu’aux causes du dommage que l’on pourrait qualifier de juridiques, soit aux seules causes génératrices de responsabilité.

Bien que cela exclut, de fait, un nombre important de causes – scientifiques – le problème du lien de causalité n’en est pas moins résolu pour autant.

En effet, faut-il retenir toutes les causes génératrices de responsabilité ou seulement certaines d’entre elles ?

?Les théories de la causalité

Afin d’appréhender le rapport de causalité dont l’appréhension est source de nombreuses difficultés, la doctrine a élaboré deux théories :

  • La théorie de l’équivalence des conditions
  • La théorie de la causalité adéquate
La théorie de l’équivalence des conditions
  • Exposé de la théorie
    • Selon la théorie de l’équivalence des conditions, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage doivent être retenus, de manière équivalente, comme les causes juridiques dudit dommage, sans qu’il y ait lieu de les distinguer, ni de les hiérarchiser.
    • Cette théorie repose sur l’idée que si l’un des faits à l’origine de la lésion n’était pas survenu, le dommage ne se serait pas produit.
    • Aussi, cela justifie-t-il que tous les faits qui ont été nécessaires à la production du dommage soient placés sur un pied d’égalité.
  • Critique
    • Avantages
      • La théorie de l’équivalence des conditions est, incontestablement, extrêmement simple à mettre en œuvre, dans la mesure où il n’est point d’opérer de tri entre toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage
      • Tous les maillons de la chaîne de responsabilité sont mis sur le même plan.
    • Inconvénients
      • L’application de la théorie de l’équivalence des conditions est susceptible de conduire à retenir des causes très lointaines du dommage dès lors que, sans leur survenance, le dommage ne se serait pas produit, peu importe leur degré d’implication.
      • Comme le relève Patrice Jourdain, il y a donc un risque, en retenant cette théorie de contraindre le juge à remonter la « causalité de l’Univers ».
La théorie de la causalité adéquate
  • Exposé de la théorie
    • Selon la théorie de la causalité adéquate, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ne sont pas des causes juridiques.
    • Tous ne sont pas placés sur un pied d’égalité, dans la mesure où chacun possède un degré d’implication différent dans la survenance du dommage.
    • Aussi, seule la cause prépondérante doit être retenue comme fait générateur de responsabilité.
    • Il s’agit, en d’autres termes, pour le juge de sélectionner, parmi la multitude de causes qui se présentent à lui, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du préjudice.
  • Critique
    • Avantage
      • En ne retenant comme fait générateur de responsabilité que la cause « adéquate », cela permet de dispenser le juge de remonter à l’infini la chaîne de la causalité
      • Ainsi, seules les causes proches peuvent être génératrices de responsabilité
    • Inconvénient
      • La détermination de la « véritable cause du dommage », procède plus de l’arbitraire que de la raison.
      • Sur quel critère objectif le juge doit-il s’appuyer pour déterminer quelle cause est adéquate parmi tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ?
      • La théorie est alors susceptible de conduire à une injustice :
        • Tantôt en écartant la responsabilité d’un agent au seul motif qu’il n’a pas joué à un rôle prépondérant dans la réalisation du préjudice.
        • Tantôt en retenant la responsabilité de ce même agent au motif qu’il se situe en amont de la chaîne de causalité.

?L’état du droit positif

Quelle théorie la jurisprudence a-t-elle retenu entre la thèse de l’équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate ?

À la vérité, la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme en matière de causalité, en ce sens que son choix se portera sur l’une ou l’autre théorie selon le résultat recherché :

  • Lorsqu’elle souhaitera trouver un responsable à tout prix, il lui faudra retenir une conception large de la causalité, de sorte que cela la conduira à faire application de la théorie de l’équivalence des conditions
  • Lorsque, en revanche, la Cour de cassation souhaitera écarter la responsabilité d’un agent, elle adoptera une conception plutôt restrictive de la causalité, ce qui la conduira à recourir à la théorie de la causalité adéquate

En matière de responsabilité contractuelle, afin de guider le juge dans sa recherche du lien de causalité, les parties n’hésiteront pas à établir, dans le contrat, une liste des préjudices qu’elles considèrent comme indirect et donc exclus du domaine du droit à indemnisation.

L’analyse de la jurisprudence révèle que le préjudice indirect est celui, soit qui n’est pas une conséquence immédiate de l’inexécution, soit qui résulte de la survenance d’une cause étrangère (fait de la nature, fait d’un tiers ou fait du créancier).

En tout état de cause, la Cour de cassation exerce un contrôle sur la caractérisation du lien de causalité par les juges du fond, de sorte que la preuve de la causalité ne saurait être négligée par les parties (V. en ce sens Com. 13 sept. 2011, n°10-15732).

2. La rupture du lien de causalité

a. Notion de cause étrangère

Il ne suffit pas qu’une inexécution contractuelle soit établie pour que naisse une obligation de réparation à la charge du débiteur de l’obligation violée.

Encore faut-il que ce dernier ne puisse pas s’exonérer de sa responsabilité.

Pour mémoire :

Dans la mesure où les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile sont cumulatives, le non-respect d’une d’entre elles suffit à faire obstacle à l’indemnisation de la victime.

Aussi, en simplifiant à l’extrême, le défendeur dispose-t-il de deux leviers pour faire échec à l’action en réparation :

  • Soit, il démontre que le dommage subi par le demandeur ne constitue pas un préjudice réparable, en ce sens qu’il ne répond pas aux exigences requises (certain et prévisible).

  • Soit, il démontre que le dommage ne se serait jamais produit si un événement étranger à son propre fait n’était pas survenu.
    • Il doit, en d’autres termes, établir que, de par l’intervention de cet événement – que l’on qualifie de cause étrangère – le lien de causalité a été partiellement ou totalement rompu.

?Notion de cause étrangère

La notion de cause étrangère désigne, de façon générique tout événement, non imputable à l’auteur du dommage dont la survenance a pour effet de rompre totalement ou partiellement le rapport causal.

Autrement dit, si la cause étrangère au fait personnel, au fait de la chose ou au fait d’autrui ne s’était pas réalisée, le dommage ne se serait pas produit, à tout le moins pas dans les mêmes proportions.

C’est la raison pour laquelle, dès lors qu’elle est établie, la cause étrangère est susceptible de constituer une cause d’exonération totale ou partielle de responsabilité.

Si les textes relatifs à la responsabilité civile ne font nullement référence à la cause étrangère, tel n’est pas le cas en matière de responsabilité contractuelle.

L’article 1218 du Code civil dispose en ce sens que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. »

L’article 1351 prévoit encore que :

« L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure. »

?Manifestations de la cause étrangère

La cause étrangère est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • Le fait d’un tiers
    • Un tiers peut avoir concouru à la production du dommage, de sorte que s’il n’était pas intervenu aucun fait illicite n’aurait pu être imputé au défendeur.
  • Le fait de la victime
    • La victime peut avoir commis une faute qui a contribué à la production de son propre dommage.
  • Le cas fortuit
    • Il s’agit d’événements naturels (inondation, tornade, incendie) ou d’actions humaines collectives (grève, guerre, manifestation)

b. Cause étrangère et force majeure

Trop souvent la cause étrangère est confondue avec la force majeure alors qu’il s’agit là de deux notions bien distinctes :

  • La cause étrangère consiste en un fait, un événement dont la survenance a pour effet de rompre le lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage
  • La force majeure consiste quant à elle, non pas en un fait, mais en plusieurs caractères que la cause étrangère est susceptible d’endosser.

Si sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 le cas de force majeur n’était défini par aucun texte, il était traditionnellement défini comme un événement présentant les trois caractères cumulatifs que sont l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

Les critères traditionnels que l’on prête à la force majeure ont-ils été repris par l’article 1218 du Code civil qui définit la force majeure comme ?

Cette disposition prévoit qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Selon le Rapport au président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 l’intention du législateur est claire : le texte reprend la définition prétorienne de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère d’extériorité, également abandonné par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006, pour ne retenir que ceux d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.

Si la volonté d’abandonner le critère d’extériorité est difficilement contestable, reste qu’une analyse de l’article 1218 interroge sur le succès de la manœuvre.

?: Sur le critère d’extériorité

?Notion

Dans la conception classique, l’événement constitutif de la force majeure doit être extérieur (ou résulter d’une cause étrangère), c’est-à-dire doit être indépendant de la volonté de l’agent, à tout le moins à son activité.

En matière contractuelle, la condition d’extériorité était évoquée à l’article 1147 du Code civil, qui faisait référence à la « cause étrangère » non imputable au débiteur.

L’extériorité s’entendait ici d’un événement indépendant de la volonté de celui qui doit exécuter le contrat et rendant impossible l’exécution du contrat.

À cet égard, il ne suffisait pas que l’exécution de l’obligation soit rendue plus difficile ou plus onéreuse par la survenance de l’événement extérieur (Cass., com., 12 novembre 1969), il fallait qu’elle soit effectivement impossible.

Si l’empêchement n’était que momentané, la jurisprudence considérait le débiteur n’était pas libéré et l’exécution de l’obligation était, dans ces conditions, seulement suspendue jusqu’au moment où l’événement extérieur venait à cesser (Cass., 1ère civ., 24 février 1981, n°79-12.710).

La condition d’extériorité de l’événement n’était pas, non plus, caractérisée si l’empêchement d’exécution du contrat résultait de l’attitude ou du comportement fautif du débiteur (Cass., 1ère civ., 21 mars 2000, n° 98-14.246).

Ainsi, le vendeur ne pouvait pas invoquer une force majeure extérieure pour s’exonérer de sa responsabilité en cas de vice caché (Cass. 1ère civ., 29 octobre 1985, n°83-17.091), ni en principe le chef d’entreprise en cas de grève de son propre personnel (Cass., Com., 24 novembre 1953).

Reste que la Cour de cassation a finalement renoncé à l’exigence d’extériorité de l’événement pour retenir le cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

?Les fluctuations de la jurisprudence

À compter des années 1990, la Cour de cassation a commencé à admettre, dans plusieurs arrêts, que puissent exister des circonstances internes au débiteur, comme la maladie, la grève ou des circonstances économiques (le chômage ou l’absence de ressources, par exemple) susceptibles de constituer des cas de force majeure ;

  • La grève a ainsi pu être considérée comme un événement extérieur (Cass., 1ère civ., 24 janvier 1995, n°92-18.227), sauf si elle résultait du fait ou d’une faute de l’employeur.
  • La maladie a également été déclarée constitutive d’un cas de force majeure irrésistible, bien qu’elle n’ait pas été extérieure à la personne :

Afin de mettre un terme à l’incertitude qui régnait en jurisprudence, la Cour de cassation a voulu entériner l’abandon du critère de l’extériorité dans un arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006 (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168).

Dans cette décision, après avoir rappelé « qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit » les juges ont affirmé « qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ».

Cass. ass. plé. 14 avr. 2006

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Douai, 12 novembre 2001), que M. X… a commandé à M. Y… une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle ; qu’en raison de l’état de santé de ce dernier, les parties sont convenues d’une nouvelle date de livraison qui n’a pas été respectée ; que les examens médicaux qu’il a subis ont révélé l’existence d’un cancer des suites duquel il est décédé quelques mois plus tard sans que la machine ait été livrée ; que M. X… a fait assigner les consorts Y…, héritiers du défunt, en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1) qu’en estimant que la maladie dont a souffert M. Michel Z… avait un caractère imprévisible, pour en déduire qu’elle serait constitutive d’un cas de force majeure, après avoir constaté qu’au 7 janvier 1998, date à laquelle M. Michel Y… a fait à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, M. Michel Y… savait souffrir, depuis plusieurs mois, d’une infection du poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail et se soumettait à de nombreux examens médicaux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

2) qu’un événement n’est pas constitutif de force majeure pour le débiteur lorsque ce dernier n’a pas pris toutes les mesures que la prévisibilité de l’événement rendait nécessaires pour en éviter la survenance et les effets ; qu’en reconnaissant à la maladie dont a souffert M. Michel Y… le caractère d’un cas de force majeure, quand elle avait constaté que, loin d’informer son cocontractant qu’il ne serait pas en mesure de livrer la machine commandée avant de longs mois, ce qui aurait permis à M. Philippe X… de prendre toutes les dispositions nécessaires pour pallier le défaut de livraison à la date convenue de la machine commandée, M. Michel Y… avait fait, le 7 janvier 1998, à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, soit à une date qu’il ne pouvait prévisiblement pas respecter, compte tenu de l’infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail, dont il savait souffrir depuis plusieurs mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

Mais attendu qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ; qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y… était en mesure de réaliser la machine et qu’il s’en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l’incapacité physique résultant de l’infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d’une maladie irrésistible, la cour d’appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d’un cas de force majeure ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X… fait encore grief à l’arrêt d’avoir omis, après avoir prononcé la résolution du contrat, de condamner in solidum les défenderesses à lui payer les intérêts au taux légal, à compter de la date de l’acte introductif d’instance et jusqu’à celle de son versement, sur la somme correspondant aux acomptes qu’il avait versés à son débiteur alors, selon le moyen, que les intérêts au taux légal sont dus du jour de la demande en justice équivalent à la sommation de payer jusqu’à la date de leur versement sur le prix qui doit être restitué à la suite de l’exécution d’un contrat ; qu’en omettant, après avoir prononcé la résolution du contrat conclu le 11 juin 1997 entre M. Michel Y… et M. Philippe X…, de condamner in solidum Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à payer à M. Philippe X… les intérêts au taux légal sur la somme correspondant au montant des acomptes initialement versés à M. Michel Y… par M. Philippe X…, à compter de la date de la délivrance de l’acte introductif d’instance jusqu’à celle de son versement par Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à ce dernier, la cour d’appel a violé l’article 1153 du code civil ;

Mais attendu que l’omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l’article 463 du nouveau code de procédure civile, le moyen n’est pas recevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X… aux dépens ;

Cette solution a, deux ans plus tard, été reprise par la première chambre civile qui, dans un arrêt du 30 octobre 2008, a considéré que « seul un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ». Elle ne fait ainsi plus de l’extériorité de l’événement une condition au caractère exonératoire de la force majeure (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2008, n°07-17134).

Bien que l’on eût pu penser que la définition du cas de force majeure était désormais ancrée en jurisprudence, cela était sans compter sur la chambre sociale de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 16 mai 2012, a réintroduit l’exigence d’extériorité de l’événement, en affirmant que « la force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d’un contrat de travail s’entend de la survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution » (Cass. soc. 16 mai 2012, n° 10-17.726)

Manifestement, cet arrêt n’est pas sans avoir jeté le trouble sur l’exigence d’extériorité dont la mention n’a pas manqué d’interroger les auteurs sur les intentions de la Cour de cassation.

Cette interrogation s’est d’autant plus renforcée par la suite que la troisième chambre civile s’est, à son tour, référée dans un arrêt du 15 octobre 2013 au critère de l’extériorité pour retenir un cas de force majeure (Cass. 3e civ. 15 oct. 2013, n°12-23.126).

Constatant que la jurisprudence ne parvenait pas à se fixer en arrêtant une définition de la force majeure, le législateur a profité de la réforme du droit des obligations pour mettre un terme, à tout le moins s’y essayer, à l’incertitude jurisprudentielle qui perdurait jusqu’alors, nonobstant l’intervention de l’assemblée plénière en 2006.

?La réforme du droit des obligations

Bien que le rapport au Président de la République signale que le législateur a, lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, entendu délaisser « le traditionnel critère d’extériorité », les termes de l’article 1218 du Code civil pris en son alinéa 1er interrogent sur l’effectivité de cette annonce.

Cette définition prévoit, en effet, que pour constituer un cas de force majeure l’événement invoqué doit avoir échappé au contrôle du débiteur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir à quelles hypothèses correspond un événement qui échappe au contrôle du débiteur.

En première intention, on pourrait considérer qu’il s’agit d’un événement qui serait étranger à son activité, car ne relevant pas de son contrôle. Cette interprétation conduirait néanmoins à réintroduire le critère d’extériorité. Or cela serait contraire à la volonté du législateur.

Aussi, convient-il d’admettre que le nouveau critère posé par l’article 1218 couvre un spectre plus large de situations, lesquelles situations sont susceptibles de correspondre, tant à des événements externes qu’internes. Ce qui importe, pour constituer un cas de force majeure, c’est que le débiteur n’ait pas de prise sur l’événement invoqué.

Pris dans cette acception, le critère de « l’absence de contrôle » autorise à inclure, à l’instar de certaines décisions, dans le giron des cas de force majeure la maladie du débiteur ou encore la grève à la condition néanmoins que, dans ces deux cas, l’événement invoqué ne résulte pas de la conduite du débiteur.

En effet, la maladie qui serait causée par la conduite à risque du débiteur ne devrait, a priori, pas être constitutive d’un cas de force majeure. Il en va de même pour une grève qui prendrait sa source dans une décision de l’employeur.

?: Sur le critère d’imprévisibilité

Le deuxième élément de la définition de la force majeure posé par l’article 1218 du Code civil est l’imprévisibilité de l’événement.

Le texte prévoit en ce sens que la force majeure est constituée lorsque notamment l’événement invoqué « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ».

La reprise du critère de l’imprévisibilité par le législateur appelle trois remarques :

En premier lieu, il peut être observé que l’imprévisibilité s’apprécie par référence à une personne ou un contractant prudent et diligent, et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps, de saison. Il faut que le sujet n’ait pas pu prévoir la réalisation du dommage.

En deuxième lieu, l’imprévisibilité doit s’apprécier au jour de la formation ou de la conclusion du contrat, le débiteur ne s’étant engagé qu’en fonction de ce qui était prévisible à cette date (Cass. com., 3 octobre 1989, n°87-18.479).

Tout s’ordonne, dans le domaine contractuel, autour des prévisions des parties et des attentes légitimes du créancier : il faut que l’événement-obstacle crée une difficulté d’exécution dont le créancier ne pouvait raisonnablement espérer la prise en charge par le débiteur (20).

Dès lors, si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation.

En dernier lieu, l’emploi de la formule « raisonnablement prévu » suggère que l’imprévisibilité de l’événement puisse n’être que relative, en ce sens qu’il n’est pas nécessaire que l’événement soit absolument imprévisible pour constituer un cas de force majeure.

Cette conception de l’imprévisibilité est conforme à la jurisprudence antérieure qui se contentait d’événements « normalement prévisibles » (Cass., 2e civ. 6 juillet 1960 ; Cass. 2e civ. 27 octobre 1965).

Il est, en effet, constant en jurisprudence que, l’événement est jugé imprévisible en fonction du temps et du lieu où il se produit et des circonstances qui l’accompagnent. Il s’apprécie par référence à un homme prudent, mais aussi par rapport à l’absence de faute de l’agent qui ne pouvait pas prévoir l’événement.

Pour que l’événement soit imprévisible, il faut, peut-on dire, qu’il provoque un “effet de surprise” au regard du lieu, du moment et des circonstances dans lesquels il se produit, de telle manière qu’il n’ait pu être prévu par un homme prudent et avisé.

Ce caractère relatif de l’imprévisibilité est admis par la jurisprudence même dans le cas d’événements naturels : ainsi, en fonction des circonstances de lieu, de date, de saison, peuvent ne peut pas être regardés comme des cas de force majeure, le verglas, la tempête, le vent, l’orage, les inondations, les chutes de neige, le brouillard, les glissements et effondrements de terrains, etc…

?: Sur le critère d’irrésistibilité

Troisième et dernier critère caractérisant la force majeure posée par l’article 1218, al. 1er du Code civil : l’irrésistibilité.

Le texte dispose que la force majeure est constituée lorsque les effets de l’événement « ne peuvent être évités par des mesures appropriées. »

Le rapport au Président de la république précise que l’irrésistibilité de l’événement doit l’être, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables).

L’irrésistibilité implique donc une appréciation du comportement de l’individu pendant toute la durée de réalisation de l’événement : de son fait générateur à ses conséquences.

Pour que l’événement soit irrésistible il faut que la personne concernée ait été dans l’impossibilité d’agir autrement qu’elle l’a fait.

À cet égard, la doctrine à la notion d’événement « inévitable » ou « insurmontable ». Aussi, dès lors que l’événement peut être surmonté, y compris dans des conditions plus difficiles par le débiteur, il n’est pas fondé à se prévaloir de la force majeure.

C’est donc à une appréciation “in concreto” de l’irrésistibilité que se livre la jurisprudence, en recherchant si l’événement a engendré ou non pour le sujet une impossibilité d’exécuter l’obligation ou d’éviter la réalisation du dommage et en vérifiant si un individu moyen, placé dans les mêmes circonstances, aurait pu résister et surmonter l’obstacle.

Il peut, en outre, être observé que la jurisprudence antérieure n’exigeait pas une impossibilité absolue de résister, pour le débiteur, à l’événement à l faveur d’une approche relative de l’irrésistibilité

En effet, cette dernière est appréciée par référence à un individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances de temps, de lieu, de conjoncture. De nombreux arrêts jugent fortuit, par exemple, l’événement “normalement irrésistible” ou celui dont on ne pouvait pallier les inconvénients par des mesures suffisantes.

Il est intéressant de noter que cette approche relative de l’irrésistibilité de la force majeure est aussi celle de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a rendu un arrêt, le 17 septembre 1987, s’efforçant de donner une définition de la force majeure en excluant l’idée d’une “impossibilité absolue” (CJUE 17 septembre 1987).

La Cour de Luxembourg affirme dans cet arrêt que la force majeure « ne présuppose pas une impossibilité absolue », mais qu’elle « exige toutefois qu’il s’agisse de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne et apparaissant inévitables mêmes si toutes les diligences utiles sont mises en œuvre ».

c. Cause étrangère de l’inexécution et cause étrangère du préjudice

En matière de responsabilité contractuelle, la cause étrangère est susceptible d’affecter la chaîne de la causalité à deux endroits différents :

  • En premier lieu, la cause étrangère peut être à l’origine de l’inexécution contractuelle, de sorte que cette inexécution ne pourra pas être imputée au débiteur, à tout le moins que partiellement
  • En second lieu, la cause étrangère peut être à l’origine de la production du dommage de sorte que celui-ci ne pourra pas être imputé à l’inexécution contractuelle

Dans les deux cas, la survenance de la cause étrangère a pour effet de rompre, tantôt totalement, tantôt partiellement, la chaîne de la causalité.

La question qui alors se pose est de savoir dans quels cas cette rupture de la causalité justifie que le débiteur de l’obligation inexécutée puisse s’exonérer de sa responsabilité.

?: La cause étrangère de l’inexécution

L’article 1231-1 du Code civil prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Ainsi, lorsque l’inexécution contractuelle est imputable à une cause étrangère, l’article 1231-1 exonère le débiteur de sa responsabilité. Cette cause étrangère peut résulter du fait de la nature, du fait du créancier ou du fait d’un tiers.

En tout état de cause, pour être exonératoire de responsabilité, elle devra présenter les caractères de la force majeure, soit, conformément à l’article 1218, al. 1er du Code civil, consister en un « événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

A contrario, lorsque la cause étrangère ne revêt pas les caractères de la force majeure, les conséquences de l’inexécution contractuelle devront intégralement être supportées par le débiteur.

À l’examen, l’appréhension de la cause étrangère par la jurisprudence diffère selon qu’elle résulte du fait d’autrui ou du fait du créancier.

?La cause étrangère résulte du fait d’autrui

Pour que l’implication d’autrui dans l’inexécution contractuelle soit exonératoire de responsabilité pour le débiteur, cette implication doit présenter les caractères de la force majeure.

Dans le cas contraire, le débiteur devra indemniser le créancier du préjudice qui lui a été causé par autrui. Tout au plus, ce dernier disposera d’une action récursoire contre le tiers impliqué dans l’inexécution du contrat.

?La cause étrangère résulte du fait du créancier

Lorsque cette inexécution est imputable au créancier, deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation : l’implication du créancier dans l’inexécution contractuelle présente les caractères de la force majeure
    • Dans cette hypothèse, la règle posée à l’article 1231-1 du Code civil ne soulève pas de difficulté : le débiteur peut s’exonérer de sa responsabilité
    • À cet égard, il est indifférent que l’implication du créancier soit fautive : le seul fait du créancier suffit à libérer le débiteur du paiement de dommages et intérêts
    • Ce qui importe c’est la caractérisation de la force majeure qui dès lors qu’elle est établie produit un effet exonératoire.
  • Seconde situation : l’implication du créancier dans l’inexécution contractuelle ne présente pas les caractères de la force majeure
    • La problématique est ici plus délicate à résoudre.
    • En effet, se pose la question de savoir si, en raison de l’implication du créancier dans l’inexécution du contrat et, par voie de conséquence, dans la production de son propre dommage, cette, circonstance pour le moins particulière, ne pourrait pas justifier, nonobstant l’absence de force majeure, que le débiteur puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Une application stricte de l’article 1231-1 du Code civil devrait conduire à répondre par la négative.
    • Seule la force majeure peut exonérer le débiteur de sa responsabilité.
    • Reste que lorsque c’est le créancier lui-même qui concourt à la production de son propre dommage, il ne serait pas illégitime de lui en faire supporter, au moins pour partie, les conséquences de l’inexécution.
    • À l’examen, la jurisprudence a tendance à exiger une faute du créancier pour que le débiteur soit dispensé, à due concurrence de son implication dans l’inexécution contractuelle, du paiement de dommages et intérêts.
    • Dans un arrêt du 25 novembre 2015, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la faute du client, lorsqu’elle revêt une certaine gravité, exonère, totalement ou partiellement en fonction de son influence causale, l’hôtelier de sa propre responsabilité » (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2015, n°14-21434).
    • Le seul fait non fautif du créancier ne permettra donc pas au débiteur de se dégager de sa responsabilité : il doit pour y parvenir démontrer la faute de son cocontractant.

?: La cause étrangère du préjudice

Lorsque la cause étrangère a pour effet de rompre la causalité entre l’inexécution contractuelle et le préjudice, il est indifférent qu’elle présente ou non les caractères de la force majeure.

Dans cette configuration, nonobstant l’imputation de l’inexécution contractuelle au débiteur, il n’a pas concouru à la production du dommage.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de retenir sa responsabilité, sa défaillance, bien que caractérisée, étant étrangère au préjudice causé à son cocontractant.

  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

Conditions de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle: le préjudice

Cinquième et dernière sanction susceptible d’être encourue par la partie qui a manqué à ses obligations contractuelles : la condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Cette sanction prévue par l’article 1217 du Code civil présente la particularité de pouvoir être cumulée avec les autres sanctions énoncées par le texte. Anciennement traitée aux articles 1146 à 1155 du Code civil, elle est désormais envisagée dans une sous-section 5 intitulée « la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ».

Tel qu’indiqué par l’intitulé de cette sous-section 5, l’octroi des dommages et intérêts au créancier vise, à réparer les conséquences de l’inexécution contractuelle dont il est victime.

Si, à certains égards, le système ainsi institué se rapproche de l’exécution forcée par équivalent, en ce que les deux sanctions se traduisent par le paiement d’une somme d’argent, il s’en distingue fondamentalement, en ce que l’octroi de dommages et intérêts a pour finalité, non pas de garantir l’exécution du contrat, mais de réparer le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution du contrat. Les finalités recherchées sont donc différentes.

S’agissant de l’octroi de dommages et intérêts au créancier victime d’un dommage, le mécanisme institué aux articles 1231 et suivants du Code civil procède de la mise en œuvre d’une figure bien connue du droit des obligations, sinon centrale : la responsabilité contractuelle.

Classiquement, il est admis que cette forme de responsabilité se rapproche très étroitement de la responsabilité délictuelle.

Ce rapprochement ne signifie pas pour autant que les deux régimes de responsabilité se confondent, bien que le maintien de leur distinction soit contesté par une partie de la doctrine.

En effet, à l’instar de la responsabilité délictuelle la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • L’inexécution d’une obligation contractuelle
  • Un dommage
  • Un lien de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le dommage

Nous nous focaliserons ici sur la deuxième condition.

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que l’utilisation du terme dommage ou de préjudice est indifférente. La plupart des auteurs les tiennent pour synonymes.

Pour certains, il convient néanmoins de les distinguer en ce que :

  • Le dommage serait le fait brut originaire de la lésion affectant la victime
  • Le préjudice constituerait, quant à lui, la conséquence de cette lésion

Toujours est-il que, à l’instar de la responsabilité délictuelle, la responsabilité contractuelle requiert la caractérisation d’un préjudice. La réparation due au créancier de l’obligation demeura néanmoins limitée au préjudice prévisible.

1. L’exigence d’un préjudice

Alors que la responsabilité délictuelle ne se conçoit pas en dehors de l’existence d’un dommage, la question s’est posée en matière de responsabilité contractuelle.

On s’est, en effet, demandé s’il était nécessaire de rapporter la preuve d’un dommage pour engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant.

Cette interrogation a suscité vif débat en doctrine, notamment en suite d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 janvier 2002.

Dans cette décision, la troisième chambre civile avait, au visa de l’article 1147 du Code civil ensemble l’article 1731, affirmé que « l’indemnisation du bailleur en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni à la justification d’un préjudice » (Cass. 3e civ. 30 janv. 2002, n°00-15.784).

Par cette décision, il était donc admis qu’en matière de bail le créancier n’avait pas à justifier d’un préjudice pour engager la responsabilité contractuelle du preneur.

Finalement, la Cour de cassation est revenue sur sa position dans un arrêt du 3 décembre 2003 aux termes duquel elle a jugé que « dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » (Cass. 3e civ. 3 déc. 2003, n°02-18.033).

Cette position a manifestement été confirmée par le législateur à l’occasion de la réforme du droit des obligations, lequel n’a pas repris l’ancien article 1145 du Code civil, disposition sur laquelle s’appuyait la jurisprudence pour écarter l’exigence du préjudice en matière de responsabilité contractuelle.

À cet égard l’article 1145 disposait que « si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »

Aussi, la Cour de cassation en déduisait que pour les obligations de ne pas faire, il n’y avait pas lieu pour le créancier de justifier d’un préjudice, ce qui était une lecture pour le moins erronée du texte, celui-ci le dispensant seulement de mettre en demeure son débiteur (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 mai 2005, n°02-15.910).

En tout état de cause, l’article 1145 du Code civil a été écarté par l’ordonnance du 10 février 2016 qui a, en revanche, repris l’ancien article 1149 devenu 1231-2.

Cette disposition prévoit, pour mémoire, que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »

La lettre du texte ne laisse que peu de place au doute quant à l’exigence d’établir un préjudice pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur.

2. Les caractères du préjudice

Reprenant les termes de l’ancien article 1149 du Code civil, l’article 1231-2 issu de l’ordonnance du 10 février 2016 dispose que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »

L’article 1231-3 ajoute que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. »

Il ressort de la combinaison de ces deux dispositions que, pour être réparable, le préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit

  • D’une part, être certain.
  • D’autre part, être prévisible

a. Un préjudice certain

Si l’on se reporte à la définition du dictionnaire, est certain ce qui ne fait pas de doute, ce qui est conforme aux critères de la vérité.

Ainsi, le dommage est certain lorsqu’il est établi et avéré.

Le dommage certain s’oppose, en ce sens, au préjudice éventuel, soit le préjudice dont on ne sait pas s’il se produira.

Pratiquement, par certitude du dommage, il faut entendre, au sens de l’article 1231-2 du Code civil, que le dommage s’est réalisé :

  • Soit parce que la victime a éprouvé une perte (1)
  • Soit parce que la victime a manqué un gain (2)

a.1 La victime a éprouvé une perte

La perte éprouvée par la victime peut être :

  • Soit actuelle
  • Soit future

i. Le préjudice actuel

Le dommage actuel est celui qui s’est déjà réalisé. À la vérité, lorsque le dommage est déjà survenu, cette situation ne soulève guère de difficulté s’agissant de l’indemnisation de la victime.

Mais quid lorsque le dommage ne s’est pas encore réalisé ? Peut-on réparer un préjudice futur ?

ii. Le préjudice futur

?Préjudice futur et préjudice actuel

Contrairement à une idée reçue, le préjudice futur ne s’oppose pas au préjudice actuel en ce qu’il ne serait pas réparable.

Ces deux sortes de préjudice s’opposent uniquement en raison de leur date de survenance.

Au vrai, dès lors que le préjudice futur et le préjudice actuel présentent un caractère certain, tous deux sont réparables.

?Préjudice futur et préjudice éventuel

En matière de responsabilité, le préjudice futur s’oppose, en réalité, au préjudice éventuel dont la réalisation n’est pas certaine.

Dès lors que l’éventualité du préjudice « ne s’est pas transformée en certitude », pour reprendre une expression de François Terré, le préjudice n’est pas réparable, contrairement au préjudice futur dont la réalisation est certaine.

?Le préjudice futur certain

Ce qui importe c’est donc que le préjudice futur soit certain pour être réparable.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer ce principe en jugeant, dès 1932 que « s’il n’est pas possible d’allouer des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice purement éventuel, il en est autrement lorsque le préjudice, bien que futur, apparaît aux juges du fait comme la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel et comme étant susceptible d’estimation immédiate » (Cass. crim., 1er juin 1932).

Surtout, le projet de réforme de la responsabilité civile envisage l’introduction d’un article 1236 dans le Code civil qui disposerait que « le préjudice futur est réparable lorsqu’il est la prolongation certaine et directe d’un état de choses actuel »

Exemples :

  • Dans un arrêt du 13 mars 1967, la Cour de cassation a estimé que la victime d’un accident de la circulation était fondée à obtenir réparation du préjudice futur occasionné par l’ablation de la rate, laquelle est de nature à raccourcir son espérance de vie (Cass. 2e civ., 13 mars 1967).
  • Dans un arrêt du 3 mars 1993, la Cour de cassation a jugé que «  des propriétaires d’immeubles justifiaient d’un préjudice certain du fait de la présence d’une ancienne carrière de calcaire asphaltique et du classement, à la suite d’effondrements du sol, comme zone de risque d’une partie du territoire de la commune, dès lors qu’elle relève que les tassements de sol se poursuivront de façon lente et irrégulière, avec parfois une accélération brutale, imprévisible et dangereuse, et que le sous-sol étant “déconsolidé” d’une manière irréversible, les immeubles seront soumis à plus ou moins brève échéance à de graves désordres voire à un effondrement qui les rendra inhabitables » (Cass. 2e civ., 3 mars 1993, n°91-17.199).

a.2 La victime a manqué un gain

Le dommage réparable ne consiste pas toujours en une perte pour la victime ; il peut également s’agir d’un manque à gagner.

La Cour de cassation qualifie ce manque à gagner, lorsqu’il est réparable, de perte d’une chance.

?Reconnaissance de la perte d’une chance comme préjudice réparable

Dans un arrêt fondateur du 17 juillet 1889 la Cour de cassation a reconnu, pour la première fois, le caractère réparable de la perte de chance.

En l’espèce, le client d’un huissier de justice est privé de la possibilité de faire appel d’un jugement et, par voie de conséquence, de gagner son procès en raison de la faute commise par l’officier ministériel, laquelle faute a entraîné la nullité de l’acte portant déclaration d’appel.

La Cour de cassation reconnaît au client de l’étude un droit à réparation, sur le fondement de la perte de chance (Cass. req., 17 juill. 1889)

Depuis lors, la Cour de cassation reconnaît de façon constante à la perte de chance le caractère de préjudice réparable (V. en ce sens Cass. 1re civ., 27 janv. 1970, n°68-12.782 ; Cass. 2e civ., 7 févr. 1996, n°94-12.965 ; Cass. 1re civ., 16 janv. 2013, n°12-14.439)

?Définition

La Cour de cassation définit la perte de chance comme « la disparition, par l’effet d’un délit, de la probabilité d’un événement favorable, encore que ; par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim., 18 mars 1975, n°74-92.118).

Dans un arrêt du 4 décembre 1996, la Cour de cassation a sensiblement rectifié sa définition de la perte de chance en jugeant que « l’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet de l’infraction, de la probabilité d’un événement favorable encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Cass. crim., 4 déc. 1996, n°96-81.163).

?Conditions

Il ressort des définitions retenues par la Cour de cassation de la perte de chance que pour être réparable, elle doit satisfaire à plusieurs conditions :

  • L’éventualité favorable doit exister
    • Autrement dit, la victime doit avoir été en position de chance, position dont elle a été privée en raison de la production du fait dommageable.
    • Exemple : la Cour de cassation a-t-elle refusé d’indemniser un ouvrier boulanger, victime d’un accident le privant de la possibilité d’ouvrir sa propre boulangerie, dans la mesure où il n’avait effectué aucune démarche en ce sens (Cass. 2e civ., 3 déc. 1997, n°96-11.816).
    • Le critère utilisé par la Cour de cassation afin de déterminer si l’éventualité existe est, le plus souvent, le bref délai.
    • Moins l’éventualité favorable espérée par la victime se réalisera à brève échéance et plus le juge sera réticent à reconnaître la perte de chance.
  • La disparition de l’éventualité favorable doit être réelle
    • Autrement dit, la perte de chance ne doit pas être hypothétique.
    • La disparition de l’événement favorable doit être acquise, certaine.
    • En somme, la condition qui tient au caractère réel de la perte de chance n’est autre que la traduction de l’exigence d’un préjudice certain.
    • La victime ne doit pas avoir la possibilité de voir se représenter l’éventualité favorable espérée.
    • En somme, la disparition de cette éventualité doit être irréversible.
    • Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle estimé que le candidat qui a perdu la chance de se présenter à un concours ne peut obtenir réparation de son préjudice, dès lors qu’il a la possibilité de s’inscrire une nouvelle fois audit concours (Cass. 2e civ., 24 juin 1999, n°97-13.408).
  • La chance perdue doit être sérieuse
    • Cela signifie qu’il doit y avoir une probabilité suffisamment forte que l’événement favorable se réalise (V. en ce sens Cass. 1er civ. 4 avr. 2001, n°98-23.157).
    • On peut ainsi douter du caractère sérieux de la chance d’un étudiant de réussir un concours, s’il n’a pas été assidu en cours et s’il ne s’est livré à aucune révision.
    • On peut également douter du sérieux de la chance d’un justiciable de gagner un procès, dans l’hypothèse où il ne dispose d’aucune preuve de ce qu’il avance.

?Présomption du préjudice

Dans un arrêt du 14 octobre 2010, la Cour de cassation a posé une présomption de certitude de la perte de chance, « chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable » (Cass. 1ère civ. 14 oct. 2010, n°09-69.195).

Autrement dit, la haute juridiction estime que le préjudice est certain, et donc réparable, dès lors qu’est établie la disparition du gain espéré par la victime.

Il s’agit d’une présomption simple, qui donc supporte la preuve du contraire.

?Réparation de la perte d’une chance

Dans la mesure où la réalisation de l’événement favorable n’est, par définition, pas certaine, l’indemnité allouée à la victime ne saurait égaler le gain espéré.

Ainsi, le montant de la réparation du préjudice sera-t-il toujours proportionnel à la probabilité que l’événement se réalise (Cass. 1ère civ., 27 mars 1973, n°71-14.587).

Le juge devra donc toujours prendre en compte l’aléa lors de la réparation du préjudice.

?Contrôle exercé par la Cour de cassation

L’évaluation de la perte de chance relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

La Cour de cassation ne contrôlera que la prise en compte de l’aléa dans l’indemnisation.

Elle rappelle en ce sens régulièrement que « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Cass. 1er civ., 9 avr. 2002, n°00-13.314).

b. Un préjudice prévisible

L’article 1231-3 du Code civil prévoit que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive. »

Pour être réparable, le préjudice qui résulte d’une inexécution contractuelle doit ainsi être prévisible, soit avoir été envisagé contractuellement par les parties.

Lorsque, toutefois, une faute lourde ou dolosive est susceptible d’être reprochée au débiteur, le son cocontractant sera fondé à réclamer une réparation intégrale de son préjudice, soit au-delà de ce qui avait été prévu au contrat.

?Principe

C’est là une différence fondamentale avec la responsabilité délictuelle, la responsabilité contractuelle ne donne pas lieu à application du principe de réparation intégrale du dommage.

En effet, l’article 1231-3 du Code civil dispose que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat […] ».

Cette règle procède de l’idée, comme rappelé dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 que le contrat est avant tout un instrument de prévisibilité.

Il est donc logique d’en limiter la réparation aux dommages qui ont été prévus ou qui étaient prévisibles lors de la conclusion du contrat.

À cet égard, la prévisibilité porte tant sur la cause du dommage (sa nature) que sur sa quotité (son montant).

Aussi, en matière de contrat de transport par exemple, il ne suffit pas que le transporteur soit en mesure de prévoir les dommages susceptibles d’advenir aux marchandises pour que son cocontractant soit fondé à solliciter une complète indemnisation en cas de sinistre.

Il faut encore que les parties aient prévu la valeur des marchandises acheminées, en particulier si elle est élevée. À défaut, l’indemnisation sera limitée au remboursement du prix moyen des marchandises qu’il transporte habituellement.

Ainsi, l’exigence de prévisibilité du préjudice suppose que celui qui s’engage soit en mesure de savoir à quoi il s’expose dans l’hypothèse où l’inexécution de son obligation cause un dommage à son cocontractant.

Lorsque, dès lors, la prestation porte sur une chose, le débiteur doit en connaître la valeur, faute de quoi en cas de perte, de disparition ou de détérioration, les dommages et intérêts alloués au créancier de l’obligation inexécutée ne pourront pas correspondre à cette valeur.

?Exception

Par exception au principe de prévisibilité du préjudice, l’article 1231-3 du Code civil pose que, en cas de faute lourde ou dolosive, la réparation du préjudice causé au cocontractant est intégrale.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par faute dolosive et faute lourde.

Si les textes sont silencieux sur ce point, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 indique que « les articles 1231-3 et 1231-4 sont conformes aux articles 1150 et 1151, mais consacrent en outre la jurisprudence assimilant la faute lourde au dol, la gravité de l’imprudence délibérée dans ce cas confinant à l’intention. »

C’est donc vers la jurisprudence antérieure qu’il convient de se tourner pour déterminer ce que l’on doit entendre par faute lourde et par faute dolosive.

La différence entre les deux fautes tient, en substance, à l’intention de l’auteur de la faute :

  • La faute lourde
    • Elle est définie par la jurisprudence, selon la formule consacrée, comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté » (V. en ce sens Cass. Ch. Mixte 22 avr. 2005, n° 03-14.112).
    • La faute lourde comprend donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif : l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • La faute dolosive
    • Elle est définie quant à elle comme l’inexécution délibérée, et donc volontaire, des obligations contractuelles.
    • À cet égard dans un arrêt du 27 juin 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le constructeur […] est sauf faute extérieure au contrat, contractuellement tenu à l’égard du maître de l’ouvrage de sa faute dolosive lorsque, de propos délibéré même sans intention de nuire, il viole par dissimulation ou par fraude ses obligations contractuelles » (Cass. 3e civ. 27 juin 2001, n°99-21.017).
    • Il ressort de la jurisprudence que la faute dolosive suppose que le débiteur ait seulement voulu manquer à ses obligations contractuelles. Il est indifférent qu’il ait voulu causer un préjudice à son cocontractant.

Nonobstant la différence qui existe entre ces deux notions, la faute lourde est régulièrement assimilée à la faute dolosive par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour de cassation a ainsi rappelé que « la faute lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non-responsabilité » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-21.980).

L’assimilation de la faute lourde à la faute dolosive aurait, selon le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, été reconduite par le législateur, de sorte que les solutions dégagées par la jurisprudence antérieure sont toujours valides.

En tout état de cause, lorsque la faute lourde ou la faute dolosive sont caractérisées, la limitation de l’indemnisation à concurrence du préjudice prévisible est écartée à la faveur du principe de réparation intégrale qui trouve alors à s’appliquer.

  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

Conditions de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle: le fait générateur

Cinquième et dernière sanction susceptible d’être encourue par la partie qui a manqué à ses obligations contractuelles : la condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Cette sanction prévue par l’article 1217 du Code civil présente la particularité de pouvoir être cumulée avec les autres sanctions énoncées par le texte. Anciennement traitée aux articles 1146 à 1155 du Code civil, elle est désormais envisagée dans une sous-section 5 intitulée « la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ».

Tel qu’indiqué par l’intitulé de cette sous-section 5, l’octroi des dommages et intérêts au créancier vise, à réparer les conséquences de l’inexécution contractuelle dont il est victime.

Si, à certains égards, le système ainsi institué se rapproche de l’exécution forcée par équivalent, en ce que les deux sanctions se traduisent par le paiement d’une somme d’argent, il s’en distingue fondamentalement, en ce que l’octroi de dommages et intérêts a pour finalité, non pas de garantir l’exécution du contrat, mais de réparer le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution du contrat. Les finalités recherchées sont donc différentes.

S’agissant de l’octroi de dommages et intérêts au créancier victime d’un dommage, le mécanisme institué aux articles 1231 et suivants du Code civil procède de la mise en œuvre d’une figure bien connue du droit des obligations, sinon centrale : la responsabilité contractuelle.

Classiquement, il est admis que cette forme de responsabilité se rapproche très étroitement de la responsabilité délictuelle.

Ce rapprochement ne signifie pas pour autant que les deux régimes de responsabilité se confondent, bien que le maintien de leur distinction soit contesté par une partie de la doctrine.

En effet, à l’instar de la responsabilité délictuelle la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • L’inexécution d’une obligation contractuelle
  • Un dommage
  • Un lien de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le dommage

Nous nous focaliserons ici sur la première condition.

L’article 1231-1 du Code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Il ressort de cette disposition que, pour être remplie, la condition tenant à l’exécution contractuelle, un manquement contractuel doit, d’une part, être caractérisé. D’autre part, ce manquement doit pouvoir être imputé au débiteur, faute de quoi sa responsabilité ne pourra pas être recherchée.

1. L’exigence d’un manquement contractuel

L’article 1231-1 du Code civil subordonne la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle à l’existence :

  • Soit à l’inexécution de l’obligation
  • Soit d’un retard dans l’exécution de l’obligation

Il ressort de cette disposition que l’inexécution contractuelle doit être entendue largement, celle-ci pouvant être totale ou partielle. Mais elle peut également consister en une exécution tardive ou défectueuse.

Plus généralement, l’inexécution visée par l’article 1231-1 du Code civil s’apparente en un manquement, par le débiteur, aux stipulations contractuelles.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi ce manquement doit-il consister pour être générateur de responsabilité contractuelle ; d’où il s’ensuit la problématique de la preuve.

a. Le contenu du manquement

Très tôt la question s’est donc posée de savoir ce que l’on doit entendre par manquement contractuel, le Code civil étant silencieux sur ce point.

Plus précisément on s’est demandé si, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur, le manquement constaté devait être constitutif d’une faute ou si l’établissement d’une faute était indifférent.

a.1. Problématique de la faute

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil semblait apporter deux réponses contradictoires à cette interrogation.

  • D’un côté, l’article 1137, al. 1er disposait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables. »
    • On en déduisait, que pour rechercher la responsabilité contractuelle du débiteur, il appartenait au créancier, non seulement de rapporter la preuve d’une inexécution, mais encore d’établir que le débiteur ne s’était pas comporté en bon père de famille.
    • Classiquement, l’expression « bon père de famille » désigne la personne qui est avisée, soignée et diligente.
    • Conformément à cette définition, le débiteur ne pourrait, dès lors, voir sa responsabilité contractuelle engagée que s’il peut lui être reproché des faits de négligence ou d’imprudence que le contractant, bon père de famille, placé dans les mêmes conditions, n’aurait pas commis.
  • D’un autre côté, l’article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • À la différence de l’ancien article 1137 du Code civil cette disposition n’exigeait pas du créancier qu’il prouve que le débiteur ne s’est pas comporté en bon père de famille pour que sa responsabilité puisse être recherchée.
    • Il s’évinçait donc de l’article 1147 que l’absence de faute du débiteur était sans incidence : seule importe l’existence d’une inexécution contractuelle.

Au bilan, tandis que l’ancien article 1137 du Code civil subordonnait la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle à l’établissement d’une faute, l’article 1147 ne l’exigeait pas, la seule inexécution contractuelle se suffisant à elle-même.

Pour sortir de l’impasse et résoudre cette contradiction, un auteur, René Demogue, suggéra de raisonner en opérant une distinction entre :

  • D’une part, les obligations de moyens qui relèveraient de l’application de l’article 1137 du Code civil
  • D’autre part, les obligations de résultat qui obéiraient, quant à elles, à la règle posée à l’article 1147

a.2. Obligations de moyens et obligations de résultat

?Exposé de la distinction

Demogue soutenait ainsi que la conciliation entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil tenait à la distinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens :

  • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur est contraint d’atteindre un résultat déterminé
    • Exemple: Dans le cadre d’un contrat de vente, pèse sur le vendeur une obligation de résultat : celle livrer la chose promise. L’obligation est également de résultat pour l’acheteur qui s’engage à payer le prix convenu.
    • Il suffira donc au créancier de démontrer que le résultat n’a pas été atteint pour établir un manquement contractuel, source de responsabilité pour le débiteur
  • L’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
    • Exemplele médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
    • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat

La distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat rappelle immédiatement la contradiction entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil.

  • En matière d’obligation de moyens
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Cette règle n’est autre que celle posée à l’ancien article 1137 du Code civil.
  • En matière d’obligation de résultat
    • Il est indifférent que le débiteur ait commis une faute, sa responsabilité pouvant être recherchée du seul fait de l’inexécution du contrat.
    • On retrouve ici la règle édictée à l’ancien article 1147 du Code civil.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat.

?Critères de la distinction

En l’absence d’indications textuelles, il convient de se reporter à la jurisprudence qui se détermine au moyen d’un faisceau d’indices.

Plusieurs critères – non cumulatifs – sont, en effet, retenus par le juge pour déterminer si l’on est en présence d’une obligation de résultat ou de moyens :

  • La volonté des parties
    • La distinction entre obligation de résultat et de moyens repose sur l’intensité de l’engagement pris par le débiteur envers le créancier.
    • La qualification de l’obligation doit donc être appréhendée à la lumière des clauses du contrat et, le cas échéant, des prescriptions de la loi.
    • En cas de silence de contrat, le juge peut se reporter à la loi qui, parfois, détermine si l’obligation est de moyens ou de résultat.
    • En matière de mandat, par exemple, l’article 1991 du Code civil dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ».
    • C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur le mandataire.
  • Le contrôle de l’exécution
    • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur a la pleine maîtrise de l’exécution de la prestation due.
    • Inversement, l’obligation est plutôt de moyens, lorsqu’il existe un aléa quant à l’obtention du résultat promis
    • En pratique, les obligations qui impliquent une action matérielle sur une chose sont plutôt qualifiées de résultat.
    • À l’inverse, le médecin, n’est pas tenu à une obligation de guérir (qui serait une obligation de résultat) mais de soigner (obligation de moyens).
    • La raison en est que le médecin n’a pas l’entière maîtrise de la prestation éminemment complexe qu’il fournit.
  • Rôle actif/passif du créancier
    • L’obligation est de moyens lorsque le créancier joue un rôle actif dans l’exécution de l’obligation qui échoit au débiteur
    • En revanche, l’obligation est plutôt de résultat, si le créancier n’intervient pas

?Mise en œuvre de la distinction

Le recours à la technique du faisceau d’indices a conduit la jurisprudence à ventiler les principales obligations selon qu’elles sont de moyens ou de résultat.

L’examen de la jurisprudence révèle néanmoins que cette dichotomie entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’est pas toujours aussi marquée.

Il est, en effet, certaines obligations qui peuvent être à cheval sur les deux catégories, la jurisprudence admettant, parfois, que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il n’a commis aucune faute.

Pour ces obligations on parle d’obligations de résultat atténué ou d’obligation de moyens renforcée : c’est selon. Trois variétés d’obligations doivent donc, en réalité, être distinguées.

  • Les obligations de résultat
    • Au nombre des obligations de résultat on compte notamment :
      • L’obligation de payer un prix, laquelle se retrouve dans la plupart des contrats (vente, louage d’ouvrage, bail etc.)
      • L’obligation de délivrer la chose en matière de contrat de vente
      • L’obligation de fabriquer la chose convenue dans le contrat de louage d’ouvrage
      • L’obligation de restituer la chose en matière de contrat de dépôt, de gage ou encore de prêt
      • L’obligation de mettre à disposition la chose et d’en assurer la jouissance paisible en matière de contrat de bail
      • L’obligation d’acheminer des marchandises ou des personnes en matière de contrat de transport
      • L’obligation de sécurité lorsqu’elle est attachée au contrat de transport de personnes (V. en ce sens Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307).
  • Les obligations de résultat atténuées ou de moyens renforcées
    • Parfois la jurisprudence admet donc que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Pour ce faire, il devra renverser la présomption de responsabilité en démontrant qu’il a exécuté son obligation sans commettre de faute.
    • Tel est le cas pour :
      • L’obligation de conservation de la chose en matière de contrat de dépôt
      • L’obligation qui pèse sur le preneur en matière de louage d’immeuble qui, en application de l’article 1732 du Code civil, « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute »
      • L’obligation de réparation qui échoit au garagiste et plus généralement à tout professionnel qui fournit une prestation de réparation de biens (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 2 févr. 1994, n°91-18764).
      • L’obligation qui échoit sur le transporteur, en matière de transport maritime, qui « est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge, que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés » (art. L. 5421-4 du code des transports)
      • L’obligation de conseil que la jurisprudence appréhende parfois en matière de contrats informatiques comme une obligation de moyen renforcée.
  • Les obligations de moyens
    • À l’analyse les obligations de moyens sont surtout présentes, soit dans les contrats qui portent sur la fourniture de prestations intellectuelles, soit lorsque le résultat convenu entre les parties est soumis à un certain aléa
    • Aussi, au nombre des obligations de moyens figurent :
      • L’obligation qui pèse sur le médecin de soigner son patient, qui donc n’a nullement l’obligation de guérir (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-13.579).
        • Par exception, l’obligation qui échoit au médecin est de résultat lorsqu’il vend à son patient du matériel médical qui est légitimement en droit d’attendre que ce matériel fonctionne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°03-12.146).
        • Il en va de même s’agissant de l’obligation d’information qui pèse sur le médecin, la preuve de l’exécution de cette obligation étant à sa charge et pouvant se faire par tous moyens.
      • L’obligation qui pèse sur la partie qui fournit une prestation intellectuelle, tel que l’expert, l’avocat (réserve faite de la rédaction des actes), l’enseignant,
      • L’obligation qui pèse sur le mandataire qui, en application de l’article 1992 du Code civil « répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. »
      • L’obligation de surveillance qui pèse sur les structures qui accueillent des enfants ou des majeurs protégés (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-12.891).

?Sort de la distinction après la réforme du droit des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 révèle que la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’a pas été reprise par le législateur, à tout le moins formellement.

Est-ce à dire que cette distinction a été abandonnée, de sorte qu’il n’a désormais plus lieu d’envisager la responsabilité du débiteur selon que le manquement contractuel porte sur une obligation de résultat ou de moyens ?

Pour la doctrine rien n’est joué. Il n’est, en effet, pas à exclure que la Cour de cassation maintienne la distinction en s’appuyant sur les nouveaux articles 1231-1 et 1197 du Code civil, lesquels reprennent respectivement les anciens articles 1147 et 1137.

Pour s’en convaincre il suffit de les comparer :

  • S’agissant des articles 1231-1 et 1147
    • L’ancien article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • Le nouvel article 1231-1 prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
  • S’agissant des articles 1197 et 1137
    • L’ancien article 1137 prévoyait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables ».
    • Le nouvel article 1197 prévoit que « l’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

Une analyse rapide de ces dispositions révèle que, au fond, la contradiction qui existait entre les anciens articles 1137 et 1147 a survécu à la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et la loi de ratification du 21 avril 2018, de sorte qu’il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation ne manquera pas de se saisir de ce constat pour confirmer la jurisprudence antérieure.

b. La preuve du manquement

La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est subordonnée à la preuve d’un manquement contractuel.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, sur qui pèse la charge de la preuve ?
  • D’autre part, quel est l’objet de la preuve ?

Ces questions sont manifestement indissociables de la problématique consistant à se demander si, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur, le manquement constaté doit être constitutif d’une faute ou si l’établissement d’une faute est indifférent.

Le régime de la preuve en matière contractuelle est, en effet, radicalement différent selon que la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est ou non subordonnée à la caractérisation d’une faute.

On en revient alors à la distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat qui détermine le régime probatoire applicable.

  • Lorsque l’obligation est de moyen, le créancier doit établir la faute du débiteur
    • Autrement dit, il doit démontrer que le débiteur n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat convenu ainsi que l’aurait fait le bon père de famille.
    • La gravité de la faute ici importe peu : la responsabilité du débiteur est engagée dès lors qu’il est établi qu’il a manqué à ses obligations contractuelles par négligence ou une imprudence.
    • Cette gravité de la faute ne sera prise en compte que pour déterminer s’il y a lieu d’exclure les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité.
  • Lorsque l’obligation est de résultat, il suffit au créancier de démontrer que le résultat promis n’a pas été atteint
    • Dans cette configuration, la charge de la preuve est en quelque sorte inversée : ce n’est pas au créancier de démontrer que le débiteur a manqué à ses obligations, mais au débiteur de prouver que le résultat stipulé au contrat a bien été atteint.
    • L’exécution, même partielle, des obligations du débiteur, ne lui permet pas de s’exonérer de sa responsabilité.
    • Seul compte ici l’atteinte du résultat auquel s’est engagé le débiteur.
    • Pour s’exonérer de sa responsabilité, ce dernier ne disposera que d’une seule option : établir la survenance d’une cause étrangère.

2. L’imputabilité du manquement

S’il est absolument nécessaire pour que le débiteur d’une obligation engage sa responsabilité qu’une inexécution du contrat, même partielle, puisse lui être reprochée, il est indifférent que cette inexécution ne résulte pas de son fait personnel.

Lorsque, en effet, l’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui ou au fait d’une chose, le débiteur est également susceptible d’engager sa responsabilité.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir dans quelle mesure le débiteur répond-il du fait d’autrui et du fait d’une chose.

?L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui

Il est classiquement admis que le débiteur d’une obligation peut engager sa responsabilité contractuelle du fait d’autrui.

Tout d’abord, la loi prévoit de nombreux cas de responsabilité contractuelle du fait d’autrui. Il en va ainsi en matière de :

  • Contrat de bail, le preneur répondant des dégradations et des pertes qui arrivent par « le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires » (art. 1735 C.civ.)
  • Contrat d’entreprise, le maître d’ouvrage répondant « du fait des personnes qu’il emploie » (art. 1797 C. civ.)
  • Contrat d’hôtellerie, l’hôtelier étant responsable « du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel. » (art. 1953 C. civ.)
  • Contrat de mandat, le mandataire répondant « de celui qui s’est substitué dans sa gestion (art. 1994 C. civ.)
  • Contrat de transport, le commissionnaire de transport étant « garant des faits du commissionnaire intermédiaire auquel il adresse les marchandises. » (art. L. 132-6 C. com.)

Ensuite, la jurisprudence reconnaît la responsabilité contractuelle du fait d’autrui lorsque le débiteur a volontairement introduit un tiers dans l’exécution de son obligation.

Il en va ainsi du préposé, du sous-traitant, du mandataire, des représentants du débiteur et plus généralement de tous ceux interviennent sur la demande du débiteur dans la relation contractuelle.

Il en résulte a contrario que lorsque l’intervention du tiers est spontanée, le débiteur n’engage pas sa responsabilité contractuelle en cas d’inexécution contractuelle du fait de ce tiers.

Dans un arrêt du 15 janvier 1993 la Cour d’appel de Grenoble a parfaitement résumé la règle en affirmant que « la responsabilité contractuelle du fait d’autrui couvre les fautes de toutes les personnes auxquelles le débiteur de l’obligation fait appel pour l’exécution du contrat » (CA Grenoble, 15 janv. 1993).

Reste que la responsabilité contractuelle du fait d’autrui ne va en général conduire à faire peser la charge de la dette de réparation sur la tête du cocontractant débiteur que de manière temporaire.

En effet, celui-ci sera fondé, dans le cadre de l’exercice d’une action récursoire, à obtenir le remboursement des sommes qu’il aura exposées auprès du tiers à l’origine du dommage.

?L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’une chose

Bien que le Code civil soit silencieux sur la responsabilité contractuelle du fait des choses, elle a pourtant été conceptualisée par la doctrine qui distingue deux hypothèses :

  • Première hypothèse : la chose est l’objet de l’obligation
    • Cette hypothèse renvoie aux contrats qui ont pour objet le transfert de propriété de la chose ou sa mise à disposition.
    • Tel est le cas des contrats de vente, d’entreprise ou encore de bail
    • Pour ces contrats, le contractant qui transfère la propriété ou la jouissance de la chose est, la plupart du temps, tenu de garantir son cocontractant contre les vices cachés
    • Aussi, lorsqu’un tel vice affecte l’usage de la chose, l’inexécution contractuelle a bien pour origine cette chose.
    • Le débiteur de l’obligation de garantie engage donc bien sa responsabilité contractuelle du fait de la chose objet du contrat.
  • Seconde hypothèse : la chose est un moyen d’exécuter l’obligation
    • Cette hypothèse renvoie principalement aux contrats d’entreprise dont l’exécution suppose l’utilisation de choses par le maître d’œuvre tels que, par exemple, des outils ou des instruments.
    • Aussi, le maître d’œuvre engage sa responsabilité lorsqu’un dommage est causé par l’une des choses qu’il avait sous sa garde et qu’il a utilisée pour fournir la prestation promise.
  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

Assurance de dommages : Les risques couverts

Liberté contractuelle. En droit commun des contrats, le principe de la liberté contractuelle commande de reconnaître aux parties le pouvoir de déterminer comme elles l’entendent le contenu de leur accord (art. 1102 nouv. c.civ.). En droit du contrat d’assurance, les parties sont libres de déterminer l’étendue de l’obligation à la dette. Elles sont libres de fixer l’étendue de la garantie. Mais le législateur de suppléer l’éventuel silence des parties contractantes.

Présomption supplétive de volonté. Sous le titre des obligations de l’assureur et de l’assuré, l’article L. 113-1 C. assur. dispose « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits (événement imprévisible dans son origine – tremblement de terre, accident, etc. – et irrésistible dans ses effets) ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Ce faisant, le code énonce une présomption de garantie illimitée. L’assureur, qui a accepté de couvrir un risque, est donc supposé garantir toutes les conséquences pécuniaires attachées à sa réalisation. La présomption est toutefois réfragable. Le texte précité autorise la stipulation d’exclusions formelles et limitées. Dit autrement, les parties déterminent librement les risques qu’elles soumettent à l’assurance. Elles fixent tout aussi librement le montant des capitaux qu’elles veulent garantir.

Liberté contractuelle et demi. Si la liberté contractuelle est sauve, c’est à la condition sine qua non que les parties ne dérogent pas, par une convention particulière aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs (C.civ., art. 6. Voy. aussi 1162 nouv. qui ne renferme plus la notion de bonnes mœurs  jugée désuète). Or, les lois, qui délimitent l’étendue de l’obligation à la dette de l’assureur, sont nombreuses en droit des assurances. En vérité, la fréquence des interventions du législateur dans le contrat est particulièrement élevée dans la matière qui nous occupe. Il n’est que de songer aux nombreux agents économiques contraints par la loi de s’assurer[1]. Entre autres exemples, le principe indemnitaire interdit de s’enrichir à l’occasion d’un dommage que l’on subit. Ce dont il résulte que l’assureur ne peut garantir une valeur supérieure au montant du dommage que l’on est susceptible d’éprouver. L’indemnisation excessive est proscrite. Il en va de même de l’absence d’indemnisation. Un certain nombre de prescriptions légales viennent au secours des victimes d’événements exceptionnels. Les effets des catastrophes naturelles (C. assur., art. L. 125-1, al. 3 – définition) sont nécessairement couverts par l’assurance des risques de catastrophes naturelles (C. assur., art. L. 125-1, al. 1er, domaine). Il en va de même des attentats terroristes dont les effets sont de jure couverts par l’assurance contre les actes de terrorismes (C. assur., art. L. 126-1, al. 1er).

Antisélection. Nonobstant l’obligation faite ponctuellement aux agents économiques de souscrire une assurance de dommages, les parties sont libres de décider les risques garantis, à la condition que ledit risque soit assurable. Or il existe des risques inassurables. Pour mémoire, l’assureur peut refuser une prise en charge du risque encouru par l’offreur lorsque ledit risque est incompatible avec le fonctionnement correct d’une mutualité. Il en va ainsi toutes les fois que le risque menace avec une très forte probabilité de réalisation certaines personnes, alors que sa réalisation est exclue avec certitude pour d’autres (risque d’inondation couvert au profit exclusif des souscripteurs propriétaires d’une maison en zone inondable). De la sorte, seules les personnes fortement exposées vous être candidates à l’assurance, tandis que les autres refuseront de souscrire une assurance faute d’un quelconque intérêt. L’assureur est ainsi victime du phénomène dit d’antisélection. Il ne peut recueillir que les mauvais risques sans pouvoir sélectionner les bons. Aucune compensation n’étant alors possibles, les primes versées sont insuffisantes pour permettre l’indemnisation de sinistres frappant, par définition, un pourcentage trop élevé de la collectivité des assurés.

Tarification actuarielle. L’assureur peut encore refuser sa garantie lorsqu’il est trop difficile d’établir une tarification actuarielle. Le montant de la prime est fonction de la probabilité de survenance de l’événement couvert et du coût moyen des dommages en résultant. Si le risque ne s’est jamais réalisé ou bien s’il ne s’est produit que de façon exceptionnelle, ces deux variables ne peuvent être statistiquement appréciées. En l’absence de données exploitables sur la fréquence du sinistre et sur son importance prévisible, le risque est inassurable ou très difficilement (ex. risque de guerre).

Capacité financière. L’assureur peut enfin refuser sa garantie lorsque la compensation des conséquences du risque encouru par le candidat à l’assurance est telle qu’elle excéderait ses capacités financières. Tels est le cas des guerres, des attentats terroristes ou des catastrophes naturelles.

En résumé, il existe donc des risques impérativement garantis (1) et d’autres risques présumés exclus (2).

1.- Les risques impérativement garantis

Malgré les contorsions de tous ordres du droit des obligations, dans le souci bien compris d’indemniser les victimes de dommages corporels, il reste des circonstances où la victime cherche désespérément la responsabilité d’une personne impliquée dans la production du dommage dont elle est le siège. Autrement dit, il est des circonstances où la théorie de la poche profonde (deep pocket liability) est impuissante à désigner un débiteur de réparation. Démunie, la victime d’une catastrophe naturelle ou technologique, d’une tempête ou d’un attentat dont les auteurs sont anonymes s’est tournée vers l’État.

Avec compassion mais raison, le législateur a organisé l’indemnisation de ces victimes frappées par le coup du mauvais sort en contraignant les assureurs à couvrir les risques précités, à charge pour les candidats à l’assurance de payer la prime afférente.

2.- Les risques présumés exclus

Les dispositions ordinaires qui nous occupent relatives aux assurances de dommages excluent du domaine de la garantie deux types de risques, sous réserve de convention contraire. Sont présumés non couverts par l’assureur les dommages causés à la chose du fait de son vice propre (C. assur., art. L. 121-7) et les dommages résultant d’actes de violence collective (C. assur. 121-8, al. 1er), en l’occurrence la guerre, les émeutes ou les mouvements populaires. On aura garde de noter que, s’agissant des dommages résultant d’émeutes ou des mouvements populaires, il est fréquent que la police d’assurance écarte l’exclusion légale, en insérant une clause expresse de garantie des dommages causés par ce type de troubles intérieurs. En pratique, on trouve une semblable clause dans les contrats multirisques de l’entreprise.

[1] Code des assurances, Livre 2, Assurances obligatoires : les professionnels de santé exerçant à titre libéral (C. assur., art. L. 251-1, C. santé publ., art. L. 1142-2) ; les conducteurs de véhicules terrestres à moteur (C. assur., art. L. 211-1). Voir également la longue liste des assurances obligatoires édictée par le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, présentée en appendice dans l’édition Dalloz du Code des assurances (liste que l’on retrouvera dans le rapport du Conseil d’État 2005, Responsabilité et socialisation du risque, La documentation française, pp. 341-346. V. égal. C. assur. Litec).

Le régime juridique du concubinage: notion, effets, rupture

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[1], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme.

De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale. De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[2]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire.

Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui. Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[3], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable.

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[4] et plus encore, comme son « acte fondateur »[5]. Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre, mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[6]. En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[7]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[8]. Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage[9]. Excepté quelques cas marginaux[10], leur situation n’est réglée que par le seul droit commun. Pour les couples qui choisissent de se tenir à l’écart de l’union conjugale, c’est donc un silence juridique qui les attend.

Chapitre 1: La définition du concubinage

Pendant très longtemps, le Concubinage était une situation de fait ignorée du Code civil.

Il a fallu attendre la loi du 15 novembre 1999 pour que la place faite par le droit dans l’ordonnancement juridique au concubinage – c’est-à-dire aucune – évolue.

Ainsi, cette loi a-t-elle introduit un article 515-8 dans le Code civil lequel dispose : « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

Dans sa décision du n°99-419 DC du 9 novembre 1999, le Conseil constitutionnel a précisé que « cette définition a pour objet de préciser que la notion de concubinage peut s’appliquer indifféremment à un couple formé par des personnes de sexe différent ou de même sexe ; que, pour le surplus, la définition des éléments constitutifs du concubinage reprend celle donnée par la jurisprudence ; que le moyen manque donc en fait »

Au vrai, la définition par le Code civil n’a pas vraiment d’intérêt juridique dans la mesure où le législateur n’a fait produire aucun effet de droit au concubinage : il demeure une situation de fait.

Le régime juridique qui lui est applicable c’est le droit commun.

Aussi, le législateur n’a-t-il fait, en réalité, que reprendre l’essentiel des éléments constitutifs de la définition du concubinage dégagés antérieurement par la Cour de cassation à une exception près : avant 1999 la Cour de cassation déniait aux couples homosexuels le statut de concubins.

Il en résultait que ces derniers étaient systématiquement déboutés de leur demande tendant à bénéficier des mêmes droits que les couples de concubins hétérosexuels (notamment s’agissant des avantages octroyés par certaines sociétés à leurs salariés vivant en concubinage).

Ainsi, la jurisprudence affirmait-elle régulièrement que le concubinage ne pouvait se concevoir en dehors de l’union d’un homme et d’une femme.

Dans un arrêt du 11 juillet 1989, la chambre sociale a par exemple envisagé la vie maritale comme « une situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux, sans pour autant s’unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu’un couple constitué d’un homme et d’une femme » (Cass. soc. 11 juill. 1989, n°86-10.665).

Cass. soc. 11 juill. 1989
Sur le moyen unique :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 8e chambre, 27 novembre 1985) de lui avoir refusé la qualité d'ayant droit de Mme X..., qu'elle sollicitait sur le fondement de l'article 13 de la loi du 2 janvier 1978 relative à la généralisation de la sécurité sociale qui dispose que la personne qui vit maritalement avec un assuré social et qui se trouve à sa charge effective totale et permanente, a la qualité d'ayant droit de l'assuré pour l'ouverture du droit aux prestations en nature des assurances maladie et maternité, alors tout d'abord, qu'il est constant qu'elle était depuis deux ans sous le toit de son amie, assurée sociale, et se trouvait à sa charge effective et alors surtout que la loi du 2 janvier 1978 portant généralisation de la sécurité sociale a posé le principe d'un droit de protection pour tous de sorte que ses dispositions doivent faire l'objet d'une interprétation extensive ; que la vie maritale prise en considération par l'article 13 de la loi précitée s'entend d'une existence commune et stable entre deux individus en sorte qu'en y ajoutant une condition d'hétérogénéité sexuelle, la cour d'appel lui a apporté une restriction qu'il ne comporte pas ;

Mais attendu qu'en se référant dans l'article 13 de la loi du 2 janvier 1978 à la notion de vie maritale, le législateur a par là même entendu limiter les effets de droit, au regard des assurances maladie et maternité à la situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux, sans pour autant s'unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu'un couple constitué d'un homme et d'une femme ;

Qu'ils étaient fondés à en déduire que Mme Y... ne satisfaisait pas à la condition de vie maritale exigée par la loi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Dans un arrêt du 17 décembre 1997, elle a encore considéré que « le concubinage ne pouvait résulter que d’une relation stable et continue ayant l’apparence du mariage » (Cass. 3e civ. 17 déc. 1997, n° 95-20.779).

Cass. 3e civ. 17 déc. 1997
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mars 1995), que Mme Z... a donné un appartement à bail à M. X... ; qu'après le décès du locataire, son ami, M. Y..., qui vivait avec lui et était demeuré dans les lieux, a assigné la bailleresse en transfert du bail à son profit ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, publié par décret n° 81-76 du 29 janvier 1981, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe,... ou de toute autre situation ; qu'en estimant que l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, qui dispose que " lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré (...) au concubin notoire (...) qui vivait avec lui depuis au moins 1 an à la date du décès ", ne visait que le cas de concubinage entre un homme et une femme, alors que ce texte ne contient aucune restriction autre que celle tenant à la durée du concubinage, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble l'article 8, alinéa 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que le concubinage ne pouvait résulter que d'une relation stable et continue ayant l'apparence du mariage, donc entre un homme et une femme, la cour d'appel n'a violé ni l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni l'article 8, alinéa 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cette solution a été reprise par la Cour de justice des Communautés européennes dans un arrêt du 17 février 1998.

Aux termes de cette décision, les juges luxembourgeois avaient estimé que « les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de même sexe » (CJCE 17 févr. 1998, aff. C-249/96).

Il a donc fallu attendre l’adoption de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité pour que l’on reconnaisse qu’un couple de personnes de même sexe puisse vivre en concubinage.

Chapitre II: La preuve du concubinage

Dans la mesure où le concubinage est constitutif d’une situation de fait, conformément à l’article 1358 du Code civil la preuve est libre.

Les concubins peuvent également au cours de leur vie commune demander l’établissement d’un document constatant leur union.

Au nombre de ces documents figurent :

  • Le certificat de concubinage
    • Il doit être demandé auprès de la Mairie
    • Trois conditions sont classiquement exigées :
      • La fourniture d’un justificatif d’identité
      • L’existence d’une domiciliation commune des demandeurs
      • La présence de témoins qui n’ont aucun lien de parenté doivent attester de la véracité du concubinage des demandeurs
  • L’acte de notoriété
    • L’acte de notoriété est un document dressé selon le cas par un juge d’instance ou un notaire, dans lequel des déclarants attestent qu’un fait est de notoriété publique, c’est-à-dire connu par un grand nombre de personnes, et à leur connaissance personnelle.
    • Aussi, afin de prouver la réalité d’une vie maritale, les concubins peuvent solliciter auprès d’un notaire l’établissement d’un acte de notoriété constatant l’existence d’une vie commune

Chapitre 3: Les effets du concubinage

Le concubinage est une situation de fait. La conséquence en est que le droit n’attache aucun effet à cette forme d’union. Aussi, est-ce, par principe, le droit commun qui a vocation à régir les rapports entre concubins.

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle toutefois que, ni le législateur, ni les juridictions ne sont restés totalement indifférents à leur sort.

Aussi, compte-on un certain nombre de règles qui régissent les rapports entre concubins.

I) Dans les rapports personnels

A) Principe

Les dispositions relatives au mariage et au pacs n’étant pas applicables aux concubins, dans leurs rapports personnels, aucune obligation ni devoir n’est mis à leur charge.

Ainsi, les concubins ne sont-ils nullement tenus d’observer un devoir de fidélité, de secours, d’assistance ou encore de respect comme ce peut être le cas pour les époux.

B) Exceptions

Par exception, le concubinage confère aux concubins un certain nombre de droits qui, au regard de ceux octroyés aux époux et aux partenaires, demeurent restreints.

  • Droits conférés dans le cadre de la conclusion d’un bail d’habitation
    • L’article 14 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dispose que, en cas d’abandon du domicile par le locataire, le contrat de location continue, notamment au profit du concubin notoire qui vivait avec lui depuis au moins un an à la date de l’abandon du domicile.
    • L’article 15 de cette même loi prévoit que le bailleur est autorisé à donner congé à son locataire lorsqu’il souhaite reprendre le local à la faveur de son partenaire, conjoint ou concubin. Le délai de préavis applicable au congé est alors de six mois
  • Droits conférés dans le cadre des relations avec les organismes sociaux
    • L’article L. 434-8 du Code de la sécurité sociale confère au concubin le droit de percevoir une pension de réversion en cas de décès de l’assuré à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle
    • L’article L. 361-4 du même code confère encore au concubin le droit de percevoir un capital décès attribué par la caisse primaire d’assurance maladie s’il était, au moment du décès, à la charge effective, totale et permanente de l’assuré.
    • L’article L. 3142-12 du Code du travail prévoit enfin que le salarié ayant au moins un an d’ancienneté dans l’entreprise a droit à un congé de proche aidant lorsque son concubin présente un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité
  • Droits conférés dans le cadre de la conclusion d’un contrat d’assurance
    • L’article L. 121-12 du code des assurances prévoit que, en principe, l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.
    • Toutefois, l’alinéa 3 de cette disposition précise que l’assureur n’a aucun recours contre notamment toute personne vivant habituellement au foyer de l’assuré, sauf le cas de malveillance commise par une de ces personnes
    • Cette disposition permet ainsi d’inclure les concubins dans le champ d’application de l’exception.
  • Droits conférés dans le cadre de poursuites pénales
    • Le Code pénal confère une immunité aux concubins s’agissant de la poursuite de certaines infractions pénales.
    • Il en va ainsi :
      • pour non-dénonciation de crimes ( 434-1 C. pén.),
      • pour recel de malfaiteur ( 434-6 C. pén.)
      • pour non-témoignage en faveur d’un innocent ( 434-11 C. pén.)
    • La jurisprudence pose toutefois comme condition que le concubinage soit notoire, ce qui implique l’existence d’une vie commune et que la relation de couple soit stable et durable.
  • Droits conférés dans le cadre de l’obtention d’un titre de séjour
    • L’article L. 313-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que la situation de concubinage constitue un motif d’obtention d’un titre de séjour
    • Cette disposition dispose en ce sens que « sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention ” vie privée et familiale ” est délivrée de plein droit notamment A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l’article L. 313-2 soit exigée.»
  • Droit conférés dans le cadre d’une démarche de procréation médicalement assistée et prélèvement d’organes
    • Sur l’assistance médicale à la procréation
      • L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique prévoit que pour accéder à l’assistance médicale à la procréation l’homme et la femme formant le couple doivent être :
        • vivants
        • en âge de procréer
        • mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination.
    • Sur le prélèvement d’organes
      • L’article L. 1231-1 du code de la santé publique prévoit, s’agissant d’un prélèvement d’organes que, par principe, le donneur doit avoir la qualité de père ou mère du receveur.
      • Toutefois, l’alinéa 2 dispose que peut être autorisée à se prêter à un prélèvement d’organe dans l’intérêt thérapeutique direct d’un receveur notamment « toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur ainsi que toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur. »

II) Dans les rapports patrimoniaux

A) Les rapports entre concubins

Contrairement au couple marié, les concubins ne bénéficient d’aucun statut matrimonial, soit de règles qui régissent leurs rapports patrimoniaux.

Il en résulte que ces derniers sont insusceptibles de se prévaloir des règles qui régissent les rapports pécuniaires entre époux.

  1. Contribution aux charges du ménage

Bien que la vie en couple génère des dépenses communes dont chaque membre va tirer profit, les concubins, à la différence des époux, ne sont pas tenus de contribuer aux charges du ménage conformément à l’article 214 du Code civil.

Cette disposition prévoit pourtant que les époux doivent contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.

Par charges du mariage, il faut entendre toutes les dépenses qui assurent le fonctionnement du ménage (contrairement aux dépenses d’investissement).

Il s’agit, en somme, de toutes les dépenses d’intérêt commun que fait naître la vie du ménage.

Régulièrement, la jurisprudence rappelle que cette disposition n’est pas applicable au couple de concubins.

Dans un arrêt du 19 mars 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991).

Cass. 1ère civ. 19 mars 1991
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X... fait grief à la cour d'appel (Versailles, 18 juillet 1988) d'avoir rejeté sa demande, en vue de répartir, entre lui et Mme Y..., les dépenses de vie courante respectivement exposées, par chacun d'eux, durant la période de leur concubinage, en retenant qu'ils y avaient participé à proportion de leurs ressources personnelles et qu'il n'y avait donc pas lieu à comptes de ce chef, alors, selon le moyen, d'une part, qu'ils se trouvaient dans une situation de fait non légalement réglementée, de sorte qu'en constituant entre eux une contribution aux charges de la vie commune, à proportion de leurs ressources, ainsi qu'il est dit à l'article 214 du Code civil, non applicable aux concubins, la cour d'appel a violé ce texte ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à faire état d'un accord tacite entre les intéressés sans autrement justifier cette affirmation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; et alors, enfin, que sont demeurées sans réponse les conclusions dans lesquelles M. X... faisait valoir que les acquisitions réalisées durant la communauté de vie avaient été réparties au profit de celui qui en était détenteur, ou par l'attribution faite lors du partage consécutif à la rupture ;

Mais attendu qu'aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux doit, en l'absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a exposées ; que c'est dès lors à bon droit, sans avoir à répondre aux conclusions invoquées par la troisième branche du moyen qui sont inopérantes, que la cour d'appel a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'établir, à ce sujet, un compte entre les parties ; qu'ainsi l'arrêt attaqué est légalement justifié ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Dans un arrêt plus récent du 31 janvier 2006, la haute juridiction a encore estimé, bien qu’ayant relevé qu’un concubin avait participé au financement du bien indivis acquis par sa concubine dans des proportions supérieures à celle-ci que, dans la mesure où aucune disposition légale ne règle la contribution aux charges du ménage de la vie commune des concubins, ces derniers n’ont droit à aucune indemnité à ce titre.

Cass. 1ère civ. 31 janv. 2006
Sur le moyen unique pris en ses deux premières branches :

Vu les articles 214, 220 et 815 du Code civil ;

Attendu que, pour fixer à égalité les parts respectives de M. X... et de Mme Y... dans l'actif de l'indivision ayant existé entre eux, liquidée après la vente du bien immobilier qu'ils avaient acquis indivisément, l'arrêt attaqué retient que la mention à l'acte d'achat de celui-ci suivant laquelle cette acquisition avait été faite "par égale parts entre eux" révélait leur commune intention d'être indivisaires à égalité, sans tenir compte de l'origine des fonds ayant servi à cette acquisition, la participation de Mme Y... à la vie du ménage pendant seize ans ayant constitué une contribution réelle, bien que non quantifiable en espèces, au financement de ce bien ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, il était établi que M. X... avait participé au financement du bien indivis dans des proportions supérieures à celles de Mme Y... et que, d'autre part, aucune disposition légale ne règle la contribution aux charges du ménage de la vie commune des concubins, lesquels n'ont droit à aucune indemnité à ce titre, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Il ressort de cette jurisprudence que, en l’absence de statut juridique, les concubins s’exposent à de grands risques en cas de rupture du couple, en particulier s’agissant du partage des biens qu’ils ont acquis au cours de la vie commune.

Aussi, afin de limiter ce risque, il leur est possible de conclure, par exemple, une convention de concubinage.

2. La convention de concubinage

La conclusion d’une convention de concubinage vise à régir les rapports patrimoniaux que les concubins entretiennent entre eux et donc à prévenir toute difficulté susceptible de survenir en cas de rupture de leur union.

Il leur est ainsi possible de prévoir une obligation de contribution aux charges de la vie commune à proportion de leurs facultés respectives, à l’instar de l’article 214 du Code civil. Il peut encore organiser les modalités d’administration de leurs biens.

Si en soi, les conventions de concubinage sont valables, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser dans un arrêt du 20 juin 2006, que son caractère contraignant ne doit pas constituer « un moyen de dissuader un concubin de toute velléité de rupture ».

 Pour la première chambre civile, la conclusion d’une telle convention serait « contraire au principe de la liberté individuelle » (Cass. 1ère civ. 20 juin 2006).

Cass. 1ère civ. 20 juin 2006
Attendu que Mme X... et M. Y... ont vécu en concubinage de 1984 à 2002 ; que de leur union sont nés deux enfants en 1990 et 1996 ; qu'ils ont signé le 1er septembre 1984 une convention de concubinage prévoyant que le concubin qui n'a pas d'emploi ou qui renonce à son emploi pour élever les enfants pourra exiger de l'autre une indemnité égale au moins à la moitié des revenus du travail de son concubin à condition que les enfants soient élevés à son foyer; qu'après leur rupture, M. Y... a saisi le juge aux affaires familiales pour qu'il soit statué sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et le montant de sa contribution à l'entretien et l'éducation des enfants ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 septembre 2004) d'avoir déclaré nulle la convention de concubinage conclue le 1er septembre 1984 et d'avoir réduit à 760 euros la part contributive du père à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, alors, selon le moyen, que les parents ont la faculté de saisir le juge aux affaires familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils fixent la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants ; qu'une convention de concubinage ayant cet objet n'est pas contraire à l'ordre public ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6 du code civil, ensemble l'article 373-2-7 du même code ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la convention signée par les concubins n'avait pas fixé le montant de la contribution à proportion des ressources de chacun des parents et des besoins des enfants mais à un montant forfaitaire, égal à la moitié des revenus du concubin, susceptible d'une part de placer l'intéressé dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations à l'égard d'autres créanciers d'aliments, et, d'autre part, constituant par son caractère particulièrement contraignant un moyen de dissuader un concubin de toute velleité de rupture contraire au principe de la liberté individuelle, la cour d'appel en a justement déduit que cette stipulation, contraire aux dispositions d'ordre public qui régissent l'obligation alimentaire, était nulle ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

3. Actes à titre gratuit

==> L’exigence de conformité aux bonnes mœurs

Si, dans l’ancien droit, les libéralités entre concubins étaient prohibées, le silence du Code civil a conduit la jurisprudence à apprécier leur validité en considération du but poursuivi par leur auteur.

Plus précisément, dans l’hypothèse où la libéralité était assortie d’une cause immorale, elle encourait la nullité.

Dans un arrêt du 4 mars 1914, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « les libéralités entre concubins ne sont pas interdites en principe ; elles sont nulles si elles n’ont été que l’exécution d’un pacte immoral » ( req. 4 mars 1914)

Dans un arrêt du 14 novembre 1961, elle a affirmé, dans le même sens, que « le seul fait que l’auteur d’une libéralité entretiendrait avec le bénéficiaire des relations illicites, même adultères ne suffit pas pour invalider l’acte, dès lors que le mobile du disposant, souverainement apprécié par les juges du fond, est étranger à ces relations» ( 1ère civ., 14 novembre 1961)

On peut encore citer une décision du 8 novembre 1982 aux termes de laquelle la Cour de cassation a estimé que devait être annulée une libéralité dont « la cause impulsive et déterminante était la formation, la continuation ou la reprise des relations immorales» ( 1ère civ., 8 nov. 1982).

Il ressort de cette jurisprudence que, pour être valide, la libéralité ne devait pas être consentie pour une cause immorale.

==> L’abandon de l’exigence de conformité aux bonnes mœurs

Dans un arrêt du 3 février 1999, la Cour de cassation a, semble-t-il, abandonné l’exigence de conformité aux bonnes mœurs du but poursuivi par l’auteur d’une libéralité ( 1ère civ. 3 févr. 1999).

Elle a, en effet, jugé que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire».

Si l’adultère n’est pas contraire aux bonnes mœurs que reste-t-il de la notion ?

D’où la déduction de la doctrine que la Cour de cassation avait abandonné l’exigence passée, sans doute en raison de l’évolution…des mœurs.

Cass. 1ère civ. 3 févr. 1999
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1131 et 1133 du Code civil ;

Attendu que n'est pas contraire aux bonnes moeurs la cause de la libéralité dont l'auteur entend maintenir la relation adultère qu'il entretient avec le bénéficiaire ;

Attendu que le 26 octobre 1989, Roger Y... est décédé en laissant à sa succession son épouse et M. Christian Y... qu'il avait adopté ; que par testament authentique du 17 mars 1989, il a, d'une part, révoqué toute donation entre époux et exhérédé son épouse, et, d'autre part, gratifié Mme X... d'une somme de 500 000 francs ; que M. Christian Y... a soutenu que la cause de cette disposition était contraire aux bonnes moeurs ;

Attendu que pour prononcer la nullité de la libéralité consentie à Mme X..., la cour d'appel a retenu que la disposition testamentaire n'avait été prise que pour poursuivre et maintenir une liaison encore très récente ;

En quoi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Diversement accueillie par les auteurs, cette solution a été confirmée par la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, dans un arrêt du 29 octobre 2014.

Aux termes de cette décision, la haute juridiction a réaffirmé, au moyen d’une motivation quelque peu différente, que « n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère »

  • Faits
    • Dans le cadre d’une relation adultère qu’un époux entretien avec une concubine, il institue cette dernière légataire universelle par acte authentique du 4 octobre 1990
  • Demande
    • À la mort du testateur, ses héritiers engagent une action en nullité du legs
  • Procédure
    • En suite de la première décision rendue par la Cour d’appel de Paris en date du 5 janvier 1996, la légataire universelle forme un pourvoi en cassation aux fins de délivrance du legs, les juges du fond n’ayant pas fait droit à sa demande
    • Aussi, leur décision est cassée le 25 janvier 2000 par la première chambre civile de la Cour de cassation
    • La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 9 janvier 2002 dans le même sens que les premiers juges d’appel par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l’arrêt de cassation.
    • Les juges du fond estiment, en effet, que le legs dont était bénéficiaire la requérante était nul dans la mesure où il « n’avait vocation qu’à rémunérer les faveurs» de cette dernière, de sorte qu’il était « contraire aux bonnes mœurs »
    • Un pourvoi est alors à nouveau formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, à la suite de quoi l’assemblée plénière
  • Solution
    • Par un arrêt du 29 octobre 2004, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
    • La haute juridiction considère, dans une décision qui fera date, que « n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère »
    • Ainsi pour l’assemblée plénière, quand bien même le legs avait été consenti à la concubine d’un époux dans le cadre d’une relation adultère, la libéralité en l’espèce ne portait pas atteinte aux bonnes mœurs.
  • Depuis les arrêts du 3 février 1999 et du 29 octobre 2004, la validité des libéralités consenties entre concubins n’est donc plus appréciée en considération de la conformité aux bonnes mœurs du but poursuivi.

Cass. ass. plén., 29 oct. 2004
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 900, 1131 et 1133 du Code civil ;

Attendu que n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs la libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Première Chambre civile, 25 janvier 2000, pourvoi n° D 97-19.458), que Jean X... est décédé le 15 janvier 1991 après avoir institué Mme Y... légataire universelle par testament authentique du 4 octobre 1990 ; que Mme Y... ayant introduit une action en délivrance du legs, la veuve du testateur et sa fille, Mme Micheline X..., ont sollicité reconventionnellement l'annulation de ce legs ;
Attendu que, pour prononcer la nullité du legs universel, l'arrêt retient que celui-ci, qui n'avait "vocation" qu'à rémunérer les faveurs de Mme Y..., est ainsi contraire aux bonnes moeurs ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

B) Les rapports avec les tiers

  1. Principe : l’absence de solidarité

Dans leurs rapports avec les tiers, il est de jurisprudence constante que les actes accomplis par un concubin n’engagent pas l’autre.

Autrement dit, il n’existe aucune solidarité entre concubins à la différence des époux dont les rapports avec les tiers sont régis par l’article 220 du Code civil.

2. La justification du principe

L’absence de solidarité entre les concubins se justifie pour deux raisons.

==> L’inapplication du principe de solidarité des dettes ménagères aux concubins

Aux termes de l’article 220 du Code civil toute dette contractée par un époux oblige l’autre solidairement dès lors que la dépense a pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.

Cela signifie concrètement que lorsqu’un époux contracte avec un tiers, ce dernier peut réclamer le paiement du tout à son conjoint en application du principe de solidarité des dettes ménagères.

La question qui s’est alors posée a été de savoir si cette règle était applicable aux concubins.

Le créancier qui a contracté avec l’un peut-il se retourner contre l’autre en cas de non-paiement de sa créance ?

La jurisprudence a répondu, à plusieurs reprises, par la négative à cette question.

Dans un arrêt du 2 mai 2001, la Cour de cassation a estimé en ce sens que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage» ( 1ère civ. 2 mai 2001).

Cass. 1ère civ. 2 mai 2001
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 220 du Code civil ;

Attendu que ce texte, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, n'est pas applicable en matière de concubinage ;

Attendu que M. Y..., qui vivait en concubinage avec Mlle X..., a souscrit un contrat d'abonnement auprès d'EDF-GDF ; qu'il a laissé des factures impayées et a quitté sa concubine ; qu'après son départ, celle-ci a souscrit un nouvel abonnement à son nom, a régulièrement payé ses factures mais a refusé de régler l'arriéré qui avait été facturé à son ancien concubin ;

Attendu que, pour condamner Mlle X... à payer à EDF-GDF la somme de 7 532,83 francs, montant de l'arriéré, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 1995, l'arrêt attaqué affirme que, si l'union libre confère des droits de plus en plus nombreux qui rapprochent cette situation du statut du mariage, il convient alors de faire application aux concubins des mêmes obligations que celles des époux quant aux dépenses d'entretien au nombre desquelles figurent les factures de fourniture d'électricité, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à la seule identité du titulaire du contrat d'abonnement et que le concubin qui vit habituellement sous le même toit engage sa compagne ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte précité ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

La première chambre civile a réaffirmé sa position dans un arrêt du 27 avril 2004 aux termes duquel elle a considéré, au visa des articles 220 et 1202 du Code civil, « qu’aux termes du second de ces textes, la solidarité ne se présume point ; qu’il faut qu’elle soit expressément stipulée ; que cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi ; que le premier, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en cas de concubinage» ( 1ère civ. 27 avr. 2004).

La conséquence en est que la solidarité ne saurait jouer en cas de souscription par le seul concubin d’un prêt, quand bien même sa concubine serait à l’origine des demandes financières.

Il en va de même pour le concubin qui n’était pas signataire du contrat de bail conclu par sa concubine ( 1ère civ., 28 juin 2005).

Cass. 1ère civ., 28 juin 2005
Sur le moyen unique :

Attendu que MM. X... et Y... ont cohabité d'avril 1991 à avril 1994, date de leur séparation ; que, durant cette période, M. X... a supporté seul le paiement du loyer et des charges ; qu'il a assigné M. Y... en paiement de sa quote-part ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 novembre 2001) de l'avoir débouté de sa demande tendant au remboursement des charges de la vie commune engagés par lui au titre d'un contrat moral, alors, selon le moyen, que la personne qui envisage de vivre en concubinage dans un proche avenir peut s'engager par avance auprès de son partenaire à participer aux charges de la vie commune, la preuve de cet accord étant susceptible, eu égard à la nature des relations existant entre les parties, d'être rapportée par tous moyens ; qu'il s'ensuit que la preuve de cet engagement peut notamment résulter de tout écrit émanant de la personne à qui on l'oppose et qu'il importe peu à cet égard que les documents constatant l'existence d'un contrat moral aient été formalisés avant ou après le début de la vie commune, qu'en retenant au contraire, après avoir constaté que MM. X... et Y... avaient vécu ensemble pendant près de trois ans dans le cadre de relations homosexuelles stables et continues ayant pu donner naissance à certaines obligations, que l'engagement de ce dernier à assumer une quote-part des dépenses afférentes à leur vie commune ne pouvait pas être déduit de courriers antérieurs au début de leur vie commune, la cour d'appel a violé les articles 1341 et suivants du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé qu'il appartenait à M. X... de rapporter la preuve de l'obligation dont il se prévalait, la cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a estimé que les correspondances produites aux débats, imprécises sur l'organisation matérielle de la vie commune, au demeurant antérieures à la cohabitation, n'établissaient pas l'engagement de M. Y... à assurer une quote-part des dépenses et à s'acquitter des charges d'un bail dont il n'était pas signataire ; que le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> L’absence de présomption de solidarité en droit commun

Aux termes de l’article 1310 du Code civil (anciennement 1202) « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas».

Il en résulte que la solidarité entre concubins ne peut jamais être présumée

Cela signifie-t-il qu’elle doit nécessairement être stipulée pour opérer.

Aussi, pour être fondé à se prévaloir de la solidarité entre concubins, il appartiendra au tiers de démontrer qu’elle procède

  • Soit d’une règle légale
  • Soit d’une stipulation contractuelle

Lorsque, de la sorte, un couple de concubins contracte un prêt, le banquier exigera systématiquement qu’ils s’engagent solidairement.

Il en va de même lorsque les concubins souscriront un contrat de bail.

Si le tiers ne prend pas la précaution de prévoir une clause de solidarité dans le contrat, il s’expose à n’avoir pour débiteur qu’un seul concubin sur les deux.

Cette règle a notamment été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 2012.

Cass. 1ère civ. 7 nov. 2012
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Vu l'article 1202 du code civil ;

Attendu que, prétendant qu'elle avait consenti un crédit à M. X... et à Mme Y... que ceux-ci, qui vivaient en commun, s'étaient solidairement obligés à rembourser, la société Laser Cofinoga les a assignés en remboursement ;

Attendu que, pour accueillir cette demande, le tribunal, après avoir constaté que la signature de M. X..., qui contestait avoir souscrit le crédit litigieux, ne figurait pas sur l'acte le constatant, retient que si l'article 220 du code civil n'a pas vocation à recevoir application, M. X... est néanmoins solidairement tenu à remboursement dès lors qu'il avait connaissance du contrat établi à partir d'agissements constitutifs de faux imputables à Mme Y... et de l'utilisation du crédit pour financer des achats pendant la vie commune ;

Qu'en se fondant sur de tels motifs impropres à caractériser un engagement solidaire de M. X..., le tribunal a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition portant condamnation à l'encontre de M. X..., le jugement rendu le 16 décembre 2010, entre les parties, par le tribunal d'instance de Châtellerault ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Poitiers ;

3. Tempérament : la théorie de l’apparence

La jurisprudence admet que dès lors que les concubins ont donné l’apparence d’un couple marié, les tiers sont fondés à se prévaloir de l’article 220 du Code civil, alors même que les concubins sont exclus de son champ d’application (Pour une application de la théorie de l’apparence V. notamment CA Paris, 30 juin 1981 ; CA Pau, 14 mai 2001)

L’invocation de la théorie de l’apparence est cependant subordonnée à la réunion de plusieurs conditions :

  • Une situation contraire à la réalité
  • Une croyance légitime du tiers
  • Une erreur excusable du tiers
  • Une imputabilité de l’apparence au titulaire véritable

Chapitre 4: La rupture du concubinage

L’appréhension juridique de la rupture du concubinage suppose d’envisager, d’une part, les modalités de la rupture et, d’autre part, les conséquences de la rupture.

Section 1: Les modalités de la rupture

§1: Le principe : la liberté de rompre

Tout autant que la formation du concubinage n’est subordonnée à l’accomplissement d’aucune formalité, ni à l’observation d’aucune règle, sa rupture est totalement libre.

Le concubinage se distingue ainsi du mariage qui, pour être dissous, suppose que les époux remplissent les conditions – strictes – édictées par la loi.

En dehors des cas de divorce prévus par l’article 229 du Code civil, les époux sont, en effet, privés de la possibilité de mettre un terme à leur union matrimoniale.

Il en va de même, dans une moindre mesure, pour les partenaires qui doivent satisfaire aux exigences posées par l’article 515-7 du Code civil pour dissoudre le pacs.

Le concubinage présente, dès lors, cet immense avantage de pouvoir être rompu librement.

Dans un arrêt du 28 octobre 1996, la Cour d’appel a jugé en ce sens que « l’union libre crée une situation essentiellement précaire et durable, susceptible de se modifier par la seule volonté de l’une ou l’autre des parties » (CA Rennes, 28 oct. 1996)

Philippe Malaurie résume parfaitement l’état du droit lorsqu’il écrit que « en dehors du mariage, chacun est libre de cesser d’aimer celle qu’il a aimée, et de l’abandonner. La règle de l’amour libre est la liberté, ce que, plus juridiquement énonce la règle connue : par lui-même, le concubinage ne fait naître aucune obligation. L’homme n’a point de responsabilité ni d’obligation civiles envers la délaissée »[1].

La conséquence en est que la rupture, en soi, du concubinage ne saurait donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts.

Dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la rupture du concubinage ne peut ouvrir droit à indemnité que si elle revêt un caractère fautif » (Cass. 1ère civ. 30 juin 1992).

§2: Tempérament : la rupture fautive

Si, en soi, la rupture du concubinage est libre, les circonstances qui l’entourent sont susceptibles de fonder une action en responsabilité.

Pour que son action prospère, le concubin devra néanmoins rapporter la preuve d’une faute détachable de la rupture.

Dans un arrêt du 3 janvier 2006 la Cour de cassation a affirmé à cet égard que « si la rupture du concubinage ne peut en principe donner lieu à l’allocation de dommages intérêts, il en est autrement lorsqu’il existe des circonstances de nature à établir une faute de son auteur » (Cass. 1ère  civ. 3 janv. 2006).

Cass. 1ère civ. 3 janv. 2006
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que Mme X... et M. Y... se sont mariés le 13 octobre 1943 ; que quelques mois après leur divorce, intervenu au Maroc en 1955, ils ont repris la vie commune ; que M. Y... a quitté le domicile le 9 août 1983 ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 25 novembre 2003) de l'avoir déclaré responsable de la rupture et de l'avoir condamné à verser à Mme X... la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors que, selon le moyen :

1 / en retenant que M. Y... aurait quitté Mme X... brusquement, alors que l'entourage ne s'y attendait nullement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'attitude de Mme X... vis-à-vis de M. Y..., dans leurs relations personnelles et intimes, avait pu rendre intolérable le maintien de leur vie commune et provoquer une rupture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

2 / en retenant que M. Y... aurait quitté Mme X... brusquement, en profitant de l'absence de celle-ci, sur la foi d'attestations établies par les filles de l'exposant en faveur de leur mère, sans préciser davantage le contenu de ces attestations, et sans permettre ainsi de s'assurer que leurs auteurs auraient personnellement assisté au départ de M. Y... et auraient pu en relater objectivement les conditions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / subsidiairement, la rupture d'un concubinage ne constituant pas, en elle-même, une faute, le préjudice qui résulte du seul fait de cette rupture n'est pas indemnisable ; que seul un préjudice en rapport direct avec des circonstances particulières, autres que le fait de la rupture, susceptibles de caractériser une faute, peut ouvrir droit à réparation ; qu'en évaluant le préjudice de Mme X... par rapport à la durée de vie commune des parties et de leurs situations respectives après la rupture, quand un tel préjudice serait de toute façon résulté d'une rupture de concubinage même non fautive, et n'était donc pas directement lié aux fautes prétendument commises, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que si la rupture du concubinage ne peut en principe donner lieu à l'allocation de dommages intérêts, il en est autrement lorsqu'il existe des circonstances de nature à établir une faute de son auteur ; que la cour d'appel relève, d'une part que M. Y..., en dépit du jugement de divorce dont il s'est ensuite prévalu pour échapper à ses obligations, a continué à se comporter en mari tant à l'égard de son épouse que des tiers, d'autre part que son départ intervenu sans concertation, après quarante ans de vie commune, a été brutal ; que de ces constatations, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation et n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des attestations produites, a pu déduire que M. Y... avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile et souverainement fixer le montant des dommages-intérêts alloués à Mme X... ; d'où il suit que le moyen n'est fondé dans aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi, la jurisprudence est-elle venue au secours du concubin brutalement délaissé en lui permettant de réclamer l’octroi de dommages et intérêts au titre de la responsabilité délictuelle.

Conformément à l’article 1240 du Code civil pour que la responsabilité civile de l’auteur d’un dommage puisse être recherchée, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • L’existence d’un dommage
  • La caractérisation d’une faute
  • L’établissement d’un lien de causalité entre le dommage et la faute

Schéma 1.JPG

En conséquence, il appartiendra au concubin délaissé d’établir que la rupture dont il est victime était fautive, à défaut de quoi aucune réparation ne peut lui être accordée, fût-ce après de très nombreuses années de vie commune.

L’engagement de la responsabilité civile de l’auteur de la rupture exige donc qu’une faute détachable de la rupture soit prouvée.

Cette faute résidera, le plus souvent, dans les circonstances particulières qui ont entouré la rupture.

Les juridictions ont admis que la rupture pouvait être qualifiée de fautive dans un certain nombre de situations :

  • La concubine a été délaissée pendant sa grossesse
  • La rupture est intervenue brutalement après de nombreuses années de vie commune
  • La rupture procède de propos injurieux de la part du concubin
  • La rupture est consécutive à l’agression sexuelle de la fille du couple par le concubin
  • Le concubin a abandonné sa compagne et leur enfant, sans leur laisser de subsides

Il ressort de la jurisprudence que, en la matière, tout est affaire d’appréciation souveraine par les juges du fond des circonstances de fait alléguées par les concubins.

Il faudra par ailleurs que celui qui se dit victime d’une rupture fautive du concubinage établisse l’existence d’un préjudice. La Cour de cassation admet que ce préjudice peut être, tant matériel, que moral (V. en ce sens CA Rouen, 29 janv. 2003, n° 00/03964).

La charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur celui qui engage l’action en responsabilité.

§3: Cas particulier du décès d’un concubin

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si en cas de décès accidentel de l’un des concubins, l’autre était fondé à engager la responsabilité de l’auteur du dommage ?

Plus précisément, on s’est demandé si le préjudice du concubin survivant répondait à l’exigence de légitimité à laquelle est subordonnée la réparation du dommage.

  • L’exigence de l’établissement d’un lien de droit
    • Après avoir estimé en 1863 qu’il n’était pas nécessaire que la victime immédiate et la victime médiate soit unies par un lien de droit pour que le préjudice par ricochet soit réparable, la chambre criminelle a radicalement changé de position dans un arrêt du 13 février 1937 ( crim. 13 févr. 1937). La chambre civile s’est ralliée à cette solution dans un arrêt du 27 juillet 1937 (Cass. civ. 27 juill. 1937)
    • Dans cette dernière décision, la Cour de cassation a jugé que « le demandeur d’une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle doit justifier, non d’un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d’un intérêt légitime juridiquement protégé ».
    • L’adoption de cette position par la Cour de cassation a conduit les juges du fond à débouter systématiquement les concubins de leur demande de réparation, dans la mesure où ils ne justifiaient d’aucun d’un lien droit (filiation, mariage) avec la victime immédiate du dommage.
  • L’abandon de l’exigence du lien de droit : l’arrêt Dangereux
    • La position adoptée par la Cour de cassation en 1937 a finalement été abandonnée dans un célèbre arrêt Dangereux rendu en date du 27 février 1970 par la chambre mixte ( ch. mixte, 27 févr. 1970).
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui avait débouté une demanderesse de son action en réparation du préjudice subi suite au décès de son concubin.
    • La haute juridiction rompt avec la jurisprudence antérieure en jugeant que, « en subordonnant ainsi l’application de l’article 1382 à une condition qu’il ne contient pas, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
    • Dorénavant, il n’est donc plus nécessaire pour la victime par ricochet de justifier d’un lien de droit avec la victime immédiate afin d’obtenir réparation de son préjudice.
  • La restriction posée par l’arrêt Dangereux
    • La Cour de cassation a, certes, dans l’arrêt Dangereux abandonné l’exigence du lien droit entre la victime immédiate et la victime médiate.
    • Elle a néanmoins subordonné la réparation du préjudice par ricochet subi par la concubine à deux conditions :
      • Le concubinage doit être stable
      • Le concubinage ne doit pas être délictueux
    • Ainsi, au regard de l’arrêt Dangereux, si la concubine avait entretenu une relation adultère avec la victime immédiate, le caractère délictueux de cette relation aurait fait obstacle à la réparation de son préjudice
  • L’assouplissement de la jurisprudence Dangereux
    • La Cour de cassation a très vite infléchi sa position en jugeant que l’existence d’une relation adultère entre la victime immédiate et la victime médiate ne faisait pas obstacle à la réparation du préjudice par ricochet ( crim. 20 avr. 1972).

Cass. ch. mixte, 27 févr. 1970
Sur le moyen unique :

Vu l'article 1382 du code civil;

Attendu que ce texte, ordonnant que l'auteur de tout fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu de la réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation; attendu que l'arrêt attaque, statuant sur la demande de la dame x... en réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de son concubin paillette, tue dans un accident de la circulation dont dangereux avait été juge responsable, a infirme le jugement de première instance qui avait fait droit à cette demande en retenant que ce concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux, et a débouté ladite dame x... de son action au seul motif que le concubinage ne crée pas de droit entre les concubins ni à leur profit vis-à-vis des tiers; Qu'en subordonnant ainsi l'application de l'article 1382 a une condition qu'il ne contient pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de paris, le 16 octobre 1967; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims, a ce désignée par délibération spéciale prise en la chambre du conseil.

Section 2: Les conséquences de la rupture

En théorie, la cessation du concubinage ne devrait emportait aucune conséquence juridique.

Spécialement, comme rappelé régulièrement par la jurisprudence, le statut juridique dont jouissent les époux n’est pas applicable aux concubins.

La conséquence en est que ces derniers ne sauraient se prévaloir des règles qui gouvernent la liquidation du régime matrimonial.

En pratique, toutefois, la rupture du concubinage soulève de nombreuses difficultés, d’ordre juridique, face auxquelles les juridictions ne peuvent pas restées indifférentes.

Par hypothèse, l’existence d’une vie commune va conduire les concubins à acquérir des biens, tantôt séparément, tantôt en commun.

Au moment de cessation du concubinage, il conviendra donc de démêler leurs intérêts et leurs biens qui, parce que s’est instituée entre eux une communauté de vie, se sont entrelacés, voire parfois confondus.

Aussi, la question se posera de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires. En l’absence de régime matrimonial, cette liquidation ne pourra s’opérer que selon les règles du droit commun.

Concrètement, la liquidation du concubinage suppose de surmonter deux sortes de difficultés :

  • Première difficulté: la preuve de la propriété des biens
  • Seconde difficulté: la réalisation du partage des biens

Sous-section 1: La preuve de la propriété des biens

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, lors de la cessation du concubinage, la preuve de la propriété d’un bien ne soulèvera de difficulté qu’en cas de dispute, par les concubins, de la qualité de propriétaire.

Dans cette perspective, il est parfaitement envisageable que les concubins se répartissent les biens sans tenir compte des règles qui gouvernent la propriété et notamment faire fi de la question de savoir qui a financé l’acquisition de tel ou tel bien.

C’est donc seulement en cas de désaccord sur la propriété d’un bien que la preuve de la qualité de propriétaire devra être rapportée.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le bien revendiqué est assorti d’un titre de propriété
    • Deux situations doivent alors être distinguées
      • Le bien a été financé par le titulaire du titre de propriété
        • Le titre de propriété est un acte qui constate un droit de propriété
        • Il permet à celui désigné dans l’acte de justifier de sa qualité de propriétaire
        • Le titre de propriété est dressé en cas de vente immobilière, de cession de fonds de commerce et plus généralement en cas d’acquisition d’un droit de propriété ou de créance qui fait l’objet de formalités de publicité
        • Aussi la propriété du bien reviendra à celui qui est désigné dans l’acte
        • Dans l’hypothèse où les deux concubins sont désignés dans l’acte, le bien sera soumis au régime de l’indivision
      • Le bien n’a pas été financé ou seulement partiellement par le titulaire du titre de propriété
        • Principe
          • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le titre prime sur la finance
          • Dans un arrêt du 19 mars 2004, la Cour de cassation a estimé que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée» ( 1ère civ. 19 mars 2004).
          • Ainsi, peu importe que le bien ait été entièrement financé par le concubin qui en revendiqué la propriété.
          • La qualité de propriétaire est, en toute circonstance, endossée par le titulaire du titre de propriété.
        • Exception
          • Dans un arrêt du 2 avril 2014, la Cour de cassation a estimé que, en cas d’intention libérale, le concubin titulaire du titre de propriété n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de propriétaire
          • Toute la difficulté sera alors de prouver l’intention libérale qui, selon la première chambre civile, peut se déduire « des circonstances de la cause».
  • Le bien revendiqué n’est assorti d’aucun titre de propriété
    • En l’absence de titre, rien n’est perdu pour le concubin revendiquant qui pourra toujours rapporter la preuve de la propriété du bien.
    • Toutefois, il ne pourra, ni compter sur la présomption de possession s’il souhaite établir la propriété exclusive d’un bien, ni ne pourra se prévaloir d’une présomption d’indivision s’il souhaite prouver la propriété indivise du bien.
      • L’inopérance de la présomption de possession
        • Aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre»
        • Cela signifie que celui qui exerce la possession sur un bien est réputé en être le propriétaire.
        • Cette présomption est, de toute évidence, très pratique pour établir la propriété d’un bien lorsque l’on est muni d’aucun titre ce qui sera presque toujours le cas pour les biens meubles
        • La mise en œuvre de cette présomption est toutefois subordonnée à l’établissement d’une possession non équivoque sur le bien.
        • En cas de concubinage, il sera, par hypothèse, extrêmement difficile de satisfaire cette condition, dans la mesure où l’existence d’une communauté de vie entre les concubins confère précisément à la possession du bien revendiqué un caractère équivoque.
        • D’où la position de la Cour de cassation qui, systématique, refuse de faire jouer la présomption de l’article 2276 à la faveur du concubin revendiquant.
        • Aussi, lui appartiendra-t-il de rapporter la preuve de la propriété du bien par tous moyens.
        • Pour établir sa qualité de propriétaire, il pourra, notamment, se rapporter aux circonstances qui ont entouré l’acquisition du bien
        • Le plus souvent, le juge déterminera la titularité de la propriété du bien disputé en recourant à la méthode du faisceau d’indices.
        • Il tiendra notamment compte de l’auteur du financement du bien ou encore de l’existence d’une intention libérale
        • Il pourra encore se référer au nom du signataire de l’acte d’acquisition du bien
      • L’absence de présomption d’indivision
        • Principe
          • Il est de jurisprudence constante qu’il n’existe pas de présomption d’indivision entre concubins.
          • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a considéré, par exemple, s’agissant de la propriété de fonds déposés sur un compte bancaire que « le titulaire d’un compte bancaire est présumé seul propriétaire des fonds déposés sur ce compte et qu’il appartient à son adversaire d’établir l’origine indivise des fonds employés pour financer l’acquisition de l’immeuble indivis» ( 1ère civ. 25 juin 2014).
          • Dans le même sens la Cour d’appel d’Amiens a jugé dans un arrêt du 8 janvier 2009 qu’il s’infère de l’article 515-8 du Code civil qu’il « n’existe ni indivision, ni présomption d’indivision entre deux personnes vivant en concubinage» (CA Amiens, 8 janv. 2009, n° 08/03128).
          • Il en résulte qu’il appartient à celui qui revendique la propriété indivise d’un bien de le prouver.
          • La Cour d’appel de Riom a de la sorte considérer « qu’en l’absence de présomption d’indivision entre concubins, le concubin qui est en possession d’un meuble corporel est présumé en être propriétaire et il est admis une preuve par tous moyens concernant la propriété des biens litigieux. » (CA Riom 16 mai 2017, n° 15/01253)
        • Exception
          • L’absence de présomption d’indivision entre concubins est assortie d’une exception.
          • Dans l’hypothèse où aucun des concubins ne parvient à établir qu’il est le propriétaire exclusif du bien revendiqué, celui-ci sera réputé indivis pour moitié (V. en cens CA Lyon, ch. 6, 17 octobre 2013, n°12/04463).
          • La présomption d’indivision n’intervient ainsi, qu’à titre subsidiaire.

Sous-section 2: La réalisation du partage des biens

L’identification du propriétaire d’un bien lors de la cessation du concubinage n’est pas la seule difficulté que les concubins doivent surmonter.

La question se posera également de savoir comment procéder à la réalisation du partage des biens.

Autrement dit, selon quelles règles la répartition des biens des concubins doit-elle s’opérer ?

La lecture du Code civil révèle qu’un seul bien a retenu l’attention du législateur : la bague de fiançailles dont le sort est réglé à l’article 1088.

§1: Le principe

En l’absence de règles de répartition des biens, le principe est que les biens acquis, reçus ou crées par un seul des concubins au cours de la vie commune demeurent sa propriété exclusive.

Il en résulte deux conséquences :

  • Chaque concubin est réputé propriétaire des biens qu’il a acquis, à charge pour lui d’en rapporter la preuve
  • Chaque concubin profite des gains et supporte les pertes de ses activités, sans que l’autre ne puisse se prévaloir d’un quelconque droit, ni être obligé de quelque manière que ce soit

§2: Les correctifs

Bien qu’aucune règle ne régisse la répartition des biens lors de la cessation du concubinage, la jurisprudence autorise, parfois, non sans un brin de bienveillance, les concubins à piocher dans le droit commun, ce, dans le dessein de rétablir un équilibre injustement rompu.

Au nombre des correctifs admis classiquement par les juridictions figurent notamment :

  • La société créée de fait
  • L’enrichissement injustifié (sans cause)

Toutefois, pace que ces correctifs ne sauraient pallier totalement l’absence – voulu – de statut juridique applicable aux concubins, la jurisprudence demeure extrêmement vigilante quant au respect des conditions d’application des règles invoquées.

Depuis quelques années, d’aucuns s’accordent même à dire que l’on assiste à un resserrement des exigences posées par la Cour de cassation à l’endroit des concubins.

Cela témoigne d’un mouvement jurisprudentiel général qui tend à vouloir stopper toute velléité des concubins qui chercheraient à détourner la finalité des règles dont ils sollicitent l’application aux fins de se doter d’un statut para matrimonial.

I) La société créée de fait

Parfois, l’un des concubins a pu participer à l’activité professionnelle de l’autre sans avoir perçu de rémunération.

Dans cette hypothèse, afin d’obtenir la rétribution qui lui est due en contrepartie du travail fournie, le concubin lésé est susceptible de se prévaloir de la théorie de la société créée de fait, l’intérêt résidant dans le partage des bénéfices en cas de liquidation de la société.

La technique de la société présente, en effet, cet avantage d’attribuer à chaque associé sa part de profit optionnellement à l’apport en numéraire, en nature ou en industrie qu’il a pu effectuer.

L’existence d’une société créée de fait suppose toutefois d’établir la réunion de trois éléments que sont :

  • La constitution d’un apport de chaque associé
  • L’existence d’une participation aux bénéfices et aux pertes
  • Un affectio societatis (la volonté de s’associer)

Dans un arrêt du 3 novembre 2004, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « l’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter » (Cass. com. 3 nov. 2004).

Il ressort de cette décision, que non seulement, les trois éléments constitutifs de toute société doivent être réunis pour que les concubins puissent se prévaloir de l’existence d’une société créée de fait, mais encore ces éléments doivent être établis de façon distincte, sans qu’ils puissent se déduire les uns des autres.

Cass. com. 3 nov. 2004
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 14 décembre 2001), que M. Septime X... et Mme Y... ont vécu ensemble de 1975 à 1993 ; qu'ils ont exploité sur un terrain dont Mme Y... était propriétaire diverses activités commerciales dont celle de bar restaurant ; qu'en 1991, Mme Y... a fait construire sur ce terrain une maison d'habitation ; que le 4 mars 1998, M. X... a assigné Mme Y... en déclaration de propriété pour moitié de l'immeuble, montant de sa part dans la société de fait qui aurait existé entre eux ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir constaté l'existence d'une société de fait et ordonné sa liquidation et son partage, alors, selon le moyen :

1 / que la volonté de s'associer est, outre la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes un des éléments essentiels du contrat de société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le bien litigieux avait été acquis au seul nom de Mme Y..., laquelle avait remboursé l'emprunt sur son livret du Crédit Artisanal au moyen des fonds versés en espèces sur ce livret ; que ces constatations excluaient par elles-mêmes la volonté des concubins de s'associer sur un pied d'égalité ;

qu'en déduisant pourtant l'existence d'une société de fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

2 / que la société de fait entre concubins suppose notamment la volonté, chez chacun d'entre eux de contribuer aux pertes, laquelle ne se confond pas avec la participation aux dépenses du ménage ; qu'en se bornant à relever le fait que M. X... se soit porté caution de l'emprunt et les retraits en espèces de Mme Y... sur le compte bancaire de M. X..., circonstances impropres à caractériser l'existence d'une société de fait pour la réalisation d'un projet immobilier commun, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

3 / que l'existence d'une société de fait suppose nécessairement l'existence d'apports réciproques, la volonté commune de participer aux bénéfices et aux pertes ainsi que la volonté de s'associer ;

que la cour d'appel qui avait relevé que toutes les factures produites étaient au nom de Mme Y..., ne pouvait déduire l'existence de société de fait entre concubins de la seule considération de la poursuite d'une relation de confiance entre M. X... et Mme Y... au-delà de la date de rupture de leur relation ; qu'en statuant de la sorte, sans relever la volonté commune des concubins de s'associer, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres ; qu'ayant constaté que M. X... était locataire du terrain avant son acquisition par Mme Y..., que lors de l'achat, M. X... avait fait des démarches auprès de la SAFER et des organismes préteurs, qu'il avaient vendu des boeufs pour financer l'acquisition, qu'il s'était porté caution de l'emprunt réalisé par Mme Y..., que sa propre soeur avait participé à l'achat, que les concubins avaient exploité sur ce terrain diverses activités commerciales dont celle de bar restaurant et que Mme Y... disposait d'une procuration sur le compte bancaire de M. X... qu'elle faisait fonctionner, la cour d'appel en déduisant de l'ensemble de ces éléments qu'une société de fait avait existé entre les concubins a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

A) La constitution d’un apport

Conformément à l’article 1832 du Code civil, les associés ont l’obligation « d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie », soit de constituer des apports à la faveur de la société.

La mise en commun d’apports par les associés traduit leur volonté de s’associer et plus encore d’œuvrer au développement d’une entreprise commune.

Aussi, cela explique-t-il pourquoi la constitution d’un apport est exigée dans toutes les formes de sociétés, y compris les sociétés créées de fait (Cass. com. 8 janv. 1991) et les sociétés en participation (Cass. com. 7 juill. 1953).

L’article 1843-3 du Code civil distingue trois sortes d’apports :

  • L’apport en numéraire
    • Il consiste en la mise à disposition définitive par un associé d’une somme d’argent au profit de la société, soit lors de sa constitution, soit lors d’une augmentation de capital social
  • L’apport en nature
    • Il consiste en la mise à disposition par un associé d’un bien susceptible d’une évaluation pécuniaire autre qu’une somme d’argent
  • L’apport en industrie
    • L’apport en industrie consiste pour un associé à mettre à disposition de la société, sa force de travail, ses compétences, son expérience, son savoir-faire ou encore son influence et sa réputation

S’agissant d’une société créée de fait entre concubins, l’apport pourra consister en l’une de ces trois formes d’apport.

B) L’existence d’une participation aux bénéfices et aux pertes

Il ressort de l’article 1832 du Code civil que l’associé a vocation, soit à partager les bénéfices d’exploitation de la société ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter, soit à contribuer aux pertes :

  • Le partage des bénéfices et des économies
    • Deux objectifs sont été assignés par la loi à la société :
      • Le partage de bénéfices
      • Le partage de l’économie qui pourra en résulter
    • Dans un célèbre arrêt Caisse rurale de la commune de Manigod c/ Administration de l’enregistrement rendu en date du 11 mars 1914, la Cour de cassation définit les bénéfices comme « tout gain pécuniaire ou tout gain matériel qui ajouterait à la fortune des intéressés ».
    • Autrement dit, les concubins doivent avoir l’intention de partager les résultats de leur association.
    • Le seul partage des bénéfices ne suffira toutefois pas pour établir l’existence d’une société créée de fait, il faudra encore démontrer la volonté de contribuer aux pertes.
  • La contribution aux pertes
    • Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes»
    • Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.
    • Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.
    • L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

C) L’affectio societatis

L’affectio societatis n’est défini par aucun texte, ni même visée à l’article 1832 du Code civil. Aussi, c’est à la doctrine et à la jurisprudence qu’est revenue la tâche d’en déterminer les contours.

Dans un arrêt du 9 avril 1996, la Cour de cassation a défini l’affectio societatis comme la « volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune » (Cass. com. 9 avr. 1996).

Bien que le contenu de la notion diffère d’une forme de société à l’autre, deux éléments principaux ressortent de cette définition :

==> La volonté de collaborer

Cela implique que les associés doivent œuvrer, de concert, à la réalisation d’un intérêt commun : l’objet social

Ainsi le contrat de société constitue-t-il l’exact opposé du contrat synallagmatique.

Comme l’a relevé Paul Didier « le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger»[1]

==> Une collaboration sur un pied d’égalité

Cela signifie qu’aucun lien de subordination ne doit exister entre associés bien qu’ils soient susceptibles d’être détenteurs de participations inégales dans le capital de la société (Cass. com., 1er mars 1971).

==> Position de la jurisprudence

  • Première étape
    • Dans un premier temps, les juridictions se sont livrées à une appréciation plutôt souple des éléments constitutifs du contrat de société, afin de reconnaître l’existence entre concubins d’une société créée de fait
    • Les juges étaient animés par la volonté de préserver les droits de celui ou celle qui, soit s’était investi dans l’activité économique de l’autre, soit dans l’acquisition d’un immeuble construit sur le terrain de son concubin.
    • Pour ce faire, les tribunaux déduisaient l’existence d’un affectio societatis de considérations qui tenaient au concubinage en lui-même ( req., 14 mars 1927).
  • Seconde étape
    • Rapidement, la Cour de cassation est néanmoins revenue sur la bienveillance dont elle faisait preuve à l’égard des concubins :
    • Dans un arrêt du 25 juillet 1949, elle a, en effet, durci sa position en reprochant à une Cour d’appel de n’avoir pas « relevé de circonstances de fait d’où résulte l’intention qu’auraient eu les parties de mettre en commun tous les produits de leur activité et de participer aux bénéfices et aux pertes provenant du fonds social ainsi constitué, et alors que la seule cohabitation, même prolongée de personnes non mariées qui ont vécu en époux et se sont fait passer pour tels au regard du public, ne saurait donner naissance entre elles à une société» ( com., 25 juill. 1949)
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’affectio societatis ne saurait se déduire de la cohabitation prolongée des concubins.
    • Pour la haute juridiction cet élément constitutif du contrat de société doit être caractérisé séparément.
    • Dans des arrêts rendus le 12 mai 2004, la chambre commerciale a reformulé, encore plus nettement, cette exigence, en censurant une Cour d’appel pour n’avoir « relevé aucun élément de nature à démontrer une intention de s’associer distincte de la mise en commun d’intérêts inhérente à la vie maritale» ( 1re civ., 12 mai 2004).
    • Dans un autre arrêt du 23 juin 2004, la haute juridiction a plus généralement jugé que « l’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres» ( com., 23 juin 2004).
      • Faits
        • Un couple de concubins se sépare.
        • Ces derniers se disputent alors l’occupation du domicile dans lequel ils ont vécu, domicile construit sur le terrain du concubin.
      • Demande
        • Le propriétaire du terrain demande l’expulsion de sa concubine.
        • La concubine demande la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait entre eux.
      • Procédure
        • La Cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 11 janvier 2000, déboute la concubine de sa demande.
        • Les juges du fond estiment que la preuve de l’existence d’un affectio societatis entre les concubins n’a nullement été rapportée et que, par conséquent, aucune société créée de fait ne saurait avoir existé entre eux.
      • Moyens des parties
        • La concubine fait valoir que quand bien même le prêt de la maison a été souscrit par son seul concubin, elle a néanmoins participé au remboursement de ce prêt de sorte que cela témoignait de la volonté de s’associer en vue de la réalisation d’un projet commun : la construction d’un immeuble.
        • Qui plus est, elle a réinvesti le don qui lui avait été fait par son concubin dans l’édification d’une piscine, de sorte que là encore cela témoigner de l’existence d’une volonté de s’associer.
      • Problème de droit
        • Une concubine qui contribue au remboursement du prêt souscrit par son concubin en vue de l’édification d’un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire peut-elle être qualifiée, avec ce dernier, d’associé de fait ?
      • Solution
        • Par un arrêt du 23 juin 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la concubine.
        • La Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait entre concubins soit reconnue cela suppose la réunion cumulative de trois éléments :
          • L’existence d’apports
          • L’intention de collaborer sur un même pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun
          • L’intention de participer aux bénéfices et aux pertes
        • La Cour d’appel n’étant pas parvenue à établir souverainement l’existence d’un affectio societatis, alors il n’était pas besoin que les juges du fond se penchent sur l’existence d’une participation financière à la participation de la maison
      • Analyse
        • Ici, la décision de la Cour de cassation est somme toute logique
        • la Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait soit reconnue, il faut la réunion de trois éléments cumulatifs.
        • Il faut que ces éléments soient établis séparément
        • Par conséquent, si le premier d’entre eux fait défaut (l’affectio societatis), il n’est pas besoin de s’interroger sur la caractérisation des autres !
        • Le défaut d’un seul suffit à faire obstacle à la qualification de société créée de fait.
        • La Cour de cassation précise que ces éléments ne sauraient se déduire les uns des autres.
        • Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il est établi une participation aux bénéfices et aux pertes que l’on peut en déduire l’existence de l’affectio societatis.
        • Ici, la Cour de cassation nous dit que les trois éléments doivent être établis séparément.

Cass. com., 23 juin 2004
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1832 du Code civil ;

Attendu que l'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après la fin du concubinage ayant existé entre elle et M. X..., Mme Y... a demandé le partage de l'immeuble édifié au cours de la vie commune sur un terrain appartenant à son concubin ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt, après avoir relevé que Mme Y... établissait sa participation financière aux travaux de construction, retient que celle-ci ayant ainsi mis en commun avec M. X... ses ressources en vue de la construction de l'immeuble qui assurait leur logement et celui de l'enfant commun, il est suffisamment établi qu'elle est à l'origine de la construction au même titre que son concubin, circonstance caractérisant l'affectio societatis, élément constitutif avec les apports de la société créée de fait ayant existé entre les parties ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'intention de s'associer ne peut se déduire de la participation financière à la réalisation d'un projet immobilier et sans rechercher si les parties avaient eu l'intention de participer aux résultats d'une entreprise commune, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre ;

II) L’enrichissement injustifié ou sans cause

==> L’émergence du principe d’enrichissement sans cause

Avant l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, aucun texte ne sanctionnait l’enrichissement d’une personne au détriment d’autrui.

Si, l’accroissement d’un patrimoine implique nécessairement l’appauvrissement corrélatif d’un autre, ce mouvement de valeur peut parfaitement se justifier s’il repose sur une cause légitime.

Il peut, par exemple, procéder d’une vente ou d’une donation, ce qui, en pareille hypothèse, n’a rien d’injuste ou d’illégitime.

Il est toutefois des situations qu’un déplacement de valeur s’opère sans fondement juridique, sans cause légitime.

Afin de rétablir l’équilibre injustement rompu entre ces deux patrimoines, la question s’est très vite posée en jurisprudence de savoir s’il fallait octroyer à l’appauvri une créance contre l’enrichi.

Lors de sa rédaction initiale, le code civil ne comportait aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui.

  • L’article 555 du Code civil prévoit, par exemple, une indemnisation en cas de construction sur le terrain d’autrui
  • Les articles 1433 à 1438 prévoient, encore, que lors de la liquidation du régime matrimonial, la communauté doit récompense à l’époux qui s’est appauvri à son profit et inversement.
  • Les articles 1372 à 1375 instituaient quant à eux des quasi-contrats que sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu dont la finalité est de rétablir un équilibre qui a été injustement rompu.

Le champ d’application de ces textes est, toutefois cantonné à des situations bien spécifiques, de sorte que la théorie de l’enrichissement sans cause peut difficilement être rattachée à l’un d’eux.

Aussi, est-il rapidement apparu à la jurisprudence qu’il convenait d’ériger l’enrichissement sans cause comme une source autonome d’obligation.

==> La reconnaissance jurisprudentielle de l’enrichissement sans cause

La théorie de l’enrichissement sans cause a, pour la première fois, été reconnue par la jurisprudence dans un arrêt Boudier rendu par la Cour de cassation le 15 juin 1892 (Cass. req. 15 juin 1892, GAJC, t. 2, 12e éd., no 239)

Aux termes de cette décision, la haute juridiction a jugé que, la théorie de l’enrichissement sans cause, qualifiée également d’action de in rem verso, « dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée »

Elle en déduit « qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit »

La théorie de l’enrichissement sans cause est ainsi instituée en principe général.

Cass. req. 15 juin 1892
Vu la connexité, joint les causes et statuant par un seul et même arrêt sur les deux pourvois :

Sur le premier moyen du premier pourvoi tiré de la violation de l’article 1165 du Code civil, de l’article 2102 du même code et de la fausse application des principes de l’action de in rem verso; Sur la première et la deuxième branches tirées de la violation des articles 1165 et 2102 du Code civil :

Attendu que s’il est de principe que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers, il est certain que ce principe n’a pas été méconnu par le jugement attaqué; qu’en effet, cette décision n’a point admis, comme le prétend le pourvoi, que le demandeur pouvait être obligé envers les défendeurs éventuels à raison d’une fourniture d’engrais chimiques faite par ces derniers à un tiers, mais seulement à raison du profit personnel et direct que ce même demandeur aurait retiré de l’emploi de ces engrais sur ses propres terres dans des circonstances déterminées; d’où il suit que, dans cette première branche, le moyen manque par le fait qui lui sert de base;

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la seconde branche prise de la violation de l’article 2102 du Code civil;

Qu’en effet, la décision attaquée a eu soin de spécifier que la créance du vendeur d’engrais ne constituait qu’une simple créance chirographaire ne lui conférant aucun privilège sur le prix de la récolte, et que, dès lors, l’article susvisé n’a pas été violé; Sur la troisième branche, relative à la fausse application des principes de l’action de in rem verso :

Attendu que cette action dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée; qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit; que dès lors, en admettant les défendeurs éventuels à prouver par témoins que les engrais par eux fournis à la date indiquée par le jugement avaient bien été employés sur le domaine du demandeur pour servir aux ensemencements dont ce dernier a profité, le jugement attaqué (T. civ. de Châteauroux, 2 déc. 1890) n’a fait des principes de la matière qu’une exacte application; Sur le deuxième moyen pris de la violation des articles 1341 et 1348 du Code civil :

Attendu que le jugement attaqué déclare en fait qu’il n’a pas été possible aux défendeurs éventuels de se procurer une preuve écrite de l’engagement contracté à leur profit par le demandeur, devant les experts et à l’occasion du compte de sortie réglé par ces derniers entre le fermier et le propriétaire; qu’en admettant la preuve testimoniale dans ce cas excepté nommément par l’article 1348 du Code civil, ledit jugement a fait une juste application dudit article et, par suite, n’a pu violer l’article 1341 du même code; Sur le deuxième moyen pris de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil et des règles de l’action de in rem verso :

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la première branche de ce deuxième moyen tirée de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil;

Attendu, en effet, que le jugement attaqué déclare formellement que le droit des défendeurs éventuels n’est pas fondé sur cet article, lequel n’est mentionné qu’à titre d’exemple et comme constituant une des applications du principe consacré virtuellement par le code que nul ne peut s’enrichir au détriment d’autrui; Sur la deuxième branche tirée de la fausse application des règles de l’action de in rem verso :

Attendu que la solution, précédemment donnée sur la troisième branche du premier moyen dans le premier pourvoi, rend inutile l’examen de celle-ci, qui n’en est que l’exacte reproduction; Sur le troisième moyen pris de la violation de l’article 1165 du Code civil et de la règle res inter alios acta aliis neque nocere, neque prodesse potest :

Attendu que, par une série de constatations et d’appréciations souveraines résultant des enquêtes et des documents de la cause, le jugement arrive à déclarer que le demandeur a pris l’engagement implicite mais formel de payer la dette contractée envers les défendeurs éventuels; qu’une semblable déclaration, qui ne saurait d’ailleurs être révisée par la cour, n’implique aucune violation de l’article ni de la règle susvisée; […]

Par ces motifs, rejette…

La solution adoptée dans l’arrêt Boudier a été réitéré dans une décision du 12 mai 1914.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé « que l’action de in rem verso fondée sur le principe d’équité qui défend de s’enrichir aux dépens d’autrui doit être admise dans tous les cas où le patrimoine d’une personne se trouvant sans cause légitime enrichi au détriment de celui d’une autre personne, cette dernière ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune autre action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit » (Cass. civ. 12 mai 1914, S. 1918-1919. 1. 41, note Naquet.).

Postérieurement à cette décision, la haute juridiction visera régulièrement l’article 1371 du Code civil « et le principe de l’enrichissement sans cause », d’où il pourra se déduire sa volonté de rattacher l’action de in rem verso à la catégorie des quasi-contrats (Cass. 3e civ. 18 mai 1982 ; Cass. 1ère civ. 17 sept. 2003 ; Cass. 1ère civ. 11 mars 2014 ; Cass. 1ère civ. 31 janv. 2018)

==> La consécration légale de l’enrichissement sans cause

Relevant que le code civil actuel ne comporte aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe, selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui, le législateur en a tiré la conséquence qu’il convenait de lui donner une véritable assise légale.

C’est ce qu’il a fait en introduisant dans le Code civil une partie dédiée à « l’enrichissement injustifiée ».

Désormais envisagé comme un quasi-contrat, l’enrichissement sans cause, « rebaptisé « enrichissement injustifié », est régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.

Après avoir rappelé le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause par rapport aux autres quasi-contrats, l’article 1303 du Code civil en décrit l’objet : compenser un transfert de valeurs injustifié entre deux patrimoines, au moyen d’une indemnité que doit verser l’enrichi à l’appauvri.

Il consacre donc la jurisprudence bien établie aux termes de laquelle l’action ne tend à procurer à la personne appauvrie qu’une indemnité égale à la moins élevée des deux sommes représentatives, l’une de l’enrichissement, l’autre de l’appauvrissement.

Ainsi, l’appauvri ne peut-il s’enrichir, à son tour, au détriment d’autrui en obtenant plus que la somme dont il s’était appauvri, tout autant qu’il ne peut réclamer davantage que l’enrichissement car une telle action constituerait en réalité une action en responsabilité qui, par hypothèse, lui est fermée, conformément à l’article 1303-3 de l’ordonnance.

À l’examen, il apparaît que les conditions et les effets de l’enrichissement injustifiées sont, pour l’essentiel, directement inspirés de ce qui avait été établi par la jurisprudence.

A) Les conditions de l’enrichissement injustifié

La mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est subordonnée à la satisfaction de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à des considérations d’ordre économique
  • D’autre part, à des considérations d’ordre juridique

1) Les conditions économiques

Les conditions de mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement injustifiée sont au nombre de trois :

  • L’enrichissement du défendeur
  • L’appauvrissement du demandeur
  • La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

1.1 L’enrichissement du défendeur

Il ressort de la jurisprudence que l’enrichissement s’entend comme tout avantage appréciable en argent.

Classiquement, la jurisprudence admet que l’enrichissement puisse résulter :

  • Soit d’un accroissement de l’actif
    • Acquisition d’un bien nouveau
    • Plus-value d’un bien existant
  • Soit d’une diminution du passif
    • Paiement de la dette d’autrui
  • Soit d’une dépense épargnée
    • Usage de la chose d’autrui
    • Bénéfice du travail non rémunéré d’autrui

1.2 L’appauvrissement du demandeur

À l’inverse de l’enrichissement, l’appauvrissement s’entend comme toute perte évaluable en argent.

Cette perte peut consister :

  • Soit en une dépense exposée
    • Perte d’un élément du patrimoine
    • Paiement de la dette d’autrui
    • Moins-value d’un bien
  • Soit en un manque à gagner
    • Réalisation d’un travail non rémunéré pour autrui

1.3 La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

L’action fondée sur l’enrichissement injustifié ne peut prospérer qu’à la condition qu’il soit démontré l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement du demandeur.

Ce lien de connexité qui doit être établi entre les deux mouvements de valeurs peut prendre deux formes :

  • La corrélation peut être directe
    • Cette hypothèse se rencontre lorsqu’il n’y a pas de patrimoine interposé entre celui de l’appauvri et celui de l’enrichi.
    • Elle correspond aux situations telles que :
      • Le paiement de la dette d’autrui
      • Le travail non rémunéré accompli pour autrui
      • L’acquisition d’un bien pour autrui
    • Dans ces situations, il y a bien une personne qui s’est enrichie tandis que, corrélativement, une autre s’est directement appauvrie.
  • La corrélation peut être indirecte
    • Cette hypothèse se rencontre lorsque la valeur sortie du patrimoine du demandeur est entrée dans celui du défendeur par l’entremise du patrimoine d’une personne interposée
    • Tel est le cas lorsque par exemple :
      • Une personne aidante s’occupe, à titre bénévole, d’une personne âgée, ce qui évite aux membres de sa famille d’exposer des dépenses aux fins de pourvoir à sa prise en charge
      • Un marchand a vendu des engrais à un fermier qui les a utilisés sur des terres louées ; terres dont le propriétaire – en raison de la résiliation du bail – a recueilli la récolte. Dans cette hypothèse, le propriétaire foncier s’est enrichi aux dépens du marchand d’une valeur qui a transité dans le patrimoine du fermier

2) Les conditions juridiques

Deux conditions juridiques doivent être satisfaites pour que l’action fondée sur l’enrichissement injustifié puisse être mise en œuvre :

  • L’enrichissement du défendeur doit être injustifié
  • L’action de in rem verso ne peut être engagée qu’à titre subsidiaire

2.1 L’exigence d’un enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-1 du Code civil « l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale. »

L’article 1303-2 précise que d’une part, « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel » et, d’autre part, que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »

Il ressort de ces deux dispositions, que le caractère injustifié de l’enrichissement doit s’entendre comme l’absence de cause, bien que cette terminologie n’ait pas été reprise par le législateur.

Comme exprimé par d’éminents auteurs « le mot cause désigne l’acte juridique et, de façon plus générale, le mode régulier d’acquisition d’un droit en conséquence duquel un avantage a pu être procuré à une personne »[1]

En d’autres termes, si l’enrichissement est la conséquence d’une disposition légale, réglementaire, conventionnelle et plus généralement de tout acte juridique accompli par l’enrichi, l’action de in rem versée ne saurait être engagée car pourvue d’une cause, soit d’une justification.

L’absence de cause doit concerner, tant l’enrichissement, que l’appauvrissement.

a) L’absence de cause de l’enrichissement

L’absence de cause de l’enrichissement est caractérisée dans deux cas:

i) L’enrichissement ne résulte pas de l’exécution d’une obligation par l’appauvri

Cette obligation peut être légale, conventionnelle ou judiciaire

Dès lors que l’enrichissement du défendeur est la conséquence de l’exécution de pareille obligation, il devient justifié.

  • Tel est le cas, par exemple, du débiteur qui, sans contester l’existence de sa dette envers le créancier, refuse de le payer en faisant valoir qu’il est libéré par le jeu de la prescription extinctive
  • Tel est encore le cas lorsque l’enrichissement d’un contractant procède de l’exécution d’une stipulation contractuelle

Dans un arrêt du 10 mai 1984, la Cour de cassation a considéré que, de manière générale, « n’est pas sans cause l’enrichissement qui a son origine dans l’un des modes légaux d’acquisition des droits» ( 1ère civ. 10 mai 1984)

La question s’est toutefois posée à la haute juridiction si l’existence d’une obligation morale incombant à l’appauvri conférait un caractère justifié à l’enrichissement.

Par un arrêt du 12 juillet 1994, elle a répondu par la négative à cette question en estimant que l’obligation morale ne s’apparentait pas à une obligation juridique ( 1ère civ. 12 juill. 1994)

ii) L’enrichissement ne résulte pas de l’intention libérale de l’appauvri

Dès lors que l’enrichissement procède d’une intention libérale, soit de l’accomplissement d’une libéralité par l’appauvri à la faveur de l’enrichi, le mouvement valeur est justifié.

Toute la difficulté sera alors pour l’enrichi de prouver l’existence d’une intention libérale du demandeur à l’action.

C’est ainsi que la Cour de cassation se montre de plus en plus exigeante à l’égard des concubins estimant qu’il leur appartient de démontrer que lorsqu’un aide financière, professionnelle ou matérielle a été apporté à l’un, elle ne réside pas dans l’intention libérale de l’autre.

==> Participation financière à l’acquisition d’un bien

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé en ce sens que le concubin qui avait participé au remboursement contracté par sa concubine en vue d’acquérir son pavillon ainsi que des échéances du prêt destiné à financer les travaux sur cet immeuble n’était pas fondé à se prévaloir d’un enrichissement injustifié, dès lors que son concours financier trouvait sa contrepartie dans l’hébergement gratuit dont il avait bénéficié chez sa compagne.

La Cour de cassation en déduit que ces circonstances faisaient ressortir que le concubin avait agi dans une intention libérale et qu’il ne démontrait pas que ses paiements étaient dépourvus de cause ( 1ère civ. 20 janv. 2010).

La Cour de cassation a statué également dans ce sens dans un arrêt du 2 avril 2014.

Dans cette affaire, il s’agissait d’un couple de concubins qui avaient acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d’un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par le seul concubin jusqu’à sa séparation avec sa concubine

Cette dernière assigne alors son concubin en liquidation et partage de l’indivision.

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond qui avait accédé à la requête de la concubine, jugeant qu’il résultait « des circonstances de la cause l’intention de l’emprunteur de gratifier sa concubine » ( 1ère civ. 2 avr. 2014).

Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014
Sur le moyen unique du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et Mme Y... ont acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d'un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par M. X... seul jusqu'à la séparation des concubins le 31 août 2005 ; que Mme Y... a assigné M. X... en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et pour voir ordonner la licitation et dire qu'il est redevable d'une indemnité d'occupation ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire qu'il avait gratifié Mme Y... d'une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu'au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d'appel a retenu que l'acquisition indivise faite par moitié, alors que Mme Y... était, aux termes de l'acte de vente, sans profession, et que le couple avait eu ensemble deux enfants à l'époque de l'acquisition, établit l'intention libérale de M. X... en faveur de celle-ci, indépendamment de toute notion de rémunération ; qu'une telle donation emportait nécessairement renonciation de M. X... à se prétendre créancier de l'indivision au titre des remboursements du prêt effectués par lui seul, jusqu'à la séparation du couple, comme le réclame Mme Y... ; qu'elle a en conséquence fait droit à la demande tendant à voir juger que M. X... l'a gratifiée d'une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu'au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d'appel a souverainement constaté dans les circonstances de la cause l'intention de l'emprunteur de gratifier sa concubine ; que par ailleurs, en privant le concubin de son droit de créance au titre de la part payée pour sa compagne, la cour d'appel n'a nullement porté atteinte au droit de propriété ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

En cas de contribution financière substantielle d’un concubin quant à l’acquisition d’un bien immobilier, tout n’est pas perdu pour lui s’il souhaite faire échec à l’action de in rem verso afin de conserver le bénéfice de son investissement.

Il ressort de la jurisprudence que, pour que l’absence d’intention libérale puisse être caractérisée, il est nécessaire de démontrer que les dépenses engagées sont sans lien avec celles engendrées par la vie en couple.

Dans un arrêt du 24 septembre 2008, la Cour de cassation a considéré dans le même que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par un concubin dans l’immeuble appartenant à sa concubine excédaient, par leur ampleur, sa participation normale aux dépenses de la vie courante et ne pouvaient pas être considérés comme une contrepartie des avantages dont sa compagne avait profité pendant la période du concubinage.

Aussi, la première chambre civile en conclue-t-elle que le concubin n’avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ( 1ère civ. 24 sept. 2008)

Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. X... a vécu en concubinage avec Mme Y... de 1989 à 1999 ; qu'ils ont eu ensemble deux enfants nés en 1992 et 1997 ; qu'après leur rupture, M. X... a assigné Mme Y... en remboursement des sommes exposées pour financer les travaux de rénovation d'une maison appartenant à celle-ci ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2005) de l'avoir condamnée à payer une somme de 45 000 euros à M. X..., alors, selon le moyen :

1°/ que pour allouer à M. X..., sur le fondement de l'enrichissement sans cause, une somme de 45 000 euros, correspondant à la valeur de matériaux utilisés pour la réalisation de travaux dans la maison appartenant à Mme Y..., la cour d'appel a énoncé que ces travaux ne peuvent, par leur importance et leur qualité, être considérés comme des travaux ordinaires et que, par leur envergure, ils ne peuvent constituer une contrepartie équitable des avantages dont M. X... a profité pendant la période de concubinage ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que, pendant la période de concubinage, la maison dont la rénovation a été entreprise aux frais de M. X... constituait le logement du ménage, où vivaient les deux concubins et leurs deux enfants, ainsi que la domiciliation de la société dont M. X... assurait la gestion de fait, et en indiquant en outre que ces dépenses répondaient notamment au souci de ce dernier d'améliorer son propre cadre de vie pendant la poursuite de la vie commune, ce dont il résultait que l'appauvrissement lié à l'exécution et au financement des travaux litigieux n'était pas dépourvu de contrepartie, peu important à cet égard qu'elle fût ou non équivalente à la dépense engagée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par fausse application, l'article 1371 du code civil ;

2°/ que l'aveu extrajudiciaire exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Ainsi, en l'espèce, en se bornant à énoncer qu'un projet de courrier émanant de Mme Y... s'analysait en un aveu extrajudiciaire en ce qu'elle y déclarait reconnaître devoir à M. X... un pourcentage équivalent à la moitié du prix de la maison lors de son acquisition et proposer que la maison lui appartienne par moitié, quand Mme Y... faisait valoir dans ses conclusions devant la cour d'appel (p. 9) que M. X... avait tenté de lui faire écrire cela "à son départ et sous des larmes de déception" et que "cet écrit n'est ni daté, ni enregistré et n'a aucune valeur probante", la cour d'appel, en n'ayant aucun égard pour ces conclusions, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1354 du code civil ;

3°/ qu'en toute hypothèse, le projet de lettre de Mme Y... se borne, d'une part, à admettre l'existence de travaux d'amélioration de sa maison, financés par M. X..., et, d'autre part, à envisager au profit de ce dernier soit un don, soit un rachat de l'emprunt contracté pour l'achat de la maison ; qu'ainsi, par un tel écrit, Mme Y... n'a en aucune manière reconnue que ces travaux exécutés et financés par M. X... auraient été pour lui source d'un appauvrissement dépourvu de cause, aucune référence n'étant faite dans cet écrit au profit retiré par M. X... du fait de l'amélioration de son cadre de vie, de la domiciliation dans la maison de la société dans laquelle il exerçait son activité professionnelle et de l'hébergement dont il bénéficiait dans cette maison pour lui-même et les enfants du couple. Dès lors, en estimant que cet écrit constituait de la part de Mme Y... un aveu extrajudiciaire de ce que les travaux réalisés et financés par M. X... avaient entraîné pour elle un enrichissement et pour lui un appauvrissement qui étaient dépourvus de cause légitime, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit, en violation de l'article 1134 du code civil ;

4°/ que l'aveu extrajudiciaire n'est admissible que s'il porte sur des points de fait et non sur des points de droit. En l'espèce, en considérant que le projet de lettre de Mme Y... s'analysait en un aveu extrajudiciaire de ce qu'il y aurait eu un enrichissement pour elle et un appauvrissement corrélatif de son concubin dépourvus de cause légitime, c'est-à-dire de ce que les conditions de l'action de in rem verso étaient réunies, la cour d'appel, qui a considéré qu'il y avait un aveu sur ce qui constituait un point de droit, a violé l'article 1354 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir justement retenu qu'aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune de sorte que chacun d'eux doit, en l'absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a engagées, l'arrêt estime, par une appréciation souveraine, que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par M. X... dans l'immeuble appartenant à Mme Y... excédaient, par leur ampleur, sa participation normale à ces dépenses et ne pouvaient être considérés comme une contrepartie des avantages dont M. X... avait profité pendant la période du concubinage, de sorte qu'il n'avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ; que la cour d'appel a pu en déduire que l'enrichissement de Mme Y... et l'appauvrissement corrélatif de M. X... étaient dépourvus de cause et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Collaboration non rémunérée à l’activité professionnelle

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé que la concubine qui avait apporté son assistance sur le plan administratif à la bonne marche de l’entreprise artisanale de maçonnerie qu’elle avait constituée avec son concubin, sans que cette assistance n’excède la simple entraide, n’était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause ( 1ère civ. 20 janv. 2010).

Il ressort de cette décision que pour que l’action de in rem verso engagée par un concubin puisse aboutir, il doit être en mesure de démontrer que l’aide apportée ne procède pas de la simple entraide inhérente à toute forme de vie conjugale.

Lorsque, toutefois, la participation de la concubine à l’exploitation de l’activité professionnelle de son concubin sera conséquente, soit lorsque, de par son ampleur, elle dépasse la contribution aux charges du ménage, la Cour de cassation retiendra l’enrichissement injustifié.

Tel a été le cas, par exemple, dans un arrêt du 15 octobre 1996, aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que la collaboration d’une concubine à l’exploitation du fonds de commerce de son concubin sans que celle-ci ne perçoive de rétribution impliquait, par elle-même un appauvrissement et corrélativement un enrichissement injustifié ( 1ère civ., 15 oct. 1996)

Pour la Cour de cassation, la contribution de la concubine à l’activité professionnelle de son concubin se distinguait d’une simple participation aux dépenses communes des concubins.

Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2008) de l'avoir déboutée de sa demande tendant à la reconnaissance d'une société créée de fait constituée avec son concubin, Salvatore Y..., alors, selon le moyen :

1°/ qu'en retenant, pour débouter Mme X... de sa demande tendant à la reconnaissance d'une société créée de fait, qu'elle ne démontrait pas que sa participation dans l'entreprise excédait la seule entraide familiale quand, d'après ses propres constatations, elle avait pourtant exercé une activité dans l'entreprise et s'était inscrite au registre des métiers comme chef d'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 1832 du code civil ;

2°/ que la cour d'appel, pour écarter l'existence d'une société créée de fait s'agissant de l'entreprise de maçonnerie, a considéré que Mme X... ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale, ni avoir investi des fonds personnels dans l'entreprise ; qu'en statuant à l'aune de ces seules constatations matérielles qui n'excluaient pourtant en rien l'existence d'un apport en industrie, fût-il limité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1832 du code civil ;

3°/ qu'en retenant, pour écarter l'existence d'une société créée de fait s'agissant de l'entreprise de maçonnerie, que Mme X... ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale ni avoir investi des fonds personnels dans l'entreprise, sans rechercher si de tels éléments excluaient l'intention de Mme Y... et de Mme X... de collaborer ensemble sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun ainsi que l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies en résultant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1832 du code civil ;

4°/ que Mme X... fait valoir dans ses conclusions, sans être contredite, qu'elle avait abandonné son activité salariée pour se consacrer à l'entreprise de maçonnerie et qu'elle administrait l'entreprise dans ses relations avec les administrations, les fournisseurs, les avocats et les clients, eu égard à l'illettrisme de son concubin ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que Mme X..., inscrite au registre des métiers en qualité de chef d'entreprise, avait par ailleurs exercé une activité de secrétaire de direction dans diverses sociétés, incompatible avec le plein exercice des responsabilités de chef d'entreprise quand il n'était pourtant pas contesté que Mme X... avait rapidement abandonné son activité salariée pour s'impliquer totalement dans l'entreprise, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que si elle était inscrite au registre des métiers comme chef de l'entreprise de maçonnerie, Mme X... avait exercé, dans le même temps, une activité de secrétaire de direction, d'abord auprès de la société Corege du 24 août 1978 au 15 août 1981 puis de la parfumerie Pagnon du 1er février 1985 au 31 mai 1989, difficilement compatible avec les responsabilités d'un chef d'entreprise qui apparaissaient avoir été assumées en réalité par M. Y... et que celui-ci avait acquis seul, le 26 juillet 1979, un bien immobilier alors que le couple vivait en concubinage depuis 1964, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée et n'a pas méconnu l'objet du litige, a estimé que l'intention des concubins de collaborer sur un pied d'égalité à un projet commun n'était pas établie ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande fondée sur l'enrichissement sans cause, alors, selon le moyen, qu'en relevant cependant, pour considérer que l'enrichissement sans cause de M. Y... au détriment du patrimoine de Mme X... n'était pas démontré, que rien n'établissait que les emprunts de faibles montants avaient été utilisés, non pour les besoins de la famille, mais dans le seul intérêt de son concubin et qu'elle avait été hébergée dans l'immeuble acquis par celui-ci, autant de circonstances insusceptibles d'exclure un appauvrissement sans cause de Mme X..., né de la seule implication dans l'entreprise sans rétribution, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil ensemble les principes régissant l'enrichissement sans cause ;


Mais attendu qu'ayant souverainement estimé que l'assistance apportée sur le plan administratif par Mme X... à la bonne marche de l'entreprise artisanale de maçonnerie qu'elle avait constituée avec son concubin n'excédait pas une simple entraide, la cour d'appel a pu en déduire que celle-ci n'était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause et a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

b) L’absence de cause de l’appauvrissement

Pour que l’enrichissement puisse être considéré comme injustifié, il est nécessaire de démontrer, corrélativement, que l’appauvrissement l’est aussi, soit qu’il est « sans cause».

Pour y parvenir, cela suppose de s’attacher au comportement de l’appauvri, lequel ne doit avoir, ni agi dans son intérêt personnel, ni commis de faute.

i) L’absence d’intérêt personnel de l’appauvri

==> Principe

L’article 1303-2, al. 1 du Code civil prévoit que « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel.»

Cela signifie, que l’appauvri ne peut invoquer l’action de in rem verso, alors même que son appauvrissement n’est la conséquence d’aucun contrat ou d’aucune disposition légale, s’il a agi en vue de se procurer en avantage personnel.

  • Tel est le cas de celui qui a construit ou entretenu une digue qui profite à d’autres riverains ( req. 30 avr. 1828)
  • Tel est encore le cas du propriétaire d’un moulin qui par des travaux destinés à lui fournir un supplément d’eau, en procure également au moulin qui se situe en aval ( req. 22 juin 1927)
  • Il en va également ainsi de celui qui, demandant le raccordement de son domicile au réseau électrique, en fait profiter son voisin (1ère civ. 19 oct. 1976).

==> Conditions

Bien que l’article 1303-2 du Code civil ne le mentionne pas, pour que l’appauvri qui a agi dans son intérêt personnel ne puisse pas se prévaloir de l’action de in rem perso, des conditions doivent être remplies.

Ces conditions résultent de la jurisprudence antérieure dont on a des raisons de penser qu’elle demeure applicable.

Dans un arrêt du 8 février 1972, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « les conditions de l’enrichissement sans cause ne sont pas réunies lorsque les impenses ont été effectuées par le demandeur dans son intérêt, a ses risques et périls et en recueillant le profit» ( 3e civ. 8 févr. 1972).

Plus récemment, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt du 20 mai 2009 que l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être accueillie dès lors que l’appauvri a « agi de sa propre initiative et à ses risques et périls» ( 3e civ. 20 mai 2009).

Il ressort de cette jurisprudence pour que l’application de l’action de in rem verso soit écartée, deux conditions cumulatives doivent être réunies :

  • L’appauvri doit avoir agi de sa propre initiative
  • L’appauvri doit avoir agi à ses risques et périls

Si donc, les prévisions de l’appauvri sont démenties et qu’il a subi une perte, le tiers qu’il a pu enrichir ne lui devra rien.

ii) La faute personnelle de l’appauvri

==> Le droit antérieur

La question s’est ici posée de savoir si, lorsque l’appauvrissement résulte d’une faute de l’appauvri, celui-ci ne serait dès lors pas pourvu d’une cause, sa propre faute, en conséquence de quoi l’action de in rem verso ne saurait être exercée.

Quid, par exemple, du garagiste qui entreprend de faire des travaux sur un véhicule qui n’avaient pas été commandés par ses clients ?

Dans un arrêt du 8 juin 1968, la Cour de cassation a estimé que, en pareille hypothèse, le garagiste ne saurait réclamer une quelconque indemnité à son client à raison de son enrichissement, dans la mesure où l’appauvrissement procède d’une faute ( com. 8 juin 1968)

L’examen de la jurisprudence révèle toutefois que la Cour de cassation n’était pas aussi arrêtée.

Dans un arrêt du 3 juin 1997, la Cour de cassation a, par exemple, considéré que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause» ( 1ère civ. 3 juin 1997).

Dans un arrêt du 27 novembre 2008, elle a statué dans le même sens en jugeant que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui» ( 1ère civ. 27 nov. 2008).

Ainsi, ces arrêts invitaient-ils à opérer une distinction selon que la conduite de l’appauvri était constitutive d’une faute grave ou d’une simple négligence.

  • En cas de faute grave, l’action de in rem verso était écartée
  • En cas de faute de négligence, l’action de in rem verso pouvait toujours être exercée

Toutefois, dans une décision du 19 mars 2015 la Cour de cassation a estimé que « l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri» ( 1ère civ. 19 mars 2015).

De par la généralité de la formule utilisée, d’aucuns en ont déduit que la haute juridiction avait abandonné la distinction entre la faute grave et la faute de simple négligence.

Aussi, le législateur est-il intervenu afin de clarifier la situation.

Cass. 1ère civ. 3 juin 1997
Attendu que M. Maze Y... a acquis le 2 juin 1984, au cours d'une vente aux enchères publiques dirigée par Mme X..., commissaire-priseur à Dax, un bureau plat, appartenant à M. Z..., qu'elle a présenté comme étant d'époque Louis XV ; qu'ayant été informé lors de l'exécution de travaux de restauration en 1990 que ce meuble était un faux, M. Maze Y... a assigné Mme X... en réparation de son préjudice ; que l'arrêt attaqué (Pau, 30 novembre 1994) a condamné Mme X..., assurée par la compagnie Préservatrice foncière, à lui payer la somme de 250 000 francs à titre de dommages-intérêts, et, sur la demande de Mme X..., condamné M. Z... à payer à cette dernière celle de 148 000 francs ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir condamné M. Z... à payer à Mme X... la somme de 148 000 francs représentant la différence entre le prix d'adjudication et la valeur résiduelle du meuble litigieux alors que le demandeur à une action fondée sur l'enrichissement sans cause qui a commis une faute à l'origine de son propre appauvrissement ne peut obtenir le bénéfice de cette action ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que Mme X... a engagé par imprudence sa responsabilité vis-à-vis de l'adjudicataire dont elle doit réparer le préjudice sans pouvoir être garantie par M. Z... qui n'a commis aucune faute à son égard, et qu'en déclarant néanmoins Mme X... bien fondée à exercer l'action, la cour d'appel a violé l'article 1371 du Code civil précité et les principes régissant l'enrichissement sans cause ;

Mais attendu que le fait d'avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s'appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l'enrichissement sans cause ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cass. 1ère civ. 19 mars 2015
Vu l'article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l'enrichissement sans cause;

Attendu que l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a émis au profit de M. Y..., sur son compte ouvert à la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes (la banque), deux chèques qu'il a ensuite frappés d'opposition en prétendant qu'il les avait perdus ; qu'ayant honoré les deux chèques, et invoquant l'impossibilité d'obtenir remboursement par un débit du compte, faute de provision suffisante, la banque a assigné M. X... sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

Attendu que, pour accueillir les prétentions de la banque, l'arrêt retient que l'erreur qu'elle a commise ne lui interdit pas de solliciter un remboursement ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 juin 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

==> La réforme des obligations

L’article 1303-2, al. 2 du Code civil prévoit que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri.»

Si, de prime abord, le texte semble avoir abandonné la distinction qui avait été introduite par la jurisprudence entre la faute grave et la faute de négligence, elle resurgit si l’on se tourne vers la sanction qui est attachée à la faute de l’appauvri.

En effet, le législateur a prévu que, en cas de faute, le juge peut « modérer» l’indemnité octroyée à l’appauvri.

Or de toute évidence ce pouvoir de modération conféré au juge sera exercé par lui considération de la gravité de la faute commise par l’appauvri.

Le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise, d’ailleurs, que la faute de l’appauvri peut être sanctionnée par une suppression pure et simple de l’indemnité due au titre de l’action de in rem verso.

C’est donc un retour à la solution jurisprudentielle adoptée antérieurement à l’arrêt du 19 mars 2015 qui a été opéré par le législateur.

2.2 La subsidiarité de l’action fondée sur l’enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-3 du Code civil « l’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Cette disposition rappelle, conformément à la jurisprudence antérieure, le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso.

Ainsi cette action ne peut :

  • Ni servir à contourner les règles d’une action contractuelle, extracontractuelle ou légale dont l’appauvri dispose
    • Dès lors que l’appauvri dispose d’une action sur l’un de ces fondements juridiques, il n’est pas autorisé à exercer l’action de in rem verso
    • Il lui appartient d’engager des poursuites sur le fondement de la règle dont les conditions d’application sont remplies.
    • Il est indifférent que cette action puisse être engagée à l’encontre de l’enrichi ou d’un tiers (V. en ce sens com. 10 oct. 2000).
  • Ni suppléer une autre action qu’il ne pourrait plus intenter suite à un obstacle de droit
    • Lorsque l’appauvri dispose d’une autre action qui se heurte à un obstacle de droit, l’action de in rem verso ne peut pas être exercée.
    • La Cour de cassation avait estimé en ce sens dans un arrêt du 29 avril 1971, que l’action de in rem verso ne pouvait pas être admise « notamment, pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par suite d’une prescription, d’une déchéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit » ( 3e civ., 29 avr. 1971)
    • Dès lors que l’un de ces obstacles de droit est caractérisé, l’action de in rem verso est neutralisée.
    • Au nombre de ces obstacles de droit figurent notamment :
      • La prescription
      • La déchéance
      • La forclusion
      • L’autorité de chose jugée
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un salarié ne saurait exercer l’action de in rem verso, pour contourner l’extinction de l’action en paiement de sommes de nature salariale par l’effet de la prescription ( soc. 12 janv. 2011).
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, la Cour de cassation a encore jugé que l’action de in rem verso ne saurait être exercée par une concubine du défunt dès lors qu’elle n’était pas en mesure d’apporter la preuve d’une obligation de remboursement contractée par celui-ci, ce qui était constitutif d’un obstacle de droit ( 1ère civ. 9 déc. 2010).

B) Les effets de l’enrichissement injustifié

Lorsque toutes les conditions de l’action de in rem verso sont réunies, l’enrichi doit indemniser le demandeur.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer le montant de l’indemnisation due à l’appauvri.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1303-4 du Code civil qui prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

 1. Sur le principe de l’indemnisation

  • Principe
    • Il est de jurisprudence constante que l’indemnité ne peut excéder, ni l’enrichissement du défendeur, ni l’appauvrissement du demandeur
    • Cette règle est exprimée à l’article 1303 du Code civil qui prévoit que l’appauvri perçoit « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
    • C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.
    • Ainsi, lorsque des travaux ont été effectués par une personne sur l’immeuble d’autrui, l’indemnité est calculée
      • Soit sur la base des dépenses exposées pour la réalisation des travaux
      • Soit sur la base de la plus-value qui découle des travaux
    • Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit de l’action de in rem verso.
      • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
      • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié
    • Le législateur a toujours assorti cette règle d’une exception en cas de mauvaise foi de l’enrichi.
  • Exception
    • L’article 1303-4 du Code civil prévoit que « en cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »
    • Ainsi, cette disposition apporte-t-elle une exception aux modalités de détermination de l’indemnité de l’appauvri en cas de mauvaise foi de l’enrichi.
    • À titre de sanction, l’indemnité sera égale à la plus forte des deux valeurs entre l’enrichissement et l’appauvrissement.

2. La date d’appréciation du mouvement de valeur

Fixer un double plafond pour circonscrire le montant de l’indemnité due à l’appauvri ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés

Il faut encore déterminer la date à laquelle il convient de se situer :

  • D’une part, pour vérifier l’existence de l’enrichissement et de l’appauvrissement
  • D’autre part, pour évaluer le montant des valeurs qui se sont déplacées d’un patrimoine à l’autre

À cet égard, l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. »

Ce sont donc à des dates différentes qu’il convient de se placer pour apprécier l’enrichissement et l’appauvrissement.

  • S’agissant de l’appauvrissement
    • Il doit être apprécié au jour de la dépense, soit à la date où le demandeur a subi une perte.
  • S’agissant de l’enrichissement
    • Son appréciation est somme toute différente dans la mesure où il est constaté « tel qu’il subsiste au jour de la demande»
    • Cela signifie que l’enrichissement va être apprécié au jour de l’exercice de l’action de in rem verso et non à la date où le mouvement de valeur s’opère entre le patrimoine de l’enrichi et celui de l’appauvri
    • Il en résulte que, l’enrichissement peut, entre-temps :
      • Soit avoir augmenté,
      • Soit avoir diminué
      • Soit avoir disparu
    • Sur ce point, le législateur a repris les solutions jurisprudentielles existantes (V. en ce sens 1ère civ. 1re, 18 janv. 1960).

3. La date d’évaluation de l’enrichissement et de l’appauvrissement

==> Problématique

La question n’est pas ici de savoir à quelle date constater le mouvement de valeur, mais de déterminer le jour auquel doit être appréciée l’évaluation de la consistance de l’appauvrissement et de l’enrichissement ?

Voilà une question qui n’est pas sans enjeu dans les périodes de dépréciation monétaire.

Faut-il évaluer l’enrichissement et l’appauvrissement aux dates où l’on apprécie leur existence respective ou convient-il plutôt de réévaluer ces sommes au jour de la décision qui fixe l’indemnité ?

==> Jurisprudence

Dans un arrêt du 18 mai 1982, la Cour de cassation avait abondé dans le sens de la première option ( 3e civ. 18 mai 1982).

Pour la haute juridiction, l’appauvrissement devait ainsi être évalué au jour où la dépense a été exposée.

Il en résultait que l’un des plafonds de l’indemnité correspondait à la somme nominale qui avait été dépensée ou à la valeur de la prestation au jour où elle avait été fournie.

Quant à l’évaluation de l’enrichissement, elle était bloquée au jour de l’exercice de l’action de in rem verso.

L’autre plafond de l’indemnité due à l’appauvri était en conséquence égale à la somme dont le patrimoine du défendeur s’était accru au jour de la demande.

Cette situation était, de toute évidence, fortement injuste pour l’appauvri, car en cas de dépréciation monétaire, il va percevoir une indemnité sans rapport avec la valeur actuelle de la perte qu’il a subie.

Aussi, de l’avis général des auteurs, l’appauvrissement et l’enrichissement devaient, impérativement, être évalués à la même date, soit au jour du calcul de l’indemnité.

Cass. 3e civ. 18 mai 1982
Mais sur le premier moyen : vu l'article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l'enrichissement sans cause ;

Attendu que l'enrichi n'est tenu que dans la limite de son enrichissement et de l'appauvrissement du créancier ;

Attendu que pour condamner les consorts e... à payer à Mme d..., aux droits de son mari, une somme de 50 000 francs au titre des améliorations utiles apportées par celui-ci en 1951, au bâtiment, l'arrêt, qui constate que l'expert x... chiffre les travaux a 750 000 anciens francs a l'époque ou ils ont été faits, énonce que selon les conclusions du rapport ces travaux de consolidation et d'amélioration utiles sont d'un montant actualise de 50 000 francs et ont apporté au fonds une plus-value de même montant ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'appauvrissement du possesseur évince a pour mesure le montant nominal de la dépense qu'il a exposée, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;

Dans un arrêt du 26 octobre 1982, la Cour de cassation a pu faire montre de souplesse en admettant que l’appauvrissement puisse être évalué au jour de la demande en divorce de l’épouse

Toutefois, la première chambre civile précise que, si cette date est retenue, c’est uniquement en raison de « l’impossibilité morale [de l’épouse] d’agir antérieurement» ( 1ère civ. 26 oct. 1982).

Ainsi, cette décision n’a-t-elle pas suffi à éteindre les critiques.

La solution antérieure semble, en effet, être maintenue.

Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles que la Cour de cassation est susceptible d’admettre qu’il puisse être dérogé au principe d’évaluation de l’appauvrissement au jour de la réalisation de la dépense.

Cass. 1ère civ. 26 oct. 1982
Sur le moyen unique : attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Mme Marie-Rose c., qui avait été mariée, sous le régime de la séparation de biens, a m Georges p., chirurgien, a, après leur divorce, réclame a celui-ci une indemnité, au titre de l'enrichissement sans cause, pour les services d'infirmière anesthésiste qu'elle lui avait rendus, pendant dix années, sans être rémunérée ;

Attendu que m p. reproche à l'arrêt confirmatif attaque, qui a accueilli cette demande, d'avoir violé les règles gouvernant l'action de in rem verso, en vertu desquelles, selon le moyen, si l'enrichissement doit être évalué au jour de la demande d'indemnisation, l'appauvrissement doit, en revanche, l'être au jour de sa réalisation ;

Mais attendu que, comme l'ont retenu les juges du fond, c'est le travail fourni sans rémunération qui a été générateur, à la fois, de l'appauvrissement, par manque à gagner, de Mme c., et de l'enrichissement de m p., qui n'avait pas eu a rétribuer les services d'une infirmière anesthésiste ;

Que, pour évaluer l'appauvrissement de la demanderesse a l'indemnité de restitution et l'enrichissement du défendeur, la cour d'appel devait donc se placer, comme elle l'a fait, a la même date : celle de la demande en divorce, en raison de l'impossibilité morale pour la femme d'agir antérieurement contre son mari ;

Que le moyen n'est donc pas fonde ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 21 mai 1981 par la cour d'appel de Dijon

==> La réforme des obligations

Afin de mettre un terme au débat jurisprudentiel portant sur la date d’évaluation du mouvement de valeur, le législateur n’a eu d’autre choix que de trancher la question.

C’est ce qu’il a fait à l’occasion de la réforme des obligations.

Manifestement, la doctrine a été entendue puisque l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement».

Cette solution, qui fait de l’indemnité de restitution une dette de valeur, prend de la sorte le contre-pied de la jurisprudence.

Par ailleurs, comme relevé dans le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, elle est conforme à la solution retenue par le code civil dans les cas d’enrichissement injustifiés qu’il régit spécialement aux articles 549, 555, 566, 570, 571, 572, 574 et 576.

III) Le sort des donations entre concubins

Lorsque les concubins se séparent, il est fréquent qu’ils revendiquent la restitution des cadeaux qu’ils se sont mutuellement offerts.

Tandis que certains présents sont consentis à l’occasion d’une demande en mariage, telle la fameuse bague de fiançailles, d’autres ont une valeur plus modique. D’autres encore ont un caractère familial très marqué, en raison de leur transmission de génération en génération ou de leur appartenance à un proche.

Aussi, la question se pose du sort de ces cadeaux que les concubins se sont offert l’un à l’autre.

Lors de la rupture de leur union, sont-ils fondés à réclamer leur restitution, compte tenu, soit des circonstances dans lesquelles ils été offerts, soit de leur valeur, soit encore de leur origine ?

Pour le déterminer, il convient, tout d’abord, de se demander, s’ils ont ou non été consentis dans le cadre de fiançailles, soit en accompagnement d’une promesse de mariage.

A) Les donations consenties en dehors des fiançailles

Si, depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 3 février 1999 (Cass. 1ère civ. 3 févr. 1999), les libéralités entre concubins sont pleinement valables sans considération du but poursuivi par le donateur, les dispositions du Code civil relatives aux libéralités entre époux leur sont inapplicables.

Il en résulte que les donations faites entre concubins – lesquelles ne peuvent porter que sur des biens présents – sont irrévocables, sauf à justifier, conformément à l’article 953 du Code civil :

  • Soit une cause d’ingratitude du donataire
  • Soit une cause de survenance d’enfants

Dans un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « le don manuel suppose une tradition réalisant une dépossession définitive et irrévocable du donateur », étant précisé que le possesseur du bien revendiqué est présumé avoir reçu le bien par voie de don manuel.

Il appartiendra donc au donateur de rapporter la preuve de l’absence d’intention libérale.

Cass. 1ère civ. 14 déc. 2004
Sur le moyen unique :

Vu les articles 894 et 931 du Code civil ;

Attendu que le don manuel suppose une tradition réalisant une dépossession définitive et irrévocable du donateur ;

Attendu que M. X... et Mlle Y... ont vécu en concubinage ; qu'en 1997, M. X... a viré de son compte bancaire personnel sur celui que venait d'ouvrir Mlle Y..., sur lequel il avait procuration, une certaine somme ; qu'en avril 1999, à l'époque de la rupture entre les concubins, Mlle Y... a annulé la procuration en question et conservé ladite somme ; qu'en septembre suivant, M. X... l'a fait assigner en remboursement de cette somme ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande, après avoir relevé que, si ce dernier bénéficiait d'une procuration sur le compte de Mlle Y..., ce mandat dont il était investi n'était pas suffisant pour établir son absence de dépossession de la somme qu'il avait fait virer sur le compte de cette dernière, dans la mesure où il n'était pas contesté qu'il n'avait jamais prélevé de somme sur le compte en question pendant toute la durée de la vie commune, "démontrant par là qu'il n'avait pas l'intention de se ménager le moyen de reprendre ce qu'il avait donné", l'arrêt attaqué retient que le virement, dont s'agit, s'analysait comme un don manuel ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le virement fait à un compte sur lequel le solvens avait procuration ne réalisait pas une dépossession irrévocable, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 février 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

B) Les donations consenties dans le cadre des fiançailles

Alors que, en 1804, le Code civil est totalement silencieux sur le statut des concubins, il comporte une disposition spéciale qui intéresse le sort des cadeaux offerts dans le cadre des fiançailles.

Pour mémoire, les fiançailles ne sont autres qu’une promesse de mariage. Aussi, était-ce là, pour le législateur, une différence fondamentale avec l’union libre insusceptible de conférer à la famille une quelconque légitimité, celle-ci ne pouvant être acquise qu’au moyen de la célébration du mariage.

Pour cette raison, les rédacteurs du Code civil ont entendu réserver un traitement de faveur aux fiancés lesquels, contrairement aux concubins, n’ont pas choisi de tourner le dos au mariage.

Ce traitement de faveur a, toutefois, été tempéré par la jurisprudence qui a assorti la règle édictée à l’article 1088 du Code civil d’un certain nombre d’exceptions.

==> Principe

Aux termes de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas. »

Il s’évince de cette disposition que, en cas de rupture des fiançailles les cadeaux réciproques qui ont été consentis dans ce cadre doivent être restitués.

Si, en soi, la règle ne soulève pas de difficultés, il n’en va pas de même de la qualification même de donation, la jurisprudence ayant introduit une distinction à opérer avec les présents d’usage qui ne sont pas soumis au régime juridique des donations

==> Tempérament

Dans un arrêt Sacha Guitry du 30 décembre 1952, la Cour de cassation a considère que le cadeau consenti par un mari à son épouse pouvait être qualifié, non pas de donation, mais de présent d’usage dès lors que deux conditions cumulatives étaient réunies :

  • L’existence d’un usage d’offrir un cadeau dans le cadre d’une circonstance particulière
  • La modicité du cadeau eu égard à la fortune et le train de vie du disposant

A contrario, cela signifie que dès lors que le cadeau offert atteint une grande valeur eu égard aux revenus du fiancé il s’agira, non plus d’un présent d’usage, mais d’une donation propter nuptias

L’article 852 du Code civil, introduit par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, précise que « le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti ».

La conséquence en est que, en cas de présents d’usage, il n’y a pas lieu à restitution des cadeaux que se sont mutuellement offert les fiancés.

Reste, que la jurisprudence a réservé un sort particulier à la bague de fiançailles.

==> Le sort particulier de la bague de fiançailles

La question s’est posée de savoir quelle qualification conférer à la bague de fiançailles ?

Tandis que pour certains elle s’apparente à un présent d’usage, de sorte qu’elle doit faire l’objet d’une restitution en cas de rupture de la promesse de mariage, pour d’autres il s’agit d’une donation obéissant à la règle posée à l’article 1088 du Code civil qui prévoit la caducité.

A la vérité, pour déterminer le sort de la bague de fiançailles il convient,            au préalable, de se demander s’il s’agit ou d’un bijou de famille :

  • La bague de fiançailles est un bijou de famille
    • Lorsque la bague de fiançailles est un bijou de famille, la jurisprudence considère qu’elle doit faire l’objet d’une restitution en cas de rupture des fiançailles.
    • Peu importe qu’elle réponde aux critères du présent d’usage, la Cour de cassation estime que, dès lors qu’elle présente un caractère familial, elle doit être restituée à la famille dont elle provient ( 1ère civ., 20 juin 1961).
    • Dans un arrêt du 23 mars 1983, la Cour de cassation a justifié cette solution en arguant que lorsqu’il s’agit d’un bijou de famille, celui-ci ne peut être consenti qu’au titre d’un prêt à usage dont la durée est adossée à celle de l’union du couple ( 1ère civ. 23 mars 1983).
    • En cas de rupture, la bague de fiançailles a donc vocation à être restitué au donateur
    • Il est indifférent que la bague ait été donné par un tiers (V. en ce sens 1ère civ. 30 oct. 2007)
  • La bague de fiançailles n’est pas un bijou de famille
    • Principe
      • Lorsque la bague de fiançailles ne présente pas de caractère familial, dès lors qu’elle répond aux critères du présent d’usage, elle est insusceptible de faire l’objet d’une restitution.
      • La Cour de cassation a estimé en ce sens dans un arrêt du 19 décembre 1979 que « justifie légalement sa décision rejetant la demande de restitution de la bague de fiançailles formée par la mari à la suite du divorce des époux la Cour d’appel qui, après avoir exclu le caractère de souvenir de famille du bijou litigieux, estime souverainement que la remise de la bague à la fiancée constituait en l’espèce, compte tenu des facultés respectives des époux et de leurs familles un présent d’usage, qui ne pouvait comme tel, donner lieu à restitution » ( 1ère civ. 19 déc. 1979)
      • Ainsi, l’application de l’article 1088 du Code civil sera écartée.
    • Exceptions
      • La rupture fautive
        • Par exception au principe, la jurisprudence admet que, en cas de rupture fautive imputable au donateur, la bague de fiançailles puisse être conservée par son bénéficiaire en guise de sanction (CA Paris, 3 déc. 1976).
      • La mort du donateur
        • A l’instar de la rupture fautive, la mort du donateur autorise également la fiancée à conserver la bague en souvenir de son défunt fiancé (CA Amiens, 2 mars 1979)

[1] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[2] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[3] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[4] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[5] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°106, p. 53.

[6] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[7] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[8] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[9] Cass. 1re civ., 19 mars 1991 : Defrénois 1991, p. 942, obs. J. Massip ; Cass. 1re civ., 17 oct. 2000 : Dr. famille 2000, comm. 139, note B. Beignier.

[10] En matière fiscale, pour ce qui concerne l’assiette de l’ISF, les concubins sont assimilés à des époux. Il en va de même en matière de protection sociale où le concubin est considéré comme un ayant du droit de celui qui bénéficie de l’affiliation à la sécurité sociale.

[11] V. RIPERT et BOULANGER, Traité de droit civil, t. 2, 1957, LGDJ, n° 1280

[12] .P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

[13] Ph. Malaurie, note sous Civ. 1re, 6 oct. 1959 ;  D. 1960. 515.