L’autonomie bancaire des époux: l’ouverture d’un compte personnel (art. 221, al. 1er C. civ.)

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment la réalisation d’un certain nombre de dépenses nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait donc, pratiquement, qu’elle soit en possession d’argent et qu’elle manipule de la monnaie.

Au cours du XXe siècle, le système monétaire a considérablement évolué sous l’effet de l’apparition de la monnaie scripturale, soit de la monnaie dont la création et la circulation impliquent une inscription en compte.

Le développement de cette monnaie scripturale a, mécaniquement, considérablement accru le rôle du banquier qui est devenu un fournisseur de moyens incontournable des ménages.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser au banquier que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à faire fonctionner le compte du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant plusieurs présomptions de pouvoir au profit de la femme mariée, dont une présomption en matière bancaire.

Cette présomption, énoncée à l’article 221 du Code civil, prévoyait que « la femme peut, sur sa seule signature, faire ouvrir, par représentation de son mari, un compte courant spécial pour y déposer ou retirer les fonds qu’il laisse entre ses mains ».

Ainsi, la femme mariée était-elle désormais investie du pouvoir de se faire ouvrir, sans l’autorisation de son mari, un compte ménager pour la réalisation des opérations bancaires de la vie courante.

Le législateur avait néanmoins pris le soin de préciser lors de l’adoption de la loi du 1er février 1943 que le mari disposait de la faculté de faire opposition aux opérations accomplies par son épouse, de révoquer le pouvoir de cette dernière sur le compte et de disposer du solde créditeur.

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 221 du Code civil nouvellement adopté ne lui reconnaissait une autonomie bancaire que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie, à tout le moins s’agissant de la gestion des deniers communs.

En effet, la loi du 22 septembre 1942 lui avait reconnu, et c’est là l’une des premières marques d’émancipation de la femme mariée, le droit de se faire ouvrir, sans qu’il soit nécessaire qu’elle obtienne l’autorisation de son mari, un compte personnel pour y déposer les fonds qu’elle détenait en propre.

L’article 222 du Code civil prévoyait en ce sens que « lorsque la femme a l’administration et la jouissance de ses biens personnels ou des biens réservés qu’elle acquiert par l’exercice d’une activité professionnelle séparée, elle peut se faire ouvrir un compte courant en son nom propre ».

Si, en droit, ces mesures adoptées par le législateur, ont étendu de façon substantielle l’autonomie bancaire de la femme mariée, en pratique cette autonomie est demeurée limitée.

Elle s’est, en effet heurtée à la résistance des banquiers qui exigeaient toujours :

  • Soit la justification du régime matrimonial, de la provenance des fonds ou encore de l’exercice d’une profession séparée
  • Soit l’intervention directe du mari aux fins de participation à l’acte

Ces demandes excessives de justification étaient motivées par la crainte des banquiers de traiter avec une femme mariée qui ne disposait pas du pouvoir d’accomplir l’acte sollicité.

Si cette dernière était investie du pouvoir de disposer de ses biens propres et réservés, encore fallait-il que le banquier s’assure de leur provenance. Or cela supposait que la femme mariée apporte une justification pour chaque dépôt de fonds.

Relevant que le système qu’il avait institué par les lois des 22 septembre 1942 et 1er février 1943 ne conférait pas à la femme mariée l’autonomie bancaire qu’il avait envisagée initialement, le législateur a cherché à le réformer à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 221 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour l’ouverture d’un compte ménager, mais du pouvoir d’ouvrir un tel compte en son nom propre.

Par compte ménager, il faut entendre un compte sur lesquels sont susceptibles d’être déposés, tout autant des fonds propres que des fonds communs.

Jusqu’alors, la femme mariée était autorisée à ouvrir un compte en son nom propre que pour y déposer les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Désormais, la provenance des fonds qu’elle est susceptible de déposer sur ses comptes est indifférente : la femme mariée est investie du droit de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom propre quel que soit le motif et de le faire fonctionner librement.

Le nouvel article 221 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »
  • D’autre part, « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

En autorisant les époux à se faire librement ouvrir un compte personnel et en faisant présumer qu’ils sont investis du pouvoir de faire fonctionner ce compte, sans qu’il soit besoin pour eux de recueillir l’accord de leur conjoint, il n’est dès lors plus nécessaire pour le banquier d’exiger la fourniture de justifications.

Par le jeu de cette présomption, les opérations accomplies par un époux seul sur un compte ouvert en son nom propre ne risquaient plus d’être remises en cause par son conjoint au préjudice du banquier.

L’autonomie bancaire qui avait été envisagée par le législateur en 1942 pouvait alors véritablement opérer.

Parce que l’article 221 du Code civil conférait aux époux une complète autonomie en matière bancaire, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs ne l’a quasiment pas retouché.

L’intervention du législateur s’est limitée à préciser que la présomption de pouvoir instituée au profit du dépositaire à l’égard du déposant s’agissant du fonctionnement du compte continuait à produire ses effets « même après la dissolution du mariage ».

Cette précision visait à mettre un terme à une controverse jurisprudentielle et doctrinale née consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

La question s’était, en effet, posée de savoir quels étaient les droits et obligations de l’époux sur les comptes que son conjoint avait ouvert en son nom propre lors de la dissolution du mariage.

Fallait-il considérer que la dissolution emportait extinction de la présomption de pouvoir ou, à l’inverse, qu’elle survivait à la disparition de l’union matrimoniale.

Le législateur a opté, en 1985, pour la seconde solution, l’objectif recherché étant d’éviter, au moment de la dissolution du mariage, un blocage des comptes personnels des époux.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière bancaire par l’adoption de deux deux dispositifs qui intéressent :

  • D’une part, l’ouverture du compte
  • D’autre part, le fonctionnement du compte

Nous nous focaliserons ici sur le premier dispositif mis en place par l’article 221 du Code civil.

I) Le principe de liberté d’ouverture des comptes

L’article 221 du Code civil prévoit que « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »

Il ressort de cette disposition que les époux sont libres de se faire ouvrir, en leur nom propre, un compte bancaire, sans qu’il leur soit besoin d’obtenir le consentement du conjoint.

La consécration de cette liberté dans le Code civil et plus précisément dans la partie dédiée au régime primaire impératif, procède de la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux.

Il a, en effet, fallu attendre la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 pour que soit aboli le statut de la femme mariée qui la plaçait sous la tutelle de son mari.

À partir de 1942 elle était certes autorisée à se faire ouvrir un compte personnel pour les biens personnels ou réservés dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Toutefois, elle devait obtenir l’autorisation de son mari s’agissant de l’ouverture d’un compte ménager, soit d’un compte sur lequel seraient déposés des deniers communs.

Elle ne pouvait donc agir qu’en représentation de son mari, ce qui avait conduit les banquiers à systématiquement exiger de la femme mariée qu’elle se justifie quant à sa situation matrimoniale et à la provenance des fonds qu’elle entendait déposer.

Désormais, la liberté dont jouit la femme mariée quant à l’ouverture d’un compte bancaire est des plus complète.

Ainsi que le relève un auteur, l’originalité de l’alinéa 1er de l’article 221 du Code civil « réside, non pas dans l’octroi à la femme du droit de se faire ouvrir un compte à son nom personnel sans le consentement de son mari […], mais bien dans le fait de la placer à égalité avec lui ; pour elle, la faculté est devenue générale comme elle l’a toujours été pour le mari, et qui plus est le législateur fait en sorte que disparaissent les entravent qu’en pratique l’exercice de ce droit subissait »[1].

Au fond, il faut comprendre cette disposition comme visant moins à consacrer la liberté d’ouverture des comptes dont jouissent les époux, qu’à signaler l’abolition de l’assujettissement de femme mariée à son époux en matière bancaire.

II) L’étendue de la liberté d’ouverture des comptes

L’article 221, al. 1er du Code civil prévoit que les comptes concernés par la liberté conférée aux époux en matière bancaire sont :

  • D’une part, les comptes de dépôt et les comptes titres
  • D’autre part, les comptes ouverts sous le « nom personnel » des époux

A) Les comptes de dépôt et les comptes titres

==> S’agissant des comptes de dépôt

Le compte de dépôt, qualifié encore de compte à vue, de compte chèque ou encore de compte courant est un instrument permettant de déposer des fonds et d’effectuer des opérations financières.

La formule retenue est volontairement large, l’objectif recherché par le législateur étant de viser, tout autant les comptes de dépôt sur livret, que les comptes de dépôt à terme. La particularité de ces comptes spéciaux est qu’ils ne peuvent pas donner lieu à l’émission de chèques.

Ainsi que le révèlent les travaux parlementaires, initialement, il était prévu de circonscrire la liberté des époux d’ouverture d’un compte aux seuls comptes chèques, à l’exclusion de tout autre compte.

Cette limitation n’a finalement pas été retenue par le législateur qui a préféré viser tous les comptes de dépôt, pourvu qu’ils soient ouverts dans les livres d’un établissement bancaire ou financier au sens de l’article L. 511-1 du Code monétaire et financier.

Il en résulte que l’article 221 du Code civil serait inapplicable, s’agissant de l’ouverture d’un compte de dépôt auprès d’une personne qui n’endosserait pas cette qualité, soit qui ne serait pas titulaire de l’agrément délivré par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).

Tel serait le cas d’un particulier, d’un notaire, d’un avocat ou encore d’un commerçant, qui, par hypothèse, ne sont pas des professionnels des opérations de banque, ni ne sont, d’ailleurs, pas autorisés à en réaliser, ce domaine d’activité relevant du monopole des établissements agréés.

==> S’agissant des comptes titres

A la différence du compte de dépôt, le compte titre est un instrument permettant de déposer, non pas de la monnaie, mais des valeurs mobilières.

La question s’est alors posée, faute d’indication dans les travaux parlementaires, si le texte visait les seuls titres au porteur, soit ceux détenus de façon anonyme par l’investisseur ou s’il fallait inclure les titres nominatifs, c’est-à-dire ceux dont le nom du porteur est attaché au titre.

D’aucuns soutenaient, en effet, qu’il y avait lieu d’exclure ces derniers du domaine de l’article 221 du Code civil dans la mesure où la détention de titres nominatifs pouvait se faire en dehors de toute inscription en compte.

La controverse née en doctrine a finalement été tranchée à l’aune de l’adoption de la loi n°81-1160 du 30 décembre 1981 complétée par le décret n°83-359 du 2 mai 1983 qui, sous l’effet de la dématérialisation des valeurs mobilières, a rendu obligatoire l’inscription en compte, tant des titres aux porteurs que des titres nominatifs[2].

L’article 221 du Code civil a, dans ces conditions et de l’avis unanime des auteurs, vocation à s’appliquer pour les deux sortes de titres.

B) Les comptes ouverts sous le nom personnel des époux

L’article 221 du Code civil prévoit qu’un époux est autorisé à se faire ouvrir sans le consentement de son conjoint un compte bancaire « en son nom personnel ».

Des auteurs se sont interrogés sur le sens à donner à cette précision. Faut-il comprendre que l’ouverture d’un compte par un époux avec des tiers, tel qu’un compte joint ou un compte indivis, ne serait pas visée par l’article 221 ?

La doctrine majoritaire répond par l’affirmative à cette question, considérant qu’il s’agit là d’« une survivance malheureuse de l’époque où il fallait distinguer le compte personnel de la femme mariée de celui qu’elle ouvrait en représentation de son mari »[3].

Autrement dit, par la formule « en son nom personnel », il faut entendre que l’époux, et plus précisément l’épouse, est libre, en toutes circonstances, de se faire ouvrir un compte, y compris ménager, sans qu’il lui soit besoin d’obtenir le consentement de son conjoint.

À l’analyse l’esprit qui anime la règle énoncée à l’article 221 consiste à interdire au banquier d’exiger d’un époux qui sollicite l’ouverture d’un compte qu’il justifie de sa situation matrimoniale ou de la provenance des fonds ou des titres qu’il entend déposer.

III) L’exercice de la liberté d’ouverture des comptes

La liberté dont jouit chaque époux de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom personnel emporte deux conséquences :

  • D’une part, chaque époux peut se faire ouvrir un compte en son nom personnel sans qu’il lui soit besoin d’obtenir l’autorisation de son conjoint
  • D’une part, il est fait interdiction au banquier de subordonner l’ouverture du compte à la fourniture d’informations relatives à la situation matrimoniale de son client

==> Sur l’absence d’exigence d’obtention de l’autorisation du conjoint

L’article 221 du Code civil précise expressément que l’ouverture par un époux d’un compte bancaire en son nom personnel n’est pas subordonnée à l’obtention de l’autorisation de son conjoint.

Cette précision vise à garantir une autonomie des plus larges aux époux, et plus encore à rappeler que, en matière bancaire, la femme mariée est désormais libérée de la tutelle de son mari.

Parce qu’elle relève du régime primaire, il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle il ne peut pas être dérogé par convention contraire.

Pratiquement, elle implique que le banquier ne saurait se voir reprocher d’avoir ouvert un compte bancaire à un époux sans avoir sollicité le consentement du conjoint, quand bien même les fonds déposés sur ce compte appartiendraient en propre à ce dernier.

En pareille hypothèse, ainsi qu’il l’a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2008, il appartient à celui qui revendique la propriété des fonds de rapporter la preuve de leur caractère propre (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2008, n°07-16.545).

À cet égard, la première chambre civile a pris le soin de préciser, dans cette décision, s’agissant d’époux sont mariés sous un régime de communauté, que « les deniers déposés sur le compte bancaire d’un époux sont présumés, dans les rapports entre conjoints, être des acquêts ».

Il en résulte que la nature de propre des fonds versés sur le compte d’un époux ne peut se déduire du seul fait qu’ils proviennent de son compte personnel.

En application de l’article 1402 du Code civil, ils sont présumés être des biens communs, charge à l’époux titulaire du compte de rapporter la preuve contraire.

==> Sur l’interdiction faite au banquier d’exiger la fourniture de justifications

Si le législateur est intervenu en 1965 pour réformer le dispositif qu’il avait institué vingt ans plus tôt à l’article 221 c’était, outre sa volonté d’instaurer une véritable égalité entre les époux en matière bancaire, pour mettre un terme à une pratique contraire à l’esprit de la loi de 1942 qui s’était installée chez les banquiers.

En effet, alors même que cette loi conférait à la femme mariée le pouvoir, soit d’agir en représentation de son mari pour les opérations accomplies sur le compte ménager, soit d’agir en son nom propre pour les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive, les établissements bancaires exigeaient systématiquement que ces dernières justifient de leur situation matrimoniale et de la provenance des fonds déposés sur leur compte personnel.

Tel qu’il est désormais rédigé, l’article 221 du Code civil interdit au banquier de solliciter la fourniture de telles justifications aux époux.

Tout au plus, il peut – et c’est même une obligation légale – vérifier l’identité de l’époux sollicitant l’ouverture d’un compte bancaire préalablement à toute entrée en relation (V. en ce sens l’article 561-5 du Code monétaire et financier).

Pour ce qui est, en revanche, de la situation matrimoniale de son client, il lui est fait interdiction de demander tout renseignement en lien avec cette situation. Il engagerait sa responsabilité s’il subordonnait l’ouverture d’un compte à la fourniture de tels renseignements.

Cette interdiction ne vaut, toutefois, que pour l’ouverture d’un compte bancaire et les opérations de dépôt et de retrait associées.

Lorsqu’un époux sollicite, par exemple, l’octroi d’un crédit, le banquier est pleinement autorisé à l’interroger sur son régime matrimonial, dans la mesure où cette information lui permettra de déterminer l’étendue de son gage et d’en tirer toutes les conséquences quant aux garanties à prendre.

S’agissant de la provenance des fonds déposés sur le compte ouvert par un époux en son nom propre, les seules justifications qui peuvent être demandées par le banquier sont celles motivées par un soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement d’activités terroristes.

En dehors de cette motivation, il est fait interdiction aux établissements bancaires d’interroger les époux sur la provenance des fonds déposés sur les comptes personnels.

[1] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°225, p. 113.

[2] Sur cette question, V. A. Colomer, ibid, n°232, p. 115.

[3] R. Cabrillac, Droit des régimes matrimoniaux, éd. Montchrestien, 2011, n°68, p. 66.

L’autonomie bancaire des époux: vue générale (art. 221 C. civ.)

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’accomplissement d’un certain nombre de démarches. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Au nombre des missions confiées à la femme mariée figurait notamment la réalisation d’un certain nombre de dépenses nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante. Cette tâche supposait donc, pratiquement, qu’elle soit en possession d’argent et qu’elle manipule de la monnaie.

Au cours du XXe siècle, le système monétaire a considérablement évolué sous l’effet de l’apparition de la monnaie scripturale, soit de la monnaie dont la création et la circulation impliquent une inscription en compte.

Le développement de cette monnaie scripturale a, mécaniquement, considérablement accru le rôle du banquier qui est devenu un fournisseur de moyens incontournable des ménages.

Reste que, en l’absence de capacité juridique, elle n’était autorisée à s’adresser au banquier que par l’entremise de son mari.

C’est la raison pour laquelle, afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à faire fonctionner le compte du ménage.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les actes accomplis par son épouse, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant plusieurs présomptions de pouvoir au profit de la femme mariée, dont une présomption en matière bancaire.

Cette présomption, énoncée à l’article 221 du Code civil, prévoyait que « la femme peut, sur sa seule signature, faire ouvrir, par représentation de son mari, un compte courant spécial pour y déposer ou retirer les fonds qu’il laisse entre ses mains ».

Ainsi, la femme mariée était-elle désormais investie du pouvoir de se faire ouvrir, sans l’autorisation de son mari, un compte ménager pour la réalisation des opérations bancaires de la vie courante.

Le législateur avait néanmoins pris le soin de préciser lors de l’adoption de la loi du 1er février 1943 que le mari disposait de la faculté de faire opposition aux opérations accomplies par son épouse, de révoquer le pouvoir de cette dernière sur le compte et de disposer du solde créditeur.

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 221 du Code civil nouvellement adopté ne lui reconnaissait une autonomie bancaire que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie, à tout le moins s’agissant de la gestion des deniers communs.

En effet, la loi du 22 septembre 1942 lui avait reconnu, et c’est là l’une des premières marques d’émancipation de la femme mariée, le droit de se faire ouvrir, sans qu’il soit nécessaire qu’elle obtienne l’autorisation de son mari, un compte personnel pour y déposer les fonds qu’elle détenait en propre.

L’article 222 du Code civil prévoyait en ce sens que « lorsque la femme a l’administration et la jouissance de ses biens personnels ou des biens réservés qu’elle acquiert par l’exercice d’une activité professionnelle séparée, elle peut se faire ouvrir un compte courant en son nom propre ».

Si, en droit, ces mesures adoptées par le législateur, ont étendu de façon substantielle l’autonomie bancaire de la femme mariée, en pratique cette autonomie est demeurée limitée.

Elle s’est, en effet heurtée à la résistance des banquiers qui exigeaient toujours :

  • Soit la justification du régime matrimonial, de la provenance des fonds ou encore de l’exercice d’une profession séparée
  • Soit l’intervention directe du mari aux fins de participation à l’acte

Ces demandes excessives de justification étaient motivées par la crainte des banquiers de traiter avec une femme mariée qui ne disposait pas du pouvoir d’accomplir l’acte sollicité.

Si cette dernière était investie du pouvoir de disposer de ses biens propres et réservés, encore fallait-il que le banquier s’assure de leur provenance. Or cela supposait que la femme mariée apporte une justification pour chaque dépôt de fonds.

Relevant que le système qu’il avait institué par les lois des 22 septembre 1942 et 1er février 1943 ne conférait pas à la femme mariée l’autonomie bancaire qu’il avait envisagée initialement, le législateur a cherché à le réformer à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 221 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour l’ouverture d’un compte ménager, mais du pouvoir d’ouvrir un tel compte en son nom propre.

Par compte ménager, il faut entendre un compte sur lesquels sont susceptibles d’être déposés, tout autant des fonds propres que des fonds communs.

Jusqu’alors, la femme mariée était autorisée à ouvrir un compte en son nom propre que pour y déposer les fonds dont elle avait l’administration et la jouissance exclusive.

Désormais, la provenance des fonds qu’elle est susceptible de déposer sur ses comptes est indifférente : la femme mariée est investie du droit de se faire ouvrir un compte bancaire en son nom propre quel que soit le motif et de le faire fonctionner librement.

Le nouvel article 221 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, « chacun des époux peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel. »
  • D’autre part, « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

En autorisant les époux à se faire librement ouvrir un compte personnel et en faisant présumer qu’ils sont investis du pouvoir de faire fonctionner ce compte, sans qu’il soit besoin pour eux de recueillir l’accord de leur conjoint, il n’est dès lors plus nécessaire pour le banquier d’exiger la fourniture de justifications.

Par le jeu de cette présomption, les opérations accomplies par un époux seul sur un compte ouvert en son nom propre ne risquaient plus d’être remises en cause par son conjoint au préjudice du banquier.

L’autonomie bancaire qui avait été envisagée par le législateur en 1942 pouvait alors véritablement opérer.

Parce que l’article 221 du Code civil conférait aux époux une complète autonomie en matière bancaire, la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs ne l’a quasiment pas retouché.

L’intervention du législateur s’est limitée à préciser que la présomption de pouvoir instituée au profit du dépositaire à l’égard du déposant s’agissant du fonctionnement du compte continuait à produire ses effets « même après la dissolution du mariage ».

Cette précision visait à mettre un terme à une controverse jurisprudentielle et doctrinale née consécutivement à l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

La question s’était, en effet, posée de savoir quels étaient les droits et obligations de l’époux sur les comptes que son conjoint avait ouvert en son nom propre lors de la dissolution du mariage.

Fallait-il considérer que la dissolution emportait extinction de la présomption de pouvoir ou, à l’inverse, qu’elle survivait à la disparition de l’union matrimoniale.

Le législateur a opté, en 1985, pour la seconde solution, l’objectif recherché étant d’éviter, au moment de la dissolution du mariage, un blocage des comptes personnels des époux.

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à conférer à la femme mariée une sphère de liberté l’autorisant à agir seule.

Cette autonomie dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, se traduit en matière bancaire par l’adoption de deux dispositifs qui intéressent :

  • D’une part, l’ouverture du compte
  • D’autre part, le fonctionnement du compte

La solidarité des dettes ménagères: régime juridique

==> Vue générale

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’engagement d’un certain nombre de dépenses courantes. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à contracter avec les tiers pour tout ce qui avait trait aux dépenses de la vie courante.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les dépenses de la vie courante, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant une présomption de pouvoir de la femme mariée à l’article 220 du Code civil.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « la femme mariée a, sous tous les régimes, le pouvoir de représenter le mari pour les besoins du ménage et d’employer pour cet objet les fonds qu’il laisse entre ses mains. »

Et le second alinéa du texte de préciser que « les actes ainsi accomplis par la femme obligent le mari envers les tiers, à moins qu’il n’ait retiré à la femme le pouvoir de faire les actes dont il s’agit, et que les tiers n’aient eu personnellement connaissance de ce retrait au moment où ils ont traité avec elle. »

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 220 du Code civil nouvellement adopté par la loi du 22 septembre 1942 ne lui reconnaissait une autonomie ménagère que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie.

Il en résultait une situation pour le moins cocasse s’agissant de l’étendue du gage des créanciers auprès desquels elle souscrivait une dette ménagère :

  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la communauté, seuls les biens personnels de son mari et les biens communs étaient engagés
  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la séparation de biens, le gage des créanciers se limitait aux biens propres de son mari

En tout état de cause, parce qu’elle agissait en représentation de son mari pour les dépenses ménagères, la femme mariée n’engageait jamais ses biens propres (réservés), alors même qu’elle était investie du pouvoir juridique d’en disposer seule.

Afin de neutraliser cet effet indésirable du mandat domestique qui conduisait à réduire le gage des créanciers, dès 1934 la Cour de cassation avait reconnu une obligation solidaire pesant sur les époux séparés en biens s’agissant des dépenses ménagères (V. en ce sens Cass. req. 31 oct. 1934).

Cette reconnaissance d’une solidarité ménagère des époux a, par suite, été internée par le législateur à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 220 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour les dépenses de la vie courante, mais un pouvoir propre d’engager le ménage envers les tiers au titre de cette catégorie de dépenses.

Ce texte prévoit désormais que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. »

Il régit ainsi les rapports que les époux entretiennent avec les tiers pour ce que l’on appelle les dépenses ménagères.

À cet égard, le dispositif ainsi institué à l’article 220 du Code civil ne doit pas être confondu avec celui posé à l’article 214 du Code civil qui intéresse l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Ces deux dispositions énoncent des mécanismes distincts et complémentaires.

==> Contribution aux charges du mariage et solidarité des dettes ménagères

L’obligation de contribution aux charges du mariage envisagée à l’article 214 du Code civil doit donc fondamentalement être distinguée du principe de solidarité des dettes ménagères énoncé à l’article 220.

Tandis que l’une se rapporte à ce que l’on appelle la contribution à la dette, l’autre intéresse l’obligation à la dette.

  • L’obligation à la dette
    • L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des époux.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté et, si oui, dans quelle mesure.
      • Exemple:
        • Un époux se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son conjoint.
        • La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’époux contractant, le vendeur pourra se retourner contre son conjoint, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération et qu’il n’est donc pas partie au contrat.
        • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.
    • Aussi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les époux.
    • Elle est notamment traitée à l’article 220 du Code civil qui institue un principe de solidarité pour le règlement des dettes ménagères.

  • La contribution à la dette
    • La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque époux dans les charges du mariage.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelles proportions les époux doivent-ils réciproquement supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.
    • L’article 214 du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque époux est proportionnelle à leurs facultés respectives.
      • Exemple :
        • Les dépenses de fonctionnement d’un couple marié s’élèvent à 1.000 euros
        • L’un des époux perçoit un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
        • Celui qui gagne 3.000 euros devra donc contribuer deux fois plus que son conjoint aux charges du mariage.
    • La contribution à la dette intéresse ainsi les rapports que les époux entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.
    • Cette contribution est réglée par l’article 214 du Code civil qui règle la contribution aux charges du mariage.

En résumé, lorsqu’un époux est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son conjoint, il pourra toujours se retourner contre ce dernier, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Aussi, le traitement d’une difficulté relative au règlement d’une dette contractée par un époux sans le consentement de son conjoint, supposera de toujours raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le conjoint de l’époux qui a contracté la dette ?
    • S’il s’agit d’une dette ménagère au sens de l’article 220 du Code civil, il pourra actionner indifféremment l’un des deux époux pour le tout.
    • Une fois le règlem.ent de la dette effectué, la détermination de sa répartition entre les époux relève de la question de la contribution aux charges du mariage
  • Second temps : la contribution à la dette
    • L’époux qui a désintéressé le tiers, alors même qu’il n’avait pas contracté la dette, peut-il se retourner contre son conjoint et, si oui, dans quelle proportion ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 214 du Code civil qui prévoit qu’une telle action n’est recevable qu’à la condition que la dette qui a été réglée endosse la qualification de charge du mariage.
    • Il faut encore que soit démontré que l’époux contre lequel l’action est dirigée n’a pas contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés.
    • Si tel est le cas, ce dernier devra supporter à titre définitif, une partie, voire la totalité, du poids de la dette

==> Champ d’application

L’article 220 du Code civil relève de ce que l’on appelle le régime primaire impératif applicable.

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 220 du Code civil qui régit l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères.

La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 2 mai 2001, que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

La première chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 12 décembre 2006 (Cass. 1ère civ. 12 déc. 2006, n°05-17.426), puis dans un arrêt du 23 mars 2011 où elle reprend, à l’identique, son attendu de principe énoncé dans son arrêt rendu en 2001 (Cass. 1ère civ. 23 mars 2011, n°09-71.261)

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

À cet égard, l’article 1310 du Code civil prévoit que « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ».

Il s’infère de cette disposition que la seule solution pour les concubins de bénéficier du dispositif instauré à l’article 220 du Code civil, c’est de stipuler dans les contrats qu’ils concluent avec les tiers une clause de solidarité.

En pratique, la stipulation d’une telle clause leur sera d’ailleurs imposée par les tiers et notamment lorsqu’il s’agira pour les concubins de souscrire un emprunt ou un bail en commun.

Dans un arrêt du 27 avril 2004, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa des articles 220 et 1202 du Code civil « qu’aux termes du second de ces textes, la solidarité ne se présume point ; qu’il faut qu’elle soit expressément stipulée ; que cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi ; que le premier, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en cas de concubinage » (Cass. 1ère civ. 27 avr. 2004, n°02-16291).

La solidarité entre concubins n’a ainsi vocation à jouer qu’à la condition qu’elle ait été expressément stipulée, faute de quoi seul le concubin qui s’est engagé sera tenu envers le tiers.

Réciproquement, le créancier ne pourra actionner en paiement que celui avec lequel il a contracté, peu importe qu’il soit insolvable et que son concubin, non partie à l’acte, dispose de la capacité financière de régler sa créance.

S’agissant du poids définitif de la dette, celui qui a réglé ne disposera d’aucun recours contre son concubin dans la mesure où, à l’instar de l’article 220 du Code civil, l’article 214 n’est pas applicable au couple de concubins (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Il est donc indifférent qu’il ait réglé une dette au-delà de sa part contributive, alors même qu’elle a été souscrite dans l’intérêt du ménage.

Dans cette étude, consacrée à la solidarité des dettes ménagères, nous ne nous focaliserons donc que sur le couple marié, étant précisé que le régime matrimonial pour lequel il a opté sans incidence sur l’application de l’article 220 du Code civil.

Parce que cette disposition relève du régime primaire impératif, elle est d’ordre public. Les époux ne peuvent donc pas y déroger par convention contraire. Elle est donc applicable, tout autant aux époux mariés sous un régime communautaire, qu’aux époux mariés sous un régime séparatiste.

Dans cette perspective, dans un premier temps nous nous focaliserons sur le principe de solidarité des dettes ménagères après quoi nous envisagerons son domaine.

I) Le principe de solidarité des dettes ménagères

A) Le contenu de l’obligation de solidarité

L’article 220, al. 1er du Code civil prévoit que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. »

Il s’infère de cette disposition une règle de pouvoir constituée de deux principes distincts :

==> Premier principe : le pouvoir de contracter avec les tiers pour les dépenses ménagères

  • Exposé du principe
    • La première proposition de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil confère à chaque époux le pouvoir de contracter seul avec les tiers pour les dépenses ménagères.
    • Cela signifie donc qu’il n’est pas nécessaire, pour ce type de dépense, que les époux consentent tous les deux à l’acte.
    • Chaque époux est investi du pouvoir d’engager le ménage sans que l’autorisation de l’autre ne soit requise.
    • Ce pouvoir n’est pas seulement l’apanage du mari, il est également conféré à l’épouse qui n’est donc plus réputée agir au titre d’un mandat domestique à l’effet de représenter son mari, comme cela était le cas sous l’empire du droit antérieur.
    • Désormais, tous deux sont investis, à parts égales, du même pouvoir dont l’octroi est un acquis de haute lutte de la femme mariée qui a finalement été entendue par le législateur en 1965.
  • Justification du principe
    • L’octroi d’une sphère d’autonomie aux époux se justifie pour des raisons d’ordre, tant pratiques, qu’économiques.
      • Sur le plan pratique
        • Il est absolument nécessaire que les époux disposent d’une sphère d’autonomie pour les dépenses ménagères, ce qui leur permet d’agir seuls pour ce type de dépenses courantes, sans avoir à solliciter systématiquement l’autorisation du conjoint.
        • Il s’agit, autrement dit, de faciliter le fonctionnement du ménage qui ne doit pas être paralysé par un excès de formalisme.
        • Pratiquement, il serait difficilement concevable d’imposer à un époux d’obtenir le consentement formel de son conjoint pour acheter une baguette de pain ou régler une facture d’électricité ou encore un loyer.
      • Sur le plan économique
        • L’octroi d’une sphère d’autonomie aux époux a pour effet d’augmenter la surface de crédit du ménage.
        • En effet, un tiers sera toujours plus enclin à contracter avec un époux s’il sait que ce dernier est investi du pouvoir d’engager le ménage et que donc l’assiette de son gage s’en trouvera augmentée d’autant.
        • Dans le cas contraire, il préférera, soit solliciter le consentement du conjoint à l’acte afin de s’assurer qu’il pourra l’actionner en paiement en cas de défaillance, soit ne pas conclure l’opération.
  • Fondement du principe
    • Il est une discussion en doctrine sur le fondement du principe d’autonomie ménagère des époux.
    • Lorsqu’un époux contracte auprès de tiers pour des dépenses ménagères, agit-il en représentation du ménage ou de son conjoint ?
    • Dans le premier cas, cela signifierait que le ménage serait doté d’une personnalité morale « atténuée », pour reprendre le qualificatif du Professeur Gérard Champenois et que donc il serait constitutif d’une sorte de société conjugale[3]. A cet égard, Portalis définissait le mariage comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent […]».
    • Dans le second cas, on pourrait voir dans le principe d’autonomie ménagère l’instauration d’un mandat de représentation mutuelle entre époux, chacun représentant l’autre pour les actes de la vie courante[4].
    • À l’examen, l’enjeu du fondement est ici moins pratique que théorique dans la mesure où c’est la loi qui instaure une solidarité entre époux pour les dépenses ménagères.

==> Second principe : la solidarité des époux pour les dettes ménagères souscrites auprès des tiers

  • Exposé du principe
    • La seconde proposition de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil prévoit que toute dette ménagère contractée par un seul époux oblige l’autre solidairement.
    • Cette disposition instaure donc une solidarité entre les époux pour les dépenses dont l’objet est l’entretien du ménage et l’éducation des enfants.
    • La solidarité ainsi instituée est passive, en ce sens qu’elle octroie au créancier d’obligations souscrites au titre de dépenses ménagères deux débiteurs en la personne des époux.
    • L’instauration de cette solidarité passive entre époux emporte plusieurs conséquences :
      • L’obligation au total
        • L’une des principales caractéristiques de la solidarité passive est que les débiteurs sont tenus à une même dette, quelle que soit la cause de leur engagement.
        • En raison de cette unicité de la dette qui échappe au principe de division, il en résulte que chacun est obligé à la totalité de la dette.
        • L’article 1313, al. 1er prévoit en ce sens que « la solidarité entre les débiteurs oblige chacun d’eux à toute la dette».
        • Appliqué à la situation du couple marié, cela signifie le créancier peut réclamer à n’importe quel époux de régler la totalité de la dette contractée seul par l’autre conjoint.
        • Il est donc indifférent que l’époux qui est actionné en paiement pour le tout ne soit pas partie à l’acte : il est obligé solidairement avec son conjoint qui a souscrit seul une dette ménagère auprès d’un tiers.
      • La faculté d’élection du créancier
        • Aux termes de l’article 1313, al. 2e du Code civil, « le créancier peut demander le paiement au débiteur solidaire de son choix. »
        • Le créancier dispose donc de ce que l’on appelle traditionnellement une faculté d’élection.
        • Il peut, en effet, choisir discrétionnairement celui d’entre les codébiteurs auquel il réclamera le paiement, par voie extrajudiciaire ou judiciaire, sans avoir à mettre en cause les autres ou même simplement les avertir.
        • Les codébiteurs, tous placés sur le même plan, ne jouissent d’aucun bénéfice de discussion et bien évidemment d’aucun bénéfice de division.
        • Le créancier d’une dette ménagère peut ainsi décider d’actionner en paiement, selon son bon vouloir et pour le tout, l’un ou l’autre époux.
      • La pluralité de liens d’obligations fonde une pluralité de poursuites
        • Contrairement à la solution ancienne du droit romain fondée sur la litis contestatio, les poursuites engagées contre l’un des débiteurs n’empêchent pas le créancier d’agir contre les autres.
        • L’article 1313, al. 2 dispose que « les poursuites exercées contre l’un des débiteurs solidaires n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres. »
        • Il appartiendra néanmoins au créancier lorsqu’il diligentera des poursuites ultérieures de déduire du montant de sa demande le paiement partiel précédemment obtenu de l’un des codébiteurs.
      • Unicité de la dette
        • En raison de l’unicité de la dette, qui donc ne fait pas l’objet d’une division, les différents rapports d’obligation sont placés sous la dépendance mutuelle de leur exécution réciproque.
        • La conséquence en est que paiement fait par l’un des débiteurs libère les autres à l’égard du créancier.
        • Cette règle est exprimée à l’article 1313, al. 1er du Code civil.
    • Une fois le créancier d’une dette ménagère désintéressé, l’époux qui a réglé disposera d’un recours contre son conjoint au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage énoncée par l’article 214 du Code civil.
    • Encore faudra-t-il qu’il démontre que son codébiteur ne s’est pas acquitté de son obligation à hauteur de sa part contributive.
  • Portée du principe
    • La portée du principe de solidarité diffère selon que régime matrimonial applicable aux époux présente un caractère séparatiste ou communautaire.
      • S’agissant des régimes séparatistes
        • Lorsque les époux sont mariés sous un régime séparatiste, le principe de solidarité ménagère déroge à la règle selon laquelle les dettes contractées par un époux n’engagent pas son conjoint.
        • L’article 1536, al. 2e du Code civil dispose en ce sens que « lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens […] chacun d’eux reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage»
        • Le texte précise néanmoins que cette règle s’applique « hors le cas de l’article 220».
      • S’agissant des régimes communautaires
        • Lorsque les époux sont mariés sous un régime communautaire, le principe de solidarité déroge à la règle selon laquelle la dette contractée seul par un époux n’engage, ni les biens propres de son conjoint ( 1418, al. 1er C. civ.), ni ses gains et salaires (art. 1414 C. civ.).
        • Reste que les deux règles sont en phase s’agissant de l’engagement des biens communs ordinaires.
        • L’article 1413 du Code civil prévoit, en effet, que les dettes nées du chef d’un époux pendant la communauté peuvent « toujours être poursuivi sur les biens communs».
    • Au bilan, il apparaît que ce sont moins les règles des régimes communautaires que celles des régimes séparatistes qui se trouvent affectées par le jeu de l’article 220 du Code civil, lequel relève, on le rappelle, du régime primaire impératif.
  • Limite du principe
    • Quel que soit le régime matrimonial pour lequel les époux ont opté, le principe de solidarité ménagère se heurte à une limite : l’affectation par un époux de tout ou partie de son patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle.
    • L’article L. 526-6 du Code de commerce dispose que « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article L. 526-7. »
    • Ce texte autorise ainsi l’entrepreneur individuel, qui adopte le statut d’EIRL, à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.
    • La constitution d’un patrimoine d’affectation a pour effet la création d’un patrimoine professionnel séparé et distinct du patrimoine personnel de l’entrepreneur.
    • Ce patrimoine d’affectation sera ainsi hors de portée des créanciers domestiques qui ne pourront poursuivre l’entrepreneur marié que sur ses biens non affectés à son activité professionnelle.
    • L’article L. 526-12 du Code de commerce invite néanmoins à distinguer selon que les dettes contractées sont nées postérieurement à la déclaration d’’affectation ou antérieurement.
      • S’agissant des dettes nées postérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la condition que la déclaration d’affectation leur soit opposable, ce qui implique que les formalités requises par l’article L. 526-7 du Code de commerce aient été valablement accomplies
      • S’agissant des dettes nées antérieurement à la déclaration d’affectation
        • Elles sont exécutoires sur les biens affectés par l’entrepreneur individuel à son activité professionnelle à la double condition que :
          • D’une part, elles aient été mentionnées dans la déclaration
          • D’autre part, que cette déclaration ait été portée à la connaissance des créanciers concernés afin qu’ils soient en mesure d’exercer leur droit de former opposition
    • S’agissant des créanciers auxquels la déclaration d’affectation n’est pas opposable, ils ont, en application de l’article L. 526-12 du Code de commerce « pour seul gage général le patrimoine non affecté. »

B) La durée de l’obligation de solidarité

  1. Principe

Il est de principe que l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères pèse sur eux aussi longtemps que perdure le mariage.

Aussi, seule la dissolution de l’union matrimoniale est susceptible de mettre fin à cette obligation.

La question s’est alors posée de savoir si la séparation de fait ou de droit était susceptible de neutraliser la solidarité des époux.

==> S’agissant de la séparation de fait

La séparation de fait des époux est donc, en principe, sans incidence sur l’obligation de contribution aux charges du mariage.

À cet égard, dans un arrêt du 10 mars 1998, la Cour de cassation a affirmé que parce que « la séparation de fait laisse subsister les obligations nées du mariage » la séparation de fait des époux ne saurait « faire échec aux règles de la solidarité » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1998, n°96-15829).

La doctrine justifie la solution retenue par la Cour de cassation en reliant l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères à l’obligation de communauté de vie.

La séparation de fait étant constitutive d’une violation de l’obligation de communauté de vie, elle ne saurait dispenser les époux de satisfaire les engagements pris par l’un ou par l’autre envers les tiers dans l’intérêt du ménage.

L’enjeu de la protection des tiers n’est, d’ailleurs, pas sans renforcer le bien-fondé du principe dans la mesure où, par hypothèse, la séparation de fait ne leur est pas imposable.

Dans la mesure où ils ne sont donc pas censés être informés de la rupture de la vie commune des époux, admettre que cette situation puisse neutraliser le mécanisme de solidarité instauré par l’article 220 du Code civil reviendrait à faire courir le risque pour les tiers de voir l’assiette de leur gage diminué, car amputé, a minima, des biens propres du conjoint de l’époux avec lequel ils ont contracté.

Corrélativement, il en résulterait une diminution du crédit du ménage, la perspective d’une levée de la solidarité des époux pour cause de séparation de fait étant susceptible de conduire les tiers à faire montre de méfiance à leur endroit, soit tout le contraire du résultat recherché par le législateur lorsque, en 1965, l’article 220 du Code civil a été repensé.

Pour toutes ces raisons, la jurisprudence demeure fermement opposée à ce que la séparation de fait soit une cause de suspension de l’obligation de solidarité des époux.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cette obligation perdurait tant que la décision prononçant le divorce n’avait pas fait l’objet d’une transcription sur les registres d’état civil, formalité de publicité dont l’accomplissement est exigé pour que le divorce soit opposable aux tiers (V. en ce sens Cass. 3e civ. 22 oct. 2015, n°14-23726).

==> La séparation de droit

Si l’on conçoit aisément que la séparation de fait soit sans incidence sur le maintien de l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères pour les raisons ci-avant exposées, qu’en est-il lorsque la séparation des époux est de droit ?

Par séparation de droit, il faut entendre l’autorisation donnée par un juge aux époux de vivre séparément.

Cette autorisation peut intervenir :

  • Soit dans le cadre d’une procédure de divorce
  • Soit dans le cadre d’une procédure de séparation de corps

Dans les deux cas, tandis que le mariage subsiste, l’obligation de communauté de vie énoncée à l’article 215, al. 1er du Code civil est suspendue.

L’obligation de solidarité des époux connaît-elle, par contamination, le même sort ? Pour le déterminer, il convient d’opérer une distinction entre la séparation des époux qui résulte d’une séparation de corps de celle qui procède d’une autorisation judiciaire.

  • La séparation des époux résulte d’une séparation de corps
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a admis que l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères était suspendue, à la condition que le jugement prononçant la séparation de corps ait fait l’objet des formalités de publicité requises ( 3e civ. 2 juin 1993, n°91-14522).
    • Ainsi, toutes les dettes ménagères contractées par les époux postérieurement à l’inscription de la mention du jugement de séparation de corps en marge des registres d’état civil ne donnent pas lieu à solidarité.
    • Le gage des tiers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux avec lequel ils ont contracté, la séparation de corps instituant, entre les époux, un régime de séparation de biens.
  • La séparation des époux résulte d’une autorisation judiciaire
    • Dans cette hypothèse, la réponse apportée par la Cour de cassation, au gré des décisions, est sensiblement toujours la même.
    • Régulièrement, elle affirme que la séparation des époux, fût-elle autorisée par le juge, n’affecte pas l’obligation de solidarité qui pèse sur eux pour les dettes ménagères.
    • Il est donc indifférent qu’ils aient été autorisés, par une ordonnance de non-conciliation, à résider séparément : l’obligation de solidarité demeure (V. en ce sens 3e civ. 27 mai 1998, n°96-13543).
    • Si, certains auteurs, s’étonnent de la différence de traitement à laquelle se livre la Cour de cassation entre la séparation de corps et l’autorisation judiciaire de résidence séparée, elle répugne, pour l’heure, à revenir sur sa position.
  1. Tempérament

Nonobstant la rigidité du principe posé par la Cour de cassation qui n’admet la suspension de l’obligation de solidarité des dettes ménagères qu’en cas de séparation de corps des époux, elle a finalement consenti à assortir ce principe d’un tempérament.

Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a, en effet, admis que des dettes qui, en l’absence de séparation des époux, auraient été qualifiées de ménagères ne donnent pas lieu à solidarité.

Dans un arrêt du 15 novembre la Première chambre civile a ainsi jugé que la souscription d’un abonnement téléphonique par une femme mariée à son seul nom, alors qu’elle n’habitait plus avec son mari au moment de la souscription, n’obligeait pas solidairement ce dernier au paiement de la dette (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1984, n°93-12332).

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Cour de cassation a statué dans le même sens pour une indemnité d’occupation due par un époux qui, tandis qu’il était en instance de divorce avec son épouse, s’était maintenu dans le logement familial après la résiliation du bail (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19780).

Ces décisions ne sont manifestement pas sans avoir agité la doctrine qui s’est demandé s’il ne fallait pas y voir un fléchissement de la Cour de cassation sur sa position de refuser la suspension de l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères en cas de séparation de fait.

À l’examen, il s’agit moins d’un fléchissement que de l’adoption d’une approche, sous un autre angle, de la situation dans laquelle se trouvent les époux lorsqu’ils vivent séparément.

Au fond, l’obligation de solidarité des dettes ménagères ne se conçoit que lorsque ces dettes sont contractées dans l’intérêt du ménage.

Lorsque tel n’est pas le cas, cette obligation ne se justifie plus, raison pour laquelle la solidarité sera écartée par le juge auquel il appartient de systématiquement vérifier si la dépense litigieuse relève ou non de la catégorie des dépenses ménagères.

Cette vérification est cruciale, puisque détermine l’étendue du gage des créanciers et corrélativement celle de l’engagement du conjoint qui n’est pas partie à l’acte.

La lecture des arrêts rendus en 1994 et en 1995 révèle que c’est par ce biais de la qualification de la dépense que la Cour de cassation appréhende désormais la question du maintien de l’obligation de solidarité en cas de séparation de fait des époux.

Dans ces deux décisions, la Première chambre civile a, en effet, estimé que la solidarité n’avait pas lieu de jouer dans la mesure où la dette contestée avait été souscrite dans l’intérêt exclusif, tantôt de l’épouse qui avait contracté un abonnement téléphonique à son seul nom, tantôt du mari qui s’était maintenu seul dans la résidence familiale après la résiliation du bail.

Dans les deux cas, la Cour de cassation relève que la dépense n’était ni destinée à l’entretien du ménage, ni à l’éducation des enfants.

Elle en déduit que cette dépense ne pouvait pas être qualifiée de ménagère. Dans ces conditions, la solidarité devait être écartée.

Techniquement, la Cour de cassation n’est ainsi nullement revenue, sur sa position antérieure, ni ne l’a amendée ; elle a seulement adopté une autre approche qui consiste à s’interroger sur le caractère ou non ménager de la dépense.

Aussi, en cas séparation de fait des époux, le maintien de l’obligation de solidarité dépend de l’intérêt servi par la souscription de la dette.

  • Si la dépense est exposée dans l’intérêt exclusif d’un époux, alors il n’y aura pas lieu de faire jouer la solidarité.
  • Si, en revanche, la dette est souscrite dans l’intérêt du ménage, le gage des créanciers, tel qu’envisagé à l’article 220 du Code civil, ne sera pas affecté par la séparation des époux.

Reste la question de la sécurité des créanciers qui, dans bien des cas, ne seront pas informés de la séparation des époux.

En admettant que la solidarité puisse ne pas jouer en cas de séparation de fait ou de droit des époux, c’est leur faire supporter le risque d’une diminution de leur gage.

Par voie de conséquence, c’est toute l’économie de l’article 220 du Code civil qui s’en trouve bouleversée.

Aussi, d’aucuns suggèrent que la solidarité ne devrait pouvoir être écartée qu’à la condition que les tiers, préalablement à la souscription de la dette, aient été informés de la séparation des époux et de l’intérêt exclusif de l’époux contractant qu’elle sert.

Pour l’heure aucune décision n’a tranché cette question, à tout le moins la jurisprudence n’a énoncé formellement aucun principe en ce sens.

II) Le domaine de la solidarité dettes ménagères

A) Les dépenses relevant du domaine de la solidarité

L’article 220, al. 1er du Code civil prévoit que seules les dettes contractées pour « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » donnent lieu à solidarité.

Le domaine de la solidarité des époux est ainsi circonscrit à un certain type de dépenses. En dehors du périmètre défini par le texte, la solidarité n’a pas vocation à jouer.

Il en résulte, pratiquement, que les tiers ne seront pas fondés à actionner en paiement l’époux qui n’était pas partie à l’acte. Seul celui qui a réalisé la dépense, exclue du domaine de la solidarité, est engagé envers le tiers.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les dépenses visées par l’article 220 du Code civil.

==> La finalité de la dette : une dépense ménagère

La lecture de l’article 220, al. 1er du code civil révèle que l’appartenance d’une dépense à la catégorie des dettes donnant lieu à solidarité répond à un critère de finalité.

Le texte prévoit, en effet, qu’il faut que la dépense ait pour objet « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ».

Elle doit, autrement dit, présenter un caractère ménager, étant précisé que le ménage est envisagé par l’article 220 comme incluant, tant les époux, que leurs enfants.

Les dépenses susceptibles de donner lieu à la solidarité sont ainsi toutes celles qui intéressent la cellule familiale.

  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’entretien du ménage
    • Il est admis qu’il s’agit ici des dépenses courantes strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
    • Tel est le cas des dépenses en lien avec les aliments, l’habillement, l’habitation, le transport, l’énergie, le téléphone, l’internet etc.
    • Pour la plupart, il s’agira de dépenses qui présentent une certaine périodicité et qui procèdent de l’accomplissement d’actes d’administration ou conservatoires.
    • Classiquement on oppose les dépenses ménagères aux dépenses d’investissement, soit celles qui visent, pour le ménage, à se constituer un patrimoine (immobilier ou mobilier).
    • Plus généralement sont exclues de la catégorie des dépenses ménagères toutes celles qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de leur montant, sont exceptionnelles.
    • Ainsi, le coût d’acquisition ou de construction du logement familial n’est pas constitutif d’une dépense ménagère.
    • Dans un arrêt du 11 janvier 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les opérations d’investissement d’un ménage, et notamment celles qui ont pour objet de lui permettre de se constituer un patrimoine immobilier, n’entrent pas dans la catégorie des actes ménagers d’entretien ou d’éducation auxquels l’article 220 du code civil attache la solidarité de plein droit» ( 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).
    • À l’inverse, la jurisprudence considère que la dette de loyer contractée par les époux en vue d’habiter un logement relève de la catégorie des dépenses ménagères ( 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18453).
    • Les charges de copropriété endossent la même qualification ( 3e civ. 1er déc. 1999, n°98-11726).
    • Il est indifférent que la dépense exposée ne concerne qu’un seul époux, ce qui importe étant qu’elle soit directement liée au fonctionnement du ménage.
    • Or pour fonctionner, il est nécessaire que chacun de ses membres soit en bonne santé (frais médicaux), suffisamment nourri (dépenses d’aliment), correctement habillées (dépenses d’habillement) etc.
    • Plus généralement il faut que les besoins de la vie courante des époux et des enfants soient satisfaits, raison pour laquelle toutes les dépenses qui visent à répondre à ces besoins seront qualifiées de ménagères (V. en ce sens 1ère civ. 4 juin 2007, n°05-15351).
    • Pour ce qui est des dépenses exposées en vue d’améliorer les conditions de vie du ménage, leur qualification est plus délicate.
    • La question s’est notamment posée pour les dépenses d’amélioration du logement familial.
    • Si, la jurisprudence n’exclut pas, d’emblée, que ces dépenses puissent être qualifiées de ménagères, elle opère néanmoins une distinction entre celles qui visent à améliorer le confort de vie de la famille et celles réalisées en vue d’apporter une plus-value au bien.
    • Tandis que les premières sont éligibles à la qualification de dépenses ménagères, tel n’est pas le cas des secondes qui sont regardées comme des dépenses d’investissement.
    • Ainsi, des dépenses qui seraient réalisées pour rénover le système de chauffage de la résidence familiale pourraient parfaitement être qualifiées de dépenses ménagères.
    • En revanche, une dépense visant à acquérir un fonds voisin en vue d’étendre l’assiette du domaine familial ne pourrait pas accéder à cette qualification.
    • La question s’est encore posé du caractère ménager d’une dépense d’acquisition d’un véhicule.
    • Lorsque l’acquisition se fait au moyen d’une location avec option d’achat, la dépense peut, sans difficulté, être qualifiée de ménagère.
    • Lorsque, en revanche, l’acquisition prend la forme d’une dépense en capital la doctrine est divisée.
    • Quant à la jurisprudence, elle l’a admis dans certains arrêts (V. en ce sens CA Paris, 9 mars 1989; CA Grenoble, 5 nov. 1997).
    • Le doute disparaît, en tout état de cause, s’agissant de l’acquisition d’un véhicule de luxe : elle est exclue de la catégorie des dépenses ménagères (V. CA Aix-en-Provence, 17 janv. 1994).
    • À l’examen, il semble qu’il faille distinguer selon que le véhicule qui a fait l’objet d’une acquisition présente un caractère utilitaire ou somptuaire[5].
    • Enfin, il est admis que les dépenses d’agrément puissent être qualifiées de ménagères, dès lors qu’elles profitent aux deux époux (CA Paris, 5 juill. 1996).
  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’éducation des enfants
    • Les dépenses réalisées en vue de l’éducation des enfants ne soulèvent pas de difficulté de qualification.
    • Ce sont essentiellement celles qui sont liées à l’alimentation, à la nourriture, à l’habillement, à la scolarité ou encore à la santé.
    • Il peut encore s’agit de dépenses relatives aux loisirs des enfants, telles que les frais de licence d’une pratique sportive ou les frais relatifs à l’inscription dans une école de musique et plus généralement dans toute structure cultuelle et artistique.
    • Il est indifférent que l’enfant soit mineur ou majeur : ce qui importe c’est qu’il soit à la charge de ses parents.
    • Plus délicate est, en revanche, la question des dépenses exposées pour un enfant qui ne serait issu d’un seul époux.
    • Pour l’heure, la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur cette question. Quant à la doctrine, elle est hésitante.
    • Pour Anne Karm, « la discussion semble devoir se régler sur le terrain de la contribution et non de l’obligation à la dette»[6].
    • Autrement dit, il y aurait lieu de faire fi de la situation du couple dont les tiers ne sont pas censés avoir connaissance et considérer que dès lors qu’une dépense est exposée pour l’éducation de l’un des enfants qui compose le ménage, cette dépense présente un caractère ménager.

==> L’indifférence de la source de la dette : les dettes contractuelles et extracontractuelles

La lecture de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil suggère que seules les dépenses ménagères qui auraient une cause contractuelle donneraient lieu à solidarité.

La référence au contrat intervient, en effet, à deux reprises dans le texte :

  • Tout d’abord, il est prévu que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants».
  • Ensuite, il est énoncé que « toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.»

Est-ce à dire qu’une dette qui aurait une cause extracontractuelle serait exclue du domaine de la solidarité ?

Si l’on s’attache à la lettre de l’article 220, cela ne fait aucun doute. Si néanmoins l’on se réfère à l’esprit de cette disposition, rien n’est moins sûr.

En effet, l’objectif recherché par législateur lors de l’instauration de cette règle est de conférer aux époux une sphère d’autonomie leur permettant de pourvoir aux besoins de la vie courante du ménage.

Or ces besoins ne supposent pas toujours la souscription d’un engagement de nature contractuelle. Il peut aussi s’agir de régler une dépense dont la cause est d’origine légale, délictuelle ou quasi délictuelle.

Entre ces deux approches qui ont divisé la doctrine, la jurisprudence a retenu la seconde. Dans un arrêt du 7 juin 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 220 du Code civil que « ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » (Cass. 1ère civ. 7 juin 1989, n°87-19.049).

Cass. 1ère civ. 7 juin 1989
Sur le pourvoi formé par l'UAP, Union des Assurances de Paris, dont le siège est à Paris (1er), 9, place Vendôme,

en cassation d'un arrêt rendu le 3 juillet 1987, par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 2e section), au profit :

1°/ de Monsieur Alfred S., et autre,

défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Sur le rapport de M. le conseiller Averseng, les observations de Me Célice, avocat de l'UAP, les conclusions de M. Dontenwille, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Vu l'article 220 du Code civil ; Attendu que ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s'appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants ;

Attendu que les époux S. demeuraient avec leurs deux enfants dans un appartement pris à bail de l'Union des assurances de Paris (UAP) ; que, par ordonnance de non-conciliation sur requête en divorce, Mme S. a provisoirement obtenu la garde des enfants et la jouissance du logement ; que M. S. a alors cessé d'y habiter ; que le bail a ultérieurement pris fin, par l'effet d'une clause résolutoire, en raison du défaut de paiement du loyer ; que Mme S. s'est cependant maintenue dans l'appartement ; Attendu que, pour rejeter à l'égard de M. S. la demande en indemnité d'occupation de l'UAP, l'arrêt attaqué énonce que si le mari reste, même après l'ordonnance de non conciliation et ce jusqu'au jugement de divorce définitif, cotitulaire du bail et tenu de ce fait au paiement des loyers avec son épouse, il n'en est pas de même lorsque la clause résolutoire a mis fin au bail en ce qui concerne les deux époux ; qu'en ce cas c'est l'épouse seule demeurée indûment dans les lieux qui doit régler les indemnités consécutives à son occupation personnelle à laquelle son époux est étranger lorsqu'il a quitté les lieux ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, bien que le divorce ne soit opposable aux tiers qu'à partir du jour où les formalités de mentions en marge prescrites par les règles de l'état civil, ont été accomplies, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juillet 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Dans cette affaire, se posait notamment la question de savoir si une indemnité d’occupation due par un époux (séparé de sa conjointe) qui occupait seul l’ancien logement familial dont le bail avait été résolu en raison du non-règlement de loyers, pouvait être qualifiée de dépense ménagère au sens de l’article 220 du Code civil.

La Cour de cassation répond par l’affirmative à cette question, considérant qu’il est indifférent que la dette dont se prévaut le créancier ait une cause contractuelle.

Dans un arrêt du 14 février 1995, elle a, par suite, semblé revenir sur sa position en jugeant que l’indemnité d’occupation due par un époux qui s’était maintenu dans la résidence familiale après sa séparation avec sa conjointe, ne donnait pas lieu à solidarité (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19.780).

Fallait-il voir dans cette décision, un revirement de jurisprudence ? Il n’en est rien. Dans cette décision, la Première chambre civile exclut la solidarité, non pas en raison de l’absence de cause contractuelle de la dette litigieuse, mais parce qu’elle avait été contractée dans l’intérêt exclusif d’un époux. Or pour relever de la catégorie des dépenses ménagères, la dette doit servir les intérêts, non pas d’un seul époux, mais du ménage, ce qui n’était pas le cas au cas particulier.

Cette interprétation de la décision ainsi rendue par la Cour de cassation a été confirmée dans les arrêts qu’elle rendra ultérieurement.

Dans un arrêt du 4 juin 2009, elle a, par exemple, considéré qu’une dette de restitution d’une prestation sociale indûment perçue pouvait être qualifiée de dépense ménagère.

Au soutien de sa décision elle affirme que « l’article 220 du code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants sans distinguer entre l’entretien actuel et futur du ménage » (Cass. 1ère civ. 4 juin 2009, n°07-13.122).

La Cour de cassation admet encore que les dettes de cotisations sociales puissent appartenir à la catégorie des dépenses ménagères, ces dettes ayant une cause, non pas contractuelle, mais légale (V. en ce sens Cass. soc.12 mai 1977).

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Première chambre civile a précisé, s’agissant d’une dette de cotisations d’assurance vieillesse, qu’il était indifférent que cette dépense ait été réalisée pour l’entretien actuel ou futur du ménage.

La Cour de cassation affirme, en effet, que « l’article 220 du Code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, et n’opère aucune distinction entre l’entretien actuel et futur du ménage?; qu’ayant pour but de permettre au titulaire de la pension d’assurer, après la cessation de son activité professionnelle, l’entretien du ménage et, en cas de décès, l’entretien de son conjoint survivant par réversion de l’avantage, le versement de cotisations d’assurance vieillesse constitue une dette ménagère » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°89-16.111).

Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises pour des dettes de même nature (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1993, n°91-17.144 ; Cass. 1ère civ. 12 mai 2004, n°02-30.716)

Au total, il apparaît que la cause extracontractuelle de la dette est sans incidence sur sa qualification de dépense ménagère.

==> De la différence entre les dépenses ménagères et les charges du mariage

Bien qu’elles se recoupent en de nombreux points, les dépenses ménagères et les charges du mariage ne doivent pas être confondues.

Tout d’abord, les dépenses ménagères intéressent l’obligation à la dette (rapports des époux avec les tiers), tandis que les charges du mariage intéressent la contribution à la dette (rapports des époux entre eux).

Ensuite, les périmètres de ces deux catégories de dépenses ne se superposent pas : les charges du mariage couvrent un périmètre bien plus large que les dépenses ménagères.

En effet, les dépenses ménagères correspondent à toutes les dépenses strictement nécessaires au fonctionnement du ménage (nourriture, logement, habillement, frais de scolarité des enfants, frais de santé, électricité, gaz, téléphone etc). Il s’agit donc de dépenses primaires dont le couple ne peut pas faire l’économie.

Quant aux charges du mariage, non seulement elles incluent ces dépenses primaires, mais encore elles comprennent toutes les dépenses qui sont liées au train de vie des époux.

Par train de vie, il faut entendre toutes les dépenses d’agrément et plus généralement toutes celles en lien avec l’épanouissement du couple et dont l’accomplissement est conforme à l’intérêt de la famille.

Parce que les charges du mariage se rapportent au train de vie du ménage, la jurisprudence admet que puissent relever de leur périmètre les frais exposés pour les vacances des époux, voire pour l’acquisition d’une résidence secondaire.

Dans un arrêt du 20 mai 1981, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « la contribution des époux aux charges du ménage est distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire et peut inclure des dépenses d’agrément » (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981).

La Cour de cassation a encore considéré que des dépenses d’investissement visant à acquérir le logement familial pouvaient être qualifiées de charges du mariage (Cass. 1ère civ. 12 juin 2013, 11-26748).

Tel n’est pas le cas des dépenses ménagères qui ne peuvent, en aucun cas, comprendre des dépenses d’investissement (Cass. 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).

B) Les dépenses exclues du domaine de la solidarité

Il est des cas où, nonobstant le caractère ménager d’une dépense au sens de l’article 220 du Code civil, la solidarité sera exclue par le jeu de l’alinéa 2e ou de l’alinéa 3e de ce texte qui pose des exceptions.

  1. Les dépenses manifestement excessives ( 220, al. 2e C. civ)

==> Principe

L’article 220, al. 2e du Code civil prévoit que « la solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une dépense présente un caractère déraisonnable, la solidarité est écartée.

À l’examen, il faut comprendre cette règle comme apportant une précision au principe de solidarité posé à l’article 1er de l’article 220 du Code civil.

Elle signifie, en effet, que si le caractère ménager d’une dépense est nécessaire pour que le jeu de la solidarité puisse jouer, il ne s’agit pas là d’une condition suffisante.

Il faut, en outre, que la dépense réalisée par un époux seul ne soit pas excessive. Son caractère ménager ne fait donc pas obstacle à l’exclusion de la solidarité.

Aussi, pour déterminer si la solidarité entre époux peut jouer, la dépense concernée doit être soumise à deux contrôles successifs :

  • Premier contrôle
    • La dépense doit présenter un caractère ménager, étant précisé que cette condition soit remplie il convient de se reporter à la seule finalité de la dépense ;
    • Elle doit, autrement dit, avoir été réalisée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.
    • Le caractère excessif de la dépense est sans incidence sur son caractère ménager.
    • Il ne s’agit pas là, autrement dit, d’un critère qui doit être pris en compte pour déterminer le caractère ménager d’une dépense.
    • Celui-ci n’intervient que, dans un deuxième temps, soit lorsque la dépense a passé le filtre du premier alinéa de l’article 220.
  • Deuxième contrôle
    • La dépense ne doit pas présenter un caractère excessif pour donner lieu à la solidarité.
    • À cet égard, il peut être observé que le caractère raisonnable d’une dépense ne lui confère nullement un caractère ménager.
    • Une dépense peut, en effet, ne pas être excessive et avoir été réalisée pour une finalité autre que l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.
    • Dans cette hypothèse, la solidarité sera écartée, non pas au stade l’alinéa 2e du Code civil, mais au stade du 1er alinéa, soit au moment du contrôle de la qualification de la dépense

Si, l’exclusion de la solidarité en cas de dépense excessive ne soulève, en soi, aucune réelle difficulté, plus délicate est la question de sa mise en œuvre.

Elle supporte, en effet, de se demander ce que l’on doit entendre par dépense manifestement excessive.

==> Mise en œuvre

Pour déterminer si une dépense présente un caractère excessif, l’alinéa 2e de l’article 220 du Code civil pose trois critères d’appréciation.

Il convient, en effet, de se référer au « train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant ».

Il est admis que, si les critères ainsi posés sont exhaustifs, ils ne sont nullement cumulatifs de sorte qu’ils peuvent être appliqués alternativement par le juge.

  • S’agissant du train de vie du ménage
    • Il y a lieu de se reporter aux ressources du ménage et de vérifier que la dépense réalisée est susceptible d’être couverte par ces ressources.
    • L’appréciation est ici nécessairement subjective, ce qui n’est pas sans conférer au juge un large pouvoir d’appréciation.
    • L’acquisition d’une voiture de luxe par un époux appartenant à un ménage este aux revenus modestes sera regardée comme une dépense excessive (CA Aix-en-Provence, 17 janv. 1994).
    • Il a été statué dans le même sens pour l’achat d’un meuble dont le prix était déraisonnable au regard des ressources du ménage (CA Besançon, 10 mai 1994).
    • À l’inverse, la jurisprudence a pu considérer que la souscription d’une assurance maladie ne présentait aucun caractère excessif, dès lors que le coût de la police n’était pas excessif eu égard le risque couvert et les ressources du ménage (CA Reims, 7 janv. 1980).
  • S’agissant de l’utilité ou l’inutilité de l’opération
    • Ce critère suggère ici de se référer aux besoins du ménage
    • D’aucuns soutiennent néanmoins que ce critère d’appréciation ne présente aucun intérêt, car de deux choses l’une :
      • Ou bien l’opération présente une utilité auquel cas elle endosse la qualité de dépense ménagère et donne lieu, par voie de conséquence, à la solidarité.
      • Ou bien l’opération ne présente aucune utilité pour le ménage auquel cas elle n’est pas éligible à la qualification de dépense ménagère
    • Aussi, en cas d’inutilité de la dépense, il n’y a pas lieu de s’interroger sur son caractère excessif, puisque ne passant pas le premier filtre institué à l’alinéa 1er de l’article 220.
    • Reste qu’il s’agira, là encore d’une question d’appréciation, appréciation qui se fera in concreto.
  • S’agissant de la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant
    • Ce critère d’appréciation permet ici d’appréhender l’hypothèse d’un train de vie apparent du ménage qui ne correspondrait pas à la réalité de ses ressources.
    • Plus précisément, il s’agira pour le juge de déterminer si le tiers se trouvait ou non en position d’avoir connaissance de ce décalage entre le montant – excessif – de la dépense et les capacités financières des époux.
    • Dans l’hypothèse où le tiers contractant savait que la dépense réalisée par un époux était disproportionnée au regard des revenus du ménage, l’alinéa 2e de l’article 220 du Code civil lui interdit de se prévaloir de la solidarité.
    • À l’inverse, lorsque le tiers n’avait aucune raison légitime de douter du train de vie apparent du ménage, il sera toujours fondé à se prévaloir du jeu de la solidarité.

Dans un arrêt du 10 mai 2006, la Cour de cassation est venue préciser qu’il appartient toujours à celui qui conteste l’application de la solidarité de prouver que la dépense litigieuse présente un caractère manifestement excessif (Cass. 1ère civ. 10 mai 2006, n°06-16.593).

  1. Les achats à tempéraments et les emprunts ( 220, al. 3e C. civ.)

L’article 220, al. 3e du Code civil prévoit que la solidarité « n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage. »

Il ressort de cette disposition que nonobstant le caractère ménager et non excessif de la dépense, la solidarité énoncée à l’alinéa 1er de l’article 220 peut être écartée dans deux cas :

  • En présence d’achats à tempéraments
  • En présence d’emprunts

La solidarité peut néanmoins être rétablie, précise le texte, si les époux ont tous deux consenti à la dépense.

2.1 Principe : l’exclusion de la solidarité

Le troisième alinéa de l’article 220 prévoit donc que la solidarité est écartée :

  • D’une part, pour les achats à tempérament
  • D’autre part, pour les emprunts

==> S’agissant des achats à tempérament

Un achat à tempérament consiste à acquérir un bien en payant le prix de façon périodique, étant précisé que le transfert de propriété est différé jusqu’à complet paiement du prix.

Il s’agit, autrement dit, d’une opération de crédit avec cette particularité que le prêt est consenti, non pas par un tiers (établissement de crédit ou société de financement), mais par le vendeur lui-même qui, tant que la totalité du prix n’a pas été réglé, demeure le propriétaire du bien vendu.

Ce type d’opération a suscité en 1965 la méfiance du législateur, celui-ci y voyant un risque pour le ménage d’être victime d’un achat impulsif réalisé par l’un des époux.

Aussi, a-t-il été décidé que cette opération, en raison de son caractère dangereux, ne devait en aucun cas donner lieu à solidarité.

À cet égard, il peut être observé qu’il est ici indifférent que l’achat à tempérament porte sur un bien dont le prix modeste : la solidarité est exclue en toute hypothèse (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 12 juill. 1994, n°92-16.659). C’est là une différence majeure avec les emprunts qui, s’ils présentent ce caractère modeste, peuvent donner lieu à solidarité.

==> S’agissant des emprunts

  • Principe
    • A l’instar des achats à tempérament, les emprunts souscrits par un époux seul n’engagent pas solidairement son conjoint.
    • Par emprunt, il faut entendre ici le crédit consenti par un tiers, lequel sera soit un établissement de crédit, soit une société de financement.
    • Il est donc indifférent que l’emprunt contracté vise à financer une dépense qui présente un caractère ménager.
    • La solidarité est écartée ici en raison, non pas de la finalité de l’opération, mais de sa nature.
    • Le législateur considère que les emprunts sont constitutifs d’une opération à risque car augmentant artificiellement la capacité financière du ménage, ce qui est de nature à exposer les époux à une situation de surendettement.
    • Néanmoins, à la différence des achats à tempérament, la souscription d’un emprunt n’écarte pas systématiquement le jeu de la solidarité, laquelle peut être rétablie lorsque la dette contractée est modeste
  • Exception
    • L’alinéa 3e de l’article 220 du Code civil prévoit que si, par principe, les emprunts ne donnent pas lieu à la solidarité, celle-ci peut néanmoins être rétablie si ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage.
    • Il ressort du texte que la souscription d’un emprunt par un époux seul ne fait nullement obstacle au jeu de la solidarité.
    • Cette exception au principe d’exclusion des emprunts du domaine de la solidarité est issue de la loi du 23 décembre 1985 qui a entériné une solution jurisprudentielle.
    • Se livrant à une interprétation extensive de l’article 220 du Code civil, la Cour de cassation avait, en effet, très tôt admis que les emprunts portant sur des sommes modestes et qui visaient à pourvoir aux besoins de la vie courante du ménage pouvaient donner lieu à solidarité.
    • Elle a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 24 mars 1971, après avoir relevé que, d’une part, « les prêts consentis étaient répétés et chaque fois d’importance modeste» et que d’autre part « ces prêts avaient manifestement pour objet de faire face au jour le jour aux besoins les plus pressants du ménage » ( 1ère civ. 24 mars 1971, n°69-14.604).
    • Cette règle figure donc désormais au troisième alinéa de l’article 220 du Code civil.
    • Son application est néanmoins subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :
      • Première condition : l’emprunt doit porter sur des sommes modestes
        • Pour apprécier le caractère modeste des sommes empruntées, il y a lieu de se référer aux ressources du ménage et plus précisément à sa capacité de remboursement.
        • Les juges disposent en la matière d’un pouvoir souverain d’appréciation
      • Deuxième condition, les sommes empruntées doivent être nécessaires aux besoins de la vie courante
        • Pour que la solidarité puisse jouer, il faut donc que l’emprunt porte sur une somme nécessaire aux besoins de la vie courante.
        • Tout d’abord, il peut être observé que la formule retenue ici renvoie à une finalité plus restreinte de la dépense que celle d’entretien du ménage.
        • Il appartiendra donc au juge de caractériser en quoi la somme empruntée était nécessaire aux besoins de la vie, ce qui fait référence aux dépenses strictement nécessaires et attachées au quotidien du ménage ( 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-16284).
        • Ensuite, ce qui doit être nécessaire aux besoins de la vie courante, ce n’est pas l’emprunt en tant que tel, mais la somme sur lequel il porte.
        • Autrement dit, un emprunt qui aurait été contracté, non pas par nécessité, mais pour préserver la trésorerie du ménage pourrait donner lieu à solidarité si la somme empruntée vise à acquérir un bien nécessaire aux besoins de la vie courante.
      • Troisième condition : le montant cumulé des sommes empruntés ne doit pas être excessif eu égard le train de vie du ménage
        • La loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation est venue instituer une troisième condition au rétablissement de la solidarité en cas de souscription d’un emprunt.
        • Lorsque cette souscription conduit le ménage à cumuler les crédits, la solidarité ne pourra jouer que si le montant total des sommes empruntées n’est pas excessif eu égard le train de vie du ménage.
        • Il s’agit ici de protéger un peu plus le ménage contre le risque de surendettement.
        • En effet, ce risque ne provient pas uniquement de la souscription par un époux d’un emprunt qui porterait sur une somme importante.
        • Il est également susceptible de se réaliser en cas souscription de plusieurs emprunts modestes, mais dont le cumul excéderait la capacité de remboursement du ménage.
        • D’où l’ajout opéré par le législateur en 2014 qui vise à prendre compte cette situation des ménages dont l’endettement a pour cause la souscription de plusieurs microcrédits.
        • Reste à déterminer à partir de quand il convient de considérer que le montant cumulé des sommes empruntées est de nature à écarter la solidarité.
        • Le texte renvoie, sur le modèle de l’alinéa 2e de l’article 220, au train de vie du ménage qui doit constituer le critère d’appréciation du juge.
        • Faute pour les établissements de crédit et les sociétés de financement de disposer d’un fichier qui recenserait tous les crédits consentis aux ménages, ils exigent, la plupart du temps, que les deux époux consentent à l’acte de crédit.
    • Au total, ce n’est que si les trois conditions ci-dessus énoncées sont remplies que la solidarité des époux pourra jouer en matière d’emprunt.
    • En pratique, néanmoins, elle sera rétablie, non pas parce que ces trois conditions seront remplies, mais parce que le consentement des deux époux sera expressément exigé par le prêteur.

2.2 Exception : le rétablissement de la solidarité

Le troisième alinéa de l’article 220 introduit les exceptions au principe de solidarité que sont les achats à tempérament et les emprunts non modestes en précisant que ce principe est rétabli lorsque les deux époux ont consenti à l’acte.

Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a précisé que ce consentement devait être exprès (Cass. 1ère civ. 6 déc. 2005, n°02-17.819).

Ce consentement ne peut donc pas se déduire du comportement du conjoint ou de sa connaissance de l’opération (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 14 avr. 2010, n°09-12.225)

Par ailleurs, la question s’est posée de savoir si, lorsqu’il s’agit d’un emprunt, pour que la solidarité soit rétablie par le jeu du double consentement des époux, celui-ci devait porter sur une somme modeste nécessaire aux besoins de la vie courante.

Autrement dit, les deux conditions, tenant au consentement des époux et au caractère modeste de la dépense doivent-elles être cumulativement remplies pour que la solidarité puisse jouer ?

Dans un arrêt du 3 juin 2003, la Cour de cassation a apporté une réponse négative à cette interrogation.

Au soutien de sa décision elle a affirmé que la Cour d’appel qui, après avoir constaté que l’emprunt litigieux avait été conclu du consentement des deux époux pour l’entretien du ménage et que la dépense était conforme au train de vie de ce dernier, n’avait pas « à rechercher s’il portait sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante au sens de l’article 220, alinéa 3, du Code civil » pour déterminer s’il y avait lieu de faire jouer la solidarité (Cass. 1ère civ. 3 juin 2003, n°00-20.370).

Ainsi lorsque les époux ont tous deux consenti à l’emprunt, il est indifférent qu’il porte sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante. La solidarité pourra, malgré tout être rétablie.

[1] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[3] V. en ce sens R. Savatier, La communauté conjugale nouvelle en droit français, Dalloz, 1970, spéc. N°44, p. 93.

[4] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°81, p. 71.

[5] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°72, p. 62.

[6] A. Karm, Régime matrimonial primaire – Autonomie des époux, Jurisclasseur, n°21.

La notion de dépense ménagère

L’article 220, al. 1er du Code civil prévoit que seules les dettes contractées pour « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » donnent lieu à solidarité.

Le domaine de la solidarité des époux est ainsi circonscrit à un certain type de dépenses. En dehors du périmètre défini par le texte, la solidarité n’a pas vocation à jouer.

Il en résulte, pratiquement, que les tiers ne seront pas fondés à actionner en paiement l’époux qui n’était pas partie à l’acte. Seul celui qui a réalisé la dépense, exclue du domaine de la solidarité, est engagé envers le tiers.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les dépenses visées par l’article 220 du Code civil.

==> La finalité de la dette : une dépense ménagère

La lecture de l’article 220, al. 1er du code civil révèle que l’appartenance d’une dépense à la catégorie des dettes donnant lieu à solidarité répond à un critère de finalité.

Le texte prévoit, en effet, qu’il faut que la dépense ait pour objet « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ».

Elle doit, autrement dit, présenter un caractère ménager, étant précisé que le ménage est envisagé par l’article 220 comme incluant, tant les époux, que leurs enfants.

Les dépenses susceptibles de donner lieu à la solidarité sont ainsi toutes celles qui intéressent la cellule familiale.

  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’entretien du ménage
    • Il est admis qu’il s’agit ici des dépenses courantes strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
    • Tel est le cas des dépenses en lien avec les aliments, l’habillement, l’habitation, le transport, l’énergie, le téléphone, l’internet etc.
    • Pour la plupart, il s’agira de dépenses qui présentent une certaine périodicité et qui procèdent de l’accomplissement d’actes d’administration ou conservatoires.
    • Classiquement on oppose les dépenses ménagères aux dépenses d’investissement, soit celles qui visent, pour le ménage, à se constituer un patrimoine (immobilier ou mobilier).
    • Plus généralement sont exclues de la catégorie des dépenses ménagères toutes celles qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de leur montant, sont exceptionnelles.
    • Ainsi, le coût d’acquisition ou de construction du logement familial n’est pas constitutif d’une dépense ménagère.
    • Dans un arrêt du 11 janvier 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les opérations d’investissement d’un ménage, et notamment celles qui ont pour objet de lui permettre de se constituer un patrimoine immobilier, n’entrent pas dans la catégorie des actes ménagers d’entretien ou d’éducation auxquels l’article 220 du code civil attache la solidarité de plein droit» ( 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).
    • À l’inverse, la jurisprudence considère que la dette de loyer contractée par les époux en vue d’habiter un logement relève de la catégorie des dépenses ménagères ( 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18453).
    • Les charges de copropriété endossent la même qualification ( 3e civ. 1er déc. 1999, n°98-11726).
    • Il est indifférent que la dépense exposée ne concerne qu’un seul époux, ce qui importe étant qu’elle soit directement liée au fonctionnement du ménage.
    • Or pour fonctionner, il est nécessaire que chacun de ses membres soit en bonne santé (frais médicaux), suffisamment nourri (dépenses d’aliment), correctement habillées (dépenses d’habillement) etc.
    • Plus généralement il faut que les besoins de la vie courante des époux et des enfants soient satisfaits, raison pour laquelle toutes les dépenses qui visent à répondre à ces besoins seront qualifiées de ménagères (V. en ce sens 1ère civ. 4 juin 2007, n°05-15351).
    • Pour ce qui est des dépenses exposées en vue d’améliorer les conditions de vie du ménage, leur qualification est plus délicate.
    • La question s’est notamment posée pour les dépenses d’amélioration du logement familial.
    • Si, la jurisprudence n’exclut pas, d’emblée, que ces dépenses puissent être qualifiées de ménagères, elle opère néanmoins une distinction entre celles qui visent à améliorer le confort de vie de la famille et celles réalisées en vue d’apporter une plus-value au bien.
    • Tandis que les premières sont éligibles à la qualification de dépenses ménagères, tel n’est pas le cas des secondes qui sont regardées comme des dépenses d’investissement.
    • Ainsi, des dépenses qui seraient réalisées pour rénover le système de chauffage de la résidence familiale pourraient parfaitement être qualifiées de dépenses ménagères.
    • En revanche, une dépense visant à acquérir un fonds voisin en vue d’étendre l’assiette du domaine familial ne pourrait pas accéder à cette qualification.
    • La question s’est encore posé du caractère ménager d’une dépense d’acquisition d’un véhicule.
    • Lorsque l’acquisition se fait au moyen d’une location avec option d’achat, la dépense peut, sans difficulté, être qualifiée de ménagère.
    • Lorsque, en revanche, l’acquisition prend la forme d’une dépense en capital la doctrine est divisée.
    • Quant à la jurisprudence, elle l’a admis dans certains arrêts (V. en ce sens CA Paris, 9 mars 1989; CA Grenoble, 5 nov. 1997).
    • Le doute disparaît, en tout état de cause, s’agissant de l’acquisition d’un véhicule de luxe : elle est exclue de la catégorie des dépenses ménagères (V. CA Aix-en-Provence, 17 janv. 1994).
    • À l’examen, il semble qu’il faille distinguer selon que le véhicule qui a fait l’objet d’une acquisition présente un caractère utilitaire ou somptuaire[1].
    • Enfin, il est admis que les dépenses d’agrément puissent être qualifiées de ménagères, dès lors qu’elles profitent aux deux époux (CA Paris, 5 juill. 1996).
  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’éducation des enfants
    • Les dépenses réalisées en vue de l’éducation des enfants ne soulèvent pas de difficulté de qualification.
    • Ce sont essentiellement celles qui sont liées à l’alimentation, à la nourriture, à l’habillement, à la scolarité ou encore à la santé.
    • Il peut encore s’agit de dépenses relatives aux loisirs des enfants, telles que les frais de licence d’une pratique sportive ou les frais relatifs à l’inscription dans une école de musique et plus généralement dans toute structure cultuelle et artistique.
    • Il est indifférent que l’enfant soit mineur ou majeur : ce qui importe c’est qu’il soit à la charge de ses parents.
    • Plus délicate est, en revanche, la question des dépenses exposées pour un enfant qui ne serait issu d’un seul époux.
    • Pour l’heure, la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur cette question. Quant à la doctrine, elle est hésitante.
    • Pour Anne Karm, « la discussion semble devoir se régler sur le terrain de la contribution et non de l’obligation à la dette»[2].
    • Autrement dit, il y aurait lieu de faire fi de la situation du couple dont les tiers ne sont pas censés avoir connaissance et considérer que dès lors qu’une dépense est exposée pour l’éducation de l’un des enfants qui compose le ménage, cette dépense présente un caractère ménager.

==> L’indifférence de la source de la dette : les dettes contractuelles et extracontractuelles

La lecture de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil suggère que seules les dépenses ménagères qui auraient une cause contractuelle donneraient lieu à solidarité.

La référence au contrat intervient, en effet, à deux reprises dans le texte :

  • Tout d’abord, il est prévu que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants».
  • Ensuite, il est énoncé que « toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.»

Est-ce à dire qu’une dette qui aurait une cause extracontractuelle serait exclue du domaine de la solidarité ?

Si l’on s’attache à la lettre de l’article 220, cela ne fait aucun doute. Si néanmoins l’on se réfère à l’esprit de cette disposition, rien n’est moins sûr.

En effet, l’objectif recherché par législateur lors de l’instauration de cette règle est de conférer aux époux une sphère d’autonomie leur permettant de pourvoir aux besoins de la vie courante du ménage.

Or ces besoins ne supposent pas toujours la souscription d’un engagement de nature contractuelle. Il peut aussi s’agir de régler une dépense dont la cause est d’origine légale, délictuelle ou quasi délictuelle.

Entre ces deux approches qui ont divisé la doctrine, la jurisprudence a retenu la seconde. Dans un arrêt du 7 juin 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 220 du Code civil que « ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » (Cass. 1ère civ. 7 juin 1989, n°87-19.049).

Cass. 1ère civ. 7 juin 1989
Sur le pourvoi formé par l'UAP, Union des Assurances de Paris, dont le siège est à Paris (1er), 9, place Vendôme,

en cassation d'un arrêt rendu le 3 juillet 1987, par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 2e section), au profit :

1°/ de Monsieur Alfred S., et autre,

défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Sur le rapport de M. le conseiller Averseng, les observations de Me Célice, avocat de l'UAP, les conclusions de M. Dontenwille, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Vu l'article 220 du Code civil ; Attendu que ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s'appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants ;

Attendu que les époux S. demeuraient avec leurs deux enfants dans un appartement pris à bail de l'Union des assurances de Paris (UAP) ; que, par ordonnance de non-conciliation sur requête en divorce, Mme S. a provisoirement obtenu la garde des enfants et la jouissance du logement ; que M. S. a alors cessé d'y habiter ; que le bail a ultérieurement pris fin, par l'effet d'une clause résolutoire, en raison du défaut de paiement du loyer ; que Mme S. s'est cependant maintenue dans l'appartement ; Attendu que, pour rejeter à l'égard de M. S. la demande en indemnité d'occupation de l'UAP, l'arrêt attaqué énonce que si le mari reste, même après l'ordonnance de non conciliation et ce jusqu'au jugement de divorce définitif, cotitulaire du bail et tenu de ce fait au paiement des loyers avec son épouse, il n'en est pas de même lorsque la clause résolutoire a mis fin au bail en ce qui concerne les deux époux ; qu'en ce cas c'est l'épouse seule demeurée indûment dans les lieux qui doit régler les indemnités consécutives à son occupation personnelle à laquelle son époux est étranger lorsqu'il a quitté les lieux ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, bien que le divorce ne soit opposable aux tiers qu'à partir du jour où les formalités de mentions en marge prescrites par les règles de l'état civil, ont été accomplies, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juillet 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Dans cette affaire, se posait notamment la question de savoir si une indemnité d’occupation due par un époux (séparé de sa conjointe) qui occupait seul l’ancien logement familial dont le bail avait été résolu en raison du non-règlement de loyers, pouvait être qualifiée de dépense ménagère au sens de l’article 220 du Code civil.

La Cour de cassation répond par l’affirmative à cette question, considérant qu’il est indifférent que la dette dont se prévaut le créancier ait une cause contractuelle.

Dans un arrêt du 14 février 1995, elle a, par suite, semblé revenir sur sa position en jugeant que l’indemnité d’occupation due par un époux qui s’était maintenu dans la résidence familiale après sa séparation avec sa conjointe, ne donnait pas lieu à solidarité (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19.780).

Fallait-il voir dans cette décision, un revirement de jurisprudence ? Il n’en est rien. Dans cette décision, la Première chambre civile exclut la solidarité, non pas en raison de l’absence de cause contractuelle de la dette litigieuse, mais parce qu’elle avait été contractée dans l’intérêt exclusif d’un époux. Or pour relever de la catégorie des dépenses ménagères, la dette doit servir les intérêts, non pas d’un seul époux, mais du ménage, ce qui n’était pas le cas au cas particulier.

Cette interprétation de la décision ainsi rendue par la Cour de cassation a été confirmée dans les arrêts qu’elle rendra ultérieurement.

Dans un arrêt du 4 juin 2009, elle a, par exemple, considéré qu’une dette de restitution d’une prestation sociale indûment perçue pouvait être qualifiée de dépense ménagère.

Au soutien de sa décision elle affirme que « l’article 220 du code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants sans distinguer entre l’entretien actuel et futur du ménage » (Cass. 1ère civ. 4 juin 2009, n°07-13.122).

La Cour de cassation admet encore que les dettes de cotisations sociales puissent appartenir à la catégorie des dépenses ménagères, ces dettes ayant une cause, non pas contractuelle, mais légale (V. en ce sens Cass. soc.12 mai 1977).

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Première chambre civile a précisé, s’agissant d’une dette de cotisations d’assurance vieillesse, qu’il était indifférent que cette dépense ait été réalisée pour l’entretien actuel ou futur du ménage.

La Cour de cassation affirme, en effet, que « l’article 220 du Code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, et n’opère aucune distinction entre l’entretien actuel et futur du ménage?; qu’ayant pour but de permettre au titulaire de la pension d’assurer, après la cessation de son activité professionnelle, l’entretien du ménage et, en cas de décès, l’entretien de son conjoint survivant par réversion de l’avantage, le versement de cotisations d’assurance vieillesse constitue une dette ménagère » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°89-16.111).

Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises pour des dettes de même nature (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1993, n°91-17.144 ; Cass. 1ère civ. 12 mai 2004, n°02-30.716)

Au total, il apparaît que la cause extracontractuelle de la dette est sans incidence sur sa qualification de dépense ménagère.

==> De la différence entre les dépenses ménagères et les charges du mariage

Bien qu’elles se recoupent en de nombreux points, les dépenses ménagères et les charges du mariage ne doivent pas être confondues.

Tout d’abord, les dépenses ménagères intéressent l’obligation à la dette (rapports des époux avec les tiers), tandis que les charges du mariage intéressent la contribution à la dette (rapports des époux entre eux).

Ensuite, les périmètres de ces deux catégories de dépenses ne se superposent pas : les charges du mariage couvrent un périmètre bien plus large que les dépenses ménagères.

En effet, les dépenses ménagères correspondent à toutes les dépenses strictement nécessaires au fonctionnement du ménage (nourriture, logement, habillement, frais de scolarité des enfants, frais de santé, électricité, gaz, téléphone etc). Il s’agit donc de dépenses primaires dont le couple ne peut pas faire l’économie.

Quant aux charges du mariage, non seulement elles incluent ces dépenses primaires, mais encore elles comprennent toutes les dépenses qui sont liées au train de vie des époux.

Par train de vie, il faut entendre toutes les dépenses d’agrément et plus généralement toutes celles en lien avec l’épanouissement du couple et dont l’accomplissement est conforme à l’intérêt de la famille.

Parce que les charges du mariage se rapportent au train de vie du ménage, la jurisprudence admet que puissent relever de leur périmètre les frais exposés pour les vacances des époux, voire pour l’acquisition d’une résidence secondaire.

Dans un arrêt du 20 mai 1981, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « la contribution des époux aux charges du ménage est distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire et peut inclure des dépenses d’agrément » (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981).

La Cour de cassation a encore considéré que des dépenses d’investissement visant à acquérir le logement familial pouvaient être qualifiées de charges du mariage (Cass. 1ère civ. 12 juin 2013, 11-26748).

Tel n’est pas le cas des dépenses ménagères qui ne peuvent, en aucun cas, comprendre des dépenses d’investissement (Cass. 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).

[1] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°72, p. 62.

[2] A. Karm, Régime matrimonial primaire – Autonomie des époux, Jurisclasseur, n°21.

L’incidence de la séparation (de fait ou de droit) des époux sur l’obligation de solidarité des dettes ménagères

  1. Principe

Il est de principe que l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères énoncé à l’article 220 du Code civil pèse sur eux aussi longtemps que perdure le mariage.

Aussi, seule la dissolution de l’union matrimoniale est susceptible de mettre fin à cette obligation.

La question s’est alors posée de savoir si la séparation de fait ou de droit était susceptible de neutraliser la solidarité des époux.

==> S’agissant de la séparation de fait

La séparation de fait des époux est donc, en principe, sans incidence sur l’obligation de contribution aux charges du mariage.

À cet égard, dans un arrêt du 10 mars 1998, la Cour de cassation a affirmé que parce que « la séparation de fait laisse subsister les obligations nées du mariage » la séparation de fait des époux ne saurait « faire échec aux règles de la solidarité » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1998, n°96-15829).

La doctrine justifie la solution retenue par la Cour de cassation en reliant l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères à l’obligation de communauté de vie.

La séparation de fait étant constitutive d’une violation de l’obligation de communauté de vie, elle ne saurait dispenser les époux de satisfaire les engagements pris par l’un ou par l’autre envers les tiers dans l’intérêt du ménage.

L’enjeu de la protection des tiers n’est, d’ailleurs, pas sans renforcer le bien-fondé du principe dans la mesure où, par hypothèse, la séparation de fait ne leur est pas imposable.

Dans la mesure où ils ne sont donc pas censés être informés de la rupture de la vie commune des époux, admettre que cette situation puisse neutraliser le mécanisme de solidarité instauré par l’article 220 du Code civil reviendrait à faire courir le risque pour les tiers de voir l’assiette de leur gage diminué, car amputé, a minima, des biens propres du conjoint de l’époux avec lequel ils ont contracté.

Corrélativement, il en résulterait une diminution du crédit du ménage, la perspective d’une levée de la solidarité des époux pour cause de séparation de fait étant susceptible de conduire les tiers à faire montre de méfiance à leur endroit, soit tout le contraire du résultat recherché par le législateur lorsque, en 1965, l’article 220 du Code civil a été repensé.

Pour toutes ces raisons, la jurisprudence demeure fermement opposée à ce que la séparation de fait soit une cause de suspension de l’obligation de solidarité des époux.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que cette obligation perdurait tant que la décision prononçant le divorce n’avait pas fait l’objet d’une transcription sur les registres d’état civil, formalité de publicité dont l’accomplissement est exigé pour que le divorce soit opposable aux tiers (V. en ce sens Cass. 3e civ. 22 oct. 2015, n°14-23726).

==> La séparation de droit

Si l’on conçoit aisément que la séparation de fait soit sans incidence sur le maintien de l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères pour les raisons ci-avant exposées, qu’en est-il lorsque la séparation des époux est de droit ?

Par séparation de droit, il faut entendre l’autorisation donnée par un juge aux époux de vivre séparément.

Cette autorisation peut intervenir :

  • Soit dans le cadre d’une procédure de divorce
  • Soit dans le cadre d’une procédure de séparation de corps

Dans les deux cas, tandis que le mariage subsiste, l’obligation de communauté de vie énoncée à l’article 215, al. 1er du Code civil est suspendue.

L’obligation de solidarité des époux connaît-elle, par contamination, le même sort ? Pour le déterminer, il convient d’opérer une distinction entre la séparation des époux qui résulte d’une séparation de corps de celle qui procède d’une autorisation judiciaire.

  • La séparation des époux résulte d’une séparation de corps
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a admis que l’obligation de solidarité des époux pour les dettes ménagères était suspendue, à la condition que le jugement prononçant la séparation de corps ait fait l’objet des formalités de publicité requises ( 3e civ. 2 juin 1993, n°91-14522).
    • Ainsi, toutes les dettes ménagères contractées par les époux postérieurement à l’inscription de la mention du jugement de séparation de corps en marge des registres d’état civil ne donnent pas lieu à solidarité.
    • Le gage des tiers se limite ainsi aux seuls biens propres de l’époux avec lequel ils ont contracté, la séparation de corps instituant, entre les époux, un régime de séparation de biens.
  • La séparation des époux résulte d’une autorisation judiciaire
    • Dans cette hypothèse, la réponse apportée par la Cour de cassation, au gré des décisions, est sensiblement toujours la même.
    • Régulièrement, elle affirme que la séparation des époux, fût-elle autorisée par le juge, n’affecte pas l’obligation de solidarité qui pèse sur eux pour les dettes ménagères.
    • Il est donc indifférent qu’ils aient été autorisés, par une ordonnance de non-conciliation, à résider séparément : l’obligation de solidarité demeure (V. en ce sens 3e civ. 27 mai 1998, n°96-13543).
    • Si, certains auteurs, s’étonnent de la différence de traitement à laquelle se livre la Cour de cassation entre la séparation de corps et l’autorisation judiciaire de résidence séparée, elle répugne, pour l’heure, à revenir sur sa position.
  1. Tempérament

Nonobstant la rigidité du principe posé par la Cour de cassation qui n’admet la suspension de l’obligation de solidarité des dettes ménagères qu’en cas de séparation de corps des époux, elle a finalement consenti à assortir ce principe d’un tempérament.

Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a, en effet, admis que des dettes qui, en l’absence de séparation des époux, auraient été qualifiées de ménagères ne donnent pas lieu à solidarité.

Dans un arrêt du 15 novembre la Première chambre civile a ainsi jugé que la souscription d’un abonnement téléphonique par une femme mariée à son seul nom, alors qu’elle n’habitait plus avec son mari au moment de la souscription, n’obligeait pas solidairement ce dernier au paiement de la dette (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1984, n°93-12332).

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Cour de cassation a statué dans le même sens pour une indemnité d’occupation due par un époux qui, tandis qu’il était en instance de divorce avec son épouse, s’était maintenu dans le logement familial après la résiliation du bail (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19780).

Ces décisions ne sont manifestement pas sans avoir agité la doctrine qui s’est demandé s’il ne fallait pas y voir un fléchissement de la Cour de cassation sur sa position de refuser la suspension de l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères en cas de séparation de fait.

À l’examen, il s’agit moins d’un fléchissement que de l’adoption d’une approche, sous un autre angle, de la situation dans laquelle se trouvent les époux lorsqu’ils vivent séparément.

Au fond, l’obligation de solidarité des dettes ménagères ne se conçoit que lorsque ces dettes sont contractées dans l’intérêt du ménage.

Lorsque tel n’est pas le cas, cette obligation ne se justifie plus, raison pour laquelle la solidarité sera écartée par le juge auquel il appartient de systématiquement vérifier si la dépense litigieuse relève ou non de la catégorie des dépenses ménagères.

Cette vérification est cruciale, puisque détermine l’étendue du gage des créanciers et corrélativement celle de l’engagement du conjoint qui n’est pas partie à l’acte.

La lecture des arrêts rendus en 1994 et en 1995 révèle que c’est par ce biais de la qualification de la dépense que la Cour de cassation appréhende désormais la question du maintien de l’obligation de solidarité en cas de séparation de fait des époux.

Dans ces deux décisions, la Première chambre civile a, en effet, estimé que la solidarité n’avait pas lieu de jouer dans la mesure où la dette contestée avait été souscrite dans l’intérêt exclusif, tantôt de l’épouse qui avait contracté un abonnement téléphonique à son seul nom, tantôt du mari qui s’était maintenu seul dans la résidence familiale après la résiliation du bail.

Dans les deux cas, la Cour de cassation relève que la dépense n’était ni destinée à l’entretien du ménage, ni à l’éducation des enfants.

Elle en déduit que cette dépense ne pouvait pas être qualifiée de ménagère. Dans ces conditions, la solidarité devait être écartée.

Techniquement, la Cour de cassation n’est ainsi nullement revenue, sur sa position antérieure, ni ne l’a amendée ; elle a seulement adopté une autre approche qui consiste à s’interroger sur le caractère ou non ménager de la dépense.

Aussi, en cas séparation de fait des époux, le maintien de l’obligation de solidarité dépend de l’intérêt servi par la souscription de la dette.

  • Si la dépense est exposée dans l’intérêt exclusif d’un époux, alors il n’y aura pas lieu de faire jouer la solidarité.
  • Si, en revanche, la dette est souscrite dans l’intérêt du ménage, le gage des créanciers, tel qu’envisagé à l’article 220 du Code civil, ne sera pas affecté par la séparation des époux.

Reste la question de la sécurité des créanciers qui, dans bien des cas, ne seront pas informés de la séparation des époux.

En admettant que la solidarité puisse ne pas jouer en cas de séparation de fait ou de droit des époux, c’est leur faire supporter le risque d’une diminution de leur gage.

Par voie de conséquence, c’est toute l’économie de l’article 220 du Code civil qui s’en trouve bouleversée.

Aussi, d’aucuns suggèrent que la solidarité ne devrait pouvoir être écartée qu’à la condition que les tiers, préalablement à la souscription de la dette, aient été informés de la séparation des époux et de l’intérêt exclusif de l’époux contractant qu’elle sert.

Pour l’heure aucune décision n’a tranché cette question, à tout le moins la jurisprudence n’a énoncé formellement aucun principe en ce sens.

La solidarité des dettes ménagères: vue générale

==> Origines

Assez paradoxalement alors que la femme mariée était, jadis, frappée d’une incapacité d’exercice générale, très tôt on a cherché à lui reconnaître une sphère d’autonomie et plus précisément à lui octroyer un pouvoir de représentation de son mari.

La raison en est que l’entretien du ménage et l’éducation des enfants requièrent l’engagement d’un certain nombre de dépenses courantes. Or tel a été la tâche qui, pendant longtemps, a été exclusivement dévolue à la femme mariée.

Elle était, en effet, chargée d’accomplir les tâches domestiques, tandis que le mari avait pour mission de procurer au foyer des revenus de subsistance.

Afin de permettre à la femme mariée de tenir son rôle, il fallait imaginer un système qui l’autorise à accomplir des actes juridiques et plus précisément à contracter avec les tiers pour tout ce qui avait trait aux dépenses de la vie courante.

Dans un premier temps, il a été recouru à la figure juridique du mandat domestique, ce qui consistait à considérer que le mari avait donné tacitement mandat à son épouse à l’effet de le représenter quant à l’accomplissement de tous les actes nécessaires à la satisfaction des besoins de la vie courante.

De cette manière, ce dernier se retrouvait personnellement engagé par les engagements souscrits par sa conjointe auprès des tiers, alors même que, à titre individuel, elle était frappée d’une incapacité juridique.

Le recours à cette technique juridique n’était toutefois pas sans limite. Le mari n’était obligé envers les tiers qu’autant qu’il était démontré qu’il avait, au moins tacitement, donné mandat à son épouse à l’effet de le représenter.

À l’inverse, s’il parvenait à établir qu’il n’avait pas consenti à l’acte dénoncé, les tiers ne disposaient d’aucun recours direct contre lui, ce qui les contraignait à exercer au gré des circonstances, tantôt à emprunter la voie de l’action de in rem verso, tantôt à l’action oblique.

En réaction à cette situation fâcheuse qui menaçait les intérêts des tiers, ce qui les avait conduits à exiger systématiquement l’accord exprès du mari pour les dépenses de la vie courante, au préjudice du fonctionnement du ménage, le législateur a décidé d’intervenir au milieu du XXe siècle.

Dans un deuxième temps, la loi du 22 septembre 1942 a ainsi consacré la règle du mandat domestique en instituant une présomption de pouvoir de la femme mariée à l’article 220 du Code civil.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « la femme mariée a, sous tous les régimes, le pouvoir de représenter le mari pour les besoins du ménage et d’employer pour cet objet les fonds qu’il laisse entre ses mains. »

Et le second alinéa du texte de préciser que « les actes ainsi accomplis par la femme obligent le mari envers les tiers, à moins qu’il n’ait retiré à la femme le pouvoir de faire les actes dont il s’agit, et que les tiers n’aient eu personnellement connaissance de ce retrait au moment où ils ont traité avec elle. »

Curieusement, alors que sensiblement à la même période, la loi du 18 février 1938 venait d’abolir l’incapacité civile de la femme mariée, l’article 220 du Code civil nouvellement adopté par la loi du 22 septembre 1942 ne lui reconnaissait une autonomie ménagère que par l’entremise du pouvoir de représentation de son mari dont elle était désormais légalement investie.

Il en résultait une situation pour le moins cocasse s’agissant de l’étendue du gage des créanciers auprès desquels elle souscrivait une dette ménagère :

  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la communauté, seuls les biens personnels de son mari et les biens communs étaient engagés
  • Lorsque la femme était mariée sous le régime de la séparation de biens, le gage des créanciers se limitait aux biens propres de son mari

En tout état de cause, parce qu’elle agissait en représentation de son mari pour les dépenses ménagères, la femme mariée n’engageait jamais ses biens propres (réservés), alors même qu’elle était investie du pouvoir juridique d’en disposer seule.

Afin de neutraliser cet effet indésirable du mandat domestique qui conduisait à réduire le gage des créanciers, dès 1934 la Cour de cassation avait reconnu une obligation solidaire pesant sur les époux séparés en biens s’agissant des dépenses ménagères (V. en ce sens Cass. req. 31 oct. 1934).

Cette reconnaissance d’une solidarité ménagère des époux a, par suite, été internée par le législateur à l’occasion de la grande réforme des régimes matrimoniaux qui est intervenue en 1965 et qui visait à instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son époux.

Dans un troisième temps, la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a reformulé les termes de l’article 220 du Code civil en reconnaissant à la femme mariée, non plus un pouvoir de représentation de son mari pour les dépenses de la vie courante, mais un pouvoir propre d’engager le ménage envers les tiers au titre de cette catégorie de dépenses.

Ce texte prévoit désormais que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. »

Il régit ainsi les rapports que les époux entretiennent avec les tiers pour ce que l’on appelle les dépenses ménagères.

À cet égard, le dispositif ainsi institué à l’article 220 du Code civil ne doit pas être confondu avec celui posé à l’article 214 du Code civil qui intéresse l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Ces deux dispositions énoncent des mécanismes distincts et complémentaires.

==> Contribution aux charges du mariage et solidarité des dettes ménagères

L’obligation de contribution aux charges du mariage envisagée à l’article 214 du Code civil doit donc fondamentalement être distinguée du principe de solidarité des dettes ménagères énoncé à l’article 220.

Tandis que l’une se rapporte à ce que l’on appelle la contribution à la dette, l’autre intéresse l’obligation à la dette.

  • L’obligation à la dette
    • L’obligation à la dette détermine l’étendue du droit de poursuite des tiers, au cours de la vie commune, s’agissant des créances qu’ils détiennent à l’encontre des époux.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir si un tiers peut actionner en paiement le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté et, si oui, dans quelle mesure.
      • Exemple:
        • Un époux se porte acquéreur d’un véhicule sans avoir obtenu, au préalable, le consentement de son conjoint.
        • La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de défaut de paiement de l’époux contractant, le vendeur pourra se retourner contre son conjoint, alors même que celui-ci n’a pas donné son consentement à l’opération et qu’il n’est donc pas partie au contrat.
        • Les règles qui régissent l’obligation à la dette répondent à cette question.
    • Aussi, l’obligation à la dette intéresse les rapports entre les tiers et les époux.
    • Elle est notamment traitée à l’article 220 du Code civil qui institue un principe de solidarité pour le règlement des dettes ménagères.

  • La contribution à la dette
    • La contribution à la dette se distingue de l’obligation à la dette en ce qu’elle détermine la part contributive de chaque époux dans les charges du mariage.
    • Autrement dit, elle répond à la question de savoir dans quelles proportions les époux doivent-ils réciproquement supporter les dépenses exposées dans le cadre du fonctionnement du ménage.
    • L’article 214 du Code civil prévoit, à cet égard, que la part contributive de chaque époux est proportionnelle à leurs facultés respectives.
      • Exemple :
        • Les dépenses de fonctionnement d’un couple marié s’élèvent à 1.000 euros
        • L’un des époux perçoit un salaire de 3.000 euros, tandis que le salaire de l’autre est de 1.500 euros
        • Celui qui gagne 3.000 euros devra donc contribuer deux fois plus que son conjoint aux charges du mariage.
    • La contribution à la dette intéresse ainsi les rapports que les époux entretiennent entre eux et non les relations qu’ils nouent avec les tiers.
    • Cette contribution est réglée par l’article 214 du Code civil qui règle la contribution aux charges du mariage.

En résumé, lorsqu’un époux est actionné en paiement par un tiers pour le règlement d’une dette contractée par son conjoint, il pourra toujours se retourner contre ce dernier, après avoir désintéressé le créancier, au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

Aussi, le traitement d’une difficulté relative au règlement d’une dette contractée par un époux sans le consentement de son conjoint, supposera de toujours raisonner en deux temps :

  • Premier temps : l’obligation à la dette
    • Le tiers peut-il agir contre le conjoint de l’époux qui a contracté la dette ?
    • S’il s’agit d’une dette ménagère au sens de l’article 220 du Code civil, il pourra actionner indifféremment l’un des deux époux pour le tout.
    • Une fois le règlem.ent de la dette effectué, la détermination de sa répartition entre les époux relève de la question de la contribution aux charges du mariage
  • Second temps : la contribution à la dette
    • L’époux qui a désintéressé le tiers, alors même qu’il n’avait pas contracté la dette, peut-il se retourner contre son conjoint et, si oui, dans quelle proportion ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 214 du Code civil qui prévoit qu’une telle action n’est recevable qu’à la condition que la dette qui a été réglée endosse la qualification de charge du mariage.
    • Il faut encore que soit démontré que l’époux contre lequel l’action est dirigée n’a pas contribué aux charges du mariage à proportion de ses facultés.
    • Si tel est le cas, ce dernier devra supporter à titre définitif, une partie, voire la totalité, du poids de la dette

==> Champ d’application

L’article 220 du Code civil relève de ce que l’on appelle le régime primaire impératif applicable.

Par hypothèse, l’application du régime primaire est subordonnée à la satisfaction d’une condition : le mariage.

Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage et plus particulièrement de l’application du régime primaire.

Régulièrement, la Cour de cassation refuse de faire application de l’article 220 du Code civil qui régit l’obligation de solidarité des époux pour les dépenses ménagères.

La Cour de cassation a, par exemple, jugé dans un arrêt du 2 mai 2001, que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°98-22836).

La première chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 12 décembre 2006 (Cass. 1ère civ. 12 déc. 2006, n°05-17.426), puis dans un arrêt du 23 mars 2011 où elle reprend, à l’identique, son attendu de principe énoncé dans son arrêt rendu en 2001 (Cass. 1ère civ. 23 mars 2011, n°09-71.261)

Le refus de faire bénéficier les concubins du régime primaire vient de ce que la famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage.

Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où la célèbre formule prêtée à Napoléon qui aurait dit que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ».

À cet égard, l’article 1310 du Code civil prévoit que « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas ».

Il s’infère de cette disposition que la seule solution pour les concubins de bénéficier du dispositif instauré à l’article 220 du Code civil, c’est de stipuler dans les contrats qu’ils concluent avec les tiers une clause de solidarité.

En pratique, la stipulation d’une telle clause leur sera d’ailleurs imposée par les tiers et notamment lorsqu’il s’agira pour les concubins de souscrire un emprunt ou un bail en commun.

Dans un arrêt du 27 avril 2004, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa des articles 220 et 1202 du Code civil « qu’aux termes du second de ces textes, la solidarité ne se présume point ; qu’il faut qu’elle soit expressément stipulée ; que cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi ; que le premier, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en cas de concubinage » (Cass. 1ère civ. 27 avr. 2004, n°02-16291).

La solidarité entre concubins n’a ainsi vocation à jouer qu’à la condition qu’elle ait été expressément stipulée, faute de quoi seul le concubin qui s’est engagé sera tenu envers le tiers.

Réciproquement, le créancier ne pourra actionner en paiement que celui avec lequel il a contracté, peu importe qu’il soit insolvable et que son concubin, non partie à l’acte, dispose de la capacité financière de régler sa créance.

S’agissant du poids définitif de la dette, celui qui a réglé ne disposera d’aucun recours contre son concubin dans la mesure où, à l’instar de l’article 220 du Code civil, l’article 214 n’est pas applicable au couple de concubins (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-19400).

Il est donc indifférent qu’il ait réglé une dette au-delà de sa part contributive, alors même qu’elle a été souscrite dans l’intérêt du ménage.

Dans cette étude, consacrée à la solidarité des dettes ménagères, nous ne nous focaliserons donc que sur le couple marié, étant précisé que le régime matrimonial pour lequel il a opté sans incidence sur l’application de l’article 220 du Code civil.

Parce que cette disposition relève du régime primaire impératif, elle est d’ordre public. Les époux ne peuvent donc pas y déroger par convention contraire. Elle est donc applicable, tout autant aux époux mariés sous un régime communautaire, qu’aux époux mariés sous un régime séparatiste.

Dans cette perspective, dans un premier temps nous nous focaliserons sur le principe de solidarité des dettes ménagères après quoi nous envisagerons son domaine.

[1] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

La clôture: le droit de se clore

==> Généralités

L’article 647 du code civil dispose que « tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682. »

Est ainsi exprimée la prérogative qui échoit au propriétaire de dresser des barrières physiques sur son fonds afin d’empêcher que l’on y pénètre sans y avoir été invité.

À cet égard, le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient.

La clôture est en quelque sorte la marque de la souveraineté exercée par le propriétaire sur son bien, marque à laquelle étaient très attachés les révolutionnaires.

Sous l’ancien régime, en effet, il était défendu de disposer des obstacles sur ses terres en raison du droit dont étaient titulaires les seigneurs de pénétrer dans les domaines aux fins d’y chasser le gibier.

La nuit du 4 août 1789 emporta avec elle ce privilège de chasse. Il s’ensuivit l’adoption de la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791 qui rompit avec l’ancien droit féodal et consacra le droit fondamental pour chaque propriétaire d’élever une clôture

Le texte prévoyait en ce sens que « le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. »

La question s’est posée en doctrine de la nature de ce droit qui est envisagée dans le chapitre consacré aux servitudes qui dérivent de la situation des lieux.

À l’examen, le droit de se clore relève moins de la catégorie des servitudes que des attributs du droit de propriété.

Pour constituer une servitude il faut qu’existe un rapport entre un fonds servant et un fonds dominant. Or par hypothèse, ce rapport est inexistant en matière de clôture l’exercice du droit de se clore n’ayant pas pour effet d’asservir le fonds voisin.

Il s’agit là d’une prérogative qui peut être exercée discrétionnairement et qui, au vrai, peut être rattachée à l’article 544 du Code civil.

À cet égard, dans un arrêt du 3 février 1913, la Cour de cassation a affirmé que « le droit de clore ou de déclore les héritages résulte essentiellement de celui de la propriété » (Cass. 3e civ., 3 févr. 1913)

De surcroît, comme le droit de propriété, le droit de se clore ne se prescrit pas par le non-usage, ce qui est le cas des servitudes (art. 706 C. civ.)

A) Le contenu du droit de se clore

  1. Notion de clôture

L’article R. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoir que, est réputé clos « tout terrain entouré, soit par une haie vive, soit par un mur, une palissade, un treillage, une haie sèche d’une hauteur d’un mètre au moins, soit par un fossé d’un mètre vingt à l’ouverture et de cinquante centimètres de profondeur, soit par des traverses en bois ou des fils métalliques distants entre eux de trente-trois centimètres au plus s’élevant à un mètre de hauteur, soit par toute autre clôture continue et équivalente faisant obstacle à l’introduction des animaux »

Une clôture consiste ainsi en tout ce qui vise à empêcher la pénétration d’un tiers ou d’animaux dans une propriété.

La circulaire n°78-112 du 21 août 1978 assimile à une clôture les « murs, portes de clôture, clôtures à claire-voie, clôtures en treillis, clôtures de pieux, clôtures métalliques, palissades, grilles, herses, barbelés, lices, échaliers »

Ces listes établies par les textes ne sont pas exhaustives, le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation en la matière.

En tout état de cause, la clôture élevée par le propriétaire sur son fonds peut être naturelle (une haie) ou artificielle (un mur), pourvu qu’elle obstrue le passage et qu’elle soit continue et constante (art. L. 424-3 C. env.)

A l’analyse, il ressort de la jurisprudence que constitue une clôture tout ouvrage dont la finalité consiste à fermer l’accès à tout ou partie d’une propriété.

Dans un arrêt du 21 juillet 2009, le Conseil d’État a précisé que, un tel ouvrage n’a pas à être implanté en limite de propriété pour constituer une clôture.

2. Condition d’installation de la clôture

a) Les conditions tenant à la position la clôture

==> Principe : installation en limite de fonds

Par principe, une clôture peut être installée en limite de fonds. Si elle est mitoyenne, ou si le voisin y consent, elle pourra être élevée sur la ligne séparative.

À défaut d’accord, la clôture devra être en positionnée en retrait, faute de quoi elle empiéterait sur le fonds voisin ce qui autoriserait son propriétaire à solliciter son déplacement, voire sa démolition (Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n°00-16.015).

Celui qui installe une clôture sur son fond doit ainsi être extrêmement vigilant quant à son emplacement.

À cet égard, il ne devra pas seulement veiller à ce que l’ouvrage qu’il élève n’empiète pas sur le fonds voisin, il devra encore s’assurer, si la clôture consiste en des plantations, que la distance avec la ligne séparative est respectée.

==> Exception : observation d’une distance avec la ligne séparative

Lorsque la clôture consiste en des plantations, soit en une haie ou des arbustes, elle ne pourra pas être positionnée en limite de fonds.

La règle est énoncée à l’article 671 du Code civil qui prévoit que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »

Le principe qui s’infère de cette disposition est que pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches et leurs racines, l’article 671 interdit en principe à un propriétaire « d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes » jusqu’à l’extrême limite de son terrain.

Ainsi que l’observe un auteur toutes les plantations sont en réalité visées par cette interdiction[1]. Au vrai, la seule question qui se pose est de savoir quelle est la distance minimale qui doit être observée entre les plantations et la ligne séparative du fonds.

Afin de déterminer la distance requise, l’article 671 du Code civil renvoie, d’abord aux règlements et usage, puis subsidiairement prescrit une distance par défaut.

  • La distance prévue par les règlements et les usages
    • Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.
      • S’agissant des règlements particuliers
        • Ils sont constitués par les arrêtés, les documents d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique susceptibles de prescrire des distances ou des hauteurs particulières de plantations.
      • S’agissant des usages
        • Ils peuvent quant à eux être relevés par les chambres d’agriculture[2], mais ils peuvent également être directement reconnus par les juges du fond.
        • Ainsi, l’usage parisien autorise à planter jusqu’à l’extrême limite de son fonds, compte tenu de l’exiguïté des parcelles (V. en ce sens 3e civ., 14 février 1984, n°82-16092).
        • Il en va de même pour le pays de Caux ou à Marseille.
        • Dans certains cas, comme à Poitiers, les usages prescrivent des distances supérieures à celles prévues par le code civil.
  • La distance prévue par le code civil
    • Ce n’est qu’à défaut de règlement et d’usage que s’appliquent les distances prévues par le code civil, qui ont donc un caractère subsidiaire.
    • Dans cette hypothèse, l’article 671 pose un principe qu’il assortit d’une limite à l’alinéa 2.
      • Principe
        • La distance à observer dépend de la hauteur de la plantation, étant précisé que le calcul de cette hauteur ne tient pas compte de l’inclinaison du fonds, mais seulement de la taille intrinsèque de la plantation, de la base à son sommet (V. en ce sens 3e civ., 4 nov. 1998, n°96-19708).
        • Ainsi, la distance d’espacement est donc de :
          • Deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres
          • Un demi-mètre de la ligne séparative pour les autres plantations.
        • Seule importe donc la hauteur de la plantation, étant précisé que ne doit pas être prise en compte la croissance naturelle des arbres, ni la date habituelle de leur taille ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-10077).
        • En outre, dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour de cassation a précisé que « la distance existant entre les arbres et la ligne séparative des héritages doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian des troncs des arbres» ( 3e civ. 1er avr. 2009, n°08-11876).
      • Exception
        • L’article 671 prévoit une exception à la règle prescrivant une distance à observer entre les plantations et la limite du fonds.
        • En effet, l’alinéa 2 de ce texte dispose que lorsqu’existe un mur séparatif des plantations peuvent être faites « en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais [elles] ne pourront dépasser la crête du mur».
        • Si le mur n’est pas mitoyen, seul son propriétaire peut procéder à de telles plantations en espaliers.

b) Les conditions tenant à l’aspect de la clôture

Outre les règles d’emplacement de la clôture, doivent également être observées des règles qui tiennent à son aspect.

En principe, le choix de la clôture est libre, mais il est souvent soumis à certaines contraintes fixées par les règles d’urbanisme et plus précisément par les plans locaux d’urbanisme ou par les plans d’occupation des sols.

Ces règles propres à chaque agglomération et commune, peuvent ainsi imposer aux propriétaires des hauteurs ou des distances avec la ligne séparative à respecter ou des matériaux spécifiques à utiliser.

Par exemple, la nature et l’apparence des clôtures sont souvent réglementées par les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme (PLU), qui va indiquer en général la hauteur maximale admise ainsi que l’apparence (enduit, etc) ou encore la forme que peuvent prendre les clôtures, en général :

  • Un mur plein
  • Un mur bahut d’une certaine hauteur obligatoirement surmonté d’un dispositif à claire-voie ou d’un grillage
  • Un simple grillage sans mur bahut.

Le code de l’urbanisme n’opère pas de distinction selon les types de clôture. Il peut s’agir de clôtures électriques, de grillages ou de tout autre procédé ayant pour fonction de fermer l’accès à un terrain ou d’introduire un obstacle à la circulation.

Dès lors que l’ouvrage a pour finalité de fermer l’accès à un terrain, quel que soit son emplacement sur la parcelle concernée et quelle que soit sa nature, il peut être assimilé à une clôture et, en conséquence, être soumis aux règles du PLU relatives à l’aspect et la forme des clôtures.

À défaut de réglementation spécifique, la hauteur d’un mur ne doit pas être supérieure à 3,20 m pour les villes de 50 000 habitants et plus, et à 2,60 m dans les autres cas, étant précisé que la clôture se mesure à partir du terrain le plus bas.

La clôture réalisée en méconnaissance des règles du PLU peut donner lieu à des sanctions pénales et une procédure devant le tribunal correctionnel.

L’aspect de la clôture peut également être stipulé par le cahier des charges d’une copropriété lorsque le fonds relève d’un lotissement, auquel cas les propriétaires seront tenus de s’y soumettre.

c) Les conditions tenant à la déclaration préalable

L’édification d’une clôture n’est, en principe, pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration préalable.

Lorsque, toutefois, le fonds se situe dans une zone particulière une telle déclaration peut être exigée.

L’article R. 421-12 du Code de l’urbanisme prévoit en ce sens que doit être précédée d’une déclaration préalable l’édification d’une clôture située :

  • Dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable classé en application de l’article L. 631-1 du code du patrimoine ou dans les abords des monuments historiques définis à l’article L. 621-30 du code du patrimoine ;
  • Dans un site inscrit ou dans un site classé ou en instance de classement en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement ;
  • Dans un secteur délimité par le plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-19 ou de l’article L. 151-23 ;
  • Dans une commune ou partie de commune où le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme a décidé de soumettre les clôtures à déclaration.

Ainsi, l’édification de clôtures peut être soumise à déclaration préalable, dès lors que le projet est situé dans un secteur sauvegardé, dans le champ de visibilité d’un monument historique, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, dans un site inscrit ou un site classé, dans un secteur délimité de plan local d’urbanisme (PLU) ou par délibération du conseil municipal ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en PLU sur tout ou partie de la commune.

La jurisprudence a précisé que seule l’édification d’une clôture est soumise à la déclaration préalable et non sa rénovation ou sa modification (V. en ce sens Cass. crim., 26 févr. 1985).

La déclaration préalable doit satisfaire aux exigences de formes prescrites aux articles R. 431-35 à R. 431-37 du Code de l’urbanisme et notamment comporter

  • L’identité du ou des déclarants ;
  • La localisation et la superficie du ou des terrains ;
  • La nature des travaux ou du changement de destination ;
  • S’il y a lieu, la surface de plancher et la destination des constructions projetées ;
  • Les éléments, fixés par arrêtés, nécessaires au calcul des impositions.

La déclaration préalable doit, ensuite être adressée par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés (art. R. 423-1 C. urb.).

La déclaration et le dossier qui l’accompagnent sont établis en deux exemplaires pour les déclarations préalables (art. R. 423-2 C. urb.).

Dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration et pendant la durée d’instruction de celle-ci, le maire procède à l’affichage en mairie d’un avis de dépôt de demande de permis ou de déclaration préalable précisant les caractéristiques essentielles du projet, dans des conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme (art. R. 423-6 C. urb.).

Le délai d’instruction de droit commun est un mois pour les déclarations préalables, étant précisé que ce délai court à compter de la réception en mairie d’un dossier complet.

À défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé le silence gardé par l’autorité compétente vaut décision de non-opposition à la déclaration préalable (art. R. 424-1 C. urb.).

B) Les limites du droit de se clore

Le droit de se clore rencontre trois sortes de limites :

  • Celles qui tiennent au droit de vaine pâture
  • Celles qui tiennent au respect des servitudes
  • Celles qui tiennent à l’abus de droit

==> Les limites tenant au droit de vaine pâture

On entend par vaine pâture le droit qu’ont les habitants d’une commune de mener paître leurs bestiaux sur les terres incultes de leur territoire, ainsi que sur les autres fonds non clos, dépouillés de leurs récoltes après les premières et secondes herbes.

Lorsque ce droit existe entre les habitants d’une même commune, on lui donne le nom de vaine pâture et il prend celui de parcours lorsqu’il s’exerce de commune en commune.

Ainsi, le droit de parcours n’est qu’un droit de vaine pâture exercée sur une plus grande échelle.

Les droits de vaine pâture et de parcours ont toujours été regardés comme des actes de simple tolérance. Sous l’ancien régime ils sont devenus constitutifs d’une servitude, à telle enseigne qu’il était défendu aux propriétaires de clore leur héritage.

Cette interdiction a été levée par les révolutionnaires qui, dans le même temps, ont conservé le droit de vaine pâture dans le Code rural adopté en 1791.

La loi du 9 juillet 1889 a maintenu ce droit dans deux cas :

  • Premier cas: l’article L. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « le droit de vaine pâture appartenant à la généralité des habitants et s’appliquant en même temps à la généralité d’une commune ou d’une section de commune, en vertu d’une ancienne loi ou coutume, d’un usage immémorial ou d’un titre, n’est reconnu que s’il a fait l’objet avant le 9 juillet 1890 d’une demande de maintien non rejetée par le conseil départemental ou par un décret en Conseil d’État. »
  • Second cas: l’article L. 651-10 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « la vaine pâture fondée sur un titre, et établie sur un héritage déterminé, soit au profit d’un ou plusieurs particuliers, soit au profit de la généralité des habitants d’une commune, est maintenue et continue à s’exercer conformément aux droits acquis. Mais le propriétaire de l’héritage grevé peut toujours s’affranchir soit moyennant une indemnité fixée à dire d’experts, soit par voie de cantonnement »

Quant à l’exercice du droit de vaine pâture il est très strictement encadré. Ainsi, dans aucun cas et dans aucun temps, la vaine pâture ne peut s’exercer sur les prairies artificielles.

Par ailleurs, elle ne peut avoir lieu sur aucune terre ensemencée ou couverte d’une production quelconque faisant l’objet d’une récolte, tant que la récolte n’est pas enlevée.

En outre les conseils municipaux peuvent réglementer le droit de vaine pâture, notamment pour en suspendre l’exercice en cas d’épizootie, le dégel ou de pluies torrentielles, pour cantonner les troupeaux de différents propriétaires ou les animaux d’espèces différentes, pour interdire la présence d’animaux dangereux ou malades dans les troupeaux.

Surtout, l’article L. 651-4 prévoit que « le droit de vaine pâture ne fait jamais obstacle à la faculté que conserve tout propriétaire soit d’user d’un nouveau mode d’assolement ou de culture, soit de se clore. Tout terrain clos est affranchi de la vaine pâture. »

Cette disposition ne fait que reprendre la règle énoncée à l’article 648 du Code civil qui autorise expressément les propriétaires, par principe, à faire obstacle au droit de vaine pâture en élevant des clôtures sur leurs fonds.

Le texte prévoit en ce sens que « le propriétaire qui veut se clore perd son droit au parcours et vaine pâture en proportion du terrain qu’il y soustrait. »

L’idée qui préside à cette règle est que celui qui retire sa mise de la société ne prenne plus de part dans la mise des autres.

Pour exemple, lorsqu’un propriétaire a clos un quart de son héritage, il ne peut plus faire paître que les trois quarts des bestiaux pour lesquels il avait droit antérieurement.

Lorsque toutefois, le droit de vaine pâture est fondé sur un titre, il ne peut plus être exercé puisque s’apparentant alors à une servitude (V. en ce sens Cass. req. 28 juill. 1875).

==> Les limites tenant au respect des servitudes

L’exercice du droit de se clore ne peut jamais porter atteinte aux servitudes susceptibles de grever le fonds.

Ainsi, l’installation d’une clôture ne doit jamais entraver l’exercice notamment :

  • D’une servitude de passage
  • D’une servitude d’écoulement des eaux

Ainsi que l’ont relevé des auteurs, « d’une manière plus générale le droit de se clore est limité par l’obligation de ne pas mettre obstacle à l’exercice d’une servitude quelconque dont le fonds serait grevé au profit d’un autre fonds »[3].

Dans un arrêt du 28 juin 1853 la Cour de cassation a précisé qu’il appartient au juge « tout en respectant autant que possible le droit de clôture du fonds servant, de veiller à ce qu’aux termes de l’article 701, il ne soit rien fait qui tende à diminuer ou à rendre plus incommode, au préjudice du fonds dominant, l’usage de la servitude » (Cass. civ., 28 juin 1853).

Dans un arrêt du 21 novembre 1969 la troisième chambre civile a encore affirmé que si le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage conserve le droit d’y faire tous travaux qu’il juge convenables et de se clore, il ne doit cependant rien entreprendre qui puisse diminuer l’usage de la servitude ou le rendre moins commode, l’appréciation des circonstances modificatives de cet usage rentrant dans les pouvoirs souverains des juges du fond.

Au cas particulier, elle relève que les propriétaires du fonds grevé avaient réduit la largeur du passage, qui n’était plus que de 3,38 m, alors qu’il devait être de 4 mètres et en déduit que le trouble ainsi apporte à l’exercice du passage ne pouvait être utilement contesté puisque ledit passage était le seul accès permettant au propriétaire du fonds dominant d’exploiter sa ferme (Cass. 3e civ. 21 nov. 1969).

==> Les limites tenant à l’abus de droit

Le droit de se clore doit, pour pouvoir être librement exercé, ne pas dégénérer en abus de droit, soit être exercé dans l’intention de nuire au propriétaire du fonds voisin.

Deux critères sont traditionnellement exigés pour caractériser l’abus de droit de propriété : l’inutilité de l’action du propriétaire et son intention de nuire.

  • S’agissant de l’inutilité de l’action du propriétaire
    • Il s’agit ici d’établir que l’action du propriétaire ne lui procure aucune utilité personnelle
    • Dans l’arrêt Clément Bayard, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que le dispositif ne présentait aucune utilité pour le terrain.
    • Elle avait en outre relevé que ce dispositif avait été érigé « sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes»
    • Au sujet du critère de l’inutilité, dans un arrêt du 20 janvier 1964, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « l’exercice du droit de propriété qui a pour limite la satisfaction d’un intérêt sérieux et légitime, ne saurait autoriser l’accomplissement d’actes malveillants, ne se justifiant par aucune utilité appréciable et portant préjudice à autrui» ( 2e civ., 20 janv. 1964).
  • S’agissant de l’intention de nuire du propriétaire
    • L’intention de nuire qui est un critère psychologique, est l’élément central de la notion d’abus de droit
    • En effet, c’est l’intention de celui qui exerce son droit de propriété qui permet de caractériser l’abus de droit.
    • Dès lors, la recherche du juge consistera en une analyse des mobiles du propriétaire.
    • À l’évidence, l’exercice est difficile, l’esprit se laissant, par hypothèse, difficilement sondé.
    • Comment, dans ces conditions, démontrer l’intention de nuire, étant précisé que la charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur la victime de l’abus ?
    • Compte tenu de la difficulté qu’il y a à rapporter la preuve de l’intention de nuire, la jurisprudence admet qu’elle puisse se déduire de constatations matérielles, en particulier l’inutilité de l’action du propriétaire et le préjudice causé.
    • Si le propriétaire n’avait aucun intérêt légitime à exercer son droit de propriété comme il l’a fait, on peut conjecturer que son comportement procède d’une intention de nuire à autrui, à plus forte raison s’il en résulte en préjudice.

S’agissant du droit de se clore, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 30 octobre 1972, admis qu’il puisse dégénérer en abus de droit.

  • Faits
    • Un propriétaire édifie un mur face à la maison de ses voisins et installe plusieurs rangées de fils de fer barbelés dans le grillage séparant son jardin du chemin qui le borde
    • Les propriétaires du fonds voisin sollicitent la démolition du mur arguant qu’il avait été édifié dans l’unique but de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès.
    • De son côté, le propriétaire du mur soutient que l’édification de ce mur aurait été prescrite par l’autorité sanitaire, après l’enquête provoquée par les plaintes de ses voisins du fait des odeurs provenant de l’élevage de bestiaux.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 29 mars 1971, la Cour d’appel d’Orléans ordonne la démolition du mur litigieux et le retrait des rangées de fils barbelés.
    • Les juges du fond relèvent :
      • D’une part, que les conditions imposées par l’administration au défendeur pour la poursuite de son exploitation d’élevage ne comprenaient pas l’édification du mur litigieux
      • D’autre part, que c’est à la suite de la plainte portée par les voisins auprès de l’autorité administrative que le défendeur a fait élever en face de la maison de ceux-ci, sans le prolonger au-delà, le mur litigieux, qui a été ultérieurement surmonté d’un grillage supportant des plantes grimpantes, manifestant de la sorte son intention évidente de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès, et a fait placer dans le grillage, qui était suffisant pour servir de clôture a son jardin, des rangées de fils de fer barbelés, créant ainsi un danger certain pour les usagers du chemin et notamment pour les enfants
    • La Cour d’appel en conclut que les actes du propriétaire du mur litigieux ne se justifiaient par aucune utilité appréciable en vue de satisfaire un intérêt sérieux et ont été inspirés par une intention malveillante, qui apparaît encore dans la pose, contre le mur litigieux et face à l’entrée de la maison des demandeurs à l’action, d’une pancarte portant l’inscription, « mur du repentir et de la honte, pour ceux qui en ont obligé la construction, que les morveux se mouchent»
  • Décision
    • Par un arrêt du 30 octobre 1972 la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le propriétaire du mur litigieux.
    • Elle considère que la pose du mur avait bien dégénéré en abus de droit eu égard les circonstances de son édification et les motivations de son auteur.

Il ressort de cet arrêt que, lorsque l’intention de nuire est établie, il peut être fait échec à l’exercice du droit de se clore.

Lorsque, en revanche, il apparaît que la clôture ne présente pas un aspect inesthétique caractérisé et que son aspect est conforme à une autorisation municipale octroyée au propriétaire du fond, il a été jugé que l’action en trouble de voisinage ne peut pas prospérer (Cass. 3e civ. 18 janv. 2011, n°09-17459).

La clôture : régime juridique

==> Généralités

L’article 647 du code civil dispose que « tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682. »

Est ainsi exprimée la prérogative qui échoit au propriétaire de dresser des barrières physiques sur son fonds afin d’empêcher que l’on y pénètre sans y avoir été invité.

À cet égard, le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient.

La clôture est en quelque sorte la marque de la souveraineté exercée par le propriétaire sur son bien, marque à laquelle étaient très attachés les révolutionnaires.

Sous l’ancien régime, en effet, il était défendu de disposer des obstacles sur ses terres en raison du droit dont étaient titulaires les seigneurs de pénétrer dans les domaines aux fins d’y chasser le gibier.

La nuit du 4 août 1789 emporta avec elle ce privilège de chasse. Il s’ensuivit l’adoption de la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791 qui rompit avec l’ancien droit féodal et consacra le droit fondamental pour chaque propriétaire d’élever une clôture

Le texte prévoyait en ce sens que « le droit de clore et de déclore ses héritages résulte essentiellement de celui de propriété, et ne peut être contesté à aucun propriétaire. »

La question s’est posée en doctrine de la nature de ce droit qui est envisagée dans le chapitre consacré aux servitudes qui dérivent de la situation des lieux.

À l’examen, le droit de se clore relève moins de la catégorie des servitudes que des attributs du droit de propriété.

Pour constituer une servitude il faut qu’existe un rapport entre un fonds servant et un fonds dominant. Or par hypothèse, ce rapport est inexistant en matière de clôture l’exercice du droit de se clore n’ayant pas pour effet d’asservir le fonds voisin.

Il s’agit là d’une prérogative qui peut être exercée discrétionnairement et qui, au vrai, peut être rattachée à l’article 544 du Code civil.

À cet égard, dans un arrêt du 3 février 1913, la Cour de cassation a affirmé que « le droit de clore ou de déclore les héritages résulte essentiellement de celui de la propriété » (Cass. 3e civ., 3 févr. 1913)

De surcroît, comme le droit de propriété, le droit de se clore ne se prescrit pas par le non-usage, ce qui est le cas des servitudes (art. 706 C. civ.)

==> Clôture et bornage

Bien que les deux opérations soient proches et entretiennent des liens étroits, le bornage et la clôture se distinguent fondamentalement.

Tandis que le bornage vise à déterminer la ligne divisoire, séparative entre deux fonds contigus, la clôture est ce qui sert à enclore un espace et à empêcher la communication avec les héritages voisins.

En toute logique, l’opération de bornage précède toujours la clôture, celle-ci prenant assiste sur la ligne séparative des fonds contigus.

Surtout les deux opérations se distinguent en ce que le bornage est toujours réalisé contradictoirement, alors que la clôture d’un fonds peut s’opérer unilatéralement.

En effet, régulièrement la jurisprudence rappelle que le bornage doit nécessairement être réalisé au contradictoire des propriétaires de tous les fonds concernés par l’opération.

Tel n’est pas le cas de la clôture qui peut être posée sur l’initiative d’un seul propriétaire, charge à lui de s’assurer de ne pas empiéter sur le fonds voisin. Le code civil envisage d’ailleurs la clôture comme une action unilatérale en prévoyant à l’article 647 que « tout propriétaire peut clore son héritage ».

À l’inverse, le bornage ne peut jamais se déduire de l’existence d’une clôture dont l’installation ne résulterait pas d’un commun accord entre les propriétaires.

Il en résulte que la présence, d’un mur, d’une haie ou de toute autre forme de clôture est sans incidence sur le droit du propriétaire du fonds voisin à exiger la réalisation ultérieure d’une opération de bornage (V. en ce sens Cass. civ. 4 mars 1879)

Aussi, pour que le bornage produise ses pleins effets, plusieurs conditions doivent être réunies, après quoi seulement l’opération qui consiste à borner peut être mise en œuvre.

==> Statut

Selon son emplacement, la clôture peut être affectée à un usage exclusivement privatif ou être affectée à l’usage des deux propriétaires des fonds contigus.

Dans le premier cas, elle sera à la charge du seul propriétaire du fonds sur lequel elle est implantée, dans le second cas, elle sera mitoyenne de sorte que l’obligation d’entretien pèse sur les deux propriétaires.

En tout état de cause, l’élévation d’une clôture n’est, en principe, jamais contrainte. Et pour cause, elle est envisagée par le Code civil comme un droit.

Assez paradoxalement néanmoins il est des circonstances où la clôture est constitutive d’une obligation, le voisinage pouvant contraindre un propriétaire à clore sa propriété.

I) Le droit de se clore

A) Le contenu du droit de se clore

  1. Notion de clôture

L’article R. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoir que, est réputé clos « tout terrain entouré, soit par une haie vive, soit par un mur, une palissade, un treillage, une haie sèche d’une hauteur d’un mètre au moins, soit par un fossé d’un mètre vingt à l’ouverture et de cinquante centimètres de profondeur, soit par des traverses en bois ou des fils métalliques distants entre eux de trente-trois centimètres au plus s’élevant à un mètre de hauteur, soit par toute autre clôture continue et équivalente faisant obstacle à l’introduction des animaux »

Une clôture consiste ainsi en tout ce qui vise à empêcher la pénétration d’un tiers ou d’animaux dans une propriété.

La circulaire n°78-112 du 21 août 1978 assimile à une clôture les « murs, portes de clôture, clôtures à claire-voie, clôtures en treillis, clôtures de pieux, clôtures métalliques, palissades, grilles, herses, barbelés, lices, échaliers »

Ces listes établies par les textes ne sont pas exhaustives, le juge disposant d’un pouvoir d’appréciation en la matière.

En tout état de cause, la clôture élevée par le propriétaire sur son fonds peut être naturelle (une haie) ou artificielle (un mur), pourvu qu’elle obstrue le passage et qu’elle soit continue et constante (art. L. 424-3 C. env.)

A l’analyse, il ressort de la jurisprudence que constitue une clôture tout ouvrage dont la finalité consiste à fermer l’accès à tout ou partie d’une propriété.

Dans un arrêt du 21 juillet 2009, le Conseil d’État a précisé que, un tel ouvrage n’a pas à être implanté en limite de propriété pour constituer une clôture.

2. Condition d’installation de la clôture

a) Les conditions tenant à la position la clôture

==> Principe : installation en limite de fonds

Par principe, une clôture peut être installée en limite de fonds. Si elle est mitoyenne, ou si le voisin y consent, elle pourra être élevée sur la ligne séparative.

À défaut d’accord, la clôture devra être en positionnée en retrait, faute de quoi elle empiéterait sur le fonds voisin ce qui autoriserait son propriétaire à solliciter son déplacement, voire sa démolition (Cass. 3e civ., 20 mars 2002, n°00-16.015).

Celui qui installe une clôture sur son fond doit ainsi être extrêmement vigilant quant à son emplacement.

À cet égard, il ne devra pas seulement veiller à ce que l’ouvrage qu’il élève n’empiète pas sur le fonds voisin, il devra encore s’assurer, si la clôture consiste en des plantations, que la distance avec la ligne séparative est respectée.

==> Exception : observation d’une distance avec la ligne séparative

Lorsque la clôture consiste en des plantations, soit en une haie ou des arbustes, elle ne pourra pas être positionnée en limite de fonds.

La règle est énoncée à l’article 671 du Code civil qui prévoit que « il n’est permis d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu’à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu’à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d’un demi-mètre pour les autres plantations. »

Le principe qui s’infère de cette disposition est que pour éviter que les plantations nuisent au fonds voisin par leurs branches et leurs racines, l’article 671 interdit en principe à un propriétaire « d’avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes » jusqu’à l’extrême limite de son terrain.

Ainsi que l’observe un auteur toutes les plantations sont en réalité visées par cette interdiction[1]. Au vrai, la seule question qui se pose est de savoir quelle est la distance minimale qui doit être observée entre les plantations et la ligne séparative du fonds.

Afin de déterminer la distance requise, l’article 671 du Code civil renvoie, d’abord aux règlements et usage, puis subsidiairement prescrit une distance par défaut.

  • La distance prévue par les règlements et les usages
    • Pour savoir jusqu’à quelle distance un propriétaire peut avoir des plantations, il est nécessaire de se référer en premier lieu aux règlements particuliers et aux usages constants et reconnus.
      • S’agissant des règlements particuliers
        • Ils sont constitués par les arrêtés, les documents d’urbanisme ou les servitudes d’utilité publique susceptibles de prescrire des distances ou des hauteurs particulières de plantations.
      • S’agissant des usages
        • Ils peuvent quant à eux être relevés par les chambres d’agriculture[2], mais ils peuvent également être directement reconnus par les juges du fond.
        • Ainsi, l’usage parisien autorise à planter jusqu’à l’extrême limite de son fonds, compte tenu de l’exiguïté des parcelles (V. en ce sens 3e civ., 14 février 1984, n°82-16092).
        • Il en va de même pour le pays de Caux ou à Marseille.
        • Dans certains cas, comme à Poitiers, les usages prescrivent des distances supérieures à celles prévues par le code civil.
  • La distance prévue par le code civil
    • Ce n’est qu’à défaut de règlement et d’usage que s’appliquent les distances prévues par le code civil, qui ont donc un caractère subsidiaire.
    • Dans cette hypothèse, l’article 671 pose un principe qu’il assortit d’une limite à l’alinéa 2.
      • Principe
        • La distance à observer dépend de la hauteur de la plantation, étant précisé que le calcul de cette hauteur ne tient pas compte de l’inclinaison du fonds, mais seulement de la taille intrinsèque de la plantation, de la base à son sommet (V. en ce sens 3e civ., 4 nov. 1998, n°96-19708).
        • Ainsi, la distance d’espacement est donc de :
          • Deux mètres de la ligne séparative pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres
          • Un demi-mètre de la ligne séparative pour les autres plantations.
        • Seule importe donc la hauteur de la plantation, étant précisé que ne doit pas être prise en compte la croissance naturelle des arbres, ni la date habituelle de leur taille ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-10077).
        • En outre, dans un arrêt du 1er avril 2009, la Cour de cassation a précisé que « la distance existant entre les arbres et la ligne séparative des héritages doit être déterminée depuis cette ligne jusqu’à l’axe médian des troncs des arbres» ( 3e civ. 1er avr. 2009, n°08-11876).
      • Exception
        • L’article 671 prévoit une exception à la règle prescrivant une distance à observer entre les plantations et la limite du fonds.
        • En effet, l’alinéa 2 de ce texte dispose que lorsqu’existe un mur séparatif des plantations peuvent être faites « en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l’on soit tenu d’observer aucune distance, mais [elles] ne pourront dépasser la crête du mur».
        • Si le mur n’est pas mitoyen, seul son propriétaire peut procéder à de telles plantations en espaliers.

b) Les conditions tenant à l’aspect de la clôture

Outre les règles d’emplacement de la clôture, doivent également être observées des règles qui tiennent à son aspect.

En principe, le choix de la clôture est libre, mais il est souvent soumis à certaines contraintes fixées par les règles d’urbanisme et plus précisément par les plans locaux d’urbanisme ou par les plans d’occupation des sols.

Ces règles propres à chaque agglomération et commune, peuvent ainsi imposer aux propriétaires des hauteurs ou des distances avec la ligne séparative à respecter ou des matériaux spécifiques à utiliser.

Par exemple, la nature et l’apparence des clôtures sont souvent réglementées par les dispositions du règlement du plan local d’urbanisme (PLU), qui va indiquer en général la hauteur maximale admise ainsi que l’apparence (enduit, etc) ou encore la forme que peuvent prendre les clôtures, en général :

  • Un mur plein
  • Un mur bahut d’une certaine hauteur obligatoirement surmonté d’un dispositif à claire-voie ou d’un grillage
  • Un simple grillage sans mur bahut.

Le code de l’urbanisme n’opère pas de distinction selon les types de clôture. Il peut s’agir de clôtures électriques, de grillages ou de tout autre procédé ayant pour fonction de fermer l’accès à un terrain ou d’introduire un obstacle à la circulation.

Dès lors que l’ouvrage a pour finalité de fermer l’accès à un terrain, quel que soit son emplacement sur la parcelle concernée et quelle que soit sa nature, il peut être assimilé à une clôture et, en conséquence, être soumis aux règles du PLU relatives à l’aspect et la forme des clôtures.

À défaut de réglementation spécifique, la hauteur d’un mur ne doit pas être supérieure à 3,20 m pour les villes de 50 000 habitants et plus, et à 2,60 m dans les autres cas, étant précisé que la clôture se mesure à partir du terrain le plus bas.

La clôture réalisée en méconnaissance des règles du PLU peut donner lieu à des sanctions pénales et une procédure devant le tribunal correctionnel.

L’aspect de la clôture peut également être stipulé par le cahier des charges d’une copropriété lorsque le fonds relève d’un lotissement, auquel cas les propriétaires seront tenus de s’y soumettre.

c) Les conditions tenant à la déclaration préalable

L’édification d’une clôture n’est, en principe, pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration préalable.

Lorsque, toutefois, le fonds se situe dans une zone particulière une telle déclaration peut être exigée.

L’article R. 421-12 du Code de l’urbanisme prévoit en ce sens que doit être précédée d’une déclaration préalable l’édification d’une clôture située :

  • Dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable classé en application de l’article L. 631-1 du code du patrimoine ou dans les abords des monuments historiques définis à l’article L. 621-30 du code du patrimoine ;
  • Dans un site inscrit ou dans un site classé ou en instance de classement en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement ;
  • Dans un secteur délimité par le plan local d’urbanisme en application de l’article L. 151-19 ou de l’article L. 151-23 ;
  • Dans une commune ou partie de commune où le conseil municipal ou l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme a décidé de soumettre les clôtures à déclaration.

Ainsi, l’édification de clôtures peut être soumise à déclaration préalable, dès lors que le projet est situé dans un secteur sauvegardé, dans le champ de visibilité d’un monument historique, dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, dans un site inscrit ou un site classé, dans un secteur délimité de plan local d’urbanisme (PLU) ou par délibération du conseil municipal ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en PLU sur tout ou partie de la commune.

La jurisprudence a précisé que seule l’édification d’une clôture est soumise à la déclaration préalable et non sa rénovation ou sa modification (V. en ce sens Cass. crim., 26 févr. 1985).

La déclaration préalable doit satisfaire aux exigences de formes prescrites aux articles R. 431-35 à R. 431-37 du Code de l’urbanisme et notamment comporter

  • L’identité du ou des déclarants ;
  • La localisation et la superficie du ou des terrains ;
  • La nature des travaux ou du changement de destination ;
  • S’il y a lieu, la surface de plancher et la destination des constructions projetées ;
  • Les éléments, fixés par arrêtés, nécessaires au calcul des impositions.

La déclaration préalable doit, ensuite être adressée par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés (art. R. 423-1 C. urb.).

La déclaration et le dossier qui l’accompagnent sont établis en deux exemplaires pour les déclarations préalables (art. R. 423-2 C. urb.).

Dans les quinze jours qui suivent le dépôt de la déclaration et pendant la durée d’instruction de celle-ci, le maire procède à l’affichage en mairie d’un avis de dépôt de demande de permis ou de déclaration préalable précisant les caractéristiques essentielles du projet, dans des conditions prévues par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme (art. R. 423-6 C. urb.).

Le délai d’instruction de droit commun est un mois pour les déclarations préalables, étant précisé que ce délai court à compter de la réception en mairie d’un dossier complet.

À défaut de notification d’une décision expresse dans le délai d’instruction déterminé le silence gardé par l’autorité compétente vaut décision de non-opposition à la déclaration préalable (art. R. 424-1 C. urb.).

B) Les limites du droit de se clore

Le droit de se clore rencontre trois sortes de limites :

  • Celles qui tiennent au droit de vaine pâture
  • Celles qui tiennent au respect des servitudes
  • Celles qui tiennent à l’abus de droit

==> Les limites tenant au droit de vaine pâture

On entend par vaine pâture le droit qu’ont les habitants d’une commune de mener paître leurs bestiaux sur les terres incultes de leur territoire, ainsi que sur les autres fonds non clos, dépouillés de leurs récoltes après les premières et secondes herbes.

Lorsque ce droit existe entre les habitants d’une même commune, on lui donne le nom de vaine pâture et il prend celui de parcours lorsqu’il s’exerce de commune en commune.

Ainsi, le droit de parcours n’est qu’un droit de vaine pâture exercée sur une plus grande échelle.

Les droits de vaine pâture et de parcours ont toujours été regardés comme des actes de simple tolérance. Sous l’ancien régime ils sont devenus constitutifs d’une servitude, à telle enseigne qu’il était défendu aux propriétaires de clore leur héritage.

Cette interdiction a été levée par les révolutionnaires qui, dans le même temps, ont conservé le droit de vaine pâture dans le Code rural adopté en 1791.

La loi du 9 juillet 1889 a maintenu ce droit dans deux cas :

  • Premier cas: l’article L. 651-1 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « le droit de vaine pâture appartenant à la généralité des habitants et s’appliquant en même temps à la généralité d’une commune ou d’une section de commune, en vertu d’une ancienne loi ou coutume, d’un usage immémorial ou d’un titre, n’est reconnu que s’il a fait l’objet avant le 9 juillet 1890 d’une demande de maintien non rejetée par le conseil départemental ou par un décret en Conseil d’État. »
  • Second cas: l’article L. 651-10 du Code rural et de la pêche maritime prévoit que « la vaine pâture fondée sur un titre, et établie sur un héritage déterminé, soit au profit d’un ou plusieurs particuliers, soit au profit de la généralité des habitants d’une commune, est maintenue et continue à s’exercer conformément aux droits acquis. Mais le propriétaire de l’héritage grevé peut toujours s’affranchir soit moyennant une indemnité fixée à dire d’experts, soit par voie de cantonnement »

Quant à l’exercice du droit de vaine pâture il est très strictement encadré. Ainsi, dans aucun cas et dans aucun temps, la vaine pâture ne peut s’exercer sur les prairies artificielles.

Par ailleurs, elle ne peut avoir lieu sur aucune terre ensemencée ou couverte d’une production quelconque faisant l’objet d’une récolte, tant que la récolte n’est pas enlevée.

En outre les conseils municipaux peuvent réglementer le droit de vaine pâture, notamment pour en suspendre l’exercice en cas d’épizootie, le dégel ou de pluies torrentielles, pour cantonner les troupeaux de différents propriétaires ou les animaux d’espèces différentes, pour interdire la présence d’animaux dangereux ou malades dans les troupeaux.

Surtout, l’article L. 651-4 prévoit que « le droit de vaine pâture ne fait jamais obstacle à la faculté que conserve tout propriétaire soit d’user d’un nouveau mode d’assolement ou de culture, soit de se clore. Tout terrain clos est affranchi de la vaine pâture. »

Cette disposition ne fait que reprendre la règle énoncée à l’article 648 du Code civil qui autorise expressément les propriétaires, par principe, à faire obstacle au droit de vaine pâture en élevant des clôtures sur leurs fonds.

Le texte prévoit en ce sens que « le propriétaire qui veut se clore perd son droit au parcours et vaine pâture en proportion du terrain qu’il y soustrait. »

L’idée qui préside à cette règle est que celui qui retire sa mise de la société ne prenne plus de part dans la mise des autres.

Pour exemple, lorsqu’un propriétaire a clos un quart de son héritage, il ne peut plus faire paître que les trois quarts des bestiaux pour lesquels il avait droit antérieurement.

Lorsque toutefois, le droit de vaine pâture est fondé sur un titre, il ne peut plus être exercé puisque s’apparentant alors à une servitude (V. en ce sens Cass. req. 28 juill. 1875).

==> Les limites tenant au respect des servitudes

L’exercice du droit de se clore ne peut jamais porter atteinte aux servitudes susceptibles de grever le fonds.

Ainsi, l’installation d’une clôture ne doit jamais entraver l’exercice notamment :

  • D’une servitude de passage
  • D’une servitude d’écoulement des eaux

Ainsi que l’ont relevé des auteurs, « d’une manière plus générale le droit de se clore est limité par l’obligation de ne pas mettre obstacle à l’exercice d’une servitude quelconque dont le fonds serait grevé au profit d’un autre fonds »[3].

Dans un arrêt du 28 juin 1853 la Cour de cassation a précisé qu’il appartient au juge « tout en respectant autant que possible le droit de clôture du fonds servant, de veiller à ce qu’aux termes de l’article 701, il ne soit rien fait qui tende à diminuer ou à rendre plus incommode, au préjudice du fonds dominant, l’usage de la servitude » (Cass. civ., 28 juin 1853).

Dans un arrêt du 21 novembre 1969 la troisième chambre civile a encore affirmé que si le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage conserve le droit d’y faire tous travaux qu’il juge convenables et de se clore, il ne doit cependant rien entreprendre qui puisse diminuer l’usage de la servitude ou le rendre moins commode, l’appréciation des circonstances modificatives de cet usage rentrant dans les pouvoirs souverains des juges du fond.

Au cas particulier, elle relève que les propriétaires du fonds grevé avaient réduit la largeur du passage, qui n’était plus que de 3,38 m, alors qu’il devait être de 4 mètres et en déduit que le trouble ainsi apporte à l’exercice du passage ne pouvait être utilement contesté puisque ledit passage était le seul accès permettant au propriétaire du fonds dominant d’exploiter sa ferme (Cass. 3e civ. 21 nov. 1969).

==> Les limites tenant à l’abus de droit

Le droit de se clore doit, pour pouvoir être librement exercé, ne pas dégénérer en abus de droit, soit être exercé dans l’intention de nuire au propriétaire du fonds voisin.

Deux critères sont traditionnellement exigés pour caractériser l’abus de droit de propriété : l’inutilité de l’action du propriétaire et son intention de nuire.

  • S’agissant de l’inutilité de l’action du propriétaire
    • Il s’agit ici d’établir que l’action du propriétaire ne lui procure aucune utilité personnelle
    • Dans l’arrêt Clément Bayard, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que le dispositif ne présentait aucune utilité pour le terrain.
    • Elle avait en outre relevé que ce dispositif avait été érigé « sans d’ailleurs, à la hauteur à laquelle il avait été élevé, constituer au sens de l’article 647 du code civil, la clôture que le propriétaire est autorisé à construire pour la protection de ses intérêts légitimes»
    • Au sujet du critère de l’inutilité, dans un arrêt du 20 janvier 1964, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « l’exercice du droit de propriété qui a pour limite la satisfaction d’un intérêt sérieux et légitime, ne saurait autoriser l’accomplissement d’actes malveillants, ne se justifiant par aucune utilité appréciable et portant préjudice à autrui» ( 2e civ., 20 janv. 1964).
  • S’agissant de l’intention de nuire du propriétaire
    • L’intention de nuire qui est un critère psychologique, est l’élément central de la notion d’abus de droit
    • En effet, c’est l’intention de celui qui exerce son droit de propriété qui permet de caractériser l’abus de droit.
    • Dès lors, la recherche du juge consistera en une analyse des mobiles du propriétaire.
    • À l’évidence, l’exercice est difficile, l’esprit se laissant, par hypothèse, difficilement sondé.
    • Comment, dans ces conditions, démontrer l’intention de nuire, étant précisé que la charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur la victime de l’abus ?
    • Compte tenu de la difficulté qu’il y a à rapporter la preuve de l’intention de nuire, la jurisprudence admet qu’elle puisse se déduire de constatations matérielles, en particulier l’inutilité de l’action du propriétaire et le préjudice causé.
    • Si le propriétaire n’avait aucun intérêt légitime à exercer son droit de propriété comme il l’a fait, on peut conjecturer que son comportement procède d’une intention de nuire à autrui, à plus forte raison s’il en résulte en préjudice.

S’agissant du droit de se clore, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 30 octobre 1972, admis qu’il puisse dégénérer en abus de droit.

  • Faits
    • Un propriétaire édifie un mur face à la maison de ses voisins et installe plusieurs rangées de fils de fer barbelés dans le grillage séparant son jardin du chemin qui le borde
    • Les propriétaires du fonds voisin sollicitent la démolition du mur arguant qu’il avait été édifié dans l’unique but de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès.
    • De son côté, le propriétaire du mur soutient que l’édification de ce mur aurait été prescrite par l’autorité sanitaire, après l’enquête provoquée par les plaintes de ses voisins du fait des odeurs provenant de l’élevage de bestiaux.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 29 mars 1971, la Cour d’appel d’Orléans ordonne la démolition du mur litigieux et le retrait des rangées de fils barbelés.
    • Les juges du fond relèvent :
      • D’une part, que les conditions imposées par l’administration au défendeur pour la poursuite de son exploitation d’élevage ne comprenaient pas l’édification du mur litigieux
      • D’autre part, que c’est à la suite de la plainte portée par les voisins auprès de l’autorité administrative que le défendeur a fait élever en face de la maison de ceux-ci, sans le prolonger au-delà, le mur litigieux, qui a été ultérieurement surmonté d’un grillage supportant des plantes grimpantes, manifestant de la sorte son intention évidente de priver leur habitation de vue et de lumière et d’en gêner l’accès, et a fait placer dans le grillage, qui était suffisant pour servir de clôture a son jardin, des rangées de fils de fer barbelés, créant ainsi un danger certain pour les usagers du chemin et notamment pour les enfants
    • La Cour d’appel en conclut que les actes du propriétaire du mur litigieux ne se justifiaient par aucune utilité appréciable en vue de satisfaire un intérêt sérieux et ont été inspirés par une intention malveillante, qui apparaît encore dans la pose, contre le mur litigieux et face à l’entrée de la maison des demandeurs à l’action, d’une pancarte portant l’inscription, « mur du repentir et de la honte, pour ceux qui en ont obligé la construction, que les morveux se mouchent»
  • Décision
    • Par un arrêt du 30 octobre 1972 la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le propriétaire du mur litigieux.
    • Elle considère que la pose du mur avait bien dégénéré en abus de droit eu égard les circonstances de son édification et les motivations de son auteur.

Il ressort de cet arrêt que, lorsque l’intention de nuire est établie, il peut être fait échec à l’exercice du droit de se clore.

Lorsque, en revanche, il apparaît que la clôture ne présente pas un aspect inesthétique caractérisé et que son aspect est conforme à une autorisation municipale octroyée au propriétaire du fond, il a été jugé que l’action en trouble de voisinage ne peut pas prospérer (Cass. 3e civ. 18 janv. 2011, n°09-17459).

II) L’obligation de se clore

A) Principe

Si tout propriétaire d’un fonds est titulaire du droit de se clore il est dès cas où cet acte lui est imposé par la loi.

L’article 663 du Code civil dispose en ce sens que « chacun peut contraindre son voisin, dans les villes et faubourgs, à contribuer aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins assis ès dites villes et faubourgs »

Il ressort de cette disposition que le propriétaire d’un fonds situé dans un espace urbain peut contraindre son voisin à participer à la construction et à l’entretien d’une clôture afin d’empêcher toute communication entre les deux propriétés.

Cette clôture forcée est présentée par une partie de la doctrine comme répondant à un objectif de salubrité publique, en ce sens qu’il s’agirait d’empêcher la constitution de terrains vagues et de lutter contre l’insécurité.

D’autres auteurs arguent, au contraire, que dans la mesure où la règle ainsi édictée n’est pas d’ordre public elle viserait seulement à assurer la tranquillité et la vie privée des habitants des villes.

Reste que pour qu’un propriétaire soit contraint d’élever une clôture sur son fonds encore faut-il que son voisin se prévale du bénéfice de l’article 663. Or la mise en œuvre de cette disposition est subordonnée à la réunion de plusieurs conditions.

B) Conditions

  • Des fonds situés en milieu urbains
    • Le propriétaire d’un fonds ne peut contraindre son voisin à participer à l’élévation d’une clôture qu’à la condition que les fonds soient situés en milieu urbain, l’article 663 visant « les villes et les faubourgs».
    • Il en résulte que cette obligation n’est pas applicable en zone rurale.
    • En l’absence de définition des notions de villes et faubourgs, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier la configuration de la zone dans laquelle sont situés les fonds concernés.
  • Des fonds affectés à l’usage d’habitation
    • Seuls les fonds affectés à l’usage d’habitation relèvent du domaine d’application de l’article 663 du Code civil ( req. 28 févr. 1905).
  • Des fonds contigus
    • La jurisprudence exige que les fonds soient contigus, faute de quoi l’article 663 est inapplicable ( req. 1er juill. 1857).
    • Lorsque, dès lors, les deux fonds sont séparés par un espace qui ne leur appartient pas, aucune clôture ne pourra être imposée par un propriétaire à l’autre.
  • L’absence de mur existant
    • Il s’infère de l’article 663 qu’un propriétaire ne peut contraindre son voisin à ériger une clôture qu’à la condition qu’aucun mur ne sépare déjà les deux fonds.
    • L’objectif recherché par le texte est de forcer l’édification d’une clôture et non l’acquisition de la mitoyenneté d’un mur (V. en ce sens Req. 25 juill. 1928).

C) Effets

==> Le partage des frais de construction

L’exercice de la faculté prévue à l’article 663 du Code civil a pour effet de contraindre le propriétaire du fonds voisin à « contribuer aux constructions et réparations de la clôture faisant séparation de leurs maisons, cours et jardins ».

Il s’infère de la règle ainsi posée que les frais de construction doivent être partagés à parts égales entre les propriétaires des deux fonds, étant précisé que le montant des frais s’évalue au jour de la construction.

La clôture alors édifiée sera mitoyenne de sorte que les propriétaires seront copropriétaires de l’ouvrage.

==> Les caractéristiques de la clôture

S’agissant des caractéristiques de la clôture, elles sont envisagées par l’article 663 qui prévoit que « la hauteur de la clôture sera fixée suivant les règlements particuliers ou les usages constants et reconnus et, à défaut d’usages et de règlements, tout mur de séparation entre voisins, qui sera construit ou rétabli à l’avenir, doit avoir au moins trente-deux décimètres de hauteur, compris le chaperon, dans les villes de cinquante mille âmes et au-dessus, et vingt-six décimètres dans les autres. »

Il ressort du texte que la clôture doit présenter certaines caractéristiques, faute de quoi l’un des propriétaires pourra contraindre l’autre à se conformer aux exigences requises.

  • Un mur
    • La première exigence tient à la nature de la clôture qui doit consister en un mur, de sorte qu’une simple haie, un grillage ou encore une palissade sont insuffisants
  • Dimensions
    • Le mur doit être édifié dans le respect de plusieurs dimensions fixées par l’article 663.
    • Tout d’abord, il doit être édifié sur la ligne séparative et s’étendre sur toute la longueur de cette ligne.
    • Ensuite, le mur doit atteindre une hauteur minimum de 3.20 m pour les villes de 50.000 habitants et plus et 2.60 m dans les autres villes, saufs règlements et usages contraires.
    • Les dimensions du mur s’imposent aux propriétaires qu’autant qu’ils n’ont pas trouvé d’accord.
    • Il leur est parfaitement loisible de s’entendre sur la nature de la clôture, en privilégiant par exemple l’installation d’un grillage à un mur ainsi que sur ces dimensions, pourvu que l’ouvrage respecte les règles d’urbanisme.

[1] E. Gavin-Millan Oosterlynck, « Servitudes légales, Distances à observer pour les plantations », J.-Cl. Civil Code, art. 671 à 673, 2010, n° 3.

[2] V. en ce sens l’article L. 511-3 du code rural et de la pêche maritime

[3] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2004, n°286, p. 235.

La possession: éléments constitutifs, caractères, effets et protection

Ainsi que l’écrivait le Doyen Carbonnier « les biens n’ont de sens que par rapport à l’homme »[1]. Autrement dit, le droit n’a pas vocation à appréhender les choses en tant que telles, soit indépendamment de l’utilité qu’elles procurent à l’homme ; il les envisage, bien au contraire, dans leur rapport exclusif avec lui.

Plus précisément, c’est l’appropriation dont les choses sont susceptibles de faire l’objet qui intéresse le droit.

Si cette appropriation s’exprime toujours par l’exercice par l’homme d’un pouvoir sur la chose, ce pouvoir peut être de deux ordres :

  • D’une part, il peut s’agir d’un pouvoir de fait : on parle alors de possession de la chose
  • D’autre part, il peut s’agir d’un pouvoir de droit : on parle alors de propriété de la chose

==> Distinction entre la possession et la propriété

Possession et propriété peuvent, en quelque sorte, être regardés comme les deux faces d’une même pièce.

  • La possession : un pouvoir de fait sur la chose
    • La possession est le pouvoir physique exercé sur une chose, de sorte qu’elle confère au possesseur une emprise matérielle sur elle.
    • À cet égard, pour le Doyen Cornu « le possesseur a la maîtrise effective de la chose possédée. Il la détient matériellement. Elle est entre ses mains. En sa puissance».
    • Ainsi, la possession est un fait, par opposition à la propriété qui est le droit, ce qui a conduit le Doyen Carbonnier à dire de la possession qu’elle est l’ombre de la propriété.
    • La possession n’est, toutefois, pas n’importe quel fait : elle est un fait juridique, soit un agissement auquel la loi attache des effets de droit.
    • Et la situation juridique ainsi créée est protégée en elle-même.
  • La propriété : un pouvoir de droit sur la chose
    • À la différence de la possession qui relève du fait, la propriété est le pouvoir de droit exercé sur une chose.
    • Par pouvoir de droit, il faut entendre la faculté pour le propriétaire d’user, de jouir et de disposer de la chose.
    • Ainsi, la propriété confère une plénitude de pouvoirs sur la chose, lesquels pouvoirs s’incarnent dans ce que l’on appelle le droit réel (« réel » vient du latin « res» : la chose).
    • Ce droit réel dont est titulaire le propriétaire est le plus complet de tous.
    • La raison en est que la propriété, en ce qu’elle procure au propriétaire l’ensemble des utilités de la chose, fonde la souveraineté qu’il exerce sur elle à l’exclusion de toute autre personne.
    • À la différence de la possession qui est susceptible, à tout instant, d’être remise en cause par le véritable propriétaire de la chose, la propriété confère au à son titulaire un droit – réel – dont il ne peut être privé par personne, sauf à faire l’objet d’une procédure d’expropriation, laquelle procédure est strictement encadrée par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

La plupart du temps, la propriété coïncide avec la possession, de sorte que le propriétaire qui est titulaire d’un droit réel sur la chose, exerce également sur elle une emprise physique.

Réciproquement, l’immense majorité des possesseurs exercent un pouvoir de fait sur la chose qui est corroboré par un titre, si bien que le fait est couvert par le droit.

Il est néanmoins des cas où la possession ne correspond pas à la propriété : il y a celui qui  exerce un pouvoir de fait sur la chose que tout le monde croit être le propriétaire et il y a celui qui est titulaire d’un titre de propriété mais qui n’a pas la maîtrise physique de la chose.

Cette situation, qui est de nature à troubler la paix sociale, doit être réglée. Pour ce faire, le droit part du postulat que, en général, le possesseur se confond avec le propriétaire, raison pour laquelle il fait produire des effets juridiques à la situation de fait qu’est la possession.

Tantôt les effets attachés à la possession permettront de rapporter la preuve du droit, tantôt ils opéreront acquisition du droit.

Dans les deux cas, la possession confère au possesseur une protection lui permettant de faire échec à une action en revendication exercée par le propriétaire de la chose. Encore faut-il néanmoins que cette possession soit caractérisée.

==> Théories de la possession

Deux théories s’opposent sur la possession :

  • La théorie subjective
    • Cette théorie a été développée, en 1803, par Savigny pour qui la possession se caractérise avant tout par l’état d’esprit du possesseur (animus), soit par sa volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose.
    • Pour cet auteur c’est cet élément psychologique, l’animo domini (l’esprit du maître), qui confère à celui qui exerce une emprise physique sur la chose la qualité de possesseur.
  • La théorie objective
    • Cette théorie a été pensée en 1865 par Jhering pour qui, l’état d’esprit est indifférent : ce qui importe c’est l’emprise matérielle exercée sur la chose (corpus).
    • Aussi, pour cet auteur la maîtrise physique de la chose suffit à établir la possession et donc à octroyer à celui qui détient le pouvoir de fait la protection possessoire
    • À cet égard, pour Jhering, cette protection possessoire emporte présomption de propriété, ce qui a pour conséquence de dispenser celui qui exerce son emprise sur la chose de prouver qu’elle est corroborée par un titre

À l’examen, le droit français a envisagé la possession en combinant ses deux théories : la qualité de possesseur tient tout autant à l’état d’esprit de celui qui se présente comme le propriétaire de la chose, qu’à l’emprise physique qu’il exerce sur la chose.

I) Les conditions de la possession

A) Les éléments constitutifs de la possession

La caractérisation de la possession est subordonnée à la réunion de deux éléments cumulatifs :

  • La maîtrise physique de la chose : le corpus
  • La volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose : l’animus
    1. L’élément matériel de la possession : le corpus

1.1 Les formes de la possession

Si le corpus de la possession consiste invariablement en l’accomplissement d’actes matériels sur la chose, il est admis que ces actes puissent être accomplis, tant par le possesseur lui-même, que par autrui.

a) La possession par le possesseur lui-même

Le corpus de la possession s’analyse donc comme l’exercice d’une emprise physique sur la chose. L’article 2255 du Code civil précise en ce sens que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • D’une part, le corpus correspond toujours en l’accomplissement d’actes matériels
  • D’autre part, le corpus ne correspond jamais en l’accomplissement d’actes juridiques

==> L’accomplissent d’actes matériels détermine la constitution du corpus

Seuls des actes matériels accomplis sur la chose permettent de caractériser le corpus. Ces actes consistent, selon l’article 2255 du Code civil, soit en la détention, soit en la jouissance de la chose.

  • La détention
    • Il s’agit de l’acte matériel en lui-même accompli par le possesseur qui lui procure une emprise sur la chose, peu importe que cette emprise soit physique
    • La détention permet ainsi au possesseur de tenir la chose en son pouvoir
      • Exemple: tenir un stylo dans sa main ou occuper un immeuble
  • La jouissance
    • Il s’agit de tous les actes matériels d’utilisation et d’exploitation économique de la chose
    • La perception des fruits ou des produits de la chose participent de sa jouissance
      • Exemple: percevoir les loyers d’un immeuble

==> L’accomplissement d’actes juridiques est indifférent à la constitution du corpus

La jurisprudence n’admet pas à titre de corpus l’accomplissement d’actes juridiques. Les actes d’administration ou de disposition de la chose, tels que sa location, son entretien, sa réparation ou encore sa vente, sont indifférents (Cass. civ. 14 nov. 1910).

La raison en est qu’il n’est pas besoin d’être possesseur de la chose pour les accomplir : ces actes relèvent du droit et non du fait, de sorte que la conclusion d’un contrat portant sur la chose est à la portée de quiconque.

Il n’est, en effet, pas nécessaire de détenir matériellement la chose pour la céder ou la donner à bail.

Tout au plus, l’accomplissement d’actes juridiques sur la chose permettent d’étayer l’exercice d’un pouvoir de fait sur la chose. Si néanmoins ces actes ne sont pas corroborés par l’établissement d’actes matériels, la preuve de la possession ne sera pas rapportée (V. en ce sens Cass. 3e civ. 4 mai 2011, n°09-10.831).

b) La possession par l’entremise d’un tiers

L’article 2255 du Code civil prévoit que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom. »

Il ressort de cette disposition qu’il n’est pas nécessaire que la possession soit exercée par le possesseur : elle peut également intervenir par l’entremise d’un tiers. C’est ce que l’on appelle la possession corpore alieno.

Dans cette hypothèse, ce n’est pas le possesseur qui exerce une emprise matérielle sur la chose, mais son représentant, soit celui qui agit pour son compte.

Pour que le corpus de la possession soit constitué, il est toujours nécessaire que soit accomplis sur la chose des actes matériels, seulement ces actes sont accomplis par autrui.

Tel est le cas, par exemple, du locataire qui occupe les locaux donnés à bail pour le compte du possesseur qui endossera le plus souvent la qualité, soit de propriétaire, soit d’usufruitier.

Tel est encore le cas du salarié qui accomplit les actes de détention ou de jouissance sur la chose pour le compte de son employeur, lequel bien qu’il ne la maîtrise pas physiquement, en est le possesseur.

En effet, pour être le possesseur de la chose, il ne suffit pas d’exercer une emprise matérielle sur elle, il faut encore vouloir se comporter comme son propriétaire.

C’est la raison pour laquelle la possession corpore alieno se conçoit relativement facilement. Au fond, elle n’est qu’une modalité d’exercice de la possession.

1.2 L’objet de la possession

Parce que la possession consiste avant tout en l’exercice d’une emprise physique sur une chose, elle ne se conçoit, a priori, qu’en présence de choses corporelles.

Est-ce à dire que la possession ne peut, en aucun, cas porter sur une chose incorporelle ? La lecture de l’article 2255 du Code civil suggère le contraire.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit ».

La possession peut donc avoir pour objet un droit, un droit subjectif, qui, par nature, est un bien incorporel.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont les droits susceptibles de faire l’objet de possession :

  • Les droits réels
    • Il convient ici de distinguer selon que le droit réel porte sur une chose corporelle ou sur une chose incorporelle
      • Le droit réel porte sur une chose corporelle
        • Dans cette hypothèse, la possession est admise dans la mesure où la possession du droit réel pourra se traduire par l’accomplissement d’actes matériels sur le bien, tels que son utilisation ou la perception de ses fruits.
        • La possession pourra ainsi porter sur l’usufruit ou sur une servitude : elle consistera alors en l’exercice effectif de cet usufruit ou de cette servitude comme si le possesseur en avait régulièrement acquis le droit.
        • La possession du droit réel correspond donc à la situation de celui qui se comporte comme le véritable titulaire de ce droit
      • Le droit réel porte sur une chose incorporelle
        • Par principe, la possession d’un droit réel est exclue lorsque celui-ci porte sur une chose incorporelle
        • La raison en est que, par hypothèse, les choses incorporelles ne sont pas tangibles de sorte que le corpus, requis pour caractériser la possession, ne peut pas s’exercer sur elle.
        • Aussi, parce que les choses incorporelles sont seulement susceptibles de faire l’objet d’actes juridiques, et non d’actes matériels, la jurisprudence n’admet pas qu’elles puissent être possédées.
        • Dans un arrêt du 7 mars 2007, la Cour de cassation a jugé en ce « la licence d’exploitation d’un débit de boissons ayant la même nature de meuble incorporel que le fonds de commerce dont elle est l’un des éléments et ne se transmettant pas par simple tradition manuelle».
        • Elle en déduit qu’il y a lieu d’écarter, au cas particulier, les effets attachés à la possession qu’est la présomption légale de propriété énoncée à l’article 2279 du Code civil ( com., 7 mars 2006, n°04-13.569).
        • La même solution a été retenue s’agissant de l’application de cette présomption à la possession d’un fonds de commerce ( civ. 26 janv. 1914)
  • Les droits personnels
    • Pour les mêmes raisons que celles avancées pour refuser la possession des choses incorporelles, la possession d’une créance n’est pas admise.
    • Comment pourrait-il en être autrement dans la mesure où, par nature, une créance n’est pas une chose, mais un droit que l’on exerce contre une personne.
    • Elle est donc insusceptible de faire l’objet d’une emprise matérielle, sauf à être incorporée dans un titre.
    • Tel sera le cas lorsque la créance est, par exemple, constatée par un effet de commerce, tel qu’une lettre de change ou le billet à ordre.
    • Pour mémoire, un effet de commerce est un titre négociable qui constate, au profit du porteur, une créance de somme d’argent dont le paiement est fixé à une échéance déterminée (le plus souvent à court terme).
    • À cet égard, le titre c’est un droit de créance (droit personnel d’un créancier contre un débiteur), de sorte que qui détient, matériellement, le titre (exerce un droit réel sur le support papier) détient le droit de créance.
    • Il en résulte que les effets de commerce ne se cantonnent pas à constater une créance : ils l’incorporent.
    • Autrement dit, tout autant que l’effet de commerce remplit la fonction d’instrumentum (l’acte qui constate une opération juridique), il contient le négocium (l’opération en laquelle consiste l’acte juridique).
    • L’incorporation de la créance dans le titre permet alors à celui-ci de circuler très facilement de main et main, soit par tradition, soit par endossement.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence admet que la possession puisse avoir pour objet un titre incorporant une créance (V.en ce sens com. 30 nov. 2004, n°01-16737).

1.3 La disparition du corpus

Il est des situations où, tandis que le possesseur cesse d’accomplir des actes matériels sur la chose, il continue à se comporter comme le véritable propriétaire.

Dans la mesure où le corpus est une condition indispensable à la possession, la question se pose de sa régularité. Autrement dit, la possession peut-elle survivre à la disparition du corpus ?

À l’examen, tout dépend de l’aptitude du possesseur à accomplir des actes matériels sur la chose.

Si la chose a été perdue ou volée, l’impossibilité pour le possesseur de poursuivre l’exercice sur elle d’une emprise physique emporte disparition de la possession.

Si, en revanche, nonobstant l’absence d’accomplissement d’actes matériels sur la chose, cette possibilité est toujours à la portée du possesseur, la possession peut prospérer par sa seule intention de se comporter comme le propriétaire du bien. On dit qu’elle continue alors animo solo.

La Cour de cassation a précisé en ce sens, dans un arrêt du 20 février 2013, que « la possession légale utile pour prescrire ne peut s’établir à l’origine que par des actes matériels d’occupation réelle et se conserve tant que le cours n’en est pas interrompu ou suspendu » (Cass. 3e civ. 20 févr. 2013, n°11-25398).

Pour survivre animo solo, la possession ne doit, autrement dit, ne pas être remise en cause par un tiers.

2. L’élément intentionnel de la possession : l’animus

2.1 Notion

a) Un élément psychologique

L’animus se définit comme la volonté du possesseur de se comporter à l’égard de la chose comme s’il en était le véritable propriétaire.

Il s’agit, autrement dit, de son état d’esprit, soit de l’élément psychologique de la possession. Il faut avoir l’intention de se comporter comme le titulaire du droit exercé pour être fondé à se prévaloir des effets attachés à la possession.

À cet égard, l’élément qu’est l’animus et qui doit être exercé par le possesseur permet de distinguer la possession de la détention

b) Possession et détention

Il est des situations où celui qui exerce une emprise physique sur la chose, n’a pas la volonté de se comporter comme son propriétaire.

Parce qu’il lui manque l’animus il ne peut donc pas être qualifié de possesseur  : il est seulement détenteur de la chose.

La détention se distingue ainsi de la possession en ce que le détenteur n’a pas la volonté d’être titulaire du droit réel en cause.

Reste qu’il exerce, comme le possesseur, une emprise matérielle sur la chose. La détention peut prendre deux formes :

  • Elle peut être précaire, soit résulter d’un titre
  • Elle peut être simple, soit résulter d’un fait

?: Possession et détention précaire

Le Code civil ne donne aucune définition de la détention, il se limite à en décrire les effets. L’article 2266, par exemple, prévoit que « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit ».

Aussi, c’est vers la doctrine qu’il convient de se tourner pour identifier la notion et en comprendre les éléments constitutifs.

Le doyen Cornu définit la détention dans son vocabulaire juridique comme « le pouvoir de fait exercé sur la chose d’autrui en vertu d’un titre juridique qui rend la détention précaire en ce qu’il oblige toujours son détenteur à restituer la chose à son propriétaire et l’empêche de l’acquérir par la prescription (sauf interversion de titre), mais non de jouir de la protection possessoire, au moins à l’égard des tiers ».

Il ressort de cette définition que la distinction entre la possession et la détention précaire tient, d’une part, à leurs sources, d’autre part, à leurs éléments constitutifs et, enfin, à leurs effets.

==> Les sources

Si, possesseur et détenteur ont en commun d’exercer un pouvoir de fait sur la chose, ils se distinguent en ce que la possession résulte toujours d’une situation de fait, tandis que la détention précaire résulte d’une situation de droit.

  • La possession relève du fait
    • Si la possession se confond généralement avec la propriété, situation de droit, elle relève pourtant toujours du fait : l’acte de détention et de jouissance de la chose
    • Si le possesseur exerce un pouvoir de fait sur la chose, c’est parce qu’il en a la maîtrise physique.
    • Le point de départ de la possession consiste ainsi en une situation de pur fait, l’emprise matérielle exercée sur la chose, à la différence de la détention qui est assise sur une situation de droit
  • La détention relève du droit
    • Contrairement au possesseur, le détenteur précaire ne tient pas son pouvoir de l’emprise matérielle qu’il exerce sur la chose, mais du titre qui l’autorise à détenir la chose.
    • Ce titre est le plus souvent un contrat, tel qu’un bail, un prêt, un dépôt ou encore un mandat.
    • Ce titre peut encore résulter de la loi : il en va ainsi du tuteur qui est détenteur précaire des biens qu’il administre pour le compte de la personne protégée.
    • Tel est encore le cas de l’usufruitier dont le pouvoir, qu’il détient le plus souvent des règles de dévolution successorale, ne se confond pas avec le droit du propriétaire (V. en ce sens 2266 C. civ.)

==> Les éléments constitutifs

Ce qui distingue la possession de la détention ne tient pas seulement à leurs sources, mais également à leurs éléments constitutifs.

  • S’agissant de la possession
    • La possession requiert, pour être constituée, la caractérisation du corpus et de l’animus.
    • S’il est admis que la possession puisse perdurer en cas de disparition du corpus, sous réserve qu’elle ne soit pas contredite par un tiers, c’est à la condition que le possesseur ait l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose.
    • Surtout, la possession ne pourra produire ses effets que si elle ne résulte d’aucun titre, car le titre fonde la détention.
  • S’agissant de la détention
    • Comme la possession, la détention requiert le corpus: le détenteur doit exercer une emprise matérielle sur la chose.
    • La détention est ainsi, avant toute chose, un pouvoir de fait sur la chose.
    • Ce pouvoir dont est titulaire le détenteur ne s’accompagne pas néanmoins de l’animus
    • Ce dernier n’a, en effet, pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
    • Ses agissements se limitent à exercer une emprise matérielle sur la chose, sans intention de se l’approprier
    • C’est là une différence fondamentale avec la possession qui se caractérise notamment par l’animus.
    • La conséquence en est que, en l’absence de l’animus, la détention ne peut emporter aucun des effets juridiques attachés à la possession, spécialement l’effet acquisitif.

==> Les effets

Dernière différence entre la détention et la possession : leurs effets respectifs. Tandis que la détention se caractérise par l’obligation de restitution qui pèse sur le détenteur, la possession permet au possesseur d’acquérir, sous certaines conditions, le bien possédé.

  • La restitution de la chose
    • Particularité de la détention, qui ne se retrouve pas dans la possession, le détenteur a vocation à restituer la chose à son propriétaire ; d’où la qualification de détention précaire
    • L’obligation de restitution résulte du titre qui fonde le pouvoir exercé sur la chose par le détenteur
    • Lorsque, en effet, la situation de droit cesse de produire ses effets, le détenteur doit restituer la chose
    • Ainsi, à l’échéance du contrat, le locataire doit quitter les lieux, le dépositaire doit rendre la chose au déposant et l’emprunteur doit rembourser la somme d’argent prêtée au prêteur
    • L’obligation de restitution rend certes la détention de la chose précaire
    • Cette précarité est toutefois somme toute relative, dans la mesure, le détenteur est protégé par un titre.
    • Si le contrat de bail exige que la chose louée soit restituée à l’échéance du terme, il oblige également le bailleur à assurer au preneur la jouissance paisible de la chose pendant toute la durée du bail.
    • Sur cet aspect la situation du détenteur précaire est bien moins favorable que celle du possesseur sur lequel ne pèse, certes, aucune obligation de restitution, mais dont le pouvoir qu’il exerce sur la chose peut être contesté par un tiers.
    • Le possesseur n’a, en effet, pas vocation, a priori, à restituer le bien puisque, par hypothèse, il a la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire.
    • Reste que la possession peut être affectée par un certain nombre de vices de nature à la priver d’efficacité, voire à la remettre en cause.
    • Tel n’est pas le cas de la détention précaire qui résulte toujours d’une situation de droit et qui, par voie de conséquence, procure au détenteur une certaine sécurité juridique
  • L’acquisition de la chose
    • L’un des principaux effets attachés à la possession est de permettre au possesseur d’acquérir le bien par voie de prescription.
    • À cet égard, l’article 2258 du Code civil dispose que « la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.»
    • Autrement dit, le possesseur peut devenir le propriétaire, de droit, de la chose en cas de possession continue et prolongée dans le temps.
    • C’est là une différence fondamentale avec la détention qui, par principe, n’emporte aucun effet acquisitif.
    • Il est néanmoins des cas exceptionnels où ma loi lui attache cet effet.
      • Principe
        • À la différence de la possession, la détention ne produit pas d’effet acquisitif.
        • Ce principe est énoncé à plusieurs reprises dans le Code civil
        • Ainsi, l’article 2257 prévoit que « quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du contraire»
        • L’article 2266 dispose encore que :
          • D’une part, « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. »
          • D’autre part, « ainsi, le locataire, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne peuvent le prescrire. »
        • La règle ainsi posée se justifie par l’absence d’animus chez le détenteur.
        • Celui-ci n’a, a priori, pas l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire du bien avec lequel il entretient généralement une relation contractuelle.
        • À supposer que détenteur possède cet animus, il y a lieu de protéger le véritable propriétaire de la chose contre les manœuvres du possesseur.
        • Admettre que la détention puisse produire un effet acquisitif reviendrait à considérablement fragiliser le droit réel dont est titulaire le propriétaire toutes les fois qu’il consent à autrui la détention de la chose dans le cadre d’une relation contractuelle.
      • Exceptions
        • Le code civil pose plusieurs d’exceptions à l’impossibilité pour le détenteur d’acquérir le bien par voie de prescription
          • Première exception : la transmission du bien à un tiers
            • L’article 2269 du Code civil admet que lorsque le bien a été transmis par le détenteur précaire à un tiers, la prescription acquisitive peut jouer
              • En matière de meuble, si l’effet acquisitif est immédiat, le tiers doit être un possesseur de bonne foi ( 226 C. civ.)
              • En matière d’immeuble, le délai de la prescription acquisitive est de 10 ans si le tiers est de bonne foi et de trente ans s’il est de mauvaise foi
          • Seconde exception : l’interversion de titre
            • L’article 2268 du Code civil dispose que les détenteurs précaires « peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’elles ont opposée au droit du propriétaire.»
            • Cette situation correspond à l’hypothèse où le détenteur précaire décide de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
            • On parle alors d’interversion de titre : le détenteur qui est censé être dépourvu d’animus conteste au propriétaire son droit de propriété
            • Si ce dernier ne réagit pas, il s’expose à ce que le détenteur, en application de l’article 2268 du Code civil, se prévale de la prescription acquisitive
            • L’interversion de titre peut également intervenir du fait d’un tiers : c’est l’hypothèse où le détenteur a transmis la chose à un tiers de bonne foi.
            • Ce dernier est alors susceptible de se comporter comme le propriétaire de la chose

?) Détention précaire et acte de pure faculté ou de simple tolérance

Lorsque le pouvoir de fait exercé sur la chose ne correspond ni à une situation de possession, ni à une situation de détention précaire, on dit de l’agent qu’il est « occupant sans droit, ni titre ».

Tout au plus, lorsque l’emprise matérielle que l’occupant exerce sur le bien est consentie par le propriétaire, elle correspond à ce que l’on appelle un acte de pure faculté ou de simple tolérance.

L’acte de pure faculté ou de simple tolérance peut se définir comme la détention d’un bien  avec la permission tacite ou expresse du propriétaire.

À la différence de la détention précaire qui repose sur un titre, la détention résulte ici de la seule volonté du propriétaire de la chose.

Cette situation se rencontre notamment en matière de servitude qui est une charge établie sur un immeuble pour l’usage et l’utilité d’un fonds voisin appartenant à un autre propriétaire.

Il s’agit d’un démembrement de la propriété de l’immeuble que la servitude grève et d’un droit accessoire de la propriété du fonds auquel elle bénéficie. Comme un droit réel, la servitude peut parfois être acquise par prescription. Pour ce faire, elle doit faire l’objet d’une possession pendant une certaine durée.

Toutefois, ainsi que le prévoit l’article 2262 du Code civil « les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. »

Ainsi, lorsque la détention ne résulte pas d’un titre et que le détenteur n’a pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, elle ne produit aucun effet.

Cette règle a, par exemple, trouvé à s’appliquer dans un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 6 mai 2014. La troisième chambre civile a, en effet, validé la décision d’une Cour d’appel qui avait retenu « qu’un acte de pure faculté de simple tolérance ne pouvait fonder ni possession ni prescription » (Cass. 3e civ. 6 mai 2014, n°13-16790).

Dès lors, le fait pour le propriétaire d’un champ d’autoriser un voisin à faire paître son troupeau d’animaux sur ce champ ne fait pas du voisin le possesseur d’une servitude de passage et de pâturage.

Pareillement, le simple passage à pied sur le terrain d’autrui, toléré par le propriétaire, ne suffit pas à constituer possession, faute d’élément intentionnel.

Au fond, l’acte de pure faculté ou de simple tolérance consiste en l’exercice normal du droit de propriété qui, n’empiétant pas sur le fonds d’autrui, ne constitue pas un acte de possession capable de faire acquérir, par usucapion, un droit sur ce fonds.

Cet acte de pure faculté ou de simple tolérance est admis, soit parce que le propriétaire du fonds l’a expressément autorisé, soit parce qu’il y consent tacitement par souci d’amitié, de bon voisinage, d’obligeance ou encore altruisme.

==> Au bilan, les différents cas dans lesquels est susceptible de se trouver celui qui exerce un pouvoir de fait ou de droit sur la chose correspondent à quatre situations :

Possession - Corpus

2.2 Preuve

Par nature, l’animus, élément constitutif de la possession est difficile à établir. Il s’agit, en effet, de prouver un élément psychologique, lequel est, par nature, difficilement sondable, à tout le moins tangible.

Aussi, afin de faciliter la preuve de l’animus, le législateur a prévu deux présomptions :

  • La présomption de l’animus domini
  • La présomption de détention continue

==> La présomption d’animus domini

L’article 2256 du Code civil pose que « on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre. »

Cette présomption signifie que celui qui exerce une emprise matérielle sur la chose est présumé être le possesseur de la chose, soit avoir l’intention de se comporter en propriétaire de la chose.

Cette présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve que celui qui détient matériellement la chose, la possède pour autrui, de sorte qu’il n’est qu’un détenteur précaire.

Il pourrait ainsi s’agir, pour le véritable possesseur de la chose, d’établir que la chose est détenue au titre d’un contrat (bail, dépôt, mandat etc.).

==> La présomption de détention continue

L’article 2257 du Code civil prévoit que « quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du contraire. »

La règle ainsi posée signifie que lorsque la maîtrise matérielle de la chose a commencé par une détention précaire, soit en vertu d’un titre, le détenteur est présumé pendant toute la durée de la détention être dépourvu d’animus.

En cas de changement d’état d’esprit, soit s’il décide de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, c’est à lui qu’il appartient de prouver qu’il est devenu possesseur de la chose.

Pour ce faire, il lui faudra invoquer l’interversion de titre, situation envisagée à l’article 2268 du Code civil.

Cette disposition prévoit que les détenteurs précaires « peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’elles ont opposée au droit du propriétaire. »

Cette situation correspond à deux hypothèses :

  • Première hypothèse
    • Le détenteur précaire décide de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
    • On parle alors d’interversion de titre : le détenteur qui est censé être dépourvu d’animus conteste au propriétaire son droit de propriété
    • Si ce dernier ne réagit pas, il s’expose à ce que le détenteur, en application de l’article 2268 du Code civil, se prévale de la prescription acquisitive
  • Seconde hypothèse
    • Le détenteur précaire peut avoir transmis la chose à un tiers de bonne foi qui est susceptible de se comporter comme le propriétaire de la chose.
    • Tel est le cas dans l’hypothèse où le locataire vend le bien loué à un tiers qui ignore que son cocontractant n’en est pas le propriétaire
    • Il y aura ici interversion de titre entre le véritable propriétaire et le tiers de bonne foi

B) L’efficacité de la possession

Pour être efficace, la possession doit, d’une part, présenter un certain nombre de caractères requis par la loi et, d’autre part, être exercé par une personne de bonne foi.

  1. Les caractères de la possession

L’article 2261 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Plus précisément, pour produire ses pleins effets, elle doit être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la prescription est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

La prescription ne sera utile que si elle présente les quatre caractères énumérés par la loi, étant précisé que la dernière partie du texte « à titre de propriétaire », se rapporte non pas aux caractères de la possession mais à son existence, et plus précisément à son animus.

a) Continue

L’article 2261 du Code civil exige que la possession soit « continue et non interrompue » pour être utile.

À l’examen, la formulation est maladroite. En effet, l’absence d’interruption intéresse, non pas la possession, mais plutôt la prescription.

La notion de non-interruption renvoie, en effet, au mécanisme de computation des délais pour prescrire. Or ce n’est pas ce dont il s’agit ici.

Ce qui importe c’est que la possession soit continue, qualité qui s’apprécie au regard du corpus. Par continue, il faut plus précisément entendre que l’emprise physique exercée sur la chose par le possesseur n’est pas occasionnelle, épisodique : elle doit se prolonger dans le temps, sans discontinuité.

Il ne s’agira pas pour le possesseur de conserver en permanence la chose dans ses mains, mais d’accomplir des actes matériels régulièrement sur elle.

Dans un arrêt du 11 juin 1950, la Cour de cassation a jugé que la possession est continue « lorsqu’elle a été exercée dans toutes les occasions, comme à tous les moments où elle devait l’être, d’après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes, et rendre ainsi la possession discontinue » (Cass. civ. 11 juin 1950).

Dans le même sens, Planiol et Ripert ont écrit que « la continuité résulte d’une série d’actes accomplis à des intervalles normaux, tels que pourrait les faire un propriétaire soigneux qui désirerait tirer de son bien tout le profit possible. Une possession qui ne s’exerce pas d’une façon régulière n’imite pas d’assez près la réalité du droit pour être protégée »[2].

Ainsi, il y aura discontinuité toutes les fois qu’il y a interruption anormale de la possession dans les actes qui constituent le corpus.

À cet égard, le vice de discontinuité de la possession est absolu, en ce sens qu’il peut être invoqué par tout le monde, y compris par les tiers. Ce vice est également temporaire, dans la mesure où il n’est pas une cause de disparition de la possession qui peut être reprise postérieurement.

À cet égard, en cas de reprise d’une possession interrompue, l’article 2264 du Code civil a posé une présomption de continuité de la possession.

Cette disposition prévoit en ce sens que « le possesseur actuel qui prouve avoir possédé anciennement est présumé avoir possédé dans le temps intermédiaire, sauf la preuve contraire. »

Cela signifie que, en cas d’interruption d’une possession ancienne et de reprise de cette possession elle est présumée avoir été continue dans le trait de temps qui relie les deux possessions.

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 mai 2004 aux termes duquel elle a validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir constaté que d’une part, « la terre Ufene I était actuellement occupée par les consorts E… B…, que de 1930 jusqu’à son décès survenu en 1954, Rai a B…, petit-fils de E… D…, avait exercé des actes de possession et s’était comporté en véritable propriétaire et que si la famille de Rai a B… avait quitté la terre vers 1955, sa petite-fille s’y était par la suite installée et y avait construit sa maison », d’autre part, « que cette possession, qui s’était manifestée par des actes matériels – constructions de fare, habitation sur les lieux et culture – n’avait été réellement troublée qu’en 1986, […] » a « caractérisé une possession présumée, en l’absence de preuve contraire, s’être poursuivie dans le temps intermédiaire » et en a déduit « que la prescription était acquise au profit des consorts E… B… ; » (Cass. 3e civ. 19 mai 2004, n°02-19800).

b) Paisible

Pour être utile, la possession doit être paisible. Par paisible, il faut entendre non-violente. Autrement dit, l’entrée en possession ne doit pas avoir donné lieu à violence, laquelle peut être soit physique, soit psychologique. Une chose arrachée des mains de son propriétaire par un brigand ne pourra faire l’objet d’aucune possession.

L’absence de violence est une qualité de la possession reprise à l’article 2263 du Code civil qui dispose que « les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d’opérer la prescription ».

À l’instar de la discontinuité, la violence est un vice temporaire, dans la mesure où la possession reprend lorsque la violence cesse. Tel est le sens de l’alinéa 2 de l’article 2263 qui prévoit que « la possession utile ne commence que lorsque la violence a cessé ». Ainsi, la violence ne vicie la possession qu’autant qu’elle se maintient.

En revanche, et c’est là une différence avec le vice de discontinuité, la violence est un vice non pas absolu mais relatif, dans la mesure où celui qui subit la violence ne peut pas se voir opposer la prescription.

c) Publique

Pour être utile, la possession doit être publique dit l’article 2261 du Code civil. Autrement dit, elle doit donner lieu à l’accomplissement d’actes matériels ostensibles et apparents.

La clandestinité de la possession fait obstacle au jeu de la prescription acquisitive. Cette situation se rencontrera notamment en cas de dissimulation de la chose par le possesseur. Ce vice intéressera surtout les meubles dont la possession est plus aisément dissimulable que l’occupation d’un immeuble.

Comme la violence, la clandestinité est un vice temporaire, de sorte qu’elle n’entraîne pas la disparition définitive des effets attachés à la possession. La prescription acquisitive pourra reprendre son cours lorsque des actes matériels seront accomplis sur la chose au vu et au su des tiers.

La clandestinité est également un vice relatif : seules les personnes à qui la possession est dissimulée sont fondées à s’en prévaloir.

d) Non équivoque

Lorsque la possession est équivoque, elle est privée de ses effets. Par équivoque il faut entendre, selon le dictionnaire, ce qui est susceptible de revêtir plusieurs significations.

Aussi, la possession sera équivoque lorsque les actes matériels accomplis sur la chose par le possesseur seront ambigus quant à son intention de se comporter comme le véritable propriétaire.

À la différence de la discontinuité, de la violence ou encore de la clandestinité qui affectent le corpus de la possession, l’équivoque est un vice qui affecte l’animus.

Le caractère équivoque de la possession va alors faire obstacle au jeu de la prescription posée par l’article 2256 du Code civil qui prévoit que « on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre. »

La raison en est que, la pluralité des significations susceptibles d’être conférés à l’emprise physique exercée sur la chose est de nature à créer, dans l’esprit des tiers, un doute quant à la qualité de propriétaire du possesseur. La présomption d’animus doit donc être  écartée.

À l’examen, ce sont surtout les situations de communauté de vie ou d’exercice de droits concurrents sur la chose qui sont les sources des principaux cas de possession équivoque.

  • La communauté de vie
    • Lorsque plusieurs personnes cohabitent sous un même toit, les biens qui garnissent le domicile font très souvent l’objet d’une possession équivoque
    • Il peut, en effet, s’avérer délicat, notamment en matière de mariage, pacs ou concubinage, de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.
    • Dans un arrêt du 11 janvier 2000, la Cour de cassation est venue rappeler que pour combattre l’équivoque la preuve se fait par tout moyen ( 1ère civ. 11 janv. 2000, 97-15406)
  • Droit concurrents sur la chose
    • Lorsque plusieurs personnes sont titulaires de droits sur une même chose, la concurrence de ces droits est de nature à rendre la possession équivoque.
    • Tel est le cas de l’indivision qui, en application de l’article 815-9 du Code civil confère à chaque indivisaire le droit d’« user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision».
    • Manifestement les actes accomplis sur un bien indivis sont par nature équivoque, car ils peuvent être interprétés de deux manières :
      • Ils peuvent être interprétés comme des actes exercés par l’indivisaire qui se considère comme le propriétaire exclusif de la chose et qui, à ce titre, peut en jouir et en percevoir les fruits
      • Ils peuvent également être interprétés comme des actes exercés par un indivisaire au nom et pour le compte de l’indivision, soit pour la collectivité des indivisaires.
    • Ainsi, la possession est rendue équivoque par l’indivision. Est-ce à dire que l’indivision fait obstacle à l’exercice d’une possession dépourvue d’équivoque par l’un des indivisaires ?
    • Dans un arrêt du 25 juin 2003, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question, considérant que lorsque l’un des indivisaires accompli des actes matériels sur la chose qui ne peuvent signifier qu’il est propriétaire exclusif du bien, la prescription acquisitive attachée à la possession peut jouer ( 3e civ. 25 juin 2003, 02-10946).

À l’instar du vice de discontinuité, le caractère équivoque de la possession est un vice absolu, de sorte qu’il peut être invoqué par tous. Il s’agit, par ailleurs, d’un vice relatif, en ce sens que l’équivoque ne fait pas disparaître la possession.

Cette dernière redevient utile lorsqu’elle cesse d’être équivoque et, donc que les actes accomplis par le possesseur sur la chose sont dénués d’ambiguïté quant à son intention de se comporter comme le propriétaire de la chose.

Au bilan :

Caractères de la possession

2. La bonne foi

La bonne foi consiste en l’ignorance par le possesseur de la non-conformité de la situation de fait à la situation de droit.

L’article 550 du Code civil prévoit en ce sens que « le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices »

La conséquence en est qu’il « cesse d’être de bonne foi du moment où ces vices lui sont connus ».

Dans un arrêt du 15 juin 2005, la Cour de cassation a rappelé cette définition en jugeant que « la bonne foi, au regard de l’article 2265 du Code civil, consiste en la croyance de l’acquéreur, au moment de l’acquisition, de tenir la chose du véritable propriétaire ».

Ainsi, le possesseur de bonne foi est celui qui croit – à tort – être le propriétaire de la chose, alors que le titre en vertu duquel il a acquis le bien est vicié.

Compte tenu de la nature psychologique de la bonne foi qui donc se laisse difficilement sonder, le législateur a posé à l’article 2274 du Code civil que « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »

À l’examen, la bonne foi n’est pas vraiment une condition d’efficacité de la possession dans la mesure où elle pourra être utile nonobstant la mauvaise foi du possesseur.

Reste qu’elle rendra plus difficile le jeu de la prescription acquisitive dont le délai, en cas de possession de mauvaise foi, est porté à trente ans au lieu de 10 ans pour les immeubles (art. 2272, al. 2e C. civ.) et de 5 ans pour les meubles (art. 2224 C. civ.)

Quant à la perception des fruits de la chose possédée, seul le possesseur de bonne foi est autorisé à les conserver en cas de restitution de la chose au véritable propriétaire.

L’article 549 du Code civil dispose en ce sens que « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. Dans le cas contraire, il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique ; si lesdits produits ne se retrouvent pas en nature, leur valeur est estimée à la date du remboursement. »

II) Les effets de la possession

La possession est une situation de fait qui, si elle est utile, emporte des effets de droit. À cet égard, le Doyen Carbonnier soulignait que « la possession confère au possesseur une série de béatitudes. Il peut sembler étonnant qu’un simple fait, et qui peut être contraire au droit, soit avantagé par le droit »[3].

Pourquoi un tel régime de faveur pour le possesseur ? Les effets attachés à la possession par la loi répondent à un double objectif :

  • Faciliter la preuve de la propriété
    • La preuve de la propriété d’un bien peut, dans de nombreux cas, difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.
    • C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.
    • Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter».
    • Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.
    • La charge de la preuve est ainsi inversée, ce qui implique qu’il appartient à celui qui ne possède pas la chose de prouver qu’il en est le propriétaire.
    • Pour ce faire, il pourra notamment établir qu’il dispose d’un titre de propriété.
  • Favoriser la paix sociale
    • Autre raison pour laquelle la loi attache à la possession des effets de droit : prévenir les atteintes à la paix sociale.
    • Ainsi que le suggère le Doyen Carbonnier, « l’injustice (provisoire) est préférable au désordre»[4].
    • Cette affirmation participe de l’idée que la paix sociale suppose que certaines situations de fait soient consolidées, fûssent-elles contraires au droit.
    • La remise en cause d’une situation de fait qui s’est durablement prolongée dans le temps pourrait, en effet, être de nature à créer un désordre plus important que l’injustice qui résulte de cette situation.
    • Le Doyen Carbonnier a écrit en ce sens que « il est […] des cas où la possession doit être définitivement préférée à la propriété parce que, soit à cause du temps écoulé, soit à cause des transmissions dont le bien a fait l’objet, le rétablissement du droit serait plus préjudiciable à la tranquillité générale que l’acceptation du fait accompli»[5].

À l’examen, la possession emporte deux effets juridiques :

  • Un effet probatoire
  • Un effet acquisitif

A) L’effet probatoire 

==> Principe

L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. » Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.

Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.

À l’instar de n’importe quelle présomption, celle énoncée à l’article 2276 du Code civil prend assise sur une vraissemblance : en partant d’un fait connu, la possession de la chose, on postule un fait inconnu, l’exercice d’un droit de propriété sur cette chose.

En raison de la difficulté inhérente à la preuve de la propriété, cette présomption vise à en faciliter l’établissement. Ce n’est pas au possesseur de prouver qu’il est le propriétaire de la chose, mais au demandeur d’établir qu’il est le véritable titulaire du droit revendiqué.

Dans le doute, le bien doit revenir au possesseur. C’est ce qu’exprime l’adage in pari causa melior est causa possidentis, soit si aucune des parties ne parvient à faire la preuve de son droit, alors le possesseur l’emporte.

==> Domaine

À l’examen, le domaine d’application de l’article 2276 du Code civil est circonscrit aux seuls meubles.

Est-ce à dire que la présomption de propriété posée à la faveur du possesseur ne s’applique pas pour les immeubles ?

Nonobstant l’absence de texte pour les immeubles, la jurisprudence rappelle  régulièrement que la preuve du droit de propriété est libre (V. en ce sens Cass. 3e  civ., 20 juillet 1988, n° 87-10.998).

La Cour de cassation reconnaît encore aux juges du fond le pouvoir d’apprécier souverainement les différentes preuves produites devant lui pour retenir, tout aussi souverainement, selon la formule désormais consacrée « les présomptions de propriété les meilleures et les plus caractérisées » (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 juin 2012, n° 11-13103).

À cet égard, au premier rang des modes de preuve admis par la Cour de cassation pour établir la propriété immobilière figure, outre la production d’un titre, la possession a toujours pour effet de faire présumer le droit de propriété.

La troisième chambre civile a par exemple statué en ce sens dans un arrêt du 26 mai 1988 (Cass. 3e civ. 26 mai 1988, n°86-17509).

Au surplus lorsque la possession satisfait, quant à sa durée et à l’absence de vices, les conditions de la prescription acquisitive, elle constitue le meilleur des moyens de rapporter la preuve de la propriété immobilière.

==> Conditions

Pour être applicable, la présomption de propriété posée à l’article 2276 est subordonnée à l’observation d’une seule condition : l’absence de vice. Il est, en effet, indifférent que le possesseur soit de bonne foi.

  • L’exigence de l’absence de vice
    • L’application de l’article 2276 du Code civil suppose que la possession ne soit pas viciée.
    • Pour remplir cette condition et donc être utile, la possession doit être continue, paisible, publique et non équivoque.
    • Reste que lorsque le vice qui affecte la possession est seulement relatif, le jeu de la présomption posée à l’article 2276 du Code civil ne sera neutralisé qu’autant que ce vice est absolu ou, s’il est relatif, est opposé par une personne en droit de l’invoquer.
    • Lorsque, en revanche, la présomption de propriété est invoquée par le possesseur à l’encontre d’une personne qui n’est pas fondée à se prévaloir du vice, elle jouera malgré tout.
  • L’indifférence de la bonne foi
    • Le bénéfice de la présomption de propriété posée à l’article 2276 du Code civil n’est pas subordonné à l’établissement de la bonne foi du possesseur.
    • La raison en est que, en application de l’article 2274 du Code civil « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.»
    • Au surplus, exiger la bonne foi du possesseur serait sans intérêt dans la mesure où l’objet même d’une action en revendication consiste, au fond, à la remettre en cause.

==> Force probante

La présomption posée à l’article 2276 du Code civil est une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.

Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant :

  • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
  • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
  • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
  • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
  • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)

==> Exceptions

La présomption de propriété posée à l’article 2276 joue tant qu’elle ne se heurte à aucun texte contraire.

Or tel est le cas, lorsqu’elle est invoquée dans le cadre d’un litige qui oppose les membres d’un couple.

Cette présomption sera, en effet, neutralisée par la communauté de vie qui a pour effet de faire présumer les biens meubles comme relevant du régime de l’indivision (concubine et pacs) ou de la catégorie des biens communs (couple marié sous régime communautaire).

B) L’effet acquisitif

La possession d’un bien emporte un effet acquisitif lorsque certaines conditions sont remplies. Cet effet attaché à la possession procède du jeu de la prescription acquisitive.

L’article 2258 du Code civil définit cette prescription comme « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Immédiatement, il convient de distinguer la prescription acquisitive de la prescription extinctive.

  • La prescription extinctive
    • En application de l’article 2227 du Code civil, « le droit de propriété est imprescriptible»
    • Il en résulte que la propriété ne se perd par le non-usage, raison pour laquelle la prescription extinctive est inopposable au propriétaire.
    • Cette prescription extinctive joue, en revanche, s’agissant des actions réelles immobilières qui se prescrivent par trente ans.
  • La prescription acquisitive
    • La prescription acquisitive a pour effet de permettre au possesseur de devenir propriétaire du bien qu’il possède à l’expiration d’un certain délai.
    • Cette prescription qui peut avoir pour effet de priver le propriétaire initial d’un bien à la faveur du possesseur a été jugé par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 30 2007 comme conforme à l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH 30 août 2007, Gde ch. J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c/ Royaume-Uni, n° 44302/02).
    • Les juges strasbourgeois considèrent que l’instauration d’une prescription acquisitive relève du pouvoir des États de « réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général».

S’agissant de la possession, c’est donc la prescription acquisitive qui a vocation à jouer. À cet égard, ses conditions de mise en oeuvre diffèrent selon que l’on est en présence d’un meuble ou d’un immeuble.

Par ailleurs, la présomption ne permet pas seulement d’acquérir un bien, elle emporte également l’acquisition des fruits.

  1. L’acquisition du bien

L’effet acquisitif de la possession varie donc selon qu’elle porte sur un meuble ou sur un immeuble. À l’intérieur de chaque catégorie de biens, il convient encore de distinguer selon que le possesseur est de bonne foi ou de mauvaise foi.

Reste que toute possession utile, quand bien même le possesseur est de mauvaise foi, fait acquérir la propriété du bien.

Cette règle résulte clairement de l’article 2261 du Code civil qui ne fait nullement référence à l’exigence de bonne foi.

Dès lors, le principe c’est la production d’un effet acquisitif pour toute possession. La mise en œuvre de ce principe connaît néanmoins des variations selon que le possesseur est de bonne ou de mauvaise foi.

1.1 Le principe

a) L’effet acquisitif de la possession utile

L’article 2261 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que la possession produit un effet acquisitif pourvu qu’elle soit prolongée dans le temps et qu’elle ne soit affectée d’aucun vice.

Si les conditions sont remplies, le possesseur devient titulaire du droit par l’effet de la prescription acquisitive : c’est ce que l’on appelle l’usucapion.

Si la règle ainsi posée s’applique tant aux meubles qu’aux immeubles, la durée de la prescription diffère d’une catégorie à l’autre.

  • Pour les immeubles, la durée de la prescription acquisitive est fixée à trente ans
  • Pour les meubles, la possession produit, par principe, un effet acquisitif immédiat

b) Calcul de la prescription

==> Modalités de calcul

La prescription acquisitive ne fonde le droit de propriété du possesseur, qu’autant que le possesseur est en mesure de justifier l’écoulement d’un certain délai.

En application de l’article 2228 du Code civil, ce délai, qui est fixé en année, et qui varie selon que l’on est en présence d’un meuble ou d’un immeuble, se calcule en jours et non en heures.

Quant à l’expiration du délai, elle intervient lorsque le dernier jour du terme est accompli (art. 2229 C. civ.).

Combinées au droit commun de la computation des délais énoncé aux articles 640 et suivants du Code de procédure civile, les règles ainsi posées conduisent à envisager la détermination du point de départ de la prescription acquisitive et son expiration comme suit :

  • Point de départ : le dies a quo
    • Première règle
      • Conformément à l’article 640 du Code de procédure civil, le délai « a pour origine la date de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir»
    • Seconde règle
      • L’article 641 précise que « lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas.»
      • Il en résulte que le jour initial de la possession ne doit pas être compté dans le délai de prescription.
  • Date d’expiration : le dies ad quem
    • Le principe est désormais que les délais sont francs, ce qui signifie qu’ils expirent le dernier jour à vingt-quatre heures
    • Combiné avec la règle qui s’applique au dies a quo la détermination du jour d’expiration du délai consiste à ajouter au quantième du jour de l’événement qui fait courir le délai le nombre de jours que comprend le délai
      • Exemples
        • L’événement se produit le 12 du mois et le délai est de 10 jours
          • Le jour d’expiration du délai est le 12+10, soit le 22 du mois
        • L’événement se produit le 27 du mois et le délai est de 10 jours
          • Le jour d’expiration du délai est le 27+10, soit le 7 du mois suivants si mois de 30 jours et 6 si mois de 31 jours
    • S’agissant de la prescription acquisitive, le dernier jour de la prescription est donc celui qui porte dans l’année finale le même quantième que le jour de la prise de possession.
    • Si toutefois, ce dernier jour est chômé ou férié, la Cour de cassation considère que la prorogation du délai prévue à l’article 642 du Code de procédure civile n’a pas lieu de s’appliquer (Cass. 2e civ. 5 févr. 2004, n°02-14217).

==> Fait générateur de la prescription

Le point de départ de la possession est, en principe, l’entrée en possession du bien, soit plus précisément le moment à partir toutes les conditions de la possession sont réunies.

Pour pouvoir prescrire, le possesseur devra donc justifier :

  • D’une part, de la caractérisation du corpus et de l’animus
  • D’autre part, de l’efficacité de la possession, en ce qu’elle doit être utile.

En pratique, il appartiendra au demandeur de démontrer que le délai durant lequel le possesseur a exercé son emprise sur le bien revendiqué est insuffisant pour pouvoir prescrire.

Si cela se vérifie, ce qui sera souvent le cas en matière immobilière, le possesseur pourra lui opposer la caractérisation de ce que l’on appelle une jonction de possessions.

==> La jonction de possessions

En cas d’insuffisance du délai de possession, le possesseur est autorisé à se prévaloir la règle posée à l’article 2265 du Code civil qui dispose que « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux. »

Aussi ressort-il de cette disposition que les durées de possession du bien en cas de possesseurs successifs s’additionnent. C’est la jonction des possessions. Ce mécanisme est admis, quels que soient les modes de transmission de la possession.

Dans cette perspective, afin de renforcer le titre de propriété de l’acquéreur d’un bien immobilier, les notaires s’attachent toujours à retracer dans l’acte de vente la chaîne de propriété en remontant à jusqu’à l’origine trentenaire.

Reste qu’il convient de distinguer selon que les possesseurs se sont succédé à titre particulier ou à titre universel :

  • Les possesseurs se sont succédé à titre universel
    • Dans cette hypothèse, il y a une continuation de la personne du possesseur originaire par le possesseur actuel.
    • Il en résulte que la possession de l’ayant cause universel possède les mêmes qualités que la possession de son auteur
    • Les vices affectant la possession originaire se transmettent ainsi de possession en possession.
    • Il en va de même pour la mauvaise foi du premier possesseur
    • Si donc la possession originaire a été interrompue, il conviendra de démontrer qu’elle a été reprise suffisamment tôt pour que la prescription acquisitive puisse jouer.
  • Les possesseurs se sont succédé à titre particulier
    • Dans cette hypothèse, le possesseur actuel ne tient du possesseur originaire que le droit attaché à la possession en tant que tel.
    • Il en résulte que démarre une nouvelle possession, débarrassée de ses vices affectant éventuellement les possessions antérieures
    • Chaque possession de la chaîne translative sera donc appréciée séparément, ce qui signifie que la possession de l’ayant cause pourra présenter des qualités radicalement différentes de celle de son auteur.
    • Lorsque toutefois, la jonction porte sur une prescription trentenaire et une prescription abrégée, les délais ne pourront s’additionner qu’à certaines conditions.
    • Pour rappel, tandis que la prescription trentenaire requiert seulement l’absence de vice affectant la possession, la prescription abrégée exige la réunion de deux conditions supplémentaires que sont, la bonne foi du possesseur et l’entrée en possession au moyen d’un titre.
    • Deux situations doivent alors être distinguées :
      • Le possesseur n’est pas fondé à se prévaloir de la prescription abrégée
        • Dans cette hypothèse, la jonction ne pourra se faire qu’avec la seule prescription trentenaire
      • Le possesseur est fondé à se prévaloir de la prescription abrégée
        • Dans cette hypothèse, le possesseur dispose d’une option :
          • Soit il décide de prescrire par lui-même au moyen de la prescription abrégée
          • Soit il décide de bénéficier de la jonction de possession avec la prescription trentenaire si le délai qui reste à courir est inférieur à celui de la prescription abrégée
        • En tout état de cause, la jonction ne peut valablement opérer qu’à la condition que le possesseur, qui tien la chose en sa qualité d’ayant cause à titre particulier, se la soit vue remettre au titre d’une obligation de délivrance ou de restitution.

==> Les incidents affectant le cours de la prescription

Le cours de la possession peut, en raison de vices, être soit interrompu, soit suspendu. L’article 2259 du Code civil prévoit en ce sens que sont applicables à la prescription acquisitive les causes d’interruption et de suspension de la prescription acquisitive.

  • L’interruption de la possession
    • À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, en application de l’article 2231 du Code civil, l’interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.
    • Plusieurs causes sont susceptibles d’interrompre la prescription :
      • Privation de jouissance
        • La prescription acquisitive est interrompue lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers ( 2271 C. civ.)
      • Reconnaissance des droits du propriétaire
        • La reconnaissance par le possesseur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ( 2240 C. civ.)
      • Action en justice
        • L’action en justice exercée par le demandeur qui revendique la propriété du bien sur lequel le possesseur exerce son emprise ( 2241 C. civ.)
      • Mesure conservatoire et exécution forcée
        • Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée ( 2244 C. civ.)
      • Pluralité de possesseurs
        • L’interpellation faite à l’un des possesseurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le possesseur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers ( 2245 C. civ)
  • La suspension de la possession
    • En application de l’article 2230 du Code civil, ma suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.
    • Ainsi, à la différence de l’interruption un nouveau délai ne recommence pas à courir.
    • Plusieurs causes de suspension de la prescription acquisitive sont prévues par le Code civil
      • Force majeure
        • La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ( 2234 C. civ.)
      • Incapacité
        • La prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle ( 2235 C. civ.)
      • Mariage et pacs
        • La prescription ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ( 2236 C. civ.)
      • Conciliation et médiation
        • La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation ( 2238 C. civ.).
      • Procédure participative
        • La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d’une convention de procédure participative ou à compter de l’accord du débiteur constaté par l’huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution ( 2238 C. civ.).
      • Mesure d’instruction avant dire droit
        • La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès ( 2239 C. civ.)

c) Rôle de la volonté du possesseur

==> L’invocation de la prescription

L’article 2247 du Code civil dispose que « les juges ne peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription. »

Il en résulte que l’on ne peut prescrire contre la volonté du possesseur. Autrement dit, il a seul qualité à se prévaloir de la prescription acquisitive attachée à la possession

À cet égard, l’article 2248 précise que sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d’appel.

==> La renonciation à la prescription

La question subsidiaire qui alors se pose est de savoir dans quelles conditions le possesseur est-il autorisé à renoncer à la prescription acquisitive ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 2250 à 2253 du Code civil qui traitent de la renonciation à la prescription.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces dispositions :

  • L’impossibilité de renoncer à une prescription en cours
    • L’article 2250 du Code civil dispose que « seule une prescription acquise est susceptible de renonciation.»
    • On peut en déduire que le possesseur n’est pas autorisé, en cours de possession, à prescrire.
  • Les modalités de la renonciation
    • Sur la forme de la renonciation
      • L’article 2251, al. 1er du Code civil prévoit que La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.
      • L’alinéa 2 du texte précise que la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.
    • Sur la capacité du possesseur
      • L’article 2252 du Code civil dispose que « celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise. »
      • Cela signifie que s’il est indifférent que le possesseur soit frappé d’une incapacité pour que la possession produise son effet acquisitif, il est, en revanche, nécessaire d’être doté de sa pleine capacité pour renoncer à la prescription acquisitive.
      • Cette renonciation est regardée comme un acte de disposition, raison pour laquelle il faut être capable pour accomplir cet acte.
  • Opposabilité de la renonciation
    • L’article 2253 du Code civil prévoit que « les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce. »
    • Cela signifie que la renonciation à la prescription acquisitive n’est, par principe, pas opposable aux tiers.
    • Pour le devenir, le possesseur doit accomplir les formalités de publicité prévues à l’article 28, 8° du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière
    • À cet égard, cette disposition prévoit que « sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles […] les actes qui interrompent la prescription acquisitive conformément aux articles 2244 et 2248 du code civil, et les actes de renonciation à la prescription acquise»

==> La restitution du bien

L’article 2249 du Code civil dispose que « le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré. »

Cette disposition doit être interprétée comme posant que le possesseur, en cas de remise du bien à l’auteur de la revendication, ne dispose d’aucun recours en restitution quand bien même il démontre que la prescription acquisitive a opéré.

La raison en est que l’acquisition du délai de prescription ne fait nullement disparaître le droit du propriétaire : elle fait seulement obstacle à l’exercice d’une action en justice.

C’est la raison pour laquelle si le bien lui est remis spontanément, il est parfaitement fondé à refuser de le restituer au possesseur.

d) Aménagement conventionnel de la prescription

==> Principe

Issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’article 2254 du Code civil traite de l’aménagement conventionnel de la prescription.

Cette disposition a, en effet, consacré et étendu les possibilités d’aménagement conventionnel de la prescription qui avaient été envisagées par la jurisprudence.

De tels aménagements étaient, en effet, déjà possibles avant la réforme, compte tenu de l’interprétation que les juridictions ont faite d’ancien article 2220 du code civil.

Cette disposition qui prohibait la renonciation à une prescription par anticipation autorisait néanmoins la stipulation de clauses contractuelles abrégeant un délai. En particulier, il était admis que le délai de prescription acquisitive soit réduit.

Désormais, les parties disposent de la faculté d’aménager

  • La durée de la prescription
    • Le premier alinéa de l’article 2254 du Code civil prévoit que la durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties.
    • Cette faculté est toutefois encadrée par une double limite
      • D’une part, la durée de la prescription ne peut être réduite à moins d’un an
      • D’autre part, la durée de la prescription ne peut pas être étendue à plus de dix ans
  • Les causes d’interruption et de suspension de la prescription
    • Le deuxième alinéa de l’article 2254 du Code civil prévoit que les parties peuvent également, d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi.
    • Cette faculté, qui est une reprise de la jurisprudence antérieure (V. en ce sens civ., 13 mars 1968) n’est ici assortie d’aucune restriction, à l’exception de celle qui tient à la relation entre un professionnel et un consommateur

Bien que la possibilité pour les parties d’aménager la prescription acquisitive soit prévue par la loi, elle n’en demeure pas moins théorique dans la mesure où pour ce faire, encore faut-il qu’un contrat ait été conclu.

Or le plus souvent, le possesseur et la personne qui revendique le bien sont étrangers l’un à l’autre.

==> Tempérament

L’article L. 218-1 du Code de la consommation prévoit que « par dérogation à l’article 2254 du code civil, les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci. »

Ainsi, dans le cadre de la relation entre un professionnel et un consommateur, l’aménagement conventionnel de la prescription acquisitif est purement est simplement prohibé.

1.2 La mise en œuvre du principe

Les modalités de mise en œuvre de la prescription acquisitive diffèrent selon que la possession porte sur un meuble ou un immeuble.

Lorsque certaines conditions sont remplies, les textes prévoient, en effet, des délais de prescription abrégée, l’objectif recherché étant de primer la bonne foi du possesseur.

a) La prescription acquisitive des immeubles

==> Principe : la prescription trentenaire

L’article 2272 du Code civil prévoit que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

Pour prescrire en matière immobilière il convient donc de posséder utilement le bien pendant un délai de 30 ans.

Il est ici indifférent que le possesseur soit de mauvaise foi. La bonne foi n’est pas érigée en condition d’application de la prescription trentenaire.

==> Exception : la prescription abrégée

Par exception à la prescription trentenaire, l’alinéa 2 de l’article 2272 du Code civil prévoit que « celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. »

Lorsqu’ainsi les conditions posées par ce texte sont remplies, la prescription acquisitive est ramenée à 10 ans en matière de propriété immobilière.

Cette mesure de faveur qui bénéficie au possesseur de bonne foi, vise à lui permettre de ne pas rester dans l’incertitude trop longtemps et à mettre fin à une situation qui est susceptible d’entraver l’exploitation économique du bien, ainsi que sa circulation.

Le législateur n’est pas allé jusqu’à assortir la possession de bonne foi d’un effet acquisitif immédiat, à l’instar des meubles.

Compte tenu de la valeur des immeubles, il convient, en effet, de laisser le temps  nécessaire au vrai propriétaire (verus dominus) de se manifester et d’exercer, le cas échéant, une action en revendication.

==> Domaine

  • Les biens éligibles
    • La prescription abrégée je noue que pour l’acquisition d’immeubles ou de droits réels immobiliers
    • Il est indifférent que le droit immobilier sur lequel elle porte soit démembré, de sorte qu’elle peut jouer en matière de d’usufruit.
    • En revanche, sont exclues du champ d’application de la prescription abrégée les servitudes ( civ. 6 nov. 1889).
    • Cette exclusion est d’origine légale, plusieurs dispositions du Code civil assujettissant la possession de servitudes à la prescription trentenaire (V. en ce sens 642, 685 et 690 C. civ.)
  • Acquisition a non domino
    • Le jeu de la prescription abrégée se limite aux immeubles et aux droits réels qui ont fait l’objet d’une acquisition a non domino, soit que le possesseur a acquis auprès du non-propriétaire.
    • Ainsi, celui qui a acquis le bien auprès du véritable propriétaire, mais dont le titre est entaché d’une irrégularité (nullité, inexistence) ou privé d’efficacité (caducité, résolution), ne pourra pas se prévaloir du bénéfice de la prescription abrégée.
    • La raison en est que l’usucapion vise à couvrir, non pas l’inefficacité du titre détenu par le possesseur, mais l’absence de titre du verus dominus.

==> Conditions

Les conditions exigées par l’article 2272 du Code civil sont : la bonne foi du possesseur, la justification d’un juste titre.

  • Sur la bonne foi
    • Pour usucaper un bien ou en droit réel immobilier au moyen de la prescription abrégée le possesseur doit être de bonne foi.
    • Que doit-on entendre par bonne foi ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 550 du Code civil qui définit cette notion.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • À cet égard, en application de l’article 2274 du Code civil, la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.
    • Il lui appartiendra ainsi d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.
  • Sur le juste titre
    • Deuxième condition d’application de la prescription abrégée, le possesseur doit être entré en possession du bien en étant muni d’un juste titre.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par juste titre.
    • En l’absence de définition légale, il convient de se tourner vers la jurisprudence qui a défini, par touches successives, la notion.
      • Un acte translatif de propriété
        • Le juste titre est un acte qui opère un transfert de propriété du bien
        • Il en résulte que les actes tels que le bail, le mandat ou encore le prêt ne peuvent, en aucun cas, être regardés comme des justes titre au sens de l’article 2272, al. 2e du Code civil.
      • Un acte translatif de propriété à titre particulier
        • Lorsque, au moment de sa délivrance, le bien relevait d’une universalité, le possesseur ne justifie pas d’un juste titre.
        • Tel est le cas en matière de succession, l’ayant cause à titre universel héritant d’une masse de biens non individualisés.
        • Seuls les actes qui ont opéré un transfert à titre particulier de biens sont constitutifs d’un juste titre
      • Un titre réel et valable
        • Pour se prévaloir d’un juste titre, le possesseur doit non seulement justifier de l’existence d’un acte translatif, mais encore de sa validité.
        • Si l’acte est frappé de nullité ou qu’il ne mentionne pas, avec précision, le bien revendiqué, il ne constituera pas un juste titre
        • S’agissant de la preuve du titre, elle se fait conformément au droit commun.
        • Quant à la charge de la preuve, elle pèsera sur l’auteur de l’action en revendication.

b) La prescription acquisitive des meubles

En matière de meuble, le délai de la prescription varie selon que le posssesseur est de bonne ou de mauvaise foi.

Le législateur a, par ailleurs, soumis les biens perdus ou volés à un régime spécial qui offre la possibilité au véritable propriétaire de revendiquer son bien pendant un certain temps.

b.1. Le possesseur est de bonne foi : acquisition immédiate

i) Principe

L’article 2276 du Code civil dispose que « en fait de meubles, la possession vaut titre ». Outre la fonction probatoire remplie par la règle ainsi énoncée, elle confère à la possession un effet acquisitif immédiat.

Autrement dit, la loi confère à celui qui possède, de bonne foi, un meuble un titre de propriété ; car « la possession vaut titre ». Nul besoin ici pour le possesseur de justifier d’un acte translatif de propriété : la possession utile et de bonne foi suffit à lui conférer la qualité de propriétaire.

Plus encore, elle lui confère au possesseur un droit originaire sur le meuble, soit un droit qui prime sur les droits, tant réels, que personnels, que le verus dominus a pu consentir à des tiers. Les droits de ce dernier son donc inopposables à l’acquéreur a non domino.

Manifestement, la règle ainsi posée déroge au principe nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a.

En toute rigueur, il serait plus juste de considérer que le bien revendiqué demeure, jusqu’à preuve du contraire, la propriété du véritable propriétaire.

Toutefois, en raison de la nature des meubles dont la preuve se la propriété se laisse difficilement rapporter, l’action en revendication portant que cette catégorie a toujours été enfermée dans des conditions très strictes. D’où l’adage « les meubles n’ont point de suite ».

Ainsi, en matière de meuble, l’effet acquisitif immédiat attaché à la possession est de nature à exclure, par principe, l’action en revendication.

Ce n’est que par exception, visée notamment à l’article 2 de l’article 2276 du Code civil, que la revendication est admise.

Pour jouer, la règle énoncée à l’alinéa 1er de l’article 2276 est toutefois subordonnée à l’observation de plusieurs conditions. Son domaine d’application est, par ailleurs, strictement délimité.

ii) Domaine

==> Biens éligibles

L’article 2276 du Code civil vise les seuls meubles comme susceptibles de faire l’objet d’une acquisition instantanée par le possesseur.

On peut immédiatement en déduire que les immeubles sont exclus du champ d’application de la règle de sorte qu’ils ne peuvent être acquis par possession qu’au moyen de la prescription trentenaire ou abrégée.

S’agissant des meubles, la question se pose de savoir si tous sont concernés.

A l’examen, un certain nombre d’entre eux échappent à la règle « en fait de meuble possession vaut titre ».

Au nombre des exclus on compte :

  • Les meubles soumis à la publicité
    • Dès lors que l’acquisition d’un bien meuble suppose l’accomplissement d’une formalité de publicité, l’article 2276 du Code civil devient inapplicable
    • Ainsi, la possession d’un bien immatriculé ne produit aucun effet acquisitif.
  • Les meubles qui relèvent du domaine public
    • Les meubles du domaine public sont inaliénables
    • Aussi, cette inaliénabilité a-t-elle pour effet de neutraliser l’application de l’article 2276 du Code civil.
  • Les meubles gagés
    • Lorsque le meuble fait l’objet d’un gage sans dépossession, il n’est, par hypothèse, pas dans les mains du constituant.
    • Est-ce à dire que son débiteur peut se prévaloir du jeu de l’article 2276 du Code civil en cas d’actionnement de la garantie ?
    • Il n’en est rien dans la mesure où le gage sans dépossession confère au créancier constituant un droit de rétention sur le bien gagé.
  • Les meubles incorporels
    • Les meubles incorporels sont exclus du champ d’application de l’article 2276 du Code civil
    • La raison en est que pour être applicable, encore faut-il que puisse s’exercer sur le bien une possession prise dans tous ses éléments constitutifs
    • Or lorsqu’il s’agit d’une chose incorporelle, la condition tenant au corpus ne peut pas être remplie (V. en ce sens civ., 11 mars 1839).
    • Dans un arrêt du 7 mars 2006, la chambre commerciale a par exemple jugé que « l’article 2279 du Code civil ne s’applique qu’aux seuls meubles corporels individualisés ; que la licence d’exploitation d’un débit de boissons ayant la même nature de meuble incorporel que le fonds de commerce dont elle est l’un des éléments et ne se transmettant pas par simple tradition manuelle, c’est à bon droit que la cour d’appel a écarté pour la dite licence d’exploitation la présomption prévue par ce texte»
  • Les meubles par anticipation ( 3e civ., 4 juill. 1968)
    • Pour mémoire, les meubles par anticipation sont tous les biens qui sont des immeubles par nature, mais qui, dans un futur proche, ont vocation à être détachés du sol.

S’agissant des meubles qui rentrent dans le champ d’application de l’article 2276 du Code civil, on compte, les meubles corporels susceptibles de tradition, d’aliénation.

S’agissant de la monnaie scripturale la Cour de cassation considère qu’elle échappe à l’effet acquisitif de la possession, dans la mesure où seuls les meubles corporels individualisés peuvent donner lieu à l’application de l’article 2276 du Code civil et peuvent être l’objet d’une revendication (Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, n°96-12.711).

Cette position vaut-elle pour toutes les choses fongibles ?

Il convient manifestement de répondre par la négative à cette question.

L’article 2369 du Code civil prévoit, en effet, que « la propriété réservée d’un bien fongible peut s’exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte. »

Il s’infère de cette disposition que l’action en revendication portant sur un bien fongible est permise dès lors que le demandeur est en mesure d’identifier chez le défendeur un bien de même nature et de même qualité.

Réciproquement, le possesseur d’un bien fongible individualisé doit pouvoir se prévaloir de l’effet acquisitif attaché à la possession.

iii) Acquisition a non domino

À l’instar de la prescription abrégée, l’application de la règle en fait de meuble possession vaut titre se limite aux meubles qui ont fait l’objet d’une acquisition a non domino, soit que le possesseur a acquis auprès du non-propriétaire.

Ainsi, celui qui a acquis le bien auprès du véritable propriétaire, mais dont le titre est entaché d’une irrégularité (nullité, inexistence) ou privé d’efficacité (caducité, résolution), ne pourra pas se prévaloir du bénéfice de la prescription abrégée.

La raison en est que la règle posée à l’article 2276 du Code civil vise à couvrir, non pas l’inefficacité du titre détenu par le possesseur, mais l’absence de titre du verus dominus.

iv) Conditions

==> La possession

Pour que la possession d’un meuble produise un effet acquisitif, encore faut-il

  • D’une part, qu’elle soit caractérisée dans tous ses éléments que sont le corpus et l’animus
  • D’autre part, qu’elle soit utile, c’est-à-dire affectée d’aucun vice

La charge de preuve pèse sur le verus dominus qui exercera l’action en revendication.

==> Bonne foi

Pour opérer, la règle posée à l’article 2276 du Code civil suppose la bonne foi du possesseur.

Dans la mesure où, en application de l’article 2274, la bonne foi est toujours présumée c’est, là encore, au verus dominus de prouver que le possesseur est de mauvaise foi.

Pour mémoire, l’article 550 du Code civil dispose que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.

La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.

Il appartiendra au demandeur d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.

Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.

À cet égard, il convient d’observer que le possesseur de mauvaise foi ne peut pas se prévaloir de l’article 2276 du Code civil.

Faut de pouvoir acquérir immédiatement le bien, il ne pourra compter que sur la prescription acquisitive.

==> La dépossession volontaire

Pour jouer, la règle en fait de meuble possession vaut titre exige que le verus dominus se soit volontairement dépossédée du bien revendiquée

Cette condition s’infère du second alinéa de l’article 2276 du Code civil qui prévoit que, en cas de perte ou de vol, l’action en revendication peut être exercée pendant un délai de trois ans contre celui dans les mains duquel il la trouve.

Par dépossession volontaire, il faut entendre la régularisation d’un contrat non translatif de propriété par lequel le propriétaire a remis le bien entre les mains d’un tiers, lequel l’a aliéné à la faveur de l’auteur de la possession.

L’effet acquisitif immédiat de la possession fait ici obstacle à toute action en revendication contre le possesseur de bonne foi.

Le verus dominus disposera seulement d’une action récursoire contre son cocontractant qui a transmis plus de droits qu’il n’en avait sur la chose ( 2276, al. 2e in fine), ce qui est de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

v) Exception

==> Perte et vol

L’article 2276, al. 2 du Code civil dispose que « celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »

La règle en fait de meuble possession vaut titre est ainsi assortie d’une exception qui tient à la dépossession involontaire du verus dominus.

Cette dépossession involontaire peut procéder du vol ou d’une perte.

  • S’agissant du vol, il est défini comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ( 311-1 C. pén.)
  • S’agissant d’une perte, il s’agit de l’hypothèse où le verus dominus s’est dessaisi involontairement de la chose

==> Acquisition sous condition suspensive

Dans ces deux situations, le verus dominus dispose d’une action en revendication qui, si elle est exercée, neutralise la règle énoncée à l’alinéa 1er de l’article 2276 du Code civil.

Contrairement à ce que suggère l’alinéa 2 de cette disposition, la possession produit bien un effet acquisitif. Toutefois cet effet peut être anéanti rétroactivement en cas d’action en revendication.

==> Délai de l’action en revendication

Cette action peut être exercée pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel la chose se trouve.

Ce délai étant un délai préfix, il est insusceptible de faire l’objet d’une suspension ou d’une interruption.

==> Mise en œuvre de l’action

S’agissant de la mise en œuvre de l’action en revendication elle est subordonnée au remboursement du possesseur par le verus dominus.

C’est le sens de l’article 2277 du Code civil qui dispose que « si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu’en remboursant au possesseur le prix qu’elle lui a coûté. »

Il en va de même selon l’alinéa 2 du texte pour le bailleur qui « revendique, en vertu de l’article 2332, les meubles déplacés sans son consentement et qui ont été achetés dans les mêmes conditions ». Ce dernier se doit également de « rembourser à l’acheteur le prix qu’ils lui ont coûté ».

Dans cette configuration, l’action en revendication exercée par le verus dominus n’aura d’intérêt pour lui qu’à la condition que le bien revendiqué possède une valeur particulière pour lui.

==> Actions récursoires

En cas de succès de l’action en revendication contre le possesseur, la question se pose des recours contre celui qui a aliéné la chose au mépris de la règle nemo plus juris.

  • Le recours du possesseur
    • L’article 2276, al. 2e du Code civil confère une action récursoire au possesseur contraint de restituer la chose revendiquée au verus dominus contre le détenteur indélicat.
    • Ce recours s’analyse en l’exercice de droit d’éviction prévu à l’article 1626 du Code civil qui prévoit que « quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »
    • Il s’agit ainsi de la mise en œuvre de la garantie d’éviction dont bénéficie l’acquéreur d’une chose.
    • Au titre de cette garantie, le possesseur évincé sera fondé à réclamer la restitution du prix de la chose, des frais accessoires attachés à cette restitution et, le cas échéant des frais de procédure engagés dans le cadre de l’action en revendication et de mise en œuvre de la garantie d’éviction.
    • La question qui alors se pose est de savoir si, dans l’hypothèse où le possesseur évincé a été indemnisé par le verus dominus en application de l’article 2277 du Code civil, il conserve son droit d’agir contre son vendeur.
    • À cette question, la jurisprudence a répondu par la négative, considérant que son action devenait sans objet (V. en ce sens 1ère civ. 26 nov. 1956).
    • Il convient néanmoins de nuancer cette solution qui ne devrait pas faire obstacle à une demande d’indemnisation liée à la perte d’exploitation susceptible d’être occasionné par la restitution de la chose, outre les frais d’entretien et de procédure engagés.
    • Dans un arrêt du 7 novembre 1995, la Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que « l’acquéreur de bonne foi d’une chose volée qui s’est volontairement dessaisi perd de son propre fait le droit d’obtenir du propriétaire le remboursement du prix qu’il a payé et ne peut en conséquence rechercher la garantie de son vendeur» ( 1ère civ., 7 nov. 1995 n° 93-15.840).
  • Le recours du verus dominus
    • Le succès de l’action en revendication exercée par le verus dominus contre le possesseur est subordonné au remboursement du prix de la chose revendiquée.
    • Le revendiquant aura ainsi été contraint d’exposer des frais pour obtenir la restitution de son bien.
    • La question qui a lors se pose est de savoir si celui-ci dispose d’un recours contre le vendeur du bien.
    • À l’examen, tout dépend si ce dernier est de bonne ou de mauvaise foi.
    • En effet, dans un arrêt du 11 février 1931 la Cour de cassation a jugé que « le propriétaire qui, pour se faire rendre une chose volée ou perdue, a dû rembourser au possesseur actuel le prix qu’elle lui a coûté, ne saurait puiser dans les articles 2276, 2277 et 1251 du Code civil le principe d’une action en indemnité contre celui qui a cessé d’avoir la possession de la chose volée ou perdue ; que la seule action appartenant dans ce cas au propriétaire doit être fondée, par application de l’article 1382 du Code civil, sur l’existence d’une faute commise par le défendeur et qu’elle ne saurait être accueillie qu’alors que cette faute est préalablement constatée par le juge» ( civ., 11 févr. 1931).
    • Il ressort de cette décision que le verus dominus ne peut agir contre le vendeur qu’à la condition qu’il démontre que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité délictuelle sont réunies.
    • Autrement, il lui appartient d’établir que le vendeur était de mauvaise foi, laquelle mauvaise foi constitue une faute au sens de l’article 1240 du Code civil, anciennement 1382 à l’époque de l’arrêt.
    • Lorsque, dès lors, le vendeur est de bonne foi, le verus dominus ne dispose d’aucun recours contre lui, ni sur le fondement de la subrogation légale, ni sur le fondement de l’enrichissement injustifié (action de in rem verso).

b. 2 Le possesseur est de mauvaise foi : acquisition différée

Lorsque le possesseur est de mauvaise foi, la règle « en fait de meuble possession vaut titre est écartée » de sorte que l’acquisition du bien n’est pas immédiate.

Elle est, en effet, soumise à la prescription acquisitive dont le délai était fixé à trente ans avant la réforme opérée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

L’ancien article 2262 du Code civil prévoyait en ce sens que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme la question du délai de la prescription acquisitive en cas de possession de mauvaise foi d’un meuble n’est envisagée par aucun texte.

Tandis que le délai de droit commun intéresse la seule prescription extinctive, la prescription acquisitive trentenaire ne vise que les immeubles.

En l’absence de texte tranchant cette question, plusieurs thèses peuvent être retenues :

  • Première thèse
    • Lorsque le possesseur est de mauvaise foi, la possession ne produit aucun effet acquisitif
    • La propriété des meubles est ainsi imprescriptible pour les possesseurs de mauvaise foi
  • Deuxième thèse
    • Il convient d’appliquer le délai de droit commun de la prescription énoncé par l’article 2224 du Code civil qui dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Bien que ce délai de 5 ans soit prévu pour la prescription extinctive, il pourrait être appliqué, par extinction, à la prescription acquisitive en cas de mauvaise foi du possesseur
  • Troisième thèse
    • On pourrait appliquer aux meubles, par analogie aux règles qui régissent la possession de mauvaise foi d’un immeuble, la prescription trentenaire visée à l’article 2272 du Code civil.
    • La possession produirait ainsi, en matière de meuble, un effet acquisitif à l’expiration d’un délai de trente ans lorsque le possesseur est de mauvaise foi.

À l’examen, la doctrine serait plutôt favorable à cette dernière option, ce qui conduit à envisager l’effet acquisitif de la possession des meubles comme suit :

  • En cas de bonne foi du possesseur, la possession produit un effet acquisitif immédiat, conformément à la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil.
  • En cas de mauvaise foi du possesseur, la possession produit un effet acquisitif différé à trente ans, en application de l’article 2272 du Code civil.

2. L’acquisition des fruits

L’acquisition des fruits produit par le bien revendiqué dépend de la bonne ou mauvaise foi du possesseur :

  • Le possesseur est de bonne foi
    • L’article 549 du Code civil prévoit que « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. »
    • Le possesseur de bonne foi conserve ainsi le bénéfice des fruits du bien, quand bien même il serait tenu de le restituer au verus dominus
  • Le possesseur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 549 du Code civil prévoit que le possesseur « est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique»
    • Le texte précise que si les fruits ne se retrouvent pas en nature dans le patrimoine du possesseur de mauvaise foi, leur valeur est estimée à la date du remboursement.
    • Autrement dit, il appartient à ce dernier de restituer au verus dominus les fruits perçus par équivalent, soit en valeur.
    • Se posera également la question d’une restitution de la valeur de jouissance procurée par la possession de la chose (V. en ce sens Fiche consacrée à la restitution des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose)

III) La protection de la possession

L’article 2278 du Code civil prévoit que « la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l’affecte ou la menace. »

Si la possession est une situation de fait, elle produit des effets de droits qui justifient que le possesseur bénéficie d’une protection juridique en cas d’atteinte à son droit.

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la protection de la possession était assurée par les actions possessoires dont étaient titulaires, en application de l’ancien article 2279 du Code civil, celui qui possédait utilement et le détendeur précaire de la chose.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement. »

Au nombre des actions possessoires figuraient :

  • La complainte
    • Il s’agit de l’action de droit commun du possessoire, de sorte que tout trouble subi par le possesseur pouvait justifier l’exercice de cette action, à l’exception des troubles sanctionnés par les deux autres actions possessoires.
    • L’exercice de la complainte était conditionné par la caractérisation d’un trouble, par la paisibilité de la possession et par sa durée qui devait être supérieure à un an.
    • Ainsi, les conditions d’exercice de cette action possessoire étaient plutôt souples puisqu’il n’était pas nécessaire de justifier de tous les autres caractères de la possession (continue, publique, non équivoque)
  • La dénonciation de nouvel œuvre
    • Tandis que la complainte avait vocation à mettre fin au trouble subi par le possesseur, la dénonciation de nouvel œuvre visait à prévenir un trouble futur.
    • La décision rendue consistait ainsi à enjoindre l’auteur du trouble de cesser son activité en prévision de l’atteinte à venir à la possession du demandeur
  • L’action en réintégration
    • Cette action était pour le moins particulière dans la mesure où elle permettait d’assurer la protection de la possession qui avait duré moins d’un an.
    • La raison en est que cette action visait à sanctionner les troubles d’une extrême gravité
    • Il s’agit, en effet, de protéger une personne qui a été dépossédée du bien qu’elle occupait paisiblement, soit par violence (expulsion par la force du possesseur), soit par voie de fait (appropriation du bien sans recours à la force)
    • Afin de prévenir la vengeance du possesseur dépouillé, le droit l’autorisait à exercer une action en justice quand bien même il était en possession de la chose depuis moins d’un an

Bien que profondément ancrées dans le droit des biens, depuis 2015, les actions possessoires ne sont plus : elles ont été supprimées par le législateur pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, il peut être observé que la protection possessoire ne concernait que les immeubles, ce qui n’était pas sans restreindre son champ d’application.

Par ailleurs, les actions possessoires soulevaient des difficultés, notamment quant à leur distinction avec les actions pétitoires, soit les actions qui visent à établir, non pas la possession ou la détention d’un bien, mais le fond du droit de propriété.

En effet, il était toujours difficile d’exiger du juge qu’il ignore le fond du droit lorsqu’il est saisi au possessoire.

À cela s’ajoutait la règle énoncée à l’ancien article 1265 du Code civil qui posait le principe de non-cumul de l’action possessoire avec l’action pétitoire. Celui qui agissait au fond n’était pas recevable à agir au possessoire et le défendeur au possessoire ne peut agir au fond qu’après avoir mis fin au trouble.

En outre, il est apparu au législateur que les actions en référé étaient préférées aux actions possessoires, rendues trop complexes en raison notamment de ce principe du non-cumul du possessoire et du pétitoire.

Aussi, le groupe de travail sur la réforme du droit des biens, présidé par le professeur Périnet-Marquet, sous l’égide de l’association Henri Capitant, a « dans un but de simplification souhaité la suppression pure et simple des actions possessoires figurant dans le code de procédure civile »

Cette idée a été reprise une première fois par la Cour de cassation, dans son rapport d’activité de 2009. Selon ce rapport « les multiples difficultés nées de l’application de ce principe et de l’efficacité des procédures de référé actuelles permettent légitimement de justifier la suppression suggérée, la protection du trouble causé par une voie de fait relevant des attributions du juge des référés et le tribunal de grande instance statuant au fond sur le litige de propriété proprement dit ».

Un premier pas vers un rapprochement des actions possessoires et pétitoires avait été fait en 2005, lorsque le décret n°2005-460 du 13 mai 2005 relatif aux compétences des juridictions civiles, à la procédure civile et à l’organisation judiciaire a transféré la compétence du juge d’instance en matière d’action possessoire au juge du Tribunal de grande instance qui était déjà investi d’une compétence exclusive en matière d’action pétitoire.

Le législateur a finalement décidé de supprimer les actions possessoires en 2015 du dispositif de protection de la possession.

==> Droit positif

La loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a donc abrogé l’ancien article 2279 du Code civil qui envisageait les actions possessoires.

Aussi, désormais, la seule action qui vise à assurer la protection du possesseur contre les troubles dont il est susceptible de faire l’objet est l’action en référé.

Lorsqu’un litige exige qu’une solution, au moins provisoire, soit prise dans l’urgence par le juge, une procédure spécifique dite de référé est prévue par la loi.

Elle est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.

L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme « une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. »

Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :

  • D’une part, elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive
  • D’autre part, la procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts
  • Enfin, la procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur

Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.

Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.

Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation « toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».

Le référé ne doit cependant pas faire oublier l’intérêt de la procédure à jour fixe qui répond au même souci, mais avec un tout autre aboutissement : le référé a autorité provisoire de chose jugée alors que dans la procédure à jour fixe, le juge rend des décisions dotées de l’autorité de la chose jugée au fond.

En toute hypothèse, avant d’être une technique de traitement rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente.

Reste que les fonctions des référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence même d’urgence.

Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit, elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme applique désormais au juge du provisoire les garanties du procès équitable de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., arrêt du 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, no 17056/06). S’affirme ainsi une véritable juridiction du provisoire.

Le juge des référés est saisi par voie d’assignation. Il instruit l’affaire de manière contradictoire lors d’une audience publique, et rend une décision sous forme d’ordonnance, dont la valeur n’est que provisoire et qui n’est pas dotée au fond de l’autorité de la chose jugée.

L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.

Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans un nombre limité de cas :

  • Le référé d’urgence
    • Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
  • Le référé conservatoire
    • Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (il peut ainsi, par exemple, suspendre la diffusion d’une publication portant manifestement atteinte à la vie privée d’un individu).
  • Le référé provision
    • Le juge des référés est compétent pour accorder une provision sur une créance qui n’est pas sérieusement contestable.
  • Le référé injonction
    • Le juge des référés peut enjoindre une partie d’exécuter une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire
  • Le référé probatoire
    • Lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction, par exemple une expertise.

S’agissant de la protection de la possession, pour exercer une action en référé il conviendra de remplir les conditions de recevabilité propres à chaque action.

S’agissant du référé urgence, l’article 834 du CPC) prévoit que « dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend » (Pour plus de détails V. Fiche sur le référé d’urgence).

S’agissant du référé conservatoire ou remise en état, l’article 835, al. 1er prévoit que « le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » (Pour plus de détails V. Fiches sur le référé conservatoire et sur le référé remise en état)

[1] J. Carbonnier, Droit civil – Les biens, éd. PUF, 2004, n°729, p.1636.

[2] Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 3, n°15.

[3] J. Carbonnier, Droit civil – Les biens, éd. PUF, 2004, n°784, p. 1720.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

Les règles régissant l’ouverture d’un compte bancaire par un mineur

L’ouverture d’un compte bancaire s’analyse en la conclusion d’un contrat. Pour accomplir cette opération, il est donc nécessaire de disposer de la capacité juridique de contracter.

S’agissant des mineurs, s’ils sont, par principe, frappés d’une incapacité générale d’exercice, il est fait exception à ce principe en cas d’émancipation.

I) Les mineurs non émancipés

==> Principe

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est, par principe, pas autorisé à solliciter, seul, l’ouverture d’un compte bancaire.

Dans ces conditions, il devra se faire représenter pour accomplir cette démarche. Plusieurs situations doivent alors être distinguées :

  • Le mineur est placé sous l’administration légale de ses deux parents
    • Lorsque le mineur ne dispose pas de compte bancaire, chacun des deux parents dispose du pouvoir de lui en ouvrir un sans le consentement de l’autre ( 382-1 et C. civ.)
    • Lorsque le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’ouverture d’un autre compte bancaire ne pourra se faire qu’avec le consentement des deux parents ( 382-1 C. civ.)
  • Le mineur est placé sous l’administration légale d’un seul parent
    • Il est ici indifférent que le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’administrateur légal unique est investi des pouvoirs les plus larges en la matière.
    • Il est tout autant autorisé à ouvrir un premier compte bancaire au mineur qu’à lui en ouvrir un autre s’il en possède déjà un.
  • Le mineur est placé sous tutelle
    • Lorsque le mineur ne dispose pas de compte bancaire, le tuteur peut formuler, seul, une demande auprès du banquier ( 504 C. civ.)
    • Lorsque le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’ouverture d’un autre compte bancaire ne pourra se faire qu’avec le consentement du Conseil de famille ou à défaut par le Juge des tutelles ( 505 C. civ.)

==> Exceptions

  • Ouverture d’un Livret A
    • Les mineurs sont admis à se faire ouvrir des livrets A sans l’intervention de leur représentant légal ( L. 221-3 CMF).
    • Ils peuvent retirer, sans cette intervention, les sommes figurant sur les livrets ainsi ouverts, mais seulement après l’âge de seize ans révolus et sauf opposition de la part de leur représentant légal.
  • Ouverture d’un Livret jeune
    • À l’instar du Livret lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, l’autorisation de son représentant légal n’est requise que pour les opérations de retrait.
    • Lorsque le mineur est âgé de seize à dix-huit ans, il est autorisé à procéder lui-même à ces opérations à moins que son représentant légal ne s’y oppose.

II) Les mineurs émancipés

Le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile (art. 413-6 C. civ.).

Il en résulte qu’il est autorisé à solliciter l’ouverture d’un compte bancaire, sans obtenir, au préalable, le consentement de ses représentants légaux (parents ou tuteur).

S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire à des fins commerciales, le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal judiciaire s’il formule cette demande après avoir été émancipé (art. 413-8 C. civ.).

Aussi, appartient-il au banquier de vérifier que le mineur émancipé est autorisé à endosser le statut de commerçant avant d’accéder à sa demande d’ouverture d’un compte professionnel.

                            Aurélien Bamdé                                Maître Stéphanie Baudry                                                                                              (Avocate – Walter & Garance)