On trouve volontiers écrit ici ou là qu’on assiste à une intégration croissante des juristes et, plus généralement, des directions juridiques dans la conduite opérationnelle des organisations. Les manifestations d’intérêts pour les formations universitaires tel que le Master droit de l’entreprise de la Faculté de droit, d’économie et des sciences sociales de Tours (www.e-maje.fr), qui vont crescendo, l’attestent (1). Attention toutefois à ne pas se laisser griser (2). La proactivité est un sujet.
1.- On a longtemps pensé que le service rendu par les juristes en entreprise consistait dans la gestion du contentieux. Il est mieux su désormais que c’est la prévention des différends qui importe autrement plus. Pour bien (mieux) faire, le juriste est associé à la prise de décision aux fins d’évaluation des risques des opérations commerciales projetées. Son rôle premier : servir l’entreprise et son business. Sa place : le backoffice.
Rien de péjoratif à déclarer. Ce n’est pas à dire que le juriste soit réduit à la portion congrue. Bien au contraire. Au vu des variables de tous ordres qui affectent l’activité des entreprises – commerciales, financières et économiques – et de la complexité de l’environnement normatif national et international (ceci expliquant cela), l’attache du juriste se fait plus nécessaire encore que par le passé. Ce n’est pas tout. Le niveau d’exigence des autorités chargées de contrôler la loyauté des échanges de biens et de services a augmenté. On exige désormais des entreprises transparence et gouvernance. Les régimes prudentiels se multiplient. Les banques et les organismes d’assurance – pour ne prendre que cet exemple – ont ainsi l’obligation de dégager une marge de solvabilité à peine d’être purement et simplement exclus du marché par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (https://acpr.banque-france.fr). Ce n’est pas tout. On s’apprête à attendre encore de ces dernières qu’elles investissent de manière plus responsable. “Il serait urgent de se transformer pour accompagner une transition rapide vers une économie bas carbone et plus largement, vers une économie respectueuse de l’environnement et des hommes” (v. not. en ce sens, le positionnement de la Caisse des dépôts et des consignations : https://www.caissedesdepots.fr/dossier/la-finance-verte-pas-assez-verte). Les juristes ont par voie de conséquence vu leur domaine de compétences s’accroitre, qui devrait augmenter du reste. Et les comités de direction de réserver une attention plus grande au directeur juridique. Le vocabulaire s’est même enrichi. Place doit désormais être faite à la compliance et au management des risques de non-conformité.
La « compliance », qui est à l’origine une pratique anglo-saxone, est l’ensemble des processus qui permettent d’assurer le respect, d’une part, des normes applicables à l’entreprise par ses salariés et dirigeants, d’autre part, des valeurs et d’un esprit éthique insufflé par les dirigeants. C’est, pour le dire autrement, une mise en conformité de l’activité avec le droit positif voire prospectif. C’est aussi la soumission croissante des affaires à la déontologie et à l’éthique. Il existe même un cercle de la compliance, dont le co-fondateur est le président honoraire de la Chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation Tricot (http://www.cercledelacompliance.com/).
Un nouvel adage : « nul n’est censé ignoré la compliance » !
2.- Pour séduisant que soit le constat, il faut dire que cette position (plus remarquable) des juristes en entreprise est loin d’être généralisée. A l’expérience, et sans trop forcer le trait, on peut ranger les organisations en deux catégories. Les unes ont acquis un niveau de maturité qui est renseigné par la place accordée aux juristes. Les autres non (pour plein de raisons). Pour les premières, le juriste est un facteur de croissance organique, qui participe du développement de l’entreprise. Pour les secondes, c’est une charge qui affecte, par voie de conséquence, le résultat de l’entreprise. Le travail du juriste est alors rendu plus compliqué dans ce second cas de figure. Soit il est relativement isolé tandis que les sollicitations vont tous azimuts – car aucune entreprise n’échappe aux problématiques juridiques. Soit il est absolument relégué. La consultation de l’organigramme et l’importance toute relative des effectifs suffisent en général à s’en rendre compte.
Dans ces organisations-là, le juriste doit faire montre de son savoir-faire et être doué d’un très bon relationnel (savoir-être). Son travail ne doit pas se limiter à répondre en qualité de technicien aux commandes passées par celles et ceux qui sont en front-office (les directions commerciale et générale tout particulièrement). Il lui importe encore de renseigner, en stratégie, les pertes évitées et les gains sécurisés. En bref, de justifier son poste à échéance. C’est de business et d’emploi dont il est question en fin de de compte. Car l’externalisation est tentante. Or, ce sont les avocats qui ont alors le monopole de l’assistanat et du conseil en droit (Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 54. V. égal. art. 58 rel. aux juristes d’entreprise).
Dans les entreprises qui n’ont pas eu le loisir de s’interroger sur la (meilleure) place qu’elles gagneraient à accorder aux juristes, ces derniers passent parfois pour être des casseurs de croissance et d’enthousiasme. Une expression usuelle résume le tout : les juristes passent pour être des business smasher ou des deal breakers (casseurs d’affaire en quelque sorte). En vérité, la faute est partagée qui aura consisté pour le juriste a opposé un refus net – fruit d’une erreur manifeste d’appréciation et de positionnement professionnel.
C’est que le droit n’existe pas à l’état de nature et ne saurait jamais recevoir aucune interprétation désincarnée. La lutte pour le droit n’est pas dans la fiche de poste du juriste. Celui a qui il revient de l’appliquer dans un cas particulier ou bien de l’inventer faute de système prêt à l’emploi doit s’appliquer à positionner aussi utilement que possible le curseur entre la prescription de l’auteur de la règle (le normateur) et l’action du donneur d’ordres (le client – qui peut être la direction commerciale par exemple). Et ce n’est que lorsque cette dernière action risque de heurter trop frontalement une règle de droit bien établie (pour un coût jugé déraisonnable – dont l’évaluation est une partie du job) qu’il importe de recommander que l’action soit en tout ou partie seulement repensée. Charge ensuite à celles et ceux en responsabilité – et à eux-seuls – de changer de braquet ou non.