De la distinction entre la possession et la détention précaire

Il est des situations où celui qui exerce une emprise physique sur la chose, n’a pas la volonté de se comporter comme son propriétaire.

Parce qu’il lui manque l’animus il ne peut donc pas être qualifié de possesseur  : il est seulement détenteur de la chose.

La détention se distingue ainsi de la possession en ce que le détenteur n’a pas la volonté d’être titulaire du droit réel en cause.

Reste qu’il exerce, comme le possesseur, une emprise matérielle sur la chose. La détention peut prendre deux formes :

  • Elle peut être précaire, soit résulter d’un titre
  • Elle peut être simple, soit résulter d’un fait

I) Possession et détention précaire

Le Code civil ne donne aucune définition de la détention, il se limite à en décrire les effets. L’article 2266, par exemple, prévoit que « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit ».

Aussi, c’est vers la doctrine qu’il convient de se tourner pour identifier la notion et en comprendre les éléments constitutifs.

Le doyen Cornu définit la détention dans son vocabulaire juridique comme « le pouvoir de fait exercé sur la chose d’autrui en vertu d’un titre juridique qui rend la détention précaire en ce qu’il oblige toujours son détenteur à restituer la chose à son propriétaire et l’empêche de l’acquérir par la prescription (sauf interversion de titre), mais non de jouir de la protection possessoire, au moins à l’égard des tiers ».

Il ressort de cette définition que la distinction entre la possession et la détention précaire tient, d’une part, à leurs sources, d’autre part, à leurs éléments constitutifs et, enfin, à leurs effets.

==> Les sources

Si, possesseur et détenteur ont en commun d’exercer un pouvoir de fait sur la chose, ils se distinguent en ce que la possession résulte toujours d’une situation de fait, tandis que la détention précaire résulte d’une situation de droit.

  • La possession relève du fait
    • Si la possession se confond généralement avec la propriété, situation de droit, elle relève pourtant toujours du fait : l’acte de détention et de jouissance de la chose
    • Si le possesseur exerce un pouvoir de fait sur la chose, c’est parce qu’il en a la maîtrise physique.
    • Le point de départ de la possession consiste ainsi en une situation de pur fait, l’emprise matérielle exercée sur la chose, à la différence de la détention qui est assise sur une situation de droit
  • La détention relève du droit
    • Contrairement au possesseur, le détenteur précaire ne tient pas son pouvoir de l’emprise matérielle qu’il exerce sur la chose, mais du titre qui l’autorise à détenir la chose.
    • Ce titre est le plus souvent un contrat, tel qu’un bail, un prêt, un dépôt ou encore un mandat.
    • Ce titre peut encore résulter de la loi : il en va ainsi du tuteur qui est détenteur précaire des biens qu’il administre pour le compte de la personne protégée.
    • Tel est encore le cas de l’usufruitier dont le pouvoir, qu’il détient le plus souvent des règles de dévolution successorale, ne se confond pas avec le droit du propriétaire (V. en ce sens 2266 C. civ.)

==> Les éléments constitutifs

Ce qui distingue la possession de la détention ne tient pas seulement à leurs sources, mais également à leurs éléments constitutifs.

  • S’agissant de la possession
    • La possession requiert, pour être constituée, la caractérisation du corpus et de l’animus.
    • S’il est admis que la possession puisse perdurer en cas de disparition du corpus, sous réserve qu’elle ne soit pas contredite par un tiers, c’est à la condition que le possesseur ait l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose.
    • Surtout, la possession ne pourra produire ses effets que si elle ne résulte d’aucun titre, car le titre fonde la détention.
  • S’agissant de la détention
    • Comme la possession, la détention requiert le corpus: le détenteur doit exercer une emprise matérielle sur la chose.
    • La détention est ainsi, avant toute chose, un pouvoir de fait sur la chose.
    • Ce pouvoir dont est titulaire le détenteur ne s’accompagne pas néanmoins de l’animus
    • Ce dernier n’a, en effet, pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
    • Ses agissements se limitent à exercer une emprise matérielle sur la chose, sans intention de se l’approprier
    • C’est là une différence fondamentale avec la possession qui se caractérise notamment par l’animus.
    • La conséquence en est que, en l’absence de l’animus, la détention ne peut emporter aucun des effets juridiques attachés à la possession, spécialement l’effet acquisitif.

==> Les effets

Dernière différence entre la détention et la possession : leurs effets respectifs. Tandis que la détention se caractérise par l’obligation de restitution qui pèse sur le détenteur, la possession permet au possesseur d’acquérir, sous certaines conditions, le bien possédé.

  • La restitution de la chose
    • Particularité de la détention, qui ne se retrouve pas dans la possession, le détenteur a vocation à restituer la chose à son propriétaire ; d’où la qualification de détention précaire
    • L’obligation de restitution résulte du titre qui fonde le pouvoir exercé sur la chose par le détenteur
    • Lorsque, en effet, la situation de droit cesse de produire ses effets, le détenteur doit restituer la chose
    • Ainsi, à l’échéance du contrat, le locataire doit quitter les lieux, le dépositaire doit rendre la chose au déposant et l’emprunteur doit rembourser la somme d’argent prêtée au prêteur
    • L’obligation de restitution rend certes la détention de la chose précaire
    • Cette précarité est toutefois somme toute relative, dans la mesure, le détenteur est protégé par un titre.
    • Si le contrat de bail exige que la chose louée soit restituée à l’échéance du terme, il oblige également le bailleur à assurer au preneur la jouissance paisible de la chose pendant toute la durée du bail.
    • Sur cet aspect la situation du détenteur précaire est bien moins favorable que celle du possesseur sur lequel ne pèse, certes, aucune obligation de restitution, mais dont le pouvoir qu’il exerce sur la chose peut être contesté par un tiers.
    • Le possesseur n’a, en effet, pas vocation, a priori, à restituer le bien puisque, par hypothèse, il a la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire.
    • Reste que la possession peut être affectée par un certain nombre de vices de nature à la priver d’efficacité, voire à la remettre en cause.
    • Tel n’est pas le cas de la détention précaire qui résulte toujours d’une situation de droit et qui, par voie de conséquence, procure au détenteur une certaine sécurité juridique
  • L’acquisition de la chose
    • L’un des principaux effets attachés à la possession est de permettre au possesseur d’acquérir le bien par voie de prescription.
    • À cet égard, l’article 2258 du Code civil dispose que « la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi.»
    • Autrement dit, le possesseur peut devenir le propriétaire, de droit, de la chose en cas de possession continue et prolongée dans le temps.
    • C’est là une différence fondamentale avec la détention qui, par principe, n’emporte aucun effet acquisitif.
    • Il est néanmoins des cas exceptionnels où ma loi lui attache cet effet.
      • Principe
        • À la différence de la possession, la détention ne produit pas d’effet acquisitif.
        • Ce principe est énoncé à plusieurs reprises dans le Code civil
        • Ainsi, l’article 2257 prévoit que « quand on a commencé à posséder pour autrui, on est toujours présumé posséder au même titre, s’il n’y a preuve du contraire»
        • L’article 2266 dispose encore que :
          • D’une part, « ceux qui possèdent pour autrui ne prescrivent jamais par quelque laps de temps que ce soit. »
          • D’autre part, « ainsi, le locataire, le dépositaire, l’usufruitier et tous autres qui détiennent précairement le bien ou le droit du propriétaire ne peuvent le prescrire. »
        • La règle ainsi posée se justifie par l’absence d’animus chez le détenteur.
        • Celui-ci n’a, a priori, pas l’intention de se comporter comme le véritable propriétaire du bien avec lequel il entretient généralement une relation contractuelle.
        • À supposer que détenteur possède cet animus, il y a lieu de protéger le véritable propriétaire de la chose contre les manœuvres du possesseur.
        • Admettre que la détention puisse produire un effet acquisitif reviendrait à considérablement fragiliser le droit réel dont est titulaire le propriétaire toutes les fois qu’il consent à autrui la détention de la chose dans le cadre d’une relation contractuelle.
      • Exceptions
        • Le code civil pose plusieurs d’exceptions à l’impossibilité pour le détenteur d’acquérir le bien par voie de prescription
          • Première exception : la transmission du bien à un tiers
            • L’article 2269 du Code civil admet que lorsque le bien a été transmis par le détenteur précaire à un tiers, la prescription acquisitive peut jouer
              • En matière de meuble, si l’effet acquisitif est immédiat, le tiers doit être un possesseur de bonne foi ( 226 C. civ.)
              • En matière d’immeuble, le délai de la prescription acquisitive est de 10 ans si le tiers est de bonne foi et de trente ans s’il est de mauvaise foi
          • Seconde exception : l’interversion de titre
            • L’article 2268 du Code civil dispose que les détenteurs précaires « peuvent prescrire, si le titre de leur possession se trouve interverti, soit par une cause venant d’un tiers, soit par la contradiction qu’elles ont opposée au droit du propriétaire.»
            • Cette situation correspond à l’hypothèse où le détenteur précaire décide de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
            • On parle alors d’interversion de titre : le détenteur qui est censé être dépourvu d’animus conteste au propriétaire son droit de propriété
            • Si ce dernier ne réagit pas, il s’expose à ce que le détenteur, en application de l’article 2268 du Code civil, se prévale de la prescription acquisitive
            • L’interversion de titre peut également intervenir du fait d’un tiers : c’est l’hypothèse où le détenteur a transmis la chose à un tiers de bonne foi.
            • Ce dernier est alors susceptible de se comporter comme le propriétaire de la chose

II) Détention précaire et acte de pure faculté ou de simple tolérance

Lorsque le pouvoir de fait exercé sur la chose ne correspond ni à une situation de possession, ni à une situation de détention précaire, on dit de l’agent qu’il est « occupant sans droit, ni titre ».

Tout au plus, lorsque l’emprise matérielle que l’occupant exerce sur le bien est consentie par le propriétaire, elle correspond à ce que l’on appelle un acte de pure faculté ou de simple tolérance.

L’acte de pure faculté ou de simple tolérance peut se définir comme la détention d’un bien  avec la permission tacite ou expresse du propriétaire.

À la différence de la détention précaire qui repose sur un titre, la détention résulte ici de la seule volonté du propriétaire de la chose.

Cette situation se rencontre notamment en matière de servitude qui est une charge établie sur un immeuble pour l’usage et l’utilité d’un fonds voisin appartenant à un autre propriétaire.

Il s’agit d’un démembrement de la propriété de l’immeuble que la servitude grève et d’un droit accessoire de la propriété du fonds auquel elle bénéficie. Comme un droit réel, la servitude peut parfois être acquise par prescription. Pour ce faire, elle doit faire l’objet d’une possession pendant une certaine durée.

Toutefois, ainsi que le prévoit l’article 2262 du Code civil « les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. »

Ainsi, lorsque la détention ne résulte pas d’un titre et que le détenteur n’a pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, elle ne produit aucun effet.

Cette règle a, par exemple, trouvé à s’appliquer dans un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 6 mai 2014. La troisième chambre civile a, en effet, validé la décision d’une Cour d’appel qui avait retenu « qu’un acte de pure faculté de simple tolérance ne pouvait fonder ni possession ni prescription » (Cass. 3e civ. 6 mai 2014, n°13-16790).

Dès lors, le fait pour le propriétaire d’un champ d’autoriser un voisin à faire paître son troupeau d’animaux sur ce champ ne fait pas du voisin le possesseur d’une servitude de passage et de pâturage.

Pareillement, le simple passage à pied sur le terrain d’autrui, toléré par le propriétaire, ne suffit pas à constituer possession, faute d’élément intentionnel.

Au fond, l’acte de pure faculté ou de simple tolérance consiste en l’exercice normal du droit de propriété qui, n’empiétant pas sur le fonds d’autrui, ne constitue pas un acte de possession capable de faire acquérir, par usucapion, un droit sur ce fonds.

Cet acte de pure faculté ou de simple tolérance est admis, soit parce que le propriétaire du fonds l’a expressément autorisé, soit parce qu’il y consent tacitement par souci d’amitié, de bon voisinage, d’obligeance ou encore altruisme.

==> Au bilan, les différents cas dans lesquels est susceptible de se trouver celui qui exerce un pouvoir de fait ou de droit sur la chose correspondent à quatre situations :

Possession - Corpus

Les restitutions consécutives à l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité): régime juridique

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

?Fondement des restitutions

La question s’est posée en doctrine du fondement des restitutions. Il ressort de la littérature produite sur le sujet que deux thèses s’affrontent :

  • Première thèse : la répétition de l’indu et l’enrichissement injustifié
    • Certains auteurs ont cherché à fonder le système des restitutions sur les règles qui régissent l’enrichissement injustifié et la répétition de l’indu.
    • Selon cette thèse, l’anéantissement de l’acte aurait pour effet de priver de cause les prestations fournies par les parties, de sorte que ce qui a été reçu par elles deviendrait injustifié ou indu ; d’où l’obligation – quasi contractuelle – de restituer, tantôt en nature, tantôt en valeur, ce qui est reçu.
    • Bien que cette thèse soit séduisante en ce qu’elle permet de justifier les restitutions, tant pour les cas de nullité, que pour les cas de résolution ou de caducité, elle a été rejetée par la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 24 septembre 2002, la première chambre civile a, en effet, jugé que « les restitutions consécutives à une annulation ne relèvent pas de la répétition de l’indu mais seulement des règles de la nullité » (Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, n° 00-21.278).
  • Seconde thèse : la rétroactivité attachée à la disparition de l’acte
    • La seconde thèse, soutenue par une partie de la doctrine, consiste à dire que le fondement des restitutions résiderait dans la rétroactivité attachée à l’anéantissement de l’acte.
    • Au fond, les restitutions ne seraient autres que la mise en œuvre de la fiction juridique qu’est la rétroactivité.
    • Dès lors que l’on considère que l’acte est réputé n’avoir jamais existé, il y a lieu de remettre les parties au statu quo ante, ce qui suppose qu’elles restituent ce qu’elles ont reçu.
    • Là aussi, bien que séduisant, l’argument n’emporte pas totalement la conviction, ne serait-ce que parce qu’il induit que les restitutions ne peuvent avoir lieu qu’en cas de rétroactivité.
    • Or certaines sanctions, telles que la caducité ou la résiliation ne sont assorties d’aucun effet rétroactif et pourtant pèse sur les parties l’obligation de restituer ce qu’elles ont reçu.

Un auteur a tenté de concilier les deux thèses en avançant fort opportunément que « à la différence de la nullité, qui tend à supprimer les effets juridiques attachés à l’acte s’il avait été valablement conclu, les restitutions tendent à supprimer les effets matériels produits par l’exécution de l’acte »[1]

Finalement, le législateur a mis un terme au débat en déconnectant les restitutions des parties du Code civil consacrées au contrat et aux quasi-contrats à la faveur d’un régime juridique autonome.

Désormais, les restitutions ont pour seul fondement juridique la loi, indépendamment des sanctions qu’elles ont vocation à accompagner.

?Nature des restitutions

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la question s’est posée de la nature des restitutions.

Plus précisément on s’est interrogé sur leur nature indemnitaire : les restitutions, en particulier lorsqu’elles consistent en le versement d’une somme d’argent en raison de l’impossibilité de restituer la chose reçue, ne viseraient-elles pas, au fond, à compenser le préjudice résultant de l’anéantissement de l’acte ?

À plusieurs reprises, la Cour de cassation a répondu négativement à cette question, jugeant, par exemple, dans un arrêt du 25 octobre 2006 que « la restitution à laquelle le vendeur est condamné à la suite de la diminution du prix prévue par l’article 46, alinéa 7, de la loi du 10 juillet 1965 résultant de la délivrance d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constituait pas un préjudice indemnisable » (Cass. 3e civ. 25 oct. 2006, n°05-17.427)

Dans un arrêt du 28 octobre 2015, elle a encore considéré que « la restitution du dépôt de garantie consécutive à la nullité d’un bail commercial ne constituant pas en soi un préjudice indemnisable » (Cass. 1ère 28 oct. 2015, n°14-17.518)

La Cour de cassation en tire la conséquence que, en cas de restitutions consécutives à l’anéantissement d’un acte, la responsabilité de son rédacteur (notaire ou avocat) ne peut pas être recherchée.

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la troisième chambre civile a jugé en ce sens que « la restitution du prix perçu à laquelle le vendeur est condamné, en contrepartie de la restitution de la chose par l’acquéreur, ne constitue pas un préjudice indemnisable » raison pour laquelle il n’a y pas lieu de condamner le notaire instrumentaire de la vente annulée à garantir le remboursement du prix du bien objet de ladite vente (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2016, n° 15-12.719).

?Domaine des restitutions

Le domaine des restitutions est défini par les nombreux renvois qui figurent dans le Code civil et qui intéressent :

  • Les nullités (art. 1178, al. 3 C. civ.)
  • La caducité (art. 1187, al. 2 C. civ.)
  • La résolution (art. 1229, al. 4 C. civ.)
  • Le paiement de l’indu (art. 1302-3, al. 1er C. civ.)

Cette liste est-elle limitative ? Peut-on envisager que des restitutions puissent jouer en dehors des cas visés par le Code civil ? D’aucuns le pensent, prenant l’exemple des clauses réputées non-écrites. Cette sanction, peut, il est vrai, en certaines circonstances, donner lieu à des restitutions.

?Articulation du régime juridique

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

En parallèle, les articles 1352-4 et 1352-9 posent des règles applicables à toutes les formes de restitutions.

§1 : Les règles propres à chaque restitution

I) La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent

?Textes

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent est régie aux articles 1352 à 1352-3 du Code civil. L’article 1352-5 du Code civil en complète le régime.

?Domaine

Par chose, il faut entendre, tant les meubles que les immeubles, à l’exclusion des sommes d’argent.

La restitution de ces dernières fait l’objet d’un traitement spécifique à l’article 1352-6. Cette disposition a, en effet, vocation à s’appliquer lorsque l’exécution de l’obligation consiste en le paiement d’une valeur monétaire.

Quant aux contrats dont l’anéantissement conduit à la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent, il peut s’agir, tout aussi bien de contrats translatifs de propriété (contrat de vente, contrat d’entreprise, donation, échange etc.), que de contrats qui ne font que mettre à la disposition du débiteur une chose sans lui en transférer la propriété (contrat de bail, contrat de dépôt, contrat de prêt, etc.).

?Régime

Lorsque la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, le principe posé par l’article 1352 du Code civil, c’est la restitution en nature.

Par exception, soit lorsque la restitution en nature s’avère impossible, la restitution se fera en valeur, soit par équivalent monétaire.

A) Principe : la restitution en nature

1. Exposé du principe

L’article 1352 du Code civil pose donc le principe de restitution en nature des choses autres qu’une somme d’argent.

L’instauration de ce principe, d’abord reconnu par la jurisprudence, puis consacré par la loi, procède de l’objectif poursuivi par le législateur qui vise à remettre les parties dans la situation patrimoniale à laquelle elles se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité entachant l’acte ou de son inexécution.

Aussi, le retour à ce statu quo ante suppose, avant toute chose, d’exiger des parties qu’elles restituent à l’autre ce qui se trouve encore entre dans leurs patrimoines respectifs.

Lorsqu’il s’agit de restituer en nature un corps certain, la partie qui le détient devra restituer à son cocontractant le même corps certain que celui qui lui a été remis lors de son entrée en possession.

Lorsque, en revanche, la restitution porte sur une chose de genre, la chose rendue devra être de même nature, être restituée dans la même quotité et présenter les mêmes qualités.

2. Mise en œuvre du principe

Si, en cas d’anéantissement d’un acte, la restitution, en nature, des choses qui se trouvaient dans les patrimoines respectifs des parties est une étape nécessaire vers un retour au statu quo ante, cette opération n’est, dans bien des cas, pas suffisante.

Entre le moment où la chose a été remise et la date de sa restitution, des événements sont, en effet, susceptibles d’avoir affecté l’état de la chose.

Elle peut, tout aussi bien avoir été détériorée ou s’être dégradée, qu’avoir fait l’objet d’améliorations ou de réparations.

Des dépenses auront, par ailleurs, pu être exposées pour assurer sa conservation. La chose peut encore avoir produit des fruits en même temps qu’il a été permis à son détenteur d’en jouir.

Aussi, afin de se rapprocher de la situation dans laquelle les parties se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité ayant entaché l’acte ou de son inexécution, il est nécessaire de rétablir les équilibres qui ont pu être rompus en raison :

  • Soit des dépenses exposées par détenteur de la chose pour assurer sa conservation
  • Soit des circonstances qui ont affecté l’état de la chose (plus-values et moins-values)
  • Soit de la jouissance que la chose a procurée et des fruits dont le détenteur a tiré profit

Pour ce faire, les articles 1352-1, 1352-3 et 1352-5 du Code civil prévoient un certain nombre de règlements accessoires à la restitution, en principal, de la chose qui visent, selon la doctrine, à tenir compte de l’écoulement du temps.

Plus précisément, ces règlements accessoires à la restitution de la chose ont été institués pour traiter :

  • Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose
  • Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
  • Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

a. Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose

L’article 1352-1 du Code civil dispose que « celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »

Il ressort de cette disposition que la restitution en nature de la chose suppose qu’elle soit rendue au créancier dans le même état que celui dans lequel elle se trouvait au moment de sa remise.

Aussi, dans l’hypothèse où la chose objet de la restitution est dégradée ou détériorée, pèse sur la partie qui détient la chose une obligation d’indemnisation du créancier, ainsi que le suggère l’emploi du terme « répond ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par dégradation et détérioration.

Plus précisément, ces deux notions couvrent-elles seulement les altérations anormales affectant accidentellement ou intentionnellement l’état de la chose ou embrassent-elles également l’usure résultant de l’usure normale de la chose ?

Dans le silence des textes, les deux interprétations sont possibles. Reste que, par analogie avec les règles qui régissent le contrat de bail, il peut être postulé que l’usure normale de la chose restituée ne donne pas lieu à indemnisation, à l’instar du local restitué au bailleur en fin de bail.

À cet égard, dans un arrêt du 8 mars 2005 la Cour de cassation avait considéré que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a faite, à l’exclusion de celle due à la vétusté » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Lorsque, en revanche, l’altération de l’état de la chose ne résulte pas de son usure normale, alors le débiteur de l’obligation de restituer doit indemniser le créancier.

Cette indemnisation est toutefois subordonnée à la réunion de deux conditions alternatives :

  • Première condition : la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de restituer
    • L’article 1352-1 du Code civil prévoit que l’indemnisation ne peut avoir lieu en cas de dégradation ou de détérioration de la chose qu’à la condition que le débiteur de l’obligation de restituer soit de mauvaise foi.
    • Ce dernier sera de mauvaise foi lorsqu’il connaissait la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.
    • Autrement dit, le débiteur savait qu’il ne pouvait pas valablement détenir et jouir de la chose.
    • Il importe peu que la dégradation ou la détérioration de la chose soit de sa faute : dans les deux cas, dès lors que sa mauvaise foi est établie, il a l’obligation d’indemniser le créancier de la restitution.
  • Seconde condition : la faute du débiteur de l’obligation de restituer
    • Il s’infère de l’article 1352-1 du Code civil que, dans l’hypothèse où le débiteur serait de bonne foi, le créancier ne pourra solliciter une indemnisation que s’il démontre que les dégradations ou détériorations de la chose résultent de la faute du débiteur.
    • À défaut, aucune indemnisation ne sera due, sauf à ce que le débiteur de l’obligation de restitution soit de mauvaise foi, ce qui sera suffisant pour l’obliger à réparer le préjudice résultant de l’altération de l’état de la chose.

b. Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose

L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. »

La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».

Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties au statu quo ante.

Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de l’obligation de restituer résultant :

  • D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
  • D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur

Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

b.1. Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

?) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

  • La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que « dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité dont la vente est entachée dès l’origine ».
    • Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation de la machine » (Cass. 1ère civ. 1 juin 1987, n°84-16.624)
    • La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11 mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ. 2003, 01-01.673)
    • La première chambre civile fait ici manifestement une application stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme monétaire interdisant toute revalorisation.
    • Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre civile.
  • La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à indemnisation
    • Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre civile.
    • Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644, 1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas existé »
    • Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-15.722).
    • La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26 janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1994, n° 91-20.934).
    • Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003 (Cass. 3e civ. 12 mars 2003, n°01-17.207), soit le lendemain de l’arrêt rendu par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass. 1ère civ. 2003, n°01-01.673).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième chambre civile.
    • Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302i).
    • Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le sens de la position adoptée par la première chambre civile.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
    • Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass. ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508).
    • Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail.
    • Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une indemnisation au preneur.
    • Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le 24 juin 2009 par la première chambre civile (Cass. 3e civ. 24 juin 2009, n° 08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre commerciale du 3 décembre 2015.
    • Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété » (Cass. com. 3 déc. 2015, n°14-22.692).

Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution des conventions, la contrepartie effective »[2].

Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une « règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].

Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].

Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la charge de celui qui les a exécutées »[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la restitution en nature de la chose[6].

Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

?Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu, corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. »

Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »

En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article 1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

?) La restitution des fruits produits par la chose

À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e civ. 5 juill. 1978, n°77-11.157). Elle a eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e civ. 28 juin 1983, n°81-14.889).

À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une obligation de restitution des fruits.

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

?Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la chose elle-même.

Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

  • D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des fruits par le débiteur », soit plus précisément à la date du jugement
  • D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation », ce qui signifie que le créancier ne peut réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur. Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que « si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a pris possession » (Cass. 1ère civ., 20 juin 1967)

Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

b.2. L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée, la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à laquelle il est entré en possession de la chose.
  • Le débiteur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date d’introduction de l’action en justice.

c. Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

L’article 1352-5 du Code civil dispose que « pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. »

Il ressort de cette disposition que toutes les dépenses qui ont été exposées par le débiteur pour conserver ou pour améliorer à la chose donnent lieu à restitution.

Cette règle participe toujours de l’idée que si le débiteur ne doit pas s’être enrichi en jouissant de la chose ou en en percevant les fruits, il en va de même pour le créancier qui ne doit pas pouvoir tirer profit de la restitution de la chose lorsqu’elle a fait l’objet d’améliorations ou que des frais de conservation ont été exposés par son détenteur.

Pour cette raison, l’article 1352-5 du Code civil prévoit que les frais et dépenses exposées par le débiteur de l’obligation de restituer durant l’exécution du contrat doivent être supportés par le créancier.

À l’examen, l’évaluation de la restitution est envisagée différemment selon que les dépenses exposées concernent la conservation de la chose ou l’amélioration de la chose.

  • S’agissant des dépenses de conservation de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses nécessaires à la conservation de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les dépenses de conservation visées par cette disposition.
    • La lecture du texte révèle que seules les dépenses nécessaires à sa conservation donnent lieu à restituer.
    • Autrement dit, ces dépenses doivent être indispensables, ce qui exclut, par hypothèse, les dépenses somptuaires au sens de l’article
    • Concrètement, il s’agira ainsi des dépenses courantes, des frais d’entretien, ainsi que des frais attachés à la possession de la chose, tels que les impôts let autres taxes par exemple.
    • Contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 1352-5 du Code civil, afin de déterminer le montant de la restitution, il n’y a pas lieu de plafonner les dépenses de conservation à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution. »
    • Et pour cause ce type de dépenses n’a pas vocation à apporter une plus-value à la chose, seulement à la maintenir dans son état initial.
    • L’indemnisation du débiteur doit donc couvrir l’intégralité des dépenses de conservation exposées, sans limite de montant.
    • Le plafonnement de l’indemnisation ne concerne, en réalité, que les dépenses d’amélioration.
  • S’agissant des dépenses d’amélioration de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses qui ont augmenté la valeur de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer, ce « dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Il ressort de ce texte que l’indemnisation due au débiteur doit être calculée, non pas sur la plus-value intrinsèque apportée à la chose, mais sur la base des dépenses exposées.
    • Ainsi, dans l’hypothèse où la plus-value serait de 200 et que les dépenses exposées par le débiteur représenteraient un coût de 100, la restitution ne pourrait pas être supérieure à 100.
    • Seules les améliorations résultant de dépenses ne peuvent donc donner lieu à restitution.
    • L’article 1352-5 précise que le montant de l’indemnisation est, en toute hypothèse, plafonné à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit le montant le montant des dépenses exposées est inférieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas le débiteur pourra être intégralement indemnisé
      • Soit le montant des dépenses exposées est supérieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas l’indemnisation du débiteur sera plafonnée à hauteur de cette plus-value.
    • À cet égard, tandis que le montant des dépenses s’apprécie au jour où elles ont été exposées, le montant de la plus-value est, quant à lui, apprécié à la date de la restitution, soit du jugement.

B) Exception : la restitution en valeur

L’article 1352 du Code civil prévoit que, par exception au principe de restitution en nature de la chose, lorsque cette restitution est impossible, elle a lieu en valeur.

Ce texte envisage ainsi l’hypothèse du débiteur qui n’est plus en possession de la chose au jour où naît l’obligation de la restituer.

Seule alternative pour surmonter l’obstacle : obliger le débiteur à restituer la chose par équivalent, soit en valeur.

Bien que simple en apparence, cette solution n’est toutefois pas sans soulever plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent :

  • D’une part, à la délimitation du domaine de l’impossibilité
  • D’autre part, aux modalités d’estimation de la valeur restituée

1. Le domaine de l’impossibilité

?L’étendue du domaine de l’impossibilité

La première question qui se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer que la restitution de la chose est impossible.

Lorsque la chose a disparu ou a péri, l’impossibilité de la restituer s’impose d’elle-même. Il en va de même pour les choses consomptibles.

Plus délicate est, en revanche, la question pour les choses dont le débiteur est toujours en possession mais pour lesquelles la restitution représenterait pour lui un coût si élevé qu’il serait déconnecté de l’économie initiale du contrat.

Dans un arrêt du 18 février 1992, la Cour de cassation a répondu à cette question en censurant une Cour d’appel pour avoir mis à la charge d’un débiteur une obligation de restituer en nature consécutivement à l’anéantissement d’un contrat considérant, au cas particulier, que « l’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves, et qu’elle est susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur ; qu’elle est ainsi disproportionnée avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l’exclusivité d’achat du carburant et constitue un frein à la concurrence d’autres fournisseurs, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com. 18 févr. 1992, n°87-12.844).

Ainsi, pour la Cour de cassation, lorsque la restitution en nature serait disproportionnée eu égard le résultat recherché par l’anéantissement de l’acte, soit un retour au statu quo, elle ne peut avoir lieu qu’en valeur.

Cette solution a été réaffirmée par la troisième chambre civile dans un arrêt du 15 octobre 2015 aux termes duquel elle a cassé la décision d’une Cour d’appel à laquelle elle reprochait de n’avoir pas recherché « si la démolition de l’ouvrage, à laquelle s’opposait la société Trecobat, constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass. 3e civ. 15 oct. 2015, n°14-23.612).

Dans le silence de l’article 1352 du Code civil sur la notion d’impossibilité, peut-on considérer que cette jurisprudence a été reconduite par le législateur ?

D’aucuns postulent que la réponse à cette question résiderait dans la comparaison de l’article 1352 avec l’article 1221.

En effet, cette dernière disposition exige expressément la réalisation d’un contrôle de proportionnalité pour déterminer s’il y a lieu d’exclure l’exécution forcée en nature d’une obligation en cas d’inexécution du contrat.

Tel n’est pas le cas de l’article 1352 qui est silencieux sur ce point s’agissant de l’exclusion de la restitution de la chose en nature.

Pour l’heure la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée, de sorte qu’il est difficile de tirer des conclusions sur le maintien de la jurisprudence antérieure.

?Cas particulier de la revente de la chose

L’article 1352-2 du Code civil envisage le cas particulier de la revente de la chose qui devait être restituée au vendeur en suite de l’anéantissement du contrat.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que lorsque l’acquéreur revend la chose qui lui a été délivrée, la restitution s’opère en valeur.

Selon le texte, il y a néanmoins lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

Si, de prime abord, l’on est tenté d’apprécier la bonne foi de l’acquéreur au moment de la délivrance de la chose, certains auteurs plaident pour que cette appréciation se fasse au stade de la revente[7].

Il peut, en effet, parfaitement être envisagé que l’acquéreur ignorât la cause d’anéantissement du contrat au moment de la délivrance de la chose, mais que, en revanche, il l’ait revendue en toute connaissance de cause.

L’objectif recherché par l’article 1352-2, al.2 étant de sanctionner l’acquéreur qui, sciemment, a cherché à tirer profit de la revente de la chose au préjudice du vendeur, il ne serait pas aberrant d’apprécier sa bonne foi au jour de la revente de la chose.

Dans le silence de l’article 1352-2, c’est à la jurisprudence qu’il reviendra de se prononcer sur cette question.

Reste que, en toute hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

  • L’acquéreur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352-2 prévoit qu’il ne doit restituer que le prix de la vente de la chose
    • Le prix à restituer est celui, non pas de l’acquisition initiale de la chose, mais celui de la revente.
    • L’acquéreur ne peut ainsi tirer profit de la revente, ni s’appauvrir, l’objectif recherché étant une opération à somme nulle.
  • L’acquéreur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352 dispose qu’il « en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
    • Autrement dit, pour déterminer le montant de la somme à restituer, il convient de se placer non pas au moment de la revente de la chose, mais à la date de sa restitution qui, concrètement, correspond à celle du jugement.
    • À cet égard, le texte oblige l’acquéreur de mauvaise foi à restituer la plus forte des deux sommes entre le prix de revente de la chose et sa valeur au moment de la restitution
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est inférieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur ne devra restituer au vendeur que ce seul prix de revente
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est supérieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur devra restituer au vendeur non seulement ce seul prix de revente, mais encore la plus-value réalisée au jour du jugement
    • Le sort réservé ici à l’acquéreur de mauvaise foi est manifestement pour le moins défavorable dans la mesure où il sera privé des profits réalisés en suite de la revente de la chose.

2. Les modalités d’estimation de la valeur restituée

Une fois admis que la restitution de la chose en nature est impossible, reste à estimer sa valeur afin que puisse être restituée au créancier une somme d’argent.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, à quelle date la valeur de la chose doit-elle être estimée ?
  • D’autre part, quel critère d’estimation retenir pour déterminer la valeur de la chose ?

?Sur la date d’estimation de la valeur de la chose

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du droit des obligations, la jurisprudence avait posé, en l’absence de texte, que pour estimer la valeur de la chose restituée il y avait lieu de se situer à la date de remise de la chose.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la chambre commerciale a jugé en ce sens, s’agissant d’une annulation de cession de titres sociaux, que « l’annulation de la cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en nature n’est plus possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 15 juin 2005, n°03-12.339).

Cette solution a été reconduite dans une décision rendue le 14 mai 2013 aux termes de laquelle la Cour de cassation a considéré que « l’annulation d’une cession de parts sociales confère au vendeur, dans la mesure où leur restitution en nature n’est pas possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur laquelle doit être appréciée au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637).

Prenant le contre-pied de cette jurisprudence, l’ordonnance du 10 février 2016 a retenu la solution inverse en prévoyant que lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur, cette valeur est « estimée au jour de la restitution. »

Ce n’est donc plus à la date de la remise de la chose au débiteur que sa valeur doit être estimée, mais au jour du jugement qui ordonne sa restitution.

L’objectif recherché par le législateur était de calquer la restitution en valeur sur la restitution en nature.

Autrement dit, il a voulu que les plus-values et moins-values réalisées par le débiteur soient prises en compte dans l’évaluation du montant de la restitution. Il ne faudrait pas qu’une partie s’enrichisse au préjudice de l’autre, à raison de la survenance de circonstances postérieures à la conclusion du contrat anéanti.

Il peut être observé que, contrairement à la restitution de la valeur de la jouissance ou des fruits procurés par la chose, il est indifférent, ici, que le débiteur soit de bonne ou mauvaise foi : dans les deux cas, l’estimation de la valeur à restituer doit être effectuée au jour de la restitution de la chose.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la chose

Autre question qui se pose lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur : quid du critère de son évaluation ? En d’autres termes, doit-on retenir le prix stipulé par les parties dans le contrat ou doit-on se référer au prix du marché ?

L’article 1352 est silencieux sur ce point. Reste que dans un arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, que « la créance de restitution en valeur d’un bien, est égale, non pas au prix convenu, mais à la valeur effective, au jour de la vente, de la chose remise » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Ainsi, est-ce une approche objective qui avait été retenue par la première chambre civile, la position adoptée consistant à dire, en substance, que l’estimation de la chose doit être effectuée sur la base de sa valeur effective au moment de sa restitution et non en considération du prix initialement fixé par les parties.

Manifestement, cette solution se concilie parfaitement bien avec l’exigence d’estimation de la valeur de la chose au jour de sa restitution, de sorte qu’il est fort probable que la solution dégagée par la Cour de cassation en 2005 soit maintenue.

II) La restitution d’une somme d’argent

L’article 1352-6 du Code civil prévoit que « la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue. »

Ainsi, appartient-il à la partie qui a reçu une somme d’argent au titre d’un acte qui a été anéanti de la restituer, augmentée des intérêts et, éventuellement, des taxes y afférentes.

Deux questions ici se posent :

  • Quid de la valorisation de la somme d’argent à restituer ?
  • Quid des accessoires de la somme d’argent à restituer ?

?Sur la valorisation de la somme d’argent à restituer

La question qui ici se pose est de savoir si cette restitution est soumise au principe du nominalisme monétaire ou si elle obéit à la règle du valorisme.

  • Si l’on applique le principe du nominalisme monétaire, cela signifie que le débiteur doit restituer au créancier le montant nominal de la somme d’argent reçue
  • Si l’on applique le principe du valorisme monétaire, cela signifie, au contraire, que la somme d’argent restituée doit avoir été actualisée au jour de la restitution afin qu’il soit tenu compte des phénomènes d’inflation et de dépréciation monétaires

L’analyse de la jurisprudence antérieure révèle que la Cour de cassation avait retenu la première solution, puisque appliquant la règle du nominalisme monétaire.

Dans un arrêt du 7 avril 1998, elle a jugé en ce sens que « la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat et de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement ; que si, en cas de résolution d’un contrat de vente, le vendeur doit restituer le prix, ce prix ne peut s’entendre que de la somme qu’il a reçue, éventuellement augmentée des intérêts, et sauf au juge du fond à accorder en outre des dommages-intérêts ; que, dès lors, c’est sans se contredire et en faisant une exacte application du principe précité, que la cour d’appel, qui n’a pas fait échec à la règle de la réparation intégrale, et qui, pour une créance d’argent, n’avait pas à se référer à la notion de dette de valeur, a statué comme elle l’a fait » (Cass. 7 avr. 1998, n°96-18.790).

Qu’en est-il de l’ordonnance du 10 février 2016 ? Retiennent-ils également la règle du nominalisme monétaire ? Si, les nouvelles dispositions du Code civil consacrées aux restitutions sont silencieuses sur ce point, une règle s’infère de l’article 1343 de ce code.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal. »

C’est donc bien la règle du nominalisme qui est posée par ce texte. Tout indique qu’elle est pleinement applicable aux restitutions.

?Sur les accessoires de la somme d’argent à restituer

Il ressort de l’article 1352-6 du Code civil que, lorsque la restitution porte sur une somme d’argent, plusieurs éléments devront être restitués au créancier : le capital reçu, les intérêts produits par le capital et les taxes.

  • S’agissant du capital
    • Il s’agit de la somme d’argent reçu par le débiteur consécutivement à la conclusion du contrat.
    • Le montant du capital versé au créancier sera, en application de la règle du nominalisme monétaire, identique à celui reçu par le débiteur.
  • S’agissant des intérêts
    • Il s’agit des intérêts produits par le capital calculés au taux légal
    • Il peut être observé que, à la différence de l’article 1352-3, l’article 1352-6 n’inclut pas les fruits dans la restitution de la somme d’argent.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse cette somme d’argent aurait rapporté au débiteur des intérêts au moyen d’un investissement financier, il ne sera tenu de restituer que le montant des intérêts légaux.
    • Il conservera donc le surplus d’intérêts produits par le capital.
  • S’agissant des taxes acquittées entre les mains du débiteur
    • Il s’agit de toutes les taxes susceptibles d’avoir été réglées par le débiteur au créancier lorsqu’il a reçu la somme d’argent.
    • Tel est le cas notamment de la TVA qui, par voie de conséquence, devra être restituée, peu importe que le débiteur ait pu la récupérer auprès de l’administration fiscale.
    • Cette solution avait déjà été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 juin 1990 (Cass. com., 26 juin 1990, n° 88-17.892).

III) La restitution d’une prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil dispose que « la restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie. »

Par hypothèse, lorsque le contrat anéanti portait sur la fourniture d’une prestation de service, la restitution ne peut pas se faire en nature. Une prestation de service consiste, en effet, toujours en la mise à disposition d’une force de travail. Or cette force de travail, une fois fournie, ne peut être ni annulée, ni restituée.

Aussi, le législateur en a tiré la conséquence, en posant à l’article 1352-8 que la restitution d’une prestation de service devait nécessairement avoir lieu en valeur.

Cette disposition intéresse particulièrement le contrat d’entreprise et le contrat de mandat. S’agissant du contrat d’entreprise par exemple, tandis que le maître d’ouvrage restituera au maître d’œuvre le prix de la prestation payé, le maître d’œuvre restituera au maître d’ouvrage la valeur de la prestation fournie

Toute la question est alors de savoir comment évaluer la valeur de la prestation de service objet de la restitution.

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que la restitution ne porte que sur la valeur de la prestation fournie en tant que telle et non sur la valeur des bénéfices procurés au débiteur.

Ainsi, dans un contrat d’entreprise, ce qui devra être restitué c’est le coût de la prestation fournie par le maître d’œuvre et non la valeur de l’ouvrage qui a été réalisé.

Dans un arrêt du 13 septembre 2006, la Cour de cassation avait considéré en ce sens que « dans le cas où un contrat nul a été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient avant cette exécution, que condamnée à réparer le préjudice subi par l’entrepreneur principal à la suite des désordres survenus sur les travaux sous-traités, la société CIFN était en droit d’obtenir la restitution par cet entrepreneur des sommes réellement déboursées, sans que soit prise en compte la valeur de l’ouvrage » (Cass. 3e civ. 13 sept. 2006, n°05-11.533).

Dans un arrêt du 10 décembre 2014 la haute juridiction a encore jugé que « pour remettre les parties d’un contrat d’intégration annulé dans leur état antérieur, seules doivent être prises en considération les prestations fournies par chacune d’elles en exécution de ce contrat, sans avoir égard aux bénéfices tirés de celui-ci par l’intégrateur » (Cass. 1ère 10 déc. 2014, n°13-23.903).

Une fois l’objet de la restitution identifiée lorsque celle-ci porte sur une prestation de service, reste à déterminer comment estimer sa valeur, ce qui conduit à s’interroger sur deux choses :

  • La date d’estimation de la valeur de la prestation de service
  • Le critère d’estimation de la valeur de la prestation de service

?Sur la date d’estimation de la valeur de la prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil prévoit que la valeur de la prestation de service « est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie. »

La solution retenue ici par le législateur est conforme à la jurisprudence antérieure (V. en ce sens Cass. 3e civ. 18 nov. 2009, n°08-19.355).

Il peut être observé que la date ici prise en compte par le texte pour estimer la valeur de la prestation fournie est totalement différente de celle retenue en matière de restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent lorsque la restitution en nature est impossible.

En effet, dans cet autre cas de figure, la valeur de la chose doit être estimée, non pas au jour de l’entrée en possession du débiteur, mais au jour de sa restitution par équivalent monétaire.

Les auteurs justifient cette différence entre les deux textes en arguant que la règle posée à l’article 1352 du Code civil répond à la logique de la restitution en nature. Or cette forme de restitution ne se conçoit que si l’on se place à la date à laquelle elle intervient, soit au jour du jugement.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil est silencieux sur les critères auxquels le juge doit se référer pour estimer la valeur de la prestation de service objet de la restitution.

La question est pourtant d’importance. Doit-on retenir le prix initialement convenu par les parties dans le contrat ou doit-on se référer à un critère plus objectif, tel que le prix du marché ?

En la matière, la jurisprudence antérieure considérait que le juge était investi d’un pouvoir souverain d’appréciation, ce qui l’autorisait à faire montre de souplesse dans l’estimation de la valeur de la prestation de service (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012, n° 11-17.587).

§2 : Les règles communes à toutes les restitutions

Deux séries de règles sont applicables à toutes les restitutions. Elles intéressent :

  • D’une part, les mineurs non émancipés et les majeurs protégés
  • D’autre part, les sûretés qui avaient été constituées pour le paiement de l’obligation

I) La teneur des restitutions effectuées à la faveur d’un mineur ou d’un majeur protégé

L’article 1352-4 du Code civil dispose que « les restitutions dues par un mineur non émancipé ou par un majeur protégé sont réduites à hauteur du profit qu’il a retiré de l’acte annulé. »

Cette disposition se veut être une reprise à droit constant de l’ancien article 1312 du Code civil qui prévoyait que « Lorsque les mineurs ou les majeurs en tutelle sont admis, en ces qualités, à se faire restituer contre leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la minorité ou la tutelle des majeurs, ne peut en être exigé, à moins qu’il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit. »

La règle ainsi instituée vise à atténuer les effets habituels de l’anéantissement d’un acte en faveur des personnes protégées, en prenant en considération l’avantage économique qu’elles ont, en définitive, conservé.

En effet, alors que les restitutions visent à rétablir la situation patrimoniale des parties comme si l’acte anéanti n’avait jamais existé, l’article 1352-4 prévoit que lorsque de débiteur de l’obligation de restituer est un mineur non émancipé ou un majeur protégé il peut conserver le profit que lui a procuré ce qu’il a reçu.

Aussi, trois situations peuvent se présenter :

  • Ce qui a été reçu n’a pas été consommé, ni n’a disparu : la restitution sera totale
  • Ce qui a été reçu a été en partie consommé ou a été altéré : la restitution sera partielle
  • Ce qui a été reçu a été totalement consommé ou a disparu : aucune restitution ne pourra avoir lieu

À l’examen, le champ d’application de la règle posée à l’article 1352-4 est limité puisque le texte ne vise que les actes annulés.

Aussi, ce texte n’a-t-il pas vocation à s’appliquer en cas de résolution ou de caducité d’un contrat.

Reste que, à la différence de l’ancien article 1312 du Code civil, elle ne profite pas seulement aux majeurs sous tutelles. Elle intéresse également les majeurs qui font l’objet des mesures de protections que sont :

  • La sauvegarde de justice
  • La curatelle simple et renforcée
  • Le mandat de protection future

Enfin, en application de la jurisprudence antérieure qui devrait être reconduite, la règle posée à l’article 1352-4 du Code civil ne jouera que lorsque l’acte anéanti n’a pas été accompli par l’entremise du représentant légal du mineur ou du majeur protégé.

Dans un arrêt du 18 janvier 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « l’article 1312 du Code civil concerne les seuls paiements faits entre les mains d’un mineur ; que la cour d’appel n’avait pas à faire application de ce texte, s’agissant d’une restitution qui était la conséquence d’un paiement fait au père de la victime » (Cass. 1ère civ., 18 janv. 1989, n° 87-12.019).

À l’instar de l’ancien texte, l’article 1352-4 du Code civil ne devrait donc s’appliquer que dans l’hypothèse où c’est le mineur qui a directement contracté avec le créancier de l’obligation de restituer.

II) Le sort des sûretés constituées pour le paiement de l’obligation

L’article 1352-9 du Code civil dispose que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte est anéanti, le créancier de l’obligation de restituer continue de bénéficier de la sûreté qui avait été constituée pour garantir l’obligation souscrite initialement par le débiteur.

Pour exemple, lorsque c’est un contrat de vente qui est annulé, la sûreté qui avait été constituée par le vendeur pour garantir le paiement du prix de vente est maintenue en vue de garantir l’obligation de restitution de la chose délivrée qui pèse sur l’acquéreur.

La règle ainsi posée n’est qu’une généralisation la solution consacrée par la jurisprudence en matière de prêt d’argent.

Dans un arrêt du 17 novembre 1982 la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » (Cass. com. 17 nov. 1982, n° 81-10.757).

Désormais, le domaine d’application de la règle édictée à l’article 1352-9 n’est plus cantonné aux seuls contrats de prêts. Cette disposition s’applique à tous les contrats, la condition étant que les parties au contrat initial soient les mêmes que celles concernées par l’obligation de restitution.

Par ailleurs, peu importe la cause de l’anéantissement de l’acte. L’article 1352-9 n’opère aucune distinction entre la nullité, la résolution ou encore la caducité.

Enfin, la nature de la sûreté pouvant faire l’objet d’un report sur l’obligation de restitution est indifférente. Il peut s’agir, tant d’un cautionnement, que d’une hypothèque ou encore d’une garantie autonome.

L’article 1352-9 apporte néanmoins une précision pour le cautionnement en prévoyant que le report de la sûreté sur l’obligation de restitution est sans incidence sur « les droits de la caution, qui pourra invoquer le bénéfice du terme. »

Autrement dit, en cas de maintien du cautionnement aux fins de garantir l’obligation de restitution qui pèse sur le débiteur, la caution conserve le bénéfice du terme stipulé initialement dans le contrat anéanti. Il serait particulièrement injuste pour cette dernière d’être appelée en garantie de manière anticipée, alors qu’elle s’était engagée sur la base de conditions d’exigibilité différentes.

  1. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ, 1992, n° 927. ?
  2. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 6, Les obligations, par P. Esmein, 2e éd., LGDJ, 1952, n° 433 ?
  3. M. Malaurie, Les restitutions en droit civil, thèse, Paris 2, Cujas, 1991, p. 283 et suivantes ?
  4. J.-L. Aubert, sous Com 11 mai 1976, Defrénois 1977, art. 31343, n° 8, p. 396 ?
  5. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilités, thèse, Paris, LGDJ, 1992, n° 818 et suivants ?
  6. J. Mestre, B. Fages, sous Civ.1, 11 mars 2003,Revue Trimestrielle de Droit Civil 2003 p. 501. ?
  7. G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations, 2e éd. Dalloz, n°1066, p.957 ?

Restitutions: le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose

L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. »

La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».

Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties au statu quo ante.

Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de l’obligation de restituer résultant :

  • D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
  • D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur

Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

I) Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

A) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

  • La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que « dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité dont la vente est entachée dès l’origine ».
    • Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation de la machine » (Cass. 1ère civ. 1 juin 1987, n°84-16.624)
    • La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11 mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ. 2003, 01-01.673)
    • La première chambre civile fait ici manifestement une application stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme monétaire interdisant toute revalorisation.
    • Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre civile.
  • La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à indemnisation
    • Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre civile.
    • Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644, 1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas existé »
    • Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-15.722).
    • La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26 janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1994, n° 91-20.934).
    • Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003 (Cass. 3e civ. 12 mars 2003, n°01-17.207), soit le lendemain de l’arrêt rendu par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass. 1ère civ. 2003, n°01-01.673).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième chambre civile.
    • Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302i).
    • Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le sens de la position adoptée par la première chambre civile.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
    • Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass. ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508).
    • Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail.
    • Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une indemnisation au preneur.
    • Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le 24 juin 2009 par la première chambre civile (Cass. 3e civ. 24 juin 2009, n° 08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre commerciale du 3 décembre 2015.
    • Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété » (Cass. com. 3 déc. 2015, n°14-22.692).

Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution des conventions, la contrepartie effective »[2].

Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une « règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].

Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].

Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la charge de celui qui les a exécutées »[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la restitution en nature de la chose[6].

Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

?Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu, corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. »

Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »

En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article 1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

B) La restitution des fruits produits par la chose

À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e civ. 5 juill. 1978, n°77-11.157). Elle a eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e civ. 28 juin 1983, n°81-14.889).

À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une obligation de restitution des fruits.

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

?Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la chose elle-même.

Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

  • D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des fruits par le débiteur », soit plus précisément à la date du jugement
  • D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation », ce qui signifie que le créancier ne peut réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur. Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que « si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a pris possession » (Cass. 1ère civ., 20 juin 1967)

Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

II) L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée, la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à laquelle il est entré en possession de la chose.
  • Le débiteur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date d’introduction de l’action en justice.

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent: régime juridique

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

Nous nous focaliserons sur la première forme de restitutions.

?Textes

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent est régie aux articles 1352 à 1352-3 du Code civil. L’article 1352-5 du Code civil en complète le régime.

?Domaine

Par chose, il faut entendre, tant les meubles que les immeubles, à l’exclusion des sommes d’argent.

La restitution de ces dernières fait l’objet d’un traitement spécifique à l’article 1352-6. Cette disposition a, en effet, vocation à s’appliquer lorsque l’exécution de l’obligation consiste en le paiement d’une valeur monétaire.

Quant aux contrats dont l’anéantissement conduit à la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent, il peut s’agir, tout aussi bien de contrats translatifs de propriété (contrat de vente, contrat d’entreprise, donation, échange etc.), que de contrats qui ne font que mettre à la disposition du débiteur une chose sans lui en transférer la propriété (contrat de bail, contrat de dépôt, contrat de prêt, etc.).

?Régime

Lorsque la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, le principe posé par l’article 1352 du Code civil, c’est la restitution en nature.

Par exception, soit lorsque la restitution en nature s’avère impossible, la restitution se fera en valeur, soit par équivalent monétaire.

I) Principe : la restitution en nature

A) Exposé du principe

L’article 1352 du Code civil pose donc le principe de restitution en nature des choses autres qu’une somme d’argent.

L’instauration de ce principe, d’abord reconnu par la jurisprudence, puis consacré par la loi, procède de l’objectif poursuivi par le législateur qui vise à remettre les parties dans la situation patrimoniale à laquelle elles se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité entachant l’acte ou de son inexécution.

Aussi, le retour à ce statu quo ante suppose, avant toute chose, d’exiger des parties qu’elles restituent à l’autre ce qui se trouve encore entre dans leurs patrimoines respectifs.

Lorsqu’il s’agit de restituer en nature un corps certain, la partie qui le détient devra restituer à son cocontractant le même corps certain que celui qui lui a été remis lors de son entrée en possession.

Lorsque, en revanche, la restitution porte sur une chose de genre, la chose rendue devra être de même nature, être restituée dans la même quotité et présenter les mêmes qualités.

B) Mise en œuvre du principe

Si, en cas d’anéantissement d’un acte, la restitution, en nature, des choses qui se trouvaient dans les patrimoines respectifs des parties est une étape nécessaire vers un retour au statu quo ante, cette opération n’est, dans bien des cas, pas suffisante.

Entre le moment où la chose a été remise et la date de sa restitution, des événements sont, en effet, susceptibles d’avoir affecté l’état de la chose.

Elle peut, tout aussi bien avoir été détériorée ou s’être dégradée, qu’avoir fait l’objet d’améliorations ou de réparations.

Des dépenses auront, par ailleurs, pu être exposées pour assurer sa conservation. La chose peut encore avoir produit des fruits en même temps qu’il a été permis à son détenteur d’en jouir.

Aussi, afin de se rapprocher de la situation dans laquelle les parties se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité ayant entaché l’acte ou de son inexécution, il est nécessaire de rétablir les équilibres qui ont pu être rompus en raison :

  • Soit des dépenses exposées par détenteur de la chose pour assurer sa conservation
  • Soit des circonstances qui ont affecté l’état de la chose (plus-values et moins-values)
  • Soit de la jouissance que la chose a procurée et des fruits dont le détenteur a tiré profit

Pour ce faire, les articles 1352-1, 1352-3 et 1352-5 du Code civil prévoient un certain nombre de règlements accessoires à la restitution, en principal, de la chose qui visent, selon la doctrine, à tenir compte de l’écoulement du temps.

Plus précisément, ces règlements accessoires à la restitution de la chose ont été institués pour traiter :

  • Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose
  • Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
  • Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

1. Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose

L’article 1352-1 du Code civil dispose que « celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »

Il ressort de cette disposition que la restitution en nature de la chose suppose qu’elle soit rendue au créancier dans le même état que celui dans lequel elle se trouvait au moment de sa remise.

Aussi, dans l’hypothèse où la chose objet de la restitution est dégradée ou détériorée, pèse sur la partie qui détient la chose une obligation d’indemnisation du créancier, ainsi que le suggère l’emploi du terme « répond ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par dégradation et détérioration.

Plus précisément, ces deux notions couvrent-elles seulement les altérations anormales affectant accidentellement ou intentionnellement l’état de la chose ou embrassent-elles également l’usure résultant de l’usure normale de la chose ?

Dans le silence des textes, les deux interprétations sont possibles. Reste que, par analogie avec les règles qui régissent le contrat de bail, il peut être postulé que l’usure normale de la chose restituée ne donne pas lieu à indemnisation, à l’instar du local restitué au bailleur en fin de bail.

À cet égard, dans un arrêt du 8 mars 2005 la Cour de cassation avait considéré que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a faite, à l’exclusion de celle due à la vétusté » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Lorsque, en revanche, l’altération de l’état de la chose ne résulte pas de son usure normale, alors le débiteur de l’obligation de restituer doit indemniser le créancier.

Cette indemnisation est toutefois subordonnée à la réunion de deux conditions alternatives :

  • Première condition : la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de restituer
    • L’article 1352-1 du Code civil prévoit que l’indemnisation ne peut avoir lieu en cas de dégradation ou de détérioration de la chose qu’à la condition que le débiteur de l’obligation de restituer soit de mauvaise foi.
    • Ce dernier sera de mauvaise foi lorsqu’il connaissait la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.
    • Autrement dit, le débiteur savait qu’il ne pouvait pas valablement détenir et jouir de la chose.
    • Il importe peu que la dégradation ou la détérioration de la chose soit de sa faute : dans les deux cas, dès lors que sa mauvaise foi est établie, il a l’obligation d’indemniser le créancier de la restitution.
  • Seconde condition : la faute du débiteur de l’obligation de restituer
    • Il s’infère de l’article 1352-1 du Code civil que, dans l’hypothèse où le débiteur serait de bonne foi, le créancier ne pourra solliciter une indemnisation que s’il démontre que les dégradations ou détériorations de la chose résultent de la faute du débiteur.
    • À défaut, aucune indemnisation ne sera due, sauf à ce que le débiteur de l’obligation de restitution soit de mauvaise foi, ce qui sera suffisant pour l’obliger à réparer le préjudice résultant de l’altération de l’état de la chose.

2. Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose

L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. »

La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».

Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties au statu quo ante.

Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de l’obligation de restituer résultant :

  • D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
  • D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur

Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

a. Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

?) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

  • La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que « dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité dont la vente est entachée dès l’origine ».
    • Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation de la machine » (Cass. 1ère civ. 1 juin 1987, n°84-16.624)
    • La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11 mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ. 2003, 01-01.673)
    • La première chambre civile fait ici manifestement une application stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme monétaire interdisant toute revalorisation.
    • Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre civile.
  • La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à indemnisation
    • Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre civile.
    • Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644, 1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas existé »
    • Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-15.722).
    • La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26 janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1994, n° 91-20.934).
    • Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003 (Cass. 3e civ. 12 mars 2003, n°01-17.207), soit le lendemain de l’arrêt rendu par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass. 1ère civ. 2003, n°01-01.673).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième chambre civile.
    • Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302i).
    • Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le sens de la position adoptée par la première chambre civile.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
    • Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass. ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508).
    • Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail.
    • Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une indemnisation au preneur.
    • Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le 24 juin 2009 par la première chambre civile (Cass. 3e civ. 24 juin 2009, n° 08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre commerciale du 3 décembre 2015.
    • Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété » (Cass. com. 3 déc. 2015, n°14-22.692).

Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution des conventions, la contrepartie effective »[2].

Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une « règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].

Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].

Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la charge de celui qui les a exécutées »[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la restitution en nature de la chose[6].

Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

?Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu, corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. »

Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »

En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article 1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

?) La restitution des fruits produits par la chose

À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e civ. 5 juill. 1978, n°77-11.157). Elle a eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e civ. 28 juin 1983, n°81-14.889).

À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une obligation de restitution des fruits.

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

?Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la chose elle-même.

Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

  • D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des fruits par le débiteur », soit plus précisément à la date du jugement
  • D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation », ce qui signifie que le créancier ne peut réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur. Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que « si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a pris possession » (Cass. 1ère civ., 20 juin 1967)

Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

b. L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée, la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à laquelle il est entré en possession de la chose.
  • Le débiteur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date d’introduction de l’action en justice.

3. Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

L’article 1352-5 du Code civil dispose que « pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. »

Il ressort de cette disposition que toutes les dépenses qui ont été exposées par le débiteur pour conserver ou pour améliorer à la chose donnent lieu à restitution.

Cette règle participe toujours de l’idée que si le débiteur ne doit pas s’être enrichi en jouissant de la chose ou en en percevant les fruits, il en va de même pour le créancier qui ne doit pas pouvoir tirer profit de la restitution de la chose lorsqu’elle a fait l’objet d’améliorations ou que des frais de conservation ont été exposés par son détenteur.

Pour cette raison, l’article 1352-5 du Code civil prévoit que les frais et dépenses exposées par le débiteur de l’obligation de restituer durant l’exécution du contrat doivent être supportés par le créancier.

À l’examen, l’évaluation de la restitution est envisagée différemment selon que les dépenses exposées concernent la conservation de la chose ou l’amélioration de la chose.

  • S’agissant des dépenses de conservation de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses nécessaires à la conservation de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les dépenses de conservation visées par cette disposition.
    • La lecture du texte révèle que seules les dépenses nécessaires à sa conservation donnent lieu à restituer.
    • Autrement dit, ces dépenses doivent être indispensables, ce qui exclut, par hypothèse, les dépenses somptuaires au sens de l’article
    • Concrètement, il s’agira ainsi des dépenses courantes, des frais d’entretien, ainsi que des frais attachés à la possession de la chose, tels que les impôts let autres taxes par exemple.
    • Contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 1352-5 du Code civil, afin de déterminer le montant de la restitution, il n’y a pas lieu de plafonner les dépenses de conservation à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution. »
    • Et pour cause ce type de dépenses n’a pas vocation à apporter une plus-value à la chose, seulement à la maintenir dans son état initial.
    • L’indemnisation du débiteur doit donc couvrir l’intégralité des dépenses de conservation exposées, sans limite de montant.
    • Le plafonnement de l’indemnisation ne concerne, en réalité, que les dépenses d’amélioration.
  • S’agissant des dépenses d’amélioration de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses qui ont augmenté la valeur de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer, ce « dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Il ressort de ce texte que l’indemnisation due au débiteur doit être calculée, non pas sur la plus-value intrinsèque apportée à la chose, mais sur la base des dépenses exposées.
    • Ainsi, dans l’hypothèse où la plus-value serait de 200 et que les dépenses exposées par le débiteur représenteraient un coût de 100, la restitution ne pourrait pas être supérieure à 100.
    • Seules les améliorations résultant de dépenses ne peuvent donc donner lieu à restitution.
    • L’article 1352-5 précise que le montant de l’indemnisation est, en toute hypothèse, plafonné à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit le montant le montant des dépenses exposées est inférieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas le débiteur pourra être intégralement indemnisé
      • Soit le montant des dépenses exposées est supérieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas l’indemnisation du débiteur sera plafonnée à hauteur de cette plus-value.
    • À cet égard, tandis que le montant des dépenses s’apprécie au jour où elles ont été exposées, le montant de la plus-value est, quant à lui, apprécié à la date de la restitution, soit du jugement.

II) Exception : la restitution en valeur

L’article 1352 du Code civil prévoit que, par exception au principe de restitution en nature de la chose, lorsque cette restitution est impossible, elle a lieu en valeur.

Ce texte envisage ainsi l’hypothèse du débiteur qui n’est plus en possession de la chose au jour où naît l’obligation de la restituer.

Seule alternative pour surmonter l’obstacle : obliger le débiteur à restituer la chose par équivalent, soit en valeur.

Bien que simple en apparence, cette solution n’est toutefois pas sans soulever plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent :

  • D’une part, à la délimitation du domaine de l’impossibilité
  • D’autre part, aux modalités d’estimation de la valeur restituée

A) Le domaine de l’impossibilité

?L’étendue du domaine de l’impossibilité

La première question qui se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer que la restitution de la chose est impossible.

Lorsque la chose a disparu ou a péri, l’impossibilité de la restituer s’impose d’elle-même. Il en va de même pour les choses consomptibles.

Plus délicate est, en revanche, la question pour les choses dont le débiteur est toujours en possession mais pour lesquelles la restitution représenterait pour lui un coût si élevé qu’il serait déconnecté de l’économie initiale du contrat.

Dans un arrêt du 18 février 1992, la Cour de cassation a répondu à cette question en censurant une Cour d’appel pour avoir mis à la charge d’un débiteur une obligation de restituer en nature consécutivement à l’anéantissement d’un contrat considérant, au cas particulier, que « l’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves, et qu’elle est susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur ; qu’elle est ainsi disproportionnée avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l’exclusivité d’achat du carburant et constitue un frein à la concurrence d’autres fournisseurs, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com. 18 févr. 1992, n°87-12.844).

Ainsi, pour la Cour de cassation, lorsque la restitution en nature serait disproportionnée eu égard le résultat recherché par l’anéantissement de l’acte, soit un retour au statu quo, elle ne peut avoir lieu qu’en valeur.

Cette solution a été réaffirmée par la troisième chambre civile dans un arrêt du 15 octobre 2015 aux termes duquel elle a cassé la décision d’une Cour d’appel à laquelle elle reprochait de n’avoir pas recherché « si la démolition de l’ouvrage, à laquelle s’opposait la société Trecobat, constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass. 3e civ. 15 oct. 2015, n°14-23.612).

Dans le silence de l’article 1352 du Code civil sur la notion d’impossibilité, peut-on considérer que cette jurisprudence a été reconduite par le législateur ?

D’aucuns postulent que la réponse à cette question résiderait dans la comparaison de l’article 1352 avec l’article 1221.

En effet, cette dernière disposition exige expressément la réalisation d’un contrôle de proportionnalité pour déterminer s’il y a lieu d’exclure l’exécution forcée en nature d’une obligation en cas d’inexécution du contrat.

Tel n’est pas le cas de l’article 1352 qui est silencieux sur ce point s’agissant de l’exclusion de la restitution de la chose en nature.

Pour l’heure la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée, de sorte qu’il est difficile de tirer des conclusions sur le maintien de la jurisprudence antérieure.

?Cas particulier de la revente de la chose

L’article 1352-2 du Code civil envisage le cas particulier de la revente de la chose qui devait être restituée au vendeur en suite de l’anéantissement du contrat.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que lorsque l’acquéreur revend la chose qui lui a été délivrée, la restitution s’opère en valeur.

Selon le texte, il y a néanmoins lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

Si, de prime abord, l’on est tenté d’apprécier la bonne foi de l’acquéreur au moment de la délivrance de la chose, certains auteurs plaident pour que cette appréciation se fasse au stade de la revente[7].

Il peut, en effet, parfaitement être envisagé que l’acquéreur ignorât la cause d’anéantissement du contrat au moment de la délivrance de la chose, mais que, en revanche, il l’ait revendue en toute connaissance de cause.

L’objectif recherché par l’article 1352-2, al.2 étant de sanctionner l’acquéreur qui, sciemment, a cherché à tirer profit de la revente de la chose au préjudice du vendeur, il ne serait pas aberrant d’apprécier sa bonne foi au jour de la revente de la chose.

Dans le silence de l’article 1352-2, c’est à la jurisprudence qu’il reviendra de se prononcer sur cette question.

Reste que, en toute hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

  • L’acquéreur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352-2 prévoit qu’il ne doit restituer que le prix de la vente de la chose
    • Le prix à restituer est celui, non pas de l’acquisition initiale de la chose, mais celui de la revente.
    • L’acquéreur ne peut ainsi tirer profit de la revente, ni s’appauvrir, l’objectif recherché étant une opération à somme nulle.
  • L’acquéreur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352 dispose qu’il « en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
    • Autrement dit, pour déterminer le montant de la somme à restituer, il convient de se placer non pas au moment de la revente de la chose, mais à la date de sa restitution qui, concrètement, correspond à celle du jugement.
    • À cet égard, le texte oblige l’acquéreur de mauvaise foi à restituer la plus forte des deux sommes entre le prix de revente de la chose et sa valeur au moment de la restitution
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est inférieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur ne devra restituer au vendeur que ce seul prix de revente
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est supérieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur devra restituer au vendeur non seulement ce seul prix de revente, mais encore la plus-value réalisée au jour du jugement
    • Le sort réservé ici à l’acquéreur de mauvaise foi est manifestement pour le moins défavorable dans la mesure où il sera privé des profits réalisés en suite de la revente de la chose.

B) Les modalités d’estimation de la valeur restituée

Une fois admis que la restitution de la chose en nature est impossible, reste à estimer sa valeur afin que puisse être restituée au créancier une somme d’argent.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, à quelle date la valeur de la chose doit-elle être estimée ?
  • D’autre part, quel critère d’estimation retenir pour déterminer la valeur de la chose ?

?Sur la date d’estimation de la valeur de la chose

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du droit des obligations, la jurisprudence avait posé, en l’absence de texte, que pour estimer la valeur de la chose restituée il y avait lieu de se situer à la date de remise de la chose.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la chambre commerciale a jugé en ce sens, s’agissant d’une annulation de cession de titres sociaux, que « l’annulation de la cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en nature n’est plus possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 15 juin 2005, n°03-12.339).

Cette solution a été reconduite dans une décision rendue le 14 mai 2013 aux termes de laquelle la Cour de cassation a considéré que « l’annulation d’une cession de parts sociales confère au vendeur, dans la mesure où leur restitution en nature n’est pas possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur laquelle doit être appréciée au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637).

Prenant le contre-pied de cette jurisprudence, l’ordonnance du 10 février 2016 a retenu la solution inverse en prévoyant que lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur, cette valeur est « estimée au jour de la restitution. »

Ce n’est donc plus à la date de la remise de la chose au débiteur que sa valeur doit être estimée, mais au jour du jugement qui ordonne sa restitution.

L’objectif recherché par le législateur était de calquer la restitution en valeur sur la restitution en nature.

Autrement dit, il a voulu que les plus-values et moins-values réalisées par le débiteur soient prises en compte dans l’évaluation du montant de la restitution. Il ne faudrait pas qu’une partie s’enrichisse au préjudice de l’autre, à raison de la survenance de circonstances postérieures à la conclusion du contrat anéanti.

Il peut être observé que, contrairement à la restitution de la valeur de la jouissance ou des fruits procurés par la chose, il est indifférent, ici, que le débiteur soit de bonne ou mauvaise foi : dans les deux cas, l’estimation de la valeur à restituer doit être effectuée au jour de la restitution de la chose.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la chose

Autre question qui se pose lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur : quid du critère de son évaluation ? En d’autres termes, doit-on retenir le prix stipulé par les parties dans le contrat ou doit-on se référer au prix du marché ?

L’article 1352 est silencieux sur ce point. Reste que dans un arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, que « la créance de restitution en valeur d’un bien, est égale, non pas au prix convenu, mais à la valeur effective, au jour de la vente, de la chose remise » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Ainsi, est-ce une approche objective qui avait été retenue par la première chambre civile, la position adoptée consistant à dire, en substance, que l’estimation de la chose doit être effectuée sur la base de sa valeur effective au moment de sa restitution et non en considération du prix initialement fixé par les parties.

Manifestement, cette solution se concilie parfaitement bien avec l’exigence d’estimation de la valeur de la chose au jour de sa restitution, de sorte qu’il est fort probable que la solution dégagée par la Cour de cassation en 2005 soit maintenue.

La vente – la négociation du contrat

Au quotidien, le consommateur conclut de très nombreux contrats de vente, qui se forment aussitôt le consentement donné ou, pour le dire autrement, dès que l’intention de contracter est extériorisée (par des mots et/ou bien par des gestes). Il arrive aussi que l’accord des parties au contrat ne soit donné qu’une fois seulement des négociations terminées. Il en va ainsi toutes les fois que la proposition qui est faite par l’un des partenaires en première intention n’est pas de nature à constituer la base d’un contrat.

Le législateur de 1804 ne s’est pas préoccupé de la phase exploratoire du contrat. C’est à la Cour de cassation qu’il est revenu de fixer l’alpha et l’omega en la matière. La réforme du droit commun des contrats a été l’occasion d’introduire dans le Code civil quelques dispositions sur le sujet (art. 1112 et s.).

Cette phase précontractuelle est saisie par la norme générale de comportement, à savoir l’article 1240 c.civ. Toute faute dommageable commise dans les négociations est de nature à autoriser la condamnation de son auteur au paiement de dommages et intérêts extra-contactuels (art. 1112, al. 2 c.civ.). Il y a une bonne raison à cela : c’est que la période est gouvernée par l’obligation générale de négocier de bonne foi (art. 1112 c.civ. ensemble art. 1104 : “Les contrats doivent être négociés (…) de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public”).

Rompre les pourparlers ne pose aucune difficulté en soi. Car une liberté est garantie à tout un chacun : s’engager ou non. L’article 1102 c.civ. dispose en ce sens : “chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter”. En revanche, les mobiles qui ont poussé un partenaire à s’inscrire dans le processus de contractualisation et/ou les modalités de la rupture des négociations peuvent constituer en faute leur auteur.

Ex.1 Poursuivent de négociations sans intention réelle de conclure en « entretenant de manière illusoire l’espoir d’une cession ».

Ex.2 Rupture des négociations avec légèreté, peu important l’absence de mauvaise foi ou d’intention de nuire, la légèreté étant notamment appréciée au regard des efforts et investissements demandés, au cours des négociations, par l’auteur de la rupture à son interlocuteur.

La clause résolutoire: régime juridique

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que sont :

  • La clause résolutoire
  • La résolution unilatérale
  • La résolution judiciaire

Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment grave, a désormais de plusieurs options :

  • Soit il peut demander la résolution du contrat au juge
  • Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
  • Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le contrat

Nous ne nous focaliserons ici que sur la résolution conventionnelle.

Reconduisant la règle qui était déjà énoncée sous l’empire du droit antérieur l’article 1224 du Code civil prévoit que la résolution du contrat peut résulter « de l’application d’une clause résolutoire ».

?L’intérêt de la clause résolutoire

Si, avec la consécration de la résolution unilatérale, la clause résolutoire a perdu une partie de son utilité, sa stipulation dans un contrat conserve un triple intérêt

  • Premier intérêt
    • La stipulation d’une clause résolutoire présente l’avantage, pour le créancier, de disposer d’un moyen de pression sur le débiteur.
    • Un cas d’inexécution de l’une de ses obligations visées par la clause, il s’expose à la résolution du contrat.
    • La stipulation d’une clause résolutoire apparaît ainsi comme un excellent moyen de garantir l’efficacité du contrat.
    • Ajouté à cela, cette clause ne fait nullement obstacle à la mise en œuvre des autres sanctions contractuelles qui restent à la disposition du créancier.
    • Rien n’empêche, en effet, ce dernier de solliciter l’exécution forcée du contrat, de se prévaloir de l’exception d’inexécution ou de saisir le juge aux fins d’obtenir la résolution judiciaire.
    • La liberté du créancier quant au choix des sanctions demeure la plus totale, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire.
  • Deuxième intérêt
    • Tout d’abord, la mise en œuvre de la clause résolutoire n’est pas subordonnée à la démonstration « d’une inexécution suffisamment grave » du contrat.
    • Dès lors qu’un manquement contractuel est visé par la clause résolutoire, le créancier est fondé à mettre automatiquement fin au contrat, peu importe la gravité du manquement dénoncé.
    • Mieux, dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a jugé que la bonne foi du débiteur « est sans incidence sur l’acquisition de la clause résolutoire » (Cass. 3e civ. 24 sept. 2003, n°02-12.474).
    • À l’examen, seuls comptent les termes de la clause qui doivent être suffisamment précis pour couvrir le manquement contractuel dont se prévaut le créancier pour engager la résolution du contrat.
  • Troisième intérêt
    • La clause résolutoire a pour effet de limiter les pouvoirs du juge dont l’appréciation se limite au contrôle des conditions de mise en œuvre de la clause (Cass. com. 14 déc. 2004, n°03-14.380).
    • Lorsque la résolution est judiciaire ou unilatérale, il appartient au juge d’apprécier la gravité de l’inexécution contractuelle.
    • Tel n’est pas le cas lorsqu’une clause résolutoire est stipulée, ce qui n’est pas sans protéger les parties de l’ingérence du juge.
    • La stipulation d’une clause résolutoire est ainsi source de sécurité contractuelle.
    • D’où l’enjeu de la rédaction de la clause qui doit être suffisamment large et précise pour rendre compte de l’intention des parties et plus précisément leur permettre de mettre fin au contrat chaque fois que le manquement contractuel en cause le justifie.

1. Le contenu de la clause résolutoire

L’article 1225 du Code civil dispose que « la clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat. »

?L’étendue de la clause

Il ressort de cette disposition qu’il appartient aux contractants de viser précisément dans la clause les manquements contractuels susceptibles d’entraîner la résolution du contrat.

Le champ d’application de la clause résolutoire est ainsi exclusivement déterminé par les prévisions des parties.

Aussi, les contractants sont-ils libres de sanctionner n’importe quel manquement par l’application de la clause résolutoire. Sauf stipulation expresse, la gravité du manquement est donc indifférente, l’important étant que l’inexécution contractuelle dont se prévaut le créancier soit visée par la clause.

À cet égard, lors des travaux préparatoires portant sur la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016, certains auteurs se sont demandé si l’obligation pour les parties de préciser « les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat » devait les contraindre à dresser la liste, engagement par engagement et si, de ce fait, les clauses résolutoires visant de manière générale tout type de manquement, courantes en pratique, seraient désormais invalidées.

Pour la Commission des lois, tel ne devrait pas être le cas. Le texte autoriserait, selon elle, la survivance de ces clauses dites « balais ».

À l’examen, l’article 1225 exige seulement que la clause exprime les cas dans lesquels elle jouera, et ne s’oppose donc pas à l’insertion d’une clause qui préciserait qu’elle jouera en cas d’inexécution de toute obligation prévue au contrat. La jurisprudence antérieure validant ce type de clauses a donc vocation à survivre.

?La rédaction de la clause

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle que « la clause résolutoire de plein droit, qui permet aux parties de soustraire la résolution d’une convention à l’appréciation des juges, doit être exprimée de manière non équivoque, faute de quoi les juges recouvrent leur pouvoir d’appréciation » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1986, n°84-15.705).

La clause résolutoire doit ainsi être rédigée en des termes clairs et précis, faute de quoi le juge peut écarter son application.

À cet égard, en cas d’ambiguïté de la clause, l’article 1190 du Code civil prévoit que « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »

Aussi, non seulement la clause doit clairement viser les manquements contractuels susceptibles d’entraîner la résolution du contrat, mais encore elle doit, selon la Cour de cassation, « exprimer de manière non équivoque la commune intention des parties de mettre fin de plein droit à leur convention » (Cass. 1ère civ., 16 juill. 1992, n° 90-17.760).

?Dispositions spéciales

Dans certaines matières, le législateur a encadré la stipulation de clauses résolutoires, le plus souvent par souci de protection de la partie réputée la plus faible.

  • En matière de bail d’habitation, l’article 4 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 dispose que « est réputée non écrite toute clause […] qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat en cas d’inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement du loyer, des charges, du dépôt de garantie, la non-souscription d’une assurance des risques locatifs ou le non-respect de l’obligation d’user paisiblement des locaux loués, résultant de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée »
  • En matière de bail commercial, l’article L. 145-41 du Code de commerce prévoit que « toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. »
  • En matière de procédure collective, l’article L. 622-14 du Code de commerce dispose que « lorsque le bailleur demande la résiliation ou fait constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement d’ouverture, le bailleur ne pouvant agir qu’au terme d’un délai de trois mois à compter dudit jugement. »
  • En matière de contrat d’assurance-vie, l’article L. 132-20 du Code des assurances pose que « lorsqu’une prime ou fraction de prime n’est pas payée dans les dix jours de son échéance, l’assureur adresse au contractant une lettre recommandée par laquelle il l’informe qu’à l’expiration d’un délai de quarante jours à dater de l’envoi de cette lettre le défaut de paiement, à l’assureur ou au mandataire désigné par lui, de la prime ou fraction de prime échue ainsi que des primes éventuellement venues à échéance au cours dudit délai, entraîne soit la résiliation du contrat en cas d’inexistence ou d’insuffisance de la valeur de rachat, soit la réduction du contrat. »

2. La mise en œuvre de la clause résolutoire

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que la clause résolutoire puisse être mise en œuvre.

?Le droit d’option du créancier

Parce que le principe qui préside à l’application des sanctions attachées à l’inexécution contractuelle est celui du libre choix du créancier, la mise en œuvre de la clause résolution est à sa main.

Autrement dit, nonobstant la stipulation d’une clause résolutoire, le créancier peut renoncer à la mettre en œuvre.

À cet égard, dans un arrêt du 27 avril 2017, la Cour de cassation a jugé, après avoir relevé que « la clause résolutoire avait été stipulée au seul profit du bailleur et que celui-ci demandait la poursuite du bail […] que la locataire ne pouvait se prévaloir de l’acquisition de la clause » (Cass. 3e civ. 27 avr. 2017, n°16-13.625)

À l’analyse, seule la stipulation d’une clause résolutoire dont la mise en œuvre est automatique, soit n’est pas subordonnée à la mise en demeure du débiteur, est susceptible de faire échec à la renonciation du créancier à se prévaloir d’une autre sanction, en particulier de l’exécution forcée (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 21 mars 1995, n° 93-12.177).

?La mise en demeure du débiteur

L’article 1225 du Code civil pris en son second alinéa dispose que « la résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s’il n’a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l’inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • Premier enseignement : l’exigence de mise en demeure du débiteur
    • L’application de la clause résolutoire est subordonnée à la mise en demeure du débiteur.
    • Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de subir l’anéantissement du contrat.
    • Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
    • Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.
    • En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :
      • Soit par voie de signification
      • Soit au moyen d’une lettre missive
  • Deuxième enseignement : l’exigence de mention de la clause résolutoire
    • En application de l’article 1225 du Code civil, pour valoir mise en demeure, l’acte doit expressément viser la clause résolutoire.
    • À défaut, le créancier sera privé de la possibilité de se prévaloir de la résolution du contrat.
    • Pour être valable, la mise en demeure doit donc comporter
      • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
      • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
      • La menace d’une sanction
      • La mention de la clause résolutoire
  • Troisième enseignement : la dispense de mise en demeure
    • Si l’article 1223 du Code civil pose érige au rang de principe l’exigence de mise en demeure, ce texte n’en est pas moins supplétif.
    • C’est la raison pour laquelle il précise que l’exigence de mise en demeure n’est requise que si les parties n’ont pas convenu que la clause résolutoire jouerait du seul fait de l’inexécution.
    • Dans ces conditions, libre aux contractants d’écarter l’exigence de mise en demeure.
    • La résolution du contrat opérera, dès lors, automatiquement, sans qu’il soit besoin pour le créancier de mettre en demeure le débiteur : il lui suffit de constater un manquement contractuel rentrant dans le champ de la clause.
    • Reste que dans un arrêt du 3 février 2004, la Cour de cassation a précisé que pour que la dispense de mise en demeure soit efficace, elle doit être expresse et non équivoque (Cass. 1ère civ. 3 févr. 2004, n°01-02.020).

?La bonne foi des parties

Bien que l’article 1225 soit silencieux sur la bonne foi des parties, il est de jurisprudence constante que :

  • La bonne foi du créancier, d’une part, est une condition de mise en œuvre de la clause résolutoire
    • Régulièrement la Cour de cassation rappelle que la mauvaise foi du créancier neutralise l’application de la clause résolutoire dont il ne peut alors pas se prévaloir (Cass. 1ère civ. 16 févr. 1999, n°9—21.997).
    • Cette règle procède du principe général énoncé à l’article 1104 du Code civil aux termes duquel « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »
    • Ainsi, est-il constant que le bailleur se voit refuser l’acquisition de la clause résolutoire en raison de la mauvaise foi dont il a fait montre au cours de l’exécution du contrat (V. en ce sens Cass. 3e civ. 3 nov. 2010, n°09-15.937).
  • La bonne foi du débiteur, d’autre part, ne saurait fait échec au jeu de la clause résolutoire
    • Dans un arrêt du 24 septembre 2003, la Cour de cassation a jugé que « en cas d’inexécution de son engagement par le débiteur sa bonne foi est sans incidence sur l’acquisition de la clause résolutoire » (Cass. 3e civ., 24 sept. 2003, n° 02-12.474).
    • L’intérêt de stipuler une clause résolutoire réside dans l’objectivité du critère de sa mise en œuvre : elle est acquise en cas manquement contractuel rentrant dans son champ d’application et indépendamment de la gravité de l’inexécution.
    • Lier sa mise en œuvre à la bonne foi du débiteur reviendrait alors à vider de sa substance l’intérêt de sa stipulation.

Le mariage putatif

==> Principe

Compte tenu de la gravité de la sanction que constitue la nullité, en ce qu’elle met brutalement un terme à l’union conjugale, le législateur a adouci, à certains égards, ses effets.

Cet assouplissement des effets de la nullité se traduit, notamment par l’instauration du mariage putatif.

Ce système consiste, non pas à préserver l’union conjugale dont la rupture est d’ores et déjà consommée, mais à limiter l’annulation aux seuls effets à venir.

Autrement dit, la nullité n’opérera pas sur les effets passés du mariage.

Cette limitation des effets de la nullité est sous-tendue par l’idée que, ni les enfants, ni l’époux de bonne foi ne doivent être touchés par la sévérité de la sanction, en conséquence de quoi il apparaît juste de faire perdurer, à leur seul bénéfice, certains effets du mariage.

==> Conditions

  • L’exigence de bonne foi des époux
    • L’article 201 du Code civil prévoit que « le mariage qui a été déclaré nul produit, néanmoins, ses effets à l’égard des époux, lorsqu’il a été contracté de bonne foi. »
    • Il ressort de cette disposition que le mariage putatif opère, à la seule et unique condition que les époux soient de bonne foi.
    • La bonne foi consiste pour un époux en l’ignorance de l’existence d’un empêchement dirimant, soit de la cause de nullité du mariage
    • L’erreur commise par l’époux peut être de droit ou de fait
    • La jurisprudence n’exige pas que l’erreur soit excusable, ni ne distingue selon les vices qui affectent la validité du mariage
    • Il suffit que la bonne foi existe au moment du mariage
    • Par ailleurs, la bonne foi est toujours présumée de sorte qu’il appartient à l’époux qui conteste l’application du mariage putatif de rapporter la preuve de la mauvaise foi de son conjoint
    • Il n’est pas nécessaire que les deux époux soient de bonne foi.
    • L’alinéa 2 de l’article 201 prévoit en ce sens que « si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit ses effets qu’en faveur de cet époux.»
  • L’indifférence de la situation des enfants
    • L’article 202 du Code civil prévoit que le mariage putatif « produit aussi ses effets à l’égard des enfants, quand bien même aucun des époux n’aurait été de bonne foi. »
    • Ainsi, est-il indifférent qu’aucun des époux ne soit de bonne foi s’agissant des effets du mariage putatif à l’égard des enfants.

==> Effets

  • Les effets à l’égard des époux
    • Plusieurs situations sont susceptibles de se présenter
      • Les deux époux sont de mauvaise foi
        • Dans cette hypothèse le mariage putatif n’opérera pour aucun des deux
        • Cela signifie que la nullité anéantira, tant les effets futurs du mariage que ses effets passés
        • Le mariage sera réputé n’avoir produit aucun effet à l’égard des époux
        • Aucun d’eux ne pourra se prévaloir des conventions matrimoniales
      • Un des époux est de bonne foi
        • Dans cette hypothèse, la nullité opérera sans rétroactivité pour l’époux de bonne foi
        • Quant au conjoint de mauvaise foi, il ne pourra pas bénéficier du mariage putatif
        • Il subira les effets de la rétroactivité de la nullité qui donc lui interdira de se prévaloir des effets passés du mariage
      • Les deux époux sont de bonne foi
        • Le mariage putatif opérera pour les deux époux, si bien que seuls les effets futurs du mariage seront anéantis
        • Les effets passés seront maintenus, nonobstant l’annulation de l’union conjugale
        • Les rapports entre époux se régleront selon les prescriptions du droit des régimes matrimoniaux
        • Les époux pourront alors conserver le bénéfice des libéralités consenties l’un à l’autre
  • Les effets à l’égard des enfants
    • Les enfants bénéficieront, en toute hypothèse, du mariage putatif, peu importe que leurs parents soient de bonne ou de mauvaise foi
    • Cette faveur présentait un intérêt particulier lorsque le droit opérait une distinction entre les enfants légitimes (issus du mariage) et les enfants naturels (issus du concubinage).
    • En effet, les enfants conservaient la légitimité qu’ils avaient acquise sous l’effet du mariage de leur parent
    • Désormais, ce régime de faveur n’a que peu d’intérêt en pratique dès lors que la distinction entre la filiation légitime et naturelle a été abolie par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation
    • L’alinéa 2 de l’article 202 prévoit seulement que « le juge statue sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale comme en matière de divorce. »
  • Les effets à l’égard des tiers
    • Aucune disposition du Code civil ne règle les effets du mariage putatif à l’égard des tiers
    • Il en résulte que c’est le droit commun qui leur est applicable, en particulier la théorie de l’apparence
    • Le mariage entaché de nullité étant réputé n’avoir jamais existé, les époux sont considérés comme des concubins
    • Or la jurisprudence admet que dès lors que des concubins ont donné l’apparence d’un couple marié, les tiers sont fondés à se prévaloir des dispositions qui régissent leurs relations avec les époux, notamment l’article 220 relatif à la solidarité des dettes ménagères.
    • L’invocation de la théorie de l’apparence est cependant subordonnée à la réunion de plusieurs conditions :
      • Une situation contraire à la réalité
      • Une croyance légitime du tiers
      • Une erreur excusable du tiers
      • Une imputabilité de l’apparence au titulaire véritable

La nullité du mariage: régime juridique

En ce que le mariage comporte une dimension contractuelle, il est envisagé par le législateur comme un acte juridique.

À ce titre, la violation de ses conditions de formation est sanctionnée par la nullité.

Lorsqu’elle est prononcée, la nullité a pour effet d’anéantir le mariage.

Ainsi, cette sanction met-elle fin à l’union conjugale, au même titre que le divorce.

Toutefois, il convient de bien distinguer ce mode de rupture du mariage du divorce, notamment en ce qu’elle n’emporte pas les mêmes effets.

  • La nullité
    • Elle vient sanctionner la violation d’une des conditions de formation du mariage (excepté la non-publication des bans qui constitue un empêchement prohibitif).
    • La nullité agit rétroactivement, de sorte que le mariage est réputé n’avoir jamais existé.
    • Elle met donc fin tant aux effets passés, qu’aux effets futurs du mariage
    • Par exception, en cas de mariage putatif certains effets bénéficient toujours aux enfants et, parfois, à l’époux de bonne foi.
  • Le divorce
    • Il met fin au mariage soit à la suite d’une décision conjointe des époux, soit pour sanctionner une violation, non pas d’une condition de formation du mariage, mais d’une obligation née de la formation du mariage
    • Le divorce ne met fin au mariage que pour l’avenir.
    • Il n’est pas rétroactif comme peut l’être la nullité.
    • Le divorce produit ses effets à l’égard des deux époux.
    • Il n’est pas question de faire ici comme si le mariage n’avait jamais existé.
    • Au contraire, le divorce va donner lieu à la liquidation de l’union matrimoniale

==> Notion

La nullité est donc la sanction encourue par un acte judiciaire entaché d’un vice de forme ou d’une irrégularité de fond.

Par « nul », il faut comprendre, poursuit cette disposition, qu’il « est censé n’avoir jamais existé. »

Il ressort de cette définition générale de la nullité qu’elle présente deux caractères principaux :

  • Elle sanctionne les conditions de formation de l’acte irrégulier
  • Elle anéantit l’acte qu’elle frappe rétroactivement

Compte tenu de la gravité de cette sanction qui, donc est susceptible de mettre un terme à l’union conjugale, le législateur a aménagé le régime juridique des nullités en matière de mariage, de sorte qu’il se distingue de celui applicable aux contrats.

Trois différences notables avec le droit commun peuvent être observées :

  • D’une part, la violation d’une condition de formation du mariage n’est pas nécessairement sanctionnée par une nullité (non-publication des bans)
  • D’autre part, les conditions d’exercice de l’action en nullité du mariage sont restreintes
  • Enfin, les effets de la nullité du mariage sont adoucis, en ce sens que la rétroactivité de la sanction est, sur certains points, écartée

Pour le reste, les principes généraux qui gouvernent les nullités s’appliquent au mariage, de sorte qu’il est permis d’envisager leur régime juridique, à maints égards, par analogie avec le droit commun.

==> La summa divisio des nullités

Traditionnellement, on distingue deux catégories de nullités :

  • Les nullités relatives
  • Les nullités absolues

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir quel critère retenir pour les distinguer. Sur cette question, deux théories se sont opposées : l’une dite classique et l’autre moderne

  • La théorie classique
    • Selon cette théorie, née au XIXe siècle, le critère de distinction entre les nullités relatives et les nullités absolues serait purement anthropomorphique.
    • Autrement dit, l’acte juridique pourrait être comparé à un être vivant, lequel est composé d’organes.
    • Or ces organes peuvent, soit faire défaut, ce qui serait synonyme de mort, soit être défectueux, ce qui s’apparenterait à une maladie.
    • Selon la doctrine de cette époque, il en irait de même pour l’acte juridique qui est susceptible d’être frappé par différents maux d’une plus ou moins grande gravité.
      • En l’absence d’une condition d’existence (consentement, objet, cause) l’acte serait mort-né : il encourrait la nullité absolue
      • Lorsque les conditions d’existence seraient réunies mais que l’une d’elles serait viciée, l’acte serait seulement malade : il encourrait la nullité relative
    • Cette théorie n’a pas convaincu les auteurs modernes qui lui ont reproché l’artifice de la comparaison.
  • La théorie moderne
    • La théorie classique des nullités a été vivement critiquée, notamment par Japiot et Gaudemet.
    • Selon ces auteurs, le critère de distinction entre la nullité relative et la nullité absolue réside, non pas dans la gravité du mal qui affecte l’acte, mais dans la finalité poursuivie par la règle sanctionnée par la nullité.
    • Ainsi, selon cette théorie :
      • La nullité absolue viserait à assurer la sauvegarde de l’intérêt général, ce qui justifierait qu’elle puisse être invoquée par quiconque à un intérêt à agir
      • La nullité relative viserait à assurer la sauvegarde d’un intérêt privé, ce qui justifierait qu’elle ne puisse être invoquée que par la personne protégée par la règle transgressée
    • S’il est indéniable que le critère de distinction proposé par la doctrine moderne est d’application plus aisé que le critère anthropomorphique, il n’en demeure pas moins, dans certains cas, difficile à mettre en œuvre.

Au bilan, il ressort de la distinction opérée par la jurisprudence que la nullité est :

  • absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général.
  • relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé.

==> Les cas de nullité relative et absolue

Le principe général « pas de nullité sans texte » s’applique en matière de mariage.

Cela signifie que la nullité du mariage n’est encourue qu’à la condition d’être envisagée par une disposition. À défaut, l’irrégularité ne donne pas lieu à l’annulation du mariage.

Lorsque, en revanche, que la nullité est prévue, il convient de déterminer, s’il s’agit d’une nullité relative ou absolue.

  • Les nullités relatives
    • Il s’agit des nullités qui visent à sanctionner la violation d’un intérêt privé
    • Au nombre de ces nullités, on compte :
      • Les vices du consentement
        • Erreur sur les qualités essentielles de la personne
        • La violence
      • Le défaut d’autorisation de la famille
  • Les nullités absolues
    • Il s’agit des nullités qui visent à sanctionner la violation de l’intérêt génal
    • Les cas de nullités absolues sont manifestement, en matière de mariage, plus nombreux que les cas de nullités relatives :
      • Le défaut d’âge légal
      • L’absence de consentement
      • L’absence de l’époux lors du mariage
      • La bigamie
      • L’inceste
      • La clandestinité
      • L’incompétence de l’officier d’état civil

Une fois déterminée la nature de la nullité par laquelle est sanctionnée l’irrégularité dont est entaché le mariage, il conviendra d’exercer une action en justice aux fins de la faire constater par le Juge (I)

Que la nullité soit absolue ou relative, cela n’aura toutefois aucune répercussion sur les effets de la nullité (II)

I) L’action en nullité

A) Les titulaires de l’action en nullité

Selon que la nullité est relative ou absolue, les personnes susceptibles d’exercer l’action en nullité varient

  1. Les nullités relatives

Le principe général est, en la matière, que seule la personne protégée par la règle sanctionnée par une nullité relative a qualité à agir.

En matière de mariage, cette règle a été quelque peu aménagée.

==> Les nullités pour vice du consentement

Il convient ici de distinguer l’erreur de la violence :

  • La nullité pour violence
    • L’article 180, al. 1er du Code civil prévoit que deux personnes ont qualité à agir pour exercer l’action en nullité :
      • Le ou les époux victime de la violence
      • Le ministère public
  • La nullité pour erreur
    • L’article 180, al. 2e du Code civil prévoit que seul l’époux qui a été induit en erreur a qualité à agir pour exercer l’action en nullité

==> Le défaut d’autorisation familiale

L’article 182 du Code civil prévoit que « le mariage contracté sans le consentement des père et mère, des ascendants, ou du conseil de famille, dans les cas où ce consentement était nécessaire, ne peut être attaqué que par ceux dont le consentement était requis, ou par celui des deux époux qui avait besoin de ce consentement. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de défaut d’autorisation familiale, l’action en nullité peut être exercée :

  • Par l’époux incapable
  • La personne dont le consentement était requis

2. Les nullités absolues

Le principe général est, en la matière, que quiconque possède un intérêt peut exercer l’action en nullité absolue.

En matière de mariage, le cercle de ces personnes ayant qualité à agir a cependant été considérablement restreint.

Il ressort de la combinaison des articles 184 et 185 du Code civil que, en matière de nullité absolue, pour déterminer les titulaires de l’action, il convient de distinguer entre les personnes qui doivent justifier d’un intérêt pécuniaire et celles qui n’ont pas besoin de justifier d’un tel intérêt

  • Les personnes n’ayant pas à justifier d’un intérêt pécuniaire
    • Les époux
    • Le conjoint du futur époux
    • Les père et mère
    • Les ascendants
    • Le Conseil de famille en l’absence d’ascendants
    • Le ministère public (ne peut agir que du vivant des époux)
  • Les personnes devant justifier d’un intérêt pécuniaire
    • Les collatéraux
    • Les enfants nés d’un autre mariage, du vivant des deux époux
    • Les créanciers des époux

B) La prescription de l’action en nullité

L’action en nullité se prescrit différemment selon que la nullité invoquée est absolue ou relative.

==> La prescription de la nullité absolue

  • Délai
    • L’article 184 du Code civil prévoit que « tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public.»
    • Dans un arrêt du 29 mai 2013, la Cour de cassation a précisé que « la loi du 17 juin 2008 a maintenu à trente ans le délai de prescription applicable à l’action en nullité absolue du mariage » (Cass 1ère, 29 mai 2013).
  • Point de départ
    • La prescription court à compter du jour de la célébration du mariage
    • En cas d’impossibilité pour le titulaire de l’action d’agir, conformément à l’article 2234 du Code civil, la prescription est suspendue de sorte que l’action peut être exercée au-delà du délai de trente ans (Cass 1ère, 29 mai 2013)

Cass 1ère civ., 29 mai 2013
Sur les deux moyens, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 novembre 2011), qu'après s'être marié le 20 juillet 1950 avec Mme X..., Michel Y...a épousé Mme Z... au Mexique le 18 juin 1964 ; que son divorce d'avec Mme X...a été prononcé le 13 février 1967 et que son mariage avec Mme Z... a été transcrit au consulat général de France à Mexico le 30 novembre 1974 ; qu'après le prononcé de son divorce d'avec Mme Z... le 17 septembre 1990, Michel Y...s'est remarié avec Mme B...le 27 décembre 1991 ; que Michel Y...étant décédé le 13 janvier 2009, Mme B...a assigné Mme Z... en annulation du mariage célébré le 18 juin 1964, pour cause de bigamie ;

Attendu que Mme B...fait grief à l'arrêt de déclarer l'action irrecevable comme prescrite, alors, selon le moyen :

1°/ que, antérieurement à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et nonobstant la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 qui ne concerne que les actions relatives à la filiation, l'action en nullité du mariage pour bigamie n'était encadrée dans aucun délai de prescription ; que par suite, tant en application de l'article 26- II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, qu'en application des règles générales gouvernant les conflits de lois dans le temps, la prescription trentenaire, telle que prévue par l'article 184 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, n'a pu courir que du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 147 et 184 du code civil, ensemble l'article 2 du même code et l'article 26- II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

2°/ que, à supposer que le délai de trente ans institué par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et inséré à l'article 184 du code civil ait pu s'appliquer pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, en toute hypothèse, le délai de prescription n'était pas susceptible de courir tant que Mme B...n'était pas en mesure d'agir ; qu'en s'abstenant de rechercher si la demanderesse n'avait pas été mise dans l'impossibilité d'agir avant la transcription du mariage attaqué sur l'acte de naissance de Michel Y...le 18 octobre 1979, en sorte que le point de départ de la prescription trentenaire devait être reporté à cette date, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 184 et 2234 nouveaux du code civil ;

3°/ que, à supposer que les règles gouvernant en l'espèce le point de départ ou la suspension du délai de prescription fussent celles qui étaient en vigueur avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'arrêt encourrait encore la cassation, pour la raison exposée à la première branche du moyen, pour défaut de base légale au regard de l'article 184 ancien du code civil et de la règle selon laquelle la prescription ne court pas à l'encontre de celui qui se trouve dans l'impossibilité d'agir ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que la loi du 17 juin 2008 a maintenu à trente ans le délai de prescription applicable à l'action en nullité absolue du mariage ;

Attendu, d'autre part, que la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription ; qu'ayant relevé que Mme B...indiquait dans ses écritures qu'elle aurait pu connaître la situation matrimoniale antérieure de son époux à la date de mention du mariage contracté avec Mme Z... sur l'acte de naissance de Michel Y..., soit le 18 octobre 1979, et qu'elle aurait pu prendre connaissance de l'acte de naissance de son conjoint lors de son mariage en décembre 1991, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, en a déduit que Mme B...disposait encore du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription, et que son action était prescrite ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> La prescription de la nullité relative

  • Délai
    • L’article 181 du Code civil prévoit que « la demande en nullité n’est plus recevable à l’issue d’un délai de cinq ans à compter du mariage. »
    • Ce délai est donc considérablement réduit en comparaison de celui qui court en matière de nullité absolue
  • Point de départ
    • La prescription de l’action en nullité relative a pour point de départ le jour de la célébration du mariage
    • En cas d’impossibilité d’exercer cette action, elle pourra toujours être exercée au-delà du délai de prescription, en application de l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio, soit une prescription ne peut s’appliquer contre quelqu’un qui ne peut pas agir
  • Cas particulier du défaut d’autorisation familiale
    • L’article 183 du Code civil prévoit que « l’action en nullité ne peut plus être intentée ni par les époux, ni par les parents dont le consentement était requis, toutes les fois que le mariage a été approuvé expressément ou tacitement par ceux dont le consentement était nécessaire, ou lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de leur part, depuis qu’ils ont eu connaissance du mariage. Elle ne peut être intentée non plus par l’époux, lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de sa part, depuis qu’il a atteint l’âge compétent pour consentir par lui-même au mariage.»
    • Il ressort de cette disposition se prescrit différemment selon le titulaire de l’action
      • Action des parents et ascendants
        • Le délai de prescription est de 5 ans
        • Il commence à courir à compter du jour où les parents ont et connaissance du mariage
        • Aucune action en nullité ne peut plus être intentée à l’expiration du délai de 5 ans
      • Action de l’époux
        • Le délai de prescription est également pour l’époux de 5 ans
        • Toutefois, le délai commence à courir à compter du jour où il a atteint l’âge requis pour contracter mariage, soit 18 ans révolus

II) Les effets de la nullité

A) L’effet rétroactif de la nullité

Le principal effet de la nullité c’est la rétroactivité. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que le mariage est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans la mesure où le mariage aura nécessairement reçu un commencement d’exécution, son annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

L’effet rétroactif est attaché, tant à la nullité relative, qu’à la nullité absolue.

La rétroactivité à plusieurs conséquences sur la situation des époux, quant à leur personne et quant à leurs biens

L’obligation de communauté de vie, le devoir de fidélité, d’assistance et de secours sont considérés comme n’ayant jamais existé.

Un époux ne saurait, en conséquence, se prévaloir de l’adultère de son conjoint consécutivement à la rupture, ou encore revendiquer le paiement d’une prestation compensatoire.

Plus généralement, les rapports patrimoniaux entre les époux se régleront selon les règles du droit commun et non selon le droit des régimes matrimoniaux.

B) Le mariage putatif

==> Principe

Compte tenu de la gravité de la sanction que constitue la nullité, en ce qu’elle met brutalement un terme à l’union conjugale, le législateur a adouci, à certains égards, ses effets.

Cet assouplissement des effets de la nullité se traduit, notamment par l’instauration du mariage putatif.

Ce système consiste, non pas à préserver l’union conjugale dont la rupture est d’ores et déjà consommée, mais à limiter l’annulation aux seuls effets à venir.

Autrement dit, la nullité n’opérera pas sur les effets passés du mariage.

Cette limitation des effets de la nullité est sous-tendue par l’idée que, ni les enfants, ni l’époux de bonne foi ne doivent être touchés par la sévérité de la sanction, en conséquence de quoi il apparaît juste de faire perdurer, à leur seul bénéfice, certains effets du mariage.

==> Conditions

  • L’exigence de bonne foi des époux
    • L’article 201 du Code civil prévoit que « le mariage qui a été déclaré nul produit, néanmoins, ses effets à l’égard des époux, lorsqu’il a été contracté de bonne foi. »
    • Il ressort de cette disposition que le mariage putatif opère, à la seule et unique condition que les époux soient de bonne foi.
    • La bonne foi consiste pour un époux en l’ignorance de l’existence d’un empêchement dirimant, soit de la cause de nullité du mariage
    • L’erreur commise par l’époux peut être de droit ou de fait
    • La jurisprudence n’exige pas que l’erreur soit excusable, ni ne distingue selon les vices qui affectent la validité du mariage
    • Il suffit que la bonne foi existe au moment du mariage
    • Par ailleurs, la bonne foi est toujours présumée de sorte qu’il appartient à l’époux qui conteste l’application du mariage putatif de rapporter la preuve de la mauvaise foi de son conjoint
    • Il n’est pas nécessaire que les deux époux soient de bonne foi.
    • L’alinéa 2 de l’article 201 prévoit en ce sens que « si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit ses effets qu’en faveur de cet époux.»
  • L’indifférence de la situation des enfants
    • L’article 202 du Code civil prévoit que le mariage putatif « produit aussi ses effets à l’égard des enfants, quand bien même aucun des époux n’aurait été de bonne foi. »
    • Ainsi, est-il indifférent qu’aucun des époux ne soit de bonne foi s’agissant des effets du mariage putatif à l’égard des enfants.

==> Effets

  • Les effets à l’égard des époux
    • Plusieurs situations sont susceptibles de se présenter
      • Les deux époux sont de mauvaise foi
        • Dans cette hypothèse le mariage putatif n’opérera pour aucun des deux
        • Cela signifie que la nullité anéantira, tant les effets futurs du mariage que ses effets passés
        • Le mariage sera réputé n’avoir produit aucun effet à l’égard des époux
        • Aucun d’eux ne pourra se prévaloir des conventions matrimoniales
      • Un des époux est de bonne foi
        • Dans cette hypothèse, la nullité opérera sans rétroactivité pour l’époux de bonne foi
        • Quant au conjoint de mauvaise foi, il ne pourra pas bénéficier du mariage putatif
        • Il subira les effets de la rétroactivité de la nullité qui donc lui interdira de se prévaloir des effets passés du mariage
      • Les deux époux sont de bonne foi
        • Le mariage putatif opérera pour les deux époux, si bien que seuls les effets futurs du mariage seront anéantis
        • Les effets passés seront maintenus, nonobstant l’annulation de l’union conjugale
        • Les rapports entre époux se régleront selon les prescriptions du droit des régimes matrimoniaux
        • Les époux pourront alors conserver le bénéfice des libéralités consenties l’un à l’autre
  • Les effets à l’égard des enfants
    • Les enfants bénéficieront, en toute hypothèse, du mariage putatif, peu importe que leurs parents soient de bonne ou de mauvaise foi
    • Cette faveur présentait un intérêt particulier lorsque le droit opérait une distinction entre les enfants légitimes (issus du mariage) et les enfants naturels (issus du concubinage).
    • En effet, les enfants conservaient la légitimité qu’ils avaient acquise sous l’effet du mariage de leur parent
    • Désormais, ce régime de faveur n’a que peu d’intérêt en pratique dès lors que la distinction entre la filiation légitime et naturelle a été abolie par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation
    • L’alinéa 2 de l’article 202 prévoit seulement que « le juge statue sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale comme en matière de divorce. »
  • Les effets à l’égard des tiers
    • Aucune disposition du Code civil ne règle les effets du mariage putatif à l’égard des tiers
    • Il en résulte que c’est le droit commun qui leur est applicable, en particulier la théorie de l’apparence
    • Le mariage entaché de nullité étant réputé n’avoir jamais existé, les époux sont considérés comme des concubins
    • Or la jurisprudence admet que dès lors que des concubins ont donné l’apparence d’un couple marié, les tiers sont fondés à se prévaloir des dispositions qui régissent leurs relations avec les époux, notamment l’article 220 relatif à la solidarité des dettes ménagères.
    • L’invocation de la théorie de l’apparence est cependant subordonnée à la réunion de plusieurs conditions :
      • Une situation contraire à la réalité
      • Une croyance légitime du tiers
      • Une erreur excusable du tiers
      • Une imputabilité de l’apparence au titulaire véritable

L’interprétation du contrat et le juge

En matière contractuelle, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification à une clause du contrat.

En cours d’exécution, il est possible que la rédaction d’une ou plusieurs stipulations apparaisse maladroite, sibylline, voire incomplète, de sorte que la compréhension du contenu des obligations des parties s’en trouverait malaisée.

Aussi, conviendra-t-il d’interpréter le contrat, soit pour en élucider le sens, soit pour en combler les lacunes.

  • Dans le premier cas, il s’agira d’une interprétation explicative : la recherche de la signification du contrat devra être effectuée en considération de la volonté des parties
  • Dans le second cas, il s’agira de combler les lacunes du contrat : l’interprétation du juge deviendra alors créatrice, de sorte qu’il n’aura d’autre choix que de s’écarter de la volonté des parties et d’interpréter le contrat à la lumière de la loi, l’équité et les usages

1. L’interprétation explicative au nom de la volonté des parties

Lorsque le juge se livre à une interprétation explicative du contrat, son pouvoir est encadré par deux règles auxquelles il ne saurait déroger sous aucun prétexte, sous peine de censure par la Cour de cassation :

  • La recherche exclusive de la commune intention des parties
  • L’interdiction absolue de dénaturer le sens ou la portée de stipulations claires et précise

1.1 La recherche de la commune intention des parties

a. Principe

i. Principe cardinal

Aux termes de l’article 1188, al. 1er du Code civil « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. »

Cette disposition exprime l’objectif qui doit toujours être poursuivi par le juge lorsqu’il interprète le contrat : la recherche de l’intention des parties.

Aussi, est-ce la méthode subjective qui, lorsque cela est possible, doit toujours prévaloir sur toutes autres considérations.

Cela signifie donc que la recherche de la commune intention des parties doit primer :

  • d’une part, sur le sens littéral des termes du contrat
  • d’autre part, sur l’équité à laquelle le juge pourrait être tenté de succomber

Afin de parvenir à interpréter le contrat à la lumière de cette commune intention des parties qui ne sera pas toujours aisé de déceler, le législateur lui a adressé un certain nombre de directives complémentaires, énoncées aux articles 1189 à 1191 du Code civil.

ii. Directives complémentaires

?Première directive : l’interprétation en considération de la globalité du contrat ou de l’ensemble contractuel

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le contrat est conclu de manière isolée
    • Dans cette hypothèse, l’article 1189, al. 1er du Code civil prévoit que « toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. »
    • Cela signifie que les stipulations contractuelles ne doivent pas être interprétées isolément en faisant abstraction de l’environnement contractuel dans lequel elles s’insèrent.
    • Chaque clause appartient à tout, en conséquence de quoi l’interprétation du contrat doit être envisagée de manière globale
    • Lorsque, dès lors, le juge se livre à l’interprétation d’une stipulation en particulier, il doit veiller à ce que la signification qu’il lui confère ne heurte pas la cohérence du contrat.
  • Le contrat appartient à un ensemble contractuel
    • L’ordonnance du 10 février 2016 a anticipé cette hypothèse en posant à l’article 1189, al. 2 du Code civil que « lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. »
    • Ainsi, c’est au regard de l’ensemble contractuel pris dans sa globalité que les contrats qui le composent doivent être interprétés.

?Deuxième directive : l’interprétation en considération de l’utilité de la clause

Aux termes de l’article 1191 du Code civil, « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun. »

Cette directive adressée au juge relève manifestement du bon sens

À quoi bon donner un sens à une clause qui serait dépourvue d’effet au détriment d’une stipulation qui produirait un effet utile ?

Cette règle vise, manifestement, à remplacer celle posée par l’ancien article 1157 du Code civil qui prévoyait que « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun »

Cet article était lui-même inspiré de l’adage « actus interpretandus est potius ut valeat quam ut pereat » : un acte doit être interprété plutôt pour qu’il produise un effet que pour qu’il reste lettre morte

?Troisième directive : l’interprétation en considération de la qualité d’une partie

Aux termes de l’article 1190 du Code civil « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »

Cette disposition est directement inspirée de l’ancien article 1162 du Code civil qui prévoyait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »

À la différence de l’article 1162, l’article 1190 distingue désormais selon que le contrat est de gré à gré ou d’adhésion.

  • S’agissant du contrat de gré à gré
    • Il ressort de l’article 1190 que, en cas de doute, le contrat de gré à gré doit être interprété contre le créancier
    • Ainsi, lorsque le contrat a été librement négocié, le juge peut l’interpréter en fonction, non pas de ses termes ou de l’utilité de la clause litigieuse, mais de la qualité des parties.
    • Au fond, cette règle repose sur l’idée que, de par sa qualité de créancier, celui-ci est réputé être en position de force par rapport au débiteur.
    • Dans ces conditions, aux fins de rétablir l’équilibre, il apparaît juste que le doute profite au débiteur.
    • Il peut être observé que, sous l’empire du droit ancien, l’interprétation d’une clause ambiguë a pu conduire la Cour de cassation à valider la requalification de cette stipulation en clause abusive (Cass. 1er civ. 19 juin 2001, n°99-13.395).
    • Plus précisément, la première chambre civile a estimé, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [qu’en] affranchissant dans ces conditions le prestataire de services des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives ».
  • S’agissant du contrat d’adhésion
    • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
    • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
    • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (art. 1110, al. 2 C. civ.)
    • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
    • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.
    • Cette règle n’est pas isolée
    • L’article L. 211-1 du Code de la consommation prévoit que
      • D’une part, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. »
      • D’autre part, « elles s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables aux procédures engagées sur le fondement de l’article L. 621-8. »
    • Dans un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n°00-13.342 et 00-19.001)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public.
    • La question que l’on est alors légitimement en droit de se poser est de savoir s’il en va de même pour le nouvel article 1190 du Code civil.

Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 133-2, alinéa 2, du Code de la consommation ;

Attendu, selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel ;

Attendu que le 26 juin 1984, M. X… a souscrit auprès de la compagnie Préservatrice Foncière assurances (PFA Vie) deux contrats d’assurance de groupe garantissant en cas de décès et d’invalidité permanente totale, le versement d’un capital ; qu’il a cédé, le même jour, le bénéfice de l’un des contrats à la société Union pour le financement d’immeubles de sociétés (UIS) ; que M. X…, atteint d’une sclérose en plaque, a cessé son activité professionnelle en 1994, a été placé en invalidité et a sollicité la mise en oeuvre des garanties contractuelles ; que s’étant heurté à un refus de la compagnie d’assurances faisant valoir qu’il ne remplissait pas la double condition prévue au contrat, il a fait assigner cette dernière, le 17 septembre 1996, devant le tribunal de grande instance ;

Attendu qu’il résulte des énonciations mêmes de l’arrêt attaqué qui a débouté M. X… de sa demande, que la clause définissant le risque invalidité était bien ambiguë de sorte qu’elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable à M. X… ;

qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Agen ;

B. Tempérament

L’obligation de recherche pour le juge de la commune intention des parties n’est pas sans tempérament.

Il est des situations où faute de stipulations suffisamment claires et précises, les directives d’interprétation complémentaires ne lui seront d’aucun secours.

Le législateur a anticipé cette hypothèse en prévoyant à l’article 1188, al.2 que « lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »

Aussi, cette disposition autorise-t-elle le juge à s’écarter de la méthode d’interprétation subjective à la faveur de la méthode objective.

Plus précisément, lorsque la recherche de la commune intention des parties se heurte à l’ambiguïté du corpus contractuel, le juge peut se reporter à l’intention susceptible d’être prêtée à « une personne raisonnable » ?

Que doit-on entendre par « personne raisonnable »? Il s’agissait, autrefois, du bon père de famille. Cet élément posé, cela ne nous renseigne pas plus sur le sens de cette formule.

Quoi qu’il en soit, cette possibilité pour le juge de se reporter à l’intention d’une « personne raisonnable » est conditionnée par l’impossibilité de rechercher la commune intention des parties.

L’article 1188 du Code civil institue ainsi clairement une hiérarchie entre la méthode d’interprétation subjective et objective.

1.2 L’interdiction de dénaturer le sens et la portée de stipulations claires et précises

Aux termes de l’article 1192 du Code civil « on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Cette disposition doit être comprise comme posant une limite au pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière contractuelle : l’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

?Le pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière d’interprétation

En principe, l’interprétation des contrats est une question abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond.

Cette règle se justifie par le fait que la Cour de cassation n’a pas vocation à connaître « du fond » des litiges. Or l’interprétation d’un contrat relève clairement d’une question de fond, sinon de fait.

La norme contractuelle ne produit, effectivement, qu’un effet relatif, en ce sens qu’elle ne s’applique qu’aux seules parties. Le contrat, bien qu’opposable aux tiers, ne crée aucune obligation à leur égard, sinon celle de ne pas faire obstacle à son exécution.

Il en résulte que l’on ne saurait voir dans l’interprétation de la norme contractuelle une question de droit, comme c’est le cas d’une règle d’application plus générale telle que, par exemple, une convention collective.

Dès lors, l’interprétation d’une stipulation obscure ou ambiguë échappe totalement au contrôle de la Cour de cassation, sauf à ce que les juges du fond aient dénaturé le sens du contrat.

?L’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

Si donc l’interprétation des contrats est, en principe, une question de fait abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond pour les raisons précédemment évoquées, après quelques atermoiements (V. en ce sens notamment Cass. ch. réunies, 2 févr. 1808) la Cour de cassation s’est reconnu le droit de censurer les décisions qui modifient le sens de clauses claires et précises.

Dans un célèbre arrêt du 15 avril 1872, elle a ainsi jugé « qu’il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes de ces conventions sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent, et de modifier les stipulations qu’elles renferment » (Cass. civ. 15 avr. 1872).

Autrement dit, il est fait défense aux juges du fond d’altérer le sens du contrat, sous couvert d’interprétation, pour des considérations d’équité, dès lors que les stipulations sont suffisamment claires et précises.

C’est là le sens de la règle qui a été consacrée à l’article 1192 du Code civil. Antérieurement à la réforme des obligations, cette règle avait pour fondement l’ancien article 1134, car elle n’est autre que l’émanation du principe de force obligatoire du contrat.

Parce que le contrat est intangible, la liberté du juge doit être limitée dès lors qu’il s’agit de conférer une signification à l’acte.

2. L’interprétation créatrice au nom de la loi, de l’équité et les usages

En cas de lacunes et de silence du contrat, il est illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

Tel est le sens de l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. ». Il est manifestement formulé dans les mêmes termes que l’ancien article 1135 du Code civil.

En somme, cette disposition autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

?Le forçage du contrat ou le pouvoir créateur du juge

L’histoire du droit civil moderne révèle que l’ancien article 1135, désormais 1194, a joué en rôle central dans l’évolution de la jurisprudence.

Son œuvre créatrice en matière contractuelle est, pour une large part, assise sur cette disposition qui permet au juge d’étendre le champ contractuel bien au-delà de ce qui était initialement prévu par les parties.

  • Exemple :
    • afin d’éviter à la victime d’un accident de transport de devoir prouver la faute du transporteur pour obtenir réparation, les tribunaux ont découvert dans le contrat de transport une obligation de sécurité, qualifiée de résultat.
    • La victime est, de la sorte, dispensée de rapporter la preuve d’une faute.
    • C’est ici clairement l’équité qui a fondé l’adjonction de cette obligation, alors même qu’elle n’était pas prévue au contrat.
    • Pour autant, la jurisprudence a estimé qu’elle n’en résultait pas moins de sa nature (Cass. civ. 21 nov. 1911)

Cass. civ. 21 nov. 1911

Sur l’unique moyen du pourvoi :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué, il résulte que le billet de passage remis, en mars 1907, par la Compagnie Générale Transatlantique à Y… Hamida X…, lors de son embarquement à Tunis pour Bône, renfermait, sous l’article 11, une clause, attribuant compétence exclusive au tribunal de commerce de Marseille pour connaître des difficultés auxquelles l’exécution du contrat de transport pourrait donner lieu ;

Qu’au cours du voyage, Y… Hamida, à qui la Compagnie avait assigné une place dans le sous-pont, à côté des marchandises, a été grièvement blessé au pied par la chute d’un tonneau mal arrimé ;

Attendu que, quand une clause n’est pas illicite, l’acceptation du billet sur lequel elle est inscrite, implique, hors les cas de dol ou de fraude, acceptation, par le voyageur qui la reçoit, de la clause elle-même ;

Que, vainement, l’arrêt attaqué déclare que les clauses des billets de passage de la Compagnie Transatlantique, notamment l’article 11, ne régissent que le contrat de transport proprement dit et les difficultés pouvant résulter de son exécution, et qu’en réclamant une indemnité à la Compagnie pour la blessure qu’il avait reçue, Y… agissait contre elle non “en vertu de ce contrat et des stipulations dont il lui imputait la responsabilité” ;

Que l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination, et que la cour d’Alger constate elle-même que c’est au cours de cette exécution et dans des circonstances s’y rattachant, que Y… a été victime de l’accident dont il poursuit la réparation ;

Attendu, dès lors, que c’est à tort que l’arrêt attaqué a refusé de donner effet à la clause ci-dessus relatée et déclaré que le tribunal civil de Bône était compétent pour connaître de l’action en indemnité intentée par Y… Hamida contre la Compagnie Transatlantique ; Qu’en statuant ainsi, il a violé l’article ci-dessus visé.

Par ces motifs, CASSE,

Au nombre de ces obligations découvertes par la jurisprudence on compte notamment :

  • L’obligation de sécurité
  • L’obligation d’information
  • L’obligation de conseil
  • L’obligation de renseignement

S’agissant de l’œuvre créatrice des juges du fond, le contrôle de la Cour de cassation s’en trouve nécessairement renforcé.

La haute juridiction peut, sans aucune difficulté, censurer des tribunaux pour avoir découvert une obligation qu’elle n’entendait pas consacrer ou, au contraire, pour avoir refusé de reconnaître une obligation qu’elle souhaitait imposer.

Quoi qu’il en soit, cette faculté dont dispose le juge de découvrir des obligations non prévues par les parties, conduit à se demander ce qu’il reste du principe d’intangibilité des conventions.

Sous couvert d’équité, de loyauté ou encore de bonne foi, la jurisprudence a de plus en plus tendance à user de la technique du forçage du contrat afin d’en modifier les termes, ce qui, dans certains cas, est susceptible de produire les mêmes effets qu’une révision.

L’obligation précontractuelle d’information (art. 1112-1 C. civ)

L’obligation d’information qui pèse sur les futurs contractants est expressément formulée à l’article 1112-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit que :

« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

« Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

« Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

« Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

« Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

« Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

I) Autonomie de l’obligation d’information

A) Avant la réforme introduite par l’ordonnance du 10 février 2016

Si, avant la réforme, le législateur a multiplié les obligations spéciales d’information propres à des secteurs d’activité spécifiques, aucun texte ne reconnaissait d’obligation générale d’information.

Aussi, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche, non seulement de la consacrer, mais encore de lui trouver une assise juridique.

Dans cette perspective, la Cour de cassation a cherché à rattacher l’obligation générale d’information à divers textes.

Néanmoins, aucune cohérence ne se dégageait quant aux choix des différents fondements juridiques.

Deux étapes ont marqué l’évolution de la jurisprudence :

?Première étape

La jurisprudence a d’abord cherché à appréhender l’obligation d’information comme l’accessoire d’une obligation préexistante

Exemple : en matière de vente, l’obligation d’information a pu être rattachée à :

  • l’obligation de garantie des vices cachés
  • l’obligation de délivrance
  • l’obligation de sécurité.

?Seconde étape

La jurisprudence a ensuite cherché à rattacher l’obligation générale d’information aux principes cardinaux qui régissent le droit des contrats :

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défaut d’information a eu une incidence sur le consentement d’une partie lors de la formation du contrat
    • L’obligation générale d’information a été rattachée par la jurisprudence :
      • Soit aux principes qui gouvernent le dol (ancien art. 1116 C. civ)
      • Soit aux principes qui gouvernent la responsabilité civile (ancien art. 1382 C. civ)
  • Le défaut d’information a eu une incidence sur la bonne exécution du contrat
    • L’obligation générale d’information a pu être rattachée par la jurisprudence :
      • Soit au principe de bonne foi (ancien art. 1134, al. 3 C. civ)
      • Soit au principe d’équité (ancien art. 1135 C. civ)
      • Soit directement au principe de responsabilité contractuelle (ancien art. 1147 C. civ).

B) Depuis la réforme introduite par l’ordonnance du 10 février 2016

L’obligation générale d’information a été consacrée par le législateur à l’article 1112-1 du Code civil, de sorte qu’elle dispose d’un fondement textuel qui lui est propre.

Aussi, est-elle désormais totalement déconnectée des autres fondements juridiques auxquels elle était traditionnellement rattachée.

Il en résulte qu’il n’y a plus lieu de s’interroger sur l’opportunité de reconnaître une obligation d’information lors de la formation du contrat ou à l’occasion de son exécution.

Elle ne peut donc plus être regardée comme une obligation d’appoint de la théorie des vices du consentement.

L’obligation d’information s’impose désormais en toutes circonstances : elle est érigée en principe cardinal du droit des contrats.

II) Domaine d’application de l’obligation d’information

L’article 1112-1 du Code civil n’a pas seulement reconnu à l’obligation d’information son autonomie, il a également étendu son domaine d’application à tous les contrats.

Avant la réforme introduite par l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur n’avait jamais conféré à l’obligation d’information de portée générale, si bien qu’elle n’était reconnue que dans des branches spéciales du droit des contrats :

  • En droit de la consommation
    • Les articles L.111-1 et L. 111-2 du Code de la Consommation instituent une obligation générale d’information dans le cadre de la relation entre un professionnel et un consommateur.
  • En droit de la vente
    • L’article 1602 du Code civil prévoit que « le vendeur est tenu d’expliquer clairement ce à quoi il s’oblige. »
  • En droit commercial
    • L’article L. 141-1 du Code de commerce met à la charge du cédant d’un fonds de commerce une obligation d’information relative aux principaux attributs et caractéristiques du fonds.
  • En droit du travail
    • Les articles L. 1221-3, L. 3171-1 et L. 4141-1 du Code du travail imposent à l’employeur le respect d’une obligation d’information, tant lors de la formation du contrat de travail qu’au moment de son exécution.
  • En droit bancaire
    • L’article L. 313-22 du Code monétaire et financier fait peser sur les établissements de crédit une obligation annuelle d’information à la faveur des cautions, quant à l’évolution du montant de la dette garantie.

En instituant l’obligation d’information à l’article 1112-1 du Code civil, le législateur a entendu consacrer la position de la Cour de cassation qui, depuis de nombreuses années, avait fait de l’obligation d’information un principe cardinal du droit commun des contrats.

Ainsi, cette jurisprudence est-elle désormais inscrite dans le marbre de la loi. L’obligation d’information a vocation à s’appliquer à tous les contrats, sans distinctions.

Est-ce à dire que l’article 1112-1 rend obsolètes les dispositions particulières qui, avant la réforme de 2016, avaient déjà consacré l’obligation d’information ?

Tel serait le cas si l’objet de l’obligation d’information ou ses modalités d’exécution étaient similaires d’un texte à l’autre. Toutefois, il n’en est rien.

L’obligation d’information est envisagée différemment selon le domaine dans lequel elle a vocation à s’imposer aux agents.

Aussi, l’article 1112-1 du Code n’est nullement dépourvu de toute utilité. Il a vocation à s’appliquer à défaut de texte spécial prévoyant une obligation d’information.

III) Objet de l’obligation d’information

A) Principe : toute information déterminante du consentement

L’article 1112-1 du Code civil prévoit que le débiteur de l’obligation d’information doit informer son cocontractant de toute information dont l’importance est déterminante pour le consentement de ce dernier.

Que doit-on entendre par « importance déterminante de l’information » ?

L’alinéa 3 de l’article 1112-1 du Code civil précise que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »

Il ne peut donc s’agir que des informations pertinentes, soit celles qui ont un rapport avec l’objet ou la cause des obligations nées du contrat ou encore la qualité des cocontractants.

L’information communiquée doit, en d’autres termes, permettre au cocontractant de s’engager en toute connaissance de cause, soit de mesurer la portée de son engagement.

Aussi, l’obligation d’information garantit-elle l’expression d’un consentement libre et éclairé.

B) Exceptions

Bien que l’article 1112-1 al. 1 commande à tout contractant de communiquer à l’autre partie toutes les informations susceptibles d’être déterminantes de son consentement, cette règle n’en demeure pas moins assortie d’une exception : l’information portant sur la valeur de la prestation

L’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code de commerce prévoit, en effet, que l’obligation d’information ne saurait porter sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Cela signifie que le débiteur de l’obligation d’information n’est jamais tenu de révéler à son cocontractant la véritable valeur du bien, objet du contrat, quand bien même il s’agirait là d’une information dont l’importance est déterminante de son consentement.

La formulation de cette précision appelle plusieurs observations :

?Consécration de la solution retenue dans l’arrêt Baldus

En précisant à l’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code civil que le devoir d’information « ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. » le législateur a voulu consacrer la position retenue par la Cour de cassation dans le célèbre arrêt Baldus du 3 mai 2000 (Cass. 1ère civ. 3 mai 2000, n°98-11.381).

Dans cette décision, la première chambre civile avait, en effet, estimé « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur » s’agissant de la valeur de la prestation.

  • Faits
    • La détentrice de photographies a vendu aux enchères publiques cinquante photographies d’un certain Baldus au prix de 1 000 francs chacune
    • En 1989, la venderesse retrouve l’acquéreur et lui vend successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies au même prix qu’elle avait fixé
    • Par suite, elle apprend que Baldus était un photographe de très grande notoriété
    • Elle porte alors plainte contre l’acquéreur pour escroquerie
  • Demande
    • Au civil, la venderesse assigne en nullité l’acquéreur sur le fondement du dol.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 5 décembre 1997, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande de la venderesse
    • Les juges du fond estiment que l’acquéreur « savait qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art »
    • Il en résulte pour la Cour d’appel que ce dernier a manqué à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant
    • La réticence dolosive serait donc caractérisée.
  • Solution
    • Dans l’arrêt Baldus, la Cour de cassation censure les juges du fond.
    • La première chambre civile estime « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur ».
    • Ainsi, l’acquéreur des clichés n’avait pas à informer la vendeuse de leur véritable prix, quand bien même ils avaient été acquis pour un montant dérisoire et que, si cette dernière avait eu l’information en sa possession, elle n’aurait jamais contracté.
  • Analyse
    • Il ressort de l’arrêt Baldus qu’aucune obligation d’information sur la valeur du bien ne pèse sur l’acquéreur.
    • Cette solution se justifie, selon les auteurs, par le fait que l’acquéreur est en droit de faire une bonne affaire.
    • Ainsi, en refusant de reconnaître une obligation d’information à la charge de l’acquéreur, la Cour de cassation estime qu’il échoit toujours au vendeur de se renseigner sur la valeur du bien dont il entend transférer la propriété.
    • C’est à l’acquéreur qu’il appartient de faire les démarches nécessaires pour ne pas céder son bien à un prix dérisoire.

Arrêt Baldus

(Cass. 1ère civ. 3 mai 2000)

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1116 du Code civil ;

Attendu qu’en 1986, Mme Y… a vendu aux enchères publiques cinquante photographies de X… au prix de 1 000 francs chacune ; qu’en 1989, elle a retrouvé l’acquéreur, M. Z…, et lui a vendu successivement trente-cinq photographies, puis cinquante autres photographies de X…, au même prix qu’elle avait fixé ; que l’information pénale du chef d’escroquerie, ouverte sur la plainte avec constitution de partie civile de Mme Y…, qui avait appris que M. X… était un photographe de très grande notoriété, a été close par une ordonnance de non-lieu ; que Mme Y… a alors assigné son acheteur en nullité des ventes pour dol ;

Attendu que pour condamner M. Z… à payer à Mme Y… la somme de 1 915 000 francs représentant la restitution en valeur des photographies vendues lors des ventes de gré à gré de 1989, après déduction du prix de vente de 85 000 francs encaissé par Mme Y…, l’arrêt attaqué, après avoir relevé qu’avant de conclure avec Mme Y… les ventes de 1989, M. Z… avait déjà vendu des photographies de X… qu’il avait achetées aux enchères publiques à des prix sans rapport avec leur prix d’achat, retient qu’il savait donc qu’en achetant de nouvelles photographies au prix de 1 000 francs l’unité, il contractait à un prix dérisoire par rapport à la valeur des clichés sur le marché de l’art, manquant ainsi à l’obligation de contracter de bonne foi qui pèse sur tout contractant et que, par sa réticence à lui faire connaître la valeur exacte des photographies, M. Z… a incité Mme Y… à conclure une vente qu’elle n’aurait pas envisagée dans ces conditions ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 décembre 1997, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

?Extension de la solution retenue dans l’arrêt Baldus

Tandis que dans l’arrêt Baldus la Cour de cassation avait refusé de reconnaître une obligation d’information sur la valeur du bien en ne visant que l’acquéreur, l’article 1112-1, al. 2 du Code civil, ne distingue pas selon la qualité des parties ou leur position dans le rapport contractuel.

Aussi, cette solution s’inscrit-elle dans le droit fil d’un arrêt rendu le 17 janvier 2007 où la Cour de cassation était allée beaucoup plus loin que dans l’arrêt Baldus.

Elle avait affirmé en ce sens, au sujet de la vente d’un bien pavillon, que « l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis » (Cass. 3e civ., 17 janv. 2007, n°06-10.442).

Il ressortait dès lors de cette décision que l’obligation d’information sur la valeur du bien ne pesait :

  • ni sur l’acquéreur profane
  • ni sur l’acquéreur professionnel.

Avec l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a entendu, manifestement, étendre encore un peu plus la solution retenue en 2007 en ne distinguant pas selon que contractant est :

  • profane ou professionnel
  • acquéreur ou vendeur

(Cass. 3e civ., 17 janv. 2007)

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1116 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 2005), que M. X…, marchand de biens, bénéficiaire de promesses de vente que M. Y… lui avait consenties sur sa maison, l’a assigné en réalisation de la vente après avoir levé l’option et lui avoir fait sommation de passer l’acte ;

Attendu que pour prononcer la nullité des promesses de vente, l’arrêt retient que le fait pour M. X… de ne pas avoir révélé à M. Y… l’information essentielle sur le prix de l’immeuble qu’il détenait en sa qualité d’agent immobilier et de marchand de biens, tandis que M. Y…, agriculteur devenu manoeuvre, marié à une épouse en incapacité totale de travail, ne pouvait lui-même connaître la valeur de son pavillon, constituait un manquement au devoir de loyauté qui s’imposait à tout contractant et caractérisait une réticence dolosive déterminante du consentement de M. Y…, au sens de l’article 1116 du code civil ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 octobre 2005, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

?Justification de la solution par l’absence de reconnaissance de la lésion

L’exception à l’obligation d’information introduite à l’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code civil se justifie par le refus du législateur, tant en 1804, qu’aujourd’hui, à reconnaître la lésion.

Par lésion il faut entendre, selon Gérard Cornu, « le préjudice que subit l’une des parties au contrat du fait de l’inégalité originaire des prestations réciproques ».

L’article 11168 dispose en ce sens que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Aussi, faire peser sur l’acquéreur une obligation d’information sur la valeur du bien serait revenu à admettre, indirectement, que, en cas de non-respect de cette obligation, la lésion puisse être sanctionnée.

Or, tant la Cour de cassation, que le législateur s’y sont toujours refusé.

D’où l’exclusion de l’obligation d’information sur la valeur du bien.

?Difficultés d’articulation entre l’obligation générale d’information et la réticence dolosive

La réticence dolosive consiste pour une partie, lors de la conclusion du contrat, à garder le silence sur l’un des éléments qu’elle savait déterminant pour son cocontractant, alors même que pèse sur elle une obligation d’information.

Ainsi, l’élément matériel de la réticence dolosive n’est autre que le manquement à l’obligation d’information.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si cette obligation d’information dont il est question en matière de dol est la même que l’obligation générale d’information édictée à l’article 1112-1 du Code civil.

S’il eût été légitime de le penser, il apparaît, à l’examen de l’article 1137, al. 2, relatif à la réticence dolosive, que les deux obligations d’information ne se confondent pas :

  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1112-1, al. 2 (principe général)
    • Cette disposition prévoit que l’obligation générale d’information ne peut jamais porter sur l’estimation de la valeur de la prestation
  • S’agissant de l’obligation d’information fondée sur l’article 1137, al. 2 (réticence dolosive)
    • D’une part, cette disposition prévoit que l’obligation d’information porte sur tout élément dont l’un des contractants « sait le caractère déterminant pour l’autre partie », sans autre précision.
    • On peut en déduire que, en matière de réticence dolosive, l’obligation d’information porte également sur l’estimation de la valeur de la prestation.
    • En effet, le prix constituera toujours un élément déterminant du consentement des parties.
    • D’autre part, l’article 1139 précise que « l’erreur qui résulte d’un dol […] est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat ».
    • Une lecture littérale de cette disposition conduit ainsi à admettre que lorsque la dissimulation – intentionnelle – par une partie d’une information a eu pour conséquence d’induire son cocontractant en erreur quant à l’estimation du prix de la prestation, le dol est, en tout état de cause, caractérisé.
    • Enfin, comme l’observe Mustapha Mekki, « le rapport remis au président de la République confirme que la réticence dolosive n’est pas conditionnée à l’établissement préalable d’une obligation d’information ».
    • Il en résulte, poursuit cet auteur, que la réticence dolosive serait désormais fondée, plus largement, sur les obligations de bonne foi et de loyauté.
    • Aussi, ces obligations commanderaient-elles à chaque partie d’informer l’autre sur les éléments essentiels de leurs prestations respectives.
    • Or incontestablement le prix est un élément déterminant de leur consentement !
    • L’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation pèserait donc bien sur les contractants

Au total, l’articulation de l’obligation générale d’information avec la réticence dolosive conduit à une situation totalement absurde :

  • Tandis que l’alinéa 2 de l’article 1112-1 du Code civil témoigne de la volonté du législateur de consacrer la solution retenue dans l’arrêt Baldus en excluant l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation.
  • Dans le même temps, la combinaison des articles 1137, al. 2 et 1139 du Code civil anéantit cette même solution en suggérant que le manquement à l’obligation d’information sur l’estimation de la valeur de la prestation serait constitutif d’une réticence dolosive.

Pour résoudre cette contradiction, le législateur a décidé, lors de l’adoption de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance portant réforme du droit des obligations, d’ajouter un 3e alinéa à l’article 1137 du Code civil qui désormais précise que « ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation ».

La jurisprudence Baldus est ainsi définitivement consacrée !

C) Exception à l’exception : les opérations de cession de droits sociaux

En matière de cession de droits sociaux, la Cour de cassation retient une solution opposée à celle adoptée en matière de contrat de vente.

Dans un arrêt Vilgrain du 27 février 1996, la chambre commerciale a, en effet, estimé qu’une obligation d’information sur la valeur des droits cédés pesait sur le cessionnaire à la faveur du cédant (Cass. com., 27 févr. 1996, n°94-11.241).

  • Faits
    • Une actionnaire a hérité d’un certain nombre d’actions d’une société CFCF, actions dont elle ne connaissait pas la valeur.
    • Ne souhaitant pas conserver les titres, elle s’adresse au président de la société (Mr Vilgrain) en lui demandant de rechercher un acquéreur.
    • Le président, ainsi que trois actionnaires pour lesquels il s’était porté fort, rachète à l’héritière les titres pour le prix de 3 000 F par action.
    • Les acquéreurs revendent, quelques jours plus tard, les titres acquis à la société Bouygues pour le prix de 8 800 F par action.
  • Demande
    • La cédante initiale ayant eu connaissance de cette vente, demande alors la nullité de la cession des titres pour réticence dolosive, car il lui avait été dissimulé un certain nombre d’informations qui auraient été indispensables pour juger de la valeur des titres.
    • Celle-ci avait seulement connaissance d’un chiffre proposé par une banque et qui était le chiffre de 2 500 F.
    • Or, à l’époque où il achetait les actions de la cédante, Monsieur Vilgrain savait que les titres avaient une valeur bien supérieure.
    • Il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
    • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 19 janvier 1994, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la cédante initiale des actions
    • Pour les juges du fond, Monsieur Vilgrain a sciemment caché à la cédante qu’il avait confié à une grande banque d’affaires parisienne la mission d’assister les membres de sa famille dans la recherche d’un acquéreur pour les titres.
    • Le mandat donné à la banque prévoyait un prix minimum pour la mise en vente de 7 000 F.
    • Aussi, pour la Cour d’appel la réticence dolosive est caractérisée du fait de cette simulation.
  • Moyens
    • Devant la chambre commerciale, M. Vilgrain soutenait que « si l’obligation d’informer pesant sur le cessionnaire, et que postule la réticence dolosive, concerne les éléments susceptibles d’avoir une incidence sur la valeur des parts, que ces éléments soient relatifs aux parts elles-mêmes ou aux actifs et aux passifs des sociétés en cause, elle ne peut porter, en revanche, sur les dispositions prises par le cessionnaire pour céder à un tiers les actions dont il est titulaire »
    • Autrement dit, ce qui était ainsi reproché aux juges d’appel c’était donc d’avoir retenu comme objet de la réticence dolosive les négociations en cours pour la vente des actions déjà détenues par les autres associés (membres de la famille de Monsieur Vilgrain), ce qui concernait les relations des cessionnaires avec un tiers, et non, directement, la différence entre le prix d’achat et celui de revente des actions acquises parallèlement par ces mêmes consorts V. de Mme A.
    • Selon le pourvoi, ce n’est donc pas la plus-value réalisée par les cessionnaires qui avait justifié la qualification de réticence dolosive, mais précisément le fait d’avoir dissimulé des négociations en cours qui portaient sur des actions identiques.
  • Solution
    • Par cet arrêt du 27 février 1996, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le cessionnaire des actions
    • Pour écarter en bloc les divers arguments énoncés au soutien du premier moyen du demandeur la chambre commerciale estime que :
      • D’une part, une obligation d’information sur la valeur des actions cédées pesait bien sur le cessionnaire
      • D’autre part, cette obligation d’information a pour fondement le « devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé »
  • Portée
    • Manifestement, la solution retenue dans l’arrêt Vilgrain est diamétralement opposée de celle adoptée dans l’arrêt Baldus
    • Force est de constater que, dans cette décision, la Cour de cassation met à la charge du cessionnaire (l’acquéreur) une obligation d’information sur la valeur des droits cédés à la faveur du cédant.
    • Il apparaît cependant que l’arrêt Baldus a été rendu postérieurement à l’arrêt Baldus.
    • Est-ce à dire que l’arrêt Baldus opère un revirement de jurisprudence ?
    • Si, certains commentateurs de l’époque ont pu le penser, l’examen de la jurisprudence postérieure nous révèle que l’arrêt Vilgrain pose, en réalité, une exception à la règle énoncée dans l’arrêt Baldus.
    • La Cour de cassation a, en effet, eu l’occasion de réaffirmer la position qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Vilgrain.
    • Dans un arrêt du 22 février 2005 la chambre commerciale a estimé en ce sens que le cessionnaire d’actions « n’avait pas caché aux cédants l’existence ou les conditions de ces négociations et ainsi manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant de société à l’égard de tout associé en leur dissimulant une information de nature à influer sur leur consentement » (Cass. Com. 22 févr. 2005, n°01-13.642)
    • Cette solution est réitérée dans un arrêt du 25 mars 2010 où elle approuve une Cour d’appel pour avoir retenu une réticence dolosive à l’encontre d’une cessionnaire qui avait manqué à son obligation d’information (Cass. civ. 1re, 25 mars 2010).
    • La chambre commerciale relève, pour ce faire que, le cédant « lors de la cession de ses parts, n’avait pu être informé de façon précise des termes de la négociation ayant conduit à la cession par M. A… des titres à la société Tarmac ainsi que des conditions de l’accord de principe déjà donné sur la valorisation de l’ensemble du groupe; que de ces constatations, la cour d’appel a pu déduire que M. A… avait commis un manquement à son obligation de loyauté en tant que dirigeant des sociétés dont les titres avaient été cédés ».
  • Analyse
    • La solution retenue dans l’arrêt Vilgrain trouve sa source dans l’obligation de loyauté qui échoit aux dirigeants à l’égard des associés.
    • Cela s’explique par le fait que les associés, en raison de l’affectio societatis qui les unit se doivent mutuellement une loyauté particulière
    • En effet, contrairement à un contrat de vente où les intérêts des parties sont divergents, sinon opposés, dans le contrat de société les intérêts des associés doivent converger dans le même sens, de sorte qu’ils doivent coopérer
    • Aussi, cela implique-t-il qu’ils soient loyaux les uns envers les autres, ce qui donc se traduit par une plus grande exigence en matière d’obligation d’information.
    • D’où l’extension du périmètre de l’obligation d’information en matière de cession de droits sociaux.

Arrêt Vilgrain

(Cass. com., 27 févr. 1996)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 1994), que le 27 septembre 1989, Mme X… a vendu à M. Bernard Vilgrain, président de la société Compagnie française commerciale et financière (société CFCF), et, par l’intermédiaire de celui-ci, à qui elle avait demandé de rechercher un acquéreur, à MM. Francis Z…, Pierre Z… et Guy Y… (les consorts Z…), pour qui il s’est porté fort, 3 321 actions de ladite société pour le prix de 3 000 francs par action, étant stipulé que, dans l’hypothèse où les consorts Z… céderaient l’ensemble des actions de la société CFCF dont ils étaient propriétaires avant le 31 décembre 1991, 50 % du montant excédant le prix unitaire de 3 500 francs lui serait reversé ; que 4 jours plus tard les consorts Z… ont cédé leur participation dans la société CFCF à la société Bouygues pour le prix de 8 800 francs par action ; que prétendant son consentement vicié par un dol, Mme X… a assigné les consorts Z… en réparation de son préjudice ;

Sur le premier moyen pris en ses cinq branches :

Attendu que M. Bernard Vilgrain fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné, à raison d’une réticence dolosive, à payer à Mme X…, une somme de 10 461 151 francs avec intérêts au taux légal à compter du 1er octobre 1989 alors, selon le pourvoi

[…]

Mais attendu que l’arrêt relève qu’au cours des entretiens que Mme X… a eu avec M. Bernard Vilgrain, celui-ci lui a caché avoir confié, le 19 septembre 1989, à la société Lazard, mission d’assister les membres de sa famille détenteurs du contrôle de la société CFCF dans la recherche d’un acquéreur de leurs titres et ne lui a pas soumis le mandat de vente, au prix minimum de 7 000 francs l’action, qu’en vue de cette cession il avait établi à l’intention de certains actionnaires minoritaires de la société, d’où il résulte qu’en intervenant dans la cession par Mme X… de ses actions de la société CFCF au prix, fixé après révision, de 5 650 francs et en les acquérant lui-même à ce prix, tout en s’abstenant d’informer le cédant des négociations qu’il avait engagées pour la vente des mêmes actions au prix minimum de 7 000 francs, M. Bernard Vilgrain a manqué au devoir de loyauté qui s’impose au dirigeant d’une société à l’égard de tout associé, en particulier lorsqu’il en est intermédiaire pour le reclassement de sa participation ; que par ces seuls motifs, procédant à la recherche prétendument omise, la cour d’appel a pu retenir l’existence d’une réticence dolosive à l’encontre de M. Bernard Vilgrain ; d’où il suit que le moyen ne peut être accueilli

IV) Conditions de mise en œuvre de l’obligation d’information

Il ressort de l’article 1112-1 du Code civil que l’obligation d’information n’est due par l’une des parties à l’autre que sous réserve de la réunion de trois conditions cumulatives

A) La connaissance de l’information par le débiteur de l’obligation

?Principe

Pour qu’une obligation d’information puisse être mise à la charge d’un contractant, encore faut-il qu’il en ait connaissance

Ainsi le législateur a-t-il entendu signifier, par cette condition, que le débiteur de l’obligation d’information n’est pas tenu de se renseigner pour informer.

Dès lors qu’il est établi qu’une partie ignorait une information déterminante du consentement de son cocontractant, elle est dispensée de satisfaire à l’obligation qui lui échoit.

Immédiatement, une question alors se pose : cette dispense d’obligation d’information bénéficie-t-elle au débiteur quels que soient sa qualité, ses aptitudes ou ses compétences ?

Autrement dit, le professionnel doit-il être placé au même niveau que le profane, de sorte que son ignorance pourra toujours être opposée au créancier de l’obligation d’information ?

Dans la version initiale de l’ordonnance présentée le 25 février 2015, tel n’est pas ce qui avait été envisagé en première intention.

L’article 1129 du premier projet, devenu l’article 1112-1, prévoyait que le devoir d’information pesait, tant sur le contractant « qui connaît », que sur celui qui « devrait connaître » l’information.

Toutefois, lors de l’adoption du projet définitif de réforme la précision « devrait connaître » a été perdue en cours de route.

Cette ablation de la version initiale de l’article 1112-1 suggère donc qu’il n’y a pas lieu d’être plus exigent envers un professionnel ou un contractant qui posséderait des aptitudes particulières, sauf à ce que le législateur institue, dans un texte, une obligation spéciale d’information sur un élément de la prestation en particulier ou que pèse sur le débiteur une présomption de connaissance sur une information spécifique.

?Exceptions

  • Obligation de s’informer
    • Pour les médecins
      • L’article L. 1111-2 du Code de la santé publique commande au médecin d’informer ses patients sur un certain nombre d’éléments de sa prestation, tels que notamment les « traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ».
      • Aussi cela signifie-t-il que le médecin est tenu de s’informer sur l’ensemble des éléments sur lesquels porte son obligation d’information.
      • À défaut, il engage sa responsabilité, sans pouvoir opposer à son patient son ignorance sur telle ou telle autre information.
    • Pour les notaires
      • La Cour de cassation rappelle régulièrement que les notaires sont tenus à une obligation d’information et de conseil quant aux effets et à l’efficacité des actes qu’ils rédigent.
      • Dans un arrêt du 9 décembre 2010 la première chambre civile a, par exemple, retenu la responsabilité d’un notaire en affirmant « qu’il appartenait au notaire de prendre en outre l’initiative d’informer l’acquéreur des risques inhérents à la signature de l’acte authentique de vente avant l’expiration du délai de recours contre le permis de construire » (Cass. 1ère civ. 9 déc. 2010, n°09-70.816)
      • Il échoit, en d’autres termes, au notaire d’informer ses clients sur les risques encourus par la réalisation d’une opération.
      • Dans un arrêt du 21 février 1995, la haute juridiction a encore approuvé une Cour d’appel en relevant que « qu’elle a pu considérer qu’en exécution de son devoir de conseil, il appartenait à ce notaire de se renseigner sur la possibilité de construire sur un tel terrain au regard du plan d’occupation des sols en vigueur et de mettre en garde les époux Z… non seulement contre les conséquences d’un refus de l’autorisation de construire mais aussi contre les risques que comportait la remise directe à la société IFIM de la somme prévue au titre de l’indemnité d’immobilisation en cas de non réalisation de la vente ; qu’elle a ainsi caractérisé tant la faute du notaire que le lien de causalité entre celle-ci et le préjudice subi » (Cass. 1ère civ. 21 févr. 1995, n°93-14.233).
      • Ainsi, lorsqu’un notaire manque à son obligation d’information il ne peut pas se réfugier derrière son ignorance, dans la mesure où il lui appartenait de se renseigner pour informer son client.
    • Pour les banquiers
      • Le Code de la consommation précise, dans certaines de ses dispositions, le contenu de l’obligation d’information qui pèse sur le banquier
      • Cela implique donc qu’il est tenu de se renseigner sur toutes celles spécifiquement visées par un texte spécial.
      • À défaut, il engage sa responsabilité, sans pouvoir se prévaloir de son ignorance.
    • Pour n’importe qui
      • Dans un arrêt du 19 octobre 1994 la Cour de cassation a principe général selon lequel « celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l’obligation de s’informer pour informer en connaissance de cause » (Cass. 2e civ., 19 oct. 1994, n°92-21.543).
      • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 20 décembre 2012, la Cour de cassation reprenant, mot pour mot, les termes de son attendu de 1994 (Cass. 1ère civ., 20 déc. 2012, n°11-28.202).
  • Présomption de connaissance
    • Il ressort de la jurisprudence que pèse sur le professionnel une présomption irréfragable de connaissance de l’information dès lors qu’elle relève de sa spécialité.
    • Ainsi dans un arrêt du 28 octobre 2010, la Cour de cassation a estimé que le vendeur professionnel avait l’obligation « de se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue » (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2010, 09-16.913 ; V. également en ce sens Cass. 1re civ., 7 mars 2006, n°03-14.182)

B) L’ignorance de l’information par le créancier de l’obligation

Le créancier de l’obligation d’information est désigné par l’article 1112-1 du Code civil comme celui qui « légitimement » ignore l’information qui aurait dû lui être communiquée ou « fait confiance à son cocontractant ».

Aussi, cela signifie-t-il, en substance, que pèse sur le créancier de l’obligation d’information, un devoir de renseignement

Autrement dit, avant d’exiger de son débiteur qu’il lui communique les éléments déterminant pour son consentement, il appartient au créancier de l’obligation d’information de s’informer lui-même.

Cette exigence a, très tôt, été posée par la jurisprudence qui considère que les futures parties doivent être suffisamment diligentes, curieuses et faire preuve de raison avant de contracter, à défaut de quoi elle ne saurait opposer l’une à l’autre un manquement à l’obligation d’information (V. en ce sens Cass. req., 7 janv. 1901).

Par ailleurs, la Cour de cassation estime que cette obligation de renseignement pèse même sur le consommateur, lequel n’est nullement dispensé de s’informer, à plus forte raison si les informations ignorées sont facilement accessibles

Dans un arrêt du 4 juin 2009, la première chambre a estimé en cens que le manquement à l’obligation d’information dont se prévalait un consommateur à l’encontre de son bailleur n’était pas caractérisé dans la mesure où « un preneur normalement diligent se serait informé » sur la clause litigieuse (Cass. 1ère civ., 4 juin 2009, n°08-13.480).

C) L’importance déterminante de l’information pour le consentement de l’autre partie

L’article 1112-1, al. 1er du Code civil précise que l’obligation d’information ne porte que sur les seuls éléments déterminants pour le consentement de l’autre partie.

Un principe et une exception peuvent être dégagés de cette précision :

?Principe

Seules les informations dont l’importance revêt un caractère déterminant pour le consentement d’une partie doivent être communiquées.

Ainsi, les contractants ne sont pas tenus de communiquer toutes les informations dont ils ont connaissance.

Les informations accessoires et étrangères à la prestation dont la connaissance par le créancier n’aura aucun effet sur son consentement n’ont pas à être communiquées.

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir ce qu’est une information dont l’importance est déterminante pour le consentement d’une partie.

C’est alors vers l’article 1112-1, al. 3 qu’il convient de se tourner, lequel prévoir que « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »

Il ressort de cet alinéa que seules deux catégories d’éléments font l’objet de l’obligation d’information :

  • Les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat
    • Cette catégorie d’informations concerne les éléments du contenu du contrat visés aux articles 1162 et suivant du Code civil, soit :
      • L’objet des obligations
      • Le prix
      • La contrepartie attendue (anciennement la cause)
    • Les éléments du contenu du contrat peuvent également être identifiés à la lumière de l’article 1133 qui dispose que « les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. »
  • Les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec la qualité des parties
    • Il s’agit des qualités en considération desquelles les parties ont contracté, soit l’état civil, le titre, ou encore les caractéristiques physiques du cocontractant.

?Exception

Dans l’hypothèse où le créancier de l’obligation d’information attendrait de la chose ou du service, objets du contrat, une utilité particulière, elle ne saurait reprocher à son cocontractant de ne pas l’avoir informé sur cet élément spécifique si elle ne lui a pas spécifié, au préalable, ses attentes (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 12 juin 2012).

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que pour s’exonérer de sa responsabilité le débiteur de l’obligation d’information est fondé à opposer à son créancier que les informations qui lui ont été communiquées en vue la réalisation de l’opération étaient erronées (Cass. 1ère civ. 28 juin 2007).

V) Preuve de l’obligation d’information

Aux termes de l’article 1112-1, al. 4 du Code civil « il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie ».

Plusieurs enseignements ressortent de cette disposition :

?Application particulière de l’article 1353 du Code civil

L’article 1112-1, al. 4 est une déclinaison rigoureuse de l’article 1353 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en effet, que :

  • Alinéa 1 : « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. »
  • Alinéa 2 : « réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

Il ressort de cette disposition que la détermination de la charge de la preuve doit être effectuée en deux temps :

  • Premier temps
    • La partie qui soulève un manquement à l’obligation d’information doit prouver l’existence de cette obligation, soit qu’il en est bien créancier
    • Autrement dit, il doit établir qu’une obligation d’information pèse sur son cocontractant.
  • Second temps
    • Une fois que le créancier est parvenu à établir l’existence d’une obligation d’information à la charge de son cocontractant, il appartient à ce dernier de prouver qu’il a bien exécuté son obligation.
    • Concrètement, cela revient à démontrer pour le débiteur qu’il a bien communiqué au créancier l’information qui lui était due

?Contrariété au principe posé par la jurisprudence

Après quelques atermoiements, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 25 février 1997, posé le principe selon lequel « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685).

Ainsi, la première chambre civile a-t-elle estimé qu’il appartient au débiteur de prouver qu’il a bien satisfait à l’obligation d’information qui lui échoit.

Dans cette décision, elle opère donc un renversement de la charge de la preuve, puisque, conformément à l’alinéa 1er de l’article 1353, il appartient, en principe, au créancier de prouver que son débiteur n’a pas satisfait à son obligation.

Toutefois, cela reviendrait à lui imposer de rapporter la preuve d’un fait négatif, soit qu’il n’a pas été informé par son cocontractant d’un élément déterminant de son consentement.

Or il est extrêmement difficile d’établir pareille manquement, compte tenu de la nature de l’objet de l’obligation inexécutée.

Aussi, dans un souci de protection du consommateur, la haute juridiction a-t-elle préféré faire peser la charge de la preuve sur le créancier de l’obligation d’information qui, dans bien des cas, ne sera autre que le professionnel.

La Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer sa position à plusieurs reprises (V. en ce sens Cass. 1re civ., 29 avr. 1997, n° 94-21.217; Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n°99-21.521).

Cass. 1re civ., 25 févr. 1997

Sur le moyen unique pris en ses deux dernières branches :

Vu l’article 1315 du Code civil ;

Attendu que celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation ;

Attendu qu’à l’occasion d’une coloscopie avec ablation d’un polype réalisée par le docteur X…, M. Y… a subi une perforation intestinale ; qu’au soutien de son action contre ce médecin, M. Y… a fait valoir qu’il ne l’avait pas informé du risque de perforation au cours d’une telle intervention ; que la cour d’appel a écarté ce moyen et débouté M. Y… de son action au motif qu’il lui appartenait de rapporter la preuve de ce que le praticien ne l’avait pas averti de ce risque, ce qu’il ne faisait pas dès lors qu’il ne produisait aux débats aucun élément accréditant sa thèse ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le médecin est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son patient et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 juillet 1994, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers

V) Sanction de l’obligation d’information

En cas de manquement à l’obligation générale d’information, l’article 1112-1, al. 6 du Code civil prévoit que « outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Deux catégories de sanctions sont envisagées par cette disposition :

  • La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur de l’obligation d’information
  • La nullité du contrat

Une lecture attentive de l’alinéa 6 nous révèle que ces sanctions ne sont pas nécessairement cumulatives.

Le législateur précise, en effet, que le juge « peut », en plus de la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur, prononcer la nullité du contrat, de sorte que cette seconde sanction ne sera pas automatique.

À la vérité, le législateur n’a fait ici que consacrer les solutions déjà acquises en jurisprudence.

Aussi, convient-il de distinguer deux hypothèses :

?Première hypothèse : la violation de l’obligation d’information n’est pas génératrice d’un vice du consentement

Dans cette hypothèse, le juge ne pourra jamais prononcer la nullité du contrat

Cette sanction est, en effet, subordonnée, comme précisé à l’alinéa 6 de l’article 1112-1 du Code civil, à la satisfaction des « conditions prévues aux articles 1130 et suivants ».

Or ces dispositions régissent les vices du consentement.

Par conséquent, si le manquement à l’obligation d’information n’a pas donné lieu à un vice du consentement (erreur ou dol), la nullité du contrat ne pourra pas être encourue.

La violation de cette obligation n’en demeure pas moins sanctionnée : le débiteur engage sa responsabilité.

  • Nature de la responsabilité
    • Jusqu’à aujourd’hui, la Cour de cassation sanctionnait le manquement à l’obligation précontractuelle d’information, tantôt, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle (Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n°09-13.591), tantôt sur le fondement de la responsabilité contractuelle (Cass. 1re civ., 8 avr. 2010, n°08-21.058)
    • L’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 semble néanmoins avoir mis fin au débat qui opposait les auteurs.
    • En effet, dans la mesure où l’obligation générale d’information est désormais une obligation légale, il n’est plus besoin de la rattacher à l’un ou l’autre fondement.
    • Comme n’importe quelle obligation légale, sa violation doit être sanctionnée sur le fondement de la responsabilité délictuelle.
    • Le rattachement à ce fondement constitue indéniablement un réel avantage pour le créancier de l’obligation d’information, dans la mesure où il pourra obtenir réparation de son préjudice sans être contraint de remettre en cause le contrat.
  • Mise en œuvre de la responsabilité
    • L’obligation d’information étant de nature délictuelle, la mise en œuvre de la responsabilité de son débiteur sera subordonnée à la réunion des conditions de l’article 1240 du Code civil (préjudice, faute, lien de causalité)
      • La faute : elle sera caractérisée par le manquement à l’obligation d’information, étant précisé que la charge de la preuve pèse, non pas sur le créancier, mais sur le débiteur.
      • Le préjudice : il consistera, le plus souvent, en la perte d’une chance, soit la possibilité pour le créancier de l’obligation d’information de ne pas conclure le contrat (Cass. com., 20 oct. 2009, n°08-20.274).
    • La mise en œuvre de la responsabilité se traduira alors par l’octroi de dommages et intérêts.
    • Plus précisément, comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Cass. 1er civ., 9 avr. 2002, n°00-13.314).

?Seconde hypothèse : la violation de l’obligation d’information est génératrice d’un vice du consentement

Dans cette hypothèse, le juge peut, en plus de la mise en œuvre de la responsabilité – délictuelle – du débiteur, prononcer la nullité du contrat.

Le prononcé de cette nullité est, cependant, subordonné à la caractérisation d’un vice du consentement, conformément aux articles 1130 et suivants du Code civil.

  • L’erreur
    • Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »
    • La caractérisation de l’erreur, vice du consentement, suppose donc la réunion de deux conditions cumulatives
      • L’erreur doit porter, soit sur les qualités essentielles de la prestation, soit sur les qualités du cocontractant
      • L’erreur ne doit pas être inexcusable
  • Le dol
    • Aux termes de l’article 1137, al. 2 « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. »
    • La caractérisation du dol suppose la réunion de trois conditions
      • La dissimulation d’une information
      • La dissimulation doit être intentionnelle
      • L’information doit revêtir un caractère détermination pour le cocontractant
    • Il peut être observé que la réticence dolosive ne sera sanctionnée que s’il la faute intentionnelle du débiteur est établie, soit sa volonté de dissimuler l’information.
    • Aussi, cette condition soulève-t-elle une difficulté d’articulation entre les articles 1137, al.2 et 1139 du Code civil
    • En effet l’article 1139 prévoit que « l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable »
    • Par conséquent, si l’erreur est provoquée par la violation d’une obligation d’information, cela devrait suffire à caractériser la réticence dolosive.
    • Tel n’est cependant pas le cas si l’on se reporte à l’article 1137, al. 2 qui exige la preuve d’une faute intentionnelle de l’auteur du dol.
    • Ainsi, lorsque l’erreur est provoquée par le manquement à l’obligation générale d’information, contrairement aux prescriptions de l’article 1139, elle ne sera pas toujours excusable.