L’exécution forcée en nature: régime juridique

Parce que les contrats sont pourvus de la force obligatoire (art. 1103 C. civ), lorsqu’une partie, qui s’est engagée à fournir une prestation ou une chose, ne s’exécute pas, elle devrait, en toute logique, pouvoir y être contrainte. C’est la raison pour laquelle la loi le lui permet.

Cette possibilité, pour le créancier, de contraindre le débiteur défaillant à honorer ses obligations vise à obtenir ce que l’on appelle l’exécution forcée.

Pratiquement, l’exécution forcée peut prendre deux formes :

  • Elle peut avoir lieu en nature : le débiteur est contraint de fournir ce à quoi il s’est engagé
  • Elle peut avoir lieu par équivalent : le débiteur verse au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de la prestation promise initialement

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient fait de l’exécution par équivalent le principe, pour les obligations de faire et de ne pas faire, l’ordonnance du 10 février 2016 a inversé ce principe en généralisant l’exécution forcée en nature dont le recours n’est plus limité, en simplifiant à l’extrême, aux obligations de donner.

?Droit antérieur

Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil distinguait trois sortes d’obligations :

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
    • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
    • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
    • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a abandonné la distinction entre ces obligations, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée.

Pour le comprendre envisageons l’exécution forcée de chacune de ces obligations prises séparément.

  • L’obligation de donner
    • Lorsque l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, il y a lieu de distinguer selon qu’il s’agit de payer une somme d’argent ou selon qu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien :
      • Lorsqu’il s’agit d’une obligation de payer
        • Dans cette hypothèse, seule l’exécution forcée en nature est envisageable.
        • En pareil cas, il ne saurait y avoir d’exécution par équivalent, dans la mesure où, par hypothèse, il n’existe pas d’autre équivalent à l’argent que l’argent.
      • Lorsqu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien
        • En cas de défaillance du débiteur, l’exécution forcée n’a pas lieu de jouer dans la mesure où la défaillance du débiteur intéresse l’effet translatif du contrat.
        • Aussi, est-ce plutôt une action en revendication qui devra être engagée par le créancier aux fins de voir reconnaître son droit de propriété
        • Quant à l’obligation de délivrance de la chose, elle relève de la catégorie, non pas des obligations de donner, mais de faire.
  • L’obligation de faire
    • Lorsque l’engagement pris consiste en une obligation de faire, les deux formes d’exécution forcée sont possibles.
    • Reste que, dans certains cas, l’exécution forcée en nature d’une obligation de faire soulèvera des difficultés.
    • En effet, forcer une personne à fournir la prestation promise pourrait être considéré comme trop attentatoire à la liberté individuelle.
    • Ajouté à cela, contrainte une personne à fournir une prestation contre sa volonté, serait susceptible d’exposer le créancier à une exécution défectueuse de cette prestation qui, dès lors, ne répondrait pas aux attendus stipulés dans le contrat.
  • L’obligation de ne pas faire
    • Il n’est guère plus envisageable de faire respecter, par la force, une obligation de ne pas faire sauf à porter atteinte à la liberté individuelle.
    • L’obligation de ne pas faire se prête ainsi difficilement à l’exécution forcée en nature.

Fort de ces constats, le législateur, en 1804, en avait tiré la conséquence à l’ancien article 1142 du Code civil qui disposait que « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Le principe posé par ce texte était donc que les obligations de faire et les obligations de ne pas faire ne pouvaient faire l’objet que d’une exécution forcée par équivalent, soit se traduire par le versement d’une somme d’argent au créancier.

Par exception, la loi avait néanmoins envisagé certains cas où l’exécution forcée en nature était possible pour les obligations de faire et de ne pas faire :

  • L’ancien article 1143 prévoyait que « néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu »
  • L’ancien article 1145 disposait encore que « si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention ».

Portée par une doctrine majoritairement favorable à une extension du domaine de l’exécution forcée, la jurisprudence a progressivement admis qu’elle puisse être envisagée pour les obligations de faire et de ne pas faire, dès lors qu’elles ne sont pas intimement liées à la personne du débiteur (V. en ce sens pour les obligations de faire Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n°03-21.136 ; pour les obligations de ne pas faire Cass. 1ère civ., 16 janv. 2007, n°06-13.983).

Pour ce faire, la Cour de cassation s’est notamment appuyée sur une lecture audacieuse de l’ancien article 1184 du Code civil, combinée à une lecture restrictive de l’ancien article 1142.

En effet, l’ancien article 1184 du code civil semblait ouvrir la possibilité, pour toutes les obligations, de quelque nature qu’elles soient, d’une exécution forcée en nature au choix du créancier en prévoyant que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ».

Toutefois, la lettre du texte de l’ancien article 1142 paraissait limiter aux seules obligations de donner la possibilité d’une exécution forcée en nature : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Pour concilier ces deux textes, la Cour de cassation, suivant en cela la doctrine majoritaire, a inversé le principe posé par l’article 1142, pour revenir au fondement de la règle qu’il formule et considérer que seules sont exclues du champ d’application de l’exécution forcée en nature les atteintes directes à la liberté de la personne du débiteur.

D’ailleurs, les articles 1143 et 1144 nuançaient déjà l’affirmation posée par l’article 1142 en prévoyant des dérogations au principe de la condamnation à des dommages-intérêts.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle fait une application très restrictive des termes de l’article 1142 du code civil, et paraît avoir reconnu, avec la majorité des auteurs, un véritable droit à l’exécution forcée en nature, en considérant que tout créancier peut exiger l’exécution de ce qui lui est dû lorsque cette exécution est possible (Cass. 3e civ., 19 février 1970, n°68-13.866 ; Cass. 3e civ., 3 novembre 2017, n°15-23.188). La possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature n’est donc exclue qu’en cas d’impossibilité matérielle, juridique ou morale.

Manifestement, les auteurs qui plaidaient pour un abandon de la soustraction des obligations de faire et de ne pas faire à l’exécution forcée en nature ont été entendus par le législateur qui n’a pas manqué l’occasion, lors de l’ordonnance du 10 février 2016, d’inverser le principe posé à l’ancien article 1142 du Code civil, conformément à la jurisprudence qui avait réduit à la portion congrue la portée de ce texte.

?L’ordonnance du 10 février 2016

L’ordonnance du 10 février 2016 dispose désormais à l’article 1221 du Code civil que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.

Ainsi, ce texte rompt avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil, dont la Cour de cassation avait déjà retenu une interprétation contraire au texte et qui était également contredit par la procédure d’injonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 du code de procédure civile.

Le principe est donc dorénavant inversé. Il est indifférent que l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, le créancier est fondé, par principe, à solliciter l’exécution forcée en nature de son débiteur, sauf à ce que :

  • Soit l’exécution est impossible
  • Soit il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

À cet égard, le créancier dispose toujours d’une alternative prévue à l’article 1222 du Code civil qui consiste, « au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire ».

Aussi, convient-il de distinguer deux sortes d’exécution forcée en nature :

  • Celle qui intéresse l’intervention du débiteur
  • Celle qui intéresse l’intervention d’un tiers

I) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention du débiteur

A) Principe

1. Contenu du principe

L’article 1221 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 autorise donc le créancier à solliciter l’exécution forcée en nature en cas de défaillance de son débiteur.

Le principe ainsi posé est repris, en des termes plus généraux, par l’article 1341 du Code civil qui dispose que « le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi. »

?Indifférence de la nature des obligations en cause

Tandis que sous l’empire du droit antérieur, cette forme d’exécution forcée ne pouvait intervenir que pour les obligations de payer, désormais, le texte ne distingue plus selon que la prestation inexécutée consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Toutes les obligations, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de faire l’objet d’une exécution forcée en nature.

Une interrogation demeure toutefois pour l’obligation de ne pas faire, dont on voit mal comment elle pourrait donner lieu à une exécution forcée en nature. En effet, contraindre le débiteur à s’abstenir de ne pas faire quelque chose que le contrat lui interdit, reviendrait, par hypothèse, à porter une atteinte excessive à sa liberté individuelle.

L’exécution forcée en nature est donc inenvisageable pour les obligations de ne pas faire, à l’exception du cas prévu à l’article 1222 du Code civil qui autorise le créancier à « détruire ce qui a été fait en violation » d’une obligation. Il pourra alors « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. »

En dehors du cas particulier de l’obligation de ne pas faire, l’exécution forcée en nature est à la portée du créancier.

?Absence de hiérarchisation des sanctions

À cet égard, elle figure en bonne place dans la liste des sanctions attachées à l’inexécution du contrat énoncées à l’article 1217 du Code civil puisqu’elle figure en deuxième place après l’exception d’inexécution.

Est-ce à dire que l’exécution forcée en nature prime les autres sanctions que sont la réduction du prix ou la résolution du contrat ?

Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier.

Aussi, le créancier est-il libre de solliciter la résolution du contrat plutôt que l’exécution forcée en nature.

À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.

Au surplus, le choix fait par le créancier s’impose au juge dès lors que les conditions d’application de la sanction invoquée sont réunies.

?Possibilité de cumul des sanctions

Le dernier alinéa de l’article 1217 règle l’articulation entre les différentes sanctions qui, en application de ce texte, peuvent se cumuler, dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles.

Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.

Il est néanmoins possible de conjecturer, au regard de la jurisprudence antérieure, que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.

Plusieurs combinaisons peuvent ainsi être envisagées :

  • Exécution forcée en nature et résolution
    • Tandis que l’exécution forcée en nature vise à contraindre le débiteur à fournir la prestation ou la chose convenue, la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat, soit de faire comme s’il n’avait jamais exigé.
    • Manifestement, les effets recherchés pour ces deux sortes de sanctions sont radicalement opposés.
    • Il en résulte que, en cas de défaillance du débiteur, exécution forcée en nature et résolution ne sauraient se cumuler (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 juin 1989, n°87-14.083).
  • Exécution forcée en nature et réduction du prix
    • L’obtention d’une réduction de prix suppose que l’obligation dont se prévaut le créancier n’a été qu’imparfaitement exécutée.
    • Aussi, cette sanction vise-t-elle à ramener le prix au niveau de la quotité ou de la qualité de la prestation qui a été effectivement fournie.
    • De son côté, l’exécution forcée en nature vise plutôt à contraindre le débiteur à parfaire l’exécution de l’obligation souscrite.
    • Il n’est donc pas question ici, pour le créancier, de renoncer à la quotité ou à la qualité de la prestation stipulée dans le contrat.
    • Les objectifs recherchés pour les deux sanctions sont, là encore, opposés.
    • Exécution forcée en nature et réduction de prix sont, dans ces conditions, incompatibles.
  • Exécution forcée en nature et dommages et intérêts
    • L’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Il en résulte que l’exécution forcée en nature peut être cumulée avec une demande d’octroi de dommages et intérêts.
    • Ces derniers visent à indemniser le créancier pour le préjudice subi en raison de l’inexécution totale ou partielle du contrat.

2. Conditions de mise en oeuvre

Pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • D’une part, la créance dont se prévaut le créancier doit être certaine, liquide et exigible
  • D’autre part, le débiteur doit avoir préalablement été mis en demeure de s’exécuter

?Caractère certain, liquide et exigible de la créance

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil ne le prévoient pas expressément, l’exécution forcée en nature ne se conçoit que si la créance dont se prévaut le créancier est certaine, liquide et exigible.

  • Sur le caractère certain de la créance
    • Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans son principe.
    • L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
    • C’est la une condition indispensable à la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature, ne serait-ce que parce que, à défaut de certitude de la créance, le créancier échouera à obtenir un titre exécutoire et donc à s’attacher les services d’un huissier de justice aux fins qu’il instrumente une mesure d’exécution forcée.
  • Sur le caractère exigible de la créance
    • Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
    • Pour que l’exécution forcée en nature puisse être invoquée, encore faut-il que la créance dont se prévaut le créancier soit exigible
    • À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de conséquence, obtenir l’exécution forcée en nature de l’obligation en cause.
    • Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se reporter au terme stipulé dans le contrat.
    • À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties ».
    • Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul débiteur.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
    • La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
    • Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation prévue au contrat.
    • Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé, soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au contrat.
  • Sur le caractère liquide de la créance
    • Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible d’être évaluable en argent.
    • À l’évidence, pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, encore faut-il que la prestation ou la chose promise soit déterminée.
    • À défaut, aucune exécution forcée ne saurait avoir lieu, faute de détermination de son objet.

?Mise en demeure

Les articles 1221 et 1222 du Code civil subordonnent la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature à la mise en demeure préalable du débiteur.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution forcée en nature vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de tenir en échec la demande d’exécution forcée en nature formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

Dans cette hypothèse, la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature ne sera donc pas subordonnée à sa mise en demeure.

?Titre exécutoire

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil suggèrent qu’il suffit au créancier de remplir les conditions énoncées ses textes pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, il n’en est rien.

Cette dernière est, en effet, subordonnée à l’obtention, par le créancier, d’un titre exécutoire. L’article 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en ce sens que « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »

Pour rappel, par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution :

  • Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
  • Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
  • Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
  • Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
  • Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
  • Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
  • Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.

À défaut de titre exécutoire, le droit pour le créancier à l’exécution forcée en nature de sa créance n’est que purement théorique, en ce sens qu’il demeure privé de la possibilité de requérir le ministère d’un huissier de justice pour mise en œuvre de l’exécution proprement dite.

L’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit, en effet, que « les huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont seuls qualité pour […] ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire ».

Ainsi, les huissiers de justice ne sont autorisés à diligenter une procédure d’exécution forcée qu’à la condition qu’ils justifient d’un titre exécutoire.

B) Exceptions

L’article 1221 du Code civil assortit le principe de l’exécution forcée en nature de deux exceptions :

  • L’existence d’une impossibilité d’exécution pour le débiteur
  • L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

1. L’impossibilité d’exécution pour le débiteur

L’article 1221 du Code civil pose que, dans l’hypothèse où il est avéré, que l’exécution de l’obligation en cause est impossible, le créancier ne peut en demander l’exécution forcée en nature.

Cette règle n’est pas sans faire écho à l’adage latin nullus tenetur ad impossibile qui signifie « à l’impossible nul n’est tenu ».

Surtout, elle ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que l’exécution forcée en nature soit exclue en cas d’impossibilité rencontrée par le débiteur.

Reste que la Cour de cassation a tours eu une approche pour le moins restrictive de cette exception dont le champ d’application était circonscrit à l’impossibilité :

  • Matérielle : arrêt de la fabrication du modèle du véhicule vendu (Cass. com., 5 octobre 1993, n°90-21.146), empiétement, s’il est impossible, de démolir et reconstruire l’immeuble à l’emplacement prévu (Cass. 3e civ., 15 février 1978, n°76-13.532)
  • Juridique : dans un arrêt du 27 novembre 2008, la première chambre civile a, par exemple, jugé que « viole l’article 1142 du code civil la cour d’appel qui ordonne sous astreinte au propriétaire d’un local à usage d’habitation de délivrer ce bien à celui avec qui il avait conclu un contrat de bail, alors qu’elle avait relevé que ce local avait été loué à un tiers » (Cass. 1ère civ., 27 novembre 2008, n°07-11.282)
  • Morale : tel est le cas lorsque l’obligation étant éminemment personnelle, son exécution forcée porterait une atteinte trop forte aux droits et libertés fondamentaux de celui qui y est tenu. À cet égard, dans un célèbre arrêt Whistler du 14 mars 1900, la Cour de cassation, après avoir affirmé que le contrat par lequel un artiste s’était engagé à peindre un portrait était « d’une nature spéciale, en vertu duquel la propriété du tableau n’est définitivement acquise à la partie qui l’a commandé, que lorsque l’artiste a mis ce tableau à sa disposition, et qu’il a été agréé par elle », a approuvé la cour d’appel de n’avoir pas ordonné l’exécution forcée de ce contrat au peintre qui refusait de terminer son tableau, le condamnant uniquement à des dommages-intérêts (Cass. civ., 14 mars 1900)

En l’absence de précision de l’article 1221 du Code civil sur le domaine de l’exception tenant à l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter ses obligations, il est fort probable que les solutions adoptées par la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 soient reconduites.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au Rapport au Président de la République qui précise que « l’exécution forcée en nature ne peut être ordonnée en cas d’impossibilité (matérielle, juridique ou morale, en particulier si elle porte atteinte aux libertés individuelles du débiteur) ».

2. L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

L’impossibilité pour le débiteur d’exécuter la prestation promise n’est pas la seule exception au principe d’exécution forcée en nature.

L’ordonnance du 10 février 2016 a ajouté une nouvelle exception : l’exécution en nature ne peut être poursuivie s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.

Cette nouvelle exception, selon le Rapport au Président de la République est directement inspirée des projets européens d’harmonisation du droit des contrats.

Au fond, elle vise à éviter certaines décisions jurisprudentielles très contestées : lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit.

Tel est le cas, lorsque par exemple, l’acquéreur d’une maison individuelle contraint le constructeur à la démolir pour la reconstruire, considérant que « le niveau de la construction présentait une insuffisance de 0,33 mètre par rapport aux stipulations contractuelles ». Nonobstant le coût des travaux à supporter par le constructeur, la Cour de cassation avait considéré que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible » (Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21.136).

La nouvelle exception introduite à l’article 1221 du Code civil a été présentée par le législateur comme une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue.

Aussi, commettrait un abus de droit le créancier qui exigerait cette exécution alors que l’intérêt qu’elle lui procurerait serait disproportionné au regard du coût qu’elle représenterait pour le débiteur et que des dommages et intérêts pourraient lui fournir une compensation adéquate à un prix inférieur pour le débiteur.

La Cour de cassation semble avoir elle-même ouvert la voie en censurant un arrêt qui avait ordonné la démolition d’un ouvrage au motif que la cour d’appel n’avait pas recherché si cette démolition « constituait une sanction disproportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass., 3ème civ., 15 octobre 2015, n° 14-23.612).

En inscrivant cette exception dans la loi, les rédacteurs de l’ordonnance ont entendu mettre fin à ces hésitations de la jurisprudence, tout en limitant au maximum le jeu de cette exception qui constitue une atteinte à la force obligatoire du contrat.

En tout état de cause, pour faire échec à la demande d’exécution forcée en nature du créancier le débiteur devra démontrer qu’il existe une disproportion entre le coût de l’exécution et l’intérêt pour le créancier de la mise en œuvre de cette exécution.

C’est donc à un test de proportionnalité que les juridictions vont devoir se livrer pour apprécier l’application de l’exception au principe de l’exécution forcée en nature dont ne priveront pas d’invoquer les débiteurs en délicatesse avec les stipulations contractuelles.

La rédaction retenue pour l’article 1221 soulève cependant plusieurs interrogations de la part de la doctrine et des praticiens du droit.

L’exigence d’une « disproportion manifeste » entre le coût pour le débiteur et l’intérêt pour le créancier est certes plus précise et moins critiquée que la formule qui avait été retenue initialement dans le projet d’ordonnance, selon laquelle l’exécution en nature devait être écartée si son coût était « manifestement déraisonnable », cette appréciation ne prenant en considération que la situation du débiteur.

Toutefois, loin de priver la Cour de cassation de tout rôle normatif en ce domaine, la réforme soulève de nouvelles questions auxquelles elle devra répondre pour assurer l’unification de l’interprétation du nouveau droit des contrats.

La principale crainte exprimée est celle de voir dans l’article 1221 du Code civil une incitation pour le débiteur à exécuter son obligation de manière imparfaite toutes les fois où le gain attendu de cette inexécution sera supérieur aux dommages et intérêts qu’il pourrait être amené à verser, c’est-à-dire permettre au débiteur de mauvaise foi de profiter de sa « faute lucrative ».

Sans aller jusqu’à évoquer de véritables gains pour le débiteur, n’est-il pas à craindre qu’un constructeur ne pouvant honorer tous les contrats qu’il a en cours choisisse de privilégier l’exécution parfaite de certains contrats au détriment d’autres contrats, n’encourant plus l’exécution forcée en nature, le cas échéant très coûteuse, mais seulement le versement de dommages et intérêts ?

Pour résoudre cette difficulté, et éviter ce genre de calculs du débiteur, il a été précisé dans le texte qu’en cas de disproportion manifeste du coût pour le débiteur au regard de l’intérêt pour le créancier, il ne pourrait être fait échec à la demande d’exécution forcée en nature qu’au bénéfice du débiteur de bonne foi.

La question se pose encore de savoir si l’intérêt pour le créancier doit s’apprécier objectivement ou subjectivement ? Autrement dit, doit-on tenir compte des conséquences matérielles et financières sur la situation du créancier (appréciation subjective) ou doit-on ne se focaliser que sur les conséquences de l’inexécution contractuelle sur l’économie de l’opération (appréciation objective) ?

Dans le même sens, le coût de l’exécution forcée doit-il s’apprécier au regard du prix de la prestation fixée contractuellement ou au regard de la situation financière du débiteur ?

Ce sont là, autant de questions auxquels la jurisprudence devra répondre, faute de précisions apportées par le législateur sur les critères d’application de l’exception ainsi posée.

II) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention d’un tiers

L’article 1222 du Code civil prévoit que « après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. »

À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant, au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire.

Ce mécanisme, que l’on appelle la faculté de remplacement) n’est pas nouveau, puisqu’il reprend en substance les anciens articles 1143 et 1144 et ne fait, au fond.

L’ordonnance du 10 février 2016 innove néanmoins en abandonnant l’exigence d’obtention d’une autorisation judiciaire pour que puisse être exercée cette faculté, sauf à ce qu’il s’agisse de détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

L’article 1222 du Code civil doit ainsi être lu comme posant un principe, lequel principe est assorti d’une exception.

A) Principe : la faculté discrétionnaire de remplacement

Grande nouveauté introduite par la réforme du droit des obligations, l’article 1222 du Code civil facilite la faculté de remplacement par le créancier lui-même, puisqu’il supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci.

En somme la faculté de remplacement conféré au créancier lui permet de solliciter les services d’un tiers aux fins qu’il exécute lui-même l’obligation de faire ce qui incombait au débiteur défaillant.

L’article 1222 précise que, en pareille circonstance, le créancier peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

?Domaine

La faculté de remplacement dont est titulaire le créancier peut être exercée pour toutes les obligations de faire, dès lors que le résultat recherché et prévu dans le contrat peut être atteint.

Son domaine naturel d’élection est celui des obligations de fournir un bien mobilier. Ainsi, l’acheteur qui n’a pas été livré de la chose convenue, peut exiger qu’elle lui soit fournie par un tiers en cas de manquement par le vendeur à son obligation de délivrance.

L’exercice de la faculté de remplacement est également admis en matière de contrat d’entreprise.

La jurisprudence admet régulièrement en ce sens que le maître d’ouvrage puisse faire réaliser les travaux convenus par une entreprise autre que celle à qui le marché a initialement été confié.

Il en va de même pour le preneur qui, en cas d’inaction de son bailleur, peut faire solliciter les services d’un tiers pour que soient effectuées les réparations nécessaires à la jouissance paisible de la chose louée.

?Conditions

L’exercice de la faculté de remplacement conférée au créancier est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • Première condition : la mise en demeure du débiteur
    • La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.
    • Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un tiers.
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
  • Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable
    • La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au préalable, une mise en demeure.
    • Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser sa situation.
    • Reste à déterminer ce que l’on doit entendre par délai raisonnable
    • Sans doute doit-on considérer que le délai raisonnable commence à courir à compter de la mise en demeure du débiteur.
    • Quant au quantum de ce délai, il conviendra de prendre en compte, tout autant les impératifs du créancier, que la situation du débiteur.
  • Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable
    • Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût de l’intervention du tiers doit être raisonnable
    • L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.
    • L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des frais disproportionnés eu égard l’obligation à laquelle s’était engagé initialement le débiteur

B) Exception : l’exigence d’une autorisation judiciaire

Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une autorisation judiciaire est exigée dans deux cas :

?La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du créancier.

Reprenant les termes de l’ancien article 1444 du Code civil, le second alinéa de l’article 1222 oblige ainsi le créancier à saisir le juge, lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une disposition contractuelle.

Le texte ajoute que le créancier peut « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin »

Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

?Le versement d’une avance sur frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou la destruction en cause.

Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

L’exception d’inexécution: domaine, conditions, effets

L’exception d’inexécution

L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Au nombre des sanctions de l’inexécution d’une obligation figure ainsi ce que l’on appelle l’exception d’inexécution.

?Définition

L’exception d’inexécution, ou « exceptio non adimpleti contractus », est définie classiquement comme le droit, pour une partie, de suspendre l’exécution de ses obligations tant que son cocontractant n’a pas exécuté les siennes.

Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit de légitime défense contractuelle susceptible d’être exercé, tant par le créancier, que par le débiteur :

  • Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le créancier elle s’apparente à un moyen de pression, en ce sens qu’elle lui permet, en refusant de fournir sa prestation, de contraindre le débiteur à exécuter ses propres obligations
  • Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le débiteur, elle remplit plutôt la fonction de garantie, en ce sens qu’elle lui permet de neutraliser l’action de son créancier tant que la prestation promise n’a pas été fournie

?Origines

Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil ne reconnaissait aucune portée générale à l’exception d’inexécution qui n’était envisagée que par certaines dispositions traitant de contrats spéciaux :

  • En matière de contrat de vente
    • L’article 1612 du Code civil dispose que « le vendeur n’est pas tenu de délivrer la chose, si l’acheteur n’en paye pas le prix, et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement. »
    • L’article 1612 énonce encore que « il ne sera pas non plus obligé à la délivrance, quand même il aurait accordé un délai pour le paiement, si, depuis la vente, l’acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix ; à moins que l’acheteur ne lui donne caution de payer au terme. »
    • L’article 1653 prévoit que « si l’acheteur est troublé ou a juste sujet de craindre d’être troublé par une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre le paiement du prix jusqu’à ce que le vendeur ait fait cesser le trouble, si mieux n’aime celui-ci donner caution, ou à moins qu’il n’ait été stipulé que, nonobstant le trouble, l’acheteur paiera. »
  • En matière de contrat d’échange, l’article 1704 dispose que « si l’un des copermutants a déjà reçu la chose à lui donner en échange, et qu’il prouve ensuite que l’autre contractant n’est pas propriétaire de cette chose, il ne peut pas être forcé à livrer celle qu’il a promise en contre-échange, mais seulement à rendre celle qu’il a reçue. »
  • En matière de contrat d’entreprise, l’article 1799-1 prévoit que « tant qu’aucune garantie n’a été fournie et que l’entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l’exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l’issue d’un délai de quinze jours »
  • En matière de contrat de dépôt, l’article 1948 prévoit que « le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison du dépôt ».

?Généralisation jurisprudentielle

Bien que réservée, sinon contre (Cass. req., 1er déc. 1897), l’extension du champ d’application de l’exception d’inexécution en dehors des textes où elle était envisagée, la jurisprudence, sous l’impulsion des travaux de grande qualité de René Cassin, a finalement admis qu’elle puisse être généralisée à l’ensemble des contrats synallagmatiques.

Dans un arrêt du 5 mars 1974, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « le contractant poursuivi en exécution de ses obligations, et qui estime que l’autre partie n’a pas exécuté les siennes, a toujours le choix entre la contestation judiciaire et l’exercice à ses risques et périls de l’exception d’inexécution » (Cass. civ. 1re, 5 mars 1974)

La généralisation, par la jurisprudence, de l’exception d’inexécution reposait sur deux principaux arguments qui consistaient à dire que :

  • D’une part, en autorisant la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté à forcer l’autre à l’exécution de la convention, l’ancien article 1184, al. 2 du Code civil n’interdisait nullement le recours à l’exception d’inexécution dans la mesure où elle consiste précisément en un moyen indirect de provoquer l’exécution du contrat
  • D’autre part, on ne saurait voir dans les textes qui envisagent l’exception d’inexécution une portée restrictive, mais une application d’un principe général

?Consécration légale

Si la réforme des sûretés avait amorcé la généralisation de l’exception d’inexécution en introduisant un article 2286 qui confère un droit de rétention sur la chose à « celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer », c’est l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations qui l’érige en principe général.

Désormais, l’exception d’inexécution est présentée, à l’article 1217 du Code civil, comme la première des sanctions dont dispose le créancier d’une obligation en souffrance. Les articles 1219 et 1220 en définissent quant à eux le régime.

Tandis que le premier de ces articles pose les conditions d’exercice de l’exception d’inexécution, le second autorise, et c’est là une nouveauté, le créancier à mettre en œuvre cette sanction de façon anticipée.

I) Le domaine de l’exception d’inexécution

?Droit antérieur

Classiquement, la sanction que constitue l’exception d’inexécution est associée aux contrats synallagmatiques.

Pour mémoire, un contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement l’un envers l’autre.

En d’autres termes, le contrat synallagmatique crée des obligations réciproques et interdépendantes à la charge des deux parties. Chaque partie est donc tout à la fois créancier et débiteur. L’interdépendance et la réciprocité des obligations sont ce qui caractérise les contrats synallagmatiques.

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, si l’exception d’inexécution n’était envisagée par le Code civil que pour des contrats synallagmatiques, tels que la vente, l’échange ou encore le dépôt, à l’examen son domaine ne se limitait pas à cette typologie de contrats.

En effet, l’exception d’inexécution a été envisagée, tantôt par la jurisprudence, tantôt par la doctrine, dans d’autres cas :

  • Dans les contrats synallagmatiques imparfaits
    • Il s’agit de contrats qui sont unilatéraux au moment de la formation de l’acte, car ne créant d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, et qui au cours de son exécution donne naissance à des obligations réciproques de sorte que le créancier devient également débiteur.
      • Exemple : dans le cadre de l’exécution d’un contrat de dépôt, le dépositaire sur lequel ne pèse aucune obligation particulière lors de la formation du contrat, peut se voir mettre à charge une obligation si, en cours d’exécution de la convention, le dépositaire expose des frais de conservation
    • Très tôt, la jurisprudence a admis que les contrats synallagmatiques imparfaits puissent donner lieu à l’exercice de l’exception d’inexécution par une partie.
    • Cette jurisprudence repose sur l’idée que l’obligation qui naît au cours de l’exécution du contrat existait, en réalité, au moment de la formation de l’acte, à tout le moins les parties ne pouvaient pas ignorer qu’elle puisse naître, de sorte que l’obligation originaire et l’obligation éventuelle se servent mutuellement de cause.
  • Dans les rapports d’obligations qui résultent de quasi-contrat
    • La jurisprudence considère que dès lors qu’un quasi-contrat est susceptible de créer des obligations réciproques entre les parties, l’exception d’inexécution peut être invoquée.
    • Il en va ainsi, notamment, en matière de gestion d’affaires qui oblige le gérant d’affaires à continuer la gestion engagée en contrepartie de quoi il échoit au maître de l’affaire de l’indemniser de tous les frais exposés.
    • À cet égard, dans un arrêt du 15 janvier 1904, la Cour de cassation a jugé que « le mandataire auquel il doit être assimilé quand, comme dans l’espèce, l’utilité de sa gestion est reconnue, le gérant d’affaires a, par application de la règle inscrite dans l’article 1948 en faveur du dépositaire, le droit de retenir la chose qu’il a gérée jusqu’au payement de tout ce qui lui est dû à raison de sa gestion » (Cass. civ. 15 janv. 1904).
  • Dans les rapports d’obligations qui résultent de la loi
    • En doctrine, la question s’est rapidement posée de savoir si l’exception d’inexécution ne pouvait pas également être admise dans les rapports d’obligations qui résultent de la loi.
    • En effet, le contrat n’ayant pas le monopole de la création des obligations connexes et réciproques, certains auteurs en ont déduit que rien n’interdirait que l’exception d’inexécution puisse être invoquée dans le cadre de rapports d’obligations créés par la loi, tels que le lien matrimonial qui existe entre les époux ou encore le lien de filiation qui existe entre l’adoptant et l’adopté.
    • Cette thèse pourrait donc conduire à admettre que l’un des membres du couple suspende l’exécution de l’une de ses obligations (devoir de cohabitation par exemple) à l’exécution par son conjoint de ses propres obligations.
    • Aussi, une partie de la doctrine milite pour que le domaine de l’exception d’inexécution ne se limite pas au domaine contractuel et soit étendu à l’ensemble des rapports synallagmatiques.
    • Reste que pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, il ne suffit pas que les obligations créées entre les parties soient réciproques, il faut encore qu’elles soient interdépendantes, soit qu’elles se servent mutuellement de cause.
    • Or dans le cadre du rapport juridique créé par la loi dans le cadre du mariage par exemple, il n’existe aucune interdépendance entre les obligations des époux.
    • L’exception d’inexécution pourrait, dans ces conditions, difficilement justifier la suspension du devoir conjugal dans l’attente de l’exécution de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

?L’ordonnance du 10 février 2016

Les projets Catala et Terré avaient expressément circonscrit la mise en œuvre de l’exception d’inexécution au domaine des contrats synallagmatique.

Le projet Terré prévoyait en ce sens que « si, dans un contrat synallagmatique, une partie n’exécute pas son obligation, l’autre peut refuser, totalement ou partiellement, d’exécuter la sienne, à condition que ce refus ne soit pas disproportionné au regard du manquement ».

Ce cantonnement de l’exception d’inexécution au domaine des contrats synallagmatiques n’a manifestement pas été repris par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations.

Le silence de l’article 1219 du Code civil sur le domaine de l’exception d’inexécution suggère, en effet, que cette sanction peut faire l’objet d’une application en dehors du cadre contractuelle, conformément à la jurisprudence antérieure.

Aussi, il est fort probable que l’exception d’inexécution puisse jouer toutes les fois qu’il sera démontré l’existence d’un rapport juridique qui met aux prises des obligations réciproques et interdépendantes.

II) Les conditions de l’exception d’inexécution

Nouveauté de la réforme des obligations, l’article 1220 du Code civil prévoit la possibilité pour le créancier d’exercer l’exception d’inexécution par anticipation, soit avant que la défaillance du débiteur ne survienne.

Aussi, les conditions de l’exception d’inexécution diffèrent, selon que la défaillance du débiteur est avérée ou selon qu’elle est à venir.

A) L’exercice de l’exception d’inexécution consécutivement à une inexécution avérée

La mise en œuvre de l’exception d’inexécution est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives qui tiennent :

  • Aux obligations des parties
  • À l’inexécution d’une obligation
  • À l‘exercice de la sanction

1. Les conditions tenant aux obligations des parties

?Exigence de réciprocité des obligations

L’exception d’inexécution ne se conçoit qu’en présence d’obligations réciproques, ce qui implique que les parties endossent l’une envers l’autre tout à la fois la qualité de créancier et de débiteur.

L’exception d’inexécution ne présente, en effet, d’intérêt que si le créancier peut exercer un moyen de pression sur son débiteur. Or ce moyen de pression consiste en la suspension de ses propres obligations. En l’absence de réciprocité, cette suspension s’avérera impossible dans la mesure où le créancier n’est débiteur d’aucune obligation envers son cocontractant.

À cet égard, comment le bénéficiaire d’un don pourrait-il exercer l’exception d’inexécution alors qu’il n’est débiteur d’aucune obligation envers le donateur ? De toute évidence, le donataire sera bien en peine de suspendre l’exécution d’obligations qui ne lui incombent pas.

C’est la raison pour laquelle, l’existence d’une réciprocité des obligations est primordiale. L’exception d’inexécution puise sa raison d’être dans cette réciprocité.

?Exigence d’interdépendance des obligations

Bien que l’article 1219 du Code civil n’exige pas expressément que les obligations des parties soient interdépendantes pour que l’exception d’inexécution puisse jouer, il définit néanmoins cette sanction comme « la possibilité offerte à une partie de ne pas exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne ».

L’exigence d’interdépendance est ici sous-jacente : l’exception d’inexécution est subordonnée à la démonstration par le créancier que la créance inexécutée dont il se prévaut est issue d’un rapport juridique ayant donné naissance à l’obligation qui lui échoit envers son débiteur.

Un lien d’interdépendance (de connexité) doit donc exister entre les deux obligations réciproques. Pour être interdépendances, ces obligations doivent se servir mutuellement de cause, soit avoir été envisagées par les parties comme la contrepartie de l’une à l’autre.

Ainsi, dans le contrat de vente, le prix est stipulé en contrepartie d’une chose, raison pour laquelle on dit que les obligations de délivrance de la chose et de paiement du prix sont interdépendantes.

?Exigence du caractère certain, liquide et exigible de la créance du créancier

Pour que le créancier soit fondé à se prévaloir de l’exception d’inexécution il doit justifier d’une créance au moins certaine et exigible. Quant à l’exigence de liquidité de la créance, la jurisprudence est partagée.

  • Sur le caractère certain de la créance
    • Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans son principe.
    • L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
    • Pour que l’exception d’inexécution puisse jouer, la créance du créancier doit être certaine, à défaut de quoi il y aurait là quelque chose d’injuste à suspendre l’exécution d’une obligation dont l’existence est contestable.
    • Aussi, cela explique-t-il pourquoi en matière de bail la Cour de cassation dénie au locataire le droit d’exercer l’exception d’inexécution en réaction au refus du bailleur d’effectuer des travaux (Cass. com., 30 mai 2007, n° 06-19.068)
    • Tant que la question de savoir si la demande de réalisation de travaux n’est pas tranchée par un juge, la créance dont se prévaut le locataire n’est pas fondée dans son principe ; elle demeure hypothétique.
    • Dans un arrêt du 7 juillet 1955, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « les preneurs ne peuvent pour refuser le paiement des fermages échus, qui constituent une créance certaine, liquide et exigible, opposer au bailleur l’inexécution par lui de travaux qui représentent une créance incertaine » (Cass. soc., 7 juill. 1955).
  • Sur le caractère exigible de la créance
    • Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
    • Pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, encore faut-il que la créance dont se prévaut l’accipiens soit exigible
    • À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de conséquence, à suspendre l’exécution de ses propres obligations
    • Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se reporter au terme stipulé dans le contrat.
    • À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties ».
    • Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul débiteur.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
    • La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
    • Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation prévue au contrat.
    • Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé, soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au contrat.
  • Sur le caractère liquide de la créance
    • Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible d’être évaluable en argent ou déterminée
    • Tout autant que l’absence de caractère certain de la créance interdit l’exercice de l’exception d’inexécution, il a été admis dans certaines décisions que l’absence de liquidité puisse également y faire obstacle.
    • La Cour de cassation a par exemple statué en ce sens dans un arrêt du 6 juillet 1982, toujours, en matière de contrat de bail, considérant que les travaux réclamés par un locataire à son bailleur « représentent une créance indéterminée » (Cass. 3e civ., 6 juill. 1982, n°81-11.711).
    • Cette jurisprudence est toutefois contestée par une partie de la doctrine qui soutient que la liquidité de la créance indifférente, s’agissant de l’exercice de l’exception d’inexécution.
    • Dans un arrêt du 20 février 1991, la Cour de cassation a d’ailleurs adopté la solution contraire (Cass. 3e civ. 20 févr. 1991, n° 89-18.372).

2. Les conditions tenant à l’inexécution

L’article 1219 du Code civil prévoit que l’exception d’inexécution ne peut être soulevée par le créancier qu’à la condition qu’il justifie « d’une inexécution suffisamment grave ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « inexécution suffisamment grave ».

Pour le déterminer, il convient de se reporter à la jurisprudence antérieure dont on peut tirer plusieurs enseignements :

  • Premier enseignement : l’indifférence de la cause de l’inexécution
    • Principe
      • Peu importe la cause de l’inexécution imputable au débiteur, dès lors que cette inexécution est établie, le créancier est fondé à se prévaloir de l’exception d’inexécution.
      • L’inexécution du contrat postule la faute du débiteur à qui il appartient de démontrer qu’il rentre dans l’un des cas qui neutralisent l’exception d’inexécution
    • Exceptions
      • Par exception, l’exception d’inexécution ne pourra pas jouer dans les cas suivants
        • Lorsque la créance du débiteur est éteinte
        • Lorsque le débiteur justifie d’un cas de force majeure
        • Lorsque l’inexécution procède d’une faute de l’excipiens
  • Deuxième enseignement : indifférence du caractère partielle ou totale de l’inexécution
    • L’article 1219 du Code civil n’exige pas que l’inexécution de l’obligation dont se prévaut le créancier soit totale
    • Il est donc indifférent que cette inexécution soit partielle : l’exception d’inexécution peut jouer malgré tout (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 18 juill. 1995, n° 93-16.338).
  • Troisième enseignement : indifférence du caractère essentiel ou accessoire de l’obligation objet de l’inexécution
    • La jurisprudence a toujours considéré qu’il était indifférent que l’inexécution porte sur une obligation essentielle ou accessoire.
    • Ce qui importe c’est que l’inexécution soit suffisamment grave pour justifier l’inexécution, et plus précisément, s’agissant de l’inexécution d’une obligation accessoire, que la riposte soit proportionnée, ce qui implique que le créancier ne suspende pas une obligation essentielle (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 25 nov. 1980, n°79-14.791).
  • Quatrième enseignement : exigence de gravité de l’inexécution
    • Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence rappelait régulièrement que, au fond, il est indifférent que l’inexécution de l’obligation soit partielle ou que cette inexécution porte sur une obligation accessoire.
    • Pour la Cour de cassation, ce qui importe, c’est que l’inexécution soit suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution (V. en ce sens Cass. 3e civ. 26 nov. 2015, n°14-24.210).
    • À l’examen, ce critère a été repris par le législateur lors de la réforme du droit des obligations.
    • L’article 1219 du Code civil pose, en effet, que l’exception d’inexécution ne peut être soulevée par le créancier que si l’inexécution présente un caractère suffisamment grave.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir comment apprécier cette gravité ?
    • L’examen de la jurisprudence antérieure révèle que, pour apprécier le bien-fondé de l’exercice de l’exception d’inexécution les juridictions cherchaient moins à évaluer la gravité du manquement contractuel en tant que tel qu’à regarder si la riposte du créancier était proportionnelle à l’importance de l’inexécution invoquée.
    • Dès lors que cette riposte était proportionnelle à la gravité du manquement, alors les juridictions avaient tendance à considérer que l’exception d’inexécution était justifiée. Dans le cas contraire, le créancier engageait sa responsabilité.
    • Si la formulation de l’article 1219 du Code civil est silencieuse sur l’exigence de proportion de la riposte au regard de l’inexécution contractuelle, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise quant à lui que l’exception d’inexécution « ne peut être opposée comme moyen de pression sur le débiteur que de façon proportionnée ».
    • Ce rapport indique, en outre, que « l’usage de mauvaise foi de l’exception d’inexécution par un créancier face une inexécution insignifiante constituera dès lors un abus ou à tout le moins une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. »
    • Ainsi, selon le législateur, la gravité du manquement contractuelle ne doit pas être appréciée abstraitement : elle doit, tout au contraire, être confrontée à la riposte du créancier.
    • Ce n’est qu’au regard de cette confrontation que le juge pourra déterminer si le manquement contractuel dont se prévaut le créancier était suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution.
    • Reste à savoir si la Cour de cassation statuera dans le sens indiqué par le législateur, sens qui, finalement, n’est pas si éloigné de la position prise par la jurisprudence antérieure (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 12 mai 2016, n° 15-20.834)

3. Les conditions tenant à l’exercice de l’exception d’inexécution

L’article 1219 du Code civil ne prévoit aucune condition d’exercice de l’exception d’inexécution.

D’une part, cette disposition n’exige pas que le créancier, pour exercer l’exception d’inexécution, saisisse le juge aux fins qu’il constate l’inexécution du contrat.

L’appréciation du caractère suffisamment grave de l’inexécution qui fonde l’exception d’inexécution est à la main du seul créancier qui donc l’exercera à ses risques et périls

Dans l’hypothèse où la suspension de ses propres obligations ne serait pas justifiée, il s’expose à devoir indemniser le débiteur.

D’autre part, le créancier n’a nullement l’obligation de mettre en demeure son débiteur de s’exécuter.

L’exception d’inexécution peut être exercée en l’absence de l’accomplissement de cette formalité préalable qui, pourtant, est exigée pour la mise en œuvre des autres sanctions attachées à l’inexécution contractuelle, que sont :

  • L’exécution forcée en nature (art. 1221 et 1222 C. civ.)
  • La réduction du prix (art. 1223 C. civ.)
  • L’activation de la clause résolutoire (art. 1225, al.2 C. civ.)
  • La résolution par notification (art. 1226, al. 1er C. civ.)
  • L’action en responsabilité contractuelle (art. 1231 C. civ.)

Bien que l’article 1219 du Code civil ne subordonne pas l’exercice de l’exception d’inexécution à la mise en demeure du débiteur, elle peut s’avérer utile, d’une part, pour faciliter la preuve de l’inexécution qui, au surplus, peut être constatée par acte d’huissier, d’autre part pour établir la bonne foi du créancier dont la riposte a été exercée avec discernement puisque, offrant la possibilité au débiteur de régulariser sa situation.

B) L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation d’une inexécution à venir

1. Consécration légale

L’article 1220 du Code civil prévoit que « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

Ainsi, cette disposition autorise-t-elle le créancier à exercer l’exception d’inexécution par anticipation, soit lorsqu’il craint que son débiteur ne s’exécute pas à l’échéance.

C’est là une nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence antérieure étant quelque peu hésitante quant à la reconnaissance de l’exercice de cette faculté au créancier en l’absence de texte.

La chambre commerciale avait néanmoins amorcé cette reconnaissance dans un arrêt du 11 février 2003 en jugeant que « l’exception d’inexécution a pour objet de contraindre l’un des cocontractants à exécuter ses propres obligations ou de prévenir un dommage imminent, tel qu’un risque caractérisé d’inexécution » (Cass. com. 11 févr. 2003, n°00-11.085).

Quoi qu’il en soit, l’article 1220 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 va plus loin que la jurisprudence antérieure, puisqu’il introduit la possibilité pour le créancier d’une obligation, avant tout commencement d’exécution du contrat, de suspendre l’exécution de sa prestation s’il est d’ores et déjà manifeste que le débiteur ne s’exécutera pas.

Il s’agit d’une faculté de suspension par anticipation de sa prestation par le créancier avant toute inexécution, qui permet de limiter le préjudice résultant d’une inexécution contractuelle, et qui constitue un moyen de pression efficace pour inciter le débiteur à s’exécuter.

Ce mécanisme est toutefois plus encadré que l’exception d’inexécution, puisqu’outre l’exigence de gravité suffisante de l’inexécution, la décision de suspension de la prestation doit être notifiée dans les meilleurs délais à l’autre partie.

2. Conditions

Outre les conditions propres à l’exception d’inexécution ordinaire que sont les exigences de réciprocité et d’interdépendance des obligations, l’article 1220 pose trois autres conditions que sont :

  • Le caractère manifeste de l’inexécution à venir
  • La gravité des conséquences attachées à l’inexécution à venir
  • La notification de l’exercice de l’exception d’inexécution

?Sur le caractère manifeste de l’inexécution à venir

Pour que le créancier soit fondé à exercer l’exception d’inexécution par anticipation, il doit être en mesure de prouver que le risque de défaillance du débiteur à l’échéance est manifeste.

Autrement dit, la réalisation de ce risque doit être prévisible, sinon hautement probable. Afin d’apprécier le caractère manifeste du risque d’inexécution, il convient de se reporter à la méthode d’appréciation du dommage imminent adopté par le juge des référés lorsqu’il est saisi d’une demande d’adoption d’une mesure conservatoire.

En effet, pour solliciter la prescription d’une mesure conservatoire, il convient de justifier l’existence d’un dommage imminent, ce qui, finalement, n’est pas très éloigné de la notion de « risque manifeste d’inexécution ».

Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Ainsi, appartient-il au demandeur de démontrer que, sans l’intervention du Juge, il est un risque dont la probabilité est certaine qu’un dommage irréversible se produise.

En matière d’exception d’inexécution par anticipation il est possible de raisonner sensiblement de la même manière : si le créancier ne réagit pas, par anticipation, en suspendant l’exécution de ses obligations, il est un risque de défaillance de son débiteur et que, par voie de conséquence, cette défaillance lui cause préjudice.

La probabilité de cette défaillance doit être suffisamment forte pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution.

?Sur la gravité des conséquences attachées à l’exécution à venir

L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation est subordonné à l’établissement de la gravité des conséquences susceptibles de résulter de l’inexécution.

La formulation de l’article 1220 est différente de celle utilisée par l’article 1219 qui vise, non pas la gravité des conséquences du manquement, mais la gravité – intrinsèque – du manquement.

L’article 1220 invite, en d’autres termes, le juge à apprécier les conséquences de l’inexécution plutôt que ses causes.

Par gravité des conséquences du manquement, il convient d’envisager le préjudice susceptible d’être causé au créancier du fait de l’inexécution. Ce préjudice peut consister soit en une perte, soit en un gain manqué.

Ce qui donc peut justifier l’exercice de l’exception d’inexécution ce n’est donc pas le risque de non-paiement du prix de la prestation par le débiteur, mais les répercussions que ce défaut de paiement est susceptible d’avoir sur le créancier.

?Sur la notification de l’exercice de l’exception d’inexécution

À la différence de l’article 1219 qui, pour l’exercice de l’exception d’inexécution ordinaire, n’exige pas que le créancier adresse, au préalable, une mise en demeure au débiteur, l’article 1220 impose l’accomplissement de cette formalité, lorsque l’exception d’inexécution est exercée par anticipation.

Plus précisément, cette disposition prévoit que la suspension de l’exécution des obligations du créancier « doit être notifiée dans les meilleurs délais » au débiteur.

Quid du contenu du courrier de mise en demeure ? Le texte ne le dit pas. On peut en déduire, que le créancier n’a pas l’obligation de motiver sa décision, ni d’informer le débiteur sur les conséquences de sa défaillance. Il n’est pas non plus tenu d’observer des formes particulières quant aux modalités de notification.

Il est toutefois conseillé, a minima, d’adresser la mise en demeure au créancier par voie de lettre recommandé avec accusé de réception.

Quant à la sanction de l’absence de mise en demeure du débiteur préalablement à l’exercice de l’exception d’inexécution, l’article 1220 du Code civil est également silencieux sur ce point.

Le plus probable est que cette irrégularité soit considérée comme entachant l’exercice par anticipation de l’exception d’inexécution d’une faute et que, par voie de conséquence, cela expose le créancier à une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

III) Les effets de l’exception d’inexécution

L’exercice de l’exception d’inexécution a pour effet de suspendre l’exécution des obligations du créancier, tant que le débiteur n’a pas fourni la prestation à laquelle il s’est engagé.

Aussi, le contrat n’est nullement anéanti : l’exigibilité des obligations de l’excipiens est seulement suspendue temporairement, étant précisé que cette suspension est unilatérale.

Dès lors que le débiteur aura régularisé sa situation, il incombera au créancier de lever la suspension exercée et d’exécuter ses obligations.

En tout état de cause, l’exercice de l’exception d’inexécution n’autorise pas le créancier à rompre le contrat (V. en ce sens Cass. com. 1er déc. 1992, n° 91-10.930).

Pour sortir de la relation contractuelle, il n’aura d’autre choix que de solliciter la résolution du contrat, selon l’une des modalités énoncées à l’article 1224 du Code civil.

En l’absence de réaction du débiteur, le créancier peut également saisir le juge aux fins de solliciter l’exécution forcée du contrat.

À l’inverse, dès lors que l’exercice de l’exception d’inexécution est justifié, le débiteur est irrecevable à solliciter l’exécution forcée du contrat ou sa résolution. Le créancier est par ailleurs à l’abri d’une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

La force majeure en matière contractuelle: notion et effets

Les anciens articles 1147 et 1148 du Code civil prévoyaient que, en cas d’inexécution du contrat, le débiteur était fondé à s’exonérer de sa responsabilité ou à se libérer de ses obligations dans deux hypothèses :

  • Le cas fortuit
  • Le cas de force majeure

Tandis que le cas de force majeure consisterait en un événement externe au débiteur, tel qu’une intempérie (tempête, ouragan), une guerre ou encore un séisme, le cas fortuit consiste, quant à lui, en un événement interne au débiteur, en ce sens qu’il se rattache à l’activité qu’il exerce (incendie dans les locaux de l’entreprise, grève, maladie etc.)

Ainsi, la distinction entre le cas de force majeure et le cas fortuit tient à la nature de l’empêchement d’exécuter la convention :

  • Il s’agira d’un cas fortuit si l’empêchement est externe
  • Il s’agira d’un cas de force majeure si l’empêchement est interne

Bien que cette distinction qui, suggérée par les anciens articles 1147 et 1148, ait fait l’objet de vifs débats entre les auteurs, elle a finalement été progressivement écartée par la jurisprudence et la doctrine modernes qui ne se réfèrent plus qu’à la force majeure.

Reste que, avant la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016, il n’existait pas, dans le code civil, de définition de la force majeure dont les contours et les effets ont été dessinés par la jurisprudence de la Cour de cassation, et ce de façon parfois inconstante.

Aussi, afin de combler ce silence du code civil et de mettre un terme à l’incertitude jurisprudentielle que la Cour de cassation n’est jamais parvenue à éteindre, le législateur est intervenu en 2016.

À cet égard, l’ordonnance du 10 février 2016 introduit dans le Code civil un article 1218 qui :

  • D’une part, pose la définition du cas de force majeure
  • D’autre part, en détermine les effets

I) La définition de la force majeure

Si sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 le cas de force majeur n’était défini par aucun texte, il était traditionnellement défini comme un événement présentant les trois caractères cumulatifs que sont l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité.

Ces trois critères sont-ils repris par l’article 1218 du Code civil qui définit la force majeure comme ?

Cette disposition prévoit qu’« il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Selon le Rapport au président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 l’intention du législateur est claire : le texte reprend la définition prétorienne de la force majeure en matière contractuelle, délaissant le traditionnel critère d’extériorité, également abandonné par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2006, pour ne retenir que ceux d’imprévisibilité et d’irrésistibilité.

Si la volonté d’abandonner le critère d’extériorité est difficilement contestable, reste qu’une analyse de l’article 1218 interroge sur le succès de la manœuvre.

A) Sur le critère d’extériorité

?Notion

Dans la conception classique, l’événement constitutif de la force majeure doit être extérieur (ou résulter d’une cause étrangère), c’est-à-dire doit être indépendant de la volonté de l’agent, à tout le moins à son activité.

En matière contractuelle, la condition d’extériorité était évoquée à l’article 1147 du Code civil, qui faisait référence à la « cause étrangère » non imputable au débiteur.

L’extériorité s’entendait ici d’un événement indépendant de la volonté de celui qui doit exécuter le contrat et rendant impossible l’exécution du contrat.

À cet égard, il ne suffisait pas que l’exécution de l’obligation soit rendue plus difficile ou plus onéreuse par la survenance de l’événement extérieur (Cass., com., 12 novembre 1969), il fallait qu’elle soit effectivement impossible.

Si l’empêchement n’était que momentané, la jurisprudence considérait le débiteur n’était pas libéré et l’exécution de l’obligation était, dans ces conditions, seulement suspendue jusqu’au moment où l’événement extérieur venait à cesser (Cass., 1ère civ., 24 février 1981, n°79-12.710).

La condition d’extériorité de l’événement n’était pas, non plus, caractérisée si l’empêchement d’exécution du contrat résultait de l’attitude ou du comportement fautif du débiteur (Cass., 1ère civ., 21 mars 2000, n° 98-14.246).

Ainsi, le vendeur ne pouvait pas invoquer une force majeure extérieure pour s’exonérer de sa responsabilité en cas de vice caché (Cass. 1ère civ., 29 octobre 1985, n°83-17.091), ni en principe le chef d’entreprise en cas de grève de son propre personnel (Cass., Com., 24 novembre 1953).

Reste que la Cour de cassation a finalement renoncé à l’exigence d’extériorité de l’événement pour retenir le cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

?Les fluctuations de la jurisprudence

À compter des années 1990, la Cour de cassation a commencé à admettre, dans plusieurs arrêts, que puissent exister des circonstances internes au débiteur, comme la maladie, la grève ou des circonstances économiques (le chômage ou l’absence de ressources, par exemple) susceptibles de constituer des cas de force majeure ;

  • La grève a ainsi pu être considérée comme un événement extérieur (Cass., 1ère civ., 24 janvier 1995, n°92-18.227), sauf si elle résultait du fait ou d’une faute de l’employeur
  • La maladie a également été déclarée constitutive d’un cas de force majeure irrésistible, bien qu’elle n’ait pas été extérieure à la personne :

Afin de mettre un terme à l’incertitude qui régnait en jurisprudence, la Cour de cassation a voulu entériner l’abandon du critère de l’extériorité dans un arrêt d’assemblée plénière du 14 avril 2006 (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168).

Dans cette décision, après avoir rappelé « qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit » les juges ont affirmé « qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ».

Cass. ass. plé. 14 avr. 2006

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Douai, 12 novembre 2001), que M. X… a commandé à M. Y… une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle ; qu’en raison de l’état de santé de ce dernier, les parties sont convenues d’une nouvelle date de livraison qui n’a pas été respectée ; que les examens médicaux qu’il a subis ont révélé l’existence d’un cancer des suites duquel il est décédé quelques mois plus tard sans que la machine ait été livrée ; que M. X… a fait assigner les consorts Y…, héritiers du défunt, en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen :

1) qu’en estimant que la maladie dont a souffert M. Michel Z… avait un caractère imprévisible, pour en déduire qu’elle serait constitutive d’un cas de force majeure, après avoir constaté qu’au 7 janvier 1998, date à laquelle M. Michel Y… a fait à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, M. Michel Y… savait souffrir, depuis plusieurs mois, d’une infection du poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail et se soumettait à de nombreux examens médicaux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

2) qu’un événement n’est pas constitutif de force majeure pour le débiteur lorsque ce dernier n’a pas pris toutes les mesures que la prévisibilité de l’événement rendait nécessaires pour en éviter la survenance et les effets ; qu’en reconnaissant à la maladie dont a souffert M. Michel Y… le caractère d’un cas de force majeure, quand elle avait constaté que, loin d’informer son cocontractant qu’il ne serait pas en mesure de livrer la machine commandée avant de longs mois, ce qui aurait permis à M. Philippe X… de prendre toutes les dispositions nécessaires pour pallier le défaut de livraison à la date convenue de la machine commandée, M. Michel Y… avait fait, le 7 janvier 1998, à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, soit à une date qu’il ne pouvait prévisiblement pas respecter, compte tenu de l’infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail, dont il savait souffrir depuis plusieurs mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ;

Mais attendu qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ; qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y… était en mesure de réaliser la machine et qu’il s’en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l’incapacité physique résultant de l’infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d’une maladie irrésistible, la cour d’appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d’un cas de force majeure ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. X… fait encore grief à l’arrêt d’avoir omis, après avoir prononcé la résolution du contrat, de condamner in solidum les défenderesses à lui payer les intérêts au taux légal, à compter de la date de l’acte introductif d’instance et jusqu’à celle de son versement, sur la somme correspondant aux acomptes qu’il avait versés à son débiteur alors, selon le moyen, que les intérêts au taux légal sont dus du jour de la demande en justice équivalent à la sommation de payer jusqu’à la date de leur versement sur le prix qui doit être restitué à la suite de l’exécution d’un contrat ; qu’en omettant, après avoir prononcé la résolution du contrat conclu le 11 juin 1997 entre M. Michel Y… et M. Philippe X…, de condamner in solidum Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à payer à M. Philippe X… les intérêts au taux légal sur la somme correspondant au montant des acomptes initialement versés à M. Michel Y… par M. Philippe X…, à compter de la date de la délivrance de l’acte introductif d’instance jusqu’à celle de son versement par Mme Micheline A…, Mme Delphine Y… et Mme Séverine Y… à ce dernier, la cour d’appel a violé l’article 1153 du code civil ;

Mais attendu que l’omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l’article 463 du nouveau code de procédure civile, le moyen n’est pas recevable ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X… aux dépens ;

Cette solution a, deux ans plus tard, été reprise par la première chambre civile qui, dans un arrêt du 30 octobre 2008, a considéré que « seul un événement présentant un caractère imprévisible, lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ». Elle ne fait ainsi plus de l’extériorité de l’événement une condition au caractère exonératoire de la force majeure (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2008, n°07-17134).

Bien que l’on eût pu penser que la définition du cas de force majeure était désormais ancrée en jurisprudence, cela était sans compter sur la chambre sociale de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 16 mai 2012, a réintroduit l’exigence d’extériorité de l’événement, en affirmant que « la force majeure permettant à l’employeur de s’exonérer de tout ou partie des obligations nées de la rupture d’un contrat de travail s’entend de la survenance d’un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution » (Cass. soc. 16 mai 2012, n° 10-17.726)

Manifestement, cet arrêt n’est pas sans avoir jeté le trouble sur l’exigence d’extériorité dont la mention n’a pas manqué d’interroger les auteurs sur les intentions de la Cour de cassation.

Cette interrogation s’est d’autant plus renforcée par la suite que la troisième chambre civile s’est, à son tour, référée dans un arrêt du 15 octobre 2013 au critère de l’extériorité pour retenir un cas de force majeure (Cass. 3e civ. 15 oct. 2013, n°12-23.126).

Constatant que la jurisprudence ne parvenait pas à se fixer en arrêtant une définition de la force majeure, le législateur a profité de la réforme du droit des obligations pour mettre un terme, à tout le moins s’y essayer, à l’incertitude jurisprudentielle qui perdurait jusqu’alors, nonobstant l’intervention de l’assemblée plénière en 2006.

?La réforme du droit des obligations

Bien que le rapport au Président de la République signale que le législateur a, lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, entendu délaisser « le traditionnel critère d’extériorité », les termes de l’article 1218 du Code civil pris en son alinéa 1er interrogent sur l’effectivité de cette annonce.

Cette définition prévoit, en effet, que pour constituer un cas de force majeure l’événement invoqué doit avoir échappé au contrôle du débiteur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir à quelles hypothèses correspond un événement qui échappe au contrôle du débiteur.

En première intention, on pourrait considérer qu’il s’agit d’un événement qui serait étranger à son activité, car ne relevant pas de son contrôle. Cette interprétation conduirait néanmoins à réintroduire le critère d’extériorité. Or cela serait contraire à la volonté du législateur.

Aussi, convient-il d’admettre que le nouveau critère posé par l’article 1218 couvre un spectre plus large de situations, lesquelles situations sont susceptibles de correspondre, tant à des événements externes qu’internes. Ce qui importe, pour constituer un cas de force majeure, c’est que le débiteur n’ait pas de prise sur l’événement invoqué.

Pris dans cette acception, le critère de « l’absence de contrôle » autorise à inclure, à l’instar de certaines décisions, dans le giron des cas de force majeure la maladie du débiteur ou encore la grève à la condition néanmoins que, dans ces deux cas, l’événement invoqué ne résulte pas de la conduite du débiteur.

En effet, la maladie qui serait causée par la conduite à risque du débiteur ne devrait, a priori, pas être constitutive d’un cas de force majeure. Il en va de même pour une grève qui prendrait sa source dans une décision de l’employeur.

B) Sur le critère d’imprévisibilité

Le deuxième élément de la définition de la force majeure posé par l’article 1218 du Code civil est l’imprévisibilité de l’événement.

Le texte prévoit en ce sens que la force majeure est constituée lorsque notamment l’événement invoqué « ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ».

La reprise du critère de l’imprévisibilité par le législateur appelle trois remarques :

En premier lieu, il peut être observé que l’imprévisibilité s’apprécie par référence à une personne ou un contractant prudent et diligent, et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps, de saison. Il faut que le sujet n’ait pas pu prévoir la réalisation du dommage.

En deuxième lieu, l’imprévisibilité doit s’apprécier au jour de la formation ou de la conclusion du contrat, le débiteur ne s’étant engagé qu’en fonction de ce qui était prévisible à cette date (Cass. com., 3 octobre 1989, n°87-18.479).

Tout s’ordonne, dans le domaine contractuel, autour des prévisions des parties et des attentes légitimes du créancier : il faut que l’événement-obstacle crée une difficulté d’exécution dont le créancier ne pouvait raisonnablement espérer la prise en charge par le débiteur (20).

Dès lors, si l’événement était prévisible au moment de la formation du contrat, le débiteur a entendu supporter le risque de ne pas pouvoir exécuter son obligation.

En dernier lieu, l’emploi de la formule « raisonnablement prévu » suggère que l’imprévisibilité de l’événement puisse n’être que relative, en ce sens qu’il n’est pas nécessaire que l’événement soit absolument imprévisible pour constituer un cas de force majeure.

Cette conception de l’imprévisibilité est conforme à la jurisprudence antérieure qui se contentait d’événements « normalement prévisibles » (Cass., 2e civ. 6 juillet 1960 ; Cass. 2e civ. 27 octobre 1965).

Il est, en effet, constant en jurisprudence que, l’événement est jugé imprévisible en fonction du temps et du lieu où il se produit et des circonstances qui l’accompagnent. Il s’apprécie par référence à un homme prudent, mais aussi par rapport à l’absence de faute de l’agent qui ne pouvait pas prévoir l’événement.

Pour que l’événement soit imprévisible, il faut, peut-on dire, qu’il provoque un “effet de surprise” au regard du lieu, du moment et des circonstances dans lesquels il se produit, de telle manière qu’il n’ait pu être prévu par un homme prudent et avisé.

Ce caractère relatif de l’imprévisibilité est admis par la jurisprudence même dans le cas d’événements naturels : ainsi, en fonction des circonstances de lieu, de date, de saison, peuvent ne peut pas être regardés comme des cas de force majeure, le verglas, la tempête, le vent, l’orage, les inondations, les chutes de neige, le brouillard, les glissements et effondrements de terrains, etc…

C) Sur le critère d’irrésistibilité

Troisième et dernier critère caractérisant la force majeure posée par l’article 1218, al. 1er du Code civil : l’irrésistibilité.

Le texte dispose que la force majeure est constituée lorsque les effets de l’événement « ne peuvent être évités par des mesures appropriées. »

Le rapport au Président de la république précise que l’irrésistibilité de l’événement doit l’être, tant dans sa survenance (inévitable) que dans ses effets (insurmontables).

L’irrésistibilité implique donc une appréciation du comportement de l’individu pendant toute la durée de réalisation de l’événement : de son fait générateur à ses conséquences.

Pour que l’événement soit irrésistible il faut que la personne concernée ait été dans l’impossibilité d’agir autrement qu’elle l’a fait.

À cet égard, la doctrine à la notion d’événement « inévitable » ou « insurmontable ». Aussi, dès lors que l’événement peut être surmonté, y compris dans des conditions plus difficiles par le débiteur, il n’est pas fondé à se prévaloir de la force majeure.

C’est donc à une appréciation “in concreto” de l’irrésistibilité que se livre la jurisprudence, en recherchant si l’événement a engendré ou non pour le sujet une impossibilité d’exécuter l’obligation ou d’éviter la réalisation du dommage et en vérifiant si un individu moyen, placé dans les mêmes circonstances, aurait pu résister et surmonter l’obstacle.

Il peut, en outre, être observé que la jurisprudence antérieure n’exigeait pas une impossibilité absolue de résister, pour le débiteur, à l’événement à l faveur d’une approche relative de l’irrésistibilité

En effet, cette dernière est appréciée par référence à un individu ordinaire, normalement diligent, placé dans les mêmes circonstances de temps, de lieu, de conjoncture. De nombreux arrêts jugent fortuit, par exemple, l’événement “normalement irrésistible” ou celui dont on ne pouvait pallier les inconvénients par des mesures suffisantes.

Il est intéressant de noter que cette approche relative de l’irrésistibilité de la force majeure est aussi celle de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a rendu un arrêt, le 17 septembre 1987, s’efforçant de donner une définition de la force majeure en excluant l’idée d’une “impossibilité absolue” (CJUE 17 septembre 1987).

La Cour de Luxembourg affirme dans cet arrêt que la force majeure « ne présuppose pas une impossibilité absolue », mais qu’elle « exige toutefois qu’il s’agisse de difficultés anormales, indépendantes de la volonté de la personne et apparaissant inévitables mêmes si toutes les diligences utiles sont mises en œuvre ».

II) Les effets de la force majeure

Le second alinéa de l’article 1218 envisage les conséquences de la force majeure, étant précisé que la condition préalable posée par l’alinéa 1er du texte, pour que la force majeure produise ses effets, tient à l’existence d’une impossibilité, pour le débiteur, d’exécuter son obligation.

Autrement dit, le débiteur doit justifier d’un empêchement qui rend l’exécution de son obligation, non pas difficile, mais impossible. L’impossibilité sera appréciée objectivement par la juridiction saisie, soit, non pas en considération de la personne du débiteur, mais en fonction d’éléments objectifs.

Les effets produits par la force majeure différeront néanmoins, selon que l’impossibilité d’exécuter le contrat est temporaire ou définitive.

Reste que s’agissant de l’octroi de dommages et intérêts, la force majeure produira, dans les deux cas, un effet exonératoire.

A) L’impossibilité temporaire

L’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil prévoit que « si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque l’empêchement est temporaire, la force majeure produit un effet suspensif : l’exécution de l’obligation est suspendue jusqu’à ce que l’empêchement disparaisse.

Par exception, lorsque la date d’exécution de la prestation est un élément essentiel du contrat pour le créancier, il est fondé à en demander la résolution, soit l’anéantissement rétroactif.

B) L’impossibilité définitive

L’alinéa 2 de l’article 1218 poursuit en prévoyant que « si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 »

1. Principe

En cas d’empêchement définitif donc le créancier est fondé à se prévaloir d’une résolution de plein droit du contrat.

Il s’agit là d’une nouveauté instituée en droit commun par l’ordonnance du 10 février 2016, cette règle étant circonscrite, sous l’empire du droit antérieur à des cas très spécifiques, tel que, par exemple, la destruction de la chose louée en matière de contrat de bail (art. 1722 C. civ.)

Autre nouveauté de l’ordonnance, la résolution du contrat, en cas d’empêchement définitif, intervient de plein droit, soit sans qu’il soit besoin pour le créancier de saisir le juge.

2. Conditions

L’alinéa 2 de l’article 1218 du Code civil précise que, lorsque la résolution de plein droit du contrat est acquise, les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1.

À l’examen, ces deux dispositions ne font que reprendre synthétiquement les conditions classiques du droit antérieur (anciens articles 1302 et 1303 du code civil) auxquelles est subordonnée la libération du débiteur, lesquelles conditions s’articulent autour d’un principe et de deux exceptions.

a. Principe

L’article 1351 dispose que « l’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive »

Il ressort de cette disposition que la libération du débiteur peut être totale ou partielle lorsque l’empêchement d’exécuter son obligation est définitif.

On peut alors en déduire que lorsque l’empêchement est seulement temporaire, il n’y a pas lieu à libération totale ou partielle du débiteur.

La raison en est que, en pareil cas, conformément à l’article 1218, l’obligation est suspendue, de sorte qu’elle pourra être exécutée une fois l’empêchement levé.

L’article 1351 précise toutefois que, lorsque l’empêchement est définitif et que le débiteur peut exécuter partiellement son obligation, l’article 1351, il n’est libéré qu’à proportion de la fraction de la prestation fournie.

b. Exceptions

L’article 1351 pose deux exceptions au principe de libération – totale ou partielle – du débiteur en cas d’empêchement définitif :

?Première exception : la prise en charge des risques par le débiteur

L’article 1351 du Code civil prévoit que, lorsqu’il a été convenu entre les parties que le débiteur supporte les risques de la force majeure, il n’est pas libéré de ses obligations en cas d’empêchement définitif.

Nonobstant la survenance d’un cas de force majeure, il doit ainsi poursuivre l’exécution du contrat.

Manifestement cette disposition confirme que les règles qui encadrent la force majeure, en particulier celles posées à l’article 1218 du Code civil, ne sont que supplétives, soit souffrent de stipulations contraires.

?Seconde exception : la mise en demeure du débiteur

La mise en œuvre de cette seconde exception suppose de distinguer selon que l’empêchement d’exécuter résulte ou non de la perte de la chose due.

  • L’empêchement d’exécuter ne résulte pas de la perte de la chose due
    • L’article 1351 du Code civil prévoit encore que la libération du débiteur ne saurait avoir lieu en cas d’empêchement définitif, lorsque dernier a été mis en demeure d’exécuter ses obligations avant la survenance du cas de force majeure.
    • Cette règle vise, en quelque sorte, à sanctionner le débiteur qui a tardé à exécuter son obligation.
    • Au fond, le législateur est ici parti du postulat que si le débiteur avait fourni sa prestation dans les délais, la force majeure n’aurait pas empêché l’exécution du contrat.
  • L’empêchement d’exécuter résulte de la perte de la chose due
    • L’article 1351-1 du Code civil prévoit que, dans cette hypothèse, « le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée ».
    • Autrement dit, le débiteur pourra, nonobstant la mise en demeure dont il a fait l’objet, se libérer de son obligation s’il parvient à prouver que la chose promise aurait malgré tout été perdue si elle avait été entre les mains du créancier.
    • En pareille situation l’article 1351-1 du Code civil prévoit néanmoins que le débiteur est « tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. »
    • Cette règle vise à permettre au créancier de se prévaloir notamment de l’indemnité d’assurance, dans l’hypothèse où le bien était assuré.

C) L’impossibilité temporaire ou définitive

Que l’empêchement soit définitif ou temporaire, il s’infère de la combinaison des articles 1217 et 1231-1 du Code civil que la force majeure produit un effet exonératoire.

Autrement dit, aucuns dommages et intérêts ne seront dus au créancier si le débiteur démontre qu’il a été empêché d’exécuter son obligation par un cas de force majeure. Sa responsabilité contractuelle ne pourra, autrement dit, pas être recherchée.

Les sanctions de l’inexécution du contrat: vue générale (refonte du régime et énumération des sanctions)

?La refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

Parce que le contrat est pourvu de la force obligatoire qui, en application de l’article 1103 du Code civil, lui est conférée par la loi, il a vocation à être exécuté.

Reste que cette exécution ne saurait dépendre de la seule volonté des parties, ne serait-ce que parce que, de bonne foi ou de mauvaise foi, ces dernières sont susceptibles d’être défaillantes.

Aussi, afin de contraindre les parties à satisfaire à leurs obligations le législateur, secondé par la jurisprudence, a-t-il prévu un certain nombre de sanctions, lesquelles sanctions vont de l’exécution forcée en nature à la résolution du contrat, en passant par l’octroi de dommages et intérêts.

Au fond, ces sanctions visent à assurer l’efficacité des conventions et à en garantir la bonne exécution.

L’une des principales innovations de la réforme du droit des obligations engagée par l’ordonnance du 10 février 2016 réside précisément dans la refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat.

Le régime de l’inexécution contractuelle constituait, en effet, l’une des carences du code civil, dont les règles, en la matière, étaient, jusqu’alors, éparses et incomplètes :

  • D’une part, l’exécution en nature était traitée avec les obligations de faire et de ne pas faire, et les obligations de donner
  • D’autre part, les textes étaient muets sur l’exception d’inexécution
  • Enfin, la résolution était évoquée à l’occasion des obligations conditionnelles.

Afin de remédier à cette dispersion des sanctions qui rendait leur articulation et leur lisibilité difficile, l’ordonnance du 10 février 2016 a procédé à un regroupement de l’ensemble des règles relatives à l’inexécution contractuelle en une seule section

Cette section, qui relève d’un chapitre IV consacré aux effets du contrat, est divisée en cinq sous-sections présentées à titre liminaire à l’article 1217 du Code civil.

?L’énumération des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

L’alinéa 2 du texte précise que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »

Deux principaux enseignements peuvent être retirés des règles énoncées à l’article 1217 du Code civil :

  • Premier enseignement : sur le choix des sanctions
    • L’article 1217 du Code civil énumère en son premier alinéa l’ensemble des sanctions à la disposition du créancier d’une obligation non exécutée, soit d’une obligation dont l’exécution n’est pas conforme aux stipulations contractuelles.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir s’il faut voir dans la liste des sanctions énumérées un ordre hiérarchique qui s’imposerait au créancier ?
    • Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier, à la condition que les conditions d’application de ladite sanction soient réunies.
    • Aussi, le créancier est-il libre de solliciter une réduction du prix plutôt que la résolution du contrat. Il peut encore préférer une exécution forcée en nature assortie de dommages et intérêts.
    • À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.
    • D’ailleurs, le dernier alinéa règle l’articulation entre ces différents remèdes qui peuvent se cumuler s’ils ne sont pas incompatibles et rappelle que les dommages et intérêts sont toujours compatibles avec les autres sanctions si les conditions de la responsabilité civile sont réunies.
  • Second enseignement : sur l’articulation des sanctions
    • L’article 1217 pris en son alinéa 2 prévoit que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »
    • Il ressort de cette disposition qu’un cumul des sanctions énoncées par l’alinéa 1er est permis, à la condition, précise le texte, qu’elles ne soient pas incompatibles.
    • Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.
    • Reste que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.
    • Ainsi, la résolution du contrat est incompatible avec une demande d’exécution forcée en nature ou une réduction du prix
    • Le créancier pourra néanmoins cumuler la sanction de l’exception d’inexécution avec l’exécution forcée en nature.
    • En tout état de cause, l’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Bien que les dommages et intérêt fassent l’objet d’un traitement spécifique par le texte, ils ne pourront être sollicités par le créancier qu’à la condition qu’il justifie d’un préjudice.
    • À cet égard, dans l’hypothèse où il aurait obtenu une réduction du prix de la prestation, les dommages et intérêts qui susceptibles de lui être alloués ne pourront couvrir que le préjudice subsistant.

Au bilan, la présentation qui est faite des sanctions de l’inexécution contractuelle clarifie les règles applicables et en permet une appréhension globale, jusqu’alors complexe.

Les dispositions qui suivent l’article 1217 du Code civil viennent, quant à elles, poser les conditions d’applications de chacune des sanctions prises individuellement, étant précisé qu’il y a lieu de distinguer les conditions communes à toutes les sanctions, de celles spécifiques à chacune d’elles.

RGPD: le principe d’accountability ou l’abandon – partiel – du système des formalités préalables

==> La loi du 6 janvier 1978

Dans sa version initiale, la loi informatique et libertés prévoyait des formalités préalables différentes selon la qualité du responsable du traitement

  • Principe
    • Les traitements automatisés de données à caractère personnel opérés pour le compte de l’Etat, des établissements publics, des collectivités territoriales et des personnes morales de droit privé gérant un service public étaient présumés dangereux et requéraient, à ce titre, un avis de la CNIL, puis un acte réglementaire d’autorisation.
      • Cet avis était réputé favorable au terme d’un délai de deux mois, renouvelable une fois.
      • S’il était défavorable, il ne pouvait être passé outre que par un décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat ou, s’agissant des collectivités territoriales, en vertu d’une décision de l’organe délibérant approuvée par décret pris sur avis conforme du Conseil d’Etat (article 15)
  • Exception
    • Les traitements des autres personnes morales (notamment les sociétés civiles ou commerciales et les associations) étaient soumis à un simple régime de déclaration associé à un engagement de conformité du traitement aux exigences de la loi.

==> La loi du 6 août 2004

Transposant la directive européenne du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, la loi du 6 août 2004 a mis un terme à la distinction fondé sur le critère organique (secteur public / secteur privé) quant à déterminer les formalités à accomplir préalablement à la mise en œuvre d’un traitement.

Désormais, la loi établit une distinction, fondée sur un critère matériel, entre les données, en prévoyant que les formalités peuvent être allégées pour « les catégories les plus courantes de traitements à caractère public ou privé, qui ne comportent manifestement pas d’atteinte à la vie privée ou aux libertés ».

Ainsi, ce qui est pris en considération, c’est le risque que représente le traitement à l’égard du droit des personnes.

Tandis que les traitements de données non sensibles sont soumis à un régime de déclaration, les traitements de données sensibles sont soumis à un régime d’autorisation.

  • Principe : le régime de déclaration
    • Pour les données non sensibles, une simple déclaration de conformité aux normes simplifiées élaborées par la CNIL était exigée.
    • La LIL est allée plus loin en prévoyant qu’une dispense de déclaration pouvait être accordée en cas de désignation, par le responsable du traitement, d’un correspondant chargé d’assurer « d’une manière indépendante», l’application de la loi en matière de données à caractère personnel et garantissant que les traitements ne sont pas « susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes concernées. »
    • La dispense de déclaration ainsi introduite était néanmoins soumise à certaines conditions censées en garantir l’efficacité tout en contrôlant sa portée :
      • Le champ d’application de l’exonération ne s’applique pas dans l’hypothèse où un transfert de données à destination d’un État non membre de l’union européenne est envisagé mais concerne, en revanche, les traitements relevant de la procédure de l’autorisation préalable, ce qui ne semble pas souhaitable compte tenu de leur nature et de leurs risques, supposés ou réels, pour les libertés individuelles.
      • Le correspondant avait pour obligation de « tenir un registre des traitements effectués immédiatement accessibles à toute personne en faisant la demande». L’intérêt de l’introduction de ce correspondant était de limiter les fichiers clandestins puisque la tenue du registre conduirait à « révéler » à l’autorité de contrôle les fichiers auparavant non déclarés ;
      • Le correspondant ne pouvait faire l’objet « d’aucune sanction de la part de l’employeur du fait de l’accomplissement de ses missions», bien qu’il ne s’agisse pas juridiquement d’un salarié « protégé » au sens du droit du travail
      • Le correspondant pouvait saisir la CNIL des difficultés qu’il rencontrait dans l’exercice de sa mission, celle-ci devant se voir notifier toute désignation d’un correspondant
      • En cas de manquement à ses devoirs, le correspondant pouvait être révoqué « sur demande ou après consultation» de la CNIL.
  • Exception : le régime d’autorisation
    • Lorsque le traitement concernait des données à caractère personnel pouvant être qualités de sensibles, celui-ci était soumis à un régime d’autorisation :
      • La mise en œuvre de traitements d’informations relatives aux origines raciales, opinions politiques, philosophiques ou religieuses, appartenances syndicales ou mœurs était subordonnée au consentement exprès de l’intéressé ou à l’existence d’un motif d’intérêt public sur proposition ou avis conforme de la CNIL après décret en Conseil d’Etat ;
      • L’utilisation à des fins de traitement nominatif du numéro de sécurité sociale était soumise à autorisation par décret en Conseil d’Etat, après avis de la CNIL
      • Les informations sur les condamnations pénales ne pouvaient être utilisées que par des juridictions et autorités publiques agissant dans le cadre de leurs attributions légales ou par des personnes morales gérant un service public sur avis conforme de la CNIL (article 30) ;
      • Les données médicales, bien que ne constituant pas des données sensibles interdites, étaient soumises à des régimes particuliers.

==> La loi du 20 juin 2018

Transposant le Règlement général sur a protection des données (RGPD), la loi du 20 juin 2018 simplifie, en les supprimant la plupart du temps, les formalités préalables imposées par la loi de 1978, qu’il s’agisse des obligations de déclaration ou d’autorisation.

Ces formalités sont remplacées par l’obligation, pour le responsable du traitement, d’effectuer préalablement une analyse d’impact en cas de risque élevé pour les droits et libertés de la personne concernée et, le cas échéant, de consulter la CNIL.

Toutefois, comme l’autorise le règlement, la loi maintient des formalités préalables pour certains traitements.

Pour les données les plus sensibles, leur traitement est purement et simplement interdit par la loi informatique et libertés

Au bilan, trois sortes de régimes juridiques sont applicables aux traitements de données à caractère personnel :

  • Un régime de responsabilité
  • Un régime d’autorisation
  • Un régime de d’interdiction

==> Le principe d’accountability

L’apport majeur du RGPD est d’avoir renforcé les droits des personnes concernées par un traitement de données à caractère personnel au moyen d’un bouleversement des principes s’imposant aux acteurs.

Ainsi, a-t-on assisté au passage d’une logique de formalités préalables (déclarations et autorisations) à une logique de conformité et de responsabilité.

Le changement de paradigme ainsi opéré combiné à l’appel à des outils de droit souple tels que les référentiels, les codes de bonne conduite et les packs de conformité, est un gage d’allègement des démarches administratives et de réduction des délais de mise en œuvre pour les entreprises.

Cet allègement des formalités introduit par le RGPD a pour contrepartie l’établissement de nouvelles obligations pesant sur les responsables de traitements et sous-traitants telles que :

  • La mise en œuvre d’outils de protection des données personnelles dès la conception du traitement ou par défaut (article 25)
  • L’obligation de tenir une documentation, en particulier au travers d’un registre des activités de traitement (article 30)
  • La notification des violations de données personnelles à l’autorité de protection et, dans certains cas, à la personne concernée (articles 33 et 34)
  • La désignation d’un délégué à la protection des données (article 37)
  • L’adhésion à des codes de bonne conduite (articles 40 et 41)
  • La participation à des mécanismes de certification (articles 42 et 43)

Ainsi le RGPD se fonde-t-il sur une logique de responsabilisation des acteurs qui mettent en œuvre des traitements de données à caractère personnel en introduisant le principe d’accountability.

Bien qu’il soit difficile de définir avec précision le sens de ce principe dans la pratique, on peut toutefois avancer qu’il met l’accent, en substance, sur la manière dont la responsabilité (responsability) est assumée et sur la manière de le vérifier.

En anglais, les termes « responsibility » et « accountability » sont comme l’avers et le revers d’une médaille et sont tous deux des éléments essentiels de la bonne gouvernance.

On ne peut inspirer une confiance suffisante que s’il est démontré que la responsabilité (responsability) est efficacement assumée dans la pratique.

Au fond, le principe d’« accountability » s’articule autour de deux axes :

  • D’une part, la nécessité pour le responsable du traitement des données de prendre des mesures appropriées et efficaces pour mettre en œuvre les principes de protection des données
  • D’autre part, la nécessité pour le responsable du traitement de démontrer, sur demande, que des mesures appropriées et efficaces ont été prises.

Pour atteindre ces deux objectifs, il appartient au responsable du traitement de se doter d’une politique de gestion de la conformité, ce qui doit se traduire par la mise en œuvre de procédures internes visant à mettre en application les principes de la protection des données.

Dans cette perspective, les mesures prises par le responsable du traitement doivent être adaptées aux circonstances. En somme, les mesures spécifiques à appliquer doivent être arrêtées selon les faits et circonstances de chaque cas particulier, compte tenu, en particulier, du risque associé au traitement et aux types de données.

L’adéquation des mesures doit donc être établie au cas par cas et plus précisément selon le niveau de risque : plus le traitement de données est sensible et plus les mesures prises pour assurer la protection des personnes concernées devront être renforcées.

Afin d’orienter le responsable du traitement dans cette voie et de lui permettre de définir et mettre en œuvre les mesures requises pour garantir la conformité de ses opérations avec les principes et obligations du RGPD et en fassent vérifier l’efficacité de manière périodique, le législateur a mis à sa charge un certain nombre d’obligations qu’il convient d’examiner.

Les infections nosocomiales : imputation et compensation

Le Code de santé publique consacre quelques 62 dispositions législatives et réglementaires aux infections nosocomiales[1]. C’est assez significatif. Pour cause : c’est de protection générale de la santé dont il s’agit. La consultation de la table d’exposition systématique dudit code enseigne que ces infections sont appréhendées au chapitre consacré aux risques sanitaires résultant du fonctionnement du système de santé (art. L. 1142-1 et s.). Il n’en a pas toujours été ainsi en droit positif.

Le législateur ne s’est préoccupé – formellement s’entend – de la réparation des conséquences des risques sanitaires en général, et de la compensation des suites des infections nosocomiales en particulier, que depuis un peu plus d’une dizaine d’années[2]. On doit à la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, aussitôt modifiée par la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale, d’avoir institué un dispositif dédié. Jusqu’alors, l’imputation des infections nosocomiales et l’indemnisation des suites de ces infections étaient l’affaire du seul juge, respectivement l’affaire du juge administratif (infection contractée dans un établissement de santé public) et celle du juge judiciaire (infection contractée dans un établissement de santé privé).

En résumé, il y a donc en droit des infections nosocomiales un avant 2002 et un après.

Les juges administratifs (Conseil d’État) et judiciaires (Cour de cassation) ont su indemniser les victimes d’une infection contractée dans un établissement de santé consécutivement à de mauvaises pratiques d’hygiène et d’asepsie (principales causes d’infection). En revanche, ils n’ont pas su procéder de concert, à tout le moins pas complètement.

Bien que le Conseil d’État et la Cour de cassation se soient progressivement dégagés de l’exigence d’une faute prouvée pour engager la responsabilité du professionnel de santé ou de l’établissement de soins[3], le premier a opté pour un régime à base de faute présumée[4], tandis que la seconde a préféré un régime à base de « responsabilité présumée »[5].

Dans trois arrêts dits des « staphylocoques dorés », rendus le 29 juin 1999, la première Chambre civile de la Cour de cassation décide, dans deux d’entre eux, au visa de l’ancien article 1147 du Code civil, qu’« un médecin est tenu, vis-à-vis de son patient, en matière d’infection nosocomiale, d’une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère ». Et de décider, dans un troisième arrêt, que « le contrat d’hospitalisation et de soins conclu entre un patient et un établissement de santé met à la charge de ce dernier, en matière d’infection nosocomiale, une obligation de sécurité de résultat dont il ne peut se libérer qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère » (n° 97-14.254). Partant, les médecins et les établissements, dans lesquels ils pratiquent ou non du reste, sont soumis à la même obligation.

Au vu des jurisprudences respectives du Conseil d’État et de la Cour de cassation, une inelegantia juris (désordre du droit / défaut d’harmonie du droit) est à craindre. L’existence de deux régimes de responsabilité concurrents pourrait donner à penser que les victimes ne sont pas égales dans le traitement contentieux des infections nosocomiales. En pratique, il semblerait que les résultats auxquels sont parvenues les hautes juridictions soient en définitive comparables. La raison tiendrait à ce que, en droit administratif, « la preuve de l’absence de faute est impossible à rapporter indépendamment d’une destruction du lien de causalité, et donc de la mise en évidence d’une cause étrangère, car avec le mécanisme mis en place par l’arrêt Cohen rendu par le Conseil d’État le 9 décembre 1988, le dommage fait présumer par lui-même la faute »[6]. À l’analyse, les victimes infectées n’ont donc pas à redouter outre mesure les affres du dualisme juridictionnel. Au reste, les règles applicables aux infections nosocomiales consécutives à un acte de prévention, de diagnostic ou de soin ont été uniformisées par le législateur.

Alors que le législateur emploie maintes fois l’expression savante « infection(s) nosocomiale(s) », nulle part son sens n’est précisé. Ce silence (nécessaire à certains égards en ce qu’il est porteur d’une certaine souplesse. V. infra) est toutefois rompu par un article R. 6111-6 du Code de la santé publique qui dispose : « Les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales ». C’est peu ou prou le sens étymologique du terme qui est en l’occurrence retenu. Le sort de la victime n’est toutefois pas abandonné à un éventuel pouvoir discrétionnaire d’appréciation du juge de la réparation pas plus qu’il n’est laissé à celui – tout autant éventuel – d’une commission de conciliation et d’indemnisation (v. infra). Il existe une définition. Elle n’est certes pas contraignante, mais elle a le mérite d’être opératoire. Elle est donnée par une instance intégrée au Haut conseil de la santé publique (C. santé publ., art. L. 1411-4). Le comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins[7] considère qu’« une infection est dite associée aux soins si elle survient au cours ou au décours d’une prise en charge (diagnostique, thérapeutique, palliative, préventive ou éducative) d’un patient, et si elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge »[8]. Pour le dire autrement, l’infection associée aux soins englobe tout événement infectieux en rapport plus ou moins proche avec un processus, une structure, une démarche de soins, dans un sens très large. Ce sont là des marqueurs de généralité. Leur emploi atteste une volonté affichée d’embrasser tous les champs du possible et ce dans l’intérêt bien compris des victimes.

Ceci étant précisé, il ne s’agirait toutefois pas de croire que le droit des infections nosocomiales, plutôt bien disposé à l’égard desdites victimes, sacrifie, sur l’autel de l’intérêt de ces dernières, les professionnels, les établissements de santé et leurs assureurs de responsabilité respectifs. Le législateur a su composer.

L’étude, en premier lieu, de l’imputation des infections nosocomiales (1), puis, en second lieu, de la compensation des suites de l’infection nosocomiale (2), l’atteste.

1.- L’imputation de l’infection nosocomiale

Le patient qui se prétend victime d’une infection nosocomiale, qu’il entend imputer à un tiers, supporte une charge probatoire à deux détentes intrinsèquement liées. Il doit, d’une part, rapporter la preuve du caractère nosocomiale de l’infection. Chose faite, il doit, d’autre part, rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’acte médical (de prévention, de diagnostic ou de soin) et l’infection.

La preuve du caractère nosocomiale de l’infection est l’affaire de la victime. La première Chambre civile de la Cour de cassation considère en ce sens qu’il « appartient au patient de démontrer que l’infection dont il est atteint présente un caractère nosocomial (…) »[9], qu’elle est donc nécessairement associée aux soins. Un temps, le Conseil d’État a exigé de surcroît que la victime rapporte la preuve que l’infection soufferte a pour cause des germes extérieurs, c’est-à-dire des microbes provenant du personnel soignant ou de l’établissement, partant qu’elle ne s’était pas infectée par une infection endogène. Cette position, qui pourrait passer pour sévère, se recommandait d’études affirmant en substance que ces infections présenteraient, sur le plan médical, un caractère inévitable en dépit du strict respect de toutes les règles applicables en matière d’asepsie, de stérilisation et d’hygiène[10]. Quoi qu’il en soit, cette jurisprudence est à présent révolue[11] ; la haute juridiction administrative s’est ralliée à la position des juridictions judiciaires, qui ne pratiquent pas ou plus la distinction. Il faut bien dire que l’infection nosocomiale serait-elle endogène, c’est en toute hypothèse l’acte de prévention, de diagnostic ou de soin qui a donné un caractère pathogène aux germes présents dans l’organisme.

La preuve que la victime doit rapporter, qui n’est pas mince si l’on veut bien considérer que la preuve de l’origine exacte des germes infectieux est compliquée voire impossible à déterminer, se recommande du droit processuel des obligations (C.civ., art. 1315, al 1er anc. devenu 1353 : « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver » ; C. pr. civ., art. 9 : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention »). Il n’était pourtant pas saugrenu de penser que le législateur édicterait en la matière une présomption. Quelques considérations, non exhaustives, peuvent être proposées en ce sens.

Le premier article du Code de la santé publique ne dispose-t-il pas : « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous les moyens possibles au bénéfice de toute personne (…) » ? Et de conclure qu’il importe « d’assurer la meilleure sécurité sanitaire possible » (L. 1110-1 in Chap. préliminaire : Droits de la personne). La loi n’impose-t-elle pas aux établissements de santé « la lutte contre les infections nosocomiales et autres affections iatrogènes » (C. santé publ., art. L. 6111-1 et s.) ? Aussi bien, dans le dessein de contraindre toutes les parties prenantes du système de santé à une diligence extrême – ce qui par le passé a vraisemblablement inspiré les cours régulatrices –, il aurait pu être décidé que l’infection nosocomiale soufferte par la victime trouve nécessairement son origine dans l’intervention. Le fardeau de la preuve aurait été alors notablement allégé. Mais l’impact en économie d’une pareille présomption aurait été sûrement trop grand pour les professionnels, les établissements de soins…et leurs assureurs de responsabilité respectifs.

La victime ne doit pas se limiter à qualifier l’infection pour être justiciable du droit des infections nosocomiales. C’est très certainement nécessaire, mais ce n’est absolument pas suffisant, à tout le moins pas en principe. Elle doit également rapporter la preuve d’un lien de causalité entre l’infection et les soins, à peine de voir sa demande rejetée. La règle est prétorienne. Le législateur ne l’a pas modifiée.

Il incombe précisément à la victime de démontrer que l’infection dont elle est atteinte a pour origine les soins prodigués[12]. Derechef, le fardeau de la preuve est de taille. La jurisprudence l’a allégé de façon tout à fait remarquable.

D’abord, au double visa des articles 1147 et 1315 anc. du Code civil, la première Chambre civile de la Cour de cassation décide, dans un arrêt du 30 octobre 2008[13], que la preuve du lien de causalité peut être rapportée par présomption : « Attendu qu’il incombe au patient ou à ses ayants droit de démontrer le caractère nosocomial de l’infection, fût-ce par présomptions graves, précises et concordantes ». Cette solution, qui a depuis lors été rappelée, laisse toute latitude aux juges du fond pour apprécier souverainement les faits de la cause. En ce sens, « l’examen des décisions montre (…), que les juges se contentent souvent d’un faisceau d’indices largement révélés par le rapport d’expertise ou d’absence d’autres circonstances de nature à expliquer le phénomène »[14]. Un arrêt récent est topique : « Mais attendu que la cour d’appel, par motifs propres et motifs adoptés, a fait siennes les conclusions des experts indiquant que les enfants, dont l’âge les rendait totalement dépendants à l’égard des tiers, avaient été probablement atteints d’une infection à transmission horizontale, possiblement nosocomiale et liée aux soins prodigués ou au lait reconstitué qui leur avait été donné, sans pouvoir toutefois le certifier, à défaut pour la clinique d’avoir procédé à une enquête épidémiologique sur les membres du personnel soignant et sur l’entourage familial et à une analyse bactériologique du lait en poudre ; que les experts ajoutaient que l’absence d’épidémie de méningites néonatales à citrobacter Koseri durant la période où les enfants ont été hospitalisés ne contredisait pas l’origine horizontale de la méningite chez ces deux enfants ; qu’elle en a déduit souverainement, par une appréciation exclusive de dénaturation du rapport d’expertise et des faits de la cause, non seulement que l’infection avait été contractée par les deux nouveau-nés dans l’établissement, mais que les demandeurs avaient fait, à l’aide de présomptions graves, précises et concordantes, la preuve, qui leur incombait, de ce que la méningite contractée par Hugo et Valentin lors de leur séjour à la Clinique du Ter leur avait été transmise à l’occasion des soins qu’ils y avaient reçus et qu’il s’agissait en conséquence d’une infection nosocomiale, de sorte que la Clinique, qui ne rapportait pas non plus la preuve d’une cause étrangère susceptible de l’exonérer, devait être tenue pour responsable »[15].

Ensuite, une nouvelle fois au visa des articles 1147 et 1315 du Code civil, la Cour de cassation considère, pour le cas où des soins ont été donnés ou des examens subis dans plusieurs établissements, et à la condition que la preuve du caractère nosocomial de l’infection soit bien entendu rapportée, qu’« il appartient alors à chacun de ceux dont la responsabilité est recherchée d’établir qu’il n’est pas à l’origine de cette infection » [16], i.e. par tous moyens. Cette « causalité alternative » est d’une efficacité redoutable[17]. Ce faisant, tous les établissements qui ont accueilli la victime sont présumés (in solidum) à l’origine des dommages subis du fait de l’infection nosocomiale contractée. Et la première Chambre civile de la Cour de cassation de rappeler tout récemment, au visa de l’article 1147 C.civ., que « lorsqu’une faute ne peut être établie à l’encontre d’aucune des personnes responsables d’un même dommage, la contribution à la dette se fait entre elles à parts égales »[18].

2.- La compensation des suites de l’infection nosocomiale

La compensation des suites de l’infection nosocomiale obéit un régime, qui donnerait à penser, dans une première vue des choses, que le législateur n’a fait aucun cas des avancées jurisprudentielles généreusement imposées dans l’intérêt des victimes. L’article L. 1142-1, I C. santé publique (in Section 1.-Principes généraux) dispose en effet que « les professionnels de santé, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables desdits actes qu’en cas de faute ». La responsabilité médicale est donc à nouveau un droit à base de faute prouvée. C’est là le droit commun. Le II de l’article L. 1142-1 C. santé publ. renferme néanmoins un régime spécial. Il a trait précisément à l’indemnisation de la victime d’une infection nosocomiale lors même qu’aucune responsabilité n’est engagée. Dans ce cas, la loi dispose que l’infection ouvre droit à une réparation au titre de la solidarité nationale.

La lecture in extenso de cette dernière disposition enseigne que la compensation d’une infection nosocomiale est assurée par un système complexe qui mêle, à la demande expresse des assureurs, responsabilité et solidarité. Les assureurs de responsabilité ont en effet été à la manœuvre.

Le législateur de mars 2002 décide, par prétérition, que le régime d’indemnisation dépend de la question de savoir si l’infection est imputée à un établissement de santé ou bien à un professionnel de santé exerçant à titre individuel. Dans le premier cas, « les établissements, services et organismes (réalisant des actes de prévention, de diagnostic ou de soin) sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère. Dans le second cas, la responsabilité de l’intéressé n’est engagée que sur le seul terrain de la responsabilité pour faute. La raison tient à ceci : ledit professionnel de santé n’est pas mentionné dans l’article L. 1142-1, I, al. 2, C. santé publ.

Aussitôt, les assureurs de responsabilité médicale dénoncent la loi du 4 mars 2002. Dans la foulée, certains se retirent du marché et interdisent, par voie de conséquence, à de nombreux professionnels de santé d’exercer. Le 30 décembre 2002, les intéressés obtiennent du législateur une modification substantielle du régime juridique. Quel que soit l’auteur du dommage (personnel ou établissement de santé), les infections nosocomiales graves (i.e. celles qui atteignent un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique supérieur à 25 %) ou mortifères sont désormais l’affaire de la solidarité nationale. Pour le dire autrement, seuls les dommages inférieurs à ce taux sont à la charge des assureurs.

Les assureurs ont vainement cherché à réduire plus encore la couverture du risque de responsabilité. Tirant argument du caractère rétroactif de la loi interprétative nouvelle, ils entendent échapper à l’obligation d’indemniser les conséquences dommageables des infections les plus graves survenues depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002. C’est que la loi nouvelle pouvait être interprétée comme les y invitant. L’article 3 de la loi du 30 décembre 2002, qui se fait fort de réécrire les dispositions transitoires débattues de la loi du 4 mars 2002, dispose en substance que l’article L. 1142-1 C. santé publ. est applicable aux infections nosocomiales consécutives à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées à compter du 5 septembre 2001. La tentation était trop grande de faire échapper mieux encore les infections les plus graves à l’assurance de responsabilité. Respectivement saisies, les cours régulatrices considèrent au contraire que le dispositif de prise en charge par la solidarité nationale n’est pas rétroactif[19]. Ce faisant, elles épousent la doctrine des l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).

Il ressort de tout ceci qu’il n’y a pas un régime unique de compensation des suites des infections nosocomiales, mais plusieurs régimes d’indemnisation, deux en l’occurrence. La clef d’élection de l’un ou l’autre tient à la date du fait générateur. Pour être tout à fait précis, il importe de distinguer selon que l’infection nosocomiale est consécutive à un acte médical dommageable réalisé avant le 5 septembre 2001 ou à compter de cette date. Ce serait un tort de croire que le régime prétorien est désormais une portion congrue et que les demandes d’indemnisation seront pour de très nombreuses d’entre elles soumises au régime légal. La raison est la suivante. Il faut bien avoir à l’esprit que l’action en responsabilité civile se prescrit par 10 ans, et ce à compter seulement de la date consolidation du dommage (C. santé publ. art. L. 1142-28, al. 1er).

En résumé, les règles applicables à la compensation des suites des infections nosocomiales consécutives à un acte médical réalisé avant le 5 septembre 2001 sont celles qui ont été décrites, à savoir celles respectivement dégagées par les juges administratifs et judiciaires. Pour mémoire, la Cour de cassation a mis à la charge tant des professionnels de santé, pris individuellement, que des établissements de soins une obligation de sécurité-résultat. De surcroît, la formule générale employée par la première Chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ.,29 juin 1999, op. cit.) atteste la volonté de la cour régulatrice d’embrasser le plus largement possible. Peu importe que l’infection ait été contractée pendant l’opération ou lors de l’hospitalisation, dans la clinique ou dans le cabinet médical. Il est tout aussi égal que l’infection ait été contractée avant la série de trois arrêts dits des « staphylocoques dorés » : « la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable pour contester l’application immédiate d’une solution nouvelle résultant d’une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s’en prévaut n’est pas privée du droit à l’accès au juge »[20]. La seule échappatoire, quoique difficilement praticable, reste la preuve de la cause étrangère.

Au vu de cette jurisprudence, on comprend combien l’économie de l’assurance de responsabilité médicale a profité du droit légiféré des infections nosocomiales consécutives à un acte médical réalisé à compter du 5 septembre 2001. Les articles L. 1142-1 et s. C. santé publ. organisent un système de compensation à deux branches. Des responsabilités sont, d’une part, encourues. La solidarité est, d’autre part, organisée.

L’article L. 1142-1, I C. santé publ. règle différemment les sorts respectifs des professionnels de santé (al. 1er) et des établissements de santé (al. 2). Dans l’intérêt des premiers, le législateur a purement et simplement cassé les jurisprudences respectives de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 29 juin 1999, « Staphylocoques dorés ») et du Conseil d’État (Conseil d’État du 9 déc. 1988, Cohen). Ce faisant, les professionnels de santé, quelles que soient les modalités d’exercice de leur science, ne sont plus responsables qu’en cas de faute prouvée. Les droits des malades ont donc clairement régressé. C’est dire combien il fallait une certaine audace (euphémisme) pour intituler la loi du 4 mars 2002, « loi relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé »…En réaction, la Cour de cassation n’a pas fait droit aux demandes itératives l’invitant à abandonner, sur le fondement d’une application anticipée de la loi, sa jurisprudence mettant à la charge des professionnels de santé une obligation de sécurité de résultat[21].

En comparaison, le régime de responsabilité des établissements de santé et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins est aggravé. Partant le sort des victimes est plus enviable. Le second aliéna de l’article L. 1142-1, I C. santé publ. dispose en ce sens qu’ils « sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère », ce qui est peu concevable en pratique. On conçoit mal que la force majeure ou le fait d’un tiers fonde une exonération. Reste alors l’hypothèse mal commode de la faute de la victime.

Si d’aventure l’établissement de soins parvient à s’exonérer de sa responsabilité ou si la victime échoue dans sa tentative de constituer en faute le professionnel de santé, une compensation des suites de l’infection nosocomiale peut être espérée de la solidarité nationale, à la condition toutefois que la victime justifie qu’elle souffre une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à 25 %) ou que ses ayants droit prouve que l’infection a été la cause de son décès (C. santé publ., art. L. 1142-1-1, 1°).

Le taux d’atteinte à l’intégrité corporelle de la victime est déterminant. Si le taux d’atteinte permanente est inférieur ou égal à 25 %, le régime d’indemnisation prescrit par l’article L. 1142-1 C. santé publ. s’applique. Pour le dire autrement, si un professionnel de santé est constitué en faute, l’indemnisation sera servie par l’assureur de responsabilité civile médicale. « Les professionnels et les établissements de santé sont (en effet) tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative » (C. santé publ., art. L. 1142-2, al. 1er ; C. assur., art. L. 251-1).

Si, en revanche, l’infection nosocomiale ne peut être imputée à un tiers, l’office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) garantit l’indemnisation de la victime, à la condition toutefois que cette dernière remplisse les conditions de la loi. Le Code de la santé publique dispose que l’infection doit avoir eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci. Il importe en outre que la victime atteste la gravité du dommage subi (art. L. 1142-1, II ensemble art. D. 1142-1 modifié par un décret n° 2011-76 du 19 janv. 2011. La victime doit justifier, par exemple, d’un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique à 24 % ; d’un arrêt temporaire des activités professionnelles, de troubles particulièrement graves dans ses conditions d’existence, etc.).

Si le taux d’atteinte permanente est supérieur à 25 %, l’ONIAM est tenu, en toutes hypothèses, d’indemniser la victime, peu important qu’une responsabilité civile soit encourue (C. santé publ., art. L. 1142-1-1, 1°). L’Office d’indemnisation intervient à titre principal. Et la loi de disposer que l’ONIAM ne saurait exercer dans ce cas de figure aucun recours subrogatoire contre l’assureur, sauf à rapporter la preuve que l’infection est survenue par la faute de l’assuré, qu’elle est notamment la manifestation d’un manquement caractérisé du professionnel de santé ou de l’établissement de soins aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales (C. santé publ., art. L. 1142-17, al. 7). Preuve que la solution n’est pas frappé au coin de l’évidence, le Conseil d’État et la Cour de cassation ont été récemment amenés à rappeler la lettre de la loi[22].

L’Office d’indemnisation est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre de la santé (C. santé publ., art. L. 1142-22). Chargé d’indemniser les conséquences des risques sanitaires graves en général et, en autres dommages, les suites des infections nosocomiales, il dispose à cette fin, en première intention, d’un financement par dotation annuelle de l’assurance maladie, soit 105 millions d’euros pour l’année 2018 (C. santé publ., art. L. 1142-23 ; loi n° 2017-1836 du 30 déc. 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, art. 73). L’office peut même intervenir, à titre subsidiaire, en cas de silence ou de refus explicite de l’assureur de faire une offre, pour le cas où le responsable des dommages ne serait pas assuré, encore lorsque le plafond de garantie du contrat d’assurance est atteint. Dans ces trois cas de figure, l’ONIAM est subrogé dans les droits de la victime qui a accepté l’offre d’indemnisation.

La compensation des suites de l’infection nosocomiale par la solidarité nationale suppose au préalable la saisine d’une commission de conciliation et d’indemnisation (CCI). La commission peut être valablement saisie par toute personne qui se prétend victime d’une infection imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins réalisé après le 5 décembre 2001. Pour ce faire, la demande est présentée au moyen d’un formulaire accompagné de toute une série de pièces justificatives. La procédure est amiable ; le ministère d’un avocat (fortement recommandé pour peu qu’il soit spécialiste du dommage corporel) n’est pas obligatoire. La commission diligente l’expertise. C’est au vu de l’avis émis, qui n’est du reste pas contraignant, que l’ONIAM sert ou non les prestations indemnitaires.

J.B.

[1] Bibliographie indicative

Législation et jurisprudence : www.legifrance.gouv.fr

Doctrine : S. Hocquet-Berg, Responsabilité médicale sans faute. Infections nosocomiales, Juris-Cl. santé, fasc. 440-55 ; A. Laude, B. Matthieu et D. Tabuteau, Droit de la santé, 3ème éd., Puf, 2012 ; Ph. Pierre, Lamy Droit de la responsabilité, Indemnisation de l’aléa thérapeutique, étude 410. Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel, 7ème éd., Dalloz, 2012. V. égal. Dictionnaire permanent bioéthique et biotechnologie, Vis Réparation des accidents médicaux non fautifs, 2012.

[2] Forme. La consultation des la table analytique de l’ancien code de la santé publique (i.e. antérieur à la recodification opérée par l’ordonnance n° 2000-548 du 15 juin 2000 rel. à la partie législative du code de la santé publique), de la famille et de l’aide sociale l’atteste.

Fond. La loi n° 98-535 du 1er juill. 1998 rel. au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité des produits destinés à l’homme a certes obligé les établissements de santé à organiser la lutte contre ces infections, mais a passé sous silence la question de l’indemnisation desdites infections.

[3] Le passage d’une faute prouvée à une faute présumée a été le fait d’une décision du Conseil d’État du 9 déc. 1988, Cohen (rec. p. 431) et d’un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 21 mai 1996 (pourvoi n° 94-16.586).

[4] CE, 9 déc. 1988, ibid.

[5] Cass. 1ère civ., 29 juin 1999, n° 97-15.818, n° 97-21.903, n° 97-14.254, Gaz. Pal. 2000.1.624, obs. S. Hocquet-Berg ; JCP G 2000.1.199, n° 15, obs. G. Viney ; Resp. civ. et assur. 1999, chron. H. Groutel ; RTD civ. 1999.841, obs. P. Jourdain.

[6] Ch. Guettier in Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, Dalloz-Action 2012-13, n° 144. CE, 9 déc. 1988 « (…) il résulte des constatations des experts qu’aucune faute lourde médicale, notamment en matière d’asepsie, ne peut être reprochée aux praticiens qui ont exécuté cet examen et cette intervention ; que le fait qu’une telle infection ait pu néanmoins se produire, révèle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier à qui il incombe de fournir au personnel médical un matériel et des produits stériles ; que, dès lors, M. X… est fondé à demander à l’administration générale de l’assistance publique à Paris, réparation du préjudice qu’il a subi du fait de cette faute. »

[7] Arrêté du 23 septembre 2004 portant création d’un comité technique des infections nosocomiales et des infections liées aux soins et modifiant l’arrêté du 3 août 1992 rel. à l’organisation de la lutte contre les infections nosocomiales.

[8] Ministère du travail, de l’emploi et de la solidarité, Direction générale de l’offre de soins, bur qualité et sécurité des soins, Infections nosocomiales, dossier 2010.

[9] Not. en ce sens, Cass. 1ère civ., 27 mars 2001, n° 99-17672, RTD civ. 2001.596, obs. P. Jourdain – 1er mars 2005, n° 03-16789 – 30 oct. 2008, n° 07-13791, RDC 2009.533, note J.-S. Borghetti – 17 juin 2010, n° 09-67011 ; CA Nîmes, 17 mars 2009, n° 07/02262.

[10] H. Fabre, Un professionnel, un établissement de santé peuvent-ils se défendre face à une mise en cause pour infection nosocomiale, Médecine et droit 2005, p. 55, cité par S. Hocquet-Berg, Responsabilité médicale sans faute. Infections nosocomiales, Juris-Cl. santé, fasc. 440-55, n° 21.

[11] CE, 27 nov. 2002, rec. n° 2113270. Contra CE, 10 oct. 2011, rec. n° 238500.

[12] V. par ex. Cass. 1ère civ., 29 juin 1999, op. cit. – 26 mai 2011, n° 10-17446.

[13] Pourvoi n° 07-13791.

[14] S. Hocquet-Berg, Fasc. Juris-cl. précité n° 18.

[15] Cass. 1ère civ., 1er juill. 2010, n° 09.67465.

[16] Cass. 1ère civ., 17 juin 2010, n° 09-67011, JCP G. 2009.304, obs. O. Gout ; D. 2010.49, obs. Ph. Brun et O. Gout ; RDC 2010.90, obs. J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2010.111, obs. P. Jourdain.

[17] Ch. Quézel-Ambrunaz, La fiction de la causalité alternative, D. 2010, p. 1162. Solution inspirée par Cass. 1ère civ., 24 sept. 2009, n° 08-16305, Aff. Distilbène.

[18] Cass. 1ère civ., 10 avr. 2013, n° 12-14219. V. déjà en ce sens, Cass. 1ère civ., 21 juin 2008, n° 04-12066.

[19] CE, 13 juill. 2007, n° 293196 ; Cass. 1ère civ., 16 oct. 2008, n° 07-17605.

[20] Cass. 1ère civ., 11 juin 2009, n° 0816914.

[21] V. not. Cass. 1ère civ., 21 juin 2005, n° 04-12066. V. dernièrement, par prétérition, Cass. 1ère civ., 10 avr. 2013, n° 12-14219.

[22] Cass. 1ère civ., 19 juin 2013, n° 12-20433, D. 2013, p. 1620, obs. I. Gallemeister ; CE, 21 mars 2011, n° 334501, Centre hospitalier de Saintes, RTD civ. 2011.555, obs. P. Jourdain.

La notion de responsable du traitement

Selon le groupe de l’article 29 la notion de responsable du traitement des données et son interaction avec la notion de sous-traitant des données jouent un rôle central dans l’application du RGPD, car elles déterminent la ou les personnes chargées de faire respecter les règles en matière de protection des données et la manière dont les personnes concernées peuvent exercer leurs droits dans la pratique.

Ainsi, en présence d’un traitement de données à caractère personnel il convient de déterminer le responsable à qui il échoit de respecter les règles de protection des droits et libertés et de supporter d’éventuelles sanctions administratives, civiles voire pénales.

Le rôle premier de la notion de responsable du traitement est donc de déterminer qui est chargé de faire respecter les règles de protection des données, et comment les personnes concernées peuvent exercer leurs droits dans la pratique. En d’autres termes, il s’agit d’attribuer les responsabilités.

L’article 3 de la loi informatique et libertés définit le responsable du traitement comme « la personne, l’autorité publique, le service ou l’organisme qui détermine ses finalités et ses moyens ».

Dans une approche plus restrictive, la convention 108 désigne le responsable du traitement comme le « «maître du fichier» lequel est « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme qui est compétent selon la loi nationale, pour décider quelle sera la finalité du fichier automatisé, quelles catégories de données à caractère personnel doivent être enregistrées et quelles opérations leur seront appliquées. »

Cette définition n’a pas été retenue par le RGPD qui prévoit, en son article 4, 7), que le responsable du traitement est « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou un autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement; lorsque les finalités et les moyens de ce traitement sont déterminés par le droit de l’Union ou le droit d’un État membre, le responsable du traitement peut être désigné ou les critères spécifiques applicables à sa désignation peuvent être prévus par le droit de l’Union ou par le droit d’un État membre ».

À l’examen, la définition du responsable du traitement énoncée dans la directive s’articule, selon le G29, autour de trois composantes principales :

  • L’aspect individuel: « la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme »
  • La possibilité d’une responsabilité pluraliste: « qui seul ou conjointement avec d’autres »
  • Les éléments essentiels qui permettent de distinguer le responsable du traitement des autres acteurs: « détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel »

Afin de déterminer la ou les personnes responsables d’un traitement de données à caractère personne, il convient de se reporter à la méthodologie élaborée par le G29 dans son avis 1/2010 sur les notions de «responsable du traitement» et de «sous-traitant».

I) L’aspect personnel

Le premier élément de la définition a trait à l’aspect personnel: qui peut être responsable du traitement, et donc considéré comme responsable en dernier ressort des obligations découlant de la directive.

La définition reproduit exactement le libellé de l’article 2 de la convention 108 et n’a fait l’objet d’aucun débat particulier lors du processus d’adoption de la directive. Elle renvoie à un vaste éventail de sujets susceptibles de jouer le rôle de responsable du traitement, de la personne physique à la personne morale, en passant par «tout autre organisme».

Il importe que l’interprétation de ce point garantisse la bonne application de la directive, en favorisant autant que possible une identification claire et univoque du responsable du traitement en toutes circonstances, même si aucune désignation officielle n’a été faite et rendue publique.

Il convient avant tout de s’écarter le moins possible de la pratique établie dans les secteurs public et privé par d’autres domaines du droit, tels que le droit civil, le droit administratif et le droit pénal.

Dans la plupart des cas, ces dispositions indiqueront à quelles personnes ou à quels organismes les responsabilités doivent être attribuées et permettront, en principe, d’identifier le responsable du traitement.

==> Principe : le responsable du traitement est une personne morale

Dans la perspective stratégique d’attribution des responsabilités, et afin que les personnes concernées puissent s’adresser à une entité plus stable et plus fiable lorsqu’elles exercent les droits qui leur sont conférés par la directive, il est préférable de considérer comme responsable du traitement la société ou l’organisme en tant que tel, plutôt qu’une personne en son sein.

C’est en effet la société ou l’organisme qu’il convient de considérer, en premier ressort, comme responsable du traitement des données et des obligations énoncées par la législation relative à la protection des données, à moins que certains éléments précis n’indiquent qu’une personne physique doive être responsable.

D’une manière générale, on partira du principe qu’une société ou un organisme public est responsable en tant que tel des opérations de traitement qui se déroulent dans son domaine d’activité et de risques.

Parfois, les sociétés et les organismes publics désignent une personne précise pour être responsable de l’exécution des opérations de traitement.

Cependant, même lorsqu’une personne physique est désignée pour veiller au respect des principes de protection des données ou pour traiter des données à caractère personnel, elle n’est pas responsable du traitement mais agit pour le compte de la personne morale (société ou organisme public), qui demeure responsable en cas de violation des principes, en sa qualité de responsable du traitement.

==> Exception : le responsable du traitement peut être une personne physique

Une analyse distincte s’impose dans le cas où une personne physique agissant au sein d’une personne morale utilise des données à des fins personnelles, en dehors du cadre et de l’éventuel contrôle des activités de la personne morale.

Dans ce cas, la personne physique en cause serait responsable du traitement décidé, et assumerait la responsabilité de cette utilisation de données à caractère personnel. Le responsable du traitement initial pourrait néanmoins conserver une certaine part de responsabilité si le nouveau traitement a eu lieu du fait d’une insuffisance des mesures de sécurité.

Ainsi, le rôle du responsable du traitement est décisif et revêt une importance particulière lorsqu’il s’agit de déterminer les responsabilités et d’infliger des sanctions.

Même si celles-ci varient d’un État membre à l’autre parce qu’elles sont imposées selon les droits nationaux, la nécessité d’identifier clairement la personne physique ou morale responsable des infractions à la législation sur la protection des données est sans nul doute un préalable indispensable à la bonne application de la loi informatique et libertés.

II) La possibilité d’une personne pluraliste

La possibilité que le responsable du traitement agisse «seul ou conjointement avec d’autres» n’avait pas été prévue initialement par les textes.

Ainsi, n’était-il pas envisagé le cas où tous les responsables du traitement décident de façon égale et sont responsables de façon égale d’un même traitement.

Pourtant, la réalité montre qu’il ne s’agit là que d’une des facettes de la «responsabilité pluraliste». Dans cette optique, «conjointement» doit être interprété comme signifiant «ensemble avec» ou «pas seul», sous différentes formes et associations.

Il convient tout d’abord de noter que la probabilité de voir de multiples acteurs participer au traitement de données à caractère personnel est naturellement liée à la multiplicité des activités qui, selon la loi, peuvent constituer un «traitement» devenant, au final, l’objet de la «coresponsabilité».

La définition du traitement énoncée à l’article 2 de la loi informatique et libertés n’exclut pas la possibilité que différents acteurs participent à plusieurs opérations ou ensembles d’opérations appliquées à des données à caractère personnel.

Ces opérations peuvent se dérouler simultanément ou en différentes étapes.

Dans un environnement aussi complexe, il importe d’autant plus que les rôles et les responsabilités puissent facilement être attribués, pour éviter que les complexités de la coresponsabilité n’aboutissent à un partage des responsabilités impossible à mettre en œuvre, qui compromettrait l’efficacité de la législation sur la protection des données.

Ainsi, une coresponsabilité naît lorsque plusieurs parties déterminent, pour certaines opérations de traitement :

  • soit la finalité
  • soit les éléments essentiels des moyens qui caractérisent un responsable du traitement

Cependant, dans le cadre d’une coresponsabilité, la participation des parties à la détermination conjointe peut revêtir différentes formes et n’est pas nécessairement partagée de façon égale.

En effet, lorsqu’il y a pluralité d’acteurs, ils peuvent entretenir une relation très proche (en partageant, par exemple, l’ensemble des finalités et des moyens d’une opération de traitement) ou, au contraire, plus distante (en ne partageant que les finalités ou les moyens, ou une partie de ceux-ci).

Dès lors, un large éventail de typologies de la coresponsabilité doit être examiné, et leurs conséquences juridiques évaluées, avec une certaine souplesse pour tenir compte de la complexité croissante de la réalité actuelle du traitement de données.

Par exemple, le simple fait que différentes parties coopèrent dans le traitement de données à caractère personnel, par exemple dans une chaîne, ne signifie pas qu’elles sont coresponsables dans tous les cas. En effet, un échange de données entre deux parties, sans partage des finalités ou des moyens dans un ensemble commun d’opérations, doit être considéré uniquement comme un transfert de données entre des responsables distincts.

L’appréciation peut toutefois être différente si plusieurs acteurs décident de créer une infrastructure commune afin de poursuivre leurs propres finalités individuelles. En créant cette infrastructure, ces acteurs déterminent les éléments essentiels des moyens à utiliser et deviennent coresponsables du traitement des données, du moins dans cette mesure, même s’ils ne partagent pas nécessairement les mêmes finalités.

À cet égard, l’article 26 du RGPD prévoit que :

  • D’une part, lorsque deux responsables du traitement ou plus déterminent conjointement les finalités et les moyens du traitement, ils sont les responsables conjoints du traitement. Les responsables conjoints du traitement définissent de manière transparente leurs obligations respectives aux fins d’assurer le respect des exigences du présent règlement, notamment en ce qui concerne l’exercice des droits de la personne concernée, et leurs obligations respectives quant à la communication des informations visées aux articles 13 et 14, par voie d’accord entre eux, sauf si, et dans la mesure, où leurs obligations respectives sont définies par le droit de l’Union ou par le droit de l’État membre auquel les responsables du traitement sont soumis. Un point de contact pour les personnes concernées peut être désigné dans l’accord.
  • D’autre part, l’accord visé au paragraphe 1 reflète dûment les rôles respectifs des responsables conjoints du traitement et leurs relations vis-à-vis des personnes concernées. Les grandes lignes de l’accord sont mises à la disposition de la personne concernée.
  • Enfin, indépendamment des termes de l’accord visé au paragraphe 1, la personne concernée peut exercer les droits que lui confère le présent règlement à l’égard de et contre chacun des responsables du traitement.

III) Les éléments essentiels qui permettent de distinguer le responsable du traitement des autres acteurs

Le responsable du traitement est celui qui « détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel ».

Cette composante comporte deux éléments qu’il convient d’analyser séparément :

  • Détermine
  • Les finalités et les moyens du traitement

A) Détermine

La notion de responsable du traitement est une notion fonctionnelle, visant à attribuer les responsabilités aux personnes qui exercent une influence de fait, et elle s’appuie donc sur une analyse factuelle plutôt que formelle.

Par conséquent, un examen long et approfondi sera parfois nécessaire pour déterminer cette responsabilité. L’impératif d’efficacité impose cependant d’adopter une approche pragmatique pour assurer une prévisibilité de la responsabilité.

À cet égard, des règles empiriques et des présomptions concrètes sont nécessaires pour guider et simplifier l’application de la législation en matière de protection des données.

Ceci implique une interprétation de la directive garantissant que «l’organisme qui détermine» puisse être facilement et clairement identifié dans la plupart des cas, en s’appuyant sur les éléments de droit et/ou de fait à partir desquels l’on peut normalement déduire une influence de fait, en l’absence d’indices contraires.

Ces contextes peuvent être analysés et classés selon les trois catégories de situations suivantes, qui permettent d’aborder ces questions de façon systématique:

==> Responsabilité découlant d’une compétence explicitement donnée par la loi

Il s’agit notamment du cas visé dans la seconde partie de la définition, à savoir lorsque le responsable du traitement ou les critères spécifiques pour le désigner sont fixés par le droit national ou communautaire.

La désignation explicite du responsable du traitement par le droit n’est pas courante et ne présente généralement pas de grandes difficultés. Dans certains pays, le droit national prévoit que les pouvoirs publics assument la responsabilité du traitement des données à caractère personnel effectué dans le cadre de leurs fonctions

Il est cependant plus fréquent que la législation, plutôt que de désigner directement le responsable du traitement ou de fixer les critères de sa désignation, charge une personne, ou lui impose, de collecter et traiter certaines données.

Cela pourrait être le cas d’une entité qui se voit confier certaines missions publiques (par exemple, la sécurité sociale) ne pouvant être réalisées sans collecter au moins quelques données à caractère personnel, et qui crée un registre afin de s’en acquitter.

Dans ce cas, c’est donc le droit qui détermine le responsable du traitement. De façon plus générale, la loi peut obliger des entités publiques ou privées à conserver ou fournir certaines données. Ces entités seraient alors normalement considérées comme responsables de tout traitement de données à caractère personnel intervenant dans ce cadre.

==> Responsabilité découlant d’une compétence implicite

Il s’agit du cas où le pouvoir de déterminer n’est pas explicitement prévu par le droit, ni la conséquence directe de dispositions juridiques explicites, mais découle malgré tout de règles juridiques générales ou d’une pratique juridique établie relevant de différentes matières (droit civil, droit commercial, droit du travail, etc.).

Dans ce cas, les rôles traditionnels qui impliquent normalement une certaine responsabilité permettront d’identifier le responsable du traitement: par exemple, l’employeur pour les informations sur ses salariés, l’éditeur pour les informations sur ses abonnés, l’association pour les informations sur ses membres ou adhérents.

Dans tous ces exemples, le pouvoir de déterminer les activités de traitement peut être considéré comme naturellement lié au rôle fonctionnel d’une organisation (privée), entraînant au final également des responsabilités en matière de protection des données.

Du point de vue juridique, peu importe que le pouvoir de déterminer soit confié aux entités juridiques mentionnées, qu’il soit exercé par les organes appropriés agissant pour leur compte, ou par une personne physique dans le cadre de fonctions similaires.

==> Responsabilité découlant d’une influence de fait

Il s’agit du cas où la responsabilité du traitement est attribuée après une évaluation des circonstances factuelles. Un examen des relations contractuelles entre les différentes parties concernées sera bien souvent nécessaire.

Cette évaluation permet de tirer des conclusions externes, attribuant le rôle et les obligations de responsable du traitement à une ou plusieurs parties.

Il peut arriver qu’un contrat ne désigne aucun responsable du traitement mais qu’il contienne suffisamment d’éléments pour attribuer cette responsabilité à une personne qui exerce apparemment un rôle prédominant à cet égard. Il se peut également que le contrat soit plus explicite en ce qui concerne le responsable du traitement.

S’il n’y a aucune raison de penser que les clauses contractuelles ne reflètent pas exactement la réalité, rien ne s’oppose à leur application. Les clauses d’un contrat ne sont toutefois pas toujours déterminantes, car les parties auraient alors la possibilité d’attribuer la responsabilité à qui elles l’entendent.

Le fait même qu’une personne détermine comment les données à caractère personnel sont traitées peut entraîner la qualification de responsable du traitement, même si cette qualification sort du cadre d’une relation contractuelle ou si elle est expressément exclue par un contrat.

B) Les finalités et les moyens du traitement

La détermination des finalités et des moyens revient à établir respectivement le «pourquoi» et le «comment» de certaines activités de traitement.

Dans cette optique, et puisque ces deux éléments sont indissociables, il est nécessaire de donner des indications sur le degré d’influence qu’une entité doit avoir sur le «pourquoi» et le «comment» pour être qualifiée de responsable du traitement.

Lorsqu’il s’agit d’évaluer la détermination des finalités et des moyens en vue d’attribuer le rôle de responsable du traitement, la question centrale qui se pose est donc le degré de précision auquel une personne doit déterminer les finalités et les moyens afin d’être considérée comme un responsable du traitement et, en corollaire, la marge de manœuvre que la directive laisse à un sous-traitant.

Ces définitions prennent tout leur sens lorsque divers acteurs interviennent dans le traitement de données à caractère personnel et qu’il est nécessaire de déterminer lesquels d’entre eux sont responsables du traitement (seuls ou conjointement avec d’autres) et lesquels sont à considérer comme des sous-traitants, le cas échéant.

L’importance à accorder aux finalités ou aux moyens peut varier en fonction du contexte particulier dans lequel intervient le traitement.

Il convient d’adopter une approche pragmatique mettant davantage l’accent sur le pouvoir discrétionnaire de déterminer les finalités et sur la latitude laissée pour prendre des décisions.

Les questions qui se posent alors sont celle du motif du traitement et celle du rôle d’éventuels acteurs liés, tels que les sociétés d’externalisation de services: la société qui a confié ses services à un prestataire extérieur aurait-elle traité les données si le responsable du traitement ne le lui avait pas demandé, et à quelles conditions?

Un sous-traitant pourrait suivre les indications générales données principalement sur les finalités et ne pas entrer dans les détails en ce qui concerne les moyens.

S’agissant de la détermination des «moyens», ce terme comprend de toute évidence des éléments très divers, ce qu’illustre d’ailleurs l’évolution de la définition.

En effet, «moyens» ne désigne pas seulement les moyens techniques de traiter des données à caractère personnel, mais également le «comment» du traitement, qui comprend des questions comme «quelles données seront traitées», «quels sont les tiers qui auront accès à ces données», «à quel moment les données seront-elles effacées», etc.

La détermination des «moyens» englobe donc à la fois des questions techniques et d’organisation, auxquelles les sous-traitants peuvent tout aussi bien répondre (par exemple, «quel matériel informatique ou logiciel utiliser?»), et des aspects essentiels qui sont traditionnellement et intrinsèquement réservés à l’appréciation du responsable du traitement, tels que «quelles sont les données à traiter?», «pendant combien de temps doivent-elles être traitées?», «qui doit y avoir accès», etc.

Dans ce contexte, alors que la détermination de la finalité du traitement emporterait systématiquement la qualification de responsable du traitement, la détermination des moyens impliquerait une responsabilité uniquement lorsqu’elle concerne les éléments essentiels des moyens.

Dans cette optique, il est tout à fait possible que les moyens techniques et d’organisation soient déterminés exclusivement par le sous-traitant des données.

Dans ce cas, lorsque les finalités sont bien définies mais qu’il existe peu, voire aucune indication sur les moyens techniques et d’organisation, les moyens devraient représenter une façon raisonnable d’atteindre la ou les finalités, et le responsable du traitement devrait être parfaitement informé des moyens utilisés.

Si un contractant avait une influence sur la finalité et qu’il procédait au traitement (également) à des fins personnelles, par exemple en utilisant les données à caractère personnel reçues en vue de créer des services à valeur ajoutée, il deviendrait alors responsable du traitement (ou éventuellement coresponsable du traitement) pour une autre activité de traitement et serait donc soumis à toutes les obligations prévues par la législation applicable en matière de protection des données.

La dissolution du pacs

I) Les cas de dissolution

Il ressort de l’article 515-7 du Code civil qu’il existe quatre causes de dissolution du pacs :

  • Le décès de l’un des partenaires
  • Le mariage de l’un ou des partenaires
  • La déclaration conjointe des partenaires
  • La décision unilatérale de l’un des partenaires

Si les trois premiers cas de dissolution du pacs ne soulèvent pas de difficultés, il n’en a pas été de même pour le quatrième cas qui autorise les partenaires à rompre leur union unilatéralement.

Lorsque la loi du sur le pacs a été déférée à l’examen du Conseil constitutionnel, les requérants ont, en effet, fait valoir que ce mode de rupture s’apparenterait à une répudiation (Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999).

Aussi, ont-ils avancé que cette faculté offerte aux partenaires méconnaîtrait le principe du respect de la dignité de la personne humaine et qu’elle serait contraire au principe d’égalité entre les contractants, le pacte prenant fin, dans ce cas, immédiatement et les obligations qu’il a produites cessant sur le champ.

Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas fait droit à leur grief, en leur opposant quatre arguments :

  • Le pacte civil de solidarité étant un contrat étranger au mariage, sa rupture unilatérale ne saurait être qualifiée de « répudiation »
  • Dans la mesure où le pacs est un contrat à durée indéterminée, il est propre à cette catégorie de convention de pouvoir faire l’objet d’une résiliation unilatérale
  • La cessation immédiate du pacte en cas de mariage de l’un des partenaires répond à la nécessité de respecter l’exigence constitutionnelle de la liberté du mariage, de sorte que les partenaires ne sauraient rester enfermés dans leur union
  • Le partenaire auquel la rupture est imposée pourra toujours demander réparation du préjudice éventuellement subi, notamment en cas de faute tenant aux conditions de la rupture

Ainsi, la faculté pour les partenaires de rompre leur union unilatéralement a-t-elle été maintenue.

II) Les modalités de la dissolution

A) Dissolution du PACS par le décès ou le mariage de l’un ou des partenaires

Le PACS se dissout par la mort de l’un des partenaires, ou par le mariage des partenaires ou de l’un d’eux (article 515-7 du code civil alinéa 1er).

Dans ces hypothèses, l’officier de l’état civil qui a enregistré la déclaration de PACS est informé du décès ou du mariage des partenaires ou de l’un d’eux par l’officier de l’état civil détenteur de l’acte de naissance du ou des partenaires concernés (article 3 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006).

Ainsi informé, il lui reviendra d’enregistrer la dissolution du PACS puis d’en informer le partenaire survivant ou, en cas de mariage, les deux partenaires.

B) Dissolution par déclaration conjointe des partenaires

Les partenaires peuvent mettre fin au PACS, d’un commun accord, en remettant ou en adressant à l’officier de l’état civil une déclaration conjointe en ce sens (article 515-7 alinéas 3 et 4 du code civil).

Les formalités à respecter seront alors identiques à celles requises pour l’enregistrement d’une convention modificative de PACS

À l’instar de la possibilité introduite par le décret du 6 mai 2017 pour un partenaire de se présenter seul en mairie aux fins d’enregistrement de la convention modificative de PACS conclue avec l’autre partenaire, une telle possibilité est également prévue en cas de dissolution d’un PACS, que celle-ci soit enregistrée en mairie ou devant notaire (article 2 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006 et article 2 du décret n° 2012-966 du 20 août 2012).

À l’issue, l’officier de l’état civil remettra aux partenaires ou au seul partenaire présent, ou enverra à ceux-ci par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, un récépissé d’enregistrement de la déclaration conjointe de dissolution

C) Dissolution par décision unilatérale d’un partenaire

L’un des partenaires peut également prendre l’initiative de la dissolution, en faisant procéder à la signification de sa décision unilatérale à l’autre partenaire (article 515-7 alinéas 3 et 5 du code civil).

Sans délai, l’huissier de justice qui a effectué la signification remet, ou adresse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie de l’acte signifié à l’officier de l’état civil qui a enregistré la déclaration de PACS (article 5 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006).

À réception, l’officier de l’état civil se reportera au numéro d’enregistrement déjà attribué aux partenaires et enregistrera la dissolution du PACS.

Il informera alors les ex-partenaires, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, de cet enregistrement.

L’adresse à laquelle ces avis sont envoyés est celle figurant sur la copie de l’acte notifié par huissier de justice.

III) La publicité de la dissolution

À l’instar de la publicité organisée dans le cadre d’une déclaration conjointe de conclusion d’un PACS, la dissolution d’un PACS fait l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, ou, lorsque l’un d’eux est né à l’étranger et de nationalité étrangère, d’un enregistrement sur le registre tenu par le service central d’état civil.

Il est relevé que l’avis de mention devra être adressé aux officiers de l’état civil compétents même dans l’hypothèse où l’un des officiers de l’état civil détenant l’acte de naissance d’un partenaire serait également celui qui a établi ou transcrit l’acte de décès ou de mariage. En effet, l’officier de l’état civil concerné ne pourra apposer la mention marginale de la dissolution du PACS qu’après avoir été requis en ce sens par l’officier de l’état civil ayant procédé à l’enregistrement de la dissolution du PACS.

Lorsque l’un des partenaires est de nationalité étrangère et né à l’étranger, le service central d’état civil enregistrera par ailleurs, dans les trois jours suivant la réception de cet avis, en sus des informations précitées enregistrées par l’officier de l’état civil, la date d’effet de la dissolution du PACS à l’égard des tiers (article 4 du décret n° 2006-1806 du 23 décembre 2006).

Une fois cet enregistrement effectué, il en informera l’officier de l’état civil l’ayant requis à cette fin.

Cet avis sera alors classé par l’officier de l’état civil au dossier contenant les autres pièces relatives au PACS.

Il est rappelé l’importance de transmettre sans délai les avis de mention correspondants, au regard des enjeux éventuels liés à la dissolution d’un PACS.

IV) Les effets de la dissolution

A) La date d’effet de la dissolution

La date à laquelle la dissolution du PACS produit ses effets, entre les partenaires et à l’égard des tiers, diffère selon qu’elle intervient consécutivement au mariage ou au décès d’un ou des partenaires, ou bien qu’elle résulte d’une décision conjointe ou unilatérale de ces derniers.

  • Dissolution du PACS par mariage ou décès
    • Dans ces hypothèses, la date d’effet de la dissolution du PACS correspond à la date du mariage ou du décès.
    • La dissolution du PACS est opposable aux tiers à compter de cette date (article 515-7 alinéa 1er du code civil).
  • Dissolution du PACS par déclaration conjointe des partenaires ou par décision unilatérale d’un partenaire
    • Le PACS prend fin, à l’égard des partenaires, au jour de son enregistrement par l’officier de l’état civil (article 515-7 alinéa 7 du code civil).
    • La dissolution du PACS est en revanche opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de publicité ont été accomplies (article 515-7 alinéa 8 du code civil).

B) Les conséquences de la dissolution

  1. La liquidation du pacs

L’article 515-7 du Code civil prévoit qu’il revient aux partenaires de procéder à la liquidation des droits et obligations issus du PACS.

  • Chacun des partenaires reprend ses biens personnels.
  • Les biens indivis sont partagés par moitié, sauf modalités conventionnelles contraires.
  • Les créances entre les partenaires sont réglées, sous l’empire des règles de calcul des récompenses entre époux communs en biens édictées à l’article 1469 du Code civil

Le régime de la prestation compensatoire ne s’applique pas aux partenaires de PACS

2. La rupture fautive

La question s’est posée de savoir si, en cas de rupture fautive, le partenaire victime de cette rupture était fondé à réclamer l’octroi de dommages et intérêts ?

La lecture de l’article 515-7, al. 10 du Code civil révèle qu’une réponse positive peut être apportée à cette interrogation.

Celui-ci dispose, en effet, que « les partenaires procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et obligations résultant pour eux du pacte civil de solidarité. À défaut d’accord, le juge statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi ».

Lors de son examen de la loi sur le pacs, le Conseil constitutionnel avait affirmé qu’il résultait de cette disposition que le partenaire auquel la rupture est imposée peut demander réparation du préjudice éventuellement subi, notamment en cas de faute tenant aux conditions de la rupture.

Deux enseignements peuvent être tirés de la décision du 9 novembre 1999 :

  • Premier enseignement
    • la rupture du pacs ne saurait constituer en elle-même une faute.
    • Et pour cause, admettre le contraire reviendrait à vider de sa substance la faculté conférée par la loi aux partenaires de rompre unilatéralement le pacs sur simple déclaration à l’officier d’état civil
  • Second enseignement
    • À l’instar du concubinage, pour qu’un partenaire soit fondé à obtenir des dommages et intérêts du fait de la rupture du pacs, il doit établir une faute indépendamment de la rupture
    • Autrement dit, si la rupture ne saurait constituer en elle-même une faute, les circonstances qui l’entourent peuvent fonder une action en responsabilité

Deux fondements juridiques peuvent alors être envisagés :

  • La responsabilité délictuelle
    • Dans cette hypothèse, conformément à l’article 1240 du Code civil, il conviendra de démontrer l’existence
      • D’une faute
      • D’un préjudice
      • D’un lien de causalité
    • Ces éléments doivent être établis séparément et cumulativement
  • La responsabilité contractuelle
    • Parce que le pacs est un contrat, les partenaires sont susceptibles d’engager leur responsabilité contractuelle
    • Pour ce faire, il conviendra de prouver qu’il a manqué à l’un des devoirs résultant du statut patrimonial et personnel du pacs
    • En particulier, il conviendra de se reporter à l’article 515-4 du Code civil qui édicte les principales obligations qui pèsent sur les partenaires
      • Communauté de vie
      • Assistance
      • Aide matérielle et morale
      • Loyauté

Le régime juridique du concubinage: notion, effets, rupture

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[1], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme.

De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale. De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[2]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire.

Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui. Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[3], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable.

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[4] et plus encore, comme son « acte fondateur »[5]. Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Il y a bien un texte les concernant s’ils viennent à rompre, mais, celui-ci est tourné vers le mariage, puisque réglant la question de la restitution de la bague de fiançailles[6]. En outre, la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civile de solidarité (pacs) a, certes, inséré à l’article 515-8 du Code civil une définition du concubinage[7]. Toutefois, cette définition n’est que symbolique : elle n’est assortie d’aucun droit, ni d’aucune obligation qui échoirait aux concubins[8]. Bien que l’on puisse relever quelques décisions audacieuses, dans lesquelles les juges ont cherché à faire application, dans le cadre d’une relation de concubinage qu’ils avaient à connaître, de certaines dispositions du régime matrimonial primaire, la jurisprudence de la Cour de cassation a toujours été constante sur ce point : les concubins ne sauraient bénéficier des effets du mariage[9]. Excepté quelques cas marginaux[10], leur situation n’est réglée que par le seul droit commun. Pour les couples qui choisissent de se tenir à l’écart de l’union conjugale, c’est donc un silence juridique qui les attend.

Chapitre 1: La définition du concubinage

Pendant très longtemps, le Concubinage était une situation de fait ignorée du Code civil.

Il a fallu attendre la loi du 15 novembre 1999 pour que la place faite par le droit dans l’ordonnancement juridique au concubinage – c’est-à-dire aucune – évolue.

Ainsi, cette loi a-t-elle introduit un article 515-8 dans le Code civil lequel dispose : « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

Dans sa décision du n°99-419 DC du 9 novembre 1999, le Conseil constitutionnel a précisé que « cette définition a pour objet de préciser que la notion de concubinage peut s’appliquer indifféremment à un couple formé par des personnes de sexe différent ou de même sexe ; que, pour le surplus, la définition des éléments constitutifs du concubinage reprend celle donnée par la jurisprudence ; que le moyen manque donc en fait »

Au vrai, la définition par le Code civil n’a pas vraiment d’intérêt juridique dans la mesure où le législateur n’a fait produire aucun effet de droit au concubinage : il demeure une situation de fait.

Le régime juridique qui lui est applicable c’est le droit commun.

Aussi, le législateur n’a-t-il fait, en réalité, que reprendre l’essentiel des éléments constitutifs de la définition du concubinage dégagés antérieurement par la Cour de cassation à une exception près : avant 1999 la Cour de cassation déniait aux couples homosexuels le statut de concubins.

Il en résultait que ces derniers étaient systématiquement déboutés de leur demande tendant à bénéficier des mêmes droits que les couples de concubins hétérosexuels (notamment s’agissant des avantages octroyés par certaines sociétés à leurs salariés vivant en concubinage).

Ainsi, la jurisprudence affirmait-elle régulièrement que le concubinage ne pouvait se concevoir en dehors de l’union d’un homme et d’une femme.

Dans un arrêt du 11 juillet 1989, la chambre sociale a par exemple envisagé la vie maritale comme « une situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux, sans pour autant s’unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu’un couple constitué d’un homme et d’une femme » (Cass. soc. 11 juill. 1989, n°86-10.665).

Cass. soc. 11 juill. 1989
Sur le moyen unique :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Rennes, 8e chambre, 27 novembre 1985) de lui avoir refusé la qualité d'ayant droit de Mme X..., qu'elle sollicitait sur le fondement de l'article 13 de la loi du 2 janvier 1978 relative à la généralisation de la sécurité sociale qui dispose que la personne qui vit maritalement avec un assuré social et qui se trouve à sa charge effective totale et permanente, a la qualité d'ayant droit de l'assuré pour l'ouverture du droit aux prestations en nature des assurances maladie et maternité, alors tout d'abord, qu'il est constant qu'elle était depuis deux ans sous le toit de son amie, assurée sociale, et se trouvait à sa charge effective et alors surtout que la loi du 2 janvier 1978 portant généralisation de la sécurité sociale a posé le principe d'un droit de protection pour tous de sorte que ses dispositions doivent faire l'objet d'une interprétation extensive ; que la vie maritale prise en considération par l'article 13 de la loi précitée s'entend d'une existence commune et stable entre deux individus en sorte qu'en y ajoutant une condition d'hétérogénéité sexuelle, la cour d'appel lui a apporté une restriction qu'il ne comporte pas ;

Mais attendu qu'en se référant dans l'article 13 de la loi du 2 janvier 1978 à la notion de vie maritale, le législateur a par là même entendu limiter les effets de droit, au regard des assurances maladie et maternité à la situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux, sans pour autant s'unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu'un couple constitué d'un homme et d'une femme ;

Qu'ils étaient fondés à en déduire que Mme Y... ne satisfaisait pas à la condition de vie maritale exigée par la loi ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Dans un arrêt du 17 décembre 1997, elle a encore considéré que « le concubinage ne pouvait résulter que d’une relation stable et continue ayant l’apparence du mariage » (Cass. 3e civ. 17 déc. 1997, n° 95-20.779).

Cass. 3e civ. 17 déc. 1997
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 mars 1995), que Mme Z... a donné un appartement à bail à M. X... ; qu'après le décès du locataire, son ami, M. Y..., qui vivait avec lui et était demeuré dans les lieux, a assigné la bailleresse en transfert du bail à son profit ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, publié par décret n° 81-76 du 29 janvier 1981, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe,... ou de toute autre situation ; qu'en estimant que l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989, qui dispose que " lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré (...) au concubin notoire (...) qui vivait avec lui depuis au moins 1 an à la date du décès ", ne visait que le cas de concubinage entre un homme et une femme, alors que ce texte ne contient aucune restriction autre que celle tenant à la durée du concubinage, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble l'article 8, alinéa 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à bon droit, que le concubinage ne pouvait résulter que d'une relation stable et continue ayant l'apparence du mariage, donc entre un homme et une femme, la cour d'appel n'a violé ni l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ni l'article 8, alinéa 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cette solution a été reprise par la Cour de justice des Communautés européennes dans un arrêt du 17 février 1998.

Aux termes de cette décision, les juges luxembourgeois avaient estimé que « les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de même sexe » (CJCE 17 févr. 1998, aff. C-249/96).

Il a donc fallu attendre l’adoption de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité pour que l’on reconnaisse qu’un couple de personnes de même sexe puisse vivre en concubinage.

Chapitre II: La preuve du concubinage

Dans la mesure où le concubinage est constitutif d’une situation de fait, conformément à l’article 1358 du Code civil la preuve est libre.

Les concubins peuvent également au cours de leur vie commune demander l’établissement d’un document constatant leur union.

Au nombre de ces documents figurent :

  • Le certificat de concubinage
    • Il doit être demandé auprès de la Mairie
    • Trois conditions sont classiquement exigées :
      • La fourniture d’un justificatif d’identité
      • L’existence d’une domiciliation commune des demandeurs
      • La présence de témoins qui n’ont aucun lien de parenté doivent attester de la véracité du concubinage des demandeurs
  • L’acte de notoriété
    • L’acte de notoriété est un document dressé selon le cas par un juge d’instance ou un notaire, dans lequel des déclarants attestent qu’un fait est de notoriété publique, c’est-à-dire connu par un grand nombre de personnes, et à leur connaissance personnelle.
    • Aussi, afin de prouver la réalité d’une vie maritale, les concubins peuvent solliciter auprès d’un notaire l’établissement d’un acte de notoriété constatant l’existence d’une vie commune

Chapitre 3: Les effets du concubinage

Le concubinage est une situation de fait. La conséquence en est que le droit n’attache aucun effet à cette forme d’union. Aussi, est-ce, par principe, le droit commun qui a vocation à régir les rapports entre concubins.

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle toutefois que, ni le législateur, ni les juridictions ne sont restés totalement indifférents à leur sort.

Aussi, compte-on un certain nombre de règles qui régissent les rapports entre concubins.

I) Dans les rapports personnels

A) Principe

Les dispositions relatives au mariage et au pacs n’étant pas applicables aux concubins, dans leurs rapports personnels, aucune obligation ni devoir n’est mis à leur charge.

Ainsi, les concubins ne sont-ils nullement tenus d’observer un devoir de fidélité, de secours, d’assistance ou encore de respect comme ce peut être le cas pour les époux.

B) Exceptions

Par exception, le concubinage confère aux concubins un certain nombre de droits qui, au regard de ceux octroyés aux époux et aux partenaires, demeurent restreints.

  • Droits conférés dans le cadre de la conclusion d’un bail d’habitation
    • L’article 14 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 dispose que, en cas d’abandon du domicile par le locataire, le contrat de location continue, notamment au profit du concubin notoire qui vivait avec lui depuis au moins un an à la date de l’abandon du domicile.
    • L’article 15 de cette même loi prévoit que le bailleur est autorisé à donner congé à son locataire lorsqu’il souhaite reprendre le local à la faveur de son partenaire, conjoint ou concubin. Le délai de préavis applicable au congé est alors de six mois
  • Droits conférés dans le cadre des relations avec les organismes sociaux
    • L’article L. 434-8 du Code de la sécurité sociale confère au concubin le droit de percevoir une pension de réversion en cas de décès de l’assuré à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle
    • L’article L. 361-4 du même code confère encore au concubin le droit de percevoir un capital décès attribué par la caisse primaire d’assurance maladie s’il était, au moment du décès, à la charge effective, totale et permanente de l’assuré.
    • L’article L. 3142-12 du Code du travail prévoit enfin que le salarié ayant au moins un an d’ancienneté dans l’entreprise a droit à un congé de proche aidant lorsque son concubin présente un handicap ou une perte d’autonomie d’une particulière gravité
  • Droits conférés dans le cadre de la conclusion d’un contrat d’assurance
    • L’article L. 121-12 du code des assurances prévoit que, en principe, l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l’assureur.
    • Toutefois, l’alinéa 3 de cette disposition précise que l’assureur n’a aucun recours contre notamment toute personne vivant habituellement au foyer de l’assuré, sauf le cas de malveillance commise par une de ces personnes
    • Cette disposition permet ainsi d’inclure les concubins dans le champ d’application de l’exception.
  • Droits conférés dans le cadre de poursuites pénales
    • Le Code pénal confère une immunité aux concubins s’agissant de la poursuite de certaines infractions pénales.
    • Il en va ainsi :
      • pour non-dénonciation de crimes ( 434-1 C. pén.),
      • pour recel de malfaiteur ( 434-6 C. pén.)
      • pour non-témoignage en faveur d’un innocent ( 434-11 C. pén.)
    • La jurisprudence pose toutefois comme condition que le concubinage soit notoire, ce qui implique l’existence d’une vie commune et que la relation de couple soit stable et durable.
  • Droits conférés dans le cadre de l’obtention d’un titre de séjour
    • L’article L. 313-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit que la situation de concubinage constitue un motif d’obtention d’un titre de séjour
    • Cette disposition dispose en ce sens que « sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention ” vie privée et familiale ” est délivrée de plein droit notamment A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l’article L. 313-2 soit exigée.»
  • Droit conférés dans le cadre d’une démarche de procréation médicalement assistée et prélèvement d’organes
    • Sur l’assistance médicale à la procréation
      • L’article L. 2141-2 du Code de la santé publique prévoit que pour accéder à l’assistance médicale à la procréation l’homme et la femme formant le couple doivent être :
        • vivants
        • en âge de procréer
        • mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination.
    • Sur le prélèvement d’organes
      • L’article L. 1231-1 du code de la santé publique prévoit, s’agissant d’un prélèvement d’organes que, par principe, le donneur doit avoir la qualité de père ou mère du receveur.
      • Toutefois, l’alinéa 2 dispose que peut être autorisée à se prêter à un prélèvement d’organe dans l’intérêt thérapeutique direct d’un receveur notamment « toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur ainsi que toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur. »

II) Dans les rapports patrimoniaux

A) Les rapports entre concubins

Contrairement au couple marié, les concubins ne bénéficient d’aucun statut matrimonial, soit de règles qui régissent leurs rapports patrimoniaux.

Il en résulte que ces derniers sont insusceptibles de se prévaloir des règles qui régissent les rapports pécuniaires entre époux.

  1. Contribution aux charges du ménage

Bien que la vie en couple génère des dépenses communes dont chaque membre va tirer profit, les concubins, à la différence des époux, ne sont pas tenus de contribuer aux charges du ménage conformément à l’article 214 du Code civil.

Cette disposition prévoit pourtant que les époux doivent contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives.

Par charges du mariage, il faut entendre toutes les dépenses qui assurent le fonctionnement du ménage (contrairement aux dépenses d’investissement).

Il s’agit, en somme, de toutes les dépenses d’intérêt commun que fait naître la vie du ménage.

Régulièrement, la jurisprudence rappelle que cette disposition n’est pas applicable au couple de concubins.

Dans un arrêt du 19 mars 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens « qu’aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d’eux doit, en l’absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu’il a exposées » (Cass. 1ère civ. 19 mars 1991).

Cass. 1ère civ. 19 mars 1991
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que M. X... fait grief à la cour d'appel (Versailles, 18 juillet 1988) d'avoir rejeté sa demande, en vue de répartir, entre lui et Mme Y..., les dépenses de vie courante respectivement exposées, par chacun d'eux, durant la période de leur concubinage, en retenant qu'ils y avaient participé à proportion de leurs ressources personnelles et qu'il n'y avait donc pas lieu à comptes de ce chef, alors, selon le moyen, d'une part, qu'ils se trouvaient dans une situation de fait non légalement réglementée, de sorte qu'en constituant entre eux une contribution aux charges de la vie commune, à proportion de leurs ressources, ainsi qu'il est dit à l'article 214 du Code civil, non applicable aux concubins, la cour d'appel a violé ce texte ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à faire état d'un accord tacite entre les intéressés sans autrement justifier cette affirmation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ; et alors, enfin, que sont demeurées sans réponse les conclusions dans lesquelles M. X... faisait valoir que les acquisitions réalisées durant la communauté de vie avaient été réparties au profit de celui qui en était détenteur, ou par l'attribution faite lors du partage consécutif à la rupture ;

Mais attendu qu'aucune disposition légale ne réglant la contribution des concubins aux charges de la vie commune, chacun d'eux doit, en l'absence de volonté expresse à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a exposées ; que c'est dès lors à bon droit, sans avoir à répondre aux conclusions invoquées par la troisième branche du moyen qui sont inopérantes, que la cour d'appel a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'établir, à ce sujet, un compte entre les parties ; qu'ainsi l'arrêt attaqué est légalement justifié ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses trois branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Dans un arrêt plus récent du 31 janvier 2006, la haute juridiction a encore estimé, bien qu’ayant relevé qu’un concubin avait participé au financement du bien indivis acquis par sa concubine dans des proportions supérieures à celle-ci que, dans la mesure où aucune disposition légale ne règle la contribution aux charges du ménage de la vie commune des concubins, ces derniers n’ont droit à aucune indemnité à ce titre.

Cass. 1ère civ. 31 janv. 2006
Sur le moyen unique pris en ses deux premières branches :

Vu les articles 214, 220 et 815 du Code civil ;

Attendu que, pour fixer à égalité les parts respectives de M. X... et de Mme Y... dans l'actif de l'indivision ayant existé entre eux, liquidée après la vente du bien immobilier qu'ils avaient acquis indivisément, l'arrêt attaqué retient que la mention à l'acte d'achat de celui-ci suivant laquelle cette acquisition avait été faite "par égale parts entre eux" révélait leur commune intention d'être indivisaires à égalité, sans tenir compte de l'origine des fonds ayant servi à cette acquisition, la participation de Mme Y... à la vie du ménage pendant seize ans ayant constitué une contribution réelle, bien que non quantifiable en espèces, au financement de ce bien ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, d'une part, il était établi que M. X... avait participé au financement du bien indivis dans des proportions supérieures à celles de Mme Y... et que, d'autre part, aucune disposition légale ne règle la contribution aux charges du ménage de la vie commune des concubins, lesquels n'ont droit à aucune indemnité à ce titre, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Il ressort de cette jurisprudence que, en l’absence de statut juridique, les concubins s’exposent à de grands risques en cas de rupture du couple, en particulier s’agissant du partage des biens qu’ils ont acquis au cours de la vie commune.

Aussi, afin de limiter ce risque, il leur est possible de conclure, par exemple, une convention de concubinage.

2. La convention de concubinage

La conclusion d’une convention de concubinage vise à régir les rapports patrimoniaux que les concubins entretiennent entre eux et donc à prévenir toute difficulté susceptible de survenir en cas de rupture de leur union.

Il leur est ainsi possible de prévoir une obligation de contribution aux charges de la vie commune à proportion de leurs facultés respectives, à l’instar de l’article 214 du Code civil. Il peut encore organiser les modalités d’administration de leurs biens.

Si en soi, les conventions de concubinage sont valables, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser dans un arrêt du 20 juin 2006, que son caractère contraignant ne doit pas constituer « un moyen de dissuader un concubin de toute velléité de rupture ».

 Pour la première chambre civile, la conclusion d’une telle convention serait « contraire au principe de la liberté individuelle » (Cass. 1ère civ. 20 juin 2006).

Cass. 1ère civ. 20 juin 2006
Attendu que Mme X... et M. Y... ont vécu en concubinage de 1984 à 2002 ; que de leur union sont nés deux enfants en 1990 et 1996 ; qu'ils ont signé le 1er septembre 1984 une convention de concubinage prévoyant que le concubin qui n'a pas d'emploi ou qui renonce à son emploi pour élever les enfants pourra exiger de l'autre une indemnité égale au moins à la moitié des revenus du travail de son concubin à condition que les enfants soient élevés à son foyer; qu'après leur rupture, M. Y... a saisi le juge aux affaires familiales pour qu'il soit statué sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et le montant de sa contribution à l'entretien et l'éducation des enfants ;

Sur le premier moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué (Montpellier, 7 septembre 2004) d'avoir déclaré nulle la convention de concubinage conclue le 1er septembre 1984 et d'avoir réduit à 760 euros la part contributive du père à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, alors, selon le moyen, que les parents ont la faculté de saisir le juge aux affaires familiales afin de faire homologuer la convention par laquelle ils fixent la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants ; qu'une convention de concubinage ayant cet objet n'est pas contraire à l'ordre public ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 6 du code civil, ensemble l'article 373-2-7 du même code ;

Mais attendu qu'ayant relevé que la convention signée par les concubins n'avait pas fixé le montant de la contribution à proportion des ressources de chacun des parents et des besoins des enfants mais à un montant forfaitaire, égal à la moitié des revenus du concubin, susceptible d'une part de placer l'intéressé dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations à l'égard d'autres créanciers d'aliments, et, d'autre part, constituant par son caractère particulièrement contraignant un moyen de dissuader un concubin de toute velleité de rupture contraire au principe de la liberté individuelle, la cour d'appel en a justement déduit que cette stipulation, contraire aux dispositions d'ordre public qui régissent l'obligation alimentaire, était nulle ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

3. Actes à titre gratuit

==> L’exigence de conformité aux bonnes mœurs

Si, dans l’ancien droit, les libéralités entre concubins étaient prohibées, le silence du Code civil a conduit la jurisprudence à apprécier leur validité en considération du but poursuivi par leur auteur.

Plus précisément, dans l’hypothèse où la libéralité était assortie d’une cause immorale, elle encourait la nullité.

Dans un arrêt du 4 mars 1914, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « les libéralités entre concubins ne sont pas interdites en principe ; elles sont nulles si elles n’ont été que l’exécution d’un pacte immoral » ( req. 4 mars 1914)

Dans un arrêt du 14 novembre 1961, elle a affirmé, dans le même sens, que « le seul fait que l’auteur d’une libéralité entretiendrait avec le bénéficiaire des relations illicites, même adultères ne suffit pas pour invalider l’acte, dès lors que le mobile du disposant, souverainement apprécié par les juges du fond, est étranger à ces relations» ( 1ère civ., 14 novembre 1961)

On peut encore citer une décision du 8 novembre 1982 aux termes de laquelle la Cour de cassation a estimé que devait être annulée une libéralité dont « la cause impulsive et déterminante était la formation, la continuation ou la reprise des relations immorales» ( 1ère civ., 8 nov. 1982).

Il ressort de cette jurisprudence que, pour être valide, la libéralité ne devait pas être consentie pour une cause immorale.

==> L’abandon de l’exigence de conformité aux bonnes mœurs

Dans un arrêt du 3 février 1999, la Cour de cassation a, semble-t-il, abandonné l’exigence de conformité aux bonnes mœurs du but poursuivi par l’auteur d’une libéralité ( 1ère civ. 3 févr. 1999).

Elle a, en effet, jugé que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire».

Si l’adultère n’est pas contraire aux bonnes mœurs que reste-t-il de la notion ?

D’où la déduction de la doctrine que la Cour de cassation avait abandonné l’exigence passée, sans doute en raison de l’évolution…des mœurs.

Cass. 1ère civ. 3 févr. 1999
Sur le moyen unique :
Vu les articles 1131 et 1133 du Code civil ;

Attendu que n'est pas contraire aux bonnes moeurs la cause de la libéralité dont l'auteur entend maintenir la relation adultère qu'il entretient avec le bénéficiaire ;

Attendu que le 26 octobre 1989, Roger Y... est décédé en laissant à sa succession son épouse et M. Christian Y... qu'il avait adopté ; que par testament authentique du 17 mars 1989, il a, d'une part, révoqué toute donation entre époux et exhérédé son épouse, et, d'autre part, gratifié Mme X... d'une somme de 500 000 francs ; que M. Christian Y... a soutenu que la cause de cette disposition était contraire aux bonnes moeurs ;

Attendu que pour prononcer la nullité de la libéralité consentie à Mme X..., la cour d'appel a retenu que la disposition testamentaire n'avait été prise que pour poursuivre et maintenir une liaison encore très récente ;

En quoi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Diversement accueillie par les auteurs, cette solution a été confirmée par la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, dans un arrêt du 29 octobre 2014.

Aux termes de cette décision, la haute juridiction a réaffirmé, au moyen d’une motivation quelque peu différente, que « n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère »

  • Faits
    • Dans le cadre d’une relation adultère qu’un époux entretien avec une concubine, il institue cette dernière légataire universelle par acte authentique du 4 octobre 1990
  • Demande
    • À la mort du testateur, ses héritiers engagent une action en nullité du legs
  • Procédure
    • En suite de la première décision rendue par la Cour d’appel de Paris en date du 5 janvier 1996, la légataire universelle forme un pourvoi en cassation aux fins de délivrance du legs, les juges du fond n’ayant pas fait droit à sa demande
    • Aussi, leur décision est cassée le 25 janvier 2000 par la première chambre civile de la Cour de cassation
    • La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 9 janvier 2002 dans le même sens que les premiers juges d’appel par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l’arrêt de cassation.
    • Les juges du fond estiment, en effet, que le legs dont était bénéficiaire la requérante était nul dans la mesure où il « n’avait vocation qu’à rémunérer les faveurs» de cette dernière, de sorte qu’il était « contraire aux bonnes mœurs »
    • Un pourvoi est alors à nouveau formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris, à la suite de quoi l’assemblée plénière
  • Solution
    • Par un arrêt du 29 octobre 2004, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
    • La haute juridiction considère, dans une décision qui fera date, que « n’est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l’occasion d’une relation adultère »
    • Ainsi pour l’assemblée plénière, quand bien même le legs avait été consenti à la concubine d’un époux dans le cadre d’une relation adultère, la libéralité en l’espèce ne portait pas atteinte aux bonnes mœurs.
  • Depuis les arrêts du 3 février 1999 et du 29 octobre 2004, la validité des libéralités consenties entre concubins n’est donc plus appréciée en considération de la conformité aux bonnes mœurs du but poursuivi.

Cass. ass. plén., 29 oct. 2004
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 900, 1131 et 1133 du Code civil ;

Attendu que n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs la libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (Première Chambre civile, 25 janvier 2000, pourvoi n° D 97-19.458), que Jean X... est décédé le 15 janvier 1991 après avoir institué Mme Y... légataire universelle par testament authentique du 4 octobre 1990 ; que Mme Y... ayant introduit une action en délivrance du legs, la veuve du testateur et sa fille, Mme Micheline X..., ont sollicité reconventionnellement l'annulation de ce legs ;
Attendu que, pour prononcer la nullité du legs universel, l'arrêt retient que celui-ci, qui n'avait "vocation" qu'à rémunérer les faveurs de Mme Y..., est ainsi contraire aux bonnes moeurs ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

B) Les rapports avec les tiers

  1. Principe : l’absence de solidarité

Dans leurs rapports avec les tiers, il est de jurisprudence constante que les actes accomplis par un concubin n’engagent pas l’autre.

Autrement dit, il n’existe aucune solidarité entre concubins à la différence des époux dont les rapports avec les tiers sont régis par l’article 220 du Code civil.

2. La justification du principe

L’absence de solidarité entre les concubins se justifie pour deux raisons.

==> L’inapplication du principe de solidarité des dettes ménagères aux concubins

Aux termes de l’article 220 du Code civil toute dette contractée par un époux oblige l’autre solidairement dès lors que la dépense a pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.

Cela signifie concrètement que lorsqu’un époux contracte avec un tiers, ce dernier peut réclamer le paiement du tout à son conjoint en application du principe de solidarité des dettes ménagères.

La question qui s’est alors posée a été de savoir si cette règle était applicable aux concubins.

Le créancier qui a contracté avec l’un peut-il se retourner contre l’autre en cas de non-paiement de sa créance ?

La jurisprudence a répondu, à plusieurs reprises, par la négative à cette question.

Dans un arrêt du 2 mai 2001, la Cour de cassation a estimé en ce sens que l’article 220 du Code civil « qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en matière de concubinage» ( 1ère civ. 2 mai 2001).

Cass. 1ère civ. 2 mai 2001
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 220 du Code civil ;

Attendu que ce texte, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, n'est pas applicable en matière de concubinage ;

Attendu que M. Y..., qui vivait en concubinage avec Mlle X..., a souscrit un contrat d'abonnement auprès d'EDF-GDF ; qu'il a laissé des factures impayées et a quitté sa concubine ; qu'après son départ, celle-ci a souscrit un nouvel abonnement à son nom, a régulièrement payé ses factures mais a refusé de régler l'arriéré qui avait été facturé à son ancien concubin ;

Attendu que, pour condamner Mlle X... à payer à EDF-GDF la somme de 7 532,83 francs, montant de l'arriéré, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 1995, l'arrêt attaqué affirme que, si l'union libre confère des droits de plus en plus nombreux qui rapprochent cette situation du statut du mariage, il convient alors de faire application aux concubins des mêmes obligations que celles des époux quant aux dépenses d'entretien au nombre desquelles figurent les factures de fourniture d'électricité, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à la seule identité du titulaire du contrat d'abonnement et que le concubin qui vit habituellement sous le même toit engage sa compagne ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte précité ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

La première chambre civile a réaffirmé sa position dans un arrêt du 27 avril 2004 aux termes duquel elle a considéré, au visa des articles 220 et 1202 du Code civil, « qu’aux termes du second de ces textes, la solidarité ne se présume point ; qu’il faut qu’elle soit expressément stipulée ; que cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi ; que le premier, qui institue une solidarité de plein droit des époux en matière de dettes contractées pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, n’est pas applicable en cas de concubinage» ( 1ère civ. 27 avr. 2004).

La conséquence en est que la solidarité ne saurait jouer en cas de souscription par le seul concubin d’un prêt, quand bien même sa concubine serait à l’origine des demandes financières.

Il en va de même pour le concubin qui n’était pas signataire du contrat de bail conclu par sa concubine ( 1ère civ., 28 juin 2005).

Cass. 1ère civ., 28 juin 2005
Sur le moyen unique :

Attendu que MM. X... et Y... ont cohabité d'avril 1991 à avril 1994, date de leur séparation ; que, durant cette période, M. X... a supporté seul le paiement du loyer et des charges ; qu'il a assigné M. Y... en paiement de sa quote-part ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 novembre 2001) de l'avoir débouté de sa demande tendant au remboursement des charges de la vie commune engagés par lui au titre d'un contrat moral, alors, selon le moyen, que la personne qui envisage de vivre en concubinage dans un proche avenir peut s'engager par avance auprès de son partenaire à participer aux charges de la vie commune, la preuve de cet accord étant susceptible, eu égard à la nature des relations existant entre les parties, d'être rapportée par tous moyens ; qu'il s'ensuit que la preuve de cet engagement peut notamment résulter de tout écrit émanant de la personne à qui on l'oppose et qu'il importe peu à cet égard que les documents constatant l'existence d'un contrat moral aient été formalisés avant ou après le début de la vie commune, qu'en retenant au contraire, après avoir constaté que MM. X... et Y... avaient vécu ensemble pendant près de trois ans dans le cadre de relations homosexuelles stables et continues ayant pu donner naissance à certaines obligations, que l'engagement de ce dernier à assumer une quote-part des dépenses afférentes à leur vie commune ne pouvait pas être déduit de courriers antérieurs au début de leur vie commune, la cour d'appel a violé les articles 1341 et suivants du Code civil ;

Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé qu'il appartenait à M. X... de rapporter la preuve de l'obligation dont il se prévalait, la cour d'appel, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a estimé que les correspondances produites aux débats, imprécises sur l'organisation matérielle de la vie commune, au demeurant antérieures à la cohabitation, n'établissaient pas l'engagement de M. Y... à assurer une quote-part des dépenses et à s'acquitter des charges d'un bail dont il n'était pas signataire ; que le moyen ne saurait être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> L’absence de présomption de solidarité en droit commun

Aux termes de l’article 1310 du Code civil (anciennement 1202) « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas».

Il en résulte que la solidarité entre concubins ne peut jamais être présumée

Cela signifie-t-il qu’elle doit nécessairement être stipulée pour opérer.

Aussi, pour être fondé à se prévaloir de la solidarité entre concubins, il appartiendra au tiers de démontrer qu’elle procède

  • Soit d’une règle légale
  • Soit d’une stipulation contractuelle

Lorsque, de la sorte, un couple de concubins contracte un prêt, le banquier exigera systématiquement qu’ils s’engagent solidairement.

Il en va de même lorsque les concubins souscriront un contrat de bail.

Si le tiers ne prend pas la précaution de prévoir une clause de solidarité dans le contrat, il s’expose à n’avoir pour débiteur qu’un seul concubin sur les deux.

Cette règle a notamment été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 2012.

Cass. 1ère civ. 7 nov. 2012
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Vu l'article 1202 du code civil ;

Attendu que, prétendant qu'elle avait consenti un crédit à M. X... et à Mme Y... que ceux-ci, qui vivaient en commun, s'étaient solidairement obligés à rembourser, la société Laser Cofinoga les a assignés en remboursement ;

Attendu que, pour accueillir cette demande, le tribunal, après avoir constaté que la signature de M. X..., qui contestait avoir souscrit le crédit litigieux, ne figurait pas sur l'acte le constatant, retient que si l'article 220 du code civil n'a pas vocation à recevoir application, M. X... est néanmoins solidairement tenu à remboursement dès lors qu'il avait connaissance du contrat établi à partir d'agissements constitutifs de faux imputables à Mme Y... et de l'utilisation du crédit pour financer des achats pendant la vie commune ;

Qu'en se fondant sur de tels motifs impropres à caractériser un engagement solidaire de M. X..., le tribunal a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en sa disposition portant condamnation à l'encontre de M. X..., le jugement rendu le 16 décembre 2010, entre les parties, par le tribunal d'instance de Châtellerault ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d'instance de Poitiers ;

3. Tempérament : la théorie de l’apparence

La jurisprudence admet que dès lors que les concubins ont donné l’apparence d’un couple marié, les tiers sont fondés à se prévaloir de l’article 220 du Code civil, alors même que les concubins sont exclus de son champ d’application (Pour une application de la théorie de l’apparence V. notamment CA Paris, 30 juin 1981 ; CA Pau, 14 mai 2001)

L’invocation de la théorie de l’apparence est cependant subordonnée à la réunion de plusieurs conditions :

  • Une situation contraire à la réalité
  • Une croyance légitime du tiers
  • Une erreur excusable du tiers
  • Une imputabilité de l’apparence au titulaire véritable

Chapitre 4: La rupture du concubinage

L’appréhension juridique de la rupture du concubinage suppose d’envisager, d’une part, les modalités de la rupture et, d’autre part, les conséquences de la rupture.

Section 1: Les modalités de la rupture

§1: Le principe : la liberté de rompre

Tout autant que la formation du concubinage n’est subordonnée à l’accomplissement d’aucune formalité, ni à l’observation d’aucune règle, sa rupture est totalement libre.

Le concubinage se distingue ainsi du mariage qui, pour être dissous, suppose que les époux remplissent les conditions – strictes – édictées par la loi.

En dehors des cas de divorce prévus par l’article 229 du Code civil, les époux sont, en effet, privés de la possibilité de mettre un terme à leur union matrimoniale.

Il en va de même, dans une moindre mesure, pour les partenaires qui doivent satisfaire aux exigences posées par l’article 515-7 du Code civil pour dissoudre le pacs.

Le concubinage présente, dès lors, cet immense avantage de pouvoir être rompu librement.

Dans un arrêt du 28 octobre 1996, la Cour d’appel a jugé en ce sens que « l’union libre crée une situation essentiellement précaire et durable, susceptible de se modifier par la seule volonté de l’une ou l’autre des parties » (CA Rennes, 28 oct. 1996)

Philippe Malaurie résume parfaitement l’état du droit lorsqu’il écrit que « en dehors du mariage, chacun est libre de cesser d’aimer celle qu’il a aimée, et de l’abandonner. La règle de l’amour libre est la liberté, ce que, plus juridiquement énonce la règle connue : par lui-même, le concubinage ne fait naître aucune obligation. L’homme n’a point de responsabilité ni d’obligation civiles envers la délaissée »[1].

La conséquence en est que la rupture, en soi, du concubinage ne saurait donner lieu à l’octroi de dommages et intérêts.

Dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la rupture du concubinage ne peut ouvrir droit à indemnité que si elle revêt un caractère fautif » (Cass. 1ère civ. 30 juin 1992).

§2: Tempérament : la rupture fautive

Si, en soi, la rupture du concubinage est libre, les circonstances qui l’entourent sont susceptibles de fonder une action en responsabilité.

Pour que son action prospère, le concubin devra néanmoins rapporter la preuve d’une faute détachable de la rupture.

Dans un arrêt du 3 janvier 2006 la Cour de cassation a affirmé à cet égard que « si la rupture du concubinage ne peut en principe donner lieu à l’allocation de dommages intérêts, il en est autrement lorsqu’il existe des circonstances de nature à établir une faute de son auteur » (Cass. 1ère  civ. 3 janv. 2006).

Cass. 1ère civ. 3 janv. 2006
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu que Mme X... et M. Y... se sont mariés le 13 octobre 1943 ; que quelques mois après leur divorce, intervenu au Maroc en 1955, ils ont repris la vie commune ; que M. Y... a quitté le domicile le 9 août 1983 ;

Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 25 novembre 2003) de l'avoir déclaré responsable de la rupture et de l'avoir condamné à verser à Mme X... la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors que, selon le moyen :

1 / en retenant que M. Y... aurait quitté Mme X... brusquement, alors que l'entourage ne s'y attendait nullement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'attitude de Mme X... vis-à-vis de M. Y..., dans leurs relations personnelles et intimes, avait pu rendre intolérable le maintien de leur vie commune et provoquer une rupture, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

2 / en retenant que M. Y... aurait quitté Mme X... brusquement, en profitant de l'absence de celle-ci, sur la foi d'attestations établies par les filles de l'exposant en faveur de leur mère, sans préciser davantage le contenu de ces attestations, et sans permettre ainsi de s'assurer que leurs auteurs auraient personnellement assisté au départ de M. Y... et auraient pu en relater objectivement les conditions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile ;

3 / subsidiairement, la rupture d'un concubinage ne constituant pas, en elle-même, une faute, le préjudice qui résulte du seul fait de cette rupture n'est pas indemnisable ; que seul un préjudice en rapport direct avec des circonstances particulières, autres que le fait de la rupture, susceptibles de caractériser une faute, peut ouvrir droit à réparation ; qu'en évaluant le préjudice de Mme X... par rapport à la durée de vie commune des parties et de leurs situations respectives après la rupture, quand un tel préjudice serait de toute façon résulté d'une rupture de concubinage même non fautive, et n'était donc pas directement lié aux fautes prétendument commises, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que si la rupture du concubinage ne peut en principe donner lieu à l'allocation de dommages intérêts, il en est autrement lorsqu'il existe des circonstances de nature à établir une faute de son auteur ; que la cour d'appel relève, d'une part que M. Y..., en dépit du jugement de divorce dont il s'est ensuite prévalu pour échapper à ses obligations, a continué à se comporter en mari tant à l'égard de son épouse que des tiers, d'autre part que son départ intervenu sans concertation, après quarante ans de vie commune, a été brutal ; que de ces constatations, la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre les parties dans le détail de leur argumentation et n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des attestations produites, a pu déduire que M. Y... avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile et souverainement fixer le montant des dommages-intérêts alloués à Mme X... ; d'où il suit que le moyen n'est fondé dans aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi, la jurisprudence est-elle venue au secours du concubin brutalement délaissé en lui permettant de réclamer l’octroi de dommages et intérêts au titre de la responsabilité délictuelle.

Conformément à l’article 1240 du Code civil pour que la responsabilité civile de l’auteur d’un dommage puisse être recherchée, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • L’existence d’un dommage
  • La caractérisation d’une faute
  • L’établissement d’un lien de causalité entre le dommage et la faute

Schéma 1.JPG

En conséquence, il appartiendra au concubin délaissé d’établir que la rupture dont il est victime était fautive, à défaut de quoi aucune réparation ne peut lui être accordée, fût-ce après de très nombreuses années de vie commune.

L’engagement de la responsabilité civile de l’auteur de la rupture exige donc qu’une faute détachable de la rupture soit prouvée.

Cette faute résidera, le plus souvent, dans les circonstances particulières qui ont entouré la rupture.

Les juridictions ont admis que la rupture pouvait être qualifiée de fautive dans un certain nombre de situations :

  • La concubine a été délaissée pendant sa grossesse
  • La rupture est intervenue brutalement après de nombreuses années de vie commune
  • La rupture procède de propos injurieux de la part du concubin
  • La rupture est consécutive à l’agression sexuelle de la fille du couple par le concubin
  • Le concubin a abandonné sa compagne et leur enfant, sans leur laisser de subsides

Il ressort de la jurisprudence que, en la matière, tout est affaire d’appréciation souveraine par les juges du fond des circonstances de fait alléguées par les concubins.

Il faudra par ailleurs que celui qui se dit victime d’une rupture fautive du concubinage établisse l’existence d’un préjudice. La Cour de cassation admet que ce préjudice peut être, tant matériel, que moral (V. en ce sens CA Rouen, 29 janv. 2003, n° 00/03964).

La charge de la preuve pèse sur le demandeur, soit sur celui qui engage l’action en responsabilité.

§3: Cas particulier du décès d’un concubin

La question s’est posée en jurisprudence de savoir si en cas de décès accidentel de l’un des concubins, l’autre était fondé à engager la responsabilité de l’auteur du dommage ?

Plus précisément, on s’est demandé si le préjudice du concubin survivant répondait à l’exigence de légitimité à laquelle est subordonnée la réparation du dommage.

  • L’exigence de l’établissement d’un lien de droit
    • Après avoir estimé en 1863 qu’il n’était pas nécessaire que la victime immédiate et la victime médiate soit unies par un lien de droit pour que le préjudice par ricochet soit réparable, la chambre criminelle a radicalement changé de position dans un arrêt du 13 février 1937 ( crim. 13 févr. 1937). La chambre civile s’est ralliée à cette solution dans un arrêt du 27 juillet 1937 (Cass. civ. 27 juill. 1937)
    • Dans cette dernière décision, la Cour de cassation a jugé que « le demandeur d’une indemnité délictuelle ou quasi délictuelle doit justifier, non d’un dommage quelconque, mais de la lésion certaine d’un intérêt légitime juridiquement protégé ».
    • L’adoption de cette position par la Cour de cassation a conduit les juges du fond à débouter systématiquement les concubins de leur demande de réparation, dans la mesure où ils ne justifiaient d’aucun d’un lien droit (filiation, mariage) avec la victime immédiate du dommage.
  • L’abandon de l’exigence du lien de droit : l’arrêt Dangereux
    • La position adoptée par la Cour de cassation en 1937 a finalement été abandonnée dans un célèbre arrêt Dangereux rendu en date du 27 février 1970 par la chambre mixte ( ch. mixte, 27 févr. 1970).
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation censure la Cour d’appel qui avait débouté une demanderesse de son action en réparation du préjudice subi suite au décès de son concubin.
    • La haute juridiction rompt avec la jurisprudence antérieure en jugeant que, « en subordonnant ainsi l’application de l’article 1382 à une condition qu’il ne contient pas, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
    • Dorénavant, il n’est donc plus nécessaire pour la victime par ricochet de justifier d’un lien de droit avec la victime immédiate afin d’obtenir réparation de son préjudice.
  • La restriction posée par l’arrêt Dangereux
    • La Cour de cassation a, certes, dans l’arrêt Dangereux abandonné l’exigence du lien droit entre la victime immédiate et la victime médiate.
    • Elle a néanmoins subordonné la réparation du préjudice par ricochet subi par la concubine à deux conditions :
      • Le concubinage doit être stable
      • Le concubinage ne doit pas être délictueux
    • Ainsi, au regard de l’arrêt Dangereux, si la concubine avait entretenu une relation adultère avec la victime immédiate, le caractère délictueux de cette relation aurait fait obstacle à la réparation de son préjudice
  • L’assouplissement de la jurisprudence Dangereux
    • La Cour de cassation a très vite infléchi sa position en jugeant que l’existence d’une relation adultère entre la victime immédiate et la victime médiate ne faisait pas obstacle à la réparation du préjudice par ricochet ( crim. 20 avr. 1972).

Cass. ch. mixte, 27 févr. 1970
Sur le moyen unique :

Vu l'article 1382 du code civil;

Attendu que ce texte, ordonnant que l'auteur de tout fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu de la réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation; attendu que l'arrêt attaque, statuant sur la demande de la dame x... en réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de son concubin paillette, tue dans un accident de la circulation dont dangereux avait été juge responsable, a infirme le jugement de première instance qui avait fait droit à cette demande en retenant que ce concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux, et a débouté ladite dame x... de son action au seul motif que le concubinage ne crée pas de droit entre les concubins ni à leur profit vis-à-vis des tiers; Qu'en subordonnant ainsi l'application de l'article 1382 a une condition qu'il ne contient pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de paris, le 16 octobre 1967; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Reims, a ce désignée par délibération spéciale prise en la chambre du conseil.

Section 2: Les conséquences de la rupture

En théorie, la cessation du concubinage ne devrait emportait aucune conséquence juridique.

Spécialement, comme rappelé régulièrement par la jurisprudence, le statut juridique dont jouissent les époux n’est pas applicable aux concubins.

La conséquence en est que ces derniers ne sauraient se prévaloir des règles qui gouvernent la liquidation du régime matrimonial.

En pratique, toutefois, la rupture du concubinage soulève de nombreuses difficultés, d’ordre juridique, face auxquelles les juridictions ne peuvent pas restées indifférentes.

Par hypothèse, l’existence d’une vie commune va conduire les concubins à acquérir des biens, tantôt séparément, tantôt en commun.

Au moment de cessation du concubinage, il conviendra donc de démêler leurs intérêts et leurs biens qui, parce que s’est instituée entre eux une communauté de vie, se sont entrelacés, voire parfois confondus.

Aussi, la question se posera de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires. En l’absence de régime matrimonial, cette liquidation ne pourra s’opérer que selon les règles du droit commun.

Concrètement, la liquidation du concubinage suppose de surmonter deux sortes de difficultés :

  • Première difficulté: la preuve de la propriété des biens
  • Seconde difficulté: la réalisation du partage des biens

Sous-section 1: La preuve de la propriété des biens

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, lors de la cessation du concubinage, la preuve de la propriété d’un bien ne soulèvera de difficulté qu’en cas de dispute, par les concubins, de la qualité de propriétaire.

Dans cette perspective, il est parfaitement envisageable que les concubins se répartissent les biens sans tenir compte des règles qui gouvernent la propriété et notamment faire fi de la question de savoir qui a financé l’acquisition de tel ou tel bien.

C’est donc seulement en cas de désaccord sur la propriété d’un bien que la preuve de la qualité de propriétaire devra être rapportée.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le bien revendiqué est assorti d’un titre de propriété
    • Deux situations doivent alors être distinguées
      • Le bien a été financé par le titulaire du titre de propriété
        • Le titre de propriété est un acte qui constate un droit de propriété
        • Il permet à celui désigné dans l’acte de justifier de sa qualité de propriétaire
        • Le titre de propriété est dressé en cas de vente immobilière, de cession de fonds de commerce et plus généralement en cas d’acquisition d’un droit de propriété ou de créance qui fait l’objet de formalités de publicité
        • Aussi la propriété du bien reviendra à celui qui est désigné dans l’acte
        • Dans l’hypothèse où les deux concubins sont désignés dans l’acte, le bien sera soumis au régime de l’indivision
      • Le bien n’a pas été financé ou seulement partiellement par le titulaire du titre de propriété
        • Principe
          • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le titre prime sur la finance
          • Dans un arrêt du 19 mars 2004, la Cour de cassation a estimé que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée» ( 1ère civ. 19 mars 2004).
          • Ainsi, peu importe que le bien ait été entièrement financé par le concubin qui en revendiqué la propriété.
          • La qualité de propriétaire est, en toute circonstance, endossée par le titulaire du titre de propriété.
        • Exception
          • Dans un arrêt du 2 avril 2014, la Cour de cassation a estimé que, en cas d’intention libérale, le concubin titulaire du titre de propriété n’est pas fondé à se prévaloir de la qualité de propriétaire
          • Toute la difficulté sera alors de prouver l’intention libérale qui, selon la première chambre civile, peut se déduire « des circonstances de la cause».
  • Le bien revendiqué n’est assorti d’aucun titre de propriété
    • En l’absence de titre, rien n’est perdu pour le concubin revendiquant qui pourra toujours rapporter la preuve de la propriété du bien.
    • Toutefois, il ne pourra, ni compter sur la présomption de possession s’il souhaite établir la propriété exclusive d’un bien, ni ne pourra se prévaloir d’une présomption d’indivision s’il souhaite prouver la propriété indivise du bien.
      • L’inopérance de la présomption de possession
        • Aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre»
        • Cela signifie que celui qui exerce la possession sur un bien est réputé en être le propriétaire.
        • Cette présomption est, de toute évidence, très pratique pour établir la propriété d’un bien lorsque l’on est muni d’aucun titre ce qui sera presque toujours le cas pour les biens meubles
        • La mise en œuvre de cette présomption est toutefois subordonnée à l’établissement d’une possession non équivoque sur le bien.
        • En cas de concubinage, il sera, par hypothèse, extrêmement difficile de satisfaire cette condition, dans la mesure où l’existence d’une communauté de vie entre les concubins confère précisément à la possession du bien revendiqué un caractère équivoque.
        • D’où la position de la Cour de cassation qui, systématique, refuse de faire jouer la présomption de l’article 2276 à la faveur du concubin revendiquant.
        • Aussi, lui appartiendra-t-il de rapporter la preuve de la propriété du bien par tous moyens.
        • Pour établir sa qualité de propriétaire, il pourra, notamment, se rapporter aux circonstances qui ont entouré l’acquisition du bien
        • Le plus souvent, le juge déterminera la titularité de la propriété du bien disputé en recourant à la méthode du faisceau d’indices.
        • Il tiendra notamment compte de l’auteur du financement du bien ou encore de l’existence d’une intention libérale
        • Il pourra encore se référer au nom du signataire de l’acte d’acquisition du bien
      • L’absence de présomption d’indivision
        • Principe
          • Il est de jurisprudence constante qu’il n’existe pas de présomption d’indivision entre concubins.
          • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a considéré, par exemple, s’agissant de la propriété de fonds déposés sur un compte bancaire que « le titulaire d’un compte bancaire est présumé seul propriétaire des fonds déposés sur ce compte et qu’il appartient à son adversaire d’établir l’origine indivise des fonds employés pour financer l’acquisition de l’immeuble indivis» ( 1ère civ. 25 juin 2014).
          • Dans le même sens la Cour d’appel d’Amiens a jugé dans un arrêt du 8 janvier 2009 qu’il s’infère de l’article 515-8 du Code civil qu’il « n’existe ni indivision, ni présomption d’indivision entre deux personnes vivant en concubinage» (CA Amiens, 8 janv. 2009, n° 08/03128).
          • Il en résulte qu’il appartient à celui qui revendique la propriété indivise d’un bien de le prouver.
          • La Cour d’appel de Riom a de la sorte considérer « qu’en l’absence de présomption d’indivision entre concubins, le concubin qui est en possession d’un meuble corporel est présumé en être propriétaire et il est admis une preuve par tous moyens concernant la propriété des biens litigieux. » (CA Riom 16 mai 2017, n° 15/01253)
        • Exception
          • L’absence de présomption d’indivision entre concubins est assortie d’une exception.
          • Dans l’hypothèse où aucun des concubins ne parvient à établir qu’il est le propriétaire exclusif du bien revendiqué, celui-ci sera réputé indivis pour moitié (V. en cens CA Lyon, ch. 6, 17 octobre 2013, n°12/04463).
          • La présomption d’indivision n’intervient ainsi, qu’à titre subsidiaire.

Sous-section 2: La réalisation du partage des biens

L’identification du propriétaire d’un bien lors de la cessation du concubinage n’est pas la seule difficulté que les concubins doivent surmonter.

La question se posera également de savoir comment procéder à la réalisation du partage des biens.

Autrement dit, selon quelles règles la répartition des biens des concubins doit-elle s’opérer ?

La lecture du Code civil révèle qu’un seul bien a retenu l’attention du législateur : la bague de fiançailles dont le sort est réglé à l’article 1088.

§1: Le principe

En l’absence de règles de répartition des biens, le principe est que les biens acquis, reçus ou crées par un seul des concubins au cours de la vie commune demeurent sa propriété exclusive.

Il en résulte deux conséquences :

  • Chaque concubin est réputé propriétaire des biens qu’il a acquis, à charge pour lui d’en rapporter la preuve
  • Chaque concubin profite des gains et supporte les pertes de ses activités, sans que l’autre ne puisse se prévaloir d’un quelconque droit, ni être obligé de quelque manière que ce soit

§2: Les correctifs

Bien qu’aucune règle ne régisse la répartition des biens lors de la cessation du concubinage, la jurisprudence autorise, parfois, non sans un brin de bienveillance, les concubins à piocher dans le droit commun, ce, dans le dessein de rétablir un équilibre injustement rompu.

Au nombre des correctifs admis classiquement par les juridictions figurent notamment :

  • La société créée de fait
  • L’enrichissement injustifié (sans cause)

Toutefois, pace que ces correctifs ne sauraient pallier totalement l’absence – voulu – de statut juridique applicable aux concubins, la jurisprudence demeure extrêmement vigilante quant au respect des conditions d’application des règles invoquées.

Depuis quelques années, d’aucuns s’accordent même à dire que l’on assiste à un resserrement des exigences posées par la Cour de cassation à l’endroit des concubins.

Cela témoigne d’un mouvement jurisprudentiel général qui tend à vouloir stopper toute velléité des concubins qui chercheraient à détourner la finalité des règles dont ils sollicitent l’application aux fins de se doter d’un statut para matrimonial.

I) La société créée de fait

Parfois, l’un des concubins a pu participer à l’activité professionnelle de l’autre sans avoir perçu de rémunération.

Dans cette hypothèse, afin d’obtenir la rétribution qui lui est due en contrepartie du travail fournie, le concubin lésé est susceptible de se prévaloir de la théorie de la société créée de fait, l’intérêt résidant dans le partage des bénéfices en cas de liquidation de la société.

La technique de la société présente, en effet, cet avantage d’attribuer à chaque associé sa part de profit optionnellement à l’apport en numéraire, en nature ou en industrie qu’il a pu effectuer.

L’existence d’une société créée de fait suppose toutefois d’établir la réunion de trois éléments que sont :

  • La constitution d’un apport de chaque associé
  • L’existence d’une participation aux bénéfices et aux pertes
  • Un affectio societatis (la volonté de s’associer)

Dans un arrêt du 3 novembre 2004, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « l’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter » (Cass. com. 3 nov. 2004).

Il ressort de cette décision, que non seulement, les trois éléments constitutifs de toute société doivent être réunis pour que les concubins puissent se prévaloir de l’existence d’une société créée de fait, mais encore ces éléments doivent être établis de façon distincte, sans qu’ils puissent se déduire les uns des autres.

Cass. com. 3 nov. 2004
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 14 décembre 2001), que M. Septime X... et Mme Y... ont vécu ensemble de 1975 à 1993 ; qu'ils ont exploité sur un terrain dont Mme Y... était propriétaire diverses activités commerciales dont celle de bar restaurant ; qu'en 1991, Mme Y... a fait construire sur ce terrain une maison d'habitation ; que le 4 mars 1998, M. X... a assigné Mme Y... en déclaration de propriété pour moitié de l'immeuble, montant de sa part dans la société de fait qui aurait existé entre eux ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt d'avoir constaté l'existence d'une société de fait et ordonné sa liquidation et son partage, alors, selon le moyen :

1 / que la volonté de s'associer est, outre la participation aux bénéfices et la contribution aux pertes un des éléments essentiels du contrat de société ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le bien litigieux avait été acquis au seul nom de Mme Y..., laquelle avait remboursé l'emprunt sur son livret du Crédit Artisanal au moyen des fonds versés en espèces sur ce livret ; que ces constatations excluaient par elles-mêmes la volonté des concubins de s'associer sur un pied d'égalité ;

qu'en déduisant pourtant l'existence d'une société de fait, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1382 du Code civil ;

2 / que la société de fait entre concubins suppose notamment la volonté, chez chacun d'entre eux de contribuer aux pertes, laquelle ne se confond pas avec la participation aux dépenses du ménage ; qu'en se bornant à relever le fait que M. X... se soit porté caution de l'emprunt et les retraits en espèces de Mme Y... sur le compte bancaire de M. X..., circonstances impropres à caractériser l'existence d'une société de fait pour la réalisation d'un projet immobilier commun, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

3 / que l'existence d'une société de fait suppose nécessairement l'existence d'apports réciproques, la volonté commune de participer aux bénéfices et aux pertes ainsi que la volonté de s'associer ;

que la cour d'appel qui avait relevé que toutes les factures produites étaient au nom de Mme Y..., ne pouvait déduire l'existence de société de fait entre concubins de la seule considération de la poursuite d'une relation de confiance entre M. X... et Mme Y... au-delà de la date de rupture de leur relation ; qu'en statuant de la sorte, sans relever la volonté commune des concubins de s'associer, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que l'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres ; qu'ayant constaté que M. X... était locataire du terrain avant son acquisition par Mme Y..., que lors de l'achat, M. X... avait fait des démarches auprès de la SAFER et des organismes préteurs, qu'il avaient vendu des boeufs pour financer l'acquisition, qu'il s'était porté caution de l'emprunt réalisé par Mme Y..., que sa propre soeur avait participé à l'achat, que les concubins avaient exploité sur ce terrain diverses activités commerciales dont celle de bar restaurant et que Mme Y... disposait d'une procuration sur le compte bancaire de M. X... qu'elle faisait fonctionner, la cour d'appel en déduisant de l'ensemble de ces éléments qu'une société de fait avait existé entre les concubins a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

A) La constitution d’un apport

Conformément à l’article 1832 du Code civil, les associés ont l’obligation « d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie », soit de constituer des apports à la faveur de la société.

La mise en commun d’apports par les associés traduit leur volonté de s’associer et plus encore d’œuvrer au développement d’une entreprise commune.

Aussi, cela explique-t-il pourquoi la constitution d’un apport est exigée dans toutes les formes de sociétés, y compris les sociétés créées de fait (Cass. com. 8 janv. 1991) et les sociétés en participation (Cass. com. 7 juill. 1953).

L’article 1843-3 du Code civil distingue trois sortes d’apports :

  • L’apport en numéraire
    • Il consiste en la mise à disposition définitive par un associé d’une somme d’argent au profit de la société, soit lors de sa constitution, soit lors d’une augmentation de capital social
  • L’apport en nature
    • Il consiste en la mise à disposition par un associé d’un bien susceptible d’une évaluation pécuniaire autre qu’une somme d’argent
  • L’apport en industrie
    • L’apport en industrie consiste pour un associé à mettre à disposition de la société, sa force de travail, ses compétences, son expérience, son savoir-faire ou encore son influence et sa réputation

S’agissant d’une société créée de fait entre concubins, l’apport pourra consister en l’une de ces trois formes d’apport.

B) L’existence d’une participation aux bénéfices et aux pertes

Il ressort de l’article 1832 du Code civil que l’associé a vocation, soit à partager les bénéfices d’exploitation de la société ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter, soit à contribuer aux pertes :

  • Le partage des bénéfices et des économies
    • Deux objectifs sont été assignés par la loi à la société :
      • Le partage de bénéfices
      • Le partage de l’économie qui pourra en résulter
    • Dans un célèbre arrêt Caisse rurale de la commune de Manigod c/ Administration de l’enregistrement rendu en date du 11 mars 1914, la Cour de cassation définit les bénéfices comme « tout gain pécuniaire ou tout gain matériel qui ajouterait à la fortune des intéressés ».
    • Autrement dit, les concubins doivent avoir l’intention de partager les résultats de leur association.
    • Le seul partage des bénéfices ne suffira toutefois pas pour établir l’existence d’une société créée de fait, il faudra encore démontrer la volonté de contribuer aux pertes.
  • La contribution aux pertes
    • Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes»
    • Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.
    • Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.
    • L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

C) L’affectio societatis

L’affectio societatis n’est défini par aucun texte, ni même visée à l’article 1832 du Code civil. Aussi, c’est à la doctrine et à la jurisprudence qu’est revenue la tâche d’en déterminer les contours.

Dans un arrêt du 9 avril 1996, la Cour de cassation a défini l’affectio societatis comme la « volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune » (Cass. com. 9 avr. 1996).

Bien que le contenu de la notion diffère d’une forme de société à l’autre, deux éléments principaux ressortent de cette définition :

==> La volonté de collaborer

Cela implique que les associés doivent œuvrer, de concert, à la réalisation d’un intérêt commun : l’objet social

Ainsi le contrat de société constitue-t-il l’exact opposé du contrat synallagmatique.

Comme l’a relevé Paul Didier « le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger»[1]

==> Une collaboration sur un pied d’égalité

Cela signifie qu’aucun lien de subordination ne doit exister entre associés bien qu’ils soient susceptibles d’être détenteurs de participations inégales dans le capital de la société (Cass. com., 1er mars 1971).

==> Position de la jurisprudence

  • Première étape
    • Dans un premier temps, les juridictions se sont livrées à une appréciation plutôt souple des éléments constitutifs du contrat de société, afin de reconnaître l’existence entre concubins d’une société créée de fait
    • Les juges étaient animés par la volonté de préserver les droits de celui ou celle qui, soit s’était investi dans l’activité économique de l’autre, soit dans l’acquisition d’un immeuble construit sur le terrain de son concubin.
    • Pour ce faire, les tribunaux déduisaient l’existence d’un affectio societatis de considérations qui tenaient au concubinage en lui-même ( req., 14 mars 1927).
  • Seconde étape
    • Rapidement, la Cour de cassation est néanmoins revenue sur la bienveillance dont elle faisait preuve à l’égard des concubins :
    • Dans un arrêt du 25 juillet 1949, elle a, en effet, durci sa position en reprochant à une Cour d’appel de n’avoir pas « relevé de circonstances de fait d’où résulte l’intention qu’auraient eu les parties de mettre en commun tous les produits de leur activité et de participer aux bénéfices et aux pertes provenant du fonds social ainsi constitué, et alors que la seule cohabitation, même prolongée de personnes non mariées qui ont vécu en époux et se sont fait passer pour tels au regard du public, ne saurait donner naissance entre elles à une société» ( com., 25 juill. 1949)
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’affectio societatis ne saurait se déduire de la cohabitation prolongée des concubins.
    • Pour la haute juridiction cet élément constitutif du contrat de société doit être caractérisé séparément.
    • Dans des arrêts rendus le 12 mai 2004, la chambre commerciale a reformulé, encore plus nettement, cette exigence, en censurant une Cour d’appel pour n’avoir « relevé aucun élément de nature à démontrer une intention de s’associer distincte de la mise en commun d’intérêts inhérente à la vie maritale» ( 1re civ., 12 mai 2004).
    • Dans un autre arrêt du 23 juin 2004, la haute juridiction a plus généralement jugé que « l’existence d’une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun et l’intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu’aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres» ( com., 23 juin 2004).
      • Faits
        • Un couple de concubins se sépare.
        • Ces derniers se disputent alors l’occupation du domicile dans lequel ils ont vécu, domicile construit sur le terrain du concubin.
      • Demande
        • Le propriétaire du terrain demande l’expulsion de sa concubine.
        • La concubine demande la reconnaissance de l’existence d’une société créée de fait entre eux.
      • Procédure
        • La Cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 11 janvier 2000, déboute la concubine de sa demande.
        • Les juges du fond estiment que la preuve de l’existence d’un affectio societatis entre les concubins n’a nullement été rapportée et que, par conséquent, aucune société créée de fait ne saurait avoir existé entre eux.
      • Moyens des parties
        • La concubine fait valoir que quand bien même le prêt de la maison a été souscrit par son seul concubin, elle a néanmoins participé au remboursement de ce prêt de sorte que cela témoignait de la volonté de s’associer en vue de la réalisation d’un projet commun : la construction d’un immeuble.
        • Qui plus est, elle a réinvesti le don qui lui avait été fait par son concubin dans l’édification d’une piscine, de sorte que là encore cela témoigner de l’existence d’une volonté de s’associer.
      • Problème de droit
        • Une concubine qui contribue au remboursement du prêt souscrit par son concubin en vue de l’édification d’un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire peut-elle être qualifiée, avec ce dernier, d’associé de fait ?
      • Solution
        • Par un arrêt du 23 juin 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la concubine.
        • La Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait entre concubins soit reconnue cela suppose la réunion cumulative de trois éléments :
          • L’existence d’apports
          • L’intention de collaborer sur un même pied d’égalité à la réalisation d’un projet commun
          • L’intention de participer aux bénéfices et aux pertes
        • La Cour d’appel n’étant pas parvenue à établir souverainement l’existence d’un affectio societatis, alors il n’était pas besoin que les juges du fond se penchent sur l’existence d’une participation financière à la participation de la maison
      • Analyse
        • Ici, la décision de la Cour de cassation est somme toute logique
        • la Cour de cassation estime que pour que l’existence d’une société créée de fait soit reconnue, il faut la réunion de trois éléments cumulatifs.
        • Il faut que ces éléments soient établis séparément
        • Par conséquent, si le premier d’entre eux fait défaut (l’affectio societatis), il n’est pas besoin de s’interroger sur la caractérisation des autres !
        • Le défaut d’un seul suffit à faire obstacle à la qualification de société créée de fait.
        • La Cour de cassation précise que ces éléments ne sauraient se déduire les uns des autres.
        • Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il est établi une participation aux bénéfices et aux pertes que l’on peut en déduire l’existence de l’affectio societatis.
        • Ici, la Cour de cassation nous dit que les trois éléments doivent être établis séparément.

Cass. com., 23 juin 2004
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1832 du Code civil ;

Attendu que l'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société, nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter ; que ces éléments cumulatifs doivent être établis séparément et ne peuvent se déduire les uns des autres ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après la fin du concubinage ayant existé entre elle et M. X..., Mme Y... a demandé le partage de l'immeuble édifié au cours de la vie commune sur un terrain appartenant à son concubin ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt, après avoir relevé que Mme Y... établissait sa participation financière aux travaux de construction, retient que celle-ci ayant ainsi mis en commun avec M. X... ses ressources en vue de la construction de l'immeuble qui assurait leur logement et celui de l'enfant commun, il est suffisamment établi qu'elle est à l'origine de la construction au même titre que son concubin, circonstance caractérisant l'affectio societatis, élément constitutif avec les apports de la société créée de fait ayant existé entre les parties ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'intention de s'associer ne peut se déduire de la participation financière à la réalisation d'un projet immobilier et sans rechercher si les parties avaient eu l'intention de participer aux résultats d'une entreprise commune, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre ;

II) L’enrichissement injustifié ou sans cause

==> L’émergence du principe d’enrichissement sans cause

Avant l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, aucun texte ne sanctionnait l’enrichissement d’une personne au détriment d’autrui.

Si, l’accroissement d’un patrimoine implique nécessairement l’appauvrissement corrélatif d’un autre, ce mouvement de valeur peut parfaitement se justifier s’il repose sur une cause légitime.

Il peut, par exemple, procéder d’une vente ou d’une donation, ce qui, en pareille hypothèse, n’a rien d’injuste ou d’illégitime.

Il est toutefois des situations qu’un déplacement de valeur s’opère sans fondement juridique, sans cause légitime.

Afin de rétablir l’équilibre injustement rompu entre ces deux patrimoines, la question s’est très vite posée en jurisprudence de savoir s’il fallait octroyer à l’appauvri une créance contre l’enrichi.

Lors de sa rédaction initiale, le code civil ne comportait aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui.

  • L’article 555 du Code civil prévoit, par exemple, une indemnisation en cas de construction sur le terrain d’autrui
  • Les articles 1433 à 1438 prévoient, encore, que lors de la liquidation du régime matrimonial, la communauté doit récompense à l’époux qui s’est appauvri à son profit et inversement.
  • Les articles 1372 à 1375 instituaient quant à eux des quasi-contrats que sont la gestion d’affaires et la répétition de l’indu dont la finalité est de rétablir un équilibre qui a été injustement rompu.

Le champ d’application de ces textes est, toutefois cantonné à des situations bien spécifiques, de sorte que la théorie de l’enrichissement sans cause peut difficilement être rattachée à l’un d’eux.

Aussi, est-il rapidement apparu à la jurisprudence qu’il convenait d’ériger l’enrichissement sans cause comme une source autonome d’obligation.

==> La reconnaissance jurisprudentielle de l’enrichissement sans cause

La théorie de l’enrichissement sans cause a, pour la première fois, été reconnue par la jurisprudence dans un arrêt Boudier rendu par la Cour de cassation le 15 juin 1892 (Cass. req. 15 juin 1892, GAJC, t. 2, 12e éd., no 239)

Aux termes de cette décision, la haute juridiction a jugé que, la théorie de l’enrichissement sans cause, qualifiée également d’action de in rem verso, « dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée »

Elle en déduit « qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit »

La théorie de l’enrichissement sans cause est ainsi instituée en principe général.

Cass. req. 15 juin 1892
Vu la connexité, joint les causes et statuant par un seul et même arrêt sur les deux pourvois :

Sur le premier moyen du premier pourvoi tiré de la violation de l’article 1165 du Code civil, de l’article 2102 du même code et de la fausse application des principes de l’action de in rem verso; Sur la première et la deuxième branches tirées de la violation des articles 1165 et 2102 du Code civil :

Attendu que s’il est de principe que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes et ne nuisent point aux tiers, il est certain que ce principe n’a pas été méconnu par le jugement attaqué; qu’en effet, cette décision n’a point admis, comme le prétend le pourvoi, que le demandeur pouvait être obligé envers les défendeurs éventuels à raison d’une fourniture d’engrais chimiques faite par ces derniers à un tiers, mais seulement à raison du profit personnel et direct que ce même demandeur aurait retiré de l’emploi de ces engrais sur ses propres terres dans des circonstances déterminées; d’où il suit que, dans cette première branche, le moyen manque par le fait qui lui sert de base;

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la seconde branche prise de la violation de l’article 2102 du Code civil;

Qu’en effet, la décision attaquée a eu soin de spécifier que la créance du vendeur d’engrais ne constituait qu’une simple créance chirographaire ne lui conférant aucun privilège sur le prix de la récolte, et que, dès lors, l’article susvisé n’a pas été violé; Sur la troisième branche, relative à la fausse application des principes de l’action de in rem verso :

Attendu que cette action dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée; qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit; que dès lors, en admettant les défendeurs éventuels à prouver par témoins que les engrais par eux fournis à la date indiquée par le jugement avaient bien été employés sur le domaine du demandeur pour servir aux ensemencements dont ce dernier a profité, le jugement attaqué (T. civ. de Châteauroux, 2 déc. 1890) n’a fait des principes de la matière qu’une exacte application; Sur le deuxième moyen pris de la violation des articles 1341 et 1348 du Code civil :

Attendu que le jugement attaqué déclare en fait qu’il n’a pas été possible aux défendeurs éventuels de se procurer une preuve écrite de l’engagement contracté à leur profit par le demandeur, devant les experts et à l’occasion du compte de sortie réglé par ces derniers entre le fermier et le propriétaire; qu’en admettant la preuve testimoniale dans ce cas excepté nommément par l’article 1348 du Code civil, ledit jugement a fait une juste application dudit article et, par suite, n’a pu violer l’article 1341 du même code; Sur le deuxième moyen pris de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil et des règles de l’action de in rem verso :

Attendu qu’il en est de même en ce qui concerne la première branche de ce deuxième moyen tirée de la violation et fausse application de l’article 548 du Code civil;

Attendu, en effet, que le jugement attaqué déclare formellement que le droit des défendeurs éventuels n’est pas fondé sur cet article, lequel n’est mentionné qu’à titre d’exemple et comme constituant une des applications du principe consacré virtuellement par le code que nul ne peut s’enrichir au détriment d’autrui; Sur la deuxième branche tirée de la fausse application des règles de l’action de in rem verso :

Attendu que la solution, précédemment donnée sur la troisième branche du premier moyen dans le premier pourvoi, rend inutile l’examen de celle-ci, qui n’en est que l’exacte reproduction; Sur le troisième moyen pris de la violation de l’article 1165 du Code civil et de la règle res inter alios acta aliis neque nocere, neque prodesse potest :

Attendu que, par une série de constatations et d’appréciations souveraines résultant des enquêtes et des documents de la cause, le jugement arrive à déclarer que le demandeur a pris l’engagement implicite mais formel de payer la dette contractée envers les défendeurs éventuels; qu’une semblable déclaration, qui ne saurait d’ailleurs être révisée par la cour, n’implique aucune violation de l’article ni de la règle susvisée; […]

Par ces motifs, rejette…

La solution adoptée dans l’arrêt Boudier a été réitéré dans une décision du 12 mai 1914.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé « que l’action de in rem verso fondée sur le principe d’équité qui défend de s’enrichir aux dépens d’autrui doit être admise dans tous les cas où le patrimoine d’une personne se trouvant sans cause légitime enrichi au détriment de celui d’une autre personne, cette dernière ne jouirait, pour obtenir ce qui lui est dû, d’aucune autre action naissant d’un contrat, d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit » (Cass. civ. 12 mai 1914, S. 1918-1919. 1. 41, note Naquet.).

Postérieurement à cette décision, la haute juridiction visera régulièrement l’article 1371 du Code civil « et le principe de l’enrichissement sans cause », d’où il pourra se déduire sa volonté de rattacher l’action de in rem verso à la catégorie des quasi-contrats (Cass. 3e civ. 18 mai 1982 ; Cass. 1ère civ. 17 sept. 2003 ; Cass. 1ère civ. 11 mars 2014 ; Cass. 1ère civ. 31 janv. 2018)

==> La consécration légale de l’enrichissement sans cause

Relevant que le code civil actuel ne comporte aucun article consacré à l’enrichissement injustifié, bien qu’il connaisse des applications de ce principe, selon lequel nul ne peut s’enrichir injustement au détriment d’autrui, le législateur en a tiré la conséquence qu’il convenait de lui donner une véritable assise légale.

C’est ce qu’il a fait en introduisant dans le Code civil une partie dédiée à « l’enrichissement injustifiée ».

Désormais envisagé comme un quasi-contrat, l’enrichissement sans cause, « rebaptisé « enrichissement injustifié », est régi aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil.

Après avoir rappelé le caractère subsidiaire de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause par rapport aux autres quasi-contrats, l’article 1303 du Code civil en décrit l’objet : compenser un transfert de valeurs injustifié entre deux patrimoines, au moyen d’une indemnité que doit verser l’enrichi à l’appauvri.

Il consacre donc la jurisprudence bien établie aux termes de laquelle l’action ne tend à procurer à la personne appauvrie qu’une indemnité égale à la moins élevée des deux sommes représentatives, l’une de l’enrichissement, l’autre de l’appauvrissement.

Ainsi, l’appauvri ne peut-il s’enrichir, à son tour, au détriment d’autrui en obtenant plus que la somme dont il s’était appauvri, tout autant qu’il ne peut réclamer davantage que l’enrichissement car une telle action constituerait en réalité une action en responsabilité qui, par hypothèse, lui est fermée, conformément à l’article 1303-3 de l’ordonnance.

À l’examen, il apparaît que les conditions et les effets de l’enrichissement injustifiées sont, pour l’essentiel, directement inspirés de ce qui avait été établi par la jurisprudence.

A) Les conditions de l’enrichissement injustifié

La mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement sans cause est subordonnée à la satisfaction de conditions qui tiennent :

  • D’une part, à des considérations d’ordre économique
  • D’autre part, à des considérations d’ordre juridique

1) Les conditions économiques

Les conditions de mise en œuvre de l’action fondée sur l’enrichissement injustifiée sont au nombre de trois :

  • L’enrichissement du défendeur
  • L’appauvrissement du demandeur
  • La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

1.1 L’enrichissement du défendeur

Il ressort de la jurisprudence que l’enrichissement s’entend comme tout avantage appréciable en argent.

Classiquement, la jurisprudence admet que l’enrichissement puisse résulter :

  • Soit d’un accroissement de l’actif
    • Acquisition d’un bien nouveau
    • Plus-value d’un bien existant
  • Soit d’une diminution du passif
    • Paiement de la dette d’autrui
  • Soit d’une dépense épargnée
    • Usage de la chose d’autrui
    • Bénéfice du travail non rémunéré d’autrui

1.2 L’appauvrissement du demandeur

À l’inverse de l’enrichissement, l’appauvrissement s’entend comme toute perte évaluable en argent.

Cette perte peut consister :

  • Soit en une dépense exposée
    • Perte d’un élément du patrimoine
    • Paiement de la dette d’autrui
    • Moins-value d’un bien
  • Soit en un manque à gagner
    • Réalisation d’un travail non rémunéré pour autrui

1.3 La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement

L’action fondée sur l’enrichissement injustifié ne peut prospérer qu’à la condition qu’il soit démontré l’existence d’une corrélation entre l’enrichissement du défendeur et l’appauvrissement du demandeur.

Ce lien de connexité qui doit être établi entre les deux mouvements de valeurs peut prendre deux formes :

  • La corrélation peut être directe
    • Cette hypothèse se rencontre lorsqu’il n’y a pas de patrimoine interposé entre celui de l’appauvri et celui de l’enrichi.
    • Elle correspond aux situations telles que :
      • Le paiement de la dette d’autrui
      • Le travail non rémunéré accompli pour autrui
      • L’acquisition d’un bien pour autrui
    • Dans ces situations, il y a bien une personne qui s’est enrichie tandis que, corrélativement, une autre s’est directement appauvrie.
  • La corrélation peut être indirecte
    • Cette hypothèse se rencontre lorsque la valeur sortie du patrimoine du demandeur est entrée dans celui du défendeur par l’entremise du patrimoine d’une personne interposée
    • Tel est le cas lorsque par exemple :
      • Une personne aidante s’occupe, à titre bénévole, d’une personne âgée, ce qui évite aux membres de sa famille d’exposer des dépenses aux fins de pourvoir à sa prise en charge
      • Un marchand a vendu des engrais à un fermier qui les a utilisés sur des terres louées ; terres dont le propriétaire – en raison de la résiliation du bail – a recueilli la récolte. Dans cette hypothèse, le propriétaire foncier s’est enrichi aux dépens du marchand d’une valeur qui a transité dans le patrimoine du fermier

2) Les conditions juridiques

Deux conditions juridiques doivent être satisfaites pour que l’action fondée sur l’enrichissement injustifié puisse être mise en œuvre :

  • L’enrichissement du défendeur doit être injustifié
  • L’action de in rem verso ne peut être engagée qu’à titre subsidiaire

2.1 L’exigence d’un enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-1 du Code civil « l’enrichissement est injustifié lorsqu’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale. »

L’article 1303-2 précise que d’une part, « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel » et, d’autre part, que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri. »

Il ressort de ces deux dispositions, que le caractère injustifié de l’enrichissement doit s’entendre comme l’absence de cause, bien que cette terminologie n’ait pas été reprise par le législateur.

Comme exprimé par d’éminents auteurs « le mot cause désigne l’acte juridique et, de façon plus générale, le mode régulier d’acquisition d’un droit en conséquence duquel un avantage a pu être procuré à une personne »[1]

En d’autres termes, si l’enrichissement est la conséquence d’une disposition légale, réglementaire, conventionnelle et plus généralement de tout acte juridique accompli par l’enrichi, l’action de in rem versée ne saurait être engagée car pourvue d’une cause, soit d’une justification.

L’absence de cause doit concerner, tant l’enrichissement, que l’appauvrissement.

a) L’absence de cause de l’enrichissement

L’absence de cause de l’enrichissement est caractérisée dans deux cas:

i) L’enrichissement ne résulte pas de l’exécution d’une obligation par l’appauvri

Cette obligation peut être légale, conventionnelle ou judiciaire

Dès lors que l’enrichissement du défendeur est la conséquence de l’exécution de pareille obligation, il devient justifié.

  • Tel est le cas, par exemple, du débiteur qui, sans contester l’existence de sa dette envers le créancier, refuse de le payer en faisant valoir qu’il est libéré par le jeu de la prescription extinctive
  • Tel est encore le cas lorsque l’enrichissement d’un contractant procède de l’exécution d’une stipulation contractuelle

Dans un arrêt du 10 mai 1984, la Cour de cassation a considéré que, de manière générale, « n’est pas sans cause l’enrichissement qui a son origine dans l’un des modes légaux d’acquisition des droits» ( 1ère civ. 10 mai 1984)

La question s’est toutefois posée à la haute juridiction si l’existence d’une obligation morale incombant à l’appauvri conférait un caractère justifié à l’enrichissement.

Par un arrêt du 12 juillet 1994, elle a répondu par la négative à cette question en estimant que l’obligation morale ne s’apparentait pas à une obligation juridique ( 1ère civ. 12 juill. 1994)

ii) L’enrichissement ne résulte pas de l’intention libérale de l’appauvri

Dès lors que l’enrichissement procède d’une intention libérale, soit de l’accomplissement d’une libéralité par l’appauvri à la faveur de l’enrichi, le mouvement valeur est justifié.

Toute la difficulté sera alors pour l’enrichi de prouver l’existence d’une intention libérale du demandeur à l’action.

C’est ainsi que la Cour de cassation se montre de plus en plus exigeante à l’égard des concubins estimant qu’il leur appartient de démontrer que lorsqu’un aide financière, professionnelle ou matérielle a été apporté à l’un, elle ne réside pas dans l’intention libérale de l’autre.

==> Participation financière à l’acquisition d’un bien

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé en ce sens que le concubin qui avait participé au remboursement contracté par sa concubine en vue d’acquérir son pavillon ainsi que des échéances du prêt destiné à financer les travaux sur cet immeuble n’était pas fondé à se prévaloir d’un enrichissement injustifié, dès lors que son concours financier trouvait sa contrepartie dans l’hébergement gratuit dont il avait bénéficié chez sa compagne.

La Cour de cassation en déduit que ces circonstances faisaient ressortir que le concubin avait agi dans une intention libérale et qu’il ne démontrait pas que ses paiements étaient dépourvus de cause ( 1ère civ. 20 janv. 2010).

La Cour de cassation a statué également dans ce sens dans un arrêt du 2 avril 2014.

Dans cette affaire, il s’agissait d’un couple de concubins qui avaient acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d’un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par le seul concubin jusqu’à sa séparation avec sa concubine

Cette dernière assigne alors son concubin en liquidation et partage de l’indivision.

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond qui avait accédé à la requête de la concubine, jugeant qu’il résultait « des circonstances de la cause l’intention de l’emprunteur de gratifier sa concubine » ( 1ère civ. 2 avr. 2014).

Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014
Sur le moyen unique du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... et Mme Y... ont acquis en indivision un immeuble dont partie du prix a été payée au moyen d'un prêt souscrit solidairement, mais dont les échéances ont été supportées par M. X... seul jusqu'à la séparation des concubins le 31 août 2005 ; que Mme Y... a assigné M. X... en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision et pour voir ordonner la licitation et dire qu'il est redevable d'une indemnité d'occupation ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire qu'il avait gratifié Mme Y... d'une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu'au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d'appel a retenu que l'acquisition indivise faite par moitié, alors que Mme Y... était, aux termes de l'acte de vente, sans profession, et que le couple avait eu ensemble deux enfants à l'époque de l'acquisition, établit l'intention libérale de M. X... en faveur de celle-ci, indépendamment de toute notion de rémunération ; qu'une telle donation emportait nécessairement renonciation de M. X... à se prétendre créancier de l'indivision au titre des remboursements du prêt effectués par lui seul, jusqu'à la séparation du couple, comme le réclame Mme Y... ; qu'elle a en conséquence fait droit à la demande tendant à voir juger que M. X... l'a gratifiée d'une donation en ayant réglé seul les échéances du prêt jusqu'au 1er septembre 2005 ;

Attendu que la cour d'appel a souverainement constaté dans les circonstances de la cause l'intention de l'emprunteur de gratifier sa concubine ; que par ailleurs, en privant le concubin de son droit de créance au titre de la part payée pour sa compagne, la cour d'appel n'a nullement porté atteinte au droit de propriété ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

En cas de contribution financière substantielle d’un concubin quant à l’acquisition d’un bien immobilier, tout n’est pas perdu pour lui s’il souhaite faire échec à l’action de in rem verso afin de conserver le bénéfice de son investissement.

Il ressort de la jurisprudence que, pour que l’absence d’intention libérale puisse être caractérisée, il est nécessaire de démontrer que les dépenses engagées sont sans lien avec celles engendrées par la vie en couple.

Dans un arrêt du 24 septembre 2008, la Cour de cassation a considéré dans le même que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par un concubin dans l’immeuble appartenant à sa concubine excédaient, par leur ampleur, sa participation normale aux dépenses de la vie courante et ne pouvaient pas être considérés comme une contrepartie des avantages dont sa compagne avait profité pendant la période du concubinage.

Aussi, la première chambre civile en conclue-t-elle que le concubin n’avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ( 1ère civ. 24 sept. 2008)

Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu que M. X... a vécu en concubinage avec Mme Y... de 1989 à 1999 ; qu'ils ont eu ensemble deux enfants nés en 1992 et 1997 ; qu'après leur rupture, M. X... a assigné Mme Y... en remboursement des sommes exposées pour financer les travaux de rénovation d'une maison appartenant à celle-ci ;

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 28 octobre 2005) de l'avoir condamnée à payer une somme de 45 000 euros à M. X..., alors, selon le moyen :

1°/ que pour allouer à M. X..., sur le fondement de l'enrichissement sans cause, une somme de 45 000 euros, correspondant à la valeur de matériaux utilisés pour la réalisation de travaux dans la maison appartenant à Mme Y..., la cour d'appel a énoncé que ces travaux ne peuvent, par leur importance et leur qualité, être considérés comme des travaux ordinaires et que, par leur envergure, ils ne peuvent constituer une contrepartie équitable des avantages dont M. X... a profité pendant la période de concubinage ; qu'en statuant ainsi, tout en relevant que, pendant la période de concubinage, la maison dont la rénovation a été entreprise aux frais de M. X... constituait le logement du ménage, où vivaient les deux concubins et leurs deux enfants, ainsi que la domiciliation de la société dont M. X... assurait la gestion de fait, et en indiquant en outre que ces dépenses répondaient notamment au souci de ce dernier d'améliorer son propre cadre de vie pendant la poursuite de la vie commune, ce dont il résultait que l'appauvrissement lié à l'exécution et au financement des travaux litigieux n'était pas dépourvu de contrepartie, peu important à cet égard qu'elle fût ou non équivalente à la dépense engagée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé, par fausse application, l'article 1371 du code civil ;

2°/ que l'aveu extrajudiciaire exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques. Ainsi, en l'espèce, en se bornant à énoncer qu'un projet de courrier émanant de Mme Y... s'analysait en un aveu extrajudiciaire en ce qu'elle y déclarait reconnaître devoir à M. X... un pourcentage équivalent à la moitié du prix de la maison lors de son acquisition et proposer que la maison lui appartienne par moitié, quand Mme Y... faisait valoir dans ses conclusions devant la cour d'appel (p. 9) que M. X... avait tenté de lui faire écrire cela "à son départ et sous des larmes de déception" et que "cet écrit n'est ni daté, ni enregistré et n'a aucune valeur probante", la cour d'appel, en n'ayant aucun égard pour ces conclusions, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1354 du code civil ;

3°/ qu'en toute hypothèse, le projet de lettre de Mme Y... se borne, d'une part, à admettre l'existence de travaux d'amélioration de sa maison, financés par M. X..., et, d'autre part, à envisager au profit de ce dernier soit un don, soit un rachat de l'emprunt contracté pour l'achat de la maison ; qu'ainsi, par un tel écrit, Mme Y... n'a en aucune manière reconnue que ces travaux exécutés et financés par M. X... auraient été pour lui source d'un appauvrissement dépourvu de cause, aucune référence n'étant faite dans cet écrit au profit retiré par M. X... du fait de l'amélioration de son cadre de vie, de la domiciliation dans la maison de la société dans laquelle il exerçait son activité professionnelle et de l'hébergement dont il bénéficiait dans cette maison pour lui-même et les enfants du couple. Dès lors, en estimant que cet écrit constituait de la part de Mme Y... un aveu extrajudiciaire de ce que les travaux réalisés et financés par M. X... avaient entraîné pour elle un enrichissement et pour lui un appauvrissement qui étaient dépourvus de cause légitime, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cet écrit, en violation de l'article 1134 du code civil ;

4°/ que l'aveu extrajudiciaire n'est admissible que s'il porte sur des points de fait et non sur des points de droit. En l'espèce, en considérant que le projet de lettre de Mme Y... s'analysait en un aveu extrajudiciaire de ce qu'il y aurait eu un enrichissement pour elle et un appauvrissement corrélatif de son concubin dépourvus de cause légitime, c'est-à-dire de ce que les conditions de l'action de in rem verso étaient réunies, la cour d'appel, qui a considéré qu'il y avait un aveu sur ce qui constituait un point de droit, a violé l'article 1354 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir justement retenu qu'aucune disposition légale ne règle la contribution des concubins aux charges de la vie commune de sorte que chacun d'eux doit, en l'absence de volonté exprimée à cet égard, supporter les dépenses de la vie courante qu'il a engagées, l'arrêt estime, par une appréciation souveraine, que les travaux litigieux réalisés et les frais exceptionnels engagés par M. X... dans l'immeuble appartenant à Mme Y... excédaient, par leur ampleur, sa participation normale à ces dépenses et ne pouvaient être considérés comme une contrepartie des avantages dont M. X... avait profité pendant la période du concubinage, de sorte qu'il n'avait pas, sur ce point, agi dans une intention libérale ; que la cour d'appel a pu en déduire que l'enrichissement de Mme Y... et l'appauvrissement corrélatif de M. X... étaient dépourvus de cause et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Collaboration non rémunérée à l’activité professionnelle

Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Cour de cassation a estimé que la concubine qui avait apporté son assistance sur le plan administratif à la bonne marche de l’entreprise artisanale de maçonnerie qu’elle avait constituée avec son concubin, sans que cette assistance n’excède la simple entraide, n’était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause ( 1ère civ. 20 janv. 2010).

Il ressort de cette décision que pour que l’action de in rem verso engagée par un concubin puisse aboutir, il doit être en mesure de démontrer que l’aide apportée ne procède pas de la simple entraide inhérente à toute forme de vie conjugale.

Lorsque, toutefois, la participation de la concubine à l’exploitation de l’activité professionnelle de son concubin sera conséquente, soit lorsque, de par son ampleur, elle dépasse la contribution aux charges du ménage, la Cour de cassation retiendra l’enrichissement injustifié.

Tel a été le cas, par exemple, dans un arrêt du 15 octobre 1996, aux termes duquel la Cour de cassation a jugé que la collaboration d’une concubine à l’exploitation du fonds de commerce de son concubin sans que celle-ci ne perçoive de rétribution impliquait, par elle-même un appauvrissement et corrélativement un enrichissement injustifié ( 1ère civ., 15 oct. 1996)

Pour la Cour de cassation, la contribution de la concubine à l’activité professionnelle de son concubin se distinguait d’une simple participation aux dépenses communes des concubins.

Cass. 1ère civ. 20 janv. 2010
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 22 janvier 2008) de l'avoir déboutée de sa demande tendant à la reconnaissance d'une société créée de fait constituée avec son concubin, Salvatore Y..., alors, selon le moyen :

1°/ qu'en retenant, pour débouter Mme X... de sa demande tendant à la reconnaissance d'une société créée de fait, qu'elle ne démontrait pas que sa participation dans l'entreprise excédait la seule entraide familiale quand, d'après ses propres constatations, elle avait pourtant exercé une activité dans l'entreprise et s'était inscrite au registre des métiers comme chef d'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 1832 du code civil ;

2°/ que la cour d'appel, pour écarter l'existence d'une société créée de fait s'agissant de l'entreprise de maçonnerie, a considéré que Mme X... ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale, ni avoir investi des fonds personnels dans l'entreprise ; qu'en statuant à l'aune de ces seules constatations matérielles qui n'excluaient pourtant en rien l'existence d'un apport en industrie, fût-il limité, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1832 du code civil ;

3°/ qu'en retenant, pour écarter l'existence d'une société créée de fait s'agissant de l'entreprise de maçonnerie, que Mme X... ne démontrait pas avoir exercé une activité excédant une simple entraide familiale ni avoir investi des fonds personnels dans l'entreprise, sans rechercher si de tels éléments excluaient l'intention de Mme Y... et de Mme X... de collaborer ensemble sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun ainsi que l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies en résultant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1832 du code civil ;

4°/ que Mme X... fait valoir dans ses conclusions, sans être contredite, qu'elle avait abandonné son activité salariée pour se consacrer à l'entreprise de maçonnerie et qu'elle administrait l'entreprise dans ses relations avec les administrations, les fournisseurs, les avocats et les clients, eu égard à l'illettrisme de son concubin ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que Mme X..., inscrite au registre des métiers en qualité de chef d'entreprise, avait par ailleurs exercé une activité de secrétaire de direction dans diverses sociétés, incompatible avec le plein exercice des responsabilités de chef d'entreprise quand il n'était pourtant pas contesté que Mme X... avait rapidement abandonné son activité salariée pour s'impliquer totalement dans l'entreprise, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que si elle était inscrite au registre des métiers comme chef de l'entreprise de maçonnerie, Mme X... avait exercé, dans le même temps, une activité de secrétaire de direction, d'abord auprès de la société Corege du 24 août 1978 au 15 août 1981 puis de la parfumerie Pagnon du 1er février 1985 au 31 mai 1989, difficilement compatible avec les responsabilités d'un chef d'entreprise qui apparaissaient avoir été assumées en réalité par M. Y... et que celui-ci avait acquis seul, le 26 juillet 1979, un bien immobilier alors que le couple vivait en concubinage depuis 1964, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui a procédé à la recherche invoquée et n'a pas méconnu l'objet du litige, a estimé que l'intention des concubins de collaborer sur un pied d'égalité à un projet commun n'était pas établie ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;

Sur le second moyen :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande fondée sur l'enrichissement sans cause, alors, selon le moyen, qu'en relevant cependant, pour considérer que l'enrichissement sans cause de M. Y... au détriment du patrimoine de Mme X... n'était pas démontré, que rien n'établissait que les emprunts de faibles montants avaient été utilisés, non pour les besoins de la famille, mais dans le seul intérêt de son concubin et qu'elle avait été hébergée dans l'immeuble acquis par celui-ci, autant de circonstances insusceptibles d'exclure un appauvrissement sans cause de Mme X..., né de la seule implication dans l'entreprise sans rétribution, la cour d'appel a violé l'article 1371 du code civil ensemble les principes régissant l'enrichissement sans cause ;


Mais attendu qu'ayant souverainement estimé que l'assistance apportée sur le plan administratif par Mme X... à la bonne marche de l'entreprise artisanale de maçonnerie qu'elle avait constituée avec son concubin n'excédait pas une simple entraide, la cour d'appel a pu en déduire que celle-ci n'était pas fondée à réclamer une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause et a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

b) L’absence de cause de l’appauvrissement

Pour que l’enrichissement puisse être considéré comme injustifié, il est nécessaire de démontrer, corrélativement, que l’appauvrissement l’est aussi, soit qu’il est « sans cause».

Pour y parvenir, cela suppose de s’attacher au comportement de l’appauvri, lequel ne doit avoir, ni agi dans son intérêt personnel, ni commis de faute.

i) L’absence d’intérêt personnel de l’appauvri

==> Principe

L’article 1303-2, al. 1 du Code civil prévoit que « il n’y a pas lieu à indemnisation si l’appauvrissement procède d’un acte accompli par l’appauvri en vue d’un profit personnel.»

Cela signifie, que l’appauvri ne peut invoquer l’action de in rem verso, alors même que son appauvrissement n’est la conséquence d’aucun contrat ou d’aucune disposition légale, s’il a agi en vue de se procurer en avantage personnel.

  • Tel est le cas de celui qui a construit ou entretenu une digue qui profite à d’autres riverains ( req. 30 avr. 1828)
  • Tel est encore le cas du propriétaire d’un moulin qui par des travaux destinés à lui fournir un supplément d’eau, en procure également au moulin qui se situe en aval ( req. 22 juin 1927)
  • Il en va également ainsi de celui qui, demandant le raccordement de son domicile au réseau électrique, en fait profiter son voisin (1ère civ. 19 oct. 1976).

==> Conditions

Bien que l’article 1303-2 du Code civil ne le mentionne pas, pour que l’appauvri qui a agi dans son intérêt personnel ne puisse pas se prévaloir de l’action de in rem perso, des conditions doivent être remplies.

Ces conditions résultent de la jurisprudence antérieure dont on a des raisons de penser qu’elle demeure applicable.

Dans un arrêt du 8 février 1972, la Cour de cassation a par exemple affirmé que « les conditions de l’enrichissement sans cause ne sont pas réunies lorsque les impenses ont été effectuées par le demandeur dans son intérêt, a ses risques et périls et en recueillant le profit» ( 3e civ. 8 févr. 1972).

Plus récemment, la troisième chambre civile a jugé dans un arrêt du 20 mai 2009 que l’action fondée sur l’enrichissement sans cause ne peut être accueillie dès lors que l’appauvri a « agi de sa propre initiative et à ses risques et périls» ( 3e civ. 20 mai 2009).

Il ressort de cette jurisprudence pour que l’application de l’action de in rem verso soit écartée, deux conditions cumulatives doivent être réunies :

  • L’appauvri doit avoir agi de sa propre initiative
  • L’appauvri doit avoir agi à ses risques et périls

Si donc, les prévisions de l’appauvri sont démenties et qu’il a subi une perte, le tiers qu’il a pu enrichir ne lui devra rien.

ii) La faute personnelle de l’appauvri

==> Le droit antérieur

La question s’est ici posée de savoir si, lorsque l’appauvrissement résulte d’une faute de l’appauvri, celui-ci ne serait dès lors pas pourvu d’une cause, sa propre faute, en conséquence de quoi l’action de in rem verso ne saurait être exercée.

Quid, par exemple, du garagiste qui entreprend de faire des travaux sur un véhicule qui n’avaient pas été commandés par ses clients ?

Dans un arrêt du 8 juin 1968, la Cour de cassation a estimé que, en pareille hypothèse, le garagiste ne saurait réclamer une quelconque indemnité à son client à raison de son enrichissement, dans la mesure où l’appauvrissement procède d’une faute ( com. 8 juin 1968)

L’examen de la jurisprudence révèle toutefois que la Cour de cassation n’était pas aussi arrêtée.

Dans un arrêt du 3 juin 1997, la Cour de cassation a, par exemple, considéré que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause» ( 1ère civ. 3 juin 1997).

Dans un arrêt du 27 novembre 2008, elle a statué dans le même sens en jugeant que « le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de son recours fondé sur l’enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui» ( 1ère civ. 27 nov. 2008).

Ainsi, ces arrêts invitaient-ils à opérer une distinction selon que la conduite de l’appauvri était constitutive d’une faute grave ou d’une simple négligence.

  • En cas de faute grave, l’action de in rem verso était écartée
  • En cas de faute de négligence, l’action de in rem verso pouvait toujours être exercée

Toutefois, dans une décision du 19 mars 2015 la Cour de cassation a estimé que « l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute de l’appauvri» ( 1ère civ. 19 mars 2015).

De par la généralité de la formule utilisée, d’aucuns en ont déduit que la haute juridiction avait abandonné la distinction entre la faute grave et la faute de simple négligence.

Aussi, le législateur est-il intervenu afin de clarifier la situation.

Cass. 1ère civ. 3 juin 1997
Attendu que M. Maze Y... a acquis le 2 juin 1984, au cours d'une vente aux enchères publiques dirigée par Mme X..., commissaire-priseur à Dax, un bureau plat, appartenant à M. Z..., qu'elle a présenté comme étant d'époque Louis XV ; qu'ayant été informé lors de l'exécution de travaux de restauration en 1990 que ce meuble était un faux, M. Maze Y... a assigné Mme X... en réparation de son préjudice ; que l'arrêt attaqué (Pau, 30 novembre 1994) a condamné Mme X..., assurée par la compagnie Préservatrice foncière, à lui payer la somme de 250 000 francs à titre de dommages-intérêts, et, sur la demande de Mme X..., condamné M. Z... à payer à cette dernière celle de 148 000 francs ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir condamné M. Z... à payer à Mme X... la somme de 148 000 francs représentant la différence entre le prix d'adjudication et la valeur résiduelle du meuble litigieux alors que le demandeur à une action fondée sur l'enrichissement sans cause qui a commis une faute à l'origine de son propre appauvrissement ne peut obtenir le bénéfice de cette action ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que Mme X... a engagé par imprudence sa responsabilité vis-à-vis de l'adjudicataire dont elle doit réparer le préjudice sans pouvoir être garantie par M. Z... qui n'a commis aucune faute à son égard, et qu'en déclarant néanmoins Mme X... bien fondée à exercer l'action, la cour d'appel a violé l'article 1371 du Code civil précité et les principes régissant l'enrichissement sans cause ;

Mais attendu que le fait d'avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas celui qui, en s'appauvrissant, a enrichi autrui de son recours fondé sur l'enrichissement sans cause ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Cass. 1ère civ. 19 mars 2015
Vu l'article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l'enrichissement sans cause;

Attendu que l'action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l'appauvrissement est dû à la faute de l'appauvri ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a émis au profit de M. Y..., sur son compte ouvert à la Caisse d'épargne et de prévoyance Rhône-Alpes (la banque), deux chèques qu'il a ensuite frappés d'opposition en prétendant qu'il les avait perdus ; qu'ayant honoré les deux chèques, et invoquant l'impossibilité d'obtenir remboursement par un débit du compte, faute de provision suffisante, la banque a assigné M. X... sur le fondement de l'enrichissement sans cause ;

Attendu que, pour accueillir les prétentions de la banque, l'arrêt retient que l'erreur qu'elle a commise ne lui interdit pas de solliciter un remboursement ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 juin 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

==> La réforme des obligations

L’article 1303-2, al. 2 du Code civil prévoit que « l’indemnisation peut être modérée par le juge si l’appauvrissement procède d’une faute de l’appauvri.»

Si, de prime abord, le texte semble avoir abandonné la distinction qui avait été introduite par la jurisprudence entre la faute grave et la faute de négligence, elle resurgit si l’on se tourne vers la sanction qui est attachée à la faute de l’appauvri.

En effet, le législateur a prévu que, en cas de faute, le juge peut « modérer» l’indemnité octroyée à l’appauvri.

Or de toute évidence ce pouvoir de modération conféré au juge sera exercé par lui considération de la gravité de la faute commise par l’appauvri.

Le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise, d’ailleurs, que la faute de l’appauvri peut être sanctionnée par une suppression pure et simple de l’indemnité due au titre de l’action de in rem verso.

C’est donc un retour à la solution jurisprudentielle adoptée antérieurement à l’arrêt du 19 mars 2015 qui a été opéré par le législateur.

2.2 La subsidiarité de l’action fondée sur l’enrichissement injustifié

Aux termes de l’article 1303-3 du Code civil « l’appauvri n’a pas d’action sur ce fondement lorsqu’une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel que la prescription. »

Cette disposition rappelle, conformément à la jurisprudence antérieure, le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso.

Ainsi cette action ne peut :

  • Ni servir à contourner les règles d’une action contractuelle, extracontractuelle ou légale dont l’appauvri dispose
    • Dès lors que l’appauvri dispose d’une action sur l’un de ces fondements juridiques, il n’est pas autorisé à exercer l’action de in rem verso
    • Il lui appartient d’engager des poursuites sur le fondement de la règle dont les conditions d’application sont remplies.
    • Il est indifférent que cette action puisse être engagée à l’encontre de l’enrichi ou d’un tiers (V. en ce sens com. 10 oct. 2000).
  • Ni suppléer une autre action qu’il ne pourrait plus intenter suite à un obstacle de droit
    • Lorsque l’appauvri dispose d’une autre action qui se heurte à un obstacle de droit, l’action de in rem verso ne peut pas être exercée.
    • La Cour de cassation avait estimé en ce sens dans un arrêt du 29 avril 1971, que l’action de in rem verso ne pouvait pas être admise « notamment, pour suppléer à une autre action que le demandeur ne peut plus intenter par suite d’une prescription, d’une déchéance ou forclusion ou par l’effet de l’autorité de la chose jugée, ou parce qu’il ne peut apporter les preuves qu’elle exige, ou par suite de tout autre obstacle de droit » ( 3e civ., 29 avr. 1971)
    • Dès lors que l’un de ces obstacles de droit est caractérisé, l’action de in rem verso est neutralisée.
    • Au nombre de ces obstacles de droit figurent notamment :
      • La prescription
      • La déchéance
      • La forclusion
      • L’autorité de chose jugée
    • Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a, par exemple, considéré qu’un salarié ne saurait exercer l’action de in rem verso, pour contourner l’extinction de l’action en paiement de sommes de nature salariale par l’effet de la prescription ( soc. 12 janv. 2011).
    • Dans un arrêt du 2 novembre 2005, la Cour de cassation a encore jugé que l’action de in rem verso ne saurait être exercée par une concubine du défunt dès lors qu’elle n’était pas en mesure d’apporter la preuve d’une obligation de remboursement contractée par celui-ci, ce qui était constitutif d’un obstacle de droit ( 1ère civ. 9 déc. 2010).

B) Les effets de l’enrichissement injustifié

Lorsque toutes les conditions de l’action de in rem verso sont réunies, l’enrichi doit indemniser le demandeur.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer le montant de l’indemnisation due à l’appauvri.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1303-4 du Code civil qui prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. En cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

 1. Sur le principe de l’indemnisation

  • Principe
    • Il est de jurisprudence constante que l’indemnité ne peut excéder, ni l’enrichissement du défendeur, ni l’appauvrissement du demandeur
    • Cette règle est exprimée à l’article 1303 du Code civil qui prévoit que l’appauvri perçoit « une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement. »
    • C’est donc un double plafond qui a été institué par la jurisprudence, puis par le législateur.
    • Ainsi, lorsque des travaux ont été effectués par une personne sur l’immeuble d’autrui, l’indemnité est calculée
      • Soit sur la base des dépenses exposées pour la réalisation des travaux
      • Soit sur la base de la plus-value qui découle des travaux
    • Cette règle se justifie par des considérations d’équité qui président à l’esprit de l’action de in rem verso.
      • Si l’enrichi, après avoir bénéficié d’un avantage injustifié, devait restituer plus que ce qu’il a obtenu, il subirait à son tour un préjudice
      • Si l’appauvri, à l’inverse, après avoir subi une perte injustifiée, percevait plus que ce qu’il a perdu, il profiterait à son tour d’un enrichissement injustifié
    • Le législateur a toujours assorti cette règle d’une exception en cas de mauvaise foi de l’enrichi.
  • Exception
    • L’article 1303-4 du Code civil prévoit que « en cas de mauvaise foi de l’enrichi, l’indemnité due est égale à la plus forte de ces deux valeurs. »
    • Ainsi, cette disposition apporte-t-elle une exception aux modalités de détermination de l’indemnité de l’appauvri en cas de mauvaise foi de l’enrichi.
    • À titre de sanction, l’indemnité sera égale à la plus forte des deux valeurs entre l’enrichissement et l’appauvrissement.

2. La date d’appréciation du mouvement de valeur

Fixer un double plafond pour circonscrire le montant de l’indemnité due à l’appauvri ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés

Il faut encore déterminer la date à laquelle il convient de se situer :

  • D’une part, pour vérifier l’existence de l’enrichissement et de l’appauvrissement
  • D’autre part, pour évaluer le montant des valeurs qui se sont déplacées d’un patrimoine à l’autre

À cet égard, l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement. »

Ce sont donc à des dates différentes qu’il convient de se placer pour apprécier l’enrichissement et l’appauvrissement.

  • S’agissant de l’appauvrissement
    • Il doit être apprécié au jour de la dépense, soit à la date où le demandeur a subi une perte.
  • S’agissant de l’enrichissement
    • Son appréciation est somme toute différente dans la mesure où il est constaté « tel qu’il subsiste au jour de la demande»
    • Cela signifie que l’enrichissement va être apprécié au jour de l’exercice de l’action de in rem verso et non à la date où le mouvement de valeur s’opère entre le patrimoine de l’enrichi et celui de l’appauvri
    • Il en résulte que, l’enrichissement peut, entre-temps :
      • Soit avoir augmenté,
      • Soit avoir diminué
      • Soit avoir disparu
    • Sur ce point, le législateur a repris les solutions jurisprudentielles existantes (V. en ce sens 1ère civ. 1re, 18 janv. 1960).

3. La date d’évaluation de l’enrichissement et de l’appauvrissement

==> Problématique

La question n’est pas ici de savoir à quelle date constater le mouvement de valeur, mais de déterminer le jour auquel doit être appréciée l’évaluation de la consistance de l’appauvrissement et de l’enrichissement ?

Voilà une question qui n’est pas sans enjeu dans les périodes de dépréciation monétaire.

Faut-il évaluer l’enrichissement et l’appauvrissement aux dates où l’on apprécie leur existence respective ou convient-il plutôt de réévaluer ces sommes au jour de la décision qui fixe l’indemnité ?

==> Jurisprudence

Dans un arrêt du 18 mai 1982, la Cour de cassation avait abondé dans le sens de la première option ( 3e civ. 18 mai 1982).

Pour la haute juridiction, l’appauvrissement devait ainsi être évalué au jour où la dépense a été exposée.

Il en résultait que l’un des plafonds de l’indemnité correspondait à la somme nominale qui avait été dépensée ou à la valeur de la prestation au jour où elle avait été fournie.

Quant à l’évaluation de l’enrichissement, elle était bloquée au jour de l’exercice de l’action de in rem verso.

L’autre plafond de l’indemnité due à l’appauvri était en conséquence égale à la somme dont le patrimoine du défendeur s’était accru au jour de la demande.

Cette situation était, de toute évidence, fortement injuste pour l’appauvri, car en cas de dépréciation monétaire, il va percevoir une indemnité sans rapport avec la valeur actuelle de la perte qu’il a subie.

Aussi, de l’avis général des auteurs, l’appauvrissement et l’enrichissement devaient, impérativement, être évalués à la même date, soit au jour du calcul de l’indemnité.

Cass. 3e civ. 18 mai 1982
Mais sur le premier moyen : vu l'article 1371 du code civil, ensemble les principes qui régissent l'enrichissement sans cause ;

Attendu que l'enrichi n'est tenu que dans la limite de son enrichissement et de l'appauvrissement du créancier ;

Attendu que pour condamner les consorts e... à payer à Mme d..., aux droits de son mari, une somme de 50 000 francs au titre des améliorations utiles apportées par celui-ci en 1951, au bâtiment, l'arrêt, qui constate que l'expert x... chiffre les travaux a 750 000 anciens francs a l'époque ou ils ont été faits, énonce que selon les conclusions du rapport ces travaux de consolidation et d'amélioration utiles sont d'un montant actualise de 50 000 francs et ont apporté au fonds une plus-value de même montant ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'appauvrissement du possesseur évince a pour mesure le montant nominal de la dépense qu'il a exposée, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;

Dans un arrêt du 26 octobre 1982, la Cour de cassation a pu faire montre de souplesse en admettant que l’appauvrissement puisse être évalué au jour de la demande en divorce de l’épouse

Toutefois, la première chambre civile précise que, si cette date est retenue, c’est uniquement en raison de « l’impossibilité morale [de l’épouse] d’agir antérieurement» ( 1ère civ. 26 oct. 1982).

Ainsi, cette décision n’a-t-elle pas suffi à éteindre les critiques.

La solution antérieure semble, en effet, être maintenue.

Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles que la Cour de cassation est susceptible d’admettre qu’il puisse être dérogé au principe d’évaluation de l’appauvrissement au jour de la réalisation de la dépense.

Cass. 1ère civ. 26 oct. 1982
Sur le moyen unique : attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Mme Marie-Rose c., qui avait été mariée, sous le régime de la séparation de biens, a m Georges p., chirurgien, a, après leur divorce, réclame a celui-ci une indemnité, au titre de l'enrichissement sans cause, pour les services d'infirmière anesthésiste qu'elle lui avait rendus, pendant dix années, sans être rémunérée ;

Attendu que m p. reproche à l'arrêt confirmatif attaque, qui a accueilli cette demande, d'avoir violé les règles gouvernant l'action de in rem verso, en vertu desquelles, selon le moyen, si l'enrichissement doit être évalué au jour de la demande d'indemnisation, l'appauvrissement doit, en revanche, l'être au jour de sa réalisation ;

Mais attendu que, comme l'ont retenu les juges du fond, c'est le travail fourni sans rémunération qui a été générateur, à la fois, de l'appauvrissement, par manque à gagner, de Mme c., et de l'enrichissement de m p., qui n'avait pas eu a rétribuer les services d'une infirmière anesthésiste ;

Que, pour évaluer l'appauvrissement de la demanderesse a l'indemnité de restitution et l'enrichissement du défendeur, la cour d'appel devait donc se placer, comme elle l'a fait, a la même date : celle de la demande en divorce, en raison de l'impossibilité morale pour la femme d'agir antérieurement contre son mari ;

Que le moyen n'est donc pas fonde ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 21 mai 1981 par la cour d'appel de Dijon

==> La réforme des obligations

Afin de mettre un terme au débat jurisprudentiel portant sur la date d’évaluation du mouvement de valeur, le législateur n’a eu d’autre choix que de trancher la question.

C’est ce qu’il a fait à l’occasion de la réforme des obligations.

Manifestement, la doctrine a été entendue puisque l’article 1303-4 du Code civil prévoit que « l’appauvrissement constaté au jour de la dépense, et l’enrichissement tel qu’il subsiste au jour de la demande, sont évalués au jour du jugement».

Cette solution, qui fait de l’indemnité de restitution une dette de valeur, prend de la sorte le contre-pied de la jurisprudence.

Par ailleurs, comme relevé dans le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, elle est conforme à la solution retenue par le code civil dans les cas d’enrichissement injustifiés qu’il régit spécialement aux articles 549, 555, 566, 570, 571, 572, 574 et 576.

III) Le sort des donations entre concubins

Lorsque les concubins se séparent, il est fréquent qu’ils revendiquent la restitution des cadeaux qu’ils se sont mutuellement offerts.

Tandis que certains présents sont consentis à l’occasion d’une demande en mariage, telle la fameuse bague de fiançailles, d’autres ont une valeur plus modique. D’autres encore ont un caractère familial très marqué, en raison de leur transmission de génération en génération ou de leur appartenance à un proche.

Aussi, la question se pose du sort de ces cadeaux que les concubins se sont offert l’un à l’autre.

Lors de la rupture de leur union, sont-ils fondés à réclamer leur restitution, compte tenu, soit des circonstances dans lesquelles ils été offerts, soit de leur valeur, soit encore de leur origine ?

Pour le déterminer, il convient, tout d’abord, de se demander, s’ils ont ou non été consentis dans le cadre de fiançailles, soit en accompagnement d’une promesse de mariage.

A) Les donations consenties en dehors des fiançailles

Si, depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 3 février 1999 (Cass. 1ère civ. 3 févr. 1999), les libéralités entre concubins sont pleinement valables sans considération du but poursuivi par le donateur, les dispositions du Code civil relatives aux libéralités entre époux leur sont inapplicables.

Il en résulte que les donations faites entre concubins – lesquelles ne peuvent porter que sur des biens présents – sont irrévocables, sauf à justifier, conformément à l’article 953 du Code civil :

  • Soit une cause d’ingratitude du donataire
  • Soit une cause de survenance d’enfants

Dans un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « le don manuel suppose une tradition réalisant une dépossession définitive et irrévocable du donateur », étant précisé que le possesseur du bien revendiqué est présumé avoir reçu le bien par voie de don manuel.

Il appartiendra donc au donateur de rapporter la preuve de l’absence d’intention libérale.

Cass. 1ère civ. 14 déc. 2004
Sur le moyen unique :

Vu les articles 894 et 931 du Code civil ;

Attendu que le don manuel suppose une tradition réalisant une dépossession définitive et irrévocable du donateur ;

Attendu que M. X... et Mlle Y... ont vécu en concubinage ; qu'en 1997, M. X... a viré de son compte bancaire personnel sur celui que venait d'ouvrir Mlle Y..., sur lequel il avait procuration, une certaine somme ; qu'en avril 1999, à l'époque de la rupture entre les concubins, Mlle Y... a annulé la procuration en question et conservé ladite somme ; qu'en septembre suivant, M. X... l'a fait assigner en remboursement de cette somme ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande, après avoir relevé que, si ce dernier bénéficiait d'une procuration sur le compte de Mlle Y..., ce mandat dont il était investi n'était pas suffisant pour établir son absence de dépossession de la somme qu'il avait fait virer sur le compte de cette dernière, dans la mesure où il n'était pas contesté qu'il n'avait jamais prélevé de somme sur le compte en question pendant toute la durée de la vie commune, "démontrant par là qu'il n'avait pas l'intention de se ménager le moyen de reprendre ce qu'il avait donné", l'arrêt attaqué retient que le virement, dont s'agit, s'analysait comme un don manuel ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le virement fait à un compte sur lequel le solvens avait procuration ne réalisait pas une dépossession irrévocable, la cour d'appel a violé les articles susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 février 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

B) Les donations consenties dans le cadre des fiançailles

Alors que, en 1804, le Code civil est totalement silencieux sur le statut des concubins, il comporte une disposition spéciale qui intéresse le sort des cadeaux offerts dans le cadre des fiançailles.

Pour mémoire, les fiançailles ne sont autres qu’une promesse de mariage. Aussi, était-ce là, pour le législateur, une différence fondamentale avec l’union libre insusceptible de conférer à la famille une quelconque légitimité, celle-ci ne pouvant être acquise qu’au moyen de la célébration du mariage.

Pour cette raison, les rédacteurs du Code civil ont entendu réserver un traitement de faveur aux fiancés lesquels, contrairement aux concubins, n’ont pas choisi de tourner le dos au mariage.

Ce traitement de faveur a, toutefois, été tempéré par la jurisprudence qui a assorti la règle édictée à l’article 1088 du Code civil d’un certain nombre d’exceptions.

==> Principe

Aux termes de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas. »

Il s’évince de cette disposition que, en cas de rupture des fiançailles les cadeaux réciproques qui ont été consentis dans ce cadre doivent être restitués.

Si, en soi, la règle ne soulève pas de difficultés, il n’en va pas de même de la qualification même de donation, la jurisprudence ayant introduit une distinction à opérer avec les présents d’usage qui ne sont pas soumis au régime juridique des donations

==> Tempérament

Dans un arrêt Sacha Guitry du 30 décembre 1952, la Cour de cassation a considère que le cadeau consenti par un mari à son épouse pouvait être qualifié, non pas de donation, mais de présent d’usage dès lors que deux conditions cumulatives étaient réunies :

  • L’existence d’un usage d’offrir un cadeau dans le cadre d’une circonstance particulière
  • La modicité du cadeau eu égard à la fortune et le train de vie du disposant

A contrario, cela signifie que dès lors que le cadeau offert atteint une grande valeur eu égard aux revenus du fiancé il s’agira, non plus d’un présent d’usage, mais d’une donation propter nuptias

L’article 852 du Code civil, introduit par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, précise que « le caractère de présent d’usage s’apprécie à la date où il est consenti ».

La conséquence en est que, en cas de présents d’usage, il n’y a pas lieu à restitution des cadeaux que se sont mutuellement offert les fiancés.

Reste, que la jurisprudence a réservé un sort particulier à la bague de fiançailles.

==> Le sort particulier de la bague de fiançailles

La question s’est posée de savoir quelle qualification conférer à la bague de fiançailles ?

Tandis que pour certains elle s’apparente à un présent d’usage, de sorte qu’elle doit faire l’objet d’une restitution en cas de rupture de la promesse de mariage, pour d’autres il s’agit d’une donation obéissant à la règle posée à l’article 1088 du Code civil qui prévoit la caducité.

A la vérité, pour déterminer le sort de la bague de fiançailles il convient,            au préalable, de se demander s’il s’agit ou d’un bijou de famille :

  • La bague de fiançailles est un bijou de famille
    • Lorsque la bague de fiançailles est un bijou de famille, la jurisprudence considère qu’elle doit faire l’objet d’une restitution en cas de rupture des fiançailles.
    • Peu importe qu’elle réponde aux critères du présent d’usage, la Cour de cassation estime que, dès lors qu’elle présente un caractère familial, elle doit être restituée à la famille dont elle provient ( 1ère civ., 20 juin 1961).
    • Dans un arrêt du 23 mars 1983, la Cour de cassation a justifié cette solution en arguant que lorsqu’il s’agit d’un bijou de famille, celui-ci ne peut être consenti qu’au titre d’un prêt à usage dont la durée est adossée à celle de l’union du couple ( 1ère civ. 23 mars 1983).
    • En cas de rupture, la bague de fiançailles a donc vocation à être restitué au donateur
    • Il est indifférent que la bague ait été donné par un tiers (V. en ce sens 1ère civ. 30 oct. 2007)
  • La bague de fiançailles n’est pas un bijou de famille
    • Principe
      • Lorsque la bague de fiançailles ne présente pas de caractère familial, dès lors qu’elle répond aux critères du présent d’usage, elle est insusceptible de faire l’objet d’une restitution.
      • La Cour de cassation a estimé en ce sens dans un arrêt du 19 décembre 1979 que « justifie légalement sa décision rejetant la demande de restitution de la bague de fiançailles formée par la mari à la suite du divorce des époux la Cour d’appel qui, après avoir exclu le caractère de souvenir de famille du bijou litigieux, estime souverainement que la remise de la bague à la fiancée constituait en l’espèce, compte tenu des facultés respectives des époux et de leurs familles un présent d’usage, qui ne pouvait comme tel, donner lieu à restitution » ( 1ère civ. 19 déc. 1979)
      • Ainsi, l’application de l’article 1088 du Code civil sera écartée.
    • Exceptions
      • La rupture fautive
        • Par exception au principe, la jurisprudence admet que, en cas de rupture fautive imputable au donateur, la bague de fiançailles puisse être conservée par son bénéficiaire en guise de sanction (CA Paris, 3 déc. 1976).
      • La mort du donateur
        • A l’instar de la rupture fautive, la mort du donateur autorise également la fiancée à conserver la bague en souvenir de son défunt fiancé (CA Amiens, 2 mars 1979)

[1] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[2] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[3] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[4] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[5] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°106, p. 53.

[6] En vertu de l’article 1088 du Code civil « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque si le mariage ne s’ensuit pas ».

[7] L’article 515-8 du Code civil dispose que « le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

[8] Si, le législateur a inséré une définition du concubinage dans le Code civil c’est surtout pour mettre fin à la position de la Cour de cassation qui, de façon constante, refusait de qualifier l’union de deux personnes de même sexe de concubinage (Cass. soc., 11 juill. 1989, deux arrêts : Gaz. Pal. 1990, 1, p. 217, concl. Dorwling-Carter ; JCP G 1990, II, 21553, note Meunier ; Cass. Civ. 3e, 17 décembre 1997 : D. 1998, jurispr. p. 111, concl. J.-F. Weber et note J.-L. Aubert ; JCP G 1998, II, 10093, note A. Djigo).

[9] Cass. 1re civ., 19 mars 1991 : Defrénois 1991, p. 942, obs. J. Massip ; Cass. 1re civ., 17 oct. 2000 : Dr. famille 2000, comm. 139, note B. Beignier.

[10] En matière fiscale, pour ce qui concerne l’assiette de l’ISF, les concubins sont assimilés à des époux. Il en va de même en matière de protection sociale où le concubin est considéré comme un ayant du droit de celui qui bénéficie de l’affiliation à la sécurité sociale.

[11] V. RIPERT et BOULANGER, Traité de droit civil, t. 2, 1957, LGDJ, n° 1280

[12] .P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

[13] Ph. Malaurie, note sous Civ. 1re, 6 oct. 1959 ;  D. 1960. 515.

La responsabilité du banquier du fait des retraits de fonds accomplis par le représentant légal d’un mineur (Cass. 1ère civ. 11 oct. 2017)

Par un arrêt du 11 octobre 2017, la Cour de cassation a précisé les contours de la responsabilité du banquier en cas de retraits de fonds accomplis sur le compte d’un mineur par son représentant légal.

  • Faits
    • La mère d’un mineur placée sous contrôle judiciaire a ouvert un compte de dépôt au nom de ce dernier auprès de la société Banque CIC Ouest, sur lequel elle a placé une somme de 20 000 euros provenant de la succession de son père
    • Sur ce montant, cette dernière a prélevé, à son profit, la somme de 14 151,04 euros, par divers retraits et virements bancaires effectués du 3 avril 2007 au 23 février 2011.
    • Entre-temps, le juge des tutelles des mineurs avait ouvert une tutelle aux biens le 11 janvier 2011
  • Demande
    • Le département de la Haute-Vienne, agissant en qualité de tuteur aux biens du mineur, a assigné en responsabilité et remboursement des sommes prélevées la banque, qui a appelé la mère du mineur
  • Procédure
    • Par un arrêt du 8 juillet 2015, la Cour de d’appel de Limoges a fait droit à la demande du tuteur en condamnant la banque au paiement de la somme de 4200 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le mineur.
    • Les juges du fond ont estimé que les prélèvements effectués par la mère sur le compte du mineur, sur la période du 27 janvier au 3 février 2011, par trois retraits et un virement à hauteur de 4 200 euros, auraient dû, par leur répétition, leur importance et la période resserrée d’une semaine sur laquelle ils ont eu lieu, attirer l’attention de la banque et entraîner une vigilance particulière de sa part, s’agissant d’un compte ouvert au nom d’un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire.
  • Solution
    • Par un arrêt du 11 octobre 2017, la première chambre civile casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Au soutien de sa décision, elle énonce que « l’administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire, a le pouvoir de faire seul les actes d’administration ; qu’il peut, à ce titre, procéder à la réception des capitaux échus au mineur et les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés ; que la banque n’est pas garante de l’emploi des capitaux»
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, la banque n’était pas responsable de l’utilisation des fonds déposés sur le compte du mineur par sa mère à des fins personnelles, dans la mesure où cette dernière était investie, au moment des retraits litigieux, d’un pouvoir d’administration sur les biens de son fils.
    • Or conformément à l’annexe 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, la perception de capitaux relève du périmètre de ce pouvoir d’administration.
    • En visant, par ailleurs, l’article 499 du Code civil, la Cour de cassation rappelle que les tiers « ne sont pas garants de l’emploi des capitaux du mineur».
    • Cette disposition précise que, éventuellement« si à l’occasion de cet emploi ils ont connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement l’intérêt de la personne protégée, ils en avisent le juge».
  • Analyse
    • La solution retenue par la Cour de cassation a été adoptée sous l’empire du droit ancien.
    • Antérieurement à l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, le Code civil distinguait le régime de l’administration légale pure et simple de l’administration légale sous contrôle judiciaire.
    • Tandis que dans le premier cas l’autorité parentale est exercée en commun par les deux parents, dans le second l’autorité parentale est exercée par un seul parent en raison soit d’un décès, d’une séparation, d’une déchéance ou encore d’une adoption.
    • En l’espèce, le mineur faisait l’objet d’une administration légale sous contrôle judiciaire.
    • Est-ce à dire que sa mère disposait de moins de prérogatives que si elle était investie d’un pouvoir d’administration légale pure et simple ?
    • La Cour de cassation répond par négative à cette question, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement de l’acte qui consiste à percevoir les capitaux échus du mineur.
    • Et pour cause, l’ancien article 389-6, al. 2e du Code civil prévoyait que dans le cadre de l’administration sous contrôle judiciaire, l’administrateur peut accomplir seul tous les actes qu’un tuteur peut effectuer sans se pourvoir d’une autorisation du Juge des tutelles, soit d’une part, les actes conservatoires et, d’autre part, les actes d’administration.
    • Dans le litige soumis à l’appréciation de la haute juridiction, l’acte litigieux appartenait à la seconde catégorie d’actes ; d’où la précision apportée par la haute juridiction sur le fait qu’il était indifférent que l’administrateur soit placé sous contrôle judiciaire, dès lors que l’opération contestée consistait en un acte d’administration.
    • La banque ne pouvait, en conséquence, être tenue pour responsable de l’exercice d’un pouvoir dont était valablement investie la mère.
    • Tout au plus, lorsqu’un représentant légal envisage d’accomplir des actes d’administration sur le compte du mineur, le banquier doit vérifier qu’il est autorisé à exercer les pouvoirs dont il se prétend investi.
    • La réforme de l’administration légale introduite par l’ordonnance du 15 octobre 2015 n’a ni renforcé, ni diminué les obligations du banquier en la matière, de sorte qu’il n’est toujours pas responsable des actes accomplis par l’administrateur légal qui agit dans la limite de ses pouvoirs.
    • En conséquence, il n’est guère douteux que la solution adoptée par la Cour de cassation en l’espèce sera reconduite dans la jurisprudence à venir.

Cass. 1ère civ. 11 oct. 2017
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Vu les articles 389-6 et 389-7 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015, ensemble l'article 499 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que l'administrateur légal, même placé sous contrôle judiciaire, a le pouvoir de faire seul les actes d'administration ; qu'il peut, à ce titre, procéder à la réception des capitaux échus au mineur et les retirer du compte de dépôt sur lequel il les a versés ; que la banque n'est pas garante de l'emploi des capitaux ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X..., administratrice légale sous contrôle judiciaire de son fils mineur Marius Y..., a ouvert un compte de dépôt au nom de ce dernier auprès de la société Banque CIC Ouest (la banque), sur lequel elle a placé une somme de 20 000 euros provenant de la succession de son père ; que, sur ce montant, elle a prélevé, à son profit, la somme de 14 151,04 euros, par divers retraits et virements bancaires effectués du 3 avril 2007 au 23 février 2011 ; que, le juge des tutelles des mineurs ayant ouvert une tutelle aux biens le 11 janvier 2011, le département de la Haute-Vienne, agissant en qualité de tuteur aux biens du mineur, a assigné en responsabilité et remboursement des sommes prélevées la banque, qui a appelé en garantie Mme X... ;

Attendu que, pour condamner la banque au paiement de la somme de 4 200 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par le mineur, l'arrêt retient que les prélèvements effectués par la mère sur le compte de celui-ci, sur la période du 27 janvier au 3 février 2011, par trois retraits et un virement à hauteur de 4 200 euros, auraient dû, par leur répétition, leur importance et la période resserrée d'une semaine sur laquelle ils ont eu lieu, attirer l'attention de la banque et entraîner une vigilance particulière de sa part, s'agissant d'un compte ouvert au nom d'un mineur soumis à une administration légale sous contrôle judiciaire ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen du pourvoi principal et sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 juillet 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers ;

TEXTES

Code civil

Article 389-6 (abrogé)

Dans l’administration légale sous contrôle judiciaire, l’administrateur doit se pourvoir d’une autorisation du juge des tutelles pour accomplir les actes qu’un tuteur ne pourrait faire qu’avec une autorisation.

Il peut faire seul les autres actes.

Article 389-7 (abrogé)

Les règles de la tutelle sont, pour le surplus, applicables à l’administration légale, avec les modalités résultant de ce que celle-ci ne comporte ni conseil de famille ni subrogé tuteur, et sans préjudicier, d’autre part, aux droits que les père et mère tiennent du titre “De l’autorité parentale”, notamment quant à l’éducation de l’enfant et à l’usufruit de ses biens.

Article 499

Les tiers peuvent informer le juge des actes ou omissions du tuteur qui leur paraissent de nature à porter préjudice aux intérêts de la personne protégée.

Ils ne sont pas garants de l’emploi des capitaux. Toutefois, si à l’occasion de cet emploi ils ont connaissance d’actes ou omissions qui compromettent manifestement l’intérêt de la personne protégée, ils en avisent le juge.

La tierce opposition contre les autorisations du conseil de famille ou du juge ne peut être exercée que par les créanciers de la personne protégée et en cas de fraude à leurs droits.

 

Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil

ANNEXE 1

LISTE DES ACTES REGARDÉS COMME ACTES D'ADMINISTRATION
OU COMME ACTES DE DISPOSITION
COLONNE 1 : ACTES D'ADMINISTRATIONCOLONNE 2 : ACTES DE DISPOSITION
I. ? Actes portant sur les immeubles :
? convention de jouissance précaire (art. 426, al. 2, du code civil) ;
? conclusion et renouvellement d'un bail de neuf ans au plus en tant que bailleur (art. 595 et 1718 du code civil) ou preneur ;
? bornage amiable de la propriété de la personne protégée ;
? travaux d'améliorations utiles, aménagements, réparations d'entretien des immeubles de la personne protégée ;
? résiliation du bail d'habitation en tant que bailleur ;
? prêt à usage et autre convention de jouissance ou d'occupation précaire ;
? déclaration d'insaisissabilité des immeubles non professionnels de l'entrepreneur individuel (art. 1526-1 du code de commerce) ;
? mainlevée d'une inscription d'hypothèque en contrepartie d'un paiement.
I. ? Actes portant sur les immeubles :
? disposition des droits relatifs au logement de la personne protégée, par aliénation, résiliation ou conclusion d'un bail (art. 426, al. 3, du code civil) ;
? vente ou apport en société d'un immeuble (art. 505, al. 3, du code civil) ;
? achat par le tuteur des biens de la personne protégée, ou prise à bail ou à ferme de ces biens par le tuteur (art. 508, al. 1, du code civil) ;
? échange (art. 1707 du code civil) ;
? acquisition d'immeuble en emploi ou remploi de sommes d'argent judiciairement prescrit (art. 501 du code civil) ;
? acceptation par le vendeur d'une promesse d'acquisition (art. 1589 du code civil) ;
? acceptation par l'acquéreur d'une promesse de vente (art. 1589 du code civil) ;
? dation ;
? tout acte grave, notamment la conclusion et le renouvellement du bail, relatif aux baux ruraux, commerciaux, industriels, artisanaux, professionnels et mixtes, grosses réparations sur l'immeuble ;
? constitution de droits réels principaux (usufruit, usage, servitude...) et de droits réels accessoires (hypothèques...) et autres sûretés réelles ;
? consentement à une hypothèque (art. 2413 du code civil) ;
? mainlevée d'une inscription d'hypothèque sans contrepartie d'un paiement.
II. ? Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d'argent :
? ouverture d'un premier compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (art. 427, al. 4, du code civil) ;
? emploi et remploi de sommes d'argent qui ne sont ni des capitaux ni des excédents de revenus (art. 468 et 501 du code civil) ;
? emploi et remploi des sommes d'argent non judiciairement prescrits par le juge des tutelles ou le conseil de famille (art. 501 du code civil) ;
? perception des revenus ;
? réception des capitaux ;
? quittance d'un paiement ;
? demande de délivrance d'une carte bancaire de retrait.
II. ? Actes portant sur les meubles corporels et incorporels :
1° Sommes d'argent :
? modification de tout compte ou livrets ouverts au nom de la personne protégée (art. 427, al. 1 et 2, du code civil) ;
? ouverture de tout nouveau compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (art. 427, al. 1 et 2, du code civil) ;
? ouverture de tout compte, y compris d'un compte de gestion du patrimoine, auprès de la Caisse des dépôts et consignations (art. 427, al. 3, et art. 501, al. 4, du code civil) ;
? lorsque la personne protégée a fait l'objet d'une interdiction d'émettre des chèques, fonctionnement de ses comptes sous la signature de la personne chargée de la mesure de protection et disposition par celle-ci de tous les moyens de paiement habituels (art. 427, al. 7, du code civil) ;
? emploi et remploi des capitaux et des excédents de revenus (art. 468 et 501 du code civil) ;
? à compter du 1er février 2009 : contrat de fiducie par une personne sous curatelle (art. 468, al. 2, du code civil) ;
? clôture d'un compte bancaire ;
? ouverture d'un compte de gestion de patrimoine ;
? demande de délivrance d'une carte bancaire de crédit.
2° Instruments financiers :
? résiliation d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (art. 500, al. 3, du code civil).
2° Instruments financiers (au sens de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier) :
? conclusion d'un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (art. 500, al. 3, du code civil) ;
? vente ou apport en société d'instruments financiers non admis à la négociation sur un marché réglementé (art. 505, al. 3, du code civil) ;
? vente d'instruments financiers (art. 505, al. 4, du code civil).
3° Autres meubles, corporels et incorporels :
? louage-prêt-emprunt-vente-échange-dation et acquisition de meubles d'usage courant ou de faible valeur ;
? perception des fruits ;
? location d'un coffre-fort.
3° Autres meubles, corporels et incorporels :
? aliénation des meubles meublant du logement ou résiliation ou conclusion d'un bail sur ces meubles (art. 426, al. 3, du code civil) ;
? vente ou apport d'un fonds de commerce en société (art. 505, al. 3, du code civil) ;
? louage-prêt-vente-échange-dation de meubles de valeur ou qui constituent, au regard de l'inventaire, une part importante du patrimoine du mineur ou du majeur protégé ;
? vente-échange-dation d'un fonds de commerce ;
? conclusion d'un contrat de location gérance sur un fonds de commerce.
III. ? Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :III. ? Actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale :
? candidature aux fonctions de gérant et d'administrateur ;
? copropriété des immeubles bâtis : actes visés aux art. 25 à 28-1, 30, 35 et 38 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.
IV. ? Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale :
? en cas d'indivision légale : vente d'un bien indivis pour payer les dettes de l'indivision (art. 815-3 [3°] du code civil).
IV. ? Actes relatifs aux groupements dénués de personnalité morale :
? communauté conjugale : actes qu'un époux ne peut pas faire seul ;
? indivision conventionnelle : actes que le gérant ou l'un des coindivisaires ne peut pas faire seul ;
? en cas de démembrement du droit de propriété : vente-échange-dation du droit démembré, actes auxquels les titulaires des droits démembrés doivent consentir conjointement, grosses réparations non urgentes.
V. ? Actes à titre gratuit :
? inventaire (art. 503 du code civil) ;
? acceptation d'une succession à concurrence de l'actif net (art. 507-1 du code civil) ;
? acceptation d'un legs universel ou à titre universel à concurrence de l'actif net (art. 507-1 et 724-1 du code civil) ;
? acte de notoriété (art. 730-1 du code civil) ;
? action interrogatoire à l'encontre des héritiers taisants (art. 771, al. 2, du code civil) ;
? mandat aux fins de partage (art. 837 du code civil) ;
? acceptation de legs à titre particulier et de donation non grevés de charge ;
? délivrance de legs ;
? déclaration de succession ;
? attestation de propriété.
V. - Actes à titre gratuit :
? donation consentie par une personne protégée majeure (art. 470, al. 2 et 476, al. 1er du code civil) ;
? partage amiable (art. 507 du code civil) ;
? acceptation pure et simple d'une succession (art. 507-1, al. 1er, du code civil) ;
? révocation d'une renonciation à une succession ou à un legs universel ou à titre universel (art. 507-2 du code civil) ;
? acceptation pure et simple d'un legs universel ou à titre universel (art. 724-1 du code civil) ;
? révocation d'une renonciation à un legs (art. 724-1 du code civil) ;
? choix par le donataire de rapporter en nature le bien donné (art. 859 du code civil) ;
? renonciation à une succession (art. 507-1, al. 2, du code civil) ;
? renonciation à un legs (art. 724-1 du code civil) ;
? renonciation à une action en réduction des libéralités excessives après le décès du prémourant (art. 920 du code civil) ;
? acceptation de legs à titre particulier et de donations grevés de charges ;
? renonciation à un legs universel grevé de charges ;
? révocation d'une donation entre époux (art. 953 du code civil) ;
? consentement à exécution d'une donation entre époux.
VI. ? Actions en justice :
? toute action en justice relative à un droit patrimonial de la personne sous tutelle (art. 504, al. 2, du code civil) ;
? tout acte de procédure qui n'emporte pas perte du droit d'action.
VI. ? Actions en justice :
? toute action en justice relative à un droit extrapatrimonial de la personne sous tutelle (art. 475, al. 2, du code civil) ;
? toute action en justice relative à un droit patrimonial ou extrapatrimonial de la personne en curatelle (art. 468, al. 3, du code civil) ;
? action par la personne chargée de la protection en nullité, rescision ou réduction, selon le cas, des actes accomplis par la personne protégée (art. 465, al. 6, du code civil) ;
? tout acte de procédure qui n'emporte pas perte du droit d'action.
VII. ? Assurances :
? conclusion ou renouvellement d'un contrat d'assurance de biens ou de responsabilité civile.
VII. ? Assurances :
? demande d'avance sur contrat d'assurance (art. L. 132-21 du code des assurances).
VIII. ? Actes de poursuite et d'exécution :
? mesures conservatoires (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991) ;
? procédures d'exécution mobilière (art. 26, loi n° 91-650 du 9 juillet 1991).
VIII. ? Actes de poursuite et d'exécution :
? saisie immobilière (art. 2206, al. 1, du code civil et 13 du décret n° 2006-236 du 27 juillet 2006).
IX. ? Actes divers :
? indivision légale : actes visés par l'article 815-3 (1° et 2°) du code civil (acte d'administration des biens indivis et mandat général d'administration) ;
? tout acte relatif à l'animal domestique de la personne protégée.
IX. ? Actes divers :
? transaction et compromis et clause compromissoire au nom de la personne protégée (art. 506 du code civil) ;
? changement ou modification du régime matrimonial (art. 1397 du code civil) ;
? souscription ou rachat d'un contrat d'assurance-vie et désignation ou substitution du bénéficiaire (art. L. 132-4-1 du code des assurances et art. L. 223-7-1 du code de la mutualité) ;
? révocation du bénéfice non accepté d'un contrat d'assurance-vie (art. L. 132-9 du code des assurances et art. L. 223-11 du code de la mutualité) ;
? confirmation de l'acte nul pour insanité d'esprit (art. 414-2 du code civil) ;
? confirmation d'un acte nul pour avoir été accompli par le tuteur ou le curateur seul (art. 465, al. 8, du code civil) ;
? convention d'honoraires proportionnels en toute ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires.