L’exécution de la promesse de porte-fort

Si la promesse de porte-fort intrigue par sa nature, elle suscite tout autant d’interrogations quant à ses modalités d’exécution. En effet, le simple fait que le promettant s’engage à obtenir d’un tiers un comportement déterminé ne saurait suffire à en épuiser les effets juridiques. C’est au stade de la mise en œuvre de cette promesse – qu’il s’agisse de provoquer une ratification, d’obtenir la conclusion d’un acte ou encore de garantir l’exécution d’une obligation – que se révèle la complexité du mécanisme.

À la croisée des obligations contractuelles, de la liberté individuelle et de la technique des garanties, l’exécution de la promesse de porte-fort repose sur une articulation subtile entre la rigueur de l’engagement souscrit par le promettant et la pleine autonomie du tiers concerné. Car si le promettant est tenu, le tiers, lui, demeure libre. Cette tension originelle structure toute l’économie de la promesse et en conditionne les effets.

C’est donc dans le mouvement même de son exécution – ou de sa non-exécution – que la promesse de porte-fort déploie ses conséquences, tant à l’égard du promettant que vis-à-vis du tiers. Encore faut-il distinguer les figures du porte-fort de ratification, de conclusion et d’exécution, chacune obéissant à une logique propre, mais répondant à un principe commun : le respect du caractère intersubjectif du lien contractuel.

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

La forme de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

Porte-fort: la conclusion de la promesse

Au carrefour du droit des obligations et des mécanismes de garantie, la promesse de porte-fort intrigue par sa singularité. Elle ne consiste ni en une représentation, ni en une substitution, ni en une simple caution : elle engage une personne – le promettant – à obtenir d’un tiers un comportement déterminé, sans que ce dernier ne soit encore partie à l’acte. Fréquemment mobilisée en pratique – notamment dans les cessions d’actions, les garanties de passif, ou encore les conventions intragroupes – elle soulève des interrogations fondamentales sur la nature, l’objet et les effets de l’engagement contracté.

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

Le porte-fort: définition, évolution, fonctions

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

Le porte-fort: régime

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.

§4: Régime

I) La conclusion de la promesse de porte-fort

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

C) La forme de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

II) L’exécution de la promesse de porte-fort

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

 

 

 

  1. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  2. R-J. Pothier, Traité des obligations, 1761, n° 68 ?
  3. Ibid. ?
  4. Ph. Simler, Cautionnement, garanties autonomes et garanties indemnitaires, 5e éd., 2015, n° 1080 ?
  5. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. II, n° 1021 ?
  6. G. Ripert, Les grandes lignes du droit privé français, 1952, p. 327. ?

La classification des obligations

Les obligations peuvent faire l’objet de trois classifications différentes :

  • La classification des obligations d’après leur source
  • La classification des obligations d’après leur nature
  • La classification des obligations d’après leur objet

Ayant déjà fait état des différentes sources obligations, nous ne nous focaliserons que sur leur nature et leur objet

I) La classification des obligations d’après leur nature

La classification des obligations d’après leur nature renvoie à la distinction entre l’obligation civile et l’obligation naturelle

A) Exposé de la distinction entre obligation civile et obligation naturelle

  • L’obligation civile
    • L’obligation civile est celle qui, en cas d’inexécution de la part du débiteur, est susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée
    • L’obligation civile est donc contraignante : son titulaire peut solliciter en justice, s’il prouve le bien-fondé de son droit, le concours de la force publique aux fins d’exécution de l’obligation dont il est créancier
  • L’obligation naturelle
    • L’obligation naturelle, à la différence de l’obligation civile, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée.
    • Elle ne peut faire l’objet que d’une exécution volontaire
    • L’obligation naturelle n’est donc pas contraignante : son exécution repose sur la seule volonté du débiteur.
    • Ainsi, le créancier d’une obligation naturelle n’est-il pas fondé à introduire une action en justice pour en réclamer l’exécution

B) Fondement textuel de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle est évoquée à l’ancien 1235, al. 2 du Code civil (nouvellement art. 1302 C. civ).

Cet article prévoit en ce sens que « tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition. La répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

C) Domaine d’application de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle se rencontre dans deux hypothèses :

  • En présence d’une obligation civile imparfaite
    • L’obligation civile imparfaite est celle qui
      • Soit est nulle en raison de la défaillance d’une condition de validité de l’acte juridique dont elle émane
      • Soit est éteinte en raison de l’acquisition de prescription extinctive de la dette
    • Dans les deux cas, le débiteur est libéré de son obligation sans avoir eu besoin d’exécuter la prestation initialement promise
    • Le débiteur peut néanmoins se sentir tenu, moralement, de satisfaire son engagement pris envers le créancier : l’obligation civile qui « a dégénéré » se transforme alors en obligation naturelle
  • En présence d’un devoir moral
    • Il est des situations où l’engagement d’une personne envers une autre sera dicté par sa seule conscience, sans que la loi ou qu’un acte juridique ne l’y oblige
    • Le respect de principes moraux peut ainsi conduire
      • un mari à apporter une aide financière à son ex-épouse
      • une sœur à loger gratuitement son frère sans abri
      • un concubin à porter assistance à sa concubine
      • l’auteur d’un dommage qui ne remplit pas les conditions de la responsabilité civile à indemniser malgré tout la victime.
    • Dans toutes ces hypothèses, celui qui s’engage s’exécute en considération d’un devoir purement moral, de sorte que se crée une obligation naturelle

D) Transformation de l’obligation naturelle en obligation civile

La qualification d’obligation naturelle pour une obligation civile imparfaite ou un devoir moral, ne revêt pas un intérêt seulement théorique. Cela présente un intérêt très pratique.

La raison en est que l’obligation naturelle est susceptible de transformer en obligation civile

Il en résulte qu’elle pourra emprunter à l’obligation civile certains traits, voire donner lieu à l’exécution forcée

La transformation de l’obligation naturelle en obligation civile se produira dans deux cas distincts :

  • Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle
  • Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

==>Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle

C’est l’hypothèse – la seule – visée à l’article 1302 C. civ (ancien art. 1235, al.2)

Pour mémoire cette disposition prévoit que « la répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

Lorsque le débiteur a effectué un paiement à la faveur du créancier d’une obligation naturelle, la répétition de la somme versée est ainsi impossible.

==>Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

Lorsque le débiteur d’une obligation naturelle promet d’assurer son exécution, cette obligation se transforme alors aussitôt en obligation civile.

La Cour de cassation justifie cette transformation en se fondant sur l’existence d’un engagement unilatérale de volonté.

Ainsi a-t-elle jugé dans un arrêt du 10 octobre 1995 que « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1re civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Cela suppose, en conséquence, pour le créancier de rapporter la preuve de l’engagement volontaire du débiteur d’exécuter l’obligation naturelle qui lui échoit

E) Consécration légale de l’obligation naturelle

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, consacre, sans la nommer, l’obligation naturelle à l’article 1100 du Code civil.

Cette disposition, prise en son alinéa 2, prévoit que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui ».

II) Le classement des obligations d’après leur objet

Deux grandes distinctions peuvent être effectuées si l’on cherche à opérer une classification des obligations d’après leur objet :

  • Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire
  • Les obligations de moyens et les obligations de résultat

A) Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire

==>Exposé de la distinction

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

==>Intérêt – révolu – de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.

  • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
    • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
  • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
    • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
  • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
    • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »

Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire :

  • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
  • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
  • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
    • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
    • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ)

==>Abandon de la distinction

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.

Le nouvel article 1221 C. civ prévoit en ce sens que « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »

L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.

Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.

Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :

  • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
  • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »

B) Les obligations de moyens et les obligations de résultat

==>Exposé de la distinction

Demogue soutenait ainsi que la conciliation entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil tenait à la distinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens :

  • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur est contraint d’atteindre un résultat déterminé
    • Exemple : Dans le cadre d’un contrat de vente, pèse sur le vendeur une obligation de résultat : celle livrer la chose promise. L’obligation est également de résultat pour l’acheteur qui s’engage à payer le prix convenu.
    • Il suffira donc au créancier de démontrer que le résultat n’a pas été atteint pour établir un manquement contractuel, source de responsabilité pour le débiteur
  • L’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
    • Exemple : le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
    • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat

La distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat rappelle immédiatement la contradiction entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil.

  • En matière d’obligation de moyens
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Cette règle n’est autre que celle posée à l’ancien article 1137 du Code civil.
  • En matière d’obligation de résultat
    • Il est indifférent que le débiteur ait commis une faute, sa responsabilité pouvant être recherchée du seul fait de l’inexécution du contrat.
    • On retrouve ici la règle édictée à l’ancien article 1147 du Code civil.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat.

==>Critères de la distinction

En l’absence d’indications textuelles, il convient de se reporter à la jurisprudence qui se détermine au moyen d’un faisceau d’indices.

Plusieurs critères – non cumulatifs – sont, en effet, retenus par le juge pour déterminer si l’on est en présence d’une obligation de résultat ou de moyens :

  • La volonté des parties
    • La distinction entre obligation de résultat et de moyens repose sur l’intensité de l’engagement pris par le débiteur envers le créancier.
    • La qualification de l’obligation doit donc être appréhendée à la lumière des clauses du contrat et, le cas échéant, des prescriptions de la loi.
    • En cas de silence de contrat, le juge peut se reporter à la loi qui, parfois, détermine si l’obligation est de moyens ou de résultat.
    • En matière de mandat, par exemple, l’article 1991 du Code civil dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ».
    • C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur le mandataire.
  • Le contrôle de l’exécution
    • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur a la pleine maîtrise de l’exécution de la prestation due.
    • Inversement, l’obligation est plutôt de moyens, lorsqu’il existe un aléa quant à l’obtention du résultat promis
    • En pratique, les obligations qui impliquent une action matérielle sur une chose sont plutôt qualifiées de résultat.
    • À l’inverse, le médecin, n’est pas tenu à une obligation de guérir (qui serait une obligation de résultat) mais de soigner (obligation de moyens).
    • La raison en est que le médecin n’a pas l’entière maîtrise de la prestation éminemment complexe qu’il fournit.
  • Rôle actif/passif du créancier
    • L’obligation est de moyens lorsque le créancier joue un rôle actif dans l’exécution de l’obligation qui échoit au débiteur
    • En revanche, l’obligation est plutôt de résultat, si le créancier n’intervient pas

==>Mise en œuvre de la distinction

Le recours à la technique du faisceau d’indices a conduit la jurisprudence à ventiler les principales obligations selon qu’elles sont de moyens ou de résultat.

L’examen de la jurisprudence révèle néanmoins que cette dichotomie entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’est pas toujours aussi marquée.

Il est, en effet, certaines obligations qui peuvent être à cheval sur les deux catégories, la jurisprudence admettant, parfois, que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il n’a commis aucune faute.

Pour ces obligations on parle d’obligations de résultat atténué ou d’obligation de moyens renforcée : c’est selon. Trois variétés d’obligations doivent donc, en réalité, être distinguées.

  • Les obligations de résultat
    • Au nombre des obligations de résultat on compte notamment :
      • L’obligation de payer un prix, laquelle se retrouve dans la plupart des contrats (vente, louage d’ouvrage, bail etc.)
      • L’obligation de délivrer la chose en matière de contrat de vente
      • L’obligation de fabriquer la chose convenue dans le contrat de louage d’ouvrage
      • L’obligation de restituer la chose en matière de contrat de dépôt, de gage ou encore de prêt
      • L’obligation de mettre à disposition la chose et d’en assurer la jouissance paisible en matière de contrat de bail
      • L’obligation d’acheminer des marchandises ou des personnes en matière de contrat de transport
      • L’obligation de sécurité lorsqu’elle est attachée au contrat de transport de personnes (V. en ce sens Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307).
  • Les obligations de résultat atténuées ou de moyens renforcées
    • Parfois la jurisprudence admet donc que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Pour ce faire, il devra renverser la présomption de responsabilité en démontrant qu’il a exécuté son obligation sans commettre de faute.
    • Tel est le cas pour :
      • L’obligation de conservation de la chose en matière de contrat de dépôt
      • L’obligation qui pèse sur le preneur en matière de louage d’immeuble qui, en application de l’article 1732 du Code civil, « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».
      • L’obligation de réparation qui échoit au garagiste et plus généralement à tout professionnel qui fournit une prestation de réparation de biens (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 2 févr. 1994, n°91-18764).
      • L’obligation qui échoit sur le transporteur, en matière de transport maritime, qui « est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge, que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés » (art. L. 5421-4 du code des transports)
      • L’obligation de conseil que la jurisprudence appréhende parfois en matière de contrats informatiques comme une obligation de moyen renforcée.
  • Les obligations de moyens
    • À l’analyse les obligations de moyens sont surtout présentes, soit dans les contrats qui portent sur la fourniture de prestations intellectuelles, soit lorsque le résultat convenu entre les parties est soumis à un certain aléa
    • Aussi, au nombre des obligations de moyens figurent :
      • L’obligation qui pèse sur le médecin de soigner son patient, qui donc n’a nullement l’obligation de guérir (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-13.579).
        • Par exception, l’obligation qui échoit au médecin est de résultat lorsqu’il vend à son patient du matériel médical qui est légitimement en droit d’attendre que ce matériel fonctionne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°03-12.146).
        • Il en va de même s’agissant de l’obligation d’information qui pèse sur le médecin, la preuve de l’exécution de cette obligation étant à sa charge et pouvant se faire par tous moyens.
      • L’obligation qui pèse sur la partie qui fournit une prestation intellectuelle, tel que l’expert, l’avocat (réserve faite de la rédaction des actes), l’enseignant,
      • L’obligation qui pèse sur le mandataire qui, en application de l’article 1992 du Code civil « répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. »
      • L’obligation de surveillance qui pèse sur les structures qui accueillent des enfants ou des majeurs protégés (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-12.891).

==>Sort de la distinction après la réforme du droit des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 révèle que la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’a pas été reprise par le législateur, à tout le moins formellement.

Est-ce à dire que cette distinction a été abandonnée, de sorte qu’il n’a désormais plus lieu d’envisager la responsabilité du débiteur selon que le manquement contractuel porte sur une obligation de résultat ou de moyens ?

Pour la doctrine rien n’est joué. Il n’est, en effet, pas à exclure que la Cour de cassation maintienne la distinction en s’appuyant sur les nouveaux articles 1231-1 et 1197 du Code civil, lesquels reprennent respectivement les anciens articles 1147 et 1137.

Pour s’en convaincre il suffit de les comparer :

  • S’agissant des articles 1231-1 et 1147
    • L’ancien article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • Le nouvel article 1231-1 prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.»
  • S’agissant des articles 1197 et 1137
    • L’ancien article 1137 prévoyait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables ».
    • Le nouvel article 1197 prévoit que « l’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

Une analyse rapide de ces dispositions révèle que, au fond, la contradiction qui existait entre les anciens articles 1137 et 1147 a survécu à la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et la loi de ratification du 21 avril 2018, de sorte qu’il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation ne manquera pas de se saisir de ce constat pour confirmer la jurisprudence antérieure.

  1. François Terré, Philippe Simler, Yves Lequette, Droit civil : les obligations, Dalloz, 2009, coll. « Précis », n°54, p. 64 ?

L’exécution forcée en nature: régime juridique

Parce que les contrats sont pourvus de la force obligatoire (art. 1103 C. civ), lorsqu’une partie, qui s’est engagée à fournir une prestation ou une chose, ne s’exécute pas, elle devrait, en toute logique, pouvoir y être contrainte. C’est la raison pour laquelle la loi le lui permet.

Cette possibilité, pour le créancier, de contraindre le débiteur défaillant à honorer ses obligations vise à obtenir ce que l’on appelle l’exécution forcée.

Pratiquement, l’exécution forcée peut prendre deux formes :

  • Elle peut avoir lieu en nature : le débiteur est contraint de fournir ce à quoi il s’est engagé
  • Elle peut avoir lieu par équivalent : le débiteur verse au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de la prestation promise initialement

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient fait de l’exécution par équivalent le principe, pour les obligations de faire et de ne pas faire, l’ordonnance du 10 février 2016 a inversé ce principe en généralisant l’exécution forcée en nature dont le recours n’est plus limité, en simplifiant à l’extrême, aux obligations de donner.

==>Droit antérieur

Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil distinguait trois sortes d’obligations :

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
    • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
    • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
    • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a abandonné la distinction entre ces obligations, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée.

Pour le comprendre envisageons l’exécution forcée de chacune de ces obligations prises séparément.

  • L’obligation de donner
    • Lorsque l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, il y a lieu de distinguer selon qu’il s’agit de payer une somme d’argent ou selon qu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien :
      • Lorsqu’il s’agit d’une obligation de payer
        • Dans cette hypothèse, seule l’exécution forcée en nature est envisageable.
        • En pareil cas, il ne saurait y avoir d’exécution par équivalent, dans la mesure où, par hypothèse, il n’existe pas d’autre équivalent à l’argent que l’argent.
      • Lorsqu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien
        • En cas de défaillance du débiteur, l’exécution forcée n’a pas lieu de jouer dans la mesure où la défaillance du débiteur intéresse l’effet translatif du contrat.
        • Aussi, est-ce plutôt une action en revendication qui devra être engagée par le créancier aux fins de voir reconnaître son droit de propriété
        • Quant à l’obligation de délivrance de la chose, elle relève de la catégorie, non pas des obligations de donner, mais de faire.
  • L’obligation de faire
    • Lorsque l’engagement pris consiste en une obligation de faire, les deux formes d’exécution forcée sont possibles.
    • Reste que, dans certains cas, l’exécution forcée en nature d’une obligation de faire soulèvera des difficultés.
    • En effet, forcer une personne à fournir la prestation promise pourrait être considéré comme trop attentatoire à la liberté individuelle.
    • Ajouté à cela, contrainte une personne à fournir une prestation contre sa volonté, serait susceptible d’exposer le créancier à une exécution défectueuse de cette prestation qui, dès lors, ne répondrait pas aux attendus stipulés dans le contrat.
  • L’obligation de ne pas faire
    • Il n’est guère plus envisageable de faire respecter, par la force, une obligation de ne pas faire sauf à porter atteinte à la liberté individuelle.
    • L’obligation de ne pas faire se prête ainsi difficilement à l’exécution forcée en nature.

Fort de ces constats, le législateur, en 1804, en avait tiré la conséquence à l’ancien article 1142 du Code civil qui disposait que « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Le principe posé par ce texte était donc que les obligations de faire et les obligations de ne pas faire ne pouvaient faire l’objet que d’une exécution forcée par équivalent, soit se traduire par le versement d’une somme d’argent au créancier.

Par exception, la loi avait néanmoins envisagé certains cas où l’exécution forcée en nature était possible pour les obligations de faire et de ne pas faire :

  • L’ancien article 1143 prévoyait que « néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu »
  • L’ancien article 1145 disposait encore que « si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention ».

Portée par une doctrine majoritairement favorable à une extension du domaine de l’exécution forcée, la jurisprudence a progressivement admis qu’elle puisse être envisagée pour les obligations de faire et de ne pas faire, dès lors qu’elles ne sont pas intimement liées à la personne du débiteur (V. en ce sens pour les obligations de faire Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n°03-21.136 ; pour les obligations de ne pas faire Cass. 1ère civ., 16 janv. 2007, n°06-13.983).

Pour ce faire, la Cour de cassation s’est notamment appuyée sur une lecture audacieuse de l’ancien article 1184 du Code civil, combinée à une lecture restrictive de l’ancien article 1142.

En effet, l’ancien article 1184 du code civil semblait ouvrir la possibilité, pour toutes les obligations, de quelque nature qu’elles soient, d’une exécution forcée en nature au choix du créancier en prévoyant que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ».

Toutefois, la lettre du texte de l’ancien article 1142 paraissait limiter aux seules obligations de donner la possibilité d’une exécution forcée en nature : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Pour concilier ces deux textes, la Cour de cassation, suivant en cela la doctrine majoritaire, a inversé le principe posé par l’article 1142, pour revenir au fondement de la règle qu’il formule et considérer que seules sont exclues du champ d’application de l’exécution forcée en nature les atteintes directes à la liberté de la personne du débiteur.

D’ailleurs, les articles 1143 et 1144 nuançaient déjà l’affirmation posée par l’article 1142 en prévoyant des dérogations au principe de la condamnation à des dommages-intérêts.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle fait une application très restrictive des termes de l’article 1142 du code civil, et paraît avoir reconnu, avec la majorité des auteurs, un véritable droit à l’exécution forcée en nature, en considérant que tout créancier peut exiger l’exécution de ce qui lui est dû lorsque cette exécution est possible (Cass. 3e civ., 19 février 1970, n°68-13.866 ; Cass. 3e civ., 3 novembre 2017, n°15-23.188). La possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature n’est donc exclue qu’en cas d’impossibilité matérielle, juridique ou morale.

Manifestement, les auteurs qui plaidaient pour un abandon de la soustraction des obligations de faire et de ne pas faire à l’exécution forcée en nature ont été entendus par le législateur qui n’a pas manqué l’occasion, lors de l’ordonnance du 10 février 2016, d’inverser le principe posé à l’ancien article 1142 du Code civil, conformément à la jurisprudence qui avait réduit à la portion congrue la portée de ce texte.

==>L’ordonnance du 10 février 2016

L’ordonnance du 10 février 2016 dispose désormais à l’article 1221 du Code civil que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.

Ainsi, ce texte rompt avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil, dont la Cour de cassation avait déjà retenu une interprétation contraire au texte et qui était également contredit par la procédure d’injonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 du code de procédure civile.

Le principe est donc dorénavant inversé. Il est indifférent que l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, le créancier est fondé, par principe, à solliciter l’exécution forcée en nature de son débiteur, sauf à ce que :

  • Soit l’exécution est impossible
  • Soit il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

À cet égard, le créancier dispose toujours d’une alternative prévue à l’article 1222 du Code civil qui consiste, « au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire ».

Aussi, convient-il de distinguer deux sortes d’exécution forcée en nature :

  • Celle qui intéresse l’intervention du débiteur
  • Celle qui intéresse l’intervention d’un tiers

I) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention du débiteur

A) Principe

1. Contenu du principe

L’article 1221 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 autorise donc le créancier à solliciter l’exécution forcée en nature en cas de défaillance de son débiteur.

Le principe ainsi posé est repris, en des termes plus généraux, par l’article 1341 du Code civil qui dispose que « le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi. »

==>Indifférence de la nature des obligations en cause

Tandis que sous l’empire du droit antérieur, cette forme d’exécution forcée ne pouvait intervenir que pour les obligations de payer, désormais, le texte ne distingue plus selon que la prestation inexécutée consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Toutes les obligations, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de faire l’objet d’une exécution forcée en nature.

Une interrogation demeure toutefois pour l’obligation de ne pas faire, dont on voit mal comment elle pourrait donner lieu à une exécution forcée en nature. En effet, contraindre le débiteur à s’abstenir de ne pas faire quelque chose que le contrat lui interdit, reviendrait, par hypothèse, à porter une atteinte excessive à sa liberté individuelle.

L’exécution forcée en nature est donc inenvisageable pour les obligations de ne pas faire, à l’exception du cas prévu à l’article 1222 du Code civil qui autorise le créancier à « détruire ce qui a été fait en violation » d’une obligation. Il pourra alors « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. »

En dehors du cas particulier de l’obligation de ne pas faire, l’exécution forcée en nature est à la portée du créancier.

==>Absence de hiérarchisation des sanctions

À cet égard, elle figure en bonne place dans la liste des sanctions attachées à l’inexécution du contrat énoncées à l’article 1217 du Code civil puisqu’elle figure en deuxième place après l’exception d’inexécution.

Est-ce à dire que l’exécution forcée en nature prime les autres sanctions que sont la réduction du prix ou la résolution du contrat ?

Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier.

Aussi, le créancier est-il libre de solliciter la résolution du contrat plutôt que l’exécution forcée en nature.

À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.

Au surplus, le choix fait par le créancier s’impose au juge dès lors que les conditions d’application de la sanction invoquée sont réunies.

==>Possibilité de cumul des sanctions

Le dernier alinéa de l’article 1217 règle l’articulation entre les différentes sanctions qui, en application de ce texte, peuvent se cumuler, dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles.

Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.

Il est néanmoins possible de conjecturer, au regard de la jurisprudence antérieure, que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.

Plusieurs combinaisons peuvent ainsi être envisagées :

  • Exécution forcée en nature et résolution
    • Tandis que l’exécution forcée en nature vise à contraindre le débiteur à fournir la prestation ou la chose convenue, la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat, soit de faire comme s’il n’avait jamais exigé.
    • Manifestement, les effets recherchés pour ces deux sortes de sanctions sont radicalement opposés.
    • Il en résulte que, en cas de défaillance du débiteur, exécution forcée en nature et résolution ne sauraient se cumuler (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 juin 1989, n°87-14.083).
  • Exécution forcée en nature et réduction du prix
    • L’obtention d’une réduction de prix suppose que l’obligation dont se prévaut le créancier n’a été qu’imparfaitement exécutée.
    • Aussi, cette sanction vise-t-elle à ramener le prix au niveau de la quotité ou de la qualité de la prestation qui a été effectivement fournie.
    • De son côté, l’exécution forcée en nature vise plutôt à contraindre le débiteur à parfaire l’exécution de l’obligation souscrite.
    • Il n’est donc pas question ici, pour le créancier, de renoncer à la quotité ou à la qualité de la prestation stipulée dans le contrat.
    • Les objectifs recherchés pour les deux sanctions sont, là encore, opposés.
    • Exécution forcée en nature et réduction de prix sont, dans ces conditions, incompatibles.
  • Exécution forcée en nature et dommages et intérêts
    • L’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Il en résulte que l’exécution forcée en nature peut être cumulée avec une demande d’octroi de dommages et intérêts.
    • Ces derniers visent à indemniser le créancier pour le préjudice subi en raison de l’inexécution totale ou partielle du contrat.

2. Conditions de mise en oeuvre

Pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • D’une part, la créance dont se prévaut le créancier doit être certaine, liquide et exigible
  • D’autre part, le débiteur doit avoir préalablement été mis en demeure de s’exécuter

==>Caractère certain, liquide et exigible de la créance

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil ne le prévoient pas expressément, l’exécution forcée en nature ne se conçoit que si la créance dont se prévaut le créancier est certaine, liquide et exigible.

  • Sur le caractère certain de la créance
    • Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans son principe.
    • L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
    • C’est la une condition indispensable à la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature, ne serait-ce que parce que, à défaut de certitude de la créance, le créancier échouera à obtenir un titre exécutoire et donc à s’attacher les services d’un huissier de justice aux fins qu’il instrumente une mesure d’exécution forcée.
  • Sur le caractère exigible de la créance
    • Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
    • Pour que l’exécution forcée en nature puisse être invoquée, encore faut-il que la créance dont se prévaut le créancier soit exigible
    • À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de conséquence, obtenir l’exécution forcée en nature de l’obligation en cause.
    • Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se reporter au terme stipulé dans le contrat.
    • À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties ».
    • Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul débiteur.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
    • La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
    • Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation prévue au contrat.
    • Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé, soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au contrat.
  • Sur le caractère liquide de la créance
    • Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible d’être évaluable en argent.
    • À l’évidence, pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, encore faut-il que la prestation ou la chose promise soit déterminée.
    • À défaut, aucune exécution forcée ne saurait avoir lieu, faute de détermination de son objet.

==>Mise en demeure

Les articles 1221 et 1222 du Code civil subordonnent la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature à la mise en demeure préalable du débiteur.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution forcée en nature vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de tenir en échec la demande d’exécution forcée en nature formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

Dans cette hypothèse, la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature ne sera donc pas subordonnée à sa mise en demeure.

==>Titre exécutoire

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil suggèrent qu’il suffit au créancier de remplir les conditions énoncées ses textes pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, il n’en est rien.

Cette dernière est, en effet, subordonnée à l’obtention, par le créancier, d’un titre exécutoire. L’article 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en ce sens que « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »

Pour rappel, par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution :

  • Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
  • Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
  • Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
  • Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
  • Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
  • Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
  • Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.

À défaut de titre exécutoire, le droit pour le créancier à l’exécution forcée en nature de sa créance n’est que purement théorique, en ce sens qu’il demeure privé de la possibilité de requérir le ministère d’un huissier de justice pour mise en œuvre de l’exécution proprement dite.

L’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit, en effet, que « les huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont seuls qualité pour […] ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire ».

Ainsi, les huissiers de justice ne sont autorisés à diligenter une procédure d’exécution forcée qu’à la condition qu’ils justifient d’un titre exécutoire.

B) Exceptions

L’article 1221 du Code civil assortit le principe de l’exécution forcée en nature de deux exceptions :

  • L’existence d’une impossibilité d’exécution pour le débiteur
  • L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

1. L’impossibilité d’exécution pour le débiteur

L’article 1221 du Code civil pose que, dans l’hypothèse où il est avéré, que l’exécution de l’obligation en cause est impossible, le créancier ne peut en demander l’exécution forcée en nature.

Cette règle n’est pas sans faire écho à l’adage latin nullus tenetur ad impossibile qui signifie « à l’impossible nul n’est tenu ».

Surtout, elle ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que l’exécution forcée en nature soit exclue en cas d’impossibilité rencontrée par le débiteur.

Reste que la Cour de cassation a tours eu une approche pour le moins restrictive de cette exception dont le champ d’application était circonscrit à l’impossibilité :

  • Matérielle : arrêt de la fabrication du modèle du véhicule vendu (Cass. com., 5 octobre 1993, n°90-21.146), empiétement, s’il est impossible, de démolir et reconstruire l’immeuble à l’emplacement prévu (Cass. 3e civ., 15 février 1978, n°76-13.532)
  • Juridique : dans un arrêt du 27 novembre 2008, la première chambre civile a, par exemple, jugé que « viole l’article 1142 du code civil la cour d’appel qui ordonne sous astreinte au propriétaire d’un local à usage d’habitation de délivrer ce bien à celui avec qui il avait conclu un contrat de bail, alors qu’elle avait relevé que ce local avait été loué à un tiers » (Cass. 1ère civ., 27 novembre 2008, n°07-11.282)
  • Morale : tel est le cas lorsque l’obligation étant éminemment personnelle, son exécution forcée porterait une atteinte trop forte aux droits et libertés fondamentaux de celui qui y est tenu. À cet égard, dans un célèbre arrêt Whistler du 14 mars 1900, la Cour de cassation, après avoir affirmé que le contrat par lequel un artiste s’était engagé à peindre un portrait était « d’une nature spéciale, en vertu duquel la propriété du tableau n’est définitivement acquise à la partie qui l’a commandé, que lorsque l’artiste a mis ce tableau à sa disposition, et qu’il a été agréé par elle », a approuvé la cour d’appel de n’avoir pas ordonné l’exécution forcée de ce contrat au peintre qui refusait de terminer son tableau, le condamnant uniquement à des dommages-intérêts (Cass. civ., 14 mars 1900)

En l’absence de précision de l’article 1221 du Code civil sur le domaine de l’exception tenant à l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter ses obligations, il est fort probable que les solutions adoptées par la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 soient reconduites.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au Rapport au Président de la République qui précise que « l’exécution forcée en nature ne peut être ordonnée en cas d’impossibilité (matérielle, juridique ou morale, en particulier si elle porte atteinte aux libertés individuelles du débiteur) ».

2. L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

L’impossibilité pour le débiteur d’exécuter la prestation promise n’est pas la seule exception au principe d’exécution forcée en nature.

L’ordonnance du 10 février 2016 a ajouté une nouvelle exception : l’exécution en nature ne peut être poursuivie s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.

Cette nouvelle exception, selon le Rapport au Président de la République est directement inspirée des projets européens d’harmonisation du droit des contrats.

Au fond, elle vise à éviter certaines décisions jurisprudentielles très contestées : lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit.

Tel est le cas, lorsque par exemple, l’acquéreur d’une maison individuelle contraint le constructeur à la démolir pour la reconstruire, considérant que « le niveau de la construction présentait une insuffisance de 0,33 mètre par rapport aux stipulations contractuelles ». Nonobstant le coût des travaux à supporter par le constructeur, la Cour de cassation avait considéré que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible » (Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21.136).

La nouvelle exception introduite à l’article 1221 du Code civil a été présentée par le législateur comme une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue.

Aussi, commettrait un abus de droit le créancier qui exigerait cette exécution alors que l’intérêt qu’elle lui procurerait serait disproportionné au regard du coût qu’elle représenterait pour le débiteur et que des dommages et intérêts pourraient lui fournir une compensation adéquate à un prix inférieur pour le débiteur.

La Cour de cassation semble avoir elle-même ouvert la voie en censurant un arrêt qui avait ordonné la démolition d’un ouvrage au motif que la cour d’appel n’avait pas recherché si cette démolition « constituait une sanction disproportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass., 3ème civ., 15 octobre 2015, n° 14-23.612).

En inscrivant cette exception dans la loi, les rédacteurs de l’ordonnance ont entendu mettre fin à ces hésitations de la jurisprudence, tout en limitant au maximum le jeu de cette exception qui constitue une atteinte à la force obligatoire du contrat.

En tout état de cause, pour faire échec à la demande d’exécution forcée en nature du créancier le débiteur devra démontrer qu’il existe une disproportion entre le coût de l’exécution et l’intérêt pour le créancier de la mise en œuvre de cette exécution.

C’est donc à un test de proportionnalité que les juridictions vont devoir se livrer pour apprécier l’application de l’exception au principe de l’exécution forcée en nature dont ne priveront pas d’invoquer les débiteurs en délicatesse avec les stipulations contractuelles.

La rédaction retenue pour l’article 1221 soulève cependant plusieurs interrogations de la part de la doctrine et des praticiens du droit.

L’exigence d’une « disproportion manifeste » entre le coût pour le débiteur et l’intérêt pour le créancier est certes plus précise et moins critiquée que la formule qui avait été retenue initialement dans le projet d’ordonnance, selon laquelle l’exécution en nature devait être écartée si son coût était « manifestement déraisonnable », cette appréciation ne prenant en considération que la situation du débiteur.

Toutefois, loin de priver la Cour de cassation de tout rôle normatif en ce domaine, la réforme soulève de nouvelles questions auxquelles elle devra répondre pour assurer l’unification de l’interprétation du nouveau droit des contrats.

La principale crainte exprimée est celle de voir dans l’article 1221 du Code civil une incitation pour le débiteur à exécuter son obligation de manière imparfaite toutes les fois où le gain attendu de cette inexécution sera supérieur aux dommages et intérêts qu’il pourrait être amené à verser, c’est-à-dire permettre au débiteur de mauvaise foi de profiter de sa « faute lucrative ».

Sans aller jusqu’à évoquer de véritables gains pour le débiteur, n’est-il pas à craindre qu’un constructeur ne pouvant honorer tous les contrats qu’il a en cours choisisse de privilégier l’exécution parfaite de certains contrats au détriment d’autres contrats, n’encourant plus l’exécution forcée en nature, le cas échéant très coûteuse, mais seulement le versement de dommages et intérêts ?

Pour résoudre cette difficulté, et éviter ce genre de calculs du débiteur, il a été précisé dans le texte qu’en cas de disproportion manifeste du coût pour le débiteur au regard de l’intérêt pour le créancier, il ne pourrait être fait échec à la demande d’exécution forcée en nature qu’au bénéfice du débiteur de bonne foi.

La question se pose encore de savoir si l’intérêt pour le créancier doit s’apprécier objectivement ou subjectivement ? Autrement dit, doit-on tenir compte des conséquences matérielles et financières sur la situation du créancier (appréciation subjective) ou doit-on ne se focaliser que sur les conséquences de l’inexécution contractuelle sur l’économie de l’opération (appréciation objective) ?

Dans le même sens, le coût de l’exécution forcée doit-il s’apprécier au regard du prix de la prestation fixée contractuellement ou au regard de la situation financière du débiteur ?

Ce sont là, autant de questions auxquels la jurisprudence devra répondre, faute de précisions apportées par le législateur sur les critères d’application de l’exception ainsi posée.

II) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention d’un tiers

L’article 1222 du Code civil prévoit que « après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. »

À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant, au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire.

Ce mécanisme, que l’on appelle la faculté de remplacement) n’est pas nouveau, puisqu’il reprend en substance les anciens articles 1143 et 1144 et ne fait, au fond.

L’ordonnance du 10 février 2016 innove néanmoins en abandonnant l’exigence d’obtention d’une autorisation judiciaire pour que puisse être exercée cette faculté, sauf à ce qu’il s’agisse de détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

L’article 1222 du Code civil doit ainsi être lu comme posant un principe, lequel principe est assorti d’une exception.

A) Principe : la faculté discrétionnaire de remplacement

Grande nouveauté introduite par la réforme du droit des obligations, l’article 1222 du Code civil facilite la faculté de remplacement par le créancier lui-même, puisqu’il supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci.

En somme la faculté de remplacement conféré au créancier lui permet de solliciter les services d’un tiers aux fins qu’il exécute lui-même l’obligation de faire ce qui incombait au débiteur défaillant.

L’article 1222 précise que, en pareille circonstance, le créancier peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

==>Domaine

La faculté de remplacement dont est titulaire le créancier peut être exercée pour toutes les obligations de faire, dès lors que le résultat recherché et prévu dans le contrat peut être atteint.

Son domaine naturel d’élection est celui des obligations de fournir un bien mobilier. Ainsi, l’acheteur qui n’a pas été livré de la chose convenue, peut exiger qu’elle lui soit fournie par un tiers en cas de manquement par le vendeur à son obligation de délivrance.

L’exercice de la faculté de remplacement est également admis en matière de contrat d’entreprise.

La jurisprudence admet régulièrement en ce sens que le maître d’ouvrage puisse faire réaliser les travaux convenus par une entreprise autre que celle à qui le marché a initialement été confié.

Il en va de même pour le preneur qui, en cas d’inaction de son bailleur, peut faire solliciter les services d’un tiers pour que soient effectuées les réparations nécessaires à la jouissance paisible de la chose louée.

==>Conditions

L’exercice de la faculté de remplacement conférée au créancier est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • Première condition : la mise en demeure du débiteur
    • La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.
    • Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un tiers.
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
  • Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable
    • La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au préalable, une mise en demeure.
    • Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser sa situation.
    • Reste à déterminer ce que l’on doit entendre par délai raisonnable
    • Sans doute doit-on considérer que le délai raisonnable commence à courir à compter de la mise en demeure du débiteur.
    • Quant au quantum de ce délai, il conviendra de prendre en compte, tout autant les impératifs du créancier, que la situation du débiteur.
  • Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable
    • Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût de l’intervention du tiers doit être raisonnable
    • L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.
    • L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des frais disproportionnés eu égard l’obligation à laquelle s’était engagé initialement le débiteur

B) Exception : l’exigence d’une autorisation judiciaire

Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une autorisation judiciaire est exigée dans deux cas :

==>La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du créancier.

Reprenant les termes de l’ancien article 1444 du Code civil, le second alinéa de l’article 1222 oblige ainsi le créancier à saisir le juge, lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une disposition contractuelle.

Le texte ajoute que le créancier peut « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin »

Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

==>Le versement d’une avance sur frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou la destruction en cause.

Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

Sanction de l’inexécution du contrat: la faculté de remplacement du créancier

L’article 1222 du Code civil prévoit que « après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. »

À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant, au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire.

Ce mécanisme, que l’on appelle la faculté de remplacement) n’est pas nouveau, puisqu’il reprend en substance les anciens articles 1143 et 1144 et ne fait, au fond.

L’ordonnance du 10 février 2016 innove néanmoins en abandonnant l’exigence d’obtention d’une autorisation judiciaire pour que puisse être exercée cette faculté, sauf à ce qu’il s’agisse de détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

L’article 1222 du Code civil doit ainsi être lu comme posant un principe, lequel principe est assorti d’une exception.

I) Principe : la faculté discrétionnaire de remplacement

Grande nouveauté introduite par la réforme du droit des obligations, l’article 1222 du Code civil facilite la faculté de remplacement par le créancier lui-même, puisqu’il supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci.

En somme la faculté de remplacement conféré au créancier lui permet de solliciter les services d’un tiers aux fins qu’il exécute lui-même l’obligation de faire ce qui incombait au débiteur défaillant.

L’article 1222 précise que, en pareille circonstance, le créancier peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

==> Domaine

La faculté de remplacement dont est titulaire le créancier peut être exercée pour toutes les obligations de faire, dès lors que le résultat recherché et prévu dans le contrat peut être atteint.

Son domaine naturel d’élection est celui des obligations de fournir un bien mobilier. Ainsi, l’acheteur qui n’a pas été livré de la chose convenue, peut exiger qu’elle lui soit fournie par un tiers en cas de manquement par le vendeur à son obligation de délivrance.

L’exercice de la faculté de remplacement est également admis en matière de contrat d’entreprise.

La jurisprudence admet régulièrement en ce sens que le maître d’ouvrage puisse faire réaliser les travaux convenus par une entreprise autre que celle à qui le marché a initialement été confié.

Il en va de même pour le preneur qui, en cas d’inaction de son bailleur, peut faire solliciter les services d’un tiers pour que soient effectuées les réparations nécessaires à la jouissance paisible de la chose louée.

==> Conditions

L’exercice de la faculté de remplacement conférée au créancier est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • Première condition : la mise en demeure du débiteur
    • La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.
    • Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un tiers.
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
  • Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable
    • La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au préalable, une mise en demeure.
    • Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser sa situation.
    • Reste à déterminer ce que l’on doit entendre par délai raisonnable
    • Sans doute doit-on considérer que le délai raisonnable commence à courir à compter de la mise en demeure du débiteur.
    • Quant au quantum de ce délai, il conviendra de prendre en compte, tout autant les impératifs du créancier, que la situation du débiteur.
  • Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable
    • Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût de l’intervention du tiers doit être raisonnable
    • L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.
    • L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des frais disproportionnés eu égard l’obligation à laquelle s’était engagé initialement le débiteur

II) Exception : l’exigence d’une autorisation judiciaire

Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une autorisation judiciaire est exigée dans deux cas :

==> La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du créancier.

Reprenant les termes de l’ancien article 1444 du Code civil, le second alinéa de l’article 1222 oblige ainsi le créancier à saisir le juge, lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une disposition contractuelle.

Le texte ajoute que le créancier peut « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.. »

Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

==> Le versement d’une avance sur frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou la destruction en cause.

Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

Les sanctions de l’inexécution du contrat: vue générale (refonte du régime et énumération des sanctions)

==>La refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

Parce que le contrat est pourvu de la force obligatoire qui, en application de l’article 1103 du Code civil, lui est conférée par la loi, il a vocation à être exécuté.

Reste que cette exécution ne saurait dépendre de la seule volonté des parties, ne serait-ce que parce que, de bonne foi ou de mauvaise foi, ces dernières sont susceptibles d’être défaillantes.

Aussi, afin de contraindre les parties à satisfaire à leurs obligations le législateur, secondé par la jurisprudence, a-t-il prévu un certain nombre de sanctions, lesquelles sanctions vont de l’exécution forcée en nature à la résolution du contrat, en passant par l’octroi de dommages et intérêts.

Au fond, ces sanctions visent à assurer l’efficacité des conventions et à en garantir la bonne exécution.

L’une des principales innovations de la réforme du droit des obligations engagée par l’ordonnance du 10 février 2016 réside précisément dans la refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat.

Le régime de l’inexécution contractuelle constituait, en effet, l’une des carences du code civil, dont les règles, en la matière, étaient, jusqu’alors, éparses et incomplètes :

  • D’une part, l’exécution en nature était traitée avec les obligations de faire et de ne pas faire, et les obligations de donner
  • D’autre part, les textes étaient muets sur l’exception d’inexécution
  • Enfin, la résolution était évoquée à l’occasion des obligations conditionnelles.

Afin de remédier à cette dispersion des sanctions qui rendait leur articulation et leur lisibilité difficile, l’ordonnance du 10 février 2016 a procédé à un regroupement de l’ensemble des règles relatives à l’inexécution contractuelle en une seule section

Cette section, qui relève d’un chapitre IV consacré aux effets du contrat, est divisée en cinq sous-sections présentées à titre liminaire à l’article 1217 du Code civil.

==>L’énumération des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

L’alinéa 2 du texte précise que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »

Deux principaux enseignements peuvent être retirés des règles énoncées à l’article 1217 du Code civil :

  • Premier enseignement : sur le choix des sanctions
    • L’article 1217 du Code civil énumère en son premier alinéa l’ensemble des sanctions à la disposition du créancier d’une obligation non exécutée, soit d’une obligation dont l’exécution n’est pas conforme aux stipulations contractuelles.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir s’il faut voir dans la liste des sanctions énumérées un ordre hiérarchique qui s’imposerait au créancier ?
    • Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier, à la condition que les conditions d’application de ladite sanction soient réunies.
    • Aussi, le créancier est-il libre de solliciter une réduction du prix plutôt que la résolution du contrat. Il peut encore préférer une exécution forcée en nature assortie de dommages et intérêts.
    • À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.
    • D’ailleurs, le dernier alinéa règle l’articulation entre ces différents remèdes qui peuvent se cumuler s’ils ne sont pas incompatibles et rappelle que les dommages et intérêts sont toujours compatibles avec les autres sanctions si les conditions de la responsabilité civile sont réunies.
  • Second enseignement : sur l’articulation des sanctions
    • L’article 1217 pris en son alinéa 2 prévoit que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »
    • Il ressort de cette disposition qu’un cumul des sanctions énoncées par l’alinéa 1er est permis, à la condition, précise le texte, qu’elles ne soient pas incompatibles.
    • Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.
    • Reste que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.
    • Ainsi, la résolution du contrat est incompatible avec une demande d’exécution forcée en nature ou une réduction du prix
    • Le créancier pourra néanmoins cumuler la sanction de l’exception d’inexécution avec l’exécution forcée en nature.
    • En tout état de cause, l’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Bien que les dommages et intérêt fassent l’objet d’un traitement spécifique par le texte, ils ne pourront être sollicités par le créancier qu’à la condition qu’il justifie d’un préjudice.
    • À cet égard, dans l’hypothèse où il aurait obtenu une réduction du prix de la prestation, les dommages et intérêts qui susceptibles de lui être alloués ne pourront couvrir que le préjudice subsistant.

Au bilan, la présentation qui est faite des sanctions de l’inexécution contractuelle clarifie les règles applicables et en permet une appréhension globale, jusqu’alors complexe.

Les dispositions qui suivent l’article 1217 du Code civil viennent, quant à elles, poser les conditions d’applications de chacune des sanctions prises individuellement, étant précisé qu’il y a lieu de distinguer les conditions communes à toutes les sanctions, de celles spécifiques à chacune d’elles.

La détermination de la prestation ou l’objet de l’obligation

Tout d’abord, il peut être observé que la question de l’objet de l’obligation est traitée aux articles 1163 à 1167 du Code civil, lesquels remplacent les anciens articles 1126 à 1130.

La lecture de ces nouvelles dispositions appelle plusieurs remarques à titre liminaire.

==>Objet de l’obligation / Objet du contrat

Bien que l’ordonnance du 10 février 2016 ait regroupé sous le vocable de contenu du contrat, les concepts d’objet et de cause, la notion d’objet n’a pas totalement disparu du Code civil, celui-ci y faisant toujours référence, notamment à l’article 1163.

Cette disposition prévoit en effet que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future ».

Ainsi, le législateur vise-t-il ici ce que l’on qualifiait autrefois d’objet de l’obligation que l’on opposait à l’objet du contrat.

  • L’objet de l’obligation doit être entendu comme la prestation qu’une partie au contrat s’est engagée à exécuter.
    • Exemple :
      • Dans un contrat de vente, l’objet de l’obligation du vendeur est la délivrance de la chose et pour l’acheteur le paiement du prix
      • Dans un contrat de bail, l’objet de l’obligation du preneur est le paiement du loyer, tandis que pour le bailleur c’est la mise à disposition de la chose louée.
  • L’objet du contrat désigne quant à lui l’opération contractuelle que les parties ont réalisée, soit l’opération envisagée dans son ensemble et non plus dans l’un ou l’autre de ses éléments constitutifs.

==>Chose VS Prestation

Aux termes de l’article 1163, al. 1 du Code civil « l’obligation a pour objet une prestation […] ».

Aussi, ressort-il de cette disposition que le législateur a préféré au terme chose, qui avait été désigné en 1804 comme l’objet de l’obligation, le mot prestation, lequel fait sa grande apparition dans le Code civil.

L’ancien article 1126 du Code civil prévoyait, en effet, que « tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une partie s’oblige à faire ou à ne pas faire. »

Pourquoi ce changement de vocable ? Deux raisons peuvent être invoquées :

Première raison : abandon de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire

Antérieurement à la réforme du droit des obligations, le Code civil distinguait les obligations de donner, de faire et de ne pas faire :

  • Exposé de la distinction
    • L’obligation de donner
      • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
    • L’obligation de faire
      • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • L’obligation de ne pas faire
      • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé.
  • Intérêt – révolu – de la distinction
    • Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.
    • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
      • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
    • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
      • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
    • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
      • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »
    • Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire
      • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
      • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
      • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
        • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
        • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ).
  • Abandon de la distinction
    • L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.
    • Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.
    • Le nouvel article 1221 du Code civil prévoit en ce sens que :
      • « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »
    • L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.
    • Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.
    • Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :
      • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
      • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »
  • Conséquences de l’abandon de la distinction
    • Dans la mesure où la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire a perdu de son intérêt, le législateur a estimé qu’il n’était plus nécessaire de s’y référer.
    • Il lui fallait donc trouver une notion qui puisse englober ces trois catégories d’obligations.
    • Or le terme prestation le permet, car sa signification est suffisamment large pour que l’on puisse ranger sous cette notion tous les objets sur lesquels une obligation contractuelle est susceptible de porter.

Seconde raison : un remède au caractère restrictif du terme chose

Le second argument qui a conduit le législateur a changé de vocable, s’agissant de l’objet de l’obligation, est que la signification du terme chose apparaît bien plus étroite que celle que l’on confère habituellement à la notion de prestation.

Tandis, en effet, que le terme « chose » semble ne viser que l’obligation de donner, la notion de « prestation » permet d’envisager que l’objet de l’obligation puisse consister en la fourniture d’un service autre d’une opération de transfert de droits de propriétés.

Immédiatement, une question alors se pose : que doit-on entendre par le terme prestation ?

==>Notion de prestation

Par prestation, il faut entendre ce à quoi les parties au contrat se sont engagées.

Le législateur ne précisant pas en quoi s’apparente précisément une prestation, on peut en déduire qu’elle consiste indifféremment en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Est-ce à dire que dès lors qu’une prestation est stipulée par les parties, le contrat est valide ?

Indépendamment du fait que la prestation doit être licite, conformément à l’article 1162 du Code civil, l’alinéa 2 de l’article 1163 précise qu’elle doit « être possible et déterminée ou déterminable », faute de quoi le contrat est nul.

I) La possibilité de la prestation

L’article 1162 du Code civil subordonne la validité du contrat à la possibilité de la prestation. Cette exigence est manifestement tirée de l’adage Nulla impossibilium obligatio, soit à l’impossible nul n’est tenu.

Cela signifie, autrement dit, que qu’il ne faut pas qu’existe une impossibilité d’exécuter la prestation que l’on s’est engagé à accomplir.

Toutefois, encore faut-il que l’impossibilité présente un certain nombre de caractères, à défaut de quoi, le débiteur de l’obligation sera tenu, nonobstant l’existence de l’impossibilité.

A) Les caractères de l’impossibilité

==>Une impossibilité absolue

Pour être cause de nullité du contrat, l’impossibilité qui fait obstacle à l’exécution de la prestation doit être absolue et non relative.

L’impossibilité doit de la sorte être prise dans son sens objectif : n’importe quel débiteur s’y heurterait (V. en ce sens CA Paris, 4 juill. 1865).

Exemples :

  • L’impossibilité absolue de réaliser une prestation consisterait à s’engager à faire disparaître le soleil ou à ramener à la vie un mort.
  • L’impossibilité relative consisterait, quant à elle, à s’engager à donner un récital de piano, alors que l’on n’a jamais appris à jouer de cet instrument ou encore à battre le record du monde du saut en longueur alors que l’on n’a jamais fait d’athlétisme.

Tandis que l’existence d’une impossibilité absolue constituerait une cause de nullité du contrat, la seule impossibilité relative ne serait pas de nature à remettre en cause sa validité.

Aussi, lorsque l’impossibilité qui fait obstacle à la réalisation de la prestation est seulement relative, le débiteur engage sa responsabilité contractuelle.

Il s’expose donc à devoir verser aux créanciers des dommages et intérêts.

==>Une impossibilité inconnue du débiteur

Lorsque l’impossibilité d’exécuter l’obligation est absolue, le débiteur ne doit pas avoir eu connaissance de cette impossibilité au moment de la conclusion du contrat.

À défaut, il engage sa responsabilité, dans la mesure où il lui appartenait de ne pas contracter, soit de ne pas créer une espérance chez le créancier.

==>Une impossibilité originelle

Pour être cause de nullité, l’impossibilité doit encore exister au moment de la formation du contrat.

Si cette impossibilité survient au cours de l’exécution de la prestation, le débiteur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de la survenance d’une cause étrangère (force majeure, cas fortuit etc.).

B) La sanction de l’impossibilité

Les règles relatives à l’objet de l’obligation visent à protéger l’intérêt général. Aussi, relèvent-elles de l’ordre public de direction.

Dans un arrêt du 28 avril 1987, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue » (Cass. com. 28 avr. 1987, n°86-16.084).

*****

Cass. com. 28 avr. 1987

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1304, alinéa 1er du Code civil ;

Attendu que les actes dont la nullité est absolue étant dépourvus d’existence légale ne sont susceptibles ni de prescription ni de confirmation :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par une convention du 20 décembre 1963, la société de Travaux Publics Brethome s’est engagée à s’approvisionner pendant 50 années en matériaux nécessaires aux besoins de ses chantiers routiers dans les différentes carrières où M. Z… posséderait des intérêts dans tous les cas où ces chantiers se trouveraient à une distance déterminée de ces carrières, et ce “à prix égal à celui de la concurrence éventuelle” ; que M. Y… et la société Y… ont demandé la nullité de cette convention pour défaut d’objet en ce que s’est révélée impossible l’obligation leur incombant de soumettre à M. Z… par écrit les prix résultant de la concurrence ;

Attendu que, pour déclarer prescrite cette action en nullité, la Cour d’appel énonce que la validité de la convention doit s’apprécier à la date à laquelle elle a été conclue, que, dans la mesure où elle ne repose ni sur la violence, ni sur l’erreur ou le dol, le point de départ du délai de prescription de cinq ans se situe au 20 décembre 1963, date où a été conclue la convention, de sorte que l’action était prescrite lorsqu’a été délivrée l’assignation du 28 mai 1982, que la demande tend en réalité à faire constater que l’engagement ne pouvait plus être exécuté en raison de la survenance d’un événement postérieur tendant à l’obligation de soumettre par écrit les prix résultant de la concurrence et qu’il appartiendrait à la société X…, pour pouvoir être libérée de son obligation, de prouver l’existence de la force majeure qui se caractérise par l’imprévisibilité et l’irrésistibilité ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ;

*****

II) La détermination de la prestation

Il ressort de la combinaison des articles 1163 à 1167 que deux types de règles s’appliquent à la détermination de la prestation

  • Les règles générales relatives à la détermination de la prestation
  • Les règles spécifiques relatives la détermination de la prestation lorsqu’elle consiste en le paiement d’un prix

A) Les règles générales relatives à la détermination de la prestation

L’examen des articles 1163 et 1166 du code civil révèle qu’il convient de distinguer selon que la prestation est déterminée ou détermination ou selon qu’elle est indéterminée

1. La prestation déterminée ou déterminable

Aux termes de l’article 1163 du Code civil, la prestation objet du contrat « doit être déterminée ou déterminable ».

Cette disposition n’est autre qu’une actualisation de l’ancien article 1129 du Code civil qui prévoyait en son alinéa 1 que « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » et d’ajouter à son alinéa 2 que « la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée. »

Si, sur le fond, le législateur n’a apporté aucune modification significative au droit positif, il n’en a pas moins profité pour toiletter l’énoncé des règles dont la formulation était devenue un peu datée.

a. Droit antérieur

Dans le droit antérieur, la jurisprudence distinguait selon que l’objet de l’obligation consistait en une chose ou un service.

==>L’objet de l’obligation est relatif à une chose

Dans cette hypothèse, il convenait de distinguer selon que la chose s’apparentait à un corps certain ou à une chose de genre.

  • La chose consiste en un corps certain
    • Par corps certain, il faut entendre un bien unique qui possède une individualité propre
      • Exemple : un immeuble, un bijou de famille, une œuvre d’art, etc…
    • Dans cette hypothèse, il suffit que le corps certain soit désigné dans le contrat pour que l’exigence de détermination de la prestation soit satisfaite.
    • La désignation du corps certain devra toutefois être suffisamment précise pour que l’on puisse identifier le bien, objet de la convention.
  • La chose consiste en une chose de genre
    • Par chose de genre, il faut entendre un bien qui ne possède pas une individualité propre, en ce sens qu’il est fongible
    • Il s’agit, autrement dit, de choses qui sont interchangeables
      • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
    • Dans cette hypothèse, l’article 1129 prévoit que si la chose doit être déterminée quant à son espèce (sa nature, son genre) lors de la formation du contrat, sa quotité pouvant être incertaine, pourvu qu’elle soit déterminable
    • Cela signifie donc qu’il importe peu que la chose de genre ne soit pas individualisée lors de la conclusion du contrat
    • Sa quantité devra toutefois être déterminable à partir des éléments contractuels prévus par les parties

==>L’objet de l’obligation est relatif à un service

Dans cette hypothèse, l’objet de l’obligation consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose

Pour satisfaire l’exigence de détermination de la prestation, la jurisprudence estimait qu’il était nécessaire que ladite prestation soit déterminée, tant dans sa nature (ne pas exercer une activité concurrente de celle de son ancien employeur), que dans sa durée (pendant cinq ans).

Ainsi, a-t-il été jugé, par exemple, dans un arrêt du 28 février 1983 que l’obligation de « faire un geste » n’est pas suffisamment précise pour satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation (Cass. com. 28 févr. 1983, n°81-14.921).

Dans un arrêt du 12 décembre 1989 la haute juridiction a toutefois précisé « qu’il est nécessaire pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties » (Cass. com. 12 déc. 1989, n°88-17.021).

Autrement dit, la prestation peut être considérée comme déterminable si sa quotité dépend de circonstances extérieures à la volonté des parties.

*****

Cass. com. 12 déc. 1989

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1129 du Code civil ;

Attendu qu’il est nécessaire, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, qu’assignée en paiement de dommages-intérêts par la société Interrent à laquelle la liait un contrat de franchisage d’une durée de cinq ans qu’elle avait unilatéralement résilié avant son expiration, la société Portier automatériel (société Portier) a opposé la nullité du contrat pour indétermination du montant de la redevance mise à sa charge par la clause prévoyant qu’en contrepartie des avantages qui lui étaient consentis, elle devait mensuellement verser à la société Interrent ” une participation financière déterminée pour chaque année civile par le conseil d’administration de la société ” ;

Attendu que, pour rejeter l’exception, l’arrêt énonce, par motif propre, que la clause litigieuse fait dépendre le prix de la volonté d’une des parties et que, dès lors, il n’y a plus de défaut d’accord de volontés sur le prix puisque les parties se sont entendues pour que l’une d’elles fixe celui-ci et, par motif adopté, que la participation financière imposée à la société Portier est ” donc bien déterminée ” ;

Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, après avoir relevé que le montant de la redevance due par cette société dépendait de la seule volonté de la société Interrent, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 juin 1988, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Limoges

*****

b. La réforme des obligations

Il ressort de l’article 1163 du Code civil, qu’il n’est plus besoin de distinguer

  • D’une part, selon que l’objet de l’obligation consiste en une chose ou un service
  • D’autre part, selon que la chose consiste en un corps certain ou une chose de genre

La règle désormais posée est que, en toute hypothèse, la prestation « doit être déterminée ou déterminable ».

Aussi, la seule distinction qu’il convient d’opérer est celle qui oppose la prestation déterminée à la prestation déterminable.

  • S’agissant d’une prestation déterminée, il s’agit de l’hypothèse où dès la conclusion du contrat, le débiteur sait précisément à quoi il s’engage, en ce sens qu’il connaît tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa prestation :
    • S’il s’agit de fourniture d’un corps certain, il sera désigné avec suffisamment de précision dans le contrat pour que les parties soient en mesure de l’identifier
    • S’il s’agit de fourniture d’une chose de genre, elle devra être déterminée quant à son espèce et quant à sa quotité
    • S’il s’agit de la fourniture d’un service ou d’une abstention, elle devra être déterminée dans sa nature et dans sa durée.
  • S’agissant d’une prestation déterminable
    • Dans cette hypothèse, l’alinéa 3 de l’article 1163 précise que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
    • Dans l’hypothèse où la prestation n’est pas déterminée, elle devra au moins être déterminable
    • Toutefois pour satisfaire à cette exigence, cela suppose
      • Soit que les stipulations du contrat permettent de déterminer la quotité de la prestation
      • Soit que la quotité de la prestation puisse être déduite des usages, ou des relations antérieures entretenues par les parties
    • En toute hypothèse, l’alinéa 3 in fine de l’article 1163 prévoit que la prestation ne pourra jamais être réputée déterminable, lorsqu’un nouvel accord des parties est nécessaire quant à fixer le contenu de la prestation.

2. La prestation indéterminée

L’article 1166 du Code civil dispose que « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

Si, antérieurement à la réforme des obligations la loi ne posait aucune véritable exigence s’agissant de la qualité de la prestation, la jurisprudence exigeait néanmoins du débiteur qu’il fournisse une prestation de qualité moyenne.

Cette règle était inspirée de l’ancien article 1246 du Code civil qui prévoyait que « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise. »

Dorénavant, il n’est donc plus question de qualité moyenne de la prestation : pour répondre à l’exigence de détermination, elle doit seulement être « conforme aux attentes légitimes du créancier », lesquelles attentes doivent être appréciées en considération de la nature de la prestation des usages et de la contrepartie fournie.

Il s’agit là toutefois d’une règle supplétive qui n’aura vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où la prestation n’est ni déterminée, ni déterminable.

B) Les règles spécifiques relatives à la détermination du prix

Nombreux sont les contrats dans lesquels est stipulée une obligation qui consiste en le paiement d’une somme d’argent, soit d’une obligation pécuniaire qui exprime le prix d’une chose ou d’un service (prix dans la vente, loyer dans le bail, honoraires dans le mandat, prime dans l’assurance etc.)

Si l’obligation pécuniaire se retrouve dans la très grande majorité des contrats onéreux, elle n’en constitue pas moins une catégorie particulière d’obligation, celle-ci portant sur de la monnaie.

Or par définition, la monnaie est instable en ce sens que rien ne permet de dire que la prestation estimée à un euro aujourd’hui aura toujours la même valeur demain.

D’où la difficulté pour les contrats qui s’échelonnent dans le temps de fixer un prix et, par voie de conséquence, de satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation.

S’il peut s’avérer extrêmement tentant pour les parties de reporter la fixation du prix à plus tard, il est un risque que, dans pareille hypothèse, le contrat encourt la nullité.

Immédiatement la question alors se pose de savoir quelles sont les marges de manœuvres dont disposent les parties quant à la détermination du prix.

1. Droit antérieur

Il ressort de la jurisprudence que les exigences relatives à la détermination du prix ont considérablement évolué sous l’empire du droit antérieur.

==>Première étape : conception souple de l’exigence de détermination du prix

  • Droit commun des contrats
    • La jurisprudence considérait, dans un premier temps, que, sauf disposition spéciale, l’article 1129 du Code civil était seul applicable en matière de détermination du prix.
    • Aussi, cela signifiait-il que dans les contrats qui comportaient une obligation pécuniaire, pour être valables, le prix devait être, soit déterminé, soit déterminable.
  • Cas des contrats-cadre
    • En application, de l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation a fait preuve d’une relativement grande souplesse s’agissant de l’exigence de détermination du prix, notamment pour les contrats-cadre, dont la particularité est de voir leur exécution échelonnée dans le temps.
    • Les contrats cadres ont, en effet, pour fonction d’organiser les relations contractuelles futures des parties.
    • La question s’est alors posée de savoir s’il était nécessaire que, dès la conclusion du contrat-cadre, le prix auquel seront conclues les ventes à venir soit déterminé.
    • Devait-on admettre, au contraire, que, sans fixer le prix, le fournisseur puisse seulement prévoir que le prix correspondra, par exemple, au tarif qui figurera sur le catalogue à la date de conclusion du contrat d’application ?
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est manifestement satisfaite de la seconde option.
    • Elle estimait, de la sorte, que le renvoi dans le contrat-cadre au prix du tarif fournisseur au jour de la livraison pour les ventes exécutées en application de ce contrat était valable (V. notamment Cass. req., 5 févr. 1934).
  • Cas du contrat de vente
    • Il peut être observé que la règle dégagée par la jurisprudence pour les contrats en général et pour les contrats-cadres ne s’appliquait pas au contrat de vente, la détermination du prix étant régi, pour ce type de contrat, par l’article 1591.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ». La détermination du prix est, de la sorte, une condition de validité du contrat de vente.
    • Lorsque le prix est seulement déterminable, la jurisprudence exige que sa fixation définitive soit indépendante de la volonté des parties (V. en ce sens Cass. com., 10 mars 1987, n°85-14.121).
    • Par ailleurs, l’article 1592 prévoit que le prix peut « être laissé à l’estimation d’un tiers ».

==>Deuxième étape : la chasse aux nullités pour indétermination du prix

À partir du début des années 1970, la jurisprudence a changé radicalement de position s’agissant de l’exigence de détermination du prix en se livrant, selon l’expression désormais consacrée par les auteurs, à une véritable chasse aux nullités pour indétermination du prix

La Cour de cassation a, en effet, cherché à attraire dans le champ d’application de l’article 1591, soit le régime applicable au contrat de vente, des opérations qui n’étaient pas véritablement constitutives de ventes mais qui en produisaient les effets (fourniture d’un produit).

Dans un arrêt du 27 avril 1971 la Cour de cassation a estimé en ce sens, au visa de l’article 1591 du Code civil qu’un contrat-cadre devait être annulé dans la mesure où « les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci » (Cass. com. 27 avr. 1971, n°70-10.753)

Cette solution a été réaffirmée par la chambre commerciale dans un arrêt du 12 février 1974 où elle censure une Cour d’appel qui, pour valider un contrat cadre, s’était référée « a des accords successifs intervenus pour la fixation du prix d’un certain nombre de fournitures, sans préciser comment, en vertu de la convention originaire, les prix de l’ensemble des fournitures prévues par celles-ci étaient soumis, malgré l’obligation d’exclusivité assumée par les époux x…, au libre jeu de la concurrence et ne dépendaient donc pas de la seule volonté de la brasserie du coq hardi » (Cass. com. 12 févr. 1974, n°72-13.959).

Cette chasse aux nullités pour indétermination du prix engagée par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, dans la mesure où cette dernière faisait application de l’article 1591 du Code civil à des contrats qui avaient pour objet, non pas la vente de produits, mais la fixation du cadre de la conclusion de contrats d’application futurs.

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Cass. com. 27 avr. 1971

Sur le premier moyen : vu les articles 1591 et 1592 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que, par convention du 31 mai 1956, la société Lille, Bonnieres et colombe, aux droits de laquelle se trouve la société Total, a consenti a la société Selmensheim, aux droits de laquelle se trouve la société Saint-Marcel Motors, pour l’exploitation par celle-ci d’une station de vente au détail de carburants, un prêt de matériel et d’argent ;

Qu’en contrepartie, la société Saint-Marcel Motors s’engageait à réserver à la société Total l’exclusivité pendant vingt ans, de ses achats de carburants “au prix pompiste de marque au jour de la livraison” ;

Que cette convention a d’abord été exécutée sous le régime d’un arrêté du 28 octobre 1952, qui fixait les marges respectives maximum de bénéfices de la compagnie distributrice et du pompiste détaillant, au prix du tarif de la société total lequel correspondait à la marge bénéficiaire maximum de cette société puis sous le régime de l’arrêté du 27 mai 1963, qui ne fixant plus que le prix limite de vente aux consommateurs, réalisait ainsi une fusion des deux marges, jusqu’au 17 juin 1965, date à laquelle la société Saint-Marcel Motors faisait valoir son désaccord sur les prix ;

Qu’elle assigna la société Total en vue de faire déclarer la caducité de la convention à compter de ladite date ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient essentiellement que le prix “pompiste de marque” a toujours été le prix du tarif de la société total, qui reproduisait le barème du comité professionnel du pétrole, et que c’était une coutume, les parties n’ayant pas avantage à ce qu’il en fut autrement ;

Qu’avant la publication de l’arrêté du 27 mai 1963, l’administration ne fixait pas le prix de vente des produits pétroliers aux pompistes et que cette situation n’a pas été modifiée par cet arrêté qui, en abandonnant le système des deux marges avait réalisé la fusion de celles-ci, que, lors des discussions quotidiennes qui s’instaurent entre total et ses clients pompistes de marque pour le renouvellement d’anciens contrats et la passation de nouveaux sur les conditions spéciales a chaque cas, se forme un cours moyen qui a sa traduction dans le barème du comité professionnel du pétrole, que ce barème n’a donc pas le caractère arbitraire ;

Attendu qu’en admettant ainsi que les prix fixes par la société Total pouvaient être retenus, la cour d’appel, qui n’a pas recherche si depuis le 1er octobre 1963, date d’application de l’arrêté du 27 mai 1963, les parties avaient été d’accord pour continuer à appliquer le régime antérieur, et qui n’a pas établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

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==>Troisième étape : substitution de visa (art. 1591 => art. 1129)

En réaction aux critiques de la doctrine concentrées sur l’application de l’article 1591 aux contrats-cadre, la chambre commerciale décida, par trois arrêts du 11 octobre 1978, de revenir à son ancien visa, soit de fonder sa jurisprudence sur l’article 1129 du Code civil, sans pour autant changer de position.

La haute juridiction estimait, en effet, « qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée » (Cass. com. 11 oct. 1978, n°77-11.624).

Ainsi, la Cour de cassation refusait-elle toujours de valider les contrats dont la détermination du prix :

  • Soit supposait un nouvel accord des parties
  • Soit dépendait de la volonté discrétionnaire d’un seul contractant

L’article 1129 relevant du droit commun des contrats, la Cour de cassation a étendu sa position bien au-delà des contrats-cadre (contrat d’approvisionnement, contrat de franchise, contrat de prêt etc.).

Il a alors été reproché à la Cour de cassation d’avoir créé une véritable insécurité juridique, dans la mesure où, dans les contrats-cadre, il est extrêmement difficile de fixer le prix d’opérations qui se réaliseront parfois plusieurs années après la conclusion du contrat initial.

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Cass. com. 11 oct. 1978

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : vu l’article 1129 du code civil ;

Attendu qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt défère que, par acte du 26 juin 1969, la société brasserie guillaume x… s’est engagée, en contrepartie d’avantages financiers a elle consentis par la société européenne de brasserie (Eurobra), a ne débiter, dans son établissement de brasserie-restaurant, pendant une durée de cinq années, que des bières fabriquées ou distribuées par cette dernière société, la quantité minimum des fournitures devant atteindre 2.000 hectolitres pendant la durée susvisée ;

Qu’il était prévu à l’acte que les marchandises en cause seraient livrées “aux prix habituellement pratiques pour des marchandises de même qualité sur la place ou est exploité le fonds” ;

Que celui-ci ayant été cédé a une société Sedlo, celle-ci le transféra à son tour, par acte du 22 novembre 1972, a une société dénommée, elle aussi, brasserie guillaume x… ;

Que, dans les deux actes de cession successifs, les sociétés cessionnaires s’engagèrent à observer l’obligation d’exclusivité de fourniture résultant de l’acte du 26 juin 1969 ;

Que la société brasserie guillaume x… ayant, dans le courant de 1973, cesse de s’approvisionner auprès de la société Eurobra, celle-ci l’a assignée en payement du montant de la clause pénale figurant à l’acte dont il s’agit ;

Attendu que la société brasserie guillaume x… ayant opposé à cette demande la nullité dudit acte en raison de l’indétermination du prix des marchandises en faisant l’objet, la cour d’appel a rejeté cette exception en retenant que la clause susvisée relative à la fixation de ce prix “fait implicitement appel à la loi de l’offre et de la demande et laisse intactes toutes possibilités de négociation ou de rectification au cas où le prix propose serait supérieur au prix de marche…” ;

Attendu qu’en considérant ainsi que le prix des fournitures en cause était déterminable suivant les énonciations du contrat, sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société brasserie guillaume x…, si la référence opérée par la clause litigieuse au prix du marché pratique à Lyon, ou ladite société avait son établissement, permettait “d’avoir un élément de référence sérieux, précis et objectif”, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le premier moyen, non plus que sur les autres branches du second moyen : casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 18 janvier 1977 par la cour d’appel de paris ;

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==>Quatrième étape : infléchissement de la position de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’est pas demeurée insensible aux nombreux reproches dont sa jurisprudence faisait l’objet.

C’est la raison pour laquelle, dans le courant des années 1980, elle a cherché à infléchir sa position.

Ainsi, dans un arrêt du 9 novembre 1987, la Cour de cassation a refusé d’accéder à la demande d’annulation d’un contrat de distribution pour indétermination du prix, estimant qu’il s’agissait là d’un contrat dont l’objet consiste en une obligation de faire.

Or selon elle, seuls les contrats qui portent sur une obligation de donner sont soumis à l’exigence de détermination du prix (Cass. com. 9 nov. 1987, n°86-13.984).

En d’autres termes, l’exigence de détermination du prix posée à l’article 1129 du Code civil varierait du tout ou rien, selon que l’on est en présence d’une obligation de donner ou de faire.

Critiquable à maints égards, la Cour de cassation abandonne rapidement cette distinction à la faveur du critère de la stipulation potestative, soit lorsque la fixation du prix dépend de la volonté d’une seule des parties

Dans un arrêt du 16 juillet 1991, la chambre commerciale admet en ce sens que, dans un contrat-cadre, il n’est plus nécessaire que le prix des marchandises soit déterminable « pourvu qu’il puisse être librement débattu et accepté » au moment de la conclusion de la vente (Cass. com. 16 juill. 1991).

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Cass. com. 9 nov. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 27 mars 1986) que, par un contrat du 1er mars 1983, dit ” de commercialisation “, la société Cofadis, qui fabrique une machine destinée à l’imprimerie, a chargé la société Graphic Repro Diffusion (société Graphic) d’en assurer en exclusivité la distribution et la vente dans certains pays ; que la société Graphic, qui s’était engagée à vendre directement un nombre déterminé de ces appareils par an, n’ayant pas satisfait à cette obligation, la société Cofadis l’a assignée en résiliation du contrat ;

Attendu que la société Graphic fait grief à la cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation du contrat à ses torts exclusifs alors, selon le pourvoi, d’une part, que le contrat de distribution commerciale comporte nécessairement pour son exécution une série de ventes successives et s’analyse donc en une promesse de vente ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que la société Graphic achèterait à Cofadis les équipements dont elle devait assurer la distribution ; qu’en énonçant néanmoins que le contrat litigieux ne faisait naître que des obligations de faire à la charge des co-contractants, alors qu’il avait pour objet essentiel la vente de marchandises à la société Graphic en vue de leur commercialisation dans le public, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1589 du Code civil et alors, d’autre part, que le prix des marchandises vendues dans le cadre d’un contrat de distribution commerciale doit être déterminé ou déterminable sans qu’il faille un nouvel accord des parties, ce, à peine de nullité du contrat de distribution ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que le prix des ventes à intervenir dans le cadre du contrat de distribution conclu entre les parties devait être déterminé par un accord ultérieur entre elles ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la convention litigieuse, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’accord litigieux conclu entre la société Cofadis et la société Graphic comportait, pour la première société, l’obligation d’accorder l’exclusivité de la distribution, dans un certain nombre de pays, du matériel en cause et, pour la seconde, l’obligation d’assurer la promotion et la vente du matériel dans ces mêmes pays, la cour d’appel a pu considérer que la convention ne s’analysait pas comme une vente avec obligation de mentionner le prix mais comme une obligation de faire et se prononcer comme elle l’a fait, sans violer les textes visés au moyen ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

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==>Cinquième étape : l’amorce d’un revirement de jurisprudence

Dans deux arrêts du 20 novembre 1994, la Cour de cassation affirme, au visa des articles 1129 et 1134, al. 3 du Code civil que si la détermination du prix demeure une exigence, il y est satisfait dès lors que le contrat fait « référence au tarif » fixé par une partie, à condition, néanmoins, que cette dernière n’ait pas « abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994, n°91-21.009).

Dans le cas contraire, la première chambre civile considère que cela reviendrait à violer l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties lors de l’exécution du contrat.

Plusieurs enseignements ont immédiatement été tirés de ces arrêts :

  • Tout d’abord, en visant l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation maintien l’exigence de détermination du prix quel que soit le type de contrat conclu, y compris pour les contrats-cadre.
  • Ensuite, il ressort de la décision rendue qu’il importe peu, désormais, que le prix soit fixé discrétionnairement par une seule des parties au contrat.
  • En outre, la haute juridiction affirme que la nullité d’un contrat pour indétermination du prix ne peut être prononcée qu’à la condition qu’une partie ait abusé de sa situation économique pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime.
  • Enfin, la Cour de cassation fonde sa décision notamment sur l’ancien article 1134, al. 3 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Aussi, cela témoigne-t-il de sa volonté de déplacer l’exigence de détermination du prix au niveau de l’exécution du contrat, alors qu’il s’agit pourtant d’une condition de formation de l’acte.

Malgré la nouveauté de la solution adoptée par la Cour de cassation dans ces deux arrêts du 20 novembre 1994, deux questions demeuraient en suspens :

  • Qui de la sanction de l’abus dans la fixation du prix ?
    • Nullité ? Octroi de dommages et intérêts ? Résolution du contrat ?
  • Quid du ralliement de la chambre commerciale à la position de la première chambre civile ?
    • Dans un arrêt rendu sensiblement à la même date, elle rendit, en effet, une décision dans laquelle elle maintenait la solution antérieure ? (Cass. com., 8 nov. 1994)

Par chance, des réponses ont rapidement été apportées à ces deux questions par quatre arrêts d’assemblée plénière rendus en date du 1er décembre 1995 (Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, n°91-15.578).

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Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1129 et 1134, alinéa 3, du Code civil ;

Attendu que pour prononcer, pour indétermination du prix, la nullité des conventions conclues par M. X… avec la société GST-Alcatel Est pour la fourniture et l’entretien d’une installation téléphonique, la cour d’appel retient que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une ” plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur ” ;

Attendu qu’en se prononçant par ces motifs, alors que, portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

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==>Sixième étape : le revirement de jurisprudence des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995

Par quatre arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre, la Cour de cassation a affirmé deux principes s’agissant de l’exigence de détermination.

  • Dans l’un des quatre arrêts, elle considère que « l’article 1129 du Code civil [n’est] pas applicable à la détermination du prix », de sorte que, en matière de contrat-cadre, la détermination du prix n’est pas une condition de validité du contrat.
  • Dans les trois autres arrêts, elle précise, sans détour, que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».

Afin de prendre la mesure de ces deux principes posés par la Cour de cassation, remémorons-nous les circonstances de fait et de procédure de l’un de ces arrêts.

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Cass. ass. plén. 1er déc. 1995

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1709 et 1710, ensemble les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Attendu que lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ;

Attendu selon l’arrêt attaqué (Rennes, 13 février 1991) que le 5 juillet 1981, la société Sumaco a conclu avec la société Compagnie atlantique de téléphone (CAT) un contrat de location-entretien d’une installation téléphonique moyennant une redevance indexée, la convention stipulant que toutes modifications demandées par l’Administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur ; que la compagnie ayant déclaré résilier le contrat en 1986 en raison de l’absence de paiement de la redevance, et réclamé l’indemnité contractuellement prévue, la Sumaco a demandé l’annulation de la convention pour indétermination de prix ;

Attendu que pour annuler le contrat, l’arrêt retient que l’abonné était contractuellement tenu de s’adresser exclusivement à la compagnie pour toutes les modifications de l’installation et que le prix des remaniements inéluctables de cette installation et pour lesquels la Sumaco était obligée de s’adresser à la CAT, n’était pas déterminé et dépendait de la seule volonté de celle-ci, de même que le prix des éventuels suppléments ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 février 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

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  • Faits
    • Le 5 juillet 1981, une société conclut avec un prestataire un contrat-cadre de location et d’entretien d’une installation téléphonique en contrepartie de l’acquittement d’une redevance indexée.
    • La convention stipulait que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur.
    • La société abonnée n’ayant pas payé la redevance, la Compagnie de téléphone a, dès lors, souhaité résilier le contrat.
  • Demande
    • La société abonnée demande l’annulation du contrat de prestation conclu avec la société de téléphone.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 février 1991, la Cour d’appel de Rennes a annulé le contrat de prestation téléphonique.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’abonné était tenu contractuellement de s’adresser à la compagnie de téléphone pour toute intervention sur la ligne, il était soumis aux prix que lui imposerait la compagnie de téléphone.
    • Or ce prix n’était pas déterminé, car fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone.
  • Solution
    • Par un arrêt du 1er décembre 1995, l’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles 1709, 17010 et 1134 et 11385.
    • Deux affirmations retiennent l’attention dans cet arrêt
      • D’une part, l’indétermination du prix dans un contrat cadre n’est pas une cause de nullité du contrat
      • D’autre part, l’abus dans la fixation du prix est sanctionné soit par la résiliation du contrat, soit par l’octroi de dommages intérêts
    • Aussi, de ce principe d’indétermination posé par la Cour de cassation, elle en déduit, dans le litige en l’espèce, que bien que le prix ait été fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone au cours de l’exécution du contrat, le contrat d’abonnement était bien valable.
    • Par ailleurs, en visant les anciens articles 1134 et 1135 du Code civil, la Cour de cassation indique clairement que, pour apprécier le respect de l’exigence de détermination du prix, il convient désormais de se situer, non plus au niveau de la formation du contrat, mais au niveau de son exécution.
    • Ainsi, la Cour de cassation confirme-t-elle que la détermination du prix n’est plus une condition de validité du contrat.
    • Il en résulte que dans un contrat-cadre, il importe peu que le prix soit indéterminé et que sa fixation dépende de la volonté d’une seule des parties.
    • Il ressort toutefois que le principe d’indétermination du prix a vocation à s’appliquer sauf « dispositions légales particulières ».
    • Tel sera notamment le cas du contrat de vente qui reste soumis au régime de l’article 1591 du Code civil, soit au principe de détermination de prix.
    • Bien que les auteurs fussent, dans un premier temps, satisfait par la solution novatrice de la Cour de cassation, cette jurisprudence n’en a pas moins fait naître quelques incertitudes, notamment s’agissant de la notion d’abus.
  • Portée des arrêts du 1er décembre 1995
    • Plusieurs enseignements peuvent être tirés des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995 :
      • Premier enseignement : la détermination du prix n’est plus une condition de validité dans les contrats-cadre : le principe devient l’indétermination du prix
      • Deuxième enseignement : l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, de sorte que ce dernier ne saurait être assimilé à une chose
      • Troisième enseignement : le principe d’indétermination du prix n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats qui ne sont soumis à aucune disposition particulière
      • Quatrième enseignement : l’indétermination du prix est sanctionnée uniquement en cas d’abus de la partie forte au contrat.
      • Cinquième enseignement : l’abus dans la fixation du prix s’apprécie au niveau de l’exécution du contrat
      • Sixième enseignement : la sanction de l’abus dans la fixation du prix est, soit la résiliation du contrat, soit l’octroi de dommages et intérêts

==>Septième étape : la précision de la notion d’abus dans la fixation du prix

Dans un arrêt du 15 janvier 2002, la Cour de cassation a estimé que l’abus dans la fixation du prix était caractérisé lorsque deux conditions cumulatives étaient réunies (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-21.172) :

  • L’existence d’une situation de dépendance économique
    • Cela suppose que la victime de l’abus ne soit pas en mesure de négocier le prix qui lui est imposé, sauf à mettre en péril son activité
    • Dans un arrêt du 30 juin 2004, la Cour de cassation a, par exemple, estimé qu’il n’y avait pas abus lorsque le contractant n’a pas été contraint de subir la modification unilatérale, la décision d’augmenter le prix lui ayant été notifié suffisamment tôt pour qu’il puisse trouver une autre solution en s’adressant à la concurrence (Cass. com. 30 juin 2004, n°01-00.475).
  • L’existence d’un prix disproportionné
    • Cela suppose que le prix imposé à la partie, victime de l’abus, ne lui permette pas d’exploiter de manière rentable son activité.
    • Dans un arrêt du 4 novembre 2014, il a, par ailleurs, été jugé qu’un prix était disproportionné parce qu’il est excessif au regard de celui pratiqué pour les autres clients du distributeur (Cass. com. 4 nov. 2014, n°11-14.026).

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Cass. com. 15 janv. 2002

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1999) que la société d’Exploitation du garage Schouwer (le Garage Schouwer) était concessionnaire exclusif de véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines depuis 1991 ; que, reprochant à la société France Motors, importateur exclusif de la marque, d’avoir, à partir de 1993, abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente et d’avoir abusivement refusé de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait, le Garage Schouwer l’a assignée en paiement de dommages-et-intérêts ; qu’il a été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 1995 et que son liquidateur, M. Z…, a repris l’instance ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que la société France Motors fait grief à l’arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen :

[..]

Mais attendu qu’ayant, par une décision motivée, relevé que la société France Motors, qui s’était trouvée confrontée à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité, l’arrêt retient que le concédant ne s’est pas imposé la même rigueur bien qu’il disposât des moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il a distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il avait été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires et que notamment, en ce qui concerne le Garage Schouwer, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l’insuffisance d’actif que celui-ci a accusé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision sans méconnaître l’objet du litige et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente et qu’elle devait réparation au Garage Schouwer du préjudice qui en était résulté pour lui ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses diverses branches

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2. La réforme des obligations

L’examen de la réforme des obligations révèle que le législateur a consacré pour l’essentiel la jurisprudence en matière de détermination du prix.

a. Principe

Dans la mesure où le paiement d’un prix consiste en une prestation comme une autre, les contrats qui comportent une obligation pécuniaire n’échappent pas au principe posé à l’article 1163, al. 2 du Code civil : l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable

Il peut d’ores et déjà être observé que le législateur a ici pris ses distances avec la solution adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 1er décembre 1995 où elle avait estimé que l’ancien article 1129 du Code civil n’était pas applicable à la détermination du prix.

Or cette disposition prévoyait l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle ressuscité le principe de détermination du prix qui l’avait relégué au rang d’exception.

La détermination du prix redevient, de la sorte, une condition de validité du contrat.

Il en résulte que la sanction encourue en cas d’indétermination du prix est la nullité et non plus la résiliation du contrat ou l’octroi de dommages et intérêts.

b. Exceptions

Le législateur a jugé bon d’assortir le principe de détermination du prix de deux exceptions

==>Première exception : les contrats-cadre

L’article 1164, al. 1 du Code civil prévoit que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. »

L’article 1164, al. 2 précise que « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

Il ressort de ces deux alinéas que le législateur est venu consacrer, dans les mêmes termes, la solution dégagée dans les arrêts du 1er décembre 1995.

Autrement dit, dans les contrats-cadre, le prix peut être fixé discrétionnairement par l’une des parties, sous réserve de l’abus.

Le législateur ne prend cependant pas la peine de définir la notion d’abus dans la fixation du prix, alors même que cette définition faisait déjà défaut dans les arrêts d’assemblée plénière.

Aussi conviendra-t-il de se reporter à la jurisprudence postérieure qui s’est employée à délimiter les contours de la notion.

==>Seconde exception : les contrats de prestation de service

Aux termes de l’article 1165 du Code civil « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Comme en matière de contrat-cadre, les contrats de prestation de service ne sont pas soumis au principe de détermination du prix, à la condition toutefois qu’aucun accord ne soit intervenu entre les parties avant l’exécution de la convention.

Il s’agit là, ni plus ni moins, d’une consécration de la jurisprudence selon laquelle, dans les contrats d’entreprise, la détermination du prix n’est pas une condition de validité de l’acte.

Dans un arrêt du 15 juin 1973 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel d’un contrat de cette nature » (Cass. 1er civ. 15 juin 1973, n°72-12.062).

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge ne pourra pas, comme l’y autorisait la jurisprudence antérieure, réduire le prix de la prestation, ni même prononcer la résiliation du contrat comme en matière de contrat-cadre.

Il pourra seulement « être saisi d’une demande en dommages et intérêts ».

Par ailleurs, quid de ses pouvoirs en cas d’indétermination du prix ?

Antérieurement à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation estimait « qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°91-18.650).

Le nouvel article 1165 du Code civil ne semble pas conférer au juge un tel pouvoir.

Il ressort, au contraire de la lettre de cette disposition que, en cas d’indétermination du prix, il appartiendra au seul créancier de le fixer.

==>Le sort de la clause d’indexation du prix

L’article 1167 du Code civil prévoit que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Qu’est-ce qu’une clause d’indexation ?

Il s’agit d’une stipulation par laquelle les parties désignent un indice qui servira de référence quant à la détermination du prix au cours de l’exécution du contrat.

La question s’était alors posée en jurisprudence de savoir quels étaient les pouvoirs du juge lorsque cet indice avait cessé d’exister ou était illicite.

Dans un arrêt du 22 juillet 1987, la Cour de cassation avait estimé qu’il revenait au juge de se référer à la commune intention des parties quant à déterminer le nouvel indice de référence (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Désormais, le nouvel article 1167 prévoit que le juge doit remplacer l’indice illicite ou qui a disparu « par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

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Cass. 3e civ. 22 juill. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Compagnie Internationale du Travail Temporaire (CITT), assistée de son syndic au règlement judiciaire, Monsieur X…, fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 1983), statuant sur les conséquences de l’annulation d’une clause d’échelle mobile incluse dans le bail commercial dont elle est titulaire sur des locaux appartenant à Mme Y…, d’avoir décidé que le loyer serait indexé sur les variations de l’indice trimestriel de la construction établi par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, aux lieus et place de celles prévues dans la stipulation du bail annulée par un précédent arrêt, alors, selon le moyen, ” qu’en l’absence de toute volonté commune des parties au contrat quant à la référence à un autre indice que celui expressément stipulé, le juge ne saurait, sans excéder ses pouvoirs et violer l’article 79 § 3 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 et l’article 1134 du Code civil, substituer, de sa propre autorité, un indice licite à celui figurant dans une clause précédemment déclarée illicite ” ;

Mais attendu que la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a souverainement retenu que leur volonté a essentiellement porté sur le principe de l’indexation et que la stipulation du choix de l’indice en constituant une application, il y avait lieu de substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

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