Le nouveau statut de l’entrepreneur individuel

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploités à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité de la résidence principale n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Pour mémoire, ce principe théorisé au début du XIXe siècle par Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, signifie qu’une personne ne peut être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

  • Positivement, il en résulte que le passif répond du passif et que l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens, conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil : « qui s’oblige, oblige le sien»
  • Négativement, il se déduit qu’il est interdit d’isoler certains éléments du patrimoine, pour constituer une universalité distincte du reste du patrimoine

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

Très tôt le principe d’unicité du patrimoine a été critiqué par la doctrine en ce qu’elle exposait l’entrepreneur individuel à des risques financiers importants sur son patrimoine personnel pour des dettes nées dans le cadre de son activité professionnelle.

Jusque récemment, la seule solution qui s’offrait à lui pour contourner le principe d’unicité du patrimoine était de créer une société, laquelle serait titulaire d’un patrimoine distinct de son propre patrimoine.

À cet égard, tout entrepreneur individuel, qu’il soit commerçant, artisan, indépendant ou agriculteur, peut créer une société unipersonnelle à responsabilité limitée et opérer de cette manière une distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

L’EURL n’a toutefois pas obtenu le succès escompté, les entrepreneurs individuels préférant majoritairement exercer leur activité en nom propre.

Par souci de justice sociale et de protection de la famille des entrepreneurs ayant adopté cette seconde modalité – risquée – d’exercice, le législateur a finalement décidé d’ouvrir une brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant, par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut – et c’est la révolution opérée par ce texte – est qu’il permet à l’entrepreneur individuel, tout à la fois d’exercer son activité en nom propre et de créer un patrimoine d’affectation.

Pour la première fois, l’entrepreneur individuel était ainsi autorisé à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

À l’analyse, la création d’un patrimoine d’affectation déroge aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère donc une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

Le bénéfice du régime de l’EIRL était toutefois subordonné à l’observation d’un formalisme rigoureux visant à garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur lui-même et des tiers.

Pour créer un patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devait notamment :

  • D’une part, procéder à une déclaration d’affectation
  • D’autre part, tenir une comptabilité séparée

Là encore, à l’instar de l’EURL, l’EIRL n’a pas rencontré un franc succès chez les entrepreneurs individuels.

Selon une étude réalisée par le Conseil d’État, en 2021, seuls 97 000 chefs d’entreprise étaient soumis au régime de l’EIRL alors que, à la même époque, on comptait près de 3 millions de travailleurs indépendants.

Les raisons de cet échec doivent sans doute être recherchées dans la complexité des formalités administratives et comptables requises pour créer une EIRL, quoiqu’elles aient été progressivement simplifiées, notamment par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE ».

C’est dans ce contexte, qu’il est à nouveau apparu nécessaire de réformer le statut de l’entrepreneur individuel.

==> La création d’un statut unique d’entrepreneur individuel

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Outre la consécration d’une séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur individuel, la loi du 14 février 2022 a instauré un dispositif permettant la transmission universelle du patrimoine professionnel entre vifs, y compris sous la forme d’un apport en société.

Ce dispositif déroge au principe selon lequel une personne physique ne peut, de son vivant, transmettre son patrimoine.

Pour cette catégorie de personnes, il est seulement permis de transmettre des biens et des obligations à titre particulier.

Le régime de cette transmission universelle de patrimoine instauré par la loi du 14 février 2022 est largement emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main.

À cet égard, bien qu’ouvert désormais aux personnes physiques, ce nouveau dispositif, à l’instar de la séparation des patrimoines professionnel et personnel, ne peut bénéficier qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

Aussi, convient-il, avant d’envisager un à un chacun de ces dispositifs, d’aborder les conditions du statut d’entrepreneur individuel qui diffèrent sensiblement de celles anciennement requises pour accéder au statut d’EIRL.

Section 1 : Les conditions du statut unique d’entrepreneur individuel

§1: Les conditions d’éligibilité au statut d’entrepreneur individuel

Le statut institué par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

L’article L. 526-22 du Code de commerce définit l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Il ressort de cette disposition que la qualité d’entrepreneur individuel requiert la réunion de plusieurs éléments cumulatifs :

  • Premier élément
    • L’entrepreneur individuel est nécessairement une personne physique.
    • Et pour cause, le statut unique d’entrepreneur individuel a précisément été créé pour les personnes qui ne souhaitaient pas, pour diverses raisons, exercer leur activité professionnelle par l’entremise d’une société.
    • Aussi, le statut d’entrepreneur individuel ne saurait être sollicité par une personne morale.
    • Une société est donc strictement assujettie au principe d’unicité de son patrimoine sans possibilité pour elle d’y déroger.
  • Deuxième élément
    • L’entrepreneur individuel exerce nécessairement en son nom propre, ce qui signifie qu’il agit pour son propre compte.
    • Il n’intervient donc pas en représentation d’une tierce personne, de sorte qu’il est personnellement tenu aux engagements qu’il souscrit.
  • Troisième élément
    • Pour se prévaloir du statut d’entrepreneur individuel, il est nécessaire, précise l’article L. 526-22 du Code de commerce, d’exercer « une ou plusieurs activités professionnelles».
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « activité professionnelle».
    • Aussi, l’activité exercée par l’entrepreneur doit constituer une profession.
    • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
    • En d’autres termes, pour qu’une activité constitue une profession, cela suppose qu’elle soit, pour son auteur, sa principale source de revenus et, surtout, lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
  • Quatrième élément
    • Le statut d’entrepreneur individuel ne peut bénéficier qu’aux personnes qui exercent une activité indépendante.
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
    • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement endosser le statut d’entrepreneur individuel.
    • Les personnes en revanche exclues du bénéfice de ce statut sont :
      • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
      • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
      • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant

Il ressort de ces quatre éléments constitutifs de la notion d’entrepreneur individuel que le statut attaché à cette qualité est ouvert à de nombreux agents économiques au nombre desquels figurent notamment les commerçants, les artisans, les agriculteurs et plus généralement tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

À cet égard, comme indiqué par les travaux parlementaires, l’immatriculation à un registre de publicité légale professionnelle n’est pas une condition pour bénéficier du statut d’entrepreneur individuel : ce statut peut donc bénéficier à un entrepreneur individuel dont la profession n’est pas soumise à une réglementation qui lui est propre et qui n’est donc pas inscrit sur un registre spécifique ou un ordre particulier.

§2: Les conditions d’exercice du statut d’entrepreneur individuel

==> La dénomination professionnelle

L’article R. 526-27 du Code de commerce issu du décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, pose deux exigences s’agissant de la dénomination professionnelle adoptée par l’entrepreneur individuel :

  • Première exigence
    • Pour l’exercice de son activité professionnelle l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.
    • Cette restriction de la liberté de choisir une dénomination professionnelle se justifie par la protection des tiers auxquels le statut de l’entrepreneur individuel doit être porté à leur connaissance.
  • Seconde exigence
    • La dénomination choisie par l’entrepreneur individuel doit figurer sur tous les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé.

À ces deux exigences énoncées par l’article R. 526-27 du Code de commerce, il convient d’en compter une troisième lorsque l’entrepreneur individuel exerce une activité commerciale.

En effet, l’article R. 123-237 du Code de commerce prévoit que toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés est tenu d’indiquer sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.

Il devra indiquer, en outre, sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

==> Le compte bancaire

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 526-13 du Code de commerce imposait à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) d’« ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté ».

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 a mis fin à cette obligation, de sorte que l’entrepreneur individuel n’est plus tenu d’ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle.

L’article R. 526-27 du Code de commerce prévoit seulement que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé. »

Section 2 : Le contenu du statut unique d’entrepreneur individuel

Le statut de l’entrepreneur individuel repose sur trois dispositifs spécifiques :

  • La séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel
  • La faculté de transmission universelle du patrimoine professionnel
  • Le principe d’insaisissabilité de la résidence principale

§1 : La séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel

I) Le principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

==> Patrimoine professionnel et patrimoine personnel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a donc instauré un principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.

Cela signifie que toute personne endossant le statut d’entrepreneur individuel est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité, de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Sous l’empire du droit antérieur, la ligne de démarcation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur exerçant en EIRL procédait d’une déclaration d’affectation.

Pratiquement cette déclaration consistait pour l’entrepreneur à désigner les biens qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Désormais, la consistance de l’un et l’autre patrimoine est déterminée par un critère fixé par la loi : le critère de « l’utilité ».

==> Le critère de l’utilité

En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel serait donc constitué – automatiquement – de l’ensemble des biens, droits, obligations et sûretés « utiles » à l’exercice de son activité professionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « utile ». Il s’agit là d’une notion qui occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur.

Aussi, afin de garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel, de ses ayants droit, mais également des tiers, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 est venu préciser la notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

L’article R. 526-26 du Code de commerce, issu de ce décret, prévoit en ce sens :

En premier lieu, que les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

  • Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
  • Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
  • Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
  • Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
  • Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

En second lieu, que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

==> Sort des biens mixtes

À l’occasion des travaux parlementaires, le Sénat avait relevé que le projet de loi examiné était silencieux sur le sort des biens mixtes, soit ceux utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles.

La question qui est alors susceptible de se poser est de savoir à quelle masse de biens ce type de bien appartient, à tout le moins comment articuler le droit de gage des créanciers professionnel et personnel.

Afin d’apporter une meilleure protection à l’entrepreneur individuel les sénateurs ont proposé de limiter les biens relevant du patrimoine professionnel à ceux « exclusivement utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle.

De cette façon, les biens à usage mixte seraient nécessairement compris dans le patrimoine personnel.

En contrepartie, il a été imaginé que le droit de gage des créanciers professionnels soit étendu au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage des biens mixtes, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

L’illustration a été donnée du local dont l’entrepreneur individuel est propriétaire ou locataire qui serait utilisé à des fins professionnelles et personnelles. Les créanciers professionnels seraient en droit de saisir sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur l’équivalent des sommes dues pour une mise à disposition non exclusive du local pendant un an.

Bien que séduisante, cette proposition n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale au motif qu’elle aurait conduit à ajouter de la complexité au critère de l’utilité.

Faute de précision dans la version finale de la loi du sort des biens mixtes, la Conseil d’État a suggéré qu’un décret soit adopté afin de pallier cette carence qui est de nature à affecter la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel.

==> Charge de la preuve

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier.

Aussi, appartiendra-t-il à l’entrepreneur, pour échapper aux poursuites de ses créanciers, de prouver que le bien appréhendé :

  • Soit est utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle
  • Soit n’est pas utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie est née à l’occasion de son activité professionnelle.

Le texte ajoute que la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Avant d’appréhender un ou plusieurs biens de l’entrepreneur individuel, le créancier devra donc s’assurer que le bien convoité relève du patrimoine sur lequel s’exerce son droit de gage général. À défaut, il s’expose à engager sa responsabilité.

II) Les effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

A) La date de prise d’effet du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-23 du Code de commerce régit la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines dont la mise en œuvre consiste pour l’entrepreneur individuel à ne répondre de ses dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle que sur son seul patrimoine professionnel.

L’enjeu pour le législateur était de permettre aux tiers de savoir au moment où ils contractent avec un entrepreneur individuel s’il est ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

Afin de satisfaire à cet objectif, le législateur a subordonné la limitation du droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité professionnelle ait fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate : immatriculation à un registre de publicité légale, inscription sur une liste ou au tableau d’un ordre etc.

Dans l’hypothèse toutefois où aucune obligation d’immatriculation ne pèse sur l’entrepreneur individuel, la date de prise d’effet est fixée au jour de l’accomplissement du premier acte matérialisant le commencement d’activité professionnelle.

Pratiquement, la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines diffère donc selon que pèse ou non sur l’entrepreneur individuel une obligation d’immatriculation.

  • L’entrepreneur est assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de l’immatriculation au registre dont relève l’entrepreneur individuel pour son activité (registre du commerce et des sociétés, répertoires des métiers etc.).
    • Lorsque celui-ci relève de plusieurs registres, la dérogation prend effet à compter de la date d’immatriculation la plus ancienne.
    • À cet égard, lorsque la date d’immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d’activité, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de la date déclarée du début d’activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État.
  • L’entrepreneur n’est pas assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 526-23 du Code de commerce prévoit que la séparation des patrimoines opère à compter du premier acte que l’entrepreneur exerce en qualité d’entrepreneur individuel.
    • Pour déterminer cette date, il conviendra, suggère le texte, de se reporter aux documents et correspondances éventuellement établis par l’entrepreneur individuel dans la mesure à sa qualité doit obligatoirement y être mentionnée.

B) Le déploiement des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

1. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers professionnels

1.1 Principe

L’article L. 526-22, al. 3e du Code de commerce prévoit que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine professionnel.

C’est là la conséquence directe du principe de séparation des patrimoines qui donc limite le gage des créanciers professionnels qui ne pourront donc pas exercer leurs poursuites sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

La séparation entre les patrimoines professionnel et personnel n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de quelques tempéraments visant tantôt à octroyer de la souplesse quant à la mise en œuvre du dispositif, tantôt à protéger certains créanciers.

1.2 Tempéraments

Le législateur a assorti le principe de séparation des patrimoines de deux tempéraments afin de faciliter l’accès au crédit de l’entrepreneur individuel dans ses rapports avec les créanciers professionnels.

a. Constitution de sûretés sur le patrimoine personnel

L’article L. 526-22, al. 4e du Code de commerce autorise l’entrepreneur individuel, nonobstant le principe de séparation des patrimoines, à consentir à ses créanciers professionnels des sûretés constituées sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Par exemple, il peut constituer une hypothèque sur un bien immobilier personnel en garantie d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit aux fins de financer son activité professionnelle.

L’alinéa 3 du texte précise, en revanche, que « la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. »

Cette règle qui interdit à l’entrepreneur individuel de s’auto-cautionner trouve sa racine dans l’économie générale de l’opération de cautionnement qui requiert que la caution soit une personne distincte du débiteur principal.

Déjà sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 28 avril 1964 qu’un entrepreneur individuel ne pouvait pas cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avait avancé que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Était ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

Il en résulte que la faculté pour l’entrepreneur principal de consentir à ses créanciers professionnels des garanties conventionnelles n’opère que pour les sûretés réelles.

Il peut enfin être observé que cette faculté n’est prévue par la loi qu’au bénéfice des créanciers professionnels.

Aucune disposition de ce type n’est prévue en sens inverse, au profit des créanciers personnels.

Il s’en déduit qu’il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de constituer une sûreté sur un bien relevant de son patrimoine professionnel aux fins de garantir une dette personnelle.

b. Renonciation à la séparation des patrimoines

b.1 Principe de la renonciation

Afin de ne pas limiter les capacités de financement de l’entrepreneur individuel, la loi l’autorise à renoncer purement et simplement au principe de séparation des patrimoines.

En exerçant ce droit, l’entrepreneur permet ainsi à ses créanciers d’étendre leur droit de gage sur tout ou partie de son patrimoine personnel.

Concrètement, le créancier poursuivant pourra ainsi saisir les biens personnels de l’entrepreneur individuel pour obtenir le recouvrement de sa créance, à l’exclusion de ceux frappés d’insaisissabilités telle que la résidence principale.

Cette faculté de renonciation a été prévue par le législateur afin de ne pas empêcher les entrepreneurs qui n’ont que peu de garanties à proposer d’accéder plus facilement au crédit.

Comme relevé lors de débats parlementaires, il s’agit là d’une grande avancée par rapport au statut de l’EIRL, qui ne permettait pas une renonciation spécifique : c’était « tout ou rien ».

b.2 Modalités de la renonciation

La renonciation étant un acte grave, dont les conséquences peuvent être ruineuses pour l’entrepreneur, sa validité est subordonnée à l’observation d’un certain nombre de modalités fixées par la loi.

i. Une demande formulée par le créancier professionnel

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation de l’entrepreneur au principe de séparation des patrimoines n’est valable que si, au préalable, le créancier professionnel en a fait la demande.

Cette demande, formulée par le créancier professionnel doit être écrite

Le créancier professionnel devra s’assurer qu’elle a bien été réceptionnée par l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la réception de la demande de renonciation fait courir au délai de réflexion.

ii. L’observation d’un délai de réflexion 

  • Principe
    • À réception de la demande de renonciation formulée par le créancier professionnel, l’entrepreneur individuel dispose d’un délai de réflexion de sept jours francs.
    • Cela signifie que l’acte de renonciation ne peut produire ses effets avant l’expiration de ce délai.
  • Tempérament
    • L’article L. 526-25, al. 2e du Code de commerce prévoit la possibilité de réduire le délai de réflexion à trois jours francs Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature d’une mention manuscrite dont les termes sont fixés par l’article D. 526-28, IV du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit que Lorsque l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation entendent réduire le délai de réflexion au terme duquel la renonciation intervient, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 526-25, l’acte de renonciation porte, de la main de l’entrepreneur individuel, la mention manuscrite suivante :
      • « Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
    • La possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours procède d’un amendement proposé par les sénateurs qui ont fait valoir que le délai de sept jours pourrait apparaître long en cas de besoin urgent pour l’entrepreneur individuel d’accéder au crédit et notamment obtenir un crédit court terme pour faire face à une baisse voire à une interruption imprévue de son activité.

iii. L’établissement d’un acte de renonciation

?: Conditions de fond 

  • Une renonciation spéciale
    • L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que l’entrepreneur individuel ne peut renoncer au principe de séparation des patrimoines que « pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. »
    • À la différence de l’entrepreneur qui exerçait en EIRL, l’entrepreneur individuel ne pourra donc pas opter pour une renonciation globale, soit qui opérerait pour l’ensemble des dettes contractées.
    • Pratiquement, l’acte de renonciation devra donc :
      • D’une part, désigner l’engagement spécifique concerné
      • D’autre part, préciser le terme et le montant de cet engagement
    • À défaut, la renonciation encourt la nullité
  • Une renonciation éclairée
    • L’article D 526-28 du Code de commerce met à la charge du bénéficiaire de la renonciation une obligation d’information sur les conséquences de celle-ci sur les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
    • L’information délivrée doit ainsi permettre à ce dernier d’apprécier la portée de cette renonciation, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Individuel, puisque réintégré dans l’assiette du droit de gage général des créanciers professionnels.
    • Cette obligation d’information n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
    • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser ce point et notamment de déterminer si le défaut d’information doit être sanctionné par la nullité de la renonciation ou par l’octroi de dommages et intérêts.

?: Conditions de forme

==> Remise d’un modèle d’acte

L’article D. 526-29 du Code de commerce prévoit que « si le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. »

À cet effet, un modèle type d’acte de renonciation a été approuvé par l’arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines (accessible à partir du lien suivant : modèle de renonciation)

==> Les mentions figurant dans l’acte

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation par l’entrepreneur individuel au principe de séparation des patrimoines « doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret. »

Il y a donc lieu de se reporter à l’article D. 526-28 issu du décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 afin de déterminer les formes devant être observées par l’acte de renonciation.

Cette disposition prévoit que doivent figurer plusieurs sortes de mentions sur l’acte de renonciation :

  • En ce qui concerne l’entrepreneur individuel renonçant à la protection de son patrimoine personnel
    • Les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile de l’entrepreneur individuel ;
    • L’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
    • L’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
    • Le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité ;
  • En ce qui concerne le bénéficiaire de la renonciation
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne physique :
      • les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
      • le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne morale :
      • la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
      • l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
      • le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
      • l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
  • En ce qui concerne l’engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée
    • La date de l’engagement ;
    • L’objet de l’engagement ;
    • La date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
    • Le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
    • La date de demande de la renonciation.

==> La signature de l’acte de renonciation

L’article D. 526-28 du Code de commerce prévoit que, à peine de nullité, l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu.

Ce texte précise qu’il peut être fait usage d’une signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

c. L’inopposabilité de la séparation des patrimoines aux créanciers publics

L’article L. 526-24 du Code de commerce prévoit une dérogation au principe de séparation des patrimoines au profit des créanciers publics et plus précisément de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement de la sécurité sociale.

Cette disposition prévoit que « le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale ».

Ainsi, la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable à l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales.

Le texte ajoute que cette inopposabilité joue également pour les impositions mentionnées au III de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel. Le présent III n’est pas applicable au recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux lorsque l’entrepreneur individuel a opté pour l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues à l’article 1655 sexies du code général des impôts. »

Enfin, l’article L. 526-24 du Code de commerce précise, s’agissant spécifiquement des organismes de sécurité sociale, que la séparation des patrimoines professionnels et personnels de l’entrepreneur individuel leur est inopposable pour les impositions et contributions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 133-4-7 du même code.

2. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers personnels

a. Principe

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que « seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées en dehors du cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine personnel.

Il en résulte que les biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sont hors de portée de ses créanciers personnels dont le gage est limité aux seuls biens qui ne sont pas utiles à l’activité professionnelle.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le législateur l’a assorti de tempéraments.

b. Tempéraments

En application du principe de séparation des patrimoines, parce qu’il existe une corrélation entre les dettes contractées par l’entrepreneur individuel et le passif engagé, les tempéraments dont ce principe est assorti devraient, en toute logique, jouer symétriquement à la faveur tant des créanciers professionnels que des créanciers personnels.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par le législateur qui a institué une différence de traitement entre les deux catégories de créanciers.

Les possibilités offertes aux créanciers personnels de l’entrepreneur individuel de se soustraire à l’application du principe de séparation des patrimoines sont, en effet, bien plus limitées que celles dont bénéficient les créanciers professionnels.

==> Tempéraments retenus

Le principe de séparation des patrimoines souffre de deux tempéraments en faveur des créanciers personnels

  • Premier tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que, par exception au principe de séparation des patrimoines, « si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. »
    • Pratiquement, dans l’hypothèse où la réalisation de l’actif relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne permettrait pas désintéresser totalement ses créanciers personnels, ces derniers seront autorisés à appréhender le bénéfice éventuellement réalisé par leur débiteur dans le cadre de son activité professionnelle.
    • S’agissant de prendre pour point de référence le dernier exercice clos pour calculer le montant du bénéfice saisissable par les créanciers personnels, les travaux parlementaires justifient ce choix par l’impossibilité de déterminer en cours d’exercice quel montant a vocation à être prélevé par l’entrepreneur pour son usage personnel, autrement dit à rejoindre le patrimoine personnel.
    • À l’analyse, le montant maximal susceptible d’être prélevé par l’entrepreneur étant celui du bénéfice annuel, la seule solution est de se reporter au dernier exercice clos.
  • Second tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse où une sûreté serait constituée sur un bien devenu utile à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel en garantie d’une dette personnelle, le bénéficiaire de la sûreté sera autorisé à saisir le bien grevé, nonobstant le principe de séparation des patrimoines.

==> Tempéraments exclus

Deux tempéraments au principe de séparation des patrimoines qui jouent en faveur des créanciers professionnels ne bénéficient pas aux créanciers personnels.

  • Première exclusion
    • Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de renoncer à la séparation des patrimoines en faveur de ses créanciers personnels.
    • Cette renonciation ne peut jouer qu’au profit des seuls créanciers professionnels.
    • Le gage des créanciers personnels sera, dans ces conditions, nécessairement cantonné aux biens composant le patrimoine personnel de l’entrepreneur
  • Seconde exclusion
    • Comme précisé dans le rapport établi par Christophe-André Frassa, si la loi ménage expressément la faculté, pour l’entrepreneur individuel, de consentir à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles assises sur des biens compris dans son patrimoine personnel, « aucune disposition de ce type n’est prévue, en sens inverse, au bénéfice des créanciers personnels».
    • Il est donc fait interdiction à l’entrepreneur individuel d’accorder à ses créanciers personnels une sûreté qui serait constituée sur un bien relevant de son patrimoine professionnel.

Ainsi, comme relevé dans les travaux parlementaires, une nette dissymétrie oppose les créanciers professionnels aux créanciers personnels.

Les premiers, pour assurer le recouvrement de leur créance, pourront saisir dans certaines conditions tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel, soit qu’ils soient titulaires d’une sûreté conventionnelle assise sur l’un de ces biens, soit qu’ils bénéficient d’une renonciation à la séparation des patrimoines.

Les seconds, en revanche, ne pourront exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Les biens à usage professionnel sont donc mis hors de portée des créanciers personnels, comme s’ils étaient logés dans une société.

Selon Christophe-André Frassa, cette dissymétrie peut se justifier. En effet, alors que le patrimoine professionnel est défini limitativement, ce n’est pas le cas du patrimoine personnel, qui comprend tous les biens et droits non compris dans l’autre patrimoine.

En outre, parmi les biens de l’entrepreneur individuel, les plus précieux (notamment, le cas échéant, sa résidence principale) seraient le plus souvent compris dans son patrimoine personnel et pourraient donc être appréhendés par ses créanciers personnels.

Afin de ne pas diminuer excessivement les droits des créanciers professionnels, il est donc légitime de ne pas autoriser, au profit des créanciers personnels, la constitution de sûretés sur des biens professionnels ou la renonciation à la séparation des patrimoines.

III) L’extinction des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit deux cas de réunion des patrimoines professionnels et personnels :

  • Premier cas : la cessation d’activité
    • Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le texte prévoit que le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
    • Il en résulte que les créanciers antérieurs recouvrent un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur.
    • Cette solution diffère manifestement de celle applicable à l’EIRL.
    • En effet, sous ce statut, le gage général des créanciers antérieurs demeurait limité aux seuls biens qui relevaient du patrimoine d’affectation de l’entrepreneur.
    • Ce « gel » du gage des créanciers antérieurs était toutefois possible en raison de la déclaration d’affectation réalisée par l’entrepreneur individuel qui consistait à dresser une liste exhaustive des biens affectés à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Tel n’est pas le cas de l’entrepreneur individuel qui exerce sous le nouveau statut.
    • Aucun texte ne l’oblige à réaliser un inventaire des biens qui composent son patrimoine professionnel.
    • Aussi, leur identification au moment de la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel – laquelle est susceptible d’intervenir plusieurs années après leur entrée dans le patrimoine professionnel – s’avérerait complexe sinon impossible.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré n’opérer aucune distinction : le droit de gage des créanciers antérieur s’exerce sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel qui a cessé son activité.
  • Second cas : le décès
    • En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le décès de l’entrepreneur individuel a pour effet de réunir les patrimoines professionnels et personnels.
    • Comme pour le cas de la cessation d’activité, s’est posée la question du cantonnement du gage des créanciers antérieurs aux biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
    • La raison en est que la réunion des patrimoines professionnels et personnels pour former un patrimoine successoral unique fait peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui sont susceptibles de se voir transmettre l’intégralité des dettes de l’entrepreneur individuel au jour de son décès sans que le droit de gage des créanciers ne soit limité.
    • Aussi, comme souligné par Christophe-André Frassa, « la protection des héritiers repose alors entièrement sur leur droit d’option : dans le cas où des dettes trop lourdes grèveraient le patrimoine successoral, ils pourraient renoncer à la succession ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net (la liquidation portant alors sur l’ensemble du patrimoine successoral, issu de la réunion des patrimoines professionnel et personnel).»

§2 : Le dispositif de transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

==> Généralités

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fortement innové en prévoyant la possibilité pour l’entrepreneur individuel de procéder à une transmission universelle entre vifs de son patrimoine professionnel.

Le transfert universel du patrimoine professionnel peut être défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Elle peut être consentie à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société peut également revêtir la forme d’un apport en société.

L’objectif recherché par le législateur est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou de faciliter sa transformation en société, tout en préservant les droits des créanciers.

À cet égard, comme souligné par l’étude d’impact réalisé au stade du projet de loi, le dispositif envisagé vise à « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».

Le dispositif instauré par le législateur permet a priori à l’entrepreneur individuel de bénéficier d’un régime de faveur quant aux modalités de la transmission des biens et obligations composant son patrimoine qui, s’ils étaient transmis à titre particulier, seraient soumis à des règles hétérogènes et, pour certaines, contraignantes (donation, cession de créances, vente immobilière etc.).

Le dispositif de transmission universelle de patrimoine présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre par l’effet d’un seul acte soumis aux seules conditions attachées aux modalités de transmission propres à l’universalité[1].

I) Le principe de transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « l’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. »

Cette disposition reconnaît donc à l’entrepreneur la faculté de céder ou de donner l’intégralité de son patrimoine et de préciser que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour transmettre son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

Cette faculté de transmission universelle octroyée à l’entrepreneur individuel constitue une véritable nouveauté en ce qu’elle déroge au principe général interdisant à une personne physique de transmettre, de son vivant, son patrimoine.

Cette interdiction s’explique par le fait que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne ».

Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte notamment comme conséquence son incessibilité du vivant de la personne physique.

Si rien n’empêche le titulaire – personne physique – d’un patrimoine à céder tous ses biens et/ou toutes ses dettes, il ne peut, en revanche, céder son aptitude à acquérir de nouveaux droits et contracter de nouvelles dettes.

C’est la raison pour laquelle le patrimoine d’une personne physique est incessible entre vifs. Il ne peut être transmis qu’à cause de mort.

Tel était du moins l’état du droit positif avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 qui a instauré un dispositif permettant à un entrepreneur individuel de transmettre un ensemble d’actifs et de passifs afférents à son activité professionnelle.

Il peut être observé que contrairement à la cession d’un fonds de commerce, qui ne porte que sur un actif composé de divers biens et droits, le transfert de patrimoine professionnel peut aussi porter sur des dettes professionnelles.

De ce point de vue, le transfert d’un patrimoine professionnel ressemble très étroitement, dans son principe, à la succession d’une personne physique.

En effet, le patrimoine transmis s’analyse ici comme une universalité de droit, soit comme un ensemble constitué d’un actif et d’un passif.

Pour cette raison, la transmission universelle de patrimoine ne s’envisage que si elle vise à céder l’intégralité de l’actif et du passif de l’entrepreneur individuel présentant un caractère professionnel.

À cet égard, l’article L. 526-27 du Code de commerce précise que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour céder son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

II) Le régime de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les modalités de transmission

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que le transfert universel du patrimoine professionnel peut s’opérer selon trois modalités différentes :

  • La cession à titre onéreux
  • La donation
  • L’apport en société

B) Règles applicables

Si le régime de la transmission universelle de patrimoine est, pour une large part, emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts en une seule main, il s’en distingue néanmoins en raison de la différence de situation.

En effet, à la différence de la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute, celle d’un patrimoine professionnel n’emporte pas disparition de la personne de l’entrepreneur individuel.

Pour cette raison, le législateur a été contraint d’opérer un certain nombre d’adaptations, à telle enseigne que certaines règles interrogent sur le caractère réellement universel de la transmission de patrimoine telle qu’envisagée pour l’entrepreneur individuel

==> Des règles propres à la transmission universelle

L’un des principaux intérêts de la transmission universelle réside pour son auteur dans la possibilité de soumettre le transfert de son patrimoine à un régime juridique unique.

Si, en effet, il avait transmis à titre particulier les éléments de ce patrimoine, chaque opération, prise individuellement, aurait été soumise à un régime juridique spécifique.

C’est d’ailleurs ce que rappelle en substance l’article L. 526-27, al. 1er du Code de commerce en prévoyant que « le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés. »

Ce n’est donc que si le transfert porte sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel que les règles propres à la transmission universelles peuvent jouer.

À cet égard, selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, la transmission universelle obéira à des règles différentes.

La transmission universelle à titre onéreux devrait ainsi être soumise au régime de la vente, tandis que la transmission universelle à titre gratuit devrait être soumise au régime des donations.

Quant à la transmission du patrimoine au profit d’une société, elle devrait être régie par les règles de l’apport.

Afin que la transmission universelle du patrimoine de l’entrepreneur individuel puisse s’opérer efficacement et pour faciliter sa mise en œuvre, le législateur a écarté le jeu de plusieurs règles susceptibles d’interférer avec le transfert.

L’article L. 526-29 du Code de commerce prévoit ainsi que ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel, toute clause contraire étant réputée non écrite :

  • L’article 815-14 du Code civil
    • Cette disposition régit le droit de préemption dont sont titulaires les coïndivisaires d’un bien en cas de cession d’une quote-part indivise par un indivisaire à un tiers.
  • L’article 1699 du Code civil
    • Cette disposition régit la cession d’un droit litigieux
  • Les articles L. 141-12 à L. 141-22 du Code de commerce
    • Ces dispositions régissent le privilège du vendeur de fonds de commerce

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine de l’entrepreneur individuel comprendrait un bien indivis ou un fonds de commerce, la transmission de ce patrimoine ne pourra ainsi pas se heurter à l’exercice du droit de préemption d’un coindivisaire ou à la mise en œuvre du privilège du vendeur.

La transmission universelle s’opèrera nonobstant ces dispositifs qui, en cas de transfert à titre particulier, feraient obstacle à la réalisation de l’opération.

==> La résurgence de règles de droit commun

Bien que le dispositif de transmission universelle d’un patrimoine présente la particularité d’être soumis à un seul et même régime juridique, l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce assortit ce principe d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Une lecture du texte suggère que, nonobstant la transmission universelle, les règles propres au transfert de chaque bien et de chaque obligation logés dans le patrimoine transmis demeureraient applicables.

La règle ainsi posée est pour le moins énigmatique dans la mesure où son application littérale conduirait à ruiner le principe même de la transmission universelle qui devrait précisément avoir pour effet de neutraliser le jeu des règles applicables à chaque opération prise individuellement.

En l’absence de dispositions qui précisent l’intention du législateur, la question de l’articulation entre les règles propres à la transmission universelle et celles propres au transfert de chaque élément du patrimoine est ouverte.

C) Les conditions de transmission

Selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, les conditions applicables diffèrent.

Certaines conditions s’appliquent, en revanche, quelle que soit la modalité de transmission retenue

1. Conditions communes

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est subordonnée à la réunion de deux conditions générales :

  • Première condition
    • L’article L. 526-30 du Code de commerce prévoit que « le transfert doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé»
    • Aussi, quand bien même l’entrepreneur individuel exercerait plusieurs activités professionnelles, interdiction lui est faite de « scinder » son patrimoine en plusieurs parties.
    • La transmission ne pourra porter que sur la globalité de son patrimoine.
    • Il s’agit ici d’éviter qu’une scission du patrimoine préjudicie à certains créanciers.
    • Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la transmission du patrimoine.
  • Seconde condition
    • L’article L. 526-27, al. 4e du Code de commerce prévoit que la transmission universelle du patrimoine n’est pas permise si l’entrepreneur individuel s’est « obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel».
    • Le texte précise que la violation de cette règle engage la responsabilité de l’entrepreneur individuel sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

2. Conditions spécifiques

Selon les modalités de transmission choisies par l’entrepreneur individuel les conditions d’application diffèrent.

==> La transmission universelle à titre onéreux

Dans cette hypothèse, ce sont donc les règles de la vente qui devraient s’appliquer.

Aussi, pour être valide, la transmission devra notamment satisfaire aux conditions posées à l’article 1583 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

Bien que s’imposant comme naturelle en cas de cession à titre onéreux du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, l’application du régime de la vente n’est pas sans soulever des difficultés.

Il est plusieurs questions qui se posent auxquelles les textes n’apportent, pour l’heure, aucune réponse.

Ainsi, le cédant du patrimoine sera-t-il tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) ? La rescision pour lésion sera-t-elle possible, lorsque le patrimoine professionnel comprend des biens dont la vente peut être rescindée ? Le cédant à titre onéreux jouira-t-il des divers privilèges du vendeur ?

==> La transmission universelle à titre gratuit

Dans cette hypothèse, la transmission universelle s’analysera en une donation. Elle pourra prendre la forme d’une donation ordinaire ou d’une donation-partage.

En tout état de cause, ce sont les règles des libéralités qui ont vocation à s’appliquer et plus précisément celles relatives aux donations.

Pour être valable, la transmission supposera notamment, conformément à l’article 931 du Code civil, d’établir un acte notarié.

==> La transmission universelle sous la forme d’un apport en société

Lorsque la transmission universelle prend la forme d’un apport en société, elle s’analyse en un apport en nature.

Aussi, ce sont les règles du droit des sociétés qui s’appliquent ; mais pas seulement.

Les articles L. 526-30 et L. 526-31 énoncent trois règles spécifiques applicables à la transmission universelle sous forme d’apport en société.

  • Première règle
    • En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ( L. 526-30, 2e C. com.)
    • La situation contraire serait, en effet, constitutive d’une cessation des paiements et devrait donc obliger le titulaire du patrimoine professionnel à demander l’ouverture d’une procédure collective portant sur ce patrimoine.
  • Deuxième règle
    • Ni l’auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du Code pénal, par une décision devenue définitive ( L. 526-30, 3° C. com.)
  • Troisième règle
    • Lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un commissaire aux apports ( L. 526-31 C. com.)

III) Les effets de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les effets de la transmission universelle entre les parties

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que « le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ».

Le transfert vise ici à transférer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel envisagé comme une universalité de droit.

Par universalité de droit il faut entendre, pour mémoire, un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Aussi, est-ce l’ensemble de l’actif, mais également du passif qui sont transférés, étant précisé que ce transfert s’opère sans liquidation.

Le transfert a donc pour effet de libérer l’entrepreneur individuel de ses obligations professionnelles qui sont transmises au bénéficiaire du patrimoine.

S’agissant des sûretés constituées en garantie des obligations transférées, elles subissent le même sort en raison de leur caractère accessoire.

L’opération de transmission ne devrait donc pas avoir pour effet de libérer les cautions, ni de remettre en cause les sûretés réelles constituées sur les biens relevant du patrimoine professionnel, objet du transfert.

B) Les effets de transmission universelle à l’égard des tiers

La transmission universelle de patrimoine n’est pas sans incidence sur les tiers, en particulier sur les créanciers de l’entrepreneur individuel.

L’opération a pour effet de leur donner un nouveau débiteur, le bénéficiaire de la transmission universelle, qui se substitue à l’entrepreneur individuel.

Il en résulte que le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire de l’apport en société devient débiteur des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Si, à première vue, cette substitution de débiteur s’apparente à une cession de dette, à l’analyse, elle s’en distingue en ce que l’accord des créanciers cédés n’est pas requis.

Ces derniers sont donc « cédés » de plein droit par l’effet de la transmission universelle du patrimoine.

Dans le silence des textes, cette cession joue pour tous les créanciers y compris pour ceux dont la créance est issue d’un contrat intuitu personae, ce qui n’est pas sans portée atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Pour cette raison, le législateur a mis en place un dispositif visant à assurer la protection des créanciers antérieurs auxquels le changement le débiteur est susceptible de préjudicier.

Ce dispositif s’articule autour de deux séries de règles qui instituent :

  • D’une part, un formalisme d’opposabilité
  • D’autre part, un droit d’opposition

1. Le formalisme d’opposabilité aux tiers de la transmission universelle de patrimoine

==> Formalités générales

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « le transfert de propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions prévues par décret. »

Il ressort de cette disposition que l’opposabilité de la transmission universelle est subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité.

La date de ces formalités correspond, en quelque sorte, à la ligne de démarcation entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

À cet égard, seuls les créanciers dont la créance est née antérieurement avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel.

S’agissant des formalités à accomplir, l’article D. 526-30 du Code de commerce prévoit que le cédant, le donateur ou l’apporteur publie, à sa diligence, le transfert universel du patrimoine professionnel, sous forme d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, au plus tard un mois après sa réalisation.

Cet avis contient les indications suivantes :

  • S’agissant du cédant, du donateur ou de l’apporteur : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité professionnelle ou les activités professionnelles exercées ainsi que les numéros et codes caractérisant cette activité ou ces activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
  • S’agissant du cessionnaire, du donataire ou du bénéficiaire de l’apport : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le cas échéant, la raison sociale ou la dénomination sociale suivie du sigle, de la forme, de l’adresse du siège, du montant du capital et du numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ainsi que, le cas échéant, les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités professionnelles exercées visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223.

L’avis publié au bulletin est accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert, ou, pour les entrepreneurs individuels qui ne sont pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties.

L’état descriptif est établi dans des formes prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

La sanction de l’absence de réalisation de ces formalités est l’inopposabilité du transfert aux tiers.

==> Formalités spéciales

En principe, les formalités accomplies au titre de la transmission universelle devraient dispenser l’entrepreneur individuel d’accomplir les formalités qui auraient été exigées s’il avait transmis, à titre particulier, les biens et obligations composant son patrimoine professionnel.

Reste que le transfert de propriété de certains biens demeure soumis à l’accomplissement de formalités spécifiques.

À tout le moins, c’est ce que l’on peut déduire de l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce qui prévoit que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comprendrait des immeubles, son transfert supposerait l’accomplissement de formalités auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. Le droit d’opposition des tiers à la transmission universelle de patrimoine

==> L’octroi d’un droit d’opposition

L’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce prévoit que « les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel »

Le législateur a ainsi octroyé la faculté aux créanciers qui s’estimeraient lésés par la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel de réagir.

Si comme précisé par l’alinéa 2 du texte, l’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel, elle vise en revanche pour le créancier à obtenir auprès d’un juge le remboursement de sa créance ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes.

==> La titularité du droit d’opposition

En application de l’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce, le droit d’opposition ne peut être exercé que par les seuls créanciers « dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété ».

S’agissant des créanciers dont les droits sont nés postérieurement au transfert, ils ne disposent d’aucun droit de gage sur l’entrepreneur individuel qui a cédé son patrimoine professionnel, raison pour laquelle ils ne peuvent pas former opposition.

S’agissant des créanciers antérieurs, le texte n’opère aucune distinction entre eux, de sorte que le droit d’opposition devrait pouvoir être exercé, tant pour les créanciers professionnels, que par les créanciers personnels de l’entrepreneur.

Comme souligné par certains auteurs, l’ouverture d’un droit d’opposition aux créanciers personnels ne se justifie en aucune manière, dans la mesure où la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur est sans incidence sur leur droit de gage qui demeure cantonné au patrimoine personnel.

Tout au plus, ils perdent la faculté, en cas d’insuffisance d’actif dans le patrimoine personnel, d’appréhender le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel (art. L. 526-22, al. 6e C. com.).

La situation des créanciers professionnels est, au contraire, tout à fait différente. L’opération de transfert affecte directement leur droit de gage en ce qu’ils subissent un changement de débiteur.

À supposer que leur nouveau débiteur ne soit pas solvable ou se trouve en difficulté financière, ils auront tout intérêt à réclamer auprès de l’entrepreneur individuel, soit le règlement immédiat de leur créance, soit à la constitution de sûretés.

==> L’exercice du droit d’opposition

  • Le délai d’exercice du droit d’opposition
    • Les créanciers dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété doivent exercer leur droit d’opposition dans le mois suivant la publication ( D. 526-30 C. com.)
  • Les modalités d’exercice du droit d’opposition
    • L’exercice du droit d’opposition requiert la saisine du Tribunal compétent qui, selon la nature de l’activité exercée par l’entrepreneur individuel, sera tantôt le Tribunal judiciaire, tantôt le Tribunal de commerce
  • L’issue de la procédure d’opposition
    • La décision de justice statuant sur l’opposition
      • Soit rejette la demande du créancier
      • Soit ordonne le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes
    • L’article L. 526-28, al. 4e précise que lorsque la décision de justice ordonne le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert est tenu de remplir son engagement.
    • Autrement dit, dans cette hypothèse, les droits des créanciers antérieurs dont l’opposition est admise sont préservés par le fait que le transfert du patrimoine professionnel leur est inopposable en cas de défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées par le juge.

§3 : L’insaisissabilité de la résidence principale et des biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel

I) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

  • Première étape : la loi n° 2003-271 du 1er août 2003 sur l’initiative économique avait permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble lui servant de résidence principale.
  • Deuxième étape: la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l’économie (LME) a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
  • Troisième étape: la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en prévoyant que celle-ci n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au sens de l’article 1729 du code général des impôts.
  • Quatrième étape: la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a rendu, de plein droit, insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

II) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

  • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
    • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
    • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
    • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
  • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
    • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)

Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

III) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

  • Sur l’établissement de la déclaration d’insaisissabilité
    • L’article L. 526-2 du Code de commerce précise qu’elle doit être reçue par notaire sous peine de nullité.
    • C’est donc par acte notarié que la déclaration d’insaisissabilité doit être établie
    • En outre, elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis.
    • Par ailleurs, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division.
  • Sur la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
    • Une fois établie, la déclaration d’insaisissabilité doit faire l’objet de deux formalités de publicité
      • En premier lieu, elle doit être publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
      • En second lieu, elle doit :
        • Soit, lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, y être mentionnée.
        • Soit, lorsque la personne n’est pas tenue de s’immatriculer dans un registre de publicité légale, être publié sous la forme d’extrait dans un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel est exercée l’activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice de l’insaisissabilité.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

IV) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

V) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Protection de l’entrepreneur individuel: l’insaisissabilité de la résidence principale

I) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

  • Première étape : la loi n° 2003-271 du 1er août 2003 sur l’initiative économique avait permis à l’entrepreneur individuel de rendre insaisissables les droits qu’il détient sur l’immeuble lui servant de résidence principale.
  • Deuxième étape: la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, dite loi de modernisation de l’économie (LME) a étendu le bénéfice de l’insaisissabilité aux droits détenus par l’entrepreneur individuel sur tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à un usage professionnel.
  • Troisième étape: la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a limité les effets de la déclaration d’insaisissabilité en prévoyant que celle-ci n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsqu’elle relève, à l’encontre du déclarant, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales au sens de l’article 1729 du code général des impôts.
  • Quatrième étape: la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a rendu, de plein droit, insaisissable la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

II) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

  • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
    • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
    • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
    • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
  • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
    • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
    • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)

Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

III) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

  • Sur l’établissement de la déclaration d’insaisissabilité
    • L’article L. 526-2 du Code de commerce précise qu’elle doit être reçue par notaire sous peine de nullité.
    • C’est donc par acte notarié que la déclaration d’insaisissabilité doit être établie
    • En outre, elle doit contenir la description détaillée des biens et l’indication de leur caractère propre, commun ou indivis.
    • Par ailleurs, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, la partie non affectée à un usage professionnel ne peut faire l’objet de la déclaration qu’à la condition d’être désignée dans un état descriptif de division.
  • Sur la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
    • Une fois établie, la déclaration d’insaisissabilité doit faire l’objet de deux formalités de publicité
      • En premier lieu, elle doit être publiée au fichier immobilier ou, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, au livre foncier, de sa situation.
      • En second lieu, elle doit :
        • Soit, lorsque la personne est immatriculée dans un registre de publicité légale à caractère professionnel, y être mentionnée.
        • Soit, lorsque la personne n’est pas tenue de s’immatriculer dans un registre de publicité légale, être publié sous la forme d’extrait dans un support habilité à recevoir des annonces légales dans le département dans lequel est exercée l’activité professionnelle pour que cette personne puisse se prévaloir du bénéfice de l’insaisissabilité.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

IV) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

V) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel: régime

==> Généralités

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a fortement innové en prévoyant la possibilité pour l’entrepreneur individuel de procéder à une transmission universelle entre vifs de son patrimoine professionnel.

Le transfert universel du patrimoine professionnel peut être défini comme la cession, à titre universel et indivisible, de l’ensemble des biens, droits et obligations compris dans ce patrimoine. Elle peut être consentie à titre onéreux ou gratuit. La cession des biens et droits à une société peut également revêtir la forme d’un apport en société.

L’objectif recherché par le législateur est de faciliter la transmission d’une entreprise individuelle (par vente ou donation) ou de faciliter sa transformation en société, tout en préservant les droits des créanciers.

À cet égard, comme souligné par l’étude d’impact réalisé au stade du projet de loi, le dispositif envisagé vise à « créer un continuum permettant d’assurer la fluidité du passage d’une activité amorcée en entreprise individuelle vers l’exploitation en société pour en poursuivre le développement et la croissance ».

Le dispositif instauré par le législateur permet a priori à l’entrepreneur individuel de bénéficier d’un régime de faveur quant aux modalités de la transmission des biens et obligations composant son patrimoine qui, s’ils étaient transmis à titre particulier, seraient soumis à des règles hétérogènes et, pour certaines, contraignantes (donation, cession de créances, vente immobilière etc.).

Le dispositif de transmission universelle de patrimoine présente l’avantage de pouvoir être mise en œuvre par l’effet d’un seul acte soumis aux seules conditions attachées aux modalités de transmission propres à l’universalité[1].

I) Le principe de transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « l’entrepreneur individuel peut céder à titre onéreux, transmettre à titre gratuit entre vifs ou apporter en société l’intégralité de son patrimoine professionnel, sans procéder à la liquidation de celui-ci. »

Cette disposition reconnaît donc à l’entrepreneur la faculté de céder ou de donner l’intégralité de son patrimoine et de préciser que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour transmettre son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

Cette faculté de transmission universelle octroyée à l’entrepreneur individuel constitue une véritable nouveauté en ce qu’elle déroge au principe général interdisant à une personne physique de transmettre, de son vivant, son patrimoine.

Cette interdiction s’explique par le fait que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne ».

Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte notamment comme conséquence son incessibilité du vivant de la personne physique.

Si rien n’empêche le titulaire – personne physique – d’un patrimoine à céder tous ses biens et/ou toutes ses dettes, il ne peut, en revanche, céder son aptitude à acquérir de nouveaux droits et contracter de nouvelles dettes.

C’est la raison pour laquelle le patrimoine d’une personne physique est incessible entre vifs. Il ne peut être transmis qu’à cause de mort.

Tel était du moins l’état du droit positif avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 qui a instauré un dispositif permettant à un entrepreneur individuel de transmettre un ensemble d’actifs et de passifs afférents à son activité professionnelle.

Il peut être observé que contrairement à la cession d’un fonds de commerce, qui ne porte que sur un actif composé de divers biens et droits, le transfert de patrimoine professionnel peut aussi porter sur des dettes professionnelles.

De ce point de vue, le transfert d’un patrimoine professionnel ressemble très étroitement, dans son principe, à la succession d’une personne physique.

En effet, le patrimoine transmis s’analyse ici comme une universalité de droit, soit comme un ensemble constitué d’un actif et d’un passif.

Pour cette raison, la transmission universelle de patrimoine ne s’envisage que si elle vise à céder l’intégralité de l’actif et du passif de l’entrepreneur individuel présentant un caractère professionnel.

À cet égard, l’article L. 526-27 du Code de commerce précise que cette transmission s’opère sans qu’il y ait lieu de procéder à une liquidation.

Cela signifie qu’il n’est pas besoin pour l’entrepreneur individuel de se libérer de ses obligations pour céder son patrimoine.

Elles sont transmises, sans novation, ni extinction, au bénéficiaire de la transmission, lequel se substitue à l’entrepreneur individuel dans ses rapports d’obligations.

II) Le régime de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les modalités de transmission

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que le transfert universel du patrimoine professionnel peut s’opérer selon trois modalités différentes :

  • La cession à titre onéreux
  • La donation
  • L’apport en société

B) Règles applicables

Si le régime de la transmission universelle de patrimoine est, pour une large part, emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts en une seule main, il s’en distingue néanmoins en raison de la différence de situation.

En effet, à la différence de la transmission universelle du patrimoine d’une société dissoute, celle d’un patrimoine professionnel n’emporte pas disparition de la personne de l’entrepreneur individuel.

Pour cette raison, le législateur a été contraint d’opérer un certain nombre d’adaptations, à telle enseigne que certaines règles interrogent sur le caractère réellement universel de la transmission de patrimoine telle qu’envisagée pour l’entrepreneur individuel

==> Des règles propres à la transmission universelle

L’un des principaux intérêts de la transmission universelle réside pour son auteur dans la possibilité de soumettre le transfert de son patrimoine à un régime juridique unique.

Si, en effet, il avait transmis à titre particulier les éléments de ce patrimoine, chaque opération, prise individuellement, aurait été soumise à un régime juridique spécifique.

C’est d’ailleurs ce que rappelle en substance l’article L. 526-27, al. 1er du Code de commerce en prévoyant que « le transfert non intégral d’éléments de ce patrimoine demeure soumis aux conditions légales applicables à la nature dudit transfert et, le cas échéant, à celle du ou des éléments transférés. »

Ce n’est donc que si le transfert porte sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel que les règles propres à la transmission universelles peuvent jouer.

À cet égard, selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, la transmission universelle obéira à des règles différentes.

La transmission universelle à titre onéreux devrait ainsi être soumise au régime de la vente, tandis que la transmission universelle à titre gratuit devrait être soumise au régime des donations.

Quant à la transmission du patrimoine au profit d’une société, elle devrait être régie par les règles de l’apport.

Afin que la transmission universelle du patrimoine de l’entrepreneur individuel puisse s’opérer efficacement et pour faciliter sa mise en œuvre, le législateur a écarté le jeu de plusieurs règles susceptibles d’interférer avec le transfert.

L’article L. 526-29 du Code de commerce prévoit ainsi que ne sont pas applicables au transfert universel du patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel, toute clause contraire étant réputée non écrite :

  • L’article 815-14 du Code civil
    • Cette disposition régit le droit de préemption dont sont titulaires les coïndivisaires d’un bien en cas de cession d’une quote-part indivise par un indivisaire à un tiers.
  • L’article 1699 du Code civil
    • Cette disposition régit la cession d’un droit litigieux
  • Les articles L. 141-12 à L. 141-22 du Code de commerce
    • Ces dispositions régissent le privilège du vendeur de fonds de commerce

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine de l’entrepreneur individuel comprendrait un bien indivis ou un fonds de commerce, la transmission de ce patrimoine ne pourra ainsi pas se heurter à l’exercice du droit de préemption d’un coindivisaire ou à la mise en œuvre du privilège du vendeur.

La transmission universelle s’opèrera nonobstant ces dispositifs qui, en cas de transfert à titre particulier, feraient obstacle à la réalisation de l’opération.

==> La résurgence de règles de droit commun

Bien que le dispositif de transmission universelle d’un patrimoine présente la particularité d’être soumis à un seul et même régime juridique, l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce assortit ce principe d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Une lecture du texte suggère que, nonobstant la transmission universelle, les règles propres au transfert de chaque bien et de chaque obligation logés dans le patrimoine transmis demeureraient applicables.

La règle ainsi posée est pour le moins énigmatique dans la mesure où son application littérale conduirait à ruiner le principe même de la transmission universelle qui devrait précisément avoir pour effet de neutraliser le jeu des règles applicables à chaque opération prise individuellement.

En l’absence de dispositions qui précisent l’intention du législateur, la question de l’articulation entre les règles propres à la transmission universelle et celles propres au transfert de chaque élément du patrimoine est ouverte.

C) Les conditions de transmission

Selon les modalités choisies par l’entrepreneur individuel pour transmettre son patrimoine, les conditions applicables diffèrent.

Certaines conditions s’appliquent, en revanche, quelle que soit la modalité de transmission retenue

1. Conditions communes

La transmission universelle du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel est subordonnée à la réunion de deux conditions générales :

  • Première condition
    • L’article L. 526-30 du Code de commerce prévoit que « le transfert doit porter sur l’intégralité du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, qui ne peut être scindé»
    • Aussi, quand bien même l’entrepreneur individuel exercerait plusieurs activités professionnelles, interdiction lui est faite de « scinder » son patrimoine en plusieurs parties.
    • La transmission ne pourra porter que sur la globalité de son patrimoine.
    • Il s’agit ici d’éviter qu’une scission du patrimoine préjudicie à certains créanciers.
    • Le non-respect de cette condition est sanctionné par la nullité de la transmission du patrimoine.
  • Seconde condition
    • L’article L. 526-27, al. 4e du Code de commerce prévoit que la transmission universelle du patrimoine n’est pas permise si l’entrepreneur individuel s’est « obligé contractuellement à ne pas céder un élément de son patrimoine professionnel ou à ne pas transférer celui-ci à titre universel».
    • Le texte précise que la violation de cette règle engage la responsabilité de l’entrepreneur individuel sur l’ensemble de ses biens, sans emporter la nullité du transfert.

2. Conditions spécifiques

Selon les modalités de transmission choisies par l’entrepreneur individuel les conditions d’application diffèrent.

==> La transmission universelle à titre onéreux

Dans cette hypothèse, ce sont donc les règles de la vente qui devraient s’appliquer.

Aussi, pour être valide, la transmission devra notamment satisfaire aux conditions posées à l’article 1583 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que la vente « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. »

Bien que s’imposant comme naturelle en cas de cession à titre onéreux du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel, l’application du régime de la vente n’est pas sans soulever des difficultés.

Il est plusieurs questions qui se posent auxquelles les textes n’apportent, pour l’heure, aucune réponse.

Ainsi, le cédant du patrimoine sera-t-il tenu aux mêmes garanties que celles du vendeur (garantie des vices cachés, garantie d’éviction) ? La rescision pour lésion sera-t-elle possible, lorsque le patrimoine professionnel comprend des biens dont la vente peut être rescindée ? Le cédant à titre onéreux jouira-t-il des divers privilèges du vendeur ?

==> La transmission universelle à titre gratuit

Dans cette hypothèse, la transmission universelle s’analysera en une donation. Elle pourra prendre la forme d’une donation ordinaire ou d’une donation-partage.

En tout état de cause, ce sont les règles des libéralités qui ont vocation à s’appliquer et plus précisément celles relatives aux donations.

Pour être valable, la transmission supposera notamment, conformément à l’article 931 du Code civil, d’établir un acte notarié.

==> La transmission universelle sous la forme d’un apport en société

Lorsque la transmission universelle prend la forme d’un apport en société, elle s’analyse en un apport en nature.

Aussi, ce sont les règles du droit des sociétés qui s’appliquent ; mais pas seulement.

Les articles L. 526-30 et L. 526-31 énoncent trois règles spécifiques applicables à la transmission universelle sous forme d’apport en société.

  • Première règle
    • En cas d’apport à une société nouvellement créée, l’actif disponible du patrimoine professionnel doit permettre de faire face au passif exigible sur ce même patrimoine ( L. 526-30, 2e C. com.)
    • La situation contraire serait, en effet, constitutive d’une cessation des paiements et devrait donc obliger le titulaire du patrimoine professionnel à demander l’ouverture d’une procédure collective portant sur ce patrimoine.
  • Deuxième règle
    • Ni l’auteur, ni le bénéficiaire du transfert ne doivent avoir été frappés de faillite personnelle ou d’une peine d’interdiction prévue à l’article L. 653-8 du présent code ou à l’article 131-27 du Code pénal, par une décision devenue définitive ( L. 526-30, 3° C. com.)
  • Troisième règle
    • Lorsque le patrimoine professionnel apporté en société contient des biens constitutifs d’un apport en nature, il est fait recours à un commissaire aux apports ( L. 526-31 C. com.)

III) Les effets de la transmission universelle entre vifs du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel

A) Les effets de la transmission universelle entre les parties

L’article L. 526-27, al. 2e du Code de commerce prévoit que « le transfert universel du patrimoine professionnel emporte cession des droits, biens, obligations et sûretés dont celui-ci est constitué ».

Le transfert vise ici à transférer le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel envisagé comme une universalité de droit.

Par universalité de droit il faut entendre, pour mémoire, un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Aussi, est-ce l’ensemble de l’actif, mais également du passif qui sont transférés, étant précisé que ce transfert s’opère sans liquidation.

Le transfert a donc pour effet de libérer l’entrepreneur individuel de ses obligations professionnelles qui sont transmises au bénéficiaire du patrimoine.

S’agissant des sûretés constituées en garantie des obligations transférées, elles subissent le même sort en raison de leur caractère accessoire.

L’opération de transmission ne devrait donc pas avoir pour effet de libérer les cautions, ni de remettre en cause les sûretés réelles constituées sur les biens relevant du patrimoine professionnel, objet du transfert.

B) Les effets de transmission universelle à l’égard des tiers

La transmission universelle de patrimoine n’est pas sans incidence sur les tiers, en particulier sur les créanciers de l’entrepreneur individuel.

L’opération a pour effet de leur donner un nouveau débiteur, le bénéficiaire de la transmission universelle, qui se substitue à l’entrepreneur individuel.

Il en résulte que le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire de l’apport en société devient débiteur des créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, sans que cette substitution emporte novation à leur égard.

Si, à première vue, cette substitution de débiteur s’apparente à une cession de dette, à l’analyse, elle s’en distingue en ce que l’accord des créanciers cédés n’est pas requis.

Ces derniers sont donc « cédés » de plein droit par l’effet de la transmission universelle du patrimoine.

Dans le silence des textes, cette cession joue pour tous les créanciers y compris pour ceux dont la créance est issue d’un contrat intuitu personae, ce qui n’est pas sans portée atteinte au principe d’autonomie de la volonté.

Pour cette raison, le législateur a mis en place un dispositif visant à assurer la protection des créanciers antérieurs auxquels le changement le débiteur est susceptible de préjudicier.

Ce dispositif s’articule autour de deux séries de règles qui instituent :

  • D’une part, un formalisme d’opposabilité
  • D’autre part, un droit d’opposition

1. Le formalisme d’opposabilité aux tiers de la transmission universelle de patrimoine

==> Formalités générales

L’article L. 526-27 du Code de commerce prévoit que « le transfert de propriété ainsi opéré n’est opposable aux tiers qu’à compter de sa publicité, dans des conditions prévues par décret. »

Il ressort de cette disposition que l’opposabilité de la transmission universelle est subordonnée à l’accomplissement de formalités de publicité.

La date de ces formalités correspond, en quelque sorte, à la ligne de démarcation entre les créanciers antérieurs et les créanciers postérieurs.

À cet égard, seuls les créanciers dont la créance est née antérieurement avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel.

S’agissant des formalités à accomplir, l’article D. 526-30 du Code de commerce prévoit que le cédant, le donateur ou l’apporteur publie, à sa diligence, le transfert universel du patrimoine professionnel, sous forme d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, au plus tard un mois après sa réalisation.

Cet avis contient les indications suivantes :

  • S’agissant du cédant, du donateur ou de l’apporteur : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’activité professionnelle ou les activités professionnelles exercées ainsi que les numéros et codes caractérisant cette activité ou ces activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
  • S’agissant du cessionnaire, du donataire ou du bénéficiaire de l’apport : les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, le cas échéant nom commercial ou professionnel, l’adresse de l’établissement principal ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée, le cas échéant, la raison sociale ou la dénomination sociale suivie du sigle, de la forme, de l’adresse du siège, du montant du capital et du numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ainsi que, le cas échéant, les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités professionnelles exercées visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223.

L’avis publié au bulletin est accompagné d’un état descriptif des biens, droits, obligations ou sûretés composant le patrimoine professionnel, tel qu’il résulte du dernier exercice comptable clos actualisé à la date du transfert, ou, pour les entrepreneurs individuels qui ne sont pas soumis à des obligations comptables, à la date qui résulte de l’accord des parties.

L’état descriptif est établi dans des formes prévues par arrêté du ministre chargé de l’économie.

La sanction de l’absence de réalisation de ces formalités est l’inopposabilité du transfert aux tiers.

==> Formalités spéciales

En principe, les formalités accomplies au titre de la transmission universelle devraient dispenser l’entrepreneur individuel d’accomplir les formalités qui auraient été exigées s’il avait transmis, à titre particulier, les biens et obligations composant son patrimoine professionnel.

Reste que le transfert de propriété de certains biens demeure soumis à l’accomplissement de formalités spécifiques.

À tout le moins, c’est ce que l’on peut déduire de l’article L. 526-27, al. 3e du Code de commerce qui prévoit que « sous réserve de la présente section, les dispositions légales relatives à la vente, à la donation ou à l’apport en société de biens de toute nature sont applicables, selon le cas. Il en est de même des dispositions légales relatives à la cession de créances, de dettes et de contrats. »

Aussi, dans l’hypothèse où le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel comprendrait des immeubles, son transfert supposerait l’accomplissement de formalités auprès des services de la publicité foncière, conformément à l’article 28 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière.

2. Le droit d’opposition des tiers à la transmission universelle de patrimoine

==> L’octroi d’un droit d’opposition

L’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce prévoit que « les créanciers de l’entrepreneur individuel dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété peuvent former opposition au transfert du patrimoine professionnel »

Le législateur a ainsi octroyé la faculté aux créanciers qui s’estimeraient lésés par la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel de réagir.

Si comme précisé par l’alinéa 2 du texte, l’opposition formée par un créancier n’a pas pour effet d’interdire le transfert du patrimoine professionnel, elle vise en revanche pour le créancier à obtenir auprès d’un juge le remboursement de sa créance ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes.

==> La titularité du droit d’opposition

En application de l’article L. 526-28, al. 1er du Code de commerce, le droit d’opposition ne peut être exercé que par les seuls créanciers « dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété ».

S’agissant des créanciers dont les droits sont nés postérieurement au transfert, ils ne disposent d’aucun droit de gage sur l’entrepreneur individuel qui a cédé son patrimoine professionnel, raison pour laquelle ils ne peuvent pas former opposition.

S’agissant des créanciers antérieurs, le texte n’opère aucune distinction entre eux, de sorte que le droit d’opposition devrait pouvoir être exercé, tant pour les créanciers professionnels, que par les créanciers personnels de l’entrepreneur.

Comme souligné par certains auteurs, l’ouverture d’un droit d’opposition aux créanciers personnels ne se justifie en aucune manière, dans la mesure où la transmission du patrimoine professionnel de l’entrepreneur est sans incidence sur leur droit de gage qui demeure cantonné au patrimoine personnel.

Tout au plus, ils perdent la faculté, en cas d’insuffisance d’actif dans le patrimoine personnel, d’appréhender le montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel (art. L. 526-22, al. 6e C. com.).

La situation des créanciers professionnels est, au contraire, tout à fait différente. L’opération de transfert affecte directement leur droit de gage en ce qu’ils subissent un changement de débiteur.

À supposer que leur nouveau débiteur ne soit pas solvable ou se trouve en difficulté financière, ils auront tout intérêt à réclamer auprès de l’entrepreneur individuel, soit le règlement immédiat de leur créance, soit à la constitution de sûretés.

==> L’exercice du droit d’opposition

  • Le délai d’exercice du droit d’opposition
    • Les créanciers dont la créance est née avant la publicité du transfert de propriété doivent exercer leur droit d’opposition dans le mois suivant la publication ( D. 526-30 C. com.)
  • Les modalités d’exercice du droit d’opposition
    • L’exercice du droit d’opposition requiert la saisine du Tribunal compétent qui, selon la nature de l’activité exercée par l’entrepreneur individuel, sera tantôt le Tribunal judiciaire, tantôt le Tribunal de commerce
  • L’issue de la procédure d’opposition
    • La décision de justice statuant sur l’opposition
      • Soit rejette la demande du créancier
      • Soit ordonne le remboursement des créances ou la constitution de garanties, si le cessionnaire, le donataire ou le bénéficiaire en offre et si elles sont jugées suffisantes
    • L’article L. 526-28, al. 4e précise que lorsque la décision de justice ordonne le remboursement des créances, l’entrepreneur individuel auteur du transfert est tenu de remplir son engagement.
    • Autrement dit, dans cette hypothèse, les droits des créanciers antérieurs dont l’opposition est admise sont préservés par le fait que le transfert du patrimoine professionnel leur est inopposable en cas de défaut de remboursement des créances ou de constitution des garanties ordonnées par le juge.

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Statut de l’entrepreneur individuel: la séparation des patrimoines personnel et professionnel (principe et effets)

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Après avoir envisagé le principe de séparation des patrimoines, nous aborderons ses effets.

I) Le principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

==> Patrimoine professionnel et patrimoine personnel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a donc instauré un principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel.

Cela signifie que toute personne endossant le statut d’entrepreneur individuel est désormais titulaire, de plein droit, soit sans qu’il soit nécessaire d’accomplir un quelconque acte de volonté ou toute autre formalité, de deux patrimoines distincts :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Sous l’empire du droit antérieur, la ligne de démarcation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur exerçant en EIRL procédait d’une déclaration d’affectation.

Pratiquement cette déclaration consistait pour l’entrepreneur à désigner les biens qu’il jugeait nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Désormais, la consistance de l’un et l’autre patrimoine est déterminée par un critère fixé par la loi : le critère de « l’utilité ».

==> Le critère de l’utilité

En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel serait donc constitué – automatiquement – de l’ensemble des biens, droits, obligations et sûretés « utiles » à l’exercice de son activité professionnelle.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « utile ». Il s’agit là d’une notion qui occupe une place centrale dans le dispositif mis en place par le législateur.

Aussi, afin de garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel, de ses ayants droit, mais également des tiers, le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 est venu préciser la notion d’utilité en dressant une liste des biens, droits et obligations réputés utiles à l’exercice de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel.

L’article R. 526-26 du Code de commerce, issu de ce décret, prévoit en ce sens :

En premier lieu, que les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité, tels que :

  • Le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
  • Les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
  • Les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel ; lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ;
  • Les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
  • Les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, notamment au titre des articles L. 613-10 du code de la sécurité sociale et L. 123-24 du présent code, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.

En second lieu, que lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise. Sous la même réserve, les documents comptables sont présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

==> Sort des biens mixtes

À l’occasion des travaux parlementaires, le Sénat avait relevé que le projet de loi examiné était silencieux sur le sort des biens mixtes, soit ceux utilisés à la fois à des fins professionnelles ou personnelles.

La question qui est alors susceptible de se poser est de savoir à quelle masse de biens ce type de bien appartient, à tout le moins comment articuler le droit de gage des créanciers professionnel et personnel.

Afin d’apporter une meilleure protection à l’entrepreneur individuel les sénateurs ont proposé de limiter les biens relevant du patrimoine professionnel à ceux « exclusivement utiles » à l’exercice de l’activité professionnelle.

De cette façon, les biens à usage mixte seraient nécessairement compris dans le patrimoine personnel.

En contrepartie, il a été imaginé que le droit de gage des créanciers professionnels soit étendu au patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel à hauteur de la valeur d’un droit d’usage des biens mixtes, correspondant à leur utilisation effective dans un cadre professionnel pour une durée d’une année.

L’illustration a été donnée du local dont l’entrepreneur individuel est propriétaire ou locataire qui serait utilisé à des fins professionnelles et personnelles. Les créanciers professionnels seraient en droit de saisir sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur l’équivalent des sommes dues pour une mise à disposition non exclusive du local pendant un an.

Bien que séduisante, cette proposition n’a finalement pas été retenue par l’Assemblée nationale au motif qu’elle aurait conduit à ajouter de la complexité au critère de l’utilité.

Faute de précision dans la version finale de la loi du sort des biens mixtes, la Conseil d’État a suggéré qu’un décret soit adopté afin de pallier cette carence qui est de nature à affecter la sécurité juridique de l’entrepreneur individuel.

==> Charge de la preuve

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que la charge de la preuve incombe à l’entrepreneur individuel pour toute contestation de mesures d’exécution forcée ou de mesures conservatoires qu’il élève concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier.

Aussi, appartiendra-t-il à l’entrepreneur, pour échapper aux poursuites de ses créanciers, de prouver que le bien appréhendé :

  • Soit est utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie n’est pas née à l’occasion de son activité professionnelle
  • Soit n’est pas utile à son activité professionnelle s’il prétend que la dette poursuivie est née à l’occasion de son activité professionnelle.

Le texte ajoute que la responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général.

Avant d’appréhender un ou plusieurs biens de l’entrepreneur individuel, le créancier devra donc s’assurer que le bien convoité relève du patrimoine sur lequel s’exerce son droit de gage général. À défaut, il s’expose à engager sa responsabilité.

II) Les effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

A) La date de prise d’effet du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-23 du Code de commerce régit la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines dont la mise en œuvre consiste pour l’entrepreneur individuel à ne répondre de ses dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle que sur son seul patrimoine professionnel.

L’enjeu pour le législateur était de permettre aux tiers de savoir au moment où ils contractent avec un entrepreneur individuel s’il est ou non tenu de répondre de ses engagements sur l’ensemble de ses biens.

Afin de satisfaire à cet objectif, le législateur a subordonné la limitation du droit de gage des créanciers de l’entrepreneur individuel à la condition que son activité professionnelle ait fait l’objet, à la date de naissance de la créance, d’une mesure de publicité adéquate : immatriculation à un registre de publicité légale, inscription sur une liste ou au tableau d’un ordre etc.

Dans l’hypothèse toutefois où aucune obligation d’immatriculation ne pèse sur l’entrepreneur individuel, la date de prise d’effet est fixée au jour de l’accomplissement du premier acte matérialisant le commencement d’activité professionnelle.

Pratiquement, la prise d’effet du principe de séparation des patrimoines diffère donc selon que pèse ou non sur l’entrepreneur individuel une obligation d’immatriculation.

  • L’entrepreneur est assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de l’immatriculation au registre dont relève l’entrepreneur individuel pour son activité (registre du commerce et des sociétés, répertoires des métiers etc.).
    • Lorsque celui-ci relève de plusieurs registres, la dérogation prend effet à compter de la date d’immatriculation la plus ancienne.
    • À cet égard, lorsque la date d’immatriculation est postérieure à la date déclarée du début d’activité, le principe de séparation des patrimoines prend effet à compter de la date déclarée du début d’activité, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État.
  • L’entrepreneur n’est pas assujetti à une obligation d’immatriculation
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 526-23 du Code de commerce prévoit que la séparation des patrimoines opère à compter du premier acte que l’entrepreneur exerce en qualité d’entrepreneur individuel.
    • Pour déterminer cette date, il conviendra, suggère le texte, de se reporter aux documents et correspondances éventuellement établis par l’entrepreneur individuel dans la mesure à sa qualité doit obligatoirement y être mentionnée.

B) Le déploiement des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

1. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers professionnels

1.1 Principe

L’article L. 526-22, al. 3e du Code de commerce prévoit que « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du code civil et sans préjudice des dispositions légales relatives à l’insaisissabilité de certains biens, notamment la section 1 du présent chapitre et l’article L. 526-7 du présent code, l’entrepreneur individuel n’est tenu de remplir son engagement à l’égard de ses créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de son exercice professionnel que sur son seul patrimoine professionnel, sauf sûretés conventionnelles ou renonciation dans les conditions prévues à l’article L. 526-25. »

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées dans le cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine professionnel.

C’est là la conséquence directe du principe de séparation des patrimoines qui donc limite le gage des créanciers professionnels qui ne pourront donc pas exercer leurs poursuites sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.

La séparation entre les patrimoines professionnel et personnel n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de quelques tempéraments visant tantôt à octroyer de la souplesse quant à la mise en œuvre du dispositif, tantôt à protéger certains créanciers.

1.2 Tempéraments

Le législateur a assorti le principe de séparation des patrimoines de deux tempéraments afin de faciliter l’accès au crédit de l’entrepreneur individuel dans ses rapports avec les créanciers professionnels.

a. Constitution de sûretés sur le patrimoine personnel

L’article L. 526-22, al. 4e du Code de commerce autorise l’entrepreneur individuel, nonobstant le principe de séparation des patrimoines, à consentir à ses créanciers professionnels des sûretés constituées sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Par exemple, il peut constituer une hypothèque sur un bien immobilier personnel en garantie d’un prêt contracté auprès d’un établissement de crédit aux fins de financer son activité professionnelle.

L’alinéa 3 du texte précise, en revanche, que « la distinction des patrimoines personnel et professionnel de l’entrepreneur individuel ne l’autorise pas à se porter caution en garantie d’une dette dont il est débiteur principal. »

Cette règle qui interdit à l’entrepreneur individuel de s’auto-cautionner trouve sa racine dans l’économie générale de l’opération de cautionnement qui requiert que la caution soit une personne distincte du débiteur principal.

Déjà sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un arrêt du 28 avril 1964 qu’un entrepreneur individuel ne pouvait pas cautionner les dettes souscrites au titre de son activité professionnelle.

Au soutien de sa décision, elle avait avancé que « celui qui est débiteur d’une obligation à titre principal ne peut être tenu de la même obligation comme caution » (Cass. com. 28 avr. 1964). Était ainsi posée l’interdiction de l’engagement de caution souscrit pour soi-même.

Il en résulte que la faculté pour l’entrepreneur principal de consentir à ses créanciers professionnels des garanties conventionnelles n’opère que pour les sûretés réelles.

Il peut enfin être observé que cette faculté n’est prévue par la loi qu’au bénéfice des créanciers professionnels.

Aucune disposition de ce type n’est prévue en sens inverse, au profit des créanciers personnels.

Il s’en déduit qu’il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de constituer une sûreté sur un bien relevant de son patrimoine professionnel aux fins de garantir une dette personnelle.

b. Renonciation à la séparation des patrimoines

b.1 Principe de la renonciation

Afin de ne pas limiter les capacités de financement de l’entrepreneur individuel, la loi l’autorise à renoncer purement et simplement au principe de séparation des patrimoines.

En exerçant ce droit, l’entrepreneur permet ainsi à ses créanciers d’étendre leur droit de gage sur tout ou partie de son patrimoine personnel.

Concrètement, le créancier poursuivant pourra ainsi saisir les biens personnels de l’entrepreneur individuel pour obtenir le recouvrement de sa créance, à l’exclusion de ceux frappés d’insaisissabilités telle que la résidence principale.

Cette faculté de renonciation a été prévue par le législateur afin de ne pas empêcher les entrepreneurs qui n’ont que peu de garanties à proposer d’accéder plus facilement au crédit.

Comme relevé lors de débats parlementaires, il s’agit là d’une grande avancée par rapport au statut de l’EIRL, qui ne permettait pas une renonciation spécifique : c’était « tout ou rien ».

b.2 Modalités de la renonciation

La renonciation étant un acte grave, dont les conséquences peuvent être ruineuses pour l’entrepreneur, sa validité est subordonnée à l’observation d’un certain nombre de modalités fixées par la loi.

i. Une demande formulée par le créancier professionnel

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation de l’entrepreneur au principe de séparation des patrimoines n’est valable que si, au préalable, le créancier professionnel en a fait la demande.

Cette demande, formulée par le créancier professionnel doit être écrite

Le créancier professionnel devra s’assurer qu’elle a bien été réceptionnée par l’entrepreneur individuel, dans la mesure où la réception de la demande de renonciation fait courir au délai de réflexion.

ii. L’observation d’un délai de réflexion 

  • Principe
    • À réception de la demande de renonciation formulée par le créancier professionnel, l’entrepreneur individuel dispose d’un délai de réflexion de sept jours francs.
    • Cela signifie que l’acte de renonciation ne peut produire ses effets avant l’expiration de ce délai.
  • Tempérament
    • L’article L. 526-25, al. 2e du Code de commerce prévoit la possibilité de réduire le délai de réflexion à trois jours francs Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature d’une mention manuscrite dont les termes sont fixés par l’article D. 526-28, IV du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit que Lorsque l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation entendent réduire le délai de réflexion au terme duquel la renonciation intervient, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 526-25, l’acte de renonciation porte, de la main de l’entrepreneur individuel, la mention manuscrite suivante :
      • « Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
    • La possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours procède d’un amendement proposé par les sénateurs qui ont fait valoir que le délai de sept jours pourrait apparaître long en cas de besoin urgent pour l’entrepreneur individuel d’accéder au crédit et notamment obtenir un crédit court terme pour faire face à une baisse voire à une interruption imprévue de son activité.

iii. L’établissement d’un acte de renonciation

?: Conditions de fond 

  • Une renonciation spéciale
    • L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que l’entrepreneur individuel ne peut renoncer au principe de séparation des patrimoines que « pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. »
    • À la différence de l’entrepreneur qui exerçait en EIRL, l’entrepreneur individuel ne pourra donc pas opter pour une renonciation globale, soit qui opérerait pour l’ensemble des dettes contractées.
    • Pratiquement, l’acte de renonciation devra donc :
      • D’une part, désigner l’engagement spécifique concerné
      • D’autre part, préciser le terme et le montant de cet engagement
    • À défaut, la renonciation encourt la nullité
  • Une renonciation éclairée
    • L’article D 526-28 du Code de commerce met à la charge du bénéficiaire de la renonciation une obligation d’information sur les conséquences de celle-ci sur les patrimoines de l’entrepreneur individuel.
    • L’information délivrée doit ainsi permettre à ce dernier d’apprécier la portée de cette renonciation, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur. Individuel, puisque réintégré dans l’assiette du droit de gage général des créanciers professionnels.
    • Cette obligation d’information n’est toutefois assortie d’aucune sanction.
    • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’il reviendra de préciser ce point et notamment de déterminer si le défaut d’information doit être sanctionné par la nullité de la renonciation ou par l’octroi de dommages et intérêts.

?: Conditions de forme

==> Remise d’un modèle d’acte

L’article D. 526-29 du Code de commerce prévoit que « si le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. »

À cet effet, un modèle type d’acte de renonciation a été approuvé par l’arrêté du 12 mai 2022 relatif à certaines formalités concernant l’entrepreneur individuel et ses patrimoines (accessible à partir du lien suivant : modèle de renonciation)

==> Les mentions figurant dans l’acte

L’article L. 526-25 du Code de commerce prévoit que la renonciation par l’entrepreneur individuel au principe de séparation des patrimoines « doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret. »

Il y a donc lieu de se reporter à l’article D. 526-28 issu du décret n° 2022-799 du 12 mai 2022 afin de déterminer les formes devant être observées par l’acte de renonciation.

Cette disposition prévoit que doivent figurer plusieurs sortes de mentions sur l’acte de renonciation :

  • En ce qui concerne l’entrepreneur individuel renonçant à la protection de son patrimoine personnel
    • Les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile de l’entrepreneur individuel ;
    • L’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
    • L’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
    • Le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité ;
  • En ce qui concerne le bénéficiaire de la renonciation
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne physique :
      • les nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
      • le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
    • Si le bénéficiaire de la renonciation est une personne morale :
      • la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
      • l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
      • le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
      • l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
  • En ce qui concerne l’engagement au titre duquel la renonciation est sollicitée
    • La date de l’engagement ;
    • L’objet de l’engagement ;
    • La date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
    • Le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
    • La date de demande de la renonciation.

==> La signature de l’acte de renonciation

L’article D. 526-28 du Code de commerce prévoit que, à peine de nullité, l’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu.

Ce texte précise qu’il peut être fait usage d’une signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique.

c. L’inopposabilité de la séparation des patrimoines aux créanciers publics

L’article L. 526-24 du Code de commerce prévoit une dérogation au principe de séparation des patrimoines au profit des créanciers publics et plus précisément de l’administration fiscale et des organismes de recouvrement de la sécurité sociale.

Cette disposition prévoit que « le droit de gage de l’administration fiscale et des organismes de sécurité sociale porte sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, dans les conditions prévues aux I et II de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales, ou d’inobservation grave et répétée dans le recouvrement des cotisations et contributions sociales, dans les conditions prévues à l’article L. 133-4-7 du code de la sécurité sociale ».

Ainsi, la dissociation des patrimoines ne sera pas opposable à l’administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale en cas de manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales.

Le texte ajoute que cette inopposabilité joue également pour les impositions mentionnées au III de l’article L. 273 B du livre des procédures fiscales.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux ainsi que de la taxe foncière afférente aux biens immeubles utiles à l’activité professionnelle dont est redevable la personne physique exerçant une activité professionnelle en tant qu’entrepreneur individuel ou son foyer fiscal peut être recherché sur l’ensemble des patrimoines professionnel et personnel. Le présent III n’est pas applicable au recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux lorsque l’entrepreneur individuel a opté pour l’impôt sur les sociétés dans les conditions prévues à l’article 1655 sexies du code général des impôts. »

Enfin, l’article L. 526-24 du Code de commerce précise, s’agissant spécifiquement des organismes de sécurité sociale, que la séparation des patrimoines professionnels et personnels de l’entrepreneur individuel leur est inopposable pour les impositions et contributions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 133-4-7 du même code.

2. Dans les rapports entre l’entrepreneur et les créanciers personnels

a. Principe

L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que « seul le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel constitue le gage général des créanciers dont les droits ne sont pas nés à l’occasion de son exercice professionnel ».

Il ressort de cette disposition que l’entrepreneur individuel répond des dettes contractées en dehors du cadre de son activité professionnelle sur son seul patrimoine personnel.

Il en résulte que les biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel sont hors de portée de ses créanciers personnels dont le gage est limité aux seuls biens qui ne sont pas utiles à l’activité professionnelle.

Ce principe n’est toutefois pas absolu. Le législateur l’a assorti de tempéraments.

b. Tempéraments

En application du principe de séparation des patrimoines, parce qu’il existe une corrélation entre les dettes contractées par l’entrepreneur individuel et le passif engagé, les tempéraments dont ce principe est assorti devraient, en toute logique, jouer symétriquement à la faveur tant des créanciers professionnels que des créanciers personnels.

Telle n’est toutefois pas la voie empruntée par le législateur qui a institué une différence de traitement entre les deux catégories de créanciers.

Les possibilités offertes aux créanciers personnels de l’entrepreneur individuel de se soustraire à l’application du principe de séparation des patrimoines sont, en effet, bien plus limitées que celles dont bénéficient les créanciers professionnels.

==> Tempéraments retenus

Le principe de séparation des patrimoines souffre de deux tempéraments en faveur des créanciers personnels

  • Premier tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que, par exception au principe de séparation des patrimoines, « si le patrimoine personnel est insuffisant, le droit de gage général des créanciers peut s’exercer sur le patrimoine professionnel, dans la limite du montant du bénéfice réalisé lors du dernier exercice clos. »
    • Pratiquement, dans l’hypothèse où la réalisation de l’actif relevant du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel ne permettrait pas désintéresser totalement ses créanciers personnels, ces derniers seront autorisés à appréhender le bénéfice éventuellement réalisé par leur débiteur dans le cadre de son activité professionnelle.
    • S’agissant de prendre pour point de référence le dernier exercice clos pour calculer le montant du bénéfice saisissable par les créanciers personnels, les travaux parlementaires justifient ce choix par l’impossibilité de déterminer en cours d’exercice quel montant a vocation à être prélevé par l’entrepreneur pour son usage personnel, autrement dit à rejoindre le patrimoine personnel.
    • À l’analyse, le montant maximal susceptible d’être prélevé par l’entrepreneur étant celui du bénéfice annuel, la seule solution est de se reporter au dernier exercice clos.
  • Second tempérament
    • L’article L. 526-22, al. 6e du Code de commerce prévoit que les sûretés réelles consenties par l’entrepreneur individuel avant le commencement de son activité ou de ses activités professionnelles indépendantes conservent leur effet, quelle que soit leur assiette.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse où une sûreté serait constituée sur un bien devenu utile à l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel en garantie d’une dette personnelle, le bénéficiaire de la sûreté sera autorisé à saisir le bien grevé, nonobstant le principe de séparation des patrimoines.

==> Tempéraments exclus

Deux tempéraments au principe de séparation des patrimoines qui jouent en faveur des créanciers professionnels ne bénéficient pas aux créanciers personnels.

  • Première exclusion
    • Bien que la loi soit silencieuse sur ce point, il est fait interdiction à l’entrepreneur individuel de renoncer à la séparation des patrimoines en faveur de ses créanciers personnels.
    • Cette renonciation ne peut jouer qu’au profit des seuls créanciers professionnels.
    • Le gage des créanciers personnels sera, dans ces conditions, nécessairement cantonné aux biens composant le patrimoine personnel de l’entrepreneur
  • Seconde exclusion
    • Comme précisé dans le rapport établi par Christophe-André Frassa, si la loi ménage expressément la faculté, pour l’entrepreneur individuel, de consentir à ses créanciers professionnels des sûretés conventionnelles assises sur des biens compris dans son patrimoine personnel, « aucune disposition de ce type n’est prévue, en sens inverse, au bénéfice des créanciers personnels».
    • Il est donc fait interdiction à l’entrepreneur individuel d’accorder à ses créanciers personnels une sûreté qui serait constituée sur un bien relevant de son patrimoine professionnel.

Ainsi, comme relevé dans les travaux parlementaires, une nette dissymétrie oppose les créanciers professionnels aux créanciers personnels.

Les premiers, pour assurer le recouvrement de leur créance, pourront saisir dans certaines conditions tout ou partie des biens compris dans le patrimoine personnel, soit qu’ils soient titulaires d’une sûreté conventionnelle assise sur l’un de ces biens, soit qu’ils bénéficient d’une renonciation à la séparation des patrimoines.

Les seconds, en revanche, ne pourront exercer leur droit de gage général sur le patrimoine professionnel qu’à titre subsidiaire et dans la limite du montant du bénéfice du dernier exercice clos.

Les biens à usage professionnel sont donc mis hors de portée des créanciers personnels, comme s’ils étaient logés dans une société.

Selon Christophe-André Frassa, cette dissymétrie peut se justifier. En effet, alors que le patrimoine professionnel est défini limitativement, ce n’est pas le cas du patrimoine personnel, qui comprend tous les biens et droits non compris dans l’autre patrimoine.

En outre, parmi les biens de l’entrepreneur individuel, les plus précieux (notamment, le cas échéant, sa résidence principale) seraient le plus souvent compris dans son patrimoine personnel et pourraient donc être appréhendés par ses créanciers personnels.

Afin de ne pas diminuer excessivement les droits des créanciers professionnels, il est donc légitime de ne pas autoriser, au profit des créanciers personnels, la constitution de sûretés sur des biens professionnels ou la renonciation à la séparation des patrimoines.

III) L’extinction des effets du principe de séparation de plein droit des patrimoines professionnel et personnel

L’article L. 526-22 du Code de commerce prévoit deux cas de réunion des patrimoines professionnels et personnels :

  • Premier cas : la cessation d’activité
    • Dans le cas où un entrepreneur individuel cesse toute activité professionnelle indépendante, le texte prévoit que le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel sont réunis.
    • Il en résulte que les créanciers antérieurs recouvrent un droit de gage général sur l’ensemble des biens de leur débiteur.
    • Cette solution diffère manifestement de celle applicable à l’EIRL.
    • En effet, sous ce statut, le gage général des créanciers antérieurs demeurait limité aux seuls biens qui relevaient du patrimoine d’affectation de l’entrepreneur.
    • Ce « gel » du gage des créanciers antérieurs était toutefois possible en raison de la déclaration d’affectation réalisée par l’entrepreneur individuel qui consistait à dresser une liste exhaustive des biens affectés à l’exercice de son activité professionnelle.
    • Tel n’est pas le cas de l’entrepreneur individuel qui exerce sous le nouveau statut.
    • Aucun texte ne l’oblige à réaliser un inventaire des biens qui composent son patrimoine professionnel.
    • Aussi, leur identification au moment de la cessation d’activité de l’entrepreneur individuel – laquelle est susceptible d’intervenir plusieurs années après leur entrée dans le patrimoine professionnel – s’avérerait complexe sinon impossible.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a préféré n’opérer aucune distinction : le droit de gage des créanciers antérieur s’exerce sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel qui a cessé son activité.
  • Second cas : le décès
    • En application de l’article L. 526-22 du Code de commerce, le décès de l’entrepreneur individuel a pour effet de réunir les patrimoines professionnels et personnels.
    • Comme pour le cas de la cessation d’activité, s’est posée la question du cantonnement du gage des créanciers antérieurs aux biens relevant du patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.
    • La raison en est que la réunion des patrimoines professionnels et personnels pour former un patrimoine successoral unique fait peser un risque important sur les héritiers et autres successeurs à titre universel, qui sont susceptibles de se voir transmettre l’intégralité des dettes de l’entrepreneur individuel au jour de son décès sans que le droit de gage des créanciers ne soit limité.
    • Aussi, comme souligné par Christophe-André Frassa, « la protection des héritiers repose alors entièrement sur leur droit d’option : dans le cas où des dettes trop lourdes grèveraient le patrimoine successoral, ils pourraient renoncer à la succession ou ne l’accepter qu’à concurrence de l’actif net (la liquidation portant alors sur l’ensemble du patrimoine successoral, issu de la réunion des patrimoines professionnel et personnel).»

[1] V. en ce sens N. Jullian, « La transmission du patrimoine de l’entrepreneur, de nouvelles opérations au service des entrepreneurs individuels », JCP E, n°13, mars 2022, 1137.

Le statut de l’entrepreneur individuel: règles générales et conditions

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploités à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

  • La loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 relative à l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée et à l’exploitation agricole à responsabilité limitée a rompu avec le principe de l’affectio societatis, selon lequel une société résulte de la volonté de collaborer d’au moins deux associés, en permettant à un entrepreneur individuel de constituer seul une société ;
  • La loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle a procédé à une refonte des formalités et obligations auxquelles étaient soumises les entreprises, dans le but de les simplifier ;
  • La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a d’abord institué le mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale aux articles L. 526-1 à L. 526-5 du code de commerce, constituant une entorse au droit de gage général posé aux articles 2284 et 2285 du code civil. Elle a ensuite supprimé le capital minimum dans les SARL, rompant ainsi avec le principe de capitalisation des sociétés ;
  • La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a procédé à de nouvelles simplifications dans le fonctionnement des entreprises et étendu l’insaisissabilité à tous les biens fonciers non affectés à l’usage professionnel.

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité de la résidence principale n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Pour mémoire, ce principe théorisé au début du XIXe siècle par Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, signifie qu’une personne ne peut être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

  • Positivement, il en résulte que le passif répond du passif et que l’ensemble des dettes sont exécutoires sur l’ensemble des biens, conformément aux articles 2284 et 2285 du Code civil : « qui s’oblige, oblige le sien»
  • Négativement, il se déduit qu’il est interdit d’isoler certains éléments du patrimoine, pour constituer une universalité distincte du reste du patrimoine

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

Très tôt le principe d’unicité du patrimoine a été critiqué par la doctrine en ce qu’elle exposait l’entrepreneur individuel à des risques financiers importants sur son patrimoine personnel pour des dettes nées dans le cadre de son activité professionnelle.

Jusque récemment, la seule solution qui s’offrait à lui pour contourner le principe d’unicité du patrimoine était de créer une société, laquelle serait titulaire d’un patrimoine distinct de son propre patrimoine.

À cet égard, tout entrepreneur individuel, qu’il soit commerçant, artisan, indépendant ou agriculteur, peut créer une société unipersonnelle à responsabilité limitée et opérer de cette manière une distinction entre son patrimoine personnel et son patrimoine professionnel.

L’EURL n’a toutefois pas obtenu le succès escompté, les entrepreneurs individuels préférant majoritairement exercer leur activité en nom propre.

Par souci de justice sociale et de protection de la famille des entrepreneurs ayant adopté cette seconde modalité – risquée – d’exercice, le législateur a finalement décidé d’ouvrir une brèche dans le principe d’unicité du patrimoine en créant, par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010, le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut – et c’est la révolution opérée par ce texte – est qu’il permet à l’entrepreneur individuel, tout à la fois d’exercer son activité en nom propre et de créer un patrimoine d’affectation.

Pour la première fois, l’entrepreneur individuel était ainsi autorisé à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

À l’analyse, la création d’un patrimoine d’affectation déroge aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère donc une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

Le bénéfice du régime de l’EIRL était toutefois subordonné à l’observation d’un formalisme rigoureux visant à garantir la sécurité juridique de l’entrepreneur lui-même et des tiers.

Pour créer un patrimoine d’affectation, l’entrepreneur devait notamment :

  • D’une part, procéder à une déclaration d’affectation
  • D’autre part, tenir une comptabilité séparée

Là encore, à l’instar de l’EURL, l’EIRL n’a pas rencontré un franc succès chez les entrepreneurs individuels.

Selon une étude réalisée par le Conseil d’État, en 2021, seuls 97 000 chefs d’entreprise étaient soumis au régime de l’EIRL alors que, à la même époque, on comptait près de 3 millions de travailleurs indépendants.

Les raisons de cet échec doivent sans doute être recherchées dans la complexité des formalités administratives et comptables requises pour créer une EIRL, quoiqu’elles aient été progressivement simplifiées, notamment par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « PACTE ».

C’est dans ce contexte, qu’il est à nouveau apparu nécessaire de réformer le statut de l’entrepreneur individuel.

==> La création d’un statut unique d’entrepreneur individuel

Animé par la volonté de renforcer la protection des travailleurs indépendants, le législateur est intervenu en 2022 aux fins de créer un statut unique d’entrepreneur individuel.

À cet effet, la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante a innové en instaurant une séparation de plein droit entre le patrimoine personnel et le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel.

Il n’est désormais plus nécessaire que celui-ci procède à une déclaration préalable d’affectation.

Dès lors qu’une personne exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes, elle est titulaire de deux patrimoines :

  • Un patrimoine professionnel constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes
  • Un patrimoine personnel constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel

Outre la consécration d’une séparation de plein droit des patrimoines de l’entrepreneur individuel, la loi du 14 février 2022 a instauré un dispositif permettant la transmission universelle du patrimoine professionnel entre vifs, y compris sous la forme d’un apport en société.

Ce dispositif déroge au principe selon lequel une personne physique ne peut, de son vivant, transmettre son patrimoine.

Pour cette catégorie de personnes, il est seulement permis de transmettre des biens et des obligations à titre particulier.

Le régime de cette transmission universelle de patrimoine instauré par la loi du 14 février 2022 est largement emprunté à celui applicable en cas de fusion de sociétés ou de réunion des parts sociales en une seule main.

À cet égard, bien qu’ouvert désormais aux personnes physiques, ce nouveau dispositif, à l’instar de la séparation des patrimoines professionnel et personnel, ne peut bénéficier qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

§1: Les conditions d’éligibilité au statut d’entrepreneur individuel

Le statut institué par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs individuels.

L’article L. 526-22 du Code de commerce définit l’entrepreneur individuel comme « une personne physique qui exerce en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. »

Il ressort de cette disposition que la qualité d’entrepreneur individuel requiert la réunion de plusieurs éléments cumulatifs :

  • Premier élément
    • L’entrepreneur individuel est nécessairement une personne physique.
    • Et pour cause, le statut unique d’entrepreneur individuel a précisément été créé pour les personnes qui ne souhaitaient pas, pour diverses raisons, exercer leur activité professionnelle par l’entremise d’une société.
    • Aussi, le statut d’entrepreneur individuel ne saurait être sollicité par une personne morale.
    • Une société est donc strictement assujettie au principe d’unicité de son patrimoine sans possibilité pour elle d’y déroger.
  • Deuxième élément
    • L’entrepreneur individuel exerce nécessairement en son nom propre, ce qui signifie qu’il agit pour son propre compte.
    • Il n’intervient donc pas en représentation d’une tierce personne, de sorte qu’il est personnellement tenu aux engagements qu’il souscrit.
  • Troisième élément
    • Pour se prévaloir du statut d’entrepreneur individuel, il est nécessaire, précise l’article L. 526-22 du Code de commerce, d’exercer « une ou plusieurs activités professionnelles».
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « activité professionnelle».
    • Aussi, l’activité exercée par l’entrepreneur doit constituer une profession.
    • Par profession, il faut entendre selon le doyen Riper « le fait de consacrer d’une façon principale et habituelle son activité à l’accomplissement d’une tâche dans le dessein d’en tirer profit »
    • En d’autres termes, pour qu’une activité constitue une profession, cela suppose qu’elle soit, pour son auteur, sa principale source de revenus et, surtout, lui permette d’assurer la pérennité de son entreprise
  • Quatrième élément
    • Le statut d’entrepreneur individuel ne peut bénéficier qu’aux personnes qui exercent une activité indépendante.
    • L’indépendance dont il s’agit est juridique et non économique.
    • Il en résulte que les membres d’un réseau de distribution ou un franchisé peuvent parfaitement endosser le statut d’entrepreneur individuel.
    • Les personnes en revanche exclues du bénéfice de ce statut sont :
      • Les salariés qui agissent pour le compte de leur employeur.
      • Les dirigeants sociaux qui agissent au nom et pour le compte d’une société.
      • Les mandataires, tels que les agents commerciaux qui représentent un commerçant

Il ressort de ces quatre éléments constitutifs de la notion d’entrepreneur individuel que le statut attaché à cette qualité est ouvert à de nombreux agents économiques au nombre desquels figurent notamment les commerçants, les artisans, les agriculteurs et plus généralement tous les autres professionnels indépendants, qu’ils relèvent ou nom d’une profession réglementée.

À cet égard, comme indiqué par les travaux parlementaires, l’immatriculation à un registre de publicité légale professionnelle n’est pas une condition pour bénéficier du statut d’entrepreneur individuel : ce statut peut donc bénéficier à un entrepreneur individuel dont la profession n’est pas soumise à une réglementation qui lui est propre et qui n’est donc pas inscrit sur un registre spécifique ou un ordre particulier.

§2: Les conditions d’exercice du statut d’entrepreneur individuel

==> La dénomination professionnelle

L’article R. 526-27 du Code de commerce issu du décret n° 2022-725 du 28 avril 2022, pose deux exigences s’agissant de la dénomination professionnelle adoptée par l’entrepreneur individuel :

  • Première exigence
    • Pour l’exercice de son activité professionnelle l’entrepreneur individuel utilise une dénomination incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.
    • Cette restriction de la liberté de choisir une dénomination professionnelle se justifie par la protection des tiers auxquels le statut de l’entrepreneur individuel doit être porté à leur connaissance.
  • Seconde exigence
    • La dénomination choisie par l’entrepreneur individuel doit figurer sur tous les documents et correspondances à usage professionnel de l’intéressé.

À ces deux exigences énoncées par l’article R. 526-27 du Code de commerce, il convient d’en compter une troisième lorsque l’entrepreneur individuel exerce une activité commerciale.

En effet, l’article R. 123-237 du Code de commerce prévoit que toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés est tenu d’indiquer sur ses factures, notes de commande, tarifs et documents publicitaires ainsi que sur toutes correspondances et tous récépissés concernant son activité et signés par elle ou en son nom la dénomination utilisée pour l’exercice de l’activité professionnelle incorporant son nom ou nom d’usage précédé ou suivi immédiatement des mots : “ entrepreneur individuel ” ou des initiales : “ EI ”.

Il devra indiquer, en outre, sur son site internet la mention RCS suivie du nom de la ville où se trouve le greffe où elle est immatriculée.

==> Le compte bancaire

Sous l’empire du droit antérieur, l’article L. 526-13 du Code de commerce imposait à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) d’« ouvrir dans un établissement de crédit un ou plusieurs comptes bancaires exclusivement dédiés à l’activité à laquelle le patrimoine a été affecté ».

Le décret n° 2022-725 du 28 avril 2022 a mis fin à cette obligation, de sorte que l’entrepreneur individuel n’est plus tenu d’ouvrir un compte bancaire exclusivement dédié à son activité professionnelle.

L’article R. 526-27 du Code de commerce prévoit seulement que « chaque compte bancaire dédié à son activité professionnelle ouvert par l’entrepreneur individuel doit contenir la dénomination dans son intitulé. »

Le recours en retranchement (art. 464 CPC)

L’un des principaux attributs d’un jugement est le dessaisissement du juge. Cet attribut est exprimé par l’adage lata sententia judex desinit esse judex : une fois la sentence rendue, le juge cesse d’être juge.

La règle est énoncée à l’article 481 du CPC qui dispose que « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ». En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.

Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.

Le principe du dessaisissement du juge n’est toutefois pas sans limites. Ces limites tiennent, d’une part, à la nature de la décision rendue et, d’autre part, à certains vices susceptibles d’en affecter le sens, la portée ou encore le contenu.

  • S’agissant des limites qui tiennent à la nature de la décision rendue
    • Il peut être observé que toutes les décisions rendues n’opèrent pas dessaisissement du juge.
    • Il est classiquement admis que seules les décisions contentieuses qui possèdent l’autorité absolue de la chose jugée sont assorties de cet attribut.
    • Aussi, le dessaisissement du juge n’opère pas pour :
      • Les décisions rendues en matière gracieuses
      • Les jugements avants dire-droit
      • Les décisions provisoires (ordonnances de référé et ordonnances sur requête).
  • S’agissant des limites qui tiennent aux vices affectant la décision rendue
    • Il est certains vices susceptibles d’affecter la décision rendue qui justifient un retour devant le juge alors même qu’il a été dessaisi.
    • La raison en est qu’il s’agit d’anomalies tellement mineures (une erreur de calcul, une faute de frappe, une phrase incomplète etc.) qu’il serait excessif d’obliger les parties à exercer une voie de recours tel qu’un appel ou un pourvoi en cassation.
    • Non seulement, cela les contraindrait à exposer des frais substantiels, mais encore cela conduirait la juridiction saisie à procéder à un réexamen général de l’affaire : autant dire que ni les justiciables, ni la justice ne s’y retrouveraient.
    • Fort de ce constat, comme l’observe un auteur, « le législateur a estimé que pour les malfaçons mineures qui peuvent affecter les jugements, il était préférable de permettre au juge qui a déjà statué de revoir sa décision »[1].
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à revenir devant le juge qui a rendu une décision aux fins de lui demander de l’interpréter en cas d’ambiguïté, de la rectifier en cas d’erreurs ou d’omissions purement matérielles, de la compléter en cas d’omission de statuer ou d’en retrancher une partie dans l’hypothèse où il aurait statué ultra petita, soit au-delà de ce qui lui était demandé.
    • À cette fin, des petites voies de recours sont prévues par le Code de procédure civile, voies de recours dont l’objet est rigoureusement limité.

C’est sur ces petites voies de recours que nous nous focaliserons ici. Elles sont envisagées aux articles 461 à 464 du Code de procédure civile.

Au nombre de ces voies de recours, qui donc vise à obtenir du juge qui a statué qu’il revienne sur sa décision, figurent :

  • Le recours en interprétation
  • Le recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle
  • Le recours en retranchement
  • Le recours aux fins de remédier à une omission de statuer

Nous nous focaliserons ici sur le recours en retranchement.

L’article 5 du CPC prévoit que « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. »

Parce que le litige est la chose des parties, par cette disposition, il est :

  • D’une part, fait interdiction au juge de se prononcer sur ce qui ne lui a pas été demandé par les parties
  • D’autre part, fait obligation au juge de se prononcer sur ce tout ce qui lui est demandé par les parties

Il est néanmoins des cas ou le juge va omettre de statuer sur une prétention qui lui est soumise. On dit qu’il statue infra petita. Et il est des cas où il va statuer au-delà de ce qui lui est demandé. Il statue alors ultra petita.

Afin de remédier à ces anomalies susceptibles d’affecter la décision du juge, le législateur a institué des recours permettant aux parties de les rectifier.

Comme l’observe un auteur bien que l’ultra et l’infra petita constituent des vices plus graves que l’erreur et l’omission matérielle, le législateur a admis qu’ils puissent être réparés au moyen d’un procédé simplifié et spécifique énoncés aux articles 463 et 464 du CPC[2].

Il s’agira, tantôt de retrancher à la décision rendue ce qui n’aurait pas dû être prononcé, tantôt de compléter la décision par ce qui a été omis.

I) Conditions de recevabilité du recours

?Principe d’interdiction faite au juge de se prononcer sur ce qui ne lui est pas demandé

Le recours un retranchement vise à rectifier une décision aux termes de laquelle le juge s’est prononcé sur quelque chose qui ne lui était pas demandé.

L’article 4 du CPC prévoit pourtant que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties »

Aussi, est-il fait interdiction au juge de statuer en dehors du périmètre du litige fixé par les seules parties, ce périmètre étant circonscrit par les seules prétentions qu’elles ont formulées.

Dans un arrêt du 7 décembre 1954, la Cour de cassation a jugé en ce sens que les juges du fond « ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis, même pour faire application d’une disposition d’ordre public, alors que cette disposition est étrangère aux débats » (Cass. com. 7 déc. 1954).

Concrètement, cela signifie que le juge ne peut :

  • Ni ajouter aux demandes des parties
  • Ni modifier les prétentions des parties

À cet égard, l’article 464 du CPC prévoit que les dispositions qui règlent le recours en omission de statuer « sont applicables si le juge s’est prononcé sur des choses non demandées ou s’il a été accordé plus qu’il n’a été demandé. »

Dès lors afin d’apprécier la recevabilité du recours en retranchement, il y a lieu d’adopter la même approche que celle appliquée pour le recours en omission de statuer.

Pour déterminer si le juge a statué ultra petita, il conviendra notamment de se reporter aux demandes formulées dans l’acte introductif d’instance ainsi que dans les conclusions prises ultérieurement par les parties et de les comparer avec le dispositif du jugement (Cass. 2e civ. 6 févr. 1980).

C’est d’ailleurs à ce seul dispositif du jugement qu’il y a lieu de se référer à l’exclusion de sa motivation, la jurisprudence considérant qu’elle est insusceptible de servir de base à la comparaison (Cass. soc. 29 janv. 1959).

Comme pour l’omission de statuer, cette comparaison ne pourra se faire qu’avec des conclusions qui ont été régulièrement déposées par les parties et qui sont recevables (V. en ce sens Cass. 2e civ. 25 oct. 1978).

À l’examen, les situations d’ultra petita admises par la jurisprudence sont pour le moins variées. Le recours en retranchement a ainsi été admis pour :

  • L’octroi par un juge de dommages et intérêts dont le montant était supérieur à ce qui était demandé (Cass. 2e civ. 19 juin 1975).
  • L’annulation d’un contrat de bail, alors que sa validité n’était pas contestée par les parties (Cass. 3e civ. 26 nov. 1974)
  • La condamnation des défendeurs in solidum alors qu’aucune demande n’était formulée en ce sens (Cass. 3e civ. 11 janv. 1989)

?Tempérament à l’interdiction faite au juge de se prononcer sur ce qui ne lui est pas demandé

Si, en application du principe dispositif, le juge ne peut se prononcer que sur ce qui lui est demandé, son office l’autorise parfois à adopter, de sa propre initiative, un certain nombre de mesures.

En application de l’article 12 du CPC, il dispose notamment du pouvoir de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »

C’est ainsi qu’il peut requalifier une action en revendication en action en bornage ou encore requalifier une donation en un contrat de vente.

Le juge peut encore prononcer des mesures qui n’ont pas été sollicitées par les parties. Il pourra ainsi préférer la réparation d’un préjudice en nature plutôt qu’en dommages et intérêts.

En certaines circonstances, c’est la loi qui confère au juge le pouvoir d’adopter la mesure la plus adaptée à la situation des parties. Il en va ainsi en matière de prestation compensatoire, le juge pouvant préférer l’octroi à un époux d’une rente viagère au versement d’une somme en capital.

Le juge des référés est également investi du pouvoir de retenir la situation qui répondra le mieux à la situation d’urgence qui lui est soumise.

L’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit encore que « tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision. »

II) Pouvoirs du juge

?Interdiction de toute atteinte à l’autorité de la chose jugée

Qu’il s’agisse d’un recours en omission de statuer ou d’un recours en retranchement, en application de l’article 463 du CPC il est fait interdiction au juge dans sa décision rectificative de « porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Ainsi sont fixées les limites du pouvoir du juge lorsqu’il est saisi d’un tel recours : il ne peut pas porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.

Concrètement cela signifie que :

  • S’agissant d’un recours en omission de statuer, il ne peut modifier une disposition de sa décision ou en ajouter une nouvelle se rapportant à un point qu’il a déjà tranché
  • S’agissant d’un recours en retranchement, il ne peut réduire ou supprimer des dispositions de sa décision que dans la limite de ce qui lui avait initialement été demandé

Plus généralement, son intervention ne saurait conduire à conduire à modifier le sens ou la portée de la décision rectifiée.

Il en résulte qu’il ne peut, ni revenir sur les droits et obligations reconnues aux parties, ni modifier les mesures ou sanctions prononcées, ce pouvoir étant dévolu aux seules juridictions de réformation.

?Rétablissement de l’exposé des prétentions et des moyens

Tout au plus, le juge est autorisé à « rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Il s’agira, autrement dit, pour lui, s’il complète une omission de statuer ou s’il retranche une disposition du jugement de modifier dans un sens ou dans l’autre l’exposé des prétentions et des moyens des parties.

Cette exigence procède de l’article 455 du CPC qui prévoit que « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. »

III) Procédure

A) Compétence

1. Principe

En application de l’article 463 du CPC, le juge compétent pour connaître d’un recours en omission de statuer ou en retranchement est celui-là même qui a rendu la décision à rectifier.

Cette règle s’applique à toutes les juridictions y compris à la Cour de cassation qui peut se saisir d’office.

Il n’est toutefois nullement exigé qu’il s’agisse de la même personne physique. Ce qui importe c’est qu’il y ait identité de juridiction et non de personne.

2. Tempéraments

Il est plusieurs cas où une autre juridiction que celle qui a rendu la décision à rectifier aura compétence pour statuer :

  • L’introduction d’une nouvelle instance
    • Dans un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de cassation a jugé que la procédure prévue à l’article 463 du CPC « n’exclut pas que le chef de demande sur lequel le juge ne s’est pas prononcé soit l’objet d’une nouvelle instance introduite selon la procédure de droit commun » (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Ainsi, en cas d’omission de statuer les parties disposent d’une option leur permettant :
      • Soit de saisir le juge qui a rendu la décision contestée aux fins de rectification
      • Soit d’introduire une nouvelle instance selon la procédure de droit commun
    • Cette seconde option se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • À cet égard, la Cour de cassation a précisé que, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, les parties n’étaient pas assujetties au délai d’un an qui subordonne l’exercice d’un recours en omission de statuer (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Appel
    • En cas d’appel, il y a lieu de distinguer selon que la juridiction du second degré est saisie uniquement aux fins de rectifier l’omission ou selon qu’elle est également saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
      • La Cour d’appel est saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
        • Dans cette hypothèse, l’effet dévolutif de l’appel l’autorise à se prononcer sur l’omission de statuer.
        • Les parties ne se verront donc pas imposer d’exercer un recours en omission de statuer sur le fondement de l’article 463 du CPC (Cass. 2e civ. 29 mai 1979).
      • La Cour d’appel est saisie uniquement pour statuer sur l’omission de statuer
        • Dans cette hypothèse, la doctrine estime que l’exigence d’un double degré de juridiction fait obstacle à ce que la Cour d’appel se saisisse d’une question qui n’a pas été tranchée en première instance.
        • Cette solution semble avoir été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 1997 aux termes duquel elle a jugé que « dès lors que l’appel n’a pas été exclusivement formé pour réparer une omission de statuer, il appartient à la cour d’appel, en raison de l’effet dévolutif, de statuer sur la demande de réparation qui lui est faite » (Cass. 2e civ. 22 oct. 1997, n°95-18.923).
  • Pourvoi en cassation
    • La Cour de cassation considère qu’une omission de statuer ainsi que l’ultra petita ne peuvent être réparés que selon la procédure des articles 463 et 464 du CPC (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).
    • La raison en est que la Cour de cassation est juge du droit. Elle n’a donc pas vocation à réparer une omission de statuer qui suppose d’une appréciation en droit et en fait.
    • Dans un arrêt du 26 mars 1985, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « le fait de statuer sur choses non demandées, s’il ne s’accompagne pas d’une autre violation de la loi, ne peut donner lieu qu’à la procédure prévue par les articles 463 et 464 du nouveau code de procédure civile et n’ouvre pas la voie de la cassation » (Cass. 1ère civ. 26 mars 1985).
    • Autrement dit, lorsque l’omission est doublée d’une irrégularité éligible à l’exercice d’un pourvoi, la Cour de cassation redevient compétente.

B) Saisine du juge

1. Délai pour agir

?Principe

L’article 463 du CPC prévoit que « la demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l’arrêt d’irrecevabilité. »

Ainsi à la différence du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui n’est enfermé dans aucun délai, le recours en omission de statuer et en retranchement doit être exercé dans le délai d’un an après que la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

Pour rappel, l’article 500 du CPC prévoit que « a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution ».

À cet égard, il conviendra de se placer à la date d’exercice du recours en rectification pour déterminer si la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

?Exceptions

  • Introduction d’une nouvelle instance
    • En matière d’omission de statuer, l’expiration du délai d’un an ferme seulement la voie du recours fondé sur l’article 463 du CPC.
    • La Cour de cassation a néanmoins admis qu’une nouvelle instance puisse être introduite selon les règles du droit commun (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Cette solution se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • Aussi, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, la Cour de cassation considère que les parties ne sont pas assujetties au délai d’un an (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Recours introduit par Pôle emploi
    • La jurisprudence a jugé que lorsqu’un recours en omission de statuer est exercé par les ASSEDIC (désormais pôle emploi) consécutivement à une décision ayant statué sur le remboursement des indemnités de chômage (art. L. 1235-4 C. trav.), le délai d’un an court à compter, non pas du jour où la décision à rectifier est passée en force de chose jugée, mais du jour à l’organisme a eu connaissance de cette décision (Cass. soc. 7 janv. 1992)

2. Auteur de la saisine

À la différence de la procédure en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui peut être initiée par le juge qui dispose d’un pouvoir de se saisir d’office, les procédures d’omission de statuer et en retranchement ne peuvent être engagées que par les parties elles-mêmes.

Il est fait interdiction au juge de se saisir d’office.

3. Modes de saisine

?Principe

Lorsque le juge est saisi par les parties, l’acte introductif d’instance prend la forme d’une requête.

  • Une requête
    • L’article 463 du CPC prévoit que « le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune. »
    • Les recours en omission de statuer et en retranchement doivent ainsi être exercés par voie de requête unilatérale ou conjointe.
    • Pour rappel :
      • La requête unilatérale est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
      • La requête conjointe est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte commun par lequel les parties soumettent au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
  • Forme de la requête
    • À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.
    • Ces mentions sont énoncées aux articles 54, 57 et 757 du CPC.
  • Dépôt de la requête
    • La requête doit être déposée au greffe de la juridiction saisie en deux exemplaires.
    • La remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué au déposant afin qu’il conserve une preuve du dépôt.
    • En cas de dépôt d’une requête unilatérale, il y a lieu de la notifier à la partie adverse.
    • Il appartient au juge de provoquer le débat contradictoire entre les parties.

?Exceptions

Il est admis en jurisprudence que la saisine du juge puisse s’opérer au moyen d’un autre mode de saisine que la requête.

Cette saisine peut notamment intervenir par voie d’assignation devant la juridiction compétente (CA Paris, 14 mars 1985).

C) Convocation des parties

L’article 463, al. 3e du CPC prévoit que le juge « statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées. »

Ainsi, afin d’adopter sa décision de rectification, le juge a l’obligation d’auditionner et d’entendre les parties, étant précisé que, en l’absence de délai de comparution, le juge doit leur laisser un temps suffisant pour préparer leur défense.

Il s’agit ici pour le juge de faire respecter le principe du contradictoire conformément aux articles 15 et 16 du CPC.

Aussi, bien que l’instance soit introduite par voie de requête, il y a lieu d’aviser la partie adverse de la demande de rectification.

Quant au juge, il lui est fait obligation de s’assurer que les moyens soulevés ont pu être débattus contradictoirement par les parties (V. en ce sens Cass. 2e civ. 3 janv. 1980).

D) Représentation

S’agissant de la représentation des parties, la procédure d’omission de statuer ou en retranchement répond aux mêmes règles que celles ayant donné lieu à la décision rendue.

Aussi, selon les cas, la représentation par avocat sera obligatoire ou facultative. En cas de représentation facultative, la requête pourra, dans ces conditions, être déposée par les parties elles-mêmes.

E) Régime de la décision rectificative

?Incorporation dans la décision initiale

L’article 463, al. 4e di CPC prévoit que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Ainsi, la décision rectificative vient-elle s’incorporer à la décision initiale. Il en résulte qu’elle est assujettie aux mêmes règles que le jugement sur lequel elle porte. Plus précisément elle en emprunte tous les caractères.

?Notification de la décision rectificative

L’article 463, al. 4e du CPC prévoit que la décision rectificative doit être notifiée comme le jugement. À défaut, elle ne sera pas opposable à la partie adverse.

À cet égard, la date de la notification tiendra lieu de point de départ au délai d’exercice des voies de recours. Elle devra, par ailleurs, être réalisée selon les mêmes modalités que la décision initiale.

Le texte précise que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Cette mention ne figurera néanmoins que sur les décisions rectifiées, celle-ci étant sans objet en cas de rejet du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle.

?Voies de recours

En application de l’article 463, al. 4e du COC, la décision rendue donne lieu aux mêmes voies de recours que la décision rectifiée (Cass. 3e civ. 27 mai 1971). Si cette dernière est rendue en dernier ressort, il en ira de même pour le jugement rectificatif.

Surtout, en cas d’exercice d’une voie de recours contre la décision initiale, la décision rectificative subira le même sort, y compris s’agissant de l’issue de la procédure d’appel ou de cassation, dans la limite de ce qui a été réformé.

Autrement dit, en cas de réformation totale de la décision initiale, la décision rectificative s’en trouvera également anéantie (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).

En revanche, lorsque la décision initiale n’est que partiellement réformée, la décision rectification ne sera anéantie que si elle porte sur des points remis en cause.

  1. J. Heron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé ?
  2. J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, éd. , n°382, p. 316. ?

Modèle d’assignation en référé remise en état par-devant le Président près le Tribunal de commerce (art. 873, al. 1er CPC)

Modèle de constitution d’avocat par-devant le Tribunal de grande instance

 

Télécharger le modèle

 

 

[N°] Chambre [intitulé]
N° R.G. : [X]
Affaire : [nom du demandeur] C/ [nom du défendeur]

 

CONSTITUTION

 

Maître [nom, prénom], Avocat inscrit au Barreau de [ville], y demeurant [adresse]

 

DÉCLARE À :

Maître [nom, prénom], Avocat inscrit au Barreau de [ville], y demeurant [adresse]

Qu’il se constitue par-devant le Tribunal de grande instance de [ville]

 

POUR :

[Si personne physique]

Monsieur ou Madame [nom, prénom], né le [date], de nationalité [pays], [profession], demeurant à [adresse]

[Si personne morale]

La société [raison sociale], [forme sociale], au capital social de [montant], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de [ville] sous le numéro […], dont le siège social est sis [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés, en cette qualité, audit siège

 

SUR :

L’assignation qui lui a été délivrée à la requête de :

[Si personne physique]

Monsieur ou Madame [nom, prénom], né le [date], de nationalité [pays], [profession], demeurant à [adresse]

[Si personne morale]

La société [raison sociale], [forme sociale], au capital social de [montant], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de [ville] sous le numéro […], dont le siège social est sis [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés, en cette qualité, audit siège

 

Par exploit de [Nom de l’huissier], huissier de justice à [ville de l’étude], en date du [Date],

Contenant les demandes suivantes :

[Demandes formulées dans le dispositif]

 

Fait à [ville], le [date]

 

SIGNATURE DE L’AVOCAT

La clause résolutoire: régime juridique

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que sont :

  • La clause résolutoire
  • La résolution unilatérale
  • La résolution judiciaire

Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment grave, a désormais de plusieurs options :

  • Soit il peut demander la résolution du contrat au juge
  • Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
  • Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le contrat

Nous ne nous focaliserons ici que sur la résolution conventionnelle.

Reconduisant la règle qui était déjà énoncée sous l’empire du droit antérieur l’article 1224 du Code civil prévoit que la résolution du contrat peut résulter « de l’application d’une clause résolutoire ».

?L’intérêt de la clause résolutoire

Si, avec la consécration de la résolution unilatérale, la clause résolutoire a perdu une partie de son utilité, sa stipulation dans un contrat conserve un triple intérêt

  • Premier intérêt
    • La stipulation d’une clause résolutoire présente l’avantage, pour le créancier, de disposer d’un moyen de pression sur le débiteur.
    • Un cas d’inexécution de l’une de ses obligations visées par la clause, il s’expose à la résolution du contrat.
    • La stipulation d’une clause résolutoire apparaît ainsi comme un excellent moyen de garantir l’efficacité du contrat.
    • Ajouté à cela, cette clause ne fait nullement obstacle à la mise en œuvre des autres sanctions contractuelles qui restent à la disposition du créancier.
    • Rien n’empêche, en effet, ce dernier de solliciter l’exécution forcée du contrat, de se prévaloir de l’exception d’inexécution ou de saisir le juge aux fins d’obtenir la résolution judiciaire.
    • La liberté du créancier quant au choix des sanctions demeure la plus totale, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire.
  • Deuxième intérêt
    • Tout d’abord, la mise en œuvre de la clause résolutoire n’est pas subordonnée à la démonstration « d’une inexécution suffisamment grave » du contrat.
    • Dès lors qu’un manquement contractuel est visé par la clause résolutoire, le créancier est fondé à mettre automatiquement fin au contrat, peu importe la gravité du manquement dénoncé.
    • Mieux, dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a jugé que la bonne foi du débiteur « est sans incidence sur l’acquisition de la clause résolutoire » (Cass. 3e civ. 24 sept. 2003, n°02-12.474).
    • À l’examen, seuls comptent les termes de la clause qui doivent être suffisamment précis pour couvrir le manquement contractuel dont se prévaut le créancier pour engager la résolution du contrat.
  • Troisième intérêt
    • La clause résolutoire a pour effet de limiter les pouvoirs du juge dont l’appréciation se limite au contrôle des conditions de mise en œuvre de la clause (Cass. com. 14 déc. 2004, n°03-14.380).
    • Lorsque la résolution est judiciaire ou unilatérale, il appartient au juge d’apprécier la gravité de l’inexécution contractuelle.
    • Tel n’est pas le cas lorsqu’une clause résolutoire est stipulée, ce qui n’est pas sans protéger les parties de l’ingérence du juge.
    • La stipulation d’une clause résolutoire est ainsi source de sécurité contractuelle.
    • D’où l’enjeu de la rédaction de la clause qui doit être suffisamment large et précise pour rendre compte de l’intention des parties et plus précisément leur permettre de mettre fin au contrat chaque fois que le manquement contractuel en cause le justifie.

1. Le contenu de la clause résolutoire

L’article 1225 du Code civil dispose que « la clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. »

?L’étendue de la clause

Il ressort de cette disposition qu’il appartient aux contractants de viser précisément dans la clause les manquements contractuels susceptibles d’entraîner la résolution du contrat.

Le champ d’application de la clause résolutoire est ainsi exclusivement déterminé par les prévisions des parties.

Aussi, les contractants sont-ils libres de sanctionner n’importe quel manquement par l’application de la clause résolutoire. Sauf stipulation expresse, la gravité du manquement est donc indifférente, l’important étant que l’inexécution contractuelle dont se prévaut le créancier soit visée par la clause.

À cet égard, lors des travaux préparatoires portant sur la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016, certains auteurs se sont demandé si l’obligation pour les parties de préciser « les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat » devait les contraindre à dresser la liste, engagement par engagement et si, de ce fait, les clauses résolutoires visant de manière générale tout type de manquement, courantes en pratique, seraient désormais invalidées.

Pour la Commission des lois, tel ne devrait pas être le cas. Le texte autoriserait, selon elle, la survivance de ces clauses dites « balais ».

À l’examen, l’article 1225 exige seulement que la clause exprime les cas dans lesquels elle jouera, et ne s’oppose donc pas à l’insertion d’une clause qui préciserait qu’elle jouera en cas d’inexécution de toute obligation prévue au contrat. La jurisprudence antérieure validant ce type de clauses a donc vocation à survivre.

?La rédaction de la clause

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle que « la clause résolutoire de plein droit, qui permet aux parties de soustraire la résolution d’une convention à l’appréciation des juges, doit être exprimée de manière non équivoque, faute de quoi les juges recouvrent leur pouvoir d’appréciation » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1986, n°84-15.705).

La clause résolutoire doit ainsi être rédigée en des termes clairs et précis, faute de quoi le juge peut écarter son application.

À cet égard, en cas d’ambiguïté de la clause, l’article 1190 du Code civil prévoit que « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »

Aussi, non seulement la clause doit clairement viser les manquements contractuels susceptibles d’entraîner la résolution du contrat, mais encore elle doit, selon la Cour de cassation, « exprimer de manière non équivoque la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à leur convention » (Cass. 1ère civ., 16 juill. 1992, n° 90-17.760).

?Dispositions spéciales

Dans certaines matières, le législateur a encadré la stipulation de clauses résolutoires, le plus souvent par souci de protection de la partie réputée la plus faible.

  • En matière de bail d’habitation, l’article 4 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 dispose que « est réputée non écrite toute clause […] qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d’inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du dépôt de garantie, la non-souscription d’une assurance des risques locatifs ou le non-respect de l’obligation d’user paisiblement des locaux loués, résultant de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée »
  • En matière de bail commercial, l’article L. 145-41 du Code de commerce prévoit que « toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. »
  • En matière de procédure collective, l’article L. 622-14 du Code de commerce dispose que « lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement. »
  • En matière de contrat d’assurance-vie, l’article L. 132-20 du Code des assurances pose que « lorsqu’une prime ou fraction de prime n’est pas payée dans les dix jours de son échéance, l’assureur adresse au contractant une lettre recommandée par laquelle il l’informe qu’à l’expiration d’un délai de quarante jours à dater de l’envoi de cette lettre le défaut de paiement, à l’assureur ou au mandataire désigné par lui, de la prime ou fraction de prime échue ainsi que des primes éventuellement venues à échéance au cours dudit délai, entraîne soit la résiliation du contrat en cas d’inexistence ou d’insuffisance de la valeur de rachat, soit la réduction du contrat. »

2. La mise en œuvre de la clause résolutoire

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que la clause résolutoire puisse être mise en œuvre.

?Le droit d’option du créancier

Parce que le principe qui préside à l’application des sanctions attachées à l’inexécution contractuelle est celui du libre choix du créancier, la mise en œuvre de la clause résolution est à sa main.

Autrement dit, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire, le créancier peut renoncer à la mettre en œuvre.

À cet égard, dans un arrêt du 27 avril 2017, la Cour de cassation a jugé, après avoir relevé que « la clause résolutoire avait été stipulée au seul profit du bailleur et que celui-ci demandait la poursuite du bail […] que la locataire ne pouvait se prévaloir de l’acquisition de la clause » (Cass. 3e civ. 27 avr. 2017, n°16-13.625)

À l’analyse, seule la stipulation d’une clause résolutoire dont la mise en œuvre est automatique, soit n’est pas subordonnée à la mise en demeure du débiteur, est susceptible de faire échec à la renonciation du créancier à se prévaloir d’une autre sanction, en particulier de l’exécution forcée (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 21 mars 1995, n° 93-12.177).

?La mise en demeure du débiteur

L’article 1225 du Code civil pris en son second alinéa dispose que « la résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • Premier enseignement : l’exigence de mise en demeure du débiteur
    • L’application de la clause résolutoire est subordonnée à la mise en demeure du débiteur.
    • Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de subir l’anéantissement du contrat.
    • Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
    • Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.
    • En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :
      • Soit par voie de signification
      • Soit au moyen d’une lettre missive
  • Deuxième enseignement : l’exigence de mention de la clause résolutoire
    • En application de l’article 1225 du Code civil, pour valoir mise en demeure, l’acte doit expressément viser la clause résolutoire.
    • À défaut, le créancier sera privé de la possibilité de se prévaloir de la résolution du contrat.
    • Pour être valable, la mise en demeure doit donc comporter
      • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
      • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
      • La menace d’une sanction
      • La mention de la clause résolutoire
  • Troisième enseignement : la dispense de mise en demeure
    • Si l’article 1223 du Code civil pose érige au rang de principe l’exigence de mise en demeure, ce texte n’en est pas moins supplétif.
    • C’est la raison pour laquelle il précise que l’exigence de mise en demeure n’est requise que si les parties n’ont pas convenu que la clause résolutoire jouerait du seul fait de l’inexécution.
    • Dans ces conditions, libre aux contractants d’écarter l’exigence de mise en demeure.
    • La résolution du contrat opérera, dès lors, automatiquement, sans qu’il soit besoin pour le créancier de mettre en demeure le débiteur : il lui suffit de constater un manquement contractuel rentrant dans le champ de la clause.
    • Reste que dans un arrêt du 3 février 2004, la Cour de cassation a précisé que pour que la dispense de mise en demeure soit efficace, elle doit être expresse et non équivoque (Cass. 1ère civ. 3 févr. 2004, n°01-02.020).

?La bonne foi des parties

Bien que l’article 1225 soit silencieux sur la bonne foi des parties, il est de jurisprudence constante que :

  • La bonne foi du créancier, d’une part, est une condition de mise en œuvre de la clause résolutoire
    • Régulièrement la Cour de cassation rappelle que la mauvaise foi du créancier neutralise l’application de la clause résolutoire dont il ne peut alors pas se prévaloir (Cass. 1ère civ. 16 févr. 1999, n°9—21.997).
    • Cette règle procède du principe général énoncé à l’article 1104 du Code civil aux termes duquel « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
    • Ainsi, est-il constant que le bailleur se voit refuser l’acquisition de la clause résolutoire en raison de la mauvaise foi dont il a fait montre au cours de l’exécution du contrat (V. en ce sens Cass. 3e civ. 3 nov. 2010, n°09-15.937).
  • La bonne foi du débiteur, d’autre part, ne saurait fait échec au jeu de la clause résolutoire
    • Dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a jugé que « en cas d’inexécution de son engagement par le débiteur sa bonne foi est sans incidence sur l’acquisition de la clause résolutoire » (Cass. 3e civ., 24 sept. 2003, n° 02-12.474).
    • L’intérêt de stipuler une clause résolutoire réside dans l’objectivité du critère de sa mise en œuvre : elle est acquise en cas manquement contractuel rentrant dans son champ d’application et indépendamment de la gravité de l’inexécution.
    • Lier sa mise en œuvre à la bonne foi du débiteur reviendrait alors à vider de sa substance l’intérêt de sa stipulation.