L’évaluation des biens corporels constitue une étape absolument fondamentale dans le processus de partage, qu’il s’agisse de la liquidation d’une succession, de la dissolution d’une indivision ou d’un partage d’actifs dans un cadre plus large. Cette opération revêt une importance décisive, car elle détermine la valeur de la masse partageable et conditionne l’équilibre des attributions entre les copartageants. Une estimation rigoureuse des biens permet d’assurer la justice et l’équité du partage, en évitant toute distorsion préjudiciable à l’un des indivisaires.
Si, en théorie, l’évaluation des biens pourrait sembler une opération purement technique, elle se heurte en pratique à de multiples difficultés tenant à la nature des biens, aux fluctuations du marché et aux intérêts divergents des copartageants. La détermination de la valeur vénale des biens implique dès lors de recourir à des critères précis et à des méthodes éprouvées, qu’elles soient conventionnelles, notariales ou judiciaires.
Le droit français a progressivement précisé les modalités d’estimation des biens corporels, en encadrant le recours aux experts et en conférant au notaire un rôle central dans cette opération. Toutefois, en l’absence d’accord entre les copartageants, l’intervention du juge demeure nécessaire, notamment lorsque l’estimation des biens soulève des contestations ou nécessite des mesures d’instruction spécifiques.
L’enjeu est double : d’une part, garantir une évaluation au plus près de la réalité économique des biens, en tenant compte de leur état matériel, de leur situation juridique et des contraintes du marché ; d’autre part, assurer la stabilité des opérations de partage, en évitant des réévaluations intempestives qui viendraient fragiliser les droits acquis.
Dès lors, l’analyse des règles régissant l’estimation des biens corporels implique d’examiner, d’une part, les modes d’évaluation applicables à ces biens, qu’ils soient établis à l’amiable ou sous l’autorité du juge, et, d’autre part, les critères qui président à la fixation de leur valeur, en veillant à concilier exigence d’objectivité et impératif d’équité entre les copartageants.
A) Estimation des biens corporels
1. Modes d’estimation
L’estimation des biens à partager constitue une étape importante sinon déterminante dans l’établissement de la masse partageable. Elle vise à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, en tenant compte de la valeur des biens à partager. Dans le cadre d’un partage amiable, les parties peuvent convenir elles-mêmes de l’évaluation des biens. En revanche, en l’absence d’accord, elle est assurée par le juge.
En effet, à défaut d’accord entre les copartageants, l’estimation des biens incombe au tribunal. Celui-ci se fonde sur le projet d’état liquidatif établi par le notaire et, le cas échéant, sur l’expertise judiciaire ordonnée à cette fin. Ce rôle du juge, anciennement empreint de rigidité, s’est considérablement assoupli au fil des réformes.
Historiquement, les articles 466 et 824 du Code civil, ainsi que les dispositions de l’ancien Code de procédure civile, imposaient une expertise obligatoire pour l’estimation des immeubles. La loi du 2 juin 1841 et ses évolutions ultérieures ont toutefois conféré au juge une liberté discrétionnaire dans le recours à cette mesure. Désormais, l’expertise immobilière est facultative, même en présence d’incapables, une solution également retenue pour les meubles (Cass. 1ère civ., 28 avril 1964).
La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a renforcé le rôle du notaire dans les opérations de partage. Alors que l’ancien article 828 du Code civil limitait ses fonctions à l’établissement des comptes et à la composition des lots, le notaire peut désormais procéder à l’estimation des biens mobiliers et immobiliers. Cette compétence élargie, prévue par l’article 1364 du Code de procédure civile, vise à simplifier et accélérer les procédures de partage.
En pratique, le notaire peut s’adjoindre un expert en cas de complexité particulière, notamment pour des biens dont la valeur ou la consistance est difficile à établir. À titre d’exemple, un notaire commis dans une succession comprenant une collection d’art pourrait solliciter un expert pour évaluer précisément les œuvres, une tâche nécessitant une expertise spécialisée.
Lorsque l’intervention d’un expert est requise, celle-ci peut être décidée soit par le notaire, soit directement par le tribunal. Conformément à l’article 232 du Code de procédure civile, les parties peuvent proposer un expert de leur choix. À défaut d’accord, le tribunal désigne un technicien, qui agit dans le cadre des règles applicables aux mesures d’instruction (art. 232 à 248 et 263 à 284 CPC).
Il est également possible de recourir à une mesure d’instruction in futurum (art. 145 CPC), permettant d’anticiper l’évaluation des biens avant même l’introduction d’une demande en partage. Cette solution se révèle particulièrement utile dans les situations urgentes, comme l’évaluation d’un bien risquant de se dégrader.
Certains biens nécessitent des modalités d’estimation particulières. Par exemple, dans le cas des biens de famille insaisissables, leur évaluation devait, sous l’empire de la loi du 12 juillet 1909, être confiée à l’Office agricole du département et homologuée par le juge d’instance.
Par ailleurs, pour garantir une estimation précise, le tribunal peut enjoindre aux parties de communiquer aux experts tous les documents pertinents. À titre d’illustration, dans une affaire où les actions d’une société figurent parmi les actifs, les juges peuvent contraindre la société à fournir des documents financiers non accessibles aux actionnaires (Cass. com., 10 février 1969).
Le juge commis joue un rôle de supervision tout au long de la mesure d’expertise. Il peut notamment adapter la mission de l’expert, gérer les délais, ou encore procéder à son remplacement en cas de défaillance. Ces prérogatives, prévues par les articles 234, 236, 241 et 279 du Code de procédure civile, garantissent la bonne exécution de la mission confiée.
2. Critères d’estimation
L’estimation des biens à partager doit refléter la valeur vénale des biens, tout en tenant compte de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cette évaluation, destinée à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, obéit à des critères rigoureux que le notaire ou l’expert désigné devra scrupuleusement respecter.
Historiquement, l’article 825 du Code civil imposait que l’estimation des biens soit réalisée « à juste prix et sans crue », une précision devenue aujourd’hui inutile tant il est évident que l’évaluation doit refléter la juste valeur marchande. Ce principe, destiné à prévenir les sous-estimations ou les surévaluations arbitraires, constitue le fondement de toute estimation dans le cadre des opérations de partage. Il garantit une base équitable sur laquelle s’appuient les indivisaires et le tribunal.
Pour déterminer leur juste valeur, il est essentiel d’évaluer les biens en tenant compte de leur état, entendu comme l’ensemble de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cela implique d’examiner des éléments tels que leur consistance, leur localisation, leur état de conservation, ainsi que les droits réels ou les charges qui les affectent. Ces aspects, qui influencent directement la valeur vénale, doivent être scrupuleusement pris en compte.
Ainsi, un bien immobilier situé dans une zone urbaine recherchée ou bénéficiant d’une desserte optimale verra sa valeur significativement accrue. En revanche, un bien grevé d’un bail commercial ou frappé d’une hypothèque sera nécessairement déprécié. Par exemple, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 17 mars 1987 qu’un immeuble loué devait être évalué en tenant compte de la dépréciation résultant du bail en cours, sauf si l’attributaire du bien est également le locataire, auquel cas l’évaluation se fait comme si le bien était libre (Cass. 1ère civ. 1re, 17 mars 1987, n°85-15.700).
Dans cette affaire, un domaine agricole grevé d’un bail à ferme avait été attribué à titre préférentiel au preneur, en l’occurrence l’un des héritiers. La Cour d’appel avait initialement suivi l’expertise, qui proposait une réduction de 20 % de la valeur du bien pour tenir compte du bail. Toutefois, elle avait ensuite estimé, à juste titre selon la Cour de cassation, que ce bail devait être considéré comme éteint du fait de la réunion sur la tête de l’attributaire des qualités de propriétaire et de fermier. Cette confusion des qualités, engendrée par l’attribution préférentielle, rendait donc l’abattement inopérant.
La Cour de cassation a ainsi confirmé que l’évaluation d’un bien grevé d’un bail devait, en cas d’attribution au locataire, être réalisée comme si le bien était libre, car l’attributaire recueillait en réalité une pleine propriété, dénuée de toute occupation locative.
En matière immobilière, les critères d’estimation incluent non seulement les caractéristiques intrinsèques du bien, mais également son potentiel futur. La consistance du bien, sa situation géographique, sa constructibilité, ainsi que les perspectives offertes par son classement en zone constructible ou urbanisable sont autant de facteurs à considérer. Les juges, lorsqu’ils évaluent une parcelle de terrain, peuvent tenir compte de la valeur qu’elle prendrait en raison de sa qualité de terrain à bâtir, y compris lorsque cette qualité repose sur des perspectives d’urbanisation futures. Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la valeur actuelle d’un bien peut être appréciée en fonction d’un élément futur, dès lors que cet élément est pertinent pour déterminer les intérêts en présence.
En l’espèce, une parcelle cadastrée a été évaluée en tenant compte de l’éventuelle valeur qu’elle prendrait si elle obtenait la qualité de terrain constructible, perspective jugée suffisamment tangible pour justifier cette prise en considération. La Haute juridiction a confirmé que cette méthode, fondée sur une appréciation souveraine des juges du fond, ne violait pas la loi et pouvait être retenue pour refléter la réalité économique au jour du partage (Cass. 1ère civ., 9 juillet 1985, n°84-12.478).
En outre, l’existence d’un bail ou d’une autre forme d’occupation impacte nécessairement la valeur d’un bien lors de son évaluation dans le cadre d’un partage. Lorsqu’un domaine agricole grevé d’un bail rural est attribué à titre préférentiel, la Cour de cassation a jugé que la valeur du bien devait intégrer la dépréciation induite par ce bail, car celui-ci, strictement personnel au preneur, ne s’éteint pas du fait du partage (Cass. 1ère civ., 21 novembre 1995, n°93-17.719).
Dans cette affaire, un domaine agricole avait été attribué à titre préférentiel à une héritière, dont le mari était titulaire d’un bail rural sur cette exploitation. Un abattement de 30 % avait été proposé par l’expert en raison de l’existence de ce bail. La sœur de l’attributaire contestait cette évaluation, soutenant que le bien devait être estimé comme s’il était libre, au motif que la condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, exigée pour l’attribution préférentielle, avait été remplie par le mari preneur.
La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d’appel, a rejeté cet argument en précisant que le bail rural, étant un droit strictement personnel au preneur, ne tombait pas en communauté et continuait donc de grever le bien attribué. Elle a souligné que la règle de l’égalité du partage imposait que le bien soit évalué en tenant compte de cette charge, malgré l’attribution préférentielle. La condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, bien que remplie par le conjoint preneur, n’avait pas pour effet de rendre le bien libre de toute occupation.
S’agissant des biens meubles, bien que répondant aux mêmes principes, ils requièrent l’utilisation d’une méthode d’évaluation adaptée à leur nature. Pour les meubles courants, l’évaluation repose généralement sur leur valeur marchande, déterminée par comparaison avec des biens similaires. Pour les biens spécifiques, tels que des œuvres d’art ou des valeurs mobilières non cotées, il peut être nécessaire de recourir à une expertise spécialisée. Ainsi, une collection d’art devra être évaluée en tenant compte de la cote des artistes et des tendances du marché, une tâche exigeant une compétence technique particulière.
L’évaluation des biens, qu’ils soient immobiliers ou meubles, s’appuie souvent sur la méthode comparative, qui consiste à confronter le bien à des références similaires sur le marché. Cette approche, utilisée notamment pour les terrains ou les exploitations agricoles, permet de garantir une estimation précise et objective. Les notaires ou experts peuvent s’appuyer sur les données fournies par des organismes spécialisés tels que les chambres notariales ou la SAFER, qui offrent des points de référence fiables.
En cas de litige sur la valeur d’un bien, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour déterminer les bases de l’évaluation. Ils peuvent fonder leur estimation sur des critères économiques ou patrimoniaux propres au bien en cause, en s’appuyant sur les usages du secteur concerné. Par exemple, dans un arrêt rendu le 24 novembre 1969, la Cour de cassation a confirmé qu’un fonds de commerce devait être évalué selon les bénéfices réalisés lors des deux dernières années, conformément aux pratiques du commerce concerné (Cass. 1ère civ., 24 nov. 1969).
Dans cette affaire, un fonds de commerce d’imprimerie, légué par testament, faisait l’objet de contestations quant à son évaluation dans le cadre de la liquidation successorale. La Cour d’appel avait estimé la valeur des éléments incorporels du fonds en retenant les bénéfices des deux dernières années, après avoir pris en considération la situation des locaux où l’imprimerie était exploitée. La Cour de cassation a validé cette approche, rappelant que les juges du fond, après avoir exposé leurs motifs, exercent une appréciation souveraine sur la méthode d’évaluation, pourvu qu’elle repose sur des éléments rationnels et cohérents avec les usages du commerce.
Cette solution illustre la marge de manœuvre accordée au juge pour établir une évaluation réaliste et équitable des biens en litige, tout en respectant les spécificités économiques du bien évalué. Elle met en lumière l’importance des données sectorielles et des pratiques professionnelles pour déterminer la juste valeur d’un fonds de commerce ou d’autres actifs comparables.
3. Moment de l’estimation
L’établissement de la masse partageable, dans le cadre d’une succession ou d’une indivision, repose sur une évaluation précise et équitable des biens. L’article 829 du Code civil consacre la règle selon laquelle ces biens doivent être estimés à leur valeur à la date dite de la jouissance divise, laquelle correspond à un moment proche de la réalisation du partage.
Si ce principe semble limpide, son application exige parfois des aménagements pour répondre à des situations particulières ou pour préserver l’équilibre entre les copartageants.
i. Principe
==>Evolution jurisprudentielle
Longtemps, la détermination de la date d’évaluation des biens composant la masse partageable a suscité d’intenses débats doctrinaux et jurisprudentiels, oscillant entre tradition formaliste et pragmatisme économique.
Dans les premiers temps, la jurisprudence semblait privilégier une approche fondée sur l’effet déclaratif du partage, selon laquelle les héritiers sont réputés propriétaires des biens qui leur sont attribués dès l’ouverture de la succession. Cette orientation conduisait naturellement à retenir, comme référence pour l’évaluation des biens, la date du décès du de cujus.
Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation, rendus au cours du XIXe siècle, avaient consacré cette solution, notamment en matière successorale (Cass. req. 23 juin 1873, DP 1874.1.173) ainsi qu’en matière de communauté conjugale, où la dissolution du régime matrimonial marquait le point de départ de l’évaluation (Cass. req. 8 juin 1868, DP 1871.1.224).
Cette approche trouvait un certain écho dans la doctrine classique, attachée au respect de l’effet rétroactif du partage et à la logique patrimoniale de continuité des droits. Comme le notait déjà Gabriel Baudry-Lacantinerie, « l’évaluation à la date du décès se justifie par la continuité des droits successoraux, l’héritier étant censé propriétaire des biens dès cette date ».
Cependant, cette solution ne tarda pas à être remise en question par la pratique notariale, plus soucieuse de refléter la réalité économique des biens au moment où ils sont effectivement attribués aux copartageants. Il devenait en effet manifeste que, dans nombre d’hypothèses, un intervalle significatif s’écoulait entre la naissance de l’indivision et sa liquidation, exposant ainsi les biens à d’importantes variations de valeur. Or, une évaluation figée à la date de l’ouverture de la succession, sans tenir compte de ces fluctuations, risquait de fausser gravement l’équilibre entre les copartageants.
Ce constat, déjà perceptible dans la pratique des professionnels du droit, prit une dimension majeure dans le contexte de la dépréciation monétaire consécutive à la Première Guerre mondiale. À cet égard, le professeur Ripert relevait avec lucidité que « l’instabilité monétaire a bouleversé les règles applicables au partage des successions, rendant inacceptable toute évaluation des biens antérieure à leur répartition effective ». Les biens immobiliers, les valeurs mobilières et les créances, soumis aux aléas économiques, pouvaient connaître des plus-values ou des moins-values substantielles, remettant en cause l’égalité des lots et, par conséquent, la justice même du partage.
Face à cette réalité économique, la pratique notariale s’est donc orientée vers une estimation au jour du partage, seule à même d’assurer une répartition équitable des biens, quelles que soient les évolutions intervenues pendant la durée de l’indivision.
La doctrine a rapidement pris acte de cette pratique professionnelle commandée par le pragmatisme. Pierre Hébraud notait ainsi que « la fixation de la date d’évaluation des biens au jour du partage est un impératif économique et social, car elle seule permet d’assurer une stricte égalité entre les copartageants ». De manière similaire, Jacques Flour relevait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage aboutirait à des inégalités criantes, favorisant ou pénalisant certains héritiers de manière arbitraire, en fonction de l’évolution des marchés ».
La jurisprudence, initialement réticente à cette approche pragmatique, évolua progressivement sous l’influence de la doctrine et des besoins pratiques. C’est ainsi que, dès l’entre-deux-guerres, la Cour de cassation, consciente des enjeux posés par les fluctuations monétaires, se rallia au principe de l’évaluation des biens à la date la plus proche possible de la répartition effective.
Un arrêt rendu le 20 avril 1928 par la Cour de cassation constitue un jalon important dans cette évolution jurisprudentielle (Cass. civ. 20 avr. 1928). La Haute juridiction y reconnaît que, pour garantir l’égalité entre les copartageants, il est nécessaire de procéder à l’estimation des biens à une date reflétant leur valeur réelle au moment où ils sont attribués, afin de répartir équitablement les plus-values ou les moins-values intervenues durant la période d’indivision.
Cette orientation sera confirmée par un arrêt de principe rendu le 11 janvier 1937 aux termes duquel la Cour de cassation affirme très clairement que les biens doivent être évalués au jour du partage et non à celui du décès (Cass. civ. 11 janv. 1937). Comme a pu le souligner à ce sujet Gérard Champenois, « l’arrêt de 1937 marque une véritable rupture dans la jurisprudence française, en ce qu’il consacre la primauté de l’évaluation au jour du partage, mettant fin aux incertitudes antérieures sur la date de référence ».
La motivation sous-jacente à cette solution réside dans l’idée que, tant que le partage n’a pas été effectué, les biens demeurent indivis et chaque indivisaire doit, en toute logique, profiter des plus-values ou supporter les moins-values liées à leur évolution. Ainsi, Jean Patarin observe avec justesse que « le maintien de l’évaluation à la date du décès reviendrait à ignorer la réalité économique, en figeant des valeurs qui ne correspondent plus aux circonstances réelles du partage ». Cette jurisprudence, qui consacre définitivement le principe de l’évaluation au jour du partage, fut rapidement accueillie favorablement par la doctrine, au point de devenir une référence incontournable dans les règlements successoraux.
En somme, avant même d’être consacrée par la loi, la solution de l’évaluation au jour du partage s’était imposée dans la pratique et la jurisprudence comme une nécessité économique et juridique, permettant de garantir une répartition équitable des biens entre les copartageants. A cet égard, comme l’a justement écrit Pierre Catala, « le choix de la date d’évaluation n’est pas un simple détail technique : il touche au cœur même de l’équité successorale, en déterminant si le partage sera juste ou inique ».
==>Le choix de l’estimation au jour du partage
À l’origine, le Code civil de 1804 était silencieux sur la date d’estimation des biens à partager. Le seul article faisant référence à cette question était l’article 890, lequel se limitait à poser une règle spécifique se rapportant à la lésion. Ce texte, dans sa version initiale, disposait que « pour juger s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage ». Cette disposition traduisait une volonté de garantir que les lots constitués lors du partage reflètent les valeurs réelles des biens au moment de leur répartition, afin d’éviter qu’un copartageant, lésé par des fluctuations de valeur, ne soit désavantagé. Toutefois, cet article ne concernait que l’hypothèse particulière de la lésion, sans offrir de cadre général pour l’estimation des biens dans toutes les opérations de partage.
La première étape vers une généralisation de ce principe fut franchie avec la loi n°61-1378 du 19 décembre 1961, qui a modifié l’ancien article 832 du Code civil. Ce texte a introduit l’exigence selon laquelle les biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, tels que les immeubles ou les fonds de commerce, devaient être estimés à leur valeur au jour du partage. Cette réforme visait à prévenir les déséquilibres pouvant naître d’une évaluation figée à une date antérieure, notamment à la dissolution de la communauté matrimoniale ou à l’ouverture de la succession. En effet, des biens attribués à un copartageant sur la base d’une valeur obsolète auraient pu entraîner des distorsions importantes entre les lots, compte tenu des fluctuations de marché. La réforme de 1961 marquait ainsi une prise de conscience du législateur de la nécessité d’actualiser les estimations des biens pour préserver l’équité entre copartageants.
Cette orientation a été confirmée et élargie par la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971, qui a introduit des dispositions relatives au calcul des rapports et des réductions en valeur. Les articles 860 et 868 du Code civil, dans leur rédaction issue de cette réforme, prévoyaient que les opérations de rapport et de réduction devaient être réalisées sur la base des valeurs actualisées au jour du partage. Ce choix législatif traduisait une volonté claire de ne pas figer les valeurs des biens à des dates antérieures, mais de tenir compte des évolutions économiques survenues pendant la période d’indivision. À cet égard, Jacques Flour soulignait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage risquerait de créer des déséquilibres flagrants, en fonction des fluctuations de valeur intervenues entre la dissolution de l’indivision et sa liquidation ».
La consécration du principe d’estimation des biens à partager à la date du partage, qui avait été posé par la jurisprudence dès 1937, est intervenue avec la loi du 23 juin 2006, laquelle a introduit dans le Code civil l’actuel article 829. Cet article dispose en ce sens que « les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu’elle est fixée par l’acte de partage, en tenant compte, s’il y a lieu, des charges les grevant ». Cette date doit être « la plus proche possible du partage » afin de refléter fidèlement la réalité économique des biens au moment de leur répartition. L’article prévoit également, à son alinéa 3, la possibilité d’une modulation de la date d’estimation, en permettant au juge de fixer une date d’évaluation antérieure lorsque cela apparaît nécessaire pour rétablir l’égalité entre les copartageants. Ce mécanisme permet notamment de prévenir les inégalités susceptibles de naître d’un retard prolongé dans les opérations de partage, ou lorsque les biens indivis ont subi des variations de valeur significatives pendant la période d’indivision.
==>Principe de l’unicité de la date d’estimation
Outre l’exigence de fixer l’estimation des biens à partager à la date la plus proche possible du partage effectif, l’évaluation des actifs composant la masse partageable répond à un autre impératif fondamental : celui de l’unicité de la date d’estimation. Ce principe, qui découle directement de l’objectif d’égalité entre copartageants, impose que tous les biens soient évalués simultanément, à une même date, afin de garantir une répartition équilibrée des lots. Il ne saurait être question de privilégier l’un des copartageants en tenant compte de fluctuations de valeur intervenues postérieurement à une première évaluation partielle, au risque de compromettre l’équité des opérations de partage.
Cette exigence d’unité s’explique par la nature même des biens indivis. Chaque bien, qu’il s’agisse d’un immeuble, de valeurs mobilières ou d’une créance, est susceptible de connaître une évolution distincte de sa valeur au fil du temps. Une estimation à des dates différentes pourrait dès lors entraîner des distorsions considérables dans la répartition des lots. Comme le relevait déjà la doctrine classique, « il importe que les biens soient estimés dans un cadre temporel identique, de manière à éviter que les variations de leur valeur ne viennent fausser l’équilibre recherché lors du partage ». La Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, rappelé que l’unicité de la date d’estimation constitue une exigence essentielle à la réalisation d’un partage juste et équilibré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1965).
L’unité de la date d’évaluation permet également d’éviter les débats interminables quant à l’évolution des biens entre deux dates successives. Si chaque bien devait être évalué à un moment distinct, les contestations risqueraient d’être nombreuses, les copartageants pouvant chacun faire valoir que certaines évolutions leur sont préjudiciables ou, au contraire, profitables. La règle de l’unicité écarte ces difficultés en fixant un cadre temporel unique pour l’ensemble des estimations, ce qui permet de clore les débats sur la valeur des biens au jour du partage. À cet égard, Jacques Flour rappelait que « la simultanéité des évaluations est la clé de voûte des opérations de partage : elle neutralise les aléas des marchés et replace les copartageants dans une situation d’égalité parfaite ».
Enfin, il convient de noter que l’unicité de la date d’évaluation ne se limite pas à une simple exigence technique. Elle traduit une véritable exigence de justice successorale. En fixant un moment unique pour apprécier la valeur des biens, le partage reflète une photographie économique figée, garantissant que chaque copartageant reçoit un lot correspondant à une valeur réelle et non à une valeur affectée par des variations postérieures. Comme le souligne Gérard Champenois, « l’unicité de la date d’estimation est le prolongement naturel du principe d’égalité qui gouverne les opérations de partage. Elle permet d’assurer une stricte équité en neutralisant les effets des évolutions économiques imprévisibles ».
ii. Mise en œuvre
==>La fixation de la date de la date de la jouissance divise
La détermination de la date de jouissance divise constitue une étape essentielle dans les opérations de liquidation et de partage. Elle marque le moment à partir duquel chaque copartageant devient propriétaire des biens qui lui sont attribués, y compris des fruits et revenus produits par ces derniers. Cette date, retenue par l’article 829 du Code civil, est fixée par l’acte de partage ou arrêtée par le juge en cas de partage judiciaire. Sa détermination joue un rôle central dans l’évaluation des biens indivis et garantit une répartition équitable des droits entre les copartageants.
Dans le cadre de partages amiables, le notaire chargé de conduire les opérations de la liquidation insère habituellement une clause de jouissance divise dans l’acte de partage. Cette clause fixe la date à laquelle les estimations des biens doivent être réalisées, en veillant à ce que cette date soit « la plus proche possible du partage », conformément à l’exigence posée par l’article 829, alinéa 2. Ce choix vise à tenir compte des fluctuations économiques susceptibles d’affecter la valeur des biens durant la période d’indivision, afin que chaque copartageant reçoive une part équitable en fonction de la valeur réelle des biens au moment de leur attribution.
Lorsque le partage prend une tournure judiciaire, la fixation de la date de la jouissance divise relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers doivent apprécier la date la plus proche possible du partage, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de la nécessité de préserver l’égalité entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 3 oct. 2019, n°18-20.827). À défaut d’une date explicitement fixée, la décision judiciaire pourrait être dépourvue de toute autorité de la chose jugée quant à la valeur des biens évalués. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une décision qui statue sur la valeur d’un bien sans préciser la date de jouissance divise n’a pas l’autorité de la chose jugée quant à cette évaluation (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561). Cependant, il est admis que cette date puisse être déduite implicitement des termes du jugement, pourvu que les énonciations permettent de l’identifier sans ambiguïté. Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que, lorsque le dispositif d’un jugement n’aurait aucun sens sans référence à une date d’évaluation précise, celle-ci peut être déduite des motifs, dès lors qu’ils rappellent expressément la règle applicable (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596).
L’affaire concernait la liquidation des successions d’un couple décédé respectivement en 1945 et 1964, laissant pour héritiers leurs trois enfants. À la demande de deux indivisaires, le tribunal avait ordonné le partage judiciaire de la communauté réduite aux acquêts ayant existé entre les époux et de leurs successions, désignant un indivisaire comme bénéficiaire d’une attribution préférentielle de biens ruraux. Par un jugement rendu en 1975, le tribunal avait fixé la valeur des biens ainsi que les soultes dues aux autres indivisaires, en précisant que l’évaluation devait être effectuée « au jour le plus proche possible du partage ». Cependant, aucune date de jouissance divise n’avait été expressément arrêtée dans le dispositif.
L’un des indivisaires contesta par la suite le projet d’état liquidatif, estimant nécessaire de réactualiser la valeur des biens. Ce dernier soutenait que le jugement de 1975 n’avait pas fixé la date de la jouissance divise, et qu’en l’absence d’une telle précision, les biens devaient être réévalués au jour du partage effectif. La Cour d’appel, saisie de cette difficulté, rejeta cette demande en considérant que le jugement initial avait implicitement fixé la date d’évaluation des biens à la date de son prononcé. La cour releva que les motifs rappelaient clairement la règle selon laquelle l’évaluation devait se faire au jour le plus proche du partage et que, dès lors, la référence temporelle retenue devait être celle du jugement lui-même.
Le pourvoi formé contre cet arrêt critiquait cette interprétation, affirmant que l’autorité de la chose jugée ne pouvait s’attacher qu’aux dispositions expressément énoncées dans le dispositif d’une décision, et non aux motifs. Cependant, la Cour de cassation rejeta ce moyen. Elle jugea que le dispositif d’un jugement « n’aurait pas de sens s’il ne se référait pas à une date d’évaluation des biens », ajoutant que le dispositif pouvait être éclairé par les motifs dès lors que ceux-ci établissaient sans ambiguïté la date retenue. La Haute juridiction conclut que le jugement rendu par les premiers juges avait, en se référant à la règle d’évaluation au jour du partage, « évalué à sa date les biens attribués par préférence ainsi que les soultes », conférant ainsi à cette décision une autorité de chose jugée sur ce point.
Cette décision, saluée par la doctrine, témoigne d’un pragmatisme juridique nécessaire pour sécuriser les opérations de partage. En effet, comme l’observe Gérard Champenois, « admettre que la date de jouissance divise puisse être déduite implicitement des motifs d’un jugement évite que les opérations de liquidation soient continuellement remises en cause, tout en garantissant une répartition équitable des biens ». La solution adoptée par la Cour de cassation permet ainsi de préserver l’équilibre entre les impératifs d’équité entre les indivisaires et la sécurité juridique des partages judiciaires.
La fixation de la date de jouissance divise revêt une importance particulière dans le cadre d’un partage partiel, où certains biens indivis sont détachés de la masse avant le partage global. Dans ces hypothèses, la règle veut que les biens soient évalués à la date de leur attribution et non lors du partage final. Cette approche se justifie par la nécessité de refléter la valeur réelle des biens au moment où ils sortent de l’indivision, évitant ainsi que les copartageants ne soient affectés par des fluctuations économiques ultérieures.
Toutefois, pour que cette règle trouve à s’appliquer, il est impératif que le partage partiel soit véritable et effectif. La jurisprudence a précisé que l’attribution d’un bien à titre préférentiel par le juge, sans fixation explicite de la date de jouissance divise, ne constitue pas un partage définitif. Dans une telle situation, le bien en question doit être évalué à la date du partage global, car il demeure juridiquement indivis jusqu’à la réalisation complète des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 20 nov. 1990).
Ainsi, un jugement faisant droit à une demande d’attribution préférentielle ne suffit pas, à lui seul, à opérer le détachement définitif du bien concerné de la masse indivise. Dans le cadre d’une demande d’attribution préférentielle, le juge ne procède pas à l’attribution définitive du bien. Il se borne à en ordonner l’attribution dans le partage à intervenir, de sorte que l’évaluation du bien devra nécessairement se faire au moment où le partage global sera réalisé. Comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1993, tant que la date de jouissance divise n’a pas été fixée et que les droits des indivisaires n’ont pas été déterminés de manière définitive, le bien demeure dans la masse indivise et doit être évalué à l’époque du partage effectif (Cass. 1ère civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).
==>Les modulations permises
Le principe de l’évaluation des biens au jour du partage, bien que général, n’est pas rigide.
En premier lieu, l’article 829 du Code civil autorise des ajustements puisqu’il est admis que le juge puisse retenir une date antérieure à l’achèvement du partage, dès lors que cela apparaît nécessaire pour préserver l’égalité entre les copartageants (al. 3). Cette faculté de modulation répond à une exigence pratique : elle permet d’éviter que des retards prolongés dans les opérations de partage n’entraînent des déséquilibres significatifs, en particulier lorsque certains biens indivis subissent des dépréciations importantes ou, au contraire, connaissent des plus-values latentes.
La jurisprudence admet ainsi que le juge puisse fixer une date antérieure lorsque les circonstances le justifient. Par exemple, si le partage s’étend sur plusieurs années en raison de litiges ou de recours successifs, une évaluation à une date plus ancienne permet d’éviter qu’un copartageant ne profite indûment des retards pour bénéficier seul d’une plus-value intervenant après la dissolution de l’indivision (Cass. 1ère civ. 1re, 16 mars 1982, n°80-17.244). Gérard Champenois souligne à cet égard que « la faculté laissée au juge de moduler la date d’évaluation constitue une garantie précieuse d’équité, permettant de s’adapter aux réalités économiques tout en préservant les droits des copartageants ».
En deuxième lieu, la jurisprudence admet que l’évaluation des biens à partager puisse être actualisée par le recours à des indices économiques, à condition que ces derniers reflètent fidèlement l’évolution du marché et soient adaptés aux biens concernés. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt du 25 juin 2008, validant l’utilisation de l’indice trimestriel du coût de la construction pour ajuster la valeur des immeubles composant la masse à partager, lorsque la date de l’expertise initiale est éloignée de celle du partage effectif (Cass. 1ère civ., 25 juin 2008, n°07-17.766).
Dans cette affaire, un indivisaire contestait la réactualisation des évaluations réalisées quatre ans auparavant, estimant que l’application d’un indice générique ne permettait pas de respecter le principe d’évaluation à la date la plus proche du partage. La cour d’appel avait pourtant homologué le rapport d’expertise initial, en précisant que les valeurs estimées seraient majorées en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction jusqu’à la date du procès-verbal de liquidation de la succession.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, considérant que la cour d’appel avait souverainement apprécié que les attestations produites ne démontraient pas une sous-évaluation des biens par l’expert. Elle a relevé que la croissance du marché immobilier était de nature à affecter les estimations, justifiant ainsi l’ajustement opéré. En outre, il n’était pas soutenu que les caractéristiques spécifiques des biens s’étaient modifiées depuis l’expertise initiale. La Haute juridiction en a déduit que l’actualisation des évaluations par le biais de l’indice retenu pouvait être admise, à condition qu’elle repose sur une constatation précise de l’évolution du marché et que l’indice soit pertinent par rapport aux biens concernés.
Cette solution s’inscrit dans une démarche pragmatique visant à éviter le recours à des expertises successives lorsque le partage s’étend sur une période prolongée. Toutefois, comme le souligne Jacques Flour, « le recours à l’indexation n’est envisageable que dans la mesure où il permet d’éviter une distorsion entre la valeur théorique et la réalité économique des biens à partager ». L’utilisation d’un indice doit donc être justifiée par des éléments concrets démontrant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle du bien concerné. À défaut, la décision pourrait être jugée dépourvue de base légale.
En définitive, si la jurisprudence admet le recours à une réévaluation indiciaire, elle en encadre strictement les conditions. L’indexation ne doit pas être utilisée de manière systématique ou abstraite, mais doit refléter les fluctuations réelles du marché, afin de garantir une répartition juste et équilibrée des biens entre les copartageants.
En dernier lieu, il convient de souligner que la règle de l’unicité de la date d’évaluation des biens, bien qu’elle soit un corollaire naturel du principe d’égalité entre copartageants, ne revêt pas un caractère absolu. Il est admis que les copartageants puissent convenir de fixer des dates distinctes d’évaluation pour certains biens, à condition que l’équilibre des lots soit préservé et que l’objectif d’une répartition équitable ne soit pas compromis. Cette tolérance trouve son fondement dans une jurisprudence constante, qui a progressivement ouvert la voie à des aménagements pragmatiques, adaptés aux réalités de chaque situation successorale.
L’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 avril 2005 illustre parfaitement cette approche. En l’espèce, à la suite du divorce de deux époux soumis au régime de la communauté, le juge chargé de la surveillance du partage avait constaté leur accord pour attribuer à l’épouse un bien immobilier évalué à 500 000 francs, tandis qu’un autre bien revenait à l’ex-époux. Toutefois, avant que cet accord ne soit homologué, l’immeuble attribué à l’épouse fut vendu pour un montant de 650 000 francs. Le copartageant demanda alors que cette nouvelle valeur soit prise en compte dans les opérations de liquidation-partage, invoquant le principe selon lequel les biens doivent être évalués à la date la plus proche du partage effectif.
La Cour de cassation rejeta cette demande en affirmant que les copartageants avaient librement convenu d’une évaluation différente, laquelle avait été entérinée par une décision judiciaire devenue définitive. La Haute juridiction précisa qu’« il appartient aux copartageants de convenir d’en évaluer certains biens à une date distincte », dès lors que cette dérogation garantit un partage équilibré (Cass., ass. plén., 22 avr. 2005, n°02-15.180). En l’occurrence, la cour d’appel avait relevé que l’accord conclu entre les parties assurait une stricte égalité des lots et que la vente ultérieure du bien à un prix supérieur n’avait pas modifié les attributions initiales ni les intentions des parties.
Cette solution, saluée par la doctrine, traduit une volonté de préserver la sécurité juridique des opérations de partage, tout en introduisant une flexibilité nécessaire pour éviter des contentieux interminables sur la valeur des biens. Comme l’a justement observé Philippe Simler, « la possibilité laissée aux copartageants de fixer des dates d’évaluation distinctes permet d’adapter le partage aux spécificités de certains biens, tout en respectant le principe fondamental d’égalité ». Cette souplesse est particulièrement utile dans les situations où la jouissance privative d’un bien par l’un des indivisaires vient compenser un écart de valeur entre les lots. Par exemple, un immeuble occupé par un copartageant pendant l’indivision peut être évalué à une date antérieure afin de tenir compte de l’avantage tiré de cette jouissance.
Toutefois, cette faculté de modulation demeure encadrée. La Cour de cassation a rappelé que la fixation de dates d’évaluation distinctes doit avoir pour finalité de préserver l’équilibre global du partage et ne saurait aboutir à rompre l’égalité entre les copartageants. Ainsi, dans une affaire ultérieure, la première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait fixé des dates différentes sans démontrer que cette différenciation garantissait l’équilibre des lots (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006, n°04-19.356).
==>Les modulations interdites
Tout d’abord, bien que la jurisprudence admette certaines modulations dans le choix de la date d’évaluation, elle impose également des limites strictes. En particulier, la Cour de cassation exclut toute réévaluation automatique des biens par voie d’indexation abstraite. Cette interdiction vise à prévenir les risques d’erreur ou d’arbitraire, liés à une actualisation purement mécanique des valeurs, qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques propres des biens concernés.
Ainsi, dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a fermement rappelé que toute réévaluation fondée sur un indice économique doit être justifiée par des éléments précis établissant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle des biens indivis (Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-18.879). En l’espèce, la cour d’appel avait décidé de retenir les estimations d’un expert immobilier réalisées plusieurs années avant le partage, tout en les actualisant à l’aide de l’indice trimestriel du coût de la construction. Cette méthode visait à tenir compte de la forte croissance du marché immobilier constatée entre la date de l’expertise et celle du partage effectif.
Cependant, la Haute juridiction a censuré cette décision, au motif que la cour d’appel n’avait pas précisé en quoi l’évolution de l’indice retenu pouvait correspondre à celle des biens en question. La Cour de cassation a ainsi reproché aux juges du fond d’avoir adopté une réévaluation purement abstraite, déconnectée des caractéristiques concrètes des biens immobiliers concernés. Elle a souligné que l’indexation ne saurait être admise que si elle reflète fidèlement les variations réelles de valeur des biens objets du partage, et non une simple évolution générale du marché de la construction.
Cette décision illustre l’exigence d’une justification circonstanciée pour toute actualisation basée sur des indices économiques. Comme le relève la doctrine, une indexation systématique et aveugle serait contraire au principe d’équité qui doit présider aux opérations de partage. L’arrêt du 14 novembre 2006 s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante, rappelant que le juge doit éviter toute approximation dans l’évaluation des biens, sous peine de priver sa décision de base légale.
Ensuite, il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens. Cette interdiction repose sur le principe selon lequel les décisions concernant la valeur des biens doivent relever exclusivement du pouvoir juridictionnel, afin de garantir l’autorité de la chose jugée. Dans un arrêt rendu le 8 décembre 1993, la Cour de cassation a fermement rappelé qu’il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens à partager (Cass. 1ère civ., 8 déc. 1993, n°91-19.846).
En l’espèce, à la suite d’un divorce, la cour d’appel avait attribué préférentiellement un immeuble commun à l’un des époux, en retenant la valeur estimée par un expert judiciaire. Toutefois, elle avait également décidé que l’actualisation de cette évaluation serait effectuée par le notaire chargé de la liquidation des comptes entre les parties. La Cour de cassation a censuré cette délégation au motif que le juge doit lui-même fixer la valeur des biens à la date du partage et ne peut confier cette tâche à un officier public, fût-il un notaire.
La Haute juridiction a ainsi souligné que la détermination de la date d’évaluation des biens constitue une prérogative relevant de l’office exclusif du juge. Ce pouvoir ne saurait être abandonné au notaire liquidateur, car une telle délégation priverait la décision judiciaire de son autorité et ferait peser un risque d’insécurité juridique sur les opérations de partage.
Cette décision illustre l’importance du rôle du juge dans les opérations de liquidation-partage. En fixant lui-même la valeur des biens au jour du partage, le juge s’assure que les droits des parties sont protégés et que les principes d’équité et d’impartialité sont respectés. Toute délégation à un tiers, même à un notaire, compromettrait cette exigence fondamentale et risquerait de créer des situations d’incertitude préjudiciables à la stabilité des relations patrimoniales.
Enfin, Outre l’exigence de fixer une date unique pour l’évaluation des biens à partager, le respect de la stabilité des opérations successorales implique que cette date, une fois arrêtée, bénéficie de l’autorité de la chose jugée. En effet, la fixation de la date de la jouissance divise constitue une étape décisive dans la liquidation de l’indivision, dès lors qu’elle détermine la valeur des biens indivis à prendre en compte dans le partage. Par conséquent, il est en principe exclu de revenir sur cette date une fois les opérations de partage devenues définitives.
Aussi, la Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que l’autorité de la chose jugée interdit de demander une nouvelle évaluation des biens après l’homologation du partage, sous peine de compromettre la sécurité juridique des héritiers. Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a censuré une demande tendant à modifier la date de la jouissance divise au motif que cette date avait déjà été fixée dans une décision irrévocable, précisant que la stabilité des opérations de partage exige que les valeurs arrêtées ne soient pas remises en cause, sauf à fragiliser l’ensemble des droits des copartageants (Cass. 1ère civ., 24 oct. 1972, n°71-11.883).
En l’espèce, le partage d’une communauté post-divorce avait donné lieu à l’établissement d’un état liquidatif par un notaire, lequel avait fixé la date de la jouissance divise au 1er septembre 1948. Ce partage avait été entériné par un jugement du 2 novembre 1950, confirmé par un arrêt rendu le 6 mai 1952, devenu irrévocable. Toutefois, plusieurs années plus tard, l’un des copartageants a sollicité une nouvelle évaluation des biens sur la base d’une jouissance divise à fixer à une date plus récente, invoquant les dispositions issues de la loi du 13 juillet 1965, notamment l’article 1469 du Code civil relatif au calcul des récompenses.
La Cour de cassation a fermement rejeté cette demande, rappelant que la fixation de la date de la jouissance divise par une décision définitive interdit toute réévaluation ultérieure, sauf circonstances exceptionnelles. La Haute juridiction a insisté sur le fait que les décisions judiciaires fixant la date de la jouissance divise bénéficient de l’autorité de la chose jugée, laquelle s’étend non seulement à la valeur des biens, mais aussi à la date à laquelle ces valeurs doivent être appréciées. En modifiant cette date, les juges d’appel auraient violé ce principe fondamental, portant ainsi atteinte à la sécurité juridique des opérations de partage.
Cependant, la Cour de cassation a précisé que l’autorité de la chose jugée relative à la fixation de la jouissance divise est provisoire, et non absolue. Une révision de cette date peut être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque des retards considérables dans les opérations de partage rendent la date initialement retenue inappropriée au regard de l’objectif d’égalité entre les copartageants.
Dans l’arrêt précité du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a ainsi admis qu’un retard substantiel pouvait légitimer la fixation d’une nouvelle date de jouissance divise, dès lors que le maintien de la date initiale compromettrait l’équilibre des lots. Cette possibilité, toutefois strictement encadrée, ne peut être admise que si elle répond à une nécessité impérieuse dictée par les circonstances de la cause. Loin de constituer un ajustement opportuniste, elle vise à éviter que l’application rigide d’une date devenue obsolète n’entraîne des déséquilibres préjudiciables, tout en assurant la stabilité des opérations successorales.
Cette solution jurisprudentielle souligne l’importance de concilier sécurité juridique et équité entre copartageants. Si la fixation d’une date de jouissance divise ne saurait être modifiée sans justification sérieuse, il est également impératif que cette date reste pertinente par rapport à la réalité économique au moment du partage. En d’autres termes, l’autorité de la chose jugée ne doit pas se transformer en un obstacle rigide, empêchant les juges de s’adapter aux situations particulières lorsque l’intérêt des copartageants l’exige.
En revanche, la jurisprudence exclut toute révision de la date de la jouissance divise lorsque celle-ci a été expressément fixée par une décision irrévocable et que le partage a été définitivement homologué. Cette règle vise à éviter que les valeurs arrêtées lors du partage ne soient remises en cause de manière intempestive, ce qui risquerait de fragiliser les droits acquis par les copartageants et de générer des contentieux incessants. Comme l’a justement observé Pierre Catala, « l’autorité de la chose jugée en matière de partage est une garantie essentielle de stabilité et de sécurité juridique, qui interdit toute remise en cause des valeurs arrêtées, sauf circonstances exceptionnelles ».
Toutefois, pour que l’autorité de la chose jugée puisse pleinement s’appliquer, il est indispensable que la date de la jouissance divise ait été expressément fixée par le juge. À défaut, les évaluations des biens pourraient être contestées ultérieurement, créant une incertitude juridique préjudiciable aux indivisaires. La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 8 avril 2009, que la fixation implicite d’une date de jouissance divise ne suffit pas à garantir la stabilité des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561).
Enfin, il convient de souligner que le tribunal peut choisir de maintenir une date d’évaluation fixée dans une décision antérieure, à condition que cette décision ne soit pas trop éloignée dans le temps et que ce maintien soit conforme à l’intérêt des copartageants. Cependant, cette stabilité doit nécessairement s’accompagner d’une précision absolue quant à la date retenue. Comme souligné par Gérard Champenois, « l’autorité de la chose jugée ne saurait être invoquée pour des décisions imprécises ou ambiguës quant à la date d’évaluation des biens, au risque de compromettre l’équité du partage ».
En définitive, le principe d’autorité de la chose jugée relatif à la fixation de la date de la jouissance divise repose sur un équilibre délicat entre stabilité et souplesse. Si la date fixée doit être considérée comme définitive pour garantir la sécurité des opérations de partage, des ajustements restent possibles dans des cas exceptionnels, lorsque le maintien de la date initiale s’avérerait manifestement inéquitable. La jurisprudence, en encadrant rigoureusement ces exceptions, s’attache à préserver tant la sécurité juridique des opérations de partage que l’équité entre les copartageants.
B) Estimation des créances
L’estimation des créances dans le cadre des opérations de partage successoral ou d’indivision obéit à des règles spécifiques, qui varient en fonction de la nature de la créance et de son mode de liquidation. Il convient de distinguer entre l’évaluation du capital de la créance et celle des intérêts qu’elle produit, en tenant compte des particularités attachées à certaines créances de valeur. Cette distinction est essentielle pour assurer une répartition équitable de l’actif successoral et garantir la stabilité des opérations de partage.
En effet, comme l’a souligné Gérard Champenois, « les créances, bien que par nature immatérielles, n’en demeurent pas moins des éléments d’actif susceptibles d’influer sur l’équilibre des lots. Leur évaluation requiert une attention particulière, car elle peut, en cas d’imprécision, engendrer des déséquilibres durables entre les copartageants ».
1. Estimation du capital
a. Principe du nominalisme monétaire
==>Problématique
Lorsque le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit s’acquitter de sa dette, la question se pose de savoir s’il doit verser le montant nominal stipulé à l’origine ou un montant ajusté pour tenir compte des fluctuations monétaires survenues entre la naissance de la créance et son recouvrement. Cette interrogation, particulièrement pertinente dans le cadre des opérations de partage, prend tout son sens face au facteur temporel qui sépare le moment du fait générateur de la créance et celui de son exigibilité. Entre ces deux bornes, il peut s’écouler un laps de temps plus ou moins long, rendant d’autant plus incertain le maintien de la valeur réelle de la somme due.
C’est précisément lorsque cet intervalle temporel s’étire que la question de la fluctuation monétaire présente un enjeu crucial. La monnaie, en tant qu’unité de compte et instrument de paiement, ne conserve pas nécessairement une valeur constante dans le temps. L’inflation, la dépréciation monétaire ou les fluctuations des marchés financiers peuvent affecter le pouvoir d’achat de la somme inscrite dans le titre constitutif de la créance. Une somme d’argent stipulée à un moment donné peut ainsi ne plus représenter la même valeur économique au moment de son recouvrement, introduisant un risque de déséquilibre entre les parties.
Face à cette problématique, deux approches théoriques peuvent être envisagées. La première, le nominalisme monétaire, impose de figer la dette au montant nominal prévu lors de la naissance de l’obligation. Selon cette approche, le débiteur se libère de son obligation en versant le nombre d’unités monétaires stipulé dans le titre, indépendamment des fluctuations économiques. Autrement dit, une créance de 50 000 euros due au décès d’un indivisaire sera inscrite à ce montant exact dans la masse partageable, même si la valeur réelle de cette somme a diminué ou augmenté entre le décès et le partage.
Cette approche présente l’avantage majeur de garantir la prévisibilité des évaluations patrimoniales, tout en évitant des litiges interminables sur la valeur actualisée des créances. Comme le rappelle François Terré, « le nominalisme monétaire assure une sécurité indispensable dans les opérations patrimoniales, notamment en matière de partage, où la stabilité des évaluations constitue une garantie d’équilibre entre les héritiers ».
La seconde approche, celle du valorisme monétaire, consisterait à ajuster la dette en fonction des variations monétaires survenues entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette méthode, qui pourrait sembler plus équitable dans un contexte économique instable, présente néanmoins des risques importants d’insécurité juridique. Elle ouvrirait la porte à des contestations sur la méthode d’actualisation retenue, la période de référence ou les indices utilisés, complexifiant ainsi les opérations de partage et prolongeant indûment les indivisions.
Entre ces deux approches, le législateur français a fait un choix clair en faveur du nominalisme monétaire, considérant que la stabilité juridique devait primer sur les aléas économiques. Mais ce principe, loin d’être une innovation récente, puise ses racines dans une construction jurisprudentielle qui remonte à plus d’un siècle. Dès le XIXe siècle, le nominalisme monétaire a été consacré en droit français, à commencer par l’article 1895 du Code civil. Ce texte fondateur, bien que limité à l’origine au prêt de consommation, a progressivement acquis une portée générale à travers l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. Pour comprendre les enjeux actuels de ce principe, il convient d’en retracer les origines et d’analyser les étapes majeures de son extension.
==>Origines du nominalisme monétaire
Le nominalisme monétaire trouve donc ses origines dans l’article 1895 du Code civil, qui dispose que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». Cette disposition traduit l’idée que la monnaie, au-delà de sa simple fonction de paiement, constitue également une unité de mesure, destinée à apprécier la valeur des biens et des services. Contrairement aux unités de mesure utilisées dans les sciences, la monnaie présente cependant un caractère instable, car sa valeur dépend d’un cours susceptible de varier avec le temps. Ces variations, qu’elles soient liées à l’inflation ou à la dépréciation monétaire, peuvent perturber l’évaluation des créances sur une longue période.
L’article 1895 a été rédigé dans un contexte économique marqué par une certaine stabilité monétaire, notamment grâce à l’étalon-or, qui limitait les risques de dépréciation de la monnaie. Dans ce cadre, le nominalisme monétaire apparaissait comme une solution simple et efficace pour éviter les litiges liés à la valeur de la monnaie au moment de l’exécution des obligations. Comme le souligne Henri Capitant, « le nominalisme repose sur une exigence de sécurité juridique, en permettant au débiteur de connaître dès l’origine le montant exact de sa dette, indépendamment des aléas économiques ».
Cependant, cette règle, initialement cantonnée au prêt de consommation, a rapidement été étendue par la jurisprudence à l’ensemble des obligations de somme d’argent. Cette évolution jurisprudentielle a été amorcée dès la fin du XIXe siècle, notamment avec un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 25 février 1929 (Cass. req., 25 févr. 1929). Dans cette décision, la Haute juridiction a affirmé que le nominalisme monétaire s’appliquait à toutes les obligations pécuniaires, qu’elles soient issues d’un contrat de prêt ou de toute autre source d’obligation.
L’arrêt de 1929 marque un tournant décisif en posant le nominalisme monétaire comme un principe général du droit des obligations. Selon la Cour de cassation, le montant nominal d’une dette d’argent doit être respecté, quelles que soient les variations de la valeur de la monnaie entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette solution visait à préserver la sécurité juridique des relations patrimoniales en assurant une prévisibilité quant au montant des créances inscrites à l’actif.
Selon René Savatier, « l’extension jurisprudentielle du nominalisme monétaire a permis d’unifier le régime des obligations de somme d’argent, en garantissant aux créanciers qu’ils seraient toujours remboursés pour le montant exact stipulé dans le contrat, sans tenir compte des fluctuations économiques ».
Cette orientation a été confirmée à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 29 juin 1994, la Cour de cassation a rappelé que le nominalisme monétaire s’appliquait également lorsqu’une créance figurait à l’actif d’une masse partageable, qu’elle soit due par un tiers ou par l’un des copartageants (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).
==>Consécration légale du nominalisme monétaire
Malgré sa consécration jurisprudentielle, le nominalisme monétaire n’était pas expressément prévu dans les textes avant la réforme du droit des obligations. Afin de lever toute ambiguïté et de garantir la sécurité juridique des créances de somme d’argent, le législateur a choisi de consacrer ce principe de manière explicite lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du régime général des obligations.
Aussi, l’article 1343 du Code civil, issu de cette réforme, dispose désormais que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal ». Cette disposition met fin à tout débat sur la portée du nominalisme monétaire, en confirmant qu’il s’applique à l’ensemble des obligations pécuniaires, y compris celles inscrites à l’actif d’une masse successorale.
Selon Michel Grimaldi, « la consécration législative du nominalisme monétaire traduit une volonté de stabiliser les règles applicables aux obligations de somme d’argent, afin de garantir la sécurité des transactions patrimoniales, en particulier dans les opérations de partage successoral ».
L’application du principe du nominalisme monétaire aux créances inscrites à l’actif de la masse partageable offre aux copartageants une précieuse garantie de stabilité et de sécurité juridique. Dans le cadre des opérations de partage, il s’agit de figer la valeur des créances au montant stipulé dans le titre constitutif, sans que les variations monétaires intervenues entre la naissance de la créance et le partage n’en altèrent l’évaluation. Cette approche permet de neutraliser l’impact des aléas économiques sur la composition de la masse partageable, tout en assurant une prévisibilité indispensable à la répartition des biens entre les copartageants.
Par exemple, supposons qu’un héritier détienne une créance de 100 000 euros sur un tiers, contractée dix ans avant le décès du de cujus. Entre la naissance de cette créance et le moment du partage, une inflation importante a diminué le pouvoir d’achat de cette somme, de sorte que les 100 000 euros d’origine ne représentent plus la même valeur économique au jour du partage. Malgré cette dépréciation monétaire, la créance doit être inscrite à l’actif de la masse partageable pour son montant nominal de 100 000 euros, conformément au principe du nominalisme monétaire. Cette évaluation fixe empêche que des ajustements liés à l’inflation ou à d’autres indices économiques viennent perturber la stabilité des opérations de partage.
Ainsi, lorsqu’une créance de somme d’argent est due à l’indivision, elle doit être évaluée pour son montant nominal, qu’il s’agisse d’une créance contractée avant le décès ou d’une créance née pendant l’indivision. Cette règle est applicable que le débiteur soit un tiers ou l’un des copartageants eux-mêmes. La jurisprudence, constante sur ce point, a rappelé que les créances doivent être inscrites à leur valeur nominale, indépendamment des évolutions du pouvoir d’achat ou des fluctuations économiques susceptibles d’intervenir au fil du temps (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).
Cette position s’explique par la volonté de préserver l’équilibre entre les copartageants et d’éviter les contestations qui pourraient découler de la réévaluation des créances en fonction d’indices monétaires. En effet, admettre une actualisation des créances inscrites à l’actif introduirait un facteur d’incertitude dans les opérations de partage, compromettant ainsi la stabilité des rapports entre copartageants. Comme le souligne Gérard Cornu, « le nominalisme monétaire est une réponse juridique aux fluctuations économiques, garantissant la sécurité des évaluations et préservant l’intégrité des opérations de partage ».
En outre, cette règle permet de prévenir les conflits potentiels entre les copartageants, qui pourraient être tentés de demander une révision des évaluations en fonction des évolutions économiques, prolongeant ainsi les opérations de partage. Par exemple, si un héritier réclamait une réévaluation d’une créance sur la base d’un indice d’inflation, d’autres indivisaires pourraient exiger des révisions similaires pour d’autres éléments de l’actif successoral, engendrant une insécurité juridique et compliquant la clôture de l’indivision.
b. Limites
==>Prise en compte du risque de non-recouvrement
Le nominalisme monétaire, bien qu’essentiel pour garantir la stabilité des opérations de partage, peut se heurter à la réalité économique, notamment lorsque le recouvrement de certaines créances s’avère incertain. La jurisprudence a admis que la créance peut être inscrite pour une valeur inférieure à son montant nominal lorsqu’il existe un risque sérieux de non-recouvrement. En effet, la valeur réelle d’une créance dépend de la capacité du débiteur à honorer sa dette, et il serait artificiel d’inclure dans la masse partageable une créance que l’on sait irrécouvrable.
Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une créance pouvait être prise en compte pour un montant inférieur à son montant nominal, si le débiteur présentait des difficultés financières importantes rendant incertain son remboursement (Cass. 1ère civ., 9 juill. 1985). Cette solution permet d’éviter que la masse partageable ne soit artificiellement gonflée par des créances douteuses, créant ainsi un déséquilibre entre les héritiers. Comme le souligne Jacques Flour, « il ne faut pas confondre le montant nominal de la créance, qui constitue une obligation juridique, avec sa valeur économique, qui dépend des chances effectives de recouvrement. Cette distinction est essentielle en matière de partage, pour éviter que des créances fictives ne créent des déséquilibres injustes entre les héritiers ».
==>Les créances indexées et libellées en monnaie étrangère
Une autre limite au nominalisme monétaire réside dans les créances indexées ou libellées en monnaie étrangère. Dans de tels cas, leur évaluation doit tenir compte des fluctuations de l’indice ou du taux de change. Conformément au principe général d’évaluation des actifs de la masse partageable, ces créances doivent être liquidées au jour du partage, afin de refléter leur valeur réelle à cette date. Dans un arrêt du 10 juin 1976, la Cour de cassation a jugé que la conversion d’une créance libellée en dollars américains devait être effectuée au taux de change applicable au jour du partage, et non à la date de constitution de la créance (Cass. 1re civ., 10 juin 1976, 75-10.798). Cette solution permet de garantir une évaluation juste et conforme à la réalité économique.
==>Créances ordinaires et créances de valeur
Enfin, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les premières sont évaluées à leur montant nominal, tandis que les secondes, telles que les indemnités de rapport (article 860 du Code civil) ou les indemnités de réduction (article 924-2 du Code civil), doivent être évaluées en fonction de leur valeur réelle au jour du partage. Cette distinction est importante pour éviter que certaines créances, notamment celles résultant de dégradations ou d’améliorations des biens indivis, ne soient surévaluées ou sous-évaluées, compromettant ainsi l’équité entre les héritiers.
Comme le rappelle Laurent Aynès, « la distinction entre créances ordinaires et créances de valeur permet d’adapter le principe du nominalisme aux réalités économiques, tout en garantissant l’équilibre entre les héritiers. Le nominalisme monétaire ne saurait être appliqué de manière rigide, au risque de produire des situations injustes ».
2. Estimation des intérêts
L’évaluation des créances de somme d’argent dans le cadre des opérations de partage ne se limite pas à leur capital nominal. Elle inclut également les intérêts produits par ces créances, dont le régime diffère selon que le débiteur est un tiers ou un indivisaire. La question des intérêts est cruciale en vue d’assurer une répartition équitable entre les indivisaires et éviter que certains ne tirent un avantage indu du retard des opérations de partage.
==>Les intérêts des créances sur les tiers débiteurs
Lorsque la créance est détenue à l’encontre d’un tiers débiteur, le régime applicable est celui du droit commun des obligations. Les articles 1231-6, 1344 et 1344-1 du Code civil fixent les conditions de production des intérêts moratoires, qui commencent à courir soit après une mise en demeure du débiteur, soit dès l’exigibilité de la dette si le contrat le prévoit expressément.
Ainsi, en l’absence de stipulation particulière, les intérêts moratoires ne peuvent être réclamés qu’après que le débiteur ait été formellement mis en demeure de s’exécuter. Cette exigence de mise en demeure vise à protéger le débiteur contre une pénalisation injuste en cas de retard non imputable à sa faute. Selon Jean Carbonnier, « la règle selon laquelle les intérêts courent à partir de la mise en demeure vise à éviter que le débiteur ne soit pénalisé par des retards dont il n’est pas responsable, tout en protégeant le créancier contre l’inertie du débiteur ».
Par exemple, si l’indivision détient une créance de 30 000 euros à l’encontre d’un locataire tiers pour des loyers impayés, les intérêts moratoires ne commenceront à courir qu’à compter de la mise en demeure du locataire. Ces intérêts seront calculés au taux légal, sauf convention contraire.
==>Les intérêts des créances sur les indivisaires débiteurs
Le régime applicable aux intérêts des créances lorsque le débiteur est un indivisaire présente des spécificités par rapport aux règles générales du droit commun. L’article 866 du Code civil prévoit que les créances entre indivisaires produisent des intérêts de plein droit, sans qu’une mise en demeure ne soit nécessaire.
Deux cas de figure doivent être distingués quant au point de départ des intérêts :
- Si la créance existait avant l’entrée en indivision, les intérêts courent à compter de la constitution de l’indivision ou de l’événement générateur de celle-ci (ouverture de la succession, dissolution de communauté, etc.).
- Si la créance est née au cours de l’indivision, les intérêts courent à compter de la date d’exigibilité de la créance.
Prenons un exemple concret : deux personnes acquièrent ensemble un immeuble destiné à la location. Par la suite, l’un des indivisaires avance une somme importante pour réaliser des travaux de rénovation indispensables à la conservation du bien. Cette créance, dès lors qu’elle est exigible, produit des intérêts de plein droit, garantissant que l’indivisaire créancier ne soit pas pénalisé par le temps nécessaire à l’accord des parties ou à la dissolution de l’indivision. Comme le rappelle Laurent Aynès, « l’automaticité des intérêts sur les créances entre indivisaires vise à éviter qu’un indivisaire débiteur ne tire profit du retard dans la liquidation de l’indivision ».
Cependant, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les créances ordinaires, telles que les avances de fonds pour des travaux ou le remboursement de charges payées par un indivisaire, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur — c’est-à-dire celles dont le montant doit être déterminé lors du partage — ne produisent des intérêts qu’à compter de leur liquidation effective.
Par exemple, si un indivisaire réclame une indemnité d’occupation au titre de l’usage privatif d’un bien indivis, le montant de cette indemnité doit d’abord être fixé de manière définitive avant que des intérêts ne soient calculés. Cela garantit que le débiteur de la créance ne soit pas pénalisé par des intérêts sur un montant susceptible d’être contesté ou réévalué au cours des opérations de partage.
Comme le souligne Philippe Malaurie, « la fixation des intérêts sur les créances de valeur après leur liquidation préserve un équilibre entre la protection du créancier et la sécurité du débiteur, en évitant des calculs prématurés sur des montants incertains ».
Cette distinction s’inscrit dans une logique de prévisibilité des obligations pécuniaires au sein de l’indivision. Les créances ordinaires, dont le montant est connu dès l’origine, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur, par nature plus incertaines, attendent leur liquidation pour produire des intérêts. Cette règle permet de préserver la sécurité des relations entre indivisaires, tout en évitant des litiges prolongés liés à l’incertitude des montants en jeu.