Le silence en droit de la famille

Je le confesse : quelle curieuse idée que de vouloir traiter, conjointement, dans un même sujet, le silence et le droit. Dans son acception première, le silence désigne le « fait de ne pas parler, de se taire»[1]. Il s’apparente, autrement dit, à une abstention. Aussi, comment le droit pourrait-il entretenir quelques accointances avec le silence alors qu’il est le pur produit d’une action : l’« acte de volonté »[2] qui le pose. Sans qu’il soit besoin d’entrer dans des considérations de théorie générale, nombreux sont les éléments qui, intuitivement, laissent à penser que le droit se tiendrait loin du silence. Il apparaît en ce sens peu aisé, même pour le juriste, de dissocier la règle juridique du vacarme parlementaire que suscite, parfois, son adoption, des passions qu’elle a vocation à contenir ou de l’expression nationale dont elle est l’émanation. Nombreux sont les auteurs qui associent le droit à ces différentes manifestations bruyantes de l’expression humaine. Montaigne a, par exemple, écrit qu’« il n’est rien sujet à plus continuelle agitation que les lois »[3]. Pour Rousseau encore, la loi « est une déclaration publique et solennelle de la volonté générale »[4]. Parce que le droit appartiendrait au monde de l’action, tout l’opposerait donc au silence, à supposer qu’on le considère comme indissociable de l’abstention.

Un détour rapide par la littérature tend, cependant, à montrer qu’il n’en est rien. Le vide et le néant n’ont pas le monopole du silence. Pour Jean-Paul Sartre, la liberté, qu’il définit dans l’un de ses premiers essais philosophiques[5], comme la capacité à s’engager, à agir, à faire des choix, soit tout le contraire de s’abstenir, n’est jamais autant exaltée que lorsque l’homme est réduit, par la contrainte, au silence. Cette thèse le conduira, plus tard, à affirmer, dans La République du silence, le paradoxe suivant : « jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande»[6]. Sartre n’est pas le seul à soutenir que le silence est bavard. Déjà au XVIIe siècle Pascal écrivait qu’« il y a une grande éloquence du silence qui pénètre plus que la langue ne saurait faire »[7]. Encore avant lui, les pères du bouddhisme ont fait du silence la plus haute expression de la communication avec soi-même et le divin. Si, dès lors, le silence est roi au royaume du vide et du néant, il peut également être regardé comme une forme d’expression de l’action humaine. Or n’est-ce pas là, la fonction première du droit, que de se trouver là où se développe cette action. C’est ce qu’exprime l’adage ubi societas, ibi jus. D’où l’inévitable rencontre entre le silence et le droit.

Cette rencontre est à double sens. Tantôt c’est la règle juridique que l’on va conduire vers le silence afin de lui faire produire des effets de droit. Cette situation se présente notamment lorsque la jurisprudence décide, qu’en matière contractuelle, le silence peut valoir, lorsque certaines conditions sont réunies, offre[8] ou acceptation[9]. De la même manière, l’article 22 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations[10] dispose que le silence opposé par une autorité publique pendant plus de deux mois à un administré peut signifier, dans certains cas, qu’il a été accédé à sa requête. Parfois le silence ne sera pas seulement traité comme générateur d’effets de droit, il sera érigé en véritable droit subjectif comme c’est le cas en matière pénale. La Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de rappeler, dans un arrêt du 14 octobre 2010 où elle condamne la France, que « le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence sont des normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable»[11]. Ce droit au silence bénéficie également aux journalistes qui, dans l’exercice de leur fonction, ne sont pas tenus de révéler leurs sources à l’autorité judiciaire[12]. Force est de constater que, dans toutes ces hypothèses, c’est le droit qui, par l’entremise du juge ou du législateur, va exercer une action sur le silence.

Tantôt, il est, toutefois, des situations où c’est le silence qui exercera une action sur le droit. Il en va ainsi, lorsque le silence préside à la création de la règle juridique. Si l’on adhère à l’idée que la norme n’est pas une chose, mais « la signification d’une proposition prescriptive indiquant un modèle de conduite»[13], il doit corrélativement être admis que la création de la norme procède d’un acte d’interprétation[14]. Dans la mesure où, tout ce qui est susceptible de faire sens peut faire l’objet d’une interprétation, il peut être conféré au silence, au même titre qu’un texte législatif ou règlementaire, une signification normative. C’est ce que fait le juge lorsqu’il découvre des principes généraux du droit dont la production est moins issue de l’interprétation d’un texte précis, que d’une « généralisation des solutions convergentes portées par des règles particulières »[15]. Cette rencontre entre le silence et le droit est bien plus fréquente qu’on ne le pense. Toutes les branches de l’arbre juridique sont concernées et, tout particulièrement, celle du droit de la famille.

Pourquoi la relation de cette ramification du droit avec le silence serait-elle marquée du sceau de la singularité ? Deux raisons peuvent être avancées. En premier lieu, c’est dans le cadre de la structuration des rapports entretenus entre les membres du groupe que constitue la famille que le droit serait sorti du silence pour connaître ses premiers balbutiements. Pour Norbert Rouland la « précoce organisation de la famille autour des rapports de parenté»[16] qui, selon lui, sont « d’essence juridique »[17], sont le « berceau du droit »[18]. L’apparition des premières règles juridiques remonterait donc au paléolithique. Ces dernières auraient été créées dans le dessein de déterminer « l’orientation des alliances matrimoniales, le choix des critères de filiation et la fixation du lieu de résidence des époux ». Partant, la formation du droit de la famille peut être regardée comme mettant fin au silence normatif dans lequel était plongée la société humaine[19]. Là n’est pas la seule raison pour laquelle cette branche du droit, plus qu’une autre, entretient un rapport privilégié avec le silence.

En second lieu, si la famille est le groupe au sein duquel l’être humain a vocation à naître, grandir, s’épanouir, soit se construire en tant qu’individu doué de la faculté de s’exprimer socialement, elle est aussi l’endroit où les agents vivent de profonds silences. Le décès d’un parent, d’un enfant, d’un frère ; la séparation d’un couple, le divorce ; l’absence ou la disparition d’un conjoint sont autant d’évènements propres à générer les plus grands silences que l’homme est amené à connaître au cours de son existence. Or, comme le font observer des auteurs, c’est, surtout, dans ces « heures sombres de la vie» que le droit de la famille s’impose[20]. Le reste du temps, celui-ci est éclipsé par d’autres normes – non-juridiques – que sont les règles morales, religieuses et coutumières ; mais nous y reviendrons.

Ce qu’il importe, pour l’heure, de noter, c’est que le silence, lorsqu’il s’insinue dans la famille, constitue un élément déclencheur du droit. Inversement, le droit peut, se révéler être source de nombreux silences. C’est, notamment le cas, lorsque le législateur estime qu’une situation, bien que présentant un caractère familial, tel le concubinage, n’a pas vocation à être régie spécifiquement par le droit, ou qu’il condamne au silence certaines pratiques se déroulant au sein de la famille, en raison de leur contrariété à l’ordre publique. Tous ces silences dont est susceptible d’être porteuse la règle juridique, sont autant d’éléments à partir desquels il est possible de dresser une esquisse de ce que, juridiquement, n’est pas la famille et donc, a contrario, d’identifier précisément quels sont les traits du modèle de famille prescrit par le droit. Au total, il apparaît que les rapports qu’entretiennent le silence et le droit de la famille dépassent le simple cadre de la relation syllogistique qui peut exister entre la règle juridique et un fait quelconque.

Car le silence n’est pas un fait ordinaire : en plus d’être potentiellement générateur d’effets juridiques, il peut également s’immiscer, tant dans la création de la règle de droit, que dans son contenu. D’où l’existence d’une relation bilatérale entre le droit de la famille et le silence. La question qui dès lors se pose est de savoir comment interagissent-ils, l’enjeu étant, à partir de l’étude de cette interaction, d’appréhender la conception que le droit se fait de la famille, tant dans ses composantes, que dans son fonctionnement, sous un angle radicalement différent de celui adopté habituellement. Pour ce faire, cela suppose de se demander d’une part, dans quelle mesure le droit est-il susceptible d’être saisi par le silence (I) après quoi il conviendra de s’interroger, d’autre part, sur la manière dont le droit se saisit du silence (II).

I) Le droit de la famille saisi par le silence

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la famille fait partie de ces entités pour lesquelles le droit accorde une place de choix dans son giron, sans pour autant lui conférer de définition. La notion de famille n’est, en effet, définie nulle part, ni dans les textes de droit interne, ni dans les conventions internationales[21]. Tout au plus, on trouve, dans les travaux préparatoires du Code civil, une définition du mariage que nous livre Portalis[22]. Bien qu’apportant un éclairage fort intéressant sur la conception que le législateur se faisait, en 1804, de la famille, cette définition n’en revêt pas moins qu’une valeur purement symbolique.

En outre, depuis l’adoption de la loi sur le pacs, la famille ne se limite plus à l’union conjugale. À cela s’ajoute le fait qu’il s’agit d’un concept dont le contenu est étroitement lié à la traduction culturelle d’une société et à l’évolution des mœurs ; d’où le grand nombre de significations qu’il comporte. Cela a conduit un auteur à affirmer que « la définition de la famille apparaît comme la première difficulté que celle-ci propose au droit»[23]. Est-ce à dire qu’il est impossible d’en délimiter les pourtours ? Manifestement non. Il est un moyen de mener à bien cette entreprise. À bien y réfléchir, si le droit ne donne aucune définition de la famille, il nous dit, en revanche, ce qu’elle n’est pas. Il le fait toutes les fois, soit qu’il garde le silence (A), soit qu’il l’impose (B), dans le cadre de l’appréhension de rapports familiaux.

A) Le silence gardé par le droit

 Si, comme le fait observer Pierre Delvolvé la règle juridique, lorsqu’elle est adoptée, rompt le silence[24], elle ne saurait, cependant tout dire, sur la conduite qu’elle a vocation régir, si bien qu’il est de nombreux cas où le juge est confronté au silence du droit (1). Ce silence ne tient, toutefois pas toujours au contenu de la norme ; il est des cas où il vient de ce que le droit peine à s’appliquer (2).

  1. Le silence dans le contenu du droit

 Dans Le curé de village, Balzac a écrit que « la famille sera toujours la base des sociétés»[25]. Force est de constater que, pour l’heure, rien n’est venu contrarier cette prévision. Nombreux, voire unanimes, sont les auteurs qui, aujourd’hui, abondent en ce sens. Pour Carbonnier, la famille constitue le principal pilier de l’ordre social[26]. Gérard Cornu considère, quant à lui, que la famille est « porteuse de civilisation »[27]. De ce constat, certains auteurs en déduisent qu’« une société sans famille ou sans familles fécondes est impitoyablement condamnée à disparaître »[28]. S’il est, par conséquent, une structure humaine vis-à-vis de laquelle le droit ne saurait rester silencieux, c’est bien la famille. Le législateur ne s’y est d’ailleurs jamais trompé. Que ce soit à l’époque de la Rome antique, au Moyen Âge ou encore à l’ère industrielle, le droit s’est toujours montré très bavard concernant l’organisation de la famille. L’existence d’un droit de la famille relève de l’évidence[29], encore qu’il est certains auteurs qui ont pu se demander s’il s’agissait bien d’un droit[30]. La question qui, conséquemment, se pose est moins de savoir si le droit connaît de la famille, que de se demander si toutes les formes de familles intéressent le droit.

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[31], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale. De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[32]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire. Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui. Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[33], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable. La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[34] et plus encore, comme son « acte fondateur »[35]. Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre ; mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[36]. En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[37]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[38]. Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage[39]. Excepté quelques cas marginaux[40], leur situation n’est réglée que par le seul droit commun. Pour les couples qui choisissent de se tenir à l’écart de l’union conjugale, c’est donc un silence juridique qui les attend.

Depuis l’adoption de la loi sur le pacs, ce silence n’est, cependant, plus aussi assourdissant qu’il a pu l’être. En proposant aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage» diront certains[41], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires, la démarche du législateur témoigne de sa volonté de ne plus faire fi d’une situation de fait qui, au fil des années, s’est imposée comme un modèle à partir duquel se sont construites de nombreuses familles. En contrepartie d’en engagement contractuel[42] qu’ils doivent prendre dans l’enceinte, non pas de la mairie, mais du greffe du Tribunal de grande instance[43], les concubins, quelle que soit leur orientation sexuelle, peuvent de la sorte voir leur union hors mariage, se transformer en une situation juridique. C’est là une profonde mutation que connaît le droit de la famille. Cette mutation ne se traduit pas seulement par un recul du silence de la loi sur des situations qui, jusque récemment, étaient ignorées du législateur, elle peut également être observée à travers l’application même de la règle de droit qui, de plus en plus, tend à devenir silencieuse.

2. Le silence dans l’application du droit

Certains auteurs l’avancent : la famille, malgré toutes les règles dont elle fait l’objet, est un endroit privilégié du non-droit. Pour Carbonnier la famille connaîtrait « de longs jours de non-droit, pour quelques instants de droit »[44]. Bien qu’applicable, la règle juridique serait, dans ces conditions, réduite au silence, soit parce que les agents l’ignorent et, de ce fait, ne sauraient l’observer, soit parce qu’ils préfèrent suivre leurs propres règles de conduite, issues du milieu socio-culturel auquel ils appartiennent ou de leur tradition familiale[45]. Ce silence auquel est contraint la règle de droit lorsque son champ d’application rencontre le cercle calfeutré de la famille, ne signifie donc pas absence de normes. Bien au contraire, la famille est un terrain fertile pour l’internormativité, car se trouvant au « carrefour de la religion, de la morale et des mœurs »[46]. Parmi ces normes, on trouve évidemment la coutume, auquel le droit se réfère, parfois, directement[47] ou indirectement[48]. Surtout, les normes au profit desquelles la règle juridique se retire dans le silence, sont de plus en plus de nature contractuelle. La doctrine a qualifié ce mouvement de contractualisation de la famille. En quoi consiste-t-il exactement ?

Il procède d’un recul de l’ordre public familial combiné à un changement de nature de celui-ci. Alors que cet ordre public familial, qui prend racine dans les nombreuses règles impératives qui composent le droit de la famille[49], était tourné, traditionnellement, vers « la défense de la famille légitime hiérarchisée »[50], aujourd’hui il est plutôt orienté vers la préservation de l’autonomie des membres de cette dernière. Autrement dit, désormais ce n’est plus l’intérêt du groupe que constitue la famille qui prévaut sur celui de ses composantes, mais les intérêts particuliers qui priment l’intérêt collectif de sorte que d’un ordre public familial de direction, on est passé, bien que celui-ci n’ait pas totalement disparu[51], à un ordre public de protection. Il s’ensuit, que l’« on peut y renoncer à l’occasion d’un rapport de type contractuel »[52], ce dont se privent de en moins les époux, en raison d’un accroissement de l’autonomie de leur volonté. Et si, comme le remarquent certains, le fait « que les époux soient libres d’organiser les effets de leur union peut sembler plus anachronique au regard de l’idée selon laquelle le mariage est avant tout un statut légal »[53], ce mouvement n’en est pas moins à l’origine d’une « véritable refondation du droit de la famille au début du XXIe siècle »[54].

Nombreux sont les exemples qui peuvent être pris pour illustrer cette contractualisation de la famille. Ainsi, les couples mariés, sont-ils libres, à condition de ne pas violer les règles impératives qui composent le régime primaire, de conclure « des conventions spéciales […] comme ils le jugent à propos»[55]. De la même manière, il leur est possible d’aménager contractuellement la transmission successorale par le jeu des libéralités faites entre vifs[56]. On peut également évoquer la possibilité offerte aux époux de changer de régime matrimonial, le principe d’immutabilité ayant considérablement été assoupli par les réformes successives dont a fait l’objet le droit patrimonial de la famille[57]. Une contractualisation peut encore être observée dans les rapports personnels qu’entretiennent les membres de la famille entre eux. La loi du 4 juin 1970 a, de la sorte, permis l’aménagement, par convention homologuée judiciairement, de l’exercice de l’autorité parentale[58]. Les effets, tant personnels que patrimoniaux, du divorce peuvent tout autant être contractualisés depuis la loi du 11 juillet 1975 instituant le divorce par consentement mutuel. De toute évidence, cette contractualisation de la famille, participe à « l’éviction progressive de la loi »[59]. Il est, néanmoins, encore des cas où, parce que l’ordre public le commande, non-seulement celle-ci sort de son silence, mais encore il peut arriver qu’elle l’impose, à son tour, aux agents.

B) Le silence imposé par le droit

Parce qu’il est, pour une large part, d’ordre public, nombreux sont les silences que le droit familial impose aux membres de la famille. Depuis que les mœurs se sont libérées, l’étendue de ce silence (1), tend cependant à reculer (2).

  1. L’étendue du silence imposé par le droit

La famille est, nous venons de le voir, une zone privilégiée du non-droit. Est-ce à dire que la règle juridique n’a pas vocation à s’y appliquer ? Certainement pas, ce, en raison de l’existence de règles impératives auxquelles il ne saurait être dérogé par contrat. À l’inverse de ce qui a été fait précédemment, il convient, dès lors, de déterminer jusqu’où l’ordre public qu’elles forment s’insinue dans les rapports familiaux. Quelle démarche doit-on adopter ? Manifestement, il n’existe aucune règle précise qui fixe le périmètre de cet ordre public familial. Il se signale, toutefois, de lui-même par le silence qu’il impose, chaque fois qu’il est présent, aux agents.

Dans cette configuration-là, le silence doit être entendu dans le sens d’abstention. La prescription de pareille abstention se rencontre, concrètement, lorsque le législateur dénie la possibilité à des agents d’entrer ou de sortir du périmètre de la famille, reconnue comme telle par lui, ou lorsqu’il interdit l’accomplissement d’un acte qu’il considère comme portant atteinte au fonctionnement de cette dernière. Aussi, à partir de la détermination de l’étendue du silence que le droit commande aux justiciables d’observer, devient-il possible de délimiter les contours de l’ordre public familial.

Comme composante de celui-ci, on peut commencer par évoquer les empêchements à mariage qui s’apparentent à des silences imposés aux couples qui ont entrepris de s’unir devant le maire. Doivent s’abstenir de former une union conjugale, ceux ne remplissant pas les conditions liées à l’âge[60], à la parenté[61] ou encore au consentement[62]. La réunion de conditions relatives à la publicité[63], à la production de pièces administratives[64] et à la célébration du mariage[65], est aussi nécessaire. Le non-respect de certaines de ces conditions[66] constitue, dans une moindre mesure, un obstacle à la conclusion d’un pacs. Sont également concernés par cette abstention, que le droit impose aux couples désireux de fonder une famille, les personnes à qui il refuse l’adoption ou le recours à la procréation médicalement assistée.

Dans un autre ordre d’idée, il est des cas où ce sont ceux qui veulent entrer dans le périmètre de la famille – au sens juridique du terme – qui sont réduits au silence. Cela se produit quand, par exemple, un parent ou un enfant qui manifeste l’envie de faire établir sa filiation, se voit opposer l’écoulement du délai de prescription de l’action en justice dont il dispose, lequel délai est, selon les cas prévus par la loi, compris entre cinq[67] et dix ans[68]. Pareillement, sont enfermés dans un tel silence les agents à qui le droit interdit de sortir du cercle de la famille juridique, soit parce que l’action en contestation de filiation est prescrite, soit en raison de leur impossibilité d’invoquer l’un des quatre cas de divorce prévus par la loi[69].

Enfin, il est une dernière hypothèse où les membres d’une famille peuvent être réduits au silence : l’accomplissement d’actes contraires à la manière dont le droit commande à la famille de fonctionner. Il en va ainsi d’un testament qui exhéréderait les enfants du de cujus au-delà de la quotité disponible ou qui instituerait un légataire frappé d’une incapacité de recevoir[70]. On peut, en outre, prendre l’exemple de l’acte consistant à effectuer à un changement de régime matrimonial qui ne serait pas conforme à l’intérêt de la famille[71]. L’interdiction faite à l’époux propriétaire du domicile conjugal de procéder, seul, à un acte de disposition de son bien peut, tout autant, être regardée comme une abstention que le droit lui impose.

Au total, il apparaît que l’étendue du silence que les agents doivent observer dans le cadre de rapports familiaux, témoigne de l’insinuation de l’ordre public familial dans de nombreux compartiments de la famille, de sa formation, à sa dissolution, en passant par son fonctionnement. Cela confirme le grand intérêt que le droit lui porte. Il peut d’ailleurs être relevé que, à mesure que les mœurs se libèrent, les silences imposés à ses membres, reculent, ce qui a pour effet de libérer la famille de la conception restrictive que le droit s’en faisait.

2. Le recul du silence imposé par le droit

Pourquoi le droit de la famille est-il, comme a pu le remarquer Carbonnier, un domaine où, globalement, « la part de l’autonomie de la volonté [y est] réduite, l’ordre public plus développé»[72] ? C’est, à l’époque de l’Ancien Régime, qu’il faut remonter pour trouver une explication à cette situation. À cette période, comme le fait observer un auteur, la famille est utilisée comme métaphore pour légitimer la monarchie. Celle-ci est érigée en modèle de société afin qu’il soit possible de déduire la nature des liens qui unissent le Roi et ses sujets. Cela se traduit, par exemple, par le statut que la législation royale confère au père de famille, statut qui fait de lui une personne à l’image du Roi : un être tout puissant. Cette utilisation de la famille, comme d’un instrument pour assurer l’assise du pouvoir en place, s’est poursuivie après la Révolution.

C’est de cette manière que Napoléon voyait la famille. Lorsque les rédacteurs du Code civil se sont employés à la tâche, ils percevaient cette dernière comme « la cellule de base de la société»[73]. Leur ambition était « de s’appuyer sur la famille pour en faire le relais et garantir l’ordre politique, économique et social »[74] qu’ils entendraient instaurer. Les règles qui structurent la famille ont donc été pensées comme ayant vocation à structurer la société toute entière. La famille à laquelle fait référence le Code civil en 1804 apparaît de la sorte, comme le montre Pierre Bréchon, comme une structure donnée d’avance qui ne saurait faire l’objet d’aucune contestation : l’attaquer serait de nature à mettre en péril la Nation[75]. D’où la forte proportion de règles d’ordre public en droit de la famille. À partir du début des années soixante, l’ordre public familial – de direction – tend, cependant, à s’estomper et, corrélativement, le silence imposé aux agents, dans le cadre de rapports familiaux, à reculer.

Ce mouvement est certes, comme nous l’avons vu[76], très étroitement lié à la contractualisation de la famille ; surtout, il procède du pouvoir d’attraction grandissant qu’ont sur elle les Droits de l’homme. On assisterait, en ce sens, selon Gérard Cornu, à une « subjectivisation du droit familial». Ce phénomène « consiste à réduire le droit de la famille à une collection de droits subjectifs établis sur la tête de chacun de ses membres, homme, femme, enfant »[77]. De l’avis général de la doctrine, la famille serait appréhendée par le droit, moins par rapport à l’institution juridique qu’elle constitue, que par rapport aux droits individuels qui, notamment sous l’impulsion de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, sont de plus en plus nombreux à échoir à ses membres[78]. Dès lors, à partir du moment où le législateur admet que l’intérêt du groupe familial puisse s’effacer, lorsqu’il est porté atteinte à un droit subjectif, il s’en suit, mécaniquement, une libération de l’individu du silence dans lequel il était enfermé naguère, au nom de l’intérêt collectif[79].

L’exemple topique de ce mouvement est le droit, récent, reconnu à tout un chacun de voir sa filiation légalement établie. Jusqu’à l’adoption de la loi du 3 janvier 1972, ce droit était, en effet, dénié à l’enfant adultérin auquel le droit sommait de taire sa filiation, l’intérêt supérieur étant l’exclusivité de la filiation légitime, et la préservation de la paix des familles. Désormais, peuvent s’en prévaloir, tant les enfants issus d’une union conjugale, que ceux nés d’une relation adultérine[80], conformément à l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme qui proscrit toute discrimination fondée sur la naissance. S’il existe, encore aujourd’hui, des restrictions au droit d’établir sa filiation[81], il apparaît néanmoins que, sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme, leurs jours sont, pour certaines, dorénavant comptés[82].

Bien que, comme le souligne Carbonnier, il est un risque pour le droit de la famille que « l’exaltation des droits individuels ne désagrège les institutions»[83], celle-ci n’en demeure pas moins à l’origine d’un bannissement des discriminations dont faisaient l’objet de nombreux membres de la famille biologique, tant en matière d’état des personnes, que sur le plan successoral pour les enfants naturels, adultérins et adoptés, ou encore en matière matrimoniale, pour la femme mariée qui, jusqu’en 1938 était enfermée dans le même silence que celui imposé à l’incapable et qui a dû attendre l’adoption de la loi du 13 juillet 1965 pour jouir du droit d’ouvrir un compte bancaire personnel. La libération de la famille s’est donc traduite par un recul significatif du silence auquel étaient réduits tous ceux qui, soit entretenaient une relation en dehors du cadre du mariage, soit qui, au sein de l’union conjugale, ne revêtaient pas la qualité de mari. Cela ne signifie pas pour autant que le silence se soit totalement retiré de la famille. La preuve en est l’intérêt que lui porte, en tant que fait, le droit.

II) Le silence saisi par le droit de la famille

S’il est incontestable que la famille constitue le groupe au sein duquel s’expriment les passions les plus vives, naissent les sentiments les plus profonds et où se tissent les liens les plus forts, elle est aussi l’endroit où ses membres sont amenés à rencontrer de nombreux silences dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux, à commencer par la mort, le mensonge ou encore le secret. Comment le droit appréhende-t-il le silence qui s’insinue dans les rapports familiaux ? Autrement dit, quels effets juridiques lui fait-il produire ? Deux situations doivent être distinguées : tantôt le droit organise le silence (A), tantôt il le sanctionne (B).

A) L’organisation du silence par le droit

L’organisation du silence par le droit est réalisée à une fin bien précise : assurer l’autonomie des époux sans laquelle le couple ne saurait fonctionner correctement. Cette autonomie dont ils disposent, tient à la répartition des pouvoirs dont ils sont investis d’une part (1) et à l’existence de présomption de pouvoirs, d’autre part (2).

  1. La répartition des pouvoirs

 S’il n’est, désormais, plus besoin de revenir sur l’existence, depuis le début du siècle dernier, d’un mouvement de « libération continuelle»[84] de la famille du modèle étriquée dans lequel elle était enfermée, jadis, par le droit, il nous faut, en revanche, nous arrêter sur l’une des facettes de ce mouvement en particulier : l’instauration d’une égalité parfaite entre époux ou, dit autrement, d’un l’alignement progressif du statut de la femme sur celui du mari[85]. Pour mener à bien cette réforme, qui est venue bouleverser une conception de la famille datant du fond des âges, il a, en effet, fallu que le législateur repense intégralement le fonctionnement du couple quant à la répartition des pouvoirs. Car dès lors qu’est inoculé dans les rapports conjugaux le germe de l’égalité, survient le risque de l’adoption, par les époux, de décisions contraires. Or pareille situation est susceptible de nuire grandement à l’intérêt de la famille toute entière. Comment, dans ces conditions, faire en sorte d’assurer son bon fonctionnement ?

Si l’on soumet l’accomplissement des actes qui intéressent la communauté à l’aval des deux conjoints, non seulement il est un risque de blocage dans la prise de décision du couple, mais encore que le traitement des impératifs et autres contingences de la vie quotidienne ne soit rendu impossible. Pour l’éviter, le législateur n’a, par conséquent, eu d’autre choix que de concéder aux époux une dose d’autonomie quant aux décisions se rapportant au couple. Comment s’y est-il pris ? Tout simplement en organisant le silence dans les rapports de pouvoir entre conjoints. Le silence doit, ici, être entendu comme celui d’un époux qui, bien que son consentement n’ait pas été sollicité par l’autre pour l’accomplissement d’un acte, ne fait pas obstacle à l’engagement des biens de la communauté. Le droit fait, en d’autres termes, produire à ce silence les effets d’une acceptation. Dans quelles circonstances pareille situation est-elle susceptible de se produire ?

On pense aussitôt à l’article 220 du Code civil qui dispose, en substance, que le silence d’un époux vaut, quel que soit le régime matrimonial applicable, acceptation lorsque le conjoint effectue une dépense ménagère, celle-ci faisant jouer, de plein droit, le mécanisme de la solidarité. Sont concernées toutes les dépenses de fonctionnement du ménage que sont les loyers du domicile conjugal, les frais médicaux, les dépenses courantes en tous genres (eau, électricité, accès à l’internet) ou encore les frais de scolarité des enfants. Il peut, par ailleurs, être souligné que, en vertu de l’article 515-4 alinéa 2, le principe de la solidarité ménagère s’applique, dans les mêmes termes, aux pacsés.

Là n’est pas la seule hypothèse où le membre d’un couple peut être considéré comme ayant consenti à l’accomplissement d’un acte, nonobstant son silence. Cette situation se rencontre, également, lorsque le Code pose pour certains biens qui composent, dans le cadre d’un mariage, la masse commune – si tant est que l’on ne soit pas dans un régime de séparation de biens – le principe de gestion concurrente. Au titre de l’article 1421 alinéa 1er « chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer […]». En outre, on peut évoquer l’article 219 qui prévoit que, « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter », soit à faire produire à son silence – contraint – les effets d’une acceptation, quant à l’accomplissement de certains actes graves qui supposent la réunion des deux consentements, tels que la vente du logement familial. En définitive, il apparaît que le droit organise le silence dans les rapports entre époux dans de nombreuses situations. Si, la plupart du temps, le pouvoir qu’ils détiennent quant à agir, seuls, au nom du couple, repose sur un droit qui leur échoit, il arrive néanmoins, parfois, que ce pouvoir soit précaire, celui-ci ne tenant qu’à l’existence d’une simple présomption.

2. Les présomptions de pouvoir

Afin de libérer encore un peu plus l’action des époux à qui les tiers pourraient, dans le dessein de se protéger d’un dépassement de leurs prérogatives respectives, être tentés de refuser à l’un, l’accomplissement d’un acte, en raison du silence de l’autre, le droit patrimonial de la famille instaure un certain nombre de présomptions de pouvoir. La plus première dont on peut faire état, est celle relative aux meubles – non meublants – dont est en possession un époux. Au titre de l’article 222 du Code civil, celui-ci est, pour « un acte d’administration, de jouissance ou de disposition […], réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte». Peu importe que le meuble en question appartienne, en propre à l’autre époux et que donc le conjoint qui a agi, ne se soit vu conférer par son régime matrimonial, aucun pouvoir dessus. La présomption qui pèse sur lui a pour effet d’assimiler le silence de l’époux propriétaire à une acceptation, de sorte que pour le tiers de bonne foi, l’acte accompli est inattaquable.

Pareille présomption existe également pour les actes concernant l’ouverture et le fonctionnement d’un compte bancaire. En vertu de l’article 221 « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres de dépôt». Ainsi, même si l’époux à qui les fonds ou titres appartiennent, n’a pas donné son consentement quant à leur dépôt sur le compte de son conjoint, son silence vaut acceptation, si bien qu’il ne saurait engager la responsabilité du banquier. Cette volonté que manifeste le législateur de protéger les tiers de l’acte accompli par un époux, en violation des règles du régime matrimonial qui lui est applicable, transparait, tout autant, de la présomption de mandat d’administration qui bénéficie à l’époux collaborant à l’activité professionnelle de son conjoint[86]. La présomption de pouvoir se révèle, de la sorte, comme un instrument très efficace pour faire produire des effets juridiques au silence, lequel silence peut, d’ailleurs, ne pas seulement faire l’objet d’une organisation dans les rapports entre époux, mais aussi d’une sanction.

B) La sanction du silence par le droit

Quand il se produit, le silence est un évènement, selon la forme qu’il empreinte, susceptible d’avoir des répercussions considérables sur la famille. C’est la raison pour laquelle, afin de préserver la pérennité du groupe familial et l’intérêt de ses membres, il est de nombreux cas où le droit le sanctionne, qu’il consiste (1) ou non (2), en une faute.

  1. La sanction du silence fautif

Cela n’est désormais plus à démontrer : la famille est le groupe social où la pression normative qui s’exerce sur ses membres est la plus forte. Cela fait-il de ces derniers des êtres vertueux ne se livrant à aucune forfaiture en son sein ? Naturellement non. Comme n’importe quel autre ensemble humain, la famille est susceptible de voir les agents qui la composent adopter des conduites déviantes, qui, pour certaines, peuvent consister en un silence. Quelles sont les silences malveillants, et donc fautifs, que le droit sanctionne-t-il ? Il en existe deux sortes. Il y a les silences dont la réalisation est de nature à nuire à un ou plusieurs membres de la famille, voire à des tiers et ceux qui, lorsqu’ils sont constatés, peuvent conduire, ni plus, ni moins, à la dissolution de la famille.

S’agissant de la première catégorie de silence, en fait partie, notamment, l’acte consistant, de la part d’un héritier, à s’approprier, frauduleusement, un bien de la masse successorale, en violation des règles de partage, de sorte que les cohéritiers s’en trouvent lésés. C’est ce que l’on appelle le recel successoral[87]. Celui-ci s’opère, le plus souvent, par dissimulation et, parfois, par omission, soit dans le silence ; un silence fautif sanctionné par une déchéance du receleur de ses droits sur les biens recélés. Ce silence qui entoure le recel successoral, caractérise une autre sorte d’acte frauduleux accompli dans le cadre de la transmission de biens familiaux : les donations déguisées[88].

La manœuvre consiste ici à simuler la conclusion d’un acte à titre gratuit, alors qu’il s’agit, en réalité, d’un acte à titre onéreux. La donation déguisée peut revêtir la forme, par exemple, d’une vente dont le prix est fictif ou encore d’une reconnaissance de dette qui n’a jamais existé. La sanction d’une telle simulation sera, non pas l’annulation de l’acte, mais sa disqualification afin de lui faire produire ses véritables effets, notamment sur le plan fiscal. Cette sanction témoigne du souci qu’a le droit de préserver l’intérêt de la famille – en reconnaissant la validité de l’acte – tout en protégeant l’ordre public, ce qui se traduit par l’application, aux parties à l’acte, des règles contournées. Il est cependant des fois, où l’atteinte portée à l’ordre public est telle que le droit n’a d’autre choix que de prescrire une dissolution pure et simple de la famille.

Les silences appartenant à la seconde catégorie conduisent, lorsqu’ils sont constatés, à cette extrémité. Tel est le cas, lorsque les futurs époux cachent à l’officier d’état civil leur défaut d’intention conjugale, condition indispensable à la formation du mariage. Cette hypothèse se rencontre, comme il l’a été précisé dans le célèbre arrêt Apietto, lorsque « les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu’en vue d’atteindre un résultat étranger à l’union matrimoniale »[89], soit de bénéficier des seuls effets secondaires du mariage, comme peut l’être l’obtention d’un titre de séjour, ou d’un avantage fiscal[90]. Le silence frauduleux auquel se sont livrés les conjoints sera sanctionné par la nullité du mariage, laquelle est encourue, plus généralement, toutes les fois qu’un époux, ou les deux, taisent l’existence d’un empêchement dirimant entachant la formation de leur mariage. Nul n’est cependant besoin d’un silence malveillant pour que soit prononcée, en guise de sanction, la dissolution de la famille. Il est des cas où le silence ne constitue aucune faute, mais à qui le droit fait produire les effets de pareille sanction.

2. La sanction du silence non-fautif

L’hypothèse à laquelle on songe en premier est évidemment la mort, qui n’est autre que le plus grand des silences susceptible de venir frapper la famille. En vertu des articles 227 et 515-7 du Code civil, elle met définitivement un terme au mariage et au pacs. Il en va de même de l’absence et de la disparition qui, dès lors que sont prononcés les jugements déclaratifs de décès ou d’absence, entraînent la dissolution de l’union conjugale. Là ne sont pas les seules situations où un silence non-fautif, peut conduire à la fin du couple. On peut encore évoquer l’hypothèse du silence gardé par un époux qui, en ce qu’il refuse opiniâtrement de répondre à la demande de son conjoint de se défaire des liens du mariage alors qu’existe entre eux, pendant plus de deux ans, une cessation de la vie commune, constitue un cas de divorce[91]. Même non-fautif, le silence peut donc être sanctionné par le droit d’une dissolution de la famille.

Fort naturellement, ce n’est pas, toutefois, la sanction la plus courante. À la vérité, le droit sanctionne le silence qui s’insinue dans les rapports familiaux de bien d’autres manières, l’objectif étant toujours la préservation de l’intérêt de la famille. Ainsi, par le jeu de la présomption pater is es quem nuptiæ demonstrant, érigée à l’article 312 du Code civil, le silence du mari de la mère est-il sanctionné par l’établissement de sa filiation avec l’enfant. Le seul moyen pour lui de ne pas voir sa paternité reconnue, c’est d’agir en justice pour que, en quelque sorte, son silence ne vaille pas acceptation. Ce silence qui produit les effets d’une acceptation, se retrouve également en matière successorale lorsqu’un héritier, soit se comporte comme acceptant la succession, en se livrant, par exemple, à des actes de disposition sur un bien de la masse successorale, soit ne procède pas à l’exercice de son option deux mois après avoir été sommé de le faire par un créancier[92]. Dans les deux cas, le droit sanctionne le silence du successible par une acceptation.

La sanction du silence – non fautif – connaît une autre sanction : la révocation. C’est ce dont est susceptible de faire l’objet le testament sur lequel est revenu tacitement son auteur en en rédigeant un nouveau ou en aliénant tout bonnement la chose léguée. Lorsqu’il correspond à l’une de ces situations envisagées aux articles 1036 et 1038 du Code, le silence de l’auteur d’un testament vaut révocation de celui-ci. Au total, il apparaît que, fautif ou non, le silence est sanctionné, selon la forme qu’il revêt, de très différentes manières, dans le cadre de l’appréhension des rapports familiaux par le droit. Cela témoigne, une fois encore, de l’étroitesse des rapports qui existent entre le droit de la famille et le silence, lesquels sont décidemment amenés à se rencontrer en de nombreuses occasions.

[1] A. Rey (dir.), Dictionnaire Le Grand Robert, Robert, 2001, t. 6, p. 448.

[2] H. Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, coll. « La pensée juridique », 1999, p. 14.

[3] Montaigne, Les Essais, Gallimard, coll. « La pléiade », 2007, II, 12.

[4] J.-J. Rousseau, Lettres écrites à la montagne, P. I, Lettre VI.

[5] V. en ce sens J.-P. Sartre, L’Être et le Néant, Gallimard, coll. « Folio », 1976.

[6] J.-P. Sartre, Situations, III. Lendemain de guerre, Gallimard, coll. « Blanche », 2003, p. 11.

[7] B. Pascal, Discours sur les passions de l’amour, Mille et une nuits, 1998.

[8] Par exemple, conformément à l’article 1738 du Code civil, le locataire qui, en restant dans les locaux qu’il loue à l’échéance du bail, offre tacitement à son bailleur de reconduire le contrat qui les lie.

[9] L’acceptation tacite est valide, notamment dans les contrats à exécution successive, ou lorsque le comportement de l’acceptant laisse transparaître, sans équivoque, sa volonté de contracter.

[10] Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, JORF n°88 du 13 avril 2000, p. 5646.

[11] CEDH, 14 oct. 2010, n° 1466/07, Brusco c/ France : JCP G 2010, act. 1064, F. Sudre. V. également sur cette question des décisions plus anciennes CEDH, 25 févr. 1993, Funke c/ France, série A, n° 256 : Juris-Data n° 1993-605005 ; JCP G 1993, II, 22073, note Renucci ; Rev. sc. crim. 1993, p. 581, chron. Pettiti ; CEDH, 17 déc. 1996, Saunders c/ Royaume-Uni : Rec. CEDH 1996, VI.

[12] L’article 109 alinéa 2 du Code pénal dispose en ce sens que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine ».

[13] D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, Odile Jacob, Paris, 1997, p. 171.

[14] V. en ce sens M. Troper, « Une théorie réaliste de l’interprétation », in La théorie du droit, le droit, l’État, PUF, coll. « Leviathan », 2001, pp. 68 et s.

[15] P. Deumier, Introduction générale au droit, LGDJ, coll. « Manuel », 2011, n°15, p. 24.

[16] N. Rouland, Aux confins du droit, Odile Jacob, coll. « sciences humaines », 1991, p. 40.

[17] Ibid., p. 39.

[18]  Ibid., p. 40.

[19] Norbert Rouland n’hésite pas à affirmer en ce sens que le droit de la famille « paraît avoir contribué à la naissance de l’Homme, peut-être même avant la religion » (ibid., p. 39).

[20] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[21] On pense notamment à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. En son article 8, celle-ci ne fait, d’ailleurs, pas référence à la famille en tant que groupe humain, mais à la « vie familiale ».

[22] Pour cet auteur, le mariage n’est autre que « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et à partager leur commune destinée ».

[23] P. Vouin, préface de l’ouvrage de M. Delmas Marty, Le droit de la famille, PUF, 1972, coll. « Que sais-je ? », p. 6.

[24] P. Delvolvé, « Le silence en droit public », RDP, juil. 2012, n°4, p. 1171.

[25] H. de Balzac, Le curé du village. Œuvres complètes, Gallimard, coll. « La Pléiade », vol. IX, 1975.

[26] J. Carbonnier, « Les trois piliers du droit », Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, pp. 257 et s.

[27] G. Cornu, Droit civil. La famille, Montchrestien, coll. « Domat droit privé », 2007, n°1, p. 7.

[28] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°1, p. 5.

[29] Pour Claude Colombet, « la famille ne se passe pas de droit ; mieux elle en abonde » (C. Colombet, La famille, PUF, coll. « Droit fondamental », 1999, p. 13).

[30] Pour Cabonnier, « le doute vient de ce que [le droit de la famille] est fortement pénétré de morale et de mœurs » (J. Carbonnier, Droit civil. Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige », n°390, p. 771).

[31] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[32] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[33] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[34] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[35] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[36] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[37] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[38] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[39] Cass. 1re civ., 19 mars 1991 : Defrénois 1991, p. 942, obs. J. Massip ; Cass. 1re civ., 17 oct. 2000 : Dr. famille 2000, comm. 139, note B. Beignier.

[40] En matière fiscale, pour ce qui concerne l’assiette de l’ISF, les concubins sont assimilés à des époux. Il en va de même en matière de protection sociale où le concubin est considéré comme un ayant du droit de celui qui bénéficie de l’affiliation à la sécurité sociale.

[41] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[42] Article 515-1.

[43] Article 515-3.

[44] J. Carbonnier, « L’hypothèse du non-droit », in Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, op. préc., p. 34.

[45] Pour Carbonnier « dans le déroulement quotidien d’une institution familiale, les individus […] ne pratiquent le droit que de loin en loin quand ils ne peuvent pas faire autrement […] : dans l’intervalle, ils vivent comme si le droit n’existait pas » (Ibid.).

[46] C. Colombet, op. préc., p. 16.

[47] Article 372-2.

[48] Les notions de « charges du mariage » ou de « dépenses ménagères » que l’on trouve respectivement aux articles 214 et 220 du Code civil sont des notions dont l’appréciation commande au juge de faire appel à la coutume.

[49] V. en ce sens A. Benabent, « L’ordre public en droit de la famille », in T. Revet (dir.), L’ordre public à la fin du XXème siècle, Dalloz, 1996, pp. 27-31.

[50] Ch. Ropers, « Reste-t-il un ordre public familial », in Ch. Pigache (dir.), Les évolutions du droit : contractualisation et procéduralisation, Publications de l’Université de Rouen et du Havre, 2004, p. 90.

[51] V. en ce sens la thèse défendue par Frédérique Niboyet (F. Niboyet, l’ordre public matrimonial, LGDJ, 2008).

[52] D. Boulanger, « Droit patrimonial du couple et contractualisation », LPA, 20 déc. 2007, n°254, pp. 34 et s.

[53] J.-J. Lemouland, « Le couple en droit civil », Droit de la famille, juil. 2003, n°7, chron. 22.

[54] A. Bénabent, Droit civil. Droit de la famille. Montchrestien, coll. « Domat droit privé », 2010, p. 10.

[55] Article 1387.

[56] V. en ce sens P.-M. Reverdy, « La contractualisation de la transmission successorale », LPA, 14 fév. 2007, n°33, pp. 4 et s.

[57] Sur cette question v. notamment N. Pétroni-Maudière, Le déclin du principe de l’immutabilité des régimes matrimoniaux, Presses Universitaires de Limoges, 2004.

[58] En vertu de l’article 373-2-7 « les parents peuvent saisir le juge aux affaires familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils organisent les modalités d’exercice de l’autorité parentale […] ».

[59] J.-J. Lemouland, « Le pluralisme et le droit de la famille, post-modernité ou pré-déclin ? », D. 1997, chron., pp. 133 et s.

[60] Article 144.

[61] Articles 161,162 et 163.

[62] Article 146.

[63] Article 63.

[64] Articles 63 et 70.

[65] Articles 75 et 165.

[66] Article 515-2.

[67] Article 333 al. 1er.

[68] Article 321.

[69] Article 229.

[70] Sont frappés d’une telle incapacité du tuteur qui ne peut rien recevoir, dans le cadre d’une succession, de son pupille (article 907 al. 1er) ou du médecin qui ne saurait être le légataire de son patient (article 909 al. 1er).

[71] Article 1397.

[72] J. Carbonnier, La famille, l’enfant, le couple, PUF, coll. « Quadrige », 2004, p. 771.

[73] S. Minvielle, La famille en France à l’époque moderne, Armand Colin, 2010, p. 21.

[74] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. cit. p. 18.

[75] P. Bréchon, La famille. Idées traditionnelles et idées nouvelles, Le centurion, 1976.

[76] V. supra, n°15-16.

[77] G. Cornu, op. cit., p. 20.

[78] V. notamment sur cette question F. Vasseur-Lambry, La famille et la convention européenne des droits de l’homme,, L’Harmattan, 2000 ; F. Krenc et M. Puéchavy, Le droit de la famille à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’homme, Anthemis, 2008 ; S. Lagoutte, Le droit au respect de la vie familiale dans la jurisprudence conventionnelle européenne, thèse: Paris 2, 2002.

[79] Ainsi pour Carbonnier « maintenant, le droit civil ayant décidément épousé les Droits de l’homme, c’est la valeur de la personne qui prend le dessus » (J. Carbonnier, op. cit., p. 750).

[80] L’ancien article 334 du Code civil introduit par la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation disposait que « l’enfant naturel a en général les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’enfant légitime dans ses rapports avec ses père et mère ».

[81] On pense, notamment, à la possibilité pour la femme d’accoucher anonymement au titre de l’article 326 du Code civil, ou encore à la prohibition édictée à l’article 310-2 d’établir la filiation de l’enfant à l’égard de l’un de ses parents biologiques, s’il est issu d’une relation incestueuse. Peut également être évoquée la situation des enfants qui font l’objet d’une adoption plénière dont le placement définitif fait, au titre de l’article 352, « échec à toute déclaration de filiation et à toute reconnaissance ».

[82] C’est ainsi que, de peur d’être condamné par les juges strasbourgeois, sur le fondement de la discrimination, dans la mesure où il n’existe aucune fin de non-recevoir à l’action en recherche de paternité alors qu’il en existe une pour l’action en recherche de maternité, le législateur a adopté la loi du 16 janvier 2009 qui est venue supprimer la fin de non-recevoir qui bénéficiait à la mère ayant accouché anonymement, laquelle ne pouvait, jusqu’alors, voir sa filiation établie dans le cadre d’une action en recherche de maternité. Cela ne l’empêche pas, pour autant, de revendiquer le droit d’accoucher dans l’anonymat, la difficulté étant pour l’enfant s’il souhaite, plus tard, établir sa filiation, de retrouver l’identité de sa mère.

[83] J. Carbonnier, La famille, l’enfant, le couple, op. cit., p. 768.

[84] J. Carbonnier, « Terre et ciel dans le droit français du mariage », in Mélanges Ripert, Dalloz, 1950, p. 328.

[85] Sur cette question v. notamment P. Catala, « Rapport de synthèse », Travaux de l’Association Capitant, 1988, t. XXXIX, Aspects de l’évolution récente du droit de la famille, pp. 1 et s.

[86] L’article 321-1 alinéa 1er du Code rural dispose que « lorsque des époux exploitent ensemble et pour leur compte une même exploitation agricole, ils sont présumés s’être donné réciproquement mandat d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation ».

[87] Le recel successoral est régi à l’article 778 du Code civil.

[88] Sur cette question v. notamment H. Meau-Latour, La donation déguisée en droit civil français. Contribution à la théorie générale de la donation, LGDJ, 1985.

[89] Cass. 1ère Civ., 20 nov. 1963 : D. 1963, note Raymond ; JCP G 1964, II, 13498, note J. Mazeaud..

[90] Cass. 1ère Civ., 28 oct. 2003, D. 2004.21, note Gridel ; RTD civ. 2004.66, obs. J. Hauser.

[91] Article 238.

[92] Article 772.

Le dol: notion, éléments constitutifs et réforme des obligations

La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?

?La difficile appréhension de la notion de consentement

Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.

Que l’on doit exactement entendre par consentement ?

Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.

L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :

  • L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
  • Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
  • Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
  • Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
  • Un contractant peut également s’être engagé par erreur

Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.

La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?

Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?

?Existence du consentement et vice du consentement

Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :

  • Le consentement doit exister
    • À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé sa volonté
    • Or cela constitue un obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
    • Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
    • Autrement dit, le contrat est inexistant.
  • Le consentement ne doit pas être vicié
    • À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
    • Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
      • soit qu’il n’a pas été donné librement
      • soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
    • En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’exigence relative à l’absence de vices du consentement.

?Place des vices du consentement dans le Code civil

Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.

Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :

  • Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
  • Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause

Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.

Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.

Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.

Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.

C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.

?Énumération des vices du consentement

Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».

Pour mémoire, l’ancien article 1109 prévoyait que « il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »

Quelle différence y a-t-il entre ces deux dispositions ?

  • Point commun
    • Il ressort de la comparaison de l’ancienne et la nouvelle version, que les vices du consentement énumérés sont identiques.
    • Il n’y a, ni ajout, ni suppression.
    • Ainsi, les vices du consentement qui constituent une cause de nullité du contrat sont-ils toujours au nombre de trois :
      • L’erreur
      • Le dol
      • La violence
  • Différence
    • Contrairement à l’ancien article 1109, l’article 1130 énonce des règles communes aux trois vices du consentement
    • Ainsi, pour être constitutifs d’une cause de nullité du contrat, les vices du consentement doivent être de « telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »
    • Autrement dit, le vice doit être déterminant du consentement de celui qui s’en prévaut.
    • De surcroît, l’alinéa 2 de l’article 1130 précise que « leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
    • Cette disposition commande, en d’autres termes, d’adopter la méthode d’appréciation in concreto pour déterminer si la condition commune aux trois vices du consentement visée à l’alinéa 1 est remplie.

Le propos se focalisera ici sur le dol.

I) Notion

Classiquement, le dol est défini comme le comportement malhonnête d’une partie qui vise à provoquer une erreur déterminante du consentement de son cocontractant.

Si, de la sorte, le dol est de nature à vicier le consentement d’une partie au contrat, il constitue, pour son auteur, un délit civil susceptible d’engager sa responsabilité.

Lorsqu’il constitue un vice du consentement, le dol doit être distingué de plusieurs autres notions :

  • Dol et erreur
    • Contrairement au vice du consentement que constitue l’erreur qui est nécessairement spontanée, le dol suppose l’établissement d’une erreur provoquée par le cocontractant.
    • En matière de dol, le fait générateur de l’erreur ne réside donc pas dans la personne de l’errans, il est, au contraire, le fait de son cocontractant.
    • En somme, tandis que dans l’hypothèse de l’erreur, un contractant s’est trompé sur le contrat, dans l’hypothèse du dol ce dernier a été trompé.
  • Dol au stade de la formation du contrat et dol au stade de l’exécution
    • Au stade de la formation du contrat, le dol consiste en une tromperie qui vise à conduire l’autre partie à conclure le contrat sur une fausse conviction
    • Au stade de l’exécution du contrat, le dol s’apparente à un manquement délibéré d’une partie à une ou plusieurs obligations qui lui échoient

II) Réforme des obligations

Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016 une disposition unique était consacrée au dol : l’article 1116 du Code civil.

Cette disposition prévoyait à son alinéa 1er que « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ». L’alinéa 2 précisait qu’« il ne se présume pas et doit être prouvé. »

Dorénavant, trois articles sont consacrés par le Code civil au dol : les articles 1137 à 1139. Le législateur s’est, toutefois, contenté d’entériner les solutions classiquement adoptées par la jurisprudence.

Aussi, ressort-il de ces dispositions que la caractérisation du dol suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à ses éléments constitutifs
  • D’autre part, à son auteur
  • Enfin, à la victime

A) Les conditions relatives aux éléments constitutifs du dol

Aux termes de l’article 1137, alinéa 1er du Code civil « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. ».

La lecture de cette disposition nous révèle que le dol est constitué de deux éléments cumulatifs :

  • Un élément matériel
  • Un élément intentionnel

1. L’élément matériel du dol

1.1 L’état du droit avant la réforme des obligations

Pour mémoire, l’ancien article 1116 du Code civil ne visait, au titre de l’élément matériel, que les « manœuvres », sans autre précision.

Que fallait-il entendre par le terme manœuvre ? Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de définir les contours de cette notion

a. Première étape : l’exigence d’actes positifs

L’examen de la jurisprudence révèle que, dans un premier temps, la notion de manœuvres a été interprétée de manière restrictive.

Ainsi, pour les juridictions, les manœuvres visés à l’article 1116 du Code civil ne pouvaient consister qu’en des actes positifs par lesquels une partie crée chez son cocontractant une fausse apparence de la réalité.

Par manœuvres, il fallait donc entendre les mises en scènes, les artifices réalisés par une partie en vue de tromper son cocontractant (V. en ce sens par exemple Cass. com., 19 déc. 1961)

Le dol était alors clairement assimilé à l’escroquerie, au sens du délit pénal.

b. Deuxième étape : l’assimilation des manœuvres au mensonge

?Principe

Dans un second temps, les juridictions ont, après s’y être refusées (V. en ce sens Cass. req. 29 nov. 1876), assimilé les manœuvres, au sens strict, au mensonge, soit à une affirmation contraire à la vérité faite dans l’intention de tromper.

Dans un arrêt du 6 novembre 1970 la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « un simple mensonge, non appuyé d’actes extérieurs, peut constituer un dol » (Cass. 3e civ. 6 nov. 1970, n°69-11.665).

Le dol était de la sorte susceptible d’être caractérisé toutes les fois qu’une partie formulait une affirmation fausse sur un élément du contrat.

?Tempérament

Dans un arrêt remarqué du 13 décembre 1994 la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que lorsque le mensonge consiste en une simple exagération qui ne dépasse pas « ce qui est habituel dans les pratiques commerciales », il ne tombe pas sous le coup du dol (Cass. com., 13 déc. 1994, n°92-20.806).

Il s’agit de ce que l’on appelle un dolus bonus, soit un dol dont la caractérisation est insusceptible d’entraîner la nullité du contrat

Cette solution se justifie par l’idée que l’exagération des qualités d’un produit ou d’une prestation est communément admise dans les relations d’affaires.

Il s’agit là d’une pratique qui est inhérente aux négociations commerciales.

Qui plus est, la loi ne saurait protéger la naïveté ou la trop grande crédulité d’une partie au contrat.

La question qui alors se pose est de savoir où se trouve la limite entre le dolus bonus et le dolus malus.

Il ressort de la jurisprudence que l’exagération des qualités d’un produit ou d’une prestation est admise lorsque, d’une part, son auteur n’est animé par aucune intention de tromper et, d’autre part, lorsqu’aucun manquement à son obligation d’information ne saurait lui être reproché.

Cass. com., 13 déc. 1994

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 10 juillet 1992), que la société Angers Photo Lab a commandé à la société Gretag un ensemble de matériels pour le développement et le tirage automatiques de photographies ; que pour le financer, elle a conclu un contrat de crédit-bail avec la société Sofinabail ;

que se plaignant du mauvais fonctionnement de l’appareil, la société Angers Photo Lab a obtenu la désignation d’un expert judiciaire et a engagé contre les sociétés venderesse et crédit-bailleresse des actions en annulation des contrats pour vices du consentement, subsidiairement en résolution de la vente pour non-conformité ou pour vices cachés, ainsi qu’en reconnaissance de la caducité du crédit-bail ;

que les premiers juges, suivant les conclusions de l’expert, ont retenu contre la société Gretag une inexécution partielle de ses obligations, la condamnant en conséquence à des dommages et intérêts, mais ont rejeté les demandes en annulation ou en résolution ; que la cour d’appel, par un arrêt avant-dire droit, a chargé l’expert précédemment désigné d’une mission complémentaire afin, notamment, de préciser si “les incidents qui ont affecté le fonctionnement du matériel… depuis le… dépôt de son précédent rapport..,. par leur importance ou leur répétition…, sont de nature à modifier les conclusions du précédent rapport et s’ils rendent le matériel inapte à l’usage auquel il était destiné..” ;

que relevant, de ce nouveau rapport d’expertise, que le matériel n’était plus exploité “compte tenu des charges sociales nécessaires” depuis juin 1987, que la société Gretag n’avait pas eu à intervenir sur ce matériel depuis 1986, qu’il avait, néanmoins, été intensément utilisé pendant une période postérieure de près d’un an, et que la réalité d’aucun des incidents dénoncés par la société Angers Photo Lab n’avait pu être vérifiée, la cour d’appel a confirmé le jugement, sous réserve d’une majoration des dommages et intérêts pour tenir compte des “frais de sous-traitance pendant les interruptions de service survenues jusqu’à ” l’arrêt de l’exploitation ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Angers Photo Lab fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande en annulation pour vices du consentement, alors, selon le pourvoi, d’une part, que constitue une manoeuvre dolosive la production par le vendeur de documents mensongers vantant des qualités fictives d’un produit de nature à influencer le consentement de l’acquéreur, a fortiori lorsque celui-ci ne peut pas vérifier l’existence ou non desdites qualités ; qu’en présentant dans ses documents commerciaux le Master 57 comme un appareil de manipulation aisée et fiable d’emploi contrairement aux qualités réelles de ce matériel, dont l’usager ne pouvait vérifier la sophistication, la société Gretag a commis un dol envers la société Angers Photo Lab ; qu’en considérant qu’il s’agissait d’une simple exagération dans la présentation des qualités du produit proposé à la vente, la cour d’appel a violé les articles 1116 et 1110 du Code civil ; alors, d’autre part, qu’une erreur consiste à croire vrai ce qui est faux ; qu’en considérant que ne constituait pas une erreur le fait d’avoir cru vraies les qualités de fiabilité et de souplesse d’emploi du matériel Master 57 vantées dans les documents commerciaux de la société Gretag et reconnues par l’expert comme absentes dudit appareil, la cour d’appel a violé l’article 1110 du Code civil ;

alors qu’enfin, en ne recherchant pas si l’erreur commise par l’acquéreur sur les qualités de fiabilité et de facilité d’emploi de l’appareil acheté portait sur une qualité ayant déterminé le consentement de l’acheteur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1110 du Code civil ;

Mais attendu que, par motifs adoptés, l’arrêt relève que si l’appareil litigieux n’était pas aussi fiable et souple d’emploi que l’indiquaient certains documents du fournisseur, il était cependant exploitable à condition d’interventions fréquentes de l’opérateur ;

qu’il retient que l’exagération commise dans la description publicitaire ne dépassait pas ce qui est habituel dans les pratiques commerciales, et qu’elle ne portait pas sur la substance même de la chose, faisant ressortir que le gérant de la société Angers Photo Lab était en mesure de la déceler ;

qu’ainsi la cour d’appel a procédé à la recherche prétendument omise et a pu décider qu’il n’y avait eu ni erreur ni dol ; que le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches ;

c. Troisième étape : l’admission de la réticence dolosive

i. La situation en 1804

Initialement, la jurisprudence considérait que le silence ne pouvait en aucun cas, sauf disposition spéciale, être constitutif d’un dol.

Les rédacteurs du Code civil étaient guidés par l’idée que les parties à un contrat sont égales, de sorte qu’il leur appartient, à ce titre, de s’informer.

Aussi, le silence était regardé comme une arme dont les contractants étaient libres de se servir l’un contre l’autre.

Au fond, celui qui se tait et qui donc ne formule aucune affirmation fausse ne trompe pas.

Rien ne justifie donc que le silence s’apparente à un dol.

C’est la raison pour laquelle, pendant longtemps, la Cour de cassation a été fermement opposée à la reconnaissance de ce que l’on appelle la réticence dolosive comme cause de nullité (V. en ce sens notamment Cass. req., 17 févr. 1874).

Le silence d’une partie à un contrat n’était sanctionné que dans l’hypothèse où un texte lui imposait une obligation spéciale d’information.

ii. Évolution de la jurisprudence

Au début des années 1970, la Cour de cassation a infléchi sa position an admettant que, dans certaines circonstances, la loyauté peut commander à une partie de communiquer à son cocontractant des renseignements dont elle sait qu’ils sont déterminants de son consentement.

Dans un arrêt du 15 janvier 1971, la troisième chambre civile a estimé en ce sens que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » (Cass. 3e civ. 15 janv. 1971, n°69-12.180)

La Cour de cassation a reconduit cette solution à l’identique peu de temps après (Cass. 3e civ. 2 octobre 1974, n°73-11.901).

Immédiatement, la question s’est alors posée de savoir à quel fondement rattacher la réticence dolosive.

L’examen de la jurisprudence révèle que le silence constitue une cause de nullité du contrat,

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

iii. Réticence dolosive et obligation d’information

Il ressort de nombreuses décisions que pour prononcer la nullité du contrat, les juges ont assimilé la réticence dolosive à un manquement à l’obligation précontractuelle d’information qui pèserait sur chacune des parties

?Fondement de l’obligation précontractuelle d’information

Si, avant la réforme, le législateur a multiplié les obligations spéciales d’information propres à des secteurs d’activité spécifiques, aucun texte ne reconnaissait cependant d’obligation générale d’information.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche, non seulement de la consacrer, mais encore de lui trouver une assise juridique.

Dans cette perspective, la Cour de cassation a cherché à rattacher l’obligation générale d’information à divers textes.

Néanmoins, aucune cohérence ne se dégageait quant aux choix des différents fondements juridiques.

Deux étapes ont marqué l’évolution de la jurisprudence :

  • Première étape
    • La jurisprudence a d’abord cherché à appréhender l’obligation d’information comme l’accessoire d’une obligation préexistante
      • Exemple : en matière de vente, l’obligation d’information a pu être rattachée à :
        • l’obligation de garantie des vices cachés
        • l’obligation de délivrance
        • l’obligation de sécurité.
  • Seconde étape
    • La jurisprudence a ensuite cherché à rattacher l’obligation générale d’information aux principes cardinaux qui régissent le droit des contrats :
    • Deux hypothèses doivent être distinguées :
      • Le défaut d’information a eu une incidence sur le consentement d’une partie lors de la formation du contrat
        • L’obligation générale d’information a été rattachée par la jurisprudence :
          • Soit aux principes qui gouvernent le dol (ancien art. 1116 C. civ)
          • Soit aux principes qui gouvernent la responsabilité civile (ancien art. 1382 C. civ)
      • Le défaut d’information a eu une incidence sur la bonne exécution du contrat
        • L’obligation générale d’information a pu être rattachée par la jurisprudence :
          • Soit au principe de bonne foi (ancien art. 1134, al. 3 C. civ)
          • Soit au principe d’équité (ancien art. 1135 C. civ)
          • Soit directement au principe de responsabilité contractuelle (ancien art. 1147 C. civ).

?Objet de l’obligation précontractuelle d’information

  • Principe : toute information déterminante du consentement
    • L’obligation d’information porte sur toute information dont l’importance est déterminante pour le consentement de ce dernier.
    • L’information communiquée doit, en d’autres termes, permettre au cocontractant de s’engager en toute connaissance de cause, soit de mesurer la portée de son engagement.
    • Aussi, l’obligation d’information garantit-elle l’expression d’un consentement libre et éclairé.
  • Exception
    • Dans un arrêt Baldus du 3 mai 2000 la Cour de cassation a estimé « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur » s’agissant de la valeur de la prestation (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381).
      • Faits
        • La détentrice de photographies a vendu aux enchères publiques cinquante photographies d’un certain Baldus au prix de 1 000 francs chacune
        • En 1989, la venderesse retrouve l’acquéreur et lui vend successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies au même prix qu’elle avait fixé
        • Par suite, elle apprend que Baldus était un photographe de très grande notoriété
        • Elle porte alors plainte contre l’acquéreur pour escroquerie
      • Demande
        • Au civil, la venderesse assigne en nullité l’acquéreur sur le fondement du dol.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 5 décembre 1997, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande de la venderesse
        • Les juges du fond estiment que l’acquéreur « savait qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art »
        • Il en résulte pour la Cour d’appel que ce dernier a manqué à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant
        • La réticence dolosive serait donc caractérisée.
      • Solution
        • Dans l’arrêt Baldus, la Cour de cassation censure les juges du fond.
        • La première chambre civile estime « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur ».
        • Ainsi, l’acquéreur des clichés n’avait pas à informer la vendeuse de leur véritable prix, quand bien même ils avaient été acquis pour un montant dérisoire et que, si cette dernière avait eu l’information en sa possession, elle n’aurait jamais contracté.
      • Analyse
        • Il ressort de l’arrêt Baldus qu’aucune obligation d’information sur la valeur du bien ne pèse sur l’acquéreur.
        • Cette solution se justifie, selon les auteurs, par le fait que l’acquéreur est en droit de faire une bonne affaire.
        • Ainsi, en refusant de reconnaître une obligation d’information à la charge de l’acquéreur, la Cour de cassation estime qu’il échoit toujours au vendeur de se renseigner sur la valeur du bien dont il entend transférer la propriété.
        • C’est à l’acquéreur qu’il appartient de faire les démarches nécessaires pour ne pas céder son bien à un prix dérisoire.

Arrêt Baldus

(Cass. 1ère civ. 3 mai 2000)

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1116 du Code civil ;

Attendu qu’en 1986, Mme Y… a vendu aux enchères publiques cinquante photographies de X… au prix de 1 000 francs chacune ; qu’en 1989, elle a retrouvé l’acquéreur, M. Z…, et lui a vendu successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies de X…, au même prix qu’elle avait fixé ; que l’information pénale du chef d’escroquerie, ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme Y…, qui avait appris que M. X… était un photographe de très grande notoriété, a été close par une ordonnance de non-lieu ; que Mme Y… a alors assigné son acheteur en nullité des ventes pour dol ;

Attendu que pour condamner M. Z… à payer à Mme Y… la somme de 1 915 000 francs représentant la restitution en valeur des photographies vendues lors des ventes de gré à gré de 1989, après déduction du prix de vente de 85 000 francs encaissé par Mme Y…, l’arrêt attaqué, après avoir relevé qu’avant de conclure avec Mme Y… les ventes de 1989, M. Z… avait déjà vendu des photographies de X… qu’il avait achetées aux enchères publiques à des prix sans rapport avec leur prix d’achat, retient qu’il savait donc qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art, manquant ainsi à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant et que, par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photographies, M. Z… a incité Mme Y… à conclure une vente qu’elle n’aurait pas envisagée dans ces conditions ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 1997, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

  • Exception à l’exception : les opérations de cession de droits sociaux
    • En matière de cession de droits sociaux, la Cour de cassation retient une solution opposée à celle adoptée en matière de contrat de vente.
    • Dans un arrêt Vilgrain du 27 février 1996, la chambre commerciale a, en effet, estimé qu’une obligation d’information sur la valeur des droits cédés pesait sur le cessionnaire à la faveur du cédant (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241).
      • Faits
        • Une actionnaire a hérité d’un certain nombre d’actions d’une société CFCF, actions dont elle ne connaissait pas la valeur.
        • Ne souhaitant pas conserver les titres, elle s’adresse au président de la société (Mr Vilgrain) en lui demandant de rechercher un acquéreur.
        • Le président, ainsi que trois actionnaires pour lesquels il s’était porté fort, rachète à l’héritière les titres pour le prix de 3 000 F par action.
        • Les acquéreurs revendent, quelques jours plus tard, les titres acquis à la société Bouygues pour le prix de 8 800 F par action.
      • Demande
        • La cédante initiale ayant eu connaissance de cette vente, demande alors la nullité de la cession des titres pour réticence dolosive, car il lui avait été dissimulé un certain nombre d’informations qui auraient été indispensables pour juger de la valeur des titres.
        • Celle-ci avait seulement connaissance d’un chiffre proposé par une banque et qui était le chiffre de 2 500 F.
        • Or, à l’époque où il achetait les actions de la cédante, Monsieur Vilgrain savait que les titres avaient une valeur bien supérieure.
        • Il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
        • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 19 janvier 1994, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la cédante initiale des actions
        • Pour les juges du fond, Monsieur Vilgrain a sciemment caché à la cédante qu’il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
        • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
        • Aussi, pour la Cour d’appel la réticence dolosive est caractérisée du fait de cette simulation.
      • Moyens
        • Devant la chambre commerciale, M. Vilgrain. soutenait que « si l’obligation d’informer pesant sur le cessionnaire, et que postule la réticence dolosive, concerne les éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la valeur des parts, que ces éléments soient relatifs aux parts elles-mêmes ou aux actifs et aux passifs des sociétés en cause, elle ne peut porter, en revanche, sur les dispositions prises par le cessionnaire pour céder à un tiers les actions dont il est titulaire »
        • Autrement dit, ce qui était ainsi reproché aux juges d’appel c’était donc d’avoir retenu comme objet de la réticence dolosive les négociations en cours pour la vente des actions déjà détenues par les autres associés (membres de la famille de Monsieur Vilgrain), ce qui concernait les relations des cessionnaires avec un tiers, et non, directement, la différence entre le prix d’achat et celui de revente des actions acquises parallèlement par ces mêmes consorts V. de Mme A.
        • selon le pourvoi, ce n’est donc pas la plus-value réalisée par les cessionnaires qui avait justifié la qualification de réticence dolosive, mais précisément le fait d’avoir dissimulé des négociations en cours qui portaient sur des actions identiques.
      • Solution
        • Par cet arrêt du 27 février 1996, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le cessionnaire des actions
        • Pour écarter en bloc les divers arguments énoncés au soutien du premier moyen du demandeur la chambre commerciale estime que :
          • D’une part, une obligation d’information sur la valeur des actions cédées pesait bien sur le cessionnaire
          • D’autre part, cette obligation d’information a pour fondement le « devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé »
      • Portée
        • Manifestement, la solution retenue dans l’arrêt Vilgrain est diamétralement opposée de celle adoptée dans l’arrêt Baldus
        • Force est de constater que, dans cette décision, la Cour de cassation met à la charge du cessionnaire (l’acquéreur) une obligation d’information sur la valeur des droits cédés à la faveur du cédant.
        • Il apparaît cependant que l’arrêt Baldus a été rendu postérieurement à l’arrêt Baldus.
        • Est-ce à dire que l’arrêt Baldus opère un revirement de jurisprudence ?
        • Si, certains commentateurs de l’époque ont pu le penser, l’examen de la jurisprudence postérieure nous révèle que l’arrêt Vilgrain pose, en réalité, une exception à la règle énoncée dans l’arrêt Baldus.
        • La Cour de cassation a, en effet, eu l’occasion de réaffirmer la position qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Vilgrain.
        • Dans un arrêt du 22 février 2005 la chambre commerciale a estimé en ce sens que le cessionnaire d’actions « n’avait pas caché aux cédants l’existence ou les conditions de ces négociations et ainsi manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant de société à l’égard de tout associé en leur dissimulant une information de nature à influer sur leur consentement » (Cass. Com. 22 févr. 2005, n°01-13.642).
        • Cette solution est réitérée dans un arrêt du 25 mars 2010 où elle approuve une Cour d’appel pour avoir retenu une réticence dolosive à l’encontre d’une cessionnaire qui avait manqué à son obligation d’information (Cass. civ. 1re, 25 mars 2010, n°08-13.060).
        • La chambre commerciale relève, pour ce faire que, le cédant « lors de la cession de ses parts, n’avait pu être informé de façon précise des termes de la négociation ayant conduit à la cession par M. A… des titres à la société Tarmac ainsi que des conditions de l’accord de principe déjà donné sur la valorisation de l’ensemble du groupe; que de ces constatations, la cour d’appel a pu déduire que M. A… avait commis un manquement à son obligation de loyauté en tant que dirigeant des sociétés dont les titres avaient été cédés ».
      • Analyse
        • La solution retenue dans l’arrêt Vilgrain trouve sa source dans l’obligation de loyauté qui échoit aux dirigeants à l’égard des associés.
        • Cela s’explique par le fait que les associés, en raison de l’affectio societatis qui les unit se doivent mutuellement une loyauté particulière
        • En effet, contrairement à un contrat de vente où les intérêts des parties sont divergents, sinon opposés, dans le contrat de société les intérêts des associés doivent converger dans le même sens, de sorte qu’ils doivent coopérer
        • Aussi, cela implique-t-il qu’ils soient loyaux les uns envers les autres, ce qui donc se traduit par une plus grande exigence en matière d’obligation d’information.
        • D’où l’extension du périmètre de l’obligation d’information en matière de cession de droits sociaux.

Arrêt Vilgrain

(Cass. com., 27 févr. 1996)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 1994), que le 27 septembre 1989, Mme X… a vendu à M. Bernard Vilgrain, président de la société Compagnie française commerciale et financière (société CFCF), et, par l’intermédiaire de celui-ci, à qui elle avait demandé de rechercher un acquéreur, à MM. Francis Z…, Pierre Z… et Guy Y… (les consorts Z…), pour qui il s’est porté fort, 3 321 actions de ladite société pour le prix de 3 000 francs par action, étant stipulé que, dans l’hypothèse où les consorts Z… céderaient l’ensemble des actions de la société CFCF dont ils étaient propriétaires avant le 31 décembre 1991, 50 % du montant excédant le prix unitaire de 3 500 francs lui serait reversé ; que 4 jours plus tard les consorts Z… ont cédé leur participation dans la société CFCF à la société Bouygues pour le prix de 8 800 francs par action ; que prétendant son consentement vicié par un dol, Mme X… a assigné les consorts Z… en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen pris en ses cinq branches :

Attendu que M. Bernard Vilgrain fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné, à raison d’une réticence dolosive, à payer à Mme X…, une somme de 10 461 151 francs avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1989 alors, selon le pourvoi

[…]

Mais attendu que l’arrêt relève qu’au cours des entretiens que Mme X… a eu avec M. Bernard Vilgrain, celui-ci lui a caché avoir confié, le 19 septembre 1989, à la société Lazard, mission d’assister les membres de sa famille détenteurs du contrôle de la société CFCF dans la recherche d’un acquéreur de leurs titres et ne lui a pas soumis le mandat de vente, au prix minimum de 7 000 francs l’action, qu’en vue de cette cession il avait établi à l’intention de certains actionnaires minoritaires de la société, d’où il résulte qu’en intervenant dans la cession par Mme X… de ses actions de la société CFCF au prix, fixé après révision, de 5 650 francs et en les acquérant lui-même à ce prix, tout en s’abstenant d’informer le cédant des négociations qu’il avait engagées pour la vente des mêmes actions au prix minimum de 7 000 francs, M. Bernard Vilgrain a manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé, en particulier lorsqu’il en est intermédiaire pour le reclassement de sa participation ; que par ces seuls motifs, procédant à la recherche prétendument omise, la cour d’appel a pu retenir l’existence d’une réticence dolosive à l’encontre de M. Bernard Vilgrain ; d’où il suit que le moyen ne peut être accueilli

iv. Réticence dolosive et obligation de bonne foi

Il ressort de plusieurs arrêts que la réticence dolosive est parfois retenue sur la seule constatation d’un manquement à l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties.

Dans un arrêt du 27 mars 1991, la Cour de cassation a par exemple reproché à une Cour d’appel d’avoir refusé de prononcer la nullité d’un contrat « sans rechercher si la réticence […] ne constituait pas un manquement à la bonne foi » (Cass. 3e civ. 27 mars 1991, n°89-16.975).

Plus récemment, dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a décidé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. 1ère civ. 13 mai 2003, n°01-11.511).

Dans une décision du 14 mai 2009 prise au visa des articles 1116 et 1134, al. 3 du Code civil, la haute juridiction a encore affirmé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. 1ère civ. 14 mai 2009, n°07-17.568).

Cass. 1ère civ. 14 mai 2009

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 1116 et 1134, alinéa 3, du code civil ;

Attendu que manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager ;

Attendu que, par acte sous seing privé du 19 décembre 2000, la société Banque populaire du Nord (la banque) a consenti à M. Y… un prêt de 200 000 francs destiné à financer sa campagne électorale ; que M. X… s’est porté caution solidaire du remboursement de cet emprunt ; qu’en raison de la défaillance de l’emprunteur, la banque a assigné la caution qui a conclu à la nullité de son engagement pour dol par réticence de la banque sur l’endettement du débiteur principal ;

Attendu que, pour rejeter les prétentions de M. X… et le condamner à payer à la banque la somme de 36 919, 72 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5, 90 % à compter du 22 avril 2004, l’arrêt attaqué, après avoir énoncé qu’il appartenait à M. X… de rapporter la preuve de la réticence dolosive alléguée et de démontrer que cette réticence avait déterminé son consentement, et que cette exigence devait être appréciée d’autant plus sévèrement que l’engagement de caution souscrit par lui comportait la clause suivante : ” Je reconnais contracter mon engagement de caution en pleine connaissance de la situation financière et juridique du débiteur principal dont il m’appartiendra-dans mon intérêt-de suivre personnellement l’évolution, indépendamment des renseignements que la Banque populaire du Nord pourrait éventuellement me communiquer à ce sujet “, retient qu’on a peine à imaginer que M. X…, qui s’est présenté auprès de la banque comme administrateur de sociétés, ait pu accepter de se porter caution sans prendre un minimum de renseignements sur la solvabilité du débiteur principal, alors que c’est précisément l’insuffisance des ressources de celui-ci qui a conduit la banque à solliciter cette garantie, et qu’il se borne à affirmer, en contradiction avec la clause précitée, qu’il n’a pas eu connaissance de la situation financière et patrimoniale réelle de M. Y…, et notamment de la déclaration souscrite par ce dernier à la demande de la banque ;

Qu’en se déterminant ainsi, quand il incombait à la banque d’informer la caution de la situation obérée du débiteur, qu’elle connaissait, obligation dont la clause précitée ne pouvait la dispenser, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il prononce des condamnations à l’encontre de M. X…, l’arrêt rendu le 3 mai 2007, entre les parties, par la cour d’appel d’Amiens ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties concernées dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Douai ;

Le point commun entre toutes ces décisions est que la réticence dolosive est caractérisée indépendamment de l’établissement d’un manquement à une quelconque obligation d’information.

La Cour de cassation estime, en effet, que dès lors qu’une partie s’est intentionnellement tue dans le dessein de tromper son cocontractant, ce manquement à l’obligation de bonne foi est constitutif, à lui seul, d’un dol.

1.2 L’état du droit après la réforme des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations révèle que les différentes formes de dol découvertes progressivement par la jurisprudence ont, globalement, toutes été consacrées par le législateur.

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit en ce sens que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Ainsi, le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle est consacrée par le législateur, n’en suscite pas moins des interrogations quant à la teneur de son élément matériel.

Pour rappel, il ressort de la jurisprudence que le silence constitue une cause de nullité du contrat :

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

?Réticence dolosive et obligation précontractuelle d’information

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte que cette obligation dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

Dorénavant, l’obligation d’information s’impose en toutes circonstances : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

Immédiatement, la question alors se pose de savoir si cette obligation d’information dont il est question en matière de dol est la même que l’obligation générale d’information édictée à l’article 1112-1 du Code civil.

S’il eût été légitime de le penser, il apparaît, l’ancienne formulation de l’article 1137, issue de l’ordonnance du 10 février 2016, suggérait que les deux obligations d’information ne se confondent pas :

  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1112-1, al. 2 (principe général)
    • Cette disposition prévoit que l’obligation générale d’information ne peut jamais porter sur l’estimation de la valeur de la prestation.
  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1137, al. 2 (réticence dolosive)
    • D’une part, cette disposition prévoit que l’obligation d’information porte sur tout élément dont l’un des contractants « sait le caractère déterminant pour l’autre partie », sans autre précision.
    • On pouvait en déduire que, en matière de réticence dolosive, l’obligation d’information porte également sur l’estimation de la valeur de la prestation.
    • En effet, le prix constituera toujours un élément déterminant du consentement des parties.
    • D’autre part, l’article 1139 précise que « l’erreur qui résulte d’un dol […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».
    • Une lecture littérale de cette disposition conduit ainsi à admettre que lorsque la dissimulation – intentionnelle – par une partie d’une information a eu pour conséquence d’induire son cocontractant en erreur quant à l’estimation du prix de la prestation, le dol est, en tout état de cause, caractérisé.
    • Enfin, comme l’observe Mustapha MEKKI, « le rapport remis au président de la République confirme que la réticence dolosive n’est pas conditionnée à l’établissement préalable d’une obligation d’information ».
    • Il en résulte, poursuit cet auteur, que la réticence dolosive serait désormais fondée, plus largement, sur les obligations de bonne foi et de loyauté.
    • Aussi, ces obligations commanderaient-elles à chaque partie d’informer l’autre sur les éléments essentiels de leurs prestations respectives.
    • Or incontestablement le prix est un élément déterminant de leur consentement !
    • L’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation pèserait donc bien sur les contractants
    • Au total, l’articulation de l’obligation générale d’information avec la réticence dolosive telle qu’envisagée par l’ordonnance du 10 février 2016 conduisait à une situation totalement absurde :
      • Tandis que l’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code civil témoigne de la volonté du législateur de consacrer la solution retenue dans l’arrêt Baldus en excluant l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation
      • Dans le même temps, la combinaison des articles 1137, al. 2 et 1139 du Code civil anéantit cette même solution en suggérant que le manquement à l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation serait constitutif d’une réticence dolosive.

Pour résoudre cette contradiction, le législateur a décidé, lors de l’adoption de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance portant réforme du droit des obligations, d’ajouter un 3e alinéa à l’article 1137 du Code civil qui désormais précise que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

La jurisprudence Baldus est ainsi définitivement consacrée !

2. L’élément intentionnel du dol

?L’exigence d’intention

Le dol suppose la volonté de tromper son cocontractant. C’est en cela qu’il constitue un délit civil, soit une faute susceptible d’engager la responsabilité extracontractuelle de son auteur.

Aussi, est-ce sur ce point que le dol se distingue de l’erreur, laquelle ne peut jamais être provoquée. Elle est nécessairement spontanée.

  • En matière de sol simple
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1987 la Cour de cassation reproche en ce sens à une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un camion qui ne répondait pas aux attentes de l’acquéreur « sans rechercher si le défaut de communication des factures de réparation et d’indication de réparations restant à effectuer avait été fait intentionnellement pour tromper le contractant et le déterminer à conclure la vente » (Cass. 1ère civ. 12 nov. 1987, n°85-18.350)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a encore approuvé une Cour d’appel qui avait retenu un dol à l’encontre du vendeur d’un fonds de commerce, celle-ci ayant parfaitement « fait ressortir l’intention de tromper du cédant » (Cass. com. 11 juin 2013, n°12-22.014).
  • En matière de réticence dolosive
    • Dans un arrêt du 28 juin 2005 rendu en matière de réticence dolosive, la haute juridiction a adopté une solution identique en affirmant que « le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci » (Cass. com. 28 juin 2005, n°03-16.794).

Cass. com. 28 juin 2005

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 2 mai 2003), qu’en 1996, M. X…, salarié de la société Cap Gemini, s’est vu offrir l’acquisition, au prix unitaire de 30 francs, de 20 000 bons lui donnant la faculté d’acquérir autant d’actions de cette société au prix de 80 francs lors de la levée de l’option qui devait intervenir au premier semestre 2000 ; que pour acquérir ces bons, M. et Mme X… ont contracté un emprunt auprès de la Société générale (la banque), avec laquelle M. X… a également conclu une convention intitulée “Contrat d’options sur actions cotées” ; qu’aux termes de cette convention, M. X… s’engageait à lever les options d’achat d’actions en janvier 2000 et qu’il était stipulé que si le cours des actions était, à cette date, inférieur à 118, 42 francs, représentant la somme du prix du bon, du prix de l’action et du coût du crédit, la banque lui verserait la différence entre ce montant et le cours réel et que, si celui-ci était supérieur à ce montant, la banque lui verserait la plus-value dans la limite d’un cours maximum de 290, 13 francs ; que lors du dénouement de l’opération en janvier 2000, le cours de l’action était supérieur à 1 500 francs ; que M. et Mme X…, alléguant avoir été victimes d’un dol par réticence, ont demandé l’annulation des contrats conclus avec la banque et subsidiairement sollicité l’annulation de la stipulation d’intérêts incluse dans le contrat de prêt en invoquant l’absence d’indication du taux effectif global ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. et Mme X… font grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande tendant à l’annulation, pour réticence dolosive, des contrats conclus avec la banque alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que le manquement à une obligation précontractuelle d’information, à le supposer établi, ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci ; que le moyen, qui se borne en ses trois branches à invoquer des manquements de la banque à son obligation précontractuelle d’information, sans alléguer que ces manquements auraient été commis sciemment dans l’intention de provoquer dans l’esprit de M. X… une erreur déterminante de son consentement, ne peut être accueilli

?La preuve de l’intention

Il peut tout d’abord être observé que la charge de la preuve pèse sur la victime du dol.

Ainsi, lui appartiendra-t-il d’établir que son cocontractant était animé de l’intention de la tromper au moment de la formation du contrat

Comment prouver ?

  • En matière de dol simple
    • La volonté de tromper pourra se déduire des manœuvres ou du mensonge
  • En matière de réticence dolosive
    • La preuve sera manifestement plus délicate à rapporter
    • Cela suppose, en effet, d’établir que l’auteur du dol avait la connaissance de l’information qu’il a, sciemment, dissimulée à son cocontractant.
    • À défaut, la preuve du dol ne sera pas rapportée (V par exemple Cass. 3e civ., 28 mai 2013, n°12-12.054)
    • Le juge sera alors tenté de déduire l’intention de tromper d’un double constat :
      • d’une part, celui qui s’est tu connaissait l’information
      • d’autre part, il connaissait son importance pour son cocontractant
    • Il peut, par ailleurs, être observé que la jurisprudence va jusqu’à faire peser sur le professionnel une présomption de mauvaise foi.
    • Dans un arrêt de principe du 24 novembre 1954, la Cour de cassation a décidé de la sorte que « le vendeur qui connaissait les vices de la chose, auquel il convient d’assimiler celui qui, par sa profession, ne pouvait les ignorer » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1954, n°54-07.171 ; Cass. 1ère civ. 19 janv. 1965, n°61-10.952).
    • Cette solution a régulièrement été confirmée par la suite (V. notamment Cass. 1ère civ. 30 sept. 2008, n°07-16.876).

Cass. 3e civ., 28 mai 2013

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu’ayant constaté que, peu de temps avant la promesse de vente du 4 juillet 2001 par laquelle Mme X…cédait un immeuble à Mme Y…, vente réitérée ultérieurement par acte reçu par M. André, notaire, le mari de Mme X…avait réalisé des travaux de reprise du mur séparant cet immeuble de la maison voisine de Mme Regentpour mettre fin à des infiltrations, et souverainement retenu qu’il n’était pas établi que, lors de la signature de la promesse de vente, Mme X…avait eu connaissance de la persistance des infiltrations malgré ces travaux, ni eu l’intention de tromper Mme Y…, la cour d’appel, qui en a exactement déduit, sans modification de l’objet du litige, que sa demande d’annulation de la vente pour dol n’était pas fondée, a légalement justifié sa décision ;

D’ou il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen, ci-après annexé :

Attendu, d’une part, que le premier moyen étant rejeté, la première branche, qui invoque une cassation par voie de conséquence, est sans portée ;

Attendu, d’autre part, qu’ayant souverainement retenu, sans modification de l’objet du litige, que Mme X…n’avait pas eu connaissance, lors de la vente, de la persistance des infiltrations nuisant à la pérennité du mur séparatif et compromettant la destination de l’immeuble vendu, malgré les travaux réalisés par son mari, et que Mme Y…ne pouvait opposer ce vice, dont elle avait ignoré l’existence, à Mme X…en raison de la clause de non garantie des vices cachés incluse dans l’acte authentique de vente, la cour d’appel en a exactement déduit que Mme Y…ne pouvait obtenir la résolution de la vente sur ce fondement ;

D’ou il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

B) Les conditions relatives à l’auteur du dol

?Principe

Pour être cause de nullité, le dol doit émaner, en principe, d’une partie au contrat

L’article 1137 du Code civil formule expressément cette exigence en disposant que « le dol est le fait pour un contractant ».

Ainsi, le dol se distingue-t-il de la violence sur ce point, l’origine de cette dernière étant indifférente.

L’article 1142 du Code civil prévoit, en effet, que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers »

?Exclusion

Il résulte de l’exigence posée à l’article 1137, que le dol ne peut jamais avoir pour origine un tiers au contrat.

Dans un arrêt du 27 novembre 2001, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette règle en décidant que « le dol n’est une cause de nullité que s’il émane de la partie envers laquelle l’obligation est contractée » (Cass. com. 27 nov. 2001, n°99-17.568).

Si donc le dol émane d’un tiers, le contrat auquel est partie la victime n’encourt pas la nullité.

?Correctif

La jurisprudence a apporté un correctif à l’exclusion du tiers de la catégorie des personnes dont doit nécessairement le dol, en admettant que la victime puisse agir sur le fondement de l’erreur.

Si cette dernière parvient ainsi à établir que les manœuvres d’un tiers l’ont induite en erreur, soit sur les qualités essentielles de la prestation, soit sur les qualités essentielles de son cocontractant, le contrat pourra être annulé.

Dans un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « l’erreur provoquée par le dol d’un tiers à la convention peut entraîner la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance même de ce contrat » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 1996, n°94-15.729).

Si toutefois, l’erreur commise par la victime du dol causé par un tiers n’était pas sanctionnée, car portant soit sur la valeur, soit sur les motifs, elle disposerait, en toute hypothèse, d’un recours contre ce dernier sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Cass. 1ère civ. 3 juill. 1996

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 1110 du Code civil ;

Attendu que pour débouter la commune de Venthon de sa demande tendant à l’annulation d’un contrat de location de matériel informatique, l’arrêt attaqué énonce que si elle soutient, à juste titre, avoir été induite en erreur du fait des promesses faites par un tiers au contrat, condamné de ce chef pour escroquerie, elle ne peut que se retourner contre ce dernier ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que l’erreur provoquée par le dol d’un tiers à la convention peut entraîner la nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la substance même de ce contrat, la cour d’appel, qui a omis de rechercher si l’erreur de la commune de Venthon portait sur la substance de l’engagement, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 avril 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble.

?Exceptions

Il ressort de l’article 1138 du Code civil que, par exception, le dol peut émaner :

  • Soit du représentant, gérant d’affaires, préposé ou porte-fort du contractant (art. 1138, al. 2 C. civ.)
    • L’ordonnance du 10 février 2016 est venue ici consacrer les solutions classiques adoptées par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 29 avril 1998, la Cour de cassation avait ainsi approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu un dol à l’encontre d’une société, alors que les manœuvres avaient été effectuées par le mandataire de cette dernière.
    • Au soutien de sa décision, la haute juridiction relève que « la SCI avait confié à la société CEF le mandat de vendre les appartements et qu’il n’était pas démontré que cette société aurait dépassé les limites des pouvoirs de représentation conférés par le mandant, alors que la SCI avait connaissance des informations fallacieuses communiquées par la société CEF aux acheteurs potentiels et avait bénéficié du dol, lequel avait été appuyé par l’offre d’une garantie locative excessive afin d’accréditer l’idée que le prêt bancaire serait remboursé par les loyers » (Cass. 3e civ. 29 avr. 1998, n°96-17.540).
  • Soit d’un tiers de connivence (art. 1138, al. 2 C. civ.)
    • Comme la précédente, cette exception n’est pas nouvelle.
    • Le législateur a simplement consacré une solution déjà existante.
    • Dans un arrêt du 16 décembre 2008, la Cour de cassation a par exemple validé la décision d’une Cour d’appel qui avait annulé un acte en raison de l’existence d’une collusion entre l’auteur du dol et l’une des parties au contrat (Cass. com. 16 déc. 2008, n°08-12.946).
    • La chambre commerciale justifie sa décision en relevant que « dès lors que la banque s’était bornée dans ses conclusions à demander l’annulation de la garantie sur le fondement de l’article 1116 du code civil en invoquant le dol commis par la société Engelhard, tiers à l’acte, sans faire état d’une collusion frauduleuse entre celle-ci et la société Or-Est , la cour d’appel, qui n’était pas tenue d’effectuer des recherches non demandées, a, en retenant que la banque ne pouvait se prévaloir des manœuvres alléguées pour tenter de démontrer que son consentement aurait été donné par l’effet du dol, légalement justifié sa décision ».
    • Reste qu’il appartiendra à la victime de rapporter la preuve que le tiers à l’acte, auteur du dol, était de connivence avec son cocontractant.
    • L’article 1138, al. 2 ne dit cependant pas ce que l’on doit entendre par connivence
    • Aussi, est-ce à la Cour de cassation qu’il reviendra la tâche de délimiter les contours de cette notion
    • La connivence suppose-t-elle seulement de la part du tiers qu’il ait connaissance d’une information déterminante du consentement de la victime ou doit-il être démontré que, comme son complice, il avait l’intention de tromper cette dernière ?

C) Les conditions relatives à la victime du dol

Pour que le dol constitue une cause de nullité,

  • D’une part, le consentement de la victime doit avoir été donné par erreur
  • D’autre part, l’erreur provoquée par l’auteur du dol doit avoir été déterminante

1. L’exigence d’une erreur

?Existence d’une erreur

Pour que le dol puisse être retenu à l’encontre de l’auteur d’agissements trompeurs, encore faut-il qu’une erreur ait été commise par la victime.

À défaut, le contrat ne saurait encourir la nullité

Cette sanction ne se justifie, en effet, que s’il y a vice du consentement

Or lorsque les manœuvres d’une partie n’ont provoqué aucune erreur chez son cocontractant, le consentement de celle-ci n’a, par définition, pas été vicié.

?Objet de l’erreur

Parce que le dol vient sanctionner un comportement malhonnête de son auteur, il constitue une cause de nullité quand bien même l’erreur qu’il provoque chez le cocontractant est indifférente.

Une erreur qui donc serait insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat si elle avait été commise de manière spontanée, peut avoir l’effet opposé dès lors qu’elle a été provoquée.

Dans un arrêt du 2 octobre 1974, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dès lors qu’elle a déterminé le consentement du cocontractant, l’erreur provoquée par le dol peut être prise en considération, même si elle ne porte pas sur la substance de la chose qui fait l’objet du contrat. » (Cass. 3e civ. 2 oct. 1974, n°73-11.901).

Cette solution a manifestement été consacrée à l’article 1139 du Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 qui prévoit que « l’erreur […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».

Il en résulte que, en matière de dol, l’erreur de la victime peut indifféremment porter :

  • Sur la valeur de la prestation due ou fournie
  • Sur les motifs de l’engagement

Par ailleurs, l’article 1139 du Code civil précise que lorsqu’elle est provoquée par un dol, l’erreur qui devrait être considérée comme inexcusable, quand elle est commise spontanément, devient excusable et donc une cause de nullité du contrat.

Le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur est, de la sorte, indifférent.

Dans un arrêt du 18 janvier 2005, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion d’affirmer que « la réticence dolosive, à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée » (Cass. 1ère civ. 18 janv. 2005, n°03-15.115).

Cass. 1ère civ. 18 janv. 2005

Attendu que suivant deux actes reçus par la SCP Ancenay-Pradille, notaire, les 16 juin et 6 août 1992, M. X… a cédé à M. Y… le tiers indivis du portefeuille d’assurance dont il était titulaire, des baux professionnels, des biens et objets garnissant les locaux ainsi que le tiers indivis de son fonds de commerce de courtage d’assurances ; que les parties étant convenues de se séparer fin 1992 en raison de difficultés financières, M. Y… a revendu à M. X…, selon deux actes reçus le 10 février 1993 par le même notaire, les droits indivis acquis l’année précédente sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt par M. X… ; que M. Y… a, le 23 février 1993, adressé sa démission d’agent d’assurance à la compagnie d’assurance Préservatrice Foncière ; que ces conventions étant devenues caduques en raison de la non réalisation de la convention suspensive, M. Y… a assigné M. X… et la SCP Ancenay-Pradille en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1147 du Code civil ;

Attendu que pour débouter M. Y… de son action en responsabilité pour dol contre M. X…, l’arrêt retient que la lecture du mandat de sous agent signé en 1988 permettait de constater qu’il avait le pouvoir de procéder à l’encaissement des primes, de donner aux clients tous les renseignements permettant l’établissement des contrats et le développement de la production d’agent général, qu’il se devait ainsi d’avoir une parfaite connaissance du cabinet X… même s’il avait toute liberté pour travailler à son domicile, qu’il ne pouvait reprocher à M. X… une réticence dolosive alors qu’il lui appartenait, pour limiter les aléas propres à toute opération commerciale, d’étudier sérieusement la situation financière du fonds de commerce, au besoin avec l’assistance d’un spécialiste ; que l’arrêt retient encore que M. Y… n’établissait pas qu’au moment où il s’était associé avec M. X…, la situation du cabinet était déjà irrémédiablement compromise, que M. X… établissait qu’en mai 1992 il avait reçu l’agrément de la compagnie Lloyd’s, ce qui supposait qu’une enquête sur la santé financière du cabinet avait été réalisée ;

Attendu, cependant que la réticence dolosive rend excusable l’erreur provoquée ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour d’appel qui s’est prononcée par des motifs impropres à exclure une telle réticence, a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé

2. L’exigence d’une erreur déterminante

Pour que la nullité d’un contrat puisse être prononcée sur le fondement du dol, encore faut-il que l’erreur provoquée ait été déterminante du consentement du cocontractant.

Cette règle est désormais énoncée à l’article 1130 du Code civil qui prévoit que le dol constitue une cause de nullité lorsque sans lui l’une des parties n’aurait pas contracté (dol principal) ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes (dol incident).

Ainsi, le législateur a-t-il choisi de ne pas distinguer selon que le dol dont est victime l’une des parties au contrat est principal ou incident, conformément à la position adoptée par la jurisprudence.

Dans un arrêt du 2 mai 1984, la Cour de cassation avait ainsi condamné cette distinction en affirmant au sujet d’une action en nullité pour dol d’une opération de cession de droits sociaux que « après avoir recherche quelle était la commune intention des parties que la cour d’appel, qui a constaté que la cession des parts de la société était intervenue le 20 janvier 1976 a fait ressortir que les co-contractants, par la convention du 13 mai 1976, n’avaient pas manifeste la volonté de revenir sur la cession à laquelle ils avaient déjà consenti mais avaient, seulement, entendu modifier l’estimation de l’un des éléments entrant dans le calcul du prix des parts cédées, qu’elle a ainsi, abstraction faite du motif justement critique tire du caractère incident du dol, qui est surabondant, a légalement justifié sa décision dès lors qu’elle était saisie par les consorts a… outre d’une demande en nullité, d’une demande de dommages-intérêts en réparation de dommages causés par le comportement répréhensible de leurs co-contractants lors de l’exécution du contrat » (Cass. com. 2 mai 1984, n°82-16.880).

Plus récemment, dans un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation avait, en effet, approuvé une Cour d’appel « d’avoir déduit que les réticences dolosives imputables à la société Simco entraînaient la nullité de la vente », après avoir relevé que certains éléments qui avaient été dissimulés « étaient déterminants pour l’acquéreur qui devait être mis à même d’apprécier la rentabilité d’une opération et aurait à tout le moins acquis à un prix inférieur s’il avait connu la situation exacte » (Cass. 3e civ. 22 juin 2005, n°04-10.415).

Cass. 3e civ. 22 juin 2005

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2003), que la société Simco a conclu avec la société de Saint-Pray une promesse de vente portant sur immeuble de grande hauteur ; que la société de Saint-Pray a assigné la venderesse en nullité de la promesse pour réticence dolosive ;

Attendu que la société Simco fait grief à l’arrêt d’accueillir la demande, alors, selon le moyen, que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté ; qu’en annulant la promesse de vente du 26 décembre 2000, quand elle constate que la société de Saint-Pray “aurait, à tout le moins, acquis à un prix inférieur si elle avait connu la situation exacte”, la cour d’appel, qui justifie de l’existence d’un dol incident là où elle devait justifier de l’existence d’un dol principal, a violé l’article 1116 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté que la société Simco avait dissimulé à la société de Saint-Pray la situation exacte de l’immeuble au regard des règles des immeubles de grande hauteur et le montant réel des charges de sécurité qu’elle se devait de communiquer compte tenu de la particularité d’un tel immeuble, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que ces éléments étaient déterminants pour l’acquéreur qui devait être mis à même d’apprécier la rentabilité d’une opération et aurait à tout le moins acquis à un prix inférieur s’il avait connu la situation exacte, en a exactement déduit que les réticences dolosives imputables à la société Simco entraînaient la nullité de la vente ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

D) La sanction du dol

Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un dol, deux sanctions sont encourues :

  • La nullité du contrat
  • L’allocation de dommages et intérêts

1. Sur la nullité du contrat

Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »

Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime du dol, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat

Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995, n°93-15.005).

2. Sur l’allocation de dommages et intérêts

Parce que le dol constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.

Dans la mesure où, en effet, le dol a été commis antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Dans un arrêt du 15 février 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la victime de manœuvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu’elle a subi » (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-18.774).

Cass. com. 15 janv. 2002

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande, l’arrêt retient que Mme X…, qui allègue une faute émanant du vendeur, non commise antérieurement à la conclusion du contrat de vente et qui n’est pas extérieure à ce contrat, est mal fondée, en application du principe du non-cumul, à invoquer les règles de la responsabilité délictuelle ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la victime de manoeuvres dolosives peut exercer, outre une action en annulation du contrat, une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du dommage qu’elle a subi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen :

Vu l’article 14 de la loi du 29 juin 1935, devenu l’article L. 141-4 du Code de commerce, ensemble l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que l’arrêt retient encore que Mme X…, qui invoque un dol qui serait constitué par des manoeuvres concernant les prescriptions relatives à la formation du contrat de vente du fonds de commerce prévues par l’article 13 de la loi du 29 juin 1935, ne peut fonder sa demande que sur cette loi, dont l’article 14 dispose que l’action résultant de l’article 13 doit être intentée par l’acquéreur dans le délai d’une année à compter de la prise de possession ; que, constatant que ce délai avait été dépassé, il déclare l’action, en ce qu’elle est fondée sur un dol, irrecevable comme tardive ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les dispositions spéciales de l’article 13 de la loi du 29 juin 1935, devenu l’article L. 141-3 du Code de commerce, n’interdisent pas à l’acquéreur d’un fonds de commerce de rechercher la responsabilité de droit commun du vendeur, notamment pour dol, quand bien même les manoeuvres alléguées auraient trait à l’inexactitude des énonciations obligatoires portées à l’acte, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de Mme X… et l’ayant condamnée aux dépens, l’arrêt rendu le 27 mai 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon.

Réticence dolosive et réforme des obligations

I) La situation en 1804

Initialement, la jurisprudence considérait que le silence ne pouvait en aucun cas, sauf disposition spéciale, être constitutif d’un dol.

Les rédacteurs du Code civil étaient guidés par l’idée que les parties à un contrat sont égales, de sorte qu’il leur appartient, à ce titre, de s’informer.

Aussi, le silence était regardé comme une arme dont les contractants étaient libres de se servir l’un contre l’autre.

Au fond, celui qui se tait et qui donc ne formule aucune affirmation fausse ne trompe pas.

Rien ne justifie donc que le silence s’apparente à un dol.

C’est la raison pour laquelle, pendant longtemps, la Cour de cassation a été fermement opposée à la reconnaissance de ce que l’on appelle la réticence dolosive comme cause de nullité (V. en ce sens notamment Cass. req., 17 févr. 1874).

Le silence d’une partie à un contrat n’était sanctionné que dans l’hypothèse où un texte lui imposait une obligation spéciale d’information.

?Évolution de la jurisprudence

Au début des années 1970, la Cour de cassation a infléchi sa position an admettant que, dans certaines circonstances, la loyauté peut commander à une partie de communiquer à son cocontractant des renseignements dont elle sait qu’ils sont déterminants de son consentement.

Dans un arrêt du 15 janvier 1971, la troisième chambre civile a estimé en ce sens que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter » (Cass. 3e civ. 15 janv. 1971, n°69-12.180)

La Cour de cassation a reconduit cette solution à l’identique peu de temps après (Cass. 3e civ. 2 octobre 1974, n°73-11.901).

Immédiatement, la question s’est alors posée de savoir à quel fondement rattacher la réticence dolosive.

L’examen de la jurisprudence révèle que le silence constitue une cause de nullité du contrat,

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

A) Réticence dolosive et obligation d’information

Il ressort de nombreuses décisions que pour prononcer la nullité du contrat, les juges ont assimilé la réticence dolosive à un manquement à l’obligation précontractuelle d’information qui pèserait sur chacune des parties

?Fondement de l’obligation précontractuelle d’information

Si, avant la réforme, le législateur a multiplié les obligations spéciales d’information propres à des secteurs d’activité spécifiques, aucun texte ne reconnaissait cependant d’obligation générale d’information.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche, non seulement de la consacrer, mais encore de lui trouver une assise juridique.

Dans cette perspective, la Cour de cassation a cherché à rattacher l’obligation générale d’information à divers textes.

Néanmoins, aucune cohérence ne se dégageait quant aux choix des différents fondements juridiques.

Deux étapes ont marqué l’évolution de la jurisprudence :

  • Première étape
    • La jurisprudence a d’abord cherché à appréhender l’obligation d’information comme l’accessoire d’une obligation préexistante
      • Exemple : en matière de vente, l’obligation d’information a pu être rattachée à :
        • l’obligation de garantie des vices cachés
        • l’obligation de délivrance
        • l’obligation de sécurité.
  • Seconde étape
    • La jurisprudence a ensuite cherché à rattacher l’obligation générale d’information aux principes cardinaux qui régissent le droit des contrats :
    • Deux hypothèses doivent être distinguées :
      • Le défaut d’information a eu une incidence sur le consentement d’une partie lors de la formation du contrat
        • L’obligation générale d’information a été rattachée par la jurisprudence :
          • Soit aux principes qui gouvernent le dol (ancien art. 1116 C. civ)
          • Soit aux principes qui gouvernent la responsabilité civile (ancien art. 1382 C. civ)
      • Le défaut d’information a eu une incidence sur la bonne exécution du contrat
        • L’obligation générale d’information a pu être rattachée par la jurisprudence :
          • Soit au principe de bonne foi (ancien art. 1134, al. 3 C. civ)
          • Soit au principe d’équité (ancien art. 1135 C. civ)
          • Soit directement au principe de responsabilité contractuelle (ancien art. 1147 C. civ).

?Objet de l’obligation précontractuelle d’information

  • Principe : toute information déterminante du consentement
    • L’obligation d’information porte sur toute information dont l’importance est déterminante pour le consentement de ce dernier.
    • L’information communiquée doit, en d’autres termes, permettre au cocontractant de s’engager en toute connaissance de cause, soit de mesurer la portée de son engagement.
    • Aussi, l’obligation d’information garantit-elle l’expression d’un consentement libre et éclairé.
  • Exception
    • Dans un arrêt Baldus du 3 mai 2000 la Cour de cassation a estimé « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur » s’agissant de la valeur de la prestation (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381).
      • Faits
        • La détentrice de photographies a vendu aux enchères publiques cinquante photographies d’un certain Baldus au prix de 1 000 francs chacune
        • En 1989, la venderesse retrouve l’acquéreur et lui vend successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies au même prix qu’elle avait fixé
        • Par suite, elle apprend que Baldus était un photographe de très grande notoriété
        • Elle porte alors plainte contre l’acquéreur pour escroquerie
      • Demande
        • Au civil, la venderesse assigne en nullité l’acquéreur sur le fondement du dol.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 5 décembre 1997, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande de la venderesse
        • Les juges du fond estiment que l’acquéreur « savait qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art »
        • Il en résulte pour la Cour d’appel que ce dernier a manqué à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant
        • La réticence dolosive serait donc caractérisée.
      • Solution
        • Dans l’arrêt Baldus, la Cour de cassation censure les juges du fond.
        • La première chambre civile estime « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur ».
        • Ainsi, l’acquéreur des clichés n’avait pas à informer la vendeuse de leur véritable prix, quand bien même ils avaient été acquis pour un montant dérisoire et que, si cette dernière avait eu l’information en sa possession, elle n’aurait jamais contracté.
      • Analyse
        • Il ressort de l’arrêt Baldus qu’aucune obligation d’information sur la valeur du bien ne pèse sur l’acquéreur.
        • Cette solution se justifie, selon les auteurs, par le fait que l’acquéreur est en droit de faire une bonne affaire.
        • Ainsi, en refusant de reconnaître une obligation d’information à la charge de l’acquéreur, la Cour de cassation estime qu’il échoit toujours au vendeur de se renseigner sur la valeur du bien dont il entend transférer la propriété.
        • C’est à l’acquéreur qu’il appartient de faire les démarches nécessaires pour ne pas céder son bien à un prix dérisoire.

Arrêt Baldus

(Cass. 1ère civ. 3 mai 2000)

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1116 du Code civil ;

Attendu qu’en 1986, Mme Y… a vendu aux enchères publiques cinquante photographies de X… au prix de 1 000 francs chacune ; qu’en 1989, elle a retrouvé l’acquéreur, M. Z…, et lui a vendu successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies de X…, au même prix qu’elle avait fixé ; que l’information pénale du chef d’escroquerie, ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme Y…, qui avait appris que M. X… était un photographe de très grande notoriété, a été close par une ordonnance de non-lieu ; que Mme Y… a alors assigné son acheteur en nullité des ventes pour dol ;

Attendu que pour condamner M. Z… à payer à Mme Y… la somme de 1 915 000 francs représentant la restitution en valeur des photographies vendues lors des ventes de gré à gré de 1989, après déduction du prix de vente de 85 000 francs encaissé par Mme Y…, l’arrêt attaqué, après avoir relevé qu’avant de conclure avec Mme Y… les ventes de 1989, M. Z… avait déjà vendu des photographies de X… qu’il avait achetées aux enchères publiques à des prix sans rapport avec leur prix d’achat, retient qu’il savait donc qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art, manquant ainsi à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant et que, par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photographies, M. Z… a incité Mme Y… à conclure une vente qu’elle n’aurait pas envisagée dans ces conditions ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 1997, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

  • Exception à l’exception : les opérations de cession de droits sociaux
    • En matière de cession de droits sociaux, la Cour de cassation retient une solution opposée à celle adoptée en matière de contrat de vente.
    • Dans un arrêt Vilgrain du 27 février 1996, la chambre commerciale a, en effet, estimé qu’une obligation d’information sur la valeur des droits cédés pesait sur le cessionnaire à la faveur du cédant (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241).
      • Faits
        • Une actionnaire a hérité d’un certain nombre d’actions d’une société CFCF, actions dont elle ne connaissait pas la valeur.
        • Ne souhaitant pas conserver les titres, elle s’adresse au président de la société (Mr Vilgrain) en lui demandant de rechercher un acquéreur.
        • Le président, ainsi que trois actionnaires pour lesquels il s’était porté fort, rachète à l’héritière les titres pour le prix de 3 000 F par action.
        • Les acquéreurs revendent, quelques jours plus tard, les titres acquis à la société Bouygues pour le prix de 8 800 F par action.
      • Demande
        • La cédante initiale ayant eu connaissance de cette vente, demande alors la nullité de la cession des titres pour réticence dolosive, car il lui avait été dissimulé un certain nombre d’informations qui auraient été indispensables pour juger de la valeur des titres.
        • Celle-ci avait seulement connaissance d’un chiffre proposé par une banque et qui était le chiffre de 2 500 F.
        • Or, à l’époque où il achetait les actions de la cédante, Monsieur Vilgrain savait que les titres avaient une valeur bien supérieure.
        • Il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
        • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
      • Procédure
        • Par un arrêt du 19 janvier 1994, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la cédante initiale des actions
        • Pour les juges du fond, Monsieur Vilgrain a sciemment caché à la cédante qu’il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
        • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
        • Aussi, pour la Cour d’appel la réticence dolosive est caractérisée du fait de cette simulation.
      • Moyens
        • Devant la chambre commerciale, M. Vilgrain. soutenait que « si l’obligation d’informer pesant sur le cessionnaire, et que postule la réticence dolosive, concerne les éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la valeur des parts, que ces éléments soient relatifs aux parts elles-mêmes ou aux actifs et aux passifs des sociétés en cause, elle ne peut porter, en revanche, sur les dispositions prises par le cessionnaire pour céder à un tiers les actions dont il est titulaire »
        • Autrement dit, ce qui était ainsi reproché aux juges d’appel c’était donc d’avoir retenu comme objet de la réticence dolosive les négociations en cours pour la vente des actions déjà détenues par les autres associés (membres de la famille de Monsieur Vilgrain), ce qui concernait les relations des cessionnaires avec un tiers, et non, directement, la différence entre le prix d’achat et celui de revente des actions acquises parallèlement par ces mêmes consorts V. de Mme A.
        • selon le pourvoi, ce n’est donc pas la plus-value réalisée par les cessionnaires qui avait justifié la qualification de réticence dolosive, mais précisément le fait d’avoir dissimulé des négociations en cours qui portaient sur des actions identiques.
      • Solution
        • Par cet arrêt du 27 février 1996, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le cessionnaire des actions
        • Pour écarter en bloc les divers arguments énoncés au soutien du premier moyen du demandeur la chambre commerciale estime que :
          • D’une part, une obligation d’information sur la valeur des actions cédées pesait bien sur le cessionnaire
          • D’autre part, cette obligation d’information a pour fondement le « devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé »
      • Portée
        • Manifestement, la solution retenue dans l’arrêt Vilgrain est diamétralement opposée de celle adoptée dans l’arrêt Baldus
        • Force est de constater que, dans cette décision, la Cour de cassation met à la charge du cessionnaire (l’acquéreur) une obligation d’information sur la valeur des droits cédés à la faveur du cédant.
        • Il apparaît cependant que l’arrêt Baldus a été rendu postérieurement à l’arrêt Baldus.
        • Est-ce à dire que l’arrêt Baldus opère un revirement de jurisprudence ?
        • Si, certains commentateurs de l’époque ont pu le penser, l’examen de la jurisprudence postérieure nous révèle que l’arrêt Vilgrain pose, en réalité, une exception à la règle énoncée dans l’arrêt Baldus.
        • La Cour de cassation a, en effet, eu l’occasion de réaffirmer la position qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Vilgrain.
        • Dans un arrêt du 22 février 2005 la chambre commerciale a estimé en ce sens que le cessionnaire d’actions « n’avait pas caché aux cédants l’existence ou les conditions de ces négociations et ainsi manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant de société à l’égard de tout associé en leur dissimulant une information de nature à influer sur leur consentement » (Cass. Com. 22 févr. 2005, n°01-13.642).
        • Cette solution est réitérée dans un arrêt du 25 mars 2010 où elle approuve une Cour d’appel pour avoir retenu une réticence dolosive à l’encontre d’une cessionnaire qui avait manqué à son obligation d’information (Cass. civ. 1re, 25 mars 2010, n°08-13.060).
        • La chambre commerciale relève, pour ce faire que, le cédant « lors de la cession de ses parts, n’avait pu être informé de façon précise des termes de la négociation ayant conduit à la cession par M. A… des titres à la société Tarmac ainsi que des conditions de l’accord de principe déjà donné sur la valorisation de l’ensemble du groupe; que de ces constatations, la cour d’appel a pu déduire que M. A… avait commis un manquement à son obligation de loyauté en tant que dirigeant des sociétés dont les titres avaient été cédés ».
      • Analyse
        • La solution retenue dans l’arrêt Vilgrain trouve sa source dans l’obligation de loyauté qui échoit aux dirigeants à l’égard des associés.
        • Cela s’explique par le fait que les associés, en raison de l’affectio societatis qui les unit se doivent mutuellement une loyauté particulière
        • En effet, contrairement à un contrat de vente où les intérêts des parties sont divergents, sinon opposés, dans le contrat de société les intérêts des associés doivent converger dans le même sens, de sorte qu’ils doivent coopérer
        • Aussi, cela implique-t-il qu’ils soient loyaux les uns envers les autres, ce qui donc se traduit par une plus grande exigence en matière d’obligation d’information.
        • D’où l’extension du périmètre de l’obligation d’information en matière de cession de droits sociaux.

Arrêt Vilgrain

(Cass. com., 27 févr. 1996)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 1994), que le 27 septembre 1989, Mme X… a vendu à M. Bernard Vilgrain, président de la société Compagnie française commerciale et financière (société CFCF), et, par l’intermédiaire de celui-ci, à qui elle avait demandé de rechercher un acquéreur, à MM. Francis Z…, Pierre Z… et Guy Y… (les consorts Z…), pour qui il s’est porté fort, 3 321 actions de ladite société pour le prix de 3 000 francs par action, étant stipulé que, dans l’hypothèse où les consorts Z… céderaient l’ensemble des actions de la société CFCF dont ils étaient propriétaires avant le 31 décembre 1991, 50 % du montant excédant le prix unitaire de 3 500 francs lui serait reversé ; que 4 jours plus tard les consorts Z… ont cédé leur participation dans la société CFCF à la société Bouygues pour le prix de 8 800 francs par action ; que prétendant son consentement vicié par un dol, Mme X… a assigné les consorts Z… en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen pris en ses cinq branches :

Attendu que M. Bernard Vilgrain fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné, à raison d’une réticence dolosive, à payer à Mme X…, une somme de 10 461 151 francs avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1989 alors, selon le pourvoi

[…]

Mais attendu que l’arrêt relève qu’au cours des entretiens que Mme X… a eu avec M. Bernard Vilgrain, celui-ci lui a caché avoir confié, le 19 septembre 1989, à la société Lazard, mission d’assister les membres de sa famille détenteurs du contrôle de la société CFCF dans la recherche d’un acquéreur de leurs titres et ne lui a pas soumis le mandat de vente, au prix minimum de 7 000 francs l’action, qu’en vue de cette cession il avait établi à l’intention de certains actionnaires minoritaires de la société, d’où il résulte qu’en intervenant dans la cession par Mme X… de ses actions de la société CFCF au prix, fixé après révision, de 5 650 francs et en les acquérant lui-même à ce prix, tout en s’abstenant d’informer le cédant des négociations qu’il avait engagées pour la vente des mêmes actions au prix minimum de 7 000 francs, M. Bernard Vilgrain a manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé, en particulier lorsqu’il en est intermédiaire pour le reclassement de sa participation ; que par ces seuls motifs, procédant à la recherche prétendument omise, la cour d’appel a pu retenir l’existence d’une réticence dolosive à l’encontre de M. Bernard Vilgrain ; d’où il suit que le moyen ne peut être accueilli

B) Réticence dolosive et obligation de bonne foi

Il ressort de plusieurs arrêts que la réticence dolosive est parfois retenue sur la seule constatation d’un manquement à l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties.

Dans un arrêt du 27 mars 1991, la Cour de cassation a par exemple reproché à une Cour d’appel d’avoir refusé de prononcer la nullité d’un contrat « sans rechercher si la réticence […] ne constituait pas un manquement à la bonne foi » (Cass. 3e civ. 27 mars 1991, n°89-16.975).

Plus récemment, dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a décidé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. 1ère civ. 13 mai 2003, n°01-11.511).

Dans une décision du 14 mai 2009 prise au visa des articles 1116 et 1134, al. 3 du Code civil, la haute juridiction a encore affirmé que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. 1ère civ. 14 mai 2009, n°07-17.568).

Cass. 1ère civ. 14 mai 2009

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 1116 et 1134, alinéa 3, du code civil ;

Attendu que manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager ;

Attendu que, par acte sous seing privé du 19 décembre 2000, la société Banque populaire du Nord (la banque) a consenti à M. Y… un prêt de 200 000 francs destiné à financer sa campagne électorale ; que M. X… s’est porté caution solidaire du remboursement de cet emprunt ; qu’en raison de la défaillance de l’emprunteur, la banque a assigné la caution qui a conclu à la nullité de son engagement pour dol par réticence de la banque sur l’endettement du débiteur principal ;

Attendu que, pour rejeter les prétentions de M. X… et le condamner à payer à la banque la somme de 36 919, 72 euros, outre intérêts au taux contractuel de 5, 90 % à compter du 22 avril 2004, l’arrêt attaqué, après avoir énoncé qu’il appartenait à M. X… de rapporter la preuve de la réticence dolosive alléguée et de démontrer que cette réticence avait déterminé son consentement, et que cette exigence devait être appréciée d’autant plus sévèrement que l’engagement de caution souscrit par lui comportait la clause suivante : ” Je reconnais contracter mon engagement de caution en pleine connaissance de la situation financière et juridique du débiteur principal dont il m’appartiendra-dans mon intérêt-de suivre personnellement l’évolution, indépendamment des renseignements que la Banque populaire du Nord pourrait éventuellement me communiquer à ce sujet “, retient qu’on a peine à imaginer que M. X…, qui s’est présenté auprès de la banque comme administrateur de sociétés, ait pu accepter de se porter caution sans prendre un minimum de renseignements sur la solvabilité du débiteur principal, alors que c’est précisément l’insuffisance des ressources de celui-ci qui a conduit la banque à solliciter cette garantie, et qu’il se borne à affirmer, en contradiction avec la clause précitée, qu’il n’a pas eu connaissance de la situation financière et patrimoniale réelle de M. Y…, et notamment de la déclaration souscrite par ce dernier à la demande de la banque ;

Qu’en se déterminant ainsi, quand il incombait à la banque d’informer la caution de la situation obérée du débiteur, qu’elle connaissait, obligation dont la clause précitée ne pouvait la dispenser, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il prononce des condamnations à l’encontre de M. X…, l’arrêt rendu le 3 mai 2007, entre les parties, par la cour d’appel d’Amiens ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties concernées dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Douai ;

Le point commun entre toutes ces décisions est que la réticence dolosive est caractérisée indépendamment de l’établissement d’un manquement à une quelconque obligation d’information.

La Cour de cassation estime, en effet, que dès lors qu’une partie s’est intentionnellement tue dans le dessein de tromper son cocontractant, ce manquement à l’obligation de bonne foi est constitutif, à lui seul, d’un dol.

II) L’état du droit après la réforme des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations révèle que les différentes formes de dol découvertes progressivement par la jurisprudence ont, globalement, toutes été consacrées par le législateur.

L’article 1137 alinéa 1, du Code civil prévoit en ce sens que « le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges ».

L’alinéa 2 ajoute que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie »

Ainsi, le dol est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • des manœuvres
  • un mensonge
  • un silence

Si, les deux premières formes de dol ne soulèvent guère de difficultés, il n’en va pas de même pour la réticence dolosive qui, si elle est consacrée par le législateur, n’en suscite pas moins des interrogations quant à la teneur de son élément matériel.

Pour rappel, il ressort de la jurisprudence que le silence constitue une cause de nullité du contrat :

  • soit parce qu’une obligation d’information pesait sur celui qui s’est tu
  • soit parce que ce dernier a manqué à son obligation de bonne foi

Ainsi les juridictions ont-elles assimilé la réticence dolosive à la violation de deux obligations distinctes, encore que, depuis les arrêts Vilgrain (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241) et Baldus (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381) les obligations de bonne foi et d’information ne semblent pas devoir être placées sur le même plan.

La première ne serait autre que le fondement de la seconde, de sorte que l’élément matériel de la réticence dolosive résiderait, en réalité, dans la seule violation de l’obligation d’information.

Est-ce cette solution qui a été retenue par le législateur lors de la réforme des obligations ?

?Réticence dolosive et obligation précontractuelle d’information

Pour mémoire, une obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte que cette obligation dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

Dorénavant, l’obligation d’information s’impose en toutes circonstances : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

Immédiatement, la question alors se pose de savoir si cette obligation d’information dont il est question en matière de dol est la même que l’obligation générale d’information édictée à l’article 1112-1 du Code civil.

S’il eût été légitime de le penser, il apparaît, l’ancienne formulation de l’article 1137, issue de l’ordonnance du 10 février 2016, suggérait que les deux obligations d’information ne se confondent pas :

  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1112-1, al. 2 (principe général)
    • Cette disposition prévoit que l’obligation générale d’information ne peut jamais porter sur l’estimation de la valeur de la prestation.
  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1137, al. 2 (réticence dolosive)
    • D’une part, cette disposition prévoit que l’obligation d’information porte sur tout élément dont l’un des contractants « sait le caractère déterminant pour l’autre partie », sans autre précision.
    • On pouvait en déduire que, en matière de réticence dolosive, l’obligation d’information porte également sur l’estimation de la valeur de la prestation.
    • En effet, le prix constituera toujours un élément déterminant du consentement des parties.
    • D’autre part, l’article 1139 précise que « l’erreur qui résulte d’un dol […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».
    • Une lecture littérale de cette disposition conduit ainsi à admettre que lorsque la dissimulation – intentionnelle – par une partie d’une information a eu pour conséquence d’induire son cocontractant en erreur quant à l’estimation du prix de la prestation, le dol est, en tout état de cause, caractérisé.
    • Enfin, comme l’observe Mustapha MEKKI, « le rapport remis au président de la République confirme que la réticence dolosive n’est pas conditionnée à l’établissement préalable d’une obligation d’information ».
    • Il en résulte, poursuit cet auteur, que la réticence dolosive serait désormais fondée, plus largement, sur les obligations de bonne foi et de loyauté.
    • Aussi, ces obligations commanderaient-elles à chaque partie d’informer l’autre sur les éléments essentiels de leurs prestations respectives.
    • Or incontestablement le prix est un élément déterminant de leur consentement !
    • L’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation pèserait donc bien sur les contractants
    • Au total, l’articulation de l’obligation générale d’information avec la réticence dolosive telle qu’envisagée par l’ordonnance du 10 février 2016 conduisait à une situation totalement absurde :
      • Tandis que l’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code civil témoigne de la volonté du législateur de consacrer la solution retenue dans l’arrêt Baldus en excluant l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation
      • Dans le même temps, la combinaison des articles 1137, al. 2 et 1139 du Code civil anéantit cette même solution en suggérant que le manquement à l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation serait constitutif d’une réticence dolosive.

Pour résoudre cette contradiction, le législateur a décidé, lors de l’adoption de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance portant réforme du droit des obligations, d’ajouter un 3e alinéa à l’article 1137 du Code civil qui désormais précise que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

La jurisprudence Baldus est ainsi définitivement consacrée !

L’échange des consentements ou la rencontre de l’offre et de l’acceptation

?Théorie de l’offre et de l’acceptation

Le contrat n’est autre que le produit de la rencontre des volontés. Plus précisément, cette rencontre des volontés s’opère, en simplifiant à l’extrême, selon le processus suivant :

  • Premier temps : une personne, le pollicitant, émet une offre de contracter
  • Second temps : l’offre fait l’objet d’une acceptation par le destinataire

Si, pris séparément, l’offre et l’acceptation ne sont que des manifestations unilatérales de volontés, soit dépourvues d’effet obligatoire, lorsqu’elles se rencontrent, cela conduit à la création d’un contrat, lui-même générateur d’obligations.

Tous les contrats sont le fruit d’une rencontre de l’offre et de l’acceptation, peu importe que leur formation soit instantanée où s’opère dans la durée.

Aussi, en dehors de la rencontre de l’offre et de l’acceptation aucun contrat ne saurait valablement se former, cette rencontre traduisant l’échange des consentements des parties.

Or conformément à la théorie de l’autonomie de la volonté, seules les parties qui ont exprimé leur consentement au contrat peuvent s’obliger. On saurait, en effet, contraindre une personne à contracter, sans qu’elle y consente.

?Réforme des obligations

Curieusement, en 1804, les rédacteurs du Code civil se sont surtout focalisés sur les conditions de validité et sur l’exécution du contrat.

Aussi, cela s’est fait au détriment du processus de conclusion du contrat qui était totalement ignoré par le Code civil.

Aucune disposition n’était, en effet, consacrée à la rencontre des volontés, alors même qu’il s’agit là du fait générateur du contrat.

Afin de remédier à cette carence, c’est donc à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de bâtir la théorie de l’offre et de l’acceptation, notamment à partir des dispositions relatives au consentement des parties.

Il ne restait alors plus qu’au législateur de consacrer cette construction prétorienne lors de la réforme du droit des obligations.

C’est ce qu’il a fait lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 qui a introduit dans le Code civil plusieurs dispositions qui régissent le processus de conclusion du contrat (art. 1113 à 1122).

En introduction de la sous-section relative à « l’offre et l’acceptation », le nouvel article 1113 prévoit désormais que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. ».

Afin d’appréhender le mécanisme qui régit la rencontre des volontés, il conviendra, dès lors, dans un premier temps, de s’intéresser à l’émission de l’offre, puis, dans un second temps, à son acceptation.

I) L’offre

A) Notion

?Définition

L’offre de contracter, ou pollicitation, est un acte unilatéral de volonté par lequel une personne, le pollicitant, fait connaître, d’une part, son intention ferme de contracter avec une autre personne (le destinataire) et, d’autre part, les termes essentiels du contrat proposé.

L’offre est, en d’autres termes, une proposition à conclure un contrat

?Distinctions

L’offre doit être distinguée de plusieurs notions avec lesquelles il convient de ne pas la confondre :

  • Offre de contracter et engagement unilatéral de volonté
    • L’engagement unilatéral de volonté oblige son auteur à exécuter la prestation promise
    • L’offre de contracter n’engage à rien son auteur tant qu’elle n’a pas été acceptée, le principe étant qu’elle peut être librement révoquée.
  • Offre de contracter et invitation à entrer en pourparlers
    • L’invitation à entrer en pourparlers ne fixe pas les éléments essentiels du contrat, de sorte que si elle est acceptée, le contrat ne saurait être formé
    • L’offre de contracter prévoit quant à elles tous les éléments nécessaires à la rencontre des volontés. En cas d’acceptation, le contrat est conclu, sans que le pollicitant puisse négocier.
  • Offre de contracter et promesse unilatérale de contrat
    • La promesse unilatérale de contrat est un avant-contrat, en ce sens qu’elle est le produit d’un accord de volontés.
    • L’offre de contracter ne s’apparente pas à un avant-contrat, dans la mesure où, par définition, elle n’a pas été acceptée.

B) Les caractères de l’offre

Aux termes de l’article 1114 du Code civil, « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Bien que, étonnamment, cette disposition n’en fasse pas directement mention, il en ressort que, pour être valide, à tout le moins pour être efficace, l’offre doit être ferme et précise.

?La fermeté de l’offre

  • L’absence de réserve
    • L’offre doit être ferme
    • Par ferme, il faut entendre que le pollicitant a exprimé sa volonté « d’être lié en cas d’acceptation ».
    • Autrement dit, l’offre doit révéler la volonté irrévocable de son auteur de conclure le contrat proposé.
    • Plus concrètement, l’offre ne doit être assortie d’aucune réserve, ce qui aurait pour conséquence de permettre au pollicitant de faire échec à la formation du contrat en cas d’acceptation
    • Cela lui permettrait, en effet, de garder la possibilité de choisir son cocontractant parmi tous ceux qui ont répondu favorablement à l’offre
    • Or au regard de la théorie de l’offre et de l’acceptation, cela est inconcevable.
    • L’auteur de l’offre ne saurait disposer de la faculté d’émettre des réserves, dans la mesure où il est de l’essence de l’offre, une fois acceptée, d’entraîner instantanément la conclusion du contrat
    • Elle ne saurait, par conséquent, être assortie d’une condition, faute de quoi elle s’apparenterait à une simple invitation à entrer en pourparlers.
    • Dans un arrêt du 10 janvier 2012, la Cour de cassation a, par exemple, censuré une Cour d’appel pour avoir estimé qu’une offre de prêt qui était assortie de « réserves d’usage » était valide (Cass. com. 10 janv. 2012, n°10-26.149).
    • Au soutien de sa décision la chambre commerciale avance que « un accord de principe donné par une banque ‘sous les réserves d’usage’ implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours ».

Cass. com. 10 janv. 2012

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 5 mai 2007, M. X… et Mme Y… ont signé un compromis de vente portant sur l’acquisition d’un appartement au prix de 350 000 euros, sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt ; que, par lettre du 4 juin 2007, la société Lyonnaise de banque (la banque), leur a donné un “accord de principe sous les réserves d’usage” pour un prêt de 335 000 euros, subordonnant son accord, notamment, à l’obtention par Mme Y… d’un contrat de travail à durée indéterminée, ce dont il a été justifié le 11 juin 2007 ; que, le 23 juin 2007, la banque a notifié son refus d’octroyer le prêt sollicité en invoquant un taux d’endettement excessif ; que M. X… et Mme Y… ont assigné la banque en responsabilité et demandé la réparation de leurs préjudices ;

Attendu que pour condamner la banque à payer à M. X… et Mme Y… une certaine somme, l’arrêt retient qu’en formulant un accord de principe “sous les réserves d’usage”, pour un prêt dont le montant, la durée, le taux, les frais de dossier sont spécifiés, la banque s’est engagée à formuler une offre conforme à ces éléments et qu’elle était tenue de poursuivre, de bonne foi, la négociation sur les autres éléments accessoires, nécessaires à la formulation de la convention de prêt ; qu’il retient encore que la banque n’a pas respecté cette obligation en mettant fin aux discussions au motif, fallacieux, d’un taux d’endettement trop élevé ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’un accord de principe donné par une banque «sous les réserves d’usage» implique nécessairement que les conditions définitives de l’octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes en paiement de dommages-intérêts formées au titre du retard dans la régularisation du compromis et de la mauvaise foi, l’arrêt rendu le 16 septembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée

  • Les contrats conclus intuitu personae
    • Il s’agit des contrats conclus en considération de la personne du cocontractant
    • Tel est le cas, par exemple, du contrat de bail, du contrat de travail ou encore du contrat de prêt, dans lesquels la personne du cocontractant est déterminante du consentement du pollicitant
    • Ainsi, les contrats conclus intuitu personae sont-ils toujours assortis d’une réserve tacite : la personne du destinataire de l’offre
    • Il en résulte que, l’acceptation ne suffira pas à former le contrat, sa conclusion étant subordonnée à l’agrément du pollicitant
    • Tant la doctrine que la jurisprudence s’accordent à dire que les contrats conclus intuitu personae ne pourront jamais faire l’objet d’une véritable offre, au sens, désormais, de l’article 1114 du Code civil.
  • Tempérament
    • Il est un cas où, malgré l’émission d’une réserve, l’offre n’est pas déchue de sa fermeté : il s’agit de l’hypothèse où la réserve concerne un événement extérieur à la volonté du pollicitant.
      • Exemples :
        • L’offre de vente de marchandises peut être conditionnée au non-épuisement des stocks
        • L’offre de prêt peut être conditionnée à l’obtention, par le destinataire, d’une garantie du prêt (Cass. 3e civ., 23 juin 2010, n°09-15.963)
    • Ce qui compte c’est que la réalisation de la réserve ne dépende pas de la volonté du pollicitant.
    • La validité de la réserve est, par ailleurs, subordonnée au respect d’une condition
      • Condition
        • Dans un arrêt du 1er juillet 1998, la Cour de cassation a estimé qu’une offre pouvait, par exception, être assortie d’une réserve, qu’à la condition que cette réserve ait été explicitement exprimée par le pollicitant (Cass. 3e civ., 1er juill. 1998, n°96-20.605)

Cass. 3e civ., 1er juill. 1998

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1583 du Code civil ;

Attendu que la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’on est convenu de la chose et du prix ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Besançon, 12 avril 1996), que les époux Y…, propriétaires de différentes parcelles de terrain sur le territoire de la commune de Chaux-la-Lotière (la commune), ont accepté, par lettre du 3 avril 1992, l’offre de la commune parue le 1er avril 1992 dans un journal portant sur la vente d’un terrain à bâtir ; que la commune a, néanmoins, vendu la parcelle à Mme X… ; que les époux Y… ont assigné la commune et Mme X… pour voir juger que l’offre de vente de la parcelle et l’acceptation de celle-ci, par eux, le 3 avril 1992 valait vente à leur profit ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que, si, en principe, l’acceptation de l’offre publique notifiée à la commune par les époux Y… suffisait à la formation du contrat de vente, en l’espèce, la commune avait loti et mis en vente dans le but de fixer sur son territoire de nouveaux habitants et que cette considération sur les qualités requises pour contracter étant connue des époux Y… leur était opposable ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’offre publique de vente ne comportait aucune restriction, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 avril 1996, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon

?La précision de l’offre

Dans la mesure où aussitôt qu’elle sera acceptée, l’offre suffira à former le contrat, elle doit être suffisamment précise, faute de quoi la rencontre des volontés ne saurait se réaliser.

L’article 1114 du Code civil prévoit en ce sens que « l’offre, faite à personne déterminée ou indéterminée, comprend les éléments essentiels du contrat envisagé »

Par éléments essentiels, il faut entendre, selon Philippe Delebecque, « les éléments centraux, spécifiques, qui traduisent l’opération juridique et économique que les parties veulent réaliser »[1].

Autrement dit, il s’agit des éléments dont la détermination constitue une condition de validité du contrat

Exemple :

  • La validité du contrat de vente est subordonnée à la détermination de la chose cédée et du prix
  • La validité du contrat de bail est subordonnée à la détermination de la chose louée et du loyer

A contrario, l’offre pourra être considérée comme précise, bien que les modalités d’exécution du contrat n’aient pas été exprimées par le pollicitant (Cass. 3e civ., 28 oct. 2009, n°08-20.224), sauf à ce qu’il soit d’usage qu’elles soient tenues pour essentielles par les parties.

Rien n’interdit, par ailleurs, à l’offrant de conférer un caractère essentiel à un élément du contrat qui, d’ordinaire, est regardé comme accessoire.

Il lui appartiendra, néanmoins, d’exprimer clairement dans son offre que cet élément est déterminant de son consentement (V en ce sens Cass. com., 16 avr. 1991, n°89-20.697), faute de quoi les juridictions estimeront qu’il n’est pas entré dans le champ contractuel.

?Sanction

L’article 1114 du Code civil prévoit que la sanction du défaut de précision et de fermeté de l’offre n’est autre que la requalification en « invitation à entrer en négociation ».

Cela signifie dès lors que, en cas d’acceptation, le contrat ne pourra pas être considéré comme formé, la rencontre des volontés n’ayant pas pu se réaliser.

Ni l’offrant, ni le destinataire de l’offre ne pourront, par conséquent, exiger l’exécution du contrat.

Deux options vont alors s’offrir à eux :

  • Soit poursuivre les négociations jusqu’à l’obtention d’un accord
  • Soit renoncer à la conclusion du contrat

En toute hypothèse, tant que les partenaires ne se sont pas entendus sur les éléments essentiels du contrat, la seule obligation qui leur échoit est de faire preuve de loyauté de bonne foi lors du déroulement des négociations et en cas de rupture des pourparlers.

C) La manifestation de l’offre

Aux termes de l’article 1113, al. 2 du Code civil, il est précisé que l’offre « peut résulter d’une déclaration ou d’un comportement non équivoque de son auteur. »

Le législateur est manifestement venu entériner la position de la jurisprudence selon laquelle pour être valide, l’offre doit être extériorisée.

?Principe : le consensualisme

Conséquence du principe d’autonomie de la volonté, le consensualisme préside au processus de rencontre des volontés.

Il en résulte que, par principe, la validité du contrat n’est subordonnée à la satisfaction d’aucunes formes en particulier.

Le seul échange des consentements suffit à conclure le contrat.

Aussi, l’extériorisation de l’offre est libre, de sorte qu’elle peut être, soit expresse, soit tacite :

  • L’offre expresse
    • L’offre est expresse lorsqu’elle est formulée oralement ou par le biais d’un écrit
  • L’offre tacite
    • L’offre est tacite lorsque le pollicitant s’exprime par un comportement, une attitude.
    • Tel est le cas lorsqu’un objet est exposé dans la vitrine d’un magasin ou lorsqu’un chauffeur de taxi stationne sur un emplacement dédié
    • Il en sera de même en matière de tacite reconduction d’un contrat à exécution successive.
    • Lorsqu’un locataire reste dans les lieux qui lui sont loués après l’expiration du bail, son attitude peut, en effet, être regardée comme une offre de renouvellement du contrat.

?Exception : le formalisme

Dans certains cas, le législateur exige l’établissement d’un écrit ainsi que la figuration de certaines mentions sur l’offre de contracter.

Tel est par exemple le cas en matière de crédit à la consommation (art. 310-10 et suivants du Code de la consommation).

Il en va de même en matière de contrat conclue par voie électronique, lorsque l’offre émane d’un professionnel

L’article 1127-1 du Code civil impose à ce dernier doit faire figurer sur son offre un certain nombre d’informations.

D) Efficacité

L’offre est susceptible d’être privée d’efficacité dans deux hypothèses :

  • Lorsqu’elle est révoquée
  • Lorsqu’elle devient caduque

1. La révocation de l’offre

L’article 1115 du Code civil prévoit que l’offre « peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire. »

Aussi, cette disposition invite-t-elle à distinguer deux situations s’agissant de la révocation de l’offre :

?L’offre n’a pas été portée à la connaissance de son destinataire

Dans cette hypothèse, conformément à l’article 1115 du Code civil, c’est donc le principe de liberté qui préside à la révocation de l’offre.

Cette liberté de révocation se justifie pour deux raisons :

  • Première raison
    • La rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser dans la mesure où l’offre, qui n’est pas parvenue à son destinataire, ne peut pas, par définition, avoir été acceptée.
    • Il en résulte que le contrat ne s’est pas formé et que, par voie de conséquence, aucune obligation n’a été créée.
    • On ne saurait, dès lors, obliger le pollicitant à exécuter un contrat inexistant, et donc lui interdire de se rétracter.
  • Seconde raison
    • Il peut être observé que la liberté de révocation de l’offre dont jouit le pollicitant tant qu’elle n’a pas été portée à la connaissance du destinataire, confirme l’intention du législateur de ne pas assimiler l’offre à un engagement unilatéral de volonté
    • Si tel avait été le cas, cela aurait eu pour conséquence de priver le pollicitant de la faculté de révoquer son offre.
    • Dès son émission, l’offre aurait, en effet, été génératrice d’une obligation de maintien
    • Or le principe c’est la libre révocation de l’offre, preuve qu’elle ne s’apparente pas à un engagement unilatéral de volonté.

?L’offre a été portée à la connaissance de son destinataire

L’article 1116 du Code civil prévoit que lorsque l’offre est parvenue à son destinataire « elle ne peut être rétractée avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable ».

Aussi, dans cette hypothèse, le principe qui préside à la révocation de l’offre n’est plus la liberté, mais l’obligation de maintien.

Deux questions immédiatement alors se posent : quelle est l’étendue de l’obligation de maintien de l’offre d’une part, et quelle est la sanction de sa violation, d’autre part ?

  • L’étendue de l’obligation de maintien de l’offre
    • Trois hypothèses doivent être distinguées :
      • L’offre émise par le pollicitant est assortie d’un délai
        • Dans cette hypothèse, pèse sur le pollicitant une obligation de maintien de l’offre
        • Il ne pourra pas la révoquer pendant ce délai
        • Dans certains cas, la loi fixe elle-même ce délai
          • Exemples :
            • En matière de contrats conclus à distance
            • En matière de crédit à la consommation
      • L’offre émise par le pollicitant n’est assortie d’aucun délai
        • Dans cette hypothèse, l’article 1115 du Code civil est venu consacrer la jurisprudence qui avait posé la règle selon laquelle, lorsqu’aucun délai n’est stipulé, le pollicitant est tenu de maintenir l’offre dans un délai raisonnable
        • Par délai raisonnable il faut entendre « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)
        • Le délai raisonnable est apprécié in concreto, soit, selon les circonstances de l’espèce.
        • En outre, en cas de réponse immédiate exigée par le pollicitant, la Cour de cassation estime que l’offre est réputée n’être assortie d’aucun délai
        • Elle devra par conséquent être, malgré tout, être maintenue dans un délai raisonnable (Cass. 3e civ., 25 mai 2005, n°03-19.411).
      • L’offre est émise par voie électronique
        • En matière de contrat électronique, l’article 1127-1 du Code civil prévoit que « l’auteur d’une offre reste engagé par elle tant qu’elle est accessible par voie électronique de son fait. »
        • Ainsi, tant que l’offre est en ligne, le pollicitant a l’obligation de maintien de l’offre qu’il a émise, peu importe qu’il ait assorti cette dernière d’un délai.
  • La sanction de l’obligation de maintien de l’offre
    • La question qui se pose est ici de savoir quelle sanction prononcer en cas de rétractation prématurée de l’offre par le pollicitant ?
    • La doctrine
      • Deux théories ont été avancées par les auteurs :
        • Soit l’on considère que, en cas de violation de l’obligation de maintien de l’offre, la rétractation du pollicitant est privée d’efficacité, de sorte que, si l’offre est acceptée, le contrat est réputé être formé
          • Au soutien de cette théorie, deux fondements ont été avancés:
            • La théorie de l’engagement unilatéral : l’offre s’apparenterait à un engagement unilatéral de volonté. L’obligation de maintien de l’offre trouverait alors sa source dans la seule volonté du pollicitant.
            • La théorie de l’avant-contrat : l’obligation de maintien de l’offre trouverait sa source dans un accord de volontés implicite entre le pollicitant et le destinataire qui porterait sur la stipulation d’un délai de réflexion
        • Soit l’on estime, à l’inverse, que, en cas de violation de l’obligation de maintien de l’offre, la rétractation du pollicitant produit tous ses effets, en conséquence de quoi elle ferait obstacle à la formation du contrat
          • Selon cette thèse, la violation de l’obligation de maintien de l’offre serait constitutive d’une faute délictuelle
          • Par conséquent, elle ne pourrait donner lieu qu’à l’allocation de dommages et intérêts
    • La jurisprudence
      • La jurisprudence a plutôt abondé dans le sens de la seconde thèse, soit en faveur de l’allocation de dommages et intérêts.
      • Autrement dit, la rétractation du pollicitant produirait, en tout état de cause, tous ses effets, nonobstant la violation de l’obligation de maintien de l’offre (V. en ce sens Cass. soc., 22 mars 1972, n°71-40.266)
      • La jurisprudence ne considérera le contrat formé que dans l’hypothèse où l’acceptation est antérieure à la rétractation (Cass. 1re civ., 8 oct. 1958).
      • Dans un arrêt du 20 mai 2009, la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir prononcé la caducité d’une offre « sans rechercher si l’acceptation était intervenue dans le délai raisonnable nécessairement contenu dans toute offre de vente non assortie d’un délai précis » (Cass. 3e civ., 20 mai 2009, n°08-13.230).

Cass. 3e civ., 20 mai 2009

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1101 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 15 janvier 2008) que le département de la Haute-Savoie a adressé le 17 mars 1995 à M. X… une offre de rétrocession d’une partie d’un terrain que celui-ci lui avait vendu en 1981 en se réservant un droit de préférence ; que le 8 décembre 2001 M. X… a enjoint au département de signer l’acte authentique de vente ; que Mme X…, venant aux droits de son père décédé, l’ayant assigné le 28 janvier 2004 en réalisation forcée de la vente, le département s’est prévalu de la caducité de son offre ;

Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient que l’offre contenue dans la lettre du 17 mars 1995 a été renouvelée dans le courrier du 7 octobre 1996 sans être assortie d’aucun délai et qu’en conséquence M. X… a pu l’accepter par courrier du 8 décembre 2001 ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’acceptation était intervenue dans le délai raisonnable nécessairement contenu dans toute offre de vente non assortie d’un délai précis, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 janvier 2008, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry, autrement composée ;

    • L’ordonnance du 10 février 2016
        • Il ressort des alinéas 2 et 3 de l’article 1116 du Code civil introduits par l’ordonnance du 10 février 2016 que :
          • D’une part, « la rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat.
          • D’autre part, la rétractation « engage la responsabilité extracontractuelle de son auteur dans les conditions du droit commun sans l’obliger à compenser la perte des avantages attendus du contrat. »
        • Le législateur a donc choisi d’entériner la solution dégagée par la jurisprudence s’agissant de la sanction de l’obligation de maintien de l’offre.
        • Autrement dit, dès lors que l’offre n’a pas été acceptée par son destinataire, la rétractation du pollicitant fait obstacle à la formation du contrat.
        • Aussi, en cas de rétractation prématurée de l’offre, le juge ne pourra allouer au destinataire que des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
        • L’alinéa 3 de l’article 1116 précise que le juge ne sera pas tenu d’indemniser le requérant pour « la perte des avantages attendus du contrat ».

2. La caducité de l’offre

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que classiquement la caducité se définit comme la sanction qui prive un acte d’efficacité en raison de la disparition de l’un de ses éléments essentiels.

De ce point de vue, la caducité se rapproche de la nullité, qui a également pour conséquence l’anéantissement de l’acte qu’elle affecte.

Est-ce à dire que les deux notions se confondent ? Assurément non. C’est précisément en s’appuyant sur la différence qui existe entre les deux que les auteurs définissent la caducité.

Tandis que la nullité sanctionnerait l’absence d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation, la caducité s’identifierait, quant à elle, à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence.

La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances.

En matière d’offre, l’article 1117 du Code civil prévoit que l’offre devient caduque dans trois hypothèses :

  • Soit à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable
  • Soit en cas d’incapacité de l’auteur de l’offre
  • Soit en cas de décès de l’offrant
  • Soit en cas de décès du destinataire de l’offre

Les deux derniers cas de caducité de l’offre ne sont pas sans avoir fait l’objet d’hésitations jurisprudentielles.

a. Le décès de l’offrant

?Les tergiversations jurisprudentielles sur le sort de l’offre en cas de décès de l’offrant

La question s’est, en effet, posée en jurisprudence de savoir si l’offre devenait caduque en cas de décès de l’offrant ou si, au contraire, elle devait être maintenue.

  • Première étape
    • Avant 1983, la jurisprudence considérait que lorsque le décès de l’offrant intervenait entre l’émission de l’offre et l’acceptation, cela faisait obstacle à la formation du contrat.
    • Le décès du pollicitant avait donc pour effet d’entraîner la caducité de l’offre
    • La Cour de cassation estimait en ce sens que la rencontre des volontés n’avait pas pu se réaliser, dans la mesure où son décès emportait disparition de sa volonté.
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 3 novembre 1983, la Cour de cassation est revenue sur sa position initiale en considérant dans le cadre d’un litige qu’elle a eu à connaître que « l’offre de vente n’avait pas été rétractée par m z… et ne pouvait dès lors être considérée comme caduque, ou inopposable à ses héritiers, du seul fait de son décès, et que l’acceptation de cette offre par la safer avait rendue la vente parfaite » (Cass. 3e civ., 3 novembre 1983, n°82-12.996)
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, le décès de l’offrant ne fait pas obstacle à la formation du contrat.
    • Le décès n’est donc pas de nature à entraîner la caducité de l’offre.
    • Celle-ci se transmettrait dès lors aux héritiers du pollicitant qui, en cas d’acceptation pendant le délai, sont obligés d’acter la formation du contrat, et par voie de conséquence, de l’exécuter.
  • Troisième étape
    • Dans un arrêt du 10 mars 1989, la Cour de cassation a opéré un nouveau revirement de jurisprudence en estimant que l’offre « devenue caduque par l’effet du décès [du pollicitant], ne pouvait être l’objet postérieurement à cette date d’une acceptation de la part [de son destinataire] » (Cass. 3e civ., 10 mai 1989, n°87-18.130).
    • La Cour de cassation revient ainsi à sa position initiale, soit à la règle selon laquelle le décès de l’offrant a pour effet d’entraîner la caducité de l’offre.
  • Quatrième étape
    • Dans un arrêt du 10 décembre 1997, nouveau revirement jurisprudence : la Cour de cassation décide que l’offre survit au décès de l’offrant (Cass. 3e civ., 10 déc. 1997, n°95-16.461)
    • Faits
      • En l’espèce, il s’agissait d’une offre assortie d’un délai exprès d’acceptation faite par deux offrants
      • L’un décède pendant le délai d’acceptation et le destinataire de l’offre accepte avant l’expiration du délai.
    • Procédure
      • Par un arrêt du 27 mars 1995, la Cour d’appel de Toulouse considère que le contrat ne pouvait pas se former puisque l’offre était caduque à la date de l’acceptation.
    • Solution
      • La décision des juges du fond est censurée par la Cour de cassation qui estime que qu’en raison de l’acceptation pendant le délai et en dépit du décès de l’un des offrants avant l’acceptation, le contrat était formé.
      • Pour justifier sa solution, la haute juridiction avance que les offrants s’étaient engagés à maintenir leur offre pendant un délai précis et que, par conséquent, le décès de l’un des offrants avant la fin de ce délai n’avait pas pu rendre l’offre caduque.
    • Analyse
      • Comment interpréter cet arrêt ?
      • La question se pose de savoir ce qui fait obstacle à la caducité :
        • Est-ce la stipulation d’un délai
        • Est-ce le décès de l’offrant
      • Les deux interprétations ont été défendues par la doctrine de sorte que l’on s’est demandé si véritablement cette décision opérait un revirement de jurisprudence.
      • La réponse à cette question va être apportée près de 17 ans plus tard

Cass. 3e civ., 10 déc. 1997

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 27 mars 1995), que, par acte sous seing privé du 21 mai 1987, les époux Y… ont promis de vendre à M. X… une maison, et ce jusqu’au 31 décembre 1991, que M. Y… étant décédé le 3 février 1989, M. X… a accepté l’offre le 27 avril 1990 et levé l’option le 1er novembre 1991 ; qu’il a ensuite assigné les consorts Y… afin d’obtenir la signature de l’acte authentique de vente à laquelle ces derniers s’opposaient ;

Attendu que pour décider que l’offre de vente faite par les époux Y… était devenue caduque lors de son acceptation par M. X…, le 27 avril 1990 du fait du décès de M. Y…, l’arrêt retient que le délai prévu à la promesse unilatérale de vente n’était qu’un délai de levée d’option et non un délai de maintien de l’offre ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que les époux Y… s’étaient engagés à maintenir leur offre jusqu’au 31 décembre 1991 et que le décès de M. Y… n’avait pu rendre cette offre caduque, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 mars 1995, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux.

  • Cinquième étape
    • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a finalement estimé que « l’offre qui n’est pas assortie d’un délai est caduque par le décès de celui dont elle émane avant qu’elle ait été acceptée » (Cass. 1re civ., 25 juin 2014, n°13-16.529).
    • Aussi, ressort-il de cet arrêt que le sort de l’offre dépend, en définitive, de la stipulation d’un délai
      • En présence d’un délai : le décès de l’offrant n’entraîne pas la caducité de l’offre
      • En l’absence d’un délai : le décès de l’offrant entraîne la caducité de l’offre
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation adopte donc une solution intermédiaire qui consiste à distinguer selon que le pollicitant a, ou non, stipulé un délai.
    • Cette distinction est, cependant, très critiquable dans la mesure où l’on comprend mal pourquoi il conviendrait de traiter différemment le sort de l’offre selon qu’elle est ou non assortie d’un délai
    • En toutes hypothèses, il échoit, en effet, au pollicitant de maintenir l’offre, a minima, dans un délai raisonnable.
    • Pourquoi, dès lors, distinguer selon la nature du délai ?
    • À la vérité, soit l’on considère que, en cas de décès de l’offrant cette obligation est transmise à ses héritiers, soit l’on considère que l’offre est caduque.
    • On ne saurait, toutefois, adopter une solution intermédiaire.

Cass. 1re civ., 25 juin 2014

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par acte unilatéral sous seing privé du […] juillet 2005, P. X… a « déclaré vendre » à son frère, M. J.-M. X…, la moitié indivise d’immeubles qu’ils ont recueillie dans la succession de leur père F. X… ; qu’il est décédé le […] novembre 2005 en laissant à sa succession ses deux enfants, M. T. X… et Mme Y… ; que des difficultés se sont élevées entre eux quant au sort des biens litigieux, M. J.-M. X… prétendant en être entier propriétaire pour avoir acquis la part indivise de son frère ; que par un premier arrêt, non critiqué, la cour d’appel a dit que cet acte constituait une offre de vente qui n’avait pas été acceptée avant le décès de P. X… ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. J.-M. X… fait grief à l’arrêt de dire que l’offre de vente du […] juillet 2005 était caduque au décès de P. X… et de dire, en conséquence, que la maison et le bois situés à […] faisaient partie de l’actif de la succession de F. X…, alors, selon le moyen :

1°/ qu’une offre de vente ne peut être considérée comme caduque du seul fait du décès de l’offrant ; qu’en jugeant néanmoins, pour dire que la maison et le bois sis à […] faisaient partie de l’actif de la succession, que l’offre de vente faite le […] juillet 2005 à son frère par P. X… était devenue caduque au décès de ce dernier, la cour d’appel a violé les articles 1101, 1103 et 1134 du code civil ;

2°/ que le décès de l’offrant qui était engagé dans des pourparlers ne rend pas son offre caduque ; qu’en se bornant, pour dire que l’offre du […] juillet 2005 était caduque, à se fonder sur la double circonstance déduite du décès de l’offrant et de l’intuitu personae de cette offre, sans rechercher si, dès lors que les parties s’étaient rapprochées après l’émission de l’offre, que le bénéficiaire avait cherché le financement de l’acquisition, que les pourparlers étaient engagés à un point tel qu’au mois d’octobre 2005 les pièces nécessaires à la rédaction de l’acte notarié de vente étaient demandées à ce dernier, le décès du pollicitant ne pouvait constituer une cause de caducité de son offre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1101, 1103 et 1134 du code civil ;

Mais attendu que l’offre qui n’est pas assortie d’un délai est caduque par le décès de celui dont elle émane avant qu’elle ait été acceptée ; qu’ayant relevé qu’aucun délai de validité de l’offre n’avait été fixé la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, en a, à bon droit déduit, que l’offre était caduque en raison du décès de P. X… ; que le moyen n’est donc pas fondé

?Le règlement législatif du sort de l’offre en cas de décès de l’offrant

En réaction aux critiques adressées par la doctrine à la position de la Cour de cassation, le législateur a opté pour l’abandon de la solution adoptée en 2014.

Il ressort, en effet, de l’article 1117, al. 2 du Code civil que peu importe qu’un délai ait, ou non, été stipulé, l’offre ne survit pas au décès de l’offrant : elle est frappée de caducité.

Autrement dit, le décès de l’offrant fait obstacle à la formation du contrat. Les héritiers ne seront donc pas liés par l’offre émise par le de cujus, en ce sens qu’ils ne seront pas contraints d’exécuter le contrat en cas d’acceptation.

b. Le décès du destinataire de l’offre

Dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1117 du Code civil ne réglait pas le sort de l’offre en cas de décès du destinataire.

À la lecture de cette disposition, des sénateurs ont fait part de leur étonnement de ne pas voir réglée cette situation.

À cet égard, la Cour de cassation a pu considérer que, dans cette hypothèse, l’offre devenait caduque et plus précisément qu’elle ne se transmettait pas aux héritiers du destinataire (Cass. 1ère civ., 5 nov. 2008, n° 07-16.505).

Selon certains auteurs, la solution devrait être radicalement inverse en présence d’un contrat conclu intuitu personae.

Le législateur a néanmoins jugé une clarification nécessaire, le silence de la loi sur ce point lui semblant source d’incertitude et d’insécurité juridique.

Il a donc été décidé de modifier l’article 1117 du code civil afin d’affirmer clairement la caducité de l’offre en cas de décès du destinataire.

Désormais, l’offre devient donc caduque dans quatre cas :

  • Soit à l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, à l’issue d’un délai raisonnable
  • Soit en cas d’incapacité de l’auteur de l’offre
  • Soit en cas de décès du pollicitant
  • Soit en cas de décès du destinataire

II) L’acceptation

A) Notion

L’acceptation est définie à l’article 1118 du Code civil comme « la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Pour mémoire, l’article 1114 du Code civil définit l’offre comme « la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Ainsi l’acceptation apparaît-elle comme le miroir de l’offre. Et pour cause, dans la mesure où elle est censée venir à sa rencontre. L’acceptation est, en ce sens l’acte unilatéral par lequel l’acceptant signifie au pollicitant qu’il entend consentir au contrat.

À la différence, néanmoins, de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

Quand, en d’autres termes, l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est, en principe, réputé formé. Le pollicitant et l’acceptant deviennent immédiatement liés contractuellement. L’acceptation ne réalisera, toutefois, la rencontre des volontés qu’à certaines conditions

B) Conditions

Afin d’être efficace, l’acceptation doit répondre à 3 conditions cumulatives qui tiennent

  • D’une part, au moment de son intervention
  • D’autre part, à ses caractères
  • Enfin, à son étendue

1. Le moment de l’acceptation

L’acceptation doit nécessairement intervenir avant que l’offre ne soit caduque

Aussi, cela signifie-t-il que l’acceptation doit avoir été émise :

  • Soit pendant le délai stipulé par le pollicitant
  • Soit, à défaut, dans un délai raisonnable, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, pendant « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)

Lorsque l’acceptation intervient en dehors de l’un de ces délais, elle ne saurait rencontrer l’offre qui est devenue caduque.

L’acceptation est alors privée d’efficacité, en conséquence de quoi le contrat ne peut pas être formé.

2. Les caractères de l’acceptation

?L’acceptation pure et simple

Pour être efficace, l’acceptation doit être pure et simple.

En d’autres termes, il n’existe véritablement d’acceptation propre à former le contrat qu’à la condition que la volonté de l’acceptant se manifeste de façon identique à la volonté du pollicitant.

La Cour de cassation a estimé en ce sens que le contrat « ne se forme qu’autant que les deux parties s’obligent dans les mêmes termes » (Cass. 2e civ., 16 mai 1990, n°89-13.941).

Par pure et simple, il faut donc entendre, conformément à l’article 1118, al. 1er, que l’acceptation doit avoir été formulée par le destinataire de l’offre de telle sorte qu’il a exprimé sa volonté claire et non équivoque « d’être lié dans les termes de l’offre. »

?La modification de l’offre

L’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »

Lorsque, dès lors, l’acceptant émet une réserve à l’offre sur un ou plusieurs de ses éléments ou propose une modification, l’acceptation s’apparente à une contre-proposition insusceptible de réaliser la formation du contrat.

Au fond, l’acceptation se transforme en une nouvelle offre que le pollicitant initial peut ou non accepter.

En toutes hypothèses, le contrat n’est pas formé

Le pollicitant et le destinataire de l’offre doivent, en somme, être regardés comme des partenaires dont la rencontre des volontés n’est qu’au stade des pourparlers.

Aussi, la conclusion définitive du contrat est-elle subordonnée à la concordance parfaite entre l’offre et l’acceptation.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par une « acceptation non conforme à l’offre ».

  • Conceptions envisageables
    • Première conception
      • L’acceptation est non conforme à l’offre, dès lors qu’une réserve ou une proposition de modification est émise par le destinataire
    • Seconde conception
      • Afin de déterminer si l’acceptation est non conforme à l’offre, il convient de distinguer selon que la réserve ou la proposition de modification porte ou non sur un élément essentiel du contrat.
  • La jurisprudence
    • La jurisprudence considère que le contrat n’est réputé formé qu’à la condition que l’offre et l’acceptation se rencontrent sur les éléments essentiels du contrat (V. en ce sens Cass. req., 1er déc. 1885).
    • Dans un arrêt du 28 février 2006, la Cour de cassation a ainsi reconnu la conformité d’une acceptation à l’offre en relevant « qu’un accord de volontés était intervenu entre les parties sur les éléments qu’elle-même tenait pour essentiels même si des discussions se poursuivaient par ailleurs pour parfaire le contrat sur des points secondaires et admis s’être engagée » (Cass. com. 28 févr. 2006, n°04-14.719)
    • Il résulte de cette décision que, dès lors que l’acceptation a porté sur les éléments essentiels du contrat, elle est réputée conforme à l’offre
    • A contrario, cela signifie que lorsque la réserve émise par le destinataire de l’offre porte sur des éléments accessoires au contrat, elle ne fait pas obstacle à la rencontre de l’acceptation et de l’offre.
    • Toutefois, dans l’hypothèse où la réserve exprimée par le destinataire de l’offre porte sur un élément accessoire tenu pour essentiel par l’une des parties, elle s’apparente à une simple contre-proposition, soit à une nouvelle offre et non à acceptation pure et simple de nature à parfaire le contrat (Cass. 3e civ. 27 mai 1998).
  • L’ordonnance du 10 février 2016
    • Si l’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet », cette disposition se garde bien de préciser ce que l’on doit entendre par « acceptation non conforme à l’offre. »
    • Toutefois, la formule « sauf à constituer une offre nouvelle », laisse à penser que le législateur a entendu consentir une certaine latitude au juge quant à l’appréciation de la conformité de l’acceptation à l’offre.
    • Est-ce à dire que la distinction établie par la jurisprudence entre les réserves qui portent sur des éléments essentiels du contrat et les réserves relatives à des éléments contractuels accessoires a été reconduite ?
    • On peut raisonnablement le penser, étant précisé que pour apprécier la conformité de l’acceptation à l’offre le juge se référera toujours à la commune intention des parties.

3. L’étendue de l’acceptation

À supposer que l’acceptation soit identique à l’offre, encore faut-il, pour être efficace, que l’acceptant ait eu connaissance de tous les éléments du contrat.

La question alors se pose de savoir si l’émission de l’acceptation permet de considérer que le destinataire de l’offre n’est engagé que s’agissant des seuls éléments du contrat dont il a eu connaissance, ou si, au contraire, l’acceptation vaut pour toutes les clauses, y compris celles dont il n’a pas pris connaissance lors de la conclusion du contrat.

Plusieurs sortes de documents doivent être distinguées :

  • Les documents contractuels signés
    • S’agissant des documents contractuels signés, la jurisprudence pose une présomption simple de connaissance des stipulations contractuelles par le destinataire de l’offre (Cass. 1re civ. 20 janv. 1993).
    • Aussi, lui appartiendra-t-il de prouver, en cas de clause sibylline ou peu apparente, qu’il n’en a pas eue connaissance, de sorte que son acceptation n’a pas pu rencontrer l’offre dans tous ses éléments (V. en ce sens Cass. 1re civ., 3 mai 1979).
  • Les conditions générales
    • Notion
      • Tout d’abord, il peut être observé, à titre de remarque liminaire, que les conditions générales se rencontrent, le plus souvent, dans les contrats d’adhésion, soit les contrats dont les stipulations ne sont pas susceptibles d’être discutées par les parties, l’une ne laissant pour seul choix à l’autre que d’adhérer en bloc au contrat ou, à défaut, de ne pas contracter.
      • L’article 1110 du Code civil définit encore le contrat d’adhésion comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. »
      • Aucune définition n’ayant été donnée par le législateur des conditions générales, c’est vers la doctrine qu’il convient de se tourner.
      • Un auteur définit les conditions générales comme « les clauses abstraites, applicables à l’ensemble des contrats individuels ultérieurement conclus, rédigées par avance et imposées par un contractant à son partenaire »[2]
      • Les conditions générales sont, autrement dit, les stipulations qui figurent sur un document contractuel prérédigé.
    • Valeur contractuelle
      • Quelle valeur donner aux conditions générales ?
      • Aux termes de l’article 1119 du Code civil, « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. »
      • Il ressort de cette disposition que, pour être opposables au destinataire de l’offre, les conditions générales doivent avoir été
        • d’une part, portées à sa connaissance
        • d’autre part, acceptées par lui
      • L’examen de la jurisprudence révèle que la satisfaction de ces deux conditions cumulatives peut être établie de deux façons :
        • Tout d’abord, les conditions générales sont présumées avoir été portées à la connaissance du destinataire de l’offre et acceptées par lui lorsque figure sur le document contractuel signé la mention par laquelle le signataire reconnaît avoir pris connaissance et accepté les conditions générales (V. en ce sens Cass. 1re civ. 20 janv. 1993)
        • Ensuite, les conditions générales doivent, soit figurer sur le document contractuel signé, soit être expressément visé par ce dernier (Cass. 1re civ., 16 févr. 1999).
    • Conflit entre conditions générales ou avec les conditions particulières
      • Il peut arriver qu’une discordance existe, soit entre les conditions générales entre elles, soit entre les conditions générales et les conditions particulières.
      • Dans les deux cas on ne saurait manifestement estimer que le destinataire de l’offre a accepté les conditions générales
      • Est-ce à dire que ces discordances sont susceptibles de faire obstacle à la rencontre de l’offre et de l’acceptation ?
      • L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit deux règles qui permettent de régler ce genre de conflits
        • S’agissant des discordances entre les conditions générales entre elles
          • L’article 1119, al. 2 prévoit que « en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet. »
          • La solution retenue par le législateur vient confirmer la jurisprudence antérieure (Cass. com. 20 nov. 1984)
          • Dans la mesure où les conditions générales sont, la plupart du temps, stipulées à la faveur du pollicitant, leur anéantissement ne saurait porter atteinte aux intérêts du destinataire de l’offre.
          • Ajouté à cela, le nouvel article 1190 du Code civil dispose que le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé.
        • S’agissant des discordances entre les conditions générales et les stipulations particulières
          • Le législateur a repris la jurisprudence antérieure qui estimait que les conditions particulières primaient sur les conditions générales (Cass. 1re civ., 9 févr. 1999).
          • L’article 1119, al. 3 du Code civil prévoit en ce sens que « en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. »
  • Les documents publicitaires
    • Quid du sort des documents publicitaires sur le fondement desquels, le destinataire de l’offre s’est engagé ?
    • L’acceptation a-t-elle pour effet de les faire entrer dans le champ contractuel, de sorte que les stipulations obligent l’acceptant ?
    • La jurisprudence estime de façon constante que « les documents publicitaires peuvent avoir une valeur contractuelle dès lors que, suffisamment précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant » (Cass. 1ère civ., 6 mai 2010, n°08-14.461).
    • Il en résulte que, dans l’hypothèse où le contrat signé ne reprend pas les stipulations figurant sur les documents publicitaires, le destinataire de l’offre sera malgré tout tenu de les respecter.
  • Les documents annexes
    • Il s’agit de tous les documents accessoires au contrat principal, soit les brochures, affiches ou encore les écriteaux, lesquels seront, le plus souvent, portés à la connaissance du destinataire de l’offre que postérieurement à la conclusion du contrat.
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les documents annexes n’entrent dans le champ contractuel qu’à la condition qu’ils aient été portés à la connaissance du signataire, préalablement à l’acception (V. en ce sens Cass. com., 10 févr. 1959)
    • Aussi, sauf à ce que le contrat signé fasse expressément référence aux documents annexes, ils seront présumés être inopposables à l’acceptant
    • Il appartiendra donc au pollicitant de prouver que le destinataire de l’offre a bien eu connaissance des documents annexes.

C) Manifestation de l’acceptation

Aux termes de l’article 1118, « l’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Aussi, ressort-il de cette disposition que pour être efficace, l’acceptation doit être extériorisée.

Dans la mesure où le consensualisme préside au processus de rencontre des volontés, la validité du contrat n’est subordonnée, en principe, à la satisfaction d’aucunes formes en particulier (V. en ce sens Cass. 3e civ. 27 nov. 1990, n°89-14.033).

Conséquemment, trois hypothèses peuvent être envisagées :

1. L’acceptation est expresse

Il s’agit de l’hypothèse où l’acceptation est exprimée par le destinataire de l’offre au moyen d’un écrit, de la parole ou d’un geste.

Dans cette situation, l’efficacité de l’acceptation ne soulève guère de difficulté, dans la mesure où la volonté de l’acceptant sera dépourvue d’ambiguïté.

2. L’acceptation tacite

L’acceptation est tacite lorsque la volonté du destinataire de l’offre de l’accepter résulte des circonstances de faits.

La situation la plus courante est l’exécution par l’acceptant du contrat, objet de l’offre.

Dans un arrêt du 25 juin 1991, la Cour de cassation a ainsi estimé que « en acceptant d’intervenir dans l’exécution de l’accord, [le destinataire de l’offre] a nécessairement souscrit aux obligations définies par celui-ci » (Cass. 1ère civ., 25 juin 1991, n° 90-11.485).

L’acceptation tacite pourra également résulter de diverses sortes de comportements, tel que monter dans un taxi ou un autobus ou encore continuer d’encaisser les loyers nonobstant l’expiration d’un bail.

3. Le silence de l’acceptant

Très tôt, la question s’est posée de savoir si le silence du destinataire de l’offre pouvait valoir acceptation.

Pour Demogue « il y a silence au sens juridique quand une personne au cours de cette activité qu’est la vie n’a manifesté sa volonté par rapport à un acte juridique, ni par une action spéciale à cet effet, ni par une action dont on puisse déduire sa volonté ».

Aussi, convient-il de distinguer le silence de l’acceptation tacite :

?L’acceptation tacite

Elle se manifeste par une attitude, un comportement, un geste ou l’exécution d’un contrat

Autrement dit, le destinataire de l’offre ne dit pas oui, ni ne l’écrit pas. Son acceptation se déduit de son comportement.

?Le silence

Il ne fait l’objet d’aucune extériorisation.

Le destinataire de l’offre ne réagit pas, il est complètement passif.

Le silence vaut-il acceptation ?

  • Principe
    • Dans un ancien arrêt du 25 mars 1870 la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « en droit, le silence de celui qu’on prétend obligé ne peut suffire, en l’absence de toute autre circonstances, pour faire preuve contre lui de l’obligation alléguée » (Cass. 1re civ., 25 mai 1870).
    • Ainsi, selon cette décision qui ne dit mot ne consent pas (Pour un rappel de cette règle V. notamment Cass. com., 25 avr. 2006).
    • Surtout, l’article 1120 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit désormais que « le silence ne vaut pas acceptation ».
  • Exceptions
    • Si l’article 1120 prévoit que l’acceptation ne saurait se déduire du silence du destinataire de l’offre, il précise néanmoins, in fine, « à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières. »
    • Autrement dit, il est des cas où, par exception, le silence peut parfaitement valoir acceptation.
    • Il en ira ainsi dans toute une série de circonstances :
      • L’existence d’un texte spécial
        • Lorsque le silence est réglementé, il peut être interprété comme valant acceptation
        • Exemples :
        • En matière de contrat de bail, l’article 1738 du Code civil prévoit, en matière de contrat de bail, que « si, à l’expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit.
        • En matière de contrat de travail, l’article L. 1222-6 du Code du travail prévoit que lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail « à défaut de réponse dans le délai d’un mois, ou de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée. »
      • L’existence d’usages professionnels
        • Le silence peut également être réglementé par un usage professionnel
        • En vertu de cet usage, le professionnel qui a reçu une offre peut être obligé d’exprimer son refus, faute de quoi il sera réputé l’avoir acceptée.
        • Dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a ainsi estimé en ce sens que, s’agissant d’un contrat de vente de vin entre deux professionnels exerçant dans le même secteur d’activité, « l’établissement et l’envoi, par le courtier au vendeur et à l’acheteur de la “lettre de confirmation” sans qu’il y ait de leur part un accord formel équivalait suivant l’usage ancien et constant en Bordelais, à une vente parfaite, sauf protestation dans un très bref délai fixé par les usages loyaux et constants de la profession à 48 heures de la réception de cette lettre dont l’envoi est à la charge du courtier » (Cass. com. 13 mai 2003, n°00-21.555).
      • La force de l’habitude
        • Lorsque deux contractants étaient antérieurement en relations d’affaires et que, périodiquement et régulièrement, ils concluaient des contrats ayant la même nature, le même objet et le même but, sans, à chaque nouveau contrat, exprimer formellement leur volonté de s’engager, la jurisprudence considère que, en dépit du silence, un contrat qui s’inscrit dans la continuité de cette relation contractuelle est réputé formé (Cass. com., 15 mars 2011, n°10-16.422)
        • Ainsi, la force de l’habitude peut conférer au silence du destinataire de l’offre la valeur d’une acceptation.
      • L’intérêt exclusif du destinataire
        • Lorsque l’offre est faite dans l’intérêt exclusif du destinataire, le silence vaut acceptation.
        • Il en va ainsi lorsqu’un créancier consent une remise de dette à son débiteur (Cass. req., 29 mars 1938)
        • L’idée sous-jacente est ici que l’acceptant n’a aucune raison de refuser l’offre qui lui est faite, compte tenu de l’avantage exclusif qu’elle lui procure.
      • L’existence de circonstances particulières caractérisant une acceptation
        • Dans un arrêt du 24 mai 2005, la Cour de cassation a estimé que « si, en principe, le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation » (Cass. 1re civ., 24 mai 2005, n°02-15.188).

Cass. 1re civ., 24 mai 2005

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que le préfet de la région d’Ile-de-France a notifié à M. X…, qui avait obtenu un permis de construire sur une parcelle dont il est propriétaire, un arrêté lui enjoignant de faire réaliser préalablement aux travaux une opération préventive de fouilles archéologiques ; que M. X… a accepté un devis “diagnostic archéologique” établi par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN), aux droits de laquelle vient l’INRAP ; que l’AFAN a informé M. X… que le diagnostic était positif et que “la partie arrière de la parcelle nécessitait une investigation plus approfondie, une petite fouille de sauvetage urgent devant être réalisée”, ce qui a conduit le préfet à prendre un nouvel arrêté prévoyant que l’AFAN procéderait en urgence à une opération préventive de fouilles entre le 14 avril 1998 et le 17 avril 1998 ; que M. X… ayant refusé de régler la facture correspondant à ces travaux au motif qu’il n’avait pas accepté le devis que lui avait adressé l’AFAN, celle-ci l’a assigné en paiement ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt attaqué (Versailles, 1er mars 2002) d’avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi :

1 / que le silence ne vaut pas à lui seul acceptation ; que M. X…, destinataire du second devis, ne l’avait jamais retourné ni signé et n’avait pas davantage déclaré l’accepter ; qu’en décidant cependant que le propriétaire du terrain aurait de la sorte accepté ce second devis, la cour d’appel a violé les articles 1101 et 1108 du Code civil ;

2 / qu’il appartient au créancier qui demande l’exécution de la convention qu’il invoque de rapporter la preuve de l’existence de l’accord résultant de l’acceptation de son offre par l’autre partie ; qu’en énonçant que M. X…, destinataire du second devis, ne soutenait pas valablement ne pas l’avoir accepté, à défaut de manifestation expresse de volonté de rupture de ses relations contractuelles avec l’AFAN, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1315 du Code civil ;

Mais attendu que si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation ; que l’arrêt relève que le permis de construire délivré à M. X… lui imposait de ne pas mettre en péril les vestiges archéologiques situés sur le terrain d’assiette de l’opération de construction, que l’arrêté du préfet de la région d’Ile-de-France, pris en exécution de cette contrainte, a imposé l’opération de fouille préventive, que cet arrêté a été signé au visa de la convention signée par l’Etat et l’AFAN et qu’ainsi M. X…, dont la volonté est certes liée par les contraintes administratives, ne pouvait sans se priver de l’attestation de levée de contraintes archéologiques qui lui a été délivrée le 29 avril 1998 ne pas faire exécuter les prestations prévues par le second devis ; qu’ayant exactement déduit de ces circonstances que le silence gardé par M. X… à la suite de la réception du devis que lui avait adressé l’AFAN avait la signification d’une acceptation, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a ensuite énoncé que M. X… ne pouvait, à défaut de manifestation expresse de volonté, soutenir qu’il n’avait pas accepté le second devis ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

        • Avec cette décision, la haute juridiction a, de la sorte, entendu abandonner le caractère limitatif des circonstances où le silence est susceptible d’être interprété comme valant acceptation.
        • Autrement dit, dorénavant, des circonstances particulières, autres qu’un usage ou des relations affaire, peuvent conférer au silence du destinataire de l’offre la signification d’une volonté de s’engager.
        • Cette solution a été consacrée par le législateur à l’article 1120 du Code civil qui prévoit que le silence résultant de « circonstances particulières » peut valoir acceptation.

D) Effets

?Principe

À la différence de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

En vertu du principe du consensualisme, le contrat est donc formé, de sorte que le pollicitant devient immédiatement lié contractuellement à l’acceptant.

Dans un arrêt du 14 janvier 1987, la Cour de cassation affirme en ce sens que s’agissant d’un contrat de vente que « la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités » (Cass. 3e civ. 14 janv. 1987, n°85-16.306).

Cass. 3e civ. 14 janv. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu selon l’arrêt attaqué (Orléans 23 mai 1985), statuant sur renvoi après cassation, que, par acte sous seing privé du 13 novembre 1978, Mme A… s’est engagée à céder à M. Y… une maison et toute l’oeuvre en sa possession de la famille A… moyennant une somme payable comptant et une rente viagère mensuelle ; que l’acte précisait que serait étudiée avec la Bibliothèque Nationale la possibilité de faire, de cette maison, un musée ou une fondation A…, que M. Y… souscrivait divers engagements dont notamment celui de mettre à la disposition de Mme A… les moyens nécessaires pour terminer la biographie de son oncle, Alexandre A…, et faire éditer un livre, et d’organiser, dans sa galerie, une série d’expositions des oeuvres de la famille A… ; qu’il était mentionné que l’accord ne prendrait son effet définitif qu’après avoir été entériné par un notaire ; que postérieurement au paiement par M. Y… de la partie du prix payable comptant et du premier terme de la rente, Mme A… a refusé de donner suite à cet accord ;

Attendu que Mme Lebel Z…, aux droits de Mme A…, fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré valable l’accord passé le 13 novembre 1978 entre Mme A… et M. Y…, alors, selon le moyen, que “si la vente est parfaite dès lors qu’est constaté l’accord des parties sur la chose et le prix, il est loisible aux parties de subordonner le caractère parfait et définitif de la vente à la réalisation d’une condition suspensive, qu’en l’espèce, dans l’acte du 13 novembre 1978, relatif à la cession non seulement d’un bien immobilier mais également de biens mobiliers et des droits y afférents, il était expressément stipulé par les parties que leur accord ne prendra son effet définitif qu’après avoir été entériné par un notaire (Me du X… …), qu’en se bornant à retenir, pour affirmer qu’il ne résultait d’aucune disposition de l’acte ni des circonstances de la cause que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la signature d’un acte authentique, que celles-ci étaient d’accord sur la chose et le prix dès le 13 novembre 1978 et qu’il n’était pas établi que Mme A… avait entendu faire des conditions accessoires énumérées dans l’acte un élément essentiel de la vente, sans rechercher quelle avait été la commune intention des parties en prévoyant dans l’acte du 13 novembre 1978 que leur accord ne prendra son effet définitif qu’après avoir été entériné par le notaire désigné, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1134 du Code civil, et a violé par fausse application l’article 1589 du Code civil” ;

Mais attendu qu’après avoir énoncé justement que la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités, l’arrêt retient souverainement que les parties à l’acte du 13 novembre 1978 s’étaient, dès cette date, entendues sur la chose et sur le prix et que si elles ont prévu l’entérinement de l’acte par un notaire, il ne résulte ni des dispositions de cet acte ni des circonstances de la cause qu’elles aient voulu faire de cette modalité accessoire un élément constitutif de leur consentement ; que par ces seuls motifs, l’arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Exceptions

Par exception, il est des cas où la rencontre de l’offre et l’acceptation ne suffit pas à former le contrat.

La loi exigera en effet, soit que l’expression du consentement soit complétée par l’accomplissement de certaines formalités ou à la remise de la chose, soit que le destinataire de l’offre observe un délai de réflexion avant de manifester son acceptation.

Parfois même, la loi autorisera le destinataire de l’offre à se rétracter, nonobstant la rencontre de l’offre et l’acceptation.

Plusieurs hypothèses doivent donc être envisagées :

  • La formation du contrat est subordonnée à l’accomplissement de certaines formalités : les contrats solennels
    • Principe
      • L’article 1109, al. 2 du Code civil prévoit que « le contrat est solennel lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi »
      • Ainsi, la rencontre de l’offre et de l’acceptation est insuffisante pour réaliser la formation d’un contrat solennel.
      • La loi impose aux contractants l’accomplissement de certaines formalités, lesquelles sont exigées ad validitatem et non ad probationem, comme tel est le cas en matière de contrats consensuels.
    • Applications
      • L’établissement d’un acte authentique sera parfois exigé
        • Il en va ainsi en matière de donation, de vente immobilière, d’hypothèque ou encore de convention matrimoniale
      • L’établissement d’un écrit simple sera d’autres fois exigé
        • Il en va ainsi en matière de crédit à la consommation, de démarchage à domicile, de crédit immobilier, de cautionnement ou encore de conventions collectives
    • Sanction
      • Le non-respect du formalisme exigé par la loi en matière de contrat solennel est sanctionné par la nullité absolue.
  • La formation du contrat est subordonnée à la remise de la chose : les contrats réels
    • Principe
      • L’article 1109, al. 3 prévoit que « le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose. »
      • En matière de contrat réel, la rencontre de l’offre et l’acceptation est, là encore, insuffisante quant à réaliser la formation du contrat
      • Sa validité est conditionnée par la remise de la chose
    • Applications
      • Peuvent être qualifiés de contrats réels les contrats de gage, de dépôt ou de prêt, encore que pour ce dernier, la jurisprudence a évolué.
      • Particularité du contrat de prêt :
        • Depuis un arrêt du 28 mars 2000, il convient de distinguer selon que le prêt est consenti ou non par un professionnel (Cass. 1ère civ., 28 mars 2000, n°97-21.422)
        • La haute juridiction a, effet, décidé dans cette décision que « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ».
        • En dehors de cette hypothèse, le contrat de prêt demeure un contrat réel, de sorte que la remise de la chose est exigée ad validitatem.

Cass. 1ère civ., 28 mars 2000

Attendu que Daniel X… a acheté, le 21 février 1992, à la société Sanlaville, du matériel agricole qui devait être fourni par la société Fiatgeotech, le financement du prix devant être assuré à hauteur de 700 000 francs par un prêt consenti par la société UFB Locabail ; qu’aux termes du contrat, l’UFB Locabail s’est engagée à verser directement à la société Sanlaville le montant du prêt sur simple avis qui lui serait fait par le vendeur de la livraison du matériel, sous condition, notamment de l’adhésion de Daniel X… à une assurance-vie à souscrire auprès de la compagnie UAP Collectives aux droits de laquelle se trouve la société Axa collectives, qui a repris l’instance en ses lieu et place ; que Daniel X… ayant fait parvenir le 31 mars 1992 à l’UFB Locabail le dossier d’adhésion à la garantie d’assurance sur la vie, la société Sanlaville a adressé, le 22 juin suivant, à l’UFB le bon de livraison du matériel ; que Daniel X… est, entre-temps, décédé accidentellement le 4 juin 1992 ; qu’une contestation étant née sur la qualité du matériel livré et l’UFB Locabail ayant dénié devoir financer l’opération, les héritiers X… ont assigné la société Sanlaville, prise en la personne de son liquidateur judiciaire et l’UFB Locabail pour faire prononcer la résiliation de la vente et, subsidiairement, condamner l’UFB à verser à la société Sanlaville le montant du prêt ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que l’UFB Locabail fait grief à l’arrêt attaqué (Grenoble, 1er octobre 1997), d’avoir jugé que le contrat de financement souscrit par Daniel X… l’obligeait à payer la somme convenue à ses héritiers, alors, selon le moyen, en premier lieu, qu’il ressort de l’arrêt que l’UFB n’ayant jamais remis les fonds faisant l’objet du contrat de prêt à Daniel X… avant la date de livraison du matériel, le contrat de prêt ne s’était pas formé, la cour d’appel a violé l’article 1892 du Code civil ; alors, en deuxième lieu, que le contrat de prêt était conclu intuitu personae dès lors que le prêteur s’engageait en considération des possibilités de remboursement de l’emprunteur, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter le contrat de prêt initialement conclu au bénéfice de Daniel X… au profit des ayants-cause de ce dernier, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l’article 1122 du Code civil ; alors, en troisième lieu, que l’article 6 du contrat de prêt stipulait que les sommes restant dues par l’emprunteur deviendraient immédiatement exigibles en cas de décès de ce dernier et l’article 10 de l’acte prévoyait qu’en cas de décès de l’emprunteur avant remboursement de toutes les sommes dues au prêteur, il y aurait solidarité et indivisibilité entre ses héritiers, de sorte qu’en se fondant sur ces clauses qui impliquaient que les fonds avaient été préalablement remis à l’emprunteur avant son décès, pour caractériser une obligation de l’UFB de verser des fonds au profit des héritiers, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ; et alors, en quatrième lieu, que les fonds que l’UFB s’était engagée à verser à Daniel X… ne lui ayant jamais été remis, l’engagement de l’établissement financier ne pouvait s’analyser qu’en une promesse de prêt dont l’inexécution, à la supposer fautive, ne pouvait donner lieu qu’à l’allocation de dommages-intérêts, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter son engagement résultant de la promesse de prêt en lui imposant de verser aux ayants-droit de Daniel X… les sommes qui y étaient visées, la cour d’appel a violé les articles 1892 et 1142 du même Code ;

Mais attendu que le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ; que l’arrêt attaqué, qui relève que la proposition de financement avait été signée par Daniel X… et que les conditions de garanties dont elle était assortie étaient satisfaites, retient, à bon droit, que la société UFB Locabail était, par l’effet de cet accord de volonté, obligée au paiement de la somme convenue ; d’où il suit que le moyen qui n’est pas fondé en sa première branche, est inopérant en ses trois autres branches

    • Sanction
      • Comme en matière de contrat solennel, la sanction encourue en cas de non remise de la chose objet d’un contrat réel est la nullité absolue.
      • Le contrat est donc réputé n’avoir jamais existé en raison d’une irrégularité de forme qui fait obstacle, non pas à la rencontre des volontés, mais à sa validité.
  • La formation du contrat est subordonnée à l’observation d’un délai de réflexion
    • Principe
      • Le nouvel article 1122 du Code civil prévoit que « la loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de réflexion ».
      • Par délai de réflexion, il faut entendre, précise cette même disposition, « le délai avant l’expiration duquel le destinataire de l’offre ne peut manifester son acceptation ».
      • Ainsi, le délai de réflexion fait-il obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation, cette dernière ne pouvait être exprimée qu’à l’expiration du délai stipulé par le pollicitant ou par la loi.
      • Lorsque le législateur impose l’observation d’un délai de réflexion, il est animé par un souci de protection de la partie la plus faible.
      • Le délai de réflexion a vocation à prévenir une décision précipitée que le destinataire de l’offre pourrait regretter après coup.
      • Car en l’absence de délai de réflexion, dès lors que l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est formé.
      • L’acceptant est alors tenu d’exécuter la prestation à laquelle il s’est obligé.
    • Applications
      • En matière de crédit immobilier, l’article 313-34 du Code de la consommation prévoit que « l’offre est soumise à l’acceptation de l’emprunteur et des cautions, personnes physiques, déclarées. L’emprunteur et les cautions ne peuvent accepter l’offre que dix jours après qu’ils l’ont reçue. »
      • En matière de contrat d’enseignement à distance, l’article 444-8 du Code de l’éducation prévoit encore que « à peine de nullité, le contrat ne peut être signé qu’au terme d’un délai de sept jours après sa réception. »
    • Sanction
      • La sanction encourue en cas d’inobservation d’un délai de réflexion est la nullité du contrat
      • L’acceptation est réputée n’avoir jamais rencontré l’offre émise par le pollicitant.
  • La formation du contrat est subordonnée à l’absence de rétractation du destinataire de l’offre
    • Principe
      • L’article 1122 du Code civil prévoit que « la loi ou le contrat peuvent prévoir […] un délai de rétractation ».
      • Par délai de rétractation il faut entendre poursuit cette disposition « le délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement. »
      • Le délai de rétractation se distingue du délai de réflexion en ce qu’il ne fait pas obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
    • Nature du délai de rétractation
      • Dans l’hypothèse où la loi prévoit un délai de rétractation la question se pose de savoir à quel moment le contrat est réputé être définitivement formé ?
      • Les thèses en présence
        • Selon la première thèse, le contrat ne serait définitivement formé qu’à l’expiration du délai de rétractation (V. en en ce sens G. Cornu)
          • La conséquence en est, selon cette thèse, que le contrat ne saurait faire l’objet d’une exécution, dans la mesure où il n’existe pas encore, nonobstant la rencontre de l’offre et de l’acceptation.
        • Selon la deuxième thèse, le contrat serait réputé formé dès la rencontre de l’offre et de l’acceptation, le droit de rétractation devant s’analyser comme une faculté, pour l’acceptant, d’anéantir unilatéralement le contrat (V. en ce sens A. Françon)
          • Il en résulte, selon cette théorie, que le contrat peut être exécuté dès l’acceptation de l’offre par son destinataire, celui-ci bénéficiant d’une faculté de dédit
        • Selon la troisième thèse, le contrat serait, certes, réputé formé dès l’échange des consentements. Toutefois, son efficacité serait suspendue à l’expiration du délai de rétractation (V. en ce sens V. Christianos)
          • Dès lors, bien que formé, le contrat ne saurait faire l’objet d’une exécution de la part du destinataire de l’offre.
      • La jurisprudence
        • Dans un arrêt du 10 juin 1992, la Cour de cassation a estimé que s’agissant d’un contrat de vente que « le contrat était formé dès la commande », nonobstant l’existence d’un droit de rétractation (Cass.1ère civ. 10 juin 1992, n°90-17.267).
        • Ainsi, la haute juridiction considère-t-elle que la formation du contrat est acquise dès l’échange des consentements, soit lorsque les parties se sont entendues sur les éléments essentiels du contrat.

Cass.1ère civ. 10 juin 1992

Sur le moyen unique :

Vu l’article 3 de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972 ;

Attendu que le 12 août 1988 M. Michel X… a souscrit, à la suite d’un démarchage auprès de la société Air photo France, un bon de commande pour une photographie encadrée de sa maison ; que par lettre recommandée du 5 septembre 1988 il a fait connaître à cette société qu’il annulait sa commande ; que la société lui a opposé la tardiveté de la rétractation, intervenue après le délai de 7 jours prévus par la loi du 22 décembre 1972 ;

Attendu que pour annuler l’injonction de payer en date du 5 juillet 1989 délivrée contre M. X…, la décision attaquée a énoncé que le délai de 7 jours n’est pas un délai préfix et que M. X… avait fait parvenir son annulation à la société Air photo France dans un délai suffisamment bref pour permettre à cette dernière d’éviter des frais d’agrandissement et les aléas de leur recouvrement ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le contrat était formé dès la commande et que la faculté de renonciation était limitée à 7 jours à compter de celle-ci, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 1er février 1990, entre les parties, par le tribunal d’instance de Pontarlier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance de Montbéliard

      • Le législateur
        • À l’examen, l’ordonnance du 10 février 2016 semble opiner dans le sens de la Cour de cassation
        • Car si le délai de rétractation est celui « avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement », cela signifie, implicitement, que pour pouvoir « rétracter son consentement », le destinataire de l’offre doit, au préalable, l’avoir exprimé.
        • Or, conformément au principe du consensualisme, le contrat est réputé formé dès l’échange des consentements des parties.
        • Si dès lors, le législateur avait estimé que l’existence d’un droit de rétractation faisait obstacle à la formation du contrat, il est peu probable qu’il ait associé cette faculté à la manifestation du consentement de l’acceptant.
      • Au total, il apparaît donc que le délai de rétractation n’interdit pas au destinataire de l’offre de consentir au contrat qui lui est proposé.
      • Ce délai lui offre seulement la faculté de se rétracter pendant une période déterminée.
      • Le consentement de l’acceptant ne devra donc irrévocable qu’à l’expiration du délai de rétractation.
    • Applications
      • En matière de contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, le délai de rétractation est fixé par la loi à 14 jours
      • En matière de contrat d’assurance vie, la loi prévoit un délai de rétractation de 30 jours
      • En matière de courtage matrimonial, le délai de rétractation est de 7 jours à compter de la signature du contrat
    • Sanctions
      • Dans l’hypothèse où il se rétracte, le destinataire de l’offre est réputé n’avoir jamais accepté le contrat, ce qui dès lors a pour effet de priver d’efficacité la rencontre des volontés.
      • En d’autres termes, le contrat est anéanti rétroactivement.
      • L’exercice du droit de rétraction produit, dès lors, le même effet qu’une nullité.
      • Quid, néanmoins, dans l’hypothèse où le contrat a été totalement ou partiellement exécuté ?
      • L’article 1122 du Code civil est silencieux sur ce point.
      • La question de la sanction applicable en cas d’exécution anticipée du contrat est donc ouverte.
      • Dans la mesure où le droit de droit de rétractation ne s’analyse pas, a priori, comme un obstacle à la formation du contrat, seules deux sanctions sont envisageables en cas d’exécution totale ou partielle :
        • La résolution
        • La caducité
  1. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations : thèse, Aix, 1981, p. 198, n° 164 ?
  2. A. Seube, « Les conditions générales des contrats », Mélanges Jauffret, 1974, p. 622 ?

Le régime juridique de l’acceptation: notion, caractères, étendue, manifestation et réforme des obligations

?Théorie de l’offre et de l’acceptation

Le contrat n’est autre que le produit de la rencontre des volontés. Plus précisément, cette rencontre des volontés s’opère, en simplifiant à l’extrême, selon le processus suivant :

  • Premier temps : une personne, le pollicitant, émet une offre de contracter
  • Second temps : l’offre fait l’objet d’une acceptation par le destinataire

Si, pris séparément, l’offre et l’acceptation ne sont que des manifestations unilatérales de volontés, soit dépourvues d’effet obligatoire, lorsqu’elles se rencontrent, cela conduit à la création d’un contrat, lui-même générateur d’obligations.

Tous les contrats sont le fruit d’une rencontre de l’offre et de l’acceptation, peu importe que leur formation soit instantanée où s’opère dans la durée.

Aussi, en dehors de la rencontre de l’offre et de l’acceptation aucun contrat ne saurait valablement se former, cette rencontre traduisant l’échange des consentements des parties.

Or conformément à la théorie de l’autonomie de la volonté, seules les parties qui ont exprimé leur consentement au contrat peuvent s’obliger. On saurait, en effet, contraindre une personne à contracter, sans qu’elle y consente.

?Réforme des obligations

Curieusement, en 1804, les rédacteurs du Code civil se sont surtout focalisés sur les conditions de validité et sur l’exécution du contrat.

Aussi, cela s’est fait au détriment du processus de conclusion du contrat qui était totalement ignoré par le Code civil.

Aucune disposition n’était, en effet, consacrée à la rencontre des volontés, alors même qu’il s’agit là du fait générateur du contrat.

Afin de remédier à cette carence, c’est donc à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de bâtir la théorie de l’offre et de l’acceptation, notamment à partir des dispositions relatives au consentement des parties.

Il ne restait alors plus qu’au législateur de consacrer cette construction prétorienne lors de la réforme du droit des obligations.

C’est ce qu’il a fait lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 qui a introduit dans le Code civil plusieurs dispositions qui régissent le processus de conclusion du contrat (art. 1113 à 1122).

En introduction de la sous-section relative à « l’offre et l’acceptation », le nouvel article 1113 prévoit désormais que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager. ».

Nous nous focaliserons ici sur le régime de l’acceptation.

I) Notion

L’acceptation est définie à l’article 1118 du Code civil comme « la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Pour mémoire, l’article 1114 du Code civil définit l’offre comme « la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation ».

Ainsi l’acceptation apparaît-elle comme le miroir de l’offre. Et pour cause, dans la mesure où elle est censée venir à sa rencontre. L’acceptation est, en ce sens l’acte unilatéral par lequel l’acceptant signifie au pollicitant qu’il entend consentir au contrat.

À la différence, néanmoins, de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

Quand, en d’autres termes, l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est, en principe, réputé formé. Le pollicitant et l’acceptant deviennent immédiatement liés contractuellement. L’acceptation ne réalisera, toutefois, la rencontre des volontés qu’à certaines conditions

II) Conditions

Afin d’être efficace, l’acceptation doit répondre à 3 conditions cumulatives qui tiennent

  • D’une part, au moment de son intervention
  • D’autre part, à ses caractères
  • Enfin, à son étendue

A) Le moment de l’acceptation

L’acceptation doit nécessairement intervenir avant que l’offre ne soit caduque

Aussi, cela signifie-t-il que l’acceptation doit avoir été émise :

  • Soit pendant le délai stipulé par le pollicitant
  • Soit, à défaut, dans un délai raisonnable, c’est-à-dire, selon la jurisprudence, pendant « le temps nécessaire pour que celui à qui [l’offre] a été adressée examine la proposition et y réponde » (Cass. req., 28 févr. 1870)

Lorsque l’acceptation intervient en dehors de l’un de ces délais, elle ne saurait rencontrer l’offre qui est devenue caduque.

L’acceptation est alors privée d’efficacité, en conséquence de quoi le contrat ne peut pas être formé.

B) Les caractères de l’acceptation

?L’acceptation pure et simple

Pour être efficace, l’acceptation doit être pure et simple.

En d’autres termes, il n’existe véritablement d’acceptation propre à former le contrat qu’à la condition que la volonté de l’acceptant se manifeste de façon identique à la volonté du pollicitant.

La Cour de cassation a estimé en ce sens que le contrat « ne se forme qu’autant que les deux parties s’obligent dans les mêmes termes » (Cass. 2e civ., 16 mai 1990, n°89-13.941).

Par pure et simple, il faut donc entendre, conformément à l’article 1118, al. 1er, que l’acceptation doit avoir été formulée par le destinataire de l’offre de telle sorte qu’il a exprimé sa volonté claire et non équivoque « d’être lié dans les termes de l’offre. »

?La modification de l’offre

L’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet, sauf à constituer une offre nouvelle. »

Lorsque, dès lors, l’acceptant émet une réserve à l’offre sur un ou plusieurs de ses éléments ou propose une modification, l’acceptation s’apparente à une contre-proposition insusceptible de réaliser la formation du contrat.

Au fond, l’acceptation se transforme en une nouvelle offre que le pollicitant initial peut ou non accepter.

En toutes hypothèses, le contrat n’est pas formé

Le pollicitant et le destinataire de l’offre doivent, en somme, être regardés comme des partenaires dont la rencontre des volontés n’est qu’au stade des pourparlers.

Aussi, la conclusion définitive du contrat est-elle subordonnée à la concordance parfaite entre l’offre et l’acceptation.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par une « acceptation non conforme à l’offre ».

  • Conceptions envisageables
    • Première conception
      • L’acceptation est non conforme à l’offre, dès lors qu’une réserve ou une proposition de modification est émise par le destinataire
    • Seconde conception
      • Afin de déterminer si l’acceptation est non conforme à l’offre, il convient de distinguer selon que la réserve ou la proposition de modification porte ou non sur un élément essentiel du contrat.
  • La jurisprudence
    • La jurisprudence considère que le contrat n’est réputé formé qu’à la condition que l’offre et l’acceptation se rencontrent sur les éléments essentiels du contrat (V. en ce sens Cass. req., 1er déc. 1885).
    • Dans un arrêt du 28 février 2006, la Cour de cassation a ainsi reconnu la conformité d’une acceptation à l’offre en relevant « qu’un accord de volontés était intervenu entre les parties sur les éléments qu’elle-même tenait pour essentiels même si des discussions se poursuivaient par ailleurs pour parfaire le contrat sur des points secondaires et admis s’être engagée » (Cass. com. 28 févr. 2006, n°04-14.719)
    • Il résulte de cette décision que, dès lors que l’acceptation a porté sur les éléments essentiels du contrat, elle est réputée conforme à l’offre
    • A contrario, cela signifie que lorsque la réserve émise par le destinataire de l’offre porte sur des éléments accessoires au contrat, elle ne fait pas obstacle à la rencontre de l’acceptation et de l’offre.
    • Toutefois, dans l’hypothèse où la réserve exprimée par le destinataire de l’offre porte sur un élément accessoire tenu pour essentiel par l’une des parties, elle s’apparente à une simple contre-proposition, soit à une nouvelle offre et non à acceptation pure et simple de nature à parfaire le contrat (Cass. 3e civ. 27 mai 1998).
  • L’ordonnance du 10 février 2016
    • Si l’article 1118, al. 3 du Code civil prévoit que « l’acceptation non conforme à l’offre est dépourvue d’effet », cette disposition se garde bien de préciser ce que l’on doit entendre par « acceptation non conforme à l’offre. »
    • Toutefois, la formule « sauf à constituer une offre nouvelle », laisse à penser que le législateur a entendu consentir une certaine latitude au juge quant à l’appréciation de la conformité de l’acceptation à l’offre.
    • Est-ce à dire que la distinction établie par la jurisprudence entre les réserves qui portent sur des éléments essentiels du contrat et les réserves relatives à des éléments contractuels accessoires a été reconduite ?
    • On peut raisonnablement le penser, étant précisé que pour apprécier la conformité de l’acceptation à l’offre le juge se référera toujours à la commune intention des parties.

C) L’étendue de l’acceptation

À supposer que l’acceptation soit identique à l’offre, encore faut-il, pour être efficace, que l’acceptant ait eu connaissance de tous les éléments du contrat.

La question alors se pose de savoir si l’émission de l’acceptation permet de considérer que le destinataire de l’offre n’est engagé que s’agissant des seuls éléments du contrat dont il a eu connaissance, ou si, au contraire, l’acceptation vaut pour toutes les clauses, y compris celles dont il n’a pas pris connaissance lors de la conclusion du contrat.

Plusieurs sortes de documents doivent être distinguées :

  • Les documents contractuels signés
    • S’agissant des documents contractuels signés, la jurisprudence pose une présomption simple de connaissance des stipulations contractuelles par le destinataire de l’offre (Cass. 1re civ. 20 janv. 1993).
    • Aussi, lui appartiendra-t-il de prouver, en cas de clause sibylline ou peu apparente, qu’il n’en a pas eue connaissance, de sorte que son acceptation n’a pas pu rencontrer l’offre dans tous ses éléments (V. en ce sens Cass. 1re civ., 3 mai 1979).
  • Les conditions générales
    • Notion
      • Tout d’abord, il peut être observé, à titre de remarque liminaire, que les conditions générales se rencontrent, le plus souvent, dans les contrats d’adhésion, soit les contrats dont les stipulations ne sont pas susceptibles d’être discutées par les parties, l’une ne laissant pour seul choix à l’autre que d’adhérer en bloc au contrat ou, à défaut, de ne pas contracter.
      • L’article 1110 du Code civil définit encore le contrat d’adhésion comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties. »
      • Aucune définition n’ayant été donnée par le législateur des conditions générales, c’est vers la doctrine qu’il convient de se tourner.
      • Un auteur définit les conditions générales comme « les clauses abstraites, applicables à l’ensemble des contrats individuels ultérieurement conclus, rédigées par avance et imposées par un contractant à son partenaire »[2]
      • Les conditions générales sont, autrement dit, les stipulations qui figurent sur un document contractuel prérédigé.
    • Valeur contractuelle
      • Quelle valeur donner aux conditions générales ?
      • Aux termes de l’article 1119 du Code civil, « les conditions générales invoquées par une partie n’ont effet à l’égard de l’autre que si elles ont été portées à la connaissance de celle-ci et si elle les a acceptées. »
      • Il ressort de cette disposition que, pour être opposables au destinataire de l’offre, les conditions générales doivent avoir été
        • d’une part, portées à sa connaissance
        • d’autre part, acceptées par lui
      • L’examen de la jurisprudence révèle que la satisfaction de ces deux conditions cumulatives peut être établie de deux façons :
        • Tout d’abord, les conditions générales sont présumées avoir été portées à la connaissance du destinataire de l’offre et acceptées par lui lorsque figure sur le document contractuel signé la mention par laquelle le signataire reconnaît avoir pris connaissance et accepté les conditions générales (V. en ce sens Cass. 1re civ. 20 janv. 1993)
        • Ensuite, les conditions générales doivent, soit figurer sur le document contractuel signé, soit être expressément visé par ce dernier (Cass. 1re civ., 16 févr. 1999).
    • Conflit entre conditions générales ou avec les conditions particulières
      • Il peut arriver qu’une discordance existe, soit entre les conditions générales entre elles, soit entre les conditions générales et les conditions particulières.
      • Dans les deux cas on ne saurait manifestement estimer que le destinataire de l’offre a accepté les conditions générales
      • Est-ce à dire que ces discordances sont susceptibles de faire obstacle à la rencontre de l’offre et de l’acceptation ?
      • L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit deux règles qui permettent de régler ce genre de conflits
        • S’agissant des discordances entre les conditions générales entre elles
          • L’article 1119, al. 2 prévoit que « en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l’une et l’autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet. »
          • La solution retenue par le législateur vient confirmer la jurisprudence antérieure (Cass. com. 20 nov. 1984)
          • Dans la mesure où les conditions générales sont, la plupart du temps, stipulées à la faveur du pollicitant, leur anéantissement ne saurait porter atteinte aux intérêts du destinataire de l’offre.
          • Ajouté à cela, le nouvel article 1190 du Code civil dispose que le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé.
        • S’agissant des discordances entre les conditions générales et les stipulations particulières
          • Le législateur a repris la jurisprudence antérieure qui estimait que les conditions particulières primaient sur les conditions générales (Cass. 1re civ., 9 févr. 1999).
          • L’article 1119, al. 3 du Code civil prévoit en ce sens que « en cas de discordance entre des conditions générales et des conditions particulières, les secondes l’emportent sur les premières. »
  • Les documents publicitaires
    • Quid du sort des documents publicitaires sur le fondement desquels, le destinataire de l’offre s’est engagé ?
    • L’acceptation a-t-elle pour effet de les faire entrer dans le champ contractuel, de sorte que les stipulations obligent l’acceptant ?
    • La jurisprudence estime de façon constante que « les documents publicitaires peuvent avoir une valeur contractuelle dès lors que, suffisamment précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant » (Cass. 1ère civ., 6 mai 2010, n°08-14.461).
    • Il en résulte que, dans l’hypothèse où le contrat signé ne reprend pas les stipulations figurant sur les documents publicitaires, le destinataire de l’offre sera malgré tout tenu de les respecter.
  • Les documents annexes
    • Il s’agit de tous les documents accessoires au contrat principal, soit les brochures, affiches ou encore les écriteaux, lesquels seront, le plus souvent, portés à la connaissance du destinataire de l’offre que postérieurement à la conclusion du contrat.
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les documents annexes n’entrent dans le champ contractuel qu’à la condition qu’ils aient été portés à la connaissance du signataire, préalablement à l’acception (V. en ce sens Cass. com., 10 févr. 1959)
    • Aussi, sauf à ce que le contrat signé fasse expressément référence aux documents annexes, ils seront présumés être inopposables à l’acceptant
    • Il appartiendra donc au pollicitant de prouver que le destinataire de l’offre a bien eu connaissance des documents annexes.

III) Manifestation de l’acceptation

Aux termes de l’article 1118, « l’acceptation est la manifestation de volonté de son auteur d’être lié dans les termes de l’offre. »

Aussi, ressort-il de cette disposition que pour être efficace, l’acceptation doit être extériorisée.

Dans la mesure où le consensualisme préside au processus de rencontre des volontés, la validité du contrat n’est subordonnée, en principe, à la satisfaction d’aucunes formes en particulier (V. en ce sens Cass. 3e civ. 27 nov. 1990, n°89-14.033).

Conséquemment, trois hypothèses peuvent être envisagées :

A) L’acceptation est expresse

Il s’agit de l’hypothèse où l’acceptation est exprimée par le destinataire de l’offre au moyen d’un écrit, de la parole ou d’un geste.

Dans cette situation, l’efficacité de l’acceptation ne soulève guère de difficulté, dans la mesure où la volonté de l’acceptant sera dépourvue d’ambiguïté.

B) L’acceptation tacite

L’acceptation est tacite lorsque la volonté du destinataire de l’offre de l’accepter résulte des circonstances de faits.

La situation la plus courante est l’exécution par l’acceptant du contrat, objet de l’offre.

Dans un arrêt du 25 juin 1991, la Cour de cassation a ainsi estimé que « en acceptant d’intervenir dans l’exécution de l’accord, [le destinataire de l’offre] a nécessairement souscrit aux obligations définies par celui-ci » (Cass. 1ère civ., 25 juin 1991, n° 90-11.485).

L’acceptation tacite pourra également résulter de diverses sortes de comportements, tel que monter dans un taxi ou un autobus ou encore continuer d’encaisser les loyers nonobstant l’expiration d’un bail.

C) Le silence de l’acceptant

Très tôt, la question s’est posée de savoir si le silence du destinataire de l’offre pouvait valoir acceptation.

Pour Demogue « il y a silence au sens juridique quand une personne au cours de cette activité qu’est la vie n’a manifesté sa volonté par rapport à un acte juridique, ni par une action spéciale à cet effet, ni par une action dont on puisse déduire sa volonté ».

Aussi, convient-il de distinguer le silence de l’acceptation tacite :

?L’acceptation tacite

Elle se manifeste par une attitude, un comportement, un geste ou l’exécution d’un contrat

Autrement dit, le destinataire de l’offre ne dit pas oui, ni ne l’écrit pas. Son acceptation se déduit de son comportement.

?Le silence

Il ne fait l’objet d’aucune extériorisation.

Le destinataire de l’offre ne réagit pas, il est complètement passif.

Le silence vaut-il acceptation ?

  • Principe
    • Dans un ancien arrêt du 25 mars 1870 la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que « en droit, le silence de celui qu’on prétend obligé ne peut suffire, en l’absence de toute autre circonstances, pour faire preuve contre lui de l’obligation alléguée » (Cass. 1re civ., 25 mai 1870).
    • Ainsi, selon cette décision qui ne dit mot ne consent pas (Pour un rappel de cette règle V. notamment Cass. com., 25 avr. 2006).
    • Surtout, l’article 1120 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit désormais que « le silence ne vaut pas acceptation ».
  • Exceptions
    • Si l’article 1120 prévoit que l’acceptation ne saurait se déduire du silence du destinataire de l’offre, il précise néanmoins, in fine, « à moins qu’il n’en résulte autrement de la loi, des usages, des relations d’affaires ou de circonstances particulières. »
    • Autrement dit, il est des cas où, par exception, le silence peut parfaitement valoir acceptation.
    • Il en ira ainsi dans toute une série de circonstances :
      • L’existence d’un texte spécial
        • Lorsque le silence est réglementé, il peut être interprété comme valant acceptation
        • Exemples :
        • En matière de contrat de bail, l’article 1738 du Code civil prévoit, en matière de contrat de bail, que « si, à l’expiration des baux écrits, le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail dont l’effet est réglé par l’article relatif aux locations faites sans écrit.
        • En matière de contrat de travail, l’article L. 1222-6 du Code du travail prévoit que lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail « à défaut de réponse dans le délai d’un mois, ou de quinze jours si l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée. »
      • L’existence d’usages professionnels
        • Le silence peut également être réglementé par un usage professionnel
        • En vertu de cet usage, le professionnel qui a reçu une offre peut être obligé d’exprimer son refus, faute de quoi il sera réputé l’avoir acceptée.
        • Dans un arrêt du 13 mai 2003, la Cour de cassation a ainsi estimé en ce sens que, s’agissant d’un contrat de vente de vin entre deux professionnels exerçant dans le même secteur d’activité, « l’établissement et l’envoi, par le courtier au vendeur et à l’acheteur de la “lettre de confirmation” sans qu’il y ait de leur part un accord formel équivalait suivant l’usage ancien et constant en Bordelais, à une vente parfaite, sauf protestation dans un très bref délai fixé par les usages loyaux et constants de la profession à 48 heures de la réception de cette lettre dont l’envoi est à la charge du courtier » (Cass. com. 13 mai 2003, n°00-21.555).
      • La force de l’habitude
        • Lorsque deux contractants étaient antérieurement en relations d’affaires et que, périodiquement et régulièrement, ils concluaient des contrats ayant la même nature, le même objet et le même but, sans, à chaque nouveau contrat, exprimer formellement leur volonté de s’engager, la jurisprudence considère que, en dépit du silence, un contrat qui s’inscrit dans la continuité de cette relation contractuelle est réputé formé (Cass. com., 15 mars 2011, n°10-16.422)
        • Ainsi, la force de l’habitude peut conférer au silence du destinataire de l’offre la valeur d’une acceptation.
      • L’intérêt exclusif du destinataire
        • Lorsque l’offre est faite dans l’intérêt exclusif du destinataire, le silence vaut acceptation.
        • Il en va ainsi lorsqu’un créancier consent une remise de dette à son débiteur (Cass. req., 29 mars 1938)
        • L’idée sous-jacente est ici que l’acceptant n’a aucune raison de refuser l’offre qui lui est faite, compte tenu de l’avantage exclusif qu’elle lui procure.
      • L’existence de circonstances particulières caractérisant une acceptation
        • Dans un arrêt du 24 mai 2005, la Cour de cassation a estimé que « si, en principe, le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation » (Cass. 1re civ., 24 mai 2005, n°02-15.188).

Cass. 1re civ., 24 mai 2005

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que le préfet de la région d’Ile-de-France a notifié à M. X…, qui avait obtenu un permis de construire sur une parcelle dont il est propriétaire, un arrêté lui enjoignant de faire réaliser préalablement aux travaux une opération préventive de fouilles archéologiques ; que M. X… a accepté un devis “diagnostic archéologique” établi par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (AFAN), aux droits de laquelle vient l’INRAP ; que l’AFAN a informé M. X… que le diagnostic était positif et que “la partie arrière de la parcelle nécessitait une investigation plus approfondie, une petite fouille de sauvetage urgent devant être réalisée”, ce qui a conduit le préfet à prendre un nouvel arrêté prévoyant que l’AFAN procéderait en urgence à une opération préventive de fouilles entre le 14 avril 1998 et le 17 avril 1998 ; que M. X… ayant refusé de régler la facture correspondant à ces travaux au motif qu’il n’avait pas accepté le devis que lui avait adressé l’AFAN, celle-ci l’a assigné en paiement ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt attaqué (Versailles, 1er mars 2002) d’avoir accueilli cette demande alors, selon le pourvoi :

1 / que le silence ne vaut pas à lui seul acceptation ; que M. X…, destinataire du second devis, ne l’avait jamais retourné ni signé et n’avait pas davantage déclaré l’accepter ; qu’en décidant cependant que le propriétaire du terrain aurait de la sorte accepté ce second devis, la cour d’appel a violé les articles 1101 et 1108 du Code civil ;

2 / qu’il appartient au créancier qui demande l’exécution de la convention qu’il invoque de rapporter la preuve de l’existence de l’accord résultant de l’acceptation de son offre par l’autre partie ; qu’en énonçant que M. X…, destinataire du second devis, ne soutenait pas valablement ne pas l’avoir accepté, à défaut de manifestation expresse de volonté de rupture de ses relations contractuelles avec l’AFAN, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve en violation de l’article 1315 du Code civil ;

Mais attendu que si le silence ne vaut pas à lui seul acceptation, il n’en est pas de même lorsque les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation ; que l’arrêt relève que le permis de construire délivré à M. X… lui imposait de ne pas mettre en péril les vestiges archéologiques situés sur le terrain d’assiette de l’opération de construction, que l’arrêté du préfet de la région d’Ile-de-France, pris en exécution de cette contrainte, a imposé l’opération de fouille préventive, que cet arrêté a été signé au visa de la convention signée par l’Etat et l’AFAN et qu’ainsi M. X…, dont la volonté est certes liée par les contraintes administratives, ne pouvait sans se priver de l’attestation de levée de contraintes archéologiques qui lui a été délivrée le 29 avril 1998 ne pas faire exécuter les prestations prévues par le second devis ; qu’ayant exactement déduit de ces circonstances que le silence gardé par M. X… à la suite de la réception du devis que lui avait adressé l’AFAN avait la signification d’une acceptation, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour d’appel a ensuite énoncé que M. X… ne pouvait, à défaut de manifestation expresse de volonté, soutenir qu’il n’avait pas accepté le second devis ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

        • Avec cette décision, la haute juridiction a, de la sorte, entendu abandonner le caractère limitatif des circonstances où le silence est susceptible d’être interprété comme valant acceptation.
        • Autrement dit, dorénavant, des circonstances particulières, autres qu’un usage ou des relations affaire, peuvent conférer au silence du destinataire de l’offre la signification d’une volonté de s’engager.
        • Cette solution a été consacrée par le législateur à l’article 1120 du Code civil qui prévoit que le silence résultant de « circonstances particulières » peut valoir acceptation.

IV) Effets

?Principe

À la différence de l’offre, l’acceptation, lorsqu’elle est exprimée, a pour effet de parfaire le contrat.

En vertu du principe du consensualisme, le contrat est donc formé, de sorte que le pollicitant devient immédiatement lié contractuellement à l’acceptant.

Dans un arrêt du 14 janvier 1987, la Cour de cassation affirme en ce sens que s’agissant d’un contrat de vente que « la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités » (Cass. 3e civ. 14 janv. 1987, n°85-16.306).

Cass. 3e civ. 14 janv. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu selon l’arrêt attaqué (Orléans 23 mai 1985), statuant sur renvoi après cassation, que, par acte sous seing privé du 13 novembre 1978, Mme A… s’est engagée à céder à M. Y… une maison et toute l’oeuvre en sa possession de la famille A… moyennant une somme payable comptant et une rente viagère mensuelle ; que l’acte précisait que serait étudiée avec la Bibliothèque Nationale la possibilité de faire, de cette maison, un musée ou une fondation A…, que M. Y… souscrivait divers engagements dont notamment celui de mettre à la disposition de Mme A… les moyens nécessaires pour terminer la biographie de son oncle, Alexandre A…, et faire éditer un livre, et d’organiser, dans sa galerie, une série d’expositions des oeuvres de la famille A… ; qu’il était mentionné que l’accord ne prendrait son effet définitif qu’après avoir été entériné par un notaire ; que postérieurement au paiement par M. Y… de la partie du prix payable comptant et du premier terme de la rente, Mme A… a refusé de donner suite à cet accord ;

Attendu que Mme Lebel Z…, aux droits de Mme A…, fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré valable l’accord passé le 13 novembre 1978 entre Mme A… et M. Y…, alors, selon le moyen, que “si la vente est parfaite dès lors qu’est constaté l’accord des parties sur la chose et le prix, il est loisible aux parties de subordonner le caractère parfait et définitif de la vente à la réalisation d’une condition suspensive, qu’en l’espèce, dans l’acte du 13 novembre 1978, relatif à la cession non seulement d’un bien immobilier mais également de biens mobiliers et des droits y afférents, il était expressément stipulé par les parties que leur accord ne prendra son effet définitif qu’après avoir été entériné par un notaire (Me du X… …), qu’en se bornant à retenir, pour affirmer qu’il ne résultait d’aucune disposition de l’acte ni des circonstances de la cause que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la signature d’un acte authentique, que celles-ci étaient d’accord sur la chose et le prix dès le 13 novembre 1978 et qu’il n’était pas établi que Mme A… avait entendu faire des conditions accessoires énumérées dans l’acte un élément essentiel de la vente, sans rechercher quelle avait été la commune intention des parties en prévoyant dans l’acte du 13 novembre 1978 que leur accord ne prendra son effet définitif qu’après avoir été entériné par le notaire désigné, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1134 du Code civil, et a violé par fausse application l’article 1589 du Code civil” ;

Mais attendu qu’après avoir énoncé justement que la vente est parfaite entre les parties dès qu’on est convenu de la chose et du prix et que le défaut d’accord définitif sur les éléments accessoires de la vente ne peut empêcher le caractère parfait de la vente à moins que les parties aient entendu retarder la formation du contrat jusqu’à la fixation de ces modalités, l’arrêt retient souverainement que les parties à l’acte du 13 novembre 1978 s’étaient, dès cette date, entendues sur la chose et sur le prix et que si elles ont prévu l’entérinement de l’acte par un notaire, il ne résulte ni des dispositions de cet acte ni des circonstances de la cause qu’elles aient voulu faire de cette modalité accessoire un élément constitutif de leur consentement ; que par ces seuls motifs, l’arrêt est légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Exceptions

Par exception, il est des cas où la rencontre de l’offre et l’acceptation ne suffit pas à former le contrat.

La loi exigera en effet, soit que l’expression du consentement soit complétée par l’accomplissement de certaines formalités ou à la remise de la chose, soit que le destinataire de l’offre observe un délai de réflexion avant de manifester son acceptation.

Parfois même, la loi autorisera le destinataire de l’offre à se rétracter, nonobstant la rencontre de l’offre et l’acceptation.

Plusieurs hypothèses doivent donc être envisagées :

  • La formation du contrat est subordonnée à l’accomplissement de certaines formalités : les contrats solennels
    • Principe
      • L’article 1109, al. 2 du Code civil prévoit que « le contrat est solennel lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi »
      • Ainsi, la rencontre de l’offre et de l’acceptation est insuffisante pour réaliser la formation d’un contrat solennel.
      • La loi impose aux contractants l’accomplissement de certaines formalités, lesquelles sont exigées ad validitatem et non ad probationem, comme tel est le cas en matière de contrats consensuels.
    • Applications
      • L’établissement d’un acte authentique sera parfois exigé
        • Il en va ainsi en matière de donation, de vente immobilière, d’hypothèque ou encore de convention matrimoniale
      • L’établissement d’un écrit simple sera d’autres fois exigé
        • Il en va ainsi en matière de crédit à la consommation, de démarchage à domicile, de crédit immobilier, de cautionnement ou encore de conventions collectives
    • Sanction
      • Le non-respect du formalisme exigé par la loi en matière de contrat solennel est sanctionné par la nullité absolue.
  • La formation du contrat est subordonnée à la remise de la chose : les contrats réels
    • Principe
      • L’article 1109, al. 3 prévoit que « le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose. »
      • En matière de contrat réel, la rencontre de l’offre et l’acceptation est, là encore, insuffisante quant à réaliser la formation du contrat
      • Sa validité est conditionnée par la remise de la chose
    • Applications
      • Peuvent être qualifiés de contrats réels les contrats de gage, de dépôt ou de prêt, encore que pour ce dernier, la jurisprudence a évolué.
      • Particularité du contrat de prêt :
        • Depuis un arrêt du 28 mars 2000, il convient de distinguer selon que le prêt est consenti ou non par un professionnel (Cass. 1ère civ., 28 mars 2000, n°97-21.422)
        • La haute juridiction a, effet, décidé dans cette décision que « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ».
        • En dehors de cette hypothèse, le contrat de prêt demeure un contrat réel, de sorte que la remise de la chose est exigée ad validitatem.

Cass. 1ère civ., 28 mars 2000

Attendu que Daniel X… a acheté, le 21 février 1992, à la société Sanlaville, du matériel agricole qui devait être fourni par la société Fiatgeotech, le financement du prix devant être assuré à hauteur de 700 000 francs par un prêt consenti par la société UFB Locabail ; qu’aux termes du contrat, l’UFB Locabail s’est engagée à verser directement à la société Sanlaville le montant du prêt sur simple avis qui lui serait fait par le vendeur de la livraison du matériel, sous condition, notamment de l’adhésion de Daniel X… à une assurance-vie à souscrire auprès de la compagnie UAP Collectives aux droits de laquelle se trouve la société Axa collectives, qui a repris l’instance en ses lieu et place ; que Daniel X… ayant fait parvenir le 31 mars 1992 à l’UFB Locabail le dossier d’adhésion à la garantie d’assurance sur la vie, la société Sanlaville a adressé, le 22 juin suivant, à l’UFB le bon de livraison du matériel ; que Daniel X… est, entre-temps, décédé accidentellement le 4 juin 1992 ; qu’une contestation étant née sur la qualité du matériel livré et l’UFB Locabail ayant dénié devoir financer l’opération, les héritiers X… ont assigné la société Sanlaville, prise en la personne de son liquidateur judiciaire et l’UFB Locabail pour faire prononcer la résiliation de la vente et, subsidiairement, condamner l’UFB à verser à la société Sanlaville le montant du prêt ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que l’UFB Locabail fait grief à l’arrêt attaqué (Grenoble, 1er octobre 1997), d’avoir jugé que le contrat de financement souscrit par Daniel X… l’obligeait à payer la somme convenue à ses héritiers, alors, selon le moyen, en premier lieu, qu’il ressort de l’arrêt que l’UFB n’ayant jamais remis les fonds faisant l’objet du contrat de prêt à Daniel X… avant la date de livraison du matériel, le contrat de prêt ne s’était pas formé, la cour d’appel a violé l’article 1892 du Code civil ; alors, en deuxième lieu, que le contrat de prêt était conclu intuitu personae dès lors que le prêteur s’engageait en considération des possibilités de remboursement de l’emprunteur, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter le contrat de prêt initialement conclu au bénéfice de Daniel X… au profit des ayants-cause de ce dernier, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l’article 1122 du Code civil ; alors, en troisième lieu, que l’article 6 du contrat de prêt stipulait que les sommes restant dues par l’emprunteur deviendraient immédiatement exigibles en cas de décès de ce dernier et l’article 10 de l’acte prévoyait qu’en cas de décès de l’emprunteur avant remboursement de toutes les sommes dues au prêteur, il y aurait solidarité et indivisibilité entre ses héritiers, de sorte qu’en se fondant sur ces clauses qui impliquaient que les fonds avaient été préalablement remis à l’emprunteur avant son décès, pour caractériser une obligation de l’UFB de verser des fonds au profit des héritiers, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ; et alors, en quatrième lieu, que les fonds que l’UFB s’était engagée à verser à Daniel X… ne lui ayant jamais été remis, l’engagement de l’établissement financier ne pouvait s’analyser qu’en une promesse de prêt dont l’inexécution, à la supposer fautive, ne pouvait donner lieu qu’à l’allocation de dommages-intérêts, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter son engagement résultant de la promesse de prêt en lui imposant de verser aux ayants-droit de Daniel X… les sommes qui y étaient visées, la cour d’appel a violé les articles 1892 et 1142 du même Code ;

Mais attendu que le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ; que l’arrêt attaqué, qui relève que la proposition de financement avait été signée par Daniel X… et que les conditions de garanties dont elle était assortie étaient satisfaites, retient, à bon droit, que la société UFB Locabail était, par l’effet de cet accord de volonté, obligée au paiement de la somme convenue ; d’où il suit que le moyen qui n’est pas fondé en sa première branche, est inopérant en ses trois autres branches

    • Sanction
      • Comme en matière de contrat solennel, la sanction encourue en cas de non remise de la chose objet d’un contrat réel est la nullité absolue.
      • Le contrat est donc réputé n’avoir jamais existé en raison d’une irrégularité de forme qui fait obstacle, non pas à la rencontre des volontés, mais à sa validité.
  • La formation du contrat est subordonnée à l’observation d’un délai de réflexion
    • Principe
      • Le nouvel article 1122 du Code civil prévoit que « la loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de réflexion ».
      • Par délai de réflexion, il faut entendre, précise cette même disposition, « le délai avant l’expiration duquel le destinataire de l’offre ne peut manifester son acceptation ».
      • Ainsi, le délai de réflexion fait-il obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation, cette dernière ne pouvait être exprimée qu’à l’expiration du délai stipulé par le pollicitant ou par la loi.
      • Lorsque le législateur impose l’observation d’un délai de réflexion, il est animé par un souci de protection de la partie la plus faible.
      • Le délai de réflexion a vocation à prévenir une décision précipitée que le destinataire de l’offre pourrait regretter après coup.
      • Car en l’absence de délai de réflexion, dès lors que l’offre rencontre l’acceptation, le contrat est formé.
      • L’acceptant est alors tenu d’exécuter la prestation à laquelle il s’est obligé.
    • Applications
      • En matière de crédit immobilier, l’article 313-34 du Code de la consommation prévoit que « l’offre est soumise à l’acceptation de l’emprunteur et des cautions, personnes physiques, déclarées. L’emprunteur et les cautions ne peuvent accepter l’offre que dix jours après qu’ils l’ont reçue. »
      • En matière de contrat d’enseignement à distance, l’article 444-8 du Code de l’éducation prévoit encore que « à peine de nullité, le contrat ne peut être signé qu’au terme d’un délai de sept jours après sa réception. »
    • Sanction
      • La sanction encourue en cas d’inobservation d’un délai de réflexion est la nullité du contrat
      • L’acceptation est réputée n’avoir jamais rencontré l’offre émise par le pollicitant.
  • La formation du contrat est subordonnée à l’absence de rétractation du destinataire de l’offre
    • Principe
      • L’article 1122 du Code civil prévoit que « la loi ou le contrat peuvent prévoir […] un délai de rétractation ».
      • Par délai de rétractation il faut entendre poursuit cette disposition « le délai avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement. »
      • Le délai de rétractation se distingue du délai de réflexion en ce qu’il ne fait pas obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
    • Nature du délai de rétractation
      • Dans l’hypothèse où la loi prévoit un délai de rétractation la question se pose de savoir à quel moment le contrat est réputé être définitivement formé ?
      • Les thèses en présence
        • Selon la première thèse, le contrat ne serait définitivement formé qu’à l’expiration du délai de rétractation (V. en en ce sens G. Cornu)
          • La conséquence en est, selon cette thèse, que le contrat ne saurait faire l’objet d’une exécution, dans la mesure où il n’existe pas encore, nonobstant la rencontre de l’offre et de l’acceptation.
        • Selon la deuxième thèse, le contrat serait réputé formé dès la rencontre de l’offre et de l’acceptation, le droit de rétractation devant s’analyser comme une faculté, pour l’acceptant, d’anéantir unilatéralement le contrat (V. en ce sens A. Françon)
          • Il en résulte, selon cette théorie, que le contrat peut être exécuté dès l’acceptation de l’offre par son destinataire, celui-ci bénéficiant d’une faculté de dédit
        • Selon la troisième thèse, le contrat serait, certes, réputé formé dès l’échange des consentements. Toutefois, son efficacité serait suspendue à l’expiration du délai de rétractation (V. en ce sens V. Christianos)
          • Dès lors, bien que formé, le contrat ne saurait faire l’objet d’une exécution de la part du destinataire de l’offre.
      • La jurisprudence
        • Dans un arrêt du 10 juin 1992, la Cour de cassation a estimé que s’agissant d’un contrat de vente que « le contrat était formé dès la commande », nonobstant l’existence d’un droit de rétractation (Cass.1ère civ. 10 juin 1992, n°90-17.267).
        • Ainsi, la haute juridiction considère-t-elle que la formation du contrat est acquise dès l’échange des consentements, soit lorsque les parties se sont entendues sur les éléments essentiels du contrat.

Cass.1ère civ. 10 juin 1992

Sur le moyen unique :

Vu l’article 3 de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972 ;

Attendu que le 12 août 1988 M. Michel X… a souscrit, à la suite d’un démarchage auprès de la société Air photo France, un bon de commande pour une photographie encadrée de sa maison ; que par lettre recommandée du 5 septembre 1988 il a fait connaître à cette société qu’il annulait sa commande ; que la société lui a opposé la tardiveté de la rétractation, intervenue après le délai de 7 jours prévus par la loi du 22 décembre 1972 ;

Attendu que pour annuler l’injonction de payer en date du 5 juillet 1989 délivrée contre M. X…, la décision attaquée a énoncé que le délai de 7 jours n’est pas un délai préfix et que M. X… avait fait parvenir son annulation à la société Air photo France dans un délai suffisamment bref pour permettre à cette dernière d’éviter des frais d’agrandissement et les aléas de leur recouvrement ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que le contrat était formé dès la commande et que la faculté de renonciation était limitée à 7 jours à compter de celle-ci, le Tribunal a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 1er février 1990, entre les parties, par le tribunal d’instance de Pontarlier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance de Montbéliard

      • Le législateur
        • À l’examen, l’ordonnance du 10 février 2016 semble opiner dans le sens de la Cour de cassation
        • Car si le délai de rétractation est celui « avant l’expiration duquel son bénéficiaire peut rétracter son consentement », cela signifie, implicitement, que pour pouvoir « rétracter son consentement », le destinataire de l’offre doit, au préalable, l’avoir exprimé.
        • Or, conformément au principe du consensualisme, le contrat est réputé formé dès l’échange des consentements des parties.
        • Si dès lors, le législateur avait estimé que l’existence d’un droit de rétractation faisait obstacle à la formation du contrat, il est peu probable qu’il ait associé cette faculté à la manifestation du consentement de l’acceptant.
      • Au total, il apparaît donc que le délai de rétractation n’interdit pas au destinataire de l’offre de consentir au contrat qui lui est proposé.
      • Ce délai lui offre seulement la faculté de se rétracter pendant une période déterminée.
      • Le consentement de l’acceptant ne devra donc irrévocable qu’à l’expiration du délai de rétractation.
    • Applications
      • En matière de contrats conclus entre un professionnel et un consommateur, le délai de rétractation est fixé par la loi à 14 jours
      • En matière de contrat d’assurance vie, la loi prévoit un délai de rétractation de 30 jours
      • En matière de courtage matrimonial, le délai de rétractation est de 7 jours à compter de la signature du contrat
    • Sanctions
      • Dans l’hypothèse où il se rétracte, le destinataire de l’offre est réputé n’avoir jamais accepté le contrat, ce qui dès lors a pour effet de priver d’efficacité la rencontre des volontés.
      • En d’autres termes, le contrat est anéanti rétroactivement.
      • L’exercice du droit de rétraction produit, dès lors, le même effet qu’une nullité.
      • Quid, néanmoins, dans l’hypothèse où le contrat a été totalement ou partiellement exécuté ?
      • L’article 1122 du Code civil est silencieux sur ce point.
      • La question de la sanction applicable en cas d’exécution anticipée du contrat est donc ouverte.
      • Dans la mesure où le droit de droit de rétractation ne s’analyse pas, a priori, comme un obstacle à la formation du contrat, seules deux sanctions sont envisageables en cas d’exécution totale ou partielle :
        • La résolution
        • La caducité
  1. Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations : thèse, Aix, 1981, p. 198, n° 164 ?
  2. A. Seube, « Les conditions générales des contrats », Mélanges Jauffret, 1974, p. 622 ?