La vente – la négociation du contrat

Au quotidien, le consommateur conclut de très nombreux contrats de vente, qui se forment aussitôt le consentement donné ou, pour le dire autrement, dès que l’intention de contracter est extériorisée (par des mots et/ou bien par des gestes). Il arrive aussi que l’accord des parties au contrat ne soit donné qu’une fois seulement des négociations terminées. Il en va ainsi toutes les fois que la proposition qui est faite par l’un des partenaires en première intention n’est pas de nature à constituer la base d’un contrat.

Le législateur de 1804 ne s’est pas préoccupé de la phase exploratoire du contrat. C’est à la Cour de cassation qu’il est revenu de fixer l’alpha et l’omega en la matière. La réforme du droit commun des contrats a été l’occasion d’introduire dans le Code civil quelques dispositions sur le sujet (art. 1112 et s.).

Cette phase précontractuelle est saisie par la norme générale de comportement, à savoir l’article 1240 c.civ. Toute faute dommageable commise dans les négociations est de nature à autoriser la condamnation de son auteur au paiement de dommages et intérêts extra-contactuels (art. 1112, al. 2 c.civ.). Il y a une bonne raison à cela : c’est que la période est gouvernée par l’obligation générale de négocier de bonne foi (art. 1112 c.civ. ensemble art. 1104 : “Les contrats doivent être négociés (…) de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public”).

Rompre les pourparlers ne pose aucune difficulté en soi. Car une liberté est garantie à tout un chacun : s’engager ou non. L’article 1102 c.civ. dispose en ce sens : “chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter”. En revanche, les mobiles qui ont poussé un partenaire à s’inscrire dans le processus de contractualisation et/ou les modalités de la rupture des négociations peuvent constituer en faute leur auteur.

Ex.1 Poursuivent de négociations sans intention réelle de conclure en « entretenant de manière illusoire l’espoir d’une cession ».

Ex.2 Rupture des négociations avec légèreté, peu important l’absence de mauvaise foi ou d’intention de nuire, la légèreté étant notamment appréciée au regard des efforts et investissements demandés, au cours des négociations, par l’auteur de la rupture à son interlocuteur.

Le contrat d’entreprise : le consentement au contrat (théorie du contrat et technique contractuelle

Le contrat d’entreprise est un contrat consensuel pour la validité duquel aucune forme déterminée n’est imposée à peine de nullité, à tout le moins en principe. Il se forme ordinairement par la rencontre des volontés exprimées par les parties sur les éléments essentiels de la prestation. C’est un contrat qui n’échappe donc pas à la théorie générale des obligations. Mais, c’est un contrat que les rédacteurs du Code civil ont pris soin de réglementer spécialement. L’étude du consentement au contrat l’atteste.

Droit de la consommation.- En pratique, le consentement au contrat n’est pas évident à caractériser. Pour preuve, le droit de la consommation dispose que le consommateur doit avoir été mis en mesure de connaître les caractéristiques essentielles du service vendu (L. 111-2 c. consom.). Le législateur entend ainsi garantir autant que faire se peut l’intégrité du consentement donné.

Technique contractuelle.- Étant donné la longueur et le caractère délicat de certaines opérations complexes couvrant des intérêts économiques importants (ex. contrat de construction d’une centrale nucléaire), une « période exploratoire » du contrat d’entreprise précède en pratique sa conclusion.  Le consentement de toutes les parties au contrat ne se cristallise donc pas instantanément. Les partenaires éprouvent parfois le besoin de marquer une pause et de dresser le bilan des points – essentiels – sur lesquels ils sont d’accord. L’entente peut porter sur le processus qui devrait mener à la conclusion du contrat (c’est l’occasion de stipuler une clause de responsabilité en cas de rupture des pourparlers), sur certains éléments du contrat qui reste à compléter voire sur les éléments fondamentaux de l’économie du contrat. Le droit allemand a un mot pour désigner cette formation progressive du contrat. Il s’agit de la punctation[1].

Punctation.- Au terme de cette théorie, les parties avancent par étape, se mettent d’accord point par point, discutent clause par clause, et leur accord global est finalisé par un closing qui est en principe une pure formalité, mais auquel le droit du contrat, qui se concentre sur la rencontre d’une offre et d’une acceptation accordera la valeur de formation du contrat[2]. « Dès lors, le recours à la punctation exclut l’interprétation selon laquelle l’opération vaudrait conclusion du contrat »[3].

Accords partiels.- La formalisation d’accords partiels – accords temporaires (F.-X. Testu) ou provisoires (Cour de cassation) – par les parties, au moyen de documents intermédiaires, interroge quant à leur nature juridique. La question qui se pose alors est celle de savoir quel est le seuil qui sépare les pourparlers de la conclusion du contrat. La question est loin d’être indifférente. Si d’aventure, la ligne de fracture était mal arrêtée, il appartiendrait au juge ou à l’arbitre de rechercher si un contrat a émergé des propos échangés, ou des documents échangés au cours la phase des négociations. Ce serait par voie de conséquence prendre le risque du constat judiciaire des pourparlers. Ce serait, autrement dit, laisser au juge le soin d’interpréter la volonté des négociateurs, laquelle ne transpire pas toujours distinctement des documents rédigés et échangés.

Clause usuelle subject to contract.- L’écueil peut être évité au moyen de la stipulation d’une clause usuelle « subject to contract », qui permet de nier tout effet obligatoire aux accords qui auront vu le jour pendant la phase précontractuelle. Seulement, seul le droit anglo-saxon reconnaît une pleine efficacité à cette clause et s’en tient à la qualification de pourparlers, quand bien même les parties se seraient mises d’accord sur les éléments essentiels de la négociation[4]. En revanche, en droit américain et dans les droits continentaux, un accord sur lesdits éléments essentiels précipite l’application du droit du contrat (art. 1589, al. 1er c.civ. : l’accord réciproque des deux parties sur la chose et le prix engage). Une clause stipulant que « ce document n’a pas de valeur contractuelle » serait, identiquement, de peu d’effets. Une cour d’appel a pu considérer que « la responsabilité encourue peut aussi être de nature contractuelle lorsque, pour faciliter la conclusion du contrat, les parties passent des accords dits de négociation tendant à les obliger à entreprendre, à poursuivre ou à organiser cette négociation »[5]. Seule une clause limitant l’objet du litige (C. proc. civ., art. 4 : « L’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties »), partant la saisine du juge (C. proc. civ., art. 5 et 12, al. 3), pourrait, écrit-on, utilement être stipulée[6].

Clause et limitation de l’objet du litige.- Pour mémoire, les parties sont fondées à lier le juge par les qualifications et points de droit auxquelles elles entendent limiter le débat. Pour peu que les plaideurs stipulent que les documents de la cause sont précontractuels, l’article 12, al. 3, c. proc. civ. empêchera le juge de déclarer juridiquement obligatoire l’engagement critiqué[7]. Cette canalisation de l’office du juge est connue sous l’appellation l’immutabilité du litige[8]. À la réflexion, on peut douter que les parties s’accordent pour lier le juge. Il y a fort à parier qu’elles s’opposeront sur la qualification des documents de la cause[9].

Pour résumer, il arrive fréquemment, durant la négociation de contrats, que les pourparlers donnent lieu à la conclusion d’accords entre négociateurs, qu’il s’agisse de consigner l’intention ou l’engagement d’une partie à négocier, de faire respecter certaines règles durant la négociation, de noter les points sur lesquels les parties se sont déjà entendues ou de définir qu’elles seront les obligations des partenaires en cas d’échec des négociations, spécialement lorsqu’un savoir-faire a été dévoilé. Ces documents préparatoires, au nombre desquels on compte notamment les lettres d’intention, les protocoles d’accord, les promesses, les pactes de préférence et les contrats-cadre ont, dans une mesure variable, vocation à créer des effets juridiques[10]. Ces questions sont classiquement étudiées dans les manuels de Technique contractuelle.

Vous connaissez sûrement quelques pratiques spécifiques qui participent à attester le consentement des parties au contrat. C’est l’objet des procédures d’appel d’offre en présence d’un marché public (droit de la commande publique), dont s’inspirent certains maîtres d’ouvrage, qui peuvent constituer à l’analyse de véritables promesses de contrat. C’est encore l’intérêt du devis. Ce document contractuel contient en pratique l’énumération, la spécification et le prix des travaux à effectuer. Sa nature juridique fait difficulté : pourparlers, promesse de contrat, contrat préparatoire ? Il importe en la matière d’avoir égard pour la volonté des parties voire des usages professionnels. Si le devis passe le cap des pourparlers, l’entrepreneur devra s’y tenir, qu’il soit aubergiste, chimiste, dentiste, ébéniste, garagiste, juriste, libre-échangiste – non, c’est pas un métier –, masochiste – çà non plus –, motoriste (vous remarquerez que le suffixe substantif « iste » sert bien souvent à former un  nom correspondant à un métier).

Bref, vous l’avez compris : le contrat d’entreprise est un contrat typique qui ne se forme bien souvent pas en un trait de temps. Il serait toutefois erroné de croire qu’un contrat d’entreprise ne puisse être conclu de manière totalement informelle : c’est sans préambule que l’on se rend chez un médecin, un guérisseur ou une voyante.

[1] Théorie développée par A. Rieg (La punctation, contribution à l’étude de la formation du contrat, études Jauffret, 1974, p. 600. La valeur juridique de cet accord partiel est niée en droit allemand (BGB, § 154) mais sanctionnée en droit suisse (C.civ., art. 2) et autrichien (C.civ., § 885). V. Labathe, thèse préc., n° 253.

[2] M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, op. cit., n° 98, p. 237 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, 9ème éd., Dalloz, 2005, n° 187.

[3] A. Rieg, La punctation, op. cit., n° 606.

[4] Labarthe, thèse préc., n° 284.

[5] CA Paris 18 janv. 1996, D. Affaires, 1996. 292.

[6] Not. en ce sens, B. Oppettit, L’engagement d’honneur, D. 1979, Chron., p. 107 ; J. Cédras, L’obligation de négocier, RTD Com. 1985, p. 265.

[7] En ce sens, A. Laude, Le constat judiciaire des pourparlers, op. cit., p. 558.

[8] L. Cadiet et E. Jeulan, Droit judiciaire privé, 5ème éd., Litec, 2006, nos 502 et s., 542.

[9] Également en ce sens, Labarthe, thèse préc., n° 282 ; A. Laude, La reconnaissance par le juge de l’existence d’un contrat, Puam, 1992, n° 692.

[10] V. sur ces figures juridiques, B. Fages, Lamy Droit du contrat, étude 115 : Les accords de pourparlers ; F. Labathe, La notion de document contractuel, préf. J. Ghestin, Bibl. dr. pr., t. 241, LGDJ, 1994, pp. 135 et s. ; J.-M. Mousseron et alii, L’avant-contrat, op. cit., nos 385 et s. ;