La classification des obligations

Les obligations peuvent faire l’objet de trois classifications différentes :

  • La classification des obligations d’après leur source
  • La classification des obligations d’après leur nature
  • La classification des obligations d’après leur objet

Ayant déjà fait état des différentes sources obligations, nous ne nous focaliserons que sur leur nature et leur objet

I) La classification des obligations d’après leur nature

La classification des obligations d’après leur nature renvoie à la distinction entre l’obligation civile et l’obligation naturelle

A) Exposé de la distinction entre obligation civile et obligation naturelle

  • L’obligation civile
    • L’obligation civile est celle qui, en cas d’inexécution de la part du débiteur, est susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée
    • L’obligation civile est donc contraignante : son titulaire peut solliciter en justice, s’il prouve le bien-fondé de son droit, le concours de la force publique aux fins d’exécution de l’obligation dont il est créancier
  • L’obligation naturelle
    • L’obligation naturelle, à la différence de l’obligation civile, n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée.
    • Elle ne peut faire l’objet que d’une exécution volontaire
    • L’obligation naturelle n’est donc pas contraignante : son exécution repose sur la seule volonté du débiteur.
    • Ainsi, le créancier d’une obligation naturelle n’est-il pas fondé à introduire une action en justice pour en réclamer l’exécution

B) Fondement textuel de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle est évoquée à l’ancien 1235, al. 2 du Code civil (nouvellement art. 1302 C. civ).

Cet article prévoit en ce sens que « tout paiement suppose une dette : ce qui a été payé sans être dû, est sujet à répétition. La répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

C) Domaine d’application de l’obligation naturelle

L’obligation naturelle se rencontre dans deux hypothèses :

  • En présence d’une obligation civile imparfaite
    • L’obligation civile imparfaite est celle qui
      • Soit est nulle en raison de la défaillance d’une condition de validité de l’acte juridique dont elle émane
      • Soit est éteinte en raison de l’acquisition de prescription extinctive de la dette
    • Dans les deux cas, le débiteur est libéré de son obligation sans avoir eu besoin d’exécuter la prestation initialement promise
    • Le débiteur peut néanmoins se sentir tenu, moralement, de satisfaire son engagement pris envers le créancier : l’obligation civile qui « a dégénéré » se transforme alors en obligation naturelle
  • En présence d’un devoir moral
    • Il est des situations où l’engagement d’une personne envers une autre sera dicté par sa seule conscience, sans que la loi ou qu’un acte juridique ne l’y oblige
    • Le respect de principes moraux peut ainsi conduire
      • un mari à apporter une aide financière à son ex-épouse
      • une sœur à loger gratuitement son frère sans abri
      • un concubin à porter assistance à sa concubine
      • l’auteur d’un dommage qui ne remplit pas les conditions de la responsabilité civile à indemniser malgré tout la victime.
    • Dans toutes ces hypothèses, celui qui s’engage s’exécute en considération d’un devoir purement moral, de sorte que se crée une obligation naturelle

D) Transformation de l’obligation naturelle en obligation civile

La qualification d’obligation naturelle pour une obligation civile imparfaite ou un devoir moral, ne revêt pas un intérêt seulement théorique. Cela présente un intérêt très pratique.

La raison en est que l’obligation naturelle est susceptible de transformer en obligation civile

Il en résulte qu’elle pourra emprunter à l’obligation civile certains traits, voire donner lieu à l’exécution forcée

La transformation de l’obligation naturelle en obligation civile se produira dans deux cas distincts :

  • Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle
  • Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

?Le débiteur a exécuté l’obligation naturelle

C’est l’hypothèse – la seule – visée à l’article 1302 C. civ (ancien art. 1235, al.2)

Pour mémoire cette disposition prévoit que « la répétition n’est pas admise à l’égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées. »

Lorsque le débiteur a effectué un paiement à la faveur du créancier d’une obligation naturelle, la répétition de la somme versée est ainsi impossible.

?Le débiteur s’est engagé à exécuter l’obligation naturelle

Lorsque le débiteur d’une obligation naturelle promet d’assurer son exécution, cette obligation se transforme alors aussitôt en obligation civile.

La Cour de cassation justifie cette transformation en se fondant sur l’existence d’un engagement unilatérale de volonté.

Ainsi a-t-elle jugé dans un arrêt du 10 octobre 1995 que « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1re civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Cela suppose, en conséquence, pour le créancier de rapporter la preuve de l’engagement volontaire du débiteur d’exécuter l’obligation naturelle qui lui échoit

E) Consécration légale de l’obligation naturelle

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, consacre, sans la nommer, l’obligation naturelle à l’article 1100 du Code civil.

Cette disposition, prise en son alinéa 2, prévoit que les obligations « peuvent naître de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécution d’un devoir de conscience envers autrui ».

II) Le classement des obligations d’après leur objet

Deux grandes distinctions peuvent être effectuées si l’on cherche à opérer une classification des obligations d’après leur objet :

  • Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire
  • Les obligations de moyens et les obligations de résultat

A) Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire

?Exposé de la distinction

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

?Intérêt – révolu – de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.

  • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
    • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
  • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
    • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
  • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
    • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »

Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire :

  • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
  • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
  • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
    • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
    • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ)

?Abandon de la distinction

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.

Le nouvel article 1221 C. civ prévoit en ce sens que « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »

L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.

Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.

Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :

  • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
  • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »

B) Les obligations de moyens et les obligations de résultat

?Exposé de la distinction

Demogue soutenait ainsi que la conciliation entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil tenait à la distinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens :

  • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur est contraint d’atteindre un résultat déterminé
    • Exemple : Dans le cadre d’un contrat de vente, pèse sur le vendeur une obligation de résultat : celle livrer la chose promise. L’obligation est également de résultat pour l’acheteur qui s’engage à payer le prix convenu.
    • Il suffira donc au créancier de démontrer que le résultat n’a pas été atteint pour établir un manquement contractuel, source de responsabilité pour le débiteur
  • L’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
    • Exemple : le médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
    • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat

La distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat rappelle immédiatement la contradiction entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil.

  • En matière d’obligation de moyens
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Cette règle n’est autre que celle posée à l’ancien article 1137 du Code civil.
  • En matière d’obligation de résultat
    • Il est indifférent que le débiteur ait commis une faute, sa responsabilité pouvant être recherchée du seul fait de l’inexécution du contrat.
    • On retrouve ici la règle édictée à l’ancien article 1147 du Code civil.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat.

?Critères de la distinction

En l’absence d’indications textuelles, il convient de se reporter à la jurisprudence qui se détermine au moyen d’un faisceau d’indices.

Plusieurs critères – non cumulatifs – sont, en effet, retenus par le juge pour déterminer si l’on est en présence d’une obligation de résultat ou de moyens :

  • La volonté des parties
    • La distinction entre obligation de résultat et de moyens repose sur l’intensité de l’engagement pris par le débiteur envers le créancier.
    • La qualification de l’obligation doit donc être appréhendée à la lumière des clauses du contrat et, le cas échéant, des prescriptions de la loi.
    • En cas de silence de contrat, le juge peut se reporter à la loi qui, parfois, détermine si l’obligation est de moyens ou de résultat.
    • En matière de mandat, par exemple, l’article 1991 du Code civil dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ».
    • C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur le mandataire.
  • Le contrôle de l’exécution
    • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur a la pleine maîtrise de l’exécution de la prestation due.
    • Inversement, l’obligation est plutôt de moyens, lorsqu’il existe un aléa quant à l’obtention du résultat promis
    • En pratique, les obligations qui impliquent une action matérielle sur une chose sont plutôt qualifiées de résultat.
    • À l’inverse, le médecin, n’est pas tenu à une obligation de guérir (qui serait une obligation de résultat) mais de soigner (obligation de moyens).
    • La raison en est que le médecin n’a pas l’entière maîtrise de la prestation éminemment complexe qu’il fournit.
  • Rôle actif/passif du créancier
    • L’obligation est de moyens lorsque le créancier joue un rôle actif dans l’exécution de l’obligation qui échoit au débiteur
    • En revanche, l’obligation est plutôt de résultat, si le créancier n’intervient pas

?Mise en œuvre de la distinction

Le recours à la technique du faisceau d’indices a conduit la jurisprudence à ventiler les principales obligations selon qu’elles sont de moyens ou de résultat.

L’examen de la jurisprudence révèle néanmoins que cette dichotomie entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’est pas toujours aussi marquée.

Il est, en effet, certaines obligations qui peuvent être à cheval sur les deux catégories, la jurisprudence admettant, parfois, que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il n’a commis aucune faute.

Pour ces obligations on parle d’obligations de résultat atténué ou d’obligation de moyens renforcée : c’est selon. Trois variétés d’obligations doivent donc, en réalité, être distinguées.

  • Les obligations de résultat
    • Au nombre des obligations de résultat on compte notamment :
      • L’obligation de payer un prix, laquelle se retrouve dans la plupart des contrats (vente, louage d’ouvrage, bail etc.)
      • L’obligation de délivrer la chose en matière de contrat de vente
      • L’obligation de fabriquer la chose convenue dans le contrat de louage d’ouvrage
      • L’obligation de restituer la chose en matière de contrat de dépôt, de gage ou encore de prêt
      • L’obligation de mettre à disposition la chose et d’en assurer la jouissance paisible en matière de contrat de bail
      • L’obligation d’acheminer des marchandises ou des personnes en matière de contrat de transport
      • L’obligation de sécurité lorsqu’elle est attachée au contrat de transport de personnes (V. en ce sens Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307).
  • Les obligations de résultat atténuées ou de moyens renforcées
    • Parfois la jurisprudence admet donc que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Pour ce faire, il devra renverser la présomption de responsabilité en démontrant qu’il a exécuté son obligation sans commettre de faute.
    • Tel est le cas pour :
      • L’obligation de conservation de la chose en matière de contrat de dépôt
      • L’obligation qui pèse sur le preneur en matière de louage d’immeuble qui, en application de l’article 1732 du Code civil, « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».
      • L’obligation de réparation qui échoit au garagiste et plus généralement à tout professionnel qui fournit une prestation de réparation de biens (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 2 févr. 1994, n°91-18764).
      • L’obligation qui échoit sur le transporteur, en matière de transport maritime, qui « est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge, que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés » (art. L. 5421-4 du code des transports)
      • L’obligation de conseil que la jurisprudence appréhende parfois en matière de contrats informatiques comme une obligation de moyen renforcée.
  • Les obligations de moyens
    • À l’analyse les obligations de moyens sont surtout présentes, soit dans les contrats qui portent sur la fourniture de prestations intellectuelles, soit lorsque le résultat convenu entre les parties est soumis à un certain aléa
    • Aussi, au nombre des obligations de moyens figurent :
      • L’obligation qui pèse sur le médecin de soigner son patient, qui donc n’a nullement l’obligation de guérir (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-13.579).
        • Par exception, l’obligation qui échoit au médecin est de résultat lorsqu’il vend à son patient du matériel médical qui est légitimement en droit d’attendre que ce matériel fonctionne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°03-12.146).
        • Il en va de même s’agissant de l’obligation d’information qui pèse sur le médecin, la preuve de l’exécution de cette obligation étant à sa charge et pouvant se faire par tous moyens.
      • L’obligation qui pèse sur la partie qui fournit une prestation intellectuelle, tel que l’expert, l’avocat (réserve faite de la rédaction des actes), l’enseignant,
      • L’obligation qui pèse sur le mandataire qui, en application de l’article 1992 du Code civil « répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. »
      • L’obligation de surveillance qui pèse sur les structures qui accueillent des enfants ou des majeurs protégés (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-12.891).

?Sort de la distinction après la réforme du droit des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 révèle que la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’a pas été reprise par le législateur, à tout le moins formellement.

Est-ce à dire que cette distinction a été abandonnée, de sorte qu’il n’a désormais plus lieu d’envisager la responsabilité du débiteur selon que le manquement contractuel porte sur une obligation de résultat ou de moyens ?

Pour la doctrine rien n’est joué. Il n’est, en effet, pas à exclure que la Cour de cassation maintienne la distinction en s’appuyant sur les nouveaux articles 1231-1 et 1197 du Code civil, lesquels reprennent respectivement les anciens articles 1147 et 1137.

Pour s’en convaincre il suffit de les comparer :

  • S’agissant des articles 1231-1 et 1147
    • L’ancien article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • Le nouvel article 1231-1 prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.»
  • S’agissant des articles 1197 et 1137
    • L’ancien article 1137 prévoyait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables ».
    • Le nouvel article 1197 prévoit que « l’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

Une analyse rapide de ces dispositions révèle que, au fond, la contradiction qui existait entre les anciens articles 1137 et 1147 a survécu à la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et la loi de ratification du 21 avril 2018, de sorte qu’il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation ne manquera pas de se saisir de ce constat pour confirmer la jurisprudence antérieure.

 

  1. François Terré, Philippe Simler, Yves Lequette, Droit civil : les obligations, Dalloz, 2009, coll. « Précis », n°54, p. 64 ?

L’exécution forcée en nature: régime juridique

Parce que les contrats sont pourvus de la force obligatoire (art. 1103 C. civ), lorsqu’une partie, qui s’est engagée à fournir une prestation ou une chose, ne s’exécute pas, elle devrait, en toute logique, pouvoir y être contrainte. C’est la raison pour laquelle la loi le lui permet.

Cette possibilité, pour le créancier, de contraindre le débiteur défaillant à honorer ses obligations vise à obtenir ce que l’on appelle l’exécution forcée.

Pratiquement, l’exécution forcée peut prendre deux formes :

  • Elle peut avoir lieu en nature : le débiteur est contraint de fournir ce à quoi il s’est engagé
  • Elle peut avoir lieu par équivalent : le débiteur verse au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de la prestation promise initialement

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient fait de l’exécution par équivalent le principe, pour les obligations de faire et de ne pas faire, l’ordonnance du 10 février 2016 a inversé ce principe en généralisant l’exécution forcée en nature dont le recours n’est plus limité, en simplifiant à l’extrême, aux obligations de donner.

?Droit antérieur

Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, le Code civil distinguait trois sortes d’obligations :

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
    • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
    • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
    • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a abandonné la distinction entre ces obligations, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée.

Pour le comprendre envisageons l’exécution forcée de chacune de ces obligations prises séparément.

  • L’obligation de donner
    • Lorsque l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, il y a lieu de distinguer selon qu’il s’agit de payer une somme d’argent ou selon qu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien :
      • Lorsqu’il s’agit d’une obligation de payer
        • Dans cette hypothèse, seule l’exécution forcée en nature est envisageable.
        • En pareil cas, il ne saurait y avoir d’exécution par équivalent, dans la mesure où, par hypothèse, il n’existe pas d’autre équivalent à l’argent que l’argent.
      • Lorsqu’il s’agit de transférer la propriété d’un bien
        • En cas de défaillance du débiteur, l’exécution forcée n’a pas lieu de jouer dans la mesure où la défaillance du débiteur intéresse l’effet translatif du contrat.
        • Aussi, est-ce plutôt une action en revendication qui devra être engagée par le créancier aux fins de voir reconnaître son droit de propriété
        • Quant à l’obligation de délivrance de la chose, elle relève de la catégorie, non pas des obligations de donner, mais de faire.
  • L’obligation de faire
    • Lorsque l’engagement pris consiste en une obligation de faire, les deux formes d’exécution forcée sont possibles.
    • Reste que, dans certains cas, l’exécution forcée en nature d’une obligation de faire soulèvera des difficultés.
    • En effet, forcer une personne à fournir la prestation promise pourrait être considéré comme trop attentatoire à la liberté individuelle.
    • Ajouté à cela, contrainte une personne à fournir une prestation contre sa volonté, serait susceptible d’exposer le créancier à une exécution défectueuse de cette prestation qui, dès lors, ne répondrait pas aux attendus stipulés dans le contrat.
  • L’obligation de ne pas faire
    • Il n’est guère plus envisageable de faire respecter, par la force, une obligation de ne pas faire sauf à porter atteinte à la liberté individuelle.
    • L’obligation de ne pas faire se prête ainsi difficilement à l’exécution forcée en nature.

Fort de ces constats, le législateur, en 1804, en avait tiré la conséquence à l’ancien article 1142 du Code civil qui disposait que « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Le principe posé par ce texte était donc que les obligations de faire et les obligations de ne pas faire ne pouvaient faire l’objet que d’une exécution forcée par équivalent, soit se traduire par le versement d’une somme d’argent au créancier.

Par exception, la loi avait néanmoins envisagé certains cas où l’exécution forcée en nature était possible pour les obligations de faire et de ne pas faire :

  • L’ancien article 1143 prévoyait que « néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu »
  • L’ancien article 1145 disposait encore que « si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention ».

Portée par une doctrine majoritairement favorable à une extension du domaine de l’exécution forcée, la jurisprudence a progressivement admis qu’elle puisse être envisagée pour les obligations de faire et de ne pas faire, dès lors qu’elles ne sont pas intimement liées à la personne du débiteur (V. en ce sens pour les obligations de faire Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n°03-21.136 ; pour les obligations de ne pas faire Cass. 1ère civ., 16 janv. 2007, n°06-13.983).

Pour ce faire, la Cour de cassation s’est notamment appuyée sur une lecture audacieuse de l’ancien article 1184 du Code civil, combinée à une lecture restrictive de l’ancien article 1142.

En effet, l’ancien article 1184 du code civil semblait ouvrir la possibilité, pour toutes les obligations, de quelque nature qu’elles soient, d’une exécution forcée en nature au choix du créancier en prévoyant que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ».

Toutefois, la lettre du texte de l’ancien article 1142 paraissait limiter aux seules obligations de donner la possibilité d’une exécution forcée en nature : « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »

Pour concilier ces deux textes, la Cour de cassation, suivant en cela la doctrine majoritaire, a inversé le principe posé par l’article 1142, pour revenir au fondement de la règle qu’il formule et considérer que seules sont exclues du champ d’application de l’exécution forcée en nature les atteintes directes à la liberté de la personne du débiteur.

D’ailleurs, les articles 1143 et 1144 nuançaient déjà l’affirmation posée par l’article 1142 en prévoyant des dérogations au principe de la condamnation à des dommages-intérêts.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle fait une application très restrictive des termes de l’article 1142 du code civil, et paraît avoir reconnu, avec la majorité des auteurs, un véritable droit à l’exécution forcée en nature, en considérant que tout créancier peut exiger l’exécution de ce qui lui est dû lorsque cette exécution est possible (Cass. 3e civ., 19 février 1970, n°68-13.866 ; Cass. 3e civ., 3 novembre 2017, n°15-23.188). La possibilité d’obtenir l’exécution forcée en nature n’est donc exclue qu’en cas d’impossibilité matérielle, juridique ou morale.

Manifestement, les auteurs qui plaidaient pour un abandon de la soustraction des obligations de faire et de ne pas faire à l’exécution forcée en nature ont été entendus par le législateur qui n’a pas manqué l’occasion, lors de l’ordonnance du 10 février 2016, d’inverser le principe posé à l’ancien article 1142 du Code civil, conformément à la jurisprudence qui avait réduit à la portion congrue la portée de ce texte.

?L’ordonnance du 10 février 2016

L’ordonnance du 10 février 2016 dispose désormais à l’article 1221 du Code civil que le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.

Ainsi, ce texte rompt avec la lettre de l’ancien article 1142 du code civil, dont la Cour de cassation avait déjà retenu une interprétation contraire au texte et qui était également contredit par la procédure d’injonction de faire prévue par les articles 1425-1 à 1425-9 du code de procédure civile.

Le principe est donc dorénavant inversé. Il est indifférent que l’engagement souscrit consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire, le créancier est fondé, par principe, à solliciter l’exécution forcée en nature de son débiteur, sauf à ce que :

  • Soit l’exécution est impossible
  • Soit il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

À cet égard, le créancier dispose toujours d’une alternative prévue à l’article 1222 du Code civil qui consiste, « au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire ».

Aussi, convient-il de distinguer deux sortes d’exécution forcée en nature :

  • Celle qui intéresse l’intervention du débiteur
  • Celle qui intéresse l’intervention d’un tiers

I) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention du débiteur

A) Principe

1. Contenu du principe

L’article 1221 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 autorise donc le créancier à solliciter l’exécution forcée en nature en cas de défaillance de son débiteur.

Le principe ainsi posé est repris, en des termes plus généraux, par l’article 1341 du Code civil qui dispose que « le créancier a droit à l’exécution de l’obligation ; il peut y contraindre le débiteur dans les conditions prévues par la loi. »

?Indifférence de la nature des obligations en cause

Tandis que sous l’empire du droit antérieur, cette forme d’exécution forcée ne pouvait intervenir que pour les obligations de payer, désormais, le texte ne distingue plus selon que la prestation inexécutée consiste en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Toutes les obligations, quelle que soit leur nature, sont susceptibles de faire l’objet d’une exécution forcée en nature.

Une interrogation demeure toutefois pour l’obligation de ne pas faire, dont on voit mal comment elle pourrait donner lieu à une exécution forcée en nature. En effet, contraindre le débiteur à s’abstenir de ne pas faire quelque chose que le contrat lui interdit, reviendrait, par hypothèse, à porter une atteinte excessive à sa liberté individuelle.

L’exécution forcée en nature est donc inenvisageable pour les obligations de ne pas faire, à l’exception du cas prévu à l’article 1222 du Code civil qui autorise le créancier à « détruire ce qui a été fait en violation » d’une obligation. Il pourra alors « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. »

En dehors du cas particulier de l’obligation de ne pas faire, l’exécution forcée en nature est à la portée du créancier.

?Absence de hiérarchisation des sanctions

À cet égard, elle figure en bonne place dans la liste des sanctions attachées à l’inexécution du contrat énoncées à l’article 1217 du Code civil puisqu’elle figure en deuxième place après l’exception d’inexécution.

Est-ce à dire que l’exécution forcée en nature prime les autres sanctions que sont la réduction du prix ou la résolution du contrat ?

Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier.

Aussi, le créancier est-il libre de solliciter la résolution du contrat plutôt que l’exécution forcée en nature.

À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.

Au surplus, le choix fait par le créancier s’impose au juge dès lors que les conditions d’application de la sanction invoquée sont réunies.

?Possibilité de cumul des sanctions

Le dernier alinéa de l’article 1217 règle l’articulation entre les différentes sanctions qui, en application de ce texte, peuvent se cumuler, dès lors qu’elles ne sont pas incompatibles.

Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.

Il est néanmoins possible de conjecturer, au regard de la jurisprudence antérieure, que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.

Plusieurs combinaisons peuvent ainsi être envisagées :

  • Exécution forcée en nature et résolution
    • Tandis que l’exécution forcée en nature vise à contraindre le débiteur à fournir la prestation ou la chose convenue, la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat, soit de faire comme s’il n’avait jamais exigé.
    • Manifestement, les effets recherchés pour ces deux sortes de sanctions sont radicalement opposés.
    • Il en résulte que, en cas de défaillance du débiteur, exécution forcée en nature et résolution ne sauraient se cumuler (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 juin 1989, n°87-14.083).
  • Exécution forcée en nature et réduction du prix
    • L’obtention d’une réduction de prix suppose que l’obligation dont se prévaut le créancier n’a été qu’imparfaitement exécutée.
    • Aussi, cette sanction vise-t-elle à ramener le prix au niveau de la quotité ou de la qualité de la prestation qui a été effectivement fournie.
    • De son côté, l’exécution forcée en nature vise plutôt à contraindre le débiteur à parfaire l’exécution de l’obligation souscrite.
    • Il n’est donc pas question ici, pour le créancier, de renoncer à la quotité ou à la qualité de la prestation stipulée dans le contrat.
    • Les objectifs recherchés pour les deux sanctions sont, là encore, opposés.
    • Exécution forcée en nature et réduction de prix sont, dans ces conditions, incompatibles.
  • Exécution forcée en nature et dommages et intérêts
    • L’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Il en résulte que l’exécution forcée en nature peut être cumulée avec une demande d’octroi de dommages et intérêts.
    • Ces derniers visent à indemniser le créancier pour le préjudice subi en raison de l’inexécution totale ou partielle du contrat.

2. Conditions de mise en oeuvre

Pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • D’une part, la créance dont se prévaut le créancier doit être certaine, liquide et exigible
  • D’autre part, le débiteur doit avoir préalablement été mis en demeure de s’exécuter

?Caractère certain, liquide et exigible de la créance

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil ne le prévoient pas expressément, l’exécution forcée en nature ne se conçoit que si la créance dont se prévaut le créancier est certaine, liquide et exigible.

  • Sur le caractère certain de la créance
    • Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans son principe.
    • L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
    • C’est la une condition indispensable à la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature, ne serait-ce que parce que, à défaut de certitude de la créance, le créancier échouera à obtenir un titre exécutoire et donc à s’attacher les services d’un huissier de justice aux fins qu’il instrumente une mesure d’exécution forcée.
  • Sur le caractère exigible de la créance
    • Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
    • Pour que l’exécution forcée en nature puisse être invoquée, encore faut-il que la créance dont se prévaut le créancier soit exigible
    • À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de conséquence, obtenir l’exécution forcée en nature de l’obligation en cause.
    • Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se reporter au terme stipulé dans le contrat.
    • À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties ».
    • Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul débiteur.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
    • La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
    • Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation prévue au contrat.
    • Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé, soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au contrat.
  • Sur le caractère liquide de la créance
    • Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible d’être évaluable en argent.
    • À l’évidence, pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, encore faut-il que la prestation ou la chose promise soit déterminée.
    • À défaut, aucune exécution forcée ne saurait avoir lieu, faute de détermination de son objet.

?Mise en demeure

Les articles 1221 et 1222 du Code civil subordonnent la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature à la mise en demeure préalable du débiteur.

Pour rappel, la mise en demeure se définit comme l’acte par lequel le créancier commande à son débiteur d’exécuter son obligation.

Elle peut prendre la forme, selon les termes de l’article 1344 du Code civil, soit d’une sommation, soit d’un acte portant interpellation suffisante.

Au fond, l’exigence de mise en demeure préalable à toute demande d’exécution forcée en nature vise à laisser une ultime chance au débiteur de s’exécuter.

À cet égard, l’absence de mise en demeure pourrait être invoquée par le débiteur comme un moyen de défense au fond lequel est susceptible d’avoir pour effet de tenir en échec la demande d’exécution forcée en nature formulée par le créancier.

Quant au contenu de la mise en demeure, l’acte doit comporter :

  • Une sommation ou une interpellation suffisante du débiteur
  • Le délai – raisonnable – imparti au débiteur pour se conformer à la mise en demeure
  • La menace d’une sanction

En application de l’article 1344 du Code civil, la mise en demeure peut être notifiée au débiteur :

  • Soit par voie de signification
  • Soit au moyen d’une lettre missive

Par ailleurs, il ressort de l’article 1344 du Code civil que les parties au contrat peuvent prévoir que l’exigibilité des obligations stipulées au contrat vaudra mise en demeure du débiteur.

Dans cette hypothèse, la mise en œuvre de l’exécution forcée en nature ne sera donc pas subordonnée à sa mise en demeure.

?Titre exécutoire

Bien que les articles 1221 et 1222 du Code civil suggèrent qu’il suffit au créancier de remplir les conditions énoncées ses textes pour que l’exécution forcée en nature puisse être mise en œuvre, il n’en est rien.

Cette dernière est, en effet, subordonnée à l’obtention, par le créancier, d’un titre exécutoire. L’article 111-2 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en ce sens que « le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »

Pour rappel, par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution :

  • Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
  • Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarées exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
  • Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
  • Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
  • Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
  • Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
  • Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.

À défaut de titre exécutoire, le droit pour le créancier à l’exécution forcée en nature de sa créance n’est que purement théorique, en ce sens qu’il demeure privé de la possibilité de requérir le ministère d’un huissier de justice pour mise en œuvre de l’exécution proprement dite.

L’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 prévoit, en effet, que « les huissiers de justice sont les officiers ministériels qui ont seuls qualité pour […] ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire ».

Ainsi, les huissiers de justice ne sont autorisés à diligenter une procédure d’exécution forcée qu’à la condition qu’ils justifient d’un titre exécutoire.

B) Exceptions

L’article 1221 du Code civil assortit le principe de l’exécution forcée en nature de deux exceptions :

  • L’existence d’une impossibilité d’exécution pour le débiteur
  • L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

1. L’impossibilité d’exécution pour le débiteur

L’article 1221 du Code civil pose que, dans l’hypothèse où il est avéré, que l’exécution de l’obligation en cause est impossible, le créancier ne peut en demander l’exécution forcée en nature.

Cette règle n’est pas sans faire écho à l’adage latin nullus tenetur ad impossibile qui signifie « à l’impossible nul n’est tenu ».

Surtout, elle ne fait que consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que l’exécution forcée en nature soit exclue en cas d’impossibilité rencontrée par le débiteur.

Reste que la Cour de cassation a tours eu une approche pour le moins restrictive de cette exception dont le champ d’application était circonscrit à l’impossibilité :

  • Matérielle : arrêt de la fabrication du modèle du véhicule vendu (Cass. com., 5 octobre 1993, n°90-21.146), empiétement, s’il est impossible, de démolir et reconstruire l’immeuble à l’emplacement prévu (Cass. 3e civ., 15 février 1978, n°76-13.532)
  • Juridique : dans un arrêt du 27 novembre 2008, la première chambre civile a, par exemple, jugé que « viole l’article 1142 du code civil la cour d’appel qui ordonne sous astreinte au propriétaire d’un local à usage d’habitation de délivrer ce bien à celui avec qui il avait conclu un contrat de bail, alors qu’elle avait relevé que ce local avait été loué à un tiers » (Cass. 1ère civ., 27 novembre 2008, n°07-11.282)
  • Morale : tel est le cas lorsque l’obligation étant éminemment personnelle, son exécution forcée porterait une atteinte trop forte aux droits et libertés fondamentaux de celui qui y est tenu. À cet égard, dans un célèbre arrêt Whistler du 14 mars 1900, la Cour de cassation, après avoir affirmé que le contrat par lequel un artiste s’était engagé à peindre un portrait était « d’une nature spéciale, en vertu duquel la propriété du tableau n’est définitivement acquise à la partie qui l’a commandé, que lorsque l’artiste a mis ce tableau à sa disposition, et qu’il a été agréé par elle », a approuvé la cour d’appel de n’avoir pas ordonné l’exécution forcée de ce contrat au peintre qui refusait de terminer son tableau, le condamnant uniquement à des dommages-intérêts (Cass. civ., 14 mars 1900)

En l’absence de précision de l’article 1221 du Code civil sur le domaine de l’exception tenant à l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter ses obligations, il est fort probable que les solutions adoptées par la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016 soient reconduites.

Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter au Rapport au Président de la République qui précise que « l’exécution forcée en nature ne peut être ordonnée en cas d’impossibilité (matérielle, juridique ou morale, en particulier si elle porte atteinte aux libertés individuelles du débiteur) ».

2. L’existence d’une disproportion manifeste entre le coût pour le débiteur et l’intérêt du créancier

L’impossibilité pour le débiteur d’exécuter la prestation promise n’est pas la seule exception au principe d’exécution forcée en nature.

L’ordonnance du 10 février 2016 a ajouté une nouvelle exception : l’exécution en nature ne peut être poursuivie s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier.

Cette nouvelle exception, selon le Rapport au Président de la République est directement inspirée des projets européens d’harmonisation du droit des contrats.

Au fond, elle vise à éviter certaines décisions jurisprudentielles très contestées : lorsque l’exécution forcée en nature est extrêmement onéreuse pour le débiteur sans que le créancier y ait vraiment intérêt, il apparaît en effet inéquitable et injustifié que celui-ci puisse l’exiger, alors qu’une condamnation à des dommages et intérêts pourrait lui fournir une compensation adéquate pour un prix beaucoup plus réduit.

Tel est le cas, lorsque par exemple, l’acquéreur d’une maison individuelle contraint le constructeur à la démolir pour la reconstruire, considérant que « le niveau de la construction présentait une insuffisance de 0,33 mètre par rapport aux stipulations contractuelles ». Nonobstant le coût des travaux à supporter par le constructeur, la Cour de cassation avait considéré que « la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible » (Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21.136).

La nouvelle exception introduite à l’article 1221 du Code civil a été présentée par le législateur comme une déclinaison de l’abus de droit, formulée de façon plus précise, pour encadrer l’appréciation du juge et offrir une sécurité juridique accrue.

Aussi, commettrait un abus de droit le créancier qui exigerait cette exécution alors que l’intérêt qu’elle lui procurerait serait disproportionné au regard du coût qu’elle représenterait pour le débiteur et que des dommages et intérêts pourraient lui fournir une compensation adéquate à un prix inférieur pour le débiteur.

La Cour de cassation semble avoir elle-même ouvert la voie en censurant un arrêt qui avait ordonné la démolition d’un ouvrage au motif que la cour d’appel n’avait pas recherché si cette démolition « constituait une sanction disproportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass., 3ème civ., 15 octobre 2015, n° 14-23.612).

En inscrivant cette exception dans la loi, les rédacteurs de l’ordonnance ont entendu mettre fin à ces hésitations de la jurisprudence, tout en limitant au maximum le jeu de cette exception qui constitue une atteinte à la force obligatoire du contrat.

En tout état de cause, pour faire échec à la demande d’exécution forcée en nature du créancier le débiteur devra démontrer qu’il existe une disproportion entre le coût de l’exécution et l’intérêt pour le créancier de la mise en œuvre de cette exécution.

C’est donc à un test de proportionnalité que les juridictions vont devoir se livrer pour apprécier l’application de l’exception au principe de l’exécution forcée en nature dont ne priveront pas d’invoquer les débiteurs en délicatesse avec les stipulations contractuelles.

La rédaction retenue pour l’article 1221 soulève cependant plusieurs interrogations de la part de la doctrine et des praticiens du droit.

L’exigence d’une « disproportion manifeste » entre le coût pour le débiteur et l’intérêt pour le créancier est certes plus précise et moins critiquée que la formule qui avait été retenue initialement dans le projet d’ordonnance, selon laquelle l’exécution en nature devait être écartée si son coût était « manifestement déraisonnable », cette appréciation ne prenant en considération que la situation du débiteur.

Toutefois, loin de priver la Cour de cassation de tout rôle normatif en ce domaine, la réforme soulève de nouvelles questions auxquelles elle devra répondre pour assurer l’unification de l’interprétation du nouveau droit des contrats.

La principale crainte exprimée est celle de voir dans l’article 1221 du Code civil une incitation pour le débiteur à exécuter son obligation de manière imparfaite toutes les fois où le gain attendu de cette inexécution sera supérieur aux dommages et intérêts qu’il pourrait être amené à verser, c’est-à-dire permettre au débiteur de mauvaise foi de profiter de sa « faute lucrative ».

Sans aller jusqu’à évoquer de véritables gains pour le débiteur, n’est-il pas à craindre qu’un constructeur ne pouvant honorer tous les contrats qu’il a en cours choisisse de privilégier l’exécution parfaite de certains contrats au détriment d’autres contrats, n’encourant plus l’exécution forcée en nature, le cas échéant très coûteuse, mais seulement le versement de dommages et intérêts ?

Pour résoudre cette difficulté, et éviter ce genre de calculs du débiteur, il a été précisé dans le texte qu’en cas de disproportion manifeste du coût pour le débiteur au regard de l’intérêt pour le créancier, il ne pourrait être fait échec à la demande d’exécution forcée en nature qu’au bénéfice du débiteur de bonne foi.

La question se pose encore de savoir si l’intérêt pour le créancier doit s’apprécier objectivement ou subjectivement ? Autrement dit, doit-on tenir compte des conséquences matérielles et financières sur la situation du créancier (appréciation subjective) ou doit-on ne se focaliser que sur les conséquences de l’inexécution contractuelle sur l’économie de l’opération (appréciation objective) ?

Dans le même sens, le coût de l’exécution forcée doit-il s’apprécier au regard du prix de la prestation fixée contractuellement ou au regard de la situation financière du débiteur ?

Ce sont là, autant de questions auxquels la jurisprudence devra répondre, faute de précisions apportées par le législateur sur les critères d’application de l’exception ainsi posée.

II) L’exécution forcée en nature qui intéresse l’intervention d’un tiers

L’article 1222 du Code civil prévoit que « après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. »

À l’analyse, cette disposition octroie au créancier une alternative en lui permettant, au lieu de poursuivre l’exécution forcée de l’obligation concernée, de faire exécuter lui-même l’obligation ou détruire ce qui a été mal exécuté après mise en demeure du débiteur, et de solliciter ensuite du débiteur le remboursement des sommes exposées pour ce faire.

Ce mécanisme, que l’on appelle la faculté de remplacement) n’est pas nouveau, puisqu’il reprend en substance les anciens articles 1143 et 1144 et ne fait, au fond.

L’ordonnance du 10 février 2016 innove néanmoins en abandonnant l’exigence d’obtention d’une autorisation judiciaire pour que puisse être exercée cette faculté, sauf à ce qu’il s’agisse de détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

L’article 1222 du Code civil doit ainsi être lu comme posant un principe, lequel principe est assorti d’une exception.

A) Principe : la faculté discrétionnaire de remplacement

Grande nouveauté introduite par la réforme du droit des obligations, l’article 1222 du Code civil facilite la faculté de remplacement par le créancier lui-même, puisqu’il supprime l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori en cas de refus du débiteur de payer ou de contestation de celui-ci.

En somme la faculté de remplacement conféré au créancier lui permet de solliciter les services d’un tiers aux fins qu’il exécute lui-même l’obligation de faire ce qui incombait au débiteur défaillant.

L’article 1222 précise que, en pareille circonstance, le créancier peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

?Domaine

La faculté de remplacement dont est titulaire le créancier peut être exercée pour toutes les obligations de faire, dès lors que le résultat recherché et prévu dans le contrat peut être atteint.

Son domaine naturel d’élection est celui des obligations de fournir un bien mobilier. Ainsi, l’acheteur qui n’a pas été livré de la chose convenue, peut exiger qu’elle lui soit fournie par un tiers en cas de manquement par le vendeur à son obligation de délivrance.

L’exercice de la faculté de remplacement est également admis en matière de contrat d’entreprise.

La jurisprudence admet régulièrement en ce sens que le maître d’ouvrage puisse faire réaliser les travaux convenus par une entreprise autre que celle à qui le marché a initialement été confié.

Il en va de même pour le preneur qui, en cas d’inaction de son bailleur, peut faire solliciter les services d’un tiers pour que soient effectuées les réparations nécessaires à la jouissance paisible de la chose louée.

?Conditions

L’exercice de la faculté de remplacement conférée au créancier est subordonné à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • Première condition : la mise en demeure du débiteur
    • La faculté de remplacement ne peut être exercée par le créancier qu’à la condition que le débiteur ait été mis en demeure de s’exécuter.
    • Il convient de le prévenir sur le risque auquel il s’expose en cas d’inaction, soit de devoir supporter le coût de la prestation fournie par un tiers.
    • La mise en demeure que le créancier adresse au débiteur doit répondre aux exigences énoncées aux articles 1344 et suivants du Code civil.
  • Deuxième condition : l’observation d’un délai raisonnable
    • La faculté de remplacement dont dispose le créancier ne pourra être envisagée qu’à la condition que ce dernier ait attendu un délai raisonnable entre la date d’échéance de l’obligation et la sollicitation d’un tiers, ne serait-ce que parce qu’il a l’obligation d’adresser, au préalable, une mise en demeure.
    • Aussi, le débiteur doit-il disposer du temps nécessaire pour régulariser sa situation.
    • Reste à déterminer ce que l’on doit entendre par délai raisonnable
    • Sans doute doit-on considérer que le délai raisonnable commence à courir à compter de la mise en demeure du débiteur.
    • Quant au quantum de ce délai, il conviendra de prendre en compte, tout autant les impératifs du créancier, que la situation du débiteur.
  • Troisième condition : le respect d’un coût raisonnable
    • Dernière condition devant être remplie pour que le créancier soit fondé à exercer la faculté de remplacement que lui octroie l’article 1222, le coût de l’intervention du tiers doit être raisonnable
    • L’appréciation du caractère raisonnable de ce coût devra s’apprécier au regard du montant de la prestation stipulée dans le contrat.
    • L’intervention du tiers ne devra pas, en d’autres termes, engendrer des frais disproportionnés eu égard l’obligation à laquelle s’était engagé initialement le débiteur

B) Exception : l’exigence d’une autorisation judiciaire

Dans le cadre de l’exercice de la faculté de remplacement, l’obtention d’une autorisation judiciaire est exigée dans deux cas :

?La destruction de ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle

Si, l’ordonnance du 10 février 2016 a supprimé l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour faire procéder à l’exécution de l’obligation inexécutée par un tiers, elle maintient, en revanche, la nécessité d’une autorisation pour obtenir la destruction de ce qui a été réalisé en contravention de l’obligation, compte tenu du caractère irrémédiable d’une telle destruction afin d’éviter les abus de la part du créancier.

Reprenant les termes de l’ancien article 1444 du Code civil, le second alinéa de l’article 1222 oblige ainsi le créancier à saisir le juge, lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une disposition contractuelle.

Le texte ajoute que le créancier peut « demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin »

Reste que c’est au juge, dans cette hypothèse, qu’il reviendra de trancher, soit d’autoriser ou de refuser l’intervention d’un tiers.

?Le versement d’une avance sur frais exposés

Le second alinéa de l’article 1222 du Code civil complète le dispositif encadrant la faculté de remplacement conférée au créancier en lui permettant de solliciter la condamnation du débiteur à faire l’avance des sommes nécessaires à l’exécution ou la destruction en cause.

Ainsi, lorsque le créancier ne souhaite pas supporter temporairement le coût de l’intervention du tiers dans l’attente d’être remboursé par le débiteur, il n’aura d’autre choix que de saisir le juge.

Cette obligation de saisir le juge vaut, tant lorsqu’il s’agit pour le créancier d’exercer sa faculté de remplacement, que lorsqu’il s’agit de faire détruire ce qui a été fait en violation d’une obligation contractuelle.

Les sanctions de l’inexécution du contrat: vue générale (refonte du régime et énumération des sanctions)

?La refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

Parce que le contrat est pourvu de la force obligatoire qui, en application de l’article 1103 du Code civil, lui est conférée par la loi, il a vocation à être exécuté.

Reste que cette exécution ne saurait dépendre de la seule volonté des parties, ne serait-ce que parce que, de bonne foi ou de mauvaise foi, ces dernières sont susceptibles d’être défaillantes.

Aussi, afin de contraindre les parties à satisfaire à leurs obligations le législateur, secondé par la jurisprudence, a-t-il prévu un certain nombre de sanctions, lesquelles sanctions vont de l’exécution forcée en nature à la résolution du contrat, en passant par l’octroi de dommages et intérêts.

Au fond, ces sanctions visent à assurer l’efficacité des conventions et à en garantir la bonne exécution.

L’une des principales innovations de la réforme du droit des obligations engagée par l’ordonnance du 10 février 2016 réside précisément dans la refonte des sanctions attachées à l’inexécution du contrat.

Le régime de l’inexécution contractuelle constituait, en effet, l’une des carences du code civil, dont les règles, en la matière, étaient, jusqu’alors, éparses et incomplètes :

  • D’une part, l’exécution en nature était traitée avec les obligations de faire et de ne pas faire, et les obligations de donner
  • D’autre part, les textes étaient muets sur l’exception d’inexécution
  • Enfin, la résolution était évoquée à l’occasion des obligations conditionnelles.

Afin de remédier à cette dispersion des sanctions qui rendait leur articulation et leur lisibilité difficile, l’ordonnance du 10 février 2016 a procédé à un regroupement de l’ensemble des règles relatives à l’inexécution contractuelle en une seule section

Cette section, qui relève d’un chapitre IV consacré aux effets du contrat, est divisée en cinq sous-sections présentées à titre liminaire à l’article 1217 du Code civil.

?L’énumération des sanctions attachées à l’inexécution du contrat

L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

L’alinéa 2 du texte précise que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »

Deux principaux enseignements peuvent être retirés des règles énoncées à l’article 1217 du Code civil :

  • Premier enseignement : sur le choix des sanctions
    • L’article 1217 du Code civil énumère en son premier alinéa l’ensemble des sanctions à la disposition du créancier d’une obligation non exécutée, soit d’une obligation dont l’exécution n’est pas conforme aux stipulations contractuelles.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir s’il faut voir dans la liste des sanctions énumérées un ordre hiérarchique qui s’imposerait au créancier ?
    • Dans le silence du texte, il y a lieu de considérer que le principe posé est le libre choix de la sanction dont se prévaut le créancier, à la condition que les conditions d’application de ladite sanction soient réunies.
    • Aussi, le créancier est-il libre de solliciter une réduction du prix plutôt que la résolution du contrat. Il peut encore préférer une exécution forcée en nature assortie de dommages et intérêts.
    • À cet égard le rapport au Président de la république relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise que l’ordre de l’énumération des sanctions énumérées à l’article 1217 du Code civil n’a aucune valeur hiérarchique, le créancier victime de l’inexécution étant libre de choisir la sanction la plus adaptée à la situation.
    • D’ailleurs, le dernier alinéa règle l’articulation entre ces différents remèdes qui peuvent se cumuler s’ils ne sont pas incompatibles et rappelle que les dommages et intérêts sont toujours compatibles avec les autres sanctions si les conditions de la responsabilité civile sont réunies.
  • Second enseignement : sur l’articulation des sanctions
    • L’article 1217 pris en son alinéa 2 prévoit que « les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter »
    • Il ressort de cette disposition qu’un cumul des sanctions énoncées par l’alinéa 1er est permis, à la condition, précise le texte, qu’elles ne soient pas incompatibles.
    • Que doit-on entendre par « sanctions incompatibles » ? L’article 1217 du Code civil ne le dit pas.
    • Reste que l’incompatibilité de sanctions se déduit des effets attachés à chacune d’elles.
    • Ainsi, la résolution du contrat est incompatible avec une demande d’exécution forcée en nature ou une réduction du prix
    • Le créancier pourra néanmoins cumuler la sanction de l’exception d’inexécution avec l’exécution forcée en nature.
    • En tout état de cause, l’article 1217 du Code civil dispose que des dommages et intérêts peuvent toujours être sollicités quelle que soit la sanction choisie par le créancier.
    • Bien que les dommages et intérêt fassent l’objet d’un traitement spécifique par le texte, ils ne pourront être sollicités par le créancier qu’à la condition qu’il justifie d’un préjudice.
    • À cet égard, dans l’hypothèse où il aurait obtenu une réduction du prix de la prestation, les dommages et intérêts qui susceptibles de lui être alloués ne pourront couvrir que le préjudice subsistant.

Au bilan, la présentation qui est faite des sanctions de l’inexécution contractuelle clarifie les règles applicables et en permet une appréhension globale, jusqu’alors complexe.

Les dispositions qui suivent l’article 1217 du Code civil viennent, quant à elles, poser les conditions d’applications de chacune des sanctions prises individuellement, étant précisé qu’il y a lieu de distinguer les conditions communes à toutes les sanctions, de celles spécifiques à chacune d’elles.

La détermination de la prestation ou l’objet de l’obligation

Tout d’abord, il peut être observé que la question de l’objet de l’obligation est traitée aux articles 1163 à 1167 du Code civil, lesquels remplacent les anciens articles 1126 à 1130.

La lecture de ces nouvelles dispositions appelle plusieurs remarques à titre liminaire.

?Objet de l’obligation / Objet du contrat

Bien que l’ordonnance du 10 février 2016 ait regroupé sous le vocable de contenu du contrat, les concepts d’objet et de cause, la notion d’objet n’a pas totalement disparu du Code civil, celui-ci y faisant toujours référence, notamment à l’article 1163.

Cette disposition prévoit en effet que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future ».

Ainsi, le législateur vise-t-il ici ce que l’on qualifiait autrefois d’objet de l’obligation que l’on opposait à l’objet du contrat.

  • L’objet de l’obligation doit être entendu comme la prestation qu’une partie au contrat s’est engagée à exécuter.
    • Exemple :
      • Dans un contrat de vente, l’objet de l’obligation du vendeur est la délivrance de la chose et pour l’acheteur le paiement du prix
      • Dans un contrat de bail, l’objet de l’obligation du preneur est le paiement du loyer, tandis que pour le bailleur c’est la mise à disposition de la chose louée.
  • L’objet du contrat désigne quant à lui l’opération contractuelle que les parties ont réalisée, soit l’opération envisagée dans son ensemble et non plus dans l’un ou l’autre de ses éléments constitutifs.

?Chose VS Prestation

Aux termes de l’article 1163, al. 1 du Code civil « l’obligation a pour objet une prestation […] ».

Aussi, ressort-il de cette disposition que le législateur a préféré au terme chose, qui avait été désigné en 1804 comme l’objet de l’obligation, le mot prestation, lequel fait sa grande apparition dans le Code civil.

L’ancien article 1126 du Code civil prévoyait, en effet, que « tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une partie s’oblige à faire ou à ne pas faire. »

Pourquoi ce changement de vocable ? Deux raisons peuvent être invoquées :

Première raison : abandon de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire

Antérieurement à la réforme du droit des obligations, le Code civil distinguait les obligations de donner, de faire et de ne pas faire :

  • Exposé de la distinction
    • L’obligation de donner
      • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
    • L’obligation de faire
      • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • L’obligation de ne pas faire
      • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé.
  • Intérêt – révolu – de la distinction
    • Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.
    • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
      • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
    • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
      • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
    • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
      • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »
    • Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire
      • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
      • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
      • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
        • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
        • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ).
  • Abandon de la distinction
    • L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.
    • Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.
    • Le nouvel article 1221 du Code civil prévoit en ce sens que :
      • « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »
    • L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.
    • Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.
    • Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :
      • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
      • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »
  • Conséquences de l’abandon de la distinction
    • Dans la mesure où la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire a perdu de son intérêt, le législateur a estimé qu’il n’était plus nécessaire de s’y référer.
    • Il lui fallait donc trouver une notion qui puisse englober ces trois catégories d’obligations.
    • Or le terme prestation le permet, car sa signification est suffisamment large pour que l’on puisse ranger sous cette notion tous les objets sur lesquels une obligation contractuelle est susceptible de porter.
Seconde raison : un remède au caractère restrictif du terme chose

Le second argument qui a conduit le législateur a changé de vocable, s’agissant de l’objet de l’obligation, est que la signification du terme chose apparaît bien plus étroite que celle que l’on confère habituellement à la notion de prestation.

Tandis, en effet, que le terme « chose » semble ne viser que l’obligation de donner, la notion de « prestation » permet d’envisager que l’objet de l’obligation puisse consister en la fourniture d’un service autre d’une opération de transfert de droits de propriétés.

Immédiatement, une question alors se pose : que doit-on entendre par le terme prestation ?

?Notion de prestation

Par prestation, il faut entendre ce à quoi les parties au contrat se sont engagées.

Le législateur ne précisant pas en quoi s’apparente précisément une prestation, on peut en déduire qu’elle consiste indifféremment en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Est-ce à dire que dès lors qu’une prestation est stipulée par les parties, le contrat est valide ?

Indépendamment du fait que la prestation doit être licite, conformément à l’article 1162 du Code civil, l’alinéa 2 de l’article 1163 précise qu’elle doit « être possible et déterminée ou déterminable », faute de quoi le contrat est nul.

I) La possibilité de la prestation

L’article 1162 du Code civil subordonne la validité du contrat à la possibilité de la prestation. Cette exigence est manifestement tirée de l’adage Nulla impossibilium obligatio, soit à l’impossible nul n’est tenu.

Cela signifie, autrement dit, que qu’il ne faut pas qu’existe une impossibilité d’exécuter la prestation que l’on s’est engagé à accomplir.

Toutefois, encore faut-il que l’impossibilité présente un certain nombre de caractères, à défaut de quoi, le débiteur de l’obligation sera tenu, nonobstant l’existence de l’impossibilité.

A) Les caractères de l’impossibilité

?Une impossibilité absolue

Pour être cause de nullité du contrat, l’impossibilité qui fait obstacle à l’exécution de la prestation doit être absolue et non relative.

L’impossibilité doit de la sorte être prise dans son sens objectif : n’importe quel débiteur s’y heurterait (V. en ce sens CA Paris, 4 juill. 1865).

Exemples :

  • L’impossibilité absolue de réaliser une prestation consisterait à s’engager à faire disparaître le soleil ou à ramener à la vie un mort.
  • L’impossibilité relative consisterait, quant à elle, à s’engager à donner un récital de piano, alors que l’on n’a jamais appris à jouer de cet instrument ou encore à battre le record du monde du saut en longueur alors que l’on n’a jamais fait d’athlétisme.

Tandis que l’existence d’une impossibilité absolue constituerait une cause de nullité du contrat, la seule impossibilité relative ne serait pas de nature à remettre en cause sa validité.

Aussi, lorsque l’impossibilité qui fait obstacle à la réalisation de la prestation est seulement relative, le débiteur engage sa responsabilité contractuelle.

Il s’expose donc à devoir verser aux créanciers des dommages et intérêts.

?Une impossibilité inconnue du débiteur

Lorsque l’impossibilité d’exécuter l’obligation est absolue, le débiteur ne doit pas avoir eu connaissance de cette impossibilité au moment de la conclusion du contrat.

À défaut, il engage sa responsabilité, dans la mesure où il lui appartenait de ne pas contracter, soit de ne pas créer une espérance chez le créancier.

?Une impossibilité originelle

Pour être cause de nullité, l’impossibilité doit encore exister au moment de la formation du contrat.

Si cette impossibilité survient au cours de l’exécution de la prestation, le débiteur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de la survenance d’une cause étrangère (force majeure, cas fortuit etc.).

B) La sanction de l’impossibilité

Les règles relatives à l’objet de l’obligation visent à protéger l’intérêt général. Aussi, relèvent-elles de l’ordre public de direction.

Dans un arrêt du 28 avril 1987, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue » (Cass. com. 28 avr. 1987, n°86-16.084).

Cass. com. 28 avr. 1987

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1304, alinéa 1er du Code civil ;

Attendu que les actes dont la nullité est absolue étant dépourvus d’existence légale ne sont susceptibles ni de prescription ni de confirmation :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par une convention du 20 décembre 1963, la société de Travaux Publics Brethome s’est engagée à s’approvisionner pendant 50 années en matériaux nécessaires aux besoins de ses chantiers routiers dans les différentes carrières où M. Z… posséderait des intérêts dans tous les cas où ces chantiers se trouveraient à une distance déterminée de ces carrières, et ce “à prix égal à celui de la concurrence éventuelle” ; que M. Y… et la société Y… ont demandé la nullité de cette convention pour défaut d’objet en ce que s’est révélée impossible l’obligation leur incombant de soumettre à M. Z… par écrit les prix résultant de la concurrence ;

Attendu que, pour déclarer prescrite cette action en nullité, la Cour d’appel énonce que la validité de la convention doit s’apprécier à la date à laquelle elle a été conclue, que, dans la mesure où elle ne repose ni sur la violence, ni sur l’erreur ou le dol, le point de départ du délai de prescription de cinq ans se situe au 20 décembre 1963, date où a été conclue la convention, de sorte que l’action était prescrite lorsqu’a été délivrée l’assignation du 28 mai 1982, que la demande tend en réalité à faire constater que l’engagement ne pouvait plus être exécuté en raison de la survenance d’un événement postérieur tendant à l’obligation de soumettre par écrit les prix résultant de la concurrence et qu’il appartiendrait à la société X…, pour pouvoir être libérée de son obligation, de prouver l’existence de la force majeure qui se caractérise par l’imprévisibilité et l’irrésistibilité ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ;

II) La détermination de la prestation

Il ressort de la combinaison des articles 1163 à 1167 que deux types de règles s’appliquent à la détermination de la prestation

  • Les règles générales relatives à la détermination de la prestation
  • Les règles spécifiques relatives la détermination de la prestation lorsqu’elle consiste en le paiement d’un prix

A) Les règles générales relatives à la détermination de la prestation

L’examen des articles 1163 et 1166 du code civil révèle qu’il convient de distinguer selon que la prestation est déterminée ou détermination ou selon qu’elle est indéterminée

1. La prestation déterminée ou déterminable

Aux termes de l’article 1163 du Code civil, la prestation objet du contrat « doit être déterminée ou déterminable ».

Cette disposition n’est autre qu’une actualisation de l’ancien article 1129 du Code civil qui prévoyait en son alinéa 1 que « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » et d’ajouter à son alinéa 2 que « la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée. »

Si, sur le fond, le législateur n’a apporté aucune modification significative au droit positif, il n’en a pas moins profité pour toiletter l’énoncé des règles dont la formulation était devenue un peu datée.

a. Droit antérieur

Dans le droit antérieur, la jurisprudence distinguait selon que l’objet de l’obligation consistait en une chose ou un service.

?L’objet de l’obligation est relatif à une chose

Dans cette hypothèse, il convenait de distinguer selon que la chose s’apparentait à un corps certain ou à une chose de genre.

  • La chose consiste en un corps certain
    • Par corps certain, il faut entendre un bien unique qui possède une individualité propre
      • Exemple : un immeuble, un bijou de famille, une œuvre d’art, etc…
    • Dans cette hypothèse, il suffit que le corps certain soit désigné dans le contrat pour que l’exigence de détermination de la prestation soit satisfaite.
    • La désignation du corps certain devra toutefois être suffisamment précise pour que l’on puisse identifier le bien, objet de la convention.
  • La chose consiste en une chose de genre
    • Par chose de genre, il faut entendre un bien qui ne possède pas une individualité propre, en ce sens qu’il est fongible
    • Il s’agit, autrement dit, de choses qui sont interchangeables
      • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
    • Dans cette hypothèse, l’article 1129 prévoit que si la chose doit être déterminée quant à son espèce (sa nature, son genre) lors de la formation du contrat, sa quotité pouvant être incertaine, pourvu qu’elle soit déterminable
    • Cela signifie donc qu’il importe peu que la chose de genre ne soit pas individualisée lors de la conclusion du contrat
    • Sa quantité devra toutefois être déterminable à partir des éléments contractuels prévus par les parties

?L’objet de l’obligation est relatif à un service

Dans cette hypothèse, l’objet de l’obligation consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose

Pour satisfaire l’exigence de détermination de la prestation, la jurisprudence estimait qu’il était nécessaire que ladite prestation soit déterminée, tant dans sa nature (ne pas exercer une activité concurrente de celle de son ancien employeur), que dans sa durée (pendant cinq ans).

Ainsi, a-t-il été jugé, par exemple, dans un arrêt du 28 février 1983 que l’obligation de « faire un geste » n’est pas suffisamment précise pour satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation (Cass. com. 28 févr. 1983, n°81-14.921).

Dans un arrêt du 12 décembre 1989 la haute juridiction a toutefois précisé « qu’il est nécessaire pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties » (Cass. com. 12 déc. 1989, n°88-17.021).

Autrement dit, la prestation peut être considérée comme déterminable si sa quotité dépend de circonstances extérieures à la volonté des parties.

Cass. com. 12 déc. 1989

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1129 du Code civil ;

Attendu qu’il est nécessaire, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, qu’assignée en paiement de dommages-intérêts par la société Interrent à laquelle la liait un contrat de franchisage d’une durée de cinq ans qu’elle avait unilatéralement résilié avant son expiration, la société Portier automatériel (société Portier) a opposé la nullité du contrat pour indétermination du montant de la redevance mise à sa charge par la clause prévoyant qu’en contrepartie des avantages qui lui étaient consentis, elle devait mensuellement verser à la société Interrent ” une participation financière déterminée pour chaque année civile par le conseil d’administration de la société ” ;

Attendu que, pour rejeter l’exception, l’arrêt énonce, par motif propre, que la clause litigieuse fait dépendre le prix de la volonté d’une des parties et que, dès lors, il n’y a plus de défaut d’accord de volontés sur le prix puisque les parties se sont entendues pour que l’une d’elles fixe celui-ci et, par motif adopté, que la participation financière imposée à la société Portier est ” donc bien déterminée ” ;

Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, après avoir relevé que le montant de la redevance due par cette société dépendait de la seule volonté de la société Interrent, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 juin 1988, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Limoges

b. La réforme des obligations

Il ressort de l’article 1163 du Code civil, qu’il n’est plus besoin de distinguer

  • D’une part, selon que l’objet de l’obligation consiste en une chose ou un service
  • D’autre part, selon que la chose consiste en un corps certain ou une chose de genre

La règle désormais posée est que, en toute hypothèse, la prestation « doit être déterminée ou déterminable ».

Aussi, la seule distinction qu’il convient d’opérer est celle qui oppose la prestation déterminée à la prestation déterminable.

  • S’agissant d’une prestation déterminée, il s’agit de l’hypothèse où dès la conclusion du contrat, le débiteur sait précisément à quoi il s’engage, en ce sens qu’il connaît tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa prestation :
    • S’il s’agit de fourniture d’un corps certain, il sera désigné avec suffisamment de précision dans le contrat pour que les parties soient en mesure de l’identifier
    • S’il s’agit de fourniture d’une chose de genre, elle devra être déterminée quant à son espèce et quant à sa quotité
    • S’il s’agit de la fourniture d’un service ou d’une abstention, elle devra être déterminée dans sa nature et dans sa durée.
  • S’agissant d’une prestation déterminable
    • Dans cette hypothèse, l’alinéa 3 de l’article 1163 précise que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
    • Dans l’hypothèse où la prestation n’est pas déterminée, elle devra au moins être déterminable
    • Toutefois pour satisfaire à cette exigence, cela suppose
      • Soit que les stipulations du contrat permettent de déterminer la quotité de la prestation
      • Soit que la quotité de la prestation puisse être déduite des usages, ou des relations antérieures entretenues par les parties
    • En toute hypothèse, l’alinéa 3 in fine de l’article 1163 prévoit que la prestation ne pourra jamais être réputée déterminable, lorsqu’un nouvel accord des parties est nécessaire quant à fixer le contenu de la prestation.

2. La prestation indéterminée

L’article 1166 du Code civil dispose que « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

Si, antérieurement à la réforme des obligations la loi ne posait aucune véritable exigence s’agissant de la qualité de la prestation, la jurisprudence exigeait néanmoins du débiteur qu’il fournisse une prestation de qualité moyenne.

Cette règle était inspirée de l’ancien article 1246 du Code civil qui prévoyait que « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise. »

Dorénavant, il n’est donc plus question de qualité moyenne de la prestation : pour répondre à l’exigence de détermination, elle doit seulement être « conforme aux attentes légitimes du créancier », lesquelles attentes doivent être appréciées en considération de la nature de la prestation des usages et de la contrepartie fournie.

Il s’agit là toutefois d’une règle supplétive qui n’aura vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où la prestation n’est ni déterminée, ni déterminable.

B) Les règles spécifiques relatives à la détermination du prix

Nombreux sont les contrats dans lesquels est stipulée une obligation qui consiste en le paiement d’une somme d’argent, soit d’une obligation pécuniaire qui exprime le prix d’une chose ou d’un service (prix dans la vente, loyer dans le bail, honoraires dans le mandat, prime dans l’assurance etc.)

Si l’obligation pécuniaire se retrouve dans la très grande majorité des contrats onéreux, elle n’en constitue pas moins une catégorie particulière d’obligation, celle-ci portant sur de la monnaie.

Or par définition, la monnaie est instable en ce sens que rien ne permet de dire que la prestation estimée à un euro aujourd’hui aura toujours la même valeur demain.

D’où la difficulté pour les contrats qui s’échelonnent dans le temps de fixer un prix et, par voie de conséquence, de satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation.

S’il peut s’avérer extrêmement tentant pour les parties de reporter la fixation du prix à plus tard, il est un risque que, dans pareille hypothèse, le contrat encourt la nullité.

Immédiatement la question alors se pose de savoir quelles sont les marges de manœuvres dont disposent les parties quant à la détermination du prix.

1. Droit antérieur

Il ressort de la jurisprudence que les exigences relatives à la détermination du prix ont considérablement évolué sous l’empire du droit antérieur.

?Première étape : conception souple de l’exigence de détermination du prix

  • Droit commun des contrats
    • La jurisprudence considérait, dans un premier temps, que, sauf disposition spéciale, l’article 1129 du Code civil était seul applicable en matière de détermination du prix.
    • Aussi, cela signifiait-il que dans les contrats qui comportaient une obligation pécuniaire, pour être valables, le prix devait être, soit déterminé, soit déterminable.
  • Cas des contrats-cadre
    • En application, de l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation a fait preuve d’une relativement grande souplesse s’agissant de l’exigence de détermination du prix, notamment pour les contrats-cadre, dont la particularité est de voir leur exécution échelonnée dans le temps.
    • Les contrats cadres ont, en effet, pour fonction d’organiser les relations contractuelles futures des parties.
    • La question s’est alors posée de savoir s’il était nécessaire que, dès la conclusion du contrat-cadre, le prix auquel seront conclues les ventes à venir soit déterminé.
    • Devait-on admettre, au contraire, que, sans fixer le prix, le fournisseur puisse seulement prévoir que le prix correspondra, par exemple, au tarif qui figurera sur le catalogue à la date de conclusion du contrat d’application ?
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est manifestement satisfaite de la seconde option.
    • Elle estimait, de la sorte, que le renvoi dans le contrat-cadre au prix du tarif fournisseur au jour de la livraison pour les ventes exécutées en application de ce contrat était valable (V. notamment Cass. req., 5 févr. 1934).
  • Cas du contrat de vente
    • Il peut être observé que la règle dégagée par la jurisprudence pour les contrats en général et pour les contrats-cadres ne s’appliquait pas au contrat de vente, la détermination du prix étant régi, pour ce type de contrat, par l’article 1591.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ». La détermination du prix est, de la sorte, une condition de validité du contrat de vente.
    • Lorsque le prix est seulement déterminable, la jurisprudence exige que sa fixation définitive soit indépendante de la volonté des parties (V. en ce sens Cass. com., 10 mars 1987, n°85-14.121).
    • Par ailleurs, l’article 1592 prévoit que le prix peut « être laissé à l’estimation d’un tiers ».

?Deuxième étape : la chasse aux nullités pour indétermination du prix

À partir du début des années 1970, la jurisprudence a changé radicalement de position s’agissant de l’exigence de détermination du prix en se livrant, selon l’expression désormais consacrée par les auteurs, à une véritable chasse aux nullités pour indétermination du prix

La Cour de cassation a, en effet, cherché à attraire dans le champ d’application de l’article 1591, soit le régime applicable au contrat de vente, des opérations qui n’étaient pas véritablement constitutives de ventes mais qui en produisaient les effets (fourniture d’un produit).

Dans un arrêt du 27 avril 1971 la Cour de cassation a estimé en ce sens, au visa de l’article 1591 du Code civil qu’un contrat-cadre devait être annulé dans la mesure où « les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci » (Cass. com. 27 avr. 1971, n°70-10.753)

Cette solution a été réaffirmée par la chambre commerciale dans un arrêt du 12 février 1974 où elle censure une Cour d’appel qui, pour valider un contrat cadre, s’était référée « a des accords successifs intervenus pour la fixation du prix d’un certain nombre de fournitures, sans préciser comment, en vertu de la convention originaire, les prix de l’ensemble des fournitures prévues par celles-ci étaient soumis, malgré l’obligation d’exclusivité assumée par les époux x…, au libre jeu de la concurrence et ne dépendaient donc pas de la seule volonté de la brasserie du coq hardi » (Cass. com. 12 févr. 1974, n°72-13.959).

Cette chasse aux nullités pour indétermination du prix engagée par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, dans la mesure où cette dernière faisait application de l’article 1591 du Code civil à des contrats qui avaient pour objet, non pas la vente de produits, mais la fixation du cadre de la conclusion de contrats d’application futurs.

Cass. com. 27 avr. 1971

Sur le premier moyen : vu les articles 1591 et 1592 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que, par convention du 31 mai 1956, la société Lille, Bonnieres et colombe, aux droits de laquelle se trouve la société Total, a consenti a la société Selmensheim, aux droits de laquelle se trouve la société Saint-Marcel Motors, pour l’exploitation par celle-ci d’une station de vente au détail de carburants, un prêt de matériel et d’argent ;

Qu’en contrepartie, la société Saint-Marcel Motors s’engageait à réserver à la société Total l’exclusivité pendant vingt ans, de ses achats de carburants “au prix pompiste de marque au jour de la livraison” ;

Que cette convention a d’abord été exécutée sous le régime d’un arrêté du 28 octobre 1952, qui fixait les marges respectives maximum de bénéfices de la compagnie distributrice et du pompiste détaillant, au prix du tarif de la société total lequel correspondait à la marge bénéficiaire maximum de cette société puis sous le régime de l’arrêté du 27 mai 1963, qui ne fixant plus que le prix limite de vente aux consommateurs, réalisait ainsi une fusion des deux marges, jusqu’au 17 juin 1965, date à laquelle la société Saint-Marcel Motors faisait valoir son désaccord sur les prix ;

Qu’elle assigna la société Total en vue de faire déclarer la caducité de la convention à compter de ladite date ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient essentiellement que le prix “pompiste de marque” a toujours été le prix du tarif de la société total, qui reproduisait le barème du comité professionnel du pétrole, et que c’était une coutume, les parties n’ayant pas avantage à ce qu’il en fut autrement ;

Qu’avant la publication de l’arrêté du 27 mai 1963, l’administration ne fixait pas le prix de vente des produits pétroliers aux pompistes et que cette situation n’a pas été modifiée par cet arrêté qui, en abandonnant le système des deux marges avait réalisé la fusion de celles-ci, que, lors des discussions quotidiennes qui s’instaurent entre total et ses clients pompistes de marque pour le renouvellement d’anciens contrats et la passation de nouveaux sur les conditions spéciales a chaque cas, se forme un cours moyen qui a sa traduction dans le barème du comité professionnel du pétrole, que ce barème n’a donc pas le caractère arbitraire ;

Attendu qu’en admettant ainsi que les prix fixes par la société Total pouvaient être retenus, la cour d’appel, qui n’a pas recherche si depuis le 1er octobre 1963, date d’application de l’arrêté du 27 mai 1963, les parties avaient été d’accord pour continuer à appliquer le régime antérieur, et qui n’a pas établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

?Troisième étape : substitution de visa (art. 1591 => art. 1129)

En réaction aux critiques de la doctrine concentrées sur l’application de l’article 1591 aux contrats-cadre, la chambre commerciale décida, par trois arrêts du 11 octobre 1978, de revenir à son ancien visa, soit de fonder sa jurisprudence sur l’article 1129 du Code civil, sans pour autant changer de position.

La haute juridiction estimait, en effet, « qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée » (Cass. com. 11 oct. 1978, n°77-11.624).

Ainsi, la Cour de cassation refusait-elle toujours de valider les contrats dont la détermination du prix :

  • Soit supposait un nouvel accord des parties
  • Soit dépendait de la volonté discrétionnaire d’un seul contractant

L’article 1129 relevant du droit commun des contrats, la Cour de cassation a étendu sa position bien au-delà des contrats-cadre (contrat d’approvisionnement, contrat de franchise, contrat de prêt etc.).

Il a alors été reproché à la Cour de cassation d’avoir créé une véritable insécurité juridique, dans la mesure où, dans les contrats-cadre, il est extrêmement difficile de fixer le prix d’opérations qui se réaliseront parfois plusieurs années après la conclusion du contrat initial.

Cass. com. 11 oct. 1978

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : vu l’article 1129 du code civil ;

Attendu qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt défère que, par acte du 26 juin 1969, la société brasserie guillaume x… s’est engagée, en contrepartie d’avantages financiers a elle consentis par la société européenne de brasserie (Eurobra), a ne débiter, dans son établissement de brasserie-restaurant, pendant une durée de cinq années, que des bières fabriquées ou distribuées par cette dernière société, la quantité minimum des fournitures devant atteindre 2.000 hectolitres pendant la durée susvisée ;

Qu’il était prévu à l’acte que les marchandises en cause seraient livrées “aux prix habituellement pratiques pour des marchandises de même qualité sur la place ou est exploité le fonds” ;

Que celui-ci ayant été cédé a une société Sedlo, celle-ci le transféra à son tour, par acte du 22 novembre 1972, a une société dénommée, elle aussi, brasserie guillaume x… ;

Que, dans les deux actes de cession successifs, les sociétés cessionnaires s’engagèrent à observer l’obligation d’exclusivité de fourniture résultant de l’acte du 26 juin 1969 ;

Que la société brasserie guillaume x… ayant, dans le courant de 1973, cesse de s’approvisionner auprès de la société Eurobra, celle-ci l’a assignée en payement du montant de la clause pénale figurant à l’acte dont il s’agit ;

Attendu que la société brasserie guillaume x… ayant opposé à cette demande la nullité dudit acte en raison de l’indétermination du prix des marchandises en faisant l’objet, la cour d’appel a rejeté cette exception en retenant que la clause susvisée relative à la fixation de ce prix “fait implicitement appel à la loi de l’offre et de la demande et laisse intactes toutes possibilités de négociation ou de rectification au cas où le prix propose serait supérieur au prix de marche…” ;

Attendu qu’en considérant ainsi que le prix des fournitures en cause était déterminable suivant les énonciations du contrat, sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société brasserie guillaume x…, si la référence opérée par la clause litigieuse au prix du marché pratique à Lyon, ou ladite société avait son établissement, permettait “d’avoir un élément de référence sérieux, précis et objectif”, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le premier moyen, non plus que sur les autres branches du second moyen : casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 18 janvier 1977 par la cour d’appel de paris ;

?Quatrième étape : infléchissement de la position de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’est pas demeurée insensible aux nombreux reproches dont sa jurisprudence faisait l’objet.

C’est la raison pour laquelle, dans le courant des années 1980, elle a cherché à infléchir sa position.

Ainsi, dans un arrêt du 9 novembre 1987, la Cour de cassation a refusé d’accéder à la demande d’annulation d’un contrat de distribution pour indétermination du prix, estimant qu’il s’agissait là d’un contrat dont l’objet consiste en une obligation de faire.

Or selon elle, seuls les contrats qui portent sur une obligation de donner sont soumis à l’exigence de détermination du prix (Cass. com. 9 nov. 1987, n°86-13.984).

En d’autres termes, l’exigence de détermination du prix posée à l’article 1129 du Code civil varierait du tout ou rien, selon que l’on est en présence d’une obligation de donner ou de faire.

Critiquable à maints égards, la Cour de cassation abandonne rapidement cette distinction à la faveur du critère de la stipulation potestative, soit lorsque la fixation du prix dépend de la volonté d’une seule des parties

Dans un arrêt du 16 juillet 1991, la chambre commerciale admet en ce sens que, dans un contrat-cadre, il n’est plus nécessaire que le prix des marchandises soit déterminable « pourvu qu’il puisse être librement débattu et accepté » au moment de la conclusion de la vente (Cass. com. 16 juill. 1991).

Cass. com. 9 nov. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 27 mars 1986) que, par un contrat du 1er mars 1983, dit ” de commercialisation “, la société Cofadis, qui fabrique une machine destinée à l’imprimerie, a chargé la société Graphic Repro Diffusion (société Graphic) d’en assurer en exclusivité la distribution et la vente dans certains pays ; que la société Graphic, qui s’était engagée à vendre directement un nombre déterminé de ces appareils par an, n’ayant pas satisfait à cette obligation, la société Cofadis l’a assignée en résiliation du contrat ;

Attendu que la société Graphic fait grief à la cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation du contrat à ses torts exclusifs alors, selon le pourvoi, d’une part, que le contrat de distribution commerciale comporte nécessairement pour son exécution une série de ventes successives et s’analyse donc en une promesse de vente ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que la société Graphic achèterait à Cofadis les équipements dont elle devait assurer la distribution ; qu’en énonçant néanmoins que le contrat litigieux ne faisait naître que des obligations de faire à la charge des co-contractants, alors qu’il avait pour objet essentiel la vente de marchandises à la société Graphic en vue de leur commercialisation dans le public, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1589 du Code civil et alors, d’autre part, que le prix des marchandises vendues dans le cadre d’un contrat de distribution commerciale doit être déterminé ou déterminable sans qu’il faille un nouvel accord des parties, ce, à peine de nullité du contrat de distribution ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que le prix des ventes à intervenir dans le cadre du contrat de distribution conclu entre les parties devait être déterminé par un accord ultérieur entre elles ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la convention litigieuse, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’accord litigieux conclu entre la société Cofadis et la société Graphic comportait, pour la première société, l’obligation d’accorder l’exclusivité de la distribution, dans un certain nombre de pays, du matériel en cause et, pour la seconde, l’obligation d’assurer la promotion et la vente du matériel dans ces mêmes pays, la cour d’appel a pu considérer que la convention ne s’analysait pas comme une vente avec obligation de mentionner le prix mais comme une obligation de faire et se prononcer comme elle l’a fait, sans violer les textes visés au moyen ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Cinquième étape : l’amorce d’un revirement de jurisprudence

Dans deux arrêts du 20 novembre 1994, la Cour de cassation affirme, au visa des articles 1129 et 1134, al. 3 du Code civil que si la détermination du prix demeure une exigence, il y est satisfait dès lors que le contrat fait « référence au tarif » fixé par une partie, à condition, néanmoins, que cette dernière n’ait pas « abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994, n°91-21.009).

Dans le cas contraire, la première chambre civile considère que cela reviendrait à violer l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties lors de l’exécution du contrat.

Plusieurs enseignements ont immédiatement été tirés de ces arrêts :

  • Tout d’abord, en visant l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation maintien l’exigence de détermination du prix quel que soit le type de contrat conclu, y compris pour les contrats-cadre.
  • Ensuite, il ressort de la décision rendue qu’il importe peu, désormais, que le prix soit fixé discrétionnairement par une seule des parties au contrat.
  • En outre, la haute juridiction affirme que la nullité d’un contrat pour indétermination du prix ne peut être prononcée qu’à la condition qu’une partie ait abusé de sa situation économique pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime.
  • Enfin, la Cour de cassation fonde sa décision notamment sur l’ancien article 1134, al. 3 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Aussi, cela témoigne-t-il de sa volonté de déplacer l’exigence de détermination du prix au niveau de l’exécution du contrat, alors qu’il s’agit pourtant d’une condition de formation de l’acte.

Malgré la nouveauté de la solution adoptée par la Cour de cassation dans ces deux arrêts du 20 novembre 1994, deux questions demeuraient en suspens :

  • Qui de la sanction de l’abus dans la fixation du prix ?
    • Nullité ? Octroi de dommages et intérêts ? Résolution du contrat ?
  • Quid du ralliement de la chambre commerciale à la position de la première chambre civile ?
    • Dans un arrêt rendu sensiblement à la même date, elle rendit, en effet, une décision dans laquelle elle maintenait la solution antérieure ? (Cass. com., 8 nov. 1994)

Par chance, des réponses ont rapidement été apportées à ces deux questions par quatre arrêts d’assemblée plénière rendus en date du 1er décembre 1995 (Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, n°91-15.578).

Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1129 et 1134, alinéa 3, du Code civil ;

Attendu que pour prononcer, pour indétermination du prix, la nullité des conventions conclues par M. X… avec la société GST-Alcatel Est pour la fourniture et l’entretien d’une installation téléphonique, la cour d’appel retient que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une ” plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur ” ;

Attendu qu’en se prononçant par ces motifs, alors que, portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

?Sixième étape : le revirement de jurisprudence des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995

Par quatre arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre, la Cour de cassation a affirmé deux principes s’agissant de l’exigence de détermination.

  • Dans l’un des quatre arrêts, elle considère que « l’article 1129 du Code civil [n’est] pas applicable à la détermination du prix », de sorte que, en matière de contrat-cadre, la détermination du prix n’est pas une condition de validité du contrat.
  • Dans les trois autres arrêts, elle précise, sans détour, que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».

Afin de prendre la mesure de ces deux principes posés par la Cour de cassation, remémorons-nous les circonstances de fait et de procédure de l’un de ces arrêts.

Cass. ass. plén. 1er déc. 1995

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1709 et 1710, ensemble les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Attendu que lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ;

Attendu selon l’arrêt attaqué (Rennes, 13 février 1991) que le 5 juillet 1981, la société Sumaco a conclu avec la société Compagnie atlantique de téléphone (CAT) un contrat de location-entretien d’une installation téléphonique moyennant une redevance indexée, la convention stipulant que toutes modifications demandées par l’Administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur ; que la compagnie ayant déclaré résilier le contrat en 1986 en raison de l’absence de paiement de la redevance, et réclamé l’indemnité contractuellement prévue, la Sumaco a demandé l’annulation de la convention pour indétermination de prix ;

Attendu que pour annuler le contrat, l’arrêt retient que l’abonné était contractuellement tenu de s’adresser exclusivement à la compagnie pour toutes les modifications de l’installation et que le prix des remaniements inéluctables de cette installation et pour lesquels la Sumaco était obligée de s’adresser à la CAT, n’était pas déterminé et dépendait de la seule volonté de celle-ci, de même que le prix des éventuels suppléments ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 février 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

  • Faits
    • Le 5 juillet 1981, une société conclut avec un prestataire un contrat-cadre de location et d’entretien d’une installation téléphonique en contrepartie de l’acquittement d’une redevance indexée.
    • La convention stipulait que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur.
    • La société abonnée n’ayant pas payé la redevance, la Compagnie de téléphone a, dès lors, souhaité résilier le contrat.
  • Demande
    • La société abonnée demande l’annulation du contrat de prestation conclu avec la société de téléphone.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 février 1991, la Cour d’appel de Rennes a annulé le contrat de prestation téléphonique.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’abonné était tenu contractuellement de s’adresser à la compagnie de téléphone pour toute intervention sur la ligne, il était soumis aux prix que lui imposerait la compagnie de téléphone.
    • Or ce prix n’était pas déterminé, car fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone.
  • Solution
    • Par un arrêt du 1er décembre 1995, l’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles 1709, 17010 et 1134 et 11385.
    • Deux affirmations retiennent l’attention dans cet arrêt
      • D’une part, l’indétermination du prix dans un contrat cadre n’est pas une cause de nullité du contrat
      • D’autre part, l’abus dans la fixation du prix est sanctionné soit par la résiliation du contrat, soit par l’octroi de dommages intérêts
    • Aussi, de ce principe d’indétermination posé par la Cour de cassation, elle en déduit, dans le litige en l’espèce, que bien que le prix ait été fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone au cours de l’exécution du contrat, le contrat d’abonnement était bien valable.
    • Par ailleurs, en visant les anciens articles 1134 et 1135 du Code civil, la Cour de cassation indique clairement que, pour apprécier le respect de l’exigence de détermination du prix, il convient désormais de se situer, non plus au niveau de la formation du contrat, mais au niveau de son exécution.
    • Ainsi, la Cour de cassation confirme-t-elle que la détermination du prix n’est plus une condition de validité du contrat.
    • Il en résulte que dans un contrat-cadre, il importe peu que le prix soit indéterminé et que sa fixation dépende de la volonté d’une seule des parties.
    • Il ressort toutefois que le principe d’indétermination du prix a vocation à s’appliquer sauf « dispositions légales particulières ».
    • Tel sera notamment le cas du contrat de vente qui reste soumis au régime de l’article 1591 du Code civil, soit au principe de détermination de prix.
    • Bien que les auteurs fussent, dans un premier temps, satisfait par la solution novatrice de la Cour de cassation, cette jurisprudence n’en a pas moins fait naître quelques incertitudes, notamment s’agissant de la notion d’abus.
  • Portée des arrêts du 1er décembre 1995
    • Plusieurs enseignements peuvent être tirés des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995 :
      • Premier enseignement : la détermination du prix n’est plus une condition de validité dans les contrats-cadre : le principe devient l’indétermination du prix
      • Deuxième enseignement : l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, de sorte que ce dernier ne saurait être assimilé à une chose
      • Troisième enseignement : le principe d’indétermination du prix n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats qui ne sont soumis à aucune disposition particulière
      • Quatrième enseignement : l’indétermination du prix est sanctionnée uniquement en cas d’abus de la partie forte au contrat.
      • Cinquième enseignement : l’abus dans la fixation du prix s’apprécie au niveau de l’exécution du contrat
      • Sixième enseignement : la sanction de l’abus dans la fixation du prix est, soit la résiliation du contrat, soit l’octroi de dommages et intérêts

?Septième étape : la précision de la notion d’abus dans la fixation du prix

Dans un arrêt du 15 janvier 2002, la Cour de cassation a estimé que l’abus dans la fixation du prix était caractérisé lorsque deux conditions cumulatives étaient réunies (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-21.172) :

  • L’existence d’une situation de dépendance économique
    • Cela suppose que la victime de l’abus ne soit pas en mesure de négocier le prix qui lui est imposé, sauf à mettre en péril son activité
    • Dans un arrêt du 30 juin 2004, la Cour de cassation a, par exemple, estimé qu’il n’y avait pas abus lorsque le contractant n’a pas été contraint de subir la modification unilatérale, la décision d’augmenter le prix lui ayant été notifié suffisamment tôt pour qu’il puisse trouver une autre solution en s’adressant à la concurrence (Cass. com. 30 juin 2004, n°01-00.475).
  • L’existence d’un prix disproportionné
    • Cela suppose que le prix imposé à la partie, victime de l’abus, ne lui permette pas d’exploiter de manière rentable son activité.
    • Dans un arrêt du 4 novembre 2014, il a, par ailleurs, été jugé qu’un prix était disproportionné parce qu’il est excessif au regard de celui pratiqué pour les autres clients du distributeur (Cass. com. 4 nov. 2014, n°11-14.026).

Cass. com. 15 janv. 2002

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1999) que la société d’Exploitation du garage Schouwer (le Garage Schouwer) était concessionnaire exclusif de véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines depuis 1991 ; que, reprochant à la société France Motors, importateur exclusif de la marque, d’avoir, à partir de 1993, abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente et d’avoir abusivement refusé de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait, le Garage Schouwer l’a assignée en paiement de dommages-et-intérêts ; qu’il a été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 1995 et que son liquidateur, M. Z…, a repris l’instance ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que la société France Motors fait grief à l’arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen :

[..]

Mais attendu qu’ayant, par une décision motivée, relevé que la société France Motors, qui s’était trouvée confrontée à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité, l’arrêt retient que le concédant ne s’est pas imposé la même rigueur bien qu’il disposât des moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il a distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il avait été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires et que notamment, en ce qui concerne le Garage Schouwer, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l’insuffisance d’actif que celui-ci a accusé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision sans méconnaître l’objet du litige et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente et qu’elle devait réparation au Garage Schouwer du préjudice qui en était résulté pour lui ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses diverses branches

2. La réforme des obligations

L’examen de la réforme des obligations révèle que le législateur a consacré pour l’essentiel la jurisprudence en matière de détermination du prix.

a. Principe

Dans la mesure où le paiement d’un prix consiste en une prestation comme une autre, les contrats qui comportent une obligation pécuniaire n’échappent pas au principe posé à l’article 1163, al. 2 du Code civil : l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable

Il peut d’ores et déjà être observé que le législateur a ici pris ses distances avec la solution adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 1er décembre 1995 où elle avait estimé que l’ancien article 1129 du Code civil n’était pas applicable à la détermination du prix.

Or cette disposition prévoyait l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle ressuscité le principe de détermination du prix qui l’avait relégué au rang d’exception.

La détermination du prix redevient, de la sorte, une condition de validité du contrat.

Il en résulte que la sanction encourue en cas d’indétermination du prix est la nullité et non plus la résiliation du contrat ou l’octroi de dommages et intérêts.

b. Exceptions

Le législateur a jugé bon d’assortir le principe de détermination du prix de deux exceptions

?Première exception : les contrats-cadre

L’article 1164, al. 1 du Code civil prévoit que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. »

L’article 1164, al. 2 précise que « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

Il ressort de ces deux alinéas que le législateur est venu consacrer, dans les mêmes termes, la solution dégagée dans les arrêts du 1er décembre 1995.

Autrement dit, dans les contrats-cadre, le prix peut être fixé discrétionnairement par l’une des parties, sous réserve de l’abus.

Le législateur ne prend cependant pas la peine de définir la notion d’abus dans la fixation du prix, alors même que cette définition faisait déjà défaut dans les arrêts d’assemblée plénière.

Aussi conviendra-t-il de se reporter à la jurisprudence postérieure qui s’est employée à délimiter les contours de la notion.

?Seconde exception : les contrats de prestation de service

Aux termes de l’article 1165 du Code civil « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Comme en matière de contrat-cadre, les contrats de prestation de service ne sont pas soumis au principe de détermination du prix, à la condition toutefois qu’aucun accord ne soit intervenu entre les parties avant l’exécution de la convention.

Il s’agit là, ni plus ni moins, d’une consécration de la jurisprudence selon laquelle, dans les contrats d’entreprise, la détermination du prix n’est pas une condition de validité de l’acte.

Dans un arrêt du 15 juin 1973 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel d’un contrat de cette nature » (Cass. 1er civ. 15 juin 1973, n°72-12.062).

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge ne pourra pas, comme l’y autorisait la jurisprudence antérieure, réduire le prix de la prestation, ni même prononcer la résiliation du contrat comme en matière de contrat-cadre.

Il pourra seulement « être saisi d’une demande en dommages et intérêts ».

Par ailleurs, quid de ses pouvoirs en cas d’indétermination du prix ?

Antérieurement à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation estimait « qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°91-18.650).

Le nouvel article 1165 du Code civil ne semble pas conférer au juge un tel pouvoir.

Il ressort, au contraire de la lettre de cette disposition que, en cas d’indétermination du prix, il appartiendra au seul créancier de le fixer.

?Le sort de la clause d’indexation du prix

L’article 1167 du Code civil prévoit que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Qu’est-ce qu’une clause d’indexation ?

Il s’agit d’une stipulation par laquelle les parties désignent un indice qui servira de référence quant à la détermination du prix au cours de l’exécution du contrat.

La question s’était alors posée en jurisprudence de savoir quels étaient les pouvoirs du juge lorsque cet indice avait cessé d’exister ou était illicite.

Dans un arrêt du 22 juillet 1987, la Cour de cassation avait estimé qu’il revenait au juge de se référer à la commune intention des parties quant à déterminer le nouvel indice de référence (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Désormais, le nouvel article 1167 prévoit que le juge doit remplacer l’indice illicite ou qui a disparu « par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Cass. 3e civ. 22 juill. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Compagnie Internationale du Travail Temporaire (CITT), assistée de son syndic au règlement judiciaire, Monsieur X…, fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 1983), statuant sur les conséquences de l’annulation d’une clause d’échelle mobile incluse dans le bail commercial dont elle est titulaire sur des locaux appartenant à Mme Y…, d’avoir décidé que le loyer serait indexé sur les variations de l’indice trimestriel de la construction établi par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, aux lieus et place de celles prévues dans la stipulation du bail annulée par un précédent arrêt, alors, selon le moyen, ” qu’en l’absence de toute volonté commune des parties au contrat quant à la référence à un autre indice que celui expressément stipulé, le juge ne saurait, sans excéder ses pouvoirs et violer l’article 79 § 3 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 et l’article 1134 du Code civil, substituer, de sa propre autorité, un indice licite à celui figurant dans une clause précédemment déclarée illicite ” ;

Mais attendu que la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a souverainement retenu que leur volonté a essentiellement porté sur le principe de l’indexation et que la stipulation du choix de l’indice en constituant une application, il y avait lieu de substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

De la distinction entre droits réels et droits personnels

I) Situation de la distinction

Afin de mieux cerner la distinction entre droits réels et droits personnels, il convient de remonter à la notion de « droit subjectif ».

Classiquement le droit subjectif se définit comme la prérogative reconnue aux sujets de droits – par le droit objectif – dont l’atteinte peut être sanctionnée en justice.

Il en existe deux catégories :

  • Les droits patrimoniaux
  • Les droits extrapatrimoniaux

==>Les droits extrapatrimoniaux

  • Notion
    • Les droits extrapatrimoniaux sont ceux qui n’ont pas de valeur pécuniaire.
    • Autrement dit, ils sont hors du commerce juridique. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’échanges.
    • Les droits extrapatrimoniaux sont strictement attachés à la personne de leur titulaire.
    • Ils relèvent en somme de l’être et non de l’avoir, contrairement aux droits patrimoniaux qui sont attachés, non pas à la personne de leur titulaire, mais à son patrimoine.
  • Identification
    • On distingue trois sortes de droits extrapatrimoniaux :
      • Les droits de la personnalité (droit à la vie privée, droit à l’image, droit à la dignité, droit au nom, droit à la nationalité)
      • Les droits familiaux (l’autorité parentale, droit au mariage, droit à la filiation, droit au respect de la vie familiale)
      • Les droits civiques et politiques (droit de vote, droit de se présenter à une élection etc.)
  • Caractères
    • Les droits extrapatrimoniaux sont :
      • Incessibles
      • Intransmissibles
      • Insaisissables
      • Imprescriptibles

==>Les droits patrimoniaux

  • Notion
    • Les droits patrimoniaux sont les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet d’opérations translatives.
    • Les droits patrimoniaux forment le patrimoine de leur titulaire
    • Ce patrimoine rassemble deux composantes qui constituent les deux faces d’une même pièce :
      • un actif
      • un passif
  • Identification
    • Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories
      • Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
      • Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)
    • Ainsi, les droits réels et les droits personnels ont pour point commun d’être des droits patrimoniaux et donc d’être appréciables en argent.
  • Caractères
    • Les droits patrimoniaux se distinguent fondamentalement des droits extrapatrimoniaux en ce qu’ils sont :
      • Cessibles
      • Transmissibles
      • Saisissables
      • Prescriptibles (prescription acquisitive et extinctive)

En résumé :

II) Principe de la distinction

A) Le droit réel

==>Notion

Il confère à son titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose.

Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le propriétaire et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel.

Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose.

Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers.

Le propriétaire ou l’usufruitier jouit directement de la chose.

Le droit réel est celui qui naît de l’acquisition de la qualité de propriétaire.

==>Summa divisio

Il existe deux catégories de droits réels :

  • Les droits réels principaux
    • Le droit de propriété dans sa plénitude (usus, fructus et abusus)
    • Les démembrements du droit de propriété qui confèrent à leur titulaire une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété
      • L’usufruit (usus et fructus)
      • L’abusus
      • La servitude (charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant).
  • Les droits réels accessoires
    • On parle de droits réels accessoires, car ils portent sur une chose, et qu’ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir
      • Exemple : les sûretés réelles : il s’agit des droits consentis à un créancier sur un bien déterminé en garantie d’une dette
      • Exemple : le gage, le nantissement, l’hypothèque

 

B) Le droit personnel

==>Notion

Il confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.

Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

Structurellement, le droit personnel suppose donc deux sujets, un créancier, le sujet actif du droit, et un débiteur, le sujet passif du droit et un objet, la prestation convenue entre les parties.

À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une chose mais entre deux personnes entre elles

Le droit personnel est celui qui naît de la conclusion d’une convention

==>Summa divisio

  • Le droit personnel est pourvu de deux facettes :
    • Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
    • Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette
  • Les droits personnels se classent en trois grandes catégories :
    • L’obligation de donner
      • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
        • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
    • L’obligation de faire
      • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
        • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble.
    • L’obligation de ne pas faire
      • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
        • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

En résumé:

 

III) Critères de la distinction

==>Objet du droit

  • Le droit réel s’exerce sur une chose (« réel » vient du latin « res » : la chose)
    • L’étude des droits réels relève du droit des biens
  • Le droit personnel s’exerce contre une personne (« personnel » vient du latin « persona » : la personne)
    • L’étude des droits personnels relève du droit des obligations

Illustration : un locataire et un propriétaire habitent la même maison

  • Le propriétaire exerce un droit direct sur l’immeuble : il peut en user, en abuser et en percevoir les fruits (les loyers)
  • Le locataire exerce un droit personnel, non pas sur la chose, mais contre le bailleur : il peut exiger de lui, qu’il lui assure la jouissance paisible de l’immeuble loué

==>Contenu du droit

  • Les parties à un contrat peuvent créer des droits personnels en dehors de ceux déjà prévus par le législateur, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs (art. 6 et 1102, al. 2 C. civ).
    • En matière de création de droits personnels règne ainsi le principe de la liberté contractuelle (art. 1102, al. 1 C. civ.)
  • La création de droits réels relève de la compétence du seul législateur, contrairement aux droits personnels
    • Autrement dit, la loi peut seule déterminer l’étendue des pouvoirs que détient une personne sur une chose.
    • Les droits réels sont donc en nombre limité

==>Portée du droit

Les droits réels sont absolus en ce sens qu’ils peuvent être invoqués par leur titulaire à l’égard de toute autre personne

Les droits personnels sont relatifs, en ce sens qu’ils ne créent un rapport qu’entre le créancier et le débiteur.

Certains auteurs soutiennent que la distinction entre droits réels et droits personnels tiendrait à leur opposabilité.

  • Les droits réels seraient opposables erga omnes.
  • Les droits personnels ne seraient opposables qu’au seul débiteur

Bien que séduisante en apparence, cette analyse est en réalité erronée. Il ne faut pas confondre l’opposabilité et l’effet relatif :

  • Tant les droits personnels que les droits réels sont opposables au tiers, en ce sens que le titulaire du droit est fondé à exiger des tiers qu’ils ne portent pas atteinte à son droit
  • Le droit personnel n’a, en revanche, qu’une portée relative, en ce sens que son titulaire, le créancier, ne peut exiger que du seul débiteur l’exécution de la prestation qui lui est due.

==>Nature du droit

Le droit réel est toujours un droit actif, en ce sens qu’il n’a jamais pour effet de constituer une dette dans le patrimoine de son titulaire

Le droit personnel est tantôt actif (lorsqu’il est exercé par le créancier contre le débiteur : la créance), tantôt passif (lorsqu’il commande au débiteur d’exécuter une prestation : la dette).

==>Vigueur du droit

  • L’exercice d’un droit réel est garanti par le bénéfice de son titulaire d’un droit de suite et de préférence
    • Droit de suite : le titulaire d’un droit réel pourra revendiquer la propriété de son bien en quelque main qu’il soit
    • Droit de préférence : le titulaire d’un droit réel sera toujours préféré aux autres créanciers dans l’hypothèse où le bien convoité est détenu par le débiteur.
  • L’exécution du droit personnel dépend de la solvabilité du débiteur
    • Le créancier ne jouit que d’un droit de gage général sur le patrimoine du débiteur (art. 1285 C. civ)
    • Il n’exerce aucun pouvoir sur un bien en particulier, sauf à être bénéficiaire d’une sûreté réelle

==>La transmission du droit

La transmission de droits réels s’opère sans qu’il soit besoin d’accomplir de formalités particulières, exception faite de la vente de la transmission d’un bien immobilier

La transmission de droits personnels suppose de satisfaire répondre aux exigences de la cession de créance, conformément aux articles 1321 et s. C. civ.

IV) Critiques de la distinction

Deux critiques majeures ont été formulées à l’endroit de la distinction entre les droits réels et les droits personnels :

  • Une première critique tend à assimiler les droits réels à des droits personnels
  • La seconde critique a consisté à réduire les droits personnels à des droits réels

A) La thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

PLANIOL a défendu l’idée que le droit réel ne pouvait pas consister en un lien entre une personne et une chose dans la mesure où une chose n’est pas un sujet de droit. Elle ne peut donc pas en être le sujet passif.

Pour cet auteur, un droit ne peut que créer un lien entre deux personnes ou plusieurs personnes.

Ainsi, les droits réels créent une obligation qu’il qualifie d’obligation passive universelle.

Dans ce schéma, le propriétaire de la chose s’apparente à un créancier. Tous ceux qui ne sont pas titulaires d’un droit réel sur cette chose sont des débiteurs.

L’obligation qui leur échoit consiste à ne pas venir troubler la possession paisible de la chose.

Ainsi, il n’existe aucune différence de nature entre le droit réel et le droit personnel.

Il y a simplement une différence de degré :

  • Le droit réel constitue un droit personnel à sujet passif indéterminé
  • Le droit de créance constitue un droit personnel à sujet passif déterminé

==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits réels à des droits personnels

L’obligation passive universelle ne vient nullement grever le patrimoine des débiteurs de cette obligation. Et pour cause, dans la mesure où ils n’y ont pas consenti

Le droit de propriété consiste avant à exercer un pouvoir direct et immédiat sur une chose. Il y a donc bien création d’un lien entre une personne et une chose

B) La thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

==>Contenu de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

GINOSSAR a défendu l’idée que les créances peuvent faire l’objet d’un droit de propriété. Autrement dit, elles peuvent être qualifiées de biens

Selon lui, la créance revêt toutes les caractéristiques d’un bien (elle possède une valeur économique et elle est transmissible)

Surtout, pour cet auteur, le droit de propriété ne serait autre qu’un moyen de s’approprier des choses. Or parmi les choses, il y a les droits personnels. Les créances peuvent ainsi faire l’objet d’un droit de propriété

==>Critique de la thèse de l’assimilation des droits personnels à des droits réels

Il s’agit là d’une vision purement comptable des opérations économiques

Cette thèse nie l’existence du rapport qui s’établit entre deux personnes dans le cadre de l’exercice d’un droit personnel

L’exercice d’un droit réel sur une créance suppose que le propriétaire puisse modifier, à sa guise, le contenu de la créance. Il est, en effet, censé pouvoir abuser de la chose qu’il détient. Cela est pourtant impossible s’agissant d’une créance, car pour en abuser il doit nécessairement satisfaire aux exigences du mutus dissensus.

L’obligation de donner, de faire et de ne pas faire

Deux grandes distinctions peuvent être effectuées si l’on cherche à opérer une classification des obligations d’après leur objet :

  • Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire
  • Les obligations de moyens et les obligations de résultat

Nous nous focaliserons ici sur la première distinction.

?Exposé de la distinction

  • L’obligation de donner
    • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
  • L’obligation de faire
    • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
  • L’obligation de ne pas faire
    • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

?Intérêt – révolu – de la distinction

Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.

  • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
    • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
  • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
    • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
  • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
    • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »

Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire :

  • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
  • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
  • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
    • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
    • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ)

?Abandon de la distinction

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.

Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.

Le nouvel article 1221 C. civ prévoit en ce sens que « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »

L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.

Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.

Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :

  • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
  • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »