Le recours en interprétation d’une décision de justice (art. 481 CPC)

L’un des principaux attributs d’un jugement est le dessaisissement du juge. Cet attribut est exprimé par l’adage lata sententia judex desinit esse judex : une fois la sentence rendue, le juge cesse d’être juge.

La règle est énoncée à l’article 481 du CPC qui dispose que « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ». En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.

Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.

Le principe du dessaisissement du juge n’est toutefois pas sans limites. Ces limites tiennent, d’une part, à la nature de la décision rendue et, d’autre part, à certains vices susceptibles d’en affecter le sens, la portée ou encore le contenu.

  • S’agissant des limites qui tiennent à la nature de la décision rendue
    • Il peut être observé que toutes les décisions rendues n’opèrent pas dessaisissement du juge.
    • Il est classiquement admis que seules les décisions contentieuses qui possèdent l’autorité absolue de la chose jugée sont assorties de cet attribut.
    • Aussi, le dessaisissement du juge n’opère pas pour :
      • Les décisions rendues en matière gracieuses
      • Les jugements avants dire-droit
      • Les décisions provisoires (ordonnances de référé et ordonnances sur requête).
  • S’agissant des limites qui tiennent aux vices affectant la décision rendue
    • Il est certains vices susceptibles d’affecter la décision rendue qui justifient un retour devant le juge alors même qu’il a été dessaisi.
    • La raison en est qu’il s’agit d’anomalies tellement mineures (une erreur de calcul, une faute de frappe, une phrase incomplète etc.) qu’il serait excessif d’obliger les parties à exercer une voie de recours tel qu’un appel ou un pourvoi en cassation.
    • Non seulement, cela les contraindrait à exposer des frais substantiels, mais encore cela conduirait la juridiction saisie à procéder à un réexamen général de l’affaire : autant dire que ni les justiciables, ni la justice ne s’y retrouveraient.
    • Fort de ce constat, comme l’observe un auteur, « le législateur a estimé que pour les malfaçons mineures qui peuvent affecter les jugements, il était préférable de permettre au juge qui a déjà statué de revoir sa décision »[1].
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à revenir devant le juge qui a rendu une décision aux fins de lui demander de l’interpréter en cas d’ambiguïté, de la rectifier en cas d’erreurs ou d’omissions purement matérielles, de la compléter en cas d’omission de statuer ou d’en retrancher une partie dans l’hypothèse où il aurait statué ultra petita, soit au-delà de ce qui lui était demandé.
    • À cette fin, des petites voies de recours sont prévues par le Code de procédure civile, voies de recours dont l’objet est rigoureusement limité.

C’est sur ces petites voies de recours que nous nous focaliserons ici. Elles sont envisagées aux articles 461 à 464 du Code de procédure civile.

Au nombre de ces voies de recours, qui donc vise à obtenir du juge qui a statué qu’il revienne sur sa décision, figurent :

  • Le recours en interprétation
  • Le recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle
  • Le recours en retranchement
  • Le recours aux fins de remédier à une omission de statuer

Nous nous focaliserons ici sur le recours en interprétation.

Il est des cas où, parce qu’une disposition de la décision rendue est obscure, ambiguë ou comporte une contradiction, les parties ne sont pas d’accord sur le sens ou la portée de ce qui a été tranché.

Dans cette hypothèse, un recours leur est ouvert aux fins d’obtenir du juge qui a statué une interprétation des termes discutés de la décision rendue.

L’article 461 du CPC prévoit en ce sens que « il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel. »

L’objectif recherché est de prévenir une exécution de la décision rendue qui ne serait pas conforme à l’intention du juge.

I) Conditions de recevabilité du recours

?Une décision obscure

Pour que les parties à un litige soient recevables à exercer un recours en interprétation, il doit être démontré que les termes de la décision rendue prêtent à discussion et plus précisément que l’une de ses dispositions présente une ambiguïté, une obscurité ou une contradiction.

Dans un arrêt du 8 novembre 1976, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si les juges ne peuvent, sous prétexte d’interpréter leurs décisions, les modifier, y ajouter ou les restreindre, il leur appartient d’en fixer le sens et d’en expliquer les dispositions dont les termes ont donné lieu à quelques doutes » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1976, n° 75-12.380).

À l’inverse, lorsque la décision rendue est claire et précise, le recours en interprétation est irrecevable, les parties ne justifiant alors pas d’un intérêt à agir au sens de l’article 31 du Code de procédure civile (Cass. 2e civ. 22 oct. 2009, n°07-21.834).

Il est indifférent que les parties s’accordent sur le caractère obscur de la décision, celui-ci devant être appréciée objectivement (V. en ce sens Cass. ch. Mixte, 6 juill. 1984, n°80-12.965).

Seul compte l’existence d’une obscurité ou d’une ambiguïté qui rende incertaine, à tout le moins difficultueuse, l’exécution de la décision.

À cet égard, la Cour de cassation considère que les juges du fond sont investis d’un pouvoir souverain pour juger de la nécessité d’interpréter, soit d’apprécier le caractère obscur ou ambigu d’une disposition du jugement (Cass., com., 7 octobre 1981, n° 79-16.416).

?Une décision non frappée d’appel

L’article 461 du CPC prévoit que « il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel ».

Il ressort de cette disposition que l’appel fait obstacle à l’exercice du recours en interprétation.

La raison en est que cette voie de réformation des décisions de justice produit un effet dévolutif, en ce sens que la Cour d’appel devient seule compétente pour connaître du litige à l’exclusion de toute autre juridiction

L’exercice du recours en interprétation redeviendra néanmoins possible en cas d’irrecevabilité de l’appel.

Quant au pourvoi en cassation, il est sans incidence sur le recours en interprétation qui peut parfaitement être exercé.

II) Pouvoirs du juge

Parce que le recours en interprétation vise seulement à éclairer les parties sur le sens ou la portée d’une décision rendue, le juge ne saurait en modifier les dispositions.

Il en résulte qu’il ne peut, ni revenir sur les droits et obligations reconnues aux parties, ni modifier les mesures ou sanctions prononcées, ce pouvoir étant dévolu aux seules juridictions de réformation.

Régulièrement la Cour de cassation rappelle que « les juges saisis d’une contestation relative à l’interprétation d’une précédente décision ne peuvent, sous prétexte d’en déterminer le sens, apporter une modification quelconque aux dispositions précises de celle-ci » (Cass. civ. 30 mars 1965, n°63-10.370).

Dans le même sens, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt du 2 juin 2015 que « le juge, saisi d’une contestation relative à l’interprétation d’une précédente décision, ne peut, sous le prétexte d’en déterminer le sens, apporter une quelconque modification à cette dernière, en modifiant les droits et obligations qu’il a reconnus aux parties » (Cass. 3e civ., 2 juin 2015, n°14-15.043).

Il est indifférent que les dispositions de la décision déférée au juge pour interprétation soient erronées (Cass. 1ère civ. 28 mai 2008, n°07-16.990). Admettre la solution inverse reviendrait à porter atteinte à l’autorité de la chose jugée dont est assortie la décision rendue.

Aussi, est-il fait interdiction au juge dans le cadre de l’exercice de son office d’interprétation de :

  • De prendre en compte des éléments de fait ou de droit nouveaux
  • De tirer des constatations établies dans sa décision des conséquences juridiques nouvelles
  • D’opérer des ajouts, des substitutions ou encore des retranchements sur la décision rendue

III) Procédure

A) Compétence

?Principe

Le juge compétent pour connaître d’un recours en interprétation est, en application de l’article 461 du CPC, celui-là même qui a rendu la décision.

Il n’est toutefois nullement exigé qu’il s’agisse de la même personne physique. Ce qui importe c’est qu’il y ait identité de juridiction et non de personne.

?Tempéraments

  • Interprétation incidente
    • Bien que seul le juge qui a rendu la décision soit compétent pour connaître d’un recours en interprétation, ce monopole ne fait pas obstacle à ce qu’une autre juridiction interprète cette décision dans le cadre d’une autre instance (Cass. 1ère civ. 18 janv. 1989, n°87-13.177).
    • L’interprétation incidence, soit effectuée par un autre juge, est dans ce cadre parfaitement admis.
  • Juge de l’exécution
    • Le pouvoir d’interpréter une décision est également dévolu au Juge de l’exécution qui, conformément à l’article L. 218-6 du Code de l’organisation judiciaire « connaît de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ».
    • La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 7 avril 2016 (Cass. 2e civ. 7 avr. 2016, n°15-17.398).
    • Ce pouvoir d’interprétation ne pourra toutefois être exercé que dans le cadre d’une contestation portant sur une mesure d’exécution prise en application d’un titre exécutoire.
    • Le juge de l’exécution ne pourra, en aucun cas, faire droit à une demande en interprétation formulée à titre principal

B) Saisine du juge

1. Délai pour agir

Contrairement au recours en omission de statuer qui doit être exercé dans le délai d’un an après que la décision est passée en force de chose jugée, l’exercice du recours en interprétation n’est subordonné à l’observation d’aucun délai.

Aussi, convient-il de se reporter au délai de droit commun d’exécution des décisions de justice qui, en application de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution est porté à 10 ans sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long.

2. Auteur de la saisine

À la différence de la procédure en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui peut être initiée par le juge qui dispose d’un pouvoir de se saisir d’office, la procédure d’interprétation ne peut être engagée que par les parties elles-mêmes.

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 5 décembre 2013 aux termes duquel elle a affirmé que « la demande en interprétation est formée par simple requête de l’une des parties » (Cass. 2e civ. 5 déc. 2013, n°12-27.461).

À cet égard, lorsque la représentation est obligatoire, le recours devra être par l’entremise d’un avocat.

3. Mode de saisine

Si, par principe, le recours en interprétation est exercé par voie de requête, il est admis que l’instance puisse être introduite au moyen d’une assignation.

?Principe

  • Une requête
    • L’article 461 du CPC prévoit que « la demande en interprétation est formée par simple requête de l’une des parties ou par requête commune. »
    • Le recours en interprétation doit ainsi être exercé par voie de requête unilatérale ou conjointe.
    • Pour rappel :
      • La requête unilatérale est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
      • La requête conjointe est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte commun par lequel les parties soumettent au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
  • Forme de la requête
    • À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.
    • Ces mentions sont énoncées aux articles 54, 57 et 757 du CPC.
  • Dépôt de la requête
    • La requête doit être déposée au greffe de la juridiction saisie en deux exemplaires.
    • La remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué au déposant afin qu’il conserve une preuve du dépôt.
    • L’article 461 du CPC prévoyant que « le juge se prononce les parties entendues ou appelées », on en déduit que la procédure est contradictoire.
    • Aussi, en cas de dépôt d’une requête unilatérale, il y a lieu de la notifier à la partie adverse.

?Exception

La jurisprudence admet que le mode de saisine énoncé par l’article 461 du CPC n’est pas exclusif, de sorte que le recours en interprétation peut être exercé par voie d’assignation.

Ce mode de saisine présente l’avantage d’ouvrir immédiatement un débat contradictoire, raison pour laquelle il est admis.

C) Convocation des parties

L’article 461, al. 2 in fine du CPC prévoit que « le juge statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées »

Ainsi, afin d’adopter sa décision interprétative, le juge a l’obligation d’auditionner et d’entendre les parties, étant précisé que, en l’absence de délai de comparution, le juge doit leur laisser un temps suffisant pour préparer leur défense.

D) Représentation

S’agissant de la représentation des parties, la procédure d’interprétation répond aux mêmes règles que celles ayant donné lieu à la décision rendue.

Aussi, selon les cas, la représentation par avocat sera obligatoire ou facultative. En cas de représentation facultative, la requête pourra, dans ces conditions, être déposée par les parties elles-mêmes.

E) Régime de la décision interprétative

?Incorporation dans la décision initiale

Ainsi que le rappelle régulièrement la jurisprudence, la décision interprétative a vocation à s’incorporer à la décision interprétée.

Il en résulte qu’elle est assujettie aux mêmes règles que le jugement sur lequel elle porte. Plus précisément elle en emprunte tous les caractères.

Ainsi, la décision interprétative donne lieu aux mêmes voies de recours que la décision rectifiée. Si elle est rendue en dernier ressort, il en ira de même pour le jugement interprétatif.

Surtout, en cas d’exercice d’une voie de recours contre la décision interprétée, la décision interprétatrice subira le même sort, y compris s’agissant de l’issue de la procédure d’appel ou de cassation.

?Voies de recours

Il y a lieu ici de distinguer selon que le juge fait droit à la demande d’interprétation ou la rejette.

  • Le juge fait droit à la demande d’interprétation
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence admet qu’un recours puisse être exercé contre la décision interprétative prise isolément à la condition toutefois que les griefs formulés portent sur l’interprétation en tant que telle de la décision rectifiée.
    • À cet égard, il est indifférent que cette dernière soit passée en force de chose jugée, l’important étant que la voie de recours soit exercée dans les délais requis.
  • Le juge rejette la demande de rectification
    • Dans cette hypothèse, le recours exercé est indépendant des recours susceptibles d’être exercés contre la décision initiale.
    • Il s’agit ici de critiquer, non pas l’interprétation du jugement rendu, mais le refus d’interprétation opposé par le juge.
  1. J. Heron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé ?

La force majeure en matière contractuelle: notion et effets

Les anciens articles 1147 et 1148 du Code civil prévoyaient que, en cas d’inexécution du contrat, le débiteur était fondé à s’exonérer de sa responsabilité ou à se libérer de ses obligations dans deux hypothèses :

  • Le cas fortuit
  • Le cas de force majeure

Tandis que le cas de force majeure consisterait en un événement externe au débiteur, tel qu’une intempérie (tempête, ouragan), une guerre ou encore un séisme, le cas fortuit consiste, quant à lui, en un événement interne au débiteur, en ce sens qu’il se rattache à l’activité qu’il exerce (incendie dans les locaux de l’entreprise, grève, maladie etc.)

Ainsi, la distinction entre le cas de force majeure et le cas fortuit tient à la nature de l’empêchement d’exécuter la convention :

  • Il s’agira d’un cas fortuit si l’empêchement est externe
  • Il s’agira d’un cas de force majeure si l’empêchement est interne

Bien que cette distinction qui, suggérée par les anciens articles 1147 et 1148, ait fait l’objet de vifs débats entre les auteurs, elle a finalement été progressivement écartée par la jurisprudence et la doctrine modernes qui ne se réfèrent plus qu’à la force majeure.

Reste que, avant la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016, il n’existait pas, dans le code civil, de définition de la force majeure dont les contours et les effets ont été dessinés par la jurisprudence de la Cour de cassation, et ce de façon parfois inconstante.

Aussi, afin de combler ce silence du code civil et de mettre un terme à l’incertitude jurisprudentielle que la Cour de cassation n’est jamais parvenue à éteindre, le législateur est intervenu en 2016.

À cet égard, l’ordonnance du 10 février 2016 introduit dans le Code civil un article 1218 qui :

  • D’une part, pose la définition du cas de force majeure
  • D’autre part, en détermine les effets

I) La définition de la force majeure

Si sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 le cas de force majeur n’était défini par aucun texte, il était traditionnellement défini comme un événement présentant les trois caractères cumulatifs que sont l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

Ces trois critères sont-ils repris par l’article 1218 du Code civil qui définit la force majeure comme ?

Cette disposition prévoit qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Selon le Rapport au président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 l’intention du législateur est claire : le texte reprend la définition prétorienne de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère d’extériorité, également abandonné par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006, pour ne retenir que ceux d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.

Si la volonté d’abandonner le critère d’extériorité est difficilement contestable, reste qu’une analyse de l’article 1218 interroge sur le succès de la manœuvre.

A) Sur le critère d’extériorité

?Notion

Dans la conception classique, l’événement constitutif de la force majeure doit être extérieur (ou résulter d’une cause étrangère), c’est-à-dire doit être indépendant de la volonté de l’agent, à tout le moins à son activité.

En matière contractuelle, la condition d’extériorité était évoquée à l’article 1147 du Code civil, qui faisait référence à la « cause étrangère » non imputable au débiteur.

L’extériorité s’entendait ici d’un événement indépendant de la volonté de celui qui doit exécuter le contrat et rendant impossible l’exécution du contrat.

À cet égard, il ne suffisait pas que l’exécution de l’obligation soit rendue plus difficile ou plus onéreuse par la survenance de l’événement extérieur (Cass., com., 12 novembre 1969), il fallait qu’elle soit effectivement impossible.

Si l’empêchement n’était que momentané, la jurisprudence considérait le débiteur n’était pas libéré et l’exécution de l’obligation était, dans ces conditions, seulement suspendue jusqu’au moment où l’événement extérieur venait à cesser (Cass., 1ère civ., 24 février 1981, n°79-12.710).

La condition d’extériorité de l’événement n’était pas, non plus, caractérisée si l’empêchement d’exécution du contrat résultait de l’attitude ou du comportement fautif du débiteur (Cass., 1ère civ., 21 mars 2000, n° 98-14.246).

Ainsi, le vendeur ne pouvait pas invoquer une force majeure extérieure pour s’exonérer de sa responsabilité en cas de vice caché (Cass. 1ère civ., 29 octobre 1985, n°83-17.091), ni en principe le chef d’entreprise en cas de grève de son propre personnel (Cass., Com., 24 novembre 1953).

Reste que la Cour de cassation a finalement renoncé à l’exigence d’extériorité de l’événement pour retenir le cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

?Les fluctuations de la jurisprudence

À compter des années 1990, la Cour de cassation a commencé à admettre, dans plusieurs arrêts, que puissent exister des circonstances internes au débiteur, comme la maladie, la grève ou des circonstances économiques (le chômage ou l’absence de ressources, par exemple) susceptibles de constituer des cas de force majeure ;

  • La grève a ainsi pu être considérée comme un événement extérieur (Cass., 1ère civ., 24 janvier 1995, n°92-18.227), sauf si elle résultait du fait ou d’une faute de l’employeur
  • La maladie a également été déclarée constitutive d’un cas de force majeure irrésistible, bien qu’elle n’ait pas été extérieure à la personne :

Afin de mettre un terme à l’incertitude qui régnait en jurisprudence, la Cour de cassation a voulu entériner l’abandon du critère de l’extériorité dans un arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006 (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168).

Dans cette décision, après avoir rappelé « qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit » les juges ont affirmé « qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ».

Cass. ass. plé. 14 avr. 2006

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Douai, 12 novembre 2001), que M. X… a commandé à M. Y… une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle ; qu’en raison de l’état de santé de ce dernier, les parties sont convenues d’une nouvelle date de livraison qui n’a pas été respectée ; que les examens médicaux qu’il a subis ont révélé l’existence d’un cancer des suites duquel il est décédé quelques mois plus tard sans que la machine ait été livrée ; que M. X… a fait assigner les consorts Y…, héritiers du défunt, en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1) qu’en estimant que la maladie dont a souffert M. Michel Z… avait un caractère imprévisible, pour en déduire qu’elle serait constitutive d’un cas de force majeure, après avoir constaté qu’au 7 janvier 1998, date à laquelle M. Michel Y… a fait à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, M. Michel Y… savait souffrir, depuis plusieurs mois, d’une infection du poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail et se soumettait à de nombreux examens médicaux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

2) qu’un événement n’est pas constitutif de force majeure pour le débiteur lorsque ce dernier n’a pas pris toutes les mesures que la prévisibilité de l’événement rendait nécessaires pour en éviter la survenance et les effets ; qu’en reconnaissant à la maladie dont a souffert M. Michel Y… le caractère d’un cas de force majeure, quand elle avait constaté que, loin d’informer son cocontractant qu’il ne serait pas en mesure de livrer la machine commandée avant de longs mois, ce qui aurait permis à M. Philippe X… de prendre toutes les dispositions nécessaires pour pallier le défaut de livraison à la date convenue de la machine commandée, M. Michel Y… avait fait, le 7 janvier 1998, à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, soit à une date qu’il ne pouvait prévisiblement pas respecter, compte tenu de l’infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail, dont il savait souffrir depuis plusieurs mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

Mais attendu qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ; qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y… était en mesure de réaliser la machine et qu’il s’en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l’incapacité physique résultant de l’infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d’une maladie irrésistible, la cour d’appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d’un cas de force majeure ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X… fait encore grief à l’arrêt d’avoir omis, après avoir prononcé la résolution du contrat, de condamner in solidum les défenderesses à lui payer les intérêts au taux légal, à compter de la date de l’acte introductif d’instance et jusqu’à celle de son versement, sur la somme correspondant aux acomptes qu’il avait versés à son débiteur alors, selon le moyen, que les intérêts au taux légal sont dus du jour de la demande en justice équivalent à la sommation de payer jusqu’à la date de leur versement sur le prix qui doit être restitué à la suite de l’exécution d’un contrat ; qu’en omettant, après avoir prononcé la résolution du contrat conclu le 11 juin 1997 entre M. Michel Y… et M. Philippe X…, de condamner in solidum Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à payer à M. Philippe X… les intérêts au taux légal sur la somme correspondant au montant des acomptes initialement versés à M. Michel Y… par M. Philippe X…, à compter de la date de la délivrance de l’acte introductif d’instance jusqu’à celle de son versement par Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à ce dernier, la cour d’appel a violé l’article 1153 du code civil ;

Mais attendu que l’omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l’article 463 du nouveau code de procédure civile, le moyen n’est pas recevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X… aux dépens ;

Cette solution a, deux ans plus tard, été reprise par la première chambre civile qui, dans un arrêt du 30 octobre 2008, a considéré que « seul un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ». Elle ne fait ainsi plus de l’extériorité de l’événement une condition au caractère exonératoire de la force majeure (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2008, n°07-17134).

Bien que l’on eût pu penser que la définition du cas de force majeure était désormais ancrée en jurisprudence, cela était sans compter sur la chambre sociale de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 16 mai 2012, a réintroduit l’exigence d’extériorité de l’événement, en affirmant que « la force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d’un contrat de travail s’entend de la survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution » (Cass. soc. 16 mai 2012, n° 10-17.726)

Manifestement, cet arrêt n’est pas sans avoir jeté le trouble sur l’exigence d’extériorité dont la mention n’a pas manqué d’interroger les auteurs sur les intentions de la Cour de cassation.

Cette interrogation s’est d’autant plus renforcée par la suite que la troisième chambre civile s’est, à son tour, référée dans un arrêt du 15 octobre 2013 au critère de l’extériorité pour retenir un cas de force majeure (Cass. 3e civ. 15 oct. 2013, n°12-23.126).

Constatant que la jurisprudence ne parvenait pas à se fixer en arrêtant une définition de la force majeure, le législateur a profité de la réforme du droit des obligations pour mettre un terme, à tout le moins s’y essayer, à l’incertitude jurisprudentielle qui perdurait jusqu’alors, nonobstant l’intervention de l’assemblée plénière en 2006.

?La réforme du droit des obligations

Bien que le rapport au Président de la République signale que le législateur a, lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, entendu délaisser « le traditionnel critère d’extériorité », les termes de l’article 1218 du Code civil pris en son alinéa 1er interrogent sur l’effectivité de cette annonce.

Cette définition prévoit, en effet, que pour constituer un cas de force majeure l’événement invoqué doit avoir échappé au contrôle du débiteur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir à quelles hypothèses correspond un événement qui échappe au contrôle du débiteur.

En première intention, on pourrait considérer qu’il s’agit d’un événement qui serait étranger à son activité, car ne relevant pas de son contrôle. Cette interprétation conduirait néanmoins à réintroduire le critère d’extériorité. Or cela serait contraire à la volonté du législateur.

Aussi, convient-il d’admettre que le nouveau critère posé par l’article 1218 couvre un spectre plus large de situations, lesquelles situations sont susceptibles de correspondre, tant à des événements externes qu’internes. Ce qui importe, pour constituer un cas de force majeure, c’est que le débiteur n’ait pas de prise sur l’événement invoqué.

Pris dans cette acception, le critère de « l’absence de contrôle » autorise à inclure, à l’instar de certaines décisions, dans le giron des cas de force majeure la maladie du débiteur ou encore la grève à la condition néanmoins que, dans ces deux cas, l’événement invoqué ne résulte pas de la conduite du débiteur.

En effet, la maladie qui serait causée par la conduite à risque du débiteur ne devrait, a priori, pas être constitutive d’un cas de force majeure. Il en va de même pour une grève qui prendrait sa source dans une décision de l’employeur.

B) Sur le critère d’imprévisibilité

Le deuxième élément de la définition de la force majeure posé par l’article 1218 du Code civil est l’imprévisibilité de l’événement.

Le texte prévoit en ce sens que la force majeure est constituée lorsque notamment l’événement invoqué « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ».

La reprise du critère de l’imprévisibilité par le législateur appelle trois remarques :

En premier lieu, il peut être observé que l’imprévisibilité s’apprécie par référence à une personne ou un contractant prudent et diligent, et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps, de saison. Il faut que le sujet n’ait pas pu prévoir la réalisation du dommage.

En deuxième lieu, l’imprévisibilité doit s’apprécier au jour de la formation ou de la conclusion du contrat, le débiteur ne s’étant engagé qu’en fonction de ce qui était prévisible à cette date (Cass. com., 3 octobre 1989, n°87-18.479).

Tout s’ordonne, dans le domaine contractuel, autour des prévisions des parties et des attentes légitimes du créancier : il faut que l’événement-obstacle crée une difficulté d’exécution dont le créancier ne pouvait raisonnablement espérer la prise en charge par le débiteur (20).

Dès lors, si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation.

En dernier lieu, l’emploi de la formule « raisonnablement prévu » suggère que l’imprévisibilité de l’événement puisse n’être que relative, en ce sens qu’il n’est pas nécessaire que l’événement soit absolument imprévisible pour constituer un cas de force majeure.

Cette conception de l’imprévisibilité est conforme à la jurisprudence antérieure qui se contentait d’événements « normalement prévisibles » (Cass., 2e civ. 6 juillet 1960 ; Cass. 2e civ. 27 octobre 1965).

Il est, en effet, constant en jurisprudence que, l’événement est jugé imprévisible en fonction du temps et du lieu où il se produit et des circonstances qui l’accompagnent. Il s’apprécie par référence à un homme prudent, mais aussi par rapport à l’absence de faute de l’agent qui ne pouvait pas prévoir l’événement.

Pour que l’événement soit imprévisible, il faut, peut-on dire, qu’il provoque un “effet de surprise” au regard du lieu, du moment et des circonstances dans lesquels il se produit, de telle manière qu’il n’ait pu être prévu par un homme prudent et avisé.

Ce caractère relatif de l’imprévisibilité est admis par la jurisprudence même dans le cas d’événements naturels : ainsi, en fonction des circonstances de lieu, de date, de saison, peuvent ne peut pas être regardés comme des cas de force majeure, le verglas, la tempête, le vent, l’orage, les inondations, les chutes de neige, le brouillard, les glissements et effondrements de terrains, etc…

C) Sur le critère d’irrésistibilité

Troisième et dernier critère caractérisant la force majeure posée par l’article 1218, al. 1er du Code civil : l’irrésistibilité.

Le texte dispose que la force majeure est constituée lorsque les effets de l’événement « ne peuvent être évités par des mesures appropriées. »

Le rapport au Président de la république précise que l’irrésistibilité de l’événement doit l’être, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables).

L’irrésistibilité implique donc une appréciation du comportement de l’individu pendant toute la durée de réalisation de l’événement : de son fait générateur à ses conséquences.

Pour que l’événement soit irrésistible il faut que la personne concernée ait été dans l’impossibilité d’agir autrement qu’elle l’a fait.

À cet égard, la doctrine à la notion d’événement « inévitable » ou « insurmontable ». Aussi, dès lors que l’événement peut être surmonté, y compris dans des conditions plus difficiles par le débiteur, il n’est pas fondé à se prévaloir de la force majeure.

C’est donc à une appréciation “in concreto” de l’irrésistibilité que se livre la jurisprudence, en recherchant si l’événement a engendré ou non pour le sujet une impossibilité d’exécuter l’obligation ou d’éviter la réalisation du dommage et en vérifiant si un individu moyen, placé dans les mêmes circonstances, aurait pu résister et surmonter l’obstacle.

Il peut, en outre, être observé que la jurisprudence antérieure n’exigeait pas une impossibilité absolue de résister, pour le débiteur, à l’événement à l faveur d’une approche relative de l’irrésistibilité

En effet, cette dernière est appréciée par référence à un individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances de temps, de lieu, de conjoncture. De nombreux arrêts jugent fortuit, par exemple, l’événement “normalement irrésistible” ou celui dont on ne pouvait pallier les inconvénients par des mesures suffisantes.

Il est intéressant de noter que cette approche relative de l’irrésistibilité de la force majeure est aussi celle de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a rendu un arrêt, le 17 septembre 1987, s’efforçant de donner une définition de la force majeure en excluant l’idée d’une “impossibilité absolue” (CJUE 17 septembre 1987).

La Cour de Luxembourg affirme dans cet arrêt que la force majeure « ne présuppose pas une impossibilité absolue », mais qu’elle « exige toutefois qu’il s’agisse de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne et apparaissant inévitables mêmes si toutes les diligences utiles sont mises en œuvre ».

II) Les effets de la force majeure

Le second alinéa de l’article 1218 envisage les conséquences de la force majeure, étant précisé que la condition préalable posée par l’alinéa 1er du texte, pour que la force majeure produise ses effets, tient à l’existence d’une impossibilité, pour le débiteur, d’exécuter son obligation.

Autrement dit, le débiteur doit justifier d’un empêchement qui rend l’exécution de son obligation, non pas difficile, mais impossible. L’impossibilité sera appréciée objectivement par la juridiction saisie, soit, non pas en considération de la personne du débiteur, mais en fonction d’éléments objectifs.

Les effets produits par la force majeure différeront néanmoins, selon que l’impossibilité d’exécuter le contrat est temporaire ou définitive.

Reste que s’agissant de l’octroi de dommages et intérêts, la force majeure produira, dans les deux cas, un effet exonératoire.

A) L’impossibilité temporaire

L’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil prévoit que « si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque l’empêchement est temporaire, la force majeure produit un effet suspensif : l’exécution de l’obligation est suspendue jusqu’à ce que l’empêchement disparaisse.

Par exception, lorsque la date d’exécution de la prestation est un élément essentiel du contrat pour le créancier, il est fondé à en demander la résolution, soit l’anéantissement rétroactif.

B) L’impossibilité définitive

L’alinéa 2 de l’article 1218 poursuit en prévoyant que « si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 »

1. Principe

En cas d’empêchement définitif donc le créancier est fondé à se prévaloir d’une résolution de plein droit du contrat.

Il s’agit là d’une nouveauté instituée en droit commun par l’ordonnance du 10 février 2016, cette règle étant circonscrite, sous l’empire du droit antérieur à des cas très spécifiques, tel que, par exemple, la destruction de la chose louée en matière de contrat de bail (art. 1722 C. civ.)

Autre nouveauté de l’ordonnance, la résolution du contrat, en cas d’empêchement définitif, intervient de plein droit, soit sans qu’il soit besoin pour le créancier de saisir le juge.

2. Conditions

L’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil précise que, lorsque la résolution de plein droit du contrat est acquise, les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

À l’examen, ces deux dispositions ne font que reprendre synthétiquement les conditions classiques du droit antérieur (anciens articles 1302 et 1303 du code civil) auxquelles est subordonnée la libération du débiteur, lesquelles conditions s’articulent autour d’un principe et de deux exceptions.

a. Principe

L’article 1351 dispose que « l’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive »

Il ressort de cette disposition que la libération du débiteur peut être totale ou partielle lorsque l’empêchement d’exécuter son obligation est définitif.

On peut alors en déduire que lorsque l’empêchement est seulement temporaire, il n’y a pas lieu à libération totale ou partielle du débiteur.

La raison en est que, en pareil cas, conformément à l’article 1218, l’obligation est suspendue, de sorte qu’elle pourra être exécutée une fois l’empêchement levé.

L’article 1351 précise toutefois que, lorsque l’empêchement est définitif et que le débiteur peut exécuter partiellement son obligation, l’article 1351, il n’est libéré qu’à proportion de la fraction de la prestation fournie.

b. Exceptions

L’article 1351 pose deux exceptions au principe de libération – totale ou partielle – du débiteur en cas d’empêchement définitif :

?Première exception : la prise en charge des risques par le débiteur

L’article 1351 du Code civil prévoit que, lorsqu’il a été convenu entre les parties que le débiteur supporte les risques de la force majeure, il n’est pas libéré de ses obligations en cas d’empêchement définitif.

Nonobstant la survenance d’un cas de force majeure, il doit ainsi poursuivre l’exécution du contrat.

Manifestement cette disposition confirme que les règles qui encadrent la force majeure, en particulier celles posées à l’article 1218 du Code civil, ne sont que supplétives, soit souffrent de stipulations contraires.

?Seconde exception : la mise en demeure du débiteur

La mise en œuvre de cette seconde exception suppose de distinguer selon que l’empêchement d’exécuter résulte ou non de la perte de la chose due.

  • L’empêchement d’exécuter ne résulte pas de la perte de la chose due
    • L’article 1351 du Code civil prévoit encore que la libération du débiteur ne saurait avoir lieu en cas d’empêchement définitif, lorsque dernier a été mis en demeure d’exécuter ses obligations avant la survenance du cas de force majeure.
    • Cette règle vise, en quelque sorte, à sanctionner le débiteur qui a tardé à exécuter son obligation.
    • Au fond, le législateur est ici parti du postulat que si le débiteur avait fourni sa prestation dans les délais, la force majeure n’aurait pas empêché l’exécution du contrat.
  • L’empêchement d’exécuter résulte de la perte de la chose due
    • L’article 1351-1 du Code civil prévoit que, dans cette hypothèse, « le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée ».
    • Autrement dit, le débiteur pourra, nonobstant la mise en demeure dont il a fait l’objet, se libérer de son obligation s’il parvient à prouver que la chose promise aurait malgré tout été perdue si elle avait été entre les mains du créancier.
    • En pareille situation l’article 1351-1 du Code civil prévoit néanmoins que le débiteur est « tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »
    • Cette règle vise à permettre au créancier de se prévaloir notamment de l’indemnité d’assurance, dans l’hypothèse où le bien était assuré.

C) L’impossibilité temporaire ou définitive

Que l’empêchement soit définitif ou temporaire, il s’infère de la combinaison des articles 1217 et 1231-1 du Code civil que la force majeure produit un effet exonératoire.

Autrement dit, aucuns dommages et intérêts ne seront dus au créancier si le débiteur démontre qu’il a été empêché d’exécuter son obligation par un cas de force majeure. Sa responsabilité contractuelle ne pourra, autrement dit, pas être recherchée.

La nullité du mariage: régime juridique

En ce que le mariage comporte une dimension contractuelle, il est envisagé par le législateur comme un acte juridique.

À ce titre, la violation de ses conditions de formation est sanctionnée par la nullité.

Lorsqu’elle est prononcée, la nullité a pour effet d’anéantir le mariage.

Ainsi, cette sanction met-elle fin à l’union conjugale, au même titre que le divorce.

Toutefois, il convient de bien distinguer ce mode de rupture du mariage du divorce, notamment en ce qu’elle n’emporte pas les mêmes effets.

  • La nullité
    • Elle vient sanctionner la violation d’une des conditions de formation du mariage (excepté la non-publication des bans qui constitue un empêchement prohibitif).
    • La nullité agit rétroactivement, de sorte que le mariage est réputé n’avoir jamais existé.
    • Elle met donc fin tant aux effets passés, qu’aux effets futurs du mariage
    • Par exception, en cas de mariage putatif certains effets bénéficient toujours aux enfants et, parfois, à l’époux de bonne foi.
  • Le divorce
    • Il met fin au mariage soit à la suite d’une décision conjointe des époux, soit pour sanctionner une violation, non pas d’une condition de formation du mariage, mais d’une obligation née de la formation du mariage
    • Le divorce ne met fin au mariage que pour l’avenir.
    • Il n’est pas rétroactif comme peut l’être la nullité.
    • Le divorce produit ses effets à l’égard des deux époux.
    • Il n’est pas question de faire ici comme si le mariage n’avait jamais existé.
    • Au contraire, le divorce va donner lieu à la liquidation de l’union matrimoniale

==> Notion

La nullité est donc la sanction encourue par un acte judiciaire entaché d’un vice de forme ou d’une irrégularité de fond.

Par « nul », il faut comprendre, poursuit cette disposition, qu’il « est censé n’avoir jamais existé. »

Il ressort de cette définition générale de la nullité qu’elle présente deux caractères principaux :

  • Elle sanctionne les conditions de formation de l’acte irrégulier
  • Elle anéantit l’acte qu’elle frappe rétroactivement

Compte tenu de la gravité de cette sanction qui, donc est susceptible de mettre un terme à l’union conjugale, le législateur a aménagé le régime juridique des nullités en matière de mariage, de sorte qu’il se distingue de celui applicable aux contrats.

Trois différences notables avec le droit commun peuvent être observées :

  • D’une part, la violation d’une condition de formation du mariage n’est pas nécessairement sanctionnée par une nullité (non-publication des bans)
  • D’autre part, les conditions d’exercice de l’action en nullité du mariage sont restreintes
  • Enfin, les effets de la nullité du mariage sont adoucis, en ce sens que la rétroactivité de la sanction est, sur certains points, écartée

Pour le reste, les principes généraux qui gouvernent les nullités s’appliquent au mariage, de sorte qu’il est permis d’envisager leur régime juridique, à maints égards, par analogie avec le droit commun.

==> La summa divisio des nullités

Traditionnellement, on distingue deux catégories de nullités :

  • Les nullités relatives
  • Les nullités absolues

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir quel critère retenir pour les distinguer. Sur cette question, deux théories se sont opposées : l’une dite classique et l’autre moderne

  • La théorie classique
    • Selon cette théorie, née au XIXe siècle, le critère de distinction entre les nullités relatives et les nullités absolues serait purement anthropomorphique.
    • Autrement dit, l’acte juridique pourrait être comparé à un être vivant, lequel est composé d’organes.
    • Or ces organes peuvent, soit faire défaut, ce qui serait synonyme de mort, soit être défectueux, ce qui s’apparenterait à une maladie.
    • Selon la doctrine de cette époque, il en irait de même pour l’acte juridique qui est susceptible d’être frappé par différents maux d’une plus ou moins grande gravité.
      • En l’absence d’une condition d’existence (consentement, objet, cause) l’acte serait mort-né : il encourrait la nullité absolue
      • Lorsque les conditions d’existence seraient réunies mais que l’une d’elles serait viciée, l’acte serait seulement malade : il encourrait la nullité relative
    • Cette théorie n’a pas convaincu les auteurs modernes qui lui ont reproché l’artifice de la comparaison.
  • La théorie moderne
    • La théorie classique des nullités a été vivement critiquée, notamment par Japiot et Gaudemet.
    • Selon ces auteurs, le critère de distinction entre la nullité relative et la nullité absolue réside, non pas dans la gravité du mal qui affecte l’acte, mais dans la finalité poursuivie par la règle sanctionnée par la nullité.
    • Ainsi, selon cette théorie :
      • La nullité absolue viserait à assurer la sauvegarde de l’intérêt général, ce qui justifierait qu’elle puisse être invoquée par quiconque à un intérêt à agir
      • La nullité relative viserait à assurer la sauvegarde d’un intérêt privé, ce qui justifierait qu’elle ne puisse être invoquée que par la personne protégée par la règle transgressée
    • S’il est indéniable que le critère de distinction proposé par la doctrine moderne est d’application plus aisé que le critère anthropomorphique, il n’en demeure pas moins, dans certains cas, difficile à mettre en œuvre.

Au bilan, il ressort de la distinction opérée par la jurisprudence que la nullité est :

  • absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général.
  • relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé.

==> Les cas de nullité relative et absolue

Le principe général « pas de nullité sans texte » s’applique en matière de mariage.

Cela signifie que la nullité du mariage n’est encourue qu’à la condition d’être envisagée par une disposition. À défaut, l’irrégularité ne donne pas lieu à l’annulation du mariage.

Lorsque, en revanche, que la nullité est prévue, il convient de déterminer, s’il s’agit d’une nullité relative ou absolue.

  • Les nullités relatives
    • Il s’agit des nullités qui visent à sanctionner la violation d’un intérêt privé
    • Au nombre de ces nullités, on compte :
      • Les vices du consentement
        • Erreur sur les qualités essentielles de la personne
        • La violence
      • Le défaut d’autorisation de la famille
  • Les nullités absolues
    • Il s’agit des nullités qui visent à sanctionner la violation de l’intérêt génal
    • Les cas de nullités absolues sont manifestement, en matière de mariage, plus nombreux que les cas de nullités relatives :
      • Le défaut d’âge légal
      • L’absence de consentement
      • L’absence de l’époux lors du mariage
      • La bigamie
      • L’inceste
      • La clandestinité
      • L’incompétence de l’officier d’état civil

Une fois déterminée la nature de la nullité par laquelle est sanctionnée l’irrégularité dont est entaché le mariage, il conviendra d’exercer une action en justice aux fins de la faire constater par le Juge (I)

Que la nullité soit absolue ou relative, cela n’aura toutefois aucune répercussion sur les effets de la nullité (II)

I) L’action en nullité

A) Les titulaires de l’action en nullité

Selon que la nullité est relative ou absolue, les personnes susceptibles d’exercer l’action en nullité varient

  1. Les nullités relatives

Le principe général est, en la matière, que seule la personne protégée par la règle sanctionnée par une nullité relative a qualité à agir.

En matière de mariage, cette règle a été quelque peu aménagée.

==> Les nullités pour vice du consentement

Il convient ici de distinguer l’erreur de la violence :

  • La nullité pour violence
    • L’article 180, al. 1er du Code civil prévoit que deux personnes ont qualité à agir pour exercer l’action en nullité :
      • Le ou les époux victime de la violence
      • Le ministère public
  • La nullité pour erreur
    • L’article 180, al. 2e du Code civil prévoit que seul l’époux qui a été induit en erreur a qualité à agir pour exercer l’action en nullité

==> Le défaut d’autorisation familiale

L’article 182 du Code civil prévoit que « le mariage contracté sans le consentement des père et mère, des ascendants, ou du conseil de famille, dans les cas où ce consentement était nécessaire, ne peut être attaqué que par ceux dont le consentement était requis, ou par celui des deux époux qui avait besoin de ce consentement. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de défaut d’autorisation familiale, l’action en nullité peut être exercée :

  • Par l’époux incapable
  • La personne dont le consentement était requis

2. Les nullités absolues

Le principe général est, en la matière, que quiconque possède un intérêt peut exercer l’action en nullité absolue.

En matière de mariage, le cercle de ces personnes ayant qualité à agir a cependant été considérablement restreint.

Il ressort de la combinaison des articles 184 et 185 du Code civil que, en matière de nullité absolue, pour déterminer les titulaires de l’action, il convient de distinguer entre les personnes qui doivent justifier d’un intérêt pécuniaire et celles qui n’ont pas besoin de justifier d’un tel intérêt

  • Les personnes n’ayant pas à justifier d’un intérêt pécuniaire
    • Les époux
    • Le conjoint du futur époux
    • Les père et mère
    • Les ascendants
    • Le Conseil de famille en l’absence d’ascendants
    • Le ministère public (ne peut agir que du vivant des époux)
  • Les personnes devant justifier d’un intérêt pécuniaire
    • Les collatéraux
    • Les enfants nés d’un autre mariage, du vivant des deux époux
    • Les créanciers des époux

B) La prescription de l’action en nullité

L’action en nullité se prescrit différemment selon que la nullité invoquée est absolue ou relative.

==> La prescription de la nullité absolue

  • Délai
    • L’article 184 du Code civil prévoit que « tout mariage contracté en contravention aux dispositions contenues aux articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162 et 163 peut être attaqué, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les époux eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public.»
    • Dans un arrêt du 29 mai 2013, la Cour de cassation a précisé que « la loi du 17 juin 2008 a maintenu à trente ans le délai de prescription applicable à l’action en nullité absolue du mariage » (Cass 1ère, 29 mai 2013).
  • Point de départ
    • La prescription court à compter du jour de la célébration du mariage
    • En cas d’impossibilité pour le titulaire de l’action d’agir, conformément à l’article 2234 du Code civil, la prescription est suspendue de sorte que l’action peut être exercée au-delà du délai de trente ans (Cass 1ère, 29 mai 2013)

Cass 1ère civ., 29 mai 2013
Sur les deux moyens, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 novembre 2011), qu'après s'être marié le 20 juillet 1950 avec Mme X..., Michel Y...a épousé Mme Z... au Mexique le 18 juin 1964 ; que son divorce d'avec Mme X...a été prononcé le 13 février 1967 et que son mariage avec Mme Z... a été transcrit au consulat général de France à Mexico le 30 novembre 1974 ; qu'après le prononcé de son divorce d'avec Mme Z... le 17 septembre 1990, Michel Y...s'est remarié avec Mme B...le 27 décembre 1991 ; que Michel Y...étant décédé le 13 janvier 2009, Mme B...a assigné Mme Z... en annulation du mariage célébré le 18 juin 1964, pour cause de bigamie ;

Attendu que Mme B...fait grief à l'arrêt de déclarer l'action irrecevable comme prescrite, alors, selon le moyen :

1°/ que, antérieurement à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et nonobstant la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 qui ne concerne que les actions relatives à la filiation, l'action en nullité du mariage pour bigamie n'était encadrée dans aucun délai de prescription ; que par suite, tant en application de l'article 26- II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, qu'en application des règles générales gouvernant les conflits de lois dans le temps, la prescription trentenaire, telle que prévue par l'article 184 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, n'a pu courir que du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 147 et 184 du code civil, ensemble l'article 2 du même code et l'article 26- II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

2°/ que, à supposer que le délai de trente ans institué par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et inséré à l'article 184 du code civil ait pu s'appliquer pour la période antérieure à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, en toute hypothèse, le délai de prescription n'était pas susceptible de courir tant que Mme B...n'était pas en mesure d'agir ; qu'en s'abstenant de rechercher si la demanderesse n'avait pas été mise dans l'impossibilité d'agir avant la transcription du mariage attaqué sur l'acte de naissance de Michel Y...le 18 octobre 1979, en sorte que le point de départ de la prescription trentenaire devait être reporté à cette date, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 184 et 2234 nouveaux du code civil ;

3°/ que, à supposer que les règles gouvernant en l'espèce le point de départ ou la suspension du délai de prescription fussent celles qui étaient en vigueur avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'arrêt encourrait encore la cassation, pour la raison exposée à la première branche du moyen, pour défaut de base légale au regard de l'article 184 ancien du code civil et de la règle selon laquelle la prescription ne court pas à l'encontre de celui qui se trouve dans l'impossibilité d'agir ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a énoncé, à bon droit, que la loi du 17 juin 2008 a maintenu à trente ans le délai de prescription applicable à l'action en nullité absolue du mariage ;

Attendu, d'autre part, que la règle selon laquelle la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription ; qu'ayant relevé que Mme B...indiquait dans ses écritures qu'elle aurait pu connaître la situation matrimoniale antérieure de son époux à la date de mention du mariage contracté avec Mme Z... sur l'acte de naissance de Michel Y..., soit le 18 octobre 1979, et qu'elle aurait pu prendre connaissance de l'acte de naissance de son conjoint lors de son mariage en décembre 1991, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, en a déduit que Mme B...disposait encore du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription, et que son action était prescrite ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> La prescription de la nullité relative

  • Délai
    • L’article 181 du Code civil prévoit que « la demande en nullité n’est plus recevable à l’issue d’un délai de cinq ans à compter du mariage. »
    • Ce délai est donc considérablement réduit en comparaison de celui qui court en matière de nullité absolue
  • Point de départ
    • La prescription de l’action en nullité relative a pour point de départ le jour de la célébration du mariage
    • En cas d’impossibilité d’exercer cette action, elle pourra toujours être exercée au-delà du délai de prescription, en application de l’adage contra non valentem agere non currit praescriptio, soit une prescription ne peut s’appliquer contre quelqu’un qui ne peut pas agir
  • Cas particulier du défaut d’autorisation familiale
    • L’article 183 du Code civil prévoit que « l’action en nullité ne peut plus être intentée ni par les époux, ni par les parents dont le consentement était requis, toutes les fois que le mariage a été approuvé expressément ou tacitement par ceux dont le consentement était nécessaire, ou lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de leur part, depuis qu’ils ont eu connaissance du mariage. Elle ne peut être intentée non plus par l’époux, lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de sa part, depuis qu’il a atteint l’âge compétent pour consentir par lui-même au mariage.»
    • Il ressort de cette disposition se prescrit différemment selon le titulaire de l’action
      • Action des parents et ascendants
        • Le délai de prescription est de 5 ans
        • Il commence à courir à compter du jour où les parents ont et connaissance du mariage
        • Aucune action en nullité ne peut plus être intentée à l’expiration du délai de 5 ans
      • Action de l’époux
        • Le délai de prescription est également pour l’époux de 5 ans
        • Toutefois, le délai commence à courir à compter du jour où il a atteint l’âge requis pour contracter mariage, soit 18 ans révolus

II) Les effets de la nullité

A) L’effet rétroactif de la nullité

Le principal effet de la nullité c’est la rétroactivité. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que le mariage est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans la mesure où le mariage aura nécessairement reçu un commencement d’exécution, son annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

L’effet rétroactif est attaché, tant à la nullité relative, qu’à la nullité absolue.

La rétroactivité à plusieurs conséquences sur la situation des époux, quant à leur personne et quant à leurs biens

L’obligation de communauté de vie, le devoir de fidélité, d’assistance et de secours sont considérés comme n’ayant jamais existé.

Un époux ne saurait, en conséquence, se prévaloir de l’adultère de son conjoint consécutivement à la rupture, ou encore revendiquer le paiement d’une prestation compensatoire.

Plus généralement, les rapports patrimoniaux entre les époux se régleront selon les règles du droit commun et non selon le droit des régimes matrimoniaux.

B) Le mariage putatif

==> Principe

Compte tenu de la gravité de la sanction que constitue la nullité, en ce qu’elle met brutalement un terme à l’union conjugale, le législateur a adouci, à certains égards, ses effets.

Cet assouplissement des effets de la nullité se traduit, notamment par l’instauration du mariage putatif.

Ce système consiste, non pas à préserver l’union conjugale dont la rupture est d’ores et déjà consommée, mais à limiter l’annulation aux seuls effets à venir.

Autrement dit, la nullité n’opérera pas sur les effets passés du mariage.

Cette limitation des effets de la nullité est sous-tendue par l’idée que, ni les enfants, ni l’époux de bonne foi ne doivent être touchés par la sévérité de la sanction, en conséquence de quoi il apparaît juste de faire perdurer, à leur seul bénéfice, certains effets du mariage.

==> Conditions

  • L’exigence de bonne foi des époux
    • L’article 201 du Code civil prévoit que « le mariage qui a été déclaré nul produit, néanmoins, ses effets à l’égard des époux, lorsqu’il a été contracté de bonne foi. »
    • Il ressort de cette disposition que le mariage putatif opère, à la seule et unique condition que les époux soient de bonne foi.
    • La bonne foi consiste pour un époux en l’ignorance de l’existence d’un empêchement dirimant, soit de la cause de nullité du mariage
    • L’erreur commise par l’époux peut être de droit ou de fait
    • La jurisprudence n’exige pas que l’erreur soit excusable, ni ne distingue selon les vices qui affectent la validité du mariage
    • Il suffit que la bonne foi existe au moment du mariage
    • Par ailleurs, la bonne foi est toujours présumée de sorte qu’il appartient à l’époux qui conteste l’application du mariage putatif de rapporter la preuve de la mauvaise foi de son conjoint
    • Il n’est pas nécessaire que les deux époux soient de bonne foi.
    • L’alinéa 2 de l’article 201 prévoit en ce sens que « si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit ses effets qu’en faveur de cet époux.»
  • L’indifférence de la situation des enfants
    • L’article 202 du Code civil prévoit que le mariage putatif « produit aussi ses effets à l’égard des enfants, quand bien même aucun des époux n’aurait été de bonne foi. »
    • Ainsi, est-il indifférent qu’aucun des époux ne soit de bonne foi s’agissant des effets du mariage putatif à l’égard des enfants.

==> Effets

  • Les effets à l’égard des époux
    • Plusieurs situations sont susceptibles de se présenter
      • Les deux époux sont de mauvaise foi
        • Dans cette hypothèse le mariage putatif n’opérera pour aucun des deux
        • Cela signifie que la nullité anéantira, tant les effets futurs du mariage que ses effets passés
        • Le mariage sera réputé n’avoir produit aucun effet à l’égard des époux
        • Aucun d’eux ne pourra se prévaloir des conventions matrimoniales
      • Un des époux est de bonne foi
        • Dans cette hypothèse, la nullité opérera sans rétroactivité pour l’époux de bonne foi
        • Quant au conjoint de mauvaise foi, il ne pourra pas bénéficier du mariage putatif
        • Il subira les effets de la rétroactivité de la nullité qui donc lui interdira de se prévaloir des effets passés du mariage
      • Les deux époux sont de bonne foi
        • Le mariage putatif opérera pour les deux époux, si bien que seuls les effets futurs du mariage seront anéantis
        • Les effets passés seront maintenus, nonobstant l’annulation de l’union conjugale
        • Les rapports entre époux se régleront selon les prescriptions du droit des régimes matrimoniaux
        • Les époux pourront alors conserver le bénéfice des libéralités consenties l’un à l’autre
  • Les effets à l’égard des enfants
    • Les enfants bénéficieront, en toute hypothèse, du mariage putatif, peu importe que leurs parents soient de bonne ou de mauvaise foi
    • Cette faveur présentait un intérêt particulier lorsque le droit opérait une distinction entre les enfants légitimes (issus du mariage) et les enfants naturels (issus du concubinage).
    • En effet, les enfants conservaient la légitimité qu’ils avaient acquise sous l’effet du mariage de leur parent
    • Désormais, ce régime de faveur n’a que peu d’intérêt en pratique dès lors que la distinction entre la filiation légitime et naturelle a été abolie par l’ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation
    • L’alinéa 2 de l’article 202 prévoit seulement que « le juge statue sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale comme en matière de divorce. »
  • Les effets à l’égard des tiers
    • Aucune disposition du Code civil ne règle les effets du mariage putatif à l’égard des tiers
    • Il en résulte que c’est le droit commun qui leur est applicable, en particulier la théorie de l’apparence
    • Le mariage entaché de nullité étant réputé n’avoir jamais existé, les époux sont considérés comme des concubins
    • Or la jurisprudence admet que dès lors que des concubins ont donné l’apparence d’un couple marié, les tiers sont fondés à se prévaloir des dispositions qui régissent leurs relations avec les époux, notamment l’article 220 relatif à la solidarité des dettes ménagères.
    • L’invocation de la théorie de l’apparence est cependant subordonnée à la réunion de plusieurs conditions :
      • Une situation contraire à la réalité
      • Une croyance légitime du tiers
      • Une erreur excusable du tiers
      • Une imputabilité de l’apparence au titulaire véritable

La résolution du contrat ne fait pas obstacle à l’application d’une clause limitative de responsabilité (Cass. com. 7 févr. 2018)

Par un arrêt du 7 février 2018, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en considérant que la résolution d’un contrat n’emportait pas anéantissement des clauses limitatives de responsabilité (Cass. com. 7 févr. 2018, n°16-20352).

  • Faits
    • Le 12 octobre 2010, une société a procédé à des réparations sur la chaudière d’une centrale exploitée par une société œuvrant dans le domaine de l’énergie.
    • Après la survenance de nouvelles fuites, une expertise judiciaire a été diligentée.
    • Il en est résulté que lesdites fuites étaient imputables aux soudures effectuées par la société qui était intervenue pour réparer la chaudière.
  • Demande
    • La société venant aux droits de l’exploitant de la centrale a assigné la société qui était intervenue sur la chaudière en résolution du contrat ainsi qu’en paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériels et de ses pertes d’exploitation
    • En défense, la société poursuivie a opposé à la demanderesse la clause limitative de responsabilité stipulée dans le contrat
  • Procédure
    • Par un arrêt du 20 avril 2016, la Cour d’appel de Colmar a accédé à la demande de résolution du contrat.
    • Elle par ailleurs condamné le prestataire au paiement de dommages et intérêts sans tenir compte de la clause limitative de responsabilité.
    • Les juges du fond ont estimé que « la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, il n’y a pas lieu d’appliquer la clause limitative de responsabilité»
  • Solution
    • Par un arrêt du 7 février 2018, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel.
    • Si, la chambre commerciale ne se prononce pas sur le bien-fondé de la résolution qui n’était nullement discutée en la cause, elle considère que « en cas de résolution d’un contrat pour inexécution, les clauses limitatives de réparation des conséquences de cette inexécution demeurent applicables»
    • Autrement dit, pour les juges de la haute juridiction, la clause limitative de responsabilité que le prestataire avait cherché à opposer à la société exploitante de la centrale demeurait pleinement efficace nonobstant la résolution du contrat.
  • Analyse
    • En considérant que la résolution du contrat ne fait pas obstacle à l’application de la clause limitative de responsabilité, la solution de la Cour de cassation interroge sur les effets de la résolution.
    • Pour mémoire, la résolution entraîne, par principe, l’anéantissement rétroactif du contrat.
    • Cela signifie que le contrat est réputé n’avoir jamais existé.
    • La conséquence en est, s’agissant de la clause limitative de responsabilité, qu’elle devrait être anéantie au même titre que le contrat dans lequel elle figure.
    • En ce que les clauses du contrat forment, en principe, un tout indivisible elles ont vocation à subir le même sort, sauf stipulation contraire.
    • La Cour de cassation avait d’ailleurs statué en ce sens dans un arrêt du 5 octobre 2010.
    • Plus précisément, la chambre commerciale avait considéré que « la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer les clauses limitatives de responsabilité » ( com. 5 oct. 2010).
    • Cette solution s’inscrit, de toute évidence en contradiction avec la position retenue, en l’espèce, par la Cour de cassation.
    • Par cet arrêt du 7 février 2018 c’est donc un revirement de jurisprudence qu’elle opère.
    • Pourquoi ce revirement ?
    • De prime abord, on comprend mal le raisonnement adopté par la chambre commerciale.
    • Comment, en effet, envisager qu’un contrat puisse tout à la fois être résolu et exécuté ?
    • Ce sont là deux effets juridiques radicalement opposés, d’où la jurisprudence antérieure qui avait posé le principe d’interdiction d’appliquer les clauses du contrat en cas de résolution.
    • Au vrai, la solution retenue par la Cour de cassation dans la présente décision ne peut se comprendre que si on l’appréhende à la lumière de la réforme des obligations.
    • Le nouvel article 1230 du Code civil dispose désormais que « la résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence. »
    • En introduisant cette disposition dans le Code civil, le législateur a entendu parachever le régime de la résolution en prévoyant expressément que survivent à la résolution notamment « les clauses relatives au règlement des différends».
    • Or tel est la fonction de la clause limitative de responsabilité, d’où le sort privilégié qui lui est réservé par la Cour de cassation dans cet arrêt.

Cass. com. 7 févr. 2018
Sur le moyen unique

Vu les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 12 octobre 2010, la société Constructions industrielles de la Méditerranée (la société CNIM) a procédé à des réparations sur une chaudière d’une centrale exploitée par la Société de cogénération de Tavaux (la société SCT), aux droits de laquelle est venue la société Valmy énergies ; que cette dernière a obtenu, après la survenance de nouvelles fuites, une expertise judiciaire qui a conclu qu’elles étaient imputables aux soudures effectuées par la société CNIM ; que la société Valmy énergies a assigné cette dernière en résolution du contrat, restitution et paiement de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices matériels et de ses pertes d’exploitation ; que la société CNIM a demandé l’application de la clause limitative de réparation ;

Attendu que pour condamner la société CNIM à payer à la société Valmy énergies la somme de 761 253,43 euros à titre de dommages-intérêts, l’arrêt retient que la résolution de la vente emportant anéantissement rétroactif du contrat et remise des choses en leur état antérieur, il n’y a pas lieu d’appliquer la clause limitative de responsabilité ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’en cas de résolution d’un contrat pour inexécution, les clauses limitatives de réparation des conséquences de cette inexécution demeurent applicables, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Constructions industrielles de la Méditerranée à payer à la société Valmy énergies à titre de dommages-intérêts, la somme de 761 253,43 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement et en ce qu’il statue sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 20 avril 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Colmar ;

TEXTES

Code civil

Article 1184 (ancien)

La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Article 1230 (nouveau)

La résolution n’affecte ni les clauses relatives au règlement des différends, ni celles destinées à produire effet même en cas de résolution, telles les clauses de confidentialité et de non-concurrence.

La continuation des contrats en cours dans les procédures collectives: notion / régime

L’une des principales finalités de la procédure de sauvegarde est la poursuite de l’activité économique de l’entreprise (Art. L. 621-1 C. com.)

Pour ce faire, cela suppose de faire le tri parmi les contrats conclus avec ses partenaires commerciaux.

Tandis que certains contrats sont nécessaires à la survie de l’entreprise, d’autres constituent un poids pour elle dont il convient de se délester.

Conformément à l’article L. 622-13 du Code de commerce, ce choix appartient, en principe, à l’administrateur. Il lui appartient de déterminer les contrats dont l’exécution doit être maintenue et ceux qui doivent, soit ne pas être reconduits, soit être résiliés.

En toute hypothèse, ce choix constitue une prérogative exorbitante du droit commun, dans la mesure où l’administrateur peut, d’autorité, décider de la continuation d’un contrat d’un cours, alors même que le concontractant souhaiterait mettre un terme à la relation contractuelle ou, pis, que le débiteur a manqué à ses obligations.

Parce qu’il serait particulièrement injuste de faire peser sur le créancier, sans contrepartie, le risque d’insolvabilité du débiteur en le contraignant à poursuivre l’exécution du contrat, le législateur a instauré un régime de faveur pour ce dernier.

Cet effort constant de recherche d’équilibre entre la préservation des intérêts des créanciers et l’objectif de poursuite de l’activité de l’entreprise se retrouve, tant dans l’appréhension par la jurisprudence de la notion de contrat en cours que dans le régime juridique attaché à cette notion.

I) La notion de contrat en cours

Les actes visés par le droit d’option qui échoit à l’administrateur sont « les contrats en cours ».

L’article L. 622-13 du Code de commerce ne définit pas la notion de sorte qu’il convient de se tourner vers la jurisprudence pour en cerner les contours.

A) Un contrat

Pour être qualifié de contrat en cours, encore faut-il que l’acte visé endosse la qualification de contrat.

Pour mémoire, le nouvel article 1101 du Code civil définit le contrat comme « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »

Cela signifie que dès lors que la conclusion d’un acte procède d’une rencontre des volontés, le principe de continuation des contrats en cours a vocation à s’appliquer.

L’examen des textes révèle toutefois que cette règle n’est pas absolue.

Tandis qu’il est des cas où le législateur a expressément exclu du champ d’application de l’article L. 622-13 certaines catégories de contrats, la jurisprudence a, de son côté, parfois tenté d’élargir le domaine des exceptions en y incluant les contrats conclus intuitu personae.

  1. Les exclusions catégorielles

Plusieurs catégories de contrats échappent à l’application du principe de continuation des contrats en cours

  • Les exclusions prévues par le Code monétaire et financier
    • En application des articles L. 211-40, 330-1 et L. 330-2 du Code monétaire et financier, trois catégories de contrats sont exclues du champ d’application du principe de continuation des contrats en cours
      • Les opérations de compensation et de cessions de créances financières
      • Les contrats de garantie financière
      • Les systèmes de règlement et de livraison d’instruments financiers
  • Les exclusions prévues par le Code de commerce
    • Accord de conciliation amiable
      • Aux termes de l’article L. 611-12 du Code de commerce, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire met fin de plein droit à l’accord constaté ou homologué en application de l’article
    • Les contrats de travail
      • En cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, le contrat de travail échappe au régime juridique des contrats en cours ( L. 622-13 C. com.)
    • Les contrats de fiducie
      • Les contrats de fiducie échappent également à l’application de l’article L. 622-13 du Code de commerce, sauf à ce que « le débiteur conserve l’usage ou la jouissance de biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire. »

2. Le cas particulier des contrats conclus intuitu personae

S’il est un certain nombre de contrats qui sont expressément écartés par la loi du champ d’application du principe de continuation des contrats en cours, plus problématique a été la question de savoir si l’on devait appliquer cette exclusion, malgré le silence de la loi, à une autre catégorie d’acte : les contrats conclus intuitu personae.

La particularité de ces contrats est qu’ils sont conclus en considération de la personne du cocontractant.

Aussi, la question s’est-elle posée de savoir si l’application du principe de continuation du contrat en cours ne conduisait pas à porter une atteinte trop grande à la liberté contractuelle.

La fin (la poursuite de l’activité de l’entreprise) doit-elle justifier les moyens (maintien d’une relation non désirée) ?

Cette question s’est notamment posée en matière bancaire, les conventions portant sur les crédits d’exploitation consentis aux entreprises (conventions de compte courant et ouvertures de lignes de crédits) étant particulièrement marquée  par l’intuitu personae.

Pour mémoire lorsqu’une telle convention est conclue pour une durée indéterminée, en application de l’ancien article 60 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 – désormais codifié à l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier – la résiliation d’une telle convention par l’établissement de crédit est soumise au régime juridique suivant :

  • Principe
    • L’ancien article 60 de la loi du 24 juillet 1984 prévoyait que tout concours à durée indéterminée, autre qu’occasionnel, qu’un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours.
    • Ainsi, la résiliation de la convention de compte courant ou d’ouverture de crédit était-elle subordonnée à l’observation d’un délai de préavis.
  • Exception
    • L’ancien article 60 de la loi du 24 juillet 1984 posait deux tempéraments à l’exigence d’observation d’un délai de préavis en cas de résiliation unilatérale de la convention de crédit d’exploitation :
      • En cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit
      • En cas de situation irrémédiablement compromise de l’emprunteur

Compte tenu de cette faculté conférée aux établissements bancaires de résilier avec ou sans préavis la convention de crédit consenti au débiteur, lors de la consécration du principe de continuation des contrats en cours à l’article 37 la loi du 25 janvier 1985, la question s’est rapidement posée de savoir si l’on devait ou non faire primer cette disposition sur l’application de l’article 60 de la loi du 24 juillet 1984.

Autrement dit, comment concilier ces deux dispositions dont il est difficile de déterminer si l’on est une qui doit déroger à l’autre ? L’adage specialia generalibus derogant n’est, manifestement, d’aucune utilité en l’espèce.

Quid de la jurisprudence ?

Il ressort des décisions rendues en la matière que la position de la Cour de cassation a sensiblement évolué.

==> Première étape : Non application du principe de continuation des contrats en cours aux conventions de compte courant

Dans la plupart des contrats synallagmatiques, la personne de l’une des parties au moins est appréciée à travers certains éléments objectifs :

  • Sa solvabilité
  • Sa notoriété
  • Ses connaissances
  • Son aptitude

C’est qualités que présente le cocontractant font, en principe, gage de la bonne exécution du contrat.

C’est la raison pour laquelle, selon une jurisprudence traditionnelle, les contrats conclus intuitu personae doivent être rompus de plein droit lors de l’ouverture d’une procédure collective.

Cette position prétorienne reposait sur le fondement de deux textes :

  • L’article 2003 du Code civil qui met fin au mandat au cas de « déconfiture » de l’une des parties, soit en cas de faillite
    • Le contrat de mandat est par essence un contrat conclu intuitu personnae
  • L’article 1865-4 du Code civil qui prévoyait, avant la réforme du 4 janvier 1978, que le règlement judiciaire ou la liquidation des biens d’un associé emportait dissolution d’une société civile.

Ainsi, sur le fondement de ces deux dispositions, la jurisprudence refusait-elle d’appliquer le principe de continuation des contrats en cours aux contrats conclus intuitu personnae.

Cependant, avec l’entrée en vigueur de la loi du 25 janvier 1985, la nécessité de redresser l’entreprise en difficulté a provoqué une évolution, tant en législation qu’en jurisprudence.

Surtout, la loi du 4 janvier 1978 modifiant les dispositions du Code civil sur les sociétés, n’a pas repris le contenu de l’ancien article 1865-4 qui prévoyait la dissolution de plein droit de la personne morale en cas de « faillite » de l’un des associés.

Le nouvel article 1860 prévoit seulement que « s’il y a déconfiture, faillite personnelle, liquidation de biens ou règlement judiciaire atteignant l’un des associés, à moins que les autres unanimes ne décident de dissoudre la société par anticipation ou que cette dissolution ne soit prévue par les statuts, il est procédé, dans les conditions énoncées à l’article 1843-4, au remboursement des droits sociaux de l’intéressé, lequel perdra alors la qualité d’associé. »

Autrement dit, l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’un des membres d’une société entraîne, sauf clause contraire des statuts ou décision unanime des coassociés, son exclusion du groupement.

L’intuitus personae dans les sociétés civiles a donc enregistré un recul avec la loi de 1978.

Sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967, les magistrats ont pareillement tempéré le principe de rupture des contrats conclus intuitu personae au cas de règlement judiciaire ou liquidation des biens de l’une des parties.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a estimé, en ce sens, que l’ouverture d’une procédure contre un locataire-gérant n’avait pas pour effet d’engendrer à elle seule la résiliation de la location-gérance du fonds de commerce.

C’est surtout un arrêt de la Cour de Paris en date du 21 mai 1985 qui retient l’attention.

Les faits :

  • Lors de sa mise en règlement judiciaire, un distributeur de film était lié par un contrat de mandat professionnel à un producteur
  • Ce dernier, pour mettre un terme à la convention, s’appuyait sur l’article 2003 du Code civil, celui-là même qui prévoit la rupture de l’accord de représentation au cas de « déconfiture » de l’une des parties et qui a toujours été mis en œuvre en cas de « faillite » de l’une d’elles.

La Cour d’appel rejette la prétention du producteur.

Les juges parisiens ont refusé d’appliquer la règle d’extinction du mandat en termes dépourvus d’équivoque : « La disposition de l’article 38 de la loi de 1967 s’inscrit dans les règles qui, ayant pour fondement le sauvetage de l’entreprise en difficulté, suspendent pendant le cours de la procédure collective l’effet de l’article 2003 du Code civil : la poursuite des contrats en cours à la seule volonté du syndic qui peut l’exiger, est, en effet, l’un des moyens essentiels de la continuation de l’activité ou de l’exploitation ».

Cette volonté dont ont fait montre certains tribunaux a trouvé écho chez le législateur qui, lors de l’adoption de la loi du 26 juillet 1985, a adopté un article 37, al. 5 lequel dispose que « nonobstant toute disposition légale », aucune résiliation ou résolution d’un contrat en cours « ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ».

Le principe de continuation des contrats en cours aurait donc vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Aussi, l’article 2003 du Code civil ne saurait-il désormais justifier l’exclusion de l’application de ce principe aux contrats conclus intuitu persoane en cas de déconfiture de l’une des parties.

Au fond, ce texte est neutralisé par l’article 37, alinéa 5 de la loi du 26 juillet 1985 qui prive d’efficacité « toute disposition légale visant à faire dépendre la vie d’un contrat de l’absence de procédure collective. »

C’est dans ce contexte qu’est intervenu l’arrêt du 8 décembre 1987 rendu par la Cour de cassation !

Il n’y avait désormais, plus aucune raison de faire échapper au principe de continuation des contrats en cours, les contrats conclus intuitu personnae.

==> Deuxième étape : application du principe de continuation des contrats en cours aux conventions de compte courant

Par un arrêt remarqué du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a donc estimé que le principe de continuation des contrats en cours était dorénavant pleinement applicable aux contrats bancaires (Cass. Com. 8 déc. 1987).

Cass. Com. 8 déc. 1987
Attendu qu'il résulte de l'arrêt infirmatif attaqué que la société Stratimme Cappello disposait d'un compte courant ouvert dans les livres de la Banque nationale de Paris (BNP) et bénéficiait, dans le cadre du fonctionnement de ce compte, d'un plafond d'escompte et d'un découvert dont les montants étaient déterminés, qu'elle a été mise en redressement judiciaire avec M. X... pour administrateur, que ce dernier a informé la BNP qu'usant de la faculté que lui offrait l'article 37, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985, il optait pour la poursuite de la convention de compte courant, que la banque lui a répondu qu'elle considérait que le compte courant avait été clôturé de plein droit par l'effet du redressement judiciaire, que la société Stratimme Cappello et l'administrateur ont assigné la BNP devant le tribunal qui avait ouvert la procédure pour qu'il ordonne que soient continués la convention de compte courant ainsi que le plafond d'escompte et le découvert contractuellement fixés, et que les premiers juges ont accueilli cette demande ; .

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches :

Vu les articles 1er et 37, alinéas 1er et 5, de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que l'administrateur d'un redressement judiciaire a la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours lors du prononcé de ce redressement judiciaire sans qu'il puisse être fait de distinction selon que les contrats ont été ou non conclus en considération de la personne ; qu'il en résulte que l'administrateur doit, lorsqu'il le demande, obtenir la continuation, pendant la période d'observation, des conventions de compte courant, d'ouverture de crédits, de découvert ou d'autorisation d'escomptes en cours au jour du jugement de redressement judiciaire, sauf pour l'établissement financier à bénéficier des dispositions de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 et, s'il y a lieu, de celle du deuxième alinéa de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984 ;

Attendu que pour décider que M. X... ne pouvait exiger le maintien de la convention de compte courant et des concours financiers antérieurement accordés par la BNP, la cour d'appel s'est fondée sur ce que ces conventions et concours avaient été consentis par la banque à la société Stratimme Cappello en considération de la personne de son client et, spécialement, de la confiance qu'il lui inspirait, après avoir énoncé, à tort, que le mécanisme de règlement simplifié et de garantie propre au compte courant s'opposait à la continuation de celui-ci et empêchait que l'on puisse tirer un solde provisoire et le déclarer ;

Attendu cependant qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches et moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 1987, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon

  • Faits
    • Une convention de compte courant est conclue entre une société et une banque.
    • Puis une procédure de redressement judiciaire est ouverte à l’encontre de la société
    • L’administrateur décide alors d’opter pour la continuation du contrat, conformément à l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985
      • « L’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur»
    • La banque lui oppose que le compte courant aurait été clôturé de plein droit par l’effet du redressement judiciaire
  • Demande
    • Assignation de la banque par l’administrateur en vue d’obtenir la continuation de l’exécution de la convention de compte courant
  • Procédure
    • Par un arrêt du 30 janvier 1987, la Cour d’appel d’Amiens déboute l’administrateur de sa demande
    • Les juges du fond relèvent que la convention conclue entre la banque et la société faisait l’objet d’une procédure de redressement était un contrat conclu intuitu personae.
    • Or selon eux cette catégorie de contrats échapperait à l’application du principe de continuation des contrats en cours
  • Solution de la Cour de cassation
    • Par un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens
    • Au soutien de sa décision, la Cour de cassation considère que « l’administrateur d’un redressement judiciaire a la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours lors du prononcé de ce redressement judiciaire sans qu’il puisse être fait de distinction selon que les contrats ont été ou non conclus en considération de la personne ; qu’il en résulte que l’administrateur doit, lorsqu’il le demande, obtenir la continuation, pendant la période d’observation, des conventions de compte courant, d’ouverture de crédits, de découvert ou d’autorisation d’escomptes en cours au jour du jugement de redressement judiciaire, sauf pour l’établissement financier à bénéficier des dispositions de l’article 40 de la loi du 25 janvier 1985 et, s’il y a lieu, de celle du deuxième alinéa de l’article 60 de la loi du 24 janvier 1984»
    • Ainsi, la chambre commerciale juge que le principe de continuation des contrats en cours s’applique à tous les contrats, qu’ils présentent ou non un caractère intuitu personae.
    • L’article L. 622-13 du Code de commerce n’opère aucune distinction : il n’y avait donc pas lieu de distinguer.
    • Aussi, l’administrateur était-il parfaitement fondé à réclamer, en l’espèce, la poursuite de l’exécution de la convention de compte-courant !
  • Analyse
    • La solution adoptée ici par la Cour de cassation était loin d’être acquise.
    • À la vérité, il s’agit là d’une problématique qui, en son temps, a fortement divisé la doctrine.
    • Trois arguments ont été avancés contre l’application du principe de continuation des contrats en cours aux contrats conclus intuitu personae:
      • 1er argument
        • Certains auteurs ont soutenu l’existence d’une faculté de résiliation unilatérale des prêts consentie à durée indéterminée
          • L’article 60 de la loi du 24 janvier 1984 pour mémoire que « l’établissement de crédit n’est tenu de respecter aucun délai de préavis, que l’ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise».
        • Ainsi, si elle est à durée indéterminée, ce qui est le plus souvent le cas, l’ouverture de crédit en compte courant est, en vertu du droit commun. résiliable unilatéralement.
        • La loi de 1985 n’ayant pas modifié ce texte (à l’époque) il dérogerait donc au principe de continuation des contrats en cours.
        • Aussi, serait inconcevable que la survenance de la procédure collective prive le banquier de sa faculté de résiliation unilatérale.
        • Cela reviendrait à créer à sa charge un engagement perpétuel.
      • 2e argument
        • La technique même du compte courant serait incompatible avec une continuation automatique de celui-ci, puisqu’en cas de continuation, les remises postérieures au jugement d’ouverture se fondraient dans le compte et permettrait le règlement de créances antérieures ce qui est contraire au principe d’interdiction des paiements
      • 3e argument
        • La jurisprudence antérieure n’appliquait pas le principe de continuation des contrats en cours aux contrats conclus intuitu personnae
    • Bien que séduisant, ces arguments n’ont manifestement pas emporté la conviction de la Cour de cassation, laquelle était d’autant plus forte que le législateur avait abondé en ce sens deux ans plus tôt, lors de l’adoption de la loi du 26 juillet 1985 entrée en vigueur deux ans plus tôt abondaient en ce sens.
    • Depuis cet arrêt, les conventions de compte courant n’étaient plus exclus du champ d’application de l’article L. 622-13 du Code de commerce.

==> Troisième étape : limitation de l’application du principe de continuation des contrats en cours aux conventions de compte courant

Par un arrêt du 1er octobre 1991, la Cour de cassation a posé une limite à l’application du principe de continuation des contrats en cours aux contrats bancaires : l’article 60, al. 2 de la loi bancaire du 24 janvier 1984 aux termes duquel « l’établissement de crédit n’est tenu de respecter aucun délai de préavis, que l’ouverture de crédit soit à durée indéterminée ou déterminée, en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise. »

Cass. com. 1er oct. 1991
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Tanneries Carriat, titulaire d'un compte courant à la société Bordelaise de CIC (la banque), qui lui consentait des concours, a été mise en redressement judiciaire le 7 avril 1987 ; qu'à la suite d'un accord entre M. X..., administrateur, et la banque, sur les modalités du maintien des crédits, le juge-commissaire, à la requête de l'administrateur, a ordonné le 17 avril 1987 l'ouverture dans les livres de la banque de nouveaux comptes fonctionnant dans le cadre de cet accord ; que la période d'observation a été prolongée jusqu'au 12 avril 1988 ; que, le 15 avril 1988, le Tribunal a sursis à statuer sur le plan de redressement déposé ; que, par lettre du 19 mai 1988, la banque a fait connaître à M. X... qu'elle ne maintiendrait pas les crédits et la ligne d'escompte après le 23 mai 1988 ; que M. X... a assigné la banque en référé devant le président du tribunal de grande instance afin qu'il soit enjoint à celle-ci de fournir ses prestations et de continuer ses concours dans les termes de l'ordonnance du juge-commissaire ; que la cour d'appel a confirmé l'ordonnance ayant accueilli cette demande ;

[…]

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984, ensemble l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que, pour décider que la banque devait continuer ses concours jusqu'à décision du Tribunal sur le plan de redressement, l'arrêt énonce que la cessation par la banque, pendant la période d'observation, des crédits antérieurs poursuivis au cours de cette période, n'est pas juridiquement possible, la procédure elle-même interdisant à quiconque d'imposer sa volonté à l'administrateur et au Tribunal ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la continuation des concours bancaires par application de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 n'interdit pas que ces concours soient interrompus pendant la période d'observation si les conditions fixées par l'article 60, alinéa 1er ou alinéa 2, de la loi du 24 janvier 1984, sont réalisées, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les première, troisième et quatrième branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 février 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse

  • Faits
    • Ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre d’une société qui avait conclu avait une banque une convention de compte courant
    • Un accord est trouvé entre l’administrateur et la banque s’agissant des modalités du maintien du fonctionnement du compte
    • La période d’observation va, dans le même temps être prolongée
    • Par suite, la banque décide de refuser une ouverture de crédit et d’escompte à la société
  • Demande
    • Assignation par l’administrateur de la banque en référé en vue d’obtenir la continuation de la convention de compte courant
  • Procédure
    • Par un arrêt du 16 février 1989, la Cour d’appel de Pau accède à la requête de l’administrateur
    • Les juges du fond estiment que le principe posé à l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 de continuation des contrats en cours fait obstacle à la décision de la banque de résilier unilatéralement la convention de compte courant à laquelle elle était partie.
    • Seul l’administrateur a le pouvoir de mettre fin à pareille convention pendant la période d’observation
  • Solution
    • Par un arrêt du 1er octobre 1991, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 60 de la loi du 24 janvier 1985
    • Elle juge, dans cet arrêt, que « la continuation des concours bancaires par application de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 n’interdit pas que ces concours soient interrompus pendant la période d’observation si les conditions fixées par l’article 60, alinéa 1er ou alinéa 2, de la loi du 24 janvier 1984 sont réalisées »
    • Or cette disposition prévoit que le banquier dispose de la faculté de résilier unilatéralement le contrat de prêt consenti à un client « en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s’avérerait irrémédiablement compromise».
    • La Cour de cassation pose ainsi une limite à l’application du principe de continuation des contrats en cours aux contrats bancaires.
  • Analyse
    • Il ressort de cette décision, que la Cour de cassation a essayé de concilier l’article 60 de la loi bancaire avec l’article 622-13 du Code de commerce, soit la faculté pour le bancaire de résilier la convention de compte courant et le pouvoir de l’administrateur de contraindre le banquier à poursuivre sa relation contractuelle avec le débiteur.
    • Cette conciliation procède de l’idée que qu’il est difficilement concevable de maintenir le banquier dans les liens d’une convention de compte courant, alors que la situation du débiteur est irrémédiablement compromise
    • Cela reviendrait à imposer au banquier l’obligation de financer la liquidation judiciaire, soit de régler les dettes de l’entreprise en difficulté
    • Il échoit certes au banquier de concourir au relèvement de la situation de l’entreprise en difficulté.
    • Son concours ne saurait toutefois aller au-delà.
    • Si la Cour de cassation avait refusé l’application de l’article 60 de la loi bancaire, cela aurait eu pour effet de dissuader les banques de prendre des risques dans le financement de l’activité économique.

==> Quatrième étape : la concession au banquier dispensateur de crédit du bénéfice de priorité des créanciers postérieurs

Il ressort d’un arrêt du 9 juin 1992 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation qu’en cas de maintien du concours du banquier lors de l’ouverture d’une procédure collective, un solde provisoire doit être établi, afin qu’il puisse bénéficier du privilège dont jouissent les créanciers postérieurs (Cass. com. 9 juin 1992).

Pour mémoire, aux termes de l’article L. 622-17, I du Code de commerce « les créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance »

==> Cinquième étape : encadrement de l’exercice de la faculté de résiliation du banquier dispensateur de crédit

Si, conformément à la position adoptée par la Cour de cassation, le banquier dispose de la faculté de résilier unilatéralement la convention de compte courant qui le lie au débiteur lorsque les conditions de l’ancien article 60, désormais codifié à l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier, sont remplies, quid des modalités d’exercice de ce droit dans la mesure où, conformément à l’article L. 622-13 du Code de commerce, cette prérogative appartient, en principe, au seul administrateur ?

La chambre commerciale a répondu à cette question dans un arrêt du 28 juin 1994 (Cass. com. 28 juin 1994).

Cass. com. 28 juin 1994
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Aix-en-Provence, 19 novembre 1991), que la société Crédit du Nord (la banque) a adressé, le 28 janvier 1991, à la société Tempier Roustant (la société) une lettre de résiliation de tous ses concours, en invoquant les dispositions de l'article 60, alinéa 1er, de la loi du 24 janvier 1984 ; que, le même jour, le Tribunal a ouvert le redressement judiciaire de la société ; que, le 31 janvier 1991, le juge-commissaire a ordonné le maintien des concours bancaires en cours au jour du jugement d'ouverture, tandis que la société recevait la notification de la décision de la banque ; que l'administrateur judiciaire ayant assigné la banque pour obtenir le maintien de ses concours durant la période d'observation, le Tribunal a accueilli la demande ;

Attendu que la banque reproche à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement, alors, selon le pourvoi, que la continuation des concours bancaires par application de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 n'interdit pas que ces concours soient interrompus pendant la période d'observation si les conditions fixées par l'alinéa 1er de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984 sont réalisées ; qu'en l'espèce, la banque avait dénoncé par écrit ses concours qui devaient prendre fin pendant la période d'observation à l'expiration du délai de préavis contractuel ; qu'en décidant que l'administrateur pouvait exiger le maintien de ces concours pendant la période d'observation au-delà du délai de préavis contractuel, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 60, alinéa 1er, de la loi du 24 janvier 1984 et, ensemble, l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que l'interruption, dans les conditions fixées par l'article 60, alinéa 1er ou alinéa 2, de la loi du 24 janvier 1984, des concours bancaires continués pendant la période d'observation ne peut, en vertu de l'article 37, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, être provoquée par l'établissement de crédit pour des causes antérieures au jugement d'ouverture et doit donner lieu à une notification écrite à l'administrateur judiciaire qui, en vertu de l'alinéa 1er du même texte, a seul la faculté d'exiger l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant ; qu'en présence d'une résiliation avec préavis décidée par la banque le jour du jugement d'ouverture et en l'absence de notification de la décision de résiliation à l'administrateur judiciaire, la cour d'appel a décidé à bon droit que l'ordonnance du juge-commissaire enjoignant à la banque de poursuivre ses concours durant la période d'observation devait recevoir son entier effet ; qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

  • Faits
    • Une société fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire par jugement du 28 janvier 1991
    • Le jour même la banque avec laquelle le débiteur a conclu une convention de compte courant lui notifie sa décision de résilier ladite convention
    • Le 31 janvier le juge commissaire ordonne le maintien de la convention de compte-courant, tandis que la société reçoit la notification de la banque
  • Demande
    • Assignation par l’administrateur de la banque en vue d’obtenir la continuation de la convention de compte courant durant la période d’observation
  • Procédure
    • Par un arrêt du 19 novembre 1991, la Cour d’appel d’Aix en Provence fait droit à la demande de l’administrateur judiciaire.
    • Les juges du fond estiment que conformément à l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985, l’administrateur était fondé à réclamer la continuation de la convention de compte courant
  • Moyens des parties
    • La banque soutient avoir satisfait aux conditions exigées par l’alinéa 1er de l’article 60 de la loi du 24 janvier 1984.
    • Pour mémoire cette disposition prévoit que « Tout concours à durée indéterminée, autre qu’occasionnel, qu’un établissement de crédit consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours».
    • Ainsi, la banque argue-t-elle qu’elle a bien notifié le préavis à la société et que, par conséquent, elle était en droit de résilier unilatéralement la convention de compte courant
  • Problème
    • La question qui se pose est de savoir si la résiliation unilatérale, par une banque, d’une convention de compte courant notifiée le jour de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre du titulaire du compte est efficace
  • Solution
    • Par un arrêt du 28 juin 1994, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque
    • Au soutien de sa décision elle considère que « l’interruption, dans les conditions fixées par l’article 60, alinéa 1er ou alinéa 2, de la loi du 24 janvier 1984, des concours bancaires continués pendant la période d’observation ne peut, en vertu de l’article 37, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, être provoquée par l’établissement de crédit pour des causes antérieures au jugement d’ouverture et doit donner lieu à une notification écrite à l’administrateur judiciaire qui, en vertu de l’alinéa 1er du même texte, a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant».
    • Il en résulte « qu’en présence d’une résiliation avec préavis décidée par la banque le jour du jugement d’ouverture et en l’absence de notification de la décision de résiliation à l’administrateur judiciaire»
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :
      • D’une part, le bénéfice de l’article 60 de la loi du 24 janvier 1984, à savoir la faculté pour la banque de résilier unilatéralement une convention de compte ne peut pas être provoqué par la banque si les causes de son invocation sont antérieures au jugement d’ouverture
      • D’autre part, en application de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985, seul l’administrateur a la faculté de prendre la décision de l’arrêt ou de la continuation de la convention de compte courant, de sorte que c’est à lui que la banque aurait dû notifier son intention de résilier la convention de compte courant.
  • Analyse
    • Il ressort de cet arrêt que la Cour de cassation opère une distinction entre deux périodes :
      • La période antérieure à l’ouverture de la procédure
      • La période postérieure à l’ouverture de la procédure
    • Pour la chambre commerciale, la banque ne sera fondée à solliciter le bénéfice de l’ancien article qu’à la condition que les causes de la résiliation soient postérieures au jugement d’ouverture.
    • Elle précise que cela vaut tant pour l’alinéa 1er (résiliation avec préavis) que pour l’alinéa 2e (résiliation en raison de la situation du débiteur, sans préavis nécessaire) de l’article 60.
    • A contrario, cela signifie donc que la banque peut demander le bénéfice de l’article 60 si les conditions de sa réalisation sont réunies postérieurement à l’ouverture de la procédure.
    • Immédiatement, la question se pose alors de savoir pourquoi exiger que les conditions soient réalisées postérieurement à l’ouverture de la procédure pour autoriser la banque à exercer sa faculté de résiliation unilatérale ?
    • Dit autrement, pourquoi refuser le bénéfice de l’article 60 pour les conventions dont les causes de résiliation sont antérieures au jugement d’ouverture de la procédure ?
    • Pour le comprendre, il convient de se tourner vers l’article L. 622-21 du Code de commerce.
    • Cette disposition prévoit, en effet, le jugement d’ouverture d’une procédure collective arrête les poursuites.
    • Reconnaître au banquier le pouvoir de résilier une convention de compte courant en invoquant des causes antérieures au jugement d’ouverture serait revenu à admettre que les créanciers puissent poursuivre le débiteur pour le paiement de créances antérieures.
    • Or cette possibilité est formellement exclue par l’article L. 622-21 du Code de commerce !

==> Sixième étape : généralisation de l’application du principe de continuation des contrats en cours à tous les contrats conclus intuitu personae

La solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 8 décembre 1987 a été étendue à tous les contrats conclus intuitu personae, de sorte que le principe de continuation des contrats en cours est désormais applicable à tous les contrats, sans qu’il y ait lieu de distinguer.

Application :

  • Au contrat de crédit-bail
  • Au contrat de location-gérance
  • Au contrat d’entreprise
  • Au contrat d’affacturage
  • Au contrat de franchise
  • Au contrat de concession

B) Un contrat en cours

Si l’article L. 622-13 du Code de commerce ne dit pas ce qu’est un contrat en cours, en devine qu’il s’agit:

  • d’une part, d’un contrat définitivement formé
  • d’autre part, d’un contrat dont l’exécution n’est pas achevée.

Si, la première condition ne soulève pas difficulté, plus délicate est l’appréhension de la seconde qui interroge sur deux points :

  • Quid de la date d’efficacité de la résiliation / résolution d’un contrat ?
  • À partir de quand considérer qu’un contrat est intégralement exécuté ?

Un contrat en cours ne peut, a priori, s’entendre que comme un contrat, non arrivé à son terme, non résilié ou résolu et non intégralement exécuté.

  1. Un contrat non arrivé à son terme

Un contrat en cours est celui dont le terme n’est pas intervenu. Par terme, il faut entendre, non pas l’événement dont dépend l’exigibilité de l’obligation, mais celui qui produit un effet extinctif.

Dans cette hypothèse, tant que l’événement stipulé dans le contrat ne s’est pas réalisé, le débiteur doit s’exécuter. Le contrat peut, en conséquence, être regardé comme étant « en cours ».

Lorsque, en revanche, l’échéance fixée se réalise, le contrat est aussitôt anéanti.

Si donc le terme intervient avant le jugement d’ouverture, l’article L. 622-13 du Code de commerce sera inapplicable.

Dans le cas contraire, l’administrateur disposera de sa faculté d’opter pour la continuation du contrat.

2. Un contrat non résilié ou résolu

Pour être en cours, le contrat ne doit pas avoir été anéanti avant l’ouverture de la procédure collective. Or tel est l’effet produit par l’acte de résiliation ou de résolution.

Aussi, dès lors que la résiliation ou la résolution de l’acte est définitivement acquise avant le prononcé du jugement d’ouverture, le principe de continuation des contrats en cours est inapplicable.

Encore faudra-t-il néanmoins être en mesure de déterminer la date à compter de laquelle la résiliation est acquise, ce qui n’est pas souvent aisé, notamment en matière de bail commercial.

Quid, en effet, de l’hypothèse où un congé est régulièrement notifié au débiteur avant le jugement d’ouverture et qu’il prend effet après cette date ?

Doit-on considérer que le contrat de bail a pris fin au jour de la notification du congé ou à la date d’expiration du congé ?

Cette question a donné lieu à l’intervention de l’assemblée plénière qui y a donné une réponse dans un arrêt du 7 mai 2004 (Cass. ass. plén. 7 mai 2004).

Cass. ass. plén. 7 mai 2004
La société Dumas et M. Luigi Y... agissant en qualité d’administrateur judiciaire du redressement judiciaire de cette société, se sont pourvus en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon (3ème chambre) en date du 20 janvier 1995 ;

Cet arrêt a été cassé le 17 février 1998 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation ;

La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d’appel de Chambéry qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 1er février 2002 dans le même sens que la cour d’appel de Lyon par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l’arrêt de cassation ;

Un pourvoi ayant été formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry, M. le premier président a, par ordonnance du 23 décembre 2003, renvoyé la cause et les parties devant l’Assemblée plénière.

Le demandeur invoque, devant l’Assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Ces moyens ont été formulés dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par Me Gatineau, avocat de M. Philippe X..., agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Dumas ;

Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Lesourd, avocat de la SCI Dumas ;

Le rapport écrit de M. Gillet, conseiller, et le projet d’avis écrit de M. de Gouttes, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;

(...)

Sur le premier moyen :

Vu les articles 5 et 7 du décret du 30 septembre 1953 devenus les articles L. 145-9 et L. 145-12 du Code de commerce, et l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction applicable en la cause ;

Attendu que le bail commercial renouvelé après délivrance d’un congé est un nouveau bail, le précédent cessant par l’effet du congé ; qu’il en résulte qu’il ne constitue pas un contrat en cours dont l’administrateur du redressement judiciaire du preneur peut exiger l’exécution ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Com., 17 février 1998, Bull., IV, n° 72) que, le 30 juin 1993, la société civile immobilière Dumas (la SCI) a délivré à sa locataire la société anonyme Dumas (la société) un congé pour le 31 décembre 1993, date d’expiration du bail commercial conclu entre elles le 8 octobre 1984, en proposant le renouvellement de ce bail pour un loyer supérieur au précédent ; qu’après avoir accepté le principe du renouvellement en contestant le loyer proposé, la société a été mise en redressement judiciaire le 22 décembre 1993 ; que, le 31 décembre 1993, la SCI a mis l’administrateur en demeure de se prononcer sur la poursuite du bail ; que celui-ci a répondu, le 11 février 1994, qu’il entendait "poursuivre" le bail aux conditions initiales ; que la SCI a assigné la société et son administrateur en résiliation du bail, expulsion et paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour accueillir ces demandes, l’arrêt retient que le congé n’a pas mis fin aux relations contractuelles qui se poursuivaient après l’expiration du bail initial et que le défaut de réponse de l’administrateur dans le délai d’un mois entraîne une présomption irréfragable de renonciation à la poursuite du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que, le bail en vigueur à la date d’ouverture de la procédure collective étant arrivé à son terme, les relations entre les parties ne pouvaient se poursuivre qu’en vertu d’un nouveau bail, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’un contrat en cours au sens du dernier des textes susvisés, la cour d’appel a violé lesdits textes ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 1er février 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Riom ;

  • Faits
    • Le 8 octobre 1984, une SCI a donné à bail commercial des locaux à la société Dumas.
    • Le 30 juin 1993 elle lui délivre un congé pour le 31 décembre 1993, accompagné d’une offre de renouvellement pour un loyer supérieur au précédent avec exclusion de certains locaux.
    • Le 26 juillet 1993, le locataire a accepté le principe du renouvellement sans donner son accord sur le montant du nouveau loyer.
    • Le 22 décembre 1993, le preneur a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire.
    • Le 31 décembre 1993, le bailleur, inquiet pour la conservation de ses droits, a adressé une mise en demeure à l’administrateur de se prononcer sur la continuation du
    • L’administrateur, non informé des stipulations du bail en cours lors de l’ouverture de la procédure collective n’a pu demander communication d’une copie du contrat de bail et du congé délivré au preneur que le 20 janvier 1994.
    • Ces documents lui étant parvenus le 27 janvier 1994, le 11 février 1994, il décidait de continuer le bail renouvelé aux conditions de l’ancien contrat.
    • Les 18 et 28 mars 1994, la SCI, invoquant le défaut de réponse de l’administrateur dans le délai d’un mois, l’a assigné avec la société en résiliation du bail.
  • Demande
    • La SCI bailleuse demande la résiliation du bail
  • Procédure
    • Les juges du fond (CA Lyon 20 janv. 1995) font droit à sa demande en relevant que le congé n’avait pas mis fin au contrat de bail initial et que le défaut de réponse dans le délai d’un mois de l’administrateur judiciaire avait entraîné une présomption irréfragable de renonciation à la poursuite du contrat.
    • Dans un premier arrêt du 17 février 1998, la Cour de cassation casse et annule cette décision ( com. 17 févr. 1998).
    • La chambre commerciale estime que « à la date de la mise en demeure adressée à l’administrateur, le bail en cours à la date de l’ouverture de la procédure collective arrivait à son terme et un nouveau bail était susceptible d’être conclu après fixation du montant du loyer, de sorte que les dispositions de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 étaient sans application en l’espèce»
    • Par un arrêt du 1er février 2002, la Cour d’appel de Chambéry statuant sur renvoi va résister à la position adoptée par la Chambre commerciale et accéder à la requête de la SCI qui revendiquait le bénéfice de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985.
    • Les juges du fond estiment que :
      • D’une part, le congé délivré par la SCI n’a pas mis fin aux relations contractuelles qu’elle entretenait avec la société preneur
        • Pour la Cour d’appel le renouvellement a été accepté dans son principe, de sorte que le congé a été privé d’effet
      • D’autre part, le défaut de réponse de l’administrateur dans le délai d’un mois, entraine, conformément à l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 une renonciation à la poursuite du contrat !
  • Enjeux du débat
    • L’article 37, alinéa 1er, de la loi du 25 janvier 1985, codifié à l’article L. 622-13 du Code du commerce, confère à l’administrateur le pouvoir d’exiger l’exécution des contrats en cours.
    • Cette disposition organise donc un droit d’option régissant la continuation des contrats en cours au jour du redressement judiciaire.
    • L’exercice de ce droit varie selon que l’administrateur reçoit ou non une lettre de mise en demeure.
    • Ce dernier dispose alors d’un délai d’un mois pour se prononcer sur le sort du contrat, ce délai pouvant être réduit ou prolongé par le juge-commissaire dans le délai de deux mois, ce que n’a pas demandé, en l’espèce, l’administrateur de la société Dumas .
    • La SCI Dumas, en application de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985, a mis en demeure l’administrateur au redressement judiciaire de se prononcer sur la poursuite du bail le 31 décembre 1993, soit au jour de l’échéance du congé qu’elle avait délivré au preneur
    • Elle lui a indiqué, par ailleurs, qu’à défaut de réponse dans le mois il serait présumé y avoir renoncé.
    • Ce n’est que le 11 février 1994 que l’administrateur a informé la SCI de sa décision de poursuivre le
    • La notion de contrat en cours est donc au cœur de l’espèce.
    • Selon que le bail commercial arrivé à son terme est qualifié ou non de contrat en cours, le délai d’un mois prévu à l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 est applicable à la prise de position de l’administrateur ou ne l’est pas.
      • Si ce délai de l’article 37 est applicable, la SCI est habilitée à assigner l’administrateur avec la société en résiliation du bail, car on serait en présence d’un contrat en cours
      • Si le délai de l’article 37 n’est pas applicable, cela signifie que l’on est en présence d’un nouveau contrat de bail.
        • Or le défaut de réponse à la mise en demeure de l’administrateur n’entraine résiliation de plein droit que des seuls contrats en cours
        • Cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer aux nouveaux contrats.
      • C’est là tout l’enjeu de la qualification de contrat en cours.
  • Solution
    • Par un arrêt du 7 mai 2004, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • L’assemblée plénière estime en l’espèce que « le bail commercial renouvelé après délivrance d’un congé est un nouveau bail, le précédent cessant par l’effet du congé ; qu’il en résulte qu’il ne constitue pas un contrat en cours dont l’administrateur du redressement judiciaire du preneur peut exiger l’exécution»
    • Autrement dit, pour la haute juridiction, en raison de la délivrance d’un congé au preneur, le bail était arrivé à son terme.
    • Il en résulte que les parties étaient liées, en réalité, par un nouveau contrat de bail
    • Dès lors, pour la Cour de cassation le bailleur n’était pas fondé à se prévaloir de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985, cette disposition n’ayant vocation à s’appliquer qu’aux contrats en cours !
    • Au fond, en raison du congé délivré au bailleur, il y a eu une rupture de la continuité du contrat de bail.
    • Pour la Cour de cassation, il aurait donc fallu que le congé ait été délivré après le jugement d’ouverture pour que l’on soit en présence d’un contrat en cours.
    • En définitive, il ressort de cette définition que la délivrance d’un congé consomme l’extinction du bail.

3. Un contrat non intégralement exécuté

Le contrat non intégralement exécuté est celui dont les effets ne sont pas totalement épuisés.

Autrement dit, dès lors que toutes les obligations du contrat n’ont pas été exécutées au jour du jugement d’ouverture, l’article L. 622-13 du Code de commerce est, a priori, applicable.

Il ressort de la jurisprudence qu’il convient, en réalité, de distinguer selon que la prestation caractéristique a ou non été fournie.

==> La prestation caractéristique a été fournie

Dans cette hypothèse, le contrat échappe au principe de continuation des contrats en cours.

En matière de contrat de vente, il conviendra néanmoins de distinguer plusieurs situations :

  • En présence d’un transfert de propriété avant le jugement d’ouverture
    • Lorsque, dans un contrat de vente, le transfert de propriété est intervenu avant le jugement d’ouverture, le principe de continuation des contrats en cours est inapplicable
    • Dans un arrêt du 9 avril 1991, la Cour de cassation censure une Cour d’appel pour avoir qualifié de contrat en cours un contrat de vente « alors que les créances des sociétés pour les sommes échues après le jugement d’ouverture du redressement judiciaire avaient leur origine dans le contrat de vente et le contrat de prêt conclus antérieurement et que ces contrats n’étaient plus en cours au sens de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985, le transfert de propriété des immeubles vendus s’étant, en l’espèce, réalisé dès la signature de l’acte de vente et le montant du prêt ayant été versé par la SOFREA» ( com. 9 avr. 1991).
  • En présence d’un transfert de propriété après le jugement d’ouverture
    • Il de s’agit donc de l’hypothèse où le paiement du prix est effectué antérieurement au jugement d’ouverture et que le transfert de propriété s’opère durant la période d’observation.
    • Dans un arrêt du 1er février 2001, la Cour de cassation que le principe de continuation des contrats en cours redevenait pleinement applicable.
    • Elle a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé « que le contrat de vente de l’immeuble dont l’une des clauses subordonne le transfert de propriété au paiement intégral du prix est un contrat de vente à terme n’incluant pas un prêt et que ce contrat était en cours lors de l’ouverture de la procédure collective, une partie du prix restant à payer » ( com. 1er févr. 2001).
  • En présence d’une clause de réserve de propriété
    • Conformément au nouvel article 2367, al. 2 du Code civil, ma clause de réserve de propriété s’analyse comme « l’accessoire de la créance dont elle garantit le paiement.»
    • Combiné à l’article L. 624-16, al. 4 du Code de commerce qui prévoit que la revendication du bien vendu sous réserve de propriété peut être écartée lorsque le prix est payé immédiatement avec autorisation du juge commissaire, on peut en déduire que, la vente assortie d’une clause de réserve de propriété dont le prix n’a pas été payé avant le jugement d’ouverture, ne peut pas être regardée comme un contrat en cours.
    • Telle est la solution qui a été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt, remarqué, du 3 avril. 2001 ( com. 3 avr. 2001).
  • En présence d’une promesse unilatérale de vente
    • La Cour de cassation a jugé, en matière de promesse unilatérale de vente, que pour être un contrat en cours la levée de l’option doit intervenir après le jugement d’ouverture ( com., 3 mai 2011, n° 10-18.031).
    • La chambre commerciale justifie cette solution en soutenant que la « vente ne devient parfaite que par la levée d’option pendant la période d’observation».

==> La prestation caractéristique n’a pas été fournie

Dans cette hypothèse, le contrat est susceptible de faire l’objet d’une continuation par l’administrateur.

Tel sera le cas en matière de prêt, lorsque les fonds prêtés ne sont pas intégralement remis à l’emprunteur.

Dans un arrêt du 2 mars 1993, la Cour de cassation a considéré en ce sens s’agissant de contrats de prêt que « dès lors qu’il n’est pas allégué que les fonds n’avaient pas été intégralement remis à l’emprunteur avant l’ouverture du redressement judiciaire, [ils] n’étaient pas des contrats en cours au sens de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985 » (Cass. com. 2 mars 1993).

Cass. com. 2 mars 1993
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt déféré (Lyon, 28 septembre 1990), que la Société de développement régional du Sud-Est (la SDR) a consenti en 1982 deux prêts à la Société civile immobilière du 5 de la rue Ampère à Lyon (la SCI) remboursables chacun en onze annuités ; que la SCI ayant été mise en redressement judiciaire, la SDR a déclaré sa créance ;
Sur le premier moyen :

Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt d'avoir admis au titre de la créance de la SDR le montant des intérêts à échoir du jour du jugement d'ouverture de la procédure jusqu'au jour des échéances fixées pour diverses annuités alors, selon le pourvoi, que l'article 67 du décret du 27 décembre 1985 précise qu'outre les indications prévues à l'article 51 de la loi du 25 janvier 1985, la déclaration de créance contient en particulier les modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas arrêté, cette indication valant déclaration pour le montant ultérieurement arrêté ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont retenu la conformité d'une déclaration précisant simplement le montant des intérêts à échoir sans indiquer le mode de calcul de ces intérêts ; qu'ainsi la cour d'appel a violé l'article 67 du décret précité ;

Mais attendu que l'article 67 du décret du 27 décembre 1985 n'exige l'indication des modalités de calcul des intérêts dont le cours n'est pas interrompu que dans le cas où le montant des intérêts ne peut être calculé au jour de la déclaration de la créance ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième moyens réunis :

Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le pourvoi, d'une part, que la cour d'appel n'a pas répondu au moyen des conclusions de la SCI selon lequel la poursuite des contrats de prêt en cours après le jugement arrêtant le plan de redressement ne pouvait être fondée sur les dispositions de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985, applicables à la seule période d'observation en sorte que ces contrats se trouvaient résiliés ; qu'ainsi la cour d'appel a privé sa décision de motifs et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'à défaut par le jugement arrêtant le plan de redressement de l'entreprise de l'avoir décidé, les contrats de prêt litigieux ne sauraient avoir été poursuivis ; qu'ainsi, en statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les articles 61, 62 et 64 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que les contrats de prêt litigieux, dès lors qu'il n'est pas allégué que les fonds n'avaient pas été intégralement remis à l'emprunteur avant l'ouverture du redressement judiciaire, n'étaient pas des contrats en cours au sens de l'article 37 de la loi du 25 janvier 1985 ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre au moyen inopérant tiré de l'application de ce texte, n'encourt pas la critique formulée par le troisième moyen ; d'où il suit qu'aucun des moyens n'est fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

II) Le régime des contrats en cours

Aux termes de l’article L. 622-13 du Code de commerce, « l’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. »

Deux points doivent ici être envisagés :

  • L’exercice de l’option
  • Les effets de l’option

A) Le mécanisme de l’option

  1. La titularité de l’option

Deux situations doivent être distinguées :

==> En présence d’un administrateur

Lorsqu’un administrateur est désigné, soit pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 3.000.000 euros et employant au moins 20 salariés, les termes de l’article L. 622-13 du Code de commerce sont extrêmement clairs : l’administrateur a seul pouvoir d’opter pour la continuation des contrats en cours.

==> En l’absence d’administrateur

L’article L. 627-2 du Code de commerce prévoit, dans cette hypothèse, que « le débiteur exerce, après avis conforme du mandataire judiciaire, la faculté ouverte à l’administrateur de poursuivre des contrats en cours et de demander la résiliation du bail en application des articles L. 622-13 et L. 622-14 »

Cette disposition ajoute que « en cas de désaccord, le juge-commissaire est saisi par tout intéressé. »

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 26 juillet 2005, la question s’était posée de savoir si le débiteur devait obtenir l’autorisation du juge commissaire uniquement pour la décision de continuer un contrat en cours ou s’il devait également solliciter ladite autorisation pour mettre un terme à la relation contractuelle.

L’ancien article L. 621-137 du Code de commerce disposait en effet que « le débiteur exerce les fonctions dévolues à celui-ci par l’article L. 621-37 ; il exerce la faculté ouverte par l’article L. 621-122 et par l’article L. 621-28 s’il y est autorisé par le juge-commissaire »

Dans un arrêt du 9 janvier 1996, la chambre commerciale a estimé que « s’agissant de l’exercice de l’option prévue à l’article 37 de la loi du 25 janvier 1985, que, dans la procédure simplifiée de redressement judiciaire, en l’absence d’administrateur, l’autorisation du juge-commissaire n’est requise par l’article 141 de la même loi que pour l’exercice par le débiteur de la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours et non pour renoncer à leur poursuite » (Cass. com. 9 janv. 1996).

Pour les auteurs, tout porte à croire que cette jurisprudence est applicable au nouvel article L. 627-2 du Code de commerce, à tout le moins les termes de cette disposition n’imposent pas formellement au débiteur de solliciter l’avis conforme du mandataire judiciaire quant à la renonciation d’un contrat en cours.

2. Les modalités de l’option

a) Le caractère d’ordre public de l’option

Aux termes de l’article L. 622-13, I « nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. »

La faculté d’opter pour la continuation d’un contrat en cours est ainsi un droit d’ordre public. Il ne peut donc pas y être dérogé par convention contraire.

Cela signifie que l’administrateur jouit d’une liberté totale pour opter.

b) L’exercice de l’option

Dans la mesure où l’option appartient au seul administrateur, le cas échéant au débiteur, deux situations doivent être envisagées :

==> L’administrateur prend l’initiative d’exercer l’option

  • L’administrateur opte pour la continuation du contrat en cours
    • L’article L. 622-13 du Code de commerce n’exigeait pas de l’administrateur qu’il manifeste de façon expresse sa volonté de poursuivre un contrat en cours.
    • Et pour cause, en cas d’inaction de ce dernier, tant que le cocontractant ne s’est pas manifesté le contrat se poursuit de plein droit.
    • Dans un arrêt du 7 novembre 2006, la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait estimé que « la société Hygeco n’avait pas mis en demeure l’administrateur d’avoir à se prononcer sur la poursuite du contrat en cours et relevé que ni l’administrateur ni la société Hygeco n’avait demandé l’exécution du contrat, retient que les dispositions de l‘article L. 621-28, alinéa 3, du code de commerce, édictant qu’à défaut de paiement dans les conditions prévues, le contrat est résilié de plein droit»
    • La Cour de cassation retient à l’inverse que « l’administrateur n’avait ni expressément ni tacitement opté pour la continuation du contrat, de sorte que sa non-exécution par cet administrateur n’avait pu entraîner sa résiliation de plein droit » ( com. 7 nov. 2006).
    • Ainsi, la décision de l’administrateur d’opter pour la continuation d’un contrat en cours peut être tacite et notamment se déduire de l’exécution du contrat par le débiteur postérieurement à l’ouverture de la procédure.
    • Toutefois, il prend un risque à ne pas se prononcer explicitement.
    • L’article L. 622-13, V prévoit, en effet, que « si l’administrateur n’use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du II ou encore si la résiliation est prononcée en application du IV, l’inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts au profit du cocontractant, dont le montant doit être déclaré au passif.»
    • En toute hypothèse, si l’administrateur choisi d’opter pour la continuation du contrat en cours, l’article L. 622-13, II formule deux préconisations
      • Première préconisation
        • Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l’administrateur s’assure, au moment où il demande l’exécution du contrat, qu’il disposera des fonds nécessaires pour assurer le paiement en résultant.
      • Seconde préconisation
        • S’il s’agit d’un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, l’administrateur y met fin s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant.
  • L’administrateur renonce à la continuation du contrat en cours
    • Droit antérieur
      • De la même manière que lorsqu’il opte pour la continuation du contrat en cours, antérieurement à 2008 il n’était pas nécessaire que la décision de renonciation de l’administrateur soit expresse.
      • L’article L. 622-13 n’interdisait pas que cette décision soit tacite, pour autant que l’acte de renonciation en lui-même ne soit pas équivoque.
      • À l’instar de la décision de poursuite d’un contrat en cours qui peut être vécu par le cocontractant comme une atteinte à sa liberté contractuelle, le choix de l’administrateur de renoncer à une relation contractuelle peut tout autant être perçu comme une atteinte à un droit acquis, notamment lorsqu’il s’agit d’un contrat de bail.
      • Aussi, la question s’est-elle posée de savoir comment concilier le droit pour l’administrateur de renoncer à un contrat en cours et le droit au bail dont jouit le cocontractant lorsqu’il endosse la qualité de preneur ?
      • Dans un arrêt du 19 mai 2004, la Cour de cassation a estimé que « la renonciation de l’administrateur à la poursuite du contrat n’entraîne pas la résiliation de plein droit de la convention à son initiative mais confère au seul cocontractant le droit de la faire prononcer en justice et qu’une telle demande n’entre pas dans les attributions du juge-commissaire »
      • Faits
        • Conclusion de baux commerciaux entre deux sociétés
        • La société bailleur fait par la suite l’objet d’une procédure de redressement judiciaire
        • Dans le cadre de cette procédure l’administrateur décide de résilier les baux, ce qui a été validé par le juge-commissaire
      • Demande
        • Le preneur conteste devant le Tribunal la résiliation des baux dont elle bénéficie
      • Procédure
        • Par un arrêt du 7 juin 2001, la Cour d’appel de Lyon juge l’appel interjeté par la société preneuse irrecevable.
        • Les juges du fond estiment qu’il appartient au seul juge-commissaire de statuer sur le sort des contrats en cours.
        • La résiliation du bail était dans ces conditions parfaitement fondée puisque validée par le juge-commissaire, puis par le Tribunal
      • Solution
        • Par un arrêt du 19 mai 2004, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 37 de la loi du 25 janvier 1958
        • La Cour de cassation estime en l’espèce « qu’en l’absence de mise en demeure par le cocontractant, la renonciation de l’administrateur à la poursuite du contrat n’entraîne pas la résiliation de plein droit de la convention à son initiative mais confère au seul cocontractant le droit de la faire prononcer en justice et qu’une telle demande n’entre pas dans les attributions du juge-commissaire»
        • Autrement dit, pour la chambre commerciale, en matière de contrat de bail, la renonciation par l’administrateur au contrat de bail produit pour seul effet, non pas de mettre un terme au contrat, mais d’ouvrir le droit au preneur de saisir le Tribunal compétent en vue d’obtenir la résiliation en justice.
        • Aussi, le preneur pourra-t-il, s’il le souhaite, conserver le bénéfice de son bail.
  • Droit positif
    • L’ordonnance du 18 décembre 2008 a introduit à l’article L. 622-13 un IV qui prévoit désormais que « à la demande de l’administrateur, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant».
    • Ainsi, dans l’hypothèse où l’administrateur n’a pas été mis en demeure d’opter, la résiliation du contrat en cours n’opère pas de plein droit .
    • Pour être effective, la résiliation doit satisfaire à 3 trois conditions cumulatives :
      • Elle doit être judiciairement prononcée par le juge-commissaire
      • Elle doit être nécessaire à la sauvegarde du débiteur
      • Elle ne doit pas porter une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant
    • Il ressort de cette disposition que le pouvoir de renonciation spontanée de l’administrateur à la poursuite d’un contrat en cours est désormais très encadré.

==> L’administrateur ne prend pas l’initiative d’exercer l’option

Afin de ne pas laisser le cocontractant dans l’incertitude, l’article L. 622-13 du Code de commerce lui offre la possibilité d’interpeller l’administrateur aux fins d’obtenir une réponse quant à sa volonté d’opter.

Cette disposition prévoit que « après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l’administrateur et restée plus d’un mois sans réponse. Avant l’expiration de ce délai, le juge-commissaire peut impartir à l’administrateur un délai plus court ou lui accorder une prolongation, qui ne peut excéder deux mois, pour se prononcer ».

Il ressort de cette disposition que lorsque l’administrateur n’a pas exercé son option, plusieurs étapes sont susceptibles de déterminer le sort du contrat en cours.

  • Première étape : la mise en demeure de l’administrateur
    • Le cocontractant du débiteur peut mettre en demeure l’administrateur d’opter
    • Tant qu’aucune décision n’a été prise, l’exécution du contrat en cours se poursuit.
  • Deuxième étape : l’ouverture d’un délai d’un mois à l’administrateur
    • La mise en demeure de l’administrateur ouvre un délai d’un mois à l’expiration duquel l’administrateur est réputé avoir renoncé au contrat.
    • Le délai a pour point de départ la date de réception par l’administrateur de la mise en demeure.
    • L’article R. 622-13 du Code de commerce précise que le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrats en cours ainsi que la date de cette résiliation.
  • Troisième étape : la possible réduction ou prolongation du délai d’un mois
    • Tant que le délai d’un mois n’est pas acquis, le juge-commissaire peut, soit réduire ce délai, soit le proroger.
    • La prorogation du délai ne peut excéder deux mois
    • Le greffier avise le cocontractant de la décision du juge-commissaire accordant à l’administrateur la prolongation prévue au 1° du III de l’article L. 622-13.

B) Les effets de l’option

  1. La continuation du contrat en cours

En cas de continuation du contrat en cours deux périodes doivent être distinguées

==> La période antérieure au jugement d’ouverture

  • La poursuite de l’exécution du contrat
    • Aux termes de l’article L. 622-13, I du Code de commerce « le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. »
    • Ainsi, dès lors que l’administrateur opte pour la continuation du contrat en cours, le cocontractant du débiteur n’a d’autre choix de poursuivre l’exécution du contrat sans qu’il puisse lui opposer le manquement à ses obligations contractuelles antérieurement au jugement d’ouverture
    • L’exception d’inexécution est en somme neutralisée par l’ouverture de la procédure.
    • La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 28 juin 2011 dans lequel elle affirme que « le cocontractant du débiteur doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par celui-ci d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture» ( com. 28 juin 2011).
  • Sort des créances antérieures
    • La continuation du contrat en cours ne confère pas plus de droit au cocontractant sur les créances antérieures au jugement d’ouverture dont il est susceptible de se prévaloir
    • L’article L. 622-13 du Code de commerce dispose que « le défaut d’exécution de ces engagements n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à déclaration au passif.»
    • Cette dispose suggère toutefois, il en ira différemment pour les créances postérieures.

==> La période postérieure au jugement d’ouverture

  • Obligation d’exécution
    • L’article L. 622-13, II, al. 1er prévoit que « l’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. »
    • Il s’agit là de la contrepartie que le cocontractant du débiteur est légitimement en droit d’attendre, compte tenu de l’atteinte portée à sa liberté contractuelle.
    • L’administrateur a donc l’obligation de veiller à la bonne exécution du contrat.
    • Qui plus est, toutes les clauses demeurent opposables à l’administrateur ; il ne dispose pas de la possibilité de s’y soustraire.
    • En cas d’inexécution du contrat par le débiteur, son cocontractant disposera de la faculté de solliciter l’exécution forcée, alors même que le jugement d’ouverture a pour effet de suspendre les poursuites.
  • Paiement à échéance
    • L’ancien article L. 622-13 du Code de commerce prévoyant que, en cas de continuation du contrat en cours, le cocontractant jouissant du droit d’être payé à l’échéance.
    • Ce traitement de faveur a toutefois été supprimé pour la procédure de sauvegarde par l’ordonnance du 12 mars 2014.
    • Le paiement au comptant ne peut désormais être sollicité que dans le cadre de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
    • L’article L. 622-13 prévoit seulement désormais que « au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l’administrateur s’assure, au moment où il demande l’exécution du contrat, qu’il disposera des fonds nécessaires pour assurer le paiement en résultant. »
    • Cette disposition précise que « s’il s’agit d’un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, l’administrateur y met fin s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant. »
    • Autrement dit, il appartient à l’administrateur d’apprécier la solvabilité du débiteur et sa capacité à satisfaire à ses obligations.
    • S’il constate qu’il n’y parviendra pas, il doit en tirer toutes les conséquences en dénonçant le contrat.
    • L’article L. 622-13, III précise ajoute que « à défaut de paiement dans les conditions définies au II et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles. En ce cas, le ministère public, l’administrateur, le mandataire judiciaire ou un contrôleur peut saisir le tribunal aux fins de mettre fin à la période d’observation.»
    • Quid de la sanction de l’administrateur en cas de mauvaise appréciation de la solvabilité du débiteur ?
    • Il engagera sa responsabilité civile à raison de l’exercice de son droit d’opter (V. en ce sens com., 6 juill. 2010)

2. La résiliation du contrat en cours

Il ressort de l’article L. 622-13, III du Code de commerce que deux hypothèses doivent être envisagées :

==> L’absence de réponse à la mise en demeure

Aux termes de l’article L. 622-13 du Code de commerce « le contrat en cours est résilié de plein droit après une mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l’administrateur et restée plus d’un mois sans réponse. »

Si donc l’administrateur ne répond pas à l’interpellation du cocontractant, il est réputé avoir renoncé à la continuation du contrat.

==> L’absence de fonds nécessaires

L’article L. 622-13, III du Code de commerce prévoit encore que « le contrat en cours est résilié de plein droit à défaut de paiement dans les conditions définies au II et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles. »

Cette disposition ajoute que « en ce cas, le ministère public, l’administrateur, le mandataire judiciaire ou un contrôleur peut saisir le tribunal aux fins de mettre fin à la période d’observation. »

En toute hypothèse, l’article L. 622-13, IV prévoit que « à la demande de l’administrateur, la résiliation est prononcée par le juge-commissaire si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant. »

L’article R. 622-13 apporte deux précisions :

  • D’une part, la demande de résiliation présentée par l’administrateur en application du IV de l’article L. 622-13 est formée par requête adressée ou déposée au greffe.
  • D’autre part, le greffier convoque le débiteur et le cocontractant par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et avise l’administrateur de la date de l’audience.

La condition: modalité de l’obligation (Notion, caractères, effets)

?Notion

Si, par principe, l’obligation est réputée exister dès l’échange des consentements, les parties peuvent subordonner sa création ou sa disparition à la réalisation d’un événement dont elles déterminent la teneur lors de la conclusion du contrat.

Cette modalité de l’obligation qui est susceptible d’affecter son existence est qualifiée de condition.

Introduit par l’ordonnance du 10 février 2016, le nouvel article 1304 du Code civil prévoit que « l’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain. »

La condition fait ainsi dépendre l’existence de l’obligation d’un événement dont la réalisation est indépendante de la volonté des parties (à tout le moins du débiteur), ce qui conduit à la distinguer d’une autre modalité de l’obligation : le terme.

?Distinction entre la condition et le terme

La condition se distingue du terme sur deux points :

  • Premier élément distinctif : existence / exigibilité-durée
    • La condition
      • Elle est une modalité de l’obligation qui affecte son existence, en ce sens que de sa réalisation dépend
        • soit sa création : la condition est suspensive
        • soit sa disparition : la condition est résolutoire
    • Le terme
      • Il est une modalité de l’obligation qui affecte, non pas son existence, mais son exigibilité ou sa durée
        • Le terme est suspensif lorsqu’il affecte l’exigibilité de l’obligation
        • Le terme est extinctif lorsqu’il affecte la durée de l’obligation.
  • Second élément distinctif : l’incertitude
    • La condition
      • Elle se rapporte à un événement incertain, en ce sens que sa réalisation est indépendante de la volonté des parties
      • Ce n’est qu’en cas de survenance de cet événement que l’obligation produira ses effets
    • Le terme
      • Il se rapporte à un événement certain, en ce sens que sa survenance n’est pas soumise à un aléa
      • Les parties ont la certitude que cet événement se produira, soit parce que son échéance est déterminée, soit parce que sa réalisation est inévitable

?La typologie des conditions

Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, la typologie des conditions s’articulait autour de deux grandes distinctions qui tenaient respectivement à la nature de la condition et à ses effets.

  • La distinction (abandonnée) tenant à la nature de la condition
    • Cette distinction oppose les conditions casuelles, potestatives et mixtes
      • La condition casuelle
        • L’ancien article 1169 du Code civil définissait cette condition comme « celle qui dépend du hasard, et qui n’est nullement au pouvoir du créancier ni du débiteur. »
        • Ainsi, selon cette disposition, la condition casuelle est celle dont la réalisation est totalement indépendante de la volonté des parties
        • Elle peut dépendre de la survenance :
          • Soit du fait de la nature
          • Soit du fait d’un tiers
      • La condition potestative
        • L’ancien article 1170 du Code civil définissait cette condition comme « celle qui fait dépendre l’exécution de la convention d’un événement qu’il est au pouvoir de l’une ou de l’autre des parties contractantes de faire arriver ou d’empêcher. »
        • La condition potestative constitue de la sorte l’exact opposé de la condition casuelle
        • Sa réalisation n’est nullement indépendante de la volonté des parties
        • Bien au contraire, elle dépend du pouvoir de l’une d’elles qui, discrétionnairement, peut décider de réaliser ou non la condition.
        • Au fond cette prérogative, que confère la condition potestative à l’une des parties, l’autorise à imposer à sa volonté à son cocontractant
        • Aussi, cela a-t-il conduit le législateur à distinguer deux hypothèses :
          • La condition subordonne l’existence de l’obligation à la seule volonté du débiteur
            • Dans cette hypothèse la condition potestative est nulle
          • La condition subordonne l’existence de l’obligation à la seule volonté du créancier
            • Dans cette hypothèse la condition potestative est valable
        • Parfois, il apparaîtra pour le moins délicat de déterminer si l’on est ou non présence d’une condition potestative, spécialement lorsqu’elle sera en concours avec la qualification de condition alternative.
      • La condition mixte
        • L’ancien article 1171 du Code civil définissait cette condition comme « celle qui dépend tout à la fois de la volonté d’une des parties contractantes, et de la volonté d’un tiers. »
        • Contrairement à la condition potestative, la condition mixte comporte un aléa puisque que sa réalisation dépend, pour partie, à la volonté d’un tiers.
        • Il en résulte qu’elle est pleinement valable.
          • Exemple : les parties subordonnent la réalisation d’une vente immobilière à l’obtention, par l’acquéreur, d’un prêt
    • Au total, si la distinction entre les conditions casuelles, potestatives et mixtes présente incontestablement un intérêt sur le plan théorique en ce qu’elle permet de mieux cerner les contours de la notion de condition, comme relevé par le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, elle demeure « dénuée de portée pratique ».
    • C’est la raison pour laquelle le législateur n’a pas souhaité conserver cette distinction
    • Aussi, en a-t-il profité pour mettre en avant celle tenant aux effets de la condition
  • La distinction (conservée) tenant aux effets de la condition
    • Cette distinction oppose deux sortes de conditions : la condition suspensive et la condition résolutoire.
      • La condition suspensive
        • Le nouvel article 1304 du Code civil prévoit, en son alinéa 2 que « la condition est suspensive lorsque son accomplissement rend l’obligation pure et simple. »
        • La condition suspensive est de la sorte celle qui suspend la naissance de l’obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain.
        • Le rapport au Président de la République précise que « en présence d’une condition suspensive, la naissance de l’obligation est suspendue à l’accomplissement de cette condition : tant que la condition n’est pas réalisée, l’obligation conditionnelle n’existe qu’en germe, seul l’accomplissement de la condition rend l’obligation pure et simple ».
        • Deux hypothèses sont alors envisageables :
          • La condition suspensive se réalise
            • L’obligation est confirmée dans sa création
            • Dès lors, le contrat devient efficace : il peut recevoir exécution
          • La condition suspensive ne se réalise pas
            • L’obligation est réputée n’avoir jamais existé
            • La conséquence en est que si elle constituait un élément essentiel du contrat, l’acte est frappé de caducité
      • La condition résolutoire
        • Le nouvel article 1304 du Code civil prévoit en son alinéa 3 que la condition « est résolutoire lorsque son accomplissement entraîne l’anéantissement de l’obligation. »
        • Ainsi, la condition résolutoire est celle qui, si elle se réalise, menace de disparition une obligation qui existe déjà.
        • Plus précisément, selon le rapport au Président de la République « en présence d’une condition résolutoire, l’obligation naît immédiatement et produit tous ses effets, mais son anéantissement est subordonné à l’accomplissement de la condition. »
          • Exemple :
            • Les parties prévoient que, en cas de nom paiement du loyer à une échéance déterminée, le bail est résilié de plein droit
    • Pour conclure, la distinction entre la condition suspensive et la condition résolutoire tient au fond à ce que « dans le premier cas, l’obligation est provisoirement inefficace, mais son efficacité peut résulter rétroactivement de la réalisation de la condition, tandis que dans le second, elle est provisoirement efficace, mais peut être rétroactivement anéantie si la condition se réalise »[1]

I) La validité de la condition

Pour être valide, l’événement dont dépend la réalisation de la condition doit présenter quatre caractères cumulatifs. Il doit être :

  • Futur et incertain
  • Indépendant de la volonté des parties
  • Possible et licite

A) L’exigence d’un événement futur et incertain

Pour que la condition soit valable, encore faut-il que l’événement dont sa réalisation dépend soit futur et incertain.

Dans le cas contraire, selon le caractère qui fait défaut à l’événement il est un risque de requalification :

  • Soit de l’obligation conditionnelle en obligation pure et simple si l’événement s’est déjà réalisé
  • Soit de la condition en terme si la réalisation de l’événement est certaine

Ce risque de requalification qui pèse, tantôt sur l’obligation, tantôt sur la condition conduit à distinguer selon que c’est le caractère futur ou incertain qui fait défaut à l’événement

1. L’événement s’est déjà réalisé au moment de la conclusion du contrat

Deux situations doivent être envisagées ici. Antérieurement à la réforme des obligations, elles étaient évoquées à l’ancien article 1171 du Code civil :

?La réalisation de l’événement était connue des parties au moment de la conclusion du contrat

Dans cette hypothèse, une double requalification pèse sur les stipulations contractuelles.

  • Première requalification
    • Subordonner l’existence d’une obligation à la réalisation d’un événement passé tout en sachant que cet événement s’est déjà réalisé, revient à stipuler une obligation pure et simple
    • Aussi, l’obligation qui, dans cette hypothèse, serait présentée par les parties comme conditionnelle produira ses effets dès la conclusion du contrat au même titre que n’importe quelle obligation non-conditionnelle.
  • Seconde requalification
    • Si les parties savent, au moment de la stipulation de l’obligation, que l’événement auquel elles subordonnent son existence s’est déjà réalisé, cela revient à retirer à cet événement son caractère incertain.
    • Or un événement dont la réalisation est certaine ne saurait endosser la qualification de condition : il constitue un terme.
    • En cas de requalification de la condition en terme, deux situations doivent être envisagées :
      • Si la condition était suspensive, sa requalification en terme conduit à la réputer l’obligation exigible dès la conclusion de l’acte.
      • Si la condition était résolutoire, sa requalification en terme conduit à réputer l’obligation comme n’ayant jamais existé, puisque éteinte avant même qu’elle n’ait été créée.

?La réalisation de l’événement était inconnue des parties au moment de la conclusion du contrat

Dans cette hypothèse, par un arrêt du 12 avril 1995, la Cour de cassation a pu estimer que « l’obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties ; que dans le premier cas, l’obligation ne peut être exécutée qu’après l’événement ; que dans le second cas, l’obligation a son effet au jour où elle a été contractée » (Cass. 3e civ. 12 avr. 1995, n°92-20.494).

Dans cette décision se posait donc la question du sort d’une obligation dont l’événement conditionnel était survenu sans que les parties aient eu connaissance de la réalisation de cet événement.

Il ressort de la solution dégagée par la Cour de cassation que deux situations doivent être distinguées.

  • La condition est suspensive
    • Si l’événement s’est déjà réalisé mais est inconnu des parties au moment de la conclusion de l’acte, la condition à laquelle il était associé dégénère en condition pure et simple
    • L’obligation suspensive prend alors effet au jour de la formation du contrat, ce qui a pour conséquence de la rendre immédiatement exécutoire.
  • La condition est résolutoire
    • Dans cette hypothèse, l’obligation est réputée n’avoir jamais existé dans la mesure où le fait générateur de sa disparition (la réalisation de la condition) est concomitant à sa naissance (la formation de l’acte).

Cass. 3e civ. 12 avr. 1995

Sur les deux moyens, réunis :

Vu l’article 1181 du Code civil ;

Attendu que l’obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties ; que dans le premier cas, l’obligation ne peut être exécutée qu’après l’événement ; que dans le second cas, l’obligation a son effet au jour où elle a été contractée ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Grenoble, 9 septembre 1992), que M. X… a, selon un ” compromis de vente ” du 26 mai 1988, vendu une propriété aux époux Y… moyennant le versement d’un capital payable le jour de la signature de l’acte authentique et le service d’une rente viagère et sous la condition suspensive de la purge de tous droits de préemption, étant stipulé que la vente ne produirait ses effets que lors de sa réitération par acte authentique ; que M. X… étant décédé, le 30 juin 1988, les époux Y… ont assigné ses héritiers en régularisation de la vente ;

Attendu que, pour déclarer nulle la vente consentie par M. X…, l’arrêt retient qu’au moment du décès de M. X…, le 30 juin 1988, la condition relative à la purge du droit de préemption n’était pas réalisée et que la vente n’était donc pas parfaite à cette date ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que selon une lettre du maire, il n’avait pas été pris de délibération instituant un droit de préemption dans la commune, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 9 septembre 1992, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Chambéry.

2. L’événement est certain au moment de la conclusion du contrat

Deux situations doivent être envisagées ici :

?La réalisation de l’événement est objectivement certaine

Cette hypothèse ne soulève pas de difficulté particulière

L’événement futur dont la réalisation est objectivement certaine ne pourra jamais être qualifié de condition : il constitue un terme.

Il s’ensuit que :

  • Si la condition est suspensive
    • Sa requalification en terme conduira à réputer l’obligation avoir existé dès la formation de l’acte.
    • Seule son exigibilité sera reportée à la survenance de l’événement.
  • Si la condition est résolutoire
    • Sa requalification en terme conduira à considérer que la survenance de l’événement a pour conséquence d’éteindre les effets de l’obligation seulement pour l’avenir
    • Son anéantissement sera dès lors dépourvu de tout caractère rétroactif contrairement aux effets attachés à la réalisation d’une condition résolutoire.

?La réalisation de l’événement est subjectivement certaine

Il s’agit de l’hypothèse où les parties tiennent pour certain un événement qui objectivement ne revêt pas ce caractère.

Deux situations doivent alors être envisagées :

  • L’événement se réalise conformément aux prévisions des parties
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence est plutôt favorable à une requalification de la condition en terme (V. en ce sens Cass. 3e civ. 9 juill. 1984).
    • Les conséquences de cette requalification varieront selon que la condition stipulée était suspensive ou résolutoire, comme montré précédemment.
  • L’événement ne se réalise pas en dépit des prévisions des parties
    • Premier temps
      • La jurisprudence a estimé que la condition encourait une requalification en terme, de sorte que l’obligation est réputée exister dès la formation de l’acte, nonobstant l’absence de survenance de l’événement (Cass. 1ère civ. 28 janv. 1976, n°74-14.069).
      • Le terme est alors analysé comme étant indéterminée
    • Deuxième temps
      • La Cour de cassation est revenue sur sa position considérant que l’événement dont la survenance était certaine pour les parties mais qui, finalement, ne se réalisait pas, devait être qualifié, non pas de terme, mais de condition (Cass. 1ère civ. 13 avr. 1999, n°97-11.156).
      • Tant que l’événement ne s’est pas réalisé l’obligation est, selon la nature que l’on confère à la condition (suspensive ou résolutoire, réputée soit n’avoir pas encore été créée, soit être toujours exécutoire.
    • Troisième temps
      • Dans un arrêt du 7 janvier 2016, la Cour de cassation aurait, selon certains auteurs, opéré un nouveau revirement de jurisprudence (Cass. 3e civ. 7 janv. 2016, n°14-26.945).
      • La troisième chambre civile a, en effet, estimé que la date incertaine à laquelle était subordonnée l’ouverture d’un golf devait s’analyser comme le fait générateur de l’exigibilité d’une obligation, celle-ci devant être réputée avoir été créée dès la conclusion de l’acte.

Cass. 3e civ. 7 janv. 2016

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 septembre 2014), que, le 5 décembre 2007, la société Cegim a vendu à la société Promotion financière immobilière (Profimob) un bien immobilier par un acte notarié dont une clause prévoyait que le solde du prix de vente était payable à terme, après production par le vendeur d’une convention garantissant l’exploitation d’un golf et au fur et à mesure de la présentation des factures de travaux de réalisation du golf dont l’achèvement était fixé au plus tard au 31 décembre 2009 ; que, la société Cegim ayant fait procéder à diverses saisies faute de paiement de cette somme, la société Profimob a saisi le juge de l’exécution pour en obtenir la mainlevée et la nullité ;

Attendu que la société Profimob fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°/ que le terme est un événement futur et certain auquel est subordonnée l’exigibilité ou l’extinction d’une obligation ; qu’un événement objectivement incertain non seulement dans sa date, mais aussi quant à sa réalisation, aurait-il même été tenu pour certain par les parties qui s’étaient engagées à l’accomplir, constitue une condition et non un terme ; qu’en l’espèce, pour qualifier de terme les modalités stipulées par l’acte de vente du 5 décembre 2007, la cour d’appel a retenu que « les modalités de paiement du prix retranscrites dans la clause sont afférentes à la production d’une convention de prise à bail et à la présentation des factures relativement à la réalisation du golf que la société vendeuse s’engageait à réaliser. Il en ressort que cette clause constituait bien un terme en ce que l’exploitation et la réalisation du golf, attestées par la production du bail et des factures de travaux, étaient des événements à venir certains en leur réalisation dans l’esprit des parties, compte tenu de l’engagement du vendeur en ce sens. Seule la date restait incertaine » ; qu’en statuant ainsi, quand un événement objectivement incertain quant à sa réalisation constitue une condition quand bien même les parties se seraient engagées à l’accomplir, la cour d’appel a violé l’article 1185 du code civil ;

2°/ que le terme est un événement futur et certain auquel est subordonnée l’exigibilité ou l’extinction d’une obligation ; qu’un événement objectivement incertain non seulement dans sa date, mais aussi quant à sa réalisation, aurait-il même été tenu pour certain par les parties qui s’étaient engagées à l’accomplir, constitue une condition et non un terme ; que la qualification de terme ou de condition dépend de la nature certaine ou incertaine de l’événement érigé en modalité, et non de la dénomination ou des termes employés par le contrat ; qu’en l’espèce, pour qualifier de terme les modalités stipulées par l’acte de vente du 5 décembre 2007, la cour d’appel a retenu, par motifs propres et adoptés, que selon les termes de l’acte il est prévu que le solde du prix est « payable à terme » et que cette clause « est située dans le paragraphe « paiement du prix » de sorte que seules les modalités de paiement du solde de 400 000 euros (donc son exigibilité) sont affectées par les dispositions contractuelles contestées » ; qu’en statuant ainsi par des motifs impropres à caractériser la certitude objective de la réalisation de l’événement érigé en modalité, certitude qui constituait le seul critère permettant la qualification en un terme, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1185 du code civil ;

3°/ que ce qui n’est dû qu’à terme ne peut être exigé avant l’échéance du terme, mais ce qui a été payé par avance ne peut être répété ; qu’en l’espèce, pour qualifier de terme les modalités stipulées par l’acte de vente du 5 décembre 2007, la cour d’appel a retenu que les stipulations de l’acte prévoyant que « si les conditions d’exploitation n’étaient pas remplies au plus tard le 31 décembre 2009, les sommes éventuellement versées par Profimob lui seraient automatiquement restituées sans délai, au titre de la non réalisation du Golf » « confirment que seule l’exigibilité de la créance est reportée en cas de non-respect du terme avant la fin de l’année 2009, puisque dans le cas contraire, les sommes pourront être restituées en l’attente de leur production » ; qu’en retenant ainsi que le droit conféré à la société Profimob de répéter les sommes versées en cas de non-réalisation dans les délais prévus de l’événement érigé en modalité confirme la qualification de terme, quand le paiement fait avant terme ne peut être répété, en sorte que cette circonstance établissait précisément qu’il s’agissait d’une condition, la cour d’appel a violé l’article 1186 du code civil ;

4°/ que les stipulations claires et précises de l’acte du 5 décembre 2007 prévoyaient que « si les conditions d’exploitation n’étaient pas remplies au plus tard le 31 décembre 2009, les sommes éventuellement versées par Profimob lui seraient automatiquement restituées sans délai, au titre de la non réalisation du Golf » ; que la non-survenance de la condition suspensive avant le 31 décembre 2009 était ainsi clairement sanctionnée par l’obligation pour la société Cegim de restituer toutes les sommes éventuellement perçues à ce titre ; qu’en retenant pourtant que ces stipulations contractuelles « ne sont formulées qu’à titre de « précision » selon les termes mêmes du contrat ne permettant pas de connaître la sanction de leur éventuel non-respect », la cour d’appel a dénaturé celles-ci, en violation de l’article 1134 du code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté qu’une clause de l’acte de vente, figurant dans le paragraphe « paiement du prix », prévoyait qu’une partie de celui-ci était payable à terme, relevé, par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des termes de cette clause rendait nécessaire, que l’obligation de paiement était née lors de la conclusion de la vente et que les modalités de paiement du solde étaient liées à la réalisation d’événements futurs certains dont seule la date demeurait incertaine et retenu que la société Cegim, qui produisait deux factures de travaux et un bail commercial pour l’exploitation du golf, justifiait d’un titre exécutoire portant obligation à paiement d’une créance certaine, liquide et exigible, la cour d’appel a pu en déduire, abstraction faite d’un motif surabondant, que cette société était fondée à pratiquer des mesures d’exécution ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

B) L’exigence d’un événement indépendant de la volonté des parties

1. Principe

Pour être valable, l’obligation conditionnelle doit être subordonnée à la réalisation d’un événement indépendant de la volonté des parties.

Le nouvel article 1304-2 du Code civil exprime cette règle en prévoyant que « est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. ».

Ainsi, les conditions dites potestatives sont, par principe, prohibées.

La raison en est que pareille condition est de nature contredire la portée de l’engagement de celui à la faveur de qui elle est stipulée.

Peut-on raisonnablement estimer, en effet, qu’un engagement dont l’efficacité est subordonnée à la seule volonté de celui qui s’oblige constitue un véritable engagement ?

Au fond, cela reviendrait à admettre que le bénéficiaire de la condition potestative puisse revenir discrétionnairement revenir sur son consentement : d’où la prohibition d’une telle condition dès 1804 par le législateur.

La prohibition n’est toutefois pas absolue, elle comporte des limites dont l’étendue a été précisée par le législateur à l’occasion de la réforme des obligations

2. Limites

a. Les limites qui tiennent à la position du contractant

Il ressort de l’article 1304-2 du Code civil que la prohibition des conditions potestatives ne s’applique que dans l’hypothèse où le bénéficiaire de la condition est en position de débiteur.

A contrario cela signifie que lorsque la réalisation de la condition dépend de la seule volonté du créancier, bien que potestative, elle échappe à la prohibition posée à l’article 1304-2.

Cette solution se justifie par le fait que, dans cette configuration, la condition est insusceptible de contredire la portée de l’engagement dont elle subordonne l’exécution puisque, par définition, ce n’est pas le créancier qui s’engage mais le débiteur.

Il est, par conséquent, indifférent que le créancier dispose de la faculté de réaliser discrétionnairement la condition.

La Cour de cassation a statué en ce sens notamment dans un arrêt du 17 décembre 1991 (Cass. com. 17 déc. 1991, n°89-20.348).

Cass. com. 17 déc. 1991

Sur le moyen unique pris en ses trois branches :

Vu les articles 1170 et 1174 du Code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que M. X…, propriétaire d’un commerce de station-service et vente de carburant, en relation commerciale depuis plusieurs années avec la Société des pétroles BP, (la société BP) qui lui fournissait en exclusivité le carburant, a signé un contrat dit de ” commission ” avec la même société ; que ce contrat prévoyait que M. X… percevrait une commission fixe sur le prix de vente des carburants et en outre, que dans l’hypothèse où les prix affichés à la pompe par lui seraient inférieurs, pour des montants chiffrés par le contrat, au prix limité d’affichage de la société BP dans la zone du prix du point de vente, la commission due serait réduite proportionnellement à l’écart constaté ; que M. X… a résilié unilatéralement ce contrat et que la société BP a saisi le tribunal de commerce tendant à ce que la résiliation du contrat fût prononcée aux torts exclusifs de M. X… et à ce qu’il soit condamné à lui verser des dommages-intérêts ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société BP, la cour d’appel retient que le contrat contenait une clause de variation de la marge du commissionnaire dépendant de la seule volonté de la société BP qui pouvait déterminer cette marge en fixant le prix des carburants et entachait le contrat de nullité ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors qu’il résulte des éléments rapportés par l’arrêt que la diminution de la commission due à M. X… était conditionnée par la baisse des prix affichés à la pompe, dont celui-ci prenait l’initiative, par rapport aux prix limite d’affichage BP dans la zone de prix du point de vente et donc par une limitation des bénéfices de cette société, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 septembre 1989, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Besançon

b. Les limites qui tiennent à la nature de la condition potestative

Avant la réforme des obligations, la doctrine, suivie par la jurisprudence, a souhaité restreindre le périmètre de la prohibition des conditions potestatives, afin d’éviter que les parties au contrat ne puissent invoquer trop facilement la nullité de conditions qu’elles sont censées avoir négocié et acceptées librement et en toute connaissance de cause.

Aussi, animé par un souci de responsabilisation des contractants, les auteurs se sont engagés dans la voie de la distinction entre, d’une part, les conditions purement potestatives et, d’autre part, les conditions simplement potestatives.

Pointant les difficultés pratiques soulevées par cette distinction la doctrine a, par suite, préférer renouveler la notion de condition mixte, ce qui a conduit à une redéfinition de la notion de condition potestative.

i. L’instauration d’une distinction entre les obligations purement potestatives et les conditions simplement potestatives

?Exposé de la distinction

Selon la doctrine classique, la condition potestative ne doit être prohibée qu’à la condition qu’elle contredise l’engagement du débiteur.

Aussi, cette théorie l’a-t-elle conduite à distinguer selon que la condition est purement potestative ou simplement potestative.

  • La condition purement potestative
    • Il s’agit de la condition dont la réalisation dépend du seul consentement du débiteur.
    • L’exécution de l’obligation est, en d’autres termes, subordonnée à une simple manifestation de volonté.
    • Elle était autrefois qualifiée de condition « si voluero », ce qui signifie je m’engage « si je le veux », « si tel est mon bon désir », « s’il me sied ».
    • Dans la mesure où cette condition revient à conférer au débiteur la faculté de revenir discrétionnairement sur son consentement et donc de contredire la portée de son engagement, elle constitue l’essence même de la potestativité, d’où l’admission unanime et en tout temps de sa prohibition.
  • La condition simplement potestative
    • Il s’agit de la condition dont la réalisation suppose que le débiteur fasse plus qu’exprimer sa volonté.
    • Pour que la condition se réalise, il va devoir accomplir un acte ou un fait déterminé qui lui est extérieur.
    • La condition simplement potestative peut être illustrée par les formules : « si je pars à Paris », « si je vends ma voiture ».
    • Contrairement à la condition purement potestative, la condition simplement potestative implique une action ou une abstention.
    • La réalisation de cette condition dépend donc à la fois de la volonté du débiteur et d’une circonstance dont il n’a pas la maîtrise.
    • L’accomplissement d’un acte peut, en effet, se heurter à la survenance d’un événement qui y fait obstacle.
    • En toute hypothèse, pour rompre ou nouer le lien obligationnel, il sera nécessaire que le débiteur aliène une partie de sa liberté.
    • C’est la raison pour laquelle, la condition potestative a toujours été admise.

?Portée de la distinction

La distinction élaborée par la doctrine entre les conditions purement potestatives et les conditions simplement potestatives a, dans certaines décisions, inspiré les juges, qui y ont trouvé un moyen pour sanctionner certains déséquilibres contractuels.

La Cour de cassation s’est, par ailleurs, appuyée sur cette théorie pour opérer une sous-distinction, au sein de la catégorie des conditions purement potestatives, entre les conditions suspensives et les conditions résolutoires.

Il ressort, par exemple, d’un arrêt du 2 mai 1900, que lorsque la condition serait purement potestative, mais résolutoire, elle n’encourrait pas la nullité, de sorte que seules les conditions suspensives seraient prohibées (Cass. civ. 2 mai 1900).

Cette solution s’expliquerait par le fait que l’atteinte portée à l’engagement du débiteur serait moins grande lorsqu’elle prend sa source dans une condition résolutoire que lorsqu’elle résulte d’une condition suspensive.

  • Lorsqu’elle est suspensive, la condition potestative confère au débiteur la faculté de contredire totalement la portée de son engagement, celui-ci pouvant discrétionnairement agir sur la création même de l’obligation.
  • Lorsqu’elle est résolutoire, la condition potestative confère au débiteur la faculté de contredire seulement partiellement la portée de son engagement, celui-ci ne pouvant agir que sur la pérennité de son engagement qui peut avoir déjà reçu un commencement d’exécution.

Au total, bien que la jurisprudence se soit appuyée dans certaines décisions, sur la distinction entre les conditions purement potestatives et les conditions simplement potestatives, certains auteurs ont critiqué le caractère artificiel de cette distinction qui, d’une part reposerait sur un critère flou et inopérant et, d’autre part, ne rendrait pas véritablement compte du droit positif.

Aussi, ce constat a-t-il conduit la jurisprudence et la doctrine moderne à dépasser la distinction classique à la faveur d’un renouvellement de la notion de condition mixte.

ii. Le renouvellement de la notion de condition mixte

Si, initialement, la notion de condition mixte a été entendue de manière restrictive, la jurisprudence a, sous l’impulsion de la doctrine, opéré une extension de son périmètre.

?La restriction du périmètre de la condition mixte

Dans un premier temps, la notion de condition mixte a donc fait l’objet d’une conception étroite.

La raison en est que l’ancien article 1171 du Code civil la définissait comme « celle qui dépend tout à la fois de la volonté d’une des parties contractantes, et de la volonté d’un tiers. »

Aussi, cela excluait-il, d’emblée, que puisse être inclus dans le périmètre de la condition mixte l’événement qui tout à la fois dépend de la volonté du débiteur et de la survenance d’un fait autre que la volonté d’un tiers.

L’inconvénient de cette conception était que la condition ainsi stipulée devait être qualifiée de potestative, quand bien même sa réalisation de ne dépendait pas de la seule volonté du débiteur.

Cette situation était d’autant plus absurde que l’on admettait qu’une condition qualifiée de simplement potestative puisse être valable, alors même que sa réalisation était subordonnée à l’accomplissement d’un acte si insignifiant que l’on pourrait la confondre avec une condition purement potestative, ce qui dès lors pourrait justifier qu’elle tombe sous le coup de la prohibition.

En réaction à l’incohérence de ce système, les auteurs ont proposé d’élargir le périmètre de la condition mixte.

?L’extension du périmètre de la condition mixte

L’extension de la notion de condition mixte s’est traduite par l’incorporation dans son périmètre des événements dont la réalisation dépend, et de la volonté du débiteur, et de la survenance d’un fait autre que la volonté d’un tiers.

La Cour de cassation ne semble manifestement pas s’être opposée à cette nouvelle appréhension de la notion.

Dans un arrêt du 28 mai 1974 elle a, par exemple, qualifié de condition mixte un événement qui dépendait « à la fois de la volonté [du débiteur] et de circonstances qui lui sont étrangères » (Cass. 1ère civ. 28 mai 1974, n°72-14.259).

Dorénavant, peu importe donc que la réalisation de la condition dépende ou non du fait d’un tiers : dès lors qu’elle porte au moins pour partie sur un événement autre que la volonté du débiteur elle échappe au principe de la prohibition.

Là ne s’est pas arrêtée l’évolution de ce mouvement.

L’extension du périmètre de la condition mixte s’est, en effet, accompagnée d’une redéfinition générale du critère de la potestativité.

iii. La redéfinition de la notion de condition potestative

L’entreprise de redéfinition de la notion de condition potestative, d’abord engagée par la jurisprudence contemporaine, puis parachevée par le législateur lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, est assise sur l’abandon des distinctions classiques, combiné à la clarification des critères.

?L’abandon des distinctions classiques

La redéfinition du critère de la potestativité a donc conduit à abandonner les distinctions qui avaient été opérées par la doctrine et la jurisprudence classique.

Plusieurs distinctions ont ainsi été répudiées :

  • La distinction entre les conditions purement potestatives et les conditions simplement potestatives
    • Il est désormais indifférent que la condition porte sur un événement dont la réalisation dépend de la volonté ou du pouvoir du débiteur
    • Dès lors que la survenance de l’événement est au pouvoir arbitraire du débiteur, la condition peut être qualifiée de potestative
  • La distinction entre les conditions suspensives et les conditions résolutoire
    • Qu’elle soit suspensive ou résolutoire dès lors qu’elle porte sur un événement qui dépend de la seule volonté du débiteur la condition tombe sous le coup de la prohibition.
  • La distinction entre les conditions mixtes et les conditions simplement potestatives
    • Tandis que la condition mixte supposait, dans sa conception initiale, que la réalisation de l’événement auquel elle était rattachée dépende pour partie de la volonté d’un tiers, tel n’était pas le cas de la condition simplement potestative qui autorisait à envisager la prise en compte d’un fait d’une autre nature en complément de la volonté du débiteur.
    • L’extension du périmètre de la condition mixte a, mécaniquement, rendu caduque cette distinction.
  • La distinction entre les actes à titre gratuit et les actes à titres onéreux
    • Il a un temps été discuté de la question de savoir si l’on ne devait pas opposer les actes à titre gratuit aux actes à titre onéreux.
      • S’agissant des actes à titre gratuit
        • La prohibition devrait toucher tant les conditions purement potestatives que les conditions simplement potestatives.
        • Cette rigueur dans la sanction des conditions potestative aurait pour fondement l’adage « donner et retenir ne vaut »
      • S’agissant des actes à titre onéreux
        • La prohibition ne devrait toucher que les seules conditions purement potestatives.
        • La sanction se justifierait, dans cette hypothèse, par le caractère illusoire de l’engagement du débiteur dont l’engagement est contredit par la faculté de dédouanement que lui confère la condition.
  • La distinction entre les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux
    • Certains auteurs ont avancé, à une époque relativement récente, que le principe de prohibition des conditions potestatives n’aurait pas vocation à s’appliquer aux contrats synallagmatiques.
    • Au soutien de cette thèse ces auteurs ont soutenu qu’une condition potestative ne peut être annulée que si sa réalisation est au pouvoir du seul débiteur.
    • Or dans un contrat synallagmatique, les parties endossent tout à la fois les qualités de débiteur et de créancier.
    • La conséquence en est que si un contractant revient sur son engagement en activant la condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté, il devrait corrélativement s’ensuivre la perte de la contrepartie réciproque qui lui a été consentie.
    • Un élément autre que la seule volonté du débiteur entre donc en ligne de compte dans le processus de réalisation de la condition.
    • Pour cette raison, la stipulation de conditions potestatives dans une convention synallagmatique ne devrait pas être prohibée.
    • Bien qu’audacieuse, cette thèse n’a manifestement pas convaincu la jurisprudence qui l’a rejeté à plusieurs reprises.
    • Dans un arrêt du 7 juin 1983 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui « après avoir retenu l’existence d’une condition potestative de la part de l’acquéreur qui pouvait, de sa seule volonté, accepter ou refuser de passer l’acte authentique et de payer le prix [a décidé] que la nullité de cette condition n’affectait pas la validité de la convention en raison de la réciprocité des obligations ».
    • Pour la troisième chambre civile, il importe peu que la convention soit synallagmatique « toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ».
    • Cette solution a notamment été réitérée par la suite, notamment dans un arrêt du 13 octobre 1993 (Cass. 3e civ., 13 oct. 1993, n°82-10.281).

Cass. 3e civ. 7 juin 1983

Sur le moyen unique : vu l’article 1174 du code civil ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ;

Attendu selon l’arrêt attaque (Toulouse, 22 octobre 1981) que par acte sous seing privé du 11 octobre 1977, les époux x… ont “vendu” aux époux y… une maison d’habitation sous les conditions suspensives de la délivrance d’un certificat d’urbanisme et de l’obtention d’un prêt ;

Que l’acte stipulait que les conditions réalisées, le consentement du vendeur a la vente et la mutation de propriété étaient subordonnés à la condition de la signature de l’acte authentique avec le paiement du prix dans un délai fixe et que si l’acquéreur ne pouvait pas ou ne voulait pas passer l’acte et en payer le prix, le présent accord serait nul et non avenu de plein droit ;

Attendu qu’après avoir retenu l’existence d’une condition potestative de la part de l’acquéreur qui pouvait, de sa seule volonté, accepter ou refuser de passer l’acte authentique et de payer le prix, l’arrêt décide que la nullité de cette condition n’affectait pas la validité de la convention en raison de la réciprocité des obligations ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, contractée sous une condition potestative, l’obligation des époux y… de signer l’acte authentique de vente et de payer le prix était nulle et que cette nullité entraînait, par voie de conséquence, celle de la vente, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : CASSE et ANNULE l’arrêt rendu entre les parties le 22 octobre 1981 par la cour d’appel de Toulouse ;

?La clarification des critères de la potestativité

L’entreprise de redéfinition de la notion de condition potestative a conduit le législateur et la jurisprudence à clarifier les critères qui permettent de déterminer si une condition tombe ou non sous le coup de la prohibition.

  • Premier critère : l’influence du débiteur sur l’événement
    • Aux termes du nouvel article 1304-2 du Code civil, « est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. »
    • Il ressort de l’énoncé de cette règle que le législateur a entendu retenir une conception restrictive de la potestativité, sans doute animé par le même désir que la jurisprudence classique : éviter que les parties au contrat ne puissent invoquer trop facilement la nullité de conditions qu’elles sont censées avoir négocié et acceptées librement et en toute connaissance de cause.
    • Pour ce faire, il a été inscrit dans le marbre de loi que la condition potestative est celle « dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur »
    • Cette précision n’est pas sans faire écho à la condition « si voluero » qui subordonne l’exécution de l’obligation à une simple manifestation de volonté que la doctrine opposait classiquement à la condition « in facto a voluntate pendente » dont la réalisation suppose, quant à elle l’accomplissement d’un acte ou d’un fait déterminé qui dépend du débiteur mais qui lui est extérieur.
    • En se rapportant expressément à la volonté du débiteur et non à son pouvoir, le législateur a-t-il souhaité exclure du champ de la prohibition les conditions qualifiées de simplement potestatives ?
    • Cette solution serait conforme à l’évolution de la jurisprudence contemporaine.
    • Aussi, peut-on déduire de la lettre du nouvel article 1304-2 du Code civil que seules sont désormais interdites les conditions purement potestatives.
  • Deuxième critère : l’intérêt du débiteur dans l’événement
    • Pour être qualifiée de potestative, il ne suffit pas que la condition soit au pouvoir arbitraire du débiteur, il faut encore que celui-ci ait un intérêt à faire échouer la survenance de l’événement.
    • Dès lors que le débiteur doit, pour se délier de son engagement, consentir un sacrifice, quand bien même la réalisation de l’événement dépendra de sa seule volonté, la condition – potestative en apparence – ne tombera pas sous le coup de la prohibition.
    • A contrario, cela signifie qu’une condition pourra être qualifiée de potestative lorsque la réalisation de l’événement dont dépend la condition suppose que le débiteur accomplisse un acte ou un fait insignifiant.
  • Troisième critère : le contrôle judiciaire de l’événement
    • Régulièrement, la jurisprudence estime que lorsque la condition dépend de la seule volonté du débiteur mais que celui-ci doit, pour fonder sa décision se référer à des éléments extérieurs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire, la condition ne pourra pas être qualifiée de potestative (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 22 nov. 1989, n°87-19.149)
    • La Cour de cassation, par exemple, a statué en ce sens dans un arrêt du 29 septembre 2009 (Cass. 3e civ. 29 sept. 2009, n°14.900).
    • Il s’agissait en l’espèce d’une clause qui conférait à l’assuré le droit de prétendre à une prise en charge dans l’hypothèse où une invalidité le placerait dans l’impossibilité définitive de se livrer à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit,
    • La Deuxième chambre civile valide cette clause estimant qu’elle « dépendait non de la seule volonté de l’assureur, mais de circonstances objectives, susceptibles d’un contrôle judiciaire »
    • Autrement dit, pour les juges, si l’appréciation de l’activation de la clause était laissée au pouvoir de l’assureur, il n’en devait pas moins fonder sa décision sur des éléments objectifs (les justificatifs produits par l’assuré) lesquels pouvaient par suite faire l’objet d’un contrôle par le juge.
    • La condition ainsi stipulée dans le contrat ne peut dès lors pas être qualifiée de potestative.

Cass. 2e 29 sept. 2009

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 15 février 2007) qu’à l’occasion de deux prêts consentis par le Crédit agricole, M. X… a adhéré à un contrat d’assurance de groupe, garantissant les risques de décès et d’invalidité, souscrit par la banque auprès de la Caisse nationale de prévoyance et d’assurance (l’assureur) ; qu’ayant été reconnu en état d’invalidité par la Mutualité sociale agricole à compter du 1er novembre 2000, M. X… a demandé à bénéficier de la garantie invalidité totale et définitive prévue au contrat ; qu’à la suite du refus de l’assureur, il a assigné ce dernier en exécution du contrat ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou non-professionnel ; qu’en l’espèce, le caractère ambigu de la clause litigieuse, relative à l’impossibilité définitive pour l’adhérent de se livrer à toute occupation et/ou toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit résulte des propres énonciations de l’arrêt, qui relève expressément « que cette clause est certes ambiguë puisque la conjonction « ou » introduit une alternative et qu’au contraire le terme « et » impose un cumul » ; qu’en déboutant cependant M. X… de sa demande de garantie, au prétexte «que cependant l’interprétation faite par l’assureur est plus favorable à M. X… puisqu’elle considère que lorsque l’adhérent exerce une activité professionnelle il peut prétendre à la prise en charge lorsque l’invalidité le place dans l’impossibilité définitive de se livrer à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit, sans exiger qu’il soit également inapte à toute autre occupation », la cour d’appel a violé les dispositions de l’article L. 133-2, alinéa 2, du code de la consommation ;

2°/ que constitue une clause potestative entachée de nullité la clause par laquelle l’assureur se réserve la possibilité d’une interprétation plus ou moins stricte des conditions de la garantie ; qu’en infirmant le jugement de première instance qui avait relevé « que le fait de prévoir l’alternative de « et » et « ou » laisse à penser que, selon le bon vouloir de l’assureur, celui-ci peut opposer à l’adhérent, pour refuser sa garantie, ou simplement le fait qu’il ne puisse plus exercer une activité rémunérée ou à la fois qu’il ne puisse exercer une activité rémunérée et qu’il ne puisse se livrer à aucune occupation ; que par ailleurs, le terme « occupation » sans adjectif adjoint permet au seul assureur d’exiger ou non comme condition de sa prise en charge qu’il y ait impossibilité d’exercer une occupation professionnelle ou privée ou les deux », sans s’expliquer sur le caractère potestatif de cette clause dont elle a pourtant relevé par ailleurs l’ambiguïté quant au caractère cumulatif ou alternatif des conditions de la garantie, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1170 et 1174 du code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel, après avoir relevé l’ambiguïté de la clause litigieuse, a exactement décidé que l’interprétation faite par l’assureur était la plus favorable à l’assuré puisque, lorsque ce dernier exerce une activité professionnelle, il peut prétendre à une prise en charge quand l’invalidité le place dans l’impossibilité définitive de se livrer à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit sans exiger qu’il soit également inapte à toute autre occupation ;

Et attendu qu’en l’état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que l’application de la clause, dépendait non de la seule volonté de l’assureur, mais de circonstances objectives, susceptibles d’un contrôle judiciaire, la cour d’appel a nécessairement exclu le caractère potestatif de la condition ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

3. Sanction

L’article 1304-2 du Code civil prévoit que la stipulation d’une condition potestative est sanctionnée par la nullité.

Était-ce bien utile de préciser qu’elle était la sanction encourue dans la mesure où le même résultat pourrait être obtenu sur le terrain du consentement ?

Car finalement, la condition potestative est celle qui contredit la portée de l’engagement du débiteur. Aussi, pourrait-on imaginer que clause soit annulée pour défaut de consentement.

Toujours est-il que la nullité encourue par une condition potestative est sans nul doute relative. Leur prohibition vise à protéger l’intérêt d’une partie en particulier : le créancier.

L’article 1304-2 précise toutefois in fine que « cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. »

Cela signifie que la nullité susceptible d’être soulevée par le créancier est couverte par l’exécution de l’obligation qui était subordonnée à la réalisation de la condition potestative.

a. L’exigence d’un événement possible et licite

Initialement, l’ancien article 1172 du Code civil prévoyait que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend. »

Pour être valide, la condition devait donc être possible et licite. Si, lors de la réforme des obligations le législateur a reconduit la seconde exigence, telle n’a pas été le cas de la première qui a, manifestement, été abandonnée.

?L’exigence abandonnée de possibilité de la condition

L’exigence de possibilité de la condition énoncée à l’ancien article 1172 ne se retrouve dans aucun des articles consacrés à l’obligation conditionnelle.

Loin de constituer une omission de la part du législateur, celui-ci a simplement voulu mettre un terme au caractère pour le moins absurde de cette exigence.

La condition impossible doit, en effet, être entendue comme celle qui dépend d’un événement qui ne se réalisera jamais.

Aussi, dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, la stipulation d’une condition impossible devait conduire à l’annulation du contrat :

  • Soit parce que la naissance de l’obligation sur laquelle elle porte serait suspendue indéfiniment, si elle est suspensive
  • Soit parce que la disparition de l’obligation sur laquelle elle porte ne pourra jamais intervenir, si elle est résolutoire

Dans les deux cas, l’exigence de possibilité de la condition n’a, en toute hypothèse, pas grand sens :

  • Lorsque la condition est suspensive, pourquoi vouloir annuler une obligation qui n’existe pas, la réalisation de la condition étant, par définition impossible.
  • Lorsque la condition est résolutoire, il est tout aussi superflu de vouloir l’annuler si elle impossible puisque cela reviendra, in fine, à laisser perdurer une obligation qui ne pourra jamais disparaître.

Pour toutes ces raisons, l’abandon de l’exigence de possibilité de la condition nous apparaît pleinement justifié.

?L’exigence reconduite de licéité de la condition

Aux termes de l’article 1304-1 du Code civil « la condition doit être licite. À défaut, l’obligation est nulle. »

L’exigence de licéité de la condition ne soulève guère de difficulté.

Le législateur a simplement entendu viser les conditions dont la réalisation dépend d’un événement qui s’inscrirait dans une opération prohibée.

Comme pour l’exigence de possibilité, on peut s’interroger sur l’utilité de cette précision.

Ne peut-on pas, en effet, estimé que l’exigence de licéité est déjà comprise dans la règle énoncée à l’article 1162 du Code civil qui, pour mémoire, prévoit que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. » ?

De l’avis des auteurs on est légitimement en droit de le penser.

Aussi, le législateur rappelle-t-il une exigence déjà formulée.

Reste la sanction de la condition illicite : l’article 1304-1 prévoit la nullité de l’obligation.

Par analogie avec l’article 1162 on devine que cette nullité est absolue de sorte que l’action ne sera pas limitée à la sphère des parties.

II) La réalisation de la condition

A) Le processus de réalisation de la condition

Participent au processus de réalisation de la condition, trois événements distincts qui, respectivement, puisent leur source dans :

  • La commune intention des parties
  • L’écoulement du temps
  • La déloyauté d’un contractant

1. La commune intention des parties

Pour déterminer si la condition stipulée dans le contrat est ou non accomplie, c’est à la commune intention des parties qu’il convient d’abord de se référer.

L’ancien article 1175 du Code civil disposait en ce sens que « toute condition doit être accomplie de la manière que les parties ont vraisemblablement voulu et entendu qu’elle le fût. »

Bien que cette disposition n’ait pas son équivalent dans la nouvelle section du Code civil consacrée à l’obligation conditionnelle, la règle qu’elle énonce n’en demeure pas moins toujours valable.

Aussi, est-ce cette commune intention des parties qui devra guider le juge dans son appréciation de l’accomplissement de la condition.

Sa marge de manœuvre dépendra de la précision des termes du contrat.

Dans cette perspective, rien n’empêchera le juge de s’écarter de la lettre de la clause à la faveur de son esprit.

Il pourra ainsi être conduit à se demander si l’accomplissement de la condition doit procéder d’une démarche effectuée en personne par le débiteur ou si elle peut être déléguée à un mandataire ou un héritier.

La question pourra encore se poser au juge de savoir si la condition peut ou non être accomplie par équivalent.

2. L’écoulement du temps

La commune intention des parties n’est pas le seul élément qui détermine l’accomplissement de la condition, l’écoulement du temps peut également influer sur le processus.

Deux situations doivent alors être envisagées :

?La condition est positive

Cela signifie que son accomplissement dépend de la survenance d’un événement

Il convient alors d’envisager deux situations :

  • Les parties ont assorti la condition d’un délai
    • Dans cette hypothèse, l’accomplissement de la condition ne pourra intervenir qu’au cours du délai déterminé par les contractants
    • Si tel n’est pas le cas, l’ancien article 1176 du Code civil prévoyait que « lorsqu’une obligation est contractée sous la condition qu’un événement arrivera dans un temps fixe, cette condition est censée défaillie lorsque le temps est expiré sans que l’événement soit arrivé »
    • Bien que cette règle n’ait pas été reprise par l’ordonnance du 10 février 2016, elle n’en reste pas moins vigueur.
  • Les parties n’ont assorti la condition d’aucun délai
    • L’ancien article 1176 prévoit, que « s’il n’y a point de temps fixe, la condition peut toujours être accomplie ; et elle n’est censée défaillie que lorsqu’il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas. »
    • Ainsi, en l’absence de délai fixé par les parties, la condition est susceptible de connaître trois sorts différents
      • L’événement se produit : la condition se réalise
      • L’événement ne se produit pas : la condition est efficace tant qu’il n’a pas été mis un terme au contrat
      • Lorsqu’il est devenu certain que l’événement ne se produira pas : la condition est réputée défaillie

?La condition est négative

Cela signifie que son accomplissement dépend de l’absence de survenance d’un événement.

Deux situations doivent également être envisagées ici :

  • Les parties ont assorti la condition d’un délai
    • L’ancien article 1177 prévoyait que « lorsqu’une obligation est contractée sous la condition qu’un événement n’arrivera pas dans un temps fixe, cette condition est accomplie lorsque ce temps est expiré sans que l’événement soit arrivé »
    • Ainsi, à l’inverse de la condition positive, la condition négative se réalise, dès lors que l’événement dont elle dépend ne survient pas dans le délai fixé par les parties.
  • Les parties n’ont assorti la condition d’aucun délai
    • L’ancien article 1177 du Code civil prévoyait que la condition négative est accomplie « si avant le terme il est certain que l’événement n’arrivera pas ; et s’il n’y a pas de temps déterminé, elle n’est accomplie que lorsqu’il est certain que l’événement n’arrivera pas. »
    • En l’absence de délai fixé par les parties, la condition négative est susceptible de connaître trois sorts différents
      • L’événement se réalise : la condition défaille
      • L’événement ne se réalise jamais : la condition demeure efficace tant qu’il n’a pas été mis un terme au contrat
      • Lorsqu’il est devenu certain que l’événement ne se produira pas : la condition est réputée accomplie

3. La déloyauté d’un contractant

?Exposé de la problématique

En principe, la condition est réputée irrévocablement accomplie ou défaillie dès lors que l’événement dont elle dépend se produit ou ne survient pas.

Quid néanmoins de l’hypothèse où un contractant a influé sur la réalisation de l’événement dont dépend de la condition plus que ne lui permettait le contrat afin d’échapper à son engagement ?

Si, par exemple, les parties conditionnent l’acquisition d’une maison à l’octroi d’un prêt et que l’acquéreur n’accomplit aucune démarche en ce sens, ne pourrait-on pas voir dans cette attitude une manœuvre déloyale qui justifierait une réponse juridique appropriée ?

?La parade du réputé accompli

Conscients que certains contractants pourraient être tentés de se livrer à des pratiques déloyales aux fins de soustraire à leur engagement, les rédacteurs du Code civil avaient prévu une parade à l’article 1178.

Cette disposition disposait que « la condition est réputée accomplie lorsque c’est le débiteur, obligé sous cette condition, qui en a empêché l’accomplissement. »

Ainsi, pèse sur la tête des parties la menace que la condition s’accomplisse, et que par voie de conséquence, leur engagement prenne immédiatement effet dans l’hypothèse où elles feraient délibérément obstacle, ce, de manière déloyale, à la réalisation de l’événement.

La parade du réputé accomplie a manifestement été reconduite par le législateur lors de la réforme des obligations

Le nouvel article 1304-3, al. 1er du Code civil dispose en ce sens que « la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement. »

?Conditions du réputé accompli

Pour que le créancier de l’obligation puisse se prévaloir de l’accomplissement de la condition en raison de l’influence déloyale exercée par le débiteur sur le cours des événements, deux conditions doivent être réunies.

  • La défaillance irrévocable de la condition
    • Tant que la condition n’a pas défaillie, le créancier de l’obligation n’est pas fondé à demander qu’elle soit réputée accomplie
    • La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 29 avril 1929 (Cass. civ. 29 avr. 1929).
  • L’intervention fautive du débiteur
    • Pour que la condition soit réputée accomplie il est également nécessaire que l’intervention du débiteur qui a conduit la condition à défaillir soit fautive au sens délictuel du terme.
    • Quant à la question de savoir si la faute doit être intentionnelle ou s’il peut s’agir d’une simple faute d’imprudence, la position de la jurisprudence est pour le moins fluctuante.

?L’introduction du réputé défaillie

Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, les textes ne prévoyaient, en cas d’intervention déloyale du débiteur, que la parade du réputé accompli.

Aussi, n’était nullement envisagée l’hypothèse où le débiteur faisait non pas obstacle à la réalisation de la condition, mais au contraire intervenait de manière intempestive pour qu’elle s’accomplisse.

Devait-on considérer la condition défaillie ?

Le législateur a, lors de la réforme des obligations, répondu par l’affirmative à cette question en créditant l’article 1304-3 du Code civil d’un second alinéa qui prévoit : « la condition résolutoire est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt. »

Les conditions d’application de cette disposition sont, par analogie avec le premier aliéna, les mêmes que dans la situation précédente, à savoir que pour que la condition soit réputée défaillie

  • D’une part, la condition doit s’être irrévocablement réalisée
  • D’autre part, le débiteur doit avoir commis une faute en intervenant

B) Les modalités de réalisation de la condition

?L’automaticité de la réalisation de la condition

Sauf à ce que les parties aient influé de manière déloyale sur le cours des choses, lorsque l’événement dont dépend la réalisation de la condition survient, cette dernière produit, de plein droit, tous ses effets.

Aussi, n’est-il pas nécessaire que le créancier adresse une mise en demeure au débiteur ou saisisse le juge aux fins de faire constater la réalisation de la condition.

Dès que l’événement se produit, l’obligation à laquelle est attachée la condition naît ou disparaît, selon que cette dernière est suspensive ou résolutoire.

?L’irrévocabilité de la réalisation de la condition

  • La force majeure
    • Excepté les cas de déloyauté visés à l’article 1304-3 du Code civil, rien ne peut remettre en cause la réalisation ou la défaillance de la condition, pas même la force majeure (Cass. 3e civ. 9 oct. 1974, n°73-12.113).
  • L’accord des parties
    • Quand bien même les parties décideraient de tenir pour accomplie ou défaillie la condition contrairement au cours des événements, leur accord serait analysé comme un contrat (Cass. com. 10 janv. 1989).

?La renonciation à la réalisation de la condition

La question qui ici se pose est savoir si une partie est libre de renoncer à une condition qui a été stipulée dans son intérêt, alors que l’événement dont dépend la condition ne s’est pas encore produit.

Cette situation n’avait pas été envisagée par les rédacteurs du Code civil en 1804 de sorte que c’est à la jurisprudence qu’est revenue la charge d’y apporter une réponse juridique.

Dans de nombreuses décisions cette faculté a été reconnue au bénéficiaire de la condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mars 1998).

La Cour de cassation subordonne toutefois l’efficacité de la renonciation à la condition que la condition ait été stipulée dans l’intérêt exclusif du renonçant (Cass. 3e civ. 13 juill. 1999, n°97-20.110).

Cette jurisprudence a manifestement été consacrée par le législateur lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2017.

Le nouvel article 1304-4 du Code civil « une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n’est pas accomplie ou n’a pas défailli. »

Il en résulte, a contrario, précise le rapport au Président de la République « qu’une renonciation ne peut intervenir après la défaillance de la condition suspensive », choisissant ainsi l’anéantissement automatique du contrat afin d’éviter sa remise en cause bien après cette défaillance.

Le législateur a entendu ici mettre fin à une controverse jurisprudentielle et doctrinale née de la question de savoir si les parties pouvaient sauver le contrat de la caducité en cas de défaillance de la condition.

La position de la Cour de cassation sur cette question était pour le moins ambivalente dans la mesure où d’un côté elle considérait que, une fois la condition défaillie, les parties ne pouvaient plus revenir en arrière, sauf à conclure un nouveau contrat (Cass. com. 6 févr. 1996, n°93-12.868)

D’un autre côté, la haute juridiction a posé la règle selon laquelle pour que la caducité du contrat puisse être, encore fallait-il que les parties s’en prévalent, ce qui revenait alors à leur conférer la faculté de sauver le contrat en ne se prévalant pas (Cass. 3e civ. 31 mars 2005, n°04-11.752).

Le législateur a-t-il mis un terme à cette position schizophrénique de la Cour de cassation ?

C’est cette solution qui semble ressortir des termes du rapport au Président de la République, selon lesquels, « bien sûr, la partie qui avait intérêt à la condition pourra toujours y renoncer après cette défaillance si elle obtient l’accord de son cocontractant ».

Par ailleurs, l’article 1304-4 du code civil n’étant pas d’ordre public, les parties pourraient décider d’en disposer autrement.

Pour autant, la rédaction l’article 1304-4 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ne permettait pas d’atteindre l’objectif poursuivi, puisqu’il n’y est pas question d’interdire la renonciation du bénéficiaire à la condition suspensive défaillie mais bien la renonciation à la condition suspensive accomplie, ce qui est sans effet.

Pour permettre à cette disposition d’atteindre l’objectif qui lui avait été assigné par les rédacteurs de l’ordonnance, une nouvelle rédaction de l’article 1304-4 a été proposée, affirmant clairement l’impossibilité pour le bénéficiaire d’une condition suspensive d’y renoncer une fois que celle-ci est défaillie.

Cass. 3e civ. 31 mars 2005

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 4 novembre 2003), que le 2 octobre 1999, M. X… a promis de vendre un immeuble aux époux Y…, sous la précision que le vendeur n’avait laissé créer aucune servitude sur le fonds et sous la condition suspensive de l’obtention de renseignements d’urbanisme négatifs ; que les acquéreurs ont postérieurement été informés de ce qu’une servitude de vue avait été constituée au profit du fonds voisin par acte sous seing privé en date du 10 mars 1999 et que le certificat d’urbanisme avait été refusé ;

Attendu que les époux Y… font grief à l’arrêt de constater la caducité de la promesse et de rejeter leur demande tendant à voir dire la vente parfaite sous réserve d’une réduction de prix, en réparation du préjudice résultant du dol du vendeur, alors, selon le moyen :

1 ) qu’en l’état du dol caractérisé par la cour d’appel, les époux Y… avaient la possibilité de renoncer aux conditions aux fins de réaliser la vente et de solliciter une réduction du prix, à titre de dommages-intérêts ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1116 du Code civil ;

2 ) que dans leurs conclusions d’appel signifiées et déposées le 3 septembre 2003, les époux Y… demandaient expressément à la cour d’appel “d’homologuer le compromis en date du 2 octobre 1999 aux termes duquel M. X… a vendu à M. et Mme Y… un immeuble sis … à Pornic, cadastré section 042 AK, n° 571, pour une contenance de 03 ares 78 centiares, moyennant le prix porté à l’acte de 1 255 000 francs”, de dire qu’ils étaient “fondés à demander l’exécution de la convention c’est-à-dire la réalisation de la vente, après avoir décidé de ne pas solliciter l’application de la condition suspensive”, de faire droit à leurs demandes tendant ” à l’homologation du compromis en leur faveur bien que l’immeuble soit loué – les époux Y… faisant la preuve de la disponibilité de l’argent leur permettant de payer le solde du prix moyennant un prix de vente qui doit être fixé à 1 255 000 francs (186 750 euros) ainsi qu’il a été accepté par les deux parties aux termes du compromis de vente du 2 octobre 1999″, et de les déclarer “fondés à demander l’allocation de dommages-intérêts sous forme d’une réduction de prix en réparation de leur préjudice pour dol” ; qu’en affirmant néanmoins que les époux Y… refusaient de régulariser la vente au prix convenu la cour d’appel a dénaturé les conclusions susvisées et violé l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu’ayant retenu que la promesse de vente en date du 2 octobre 1999 avait été souscrite sous la condition suspensive de l’obtention d’un certificat d’urbanisme ou d’une note de renseignements d’urbanisme ne révélant aucune restriction significative susceptible de déprécier l’immeuble ou de le rendre impropre à sa destination et l’absence de servitude légale ou conventionnelle, que postérieurement les époux Y… avaient appris que par acte du 10 mars 1999 le vendeur avait créé sur le fonds une servitude de vue au profit du fonds voisin, que le certificat d’urbanisme obtenu le 5 octobre 1999 indiquait que le terrain d’assiette de la construction n’était pas constructible, la cour d’appel qui ne s’est pas déterminée par référence à une réticence dolosive, en a exactement déduit, sans dénaturation des conclusions, que les conditions convenues ayant défailli, les époux Y… n’avaient pour seule alternative que de se prévaloir de la caducité de la promesse ou d’y renoncer et de poursuivre la vente aux conditions initiales, ce qu’ils avaient refusé, et qu’ils n’étaient pas fondés à demander la réalisation forcée de la vente moyennant une réduction du prix, à titre de dommages-intérêts ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

III) Les effets de la condition

Les effets de la condition, qu’elle soit réalisée ou non, diffèrent selon qu’elle est suspensive ou résolutoire.

A) Les effets de la condition suspensive

Trois situations doivent être envisagées

1. La condition pendante

Il s’agit de la période au cours de laquelle on ne sait pas encore si la condition se réalisera. On dit alors de l’obligation sur laquelle elle porte qu’elle est « pendente conditione ».

Quels sont les effets de la condition lorsque l’on se trouve dans cette période d’incertitude ?

De toute évidence, dès lors que la condition ne s’est pas réalisée, l’obligation n’existe pas encore. Elle n’a qu’un potentiel d’existence.

Est-ce à dire que cette situation ne produit aucun effet à l’endroit des parties ?

L’article 1304-5 du Code civil nous invite à distinguer la situation du créancier de celle du débiteur.

?La situation du débiteur

Bien que l’obligation pendante sous condition suspensive n’existe pas encore, elle n’en a moins un potentiel d’existence ce qui n’est pas sans produire un certain nombre effets sur la situation du débiteur :

  • La rétractation du consentement
    • Dès lors que le débiteur a donné son consentement quant à la stipulation d’une obligation sous condition suspensive il est lié par cet engagement.
    • Il en résulte qu’il ne peut plus se rétracter, quand bien même l’obligation n’est pas encore née.
    • Il ne sera libéré de son engagement qu’en cas de défaillance de la condition.
  • L’obstruction à l’exécution de l’obligation
    • Bien que le débiteur ne soit pas contractuellement lié par l’obligation sous condition suspensive, il n’en est pas moins tenu de se comporter en considération de son existence potentielle.
    • L’article 1304-5 prévoit en ce sens que « avant que la condition suspensive ne soit accomplie, le débiteur doit s’abstenir de tout acte qui empêcherait la bonne exécution de l’obligation »
    • À défaut, il engagerait sa responsabilité.
  • L’action en répétition de l’indu
    • Tant que la condition suspensive ne s’est pas réalisée, aucun paiement n’est dû par le débiteur puisque, par définition, l’obligation n’est pas encore née.
    • C’est la raison pour laquelle l’article 1304-5, al.2 dispose que « ce qui a été payé peut être répété tant que la condition suspensive ne s’est pas accomplie »
    • Si donc le débiteur a, par erreur, payé le créancier alors que la condition ne s’est pas encore réalisée il dispose d’une action en répétition de l’indu, ce qui n’est pas le cas en matière de terme.
    • L’article 1305-2 prévoit, en effet, que « ce qui n’est dû qu’à terme ne peut être exigé avant l’échéance ; mais ce qui a été payé d’avance ne peut être répété. »
    • Aussi, est-ce là une différence majeure entre la condition et le terme, cette dernière modalité n’affectant que l’exigibilité de l’obligation, d’où l’absence d’action en répétition de l’indu.

?La situation du créancier

Comme pour le débiteur, tant que la condition suspensive ne s’est pas réalisée, le créancier n’est, techniquement, titulaire d’aucun droit de créance à l’encontre du débiteur.

Cette situation n’en produit pas moins un certain nombre d’effets sur sa situation.

  • L’exécution de l’obligation
    • Dans la mesure où l’obligation pendante sous condition suspensive n’est pas encore née, le créancier ne peut pas en réclamer l’exécution, ni même engager des poursuites.
    • La Cour de cassation lui refuse, par ailleurs, le droit d’agir par voie d’action oblique (Cass. civ. 26 juill. 1854).
  • L’action paulienne
    • Le nouvel article 1304-5 du Code civil permet dorénavant au créancier d’« attaquer les actes du débiteur accomplis en fraude de ses droits »
    • Cette faculté conférée au créancier par le législateur est nouvelle puisque, antérieurement à la réforme des obligations, la jurisprudence subordonnait l’exercice de l’action paulienne à l’établissement d’une créance certaine.
    • Dans un arrêt du 15 janvier 2015, la Cour de cassation a considéré, par exemple, « qu’il suffit, pour l’exercice de l’action paulienne, que le créancier justifie d’une créance certaine en son principe au moment de l’acte argué de fraude » (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2015, n°13-21.174).
    • Tel ne pouvait cependant pas être le cas du créancier d’une obligation pendante sous condition suspensive puisque, par définition, elle n’est pas encore née.
    • Aussi, le législateur est-il intervenu pour briser cette jurisprudence.
    • Désormais, l’action paulienne est ouverte au créancier, quand bien même la condition suspensive dont elle est assortie ne s’est pas encore réalisée.
  • L’accomplissement d’actes conservatoires
    • Bien que l’obligation pendante sous condition suspensive n’existe pas encore, le créancier n’en est pas moins titulaire d’un droit de créance éventuel.
    • À ce titre, l’article 1304-5 lui confère la possibilité d’« accomplir tout acte conservatoire » nécessaire à la défense de sa position contractuelle.
  • Cession, transmission, saisie
    • En ce que l’obligation pendante sous condition suspensive confère au créancier un droit de créance éventuel elle peut, à ce titre, faire l’objet :
      • D’une transmission entre vifs ou à cause de mort
      • D’une saisie conservatoire
      • D’un nantissement

2. La réalisation de la condition

?Principe : l’absence de rétroactivité

L’ancien article 1179 du Code civil prévoyait que « la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté »

La réalisation de la condition produisait de la sorte un effet rétroactif.

Il en résultait deux conséquences :

  • D’une part, tous les actes accomplis par le débiteur en contradiction avec l’obligation sous condition suspensive étaient anéantis
  • D’autre part, tous les actes accomplis par le créancier conformément à l’obligation sous condition suspensive étaient confirmés

Cette règle a été abandonnée par le législateur lors de la réforme des obligations

Le nouvel article 1304-5, al. 1er prévoit désormais que « l’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive. »

Ainsi, l’obligation sous condition suspensive produit ses effets, non plus au jour de la conclusion du contrat, mais au jour de la réalisation de la condition

L’un des arguments avancés au soutien de ce renversement du principe a été de dire que la rétroactivité n’est pas conforme à la volonté des parties qui, parce qu’elles ont stipulé une condition suspensive, elles ont voulu faire naître l’obligation au moment de la réalisation de la condition et non au jour de la conclusion du contrat

Il a par ailleurs été avancé que la rétroactivité serait purement et simplement inutile, dans la mesure où quand bien même la condition ne s’est pas encore réalisée, le contrat n’en est pas moins opposable aux tiers.

Le débat est désormais clos : la réalisation de la condition suspensive ne produit plus aucun effet rétroactif

?Exception : le rétablissement de la rétroactivité

Le législateur n’a pas totalement fermé la porte à la rétroactivité

L’article 1304-6, al. 2e dispose que « les parties peuvent prévoir que l’accomplissement de la condition rétroagira au jour du contrat. »

Dans cette hypothèse, l’obligation est réputée être née au jour de la conclusion du contrat.

Tous les actes accomplis par le créancier préalablement à la réalisation de l’obligation seront donc consolidés (constitution de sûreté, accomplissement d’actes conservatoires)

?Exception à l’exception : le transfert des risques

Aux termes de l’article 1304-6, al. 2, quand bien même les parties ont prévu que la réalisation de la condition produirait un effet rétroactif « la chose, objet de l’obligation, n’en demeure pas moins aux risques du débiteur, qui en conserve l’administration et a droit aux fruits jusqu’à l’accomplissement de la condition. »

Cela signifie que, s’agissant du transfert des risques, il ne peut pas être dérogé au principe de non rétroactivité.

Aussi, ce transfert des risques s’opérera nécessairement au jour de la réalisation de la condition.

Tant que la condition ne s’est pas réalisé la charge des risques pèse, autrement dit, sur le débiteur.

En contrepartie, toutefois, tant que la condition est pendante, ce dernier continue de percevoir les fruits de la chose.

3. La défaillance de la condition

?Rétroactivité

L’article 1304-6, al. 3 prévoit que « en cas de défaillance de la condition suspensive, l’obligation est réputée n’avoir jamais existé. »

Ainsi, à la différence de la condition réalisée, la condition défaillante a pour effet de faire disparaître rétroactivement l’obligation sur laquelle elle porte.

?Caducité du contrat

Dans l’hypothèse, où l’obligation pendante sous condition suspensive est essentielle, la défaillance de la condition devrait entraîner l’anéantissement du contrat dans son entier.

Pour la Cour de cassation estime que cela doit se traduire par la caducité de l’acte. Dans un arrêt du 14 octobre 2009 elle a par exemple estimé au sujet d’une promesse de vente que « la défaillance de la condition suspensive entraîne [sa] caducité » (Cass. 3e civ. 14 oct. 2009, n°08-20.152).

?Sort des actes d’administration et de disposition

  • S’agissant des actes accomplis par le débiteur avant la défaillance de la condition, ils sont consolidés
  • S’agissant des actes accomplis par le créancier avant la défaillance de la condition, ils sont anéantis

?Restitution des prestations déjà accomplies

Dans l’hypothèse, où les parties ont engagé l’exécution de l’obligation avant la défaillance de la condition, des restitutions devront être effectuées en application du principe de répétition de l’indu.

L’article 1302-1 du Code civil prévoit en ce sens que « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu. »

B) Les effets de la condition résolutoire

1. La condition pendante

Tant que l’incertitude règne quant à la réalisation ou la défaillance de la condition résolutoire, non seulement l’obligation sur laquelle elle porte existe, mais encore elle est exigible. Il en résulte qu’elle doit être exécutée.

L’ancien article 1183, al. 2 prévoyait en ce sens que la condition résolutoire « ne suspend point l’exécution de l’obligation ; elle oblige seulement le créancier à restituer ce qu’il a reçu, dans le cas où l’événement prévu par la condition arrive. »

Bien que l’ordonnance du 10 février 2016 n’ait inséré dans le Code civil aucune disposition similaire, la règle demeure inchangée.

Elle se déduit, en effet, de la définition de la condition résolutoire qui est celle qui « entraîne l’anéantissement de l’obligation ». Pour être anéantie, encore faut-il exister au préalable.

2. La réalisation de la condition résolutoire

?Principe : l’anéantissement rétroactif

Aux termes de l’article 1304-7 du Code civil « l’accomplissement de la condition résolutoire éteint rétroactivement l’obligation, sans remettre en cause, le cas échéant, les actes conservatoires et d’administration. »

La réalisation de la condition résolutoire produit un effet rétroactif, ce qui signifie que l’obligation est réputée n’avoir jamais existé

Il en résulte que tous les actes attachés à l’exécution de l’obligation sont affectés par cet anéantissement

?Tempérament : actes d’administration et perception des fruits

La jurisprudence estime que doivent être maintenus les actes d’administration qui ont été accomplis avant la réalisation de la condition (Cass. civ. 18 juill. 1854).

Il en va de même s’agissant de la perception des fruits qui n’est pas affectée par la réalisation de la condition résolutoire (Cass. req., 26 févr. 1908)

?Exceptions : l’anéantissement pour l’avenir

L’article 1304-7, al. 2 pose deux exceptions au principe de rétroactivité.

  • La volonté des parties
    • L’article 1304-7, al. 2 dispose que « la rétroactivité n’a pas lieu si telle est la convention des parties »
    • Ainsi, les contractants sont libres d’écarter la rétroactivité attachée à la résolution du contrat s’ils le désirent.
    • Cela leur évitera, d’une part, de remettre en cause les actes accomplis avant la réalisation de la condition, d’autre part, de se livrer au jeu des restitutions.
  • Les contrats à exécution successive
    • L’article 1304-7, al. 2 prévoit que « si les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat. »
    • Ainsi, cette disposition institue-t-elle une dérogation au principe de rétroactivité
    • Lorsque le contrat est à exécution successive tel que le bail, la résolution ne joue que pour l’avenir.
    • Autrement dit, les effets passés ne sont pas affectés par la réalisation de la condition.
    • Seuls les effets futurs de la convention sont anéantis.
    • Plutôt que de parler de résolution, il serait plus juste de raisonner en termes de résiliation.
    • Cette règle est étrangement proche de celle édictée en matière de résolution pour inexécution.
    • L’article 1229, al. 3 prévoit, en effet, que « lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l’intégralité de ce qu’elles se sont procuré l’une à l’autre. »
    • La principale conséquence attachée à l’absence d’effet rétroactif est que résiliation ne donnera pas lieu au jeu des restitutions.
    • Les parties conservent le bénéfice des prestations exécutées avant la réalisation de la condition résolutoire, ce qui constitue une différence majeure avec la condition suspensive.
  • Incertitude quant à la charge des risques
    • Contrairement aux dispositions relatives à la condition suspensives, celles consacrées à la condition résolutoire sont silencieuses sur la charge des risques
    • La question pourtant se pose de savoir ce qu’il en est de la charge des risques dans l’hypothèse où la condition résolutoire se réalise ?
    • Si l’on raisonne par analogie avec la condition suspensive, elle devrait peser sur le débiteur de l’obligation dans la mesure où celui-ci est censé être demeuré propriétaire de la chose qui doit lui être restituée en cas de réalisation de la condition résolutoire.

3. La défaillance de la condition résolutoire

En cas de défaillance de la condition résolutoire, l’obligation sur laquelle elle porte devient pure et simple.

Le droit du créancier s’en trouve alors consolidé. Quant au débiteur, il est tenu d’exécuter l’obligation jusqu’à ce qu’il soit mis un terme au contrat.

  1. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil : les obligations, éd. Dalloz 2007, coll. « précis », n°1221, p. 1161-1162. ?

La condition potestative: régime juridique

Pour être valable, l’obligation conditionnelle doit être subordonnée à la réalisation d’un événement indépendant de la volonté des parties.

Le nouvel article 1304-2 du Code civil exprime cette règle en prévoyant que « est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur. ».

Ainsi, les conditions dites potestatives sont, par principe, prohibées.

La raison en est que pareille condition est de nature contredire la portée de l’engagement de celui à la faveur de qui elle est stipulée.

Peut-on raisonnablement estimer, en effet, qu’un engagement dont l’efficacité est subordonnée à la seule volonté de celui qui s’oblige constitue un véritable engagement ?

Au fond, cela reviendrait à admettre que le bénéficiaire de la condition potestative puisse revenir discrétionnairement revenir sur son consentement : d’où la prohibition d’une telle condition dès 1804 par le législateur.

La prohibition n’est toutefois pas absolue, elle comporte des limites dont l’étendue a été précisée par le législateur à l’occasion de la réforme des obligations.

I) Les limites qui tiennent à la position du contractant

Il ressort de l’article 1304-2 du Code civil que la prohibition des conditions potestatives ne s’applique que dans l’hypothèse où le bénéficiaire de la condition est en position de débiteur.

 A contrario cela signifie que lorsque la réalisation de la condition dépend de la seule volonté du créancier, bien que potestative, elle échappe à la prohibition posée à l’article 1304-2.

Cette solution se justifie par le fait que, dans cette configuration, la condition est insusceptible de contredire la portée de l’engagement dont elle subordonne l’exécution puisque, par définition, ce n’est pas le créancier qui s’engage mais le débiteur.

Il est, par conséquent, indifférent que le créancier dispose de la faculté de réaliser discrétionnairement la condition.

La Cour de cassation a statué en ce sens notamment dans un arrêt du 17 décembre 1991.

(Cass. com. 17 déc. 1991)
Sur le moyen unique pris en ses trois branches :

Vu les articles 1170 et 1174 du Code civil ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que M. X..., propriétaire d'un commerce de station-service et vente de carburant, en relation commerciale depuis plusieurs années avec la Société des pétroles BP, (la société BP) qui lui fournissait en exclusivité le carburant, a signé un contrat dit de " commission " avec la même société ; que ce contrat prévoyait que M. X... percevrait une commission fixe sur le prix de vente des carburants et en outre, que dans l'hypothèse où les prix affichés à la pompe par lui seraient inférieurs, pour des montants chiffrés par le contrat, au prix limité d'affichage de la société BP dans la zone du prix du point de vente, la commission due serait réduite proportionnellement à l'écart constaté ; que M. X... a résilié unilatéralement ce contrat et que la société BP a saisi le tribunal de commerce tendant à ce que la résiliation du contrat fût prononcée aux torts exclusifs de M. X... et à ce qu'il soit condamné à lui verser des dommages-intérêts ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société BP, la cour d'appel retient que le contrat contenait une clause de variation de la marge du commissionnaire dépendant de la seule volonté de la société BP qui pouvait déterminer cette marge en fixant le prix des carburants et entachait le contrat de nullité ;

Attendu qu'en statuant ainsi alors qu'il résulte des éléments rapportés par l'arrêt que la diminution de la commission due à M. X... était conditionnée par la baisse des prix affichés à la pompe, dont celui-ci prenait l'initiative, par rapport aux prix limite d'affichage BP dans la zone de prix du point de vente et donc par une limitation des bénéfices de cette société, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 septembre 1989, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon

II) Les limites qui tiennent à la nature de la condition potestative

Avant la réforme des obligations, la doctrine, suivie par la jurisprudence, a souhaité restreindre le périmètre de la prohibition des conditions potestatives, afin d’éviter que les parties au contrat ne puissent invoquer trop facilement la nullité de conditions qu’elles sont censées avoir négocié et acceptées librement et en toute connaissance de cause.

Aussi, animé par un souci de responsabilisation des contractants, les auteurs se sont engagés dans la voie de la distinction entre, d’une part, les conditions purement potestatives et, d’autre part, les conditions simplement potestatives.

Pointant les difficultés pratiques soulevées par cette distinction la doctrine a, par suite, préférer renouveler la notion de condition mixte, ce qui a conduit à une redéfinition de la notion de condition potestative.

==> L’instauration d’une distinction entre les obligations purement potestatives et les conditions simplement potestatives

  • Exposé de la distinction
    • Selon la doctrine classique, la condition potestative ne doit être prohibée qu’à la condition qu’elle contredise l’engagement du débiteur.
    • Aussi, cette théorie l’a-t-elle conduite à distinguer selon que la condition est purement potestative ou simplement potestative
      • La condition purement potestative
        • Il s’agit de la condition dont la réalisation dépend du seul consentement du débiteur.
        • L’exécution de l’obligation est, en d’autres termes, subordonnée à une simple manifestation de volonté.
        • Elle était autrefois qualifiée de condition « si voluero», ce qui signifie je m’engage « si je le veux », « si tel est mon bon désir », « s’il me sied ».
        • Dans la mesure où cette condition revient à conférer au débiteur la faculté de revenir discrétionnairement sur son consentement et donc de contredire la portée de son engagement, elle constitue l’essence même de la potestativité, d’où l’admission unanime et en tout temps de sa prohibition.
      • La condition simplement potestative
        • Il s’agit de la condition dont la réalisation suppose que le débiteur fasse plus qu’exprimer sa volonté.
        • Pour que la condition se réalise, il va devoir accomplir un acte ou un fait déterminé qui lui est extérieur.
        • La condition simplement potestative peut être illustrée par les formules : « si je pars à Paris », « si je vends ma voiture ».
        • Contrairement à la condition purement potestative, la condition simplement potestative implique une action ou une abstention.
        • La réalisation de cette condition dépend donc à la fois de la volonté du débiteur et d’une circonstance dont il n’a pas la maîtrise.
        • L’accomplissement d’un acte peut, en effet, se heurter à la survenance d’un événement qui y fait obstacle.
        • En toute hypothèse, pour rompre ou nouer le lien obligationnel, il sera nécessaire que le débiteur aliène une partie de sa liberté.
        • C’est la raison pour laquelle, la condition potestative a toujours été admise.
  • Portée de la distinction
    • La distinction élaborée par la doctrine entre les conditions purement potestatives et les conditions simplement potestatives a, dans certaines décisions, inspiré les juges, qui y ont trouvé un moyen pour sanctionner certains déséquilibres contractuels.
    • La Cour de cassation s’est, par ailleurs, appuyée sur cette théorie pour opérer une sous-distinction, au sein de la catégorie des conditions purement potestatives, entre les conditions suspensives et les conditions résolutoires.
    • Il ressort, par exemple, d’un arrêt du 2 mai 1900, que lorsque la condition serait purement potestative, mais résolutoire, elle n’encourrait pas la nullité, de sorte que seules les conditions suspensives seraient prohibées ( civ. 2 mai 1900).
    • Cette solution s’expliquerait par le fait que l’atteinte portée à l’engagement du débiteur serait moins grande lorsqu’elle prend sa source dans une condition résolutoire que lorsqu’elle résulte d’une condition suspensive.
      • Lorsqu’elle est suspensive, la condition potestative confère au débiteur la faculté de contredire totalement la portée de son engagement, celui-ci pouvant discrétionnairement agir sur la création même de l’obligation
      • Lorsqu’elle est résolutoire, la condition potestative confère au débiteur la faculté de contredire seulement partiellement la portée de son engagement, celui-ci ne pouvant agir que sur la pérennité de son engagement qui peut avoir déjà reçu un commencement d’exécution.
    • Au total, bien que la jurisprudence se soit appuyée dans certaines décisions, sur la distinction entre les conditions purement potestatives et les conditions simplement potestatives, certains auteurs ont critiqué le caractère artificiel de cette distinction qui, d’une part reposerait sur un critère flou et inopérant et, d’autre part, ne rendrait pas véritablement compte du droit positif.
    • Aussi, ce constat a-t-il conduit la jurisprudence et la doctrine moderne à dépasser la distinction classique à la faveur d’un renouvellement de la notion de condition mixte.

==> Le renouvellement de la notion de condition mixte

Si, initialement, la notion de condition mixte a été entendue de manière restrictive, la jurisprudence a, sous l’impulsion de la doctrine, opéré une extension de son périmètre.

  • La restriction du périmètre de la condition mixte
    • Dans un premier temps, la notion de condition mixte a donc fait l’objet d’une conception étroite.
    • La raison en est que l’ancien article 1171 du Code civil la définissait comme « celle qui dépend tout à la fois de la volonté d’une des parties contractantes, et de la volonté d’un tiers. »
    • Aussi, cela excluait-il, d’emblée, que puisse être inclus dans le périmètre de la condition mixte l’événement qui tout à la fois dépend de la volonté du débiteur et de la survenance d’un fait autre que la volonté d’un tiers.
    • L’inconvénient de cette conception était que la condition ainsi stipulée devait être qualifiée de potestative, quand bien même sa réalisation de ne dépendait pas de la seule volonté du débiteur.
    • Cette situation était d’autant plus absurde que l’on admettait qu’une condition qualifiée de simplement potestative puisse être valable, alors même que sa réalisation était subordonnée à l’accomplissement d’un acte si insignifiant que l’on pourrait la confondre avec une condition purement potestative, ce qui dès lors pourrait justifier qu’elle tombe sous le coup de la prohibition.
    • En réaction à l’incohérence de ce système, les auteurs ont proposé d’élargir le périmètre de la condition mixte.
  • L’extension du périmètre de la condition mixte
    • L’extension de la notion de condition mixte s’est traduite par l’incorporation dans son périmètre des événements dont la réalisation dépend, et de la volonté du débiteur, et de la survenance d’un fait autre que la volonté d’un tiers.
    • La Cour de cassation ne semble manifestement pas s’être opposée à cette nouvelle appréhension de la notion.
    • Dans un arrêt du 28 mai 1974 elle a, par exemple, qualifié de condition mixte un événement qui dépendait « à la fois de la volonté [du débiteur] et de circonstances qui lui sont étrangères» ( 1ère civ. 28 mai 1974).
    • Dorénavant, peu importe donc que la réalisation de la condition dépende ou non du fait d’un tiers : dès lors qu’elle porte au moins pour partie sur un événement autre que la volonté du débiteur elle échappe au principe de la prohibition.
    • Là ne s’est pas arrêtée l’évolution de ce mouvement.
    • L’extension du périmètre de la condition mixte s’est, en effet, accompagnée d’une redéfinition générale du critère de la potestativité.

==> La redéfinition de la notion de condition potestative

L’entreprise de redéfinition de la notion de condition potestative, d’abord engagée par la jurisprudence contemporaine, puis parachevée par le législateur lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, est assise sur l’abandon des distinctions classiques, combiné à la clarification des critères.

  • L’abandon des distinctions classiques
    • La redéfinition du critère de la potestativité a donc conduit à abandonner les distinctions qui avaient été opérées par la doctrine et la jurisprudence classique.
    • Plusieurs distinctions ont ainsi été répudiées :
      • La distinction entre les conditions purement potestatives et les conditions simplement potestatives
        • Il est désormais indifférent que la condition porte sur un événement dont la réalisation dépend de la volonté ou du pouvoir du débiteur
        • Dès lors que la survenance de l’événement est au pouvoir arbitraire du débiteur, la condition peut être qualifiée de potestative
      • La distinction entre les conditions suspensives et les conditions résolutoire
        • Qu’elle soit suspensive ou résolutoire dès lors qu’elle porte sur un événement qui dépend de la seule volonté du débiteur la condition tombe sous le coup de la prohibition.
      • La distinction entre les conditions mixtes et les conditions simplement potestatives
        • Tandis que la condition mixte supposait, dans sa conception initiale, que la réalisation de l’événement auquel elle était rattachée dépende pour partie de la volonté d’un tiers, tel n’était pas le cas de la condition simplement potestative qui autorisait à envisager la prise en compte d’un fait d’une autre nature en complément de la volonté du débiteur.
        • L’extension du périmètre de la condition mixte a, mécaniquement, rendu caduque cette distinction.
      • La distinction entre les actes à titre gratuit et les actes à titres onéreux
        • Il a un temps été discuté de la question de savoir si l’on ne devait pas opposer les actes à titre gratuit aux actes à titre onéreux.
          • S’agissant des actes à titre gratuit
            • La prohibition devrait toucher tant les conditions purement potestatives que les conditions simplement potestatives.
            • Cette rigueur dans la sanction des conditions potestative aurait pour fondement l’adage « donner et retenir ne vaut»
          • S’agissant des actes à titre onéreux
            • La prohibition ne devrait toucher que les seules conditions purement potestatives.
            • La sanction se justifierait, dans cette hypothèse, par le caractère illusoire de l’engagement du débiteur dont l’engagement est contredit par la faculté de dédouanement que lui confère la condition.
      • La distinction entre les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux
        • Certains auteurs ont avancé, à une époque relativement récente, que le principe de prohibition des conditions potestatives n’aurait pas vocation à s’appliquer aux contrats synallagmatiques.
        • Au soutien de cette thèse ces auteurs ont soutenu qu’une condition potestative ne peut être annulée que si sa réalisation est au pouvoir du seul débiteur.
        • Or dans un contrat synallagmatique, les parties endossent tout à la fois les qualités de débiteur et de créancier.
        • La conséquence en est que si un contractant revient sur son engagement en activant la condition dont la réalisation dépend de sa seule volonté, il devrait corrélativement s’ensuivre la perte de la contrepartie réciproque qui lui a été consentie.
        • Un élément autre que la seule volonté du débiteur entre donc en ligne de compte dans le processus de réalisation de la condition.
        • Pour cette raison, la stipulation de conditions potestatives dans une convention synallagmatique ne devrait pas être prohibée.
        • Bien que audacieuse, cette thèse n’a manifestement pas convaincu la jurisprudence qui l’a rejeté à plusieurs reprises.
        • Dans un arrêt du 7 juin 1983 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui « après avoir retenu l’existence d’une condition potestative de la part de l’acquéreur qui pouvait, de sa seule volonté, accepter ou refuser de passer l’acte authentique et de payer le prix [a décidé] que la nullité de cette condition n’affectait pas la validité de la convention en raison de la réciprocité des obligations».
        • Pour la troisième chambre civile, il importe peu que la convention soit synallagmatique « toute obligation est nulle lorsqu’elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s’oblige ».
        • Cette solution a notamment été réitérée par la suite, notamment dans un arrêt du 13 octobre 1993 ( 3e civ., 13 oct. 1993).

Cass. 3e civ. 7 juin 1983
Sur le moyen unique : vu l'article 1174 du code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que toute obligation est nulle lorsqu'elle a été contractée sous une condition potestative de la part de celui qui s'oblige ;

Attendu selon l'arrêt attaque (Toulouse, 22 octobre 1981) que par acte sous seing privé du 11 octobre 1977, les époux x... ont "vendu" aux époux y... une maison d'habitation sous les conditions suspensives de la délivrance d'un certificat d'urbanisme et de l'obtention d'un prêt ;

Que l'acte stipulait que les conditions réalisées, le consentement du vendeur a la vente et la mutation de propriété étaient subordonnés à la condition de la signature de l'acte authentique avec le paiement du prix dans un délai fixe et que si l'acquéreur ne pouvait pas ou ne voulait pas passer l'acte et en payer le prix, le présent accord serait nul et non avenu de plein droit ;

Attendu qu'après avoir retenu l'existence d'une condition potestative de la part de l'acquéreur qui pouvait, de sa seule volonté, accepter ou refuser de passer l'acte authentique et de payer le prix, l'arrêt décide que la nullité de cette condition n'affectait pas la validité de la convention en raison de la réciprocité des obligations ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, contractée sous une condition potestative, l'obligation des époux y... de signer l'acte authentique de vente et de payer le prix était nulle et que cette nullité entraînait, par voie de conséquence, celle de la vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs : CASSE et ANNULE l'arrêt rendu entre les parties le 22 octobre 1981 par la cour d'appel de Toulouse ;

  • La clarification des critères de la potestativité
    • L’entreprise de redéfinition de la notion de condition potestative a conduit le législateur et la jurisprudence à clarifier les critères qui permettent de déterminer si une condition tombe ou non sous le coup de la prohibition.
      • Premier critère : l’influence du débiteur sur l’événement
        • Aux termes du nouvel article 1304-2 du Code civil, « est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur.»
        • Il ressort de l’énoncé de cette règle que le législateur a entendu retenir une conception restrictive de la potestativité, sans doute animé par le même désir que la jurisprudence classique : éviter que les parties au contrat ne puissent invoquer trop facilement la nullité de conditions qu’elles sont censées avoir négocié et acceptées librement et en toute connaissance de cause.
        • Pour ce faire, il a été inscrit dans le marbre de loi que la condition potestative est celle « dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur»
        • Cette précision n’est pas sans faire écho à la condition « si voluero» qui subordonne l’exécution de l’obligation à une simple manifestation de volonté que la doctrine opposait classiquement à la condition « in facto a voluntate pendente » dont la réalisation suppose, quant à elle l’accomplissement d’un acte ou d’un fait déterminé qui dépend du débiteur mais qui lui est extérieur.
        • En se rapportant expressément à la volonté du débiteur et non à son pouvoir, le législateur a-t-il souhaité exclure du champ de la prohibition les conditions qualifiées de simplement potestatives ?
        • Cette solution serait conforme à l’évolution de la jurisprudence contemporaine.
        • Aussi, peut-on déduire de la lettre du nouvel article 1304-2 du Code civil que seules sont désormais interdites les conditions purement potestatives.
      • Deuxième critère : l’intérêt du débiteur dans l’événement
        • Pour être qualifiée de potestative, il ne suffit pas que la condition soit au pouvoir arbitraire du débiteur, il faut encore que celui-ci ait un intérêt à faire échouer la survenance de l’événement.
        • Dès lors que le débiteur doit, pour se délier de son engagement, consentir un sacrifice, quand bien même la réalisation de l’événement dépendra de sa seule volonté, la condition – potestative en apparence – ne tombera pas sous le coup de la prohibition.
        • A contrario, cela signifie qu’une condition pourra être qualifiée de potestative lorsque la réalisation de l’événement dont dépend la condition suppose que le débiteur accomplisse un acte ou un fait insignifiant.
      • Troisième critère : le contrôle judiciaire de l’événement
        • Régulièrement, la jurisprudence estime que lorsque la condition dépend de la seule volonté du débiteur mais que celui-ci doit, pour fonder sa décision se référer à des éléments extérieurs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle judiciaire, la condition ne pourra pas être qualifiée de potestative (V. notamment en ce sens 1ère civ. 22 nov. 1989)
        • La Cour de cassation, par exemple, a statué en ce sens dans un arrêt du 29 septembre 2009
        • Il s’agissait en l’espèce d’une clause qui conférait à l’assuré le droit de prétendre à une prise en charge dans l’hypothèse où une invalidité le placerait dans l’impossibilité définitive de se livrer à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit,
        • La troisième chambre civile valide cette clause estimant qu’elle « dépendait non de la seule volonté de l’assureur, mais de circonstances objectives, susceptibles d’un contrôle judiciaire»
        • Autrement dit, pour les juges, si l’appréciation de l’activation de la clause était laissée au pouvoir de l’assureur, il n’en devait pas moins fonder sa décision sur des éléments objectifs (les justificatifs produits par l’assuré) lesquels pouvaient par suite faire l’objet d’un contrôle par le juge.
        • La condition ainsi stipulée dans le contrat ne peut dès lors pas être qualifiée de potestative.

Cass. com. 29 sept. 2009
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 15 février 2007) qu'à l'occasion de deux prêts consentis par le Crédit agricole, M. X... a adhéré à un contrat d'assurance de groupe, garantissant les risques de décès et d'invalidité, souscrit par la banque auprès de la Caisse nationale de prévoyance et d'assurance (l'assureur) ; qu'ayant été reconnu en état d'invalidité par la Mutualité sociale agricole à compter du 1er novembre 2000, M. X... a demandé à bénéficier de la garantie invalidité totale et définitive prévue au contrat ; qu'à la suite du refus de l'assureur, il a assigné ce dernier en exécution du contrat ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s'interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou non-professionnel ; qu'en l'espèce, le caractère ambigu de la clause litigieuse, relative à l'impossibilité définitive pour l'adhérent de se livrer à toute occupation et/ou toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit résulte des propres énonciations de l'arrêt, qui relève expressément « que cette clause est certes ambiguë puisque la conjonction « ou » introduit une alternative et qu'au contraire le terme « et » impose un cumul » ; qu'en déboutant cependant M. X... de sa demande de garantie, au prétexte «que cependant l'interprétation faite par l'assureur est plus favorable à M. X... puisqu'elle considère que lorsque l'adhérent exerce une activité professionnelle il peut prétendre à la prise en charge lorsque l'invalidité le place dans l'impossibilité définitive de se livrer à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit, sans exiger qu'il soit également inapte à toute autre occupation », la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 133-2, alinéa 2, du code de la consommation ;

2°/ que constitue une clause potestative entachée de nullité la clause par laquelle l'assureur se réserve la possibilité d'une interprétation plus ou moins stricte des conditions de la garantie ; qu'en infirmant le jugement de première instance qui avait relevé « que le fait de prévoir l'alternative de « et » et « ou » laisse à penser que, selon le bon vouloir de l'assureur, celui-ci peut opposer à l'adhérent, pour refuser sa garantie, ou simplement le fait qu'il ne puisse plus exercer une activité rémunérée ou à la fois qu'il ne puisse exercer une activité rémunérée et qu'il ne puisse se livrer à aucune occupation ; que par ailleurs, le terme « occupation » sans adjectif adjoint permet au seul assureur d'exiger ou non comme condition de sa prise en charge qu'il y ait impossibilité d'exercer une occupation professionnelle ou privée ou les deux », sans s'expliquer sur le caractère potestatif de cette clause dont elle a pourtant relevé par ailleurs l'ambiguïté quant au caractère cumulatif ou alternatif des conditions de la garantie, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1170 et 1174 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, après avoir relevé l'ambiguïté de la clause litigieuse, a exactement décidé que l'interprétation faite par l'assureur était la plus favorable à l'assuré puisque, lorsque ce dernier exerce une activité professionnelle, il peut prétendre à une prise en charge quand l'invalidité le place dans l'impossibilité définitive de se livrer à toute activité rémunérée ou lui donnant gain ou profit sans exiger qu'il soit également inapte à toute autre occupation ;

Et attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il résulte que l'application de la clause, dépendait non de la seule volonté de l'assureur, mais de circonstances objectives, susceptibles d'un contrôle judiciaire, la cour d'appel a nécessairement exclu le caractère potestatif de la condition ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

III) Sanction

L’article 1304-2 du Code civil prévoit que la stipulation d’une condition potestative est sanctionnée par la nullité.

Était-ce bien utile de préciser qu’elle était la sanction encourue dans la mesure où le même résultat pourrait être obtenu sur le terrain du consentement ?

Car finalement, la condition potestative est celle qui contredit la portée de l’engagement du débiteur. Aussi, pourrait-on imaginer que clause soit annulée pour défaut de consentement.

Toujours est-il que la nullité encourue par une condition potestative est sans nul doute relative. Leur prohibition vise à protéger l’intérêt d’une partie en particulier : le créancier.

L’article 1304-2 précise toutefois in fine que « cette nullité ne peut être invoquée lorsque l’obligation a été exécutée en connaissance de cause. »

Cela signifie que la nullité susceptible d’être soulevée par le créancier est couverte par l’exécution de l’obligation qui était subordonnée à la réalisation de la condition potestative.

Le principe de l’effet relatif du contrat

?Notion

Conformément au principe de l’autonomie de la volonté, seules les personnes qui ont exprimé leur consentement sont susceptibles de s’obliger.

Lorsque dès lors, l’article 1103 du Code civil prévoit que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits », on peut en déduire que la loi contractuelle n’est applicable qu’aux seules parties.

Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a entendu poser ce principe à l’article 1199, al.1er qui désormais dispose : « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties. »

A contrario, cela signifie que l’acte ne saurait créer aucune obligation à la charge des tiers. C’est ce qui est exprimé au second alinéa de l’article 1199 aux termes duquel « les tiers ne peuvent ni demander l’exécution du contrat ni se voir contraints de l’exécuter, sous réserve des dispositions de la présente section et de celles du chapitre III du titre IV ».

Le nouvel article 1199 pose ce que l’on appelle le principe de l’effet relatif du contrat. Antérieurement à la réforme des obligations, ce principe était énoncé à l’article 1165.

Cette disposition prévoyait que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu à l’article 1121 » (stipulation pour autrui).

Ainsi, en 2016, le législateur a-t-il souhaité procéder à un véritable toilettage de ce texte.

La signification du principe demeure la même : nul ne peut devenir créancier ou débiteur d’une obligation s’il n’est pas partie au contrat.

Le principe de l’effet relatif, qui était perçu comme une évidence par les rédacteurs du Code civil dans la lignée de Pothier, n’est autre que la conséquence du principe de l’autonomie de la volonté couplé à la liberté contractuelle.

Le tiers qui, par définition, n’a pas consenti à l’acte ne saurait se voir imposer des obligations ou en bénéficier.

Est-ce à dire que le contrat ne produit aucun effet à l’égard des tiers ? C’est toute la question de son opposabilité.

Nous envisagerons donc dans un premier temps la question de l’effet relatif du contrat après quoi nous nous intéresserons, dans un second temps, à son opposabilité.

I) L’effet relatif du contrat

Si, conformément au principe de l’effet relatif, le contrat ne saurait créer aucune obligation à la charge des tiers, encore faut-il que l’on s’entende sur ce qu’est un tiers.

A priori, il s’agit de toutes les personnes qui n’ont pas exprimé leur volonté de contracter. Pour identifier les tiers, cela suppose dès lors de déterminer quelles sont les parties au contrat.

Quid, néanmoins, de la personne qui, sans avoir consenti à l’acte, qui donc ne peut pas être regardé comme partie au contrat, entretient malgré tout un lien de droit, contractuel, avec l’un des cocontractants ? C’est situation se présentera notamment en présence de groupes de contrats.

A) Principe : les parties au contrat

Doivent donc être considérées comme tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie au contrat. La question qui dès lors se pose est de savoir ce que cette catégorie recoupe. Qu’est-ce qu’une partie au contrat ?

Deux catégories de parties doivent être distinguées :

  • Les parties originaires
  • Les parties subséquentes

1. Les parties originaires

Les parties originaires sont toutes celles qui ont concouru à la formation de l’acte. Autrement dit, il s’agit des personnes qui ont conclu le contrat, soit par elles-mêmes, soit par l’entreprise d’un représentant

1.1 Les personnes qui ont conclu le contrat par elles-mêmes

Les personnes qui ont conclu le contrat par elles-mêmes sont celles qui ont échangé, physiquement ou à distance, leurs consentements.

Cette catégorie de parties n’appelle pas de remarque particulière, sinon que la naissance du contrat procède de l’expression de leurs volontés respectives.

Aussi, ce sont elles qui ont déterminé le contenu du contrat.

1.2 Les personnes qui ont conclu le contrat par l’entremise d’un représentant

Il n’est pas nécessaire d’avoir été personnellement présent lors de la conclusion du contrat. Ce qui importe, c’est que la volonté des parties à l’acte ait été valablement exprimée. Or l’expression de cette volonté peut s’opérer par l’entremise d’un représentant.

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a édicté aux articles 1153 à 1161 du Code civil un droit commun de la représentation.

Jusqu’alors, le mécanisme de la représentation était abordé de façon éparse dans le Code civil. Si, la réforme des obligations remédie indubitablement à cette carence pointée par les auteurs, il n’est pas certain que le dispositif ainsi institué résolve toutes les difficultés que soulève la représentation.

Afin de bien comprendre en quoi consiste le mécanisme de représentation il convient, au préalable, de s’arrêter sur la distinction entre la capacité et le pouvoir.

a. Capacité et pouvoir

Il est courant que les notions de représentation, de pouvoir ou encore de capacité soient confondues, sinon mal comprises.

Aussi, convient-il de les distinguer afin d’être en mesure de bien en articuler le sens.

i. La capacité

Elle se définit comme la faculté pour une personne physique à être titulaire de droits et à les exercer

Classiquement on distingue la capacité de jouissance de la capacité d’exercice :

?La capacité de jouissance

C’est l’aptitude à être titulaire de droits subjectifs (droits réels et personnels)

S’agissant de la capacité de jouissance une nouvelle distinction s’opère entre les personnes physiques et les personnes morales.

  • Les personnes physiques
    • Elles jouissent toutes, sans exception, d’une capacité de jouissance générale
    • Dès lors que le nouveau-né est doté de la personnalité juridique, soit lorsqu’il est vivant et viable, il dispose d’une capacité de jouissance générale, ce jusqu’à sa mort.
    • Si, toutefois, les personnes physiques jouissent toutes d’une capacité de jouissance générale, elles peuvent, en certaines circonstances, être frappées d’une incapacité de jouissance spéciale
      • C’est le cas du médecin qui ne dispose pas de la capacité juridique à recevoir de la part de son patient des libéralités
      • C’est encore le cas de l’étranger qui est privé du droit de voter
      • Il en va également ainsi du mineur de moins de 16 ans à qui il est interdit de tester.
  • Les personnes morales
    • Elles jouissent seulement d’une capacité de jouissance spéciale
    • Leur capacité de jouissance est déterminée par leur objet social, lequel doit être spécial
    • Un objet social trop général est réputé inexistant
    • La sanction encourue est la nullité de la personne morale.

?La capacité d’exercice

C’est l’aptitude pour une personne physique ou morale à exercer les droits dont elle est titulaire au titre de sa capacité de jouissance

La capacité d’exercice renvoie à la distinction entre les personnes capables et les personnes incapables :

  • Les personnes capables
    • Ce sont celles qui jouissent d’une capacité d’exercice générale
    • Seules les personnes majeures ou mineurs émancipés jouissent d’une capacité d’exercice générale
  • Les personnes incapables
    • Les personnes incapables se divisent en deux catégories
      • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice générale
        • Deux catégories de personnes sont frappées d’une incapacité d’exercice générale
          • Les mineurs non émancipés
          • Les majeurs sous tutelle
        • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
        • Tant le mineur, que la personne placée sous tutelles jouissent d’une capacité de jouissance générale.
        • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
        • Il leur faut être représentés
      • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale
        • Les personnes frappées d’une incapacité d’exercice spéciale sont les personnes qui font l’objet :
          • Soit d’une sauvegarde de justice
          • Soit d’une curatelle
          • Soit d’un mandat de protection future
        • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
        • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
        • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

ii. Le pouvoir

Le pouvoir se définit comme l’aptitude pour celui qui en est investi à représenter une personne

Il s’agit, autrement dit, de la faculté d’agir au nom et pour le compte d’autrui, soit d’être son représentant.

Ainsi, tandis que la capacité correspond à l’aptitude à être titulaire de droits ou à les exercer, le pouvoir est attaché à la notion de représentation.

Le représentant est celui qui a le pouvoir d’exercer les droits dont est titulaire le représenté.

Celui qui est investi d’un pouvoir de représentation ne devient pas titulaire des droits du représenté.

Le représentant est seulement habilité à les exercer, étant précisé que cela n’ôte pas au représenté, sa capacité d’exercice.

Au fond, le pouvoir de représentation est une modalité d’exercice d’un droit.

Il est conféré au représentant, soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention, le pouvoir d’exercer le droit dont est seul titulaire le représenté.

b. La représentation

i. Notion de représentation

La représentation n’est pas définie dans le Code civil. Est-ce un oubli du législateur ? Certainement.

Par chance, sa définition s’infère de son régime juridique.

Par représentant, il faut entendre celui qui agit au nom et pour le compte d’une personne, le représentant.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette définition :

  • Premier élément
    • Il ne peut être recouru au mécanisme de la représentation que pour l’accomplissement d’actes juridiques
    • La représentation ne pourra jamais jouer pour la réalisation de faits juridiques
  • Second élément
    • La représentation a pour effet de lier juridiquement le représenté à l’acte effectué par le représentant comme s’il l’avait personnellement accompli.
    • La représentation est ainsi une fiction juridique, ce qui justifie qu’elle soit strictement encadrée

ii. La source de la représentation

La représentation doit être regardée comme une situation exceptionnelle.

Le principe c’est que chacun s’engage pour lui-même. On ne saurait agir au nom et pour le compte d’autrui par l’effet de sa propre volonté

C’est la raison pour laquelle, la représentation ne se présume pas, à tout le moins les hypothèses où elle se présume sont rares et strictement encadrées.

Aussi, pour qu’une personne puisse représenter quelqu’un, encore faut-il qu’elle en ait le pouvoir.

Or on ne peut se prévaloir du pouvoir de représentation qu’à la condition d’en avoir été investi soit par la loi, soit par décision de justice, soit par convention

La représentation peut, de sorte, avoir trois origines différentes :

?La représentation légale

  • Les mineurs
    • Les mineurs sont frappés de ce que l’on appelle une incapacité d’exercice générale
    • Cela signifie que, s’ils peuvent être titulaires de droits et d’obligations, ils ne disposent pas, en revanche, de la faculté de les exercer.
    • Pour accomplir des actes juridiques il est donc nécessaire que le mineur soit représenté
    • Ce représentant, désigné par la loi, agira dès lors au nom et pour le compte du mineur jusqu’à sa majorité, événement à compter duquel il jouira de sa pleine de capacité, soit tant de jouissance que d’exercice.
    • La représentation du mineur est assurée
      • Soit par ses parents
      • Soit par un tuteur
  • Les personnes morales
    • À l’instar des mineurs, les personnes morales sont frappées d’une incapacité d’exercice générale.
    • Cette incapacité est permanente dans la mesure où par, par nature, une personne morale est un être fictif de sorte qu’elle ne sera jamais en mesure d’exprimer sa volonté.
    • C’est la raison pour laquelle, les personnes morales ne peuvent accomplir des actes juridiques que par l’entremise d’un représentant
    • La représentation des personnes morales est assurée par les dirigeants sociaux, lesquels ne doivent pas être confondus avec les associés.
      • Les dirigeants sociaux sont investis du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de la personne morale
      • Les associés sont quant à eux investis du pouvoir, non pas de représenter la personne morale, mais d’exprimer directement sa volonté au moyen de leur droit vote
    • Ainsi, tandis que les associés expriment en assemblée la volonté de la personne morale, les dirigeants sociaux représentent cette volonté qui a été exprimée par les associés.
    • Selon la forme de la société, le représentant de la société pour être notamment :
      • Un gérant
      • Un président
      • Un directeur général
      • Un directeur général délégué
      • Un mandataire

?La représentation judiciaire

Elle correspond à l’hypothèse où le pouvoir de représentation est conféré à une personne par le juge.

Cette situation peut intervenir dans plusieurs cas :

  • Représentation d’une personne incapable
    • Lorsqu’une personne est frappée d’une incapacité d’exercice générale ou spéciale, l’expression de sa volonté ne peut s’opérer que par l’entremise d’un représentant.
    • Aussi, concomitamment à l’institution d’une mesure juridique de protection, le juge désignera, selon la mesure choisie (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), un représentant chargé d’agir au nom et pour le compte de la personne protégée.
  • La représentation de l’époux hors d’état de manifester sa volonté
    • Aux termes de l’article 219 du Code civil « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Cette disposition vise l’hypothèse où un époux qui, sans être frappé d’incapacité, est inapte à exprimer sa volonté.
    • C’est donc son conjoint qui est investi par le juge d’accomplir un certain nombre d’actes déterminés par ce dernier.
  • La représentation d’un indivisaire hors d’état de manifester sa volonté
    • L’article 815-4 du Code civil prévoit que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • La règle est ici la même que celle énoncée à l’article 219 appliquée aux indivisaires.
    • Elle permet ainsi aux coindivisaires de prendre les mesures nécessaires à l’administration du bien indivis.
  • La représentation d’une personne présumée absente
    • Aux termes de l’article 113 du Code civil « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens ; la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille, et en outre sous les modifications qui suivent. »

?La représentation conventionnelle

Le pouvoir de représentation dont est investi un représentant peut lui avoir été conféré au titre d’un contrat

Le pouvoir de représentation sera ainsi le produit d’un accord de volontés

Cette hypothèse correspond à la conclusion d’un contrat de mandat.

L’article 1984 du Code civil prévoit en ce sens que « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. »

Ainsi, tous les actes conclus par le mandataire sont réputés avoir été accomplis par le mandant en la personne de qui ils produisent directement leurs effets

Il existe cependant des mandats sans représentation.

Il en va ainsi du contrat conclu avec un intermédiaire, tel un agent d’affaires

L’intermédiaire se distingue du mandant classique, en ce qu’il agira certes pour le compte d’autrui, mais en son nom propre.

Il en résulte qu’il ne disposera pas du pouvoir d’accomplir des actes au nom de son client et donc de le représenter.

La représentation suppose la réunion de deux éléments cumulatifs :

  • L’accomplissement d’actes pour le compte d’autrui
  • L’accomplissement d’actes au nom d’autrui

Lorsque l’agent d’affaires (courtier, agent immobilier) est mandaté, il agit pour le compte de son client mais pas en son nom, sauf à être investi d’un pouvoir spécial de représentation.

iii. L’étendue de la représentation

Aux termes de l’article 1153 du code civil « le représentant légal, judiciaire ou conventionnel n’est fondé à agir que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés »

Cela signifie que, quelle que soit la source du pouvoir dont il est investi, le représentant ne pourra jamais engager le représentant au-delà de la limite de ses pouvoirs.

Pour déterminer l’étendue du pouvoir du représenter l’article 1155 du Code civil invite à distinguer deux situations :

  • Le pouvoir du représentant est défini en termes généraux
    • Dans cette hypothèse le pouvoir de représentation ne couvre que les actes conservatoires et d’administration
    • En somme, le représentant ne disposera pas du pouvoir d’accomplir des actes de disposition au nom et pour le compte du représenté
  • Le pouvoir du représentant est spécialement déterminé
    • Dans cette hypothèse, le représentant ne pourra accomplir que les actes pour lesquels il est habilité et ceux qui en sont l’accessoire.
    • Le représenté ne sera, en conséquence, engagé que pour les actes accomplis par le représentant en vertu de pouvoirs spéciaux qui lui ont été conférés

iv. Les effets de la représentation

Il ressort de l’article 1154 du Code civil que les effets attachés à la représentation varient, d’une part, selon que la représentation est parfaite ou imparfaite et, d’autre part, selon la source de la représentation

?Les effets tenant à la nature de la représentation

  • La représentation parfaite
    • La représentation parfaite correspond à l’hypothèse où le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté (art. 1154, al. 1er C. civ.)
    • La conséquence en est que le représenté est seul tenu à l’engagement ainsi contracté.
    • Autrement dit, il est réputé avoir accompli personnellement l’acte conclu par le représentant.
    • Celui qui est considéré comme partie au contrat c’est donc le représenté
    • En cas d’inexécution contractuelle, c’est donc la responsabilité de ce dernier qui sera recherché et non celle du représentant qui n’est pas tenu au contrat puisque considéré comme un tiers.
  • La représentation imparfaite
    • La représentation imparfaite correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom (art. 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • La question qui alors est de savoir dans quelle mesure l’acte accompli par le représentant produit des effets à l’égard du représenté ?
    • L’opération se déroule en deux temps :
      • Premier temps
        • Le représentant agit pour le compte du représenté mais en son nom personnel
        • Techniquement, seul le représentant est donc partie à l’acte ainsi conclu
        • Le représenté n’a, a priori, pas vocation à l’être car l’opération se joue en deux temps
      • Second temps
        • Les effets du contrat conclu ne vont être répercutés sur le représenté par l’entremise du représentant en ce que celui-ci va, dans un second temps, lui céder le produit de l’opération
        • Cette cession s’opérera le plus souvent moyennant le paiement d’une commission.
        • Dans cette hypothèse on parle alors moins de représentant que de commissionnaire, lequel agit en vertu d’un contrat de commission

?Les effets tenant à la source de la représentation

Les effets que l’article 1159 attache à la représentation varient selon que la représentation est d’origine légale ou judiciaire ou selon qu’elle est conventionnelle.

  • La représentation légale et judiciaire
    • Dans cette hypothèse, l’article 1159 prévoit que le représenté est dessaisit pendant toute la durée de la représentation des pouvoirs transférés au représentant
    • Cela signifie que pour tous les droits pour lesquels le représenté est frappé d’une incapacité, il ne peut y avoir d’exercice concurrent.
    • Seul le représentant est habilité à accomplir les actes qui relèvent de son pouvoir de représentation.
    • Lorsqu’une représentation légale ou judiciaire est instituée, il y a donc un véritable transfert de pouvoir qui s’opère à la faveur du représentant.
    • Le représenté est dépouillé de sa faculté à exercer les droits dont il demeure toutefois titulaire
  • La représentation conventionnelle
    • L’article 1159, al. 2 du Code civil prévoit que « la représentation conventionnelle laisse au représenté l’exercice de ses droits »
    • À la différence de la représentation légale ou judiciaire, la représentation conventionnelle ne fait pas obstacle à un exercice concurrent des droits dont est titulaire le représenté.
    • Ce sera notamment le cas lorsque le représentant sera investi d’un mandat non-exclusif.
    • Rien n’empêche toutefois qu’il soit convenu avec le représenté que le mandat soit exclusif.
    • Dans cette hypothèse, le mandat s’interdit d’exercer les droits qui relèvent du pouvoir du mandataire.

v. Les obstacles à la représentation

Les obstacles à la représentation sont au nombre de deux.

?Premier obstacle : la survenance d’une incapacité du représentant

Aux termes de l’article 1160 du Code civil « les pouvoirs du représentant cessent s’il est atteint d’une incapacité ou frappé d’une interdiction ».

Cette disposition n’appelle pas de remarque particulière sinon que l’on peut s’interroger sur la question de savoir s’il est nécessaire de jouir, ab initio, d’une pleine capacité juridique pour représenter une personne.

Le texte est silencieux sur ce point, de sorte qu’il appartiendra à la jurisprudence de se prononcer.

On peut toutefois relever qu’il n’y, a priori, aucune incompatibilité à ce que, dans le cadre d’une représentation parfaite, le représentant soit frappé d’une incapacité puisque, dans cette hypothèse, il sera un tiers au contrat.

Par conséquent, la validité de l’acte exige la seule capacité du représenté.

D’un autre côté, on peut opposer à cet argument qu’il est intellectuellement difficilement envisageable que celui désigné pour représenter une personne privée de sa capacité soit lui-même frappé d’une incapacité de même nature.

Pourquoi le représentant serait-il plus en capacité un acte pour autrui que pour lui-même ?

Cela n’a pas vraiment de sens, de sorte qu’il n’est pas à exclure que la jurisprudence exige, à l’avenir, que le représentant soit doté, ab initio, de sa pleine capacité juridique.

?Second obstacle : l’existence d’un conflit d’intérêts

  • Principe
    • L’article 1161 du Code civil prévoit que « un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté. »
    • Le principe posé par cette disposition fait indéniablement partie des grandes nouveautés de l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Pour la première fois, l’interdiction du conflit d’intérêts est instituée en principe général.
    • Certains textes avaient déjà posé cette interdiction, telle que notamment le décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.
    • La commission Sauvé avait, dans cette perspective, effectué une tentative de définition du conflit d’intérêts dans le domaine public
    • Il y était défini comme le « conflit entre la mission publique et les intérêts privés d’un agent public, dans lequel l’agent public possède à titre privé des intérêts qui pourraient influencer indûment la façon dont il s’acquitte de ses obligations et de ses responsabilités »
    • La prohibition du conflit d’intérêts procède de l’idée que lorsqu’une même personne est chargée de représenter ou défendre des intérêts objectivement contradictoires, l’indépendance et l’impartialité que requiert sa mission s’en trouve atteinte
    • Il en résulte alors un préjudice potentiel pour le représenté dont les intérêts ne seront pas aussi bien portés que si son représentant n’avait pas été en situation de conflits d’intérêts.
    • Aussi, afin d’éviter cette situation, le législateur préfère-t-il poser un principe d’interdiction générale du conflit d’intérêts.
    • C’est ce qu’il a fait à l’article 1160 du Code civil.
  • Conditions
    • La caractérisation d’un conflit d’intérêts suppose d’établir :
      • Soit que le représentant a agi pour le compte des deux parties au contrat
      • Soit que le représentant a contracté pour son propre compte avec le représenté
  • Sanction
    • En cas d’établissement d’un conflit d’intérêts, la sanction encourue est la nullité de l’acte
    • La nullité est-elle relative ou absolue ? Le texte ne le dit pas.
    • Dans la mesure toutefois où l’interdiction du conflit d’intérêts vise à protéger un contractant en particulier, on est légitimement en droit de penser qu’il s’agit d’une nullité relative.
    • Elle ne pourra donc être invoquée que pour le contractant qui subit le conflit d’intérêts.
  • Tempérament
    • L’article 1161, al.2 du Code civil assortit l’interdiction du conflit d’intérêts de deux tempéraments
      • La permission de la loi
      • La ratification de l’acte par le représenté

vi. La sanction du dépassement et du détournement de pouvoir

Quid de la sanction dans l’hypothèse où le représentant a agi en dépassement de son pouvoir, voire en le détournant ?

Les articles 1156 et 1157 du Code civil invitent à distinguer le défaut ou dépassement de pouvoir de son détournement.

?: La sanction du défaut ou dépassement de pouvoir

?Exposé des sanctions

En cas de défaut ou de dépassement de pouvoir, l’article 1156 du Code civil envisage deux sanctions :

  • L’inopposabilité de l’acte
    • Principe
      • Aux termes de l’article 1156, al. 1er « l’acte accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs est inopposable au représenté »
      • Par inopposable, il faut entendre que, tout en conservant sa validité, l’acte ne produira aucun effet à l’égard du représentant
      • Cela signifie donc, concrètement, qu’il ne pourra pas être considéré comme partie à l’acte.
      • En cas d’inexécution du contrat, la responsabilité du représenté ne pourra donc pas être recherchée.
      • Seul le représentant qui a agi en dépassement de son pouvoir de représentation sera donc tenu à l’acte.
      • Il endossera donc seul la qualité de débiteur ou créancier.
    • Exception
      • L’article 1156 pose une exception au principe d’inopposabilité de l’acte en cas de défaut ou de dépassement apparent : le mandat apparent
      • L’alinéa 1 in fine de cette disposition prévoit, en effet, que si le tiers contractant a légitimement cru en la réalité des pouvoirs du représentant, notamment en raison du comportement ou des déclarations du représenté.
      • Aussi, dans cette hypothèse l’acte accompli par le représentant, en dépassement de ses pouvoirs, demeura opposable au représenté.
      • Le tiers contractant sera alors fondé à exiger de ce dernier qu’il exécute la prestation convenue.
      • Le législateur a repris ici la solution dégagée par la Cour de cassation dans son célèbre arrêt d’assemblée plénière rendu en date du 13 décembre 1962 (Cass. ass. plén., 13 déc. 1962, n°57-11.569)
      • Dans cette décision, la haute juridiction avait affirmé que « le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs »
      • Pour établir l’existence d’un mandat apparent, l’article 1156 ne semble pas exiger, à l’instar de la Cour de cassation, que le représenté ait concouru, de manière fautive, à la croyance légitime du tiers.
      • Le mandat apparent suppose seulement qu’existent des circonstances qui aient conduit le tiers contractant à se forger une croyance légitime.

Cass. ass. plén., 13 déc. 1962

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’il résulte des qualités et des motifs de l’arrêt attaqué que C… président-directeur général de la Banque Canadienne société anonyme, a, sous sa seule signature, souscrit au nom de cette banque, envers l’Administration des Domaines, un cautionnement solidaire d’une société de récupération d’épaves, pour une somme de 700000 francs en mai 1953 ; que ladite administration ayant demandé l’exécution de cette obligation, la banque a soutenu que celle-ci ne lui était pas opposable, en déclarant que ses statuts exigeaient en ce cas la signature de deux mandataires sociaux habilités ;

Attendu que, pour condamner la banque, l’arrêt attaqué énonce qu’en l’espèce, l’Administration a pu légitimement penser qu’elle traitait avec un mandataire agissant dans les limites de ses pouvoirs normaux, et retient que la banque était en conséquence tenue à raison d’un mandat apparent ;

Attendu que, selon le moyen, le mandat apparent suppose une faute imputable au prétendu mandant et se trouvant à la base de l’erreur du tiers ; qu’il prétend que non seulement l’arrêt attaqué ne caractérise pas une telle faute, mais encore que, la nature même de l’engagement impliquant un pouvoir spécial que l’Administration aurait dû exiger, c’est elle qui s’est montrée imprudente en l’occurrence ;

Mais attendu, d’une part, que le mandant peut être engagé sur le fondement d’un mandat apparent, même en l’absence d’une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l’étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ;

Attendu, d’autre part, que le contrôle de l’imprudence alléguée à cet égard en l’espèce à l’encontre de l’Administration des Domaines nécessiterait une recherche d’éléments de fait à laquelle la Cour de Cassation ne peut procéder ;

D’où il suit qu’en aucune de ses branches, le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 6 mai 1957 par la Cour d’appel de Poitiers.

  • La nullité de l’acte
    • L’article 1156, al. 2e prévoit que « lorsqu’il ignorait que l’acte était accompli par un représentant sans pouvoir ou au-delà de ses pouvoirs, le tiers contractant peut en invoquer la nullité. »
    • Cela signifie donc que le tiers contractant dispose d’un choix
      • Soit il opte pour l’inopposabilité de l’acte, car il souhaite que le contrat conclu reçoive une exécution
      • Soit il opte pour la nullité de l’acte, car préfère son anéantissement
    • Cette option est laissée à la seule discrétion du tiers contractant, lequel a seul qualité à agir en nullité
    • Le législateur a ainsi entendu mettre fin à la solution dégagée par la Cour de cassation sur cette question.
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, elle avait en effet estimé que « la nullité d’un contrat en raison de l’absence de pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée » (Cass. 1ère civ. 2 nov. 2005, n°02-14.614).
    • L’article 1156 du Code civil prévoit l’exact contraire.

Cass. 1ère civ. 2 nov. 2005

Vu l’article 1984 du Code civil ;

Attendu que la nullité d’un contrat en raison de l’absence de pouvoir du mandataire, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée ;

Attendu que se prévalant d’un contrat collectif de prévoyance souscrit par la société La and company auprès de la Fédération nationale de la mutualité française (la FNMF), M. X…, en sa qualité de bénéficiaire des garanties prévues par le contrat, a assigné la FNMF en paiement des indemnités journalières prévues pour le cas de maladie ; que celle-ci a fait valoir que le contrat d’assurance était nul pour avoir été conclu par M. X…, qui n’avait pas le pouvoir d’engager la société La and company dont il était alors salarié ;

Attendu que l’arrêt attaqué a accueilli cette exception et déclaré “le contrat de nul effet dans les rapports entre la Fédération nationale de la mutualité française et M. X…” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 février 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

?La neutralisation des sanctions : la ratification de l’acte

En cas de ratification de l’acte par le représenté, l’article 1156, al. 3 prévoit que, tant l’inopposabilité que la nullité ne peuvent être invoquées.

Ainsi, la ratification vient-elle couvrir l’irrégularité dont l’acte est entaché.

Reste néanmoins à déterminer ce que l’on doit entendre par ratification

La ratification peut-elle s’apparenter à un commencement d’exécution de l’acte ou doit-elle être formalisée ?

Le législateur ne le dit pas.

C’est donc à la jurisprudence qu’il appartient de préciser le régime juridique de la ratification.

?: La sanction du détournement de pouvoir

Aux termes de l’article 1157 du Code civil, « lorsque le représentant détourne ses pouvoirs au détriment du représenté, ce dernier peut invoquer la nullité de l’acte accompli si le tiers avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer. »

Le détournement de pouvoir correspond à l’hypothèse très précise où le représentant a agi dans la limite de ses pouvoirs, mais dans son intérêt personnel alors qu’il est censé agir dans les intérêts du représenté.

L’article 1157 en tire la conséquence logique que, dans la mesure où le représentant, a détourné les pouvoirs qui lui ont été confiés, le représenté est tout naturellement fondé à réclamer la nullité de l’acte.

À la différence du dépassement de pouvoir, le représenté a, dans cette situation, qualité à agir en nullité de l’acte.

Deux conditions cumulatives doivent toutefois être réunies :

  • Première condition
    • Le représenté doit établir, en cas de détournement de pouvoir, que l’acte a été accompli à son détriment
    • Quid lorsque l’acte aura été accompli dans l’intérêt exclusif du représentant ?
    • L’acte sera-t-il présumé avoir été nécessairement accompli au détriment du représenté.
    • Plus délicate encore sera l’appréhension de l’hypothèse où l’acte aura été accompli au détriment seulement partiel du représenté.
  • Seconde condition
    • L’exercice par le représenté de l’action en nullité de l’acte accompli à son détriment est subordonné à la connaissance par le tiers, à tout le moins à son absence d’ignorance, du détournement de pouvoir.
    • Afin de ne pas s’exposer à une action en nullité, l’article 1158 du Code civil ouvre au tiers contractant une action interrogatoire.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que :
      • En premier lieu, le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte.
      • En second lieu, l’écrit doit mentionner que, à défaut de réponse dans le délai imparti, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte.

2. Les parties subséquentes

Il est des cas où certaines personnes qui étaient des tiers au moment de la formation du contrat vont endosser la qualité de partie à l’acte en cours d’exécution.

Au nombre de ces personnes on compte :

?Les ayants cause à titre universel

  • Principe
    • Toutes les personnes qui ont vocation à recueillir la totalité ou une quote-part d’une succession ont vocation à se substituer au défunt pour devenir partie au contrat.
    • L’ouverture d’une succession opère, en effet, transfert de tous les droits réels et personnels dont était titulaire le de cujus vers les ayants cause
    • Ces derniers acquièrent alors, tant la titularité des créances que des dettes du de cujus.
  • Exception
    • Il est certaines hypothèses où les ayants cause à titre universel ne pourraient pas devenir partie au contrat en lieu et plus du contractant défunt.
    • Il en va notamment ainsi pour tous les contrats conclus « intuitus personae », soit en considération de la personne du de cujus.
    • En cas de décès de l’un des contractants, le contrat devient alors caduc.

?Les sociétés absorbantes ou fusionnantes

Lorsqu’une société fait l’objet de ce que l’on appelle une absorption, cette opération opère une transmission universelle du patrimoine de la société absorbé vers la société absorbante.

L’opération de fusion consiste quant à elle en la création d’une nouvelle personne morale, laquelle a vocation à recueillir à titre universel le patrimoine de sociétés fusionnées.

Manifestement dans ces deux cas, qu’il s’agisse de la société absorbante ou de la personne morale née de la fusion, elles ont vocation à se substituer respectivement à la société absorbée et aux sociétés fusionnées

Par voie de conséquence, elles devraient également endosser la qualité de partie au contrat pour tous ceux conclus par la société absorbée ou les sociétés fusionnées.

La Cour de cassation a eu l’occasion de statuer plusieurs fois en ce sens (V. notamment Cass. com. 25 mai 1987, n°85-94.968 ; Cass. 1ère civ. 4 mars 1981, n°80-14.123).

Même limite que pour les ayants cause à titre universel : cette règle ne vaut qu’à la condition que le contrat qui fait l’objet d’une substitution de parties n’ait pas été conclu intuitus personae (V. en ce sens Cass. com. 3 juin 2007, n°06-18.007).

?Le cessionnaire d’un contrat

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, la cession conventionnelle de contrat est consacrée.

L’article 1216 du Code civil prévoit, en ce sens que « un contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé. »

Ainsi, le cessionnaire devient-il partie au contrat en lieu et place du cédant.

L’article 1216-2 dispose, dans cette perspective, que :

  • Le cessionnaire peut opposer au cédé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Il ne peut lui opposer les exceptions personnelles au cédant.
  • Réciproquement, le cédé peut opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer au cédant.

Est-ce à dire que le cédant est totalement déchargé de toutes ses obligations ?

En application de l’article 1216-1, cela suppose que le cédé y ait expressément consenti.

À défaut, et sauf clause contraire, le cédant est tenu solidairement à l’exécution du contrat.

B) Tempérament : les groupes de contrats

En vertu de l’effet relatif, chaque contrat doit, en principe, être regardé comme autonome de sorte qu’il ne peut produire d’effet sur les autres contrats.

Quid néanmoins, de l’hypothèse où, par exemple, un même bien fait l’objet de plusieurs contrats de vente successifs ? Le vendeur initial doit-il être regardé comme un véritable tiers pour le sous-acquéreur ? Ou peut-on estimer qu’existe un lien contractuel indirect entre eux ?

C’est toute la question de l’application du principe de l’effet relatif dans les groupes de contrats.

Deux groupes de contrats doivent être distingués :

  • Les ensembles contractuels
    • Ils regroupent des contrats qui concourent à la réalisation d’une même opération
  • Les chaînes de contrats
    • Elles regroupent des contrats qui portent sur un même objet

1. Les ensembles contractuels

Les ensembles contractuels se rencontrent lorsqu’une opération économique suppose, pour sa réalisation, la conclusion de plusieurs contrats.

La question qui alors se pose est de savoir si l’anéantissement de l’un des contrats est susceptible d’affecter l’existence des autres contrats ?

Schématiquement, deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche stricte
    • Au nom d’une application stricte du principe de l’effet relatif, chaque contrat de l’ensemble ne devrait produire d’effets qu’à l’égard de ses contractants
    • Le sort de chacun des contrats ne devrait, en conséquence, être déterminé que par son propre contenu et non par les exceptions ou causes d’extinction susceptibles d’affecter les autres.
  • L’approche souple
    • Elle consiste à considérer que de la création d’un ensemble contractuel naît un lien d’indivisibilité entre les contrats, de sorte qu’ils seraient interdépendants
    • En raison de cette interdépendance, le sort des uns serait alors lié au sort des autres.

Après s’être arc-boutés sur une position pour le moins orthodoxe pendant des années, les tribunaux ont finalement opté pour l’approche souple. Ce mouvement ne s’est cependant pas opéré sans tâtonnements.

L’ordonnance du 10 février 2016 est venue parachever cette lente évolution jurisprudentielle.

a. L’évolution de la jurisprudence

La position de la jurisprudence sur les ensembles contractuels a radicalement changé après l’adoption de la loi n°78-22 du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit.

a.1 La rigueur de la position retenue par la jurisprudence avant la loi du 10 janvier 1978

Pendant longtemps, la jurisprudence a refusé de reconnaître l’existence d’un lien d’indivisibilité entre contrats conclus en vue de la réalisation d’une même opération économique.

Pour la Cour de cassation, dès lors qu’un contrat a été conclu distinctement d’un ou plusieurs autres actes, il jouit, en application du principe de l’effet relatif, d’une autonomie propre. Son sort ne saurait, en conséquence, être lié à d’autres contrats, nonobstant leur appartenance respective à un même ensemble contractuel.

La cour de cassation a notamment fait application de cette position dans un arrêt du 21 mars 1972 (Cass. com. 21 mars 1972, n°70-12.836)

Dans cette décision elle a estimé que la nullité de deux contrats de vente conclus par une société qui souhaitait acquérir des semi-remorques était insusceptible de fonder l’anéantissement du contrat de prêt, souscrit corrélativement par l’acheteur pour financer l’opération.

Pour la chambre commerciale, quand bien même l’annulation du contrat principal faisait perdre au contrat de financement toute son utilité, cela était sans effet sur sa validité, de sorte qu’il devait, malgré tout, être maintenu.

Pour que l’interdépendance entre ces deux contrats soit admise, cela supposait donc que les parties aient expressément stipulé, dans le contrat de prêt, que l’emprunt était destiné à financer l’opération principale.

Cass. com. 21 mars 1972

Sur le premier moyen : attendu que, selon les énonciations de l’arrêt attaque, la société Venassier passa commande a x… de deux semi-remorques à construire à partir de châssis nus ;

Que ladite société sollicita deux prêts, que lui accorda la société crédit industriel et financier (CIFA) pour financer ces deux acquisitions ;

Que le CIFA remit le montant de ces prêts, non pas au vendeur, mais a l’acquéreur, société Venassier ;

Que celle-ci fut peu après déclarée en état de règlement judiciaire ;

Que x…, n’ayant jamais reçu de quiconque le prix des deux semi-remorques vendues, ne les livra pas ;

Attendu qu’il est reproche à la cour d’appel d’avoir refusé de déclarer nuls les gages pris par le CIFA sur les véhicules, et d’avoir condamne x… a remettre ceux-ci à cet établissement financier qui se les verrait attribuer, dans la limite de ses créances, après évaluation a dire d’expert, sans répondre, selon le pourvoi, aux conclusions dudit x… faisant valoir que les ventes des deux véhicules et les contrats de financement les concernant étaient atteints de nullité d’ordre public pour avoir été conclus en infraction aux dispositions de la législation sur les ventes a crédit relatives à la délivrance par le vendeur a l’acquéreur d’une attestation conforme a la réglementation en vigueur ;

Mais attendu qu’après avoir, a bon droit, énonce que le contrat de prêt en vue de financer l’acquisition d’un véhicule automobile est distinct du contrat de vente, la cour d’appel, qui a considéré qu’en l’espèce le CIFA avait ignoré la nullité des ventes alléguées par x…, a déclaré que ce dernier était d’autant moins fondé dans ses prétentions que le CIFA n’avait pu inscrire son gage que grâce aux documents régulièrement établis et transmis par lui ;

Qu’ainsi, abstraction faite du motif erroné mais surabondant tire de l’absence de sanction civile frappant l’infraction aux règles concernant le plafond des prêts dans les ventes a crédit, l’arrêt a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;

Que le moyen n’est donc pas fondé ;

Jugeant la jurisprudence de la Cour de cassation dangereuse, le législateur est intervenu le 10 janvier 1978 pour y mettre un terme.

Pour ce faire, il a institué à l’ancien article L. 311-20, devenu L. 312-48 du Code de la consommation, la règle selon laquelle les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de l’exécution complète de la fourniture de biens ou services convenue au titre d’un contrat principal.

La portée de cette règle était, cependant, pour le moins restreinte. Elle n’avait été envisagée que pour les seuls crédits à la consommation.

Très vite les juridictions ont toutefois cherché à s’émanciper de cette restriction en faisait application du concept d’interdépendance contractuelle au-delà de la sphère du droit de la consommation.

a.2 L’assouplissement de la position retenue par la jurisprudence après la loi du 10 janvier 1978

Après l’adoption de la loi du 10 janvier 1978, les tribunaux se sont donc mis en quête d’une solution juridique pour lier le sort de plusieurs contrats distincts conclus en vue de la réalisation d’une même opération économique.

La première chose qui leur fallait trouver pour y parvenir était un fondement juridique sur lequel asseoir le concept d’indivisibilité contractuelle.

Dans le même temps la question des critères et des effets de l’indivisibilité s’est posé au juge, ce qui a donné lieu à de nombreuses hésitations jurisprudentielles.

i. La recherche d’un fondement au concept d’indivisibilité contractuelle

Aux fins de justifier l’existence d’une indivisibilité ou interdépendance entre plusieurs contrats ayant concouru à la réalisation d’une même opération, plusieurs fondements juridiques ont été envisagés par la Cour de cassation.

?La règle de l’accessoire

  • Exposé du fondement
    • Selon l’adage latin accessorium sequitur principal, devenu principe général du droit, l’accessoire suit le principal.
    • Cela signifie que l’on va regrouper différents actes ou faits juridiques autour d’un principal en leur appliquant à tous les régimes juridiques applicables à l’élément prépondérant.
    • Appliquée à des contrats interdépendants, cette règle permet de considérer que dans l’hypothèse où le contrat principal disparaîtrait, il s’ensuit un anéantissement des contrats conclus à titre accessoire
    • Tel est le fondement qui a été retenu par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 avril. 1987 (Cass. com. 7 avr. 1987, n°84-16.254).
  • Critique du fondement
    • L’inconvénient de la règle de l’accessoire est qu’elle ne permet de rendre compte de la notion d’indivisibilité que pour moitié
    • L’indivisibilité suggère, en effet, que le lien d’interdépendance qui unit plusieurs contrats est à double sens, soit qu’existe une certaine réciprocité entre contrats quant aux effets qu’ils produisent les uns sur les autres
    • La règle de l’accessoire ne permet pas d’envisager cette réciprocité.
    • L’anéantissement de l’un des contrats n’est susceptible de se répercuter sur les autres qu’à la condition que le fait générateur de cet anéantissement réside dans le contrat principal.
    • Dans l’hypothèse où c’est un contrat accessoire qui serait touché en premier, cela serait sans effet sur le contrat principal.
    • Ainsi, la règle de l’accessoire est-elle à sens unique.
    • Sans doute est-ce la raison pour laquelle cette règle n’a pas été retenue par la jurisprudence comme fondement de la notion d’indivisibilité.

Cass. com. 7 avr. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 9 mai 1984) que l’Etablissement national des invalides de la marine (ENIM) a été admis au passif du règlement judiciaire de la société Compagnie de navigation fruitière et de la Société navale de transports de conteneurs, converti ensuite en liquidation des biens, pour une somme de 4 198 680,12 francs au titre du privilège spécial sur les navires prévus par l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967, en raison des cotisations qui lui restaient dues, que la société Scheepshypotheebank et la société nationale Nederlanden Scheepshypotheebank (les banques), créancières des deux sociétés en liquidation des biens, ont formé une réclamation en contestant le privilège de l’ENIM ;

Attendu que les banques font grief à l’arrêt d’avoir déclaré que les créances de cotisations sociales de l’ENIM sont privilégiées par application de l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 alors, selon le pourvoi, que, d’une part, il résulte des dispositions conjuguées des articles 31-3° et 36 de la loi du 3 janvier 1967, et les privilèges étant de droit étroit, que l’ENIM ne saurait invoquer le privilège défini par l’article 31-3° de la loi, violé par conséquent par la cour d’appel ; alors que, d’autre part, si l’ENIM pouvait invoquer ce privilège, celui-ci ne pourrait jouer pour les cotisations de la Caisse de prévoyance, la cour d’appel n’ayant pu dire le contraire sans violer l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 et l’article 41 du décret n° 68-292 du 21 mars 1968 ;

Mais attendu que c’est à bon droit que l’arrêt déclare qu’il existe entre le contrat d’engagement et les cotisations sociales un rapport étroit et nécessaire de cause à effet tel que ces cotisations, comme les autres créances résultant du contrat d’engagement, bénéficient du privilège établi par les dispositions de l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?La notion de condition

  • Exposé du fondement
    • Dans des arrêts Sedri du 4 avril 1995, la Cour de cassation a justifié l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats en considérant qu’ils constituaient les uns pour les autres « une condition de leur existence » (Cass. com. 4 avr. 1995, n°93-14.585 et 93-15.671).
    • Autrement dit, l’efficacité de chaque contrat serait subordonnée à la réalisation d’une condition suspensive laquelle consisterait en l’exécution complète des autres actes.
  • Critique du fondement
    • La principale critique que l’on peut formuler à l’encontre de ce fondement est que, là encore, la notion de condition ne permet pas de rendre compte du lien d’indivisibilité qui se noue entre contrats interdépendants.
    • Conformément à l’article 1304 du Code civil « l’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain »
    • Selon cette définition, la condition s’apparente donc à un événement extérieur au contrat.
    • Tel n’est cependant pas le cas de l’indivisibilité qui consiste toujours en un lien qui unit plusieurs actes.
    • Or, l’existence de ce lien procède de leurs contenus respectifs et non de la réalisation d’un événement qui leur serait extérieur.
    • Au surplus, tandis que l’absence de réalisation d’une condition affecte seulement la formation du contrat, l’établissement d’une indivisibilité lie le sort des contrats, tant au niveau de leur formation qu’au niveau de leur exécution.
    • Pour toutes ces raisons, les notions de condition et d’indivisibilité ne se confondent pas.

?La notion d’obligation indivisible

  • Exposé du fondement
    • Dans certaines décisions, la Cour de cassation a cherché à justifier l’existence d’une indivisibilité contractuelle en se fondant sur la notion d’obligation indivisible.
    • La Cour de cassation s’est notamment prononcée en ce sens dans un arrêt du 13 mars 2008 où elle vise expressément l’ancien article 1218 du Code civil, siège de l’obligation indivisible (Cass. 1ère civ. 13 mars 2008, n°06-19.339).
  • Critique du fondement
    • L’inconvénient du choix de ce fondement est qu’il repose sur une confusion entre les notions d’obligation indivisible et d’indivisibilité contractuelle
      • L’obligation indivisible est celle qui comporte plusieurs débiteurs ou créanciers.
      • L’indivisibilité contractuelle consiste, quant à elle, en l’existence de liens qui créent une interdépendance entre plusieurs contrats
    • La notion d’obligation indivisible apparait de la sorte inadéquate pour rendre compte du phénomène de l’indivisibilité contractuelle.

?La notion de cause

  • Exposé du fondement
    • Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a fondé l’existence d’une invisibilité sur la notion de cause.
    • Pour ce faire, elle a estimé que la cause d’un contrat appartenant à un ensemble contractuel résidait dans la conclusion des autres contrats auquel il était lié.
    • L’anéantissement de d’un acte de l’ensemble emporterait dès lors disparition de la cause des autres et réciproquement.
    • Telle a notamment été la solution retenue par la troisième chambre civile qui, dans un arrêt du 3 mars 1993, a approuvé une Cour d’appel pour avoir décidé que « la vente du terrain sur lequel était bâtie l’usine, pour le prix d’un franc, était une condition de réalisation de l’opération, cette vente ne pouvant être dissociée de celle des bâtiments et de la reprise des dettes de la société X… par la société Cerinco, l’ensemble concernant la vente de l’entreprise de briqueterie formant un tout indivisible, et que cette vente permettant l’apurement des dettes et la poursuite de l’activité, M. X… avait grand intérêt à sa réalisation, tant à titre personnel pour éviter les poursuites de ses créanciers, qu’à titre d’actionnaire de la société X… dont il détenait avec son épouse près de la moitié des parts sociales, la cour d’appel a pu en déduire que dans le cadre de l’économie générale du contrat, la vente du terrain était causée et avait une contrepartie réelle » (Cass. 3e cvi. 3 mars 1993, n°91-15.613)
    • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 1er juillet 1997 où la Cour de cassation valide l’anéantissement en cascade de deux contrats, après avoir relevé que « les deux actes de vente et de prêt, qui avaient été passés le même jour par-devant le même notaire, étaient intimement liés, et en a déduit que les parties avaient entendu subordonner l’existence du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été conclu, de sorte que les deux contrats répondaient à une cause unique » (Cass. 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-15.642)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a, dans une décision du 15 février 2000, jugé s’agissant d’une opération de crédit-bail que « le crédit-bailleur était informé que le matériel pris à bail était destiné à être exploité par la société de publicité, qu’en tant que de besoin le crédit-bailleur autorisait cette exploitation, qu’il s’agissait d’un matériel très spécifique et que la seule cause du contrat de crédit-bail était constituée par le contrat de prestations d’images, ce dont il déduit que les deux contrats étaient interdépendants et, par suite, que l’exploitation devenant impossible du fait de la défaillance de la société de publicité, la résiliation du contrat de crédit-bail devait être prononcée » (Cass. com. 25 févr. 2000, n°97-19.793).
  • Critique du fondement
    • Le recours à la notion de cause pour justifier l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats n’a pas fait l’unanimité en doctrine.
    • Le principal reproche formulé à l’encontre de cette solution consiste à dire que la cause, au sens de l’ancien article 1131 du Code civil, doit être entendue objectivement.
    • Selon cette approche, la cause représente les motifs les plus proches qui ont animé les parties au moment de la formation du contrat, soit plus exactement la contrepartie pour laquelle elles se sont engagées
    • Aussi, cette conception est-elle incompatible avec la notion de d’indivisibilité.
    • La justification de l’existence d’une indivisibilité contractuelle au moyen de la notion de cause supposerait en effet que l’on admette qu’elle puisse être recherchée dans des motifs extrinsèques à l’acte : la conclusion d’un second contrat.
    • Selon l’approche objective, la cause de l’engagement des parties réside toutefois dans un élément qui doit nécessairement avoir été intégré dans le champ contractuel.
    • D’où la réticence de certains auteurs à fonder l’anéantissement en cascade de contrats qui appartiennent à un même ensemble sur la notion de cause.

ii. La recherche des critères du concept d’indivisibilité contractuelle

?Exposé des approches objectives et subjectives

Deux approches de la notion d’indivisibilité ont été envisagées par la jurisprudence : l’une objective, l’autre subjective :

  • L’approche subjective
    • Selon cette approche, l’indivisibilité contractuelle trouverait sa source dans la seule volonté des parties.
    • Cela signifie que pour établir l’existence d’une invisibilité entre plusieurs contrats, cela suppose de déterminer si les contractants ont voulu cette indivisibilité.
    • Si tel n’est pas le cas, quand bien même les contrats en cause auraient concouru à la réalisation d’une même opération économique, ils ne pourront pas être regardés comme formant un ensemble contractuel indivisible.
  • L’approche objective
    • Selon cette approche, l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats doit être appréciée, non pas au regard de la volonté des parties, mais en considération de la convergence de l’objet de chaque contrat
    • Autrement dit, peu importe que les contractants n’aient pas voulu rendre les contrats auxquels ils sont partie interdépendants.
    • L’indivisibilité desdits contrats est établie dès lors qu’ils participent à la réalisation d’une même opération économique.

?L’absence de position arrêtée de la jurisprudence

L’incertitude quant à l’adoption de l’approche subjective ou objective de l’indivisibilité résulte des arrêts Sedri rendu, le même jour, soit le 4 avril 1995 par la chambre commerciale.

Les arrêts Sédri
  • Premier arrêt Sedri
    • Dans ce premier arrêt, la Cour de cassation approuve une Cour d’appel pour avoir « fondé sa décision relative à l’indivisibilité des conventions sur la considération de chacune d’entre elles par les parties comme une condition de l’existence des autres et non pas sur la nature spécifique de l’objet loué par rapport aux utilisations envisagées » (Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-14.585 et n° 93-15.671).
    • Ainsi, la haute juridiction retient-elle une approche subjective de la notion d’indivisibilité.
    • Elle s’attache à rechercher l’intention des parties, lesquelles avait, en l’espèce, voulu rendre les contrats indivisibles.
  • Second arrêt Sedri
    • Dans cette décision, bien que rendue le même jour que le précédent arrêt, la Cour de cassation adopte une approche radicalement différente de la notion d’indivisibilité.
    • Elle approuve une Cour d’appel pour avoir déduit l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats après avoir seulement relevé que « les matériels et logiciels ne pouvaient avoir, sans modifications substantielles, d’autre usage que la communication par le réseau Sedri, que cette spécificité était connue de la société bailleresse et que celle-ci avait participé à l’élaboration de l’ensemble complexe ayant pour objet la mise en place et le financement du système de communication » (Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, c’est parce que les contrats concourraient à la réalisation d’une même opération économique qu’ils devaient être regardés comme indivisibles.
    • La haute juridiction ne semble pas vouloir faire, en l’espèce, de la volonté des parties le critère de l’indivisibilité.
    • Seule importe l’économie générale de l’ensemble contractuel soumis à son examen.

Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 30 juin 1993), que M. X… a conclu avec la société V Conseil application (société V Conseil) un contrat lui donnant accès, par l’intermédiaire d’un matériel et d’un logiciel spécifiques, au réseau télématique de la Société d’études, de développements et de recherches industrielles (société Sedri) en vue de la diffusion d’images d’information et de publicité dans son magasin ; que, pour le financement du matériel et du logiciel, sur proposition du représentant de la société V Conseil, M. X… a souscrit un projet de contrat de location auprès de la Compagnie générale de location (société CGL), laquelle a ensuite donné son acceptation, avec la garantie d’une assurance à la charge de la société Sedri pour le cas de dommages au matériel ou d’interruption dans le paiement des loyers par le locataire ; que la prise en charge des loyers par la société Sedri a été proposée à M. X… en contrepartie de la cession de droits sur certaines images publicitaires le concernant ; qu’en août et septembre 1990, la société Sedri, la société V Conseil et la compagnie d’assurances garantissant la société CGL ont été mises en liquidations judiciaires, à la suite desquelles la diffusion des images sur le réseau a été interrompue et la résiliation des contrats de prestations de services a été notifiée aux commerçants abonnés par le mandataire de justice représentant les sociétés ; que la société CGL a réclamé à M. X… la poursuite du règlement des loyers ;

Sur le premier et le second moyens, réunis, chacun étant pris en ses deux branches :

Attendu que la société CGL fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la cessation des services promis par la société Sedri entraînait résiliation du contrat de location du matériel et du logiciel, alors, selon le pourvoi, d’une part, que, devant la cour d’appel, le commerçant invoquait une indivisibilité objective liant le contrat de location du matériel télématique conclu entre la CGL et le commerçant, et le contrat d’adhésion souscrit par le commerçant auprès du centre serveur Sedri ; que la CGL, à l’inverse, faisait valoir l’absence de lien entre ces contrats ; qu’après avoir relevé qu’il n’existait pas d’indivisibilité subjective entre ces contrats, la cour d’appel a jugé qu’il existait en revanche, entre ceux-ci, des liens tels que la résiliation de l’un entraînait la résiliation de l’autre ; qu’en statuant ainsi, sans caractériser en quoi ces deux contrats auraient été liés par l’identité de leur objet ou par un rapport de dépendance juridique nécessaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 1er, et 1184 du Code civil ; alors, d’autre part, qu’elle a, ainsi, également privé sa décision de base légale au regard de l’article 1165 du Code civil ; alors, en outre, que l’obligation d’assurer la maintenance incombait non pas au loueur mais au locataire ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, qu’en toute hypothèse, l’obligation de maintenance porte sur l’entretien du matériel loué et non sur la fourniture des images délivrées par le centre serveur ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt relève que les matériels et logiciels ne pouvaient avoir, sans modifications substantielles, d’autre usage que la communication par le réseau Sedri, que cette spécificité était connue de la société bailleresse et que celle-ci avait participé à l’élaboration de l’ensemble complexe ayant pour objet la mise en place et le financement du système de communication ; qu’en déduisant de ces constatations l’indivisibilité entre les contrats souscrits par M. X… tant avec la société V Conseil et la société Sedri qu’avec la société CGL, la cour d’appel a légalement justifié sa décision, indépendamment des motifs critiqués par le second moyen qui sont surabondants ; que les moyens ne peuvent donc être accueillis en aucune de leurs branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Après les arrêts Sedri, l’incertitude quant à au critère de l’indivisibilité était de mise : quelle conception devait-on retenir ?

?L’adoption de l’approche objective

Dans une décision du 13 février 2007, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel pour avoir décidé que « les quatre contrats litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l’acquisition de ces licences par la société Faurecia n’ayant aucune raison d’être si le contrat de mise en œuvre n’était pas exécuté, la cour d’appel n’avait pas à relever que la société Oracle en était informée, dès lors que cette société avait elle-même conclu les quatre contrats concernés » (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Dans un arrêt du 15 février 2015, la Cour de cassation a semblé abonder dans le même sens en décidant qu’une clause de divisibilité des contrats devait être réputée non-écrite, dès lors qu’elle contrevenait à l’économie générale du contrat (Cass. com., 15 févr. 2000, n°97-19.793).

Dans cette décision, la chambre commerciale fait ainsi primer, l’existence d’une interdépendance objective des actes en cause sur la volonté des parties.

On en a alors déduit que les contractants ne pouvaient pas écarter l’indivisibilité contractuelle par le jeu de leur seule volonté.

Cette solution a été réitérée par la chambre commerciale à plusieurs reprises.

Dans un arrêt du 23 octobre 2007 elle reproche encore à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « s’il existait une indivisibilité entre les contrats de location et les contrats de prestation de services, au regard de l’économie générale de l’opération pour laquelle ces deux contrats avaient été conclus et si, en conséquence, le texte de la clause n’était pas en contradiction avec la finalité de cette opération, telle que résultant de la commune intention des parties » (Cass. com., 23 oct. 2007, n°06-19.976).

Cass. com., 13 févr. 2007

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Oracle :

Attendu que la société Oracle fait grief à l’arrêt d’avoir prononcé la résolution partielle du contrat de licences et la résiliation du contrat de formation en date du 29 mai 1998 aux torts de la société Oracle, constaté la résiliation des contrats de maintenance et de mise en oeuvre, et condamné en conséquence la société Oracle, d’une part, à garantir la société Faurecia de la condamnation de cette dernière à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus à compter du 1er mars 2002, d’autre part, à payer à la société Franfinance la somme de 3 381 566,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2001 et capitalisation des intérêts échus à compter du 11 janvier 2005, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu qu’ayant retenu que les quatre contrats litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l’acquisition de ces licences par la société Faurecia n’ayant aucune raison d’être si le contrat de mise en oeuvre n’était pas exécuté, la cour d’appel n’avait pas à relever que la société Oracle en était informée, dès lors que cette société avait elle-même conclu les quatre contrats concernés ; qu’ainsi l’arrêt n’encourt aucun des griefs formulés au moyen ; que ce dernier n’est pas fondé ;

?L’adoption de l’approche subjective

À l’inverse des décisions précédemment évoquées, dans un arrêt remarqué du 28 octobre 2010, la première chambre civile a approuvé une Cour d’appel pour avoir refusé de retenir l’existence d’une indivisibilité contractuelle après avoir relevé que « la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre » (Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2010, n°09-68.014).

Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2010

Sur le moyen unique :

Attendu que par contrat du 27 décembre 2001, Mme X… a commandé à la société Génération Online un produit appelé « Net in Pack », comprenant, pendant une durée de 36 mois, la création d’un site internet marchand, du matériel informatique, des services internet et des services d’assistance téléphonique et de maintenance de ce matériel dont le financement a été assuré par la souscription auprès de la société Factobail, le 7 janvier 2002, d’un contrat de location financière d’une durée de 36 mois stipulant un loyer mensuel de 196, 64 euros ; qu’à la suite de la liquidation judiciaire de la société Génération Online, prononcée par jugement du 18 juin 2002, cette société a cessé d’exécuter ses obligations ; que Mme X… a alors interrompu le paiement des mensualités du contrat de location financière ; que la société Factobail l’a assignée en paiement des sommes dues jusqu’au terme de ce contrat et que Mme X… a reconventionnellement sollicité l’annulation du contrat pour absence de cause, à défaut la constatation de sa caducité du fait de la liquidation judiciaire de la société Génération Online et de l’indivisibilité de ces deux contrats ;

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2008), d’avoir accueilli la demande de la société Factobail et rejeté la sienne, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que la cour d’appel a constaté que le contrat de location litigieux stipulait que les produits ayant été choisis par le locataire sous sa seule responsabilité et sans la participation du loueur, ce dernier mandatait le locataire pour exercer tout recours à l’encontre du fournisseur, que le loueur serait déchargé de toute responsabilité et de toute obligation à cet égard et que l’immobilisation temporaire des produits pour quelque cause que ce soit n’entraînerait aucune diminution de loyers ni indemnité ; qu’elle en a souverainement déduit que la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre ; qu’aucun des griefs n’est donc fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Comment interpréter cette fluctuation de la position de la Cour de cassation ?

Tandis que la doctrine est pendant longtemps est demeurée partagée pendant longtemps sur cette question, ce n’est que tardivement que la Cour de cassation a finalement décidé de trancher la question.

?L’interprétation doctrinale des tergiversations de la Cour de cassation

  • Pour certains auteurs, la position de la Cour de cassation serait assise sur la distinction entre :
    • D’une part,
      • Les contrats qui n’auraient pas de fonction économique propre lorsqu’ils sont envisagés séparément.
      • Dans cette hypothèse, c’est la conception objective qui primerait.
    • D’autre part,
      • Les contrats qui rempliraient une fonction économique propre, en ce sens que, quand bien même ils seraient conclus seuls, leur exécution serait pourvue d’une utilité économique.
  • Pour d’autres d’auteurs, l’absence de position bien arrêtée de la Cour de cassation sur la question du critère de la notion d’indivisibilité résulterait d’une divergence entre :
    • La première chambre civile : favorable à l’approche subjective
    • La chambre commerciale : partisane de l’approche objective

C’est dans ce contexte que, réunie en chambre mixte, la Cour de cassation a rendu simultanément deux arrêts en date du 17 mai 2013.

?La clarification de la position de la Cour de cassation

Deux interventions ont été nécessaires à la Cour de cassation pour clarifier sa position sur l’approche à adopter s’agissant de la notion d’indivisibilité.

  • Première intervention : les arrêts du 17 mai 2013
    • Dans deux décisions rendues le 17 mai 2013, la chambre mixte de la Cour de cassation a estimé que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants » de sorte que « sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » (Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013, n°11-22.768)
    • Ces deux arrêts ont été accompagnés par un communiqué de presse par lequel la Cour de cassation explique :
      • Tout d’abord, que les deux espèces soumises portent chacune sur un ensemble de contrats comprenant un contrat de référence assorti d’un contrat de location financière nécessaire à son exécution :
        • dans un cas, le contrat de référence était une convention de partenariat pour des diffusions publicitaires
        • dans l’autre cas, le contrat de référence était un contrat de télésauvegarde informatique
      • Ensuite, que dans chaque espèce, un cocontractant unique, pivot de l’opération, s’est engagé avec deux opérateurs distincts : le prestataire de service, d’une part, le bailleur financier, d’autre part de sorte que, à chaque fois, le contrat principal a été anéanti.
        • Dans la première affaire, la cour d’appel de Paris, retenant l’interdépendance des contrats, a écarté la clause de divisibilité stipulée par les parties et a prononcé la résiliation du contrat de location.
        • Dans la seconde affaire, la cour d’appel de Lyon, statuant comme cour de renvoi après une première cassation, a écarté, au contraire, l’interdépendance des conventions.
      • La Cour de cassation vient ici préciser les éléments caractérisant l’interdépendance contractuelle, en qualifiant d’interdépendants, qualification soumise à son contrôle, les contrats concomitants ou successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière.
      • Aussi, s’inspirant de la jurisprudence de la chambre commerciale, elle juge que sont réputées non écrites les clauses de divisibilité contractuelle inconciliables avec cette interdépendance.
      • La chambre mixte rejette en conséquence le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris et casse l’arrêt de la cour d’appel de Lyon.
    • Il peut être observé que, si ces deux arrêts retiennent indubitablement une approche objective de la notion d’indivisibilité, leur portée doit être tempérée par la précision « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière »
    • Ainsi, la Cour de cassation invite-t-elle à cantonner cette solution aux seuls ensembles contractuels au sein desquels figure un contrat de location financière.
    • Dans les autres cas, la volonté des parties semble prévaloir sur l’économie générale du contrat.

Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2011), que deux conventions de partenariat ont été signées, les 25 novembre 2004 et 8 avril 2005, entre la société Bar le Paris et la société Media vitrine, aux termes desquelles la seconde s’est engagée, d’une part, à installer chez la première un “réseau global de communication interactive”, par la mise en place d’un ensemble informatique et vidéo “avec un contenu interactif pour les clients et un contenu en diffusion médiatique”, contenant notamment des spots publicitaires dont la commercialisation devait assurer l’équilibre financier de l’ensemble, d’autre part, à lui verser une redevance de 900 euros hors taxes par mois, pendant une durée de quarante huit mois, la société Bar le Paris s’obligeant à garantir à la société Media vitrine l’exclusivité de l’exploitation du partenariat publicitaire, que, les 29 décembre 2004 et 4 janvier 2005, la société Leaseo, qui avait acquis de la société Cybervitrine le matériel nécessaire, a consenti à la société Bar le Paris la location de ce matériel, avec effet au 1er janvier 2005, pour une durée identique et moyennant le paiement d’un loyer mensuel de 1 000 euros hors taxes, que, le 5 janvier 2005, la société Leaseo a cédé le matériel à la société Siemens lease services, qui a apposé sa signature sur le contrat de location en qualité de bailleur substitué, que le système n’a jamais fonctionné de manière satisfaisante, que la société Siemens lease services a mis en demeure la société Bar le Paris de lui régler les loyers impayés, puis lui a notifié la résiliation du contrat faute de règlement des arriérés s’élevant à 10 166,60 euros et l’a assignée en paiement, que la société Bar le Paris a appelé en intervention forcée la société Cybervitrine et la société Techni force, anciennement dénommée la société Media vitrine, que la société Techni force et la société Cybervitrine ont été mises en liquidation judiciaire ;

Attendu que la société Siemens lease services fait grief à l’arrêt de prononcer, avec effet au 17 janvier 2007, la résiliation du contrat de partenariat, aux torts exclusifs de la société Media vitrine, ainsi que la résiliation du contrat de location, de condamner la société Bar le Paris à lui payer la somme de 3 588 euros, outre intérêts, et de rejeter le surplus de ses demandes, alors, selon le moyen, qu’hormis le cas où la loi le prévoit, il n’existe d’indivisibilité entre deux contrats juridiquement distincts que si les parties contractantes l’ont stipulée ; qu’en énonçant, à partir des éléments qu’elle énumère, que le contrat de location des 29 décembre 2004 et 4 janvier 2005 est indivisible du contrat de partenariat des 25 novembre 2004 et 8 avril 2005, quand elle constate qu’une clause du contrat de location stipule qu’il est « indépendant » du contrat de prestation de services (partenariat), la cour d’appel, qui refuse expressément d’appliquer cette clause et qui, par conséquent, ampute la convention qui la stipule de partie de son contenu, a violé les articles 1134, 1217 et 1218 du code civil, ensemble le principe de la force obligatoire des conventions ;

Mais attendu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Seconde intervention : les arrêts du 10 septembre 2015
    • Dans deux arrêts du 10 septembre 2015, la Cour de cassation a précisé sa position en s’appuyant, tant sur l’économie générale de l’opération que sur la volonté des parties
      • Dans le premier arrêt, elle a ainsi estimé que dans la mesure où « l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du code civil » (Cass. 1ère civ.10 sept. 2015, n° 14-13.658)
      • Dans le second arrêt, la première chambre civile approuve la Cour d’appel pour avoir retenu l’existence d’une indivisibilité contractuelle après avoir constaté « d’une part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur » (Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772).
    • Ainsi, la Cour de cassation combine-t-elle dans ces deux décisions les approches objectives et subjectives de l’indivisibilité de qui témoigne de sa volonté d’adopter une approche mixte de la notion.
    • Non sans hasard, la lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 nous révèle que c’est précisément cette approche de la notion d’indivisibilité qui a été retenue par le législateur.

 Cass. 1ère civ.10 sept. 2015, n° 14-13.658

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2013), que, suivant bon de commande du 23 octobre 2008, les époux X… qui avaient fait l’acquisition, moyennant le prix de 22 600 euros, d’un toit photovoltaïque auprès de la société BSP Groupe VPF, actuellement en liquidation judiciaire, en recourant à un emprunt du même montant consenti par la société Groupe Sofemo (le prêteur), ont assigné le vendeur et le prêteur en résolution des contrats de vente et de crédit, alléguant que le matériel commandé n’avait été ni intégralement livré ni installé ;

Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :

Attendu que le prêteur fait grief à l’arrêt de prononcer la résolution du contrat de crédit après avoir prononcé celle du contrat de vente, de rejeter sa demande reconventionnelle en remboursement du prêt ainsi que de le condamner à restituer aux époux X… les mensualités par eux acquittées et à procéder à leur radiation du fichier national des incidents de paiement, en se déterminant par des motifs impropres à établir l’accord du prêteur pour déroger à la clause du contrat de crédit excluant les articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation si l’opération de crédit dépassait 21 500 euros ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du code civil ; que, par ce motif de pur droit, substitué au motif justement critiqué par le premier moyen, l’arrêt se trouve légalement justifié ; […]

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 février 2014), que, suivant offre préalable acceptée le 13 juin 2007, la société Financo (la banque) a consenti à M. et Mme X…un prêt d’un montant de 32 000 euros destiné à financer l’acquisition et l’installation d’une éolienne vendue par la société France éoliennes ; que ceux-ci ont assigné la banque et Mme Y…, ès qualités, aux fins de voir prononcer la résolution du contrat de vente et la caducité du contrat de prêt ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que la banque fait grief à l’arrêt de constater la résolution du contrat de prêt après avoir prononcé celle du contrat de vente, alors, selon le moyen :

1°/ que sont exclus du champ d’application du chapitre relatif aux crédits à la consommation les prêts d’un montant supérieur à 21 500 euros ; que la cour d’appel a constaté que l’offre préalable de crédit n’était pas soumise aux dispositions du code de la consommation compte tenu du montant du crédit accordé ; d’où il suit qu’en décidant que la résolution du contrat principal entraînait la résolution du contrat de crédit, quand la banque rappelait cependant dans ses conclusions qu’il ne saurait y avoir lieu à résolution du contrat faute de disposition analogue en droit commun à celle du droit consumériste, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 311-3, L. 311-20 et D. 311-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable au litige ;

2°/ que la cause de l’obligation de l’emprunteur résidant dans la mise à disposition du montant du prêt, viole l’article 1131 du code civil la cour d’appel qui constate la résolution du contrat de prêt, non soumis aux articles L. 311-3, L. 311-20 et D. 311-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable au litige, en conséquence de la résolution du contrat principal de vente, quand bien même le prêt litigieux eût été affecté à l’achat d’un bien déterminé, dès lors qu’il n’était pas prétendu que le vendeur et le prêteur avaient agi de concert ;

Mais attendu que la cour d’appel, qui n’a pas appliqué les dispositions du code de la consommation, a fait ressortir l’indivisibilité des contrats litigieux en énonçant, d’une part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur ; qu’elle en a justement déduit que la résolution du contrat principal emportait l’anéantissement du contrat accessoire ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

iii. La détermination des effets de l’indivisibilité contractuelle

En plus de s’être interrogé sur les fondements et les critères de la notion d’indivisibilité, la jurisprudence a éprouvé un certain nombre de difficultés à en déterminer les effets ?

Plusieurs sanctions ont été envisagées en cas de reconnaissance d’une indivisibilité contractuelle :

  • La nullité
    • Telle a été la solution retenue dans un arrêt du 18 juin 1991, la chambre commerciale ayant validé la décision d’une Cour d’appel pour avoir « souverainement, estimé que les commandes émanant de cette société, bien que passées distinctement en deux lots, n’en étaient pas moins, au su de la société BP Conseils, déterminée par des considérations globales de coûts et, comme telles, indivisibles ; que, par ces seuls motifs, elle a pu décider que l’importante majoration de prix, que la société BP Conseils a tenté d’imposer à posteriori sur le dernier lot, remettait en cause les considérations communes sur le prix total et justifiait une annulation des deux commandes » (Cass. com. 18 juin 1991, n°89-18.691).
  • La résolution
    • Dans les arrêts du 10 septembre 2015, la Cour de cassation considère que la résolution de la vente emportait la résolution du contrat de prêt (Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772)
    • À l’instar de la nullité la résolution d’un acte est assortie d’un effet rétroactif, de sorte que l’anéantissement en cascade des contrats appartenant à l’ensemble donnera lieu à des restitutions.
  • La résiliation
    • Dans d’autres décisions, la Cour de cassation a retenu comme sanction de l’anéantissement du contrat principal la résiliation des actes auxquels il était lié.
    • Elle a notamment statué en ce sens dans les arrêts Sedri du 4 avril 1995.
    • Dans l’un d’eux, elle a considéré par exemple que la cessation des services promis par la société Sedri entraînait résiliation du contrat de location du matériel et du logiciel souscrit concomitamment par son cocontractant (Cass. com. 4 avr. 1995, n°93-14.585 et 93-15.671).
  • La caducité
    • Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a retenu la caducité pour sanctionner l’anéantissement d’un contrat appartenant à un ensemble.
    • Dans une décision du 1er juillet 1997 elle a décidé en ce sens que « l’annulation du contrat de vente avait entraîné la caducité du prêt » (Cass. 1ère civ. 1èr juill. 1997, n°95-15.642).
    • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 4 avril 2006 à l’occasion duquel la première chambre civile a estimé « qu’ayant souverainement retenu que les deux conventions constituaient un ensemble contractuel indivisible, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la résiliation du contrat d’exploitation avait entraîné la caducité du contrat d’approvisionnement » (Cass. 1ère civ. 4 avr. 2006, n°02-18.277l).
    • La chambre commerciale a abondé dans le même sens dans un arrêt du 5 juin 2007.
    • Dans cette décision, elle a jugé que « alors que la résiliation des contrats de location et de maintenance n’entraîne pas, lorsque ces contrats constituent un ensemble contractuel complexe et indivisible, la résolution du contrat de vente mais seulement sa caducité » (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380).

La lecture de toutes ces décisions révèle que la Cour de cassation n’a jamais vraiment eu de position bien définie sur les effets de l’indivisibilité contractuelle.

Aussi, l’intervention du législateur se faisait-elle attendre. Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 il n’a pas manqué de se prononcer sur les effets de l’indivisibilité et plus généralement d’offrir aux ensembles contractuels le cadre juridique dont, jusqu’alors, ils étaient dépourvus.

b. L’intervention du législateur

La réforme des obligations engagée en 2016 a fourni l’occasion au législateur de faire rentrer dans le Code civil le concept d’ensemble contractuel.

Le nouvel article 1186 du Code civil prévoit ainsi à son alinéa 2 que « lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. »

La règle est désormais posée : l’anéantissement d’un acte qui appartient à un ensemble contractuel entraîne consécutivement la disparition des autres.

Quels enseignements tirer de l’édiction de cette nouvelle règle ? Ils sont au nombre de trois :

b.1 L’autonomie de la notion d’indivisibilité

Jusqu’alors, la jurisprudence s’était employée à trouver un fondement juridique au concept d’indivisibilité contractuelle, tantôt en le rattachant à la notion cause, tantôt à la notion de condition ou encore à la notion d’obligation indivisible.

Le législateur ayant consacré les ensembles contractuels, cette quête est devenue inutile.

Aussi, l’indivisibilité constitue-t-elle dorénavant une notion autonome qui dispose d’un fondement juridique qui lui propre : l’alinéa 2 de l’article 1186 du Code civil.

Nul n’est dès lors plus besoin de chercher à dévoyer les notions de cause – disparue – ou de conditions pour justifier l’anéantissement en cascade de plusieurs contrats en raison de leur appartenance à un même ensemble.

Il suffit désormais d’établir que lesdits contrats forment un tout indivisible.

b.2 Les critères de la notion d’indivisibilité

Il ressort de l’article 1186, al. 2 du code civil que, semblablement à la Cour de cassation dans ces dernières décisions, le législateur a combiné le critère objectif et le critère subjectif pour définir l’indivisibilité.

  • Le critère objectif
    • La reconnaissance d’une indivisibilité suppose :
      • D’une part, que plusieurs contrats aient été « nécessaires à la réalisation d’une même opération »
      • D’autre part, que l’un d’eux ait disparu
      • Enfin, que l’exécution ait été « rendue impossible par cette disparition »
    • Ces trois éléments doivent être établis pour que le premier critère objectif soit rempli, étant précisé qu’ils sont exigés cumulativement.
  • Le critère subjectif
    • Principe
      • La deuxième partie de l’alinéa 2 de l’article 1186 précise que l’indivisibilité peut encore être établie dans l’hypothèse où les contrats « pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie »
      • Ainsi l’indivisibilité contractuelle peut-elle résulter, en plus de l’économie générale de l’opération, de la volonté des parties.
      • Dès lors, que les contractants ont voulu rendre plusieurs contrats indivisibles, le juge est tenu d’en tirer toutes les conséquences qu’en aux événements susceptibles d’affecter l’un des actes composant l’ensemble.
    • Condition
      • L’alinéa 3 de l’article 1186 du Code civil pose une condition à l’application du critère subjectif
      • Aux termes de cette disposition, « la caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »
      • L’anéantissement des contrats liés au contrat affecté par une cause de disparition est donc subordonné à la connaissance par les différents cocontractants de l’existence de l’ensemble, soit que les contrats auxquels ils sont partie concourraient à la réalisation d’une même opération économique.

b.3 Les effets de l’indivisibilité

Les effets de l’indivisibilité sont très clairement posés par l’article 1186 du Code civil : la caducité.

Plus précisément, la disparition de l’un des contrats de l’ensemble entraîne consécutivement la caducité des autres.

i. Absence de définition de la caducité

La caducité fait partie de ces notions juridiques auxquelles le législateur et le juge font régulièrement référence sans qu’il existe pour autant de définition arrêtée.

Si, quelques études lui ont bien été consacrées[1], elles sont si peu nombreuses que le sujet est encore loin d’être épuisé. En dépit du faible intérêt qu’elle suscite, les auteurs ne manquent pas de qualificatifs pour décrire ce que la caducité est supposée être.

Ainsi, pour certains, l’acte caduc s’apparenterait à « un fruit parfaitement mûr […] tombé faute d’avoir été cueilli en son temps »[2]. Pour d’autres, la caducité évoque « l’automne d’un acte juridique, une mort lente et sans douleur »[3]. D’autres encore voient dans cette dernière un acte juridique frappé accidentellement de « stérilité »[4].

L’idée générale qui ressort de ces descriptions est que l’action du temps aurait eu raison de l’acte caduc, de sorte qu’il s’en trouverait privé d’effet.

ii. Caducité et nullité

De ce point de vue, la caducité se rapproche de la nullité, qui a également pour conséquence l’anéantissement de l’acte qu’elle affecte. Est-ce à dire que les deux notions se confondent ? Assurément non.

C’est précisément en s’appuyant sur la différence qui existe entre les deux que les auteurs définissent la caducité.

Tandis que la nullité sanctionnerait l’absence d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation, la caducité s’identifierait, quant à elle, à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence.

La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances. Cette différence d’objet ne saurait toutefois occulter les rapports étroits qu’entretiennent les deux notions, ne serait-ce parce que le vice qui affecte l’acte caduc aurait tout aussi bien pu être source de nullité s’il était apparu lors de la formation dudit acte. Sans doute est-ce d’ailleurs là l’une des raisons du regain d’intérêt pour la caducité ces dernières années.

iii. Origine

Lorsqu’elle a été introduite dans le Code civil, l’usage de cette notion est limité au domaine des libéralités. Plus précisément, il est recouru à la caducité pour sanctionner la défaillance de l’une des conditions exigées pour que le legs, la donation ou le testament puisse prospérer utilement telles la survie[5], la capacité [6] du bénéficiaire ou bien encore la non-disparition du bien légué[7].

Ce cantonnement de la caducité au domaine des actes à titre gratuit s’estompe peu à peu avec les métamorphoses que connaît le droit des contrats. Comme le souligne Véronique Wester-Ouisse « alors que la formation du contrat était le seul souci réel des rédacteurs du Code civil, le contrat, aujourd’hui, est davantage examiné au stade de son exécution »[8]. L’appropriation de la notion de caducité par les spécialistes du droit des contrats prend, dans ces conditions, tout son sens[9].

Aussi, cela s’est-il traduit par la consécration de la caducité dans l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[10].

iv. Intervention du législateur

La lecture de l’article 1186 du Code civil révèle que le législateur a donc repris in extenso la définition de la caducité.

Aux termes de l’alinéa 1er de cette disposition « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. »

Il ressort de cette définition que :

  • D’une part, la caducité ne peut affecter qu’un acte qui a été régulièrement accompli
  • D’autre part, elle suppose que l’acte anéanti ait perdu l’un des éléments essentiels à son existence

Telles sont les deux conditions cumulatives qui doivent être réunies pour qu’un contrat puisse être frappé de caducité.

v. Les conditions de la caducité

?L’exigence d’un acte valablement formé

Si l’article 1186 prévoit que pour encourir la caducité le contrat doit avoir été valablement formé.

Aussi, cela signifie-t-il qu’il ne doit, ni avoir été annulé, ni avoir fait l’objet d’une résolution.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir s’il est nécessaire que la nullité du contrat ou sa résolution aient été constatées en justice ou s’il suffit qu’il soit seulement annulable ou susceptible de faire l’objet d’une résolution.

L’article 1186 ne le dit pas, de sorte qu’il appartient à la jurisprudence de se prononcer sur ce point.

?L’exigence de disparition d’un élément essentiel de l’acte

L’article 1186 subordonne la caducité à la disparition de l’un de ses éléments essentiels du contrat.

À la lecture de cette condition, deux difficultés surviennent immédiatement :

  • Première difficulté
    • L’article 1186 se garde de bien de dire ce que l’on doit entendre par « éléments essentiels ».
    • Faut-il limiter le périmètre de la notion d’« éléments essentiels » aux seules conditions de validité du contrat ou doit-on l’étendre aux éléments qui conditionnent son exécution ?
    • Selon les auteurs, c’est vers une approche restrictive de la notion que l’on devrait se tourner.
    • Au soutien de cet argument est notamment convoqué le nouvel article 1114 du Code civil qui associe la notion d’« éléments essentiels » à l’offre contractuelle, soit au contenu du contrat.
  • Seconde difficulté
    • Une seconde difficulté naît de la lecture de l’article 1186 en ce qu’il ne dit pas si la disparition de l’un des éléments essentiels du contrat doit être volontaire ou involontaire.
    • Jusqu’alors, les auteurs ont toujours considéré qu’un acte ne pouvait être frappé de caducité qu’à la condition que la disparition de l’un de ses éléments essentiels soit indépendante de la volonté des parties.
    • Admettre le contraire reviendrait, selon eux, à conférer aux contractants un pouvoir de rupture unilatérale du contrat
    • Aussi, cela porterait-il directement atteinte au principe du mutus dissensus.
    • Encore un point sur lequel il appartiendra à la jurisprudence de se prononcer.

vi. Les effets de la caducité

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité produit deux effets : d’une part, elle met fin au contrat et, d’autre part, elle peut donner lieu à des restitutions

?L’anéantissement du contrat

En prévoyant que « la caducité met fin au contrat », l’article 1187 du Code civil soulève deux difficultés : la première tient à la prise d’effet de la caducité, la seconde à sa rétroactivité :

  • La prise d’effet de la caducité
    • Faut-il pour que la caducité prenne effet qu’elle soit constatée par un juge ou peut-elle être acquise de plein droit, soit par la seule prise d’initiative d’un des contractants ?
    • L’article 1187 est silencieux sur ce point.
    • Doit-on, sans ces conditions, se risquer à faire un parallèle avec la résolution ou la nullité ?
      • Si l’on tourne vers la résolution, l’article 1224 dispose que cette sanction devient efficace
        • Soit par l’application d’une clause résolutoire
        • Soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur
        • Soit d’une décision de justice
      • Si l’on se tourne vers la nullité, l’article 1178 prévoit sensiblement la même chose puisqu’elle peut
        • Soit être prononcée par le juge
        • Soit être constatée d’un commun accord par les parties
    • Manifestement, aucun texte ne paraît subordonner l’efficacité de la caducité à sa constatation par un juge
    • Aussi, le silence de l’article 1187 combiné aux dispositions qui régissent la résolution et la nullité laisse à penser que la caducité pourrait être acquise par l’effet de la seule initiative de l’une des parties, ce, à plus forte raison si elles y ont consenti d’un commun accord.
  • La rétroactivité de la caducité
    • S’il ne fait aucun doute que la caducité anéantit le contrat qu’elle affecte pour l’avenir, l’article 1187 ne dit pas s’il en va de même pour ses effets passés.
      • D’un côté, l’alinéa 1er de l’article 1187 prévoit que la caducité « met fin au contrat », de sorte que l’on pourrait être enclin à penser que seuls les effets futurs du contrat sont anéantis.
      • D’un autre côté, l’alinéa 2 de cette même disposition envisage la possibilité pour les parties de solliciter un retour au statu quo ante par le jeu des restitutions, ce qui suggérerait dès lors que la caducité puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • Comment comprendre l’articulation de ces deux alinéas dont il n’est pas illégitime de penser qu’ils sont porteurs du germe de la contradiction ?
    • La caducité doit-elle être assortie d’un effet rétroactif ou cette possibilité doit-elle être exclue ?
    • Pour le déterminer, revenons un instant sur la définition de la caducité.
    • Selon Gérard Cornu la caducité consisterait en l’« état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte »[11].
    • Autrement dit, l’acte caduc est réduit à néant ; il est censé n’avoir jamais existé.
    • S’il est incontestable que l’acte caduc doit être supprimé de l’ordonnancement juridique en raison de la perte d’un élément essentiel l’empêchant de prospérer utilement, rien ne justifie pour autant qu’il fasse l’objet d’un anéantissement rétroactif.
    • Pourquoi vouloir anéantir l’acte caduc rétroactivement, soit faire comme s’il n’avait jamais existé, alors qu’il était parfaitement valable au moment de sa formation ? Cela n’a pas grand sens.
    • Dès lors qu’un acte est valablement formé, il produit des effets sur lesquels on ne doit plus pouvoir revenir, sauf à nier une situation juridiquement établie[12].
    • Au vrai, l’erreur commise par les partisans de la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité vient de la confusion qui est faite entre la validité de l’acte juridique et son efficacité.
    • Ces deux questions doivent cependant être distinguées.
    • La seule condition qui doit être remplie pour qu’un acte soit valable, c’est que, tant son contenu, que ses modalités d’édiction soient conformes aux normes qui lui sont supérieures.
    • On peut en déduire que la validité d’un acte ne se confond pas avec son efficacité.
    • Si tel était le cas, cela reviendrait à remettre en cause sa validité à chaque fois que la norme dont il est porteur est violée.
    • Or comme l’a démontré Denys de Béchillon « une norme juridique ne cesse pas d’être juridique lorsqu’elle n’est pas respectée »[13].
    • L’inefficacité de l’acte caduc se distingue certes de l’hypothèse précitée en ce qu’elle est irréversible et n’a pas le même fait générateur.
    • Elle s’en rapproche néanmoins dans la mesure où, d’une part, elle s’apprécie au niveau de l’exécution de l’acte et, d’autre part, elle consiste en une inopérance de ses effets.
    • Ainsi, les conséquences que l’on peut tirer de la caducité d’un acte sont les mêmes que celles qui peuvent être déduites du non-respect d’une norme : l’inefficacité qui les atteint ne conditionne nullement leur validité.
    • D’où l’impossibilité logique d’anéantir rétroactivement l’acte ou la norme qui font l’objet de pareille inefficacité.
    • En conclusion, nous ne pensons pas qu’il faille envisager que la caducité d’un contrat puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • L’alinéa 2 de l’article 1187 du Code civil peut être compris comme confirmant cette thèse.
    • Il peut être déduit de l’utilisation, dans cet alinéa, du verbe « peut » et de non « doit » que le législateur a, en offrant la possibilité aux parties de solliciter des restitutions, posé une exception au principe de non-rétroactivité institué à l’alinéa 1er de l’article 1187 du Code civil.
    • Aussi, dans l’hypothèse où l’une des parties à l’acte formulerait une demande de restitutions en justice, il n’est pas à exclure que le juge, alors même qu’il constatera la caducité du contrat, ne fasse pas droit à sa demande estimant qu’il ressort de la lettre de l’article 1187 que les restitutions sont facultatives.

?Les restitutions

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité « peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ».

En application de ces articles, plusieurs règles doivent être observées en matière de restitutions dont les principales sont les suivantes :

D’abord, la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution (art. 1352 C. civ.).

Ensuite, La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie (art. 1352-8 C. civ.).

Enfin, la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée (art. 1352-3 C. civ.).

2. Les chaînes de contrats

Contrairement aux ensembles contractuels qui regroupent des actes qui concourent à la réalisation d’une même opération, les chaînes de contrats sont constituées d’actes qui portent sur un même objet.

Exemple : un contrat de vente est conclu entre A et B, puis entre B et C. La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de vice affectant la chose, le sous-acquéreur dispose d’une action contre le vendeur initial ?

A priori, le principe de l’effet relatif interdit au sous-acquéreur d’agir contre le vendeur initial dans la mesure où ils ne sont liés par aucun contrat. L’acquéreur fait écran entre ce que l’on appelle les « contractants extrêmes » lesquels sont des tiers l’un pour l’autre.

Aussi, une action du sous-acquéreur contre le vendeur initial ne semble pas envisageable, à plus forte raison si elle est engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Tel n’est cependant pas ce qui a été décidé par la jurisprudence qui a connu une longue évolution.

2.1 Première étape : la distinction entre les chaînes de contrats homogènes et les chaînes hétérogènes

Pour déterminer si le, sous-acquéreur était fondé à agir contre le vendeur initial, la Cour de cassation a, dans un premier temps, distingué selon que l’on était en présence d’une chaîne de contrat homogène ou hétérogène.

a. Notion

  • La chaîne de contrats homogène est celle qui est formée d’actes de même nature (plusieurs ventes successives)
  • La chaîne de contrats hétérogène est celle qui est formée de plusieurs contrats de nature différente (vente et entreprise)

b. Application

i. Pour les chaînes de contrats homogènes

?Première étape : l’indifférence du fondement

La Cour de cassation a pendant longtemps estimé que le sous-acquéreur disposait d’une option en ce sens qu’il pouvait agir contre le vendeur initial, soit sur le terrain de la responsabilité contractuelle, soit sur le terrain de la responsabilité délictuelle (V. en ce sens Cass. civ. 25 janv. 1820).

L’idée était de permettre au sous-acquéreur de ne pas demeurer sans recours dans l’hypothèse où une stipulation contractuelle l’empêcherait d’agir contre son propre vendeur.

?Deuxième étape : la responsabilité contractuelle

Considérant que l’option laissée au sous-acquéreur quant au choix du fondement de l’action dirigée contre le vendeur initial constituait une atteinte au principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt Lamborghini du 9 octobre 1979

La première chambre civile a estimé dans cette décision que « l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1979, n°78-12.502).

Cette solution repose sur l’idée que l’action dont dispose l’acquéreur contre le vendeur initial serait transmise au sous-acquéreur lors du transfert de propriété de la chose, ce qui justifie que ce dernier puisse agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

En somme l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le vendeur initial est fondée sur la théorie de l’accessoire.

Cass. 1ère civ. 9 oct. 1979

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1147 et 1648 du code civil;

Attendu que, selon les juges du fond, constant, ayant acquis le 5 septembre 1968, de Landrau, garagiste, une automobile d’occasion de marque Lamborghini, modèle <400 ct>, a provoqué le 15 septembre suivant un accident dont l’expertise a révélé qu’il était du a la rupture d’une pièce de la suspension arrière résultant d’un vice de construction, reconnu par le constructeur, qui avait, le 8 mai 1967, adresse à ce sujet une note a tous ses agents en indiquant la manière de remédier au défaut constate sur ce modèle;

Que la société des voitures paris-monceau, importateur en France des véhicules de marque Lamborghini, qui avait assure l’entretien de l’automobile litigieuse pendant un certain temps, pour le compte d’un précèdent propriétaire, n’a pas méconnu avoir reçu les instructions de la société Lamborghini, mais n’a pas procédé a la réparation préconisée par le constructeur; que constant et son assureur, l’uap, ayant assigne la société Lamborghini, Landrau et la société des voitures paris-monceau sur le fondement des articles 1147 et 1582 et suivants du code civil, Landrau a appelé en garantie la société des voitures paris-monceau;

Que le tribunal a condamné in solidum les trois défendeurs envers constant et l’Uap, en précisant que dans leurs rapports, ils supporteraient cette condamnation a raison des 3/6 a la charge de la société Lamborghini, responsable du vice de fabrication, des 2/6 a la charge de la société des voitures paris-monceau, pour n’avoir pas fait la réparation demandée par le constructeur, et de 1/6 a la charge de Landrau, en sa qualité de vendeur professionnel;

Que la cour d’appel pour confirmer la condamnation prononcée contre les sociétés Lamborghini et paris-monceau et décider qu’elles seraient tenues chacune par moitié, s’est fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle et a déclaré ces deux sociétés responsables a l’égard de constant et de son assureur, par application de l’article 1383 du code civil;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle, et qu’il appartenait des lors aux juges du fond de rechercher, comme il leur était demandé, si l’action avait été intentée dans le bref délai prévu par la loi, la cour d’appel a violé les textes susvisés;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu entre les parties le 20 décembre 1977 par la cour d’appel de paris; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.

ii. Pour les chaînes de contrats hétérogènes

Un conflit s’est noué entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation lesquelles ne se sont pas entendues sur la nature de l’action dont disposait le contractant en bout de chaîne (maître d’ouvrage) contre le premier (fabricant).

Cette opposition entre les deux chambres a provoqué l’intervention, par la suite, de l’assemblée plénière.

?Position de la première chambre civile

Dans un arrêt du 29 mai 1984, la première chambre civile s’est prononcée en faveur de la nature contractuelle de l’action (Cass. 1ère civ. 29 mai 1984, n°82-14.875).

Elle a estimé en ce sens que le maître d’ouvrage « dispose contre le fabricant de matériaux posés par son entrepreneur d’une action directe pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de nature contractuelle ».

Il s’agissait en l’espèce d’un contrat de vente suivi d’un contrat d’entreprise.

La première chambre civile retient manifestement ici la même solution que celle qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Lamborghini qui portait sur une chaîne de contrats homogène.

Cass. 1ère civ. 29 mai 1984

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : vu les articles 1147 et 1648 du code civil ;

Attendu que Mme z… et Mlle Meyniel a… x… d’une maison, avaient fait recouvrir en 1966 la toiture de celle-ci de tuiles par un entrepreneur ;

Que lesdites tuiles s’étant révélées gélives, les copropriétaires ont assigne en réparation de leur préjudice le fabricant de ce matériau, la société Perrusson-Rhomer qui avait vendu les tuiles a l’entrepreneur ;

Que pour accueillir leur demande, la cour d’appel, qui s’est referee a son précèdent arrêt du 15 juin 1981, a fait application des principes relatifs à la responsabilité quasi-délictuelle ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le maitre de y… dispose contre le fabricant de matériaux poses par son entrepreneur d’une action directe pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de nature contractuelle ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer ni sur les deux autres branches du premier moyen, ni sur le second moyen : CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu le 19 avril 1982, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ;

?Position de la troisième chambre civile

Dans un arrêt rendu sensiblement à la même époque, soit le 19 juin 1984, la troisième chambre civile s’est radicalement opposée à la première chambre civile (Cass. 3e civ. 19 juin 1984, n°83-10.901).

Elle a, en effet, validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir relevé que « par suite d’une conception défectueuse, les tuiles fabriquées par la société Lambert Céramique n’étaient pas horizontales dans le sens transversal, vice qui ne pouvait être décelé et qui était l’unique cause des désordres affectant la toiture […] par ces seuls motifs caractérisant, en dehors de tout contrat, la faute commise et sa relation de causalité avec le dommage, [elle] a pu retenir la responsabilité du fabricant même en l’absence de lien de droit direct avec le maître de l’ouvrage ».

Pour la troisième chambre civile, l’action dont dispose le maître de l’ouvrage contre le fabricant est de nature délictuelle, car « en dehors de tout contrat ».

Cass. 3e civ. 19 juin 1984

Sur le moyen unique :

Attendu que selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 6 décembre 1982) M. Y… a fait réaliser la couverture de sa villa par l’entrepreneur M. X… qui a utilisé des tuiles, fournies par les établissements Grisard et fabriquées par la Tuilerie des Mureaux aux droits et obligations de laquelle vient la société Lambert Céramique ; qu’à la suite d’infiltrations d’eau, le maître de l’ouvrage a assigné le fabricant en réparation du dommage ; que l’Union fédérale des consommateurs de la Savoie est intervenue volontairement en cause d’appel ;

Attendu que le fabricant fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré recevables les demandes du maître de l’ouvrage et de l’intervenante tendant au paiement de dommages-intérêts et de sommes non comprises dans les dépens alors, selon le moyen, “que l’action en garantie des vices cachés contre le fabricant est de nature contractuelle, que le contrat d’entreprise n’étant pas un contrat de vente, le maître de l’ouvrage n’est pas acquéreur des matériaux et ne bénéficie pas, en tant que sous-acquéreur, de la garantie des vendeurs successifs ; que, dès lors, la Cour d’appel, qui a relevé l’absence d’un lien de droit direct entre la société Lambert Céramique et M. Y…, n’a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s’imposent en déclarant recevable l’action en garantie de celui-ci et a ainsi violé l’article 1641 du Code civil” ;

Mais attendu que l’arrêt retient que par suite d’une conception défectueuse, les tuiles fabriquées par la société Lambert Céramique n’étaient pas horizontales dans le sens transversal, vice qui ne pouvait être décelé et qui était l’unique cause des désordres affectant la toiture ; que, par ces seuls motifs caractérisant, en dehors de tout contrat, la faute commise et sa relation de causalité avec le dommage, la Cour d’appel a pu retenu la responsabilité du fabricant même en l’absence de lien de droit direct avec le maître de l’ouvrage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 6 décembre 1982 par la Cour d’appel de Chambéry.

?Intervention de l’assemblée plénière

Cette opposition frontale entre la première et la troisième chambre civile a donné lieu à une intervention de l’assemblée plénière qui s’est prononcée sur la nature de l’action en responsabilité dont est titulaire le maître d’ouvrage contre le fabricant dans un arrêt remarqué du 7 février 1986.

Dans cette décision, l’assemblée plénière a tranché en faveur de la solution retenue par la première chambre civile (Cass ass. plén. 7 févr. 1986, n°84-15.189).

Elle a, en effet, estimé que le maître d’ouvrage « dispose […] contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ».

Pour l’assemblée plénière, peu importe donc que la chaîne de contrats soit homogène ou hétérogène : l’action en responsabilité dont est titulaire le maître d’ouvrage est de nature contractuelle.

Elle justifie cette solution en affirmant que « le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ».

L’assemblée plénière retient ainsi comme fondement de l’action en responsabilité contractuelle la théorie de l’accessoire : l’action est transmise concomitamment avec le transfert de propriété de la chose.

Autrement dit, tant le maître de l’ouvrage que le sous-acquéreur recueillent dans leur patrimoine avec la chose les accessoires juridiques qui y sont attachés.

Cass ass. plén. 7 févr. 1986

Sur le premier moyen :

Attendu que, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Paris, 14 juin 1984), la société civile immobilière Résidence Brigitte, assurée par l’Union des Assurances de Paris (U.A.P.) a, en 1969, confié aux architectes C… et Z…, aux droits desquels se trouvent les consorts Z…, assistés des bureaux d’études OTH et BEPET, la construction d’un ensemble immobilier, que la société Petit, chargée du gros oeuvre, a sous traité à la société Samy l’ouverture de tranchées pour la pose de canalisations effectuée par la société Laurent X…, que la société Samy a procédé à l’application sur ces canalisations de Protexculate, produit destiné à en assurer l’isolation thermique, qui lui avait vendu par la Société Commerciale de Matériaux pour la Protection et l’Isolation (MPI), fabricant, que des fuites d’eau s’étant produites, les experts désignés en référé ont conclu en 1977 à une corrosion des canalisations imputables au Protexculate et aggravée par un mauvais remblaiement des tranchées, que l’U.A.P. a assigné la société MPI, les sociétés Petit, Samy et Laurent X…, MM. C… et Z… ainsi que les bureaux d’études, pour obtenir le remboursement de l’indemnité versée aux copropriétaires suivant quittance subrogative du 30 octobre 1980 ;

Attendu que la société MPI fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli cette demande avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 1980 sur le fondement de la responsabilité délictuelle, alors, selon le moyen, d’une part, que le maître de l’ouvrage ne dispose contre le fabricant de matériaux posés par un entrepreneur que d’une action directe pour la garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication et que cette action, nécessairement de nature contractuelle, doit être engagée dans un bref délai après la découverte du vice ; qu’en accueillant donc, en l’espèce, l’action engagée le 28 janvier 1980 par l’U.A.P., subrogée dans les droits du maître de l’ouvrage, pour obtenir garantie d’un vice découvert par les experts judiciaires le 4 février 1977 et indemnisé par l’U.A.P. le 30 octobre 1980, la Cour d’appel, qui s’est refusée à rechercher si l’action avait été exercée à bref délai, a violé, par fausse application, l’article 1382 du Code civil et, par défaut d’application, l’article 1648 du même Code ;

Mais attendu que le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; qu’il dispose donc à cet effet contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ; que, dès lors, en relevant que la Société Commerciale de Matériaux pour la Protection et l’Isolation (M.P.I.) avait fabriqué et vendu sous le nom de “Protexulate” un produit non conforme à l’usage auquel il était destiné et qui était à l’origine des dommages subis par la S.C.I. Résidence Brigitte, maître de l’ouvrage, la Cour d’appel qui a caractérisé un manquement contractuel dont l’U.A.P., substituée à la S.C.I., pouvait se prévaloir pour lui demander directement réparation dans le délai de droit commun, a, par ces motifs, légalement justifié sa décision ; […]

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi

?Portée de la décision d’assemblée plénière

Après l’intervention de l’assemblée plénière, la troisième chambre civile n’a eu d’autre choix que de se rallier à sa position.

C’est ce qu’elle a fait notamment dans un arrêt du 10 mai 1990 à l’occasion duquel elle a estimé que le maître de l’ouvrage, et les acquéreurs disposent « contre le fabricant ou le fournisseur d’une action contractuelle directe » (Cass. 3e civ. 10 mai 1990, n°88-14.478).

Cass. 3e civ. 10 mai 1990

Sur le moyen unique du pourvoi provoqué :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 26 juin 1987), que la société civile immobilière du Domaine des Grands Prés (SCI) a fait édifier, un groupe de pavillons, par la société Balency-Briard, actuellement société Sogéa, entrepreneur général, qui a posé des chassis ouvrants achetés à la société Roto-Franck qui les a fabriqués ; que des désordres tenant à des phénomènes de condensation sur ces chassis s’étant manifestés après réception et la vente des pavillons intervenues en 1976-1977, plusieurs acquéreurs ont assigné en réparation la SCI, l’entrepreneur général et le fabricant, et qu’il s’en est suivi des appels en garantie ; […]

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, qui est recevable :

Vu l’article 1147 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner la société Roto-Franck à indemniser les copropriétaires et à garantir la SCI, l’arrêt retient la responsabilité de la société Roto-Franck, en tant que fabricant et fournisseur des chassis affectés de désordres, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, à l’égard des tiers que sont pour elle le maître de l’ouvrage et ses acquéreurs ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la SCI, maître de l’ouvrage, et les acquéreurs disposaient contre le fabricant ou le fournisseur d’une action contractuelle directe, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré la société Roto-Franck responsable des désordres affectant les chassis et a prononcé condamnation contre elle, l’arrêt rendu le 26 juin 1987, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans

2.2 Seconde étape : la distinction entre les chaînes de contrats translatives de propriété et les chaînes non translatives de propriété

S’il ressort de la jurisprudence précédemment étudiée que la Cour de cassation a voulu étendre le domaine de l’action contractuelle dans les chaînes de contrats, ce, en refusant de distinguer selon que la chaîne était homogène ou hétérogène, ce mouvement extensif n’a pas été sans limite.

Un coup d’arrêt lui a été porté dans une décision rendue par l’assemblée plénière elle-même le 12 juillet 1991, plus connue sous le nom d’arrêt Besse, ce qui a conduit certains auteurs à se demander si cette dernière n’entendait pas revenir sur sa position initiale (Cass. ass. plén. 12 juill. 1991, n°90-13.602)

Les circonstances dans lesquelles l’assemblée plénière a été amenée à se prononcer cette fois-ci étaient toutefois sensiblement différentes de celles qui avaient entouré sa première décision.

Dans l’arrêt du 7 février 1986, il était, en effet, question d’une chaîne de contrats dite translative de propriété, en ce sens que la chose, objet des contrats successifs, est transférée d’un acquéreur à l’autre (Cass. ass. plén. 7 févr. 1986, n°84-15.189).

Tel n’était pas dans l’arrêt Besse, lequel portait sur une chaîne de contrats non-translative de propriété (contrat d’entreprise couplé à un contrat de sous-traitance).

Il peut néanmoins être noté que l’intervention de l’assemblée plénière a une nouvelle fois été provoquée par un conflit né entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

a. L’opposition entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation

i. La position de la première chambre civile

?Première étape

Dans un arrêt du 8 mars 1988, la première chambre civile a considéré au visa des anciens articles 1147 et 1382 du Code civil que « dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d’une action de nature nécessairement contractuelle, qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué » (Cass. 1ère civ. 8 mars 1988, n°86-18.182).

Ainsi, pour cette chambre de la Cour de cassation en matière de sous-traitance, l’action dont dispose le maître de d’ouvrage contre le sous-traitant est de nature contractuelle, alors même que ces derniers ne sont liés par aucun contrat, à tout le moins de façon directe.

Cass. 1ère civ. 8 mars 1988

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

Attendu que dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d’une action de nature nécessairement contractuelle, qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué ;

Attendu que la société Clic Clac Photo, qui avait reçu de M. X… des diapositives en vue de leur agrandissement, a chargé de ce travail la société Photo Ciné Strittmatter ; que cette dernière société ayant perdu les diapositives, l’arrêt attaqué a retenu sa responsabilité délictuelle vis-à-vis de M. X… ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1382 du Code civil, et par refus d’application l’article 1147 du même code ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 mai 1986, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen

?Seconde étape

La première chambre civile ne s’est pas arrêtée à la solution qu’elle venait d’adopter le 8 mars 1988, dont la portée était circonscrite à la seule sphère des contrats de sous-traitance.

Dans une décision remarquée du 21 juin 1988 (arrêt Saxby), elle a estimé que cette solution était applicable à l’ensemble des groupes de contrats, sans distinction (Cass. 1ère civ. 21 juin 1988, n°85-12.609).

Elle a jugé en ce sens que « dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial ; qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle, même en l’absence de contrat entre eux ».

Pour la première chambre civile, peu importe donc que l’on soit en présence d’une chaîne translative ou non de propriété : le principe de l’effet relatif ne fait pas obstacle à l’existence d’une relation contractuelle entre deux cocontractants extrêmes, soit entre des parties qui n’ont pas échangé leurs consentements.

Cass. 1ère civ. 21 juin 1988

Sur le premier moyen, pris en sa première branche du pourvoi de la société Saxby Manutention, moyen étendu d’office par application de l’article 12 du nouveau Code de procédure civile au pourvoi de la société Soderep et au pourvoi incident de la Commercial Union Assurance Company Limited, assureur de Saxby ;

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

Attendu que, dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial ; qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle, même en l’absence de contrat entre eux ;

Attendu qu’un avion de la compagnie norvégienne Braathens South American and Far East Airtransport, dite Braathens SAFE, a été endommagé pendant l’opération destinée à l’éloigner à reculons du point d’embarquement de ses passagers pour lui permettre de se diriger ensuite par ses propres moyens vers la piste d’envol ; qu’en effet, le tracteur d’Aéroports de Paris qui le refoulait s’étant brusquement décroché de la ” barre de repoussage ” attelée par son autre extrémité au train d’atterrissage, l’appareil et le tracteur sont entrés en collision ; que l’accident a eu pour origine une fuite d’air comprimé due à un défaut de l’intérieur du corps d’une vanne pneumatique fabriquée par la société Soderep et incorporée au système d’attelage de la barre au tracteur par la société Saxby, devenue depuis lors Saxby Manutention, constructeur et fournisseur de l’engin à Aéroports de Paris ; que la compagnie Braathens SAFE ayant assigné en réparation Aéroports de Paris ainsi que les sociétés Saxby Manutention et Soderep, l’arrêt attaqué a dit la demande non fondée en tant que dirigée contre le premier en raison de la clause de non-recours insérée dans le contrat d’assistance aéroportuaire liant la compagnie demanderesse à Aéroports de Paris ; qu’en revanche, il a déclaré les sociétés Saxby Manutention et Soderep, la première en raison, notamment, du mauvais choix de la vanne devant équiper le tracteur, responsables, chacune pour moitié, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ;

Attendu qu’en statuant ainsi par application des règles de la responsabilité délictuelle à l’égard des sociétés Soderep et Saxby Manutention, alors que, le dommage étant survenu dans l’exécution de la convention d’assistance aéroportuaire au moyen d’une chose affectée d’un vice de fabrication imputable à la première et équipant le tracteur fourni par la seconde à Aéroports de Paris, l’action engagée contre elles par la compagnie Braathens SAFE ne pouvait être que de nature contractuelle, la cour d’appel, qui ne pouvait donc se dispenser d’interpréter la convention d’assistance aéroportuaire, a, par refus d’application du premier et fausse application du second, violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois des sociétés Soderep et Saxby Manutention et du pourvoi incident de la Commercial Union Assurance Company Limited :

CASSE ET ANNULE, en ce qu’il a déclaré responsables, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, les sociétés Saxby Manutention et Soderep des conséquences dommageables de l’accident survenu le 10 juillet 1979 à l’aéroport de Paris-Orly, l’arrêt rendu le 14 février 1985, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

ii. La position de la troisième chambre civile

Comme elle l’avait fait en matière de chaîne de contrats hétérogène, la troisième chambre civile s’est vigoureusement opposée à la première chambre civile.

Pour ce faire, elle a rendu le 22 juin 1988 dans lequel elle a considéré que « l’obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices, à laquelle le sous-traitant est tenu vis-à-vis de l’entrepreneur principal, a pour seul fondement les rapports contractuels et personnels existant entre eux et ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage, qui est étranger à la convention de sous-traitance » (Cass. 3 civ. 22 juin 1988, n°86-16.263).

Pour la troisième chambre civile, dans les groupes de contrats, les cocontractants extrêmes doivent autrement dit être regardés comme des tiers l’un pour l’autre.

L’un ne saurait, en conséquence, engager contre l’autre une action sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Seul le fondement de la responsabilité délictuelle est susceptible d’être invoqué.

Cass. 3e civ. 22 juin 1988

Sur le moyen unique

Attendu qu’ayant chargé de l’édification d’une maison individuelle la Société Corelia-Constructions, mise par la suite en état de liquidation des biens avec M. Guerin pour syndic, M. et Mme Jollivet font grief à l’arrêt attaqué (Pau, 4 juin 1986) d’avoir rejeté, en se plaçant sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la demande en réparation de malfaçons, qu’ils avaient formée contre M. Dupeyrou, sous-traitant de l’entreprise pour les travaux de charpente-couverture, et de les avoir condamnés à payer à ce dernier une somme excessive en paiement de travaux qu’ils lui avaient directement commandés,

Alors, selon le moyen, que, « d’une part, le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur et dispose, à cet effet, contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée, qu’en l’espèce, les époux Jollivet ne pouvaient être privés de cette action contractuelle directe contre M. Dupeyrou, n’ayant pas livré un arbalétrier et des éléments de charpente ou menuiserie conformes aux spécifications du marché de construction de la maison, qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué, qui a méconnu l’obligation de résultat pesant sur M. Dupeyrou et les conséquences des malfaçons constatées, a violé l’article 1147 du Code civil, ensemble et par fausse application l’article 1382 du même code, alors que, d’autre part, l’expert commis ayant retenu que les travaux concernant les solives, supports et pose de menuiserie, évaluées à 4.016,04 francs, étaient déjà compris dans le devis de M. Dupeyrou, l’arrêt attaqué ne pouvait lui accorder la même somme au titre d’un supplément de travaux à la charge des époux Jollivet, que le double emploi qui en résulte, au détriment des maîtres de l’ouvrage, aboutit à une violation de l’article 541 de l’ancien Code de procédure civile, encore en vigueur à la date de ces travaux » ;

Mais attendu, d’une part, que l’obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices, à laquelle le sous-traitant est tenu vis-à-vis de l’entrepreneur principal, a pour seul fondement les rapports contractuels et personnels existant entre eux et ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage, qui est étranger à la convention de sous-traitance ;

Attendu, d’autre part, que M. et Mme Jollivet n’ayant pas soutenu que la somme que leur réclamait M. Dupeyrou au titre des solives et support et de la pose des menuiseries se rapportaient à des travaux qui avaient été compris dans le devis, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ; D’où il suit que le moyen, qui est, pour partie, mal fondé, est pour le surplus irrecevable ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

b. L’intervention de l’assemblée plénière : l’arrêt Besse

Dans l’arrêt Besse du 12 juillet 1991, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a, à nouveau, été appelée à trancher le conflit qui opposait la première chambre à la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

Toutefois, cette fois-ci, c’est à la seconde de deux chambres qu’elle a donné raison. Elle a estimé, s’agissant d’un contrat de sous-traitance et au visa de l’article 1165 du Code civil, ancien siège du principe de l’effet relatif, que « le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage ».

Cass. ass. plén. 12 juill. 1991

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1165 du Code civil ;

Attendu que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que plus de 10 années après la réception de l’immeuble d’habitation, dont il avait confié la construction à M. X…, entrepreneur principal, et dans lequel, en qualité de sous-traitant, M. Z… avait exécuté divers travaux de plomberie qui se sont révélés défectueux, M. Y… les a assignés, l’un et l’autre, en réparation du préjudice subi ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes formées contre le sous-traitant, l’arrêt retient que, dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d’une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l’engagement du débiteur substitué ; qu’il en déduit que M. Z… peut opposer à M. Y… tous les moyens de défense tirés du contrat de construction conclu entre ce dernier et l’entrepreneur principal, ainsi que des dispositions légales qui le régissent, en particulier la forclusion décennale ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande dirigée contre M. Z…, l’arrêt rendu le 16 janvier 1990, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims

?Faits

Un maître d’ouvrage confie à un entrepreneur principal la construction d’un immeuble.

De son côté, l’entrepreneur principal délègue les travaux de plomberie à un sous-traitant

L’installation effectuée par ce dernier va toutefois se révéler défectueuse.

?Demande

Le maître d’ouvrage assigne en dommages et intérêts :

  • L’entrepreneur principal
  • Le sous-traitant

?Procédure

Par un arrêt du 16 janvier 1990, la Cour d’appel de Nancy déboute le maître d’ouvrage de son action formée contre le sous-traitant.

Les juges du fond estiment que dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d’une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l’engagement du débiteur substitué

Or en l’espèce, le sous-traitant pouvait opposer à l’entrepreneur principal la forclusion décennale.

La Cour d’appel en déduit que ladite forclusion pouvait également être opposée au maître d’ouvrage en raison de la nature contractuelle de son action.

?Solution

Par un arrêt du 12 juillet 1991, l’assemblée plénière casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’ancien article 1165 du Code civil.

La Cour de cassation estime que, en l’espèce, le sous-traitant n’était pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage, de sorte que la forclusion décennale ne lui était pas opposable.

Cela signifie, par conséquent, que l’action dont dispose le sous-traitant contre le maître d’ouvrage est de nature délictuelle.

La Cour de cassation fait ici une application stricte du principe de l’effet relatif.

Le maître d’ouvrage n’étant pas contractuellement lié au sous-traitant, les exceptions qui affectent le contrat conclu entre ce dernier et l’entrepreneur principal ne lui sont pas opposables.

?Analyse

Si, de toute évidence, le raisonnement adopté par la Cour de cassation dans cette décision est imparable, il n’en a pas moins été diversement apprécié par la doctrine.

Immédiatement après l’arrêt Besse la question s’est posée de savoir si la Cour de cassation entendait revenir sur sa position adoptée dans l’arrêt du 7 février 1986 ou si elle souhaitait seulement limiter le domaine de l’action contractuelle dans les chaînes de contrat en introduisant la distinction entre les chaînes translatives et non-translatives de propriété.

Ainsi, deux interprétations étaient envisageables :

  • Première interprétation
    • On pouvait d’abord voir dans cette nouvelle décision d’assemblée plénière un revirement de jurisprudence, dans la mesure où cinq ans plus tôt la même assemblée avait affirmé de manière fort explicite que le maître d’ouvrage « dispose […] contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée » ?
    • Une lecture rapide de l’arrêt pouvait conduire à le penser.
    • Toutefois, l’analyse des faits révèle que les circonstances de l’arrêt Besse n’étaient pas les mêmes que dans l’arrêt du 7 février 1986.
    • Dans cette décision, on était, en effet, en présence d’une chaîne de contrat translative de propriété, en ce sens que les droits réels exercés sur la chose étaient transférés d’un acquéreur à l’autre.
    • Tel n’était pas le cas dans l’arrêt Besse.
    • Il s’agissait d’un contrat d’entreprise couplé à un contrat de sous-traitance.
    • Aussi, cette chaîne de contrats n’était nullement translative de propriété
  • Seconde interprétation
    • L’assemblée plénière est simplement venue mettre un terme à l’opposition qui s’était instauré entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation sur les chaînes de contrats non-translatives de propriété.
    • Dans cette perspective, certains auteurs ont suggéré qu’en matière de chaîne de contrats, il convenait dorénavant de distinguer selon que la chaîne était translative ou non translative de propriété.
      • Les chaînes de contrats translatives de propriété
        • Dans cette hypothèse, les accessoires attachés à la chose sont transférés d’acquéreur en acquéreur ce qui dès lors permettra à l’acquéreur final d’agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle contre le vendeur initial.
        • En contrepartie, ce dernier sera fondé à opposer au sous-acquéreur les mêmes exceptions qu’il peut invoquer à l’encontre de son cocontractant.
      • Les chaînes de contrats non-translatives de propriété
        • Dans cette hypothèse, les accessoires attachés à la chose ne pourront pas, par définition, être transférés aux contractants subséquents, si bien qu’ils ne disposeront contre les contractants extrêmes que d’une action de nature délictuelle.
        • Cette situation ne sera cependant pas sans avantage pour eux dans la mesure où ils ne pourront pas se voir opposer les exceptions affectant les contrats dont ils ne sont pas parties.
    • Il ressort des arrêts rendus postérieurement à cet arrêt d’assemblée plénière que c’est la seconde interprétation qu’il fallait retenir.
    • Dans un arrêt du 23 juin 1993, la première chambre civile a par exemple jugé que « le maître de l’ouvrage dispose contre le fabricant d’une action contractuelle » (Cass. 1ère civ. 23 juin 1993, n°91-18.132).
    • Il s’agissait en l’espèce d’une chaîne translative de propriété (contrat de vente + contrat d’entreprise).
    • À l’inverse, dans un arrêt du 16 février 1994, la même chambre a estimé que, en matière de chaîne non translative de propriété, l’action était nature délictuelle.
    • Depuis ces arrêts, il convient donc de distinguer selon que la chaîne est translative ou non de propriété.

c. Le trouble semé par un arrêt du 22 mai 2002

Un arrêt rendu le 22 mai 2002 par la chambre commerciale est venu jeter le trouble sur la jurisprudence Besse (Cass. com. 22 mai 2002, n°99-11.113).

La Cour de cassation a, en effet, estimé dans cette décision que l’action dont disposait un maître d’ouvrage contre le sous-traitant était de nature contractuelle, alors même que c’est la solution inverse qui avait été adoptée dans l’arrêt Besse.

Si toutefois, l’on prête attention à la motivation de la Cour de cassation, celle-ci semble maintenir la distinction entre les chaînes translatives et non translatives de propriété.

Elle considère en ce sens que « si le maître de l’ouvrage qui agit contre le sous-traitant exerce l’action que le vendeur intermédiaire lui a transmise avec la propriété de la chose livrée, le sous-traitant, qui n’est pas lié contractuellement au maître de l’ouvrage, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le contrat principal passé entre le maître de l’ouvrage et le vendeur intermédiaire ».

Aussi, cette solution ne doit, en aucune manière, être interprétée comme remettant en cause la solution dégagée dans l’arrêt Besse. La motivation retenue par la Cour de cassation est tout au plus maladroite.

Au, vrai, cet arrêt révèle la difficulté qu’il y a à déterminer si une chaîne de contrat réalise ou non un transfert de propriété, spécialement lorsqu’elle comporte un contrat d’entreprise ce qui était le cas en l’espèce.

Cass. com. 22 mai 2002

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 1998), que la société Qatar Petrochemical Cy Ltd (la société QAPCO) a confié, dans le courant de l’année 1977 à la société Technip la réalisation d’un complexe pétrochimique au Qatar ; que, suivant bon de commande du 28 novembre 1977 faisant expressément référence aux conditions particulières du contrat 5521 B datées du mois d’avril 1977, la société Technip a demandé à la société Alsthom la fourniture d’un turbo associé à un compresseur ; qu’à la suite de deux incidents survenus le 17 janvier 1984 et le 20 janvier 1986, la société Qapco et ses assureurs ont judiciairement demandé que la société Alsthom soit déclarée responsable des vices cachés affectant la turbine et condamnée à réparer le préjudice en résultant ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Alsthom fait grief à l’arrêt d’avoir dit qu’elle était tenue de réparer l’intégralité des dommages subis par la société Qapco et ses assureurs subrogés et de l’avoir condamnée à leur payer diverses sommes au titre des préjudices subis, alors, selon le moyen […]

Mais attendu, d’une part, qu’après avoir exposé que la société Alsthom avait reçu, de la société Technip, commande du turbo-compresseur le 28 novembre 1977, l’arrêt relève que seules les conditions particulières du contrat 5521 B étaient reprises dans cette commande du 28 novembre 1977 à l’exclusion des conditions générales du contrat principal liant Qapco à la société Technip ; que, dès lors, contrairement aux allégations du moyen, la cour d’appel, en se fondant, pour condamner Alsthom au profit de la société Qapco, sur l’article 11-1 des conditions particulières du contrat 5521 B, n’a pas admis la société Qapco à se prévaloir à l’encontre d’Alsthom des stipulations liant la société Qapco à la société Technip ; que le moyen manque en fait ;

Attendu, d’autre part, que, si le maître de l’ouvrage qui agit contre le sous-traitant exerce l’action que le vendeur intermédiaire lui a transmise avec la propriété de la chose livrée, le sous-traitant, qui n’est pas lié contractuellement au maître de l’ouvrage, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le contrat principal passé entre le maître de l’ouvrage et le vendeur intermédiaire ; qu’ayant retenu que l’action du sous-acquéreur était celle de son auteur, à savoir celle du vendeur intermédiaire contre son vendeur originaire, la cour d’appel a justement décidé que la société Alsthom ne pouvait opposer que la clause limitative de responsabilité figurant dans le contrat qu’elle avait conclu avec la société Technip, vendeur intermédiaire ;

Et attendu, enfin, que l’arrêt retient que Qapco et ses assureurs subrogés étaient bien fondés à rechercher la garantie légale de l’entrepreneur et que, le contrat d’entreprise conclu par la société Alsthom ayant eu pour objet de transmettre la propriété de la chose, l’entrepreneur se trouvait tenu d’une obligation de résultat qui emportait présomption de faute et présomption de causalité ; qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas appliqué à la société Alsthom une clause relative à la garantie légale du vendeur ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

II) L’opposabilité du contrat

Conformément au principe de l’effet relatif le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge des parties. Est-ce qu’il ne produit aucun effet à l’égard des tiers ? C’est toute la question de l’opposabilité du contrat.

?Silence du Code civil

Bien que l’article 1199 du Code civil interdise de rendre les tiers créanciers ou débiteur d’une obligation stipulée par les contractants, l’exécution de l’acte n’en est pas moins susceptible d’avoir des répercussions sur leur situation personnelle.

Aussi, la question s’est-elle rapidement posée de savoir quel rapport les tiers entretiennent-ils avec le contrat.

Initialement, le Code civil était silencieux sur cette question. L’article 1165 se limitait à énoncer que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l’article 1121. »

Pour une partie de la doctrine cette règle était incomplète. René Savatier a écrit en ce sens que « cette conception simpliste d’une liberté absolue de l’individu ne tient pas suffisamment compte des liens qui rattachent inévitablement les uns aux autres tous les membres d’une société [où] les affaires de chacun, auprès d’un côté individuel, ont aussi un côté social. Il faut donc reconnaître qu’elles ne concernent pas seulement celui qui y préside, mais à certains points de vue la société et, par conséquent, les tiers »[14].

D’autres auteurs ont encore affirmé que « se prévaloir de ce qu’une personne a passé un contrat et même de ce qu’elle ne l’a pas exécuté, c’est se prévaloir d’un pur fait, qui existe en tant que fait, donc à l’égard de tous ».

?Consécration jurisprudentielle

La Cour de cassation n’est pas, manifestement, demeurée indifférente à ces critiques puisqu’elle a affirmé le principe de l’opposabilité du contrat au tiers à de nombreuses reprises.

Dans un arrêt du 6 février 1952 la Cour de cassation a, de la sorte, considéré que « si, en principe, les conventions ne sont pas opposables à ceux qui n’y ont pas été parties, il ne s’ensuit pas que le juge ne puisse pas rechercher dans les actes étrangers à l’une des parties en cause des renseignements de nature à éclairer sa décision, ni ne puisse considérer comme une situation de fait vis-à-vis des tiers les stipulations d’un contrat » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 1952).

Cette solution a été réaffirmée, par exemple, dans un arrêt du 22 octobre 1991 où elle estime que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

Cass. com. 22 oct. 1991

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1165 du Code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué, que la Société industrielle et forestière en Afrique Centrale (Sifac) et la société Industries forestières Batalimo (IFB), dont M. Jacques X… présidait les conseils d’administration, étaient titulaires de comptes courants dans les livres de la Banque internationale pour l’Afrique Occidentale à Bangui (BIAO Centrafrique) et dans ceux de l’agence de la Banque internationale pour l’Afrique Occidentale à Pointe-Noire, en République populaire du Congo (BIAO) ; qu’à la suite de l’expropriation de ses avoirs au Congo, la BIAO a, le 14 août 1974, signé une convention aux termes de laquelle, notamment, la Banque commerciale congolaise (BCC) devait, dans un certain délai, lui signifier la liste des créances qu’elle ne reprenait pas, les autres créances étant, passé ce délai, considérées comme acquises par cette banque ; qu’après l’expiration du délai, la BIAO a inscrit au débit des comptes des sociétés Sifac et IFB ouverts à la BIAO Centrafrique, les montants des soldes débiteurs des comptes de ces sociétés dans les livres de son agence de Pointe-Noire ; que Jacques X… et Jeanine Y…, son épouse, se sont portés cautions, au profit de la BIAO, des dettes des deux sociétés ;

Attendu que, pour condamner les époux X… à payer diverses sommes à la BIAO en exécution de leurs engagements de cautions, l’arrêt, après avoir relevé que ceux-ci ” invoquent le protocole passé entre la Banque commerciale congolaise et la BIAO pour soutenir que la BCC n’ayant pas rejeté les créances dans le délai, seule cette dernière en est titulaire “, retient que, ” n’étant pas partie à cette convention qui n’a pas été faite dans leur intérêt, ils ne peuvent s’en prévaloir ” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que, s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 juillet 1989, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier

Ainsi, pour la Cour de cassation, le contrat est opposable aux tiers car il constitue une situation de fait qu’ils ne sauraient ignorer.

La conséquence est double :

  • En premier lieu, les tiers ne doivent pas faire obstacle à l’exécution du contrat
  • En second lieu, les tiers peuvent se prévaloir du contrat à l’encontre des parties

Appliquée régulièrement par la jurisprudence, cette règle a été consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme des obligations.

?Intervention du législateur

Aux termes du nouvel article 1200 du Code civil, d’une part, « les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat », d’autre part, « ils peuvent s’en prévaloir notamment pour apporter la preuve d’un fait. »

Il ressort de cette disposition que, opposable aux tiers par les parties, la situation juridique née du contrat l’est aussi par les tiers aux parties.

Deux principes sont ainsi posés par à l’article 1200 du Code civil.

A) L’opposabilité du contrat aux tiers

1. Principe

L’article 1200, al. 1er énonce le principe selon lequel les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat

Cela signifie que les parties peuvent se prévaloir de la convention à l’encontre de personnes qui, par définition, ne l’ont pas conclue.

Cette possibilité dont disposent les contractants d’opposer le contrat aux tiers est susceptible de se rencontrer dans plusieurs situations :

?L’acte porte sur un droit réel

Dans cette hypothèse, qu’il s’agisse d’une constitution de droit réel ou d’un transfert de droit réel, l’opération conclue par les parties est opposable erga omnes.

Dans un arrêt du 22 juin 1864 la Cour de cassation a affirmé en ce sens :

  • D’une part, que « la propriété des biens s’acquiert et se transmet par l’effet des obligations, et que les contrats qui lui servent de titre et de preuve sont ceux qui sont passés entre l’acquéreur et le vendeur ».
  • D’autre part, « que le droit de propriété serait perpétuellement ébranlé si les contrats destinés à l’établir n’avaient de valeur qu’à l’égard des personnes qui y auraient été parties, puisque, de l’impossibilité de faire concourir les tiers à des contrats ne les concernant pas, résulterait l’impossibilité d’obtenir des titres protégeant la propriété contre les tiers » (Cass. civ. 22 juin 1864).

Ainsi, le contrat pourra-t-il toujours être utilisé par les parties comme mode de preuve d’un droit réel.

Cass. civ. 22 juin 1864

Vu les articles 711 et 1165 du X… Napoléon ;

Attendu qu’il a été reconnu, en fait, par les deux jugements de première instance dont l’arrêt attaqué a adopté les motifs, qu’à consulter l’acte de partage du 15 octobre 1812 et l’adjudication du 25 novembre 1855, titres invoqués par Z…, la réclamation par laquelle il revendique cette portion de haie séparant sa propriété de celle de Y… se trouve clairement établie et devrait être accueillie ;

Attendu que, s’appuyant sur ce que le partage de 1812, étranger à Y… et à ses auteurs, ne ferait pas absolument foi contre eux, le jugement préparatoire a admis les parties à faire preuve des faits de possession et de prescription, respectivement invoqués par elles, et subsidiairement par le demandeur ;

Attendu que le jugement définitif, en reconnaissant des actes de jouissance de la part de l’une et l’autre partie, a déclaré insuffisante l’enquête du demandeur, préférable celle du défendeur, et a, en conséquence, rejeté comme mal fondée la demande en revendication formée par Z… ;

Attendu qu’il ne résulte, ni du dispositif, ni des motifs de ce jugement, que la possession de Y… ou de ses auteurs ait été, pendant une durée de trente années, continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ;

Attendu que la possession de Y… n’aurait pu prévaloir sur les titres de Z… que si elle avait eu soit ce commencement, soit cette durée ; que ni l’un ni l’autre de ces caractères ne lui sont attribués par l’arrêt attaqué, et que, dans l’état des faits déclarés par cet arrêt, l’unique question qui reste à examiner est celle de savoir si les titres de Z…, quoique reconnus probants en eux-mêmes, ont à bon droit été écartés par le motif qu’ils étaient étrangers à Y… et à ses auteurs ;

Attendu qu’aux termes de l’article 711 du X… Napoléon, la propriété des biens s’acquiert et se transmet par l’effet des obligations, et que les contrats qui lui servent de titre et de preuve sont ceux qui sont passés entre l’acquéreur et le vendeur ;

Que le droit de propriété serait perpétuellement ébranlé si les contrats destinés à l’établir n’avaient de valeur qu’à l’égard des personnes qui y auraient été parties, puisque, de l’impossibilité de faire concourir les tiers à des contrats ne les concernant pas, résulterait l’impossibilité d’obtenir des titres protégeant la propriété contre les tiers ;

Attendu que, déclarer opposables aux tiers les titres réguliers de propriété, ce n’est aucunement prétendre qu’il peut résulter de ces titres une modification quelconque aux droits des tiers, et qu’ainsi la règle de l’article 1165, qui ne donne effet aux conventions qu’entre les contractants, est ici sans application ;

D’où il suit qu’en faisant prévaloir, sur les titres produits par Z…, les faits de possession tels qu’ils sont constatés dans l’espèce, et en rejetant ainsi la demande en revendication formée par Z…, l’arrêt attaqué a faussement appliqué l’article 1165 du X… Napoléon, et violé tant ledit article que l’article 711 du même code,

CASSE,

Ainsi jugé et prononcé

?L’acte porte sur une institution

Cette hypothèse vise les contrats qui créent une situation institutionnelle entre les parties à l’acte.

Tel est le cas du mariage, de l’adoption, du divorce ou encore de l’acte constitutif d’une société.

Dès lors que la situation créée entre les parties a fait l’objet des formalités de publicité requises, elle devient opposable à tous.

?L’acte porte sur un droit de créance

Le contrat ne crée, certes, d’obligations qu’à la charge des seules parties

Cette situation juridique ainsi créée n’en est pas moins opposable aux tiers.

Cela signifie, concrètement, que les tiers ne sauraient faire obstacle à l’exécution contrat.

Dans un arrêt du 26 janvier 1999, la Cour de cassation a, dans cette perspective, considéré que « le contractant, victime d’un dommage né de l’inexécution d’un contrat peut demander, sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la réparation de ce préjudice au tiers à la faute duquel il estime que le dommage est imputable » (Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999, n°96-20.782).

Cass. 1ère civ. 26 janv. 1999

Attendu que M. Le Bourg, commissaire aux comptes, désirant prendre sa retraite, a, par un acte du 2 avril 1984, constitué avec MM. Bertrand et André X… ce dernier décédé en cours de procédure et aux droits de qui viennent M. Bertrand X… et les consorts X… une société civile professionnelle (la SCP) dont il a été nommé gérant et à laquelle il devait ” céder sa clientèle ” ; que le contrat de cession intervenu le 17 septembre 1984 n’a pu se réaliser en février 1985, comme il en avait été convenu, en raison des dissensions qui étaient apparues entre M. Le Bourg et M. Bertrand X…, son principal associé, quant aux conditions de mise en oeuvre de la convention ; que, conformément aux statuts de la SCP, les parties ont saisi la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Paris pour arbitrer le litige et une sentence arbitrale du 13 février 1985 a prononcé la dissolution de la SCP ; que M. Le Bourg a alors agi pour faire constater la caducité du contrat de cession et ordonner la liquidation de la SCP ; que, statuant sur renvoi après cassation, un arrêt du 14 septembre 1994 a renvoyé l’affaire à la mise en état pour permettre aux parties de conclure au fond, à la suite de quoi M. Le Bourg a soutenu que la rupture des relations contractuelles était exclusivement imputable à M. Bertrand X… et a demandé en conséquence, du fait de la ” caducité ” de la convention et des fautes de ce dernier, de le condamner à lui payer une somme de 100 000 francs, au titre de ” l’immobilisation de sa clientèle ” pendant plus de trois ans, et une autre somme de 100 000 francs, en réparation des divers inconvénients liés à l’échec de l’opération, ainsi qu’à lui rembourser des honoraires perçus sans contrepartie ; que M. X… a reconventionnellement demandé l’allocation de différentes sommes ; que l’arrêt attaqué, rendu en suite de celui du 14 septembre 1994, a dit que les frais de liquidation de la SCP seraient supportés par les associés dans les proportions de leurs droits sociaux, et a déclaré les autres demandes des parties irrecevables […]

Sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes de dommages-intérêts formées par M. Le Bourg contre M. X…, l’arrêt énonce que c’est à la SCP et non à M. B. X… que M. Le Bourg a cédé la clientèle de son cabinet par acte du 17 septembre 1984 et que, même s’il est constant que la rupture de cette convention a bien été la conséquence de comportements personnels, il reste que les responsabilités encourues et les conséquences à en tirer ne sauraient être jugées qu’à l’encontre de la SCP, partie au contrat litigieux et représentée par son liquidateur, à charge par ce dernier de répercuter ultérieurement les condamnations éventuelles à intervenir dans le cadre de la liquidation des droits de chacun et sauf à soumettre au juge les litiges qui pourraient subsister ;

Attendu cependant que le contractant, victime d’un dommage né de l’inexécution d’un contrat peut demander, sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la réparation de ce préjudice au tiers à la faute duquel il estime que le dommage est imputable […]

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a dit que les frais de cette liquidation seraient supportés par les associés dans les proportions de leurs droits sociaux, et en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de M. Le Bourg tendant à l’allocation de dommages-intérêts au titre de ” l’immobilisation de sa clientèle ” et des inconvénients divers liés à la non-réalisation de la cession, au remboursement d’une somme de 60 000 francs versée à M. X… à titre d’honoraires, ainsi qu’à celui d’une quote-part des frais de fonctionnement du cabinet de M. Le Bourg, l’arrêt rendu le 2 juillet 1996, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Lorsqu’un tiers compromet l’exécution d’un contrat, cette intervention est constitutive d’une faute susceptible d’engager sa responsabilité.
    • Cela suppose toutefois de démontrer l’existence, d’une part, d’un préjudice et, d’autre part, d’un lien de causalité entre ce préjudice et l’inexécution contractuelle.
  • Second enseignement
    • La réparation du préjudice causé au cocontractant victime de l’inexécution du contrat devra être recherchée sur le terrain de la responsabilité délictuelle.
    • Cette solution se justifie par le fait que, par définition, le tiers n’est pas partie au contrat.
    • Aussi, l’obligation qui lui échoit consiste, non pas à respecter les termes du contrat, mais à ne pas entraver sa bonne exécution.
    • Il ressort de la jurisprudence qu’il importe peu que l’inexécution contractuelle soit le fait du seul tiers ou que celui-ci se soit rendu complice des agissements de l’un des contractants (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 janv. 1963).
    • Dans cette dernière hypothèse, la victime pourra cumulativement agir :
      • D’abord, contre le tiers, sur le fondement de la responsabilité délictuelle
      • Ensuite, contre son cocontractant sur le fondement de la responsabilité contractuelle

2. Exception : la simulation

a. La notion de simulation

La possibilité pour les parties d’opposer le contrat aux tiers n’est pas sans limite.

Dans le droit fil des règles édictées antérieurement à la réforme des obligations, le législateur a prévu à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 que l’acte conclu par les contractants était inopposable aux tiers en cas de simulation.

La notion de simulation est présentée à l’article 1201 du Code civil qui prévoit que « lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier, appelé aussi contre-lettre ».

Par simulation, il faut donc entendre l’opération qui consiste pour les parties à conclure simultanément deux actes dont les contenus différèrent.

Tandis que le premier acte est apparent, soit qu’il a été conclu au vu et au su des tiers, le second est quant à lui occulte en ce sens qu’il a vocation à demeurer secret.

La véritable intention des parties résidant dans ce dernier acte, très tôt, tant le législateur que la jurisprudence a estimé que l’acte occulte devait faire l’objet d’une appréhension juridique particulière, à tout le moins qu’il ne pût pas produire les mêmes effets que l’acte apparent.

b. Les formes de simulation

?L’acte fictif

L’acte fictif consiste pour les parties à simuler la conclusion d’un acte qui, en réalité, n’existe pas.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente et, dans le même temps, conviennent que cet acte n’opérera aucun transfert de propriété.

L’opération est ici purement fictive, dans la mesure où ses auteurs ont simplement voulu donner à l’acte qu’ils ont conclu l’apparence d’un contrat de vente, alors que, en réalité, il n’existe pas.

?L’acte déguisé

L’acte déguisé consiste pour les parties à conférer à un acte une fausse qualification.

Exemple : les parties concluent ostensiblement un contrat de vente immobilière et conviennent, dans le même temps, que le prix ne sera, soit jamais réclamé, soit sera dérisoire.

Dans cette hypothèse, les parties choisissent délibérément de déguiser sous une autre qualification (la vente) la véritable opération qu’elles entendent conclure (une donation).

?L’interposition de personnes

Il s’agit de la manœuvre qui consiste à dissimuler l’identité du véritable contractant derrière un prête-nom.

Exemple : un bailleur consent un bail à usage d’habitation à un preneur, qui concomitamment, convient avec tiers qu’il lui concédera la jouissance des lieux.

c. Les effets de la simulation

i. À l’égard des parties la validité de l’acte occulte

?Principe

Il a toujours été admis que dès lors que les parties ont échangé leurs consentements l’acte conclu doit être regardé comme valable, quand bien même il n’a fait l’objet d’aucune révélation aux tiers.

Cette règle est exprimée à l’article 1201 du Code civil qui énonce : « le contrat occulte […] produit effet entre les parties », à supposer qu’il remplisse les conditions prévues par la loi

?Conditions

  • S’agissant des conditions de fond
    • Pour être valable, le contrat occulte doit remplir
      • Les conditions communes à tous les actes juridiques, notamment celles énoncées à l’article 1128 du Code civil.
      • Les conditions propres à l’acte dont il endosse la qualification.
    • Toutefois, pour être valable, il n’est pas nécessaire que l’acte occulte satisfasse aux conditions de validité de l’acte apparent
  • S’agissant des conditions de forme
    • Contrairement à l’acte apparent, l’acte occulte est dispensé de remplir des conditions de forme quand bien même elles seraient requises à peine de nullité.
    • Il en va ainsi d’une donation fictive qui n’aurait pas été conclue en la forme authentique comme exigé par la loi.

?Exception : la fraude

Si, en principe, l’acte simulé est valide entre les parties, il n’en va pas lorsqu’il est l’instrument d’une fraude.

L’article 1202 du Code civil énumère deux sortes d’actes occultes qui sont irréfragablement présumés frauduleux :

  • D’une part, « est nulle toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel. »
  • D’autre part, « est également nul tout contrat ayant pour but de dissimuler une partie du prix, lorsqu’elle porte sur une vente d’immeubles, une cession de fonds de commerce ou de clientèle, une cession d’un droit à un bail, ou le bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle. »

En dehors de ces deux hypothèses, l’acte occulte demeure valide (V. en ce sens Cass. 3e civ. 20 mars 1996), sauf à établir l’existence d’une fraude.

Quant au contrat apparent il n’encourra jamais la nullité.

ii. À l’égard des tiers : l’inopposabilité de l’acte occulte

Parce que la véritable intention des parties a été cachée aux tiers, l’acte occulte leur est inopposable en ce sens qu’il ne saurait produire aucun effet à leur endroit.

L’article 1201 du Code civil prévoit en ce sens que l’acte occulte « n’est pas opposable aux tiers »

Ainsi cette règle constitue-t-elle une exception au principe général d’opposabilité des conventions.

Elle se justifie par l’apparence créée par l’acte ostensible qui a trompé les tiers sur la véritable intention des parties.

Quid dans l’hypothèse où les tiers connaissaient ou auraient dû connaître l’acte secret ?

En pareil cas, l’acte ne revêt plus aucun caractère occulte, de sorte qu’il leur redevient opposable.

B) L’opposabilité du contrat par les tiers

Dès lors qu’il est admis que le contrat est opposable aux tiers, il serait injuste de dénier une application de ce principe en sens inverse.

C’est la raison pour laquelle l’article 1200 du Code civil autorise les tiers à se prévaloir de l’acte conclu à l’encontre des parties.

L’exercice de cette prérogative conférée aux tiers se rencontrera dans deux situations distinctes :

1. L’invocation de l’acte aux fins de rapporter la preuve d’un fait

Cette possibilité est expressément envisagée par l’article 1200 du Code civil.

La Cour de cassation avait notamment exprimé cette règle dans un arrêt du 22 octobre 1991.

Dans cette décision elle considère que « s’ils ne peuvent être constitués ni débiteurs ni créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat » (Cass. com. 22 oct. 1991, n°89-20.490).

En défense, la partie contre qui est produit l’acte peut toutefois opposer au tiers sa nullité.

Elle a affirmé en ce sens dans un arrêt du 21 février 1995 que « la victime d’un dol est en droit d’invoquer la nullité du contrat vicié contre le tiers qui se prévaut de celui-ci » (Cass. 1ère civ. 21 févr. 1995, n°92-17.814).

2. L’invocation de l’acte aux fins d’engager la responsabilité des parties

a. Principe

Il est des situations où l’exécution d’un contrat occasionnera un préjudice aux tiers.

Exemples :

    • Le vice de construction affectant une automobile a provoqué un accident dans lequel un tiers a été blessé
    • Dans le cadre de l’exécution d’un contrat de bail, le preneur dégrade les parties communes d’un immeuble

Très tôt, la jurisprudence a admis que le tiers peut invoquer un contrat pour rechercher la responsabilité d’une partie, lorsqu’il subit un préjudice du fait de la mauvaise exécution du contrat.

Dans un arrêt du 22 juillet 1931, la Cour de cassation a considéré que « si dans les rapports des parties entre elles, les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil ne peuvent en principe être invoquées pour le règlement de la faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un engagement contractuel, elles reprennent leur empire au regard des tiers étrangers au contrat » (Cass. civ. 22 juill. 1931)

Ainsi, l’opposabilité du contrat, en tant que situation de fait, induit la faculté pour les tiers, dans l’hypothèse de la méconnaissance de cette situation par ceux qui l’ont créée, d’en obtenir la sanction juridique en se plaçant sur le terrain délictuel.

b. Conditions

Si le bien-fondé de l’action en responsabilité délictuelle dont est titulaire le tiers à l’encontre de la partie au contrat auteur du dommage n’a jamais été discuté, il n’en a pas été de même pour ses conditions de mise en œuvre.

Un débat est né autour de la question de savoir si, en cas de préjudice occasionné aux tiers, la seule inexécution contractuelle suffisait à engager la responsabilité du contractant fautif où s’il fallait, en outre, que caractériser de manière distinction l’existence d’une faute délictuelle.

Il ressort de la jurisprudence une opposition entre la chambre commerciale et la première chambre civile, ce qui a donné lieu à l’intervention de l’assemblée plénière.

?La position de la chambre commerciale : le refus d’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

La chambre commerciale a estimé de manière constante que l’établissement de la seule inexécution du contrat ne suffisait pas à établir une faute de nature à engager la responsabilité de la partie au contrat qui, dans le cadre de l’exécution de ses obligations, a causé un dommage à un tiers.

Dans un arrêt du 5 avril 2005, elle a estimé en ce sens « qu’un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui » (Cass. com. 5 avr. 2005, n°03-19.370).

Ainsi, pour la chambre commerciale, pour que le tiers victime de la mauvaise exécution du contrat puisse rechercher la responsabilité du contractant fautif il est nécessaire qu’il rapporte la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle.

Cette solution repose sur l’idée que le principe de l’effet relatif des conventions fait obstacle à ce qu’un tiers au contrat puisse tirer profit d’une faute contractuelle laquelle ne peut être invoquée que par les seules parties à l’acte.

Cass. com. 5 avr. 2005

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que la société d’exploitation française de recherches Bioderma (la SEFRB) a consenti à la société Lyonnaise pharmaceutique (la société Lipha) une licence exclusive de commercialisation de produits cosmétiques ; que la société Merck ayant pris le contrôle de la société Lipha, cette dernière s’est engagée à s’abstenir de toute concurrence envers la SEFRB durant deux ans ; que la société Bioderma, filiale de la société SEFRB, créée après l’intervention de ce protocole afin de reprendre la commercialisation des produits, a poursuivi la société Lipha, aux droits de laquelle est désormais la société Merck santé France, en réparation du préjudice causé par manquement à son engagement ; qu’après avoir ordonné une expertise par arrêt du 14 avril 2000, la cour d’appel a liquidé ce préjudice par arrêt du 16 janvier 2003 ;

Attendu que pour déclarer la société Bioderma fondée à engager la responsabilité de la société Merck santé France en raison de la violation du protocole d’accord, et condamner celle-ci au paiement de diverses sommes en réparation du préjudice consécutif, l’arrêt du 14 avril 2000 retient que, s’ils ne peuvent être constitués débiteurs ou créanciers, les tiers à un contrat peuvent invoquer à leur profit, comme un fait juridique, la situation créée par ce contrat et demander, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la réparation du préjudice résultant de la violation du contrat, et l’arrêt du 16 janvier 2003, que cette décision a reconnu l’intérêt d’un tiers à agir en réparation du préjudice résultant de la violation du contrat auquel il n’est pas partie sur le fondement de la responsabilité délictuelle ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’un tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si les agissements reprochés constituaient une faute à l’égard de la société Bioderma, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, les arrêts rendus les 14 avril 2000 et 16 janvier 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble ;

?La position de la première chambre civile : l’admission de l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

Dans plusieurs décisions, la première chambre civile de la Cour de cassation a admis que la seule inexécution contractuelle suffisait à fonder l’action en responsabilité délictuelle engagée par le tiers victime à l’encontre du contractant fautif.

Dans un arrêt du 15 décembre 1998 elle a considéré par exemple que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage » (Cass. 1ère civ. 15 déc. 1998, n°96-21.905 et 96-22.440).

Nul n’est dès lors besoin de rapporter la preuve d’une faute délictuelle distincte de la faute contractuelle.

Les deux fautes font ici l’objet d’une assimilation.

L’inexécution du contrat est, autrement dit, regardée comme une faute délictuelle, ce qui justifie que la responsabilité du contractant fautif puisse être recherchée.

La première chambre civile a réitéré cette solution dans un arrêt particulièrement remarqué du 13 février 2001 à l’occasion duquel elle a estimé que « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2001, n°99-13.589).

Cass. 1ère civ. 13 févr. 2001

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu que les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve ;

Attendu qu’en 1983 Claude X… a été contaminé par le virus de l’immuno déficience humaine à l’occasion d’une transfusion sanguine réalisée avec des produits fournis par le Centre régional de transfusion sanguine de Rennes (le Centre) ; qu’il a été indemnisé de son préjudice spécifique de contamination par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles ; qu’après son décès, survenu en septembre 1992, consécutif à un SIDA déclaré, sa fille Christelle X…, alors âgée de 17 ans, a engagé devant les juridictions de droit commun une action contre le Centre et son assureur, la compagnie Axa, aux fins de réparation du préjudice par ricochet, moral et économique, qu’elle subissait du fait de la mort de son père ; que l’arrêt attaqué l’a déboutée de son action au motif qu’elle ne pouvait invoquer l’obligation contractuelle de sécurité de résultat pesant sur le Centre en l’absence de lien contractuel avec celui-ci et qu’elle ne rapportait pas la preuve d’une faute dudit centre ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors qu’un centre de transfusion sanguine est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits sanguins qu’il cède et que le manquement à cette obligation peut être invoqué aussi bien par la victime immédiate que par le tiers victime d’un dommage par ricochet, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu, en application de l’article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, qu’il y a lieu à cassation sans renvoi, en ce qui concerne le droit pour Mlle X… d’invoquer à l’encontre du Centre régional de transfusion sanguine de Rennes l’obligation de sécurité de résultat à laquelle il est tenu, la Cour de Cassation pouvant mettre fin au litige de ce chef en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande de Mlle Christelle X… tendant à la réparation de son préjudice par ricochet, l’arrêt rendu le 25 février 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

?L’intervention de l’assemblée plénière : l’assimilation des fautes contractuelles et délictuelles

Afin de mettre un terme au conflit qui opposait la chambre commerciale à la première chambre civile, l’assemblée plénière a été contrainte d’intervenir.

Aussi dans un arrêt du 6 octobre 2006, c’est à la première chambre civile qu’elle a donné raison.

Elle a estimé en effet que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. ass. plén. 6 oct. 2006, n°05-13.255).

Cass. ass. plén. 6 oct. 2006

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19 janvier 2005), que les consorts X… ont donné à bail un immeuble commercial à la société Myr’Ho qui a confié la gérance de son fonds de commerce à la société Boot Shop ; qu’imputant aux bailleurs un défaut d’entretien des locaux, cette dernière les a assignés en référé pour obtenir la remise en état des lieux et le paiement d’une indemnité provisionnelle en réparation d’un préjudice d’exploitation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X… font grief à l’arrêt d’avoir accueilli la demande de la société Boot Shop, locataire-gérante, alors, selon le moyen, “que si l’effet relatif des contrats n’interdit pas aux tiers d’invoquer la situation de fait créée par les conventions auxquelles ils n’ont pas été parties, dès lors que cette situation de fait leur cause un préjudice de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle, encore faut-il, dans ce cas, que le tiers établisse l’existence d’une faute délictuelle envisagée en elle-même indépendamment de tout point de vue contractuel ; qu’en l’espèce, il est constant que la société Myr’Ho, preneur, a donné les locaux commerciaux en gérance à la société Boot Shop sans en informer le bailleur ; qu’en affirmant que la demande extra-contractuelle de Boot Shop à l’encontre du bailleur était recevable, sans autrement caractériser la faute délictuelle invoquée par ce dernier, la cour d’appel a entaché sa décision d’un manque de base légale au regard de l’article 1382 du code civil” ;

Mais attendu que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ; qu’ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que les accès à l’immeuble loué n’étaient pas entretenus, que le portail d’entrée était condamné, que le monte-charge ne fonctionnait pas et qu’il en résultait une impossibilité d’utiliser normalement les locaux loués, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé le dommage causé par les manquements des bailleurs au locataire-gérant du fonds de commerce exploité dans les locaux loués, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les 2ème et 3ème moyens, dont aucun ne serait de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

La solution adoptée par l’assemblée plénière en 2006 a, par la suite, été confirmée à plusieurs reprises, tant par la première chambre civile (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 2007 ; Cass. 1ère civ. 30 sept. 2010, n°09-69.129), que par la chambre commerciale.

Dans un arrêt du 2 mars 2007, cette dernière a ainsi considéré que « le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (Cass. com. 2 mars 2007, n°04-13.689)

Elle reprend ici mot pour mot la solution dégagée par l’assemblée plénière ce qui marque l’abandon de sa position antérieure.

Cass. com. 2 mars 2007

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu que le tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que par contrat de licence conclu courant septembre 1991, la société Jean-Louis Scherrer a concédé à la société de droit néerlandais Elisabeth Arden international BV, aux droits de laquelle se trouve la société Unilever Cosmetics international BV (société E. Arden) le droit de fabriquer et de vendre dans le monde entier divers produits sous la dénomination et la marque Jean-Louis Scherrer ; que, par acte du 2 décembre 1992, la société Jean-Louis Scherrer a apporté à la société JLS marques la marque Jean-Louis Scherrer, ses déclinaisons et la branche d’activité relative à l’exploitation de la marque, laquelle comprenait les contrats de licence en cours, dans la mesure où ceux-ci étaient transmissibles, que la société E. Arden, arguant de la clause d’incessibilité du contrat de licence, un accord a été conclu le 10 octobre 1994 entre la société JLS marques, titulaire de la marque, la société Jean-Louis Scherrer, licencié de la société JLS marques depuis le 27 avril 1993, et la société E. Arden, aux termes duquel la convention de cession de marques signée entre les deux premières sociétés ne modifiait pas le contrat de licence conclu entre les sociétés Jean-Louis Scherrer et E. Arden ; que, le 17 mars 2000, la société E. Arden a régulièrement notifié à la société EK finances, venant aux droits de la société Jean-Louis Scherrer et à la société JLS marques sa décision de ne pas exercer l’option de renouvellement prévue au contrat de licence ; que la société JLS marques a poursuivi judiciairement la société E. Arden en responsabilité contractuelle puis en responsabilité délictuelle, la société EK finances intervenant volontairement à l’instance ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société JLS marques en responsabilité fondée sur l’article 1382 du code civil, l’arrêt retient que cette société, qui reprochait à la société E. Arden d’avoir manqué gravement à ses obligations contractuelles en ne procédant pas à une diffusion géographique et à une commercialisation mondiale suffisante des produits et en ne lançant pas la ligne pour homme, et faisait valoir que les mauvais résultats de la licence s’expliquaient par la médiocrité des efforts publicitaires et promotionnels, n’a développé aucun moyen de nature à établir la responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais en ses seules dispositions ayant rejeté la demande de la société Scherrer fondée sur les dispositions de l’article 1382 du code civil, l’arrêt rendu le 14 janvier 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

La position de la Cour de cassation a, manifestement, été accueillie pour le moins froidement par une frange de la doctrine, certains auteurs estimant qu’elle était bien trop favorable aux tiers.

Cette solution leur permet, en effet, de s’émanciper de la rigueur contractuelle à laquelle se sont astreintes les parties notamment par le jeu des obligations de résultat ou des clauses limitatives de responsabilité.

Aussi, peut-on regretter que le législateur soit resté silencieux sur ce point.

L’avant-projet de réforme de la responsabilité civile laisse toutefois augurer une modification de ce point de droit.

Les auteurs de cet avant-projet envisagent d’introduire un nouvel article 1234 qui disposerait que :

  • « Lorsque l’inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l’un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II.
  • Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite. »

Le débat n’est donc pas clos.

Il est fort à parier que la position adoptée par l’assemblée plénière en 2006 sera brisée par le législateur.

  1. V. en ce sens Y. Buffelan-Lanore, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques en droit civil, LGDJ, 1963 ; N. Fricero-Goujon, La caducité en droit judiciaire privé : thèse Nice, 1979 ; C. Pelletier, La caducité des actes juridiques en droit privé, L’Harmattan, coll. « logiques juridiques », 2004 ; R. Chaaban, La caducité des actes juridiques, LGDJ, 2006. ?
  2. R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559. ?
  3. M.-C. Aubry, « Retour sur la caducité en matière contractuelle », RTD Civ., 2012, p. 625. ?
  4. H. roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, coll. « Traités », 2002, n°02, p. 38. ?
  5. Article 1089 du Code civil. ?
  6. Article 1043 du Code civil. ?
  7. Article 1042, alinéa 1er du Code civil. ?
  8. V. Wester-Ouisse, « La caducité en matière contractuelle : une notion à réinventer », JCP G, n°, Janv. 2001, I 290. ?
  9. V. en ce sens F. Garron, La caducité du contrat : étude de droit privé, PU Aix-Marseille, 2000. ?
  10. Le régime juridique de la caducité contractuelle figure désormais aux nouveaux articles 1186 et 1187 du Code civil. ?
  11. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, 2014, V. Caducité. ?
  12. V. en ce sens A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruylant, 1998, n°54 et s. ?
  13. D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, éd. Odile Jacob, 1997, p. 61. V. également en ce sens F. Rangeon, « Réflexions sur l’effectivité du droit » in les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 130 ; P. Amselek, « Kelsen et les contradictions du positivisme », APD, 1983, n°28, p. 274. Pour la thèse opposée V. H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 19 et s. ?
  14. R. Savatier, Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats, R.T.D. Civ., 1934, p. 544. ?