Les conflits portant sur la propriété des meubles et des immeubles (art. 1198 C. civ.)

Le Code civil n’organise pas seulement le transfert de propriété des biens aliénés par voie de convention, il règle également les cas où plusieurs personnes se disputeraient la qualité de propriétaire d’un bien acquis auprès du même auteur.

Ce conflit de propriétés susceptibles de survenir consécutivement à l’aliénation conventionnelle d’un bien est réglé à l’article 1198 du Code civil.

Cette disposition envisage le conflit des droits d’acquéreurs successifs d’un même meuble en son alinéa 1er, reprenant ainsi l’ancien article 1141, et étend cette règle aux immeubles dans son alinéa second.

==> Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même meuble

L’article 1198, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs d’un même meuble corporel tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a pris possession de ce meuble en premier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que, en cas de conflits de propriétés entre plusieurs acquéreurs, ce n’est pas nécessairement celui qui, le premier en date, a régularisé le contrat translatif de propriété avec le cédant qui est réputé sortir vainqueur de ce conflit.

Le texte désigne plutôt celui qui, le premier, est entré en possession de la chose aliénée. Bien que cette solution puisse apparaître surprenante en ce qu’elle permet de désigner comme acquéreur une personne qui tient son droit d’un cédant qui avait déjà cédé son droit à une autre personne, elle se justifie par l’effet acquisitif de la possession qui, en matière de meuble, est immédiat.

Ainsi, en cas de conflit de propriétés portant sur un bien meuble, c’est le possesseur qui est préféré à tous les autres acquéreurs.

Encore faut-il néanmoins qu’il remplisse deux conditions cumulatives :

  • Première condition : une possession utile
    • Pour se prévaloir de la qualité de possesseur encore faut-il que la possession
      • D’une part, soit caractérisée dans tous ses éléments constitutifs que sont le corpus et l’animus
      • D’autre part, qu’elle ne soit affectée d’aucun vice, ce qui implique qu’elle soit continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque
  • Seconde condition : la bonne foi
    • Pour que la possession d’un bien meuble produise son effet acquisitif, le possesseur doit être de bonne foi
    • Dans la mesure où, en application de l’article 2274, la bonne foi est toujours présumée c’est à ceux qui revendiquent la propriété de la chose de prouver que le possesseur est de mauvaise foi.
    • Pour mémoire, l’article 550 du Code civil dispose que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • Il appartiendra au demandeur d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.

==> Le conflit des droits d’acquéreurs concurrents d’un même immeuble

L’article 1198, al. 2e du Code civil prévoit que « lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Il ressort de cette disposition que lorsque plusieurs acquéreurs se disputent la propriété d’un même bien immeuble, c’est la date de publication de l’acte translatif de propriété qui permettra de les départager.

La publicité foncière joue ainsi un rôle d’importance dans la mesure où elle est susceptible de faire échec à l’effet translatif d’un contrat de vente nonobstant sa régularisation antérieure à l’acte publié, en premier, à la conservation des hypothèques.

Ainsi, afin de résoudre un conflit de propriétés entre acquéreurs d’un même bien immobilier, il convient de se reporter, non pas à la date de régularisation de l’acte de vente, mais à sa date de publication aux services de la publicité foncière.

C’est donc celui qui a publié le premier qui sort victorieux de ce conflit, sauf à établir, ainsi que le prévoit l’article 1198, al. 2e du Code civil qu’il était de mauvaise foi au moment de la publication.

Cette précision quant à l’exigence de bonne foi de l’acquéreur a été introduite par le législateur à l’occasion de la réforme du droit des obligations afin de mettre un terme à une jurisprudence de la Cour de cassation qui conférait à la publicité une valeur que de nombreux auteurs jugeaient excessive.

  • Position initiale
    • Dans un arrêt Vallet du 22 mars 1968 la Cour de cassation avait jugé que dans l’hypothèse où le second acquéreur d’un bien immobilier avait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente portant sur le même bien, il lui était fait défense de se prévaloir des règles de la publicité foncière afin de faire primer son droit ( 3e civ. 22 mars 1968).
    • Autrement dit, en cas de mauvaise foi de l’acquéreur qui, le premier, avait accompli les formalités de publicité foncière, ces formalités étaient inopposables au premier acquéreur.

Cass. 3e civ. 22 mars 1968
Sur le moyen unique pris en ses divers griefs : vu l'article 1382 du code civil, attendu qu'il résulte des constatations de l'arrêt confirmatif attaque que Vallet a acquis un terrain des consorts de x... selon acte sous seing privé du 4 avril 1944, par l'intermédiaire de la société anonyme pétreaux ;
Que, tandis que Vallet réclamait la réitération de la vente par acte authentique, Roncari, administrateur de la société anonyme Patreaux, qui n'ignorait pas la première aliénation, a, par acte notarié du 9 février 1946, transcrit le 4 mai, acquis, pour lui, l'immeuble litigieux ;

Que Vallet, se voyant opposer cette transcription, a demandé qu'il soit dit que la seconde aliénation et sa transcription ayant été le résultat d'un concert frauduleux entre Roncari et le mandataire des vendeurs, lui soient déclarées inopposables ;

Attendu que les juges du fond ont rejeté cette demande, en précisant que si Roncari, qui connaissait les obligations contractées par le vendeur a l'égard de Vallet, parait avoir commis une faute de nature à engager sa responsabilité - il n'en résulte pas pour autant qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de la vente de 1946 ;

Qu’en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les motifs pour lesquels, constatant la faute de Roncari, et l'immeuble se trouvant encore entre ses mains, elle a écarté le mode d'exécution que constituait l'inopposabilité au premier acquéreur de la seconde vente et qui était réclamé par Vallet, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la seconde branche du moyen ;

Casse et annule l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de paris, le 27 janvier 1966 ;

  • Revirement de jurisprudence
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011 la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en affirmant qu’il était indifférent que le second acquéreur ait connaissance de la régularisation antérieure d’un premier acte de vente ( 3e civ. 12 janv. 2011, n°10-10667).
    • Pour la troisième chambre civile, le seul critère permettant de résoudre le conflit de propriétés entre acquéreurs se disputant la propriété d’un même bien, c’est la date de publication de l’acte.
    • Au soutien de sa position elle affirmait « qu’aux termes de l’article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s’ils n’ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d’actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés»
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, quand bien même le second acquéreur connaissait l’existence du premier acte de vente, seule compte la date d’accomplissement des formalités de publicité foncière.

Cass. 3e civ. 12 janv. 2011
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 29 octobre 2009) que suivant promesse sous seing privé du 22 avril 2002, la société civile immobilière Lacanau Clemenceau (la SCI) a vendu un immeuble à Mme X... ; que la réitération de l'acte authentique prévue au plus tard le 30 septembre 2002 n'est pas intervenue et que par assignation du 27 février 2003 Mme X... a fait assigner la venderesse en perfection de la vente ; que par acte authentique du 13 mars 2003, publié à la conservation des hypothèques de Bordeaux le 18 mars 2003, la SCI a vendu le bien aux époux Y... ; que par arrêt du 24 septembre 2007 la cour d'appel de Bordeaux, infirmant le jugement, a dit la vente parfaite au profit de Mme X... ; que le 30 octobre 2007 les époux Y... ont formé tierce opposition à l'arrêt du 24 septembre 2007 contre lequel aucun pourvoi en cassation n'a été formé et que par arrêt du 29 octobre 2009 la cour d'appel de Bordeaux a déclaré les époux Y... recevables en leur tierce opposition et constaté que l'immeuble litigieux était leur propriété ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de déclarer la tierce opposition des époux Y... recevable, alors, selon le moyen :

1°/ que l'ayant cause à titre particulier est représenté par son auteur, pour tous les actes accomplis antérieurement à l'accomplissement de la formalité de la publicité foncière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a décidé que la tierce opposition formée par M. et Mme Y... était recevable, car leur acte authentique avait été publié le 18 mars 2003, quand l'assignation en régularisation forcée de vente avait été délivrée dès le 27 février 2003, par Mme X... à la société civile immobilière Lacanau Clemenceau, ce dont il résultait que celle-ci avait représenté ses ayants-cause à titre particulier à la procédure, peut important que celle-ci ait abouti à un arrêt du 24 septembre 2007, a violé l'article 583 du code de procédure civile ;

2°/ qu'une tierce opposition n'est recevable que si le tiers concerné s'est trouvé dans l'impossibilité de faire valoir ses droits ; qu'en l'espèce, la cour qui a déclaré recevable la tierce opposition de M. et Mme Y..., sans rechercher si ceux-ci n'étaient pas, depuis le jour de la seconde vente dont ils avaient bénéficié, parfaitement informés de la vente précédemment consentie à Mme X... par la SCI Lacaneau Clemenceau, ainsi que de la procédure judiciaire les opposant et à laquelle ils avaient délibérément choisi de ne pas intervenir, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 583 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel retient à bon droit que si les ayants cause à titre particulier sont considérés comme représentés par leur auteur pour les actes accomplis par celui-ci avant la naissance de leurs droits, lorsqu'un acte est soumis à publicité foncière, la représentation prend fin à compter de l'accomplissement des formalités de publicité foncière ; qu'ayant constaté que les époux Y... avaient publié leur titre à la conservation des hypothèques le 18 mars 2003 et exactement retenu qu'ils n'étaient plus représentés à la date de l'arrêt, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a justement déduit que la tierce opposition formée par les époux Y... était recevable ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rétracter l'arrêt rendu le 24 septembre 2007, alors, selon le moyen, "que la connaissance, par un second acquéreur, de l'existence d'une première cession constatée par acte sous seing privé non soumis à publicité foncière, lui interdit de tirer avantage des règles de la publicité foncière, que la cour d'appel, qui a rétracté l'arrêt du 24 septembre 2007 constatant le caractère parfait de la vente consentie sous seing privé à Mme X..., en se fondant sur le simple fait que M. et Mme Y... avaient acquis le même immeuble de la société civile immobilière Lacanau Clémenceau par acte authentique du 13 mars 2003, publié dès le 18 mars suivant, sans rechercher si ces seconds acquéreurs n'avaient pas signé leur acte en toute connaissance de l'existence de la première vente intervenue au profit de Mme X..., ce qui les privait du bénéfice des règles de la publicité foncière, a privé sa décision de base légale au regard des articles 28 et 30 du décret du 4 janvier 1955,ensemble l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit qu'aux termes de l'article 30-1 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, les actes et décisions judiciaires portant ou constatant entre vifs mutation ou constitution de droits réels immobiliers sont, s'ils n' ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble ont acquis du même auteur des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés et constaté que Mme X..., dont les droits étaient nés d'une promesse de vente sous seing privé, ne pouvait justifier d'une publication, la cour d'appel, en rétractant l'arrêt du 24 septembre 2007, a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Manifestement, en exigeant que l’acquéreur qui, le premier, a publié l’acte translatif de propriété du bien aliéné soit de bonne foi, le législateur a entendu briser la jurisprudence adoptée par la Cour de cassation en 2011 et renouer avec sa position initiale dégagée dans l’arrêt Vallet.

Aussi, le second acquéreur d’un bien immobilier ne pourra sortir vainqueur d’un conflit de propriétés qu’à la condition qu’il soit de bonne foi, et plus précisément qu’il ignorait la régularisation a antérieure à l’accomplissement des formalités de publicité d’un premier acte de vente.

L’acquisition de la propriété: vue générale

==> Modes d’acquisition

Ainsi que l’a écrit Christian Atias, « le régime des biens n’est pas seulement une gamme de techniques qui organisent à l’état statique, au repos, la répartition de l’utilité des choses entre les personnes. Il ménage aussi des déplacements de valeur : il connaît des phénomènes de passage ».[1]

L’acquisition de la propriété est traitée dans un livre III consacré intitulé « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ».

Ce livre est introduit par des dispositions générales qui énoncent les différentes modes d’acquisition.

Il ressort des articles 711 et 712 du Code civil que la propriété des biens s’acquiert et se transmet :

  • Par succession
  • Par donation entre vifs ou testamentaire
  • Par l’effet des obligations.
  • Par accession ou incorporation
  • Par prescription acquisitive

À ces modes d’acquisition de la propriété, il convient d’ajouter :

  • L’occupation
  • Les modes d’acquisition spéciaux (création intellectuelle, mitoyenneté etc.)

==> Classification

À partir de ces dispositions, les auteurs ont élaboré des classifications qui visent à rendre compte de l’articulation qui existe entre les différents modes d’acquisition de la propriété.

La plus répandue est celle qui oppose les modes d’acquisition originaires aux modes d’acquisition dérivés :

  • Présentation de la classification
    • Selon cette classification, il y a lieu de distinguer selon que l’acquisition d’un bien procède d’un transfert de propriété ou selon qu’elle ne résulte d’aucune cession de droits
      • L’acquisition originaire
        • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
        • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
        • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
        • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
        • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
      • L’acquisition dérivée
        • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
        • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
        • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
        • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
  • Intérêt de la classification
    • La classification qui oppose les modes d’acquisition originaires de la propriété aux modes d’acquisition dérivés présente un double intérêt.
      • Premier intérêt
        • Cette classification permet de rendre compte des différents modes de preuve de la propriété
        • Tandis que la propriété acquise selon un mode originaire suppose d’établir un fait juridique (occupation, possession etc.), la propriété acquise selon un mode dérivé implique de rapporter la preuve du titre, voire, en cas de contestation, la chaîne des acquisitions
        • C’est la raison pour laquelle la preuve de la propriété est classiquement présentée comme la probatio diabolica.
        • Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter».
      • Second intérêt
        • L’autre intérêt présenté par la classification qui oppose les modes d’acquisition originaires à ceux dérivés est qu’elle permet de rendre compte de la situation de dépendance dans laquelle se trouve l’acquéreur à titre dérivé.
        • En effet, celui-ci tient son droit de propriétaires antérieurs, de sorte que s’il est établi que dans la chaîne des acquisitions l’un des transferts de propriété était irrégulier, cette irrégularité est susceptible d’anéantir les transferts de propriété subséquents.
        • L’acquéreur à titre origine n’est, quant à lui, pas exposé à ce risque dans la mesure où il ne tient son droit de propriété de personne.
        • Il ne situe donc pas au bout d’une chaîne d’acquisition qui est susceptible d’être anéantie sous l’effet de la nullité ou de la résolution d’un acte translatif.

[1] Ch. Atias, Droit civil – Les biens, éd. Litec, 2009, n°283, p. 199.

La protection de la servitude: les actions pétitoires et possessoires

I) Les actions pétitoires

Les actions pétitoires sont celles qui visent à établir un droit de propriété ou à nier son existence. Pour les autres droits réels, sont les servitudes, deux types d’actions peuvent être exercées :

  • L’action confessoire qui vise à faire reconnaître l’existence d’une servitude
  • L’action négatoire qui vise à contester l’établissement d’une servitude

==> L’action confessoire

L’action confesseur qui donc vise à obtenir la reconnaissance d’un droit réel, elle appartient, en matière de servitude, au propriétaire du fonds dominant.

Ainsi, celui-ci peut-il saisir le juge aux fins de se voir reconnaître un droit de passage ou encore une servitude non aedificandi (de ne pas bâtir).

En cas de violation de son droit, le titulaire de la servitude est fondé à solliciter la remise en état des lieux qui ne pourra pas lui être refusé par le juge qui dispose, en pareil cas, d’aucune marge de manœuvre.

Il n’aura, dès lors, d’autre choix que d’ordonner la démolition de l’ouvrage irrégulier, sans pouvoir exiger que le propriétaire du fonds dominant ait à justifier d’un quelconque préjudice. La seule constatation de la violation de son droit suffit à déclencher le prononcé de la sanction.

==> L’action négatoire

L’action négatoire est celle qui vise à contester un droit réel et plus précisément, pour les servitudes, à nier, soit leur existence, soit leur assiette ou les modalités d’exercice.

Aussi, appartient-elle au propriétaire du fonds servant qui devra prouver que la servitude qu’il conteste n’est fondée sur aucun titre ou encore que la prescription n’a pas pu jouer.

II) Les actions possessoires

L’article 2278 du Code civil prévoit que « la possession est protégée, sans avoir égard au fond du droit, contre le trouble qui l’affecte ou la menace. »

Si la possession est une situation de fait, elle produit des effets de droits qui justifient que le possesseur bénéficie d’une protection juridique en cas d’atteinte à son droit.

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la protection de la possession était assurée par les actions possessoires dont était titulaire, en application de l’ancien article 2279 du Code civil, celui qui possédait utilement et le détendeur précaire de la chose.

Cette disposition prévoyait en ce sens que « les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement. »

Au nombre des actions possessoires figuraient :

  • La complainte
    • Il s’agit de l’action de droit commun du possessoire, de sorte que tout trouble subi par le possesseur pouvait justifier l’exercice de cette action, à l’exception des troubles sanctionnés par les deux autres actions possessoires.
    • L’exercice de la complainte était conditionné par la caractérisation d’un trouble, par la paisibilité de la possession et par sa durée qui devait être supérieure à un an.
    • Ainsi, les conditions d’exercice de cette action possessoire étaient plutôt souples puisqu’il n’était pas nécessaire de justifier de tous les autres caractères de la possession (continue, publique, non équivoque)
  • La dénonciation de nouvel œuvre
    • Tandis que la complainte avait vocation à mettre fin au trouble subi par le possesseur, la dénonciation de nouvel œuvre visait à prévenir un trouble futur.
    • La décision rendue consistait ainsi à enjoindre l’auteur du trouble de cesser son activité en prévision de l’atteinte à venir à la possession du demandeur
  • L’action en réintégration
    • Cette action était pour le moins particulière dans la mesure où elle permettait d’assurer la protection de la possession qui avait duré moins d’un an.
    • La raison en est que cette action visait à sanctionner les troubles d’une extrême gravité
    • Il s’agit, en effet, de protéger une personne qui a été dépossédée du bien qu’elle occupait paisiblement, soit par violence (expulsion par la force du possesseur), soit par voie de fait (appropriation du bien sans recours à la force)
    • Afin de prévenir la vengeance du possesseur dépouillé, le droit l’autorisait à exercer une action en justice quand bien même il était en possession de la chose depuis moins d’un an

Bien que profondément ancrées dans le droit des biens, depuis 2015, les actions possessoires ne sont plus : elles ont été supprimées par le législateur pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, il peut être observé que la protection possessoire ne concernait que les immeubles, ce qui n’était pas sans restreindre son champ d’application.

Par ailleurs, les actions possessoires soulevaient des difficultés, notamment quant à leur distinction avec les actions pétitoires, soit les actions qui visent à établir, non pas la possession ou la détention d’un bien, mais le fond du droit de propriété.

En effet, il était toujours difficile d’exiger du juge qu’il ignore le fond du droit lorsqu’il est saisi au possessoire.

À cela s’ajoutait la règle énoncée à l’ancien article 1265 du Code civil qui posait le principe de non-cumul de l’action possessoire avec l’action pétitoire. Celui qui agissait au fond n’était pas recevable à agir au possessoire et le défendeur au possessoire ne peut agir au fond qu’après avoir mis fin au trouble.

En outre, il est apparu au législateur que les actions en référé étaient préférées aux actions possessoires, rendues trop complexes en raison notamment de ce principe du non-cumul du possessoire et du pétitoire.

Aussi, le groupe de travail sur la réforme du droit des biens, présidé par le professeur Périnet-Marquet, sous l’égide de l’association Henri Capitant, a « dans un but de simplification souhaité la suppression pure et simple des actions possessoires figurant dans le code de procédure civile »

Cette idée a été reprise une première fois par la Cour de cassation, dans son rapport d’activité de 2009. Selon ce rapport « les multiples difficultés nées de l’application de ce principe et de l’efficacité des procédures de référé actuelles permettent légitimement de justifier la suppression suggérée, la protection du trouble causé par une voie de fait relevant des attributions du juge des référés et le tribunal de grande instance statuant au fond sur le litige de propriété proprement dit ».

Un premier pas vers un rapprochement des actions possessoires et pétitoires avait été fait en 2005, lorsque le décret n°2005-460 du 13 mai 2005 relatif aux compétences des juridictions civiles, à la procédure civile et à l’organisation judiciaire a transféré la compétence du juge d’instance en matière d’action possessoire au juge du Tribunal de grande instance qui était déjà investi d’une compétence exclusive en matière d’action pétitoire.

Le législateur a finalement décidé de supprimer les actions possessoires en 2015 du dispositif de protection de la possession.

==> Droit positif

La loi n°2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures a donc abrogé l’ancien article 2279 du Code civil qui envisageait les actions possessoires.

Aussi, désormais, la seule action qui vise à assurer la protection du possesseur contre les troubles dont il est susceptible de faire l’objet est l’action en référé.

En matière de servitude, cette procédure n’est toutefois ouverte qu’aux seules servitudes apparentes et continues, ainsi qu’à celles qui reposent sur un titre.

La raison en est que les servitudes discontinues et non-apparentes ne peuvent pas s’acquérir par prescription, de sorte que leur possession est insusceptible de protection.

Lorsque, en revanche, le possesseur dispose d’un titre, il y a une présomption de titularité de la servitude qui justifie la protection de la possession.

Reste que l’action engagée devra remplir les conditions de recevabilité de l’action en référé qui ne vise pas à trancher le litige au fond, mais seulement à prononcer des mesures provisoires.

Cette procédure est confiée à un juge unique, généralement le président de la juridiction qui rend une ordonnance de référé.

L’article 484 du Code de procédure civile définit l’ordonnance de référé comme « une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires. »

Il ressort de cette disposition que la procédure de référé présente trois caractéristiques :

  • D’une part, elle conduit au prononcé d’une décision provisoire, en ce sens que le juge des référés ne se prononce pas sur le fond du litige. L’ordonnance rendue en référé n’est donc pas définitive
  • D’autre part, la procédure de référé offre la possibilité à un requérant d’obtenir du Juge toute mesure utile afin de préserver ses droits et intérêts
  • Enfin, la procédure de référé est, à la différence de la procédure sur requête, placée sous le signe du contradictoire, le Juge ne pouvant statuer qu’après avoir entendu les arguments du défendeur

Le juge des référés, juge de l’urgence, juge de l’évidence, juge de l’incontestable, paradoxalement si complexes à saisir, est un juge au sens le plus complet du terme.

Il remplit une fonction sociale essentielle, et sa responsabilité propre est à la mesure du pouvoir qu’il exerce.

Selon les termes de Pierre DRAI, ancien Premier Président de la Cour de cassation « toujours présent et toujours disponible (…) (il fait) en sorte que l’illicite ne s’installe et ne perdure par le seul effet du temps qui s’écoule ou de la procédure qui s’éternise ».

Le référé ne doit cependant pas faire oublier l’intérêt de la procédure à jour fixe qui répond au même souci, mais avec un tout autre aboutissement : le référé a autorité provisoire de chose jugée alors que dans la procédure à jour fixe, le juge rend des décisions dotées de l’autorité de la chose jugée au fond.

En toute hypothèse, avant d’être une technique de traitement rapide aussi bien de l’urgence que de plusieurs cas d’évidence, les référés ont aussi été le moyen de traiter l’urgence née du retard d’une justice lente.

Reste que les fonctions des référés se sont profondément diversifiées. Dans bien des cas, l’ordonnance de référé est rendue en l’absence même d’urgence.

Mieux encore, lorsqu’elle satisfait pleinement le demandeur, il arrive que, provisoire en droit, elle devienne définitive en fait – en l’absence d’instance ultérieure au fond.

En outre, la Cour européenne des droits de l’homme applique désormais au juge du provisoire les garanties du procès équitable de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, gde ch., arrêt du 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, no 17056/06). S’affirme ainsi une véritable juridiction du provisoire.

Le juge des référés est saisi par voie d’assignation. Il instruit l’affaire de manière contradictoire lors d’une audience publique, et rend une décision sous forme d’ordonnance, dont la valeur n’est que provisoire et qui n’est pas dotée au fond de l’autorité de la chose jugée.

L’ordonnance de référé ne tranche donc pas l’entier litige. Elle est cependant exécutoire à titre provisoire.

Le recours au juge des référés, qui n’est qu’un juge du provisoire et de l’urgence, n’est possible que dans un nombre limité de cas :

  • Le référé d’urgence
    • Dans les cas d’urgence, le juge peut prononcer toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence du litige en question. On dit à cette occasion que le juge des référés est le juge de l’évidence, de l’incontestable.
  • Le référé conservatoire
    • Le juge des référés peut également prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite (il peut ainsi, par exemple, suspendre la diffusion d’une publication portant manifestement atteinte à la vie privée d’un individu).
  • Le référé provision
    • Le juge des référés est compétent pour accorder une provision sur une créance qui n’est pas sérieusement contestable.
  • Le référé injonction
    • Le juge des référés peut enjoindre une partie d’exécuter une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire
  • Le référé probatoire
    • Lorsqu’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de certains faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, le juge peut ordonner des mesures d’instruction, par exemple une expertise.

S’agissant de la protection de la possession, pour exercer une action en référé il conviendra de remplir les conditions de recevabilité propres à chaque action.

S’agissant du référé urgence, l’article 834 du CPC) prévoit que « dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend » (Pour plus de détails V. Fiche sur le référé d’urgence).

S’agissant du référé conservatoire ou remise en état, l’article 835, al. 1er prévoit que « le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » (Pour plus de détails V. Fiches sur le référé conservatoire et sur le référé remise en état).

Exercice des servitudes: le principe de fixité

En principe, sauf accord entre les propriétaires du fonds dominant et du fonds servant, la servitude ne saurait être modifiée dans son assiette et dans ses modes d’exercice.

Ce principe est énoncé aux articles 701 et 702 du Code civil qui envisageant les conséquences de ce principe, le premier sur la situation du propriétaire servant et le second sur la situation du propriétaire du fonds dominant.

I) La situation du propriétaire du fonds servant

A) Principe

L’article 701, al. 1er du code civil que « le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage, ou à le rendre plus incommode. »

L’alinéa 2 illustre la règle ainsi posée en prévoyant que ce dernier « ne peut changer l’état des lieux, ni transporter l’exercice de la servitude dans un endroit différent de celui où elle a été primitivement assignée. »

Il ressort de ce texte qu’il est fait interdiction au propriétaire du fonds servant de modifier l’assiette de la servitude ainsi que ses modes d’exercice.

Est-ce à dire que ce dernier ne peut entreprendre aucune modification de la servitude ? À l’examen, l’interdiction n’est nullement absolue.

La modification de la servitude n’est prohibée que pour les cas où :

  • Soit, elle en restreint l’usage
  • Soit, elle la rend plus incommode

En dehors de ces cas, le propriétaire à toute latitude pour aménager la servitude, cette faculté correspondant à l’exercice des attributs de son droit de propriété dont il n’est nullement privé.

Lorsque dès lors, l’aménagement réalisé améliore l’exercice de la servitude, le propriétaire du fonds dominant ne saurait le lui reprocher (Cass. civ. 20 févr. 1884).

La question qui alors se pose est de savoir comment apprécier la gêne, l’incommodité susceptible d’être occasionnées au bénéficiaire de la servitude ? À partir de quand peut-on considérer que la modification affecte son usage normal ?

À l’examen, la jurisprudence a tendance à considérer que seule une gêne sérieuse, significative est susceptible d’engager la responsabilité du propriétaire du fonds servant (Cass. 3e civ., 16 mai 1990, n° 88-17.474). Cette appréciation est toutefois laissée au pouvoir souverain des juges du fond.

B) Exceptions

Par exception, la modification de l’assiette de la servitude est permise dans un cas envisagé à l’article 701, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que si l’assignation primitive de la servitude « était devenue plus onéreuse au propriétaire du fonds assujetti, ou si elle l’empêchait d’y faire des réparations avantageuses, il pourrait offrir au propriétaire de l’autre fonds un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits, et celui-ci ne pourrait pas le refuser. »

Autrement dit, lorsque le maintien de la servitude devient particulièrement préjudiciable pour le propriétaire du fonds servant, celui-ci dispose de la faculté de solliciter la modification de son assiette.

L’exercice de cette faculté est toutefois subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • D’une part, le maintien de la servitude doit diminuer l’utilité du fonds servant, soit causer une gêne sérieuse à son propriétaire
  • D’autre part, la modification de l’assiette de la servitude ne doit pas être préjudiciable au propriétaire du fonds dominant

Tel sera le cas lorsque l’absence de modification de l’assiette de la servitude sera de nature à priver le fonds d’un avantage que pourrait lui procurer une construction (édification d’une maison) ou un aménagement (installation d’une clôture).

Il en va de même lorsque le maintien de la servitude dans son état initial a pour effet de diminuer l’utilité du fonds qui, par exemple, ne pourrait pas être affecté à l’exploitation d’un commerce.

Lorsque les deux conditions énoncées par l’article 701, al. 3e sont réunies, le titulaire de la servitude ne peut pas refuser la demande qui lui est adressée : elle s’impose à lui.

La raison en est qu’il s’agit d’une faculté légale unilatérale, de sorte que le consentement du titulaire de la servitude n’est pas requis (Cass. 3e civ., 10 mars 1993, n° 91-17910).

À cet égard, cette faculté conférée par l’article 703, al. 3e du Code civil au propriétaire du fonds servant peut être exercée pour toutes les servitudes.

Il est donc indifférent que la servitude ait été établie par titre, par prescription ou par destination du père de famille.

La Cour de cassation a, par ailleurs reconnu que la règle était applicable y compris pour les servitudes légales (Cass. 3e civ., 21 juill. 1981).

C) Sanction

En cas de violation de la règle qui interdit au propriétaire du fonds servant de modifier l’assiette de la servitude, ainsi que ses modes d’exercice, la sanction encourue c’est la démolition.

Dans un arrêt du 4 octobre 1989 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la démolition est la sanction d’un droit réel transgressé » (Cass. 4 oct. 1989, n°87-14837).

Ainsi, seule la remise en état du fonds peut être prononcée à l’exclusion de l’octroi de dommages et intérêts, les juges du fond (Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, n° 02-10300).

À cet égard, il est indifférent que cette remise en état soit disproportionnée eu égard le préjudice causé au fonds dominant (Cass. 3e civ., 31 janv. 1995, n° 93-12490) ou qu’elle occasionne pour le propriétaire du fonds servant des dépenses considérables (Cass. 1ère civ., 30 nov. 1965).

Dès lors que la violation de l’article 701 est constatée, le juge n’a d’autre alternative que d’ordonner la démolition, ce qui n’est pas le cas lorsque la violation est commise par le propriétaire du fonds dominant.

II) La situation du propriétaire du fonds dominant

A) Principe

L’article 702 du Code civil dispose que « de son côté, celui qui a un droit de servitude ne peut en user que suivant son titre, sans pouvoir faire, ni dans le fonds qui doit la servitude, ni dans le fonds à qui elle est due, de changement qui aggrave la condition du premier. »

Il s’évince de cette disposition, applicable à toutes les servitudes, y compris légales, qu’il est fait interdiction au propriétaire du fonds dominant de modifier l’assiette et les modes d’exercice de la servitude dont il est titulaire.

Dans un arrêt du 13 novembre 1970, la Cour de cassation a précisé que « le propriétaire du fonds dominant est soumis à la règle de la fixité de la servitude, qui lui interdit d’apporter à l’état des lieux des modifications entrainant une aggravation de la charge grevant le fonds servant » (Cass. 3e civ. 13 nov. 1970, n°68-14247).

Aussi, ce dernier ne doit accomplir aucun acte qui aggraverait la charge qui pèse sur le fonds servant, ce qui implique qu’il doit en faire un usage normal de la servitude conformément à la destination de son fonds.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer s’il y a aggravation de la servitude. À l’analyse, il convient de prendre pour référence l’assiette de la servitude fixée initialement lors de son établissement.

Aussi, lorsque la servitude est conventionnelle, c’est l’acte constitutif qui, en principe, en fixe l’assiette et ses modes d’exercice.

Lorsque toutefois, le titre est silencieux, à tout le moins trop évasif, la jurisprudence admet que le propriétaire du fonds servant puisse modifier, à sa guise, les modalités d’exercice de la servitude, sans que cette modification ne puisse être qualifiée d’aggravation de la charge (V. en ce sens Cass. civ. 30 avr. 1929).

L’absence de précision dans le titre sur l’assiette de la servitude octroie donc une latitude très large à son titulaire, la jurisprudence interprétant ce silence comme une renonciation des parties à limiter les modifications à intervenir sur la servitude (Cass. 1re civ., 4 juill. 1962).

Quid lorsqu’aucun titre écrit n’a été régularisé ? Tel est le cas pour la servitude établie par prescription et pour la servitude par destination du père de famille.

Faute de jugement qui fixerait le périmètre de la servitude, il conviendra pour le propriétaire du fonds servant de démontrer que la modification dénoncée, soit déborde l’assiette de la possession s’il s’agit d’une servitude établie par prescription, soit ne correspond pas à l’aménagement réalisé sur le fonds avant la division s’il s’agit d’une servitude par destination du père de famille.

En tout état de cause, il devra être prouvé, quelle que soit la nature de la servitude, que la modification dont elle fait l’objet excède les limites du droit dont est titulaire le propriétaire du fonds dominant.

Tel est notamment le cas lorsque le titulaire d’un droit de passage réalise des aménagements sur le chemin qui débordent l’assiette de la servitude (V. en ce sens Cass.  3e civ., 1ère avr. 2009, no 08-11.079).

B) Conditions

Conformément à l’article 702 du Code civil, seules les modifications qui aggravent la charge qui pèse sur le fonds servant seraient prohibées. Est-ce à dire que le titulaire de la servitude serait autorisé à agir en dehors des limites de son droit, dès lors que ses actes n’occasionnent aucune aggravation ?

À l’examen, afin de déterminer si la modification de la servitude est licite, la jurisprudence fonde moins sa position sur l’existence d’une aggravation de la charge que sur le préjudice causé par cette aggravation.

Plus précisément, les juridictions ont tendance à considérer que la modification de la servitude emporte, en elle-même, présomption d’aggravation de la servitude (Cass. 3e civ., 12 mai 1975), mais que pour être sanctionnée cette aggravation doit être préjudiciable au propriétaire du fonds servant (V. en ce sens Cass. req., 20 janv. 1904 ; Cass. 3e civ., 12 mai 1975).

En tout état de cause, l’appréciation de la licéité de la modification de la servitude relève du pouvoir souverain des juges du fond (Cass. 3e civ., 8 janv. 1992).

Il peut être observé, s’agissant des servitudes de passage, que la modification de l’assiette de la servitude par le propriétaire du fonds dominant est permise dans un cas très spécifique.

La jurisprudence admet, en effet, que lorsque cette modification se justifie par un changement de la destination du fonds dominant qui rend la servitude initiale inadaptée à l’exploitation normale du fonds, elle peut être imposée au propriétaire du fonds servant (Cass. 3e civ. 4 oct. 2000, n°98-12284).

Il devra néanmoins être démontré que la nouvelle exploitation correspond à une utilisation normale et légitime du fonds dominant (CA Chambéry, 6 févr. 1951).

C)  Sanction

À l’instar de l’obligation qui pèse sur le propriétaire du fonds servant de ne pas diminuer l’usage de la servitude ni de le rendre plus incommode, l’obligation pour le propriétaire du fonds dominant de ne pas aggraver la charge est une obligation propter rem, soit attachée à la chose.

Est-ce à dire qu’en cas de violation de la règle posée à l’article 702 du Code civil, la sanction encourue est la démolition de l’ouvrage ?

Parce qu’il s’agit de sanctionner une obligation réelle, la remise en état des lieux devrait systématiquement être ordonnée par les juges dès lors qu’est constatée une aggravation de la charge qui pèse sur le fonds servant.

Tel n’est toutefois pas la position adoptée par la Cour de cassation qui considère que le choix de la sanction relève du seul pouvoir d’appréciation des juges du fond (Cass. 2e civ. 6 mai 1976).

La doctrine justifie cette différence de traitement en avançant que la violation d’un droit (cas du propriétaire du fonds servant) ne peut pas être mise sur le même plan que le mauvais usage d’un droit (cas du propriétaire du fonds dominant).

L’argument ne convainc pas, car dans les deux cas, il y a violation d’une obligation réelle. Elle devra, dans ces conditions, être sanctionnée de la même manière.

En tout état de cause, il y a bien différence de traitement par la jurisprudence qui admet que la violation de la règle énoncée par l’article 702 puisse être seulement sanctionnée par l’octroi de dommage et intérêts et non pas la remise en état des lieux (Cass. 3e civ., 11 juin 1974).

À cet égard, il peut être observé que lorsque la sanction consiste en une condamnation à des dommages et intérêts, elle n’est pas transmissible aux propriétaires successifs (Cass. 3e civ., 18 févr. 1987, n° 85-12867), alors qu’elle le devient lorsqu’il s’agit d’ordonner la remise en état des lieux (Cass. civ., 7 févr. 1949).

La raison en est que la dette de responsabilité est une obligation personnelle et donc intransmissible, alors que la sanction de la remise en état est une obligation réelle (propter rem) ce qui implique qu’elle suit le sort de la chose à laquelle elle est attachée.

L’extinction des servitudes: droit commun

La loi prévoit cinq causes d’extinction des servitudes au nombre desquelles figurent :

  • L’impossibilité d’exercice
  • La confusion
  • Le non-usage trentenaire
  • La renonciation
  • La perte de la chose

I) L’impossibilité d’exercice

==> Principe

L’article 703 du Code civil dispose que « les servitudes cessent lorsque les choses se trouvent en tel état qu’on ne peut plus en user. »

Il ressort de cette disposition que lorsque le fonds sur lequel pèse la charge ne peut plus procurer au propriétaire du fonds dominant l’utilité qui justifiait son établissement, la servitude s’éteint.

Tel sera le cas lorsque l’usage de la servitude devient définitivement impossible en raison de changement de la configuration des lieux.

Il peut s’agir, par exemple, de l’effondrement d’une falaise qui obstrue le chemin sur lequel s’exerçait en droit de passage ou encore le tarissement d’un puits qui donnait lieu à l’exercice d’un droit de puisage.

La cause de l’impossibilité d’exercice de la servitude est indifférente. Elle peut résulter du fait de la nature ou du fait de l’un des propriétaires des fonds.

Si, toutefois, cette impossibilité est imputable au propriétaire du fonds servant auquel il peut être reproché une faute ou à un tiers dont il répond, le propriétaire de fonds dominant pourra exiger, soit le rétablissement des lieux dans leur état primitif, soit l’allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

En outre, l’extinction de la servitude de ne procéder que d’une impossibilité d’exercice et non de son inutilité.

En dépit des réserves d’une partie de la doctrine, la jurisprudence est bien établie en ce sens que l’inutilité de la servitude conventionnelle ne peut entraîner son extinction.

Dans un arrêt du 7 décembre 1966 la Cour de cassation a affirmé, par exemple, la servitude « ne saurait être éteinte du seul fait de son inutilité » (Cass. 1ère civ., 7 déc. 1966).

Dans un arrêt du 5 mars 1997, la troisième chambre civile a encore validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir relevé que « la transformation des lieux avait été opérée par les propriétaires du fonds servant dans leur seul intérêt et que la gêne qu’ils éprouvaient désormais dans l’exploitation de leur commerce par le passage, au milieu de leur magasin, des occupants du fonds servant, était due à leur fait et non à la volonté des [propriétaire du fonds servant] de leur nuire », a jugé que « l’inutilité de la servitude n’était pas en soi une cause de son extinction » (Cass. 3e civ. 5 mars 1997, n°95-12485).

Ainsi est écartée l’extension, proposée par certains, de l’article 703 à l’hypothèse de l’inutilité de la servitude.

Reste que le propriétaire du fonds dominant pourrait être condamné au paiement de dommages et intérêts s’il commettait un abus de droit en exerçant une servitude qui est devenue inutile pour lui. Il conviendra alors, pour le propriétaire du fonds servant de démontrer l’intention de nuire (V. en ce sens CA Pau, 17 déc. 1968 ; CA Nancy, 24 mars 1994).

==> Tempérament

L’article 704 du Code civil prévoit que les servitudes « revivent si les choses sont rétablies de manière qu’on puisse en user ; à moins qu’il ne se soit déjà écoulé un espace de temps suffisant pour faire présumer l’extinction de la servitude, ainsi qu’il est dit à l’article 707. »

Il s’évince de cette disposition que l’extinction de la servitude pour impossibilité d’exercice est, potentiellement, temporaire.

Autrement dit, la servitude est susceptible de renaître si la cause de l’impossibilité d’exercice disparaît et que le fonds grevé peut, à nouveau, procurer au propriétaire du fonds dominant l’utilité qu’il est en droit de retirer de la servitude.

Lorsque, de la sorte le puits qui s’était tari est, de nouveau, en capacité de fournir de l’eau, le droit de puisage peut de nouveau être exercé.

Des auteurs observent que, en pareille hypothèse, la servitude ne s’est jamais éteinte. Son exercice était seulement suspendu, de sorte que le droit de son titulaire peut être exercé dans les mêmes termes qu’initialement[1].

À cet égard, la jurisprudence admet que la servitude puisse revivre, quand bien même elle ne serait pas identique à celle établie initialement, pourvu qu’elle soit conforme au titre et qu’elle n’aggrave pas la situation du fonds servant (V. en ce sens Cass. req., 21 mai 1851).

Seule limite à la reprise de la servitude, la prescription trentenaire, le non-usage des servitudes étant une cause autonome d’extinction.

II) La confusion

==> Principe

L’article 705 du Code civil dispose que « toute servitude est éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la même main. »

Ainsi, lorsque le fonds servant et le fonds dominant deviennent la propriété d’une même personne, la servitude s’éteint par confusion.

Cette règle est une application de l’adage « nemini res sua servit » qui signifie que l’on ne peut pas être titulaire d’une servitude sur son propre fonds.

Lorsque de la sorte une SCI devient propriétaire de deux fonds grevés de servitudes non aedificandi réciproques elles s’éteignent par confusion (Cass. 3e civ. 17 mai 2018, n°17-17516).

Dans un arrêt du 17 avril 1996, la Cour de cassation a toutefois précisé que l’extinction des servitudes par confusion, prévue par l’article 705 du Code civil, ne pouvait opérer qu’en cas de réunion dans la même main de la pleine propriété des deux fonds.

Il en résulte que lorsque l’acquisition de la nue-propriété d’un fonds ne suffit pas à emporter extinction de la servitude (Cass. 3e civ. 17 avr. 1996, n°94-16.873).

==> Tempéraments

Il est des cas où l’extinction de la servitude peut ne pas être définitive. Il en va ainsi :

  • D’une part, lorsque l’acte qui a opéré la réunion des fonds en une seule main fait l’objet d’un anéantissement rétroactif pour cause de nullité ou de résolution
  • D’autre part, lorsque le propriétaire décide de céder l’un des fonds qu’il avait acquis à un tiers, de sorte que la charge renaît sous la forme d’une servitude par destination du père de famille

III) Le non-usage trentenaire

==> Principe

L’article 706 du Code civil prévoit que « la servitude est éteinte par le non-usage pendant trente ans. »

Il ressort de cette disposition que l’écoulement du temps peut être une cause d’extinction de la servitude, tout autant qu’il peut être un mode d’acquisition.

Pour que la prescription édictée à l’article 706 produise son effet extinctif, encore faut-il établir le « non-usage » de la servitude pendant un délai de trente ans.

Il peut être relevé que c’est là une différence fondamentale avec le droit de propriété qui est imprescriptible soit qui, précisément, ne peut pas se perdre par le non-usage.

Par ailleurs, la prescription extinctive prévue par le texte se distingue de la prescription acquisitive envisagée à l’article 690 dont le domaine d’application est circonscrit aux seules servitudes apparentes et continues.

La prescription extinctive s’applique, quant à elle, à toutes les servitudes du fait de l’homme, peu importe leur mode d’établissement ou leurs caractères. Aussi, le non-usage est une cause d’extinction tant des servitudes apparentes et continues que des servitudes non-apparentes et discontinues.

Il ne produit, en revanche, aucun effet extinctif à l’égard des servitudes légales et naturelles car soumises à des régimes autonomes.

==> Condition

La prescription énoncée à l’article 706 du Code civil ne produit son effet extinctif qu’à la condition que soit établi le non-usage de la servitude.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « non-usage ». Classiquement cette notion se définit comme l’absence d’exercice de la servitude par son titulaire.

Celui-ci ne doit, autrement dit, avoir accompli aucun acte visant à tirer profit de l’utilité procurée par la servitude.

Dans un arrêt du 26 janvier 2017 la Cour de cassation a précisé que la cause du non-usage est indifférente. Peu importe donc que celui-ci résulte d’un cas de force majeure ou d’une abstention volontaire du propriétaire du fonds dominant (Cass. 3e civ. 26 janv. 2017, n°15-24190).

Quid dans l’hypothèse où le non-usage est seulement partiel, soit lorsque l’exercice de la servitude est réduit ?

Tel sera le cas lorsque le titulaire de la servitude n’empruntera qu’une partie du chemin sur lequel s’exerce un droit de passage ou lorsqu’il n’utilisera pas toutes les ouvertures donnant sur le fonds grevé d’une servitude de vue.

Pour la Cour de cassation le non-usage partiel n’est en aucun cas une cause d’extinction de la servitude (Cass. req., 5 juin 1860).

Tout au plus, il peut fonder une réduction des modes d’exercice de la servitude ou de son assiette.

Dans un arrêt du 17 mai 2018, la Cour de cassation a, par exemple, validé la décision d’une Cour d’appel qui a considéré qu’une servitude de passage se trouvait partiellement éteinte par le non-usage, en raison réduction de la largeur du chemin sur lequel s’exerçait un droit de passage qui avait perduré pendant plus de trente ans (Cass. 3e civ., 17 mai 2018, n° 17-18.234).

==> Le délai de prescription

Le délai de prescription est fixé par l’article 706 du Code civil à 30 ans, étant précisé que la jurisprudence ne reconnaît aucun délai abrégé en la matière (V. en ce sens Cass. req., 23 nov. 1875).

Ce délai trentenaire est, toutefois, susceptible de faire l’objet d’une interruption ou d’une suspension :

  • L’interruption du délai
    • En application de l’article 2231 du Code civil, l’interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.
    • L’interruption de la prescription interviendra à chaque nouvel exercice de la prescription
  • La suspension du délai
    • En application de l’article 2230 du Code civil, ma suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.
    • Ainsi, à la différence de l’interruption un nouveau délai ne recommence pas à courir.
    • Plusieurs causes de suspension de la prescription acquisitive sont prévues par le Code civil, au nombre desquelles figurent notamment, l’incapacité du titulaire de la servitude, la minorité, le recours à une procédure de conciliation ou de médiation ou encore pendant l’instruction d’une mesure avant dire droit.

Quant au point de départ de la prescription, du Code civil prévoit que « les trente ans commencent à courir, selon les diverses espèces de servitudes, ou du jour où l’on a cessé d’en jouir, lorsqu’il s’agit de servitudes discontinues, ou du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, lorsqu’il s’agit de servitudes continues. »

Aussi, la computation du délai implique de distinguer selon que la servitude est continue ou discontinue.

  • Les servitudes continues
    • Ce sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.
    • La prescription extinctive commence à courir à compter du jour où l’on a cessé d’en jouir, soit au jour où est intervenu l’acte ou le fait
    • S’il s’agit, par exemple, d’une servitude non aedificandi, le point de départ du délai correspondra au jour où les travaux de construction de l’ouvrage seront engagés ( 3e civ. 16 déc. 1970).
  • Les servitudes discontinues
    • Ce sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables.
    • La prescription extinctive commence à courir à compter du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, soit au jour du dernier acte d’exercice
    • Pour une servitude de passage par exemple, le point de départ du délai correspond au jour où le chemin a été emprunté pour la dernière fois ( 3e civ. 11 janv. 2006).

Il peut être observé que la jurisprudence considère que même un acte ou un fait insignifiant qui viendrait rompre le non-usage de la servitude suffit à interrompre le délai de prescription et, par voie de conséquence, à faire courir un nouveau délai.

Quant à la charge de la preuve, elle pèse sur celui qui revendique le maintien de la servitude, ce qui impliquera pour lui de démontrer que la servitude, dont il n’avait pas la possession actuelle, a été exercée depuis moins de 30 ans (Cass. civ., 17 févr. 1993, n° 90-19364).

En défense, le propriétaire du fonds servant devra établir que le dernier acte d’exercice de la servitude remonte à plus de trente, ce qui revient à rapporter la preuve d’un fait négatif.

==> Cas particulier du fonds dominant indivis

L’article 709 du Code civil prévoit que « si l’héritage en faveur duquel la servitude est établie appartient à plusieurs par indivis, la jouissance de l’un empêche la prescription à l’égard de tous. »

Il ressort de cette disposition que lorsque le fonds dominant est détenu en indivision, il est indifférent que tous les indivisaires n’utilisent pas la servitude.

La règle énonce qu’il suffit qu’un seul exerce la servitude pour qu’il soit fait échec au jeu de la prescription extinctive.

L’article 710 du Code civil précise que « si, parmi les copropriétaires, il s’en trouve un contre lequel la prescription n’ait pu courir, comme un mineur, il aura conservé le droit de tous les autres. »

La minorité étant une cause de suspension du délai de prescription, celle-ci ne pourra reprendre son cours qu’à compter de sa majorité.

Dans l’attente, cette interruption profite à tous les copropriétaires, peu importe que la servitude ne soit exercée par aucun d’eux.

IV) La renonciation

==> Principe

La renonciation est un « acte de disposition par lequel une personne abandonnant volontairement un droit déjà né dans son patrimoine (droit substantiel ou action en justice) éteint ce droit (renonciation à une créance à un usufruit, à une servitude) »[2].

Bien que le Code civil soit silencieux sur cette cause d’extinction de la servitude, celle-ci peut prendre fin sous l’effet de la renonciation du propriétaire du fonds dominant qui donc renonce à l’exercer pour l’avenir et abandonne son droit réel.

Cette faculté de renonciation est, par principe, reconnue à tout titulaire de droit réel, bien que certains d’entre eux y échappent, tel que le droit d’accès à une sépulture familiale (Cass. 3e civ., 19 déc. 2019, n° 18-22902).

==> Domaine

En matière de servitude la renonciation est admise, à tout le moins pour les servitudes du fait de l’homme (Cass. 3e civ., 27 mars 1991).

Pour les servitudes légales, elles sont d’ordre public de sorte qu’il ne peut être dérogé à la règle par convention contraire.

Dans un arrêt du 23 janvier 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation de l’auteur de la division au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée » (Cass. 3e civ. 23 janv. 2008, n°06-20544).

==> Forme

À l’instar de la renonciation de l’usufruit, la renonciation à une servitude peut être expresse ou tacite.

Elle sera expresse lorsque clairement exprimée dans un acte notarié. La validité de la renonciation tacite est, quant à elle, subordonnée à l’absence d’équivoque quant au comportement du titulaire de la servitude. Tel pourrait être le cas s’il consent à l’édification d’ouvrages ou la réalisation d’aménagement qui font obstacle à l’exercice de la servitude.

Si en revanche, le propriétaire du fonds dominant reste seulement passif, soit n’accomplit aucun acte contraire, la jurisprudence se refuse à interpréter cette abstention comme une renonciation. Elle l’analysera plutôt comme un non-usage de la servitude, de sorte qu’elle ne sera éteinte qu’au bout de trente ans.

Très tôt, la Cour de cassation a encore précisé que la renonciation ne se présumait pas (V. en ce sens Cass. civ. 3 déc. 1929).

Par ailleurs, dans l’hypothèse où la servitude est réciproque, la renonciation ne peut pas être unilatérale : elle doit nécessairement émaner des deux propriétaires.

Enfin, il est admis que la renonciation emporte mutation d’un droit réel. Il en résulte que pour être opposable aux tiers elle devra faire l’objet de formalités de publicité (Cass. 3e civ., 24 juin 1975)

V) La perte de la chose

Dernière cause d’extinction de la servitude, la perte de l’un des fonds qui a pour effet de priver la servitude de son objet.

Une servitude est un rapport d’utilité entre deux fonds. Aussi, la disparition de l’un d’eux emporte nécessairement anéantissement de ce rapport.

La perte de l’un des fonds peut être envisagée dans deux hypothèses :

  • Disparition du fonds pour cause de phénomène naturel, sans qu’aucune remise en état ne puisse intervenir
  • Rattachement d’un fonds au domaine public dans le cadre d’une expropriation pour cause d’utilité publique

Dans cette dernière hypothèse, bien que le fonds existe toujours, dès lors qu’il relève du domaine public il ne peut plus être grevé par une servitude, une telle charge ne pouvant être imposé qu’à un fonds privé.

L’article L. 12-2 du Code de l’expropriation prévoit en ce sens que « l’ordonnance d’expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés. »

[1] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les biens, éd. Dalloz, 2004, n°919, p. 796.

[2] G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, éd. 2005.

Exercice des servitudes: l’indivisibilité de la servitude

L’article 700, al. 1er du Code civil dispose que « si l’héritage pour lequel la servitude a été établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujetti soit aggravée. »

L’alinéa 2 du texte illustre la règle énoncée en prévoyant que « par exemple, s’il s’agit d’un droit de passage, tous les copropriétaires seront obligés de l’exercer par le même endroit. »

Il ressort de la règle ainsi posée que, en cas de division du fonds dominant en plusieurs parcelles, cette opération est sans incidence sur la servitude dont l’assiette ne s’en trouvera pas modifiée.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la division devait nécessairement intervenir postérieurement à la constitution de la servitude pour que la règle s’applique, position qui n’est pas sans relever du bon sens (Cass. ass. plén., 23 mars 2001, n° 98-19018).

À cet égard, l’indivisibilité de la servitude a pour effet d’autoriser chaque titulaire, devenus multiples consécutivement à la division, à exercer la servitude, non pas à proportion de la portion de fonds grevé dont ils sont devenus propriétaire, mais dans sa plénitude.

Il en résultera un partage des frais d’entretien et d’aménagement de la servitude entre tous ses titulaires. Ces derniers sont d’ailleurs libres de régler conventionnellement l’exercice de la servitude, en en réservant l’usage, par exemple, à certains moyennant l’octroi d’une contrepartie.

Reste que, conformément à l’article 702, al. 1er in fine les titulaires de la servitude ne doivent accomplir aucun acte qui aurait pour effet d’aggraver la charge qui pèse sur le fonds servant.

Il leur est donc interdit, par exemple, de modifier l’assiette d’un chemin sur lequel s’exerce un droit de passage (Cass. 3e civ., 8 mai 1969).

Dans un arrêt du 29 mai 1963, la Cour de cassation a encore jugé que « si, par application de l’article 700 du code civil, lorsque l’héritage à la charge duquel la servitude a été établie vient à être divisé, elle reste due par chaque portion, cette indivisibilité ne saurait avoir pour conséquence de faire supporter la servitude, par voie d’extension, a des fonds que le propriétaire de l’héritage assujetti y aurait ultérieurement réunis » (Cass. 1ère civ. 29 mai 1963).

Dans un arrêt du 21 juillet 1998, la troisième chambre civile a jugé dans le même sens que « la règle de l’indivisibilité de la servitude, édictée par l’article 700 du Code civil, ne [peut] avoir pour effet de faire bénéficier de la servitude de passage des fonds qui n’étaient pas visés dans l’acte constitutif » (Cass. 3e civ., 21 juill. 1998, n° 96-17504)

Enfin, il convient d’observer que si l’indivisibilité de la servitude s’impose au fonds servant, elle profite, dans les mêmes termes au fonds dominant.

Aussi, en cas de division du fonds grevé, la servitude s’impose aux nouveaux propriétaires qui, en quelque sorte, héritent de la charge, laquelle consiste en une obligation propter rem.

Lorsque, toutefois, la servitude est établie sur une partie seulement du fonds servant, elle subsistera pour cette portion du fonds et disparaîtra pour le surplus non grevé.

Exercice des servitudes: les droits et obligations attachés à la servitude

I) Les droits conférés au propriétaire du fonds dominant

A) Le périmètre des droits

Le propriétaire du fonds dominant ne peut exercer la servitude dont il est bénéficiaire que dans les limites de son droit.

Aussi, la servitude ne lui procure qu’une utilité déterminée, dont la limite tient à son mode d’établissement.

  • S’agissant d’une servitude légale, l’étendue du droit conféré à son bénéficiaire est déterminée par la loi et les règlements qui fixent le régime juridique qui lui est applicable
  • S’agissant d’une servitude conventionnelle, c’est le titre constitutif qui détermine l’assiette du droit dont est titulaire le propriétaire du fonds dominant
  • S’agissant d’une servitude établie par prescription, c’est la possession qui fixe les limites du droit acquis par le possesseur
  • S’agissant d’une servitude par destination, du père de famille, l’étendue du droit conféré à son bénéficiaire est déterminée par l’aménagement qui a été réalisé au moment de la division du fonds

À ces règles spécifiques qui président à l’exercice de chaque type de servitude, s’ajoutent des règles de portée générales énoncées aux articles 696 à 702 du Code civil.

Par ailleurs, en cas d’incertitude quant à la nature de la servitude revendiquée ou contestée, il y aura lieu, le plus souvent, de s’en référer à l’intention des parties afin de déterminer l’étendue des droits attachés à la charge constituée à la faveur du fonds dominant.

B) Le contenu des droits

  1. Un droit réel sur la chose d’autrui

Une servitude confère au propriétaire du fonds dominant un droit réel sur le fonds servant qui n’est autre que la chose d’autrui.

Il en résulte qu’il entretient un lien direct avec le bien grevé et non avec son propriétaire qui n’est pas son débiteur. Aucun rapport d’obligation n’existe entre les propriétaires des deux fonds.

Aussi, le droit – réel – dont est le titulaire de la servitude s’exerce directement sur la chose sans qu’il soit besoin d’actionner personne. Il tient son droit de sa qualité de propriétaire.

C’est la raison pour laquelle le droit conféré au titulaire de la servitude est indissociable du fonds dominant. Il ne peut donc pas être cédé, saisi ou donné en garantie indépendamment de ce fonds.

La servitude se transmet, de plein droit, avec le fonds auquel elle est attachée et profite à tous les propriétaires successifs.

À cet égard, parce que la propriété du fonds est imprescriptible, la servitude présente également un caractère perpétuel, en ce sens qu’elle peut prospérer aussi longtemps que le fonds existe.

2. Les droits accessoires attachés à la servitude

==> Les servitudes accessoires nécessaires à l’exercice de la servitude principale

  • Principe
    • L’article 696, al. 1er du Code civil dispose que « quand on établit une servitude, on est censé accorder tout ce qui est nécessaire pour en user. »
    • Il ressort de cette disposition que la servitude dont est titulaire le propriétaire du fonds dominant lui confère tous les droits nécessaires à son exercice.
    • L’alinéa 2e de l’article 696 illustre cette règle en prévoyant que « la servitude de puiser l’eau à la fontaine d’autrui emporte nécessairement le droit de passage. »
    • Ainsi, à la servitude principale qui grève le fonds servant sont attachées des servitudes accessoires qui visent à permettre au bénéficiaire de profiter de toute l’utilité qu’est censé lui procurer la servitude dont il est titulaire.
  • Domaine
    • La règle énoncée à l’article 696 du Code civil s’applique à toutes les servitudes du fait de l’homme.
    • Il est donc indifférent que la servitude ait été acquise par titre, par prescription ou par destination du père de famille ( req., 10 nov. 1908).
    • S’agissant des servitudes légales, l’article 696 du Code civil ne leur est pas applicable.
    • La raison en est que c’est la loi qui fixe leur assiette et les modalités de leur exercice.
    • Elles ne reposent donc sur aucun écrit ; c’est au juge qu’il revient directement de déterminer s’il y a lieu d’instaurer ou non des servitudes accessoires.
    • Dans un arrêt du 14 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi pu affirmer que si « celui qui a une source sur son fonds ne peut pas en user de manière à enlever aux habitants d’une commune, village ou hameau, l’eau qui leur est nécessaire», il n’en reste pas moins que « le droit d’usage reconnu aux habitants d’une commune, d’un village ou d’un hameau ne comporte pas celui de pénétrer sur le fonds où jaillit la source dont les eaux leur sont nécessaires  ( 3e civ., 14 déc. 2005, n° 04-18.994).
  • Conditions
    • Parce que la servitude accessoire est constitutive d’un empiétement qui déborde l’assiette du droit dont est titulaire le propriétaire du fonds dominant, son octroi doit être strictement nécessaire à l’exercice de la servitude principale.
    • Aussi, la simple commodité ou facilité ne saurait justifier l’établissement d’une servitude accessoire.
    • Elle ne peut être instaurée qu’à la condition qu’il n’existe aucune autre alternative raisonnable à l’exercice de la servitude principale.
    • Dans un arrêt du 14 octobre 1963, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que le droit de passage dont est titulaire le propriétaire d’un fonds sur lequel il fait édifier un immeuble à usage d’habitation implique le droit d’installer des canalisations souterraines sous le chemin permettant d’accéder au terrain ( 1ère civ. 14 oct. 1963).
    • Il a encore été jugé s’agissant d’une servitude de passage destinée à servir un immeuble à usage d’habitation situé en ville pouvait justifier l’apposition en façade d’une plaque, d’une boîte aux lettres et d’une sonnette qui sont des accessoires indispensables de la servitude de passage, même s’il est stipulé dans l’acte constitutif que la porte d’entrée doit rester fermée à clé ( 3e civ. 15 févr. 1972, n°70-12430).

==> Les ouvrages nécessaires à l’exercice de la servitude

  • Principe
    • L’article 697 du Code civil dispose que « celui auquel est due une servitude a droit de faire tous les ouvrages nécessaires pour en user et pour la conserver. »
    • Cette disposition s’inscrit dans le droit fil de l’article 696 qui confère au titulaire de la servitude tous les droits accessoires nécessaires à son exercice.
    • Le propriétaire du fonds servant est ainsi autorisé à édifier sur le fonds servant toutes les constructions, travaux et aménagements qui seraient nécessaires à l’exercice de la servitude principale.
    • Il pourra, par exemple, s’agir d’installer des canalisations souterraines sous le chemin conduisant à l’habitation du propriétaire qui est titulaire d’un droit de passage.
    • Précision apportée par l’article 698 du Code civil qui n’est pas sans importance : les ouvrages nécessaires pour user de la servitude et pour la conserver sont aux frais de son titulaire, et non à ceux du propriétaire du fonds assujetti
  • Domaine
    • Les règles posées aux articles 697 et 698 du Code civil ont vocation à s’appliquer à toutes les servitudes du fait de l’homme quel que soit leur mode d’établissement ( req. 16 mars 1869).
    • Il est fonds indifférent que la servitude ait été établie par titre, prescription ou destination du père de famille.
  • Conditions
    • La réalisation d’ouvrages, constructions ou aménagements sur le fonds servant n’est permise qu’à la condition :
      • D’une part, qu’ils soient strictement nécessaires à l’exercice de la servitude principale
      • D’autre part, qu’ils permettent un exercice de la servitude conformément à son entière assiette.
    • Ainsi, une servitude de passage à pied ne saurait autoriser son titulaire à goudronner le chemin conduisant à son fonds afin de permettre à des véhicules d’y accéder.
    • En revanche, le propriétaire du fonds dominant est autorisé à engager des travaux de réfection d’un mur de soutènement nécessaires pour que l’exercice de la servitude soit conforme à son entière assiette ( 3e civ. 12 mars 2014, n°12-28152).
    • Tel est également le cas du percement d’une clôture ou l’aménagement d’un chemin qui sont nécessaires pour l’exercice d’une servitude de passage.
  • Tempéraments
    • Si en principe, les frais engagés pour réaliser les ouvrages et aménagement nécessaires à l’exercice de la servitude sont à la seule charge du propriétaire du fonds dominant, il est des cas où ils peuvent être partagés avec le propriétaire du fonds servant voire lui incomber pour le tout.
      • La stipulation d’une clause contraire dans le titre constitutif
        • Le titre établissant la servitude peut parfaitement prévoir une répartition des fonds entre les propriétaires ou les mettre exclusivement à la charge du propriétaire du fonds servant ( 1ère civ., 30 nov. 1953)
        • Cette dérogation au principe posé à l’article 698 devra toutefois être expressément stipulée dans l’acte.
        • Il en résulte que, par hypothèse, les servitudes établies par prescription ou par destination du père de famille conduiront toujours à mettre les frais à la charge du propriétaire du fonds dominant, faute de titre écrit.
      • Modification de l’assiette de la servitude à l’initiative du propriétaire du fonds servant
        • Dans l’hypothèse où le propriétaire du fonds servant prend l’initiative de réaliser des aménagements sur l’assiette de la servitude par souci de commodité pour lui, les frais engagés sont à sa seule charge.
        • Tel est notamment le cas s’il décide d’agrandir le passage permettant au fonds dominant d’accéder à la voie publique ( 3e civ. 20 déc. 1989).
      • Existence d’une communauté d’intérêts
        • Lorsque les aménagements profitent, tant au propriétaire du fonds dominant, qu’au propriétaire du fonds servant, les frais engagés doivent être répartis entre les deux.
        • Dans un arrêt du 22 mars 1989 la Cour de cassation a jugé en ce sens s’agissant de la réfection d’un passage qui constituait la seule voie d’accès à la voie publique pour le fonds servant et le fonds dominant, que le coût engendré devait être supporté par les deux propriétaires ( 3e civ., 22 mars 1989, n°87-17029).
      • Faute du propriétaire du fonds servant
        • Lorsque, enfin, les travaux réalisés afin de permettre l’exercice de la servitude ont été rendus nécessaires par le fait du propriétaire du fonds servant, c’est à lui qu’il revient d’en supporter les frais ( 3e civ. 8 juin 1982).
        • Dans un arrêt du 5 décembre 1972, la Cour de cassation a encore jugé qu’il résulte du rapprochement des articles 697, 698 et 1240 que « le propriétaire, dont le fonds est grevé d’une servitude de passage, n’est pas tenu d’améliorer ou d’entretenir l’assiette de la servitude mais seulement d’observer une attitude purement passive, en ne faisant rien qui tende à diminuer l’usage de la servitude ou à la rendre plus incommode» de sorte que « ce propriétaire ne peut dès lors être condamné à réparation, qu’en cas d’infraction à cette obligation de ne pas faire » ( 3e civ. 5 déc. 1972, n°71-11040).

II) Les obligations qui pèsent sur le propriétaire du fonds servant

==> Des obligations négatives

L’article 701, al. 1er du Code civil dispose que « le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l’usage, ou à le rendre plus incommode. »

Il ressort de cette disposition que pèse sur le propriétaire du fonds servant une obligation d’abstention consistant à ne pas gêner le titulaire de la servitude dans son exercice.

Ainsi, devra-t-il veiller à ne pas obstruer le chemin conduisant à la voie publique en cas de servitude de passage ou de ne pas empêcher le ruissellement de l’eau en cas de servitude d’écoulement.

A l’examen, seules des obligations négatives de ne pas faire sont mises à la charge du propriétaire du fonds servant, sauf à ce que le titre constitutif de la servitude en dispose autrement.

Ce dernier n’a nullement l’obligation d’entretenir l’assiette de la servitude, cet entretien devant être assuré par le propriétaire du fonds dominant.

À l’inverse, le propriétaire du fonds servant conserve tous les attributs de son droit de propriété de sorte qu’il demeure libre de profiter de toutes les utilités procurées par son fonds dès lors qu’il ne rend pas incommode l’exercice de la servitude.

Il est notamment autorisé à emprunter le même chemin que celui qui constitue l’assiette du droit de passage octroyé au propriétaire du fonds dominant.

Il peut encore décider d’installer un portail sur ce chemin afin de clore le terrain. Il devra néanmoins dans cette hypothèse, remettre un double des clés au titulaire de la servitude.

Rien n’interdit non plus le propriétaire du fonds servant d’engager des travaux afin d’améliorer le passage en goudronnant le chemin ou en élargissant son assiette.

L’établissement d’une servitude sur un fonds ne signifie pas que le propriétaire perd les attributs de son droit de propriété. Cette situation a seulement pour effet de limiter

==> Le déguerpissement

Dans l’hypothèse où le propriétaire du fonds servant jugerait que la charge qui pèse sur son terrain est trop lourde, il dispose de la faculté de déguerpir, soit de l’abandonner unilatéralement sans que le titulaire de la servitude ne puisse s’y opposer.

L’article 699 du Code civil dispose en ce sens que « dans le cas même où le propriétaire du fonds assujetti est chargé par le titre de faire à ses frais les ouvrages nécessaires pour l’usage ou la conservation de la servitude, il peut toujours s’affranchir de la charge, en abandonnant le fonds assujetti au propriétaire du fonds auquel la servitude est due. »

Conformément à l’article 28-1 du décret n°55-22 du 4 janvier 1955, le déguerpissement devra néanmoins être notifié au propriétaire du fonds dominant et faire l’objet de formalités de publicité.

Le droit de déguerpissement étant d’ordre public, toute clause aux termes de laquelle le propriétaire du fonds servant y renoncerait serait frappée de nullité.

Le recours en retranchement (art. 464 CPC)

L’un des principaux attributs d’un jugement est le dessaisissement du juge. Cet attribut est exprimé par l’adage lata sententia judex desinit esse judex : une fois la sentence rendue, le juge cesse d’être juge.

La règle est énoncée à l’article 481 du CPC qui dispose que « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ». En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.

Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.

Le principe du dessaisissement du juge n’est toutefois pas sans limites. Ces limites tiennent, d’une part, à la nature de la décision rendue et, d’autre part, à certains vices susceptibles d’en affecter le sens, la portée ou encore le contenu.

  • S’agissant des limites qui tiennent à la nature de la décision rendue
    • Il peut être observé que toutes les décisions rendues n’opèrent pas dessaisissement du juge.
    • Il est classiquement admis que seules les décisions contentieuses qui possèdent l’autorité absolue de la chose jugée sont assorties de cet attribut.
    • Aussi, le dessaisissement du juge n’opère pas pour :
      • Les décisions rendues en matière gracieuses
      • Les jugements avants dire-droit
      • Les décisions provisoires (ordonnances de référé et ordonnances sur requête).
  • S’agissant des limites qui tiennent aux vices affectant la décision rendue
    • Il est certains vices susceptibles d’affecter la décision rendue qui justifient un retour devant le juge alors même qu’il a été dessaisi.
    • La raison en est qu’il s’agit d’anomalies tellement mineures (une erreur de calcul, une faute de frappe, une phrase incomplète etc.) qu’il serait excessif d’obliger les parties à exercer une voie de recours tel qu’un appel ou un pourvoi en cassation.
    • Non seulement, cela les contraindrait à exposer des frais substantiels, mais encore cela conduirait la juridiction saisie à procéder à un réexamen général de l’affaire : autant dire que ni les justiciables, ni la justice ne s’y retrouveraient.
    • Fort de ce constat, comme l’observe un auteur, « le législateur a estimé que pour les malfaçons mineures qui peuvent affecter les jugements, il était préférable de permettre au juge qui a déjà statué de revoir sa décision »[1].
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à revenir devant le juge qui a rendu une décision aux fins de lui demander de l’interpréter en cas d’ambiguïté, de la rectifier en cas d’erreurs ou d’omissions purement matérielles, de la compléter en cas d’omission de statuer ou d’en retrancher une partie dans l’hypothèse où il aurait statué ultra petita, soit au-delà de ce qui lui était demandé.
    • À cette fin, des petites voies de recours sont prévues par le Code de procédure civile, voies de recours dont l’objet est rigoureusement limité.

C’est sur ces petites voies de recours que nous nous focaliserons ici. Elles sont envisagées aux articles 461 à 464 du Code de procédure civile.

Au nombre de ces voies de recours, qui donc vise à obtenir du juge qui a statué qu’il revienne sur sa décision, figurent :

  • Le recours en interprétation
  • Le recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle
  • Le recours en retranchement
  • Le recours aux fins de remédier à une omission de statuer

Nous nous focaliserons ici sur le recours en retranchement.

L’article 5 du CPC prévoit que « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. »

Parce que le litige est la chose des parties, par cette disposition, il est :

  • D’une part, fait interdiction au juge de se prononcer sur ce qui ne lui a pas été demandé par les parties
  • D’autre part, fait obligation au juge de se prononcer sur ce tout ce qui lui est demandé par les parties

Il est néanmoins des cas ou le juge va omettre de statuer sur une prétention qui lui est soumise. On dit qu’il statue infra petita. Et il est des cas où il va statuer au-delà de ce qui lui est demandé. Il statue alors ultra petita.

Afin de remédier à ces anomalies susceptibles d’affecter la décision du juge, le législateur a institué des recours permettant aux parties de les rectifier.

Comme l’observe un auteur bien que l’ultra et l’infra petita constituent des vices plus graves que l’erreur et l’omission matérielle, le législateur a admis qu’ils puissent être réparés au moyen d’un procédé simplifié et spécifique énoncés aux articles 463 et 464 du CPC[2].

Il s’agira, tantôt de retrancher à la décision rendue ce qui n’aurait pas dû être prononcé, tantôt de compléter la décision par ce qui a été omis.

I) Conditions de recevabilité du recours

?Principe d’interdiction faite au juge de se prononcer sur ce qui ne lui est pas demandé

Le recours un retranchement vise à rectifier une décision aux termes de laquelle le juge s’est prononcé sur quelque chose qui ne lui était pas demandé.

L’article 4 du CPC prévoit pourtant que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties »

Aussi, est-il fait interdiction au juge de statuer en dehors du périmètre du litige fixé par les seules parties, ce périmètre étant circonscrit par les seules prétentions qu’elles ont formulées.

Dans un arrêt du 7 décembre 1954, la Cour de cassation a jugé en ce sens que les juges du fond « ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis, même pour faire application d’une disposition d’ordre public, alors que cette disposition est étrangère aux débats » (Cass. com. 7 déc. 1954).

Concrètement, cela signifie que le juge ne peut :

  • Ni ajouter aux demandes des parties
  • Ni modifier les prétentions des parties

À cet égard, l’article 464 du CPC prévoit que les dispositions qui règlent le recours en omission de statuer « sont applicables si le juge s’est prononcé sur des choses non demandées ou s’il a été accordé plus qu’il n’a été demandé. »

Dès lors afin d’apprécier la recevabilité du recours en retranchement, il y a lieu d’adopter la même approche que celle appliquée pour le recours en omission de statuer.

Pour déterminer si le juge a statué ultra petita, il conviendra notamment de se reporter aux demandes formulées dans l’acte introductif d’instance ainsi que dans les conclusions prises ultérieurement par les parties et de les comparer avec le dispositif du jugement (Cass. 2e civ. 6 févr. 1980).

C’est d’ailleurs à ce seul dispositif du jugement qu’il y a lieu de se référer à l’exclusion de sa motivation, la jurisprudence considérant qu’elle est insusceptible de servir de base à la comparaison (Cass. soc. 29 janv. 1959).

Comme pour l’omission de statuer, cette comparaison ne pourra se faire qu’avec des conclusions qui ont été régulièrement déposées par les parties et qui sont recevables (V. en ce sens Cass. 2e civ. 25 oct. 1978).

À l’examen, les situations d’ultra petita admises par la jurisprudence sont pour le moins variées. Le recours en retranchement a ainsi été admis pour :

  • L’octroi par un juge de dommages et intérêts dont le montant était supérieur à ce qui était demandé (Cass. 2e civ. 19 juin 1975).
  • L’annulation d’un contrat de bail, alors que sa validité n’était pas contestée par les parties (Cass. 3e civ. 26 nov. 1974)
  • La condamnation des défendeurs in solidum alors qu’aucune demande n’était formulée en ce sens (Cass. 3e civ. 11 janv. 1989)

?Tempérament à l’interdiction faite au juge de se prononcer sur ce qui ne lui est pas demandé

Si, en application du principe dispositif, le juge ne peut se prononcer que sur ce qui lui est demandé, son office l’autorise parfois à adopter, de sa propre initiative, un certain nombre de mesures.

En application de l’article 12 du CPC, il dispose notamment du pouvoir de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. »

C’est ainsi qu’il peut requalifier une action en revendication en action en bornage ou encore requalifier une donation en un contrat de vente.

Le juge peut encore prononcer des mesures qui n’ont pas été sollicitées par les parties. Il pourra ainsi préférer la réparation d’un préjudice en nature plutôt qu’en dommages et intérêts.

En certaines circonstances, c’est la loi qui confère au juge le pouvoir d’adopter la mesure la plus adaptée à la situation des parties. Il en va ainsi en matière de prestation compensatoire, le juge pouvant préférer l’octroi à un époux d’une rente viagère au versement d’une somme en capital.

Le juge des référés est également investi du pouvoir de retenir la situation qui répondra le mieux à la situation d’urgence qui lui est soumise.

L’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit encore que « tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision. »

II) Pouvoirs du juge

?Interdiction de toute atteinte à l’autorité de la chose jugée

Qu’il s’agisse d’un recours en omission de statuer ou d’un recours en retranchement, en application de l’article 463 du CPC il est fait interdiction au juge dans sa décision rectificative de « porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Ainsi sont fixées les limites du pouvoir du juge lorsqu’il est saisi d’un tel recours : il ne peut pas porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.

Concrètement cela signifie que :

  • S’agissant d’un recours en omission de statuer, il ne peut modifier une disposition de sa décision ou en ajouter une nouvelle se rapportant à un point qu’il a déjà tranché
  • S’agissant d’un recours en retranchement, il ne peut réduire ou supprimer des dispositions de sa décision que dans la limite de ce qui lui avait initialement été demandé

Plus généralement, son intervention ne saurait conduire à conduire à modifier le sens ou la portée de la décision rectifiée.

Il en résulte qu’il ne peut, ni revenir sur les droits et obligations reconnues aux parties, ni modifier les mesures ou sanctions prononcées, ce pouvoir étant dévolu aux seules juridictions de réformation.

?Rétablissement de l’exposé des prétentions et des moyens

Tout au plus, le juge est autorisé à « rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Il s’agira, autrement dit, pour lui, s’il complète une omission de statuer ou s’il retranche une disposition du jugement de modifier dans un sens ou dans l’autre l’exposé des prétentions et des moyens des parties.

Cette exigence procède de l’article 455 du CPC qui prévoit que « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. »

III) Procédure

A) Compétence

1. Principe

En application de l’article 463 du CPC, le juge compétent pour connaître d’un recours en omission de statuer ou en retranchement est celui-là même qui a rendu la décision à rectifier.

Cette règle s’applique à toutes les juridictions y compris à la Cour de cassation qui peut se saisir d’office.

Il n’est toutefois nullement exigé qu’il s’agisse de la même personne physique. Ce qui importe c’est qu’il y ait identité de juridiction et non de personne.

2. Tempéraments

Il est plusieurs cas où une autre juridiction que celle qui a rendu la décision à rectifier aura compétence pour statuer :

  • L’introduction d’une nouvelle instance
    • Dans un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de cassation a jugé que la procédure prévue à l’article 463 du CPC « n’exclut pas que le chef de demande sur lequel le juge ne s’est pas prononcé soit l’objet d’une nouvelle instance introduite selon la procédure de droit commun » (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Ainsi, en cas d’omission de statuer les parties disposent d’une option leur permettant :
      • Soit de saisir le juge qui a rendu la décision contestée aux fins de rectification
      • Soit d’introduire une nouvelle instance selon la procédure de droit commun
    • Cette seconde option se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • À cet égard, la Cour de cassation a précisé que, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, les parties n’étaient pas assujetties au délai d’un an qui subordonne l’exercice d’un recours en omission de statuer (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Appel
    • En cas d’appel, il y a lieu de distinguer selon que la juridiction du second degré est saisie uniquement aux fins de rectifier l’omission ou selon qu’elle est également saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
      • La Cour d’appel est saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
        • Dans cette hypothèse, l’effet dévolutif de l’appel l’autorise à se prononcer sur l’omission de statuer.
        • Les parties ne se verront donc pas imposer d’exercer un recours en omission de statuer sur le fondement de l’article 463 du CPC (Cass. 2e civ. 29 mai 1979).
      • La Cour d’appel est saisie uniquement pour statuer sur l’omission de statuer
        • Dans cette hypothèse, la doctrine estime que l’exigence d’un double degré de juridiction fait obstacle à ce que la Cour d’appel se saisisse d’une question qui n’a pas été tranchée en première instance.
        • Cette solution semble avoir été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 1997 aux termes duquel elle a jugé que « dès lors que l’appel n’a pas été exclusivement formé pour réparer une omission de statuer, il appartient à la cour d’appel, en raison de l’effet dévolutif, de statuer sur la demande de réparation qui lui est faite » (Cass. 2e civ. 22 oct. 1997, n°95-18.923).
  • Pourvoi en cassation
    • La Cour de cassation considère qu’une omission de statuer ainsi que l’ultra petita ne peuvent être réparés que selon la procédure des articles 463 et 464 du CPC (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).
    • La raison en est que la Cour de cassation est juge du droit. Elle n’a donc pas vocation à réparer une omission de statuer qui suppose d’une appréciation en droit et en fait.
    • Dans un arrêt du 26 mars 1985, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « le fait de statuer sur choses non demandées, s’il ne s’accompagne pas d’une autre violation de la loi, ne peut donner lieu qu’à la procédure prévue par les articles 463 et 464 du nouveau code de procédure civile et n’ouvre pas la voie de la cassation » (Cass. 1ère civ. 26 mars 1985).
    • Autrement dit, lorsque l’omission est doublée d’une irrégularité éligible à l’exercice d’un pourvoi, la Cour de cassation redevient compétente.

B) Saisine du juge

1. Délai pour agir

?Principe

L’article 463 du CPC prévoit que « la demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l’arrêt d’irrecevabilité. »

Ainsi à la différence du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui n’est enfermé dans aucun délai, le recours en omission de statuer et en retranchement doit être exercé dans le délai d’un an après que la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

Pour rappel, l’article 500 du CPC prévoit que « a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution ».

À cet égard, il conviendra de se placer à la date d’exercice du recours en rectification pour déterminer si la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

?Exceptions

  • Introduction d’une nouvelle instance
    • En matière d’omission de statuer, l’expiration du délai d’un an ferme seulement la voie du recours fondé sur l’article 463 du CPC.
    • La Cour de cassation a néanmoins admis qu’une nouvelle instance puisse être introduite selon les règles du droit commun (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Cette solution se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • Aussi, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, la Cour de cassation considère que les parties ne sont pas assujetties au délai d’un an (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Recours introduit par Pôle emploi
    • La jurisprudence a jugé que lorsqu’un recours en omission de statuer est exercé par les ASSEDIC (désormais pôle emploi) consécutivement à une décision ayant statué sur le remboursement des indemnités de chômage (art. L. 1235-4 C. trav.), le délai d’un an court à compter, non pas du jour où la décision à rectifier est passée en force de chose jugée, mais du jour à l’organisme a eu connaissance de cette décision (Cass. soc. 7 janv. 1992)

2. Auteur de la saisine

À la différence de la procédure en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui peut être initiée par le juge qui dispose d’un pouvoir de se saisir d’office, les procédures d’omission de statuer et en retranchement ne peuvent être engagées que par les parties elles-mêmes.

Il est fait interdiction au juge de se saisir d’office.

3. Modes de saisine

?Principe

Lorsque le juge est saisi par les parties, l’acte introductif d’instance prend la forme d’une requête.

  • Une requête
    • L’article 463 du CPC prévoit que « le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune. »
    • Les recours en omission de statuer et en retranchement doivent ainsi être exercés par voie de requête unilatérale ou conjointe.
    • Pour rappel :
      • La requête unilatérale est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
      • La requête conjointe est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte commun par lequel les parties soumettent au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
  • Forme de la requête
    • À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.
    • Ces mentions sont énoncées aux articles 54, 57 et 757 du CPC.
  • Dépôt de la requête
    • La requête doit être déposée au greffe de la juridiction saisie en deux exemplaires.
    • La remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué au déposant afin qu’il conserve une preuve du dépôt.
    • En cas de dépôt d’une requête unilatérale, il y a lieu de la notifier à la partie adverse.
    • Il appartient au juge de provoquer le débat contradictoire entre les parties.

?Exceptions

Il est admis en jurisprudence que la saisine du juge puisse s’opérer au moyen d’un autre mode de saisine que la requête.

Cette saisine peut notamment intervenir par voie d’assignation devant la juridiction compétente (CA Paris, 14 mars 1985).

C) Convocation des parties

L’article 463, al. 3e du CPC prévoit que le juge « statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées. »

Ainsi, afin d’adopter sa décision de rectification, le juge a l’obligation d’auditionner et d’entendre les parties, étant précisé que, en l’absence de délai de comparution, le juge doit leur laisser un temps suffisant pour préparer leur défense.

Il s’agit ici pour le juge de faire respecter le principe du contradictoire conformément aux articles 15 et 16 du CPC.

Aussi, bien que l’instance soit introduite par voie de requête, il y a lieu d’aviser la partie adverse de la demande de rectification.

Quant au juge, il lui est fait obligation de s’assurer que les moyens soulevés ont pu être débattus contradictoirement par les parties (V. en ce sens Cass. 2e civ. 3 janv. 1980).

D) Représentation

S’agissant de la représentation des parties, la procédure d’omission de statuer ou en retranchement répond aux mêmes règles que celles ayant donné lieu à la décision rendue.

Aussi, selon les cas, la représentation par avocat sera obligatoire ou facultative. En cas de représentation facultative, la requête pourra, dans ces conditions, être déposée par les parties elles-mêmes.

E) Régime de la décision rectificative

?Incorporation dans la décision initiale

L’article 463, al. 4e di CPC prévoit que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Ainsi, la décision rectificative vient-elle s’incorporer à la décision initiale. Il en résulte qu’elle est assujettie aux mêmes règles que le jugement sur lequel elle porte. Plus précisément elle en emprunte tous les caractères.

?Notification de la décision rectificative

L’article 463, al. 4e du CPC prévoit que la décision rectificative doit être notifiée comme le jugement. À défaut, elle ne sera pas opposable à la partie adverse.

À cet égard, la date de la notification tiendra lieu de point de départ au délai d’exercice des voies de recours. Elle devra, par ailleurs, être réalisée selon les mêmes modalités que la décision initiale.

Le texte précise que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Cette mention ne figurera néanmoins que sur les décisions rectifiées, celle-ci étant sans objet en cas de rejet du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle.

?Voies de recours

En application de l’article 463, al. 4e du COC, la décision rendue donne lieu aux mêmes voies de recours que la décision rectifiée (Cass. 3e civ. 27 mai 1971). Si cette dernière est rendue en dernier ressort, il en ira de même pour le jugement rectificatif.

Surtout, en cas d’exercice d’une voie de recours contre la décision initiale, la décision rectificative subira le même sort, y compris s’agissant de l’issue de la procédure d’appel ou de cassation, dans la limite de ce qui a été réformé.

Autrement dit, en cas de réformation totale de la décision initiale, la décision rectificative s’en trouvera également anéantie (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).

En revanche, lorsque la décision initiale n’est que partiellement réformée, la décision rectification ne sera anéantie que si elle porte sur des points remis en cause.

  1. J. Heron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé ?
  2. J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, éd. , n°382, p. 316. ?

Le recours en omission de statuer (art. 463 CPC)

L’un des principaux attributs d’un jugement est le dessaisissement du juge. Cet attribut est exprimé par l’adage lata sententia judex desinit esse judex : une fois la sentence rendue, le juge cesse d’être juge.

La règle est énoncée à l’article 481 du CPC qui dispose que « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche ». En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.

Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.

Le principe du dessaisissement du juge n’est toutefois pas sans limites. Ces limites tiennent, d’une part, à la nature de la décision rendue et, d’autre part, à certains vices susceptibles d’en affecter le sens, la portée ou encore le contenu.

  • S’agissant des limites qui tiennent à la nature de la décision rendue
    • Il peut être observé que toutes les décisions rendues n’opèrent pas dessaisissement du juge.
    • Il est classiquement admis que seules les décisions contentieuses qui possèdent l’autorité absolue de la chose jugée sont assorties de cet attribut.
    • Aussi, le dessaisissement du juge n’opère pas pour :
      • Les décisions rendues en matière gracieuses
      • Les jugements avants dire-droit
      • Les décisions provisoires (ordonnances de référé et ordonnances sur requête)
  • S’agissant des limites qui tiennent aux vices affectant la décision rendue
    • Il est certains vices susceptibles d’affecter la décision rendue qui justifient un retour devant le juge alors même qu’il a été dessaisi.
    • La raison en est qu’il s’agit d’anomalies tellement mineures (une erreur de calcul, une faute de frappe, une phrase incomplète etc.) qu’il serait excessif d’obliger les parties à exercer une voie de recours tel qu’un appel ou un pourvoi en cassation.
    • Non seulement, cela les contraindrait à exposer des frais substantiels, mais encore cela conduirait la juridiction saisie à procéder à un réexamen général de l’affaire : autant dire que ni les justiciables, ni la justice ne s’y retrouveraient.
    • Fort de ce constat, comme l’observe un auteur, « le législateur a estimé que pour les malfaçons mineures qui peuvent affecter les jugements, il était préférable de permettre au juge qui a déjà statué de revoir sa décision »[1].
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à revenir devant le juge qui a rendu une décision aux fins de lui demander de l’interpréter en cas d’ambiguïté, de la rectifier en cas d’erreurs ou d’omissions purement matérielles, de la compléter en cas d’omission de statuer ou d’en retrancher une partie dans l’hypothèse où il aurait statué ultra petita, soit au-delà de ce qui lui était demandé.
    • À cette fin, des petites voies de recours sont prévues par le Code de procédure civile, voies de recours dont l’objet est rigoureusement limité.

C’est sur ces petites voies de recours que nous nous focaliserons ici. Elles sont envisagées aux articles 461 à 464 du Code de procédure civile.

Au nombre de ces voies de recours, qui donc vise à obtenir du juge qui a statué qu’il revienne sur sa décision, figurent :

  • Le recours en interprétation
  • Le recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle
  • Le recours en retranchement
  • Le recours aux fins de remédier à une omission de statuer

Nous nous focaliserons ici sur le recours en omission de statuer.

L’article 5 du CPC prévoit que « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé. »

Parce que le litige est la chose des parties, par cette disposition, il est :

  • D’une part, fait interdiction au juge de se prononcer sur ce qui ne lui a pas été demandé par les parties
  • D’autre part, fait obligation au juge de se prononcer sur ce tout ce qui lui est demandé par les parties

Il est néanmoins des cas ou le juge va omettre de statuer sur une prétention qui lui est soumise. On dit qu’il statue infra petita. Et il est des cas où il va statuer au-delà de ce qui lui est demandé. Il statue alors ultra petita.

Afin de remédier à ces anomalies susceptibles d’affecter la décision du juge, le législateur a institué des recours permettant aux parties de les rectifier.

Comme l’observe un auteur bien que l’ultra et l’infra petita constituent des vices plus graves que l’erreur et l’omission matérielle, le législateur a admis qu’ils puissent être réparés au moyen d’un procédé simplifié et spécifique énoncés aux articles 463 et 464 du CPC[2].

Il s’agira, tantôt de retrancher à la décision rendue ce qui n’aurait pas dû être prononcé, tantôt de compléter la décision par ce qui a été omis.

I) Conditions de recevabilité du recours

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que l’omission de statuer soit caractérisée :

  • Une demande omise
    • Il ressort de l’article 463 du CPC que l’omission de statuer consiste pour le juge à ne pas s’être prononcé sur un chef de demande formulé par une partie.
    • Autrement dit, il n’a pas tranché dans la décision rendue une ou plusieurs prétentions qui lui étaient pourtant soumises par les parties.
    • Pour déterminer s’il y a omission de statuer et quelle est son étendue, il y aura lieu de se reporter aux demandes formulées dans l’acte introductif d’instance ainsi que dans les conclusions prises ultérieurement par les parties et de les comparer avec le dispositif du jugement.
    • À cet égard, l’omission de statuer n’est pas caractérisée lorsque le juge ne répond pas directement à une demande précise formuler par une partie mais qu’il tranche la question dans le cadre d’une réponse qu’il apporte à un autre chef de demande (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 25 mai 2016, n°15-17.317).
    • Pour exemple, l’omission de statuer a été retenue dans les cas suivants :
      • Le juge ne se prononce pas sur l’octroi d’un article 700 (Cass. 2e civ. 19 févr. 1992)
      • Le juge omet de trancher la question de la validité d’un acte juridique (Cass. soc. 16 juin 1976)
      • Le juge omet de se prononcer sur l’octroi de dommages et intérêts (Cass. com. 21 févr. 1978).
      • Le juge omet de se prononcer sur sa compétence (Cass. 1ère civ. 5 janv. 1962)
      • Le juge omet de se prononcer sur la date de départ du versement d’une prestation compensatoire (Cass. 2e civ. 2 déc. 1992).
  • Une demande régulièrement formée
    • Le juge n’est tenu de se prononcer que sur les demandes dont il a été régulièrement saisi.
    • Lorsque dès lors, la demande a été formulée dans des conclusions frappées d’irrecevabilité car déposées hors délai, l’omission de statuer ne saurait être soulevée (Cass. 2e civ. 25 oct. 1978).
    • L’omission de statuer n’a pas vocation à réparer une irrégularité imputable aux parties.
    • Il est en revanche indifférent que la demande soit formulée dans le dispositif des écritures prises, dans leurs motifs ou encore qu’elle soit formée à titre subsidiaire ou incidente (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 1er juin 1983).
  • Une omission relative à une demande
    • L’omission du juge doit nécessairement porter sur un chef demande et non sur un moyen.
    • Pour mémoire :
      • Une demande est l’acte par lequel le juge soumet une prétention au juge,
      • Un moyen est quant à lui l’argument dont se prévaut une partie pour fonder sa demande ou assurer sa défense.
    • Selon que le juge omet de statuer sur une demande ou un moyen, la sanction n’est pas la même :
      • Lorsque le juge omet de statuer sur un moyen, le vice qui affecte la décision consiste en un défaut de réponse à conclusion sanctionné par la nullité du jugement (art. 455 CPC).
      • Lorsque le juge omet de statuer sur une demande, le vice consiste en un infra petita sanctionné par une simple rectification de l’omission sans que cela ait d’incidence sur la validité du jugement
    • Comme souligné par des auteurs « l’omission de statuer sur un chef de demande est sans influence sur la valeur des autres dispositions du jugement ; le jugement est incomplet et il convient seulement de le compléter. En revanche, lorsque le juge a omis d’examiner un moyen, c’est la valeur du dispositif du jugement qui se trouve atteinte : l’examen du moyen aurait pu modifier la décision et dès lors la Cour de cassation ne peut laisser subsister le chef du jugement qui se trouve affecté par le défaut de réponse à conclusions »[3].
    • Le défaut de réponse à conclusion pourrait consister, par exemple, en l’absence de réponse à un moyen de défense soulevé par une partie, tel qu’une fin de non-recevoir (Cass. 2e civ. 21 oct. 2004, n°02-20.286).
    • Une difficulté est née s’agissant du traitement à réserver à la formule de style régulièrement utilisée par les juges consistant à indiquer dans le jugement qu’une partie est déboutée de « toutes ses demandes » ou du « surplus de ses demandes ».
    • L’emploi de cette formule tombe-t-il sous le coup du défaut de réponse à conclusion, contraignant alors les plaideurs à se pourvoir en cassation, ou peut-on seulement y voir une omission de statuer lorsque le juge ne s’est pas prononcé sur un chef de demande ?
    • Dans un arrêt du 2 novembre 1999, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a opté pour la qualification d’omission de statuer (Cass. ass. Plen. 2 nov. 1999, n° 97-17.107).
    • Au soutien de sa décision, elle affirme que la Cour d’appel, en recourant à la formule générale « déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires » dans le dispositif de son arrêt, elle « n’a pas statué sur le chef de demande relatif aux intérêts, dès lors qu’il ne résulte pas des motifs de la décision, qu’elle l’ait examiné.
    • Autrement dit, l’emploi de cette formule de style ne caractérise une omission de statuer qu’à la condition que les motifs ne confirment pas le rejet des prétentions.
    • Si, en revanche, le rejet est justifié dans la motivation de la décision, l’omission de statuer ne sera pas caractérisée (Cass. 3e civ. 27 févr. 1985).

II) Pouvoirs du juge

?Interdiction de toute atteinte à l’autorité de la chose jugée

Qu’il s’agisse d’un recours en omission de statuer ou d’un recours en retranchement, en application de l’article 463 du CPC il est fait interdiction au juge dans sa décision rectificative de « porter atteinte à la chose jugée quant aux autres chefs, sauf à rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Ainsi sont fixées les limites du pouvoir du juge lorsqu’il est saisi d’un tel recours : il ne peut pas porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.

Concrètement cela signifie que :

  • S’agissant d’un recours en omission de statuer, il ne peut modifier une disposition de sa décision ou en ajouter une nouvelle se rapportant à un point qu’il a déjà tranché
  • S’agissant d’un recours en retranchement, il ne peut réduire ou supprimer des dispositions de sa décision que dans la limite de ce qui lui avait initialement été demandé

Plus généralement, son intervention ne saurait conduire à conduire à modifier le sens ou la portée de la décision rectifiée.

Il en résulte qu’il ne peut, ni revenir sur les droits et obligations reconnues aux parties, ni modifier les mesures ou sanctions prononcées, ce pouvoir étant dévolu aux seules juridictions de réformation.

?Rétablissement de l’exposé des prétentions et des moyens

Tout au plus, le juge est autorisé à « rétablir, s’il y a lieu, le véritable exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens. »

Il s’agira, autrement dit, pour lui, s’il complète une omission de statuer ou s’il retranche une disposition du jugement de modifier dans un sens ou dans l’autre l’exposé des prétentions et des moyens des parties.

Cette exigence procède de l’article 455 du CPC qui prévoit que « le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. »

III) Procédure

A) Compétence

?Principe

En application de l’article 463 du CPC, le juge compétent pour connaître d’un recours en omission de statuer ou en retranchement est celui-là même qui a rendu la décision à rectifier.

Cette règle s’applique à toutes les juridictions y compris à la Cour de cassation qui peut se saisir d’office.

Il n’est toutefois nullement exigé qu’il s’agisse de la même personne physique. Ce qui importe c’est qu’il y ait identité de juridiction et non de personne.

?Tempéraments

Il est plusieurs cas où une autre juridiction que celle qui a rendu la décision à rectifier aura compétence pour statuer :

  • L’introduction d’une nouvelle instance
    • Dans un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de cassation a jugé que la procédure prévue à l’article 463 du CPC « n’exclut pas que le chef de demande sur lequel le juge ne s’est pas prononcé soit l’objet d’une nouvelle instance introduite selon la procédure de droit commun » (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Ainsi, en cas d’omission de statuer les parties disposent d’une option leur permettant :
      • Soit de saisir le juge qui a rendu la décision contestée aux fins de rectification
      • Soit d’introduire une nouvelle instance selon la procédure de droit commun
    • Cette seconde option se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • À cet égard, la Cour de cassation a précisé que, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, les parties n’étaient pas assujetties au délai d’un an qui subordonne l’exercice d’un recours en omission de statuer (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Appel
    • En cas d’appel, il y a lieu de distinguer selon que la juridiction du second degré est saisie uniquement aux fins de rectifier l’omission ou selon qu’elle est également saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
      • La Cour d’appel est saisie pour statuer sur des chefs de demande qui ont été tranchés
        • Dans cette hypothèse, l’effet dévolutif de l’appel l’autorise à se prononcer sur l’omission de statuer.
        • Les parties ne se verront donc pas imposer d’exercer un recours en omission de statuer sur le fondement de l’article 463 du CPC (Cass. 2e civ. 29 mai 1979).
      • La Cour d’appel est saisie uniquement pour statuer sur l’omission de statuer
        • Dans cette hypothèse, la doctrine estime que l’exigence d’un double degré de juridiction fait obstacle à ce que la Cour d’appel se saisisse d’une question qui n’a pas été tranchée en première instance.
        • Cette solution semble avoir été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 octobre 1997 aux termes duquel elle a jugé que « dès lors que l’appel n’a pas été exclusivement formé pour réparer une omission de statuer, il appartient à la cour d’appel, en raison de l’effet dévolutif, de statuer sur la demande de réparation qui lui est faite » (Cass. 2e civ. 22 oct. 1997, n°95-18.923).
  • Pourvoi en cassation
    • La Cour de cassation considère qu’une omission de statuer ainsi que l’ultra petita ne peuvent être réparés que selon la procédure des articles 463 et 464 du CPC (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).
    • La raison en est que la Cour de cassation est juge du droit. Elle n’a donc pas vocation à réparer une omission de statuer qui suppose d’une appréciation en droit et en fait.
    • Dans un arrêt du 26 mars 1985, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « le fait de statuer sur choses non demandées, s’il ne s’accompagne pas d’une autre violation de la loi, ne peut donner lieu qu’à la procédure prévue par les articles 463 et 464 du nouveau code de procédure civile et n’ouvre pas la voie de la cassation » (Cass. 1ère civ. 26 mars 1985).
    • Autrement dit, lorsque l’omission est doublée d’une irrégularité éligible à l’exercice d’un pourvoi, la Cour de cassation redevient compétente.

B) Saisine du juge

1. Délai pour agir

?Principe

L’article 463 du CPC prévoit que « la demande doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou, en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l’arrêt d’irrecevabilité. »

Ainsi à la différence du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui n’est enfermé dans aucun délai, le recours en omission de statuer et en retranchement doit être exercé dans le délai d’un an après que la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

Pour rappel, l’article 500 du CPC prévoit que « a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution ».

À cet égard, il conviendra de se placer à la date d’exercice du recours en rectification pour déterminer si la décision à rectifier est passée en force de chose jugée.

?Exceptions

  • Introduction d’une nouvelle instance
    • En matière d’omission de statuer, l’expiration du délai d’un an ferme seulement la voie du recours fondé sur l’article 463 du CPC.
    • La Cour de cassation a néanmoins admis qu’une nouvelle instance puisse être introduite selon les règles du droit commun (Cass. 2e civ. 23 mars 1994, n°92-15.802).
    • Cette solution se justifie par l’absence d’autorité de la chose jugée qui, par hypothèse, ne peut pas être attachée à ce qui n’a pas été tranché.
    • C’est la raison pour laquelle la possibilité d’introduire une nouvelle instance est limitée à la seule omission de statuer, à l’exclusion donc de la situation d’ultra ou d’extra petita.
    • Aussi, en cas d’introduction d’une nouvelle instance, la Cour de cassation considère que les parties ne sont pas assujetties au délai d’un an (Cass. 2e civ. 25 juin 1997, n°95-14.173).
  • Recours introduit par Pôle emploi
    • La jurisprudence a jugé que lorsqu’un recours en omission de statuer est exercé par les ASSEDIC (désormais pôle emploi) consécutivement à une décision ayant statué sur le remboursement des indemnités de chômage (art. L. 1235-4 C. trav.), le délai d’un an court à compter, non pas du jour où la décision à rectifier est passée en force de chose jugée, mais du jour à l’organisme a eu connaissance de cette décision (Cass. soc. 7 janv. 1992)

2. Auteur de la saisine

À la différence de la procédure en rectification d’erreur ou d’omission matérielle qui peut être initiée par le juge qui dispose d’un pouvoir de se saisir d’office, les procédures d’omission de statuer et en retranchement ne peuvent être engagées que par les parties elles-mêmes.

Il est fait interdiction au juge de se saisir d’office.

3. Modes de saisine

?Principe

Lorsque le juge est saisi par les parties, l’acte introductif d’instance prend la forme d’une requête.

  • Une requête
    • L’article 463 du CPC prévoit que « le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune. »
    • Les recours en omission de statuer et en retranchement doivent ainsi être exercés par voie de requête unilatérale ou conjointe.
    • Pour rappel :
      • La requête unilatérale est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
      • La requête conjointe est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte commun par lequel les parties soumettent au juge leurs prétentions respectives, les points sur lesquels elles sont en désaccord ainsi que leurs moyens respectifs.
  • Forme de la requête
    • À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.
    • Ces mentions sont énoncées aux articles 54, 57 et 757 du CPC.
  • Dépôt de la requête
    • La requête doit être déposée au greffe de la juridiction saisie en deux exemplaires.
    • La remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué au déposant afin qu’il conserve une preuve du dépôt.
    • En cas de dépôt d’une requête unilatérale, il y a lieu de la notifier à la partie adverse.
    • Il appartient au juge de provoquer le débat contradictoire entre les parties.

?Exceptions

Il est admis en jurisprudence que la saisine du juge puisse s’opérer au moyen d’un autre mode de saisine que la requête.

Cette saisine peut notamment intervenir par voie d’assignation devant la juridiction compétente (CA Paris, 14 mars 1985).

C) Convocation des parties

L’article 463, al. 3e du CPC prévoit que le juge « statue après avoir entendu les parties ou celles-ci appelées. »

Ainsi, afin d’adopter sa décision de rectification, le juge a l’obligation d’auditionner et d’entendre les parties, étant précisé que, en l’absence de délai de comparution, le juge doit leur laisser un temps suffisant pour préparer leur défense.

Il s’agit ici pour le juge de faire respecter le principe du contradictoire conformément aux articles 15 et 16 du CPC.

Aussi, bien que l’instance soit introduite par voie de requête, il y a lieu d’aviser la partie adverse de la demande de rectification.

Quant au juge, il lui est fait obligation de s’assurer que les moyens soulevés ont pu être débattus contradictoirement par les parties (V. en ce sens Cass. 2e civ. 3 janv. 1980).

D) Représentation

S’agissant de la représentation des parties, la procédure d’omission de statuer ou en retranchement répond aux mêmes règles que celles ayant donné lieu à la décision rendue.

Aussi, selon les cas, la représentation par avocat sera obligatoire ou facultative. En cas de représentation facultative, la requête pourra, dans ces conditions, être déposée par les parties elles-mêmes.

E) Régime de la décision rectificative

?Incorporation dans la décision initiale

L’article 463, al. 4e di CPC prévoit que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Ainsi, la décision rectificative vient-elle s’incorporer à la décision initiale. Il en résulte qu’elle est assujettie aux mêmes règles que le jugement sur lequel elle porte. Plus précisément elle en emprunte tous les caractères.

?Notification de la décision rectificative

L’article 463, al. 4e du CPC prévoit que la décision rectificative doit être notifiée comme le jugement. À défaut, elle ne sera pas opposable à la partie adverse.

À cet égard, la date de la notification tiendra lieu de point de départ au délai d’exercice des voies de recours. Elle devra, par ailleurs, être réalisée selon les mêmes modalités que la décision initiale.

Le texte précise que « la décision est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. »

Cette mention ne figurera néanmoins que sur les décisions rectifiées, celle-ci étant sans objet en cas de rejet du recours en rectification d’erreur ou d’omission matérielle.

?Voies de recours

En application de l’article 463, al. 4e du COC, la décision rendue donne lieu aux mêmes voies de recours que la décision rectifiée (Cass. 3e civ. 27 mai 1971). Si cette dernière est rendue en dernier ressort, il en ira de même pour le jugement rectificatif.

Surtout, en cas d’exercice d’une voie de recours contre la décision initiale, la décision rectificative subira le même sort, y compris s’agissant de l’issue de la procédure d’appel ou de cassation, dans la limite de ce qui a été réformé.

Autrement dit, en cas de réformation totale de la décision initiale, la décision rectificative s’en trouvera également anéantie (Cass. 2e civ. 15 nov. 1978).

En revanche, lorsque la décision initiale n’est que partiellement réformée, la décision rectification ne sera anéantie que si elle porte sur des points remis en cause.

  1. J. Heron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé ?
  2. J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, éd. , n°382, p. 316. ?
  3. J. Héron et Th. Le Bars, Droit judiciaire privé, éd. , n°383, p. 317. ?

Les servitudes du fait de l’homme établies par prescription

S’il est des cas où la loi impose une charge sur un fonds pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire, elle autorise également les propriétaires à aménager les rapports de voisinage en établissant des servitudes résultant de leur propre initiative.

L’article 686 du Code civil prévoit en ce sens que « il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble ».

C’est ce que l’on appelle les servitudes du fait de l’homme, car procèdent de l’intervention des seuls propriétaires.

Ces derniers ne disposent toutefois pas d’une liberté absolue. Si, en effet, il est permis d’imposer une charge à un fonds en dehors des servitudes légales, l’article 686 précise que cette faculté s’exerce pourvu « que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public. »

Aussi, la constitution de servitudes du fait de l’homme demeure encadrée. Dans un arrêt du 24 mai 2000 la Cour de cassation a, par exemple, jugé qu’une servitude ne pouvait être constituée par « un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété » (Cass. 3e civ. 24 mai 2000, n°97-22255)

Dans un arrêt du 27 juin 2001, elle a encore affirmé « qu’une servitude ne peut conférer le droit d’empiéter sur la propriété d’autrui » (Cass. 3e civ. 27 juin 2001, n°98-15216).

Dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à l’ordre public et au droit de propriété, la constitution de servitudes du fait de l’homme est libre.

À l’examen ces servitudes peuvent être établies selon trois modes différents :

  • Par titre
  • Par prescription
  • Par destination du père de famille

Nous nous focaliserons ici sur le deuxième mode d’établissement de la servitude du fait de l’homme.

L’article 690 du Code civil prévoit que « les servitudes continues et apparentes s’acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans. »

Il ressort de cette disposition que les servitudes sont susceptibles de faire l’objet d’usucapion. Toutefois, pour que la prescription produise son effet acquisitif, encore faut-il que plusieurs conditions soient réunies.

À cet égard, l’effet acquisitif attaché à la prescription ne se limite pas seulement à la constitution de la servitude, il est également susceptible de s’étendre à ses modes d’exercice.

A) Les conditions de l’effet acquisitif de la prescription

Pour que la prescription produise ses effets, trois conditions doivent être réunies :

  • D’une part, la possession doit porter sur des servitudes continues et apparentes
  • D’autre part, la possession doit être utile
  • Enfin, la possession doit s’être prolongée pendant une durée de trente ans
  1. L’exigence de servitudes continues et apparentes

L’article 690 du Code civil restreint le domaine de la prescription acquisitive aux seules servitudes continues et apparentes.

Pour mémoire :

  • Les servitudes continues
    • Ce sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme : tels sont les conduites d’eau, les égouts, les vues et autres de cette espèce.
    • Il s’agit, autrement dit, des servitudes dont l’exercice ne suppose pas une action du propriétaire du fonds dominant
    • Il n’est pas nécessaire que l’utilité de cette servitude soit permanente ; elle peut seulement être intermittente, tel que l’écoulement des eaux.
  • Les servitudes apparentes
    • Ce sont celles qui s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc.
    • Autrement dit, pour être qualifiée d’apparente une servitude doit exprimer des signes extérieurs leur permettant d’être vues.
    • Elle doit, autrement dit, être suffisamment visible pour être connues du propriétaire du fonds servant.
    • Au vrai, l’apparence d’une servitude dépend des circonstances que le juge devra analyser en cas de contentieux.
    • Une voie d’accès conduisant à un fonds enclavé peut tout aussi bien être balisée, tout autant qu’elle peut ne faire l’objet d’aucun aménagement

Seules les servitudes continues et apparentes peuvent donc s’acquérir par prescription. L’article 690 du Code civil exclut de son champ d’application les servitudes discontinues et non apparentes.

L’article 691, al. 2e du Code civil renforce cette exclusion en énonçant que « la possession même immémoriale ne suffit pas » pour établir « les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes »

Que doit-on entendre, concrètement, par servitudes discontinues et non apparentes ? Définissons-les :

  • Les servitudes discontinues
    • Notion
      • Ce sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables.
      • Leur usage n’est continuel ni en actes, ni en puissance et le caractère d’apparence qu’elles pourraient avoir n’en changerait point la nature, pas plus que l’existence d’un ouvrage permanent, dès lors que l’exercice de la servitude ne se conçoit pas sans l’action de l’homme.
      • Il s’agit donc des servitudes dont l’exercice requiert nécessairement l’action humaine
      • Ce critère a priori très simple n’est pas sans avoir soulever des difficultés de mise en œuvre.
    • Incidence de la mécanisation
      • Certaines servitudes qui, depuis le développement de la mécanisation, ne requièrent plus d’action humaine, à tout le moins pour leur exercice.
      • Est-ce à dire que parce que cet exercice peut désormais être assuré mécaniquement elles ne constituent plus des servitudes discontinues ?
      • Dans un arrêt du 19 mai 2004, la Cour de cassation a refusé que l’évolution des techniques puisse avoir une incidence sur la nature de la servitude ( 3e civ. 19 mai 2004, n°03-12451).
      • Dans cet arrêt la Cour de cassation a jugé « qu’une servitude est discontinue lorsqu’elle ne peut s’exercer qu’avec une intervention renouvelée de l’homme et qu’elle reste telle quand bien même elle serait rendue artificiellement permanente au moyen d’un outillage approprié dès lors que cet outillage ne peut fonctionner que sous le contrôle de l’homme».
      • Pour la troisième chambre civile, il est donc indifférent que la servitude soit exercée mécaniquement, ce qui importe c’est que la mise en place du dispositif technique suppose une intervention humaine.
  • Les servitudes non apparentes
    • Ce sont celles qui n’ont pas de signe extérieur de leur existence, comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu’à une hauteur déterminée.
    • La servitude non apparente est ainsi celle qui est tellement discrète ou cachée qu’elle ne se révèle pas ostensiblement au propriétaire du fonds servant.
    • Il peut s’agir, par exemple, de canalisations enfouies sous un fonds

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que pour pouvoir faire l’objet d’usucapion, la servitude devait nécessairement cumuler les caractères de continuité et d’apparence (Cass. 3e civ., 8 mars 2018, n° 16-11455).

Pourquoi cette double exigence ? La doctrine la justifie classiquement en avançant que la règle posée à l’article 690 vise à lever toute confusion quant à la conduite du propriétaire du fonds grevé par la servitude.

En effet, lorsque la servitude est discontinue ou non-apparente il peut être délicat de déterminer si, d’une part, le propriétaire du fonds servant avait connaissance de l’existence de la servitude et si, d’autre part, à supposer qu’il en ait eu connaissance, il s’est abstenu, par négligence, de dénoncer la possession de la servitude ou s’il a simplement, par souci d’entretenir des rapports de bon voisinage, accompli un acte de pure tolérance.

Aussi, afin de lever toute ambiguïté quant aux intentions du propriétaire du fonds grevé par une servitude discontinue ou non apparente, le législateur a préféré poser que ces servitudes ne pouvaient pas s’acquérir par prescription.

2. L’exigence d’une possession utile

Pour que la prescription acquisitive produise ses effets, encore faut-il que la servitude ait fait l’objet d’une possession, caractérisée dans tous ses éléments et qu’elle ait été utile.

a) Les éléments constitutifs de la possession

La caractérisation de la possession est subordonnée à la réunion de deux éléments cumulatifs :

  • La maîtrise physique de la chose : le corpus
  • La volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose : l’animus

Le corpus de la possession s’analyse comme l’exercice d’une emprise physique sur la chose. L’article 2255 du Code civil précise en ce sens que « la possession est la détention ou la jouissance d’une chose ou d’un droit ».

Quant à l’animus se définit comme la volonté du possesseur de se comporter à l’égard de la chose comme s’il en était le véritable propriétaire.

Il s’agit, autrement dit, de son état d’esprit, soit de l’élément psychologique de la possession. Il faut avoir l’intention de se comporter comme le titulaire du droit exercé pour être fondé à se prévaloir des effets attachés à la possession.

L’exigence du corpus et de l’animus, exclut que la servitude puisse être acquise dans le cadre, soit d’une détention précaire, soit d’un acte de pure faculté ou de simple tolérance.

Pour mémoire :

  • La détention précaire
    • Le doyen Cornu définit la détention dans son vocabulaire juridique comme « le pouvoir de fait exercé sur la chose d’autrui en vertu d’un titre juridique qui rend la détention précaire en ce qu’il oblige toujours son détenteur à restituer la chose à son propriétaire et l’empêche de l’acquérir par la prescription (sauf interversion de titre), mais non de jouir de la protection possessoire, au moins à l’égard des tiers».
    • Aussi, comme la possession, la détention requiert le corpus: le détenteur doit exercer une emprise matérielle sur la chose.
    • La détention est ainsi, avant toute chose, un pouvoir de fait sur la chose.
    • Ce pouvoir dont est titulaire le détenteur ne s’accompagne pas néanmoins de l’animus
    • Ce dernier n’a, en effet, pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose
    • Ses agissements se limitent à exercer une emprise matérielle sur la chose, sans intention de se l’approprier
    • C’est là une différence fondamentale avec la possession qui se caractérise notamment par l’animus.
    • La conséquence en est que, en l’absence de l’animus, la détention ne peut emporter aucun des effets juridiques attachés à la possession, spécialement l’effet acquisitif.
  • Les actes de pure faculté ou de simple tolérance
    • L’acte de pure faculté ou de simple tolérance peut se définir comme la détention d’un bien avec la permission tacite ou expresse du propriétaire.
    • À la différence de la détention précaire qui repose sur un titre, la détention résulte ici de la seule volonté du propriétaire de la chose.
    • Cette situation se rencontre notamment en matière de servitude
    • Or comme le prévoit l’article 2262 du Code civil « les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription. »
    • Ainsi, lorsque la détention ne résulte pas d’un titre et que le détenteur n’a pas la volonté de se comporter comme le véritable propriétaire de la chose, elle ne produit aucun effet.
    • Cette règle a, par exemple, trouvé à s’appliquer dans un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 6 mai 2014.
    • La troisième chambre civile a, en effet, validé la décision d’une Cour d’appel qui avait retenu « qu’un acte de pure faculté de simple tolérance ne pouvait fonder ni possession ni prescription » ( 3e civ. 6 mai 2014, n°13-16790).
    • Dès lors, le fait pour le propriétaire d’un champ d’autoriser un voisin à faire paître son troupeau d’animaux sur ce champ ne fait pas du voisin le possesseur d’une servitude de passage et de pâturage.
    • Pareillement, le simple passage à pied sur le terrain d’autrui, toléré par le propriétaire, ne suffit pas à constituer possession, faute d’élément intentionnel.
    • Au fond, l’acte de pure faculté ou de simple tolérance consiste en l’exercice normal du droit de propriété qui, n’empiétant pas sur le fonds d’autrui, ne constitue pas un acte de possession capable de faire acquérir, par usucapion, un droit sur ce fonds.
    • Cet acte de pure faculté ou de simple tolérance est admis, soit parce que le propriétaire du fonds l’a expressément autorisé, soit parce qu’il y consent tacitement par souci d’amitié, de bon voisinage, d’obligeance ou encore altruisme.

b) Les caractères de la possession

L’article 2261 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Plus précisément, pour produire ses pleins effets, elle doit être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la prescription est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

La prescription ne sera utile que si elle présente les quatre caractères énumérés par la loi, étant précisé que la dernière partie du texte « à titre de propriétaire », se rapporte non pas aux caractères de la possession mais à son existence, et plus précisément à son animus.

==> Continue

L’article 2261 du Code civil exige que la possession soit « continue et non interrompue » pour être utile.

À l’examen, la formulation est maladroite. En effet, l’absence d’interruption intéresse, non pas la possession, mais plutôt la prescription.

La notion de non-interruption renvoie, en effet, au mécanisme de computation des délais pour prescrire. Or ce n’est pas ce dont il s’agit ici.

Ce qui importe c’est que la possession soit continue, qualité qui s’apprécie au regard du corpus. Par continue, il faut plus précisément entendre que l’emprise physique exercée sur la chose par le possesseur n’est pas occasionnelle, épisodique : elle doit se prolonger dans le temps, sans discontinuité.

S’agissant des servitudes, seules celles qui, par essence, son continues peuvent être acquises par prescription.

La continuité de ces servitudes procède, non pas d’une intervention humaine ou d’une abstention, mais de leur nature même.

Il n’est pas nécessaire que l’utilité de cette servitude soit permanente ; elle peut seulement être intermittente, tel que l’écoulement des eaux.

==> Paisible

Pour être utile, la possession doit être paisible. Par paisible, il faut entendre non-violente. Autrement dit, l’entrée en possession ne doit pas avoir donné lieu à violence, laquelle peut être soit physique, soit psychologique.

Une chose arrachée des mains de son propriétaire par un brigand ne pourra faire l’objet d’aucune possession.

L’absence de violence est une qualité de la possession reprise à l’article 2263 du Code civil qui dispose que « les actes de violence ne peuvent fonder non plus une possession capable d’opérer la prescription ».

Aussi, une servitude dont l’exercice serait imposé par la violence au propriétaire du fonds servant, tel un droit de passage, ne peut pas s’acquérir par prescription.

==> Publique

Pour être utile, la possession doit être publique dit l’article 2261 du Code civil. Autrement dit, elle doit donner lieu à l’accomplissement d’actes matériels ostensibles et apparents.

La clandestinité de la possession fait obstacle au jeu de la prescription acquisitive. Cette situation se rencontrera notamment en cas de dissimulation de la chose par le possesseur. Ce vice intéressera surtout les meubles dont la possession est plus aisément dissimulable que l’occupation d’un immeuble.

En matière de servitude, l’usucapion ne jouant que pour les servitudes apparentes, ce caractère ne soulèvera pas de difficulté.

Par essences les servitudes apparentes sont publiques puisqu’elles s’annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu’une porte, une fenêtre, un aqueduc. Autrement dit, pour être qualifiée d’apparente une servitude doit exprimer des signes extérieurs leur permettant d’être vues.

==> Non équivoque

Lorsque la possession est équivoque, elle est privée de ses effets. Par équivoque il faut entendre, selon le dictionnaire, ce qui est susceptible de revêtir plusieurs significations.

Aussi, la possession sera équivoque lorsque l’exercice de la servitude par le possesseur sera ambigu quant à son intention de se comporter comme le véritable titulaire du droit réel grevant le fonds.

À la différence de la discontinuité, de la violence ou encore de la clandestinité qui affectent le corpus de la possession, l’équivoque est un vice qui affecte l’animus.

Le caractère équivoque de la possession va alors faire obstacle au jeu de la prescription posée par l’article 2256 du Code civil qui prévoit que « on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s’il n’est prouvé qu’on a commencé à posséder pour un autre. »

La raison en est que, la pluralité des significations susceptibles d’être conférés à l’emprise physique exercée sur la chose est de nature à créer, dans l’esprit des tiers, un doute quant à la qualité de propriétaire du possesseur. La présomption d’animus doit donc être écartée.

C’est précisément parce que la détention précaire et les actes de simple tolérance sont équivoques qu’ils ne peuvent donner lieu à prescription (Cass. 1ère civ., 8 mars 1954).

3. L’exigence d’une possession trentenaire

L’article 690 prévoit que le délai pour prescrire, en matière de servitude, est de trente ans. La question s’est néanmoins posée en jurisprudence de savoir si le possesseur pouvait se prévaloir de la prescription abrégée envisagée à l’article 2272, al. 2e du Code civil qui prévoit que « celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. ».

Lorsqu’ainsi, le possesseur d’un immeuble est de bonne foi et qu’il est en mesure de justifier un juste titre, soit d’un acte qu’il croyait conclure avec le véritable propriétaire, le délai de la prescription acquisitive est ramené à 10 ans.

Cette prescription abrégée peut-elle bénéficier au possesseur d’une servitude qui remplirait les conditions requises par l’article 2272 du Code civil ?

Tandis qu’une partie de la doctrine abonde en ce sens, la Cour de cassation s’en tient à une interprétation stricte de l’article 690 du Code civil et refuse d’appliquer la prescription abrégée aux servitudes.

Dans un arrêt du 21 mai 1979, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la seule prescription applicable aux servitudes continues et apparentes telle une servitude de vue, est la prescription trentenaire, ainsi qu’il résulte de l’article 690 du code civil » (Cass. 3e civ. 21 mai 1979, n°77-14873).

B) L’extension de l’effet acquisitif de la prescription

La fonction première de la prescription acquisitive est d’établir, par l’effet du temps, une servitude au profit de son possesseur.

Là n’est pas la seule fonction de la prescription acquisitive si l’on se reporte à l’article 708 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le mode de la servitude peut se prescrire comme la servitude même, et de la même manière »

Il ressort de ce texte que le jeu de la prescription acquisitive ne se limite pas à la constitution d’une servitude, il opère également pour ses modes d’exercice.

Autrement dit, ce texte autorise à ce que les modes d’exercice qui déborderaient la servitude originaire puissent également faire l’objet de l’usucapion.

Aussi le titulaire d’un droit de passage qui aurait profité d’une assiette plus étendue que celle initialement fixée pendant plus de trente ans pourra se prévaloir de la prescription acquisitive.

Toutefois, ainsi que le prévoit l’article 708, seuls les modes d’exercices rattachés à une servitude prescriptible sont susceptibles de faire l’objet d’usucapion. Les modes d’exercice d’une servitude discontinues ou non-apparentent ne peuvent pas se prescrire.

En outre, dans un arrêt du 23 février 2005, la Cour de cassation est venue considérablement limiter la portée de la règle posée à l’article 708 en affirmant que « le propriétaire d’un fonds bénéficiant d’une servitude conventionnelle de passage ne peut prétendre avoir prescrit par une possession trentenaire une assiette différente de celle originairement convenue » (Cass. 3e civ. 23 févr. 2005, n°03-20015).

Lorsque, de la sorte, l’assiette de la servitude a été fixée conventionnellement, la prescription acquisitive ne pourra pas opérer. Elle ne pourra jouer que dans l’hypothèse où l’acte constitutif n’aborde pas les modalités d’exercice de la servitude, à tout le moins est imprécis.

Cass. 3e civ. 23 févr. 2005
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 23 septembre 2003), que M. X... ayant assigné MM. Y..., Z... et A... pour faire constater qu'ils n'ont aucun droit de passage sur un chemin lui appartenant, cadastré n° 43, ceux-ci ont demandé à être garantis des condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre par les époux B..., leurs vendeurs, aux droits desquels viennent les consorts B... ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l'article 691 du Code civil ;

Attendu que les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes ne peuvent s'établir que par titres ;

Attendu que pour débouter M. X... de ses demandes, l'arrêt, après avoir constaté l'existence d'une servitude conventionnelle de passage s'exerçant sur un "ancien chemin" situé sur la parcelle actuellement cadastrée n° 38, retient que cet ancien chemin a disparu au fil du temps, qu'au lieu de ce chemin a été utilisé, de façon plus que trentenaire, le nouveau chemin dit de Haut Éclair, soit la parcelle n° 43, appartenant comme la parcelle n° 38 au fonds aujourd'hui X... et que M. X... ne peut demander la suppression de la servitude conventionnelle de passage, dont l'assiette a ainsi été déplacée à tout le moins de façon trentenaire ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le propriétaire d'un fonds bénéficiant d'une servitude conventionnelle de passage ne peut prétendre avoir prescrit par une possession trentenaire une assiette différente de celle originairement convenue, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le moyen unique du pourvoi provoqué :

Attendu que la cassation ainsi encourue entraîne par voie de conséquence l'annulation du chef de dispositif ayant débouté MM. Y..., Z... et A... de leur action en garantie contre les consorts B... ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes de suppression des servitudes de passage au profit des fonds de MM. Y..., Z... et A..., et débouté MM. Y..., Z... et A... de leur action en garantie contre les consorts B..., l'arrêt rendu le 23 septembre 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;