La médiation au service des relations individuelles de travail

par Federica Rongeat-Oudin (Directrice du DU médiation – Université de Tours) et Martin Oudin (Maître de conférences Hdr – Université de Tours)

Une médiation intra entreprise, dite aussi médiation en entreprise, est une médiation qui intervient au service d’une relation de travail fragilisée.  Le médiateur en entreprise est sollicité pour aider des salariés qui, confrontés à des difficultés relationnelles qui se mêlent souvent à des difficultés liées à l’organisation du travail, voient leur motivation entamée et parfois même leur santé mentale et physique atteinte. Leur relation de travail est ainsi mise à mal par des malentendus, des incompréhensions, des difficultés de communication qui peuvent nourrir un sentiment de stress, susciter un comportement d’évitement ou provoquer un conflit ouvert. L’ambition de la médiation en entreprise est précisément la restauration et l’amélioration de la qualité de cette relation de travail.

Dans ce contexte, les entreprises qui ont recours à la médiation la choisissent rarement comme une alternative à une procédure judiciaire. Elles recherchent plus souvent une voie pour aider des salariés à renouer un dialogue rompu. En effet, si le médiateur en entreprise est parfois appelé à l’occasion de la rupture d’un contrat de travail, la plupart de ses interventions se déroulent en amont, lorsque l’enjeu est de sauver et de poursuivre la relation de travail dans un climat de confiance et de coopération.

Par ailleurs, les relations de travail à propos desquelles le médiateur en entreprise est sollicité sont le plus souvent les relations dites individuelles. La médiation en entreprise va réunir une équipe, un service, deux ou plusieurs collaborateurs, avec ou sans lien hiérarchique. Nous n’envisagerons donc pas dans ces quelques lignes la médiation dans les relations collectives de travail, d’autant plus que le médiateur qui intervient dans ce cadre a un rôle qui le distingue beaucoup des autres médiateurs[1].

Depuis quelques années, la médiation en entreprise s’est imposée peu à peu dans le panorama des interventions sollicitées par les entreprises. Elle est aujourd’hui reconnue comme un outil original de gestion des relations de travail.

Pour dresser son portrait, nous avons choisi deux angles de vue selon qu’on observe la médiation en entreprise au regard des autres types de médiations ou au regard de l’entreprise. Aussi, le premier angle présentera les traits du médiateur en entreprise, tantôt singuliers, tantôt communs aux autres médiateurs. Le second, propre à l’entreprise, dessinera la médiation en entreprise dans le contexte de la protection de la santé au travail.

I – Le médiateur en entreprise : singularités et points communs avec les autres médiateurs

Comme tout médiateur, la posture du médiateur en entreprise et le cadre d’intervention qu’il propose sont des garanties indispensables pour susciter la confiance des personnes reçues. Ce n’est que dans un climat de confiance – si ce n’est dans l’autre personne, du moins dans le médiateur et le processus  – que les personnes pourront parvenir à coopérer en vue de surmonter leurs difficultés.
Les règles de droit qui définissent sa posture et régissent son intervention sont donc les mêmes que celles qui régissent les autres médiateurs dits de droit commun. Il existe bien un texte singulier dans le code du travail consacré à la médiation dans le cas de harcèlement moral (art. L. 1152-6 C. trav., v. infra) mais les modalités qu’il propose sont facultatives, si bien que le médiateur en entreprise reste avant tout au regard de la loi un médiateur de droit commun.
Cependant, lorsque l’on observe dans le détail la mise en œuvre de ces règles, on constate quelques singularités qu’il conviendra de souligner.

A – La posture du médiateur en entreprise 

Indépendance – Le médiateur en entreprise, comme tout médiateur, mène sa mission de façon indépendante, sans recevoir d’instructions de la part de la direction de l’entreprise ou de quiconque. Une fois menée, il ne rend pas non plus compte du contenu précis de celle-ci, à moins que les parties ne lui aient demandé de le faire (V. infra sur la confidentialité).
L’indépendance n’est cependant pas inscrite dans le code de procédure civile pour ce médiateur (elle ne l’est que pour le médiateur judiciaire). La source de cette règle réside dans le code national de déontologie des médiateurs de 2009 auquel le médiateur peut choisir d’adhérer.
L’indépendance concerne aussi bien le médiateur en entreprise qui exerce son activité à titre libéral que le médiateur salarié de l’entreprise qui lui confie cette mission. En pratique, le médiateur en entreprise est sollicité et choisi par la direction de l’entreprise. Le médiateur contractualise alors son intervention avec la direction en prévoyant le respect par celle-ci de son indépendance ainsi que du cadre d’intervention propre à la médiation (et notamment les principes de liberté et de confidentialité vus infra). Cette contractualisation se fera pour le médiateur salarié au moment de la définition de sa mission et, pour le médiateur en exercice libéral, à l’occasion de la signature du contrat de prestation de services. Ce contrat qui lie le médiateur à la direction prescriptrice ne doit pas être confondu avec l’engagement à la médiation (dit aussi protocole d’entrée en médiation) que prennent les personnes qui acceptent de participer à une médiation. Ainsi, là où dans d’autres contextes, un seul acte regroupe les engagements du médiateur, ses conditions d’intervention et l’engagement des parties à la médiation, ici il faut prévoir deux actes : le contrat de prestation de services entre le médiateur et le prescripteur et l’engagement à la médiation des participants.

Impartialité – Le médiateur est impartial en ce sens qu’il agit sans prévention ni préférence pour l’une ou l’autre partie (Code de procédure civile, art. 1530). Cette impartialité est intimement dépendante de l’indépendance de médiateur. En effet, ce principe d’indépendance que le médiateur en entreprise annonce aux personnes impliquées dans le conflit mais aussi aux différentes parties prenantes (délégués du personnel, agent de prévention, DRH, hiérarchie non directement impliquée), est indispensable pour convaincre ces mêmes personnes de son impartialité. Cela est d’autant plus vrai lorsque la médiation réunit deux salariés unis par un lien hiérarchique.

Neutralité – Le médiateur est aussi tenu à la neutralité et s’abstient de donner son opinion ou de faire des propositions sur la façon de surmonter un différend (Code national de déontologie du médiateur). Cette neutralité est la condition de la responsabilisation des participants qui trouveront par eux-mêmes leur solution sans attendre du tiers qu’il la leur donne. En cela, la neutralité est indissociable de l’impartialité, laquelle pourrait être mise à mal si le médiateur devait faire une proposition pouvant être perçue comme plus favorable à l’un qu’à l’autre. On notera cependant l’originalité de la « procédure de médiation » proposée en cas de harcèlement moral par l’art. 1152-6 du Code du travail. Il est prévu que le médiateur qui ne parviendrait pas à concilier les parties peut soumettre des propositions en vue de mettre fin au harcèlement. Ce texte laisse les praticiens perplexes car il laisse entendre que le médiateur a pour mission de vérifier la réalité harcèlement, ce qui le place dans un rôle d’enquêteur incompatible avec l’esprit de la médiation. 

B – Les principes d’intervention du médiateur en entreprise  

Liberté – Comme dans toute médiation, le principe de liberté s’applique de manière différenciée pour le médiateur et pour les parties. Il signifie pour ces dernières qu’elles sont à la fois libres d’entrer dans la démarche et libres de la quitter à tout moment, sans avoir à se justifier (Code national de déontologie précité). Cette liberté reste présente alors même que la médiation a été voulue et est financée par la direction de l’entreprise. Dans le contrat conclu avec le médiateur, la direction s’engage à respecter ce principe de liberté et s’interdit de faire pression sur les salariés. Il faut cependant bien admettre que le seul fait que l’intervention d’un médiateur soit proposée par la direction est de nature à faire pression sur les salariés impliqués. Enfin, les salariés sont aussi libres dans la recherche de leurs solutions, dans la mesure bien entendu où ces solutions n’impliquent pas le pouvoir organisationnel. Le périmètre de leur négociation a pour limite leur pouvoir de décision. Comme bien souvent les solutions impliquent en partie la direction, celle-ci est associée à ce stade de la médiation. Il arrive aussi que les parties aboutissent non pas à des décisions mais à des propositions de solutions qu’elles décident de porter ensemble à la direction.
La liberté est un principe qui concerne aussi la personne du médiateur en entreprise (v. code national de déontologie). Celui-ci peut à tout moment cesser sa mission, et même d’ailleurs refuser de l’engager par exemple à la suite de la rencontre d’information avec qualiles participants. Il le fera lorsqu’il craint que la médiation ne fragilise davantage un participant. Il pourrait aussi décider d’y mettre fin s’il constatait que le processus de médiation était instrumentalisé par une des parties. Cependant, il n’a pas à préciser les raisons à la direction, sous peine de contrevenir à son engagement de confidentialité.

Confidentialité – La confidentialité lie bien évidemment le médiateur en entreprise. La confidentialité porte sur le contenu des échanges et signifie que le médiateur ne rend pas compte de ce que les parties ont échangé même s’il est sollicité par la direction ou par les délégués du personnel. Le contenu de l’accord issu de la médiation n’est cependant pas couvert par la confidentialité si sa divulgation est nécessaire pour sa mise en œuvre (art. 21-3 L. n° 95-125 du 8 févr. 95). En pratique, la direction est informée de cet accord – ou des propositions convenues entre les parties – par les salariés eux-mêmes. Parfois même, la direction a déjà été associée au stade de la recherche des solutions parce qu’elles impliquaient le pouvoir organisationnel.
La confidentialité est aussi un engagement que chaque partie prend à l’égard de l’autre lorsqu’elles adhèrent au processus de médiation. Elles s’interdisent de dévoiler le contenu de leurs échanges à d’autres. Cette confidentialité s’entend aussi comme une obligation de loyauté par laquelle les parties s’engagent à ne pas se servir des échanges contre l’autre, par exemple lors d’une évaluation ou d’une procédure contentieuse. En pratique, conscient que les parties seront interrogées par leurs collègues, le médiateur les invite à chaque fin de séance à préciser ensemble de ce qu’elles décident de garder confidentiel et de ce qu’elles peuvent partager avec leurs collègues. 

Responsabilisation – La responsabilisation des parties est enfin un principe fondamental de la médiation (elle découle implicitement de l’art. 1530 CPC qui précise que ce sont les parties qui recherchent un accord). Elle implique pour chaque partie d’accepter la possibilité de reconnaître sa part de responsabilité dans la relation conflictuelle. Elle implique pour le médiateur de résister aux tentatives des parties, conscientes ou inconscientes, d’en faire un tiers qui leur donnerait raison en cherchant à le convaincre, en lui demandant son opinion, en lui soumettant des pièces pour qu’il les instruise, etc. Le principe de responsabilisation pousse ces dernières à trouver elles-mêmes l’issue à leurs différends et constitue le gage d’une exécution spontanée de leur accord.
Après avoir rendu compte de la médiation en entreprise et de ses singularités par rapport à d’autres médiations, il reste à préciser, du point de vue des entreprises, comment elle s’inscrit dans la politique de prévention des atteintes portées à la santé des salariés. 

II – La médiation en entreprise dans le contexte de la santé au travail 

La médiation est pour une entreprise un outil précieux pour prévenir certains risques psychosociaux et améliorer la qualité de vie au travail. Du point de vue de l’employeur, elle est une mesure de prévention qui lui permet de satisfaire à son obligation de protéger la santé mentale et physique de ses salariés[2].

A – La médiation en entreprise, un outil pour prévenir les risques psychosociaux et améliorer la qualité des relations de travail

Médiation et risques psychosociaux – Les travailleurs sont parfois exposés à des risques liés à leur environnement de travail qui, lorsqu’ils se réalisent, les affectent psychiquement et parfois aussi physiquement. Ils sont définis comme les « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. »[3]
Les relations de travail sont au cœur de cette problématique. Des relations de travail tendues peuvent affecter de façon considérable des salariés. Lorsqu’ils n’y trouvent plus de soutien, de solidarité, de confiance et de respect, mais au contraire de la compétition, du contrôle excessif, de la méfiance, ils résistent difficilement aux contraintes et aux changements dans l’organisation du travail et développent du stress et/ou un profond mal-être.
Ces relations de travail tendues, conflictuelles, peuvent trouver leur source dans des facteurs de risques liés à l’organisation du travail. Par exemple, dans une situation de travail où le facteur de risque réside dans ce que l’on appelle les exigences du travail, comme une activité au rythme très soutenu, ce facteur va conduire les salariés à être tendus, inquiets, ce qui pourra avoir pour conséquence de créer des conflits dans une équipe et, au sein de cette équipe, certains développeront des TMS directement liés à cette situation. 
On reconnait aujourd’hui que les relations entre collègues ont un impact sur la santé psychosociale des collaborateurs[4]. Lorsque la coopération n’est plus possible dans une équipe, lorsqu’une personne n’est pas intégrée dans un collectif, lorsque les collaborateurs disent souffrir d’un management trop contrôlant, chacune de ces situations est potentiellement source de stress et de mal-être pour les personnes concernées[5].
Allant plus loin, des relations conflictuelles vont avoir à leur tour un impact sur l’organisation du travail. Illustrons ce phénomène fréquent par l’exemple suivant : à la suite d’une fusion, un service est réorganisé. Cette réorganisation a nourri un conflit entre deux personnes contraintes désormais de partager les mêmes tâches. Ce conflit qui ne concernait directement que ces deux personnes a fini par créer deux clans dans l’équipe. Cette situation de nature relationnelle conduit les personnes à adopter de nouveaux comportements : les réunions hebdomadaires deviennent mensuelles, certains dossiers ne sont plus contrôlés par telle personne, etc. On voit ici comment des difficultés relationnelles modifient l’organisation du travail au sein d’une équipe qui s’adapte inconsciemment en suivant de nouvelles règles d’organisation.
C’est pourquoi, conscientes que les relations de travail sont souvent au cœur des situations qui mettent en jeu la santé psychosociale des salariés, les entreprises choisissent de recourir à la médiation. Elles offrent ainsi aux salariés la possibilité d’exprimer leurs difficultés et de discuter des voies de solution possibles, sachant que la discussion portera à la fois sur les difficultés relationnelles mais aussi de leur impact sur l’organisation du travail. 

Médiation et qualité de vie au travail – Ces dernières années est apparue la notion de « qualité de vie au travail », laquelle traduit une approche plus positive que celle de la prévention des risques psychosociaux. Cette notion est associée à l’accord national interprofessionnel du 19 juin 2013 « vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle »[6]. Elle marque l’engagement des entreprises de tenir compte de l’impact de l’environnement de travail sur le développement personnel et professionnel du salarié. Cet engagement va au-delà de la seule lutte contre les atteintes à la santé et implique de considérer les différentes composantes de la qualité de vie au travail que sont les relations de travail, l’information ou bien encore les relations sociales.
Si l’on s’en tient aux relations de travail, une multitude d’actions peuvent être imaginées pour contribuer à améliorer leur qualité[7]. L’ANI préconise certaines d’entre elles, parmi lesquelles la mise en place d’espaces de discussion pour favoriser l’expression des salariés sur leur travail (article 12). Ces espaces de discussion s’entendent comme des : « (…) espaces collectifs qui permettent une discussion centrée sur l’expérience de travail et ses enjeux, les règles de métier, le sens de l’activité, les ressources, les contraintes. (…)»[8]. Donner un temps et un lieu pour que les salariés puissent s’exprimer sur leur travail est une initiative salutaire. Mais un des dangers qui guette un tel espace de discussion est le découragement voire l’épuisement de leurs participants qui peuvent avoir le sentiment que les discussions tournent en rond et ne produisent rien.
Pour se prémunir de ce risque d’épuisement, les modalités de ces réunions doivent être soigneusement pensées. En particulier, ces discussions doivent être menées dans un cadre très précis tenu par un tiers facilitateur. Ce facilitateur, « chargé d’animer le groupe et d’en restituer l’expression » à la hiérarchie est spécialement visé dans l’ANI à l’article 12. Un médiateur, formé à tenir un cadre strict pour encadrer des discussions à l’occasion de relations conflictuelles, est à même de mener une telle mission. Il sait non seulement animer un groupe en réunissant les conditions pour libérer et canaliser la parole, mais il sait aussi accompagner les participants dans une co-construction de propositions ou de solutions.
L’espace de discussion peut ainsi avoir pour objet de discussion non seulement le travail et ses conditions d’exercice mais aussi les relations de travail elles-mêmes[9]. Dans ce cas, l’objectif sera de déployer des initiatives pour les enrichir afin qu’elles deviennent une ressource sur laquelle les salariés pourront s’appuyer pour faire face plus sereinement aux événements et bouleversements organisationnels.
On le constate, la médiation est aujourd’hui un outil incontournable, qu’il s’agisse de l’inscrire dans une démarche de prévention des risques psychosociaux ou bien d’amélioration de la qualité de vie au travail. Elle peut aider des salariés à retrouver du sens à leur travail et à leur collaboration. L’employeur quant à lui, outre l’avantage de retrouver des salariés motivés et performants, se plie à son obligation de protéger la santé de ses salariés.obligation

B – La médiation en entreprise, un moyen pour l’employeur d’accomplir son obligation de sécurité

En effet, du point de vue de l’employeur, la médiation est une des mesures de prévention qu’il peut prendre pour protéger la santé physique et mentale de ses salariés.
Cependant, l’art. L. 4121-1 du Code du travail qui consacre cette obligation de sécurité ne détaille pas les mesures à prendre pour réaliser cette protection. L’art. L. 4121-1 du Code du travail vise de façon générale des « actions de prévention des risques professionnels», des « actions d’information et de formation » et des actions portant sur l’organisation du travail. Les principes de prévention énoncés à l’article suivant mettent l’accent sur les mesures collectives et sur celles qui relèvent de la prévention dite primaire, c’est-à-dire celle visant à l’élimination du risque psychosocial.
La médiation n’est citée que dans le cas spécifique du traitement d’une situation de harcèlement moral (L. 1152-6 du Code du travail et Accord National Interprofessionnel du 26 mars 2010 qui vise aussi la violence).
Mais en dehors de ces derniers textes spéciaux, on ne trouve pas de référence expresse à la médiation en tant que mesure de prévention.
Parce que les mesures individuelles ne sont pas jugées prioritaires, ainsi que les mesures dites de prévention secondaire (où le risque est présent) ou tertiaire (où le dommage est apparu ; on parle aussi de mesures curatives), on peut légitimement se demander si la médiation relève bien des mesures dites de prévention. 

Médiation, mesure à la fois individuelle et collective – A y regarder de plus près cependant, la médiation est une mesure individuelle qui a un effet sur le collectif. Une difficulté vécue entre deux ou plusieurs salariés touche, par un effet systémique, l’entourage professionnel (et personnel aussi) que sont les autres collègues, la hiérarchie si elle n’est pas déjà directement impliquée, les autres services, les clients, les fournisseurs, etc.  En agissant pour dépasser cette difficulté et amener les parties à trouver un mode de fonctionnement leur permettant de continuer à travailler ensemble ou au contraire à se séparer sereinement, la médiation agit indirectement sur l’ensemble des personnes impactées par le malaise que créait cette tension. 

Médiation, mesure curative ou véritablement préventive – Il est aussi vrai que la médiation apparaît de prime abord comme une mesure curative plus que préventive. Dans la pratique pourtant, elle n’est pas cantonnée à une situation où le risque psychosocial est apparu. Elle est aussi déployée au titre de la prévention dite primaire, par exemple pour anticiper la fusion de deux services en donnant la possibilité aux salariés d’exprimer et partager leurs craintes et d’anticiper ce changement en concevant des solutions d’adaptation. On retrouve aussi la médiation au niveau de la prévention dite secondaire, pour réduire le risque présent, dans des actions de sensibilisation et de formation de managers et agents à la gestion des conflits en adoptant les outils du médiateur.

Médiation dans la jurisprudence récente – Si l’on examine maintenant la jurisprudence récente rendue sur le fondement de l’art. 4121-1 du Code du travail, on observe un changement majeur de perspective. Désormais, l’employeur peut, s’il justifie avoir pris toutes les mesures nécessaires, être exonéré de sa responsabilité. Ainsi, l’obligation de sécurité qui pèse sur lui n’a pas plus pour seul but « de faciliter la réparation du dommage subi par le salarié, mais d’assurer l’effectivité du principe de prévention »[10].  Ce principe de prévention retrouve ainsi son sens premier en incitant l’employeur à non seulement réagir immédiatement dès qu’il a connaissance de troubles, mais avant tout à prendre des mesures véritablement préventives. La Cour de cassation a consacré cette lecture dans un arrêt du 1er juin 2016[11]. Elle énonce que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ; ».
Mais si l’employeur est désormais admis à s’exonérer de sa responsabilité, les conditions sont néanmoins très sévères : il ne peut pas attendre passivement la production du dommage pour agir, il doit anticiper et, lorsque le pire n’a pu être évité, réagir immédiatement[12]. Dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt de juin 2016, une procédure d’alerte en cas de harcèlement avait été prévue et une médiation avait eu lieu. Mais la Cour souligne qu’il aurait fallu en amont avoir également réalisé des actions d’information et de formation « propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral. » La Cour distingue clairement les mesures de prévention (information, formation) des mesures pour faire cesser les faits de harcèlement (alerte, enquête, médiation).
Cet assouplissement de l’obligation de sécurité a surpris, d’autant plus que l’arrêt a été rendu dans une situation de harcèlement où la sévérité était de mise. En effet, même si une telle évolution avait été amorcée dans l’arrêt Air France du 25 nov. 2015[13], on doutait de sa portée dans une telle situation. L’assouplissement est cependant confirmé dans le rapport publié par la Cour de cassation : « la solution adoptée le 25 novembre 2015 est étendue à la situation de harcèlement moral en ce sens que l’employeur peut désormais s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral, quand un tel harcèlement s’est produit dans l’entreprise, mais pas à n’importe quelles conditions. »[14]
Certains commentateurs voient dans cette décision la consécration d’une obligation de résultat désormais atténuée, d’autres d’une obligation de moyens renforcée[15]. D’autres encore relèvent au contraire l’abandon de cette distinction entre obligation de moyens et de résultat[16]. Ramenée à la médiation, cette évolution jurisprudentielle nous confirme que la médiation est une mesure parmi d’autres qui enrichit l’éventail des mesures propres à protéger la santé des salariés[17]
. Elle n’est cependant bien évidemment pas suffisante à elle seule. On a vu que cet éventail devait être déployé dès le stade de l’anticipation des risques et ne devait pas se cantonner à des mesures curatives. A ce sujet, on rappellera que la médiation, si elle a été menée dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt du 1er juin 2016 à titre curatif, peut aussi constituer une mesure véritablement préventive si elle intervient avant ou au moment de la naissance d’un conflit relationnel, c’est-à-dire au titre de la prévention primaire et secondaire. Il faut bien reconnaître que la médiation se présente alors ici davantage comme un outil de gestion que comme un mode alternatif de résolution des conflits. Mais c’est précisément dans cette optique que les entreprises y ont aujourd’hui de plus en plus souvent recours.


Article initialement publié in La lettre des médiations, n° 5, mai 2018.

[1] Il rédige une recommandation pour mettre fin au litige et un rapport sur le différend, art. L. 2523-5 et s. Code du travail.
[2] Sur l’ensemble de la question, OUDIN F., ROULET V. et OUDIN M., (dir.), L’essor de la médiation en entreprise, Médias & Médiations, 2014, 117p ; BRET J.M, La médiation : un mode innovant de gestion des risques psychosociaux, Médias & Médiations, 2016.
[3] Rapport dit Gollac sur le suivi statistique des risques psychosociaux, 2011, p. 31.
[4] Rapport dit Gollac précité.
[5] V. aussi le rapport de 2014 EUROFOUND qui vise les relations interpersonnelles, horizontales et verticales, p. 27, à télécharger sur http://www.eurofound.europa.eu.
[6] Un arrêté d’extension du 15 avril 2014 rend obligatoires, pour les employeurs et les salariés compris dans le champ d’application de l’Accord, ses dispositions. Sur cet accord, LANOUZIERE, H (2013), Un coup pour rien ou un tournant décisif ?, Sem. Soc. Lamy, 16 sept. 2013, n° 1597.
[7] Sur cette question v. BECARD A.C., OUDIN F. et OUDIN M. (2015), La qualité des relations de travail, IRES, 165p.
[8] JOURNAUD S., Discuter du travail pour mieux le transformer, Revue Travail & Changement n° 358, janv. févr. mars 2015, p. 2.
[9] La qualité des relations de travail, op. cit. p. 52.
[10] En ce sens, FANTONI-QUITON S., VERKINDT P-Y., Obligation de résultat en matière de santé au travail, à l’impossible, l’employeur est tenu?, rev. Droit social 2013.229.
[11] N° 14-19.702, FS P+B+R+I, MOULY J., L’assouplissement de l’obligation de sécurité en matière de harcèlement moral, JCP G 2016, note 822 ; RADE Ch., Feue la responsabilité de plein droit de l’employeur en matière de harcèlement : le mieux, ennemi du bien, Lexbase Hebdo, éd. soc. 16 juin 2016 n° 656 ; Loiseau G., Le renouveau de l’obligation de sécurité, sem. Jur. Social, n° 24, 21 juin 2016, 1220 ; CORRIGNA-CARSIN D., JCP G 2016, act. 683, p. 1180.
[12] V. déjà Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-69.444 et n° 09-70.902,  Lexbase Hebdo éd. soc. n° 448, 14 juill. 2011, RADE Ch., Harcèlement dans l’entreprise : l’employeur doit réagir vite !.
[13] Cass. soc. n° 14-24.444 ; ANTONMATTEI P-H., Obligation de sécurité de résultat : virage jurisprudentiel sur l’aile !, Dr. Soc. 2016.457 ; ICARD J., L’incidence de la jurisprudence Air France dans le contentieux du harcèlement moral. Essai de prospective, Cah. Soc. 2016.214.
[14] https://www.courdecassation.fr/IMG///Commentaire_arret1068_version201605.pdf.
[15] Op. cit. MOULY J.
[16] En ce sens, LOISEAU G., op. cit.
[17] V. déjà Cass. soc. 3 déc. 2014, n° 13-18.743. Dans cet arrêt, la médiation est expressément citée parmi les mesures prises : « N’a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat l’employeur qui justifie avoir tout mis en oeuvre pour que le conflit personnel entre deux salariées puisse se résoudre au mieux des intérêts de l’intéressée, en adoptant des mesures telles que la saisine du médecin du travail et du CHSCT et en prenant la décision, au cours d’une réunion de ce comité, de confier une médiation à un organisme extérieur. »

Le bail de droit commun : obligations du bailleur

Le bail est un contrat synallagmatique. Il produit donc des obligations à la charge du bailleur comme du preneur (voy. l’article « Le bail de droit commun : les obligations du preneur à bail).

Les codificateurs ont clairement envisagé le bail comme un diminutif de la vente. Il n’est donc pas étonnant que les obligations des parties au bail soient très proches de celles des parties à la vente. On trouve ainsi un certain nombre de renvois explicites aux règles de la vente.

Obligation générique.- Le bailleur est débiteur d’une obligation générique, qui consiste à garantir au preneur la jouissance paisible du bien loué. Cette obligation apparaît par bribes dans la kyrielle des obligations décrites par les articles 1719 à 1727 du c.civ., qui toutes tendent à garantir la jouissance paisible du preneur. La lecture de l’article 1719 c.civ. l’atteste. Pour reprendre le mot des professeurs Antonmattéi et Raynard, cette obligation est l’« âme du bail ». Cet objectif justifie que le bailleur soit tenu de trois séries d’obligations :

– L’obligation de délivrance (section 1) ;

– L’obligation d’entretien (section 2) ;

– Les obligations de sûreté (section 3).

Obligation d’information.- Avant d’entamer l’étude, par le menu, de ces trois séries d’obligations, il importe de dire quelques mots de l’obligation d’information qui pèse sur les épaules du bailleur.

Le bailleur est tenu d’informer le preneur sur l’état de la chose donnée à bail. Le Code de l’environnement exige qu’un état des risques naturels (sismicité) et technologiques (nucléaire) soit fournir au locataire (art. L. 125-5, II ; loi 6 juill. 1989, art. 3-1 ; art. L. 145-1 c.com.). À défaut, le locataire (cela est vrai de l’acquéreur) peut poursuivre la résolution du contrat ou demander au juge une diminution du prix (art. L. 125-5, V, c. envir.). Le Code de la santé publique, qui entend prévenir les risques sanitaire liés à l’environnement, en l’occurrence ceux liés au saturnisme (intoxication aiguë ou chronique causée par le plomb ou par les sels de plomb. V. Institut national de la santé et de la recherche médicale, www.inserm.fr, santé publique, dossiers d’information), exige du bailleur qu’il fournisse à tout occupant un « constat de risque d’exposition au plomb » (art. L. 1334-5 ensemble L. 1134-7 c. santé publ.), à la condition toutefois que l’immeuble loué ait été construit avant le 1er janvier 1949 et qu’il soit affecté en tout ou partie à l’habitation. Et la loi d’ajouter que « l’absence dans le contrat de location du constat de risque d’exposition au plomb constitue un manquement aux obligations particulières de sécurité et de prudence susceptibles d’engager la responsabilité pénale du bailleur (C. santé publ., art. L. 1334-7, al. 3). Quant au risque d’exposition à l’amiante, les dispositions précitées font l’obligation au bailleur d’en avertir le preneur. Ce n’est pas tout, le Code de la construction et de l’habitation contraint le bailleur à fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE) de l’immeuble loué (art. L. 134-1 et s. in diagnostics techniques). Le Code le définit ainsi : « Le diagnostic de performance énergétique d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment est un document qui comprend la quantité d’énergie effectivement consommée ou estimée pour une utilisation standardisée du bâtiment ou de la partie de bâtiment et une classification en fonction de valeurs de référence afin que les consommateurs puissent comparer et évaluer sa performance énergétique. Il est accompagné de recommandations destinées à améliorer cette performance. »

Heureux soient les bailleurs. On dit de l’enfer qu’il est pavé de bonnes intentions. On peut s’interroger sur l’inanité (caractère de ce qui est vide, sans réalité, sans intérêt. Au fig. : caractère de ce qui est inutile, futile, vain) de ces diagnostics techniques dans les villes où il existe une grave crise du logement…

Section 1.- L’obligation de délivrance

Obligation complexe.- Le bailleur est tenu de délivrer la chose louée (art. 1719, 1°, c.civ.) « en bon état de réparations de toute espèce » (art. 1720 c.civ.). La loi se fait plus pressante si le bien loué sert à l’habitation principale du preneur : elle exige en outre que le logement soit décent (art. 1719 1°, c.civ.).

Logement décent (renvoi).- Les caractères du logement décent sont spécifiques aux baux d’habitation ; ils seront envisagés à cette occasion (voy. l’article « Le bail d’habitation et à usage mixte »). On signalera simplement qu’un logement décent est logement qui correspond aux caractéristiques définies par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) (décret modifié le 09 mars 2017 qu intègre la performance énergétique aux caractéristiques du logement décent). En ce sens, l’article 6, al. 1er, loi 6 juill. 1989 dispose : « Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation » (texte modifié en nov. 2018).

Division.- La délivrance s’entend donc de deux obligations distinctes : délivrer la chose louée (§1) et la délivrer en bon état (§2).

§1.- L’obligation de délivrer la chose louée

Contenu.- Le bailleur – comme le vendeur – doit mettre la chose louée à la disposition du locataire. Il s’agit d’une obligation essentielle du bail (Cass. 1ère civ., 11 oct. 1989, Bull. civ. I, n° 317), dont la convention des parties ne peut dispenser le bailleur. Autrement dit, l’obligation de délivrance est d’ordre public. Par voie de conséquence, le preneur peut refuser de payer les loyers tant que la chose ne lui a pas été délivrée. Pour cause : le contrat n’ayant reçu aucune exécution, le débiteur du loyer peut valablement s’en prévaloir pour différer l’accomplissement de sa prestation. Dans ce cas de figure, l’exception d’inexécution peut valablement être opposée (art. nouv. c.civ.). Ses conditions sont remplies.

Une erreur commune est faite en la matière : une fois que le bien loué a été mis à la disposition du locataire, le défaut de paiement du premier loyer ne dispense pas le bailleur de l’obligation de délivrance (Cass. 3ème civ., 28 juin 2006, Bull. civ. III, no 161). Souvenez-vous bien : le bail ne renferme pas d’obligation conjonctive (texte et définition).

La chose doit évidemment être délivrée libre de toute occupation. Elle doit être délivrée avec ses accessoires, lesquels seront déterminés en fonction de la nature du bien et du contenu de la convention.

La chose doit être conforme à la destination prévue au bail. Cela signifie qu’elle doit permettre au preneur de l’exploiter conformément à la destination convenue (ex. Cass. 3ème civ., 7 mars 2006, AJDI 2006. 467 [défaut d’autorisation de l’assemblée générale de copropriété] ; 3 mars 2009,Rev. loyers 2009. 222).

Si le contrat précise en outre la contenance de la chose, les éventuels écarts se règlent comme en matière de vente (art. 1616 à 1622 c.civ.). L’art. 1765 c.civ. le précise pour les baux à ferme, mais la solution doit être étendue à tous les baux immobiliers.

Frais de la délivrance.- Les frais de délivrance sont à la charge du bailleur, s’il n’y a eu stipulation contraire. Il s’agit de l’application de l’article 1608 c.civ. au bail.

Obligation continue.- La différence entre vente et le bail est que la première est un contrat instantané tandis que le second est un contrat à exécution successive. Ceci implique que contrairement aux règles qui ont court dans la vente, l’obligation de délivrance prend dans le bail un caractère continu (i.e. qu’elle se prolonge pendant toute la durée du bail). En conséquence, le bailleur n’a pas le droit de changer la forme de la chose louée (art. 1723 c.civ.) ou de supprimer l’un de ses éléments.

§2.- L’obligation de délivrer la chose louée en bon état

Contenu.- L’article 1720 c.civ. impose au bailleur de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce. Il existe en matière de bail deux sortes de réparations : celles qui incombent au locataire – réparations locatives – et celles qui incombent au bailleur. La loi impose que la chose louée soit, en début de bail, en bon état de réparations, même locatives, quand bien même celles-ci seront à l’avenir à la charge exclusive du locataire (celui-ci doit, en la matière, faire perdurer le bon état de la chose).

Sanction.- Si la chose n’est pas en bon état, le locataire peut faire condamner le bailleur à procéder aux réparations qui s’imposent ou, à son choix, demander la résolution du bail si la gravité du manquement le justifie. Le bailleur engage également sa responsabilité contractuelle si le mauvais état de la chose louée a causé un dommage au preneur.

Limite, clauses de réception « en l’état ».- La règle de l’article 1720 c.civ. n’est pas d’ordre public et les parties aménagent souvent cette obligation en convenant que le preneur déclare bien connaître la chose et la prendre en l’état, ce qui a pour effet de décharger le bailleur de l’obligation de l’article 1720 précité.

Ces clauses sont parfaitement licites, même si la jurisprudence a coutume de les interpréter strictement. Mais la licéité a une limite : sous couvert de mettre certaines réparations à la charge du locataire, le bailleur ne peut pas aller jusqu’à s’exonérer de son obligation de délivrance, qui elle est d’ordre public.

Voy. pour un ex. typique : Cass 3ème civ., 5 juin 2002, Bull. civ. III, n° 123 :

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1719 et 1720 du Code civil ;

Attendu que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; qu’il doit entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 mai 2000, n° 690), que M. X… a donné à bail à la société Hôtel de France un immeuble à usage commercial, en mauvais état ; que le bail stipulait que ” le bénéficiaire prendra les lieux dans l’état où ils se trouvent au jour de l’entrée en jouissance, les ayant visités à plusieurs reprises et ayant reçu du promettant deux rapports sur les travaux nécessaires à l’exploitation dans lesdits locaux d’un commerce d’hôtel “, les parties approuvant sans réserve l’état des lieux annexé au bail ; que la locataire a fait effectuer les travaux prévus aux rapports susvisés ; que ces travaux se sont révélés insuffisants pour la mise en conformité de l’hôtel ; que la locataire a alors entrepris les travaux supplémentaires nécessaires ;

Attendu que, pour débouter la société Hôtel de France de sa demande de remboursement de ces travaux supplémentaires, l’arrêt retient que, faute de stipulation expresse du bail, le bailleur n’avait pas l’obligation de prendre en charge le coût des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’hôtel non prévus par les rapports d’experts établis antérieurement à la conclusion du bail, ces rapports n’ayant eu pour objet que d’informer le preneur sur l’état des lieux et l’éclairer sur les travaux à exécuter pour rendre les lieux conformes à l’usage d’hôtel prévu par le bail ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la clause par laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE

En l’espèce, l’hôtel ne pouvait être exploité faute de mise en conformité : le preneur ne pouvait donc pas l’exploiter selon la destination convenue # obligation de délivrance.

Section 2.- L’obligation d’entretien

Contenu de l’obligation d’entretien (§1). Sanction de l’obligation d’entretien (§2)

§1.- Contenu de l’obligation d’entretien

Prolongement de l’obligation de délivrance.- Le bailleur, qui a délivré la chose en bon état de réparations de toute espèce, doit l’entretenir « en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » (art. 1719, 2°, c.civ.), ce qui lui impose de « faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives » (art. 1720 al. 2, c.civ.).

Réparations locatives et « grosses réparations ».- Une distinction importante doit être opérée entre les réparations locatives ou de menu entretien, qui incombent au preneur, et les autres, qui forment l’objet de l’obligation d’entretien du bailleur. Le législateur y procède aux articles 1754, 1755 et 1756 c.civ.

L’idée est que le bailleur assume les grosses réparations, c’est à dire celles qui sont relatives à la structure ou aux éléments essentiels de la chose louée (ex. réfection du toit ou d’un mur). Il est à noter que la distinction entre les réparations locatives et celles qui ne le sont pas est précisée par certains statuts spéciaux. C’est précisément le cas en droit du bail d’immeuble d’habitation. La loi du 6 juillet 1989 renvoie à un décret le soin de définir ce que sont les réparations locatives puis de les lister (art. 6-1, d ; 25V). Aux termes de l’article 1er du décret n° 87-712 du 26 août 1987 pris en application de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développements de l’offre foncière et relatif aux réparations locatives, « sont des réparations locatives les travaux d’entretien courant et de menues réparations », à savoir celles entre autres listées. Par voie de conséquence, celles qui ne le seraient pas, au vu de la lettre ou de l’esprit du texte, sont des grosses réparations, qui doivent être faites par le bailleur. La jurisprudence y assimile les travaux prescrits par l’autorité administrative (Cass. 3e civ. 13 juill. 1994, no 91-22.260, Bull. civ. III, no 143).

Le domaine de ces grosses réparations est également borné « par le haut » : les très grosses réparations, i.e. celles qui relèvent de la reconstruction de la chose périe par cas fortuit ne sont pas à la charge du bailleur, mais plutôt à sa discrétion, puisque la perte de la chose louée met fin au bail (art. 1722 c.civ.). La jurisprudence tend à assimiler la vétusté à la perte de la chose, lorsque le coût des travaux excède la valeur du bien (Civ. 3e, 3 juin 1971, Bull. civ. III, n° 348).

La charge des grosses réparations peut contractuellement être transférée sur le locataire, mais certains statuts spéciaux l’interdisent (ex. loi du 6 juill. 1989, art. 6 c).

§2.- Sanction de l’obligation d’entretien

Droit commun.- L’inexécution par le bailleur de son obligation fonde le preneur à solliciter l’une quelconque des sanctions permises par le droit commun du contrat : exécution forcée, résiliation, indemnisation ; réalisation des travaux aux frais du bailleur sur autorisation de justice (art. 1222 nouv. c.civ. / art. 1144 anc. c.civ.). Deux précisions s’imposent. La mise en demeure préalable, restée sans succès, est exigée en jurisprudence.

L’exception d’inexécution est en principe inopposable. Ce mode de justice privée est réservé à l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance. Il importe au preneur de rapporter la preuve d’un manquement tel que la jouissance est rendue impossible ou très difficile. L’article 1219 nouv. c.civ. (in L’exception d’inexécution) dit en ce sens que l’inexécution doit être suffisamment grave (comp. la note sous article 1219 rel. au bail qui donne à penser que l’exceptio non adimpleti contractus peut être opposée en tout état de cause. Mise en garde). C’est dire que les risques et périls sont grands pour qui entend ne pas payer (syno. Exécuté) sa propre obligation en réaction. En somme, tant que le preneur jouit de la chose, son refus de paiement est disproportionné et permet au bailleur d’obtenir la résiliation du contrat à ses torts. Encore faut-il s’entendre sur ce que peut signifier jouir de la chose donnée à bail… C’est une fois encore à la sagesse du juge que le Code renvoie en dernière intention. Dernière intention seulement, car créancier et débiteur sont invités à trouver une solution amiable à leur litige. En ce sens, et pour mémoire, l’article 56 du Code de procédure civile dispose que la saisine du juge de première instance contient (sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’Opu, à peine de nullité les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Séquestre. Il reste toutefois la possibilité pour le preneur de pratiquer le séquestre. V. nouv droit commun des contrats. Le séquestre est le dépôt d’une chose contentieuse entre les mains d’un tiers, qui s’oblige à la rendre, une fois la contestation terminée, à la personne qui a le droit de l’obtenir (art. 1956 c.civ.). Il facilite l’exécution matérielle du règlement du litige et soustrait l’objet des convoitises – le loyer en l’occurrence – à l’humeur ou à la fraude des plaideurs (F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Droit des contrats civils et commerciaux). C’est une variété de dépôt. Dans le cas particulier, le séquestre conventionnel est exclu, car il nécessite l’accord du bailleur et du preneur. Il reste le dépôt judiciaire. Il consiste à demander au juge, en référés au besoin, de séquestrer les loyers litigieux. Le séquestre prendra fin une fois que la motivation qui le motivait est terminée, soit qu’elle a été tranchée par une décision judiciaire définitive, et que donc la chose séquestrée n’est plus litigieuse, soit que le différend opposant les parties a disparu, par l’effet d’une transaction, d’un désistement d’instance ou autre acte mettant fin au procès, soit, si la juridiction n’avait pas encore été saisie, en conséquence d’une convention ou d’un quelconque arrangement. Les parties intéressées ont la faculté de supprimer le séquestre, même si l’instance a été engagée et perdure, dès lors qu’elles le considèrent comme inutile, et sans objet. Il constitue, en effet, une procédure qui n’est pas d’ordre public et qui reste à la discrétion des parties (F.-J. Pansier, Rép. civ., v° Séquestre)

Section 3.- Les obligations de sûreté

Division.- Sous cet intitulé un peu ésotérique, deux séries d’obligations seront rangées : les obligations de garantie, d’une part (§1), et les obligations de sécurité, d’autre part (§2). Avant de les présenter par le menu, il importe d’avoir bien en vue que les professeurs et les juges transposent au bail les règles de garantie associées à la vente.

§1.- Les obligations de garantie

Division. L’obligation de garantie contre les vices cachés (A). L’obligation de garantie contre l’éviction (B).

A.- L’obligation de garantie contre les vices cachés

La garantie contre les vices cachés est définie à l’article 1721 c.civ. Elle concerne « tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. Pour le dire autrement, le vice est un défaut caché de la chose, existant au jour du bail qui empêche son usage normal (certains auteurs considèrent que le vice peut exister au cours du bail. Voy. en ce sens A. Bénabent, Droit des contrats civils et commerciaux / P.-H. Antonmattei et J. Raynard). Le vice doit être caché du preneur. Le texte ne le dit pas formellement. Mais c’est l’évidence. Si, au contraire, il devait être apparent, on peut raisonnablement penser que le preneur à bail serait en mesure d’apprécier l’impossibilité de jouir paisiblement de la chose. Le contrat ne pourrait donc être conclu qu’en connaissance de cause (voy. toutefois supra)…

Comme pour la vente, la garantie est due peu important que le bailleur ait eu ou non connaissance de l’existence du vice. Il y a toutefois une première différence notable entre les deux régimes. L’engagement de la responsabilité du vendeur suppose rapportée la preuve de sa connaissance du vice. Ce n’est pas le cas en droit du bail : la responsabilité sera encourue dans tous les cas de figure (art. 1721, al. 2, c.civ.).

La seconde distinction tient au silence du législateur quant à l’action en garantie contre les vices cachés de la chose louée. Faute de texte spécial, il importe d’appliquer le droit commun de la prescription. Dans le cas particulier, le preneur à bail est recevable à agir cinq année durant à compter de la découverte du vice rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine (art. 22129 et 2224 c.civ.).

B.- L’obligation de garantie contre l’éviction

Les troubles dans la jouissance de la chose peuvent être causés par le bailleur ou bien par des tiers au contrat de bail.

Troubles causés par le bailleur. – L’action du bailleur ne saurait troubler le preneur à bail dans sa jouissance des utilités de la chose. Aucun texte particulier ne règlement le cas de figure : obligation générique de garantie oblige (v. supra). Pour le dire autrement, l’article 1719 c.civ. est amplement suffisant pour fonder l’action en cessation du trouble intentée par le preneur.

Ce sont les troubles causés par les tiers qui ont plus volontiers retenu l’attention du législateur.

Troubles de droit causés par les tiers.- L’article 1726 c.civ. est explicite : le bailleur doit garantir le preneur contre tout trouble de droit qui émanerait d’un tiers. Pour le dire autrement, le preneur à bail ne doit pas être empêché de profiter des utilités de la chose en raison d’une prétention juridique formulée par un tiers (ex. titre de propriété, servitude…). Si une action en revendication du bien donné à bail est formée (ex. bail de la chose d’autrui. V. supra), alors l’article 1726 c.civ. fonde le locataire à demander une diminution du prix du contrat en cas d’éviction partielle (v. dans le même sens, l’art. 1626 c.civ. relativement à la vente) et la résolution du bail, assortie du paiement de dommages et intérêts en cas d’éviction totale.

Troubles de fait causés par les tiers.- L’article 1725 c.civ. dispose que les troubles de faits ne donnent pas lieu à garantie. La règle se comprend aisément. Le bailleur n’a pas vocation à couvrir une quelconque voie de fait. Vulgairement parlant, ce ne sont pas ses affaires. Il importe donc au seul preneur à bail d’agir en responsabilité contre les intéressés. Le bailleur n’est par exemple pas responsable des vols commis au cours du bail…sauf, bien entendu, si l’infraction a été facilitée par l’inexécution de ses propres obligations (ex. vol d’un vélo dans un local dédié dont la serrure endommagée n’a jamais été remplacée). C’est l’hypothèse de la voie de fait facilitée voire causée par la faute contractuelle du bailleur. Responsabilité encore, mais c’est un autre cas de figure, si la voie de fait du tiers a tellement endommagé le bien que le bailleur est constitué en faute pour ne pas avoir exécuté son obligation d’entretien (art. 1720 c.civ.).

§2.- L’obligation de sécurité

Formellement, le Code civil n’oblige pas le bailleur à garantir la sécurité du preneur. On doit à la jurisprudence d’avoir découvert cette obligation contractuelle et d’avoir précisé son intensité juridique (obligation de moyens). Pour mémoire, l’intensité juridique de l’obligation contractuelle est la résultante de deux variables : la première est l’intensité de l’engagement (qui peut être plus ou moins poussé) ; la seconde, l’intensité de la sanction en cas d’inexécution (qui peut être plus ou moins stricte).

Le professeur Leduc a tout dit sur ce sujet. Voici résumé à grands traits sa leçon. Le lecteur gagnera beaucoup à la lire in extenso (L’intensité juridique de l’obligation contractuelle, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, PUAM, 2011-3). L’obligation de moyens est l’obligation pour le débiteur de fournir la diligence qu’on est normalement en droit d’attendre de lui. Dit autrement : le normal est au cœur de l’obligation de moyens. La normalité implique la détermination d’un modèle de référence par rapport auquel on va apprécier le comportement du sujet jugé. Deux modes d’appréciation de la normalité s’opposent : l’appréciation extrinsèque (le comportement du sujet jugé est rapporté à un étalon de référence extérieur à lui) et l’appréciation intrinsèque (l’étalon de référence est le sujet jugé lui-même).

En bref, cette obligation de sécurité semble pouvoir être invoquée de manière autonome sans avoir nécessairement besoin d’être rattachée à un défaut d’entretien ou à un vice de la chose. Obligation dont l’intensité juridique a vocation à s’amplifier, particulièrement depuis l’exigence d’un logement décent qui se caractérise aussi par certaines normes de sécurité. Table des matières ).

L’interprétation du contrat et le juge

En matière contractuelle, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification à une clause du contrat.

En cours d’exécution, il est possible que la rédaction d’une ou plusieurs stipulations apparaisse maladroite, sibylline, voire incomplète, de sorte que la compréhension du contenu des obligations des parties s’en trouverait malaisée.

Aussi, conviendra-t-il d’interpréter le contrat, soit pour en élucider le sens, soit pour en combler les lacunes.

  • Dans le premier cas, il s’agira d’une interprétation explicative : la recherche de la signification du contrat devra être effectuée en considération de la volonté des parties
  • Dans le second cas, il s’agira de combler les lacunes du contrat : l’interprétation du juge deviendra alors créatrice, de sorte qu’il n’aura d’autre choix que de s’écarter de la volonté des parties et d’interpréter le contrat à la lumière de la loi, l’équité et les usages

1. L’interprétation explicative au nom de la volonté des parties

Lorsque le juge se livre à une interprétation explicative du contrat, son pouvoir est encadré par deux règles auxquelles il ne saurait déroger sous aucun prétexte, sous peine de censure par la Cour de cassation :

  • La recherche exclusive de la commune intention des parties
  • L’interdiction absolue de dénaturer le sens ou la portée de stipulations claires et précise

1.1 La recherche de la commune intention des parties

a. Principe

i. Principe cardinal

Aux termes de l’article 1188, al. 1er du Code civil « le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. »

Cette disposition exprime l’objectif qui doit toujours être poursuivi par le juge lorsqu’il interprète le contrat : la recherche de l’intention des parties.

Aussi, est-ce la méthode subjective qui, lorsque cela est possible, doit toujours prévaloir sur toutes autres considérations.

Cela signifie donc que la recherche de la commune intention des parties doit primer :

  • d’une part, sur le sens littéral des termes du contrat
  • d’autre part, sur l’équité à laquelle le juge pourrait être tenté de succomber

Afin de parvenir à interpréter le contrat à la lumière de cette commune intention des parties qui ne sera pas toujours aisé de déceler, le législateur lui a adressé un certain nombre de directives complémentaires, énoncées aux articles 1189 à 1191 du Code civil.

ii. Directives complémentaires

?Première directive : l’interprétation en considération de la globalité du contrat ou de l’ensemble contractuel

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le contrat est conclu de manière isolée
    • Dans cette hypothèse, l’article 1189, al. 1er du Code civil prévoit que « toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. »
    • Cela signifie que les stipulations contractuelles ne doivent pas être interprétées isolément en faisant abstraction de l’environnement contractuel dans lequel elles s’insèrent.
    • Chaque clause appartient à tout, en conséquence de quoi l’interprétation du contrat doit être envisagée de manière globale
    • Lorsque, dès lors, le juge se livre à l’interprétation d’une stipulation en particulier, il doit veiller à ce que la signification qu’il lui confère ne heurte pas la cohérence du contrat.
  • Le contrat appartient à un ensemble contractuel
    • L’ordonnance du 10 février 2016 a anticipé cette hypothèse en posant à l’article 1189, al. 2 du Code civil que « lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci. »
    • Ainsi, c’est au regard de l’ensemble contractuel pris dans sa globalité que les contrats qui le composent doivent être interprétés.

?Deuxième directive : l’interprétation en considération de l’utilité de la clause

Aux termes de l’article 1191 du Code civil, « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun. »

Cette directive adressée au juge relève manifestement du bon sens

À quoi bon donner un sens à une clause qui serait dépourvue d’effet au détriment d’une stipulation qui produirait un effet utile ?

Cette règle vise, manifestement, à remplacer celle posée par l’ancien article 1157 du Code civil qui prévoyait que « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun »

Cet article était lui-même inspiré de l’adage « actus interpretandus est potius ut valeat quam ut pereat » : un acte doit être interprété plutôt pour qu’il produise un effet que pour qu’il reste lettre morte

?Troisième directive : l’interprétation en considération de la qualité d’une partie

Aux termes de l’article 1190 du Code civil « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »

Cette disposition est directement inspirée de l’ancien article 1162 du Code civil qui prévoyait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »

À la différence de l’article 1162, l’article 1190 distingue désormais selon que le contrat est de gré à gré ou d’adhésion.

  • S’agissant du contrat de gré à gré
    • Il ressort de l’article 1190 que, en cas de doute, le contrat de gré à gré doit être interprété contre le créancier
    • Ainsi, lorsque le contrat a été librement négocié, le juge peut l’interpréter en fonction, non pas de ses termes ou de l’utilité de la clause litigieuse, mais de la qualité des parties.
    • Au fond, cette règle repose sur l’idée que, de par sa qualité de créancier, celui-ci est réputé être en position de force par rapport au débiteur.
    • Dans ces conditions, aux fins de rétablir l’équilibre, il apparaît juste que le doute profite au débiteur.
    • Il peut être observé que, sous l’empire du droit ancien, l’interprétation d’une clause ambiguë a pu conduire la Cour de cassation à valider la requalification de cette stipulation en clause abusive (Cass. 1er civ. 19 juin 2001, n°99-13.395).
    • Plus précisément, la première chambre civile a estimé, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [qu’en] affranchissant dans ces conditions le prestataire de services des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives ».
  • S’agissant du contrat d’adhésion
    • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
    • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
    • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (art. 1110, al. 2 C. civ.)
    • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
    • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.
    • Cette règle n’est pas isolée
    • L’article L. 211-1 du Code de la consommation prévoit que
      • D’une part, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. »
      • D’autre part, « elles s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables aux procédures engagées sur le fondement de l’article L. 621-8. »
    • Dans un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n°00-13.342 et 00-19.001)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public.
    • La question que l’on est alors légitimement en droit de se poser est de savoir s’il en va de même pour le nouvel article 1190 du Code civil.

Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 133-2, alinéa 2, du Code de la consommation ;

Attendu, selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel ;

Attendu que le 26 juin 1984, M. X… a souscrit auprès de la compagnie Préservatrice Foncière assurances (PFA Vie) deux contrats d’assurance de groupe garantissant en cas de décès et d’invalidité permanente totale, le versement d’un capital ; qu’il a cédé, le même jour, le bénéfice de l’un des contrats à la société Union pour le financement d’immeubles de sociétés (UIS) ; que M. X…, atteint d’une sclérose en plaque, a cessé son activité professionnelle en 1994, a été placé en invalidité et a sollicité la mise en oeuvre des garanties contractuelles ; que s’étant heurté à un refus de la compagnie d’assurances faisant valoir qu’il ne remplissait pas la double condition prévue au contrat, il a fait assigner cette dernière, le 17 septembre 1996, devant le tribunal de grande instance ;

Attendu qu’il résulte des énonciations mêmes de l’arrêt attaqué qui a débouté M. X… de sa demande, que la clause définissant le risque invalidité était bien ambiguë de sorte qu’elle devait être interprétée dans le sens le plus favorable à M. X… ;

qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Agen ;

B. Tempérament

L’obligation de recherche pour le juge de la commune intention des parties n’est pas sans tempérament.

Il est des situations où faute de stipulations suffisamment claires et précises, les directives d’interprétation complémentaires ne lui seront d’aucun secours.

Le législateur a anticipé cette hypothèse en prévoyant à l’article 1188, al.2 que « lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation. »

Aussi, cette disposition autorise-t-elle le juge à s’écarter de la méthode d’interprétation subjective à la faveur de la méthode objective.

Plus précisément, lorsque la recherche de la commune intention des parties se heurte à l’ambiguïté du corpus contractuel, le juge peut se reporter à l’intention susceptible d’être prêtée à « une personne raisonnable » ?

Que doit-on entendre par « personne raisonnable »? Il s’agissait, autrefois, du bon père de famille. Cet élément posé, cela ne nous renseigne pas plus sur le sens de cette formule.

Quoi qu’il en soit, cette possibilité pour le juge de se reporter à l’intention d’une « personne raisonnable » est conditionnée par l’impossibilité de rechercher la commune intention des parties.

L’article 1188 du Code civil institue ainsi clairement une hiérarchie entre la méthode d’interprétation subjective et objective.

1.2 L’interdiction de dénaturer le sens et la portée de stipulations claires et précises

Aux termes de l’article 1192 du Code civil « on ne peut interpréter les clauses claires et précises à peine de dénaturation. »

Cette disposition doit être comprise comme posant une limite au pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière contractuelle : l’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

?Le pouvoir souverain d’interprétation des juges du fond en matière d’interprétation

En principe, l’interprétation des contrats est une question abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond.

Cette règle se justifie par le fait que la Cour de cassation n’a pas vocation à connaître « du fond » des litiges. Or l’interprétation d’un contrat relève clairement d’une question de fond, sinon de fait.

La norme contractuelle ne produit, effectivement, qu’un effet relatif, en ce sens qu’elle ne s’applique qu’aux seules parties. Le contrat, bien qu’opposable aux tiers, ne crée aucune obligation à leur égard, sinon celle de ne pas faire obstacle à son exécution.

Il en résulte que l’on ne saurait voir dans l’interprétation de la norme contractuelle une question de droit, comme c’est le cas d’une règle d’application plus générale telle que, par exemple, une convention collective.

Dès lors, l’interprétation d’une stipulation obscure ou ambiguë échappe totalement au contrôle de la Cour de cassation, sauf à ce que les juges du fond aient dénaturé le sens du contrat.

?L’exercice du contrôle de la dénaturation par la Cour de cassation

Si donc l’interprétation des contrats est, en principe, une question de fait abandonnée au pouvoir souverain des juges du fond pour les raisons précédemment évoquées, après quelques atermoiements (V. en ce sens notamment Cass. ch. réunies, 2 févr. 1808) la Cour de cassation s’est reconnu le droit de censurer les décisions qui modifient le sens de clauses claires et précises.

Dans un célèbre arrêt du 15 avril 1872, elle a ainsi jugé « qu’il n’est pas permis aux juges, lorsque les termes de ces conventions sont clairs et précis, de dénaturer les obligations qui en résultent, et de modifier les stipulations qu’elles renferment » (Cass. civ. 15 avr. 1872).

Autrement dit, il est fait défense aux juges du fond d’altérer le sens du contrat, sous couvert d’interprétation, pour des considérations d’équité, dès lors que les stipulations sont suffisamment claires et précises.

C’est là le sens de la règle qui a été consacrée à l’article 1192 du Code civil. Antérieurement à la réforme des obligations, cette règle avait pour fondement l’ancien article 1134, car elle n’est autre que l’émanation du principe de force obligatoire du contrat.

Parce que le contrat est intangible, la liberté du juge doit être limitée dès lors qu’il s’agit de conférer une signification à l’acte.

2. L’interprétation créatrice au nom de la loi, de l’équité et les usages

En cas de lacunes et de silence du contrat, il est illusoire de rechercher la commune intention des parties qui, par définition, n’a probablement pas été exprimée par elles.

Aussi, le juge n’aura-t-il d’autre choix que d’adopter la méthode objective d’interprétation, soit pour combler le vide contractuel, de se rapporter à des valeurs extérieures à l’acte, telles que l’équité ou la bonne foi.

Tel est le sens de l’article 1194 du Code civil qui prévoit que « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. ». Il est manifestement formulé dans les mêmes termes que l’ancien article 1135 du Code civil.

En somme, cette disposition autorise le juge à découvrir des obligations qui s’imposent aux parties alors mêmes qu’elles n’avaient pas été envisagées lors de la conclusion du contrat : c’est ce que l’on appelle le forçage du contrat.

?Le forçage du contrat ou le pouvoir créateur du juge

L’histoire du droit civil moderne révèle que l’ancien article 1135, désormais 1194, a joué en rôle central dans l’évolution de la jurisprudence.

Son œuvre créatrice en matière contractuelle est, pour une large part, assise sur cette disposition qui permet au juge d’étendre le champ contractuel bien au-delà de ce qui était initialement prévu par les parties.

  • Exemple :
    • afin d’éviter à la victime d’un accident de transport de devoir prouver la faute du transporteur pour obtenir réparation, les tribunaux ont découvert dans le contrat de transport une obligation de sécurité, qualifiée de résultat.
    • La victime est, de la sorte, dispensée de rapporter la preuve d’une faute.
    • C’est ici clairement l’équité qui a fondé l’adjonction de cette obligation, alors même qu’elle n’était pas prévue au contrat.
    • Pour autant, la jurisprudence a estimé qu’elle n’en résultait pas moins de sa nature (Cass. civ. 21 nov. 1911)

Cass. civ. 21 nov. 1911

Sur l’unique moyen du pourvoi :

Vu l’article 1134 du Code civil ;

Attendu que des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué, il résulte que le billet de passage remis, en mars 1907, par la Compagnie Générale Transatlantique à Y… Hamida X…, lors de son embarquement à Tunis pour Bône, renfermait, sous l’article 11, une clause, attribuant compétence exclusive au tribunal de commerce de Marseille pour connaître des difficultés auxquelles l’exécution du contrat de transport pourrait donner lieu ;

Qu’au cours du voyage, Y… Hamida, à qui la Compagnie avait assigné une place dans le sous-pont, à côté des marchandises, a été grièvement blessé au pied par la chute d’un tonneau mal arrimé ;

Attendu que, quand une clause n’est pas illicite, l’acceptation du billet sur lequel elle est inscrite, implique, hors les cas de dol ou de fraude, acceptation, par le voyageur qui la reçoit, de la clause elle-même ;

Que, vainement, l’arrêt attaqué déclare que les clauses des billets de passage de la Compagnie Transatlantique, notamment l’article 11, ne régissent que le contrat de transport proprement dit et les difficultés pouvant résulter de son exécution, et qu’en réclamant une indemnité à la Compagnie pour la blessure qu’il avait reçue, Y… agissait contre elle non “en vertu de ce contrat et des stipulations dont il lui imputait la responsabilité” ;

Que l’exécution du contrat de transport comporte, en effet, pour le transporteur l’obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination, et que la cour d’Alger constate elle-même que c’est au cours de cette exécution et dans des circonstances s’y rattachant, que Y… a été victime de l’accident dont il poursuit la réparation ;

Attendu, dès lors, que c’est à tort que l’arrêt attaqué a refusé de donner effet à la clause ci-dessus relatée et déclaré que le tribunal civil de Bône était compétent pour connaître de l’action en indemnité intentée par Y… Hamida contre la Compagnie Transatlantique ; Qu’en statuant ainsi, il a violé l’article ci-dessus visé.

Par ces motifs, CASSE,

Au nombre de ces obligations découvertes par la jurisprudence on compte notamment :

  • L’obligation de sécurité
  • L’obligation d’information
  • L’obligation de conseil
  • L’obligation de renseignement

S’agissant de l’œuvre créatrice des juges du fond, le contrôle de la Cour de cassation s’en trouve nécessairement renforcé.

La haute juridiction peut, sans aucune difficulté, censurer des tribunaux pour avoir découvert une obligation qu’elle n’entendait pas consacrer ou, au contraire, pour avoir refusé de reconnaître une obligation qu’elle souhaitait imposer.

Quoi qu’il en soit, cette faculté dont dispose le juge de découvrir des obligations non prévues par les parties, conduit à se demander ce qu’il reste du principe d’intangibilité des conventions.

Sous couvert d’équité, de loyauté ou encore de bonne foi, la jurisprudence a de plus en plus tendance à user de la technique du forçage du contrat afin d’en modifier les termes, ce qui, dans certains cas, est susceptible de produire les mêmes effets qu’une révision.