La vente : le transfert des risques

Le transfert des risques pesant sur la chose est lié au transfert de la propriété (règle res perit domino). La formation du contrat « rend le créancier propriétaire et met la chose à ses risques dès l’instant où elle a dû être livrée, encore que la tradition n’en ait point été faite » (art. 1138, al. 2, C. civ.). Une même solution est retenue lorsque les parties ont séparé l’instant de la formation du contrat de celui du transfert de propriété. Le principe n’est pas d’ordre public cependant.

1.- La mise en œuvre du principe

Si le propriétaire supporte les risques pesant sur la chose (a), le détenteur non propriétaire est seulement tenu de sa conservation (b).

a.- Le risque du propriétaire

La formation du contrat emportant, sauf exception légale ou conventionnelle, le transfert de propriété, c’est sur l’acquéreur que repose, dès le jour de la vente, le risque de la disparition ou de la dégradation de la chose vendue, peu important que celle-ci fût demeurée en la puissance du vendeur ou confiée à un tiers, notamment transporteur. L’article L. 132-7 du Code de commerce propose une illustration : « la marchandise sortie du magasin du vendeur […] voyage […], aux risques et périls de celui à qui elle appartient ».

Lorsqu’au contraire le transfert de propriété a été retardé, en raison notamment d’une clause de réserve de propriété, les risques affectant la chose continuent de peser sur le vendeur (Com., 20 nov. 1979, n° 77-15.978, Bull. civ. IV, 300), qui n’est pas dispensé ipso facto d’exécuter son obligation de délivrance.

Le sort de la vente est alors étroitement dépendant de la cause de la disparition de la chose :

  • lorsque celle-ci se produit « sans la faute du débiteur » et en raison d’un « cas fortuit » que le vendeur doit établir, l’obligation de délivrance est alors éteinte et l’acquéreur a droit à la restitution du prix (art. 1302, C. civ.). Tel est le cas lorsque le bien a déjà été livré à l’acquéreur, qui en assurait donc la garde – sans préjudice d’un recours du vendeur contre ce dernier ;
  • lorsque la disparition de la chose est causée par la faute du vendeur, il convient alors d’apprécier les conséquences au regard de l’inexécution de l’obligation de délivrance (v. infra).

b.- L’obligation du détenteur

Celui qui détient la chose sans en être propriétaire est tenu d’une obligation de conservation. Celle-ci est expressément prévue pour le vendeur : « l’obligation de donner emporte celle de livrer la chose et de la conserver jusqu’à la livraison, à peine de dommages et intérêts envers le créancier » (art. 1136, C. civ. ; projet d’art. 1198, C. civ.). Elle est également prévue pour le transporteur en fonction du contrat passé avec l’une ou l’autre des parties ; l’article L. 132-7 du Code de commerce envisage ainsi le recours éventuel du propriétaire, vendeur ou acquéreur, « contre le commissionnaire et le voiturier chargé du transport ». L’obligation de conservation de la chose pèse également sur l’acquéreur non propriétaire (Com., 19 oct. 1982, n° 81-10.220, Bull. civ. IV, 321).

À l’instar de l’obligation principale du dépositaire, l’obligation de conservation est une obligation de moyen renforcée à la charge du débiteur, quelle que soit sa qualité. Le détenteur n’est pas responsable de plein droit de la disparition de la chose, mais si cette disparition est avérée, c’est à lui qu’il incombe de démontrer qu’il n’a commis aucune faute et qu’il « a apporté à la conservation de la chose tous les soins d’un bon père de famille » (Com., 26 mai 2010, n° 09-66.344, Bull. civ. IV, 101). La solution est posée à l’article 1302 du Code civil pour le vendeur ; elle fut étendue, sur le fondement de l’article 1137 du Code civil, à l’acquéreur qui s’exonère de toute responsabilité en démontrant que le dommage n’est pas imputable à sa faute (Civ. 1re, 22 janv. 1991, n° 89-11.357, Bull. civ. I, 28).

2.- Les exceptions au principe

Le principe connaît des exceptions légales (a) et conventionnelles (b).

a.- Les exceptions légales

Une première exception est prévue au second alinéa de l’article 1138 du Code civil qui affecte, dans les conditions posées à l’article 1139, le vendeur mis en demeure par l’acquéreur déjà propriétaire. Le vendeur est tenu, y compris des conséquences d’un cas fortuit, sauf à lui de démontrer, en présence d’un tel cas, que « la chose fût également périe chez le créancier si elle lui eût été livrée » (art. 1302, al. 2, C. civ.).

Une seconde exception a trait aux ventes affectées d’une condition suspensive. Dérogeant à la rétroactivité attachée à la réalisation de la condition et s’appliquant au transfert de propriété (art. 1179, C. civ.), l’article 1182 prévoit, pendente conditionne, que « la chose demeure aux risques du débiteur ». Cet article aménage les conséquences de la disparition ou de la détérioration de la chose :

  • en cas de disparition de la chose hors la faute du vendeur, l’obligation de délivrance est éteinte et l’acquéreur peut prétendre au remboursement des sommes payées ;
  • en cas de détérioration hors la faute du vendeur, l’acquéreur dispose d’une option :
  • soit décider de la résolution et obtenir le remboursement des sommes payées,
  • soit « exiger la chose dans l’état dans lequel elle se trouve sans diminution du prix » ;
  • en cas de détérioration du fait du vendeur, l’acquéreur « a le droit ou de résoudre l’obligation, ou d’exiger la chose dans l’état dans lequel elle se trouve, avec des dommages et intérêts ».

La vente en l’état futur d’achèvement (art. 1601-3, C. civ.) est le siège d’une troisième exception : les risques de non-achèvement de l’immeuble pèsent sur le vendeur (Civ. 3e, 11 oct. 2000, n° 98-21.826, Bull. civ. III, 163) alors même que, par la vente, l’acquéreur est devenu propriétaire du sol et des constructions existantes.

b.- Les exceptions conventionnelles

Les dispositions de l’article 1138 du Code civil ne sont d’ordre public ni en ce qui concerne le transfert de propriété ni en ce qui concerne le transfert des risques. Les articles L. 132-7 du Code de commerce et 1302 du Code civil le laissent incidemment entendre. En présence d’une clause de réserve de propriété, les parties peuvent stipuler que l’acquéreur sera tenu des risques dès son entrée en jouissance de la chose (CA Toulouse, 28 nov. 2001, n° 2000/03535).

La vente : les conditions de forme

La vente et sa formation – les conditions de forme

Le principe du consensualisme (I) connaît des exceptions (II) qui se distinguent par leur portée.

I.- Le principe du consensualisme

Le principe du consensualisme se déduit de l’article 1583 c.civ., qui prévoit que la vente est parfaite par le seul échange des consentements. Pour le dire autrement, la vente est parfaite solo consenu. Par voie de conséquence, les dispositions de l’article 1582, alinéa 2 c.civ., aux termes desquels la vente « peut être faite par acte authentique ou sous seing privé », ne doivent pas être comprises comme imposant aux parties le recours à l’une ou l’autre de ces formes.

II.- L’exception du formalisme

Le consensualisme du contrat de vente n’exclut pas qu’un certain formalisme soit requis. Les raisons diffèrent. Il s’agit de rapporter la preuve de l’acte (A), d’assurer la protection des parties ou des tiers (B), ou de garantir l’opposabilité de l’acte à ces derniers (C).

A.- La preuve de l’acte

La vente est soumise aux dispositions du droit commun. Sa preuve est libre, pourvu que le prix soit inférieur à 1 500 euros. Elle doit être rapportée par écrit ou par acte authentique lorsque le prix est supérieur (art. 1359 nouv. c.civ. – art. 1341 anc.), sauf à ce que jouent les dispositions des articles 1360 et 1361 nouv. c.civ. (art. 1347 et 1348 anc. (impossibilité morale ou matérielle / usage de ne pas rédiger un écrit / commencement de preuve par écrit).

B.- La protection d’une partie ou des tiers

Le formalisme de la vente – c’est-à-dire sa traduction par écrit – est un élément protecteur de la partie faible à la transaction. Sans surprise, un écrit est exigé à l’occasion de la vente conclue à la suite d’un démarchage à domicile ou lorsque le bien cédé héberge un enjeu important, en raison notamment de la difficulté de fait d’en saisir la consistance sans une minutieuse description. Tel est le cas par exemple de vente d’un immeuble à construire (art. L. 261-11 c. constr. hab. qui exige la passation de l’acte en la forme authentique).

La vente peut revêtir des formes plus solennelles encore et faire intervenir le juge auquel il incombe alors d’autoriser ou non l’acte. Tel est le cas, par exemple de la vente des biens indivis en cas de mésentente entre les indivisaires (art. 815 ensemble art. 815-1-1 c.civ.).

Rien n’interdit enfin au vendeur de recourir à la procédure de vente aux enchères publiques (arts. L. 320-1 et s. c.com.).

C.- L’opposabilité de l’acte

La validité de l’acte et sa preuve même ne présument pas de l’opposabilité aux tiers dudit acte. Les principes (1) connaissent un tempérament lorsque le second acquéreur, tiers à une première vente, avait connaissance de celle-ci (2).

1.- Principes

En fait de meubles corporels, l’opposabilité découle de la possession (art. 2276 c.civ.) : « Si la chose qu’on s’est obligé de donner ou de livrer à deux personnes successivement est purement mobilière, celle des deux qui en a été mise en possession réelle est préférée et en demeure propriétaire » (art. 1198 nouv. c.civ. – art. 1141 anc.). Pour les meubles incorporels, l’opposabilité résulte de l’inscription à un registre national (v. par ex. art. L. 513-3, al. 1er, C. propr. intell.). Enfin, en matière d’immeuble, l’acte n’est opposable aux tiers que s’il a été publié (D. n° 55-22, 4 janv. 1955 ensemble art. 710-1 c.civ.).

2.- Exception

Ces dispositions ne sauraient profiter à celui qui, de mauvaise foi, se prévaut des règles relatives à l’opposabilité. La réserve est expressément prévue à l’article 1198 nouv. c.civ. : seul le possesseur de bonne foi, c’est-à-dire celui qui ignorait la vente intervenue antérieurement, peut défendre sa propriété en invoquant la possession. Les textes spéciaux relatifs aux cessions de biens meubles incorporels prévoient qu’« avant son inscription, un acte est opposable aux tiers qui ont acquis des droits après la date de cet acte mais qui avaient connaissance de celui-ci lors de l’acquisition de ces droits » (v. par ex. art. L. 513-3, al. 2, C. propr. intell.). La Cour de cassation juge ainsi que le second acquéreur d’un bien immobilier ne peut évincer le premier acquéreur à raison de l’antériorité de la publication de la seconde vente s’il avait connaissance de la première (Cass. 3ème civ., 30 janv. 1974, n° 72-14.197, Bull. civ. III, 50). Cette solution est à présent consacrée à l’article 1198, al. 2, c.civ.

La vente – L’obligation de garantie des vices cachés du vendeur

Annoncée à l’article 1625 c.civ., la garantie des vices cachés est définie à l’article 1641 c.civ. :

« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus. »

Cette garantie, à laquelle le vendeur est légalement tenu (1), peut être modulée contractuellement (2). Elle est en outre complétée par différents dispositifs légaux (voy. sur ce point, l’article “La vente – Les systèmes spéciaux de garantie”).

1.- La garantie légale des vices cachés

Il faut envisager successivement les conditions (1.1) et les effets (1.2) de la garantie légale des vices cachés.

1.1.- Les conditions de la garantie légale

Le jeu de la garantie légale des vices cachés exige que soient précisées les ventes à l’occasion desquelles cette garantie est due (a), que soient identifiés les acteurs de cette garantie (b), que soit décrit le fait contre lequel elle prémunit l’acheteur (c) et, enfin, que soient posées les conditions dans lesquelles ce dernier peut agir (d).

a.- Les ventes donnant lieu à la garantie légale

Si la garantie légale est due par principe, deux exceptions sont cependant réservées :

  • d’abord, la garantie « n’a pas lieu dans les ventes faites par autorité de justice» (art. 1649 c.civ.) ;
  • ensuite, elle est exclue lorsque l’acheteur, prenant le bien en l’état, assume le risque d’existence d’un défaut caché ; pourvu, dans ce cas, que le vendeur ait effectivement ignoré ce dernier (art. 1643 c.civ. a contrario).

b.- Les acteurs de la garantie légale

Le débiteur (1) et le créancier (2) de la garantie légale doivent être évoqués.

Le débiteur

Le débiteur de la garantie légale est le vendeur. Si l’affirmation peut paraître évidente, elle ne l’est pas tant que cela :

  • tout d’abord, dans la mesure où la loi vise le vendeur, il faut exclure a priori une garantie due par le producteur du bien. Une telle solution paraissait peu équitable ; elle a été amendée de différentes manières (voy. l’article préc.) ;
  • ensuite sont concernés tous les vendeurs, qu’ils soient professionnels ou non-professionnels, de bonne ou de mauvaise foi – ce dernier élément jouant sur la quotité de la garantie, et non sur son principe.

Le créancier

La garantie des vices cachés est instituée au profit de l’acquéreur. Elle profite également aux sous-acquéreurs du bien (Civ., 25 janv. 1820, S. 1820, 1, 213). Ceux-ci disposent donc :

  • d’une première action contre leur vendeur ;
  • d’une seconde action contre l’auteur de leur vendeur ;
  • le cas échéant, d’une énième action contre l’auteur de l’auteur, etc., jusqu’à l’action contre le fabricant du bien.

L’action du sous-acquéreur revêt plusieurs particularités. Son domaine, d’abord, embrasse non seulement les chaînes homogènes de contrats de vente (une vente suivie d’une vente) mais aussi les chaînes hétérogènes (par ex. une vente, puis un contrat d’entreprise), pourvu que les contrats successifs soient tous translatifs de propriété (Ass. plén., 7 avr. 1986, n° 83-14.631, Bull. civ., Ass. plén., 2).

Sa nature, ensuite : « l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle » (Civ. 1, 9 oct. 1979, n° 78-12.502, Bull. civ. I, 241 ; comp., en présence d’une chaîne de contrats non translatifs de propriété, Ass. plén., 12 juill. 1991, n° 90-13.602, Bull. civ., Ass. plén., 6). Il faut en tirer les conséquences.

D’une part, le vendeur contre lequel est dirigée l’action n’est tenu qu’à hauteur du prix qu’il a perçu (nonobstant l’indemnisation éventuelle), et non à hauteur du prix qu’a reçu le vendeur intermédiaire des mains du sous-acquéreur exerçant l’action rédhibitoire (Civ. 1, 4 mars 1997, n° 94-22.026). Il n’en va pas différemment lorsque le premier vendeur est attrait en garantie par le revendeur à raison de l’action engagée par le sous-acquéreur : le premier vendeur ne garantit le revendeur qu’à hauteur du prix qu’il avait reçu de celui-ci (Civ. 1re, 17 mars 2011, n° 09-15.724).

D’autre part, celui contre lequel est dirigée l’action peut opposer au sous-acquéreur les exceptions (moyens de défense) qu’il aurait opposées à son propre acquéreur, telle qu’une clause limitative de responsabilité (Civ. 1, 7 juin 1995, n° 93-13.898, Bull. civ. I, 175). En revanche, « une clause de non-garantie opposable par un vendeur intermédiaire à son propre acquéreur ne peut faire obstacle à l’action directe de l’acquéreur final contre le vendeur originaire, dès lors qu’aucune clause de non-garantie n’a été stipulée lors de la première vente » (Civ. 3, 16 nov. 2005, n° 04-10.824, Bull. civ. III, 222).

c.- Le fait garanti par la loi

L’article 1641 du Code civil vise les « défauts cachés ».

Le vice

Le vice, selon l’article 1641 c.civ., s’entend d’un « défaut » de la chose. Le vice est donc « nécessairement inhérent à la chose elle-même » et ne saurait découler de facteurs extrinsèques – ainsi, un médicament n’est pas affecté d’un risque à raison de son incompatibilité avec un autre (Civ. 1, 8 avr. 1986, n° 84-11.443, Bull. civ. I, 82) –, quoique la jurisprudence admette que des éléments liés à la chose contiennent le vice de celle-ci – ainsi, la fragilité du sol sur lequel est bâti un immeuble peut constituer le vice (Civ. 3, 24 janv. 2012, n° 11-10.420).

L’existence du vice n’est pas une condition suffisante au jeu de la garantie des vices cachés. Il faut encore que le vice rende « impropre la chose à l’usage auquel elle est destinée », ou « en diminue […] cet usage » (art. 1641 c.civ.). Le terme d’« usage » appelle quelques précisions.

Il s’agit d’abord d’un usage normal. Par exemple, ne constitue pas un usage normal, pour un véhicule de collection, l’utilisation quotidienne qu’en fait l’acquéreur qui ne peut, dès lors, se prévaloir à l’encontre du vendeur d’un vice caché au titre des désordres causés par cette utilisation (Civ. 1, 24 nov. 1993, n° 92-11.085, Bull. civ. I, 347). Si le vendeur a eu connaissance de l’usage particulier auquel l’acquéreur destinait la chose, l’adéquation de celle-ci à sa future destination relèvera plus sûrement de l’obligation de délivrance conforme (voy. l’article “La vente – L’obligation de délivrance du vendeur”), voire du devoir de conseil, que de la garantie des vices cachés.

Il s’agit ensuite de l’utilité première de la chose et des conditions dans lesquelles cette utilité est rendue. Quoique la finalité d’une friteuse, qui est de produire des frites, soit bien remplie, ce matériel est affecté d’un vice caché dès lors que « les odeurs engendrées par le fonctionnement de l’appareil sont insupportables aux voisins dans un tissu urbain dense », (Com., 1er déc. 1992, n° 91-10.275, Bull. civ. IV, 389).

Toutefois, un défaut léger n’affectant que l’agrément qui peut être tiré de la chose ne constitue pas un vice (Civ. 3, 4 juill. 2001, n° 99-19.586).

Quelle que soit sa nature, le défaut garanti est le défaut antérieur à la vente (Civ. 1, 20 mai 2010, n° 08-21.576) ou, plus précisément, au transfert des risques. L’antériorité, qu’il appartient à l’acheteur de prouver (Com., 8 juill. 1981, n° 79-13.110, Bull. civ. IV, 316), est avérée s’il est établi que le vice n’existait qu’en germe avant la vente, peu importe que ses conséquences se soient pleinement déployées après celle-ci.

Le vice caché

Si le vendeur est tenu des « défauts cachés » de la chose (art. 1641 c.civ.), il ne l’est pas « des vices apparents et dont l’acheteur a pu se convaincre lui-même » (art. 1642 c.civ.).

Au regard du vendeur, le terme « caché » ne signifie pas « dissimulé ». Quoique, par opportunité, le vendeur professionnel est souvent présumé connaître tous les défauts de la chose, le texte ne fait pas de la dissimulation ou de la mauvaise foi une condition de son application. Le vendeur « est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus » (art. 1643 c.civ.) et même s’il croyait qu’ils étaient apparents pour l’acquéreur.

Au regard de l’acquéreur, l’apparence ou la non-apparence du vice est plus délicate à cerner. L’acquéreur a pu prendre lui-même connaissance du défaut ou a pu en être informé.

Le défaut apparent et défaut non apparent

Lorsque l’acheteur est un profane, il n’est tenu, en prenant possession de la chose, qu’à un examen sommaire. Il ne saurait donc lui être fait grief de s’être cantonné à un examen externe, ni de ne s’être pas fait assister d’un expert : l’acquéreur profane d’un immeuble qui ne s’est pas glissé dans les combles, dont l’accès « peut-être difficile, n’était pas impossible », pour monter sur la toiture afin de vérifier le bon état de la charpente et des tuiles, ni ne s’est fait accompagner d’un homme de l’art lors de la délivrance peut ainsi invoquer la garantie des vices cachés (Ass. plén., 27 oct. 2006, n° 05-18.977, Bull. civ., Ass. plén., 13). En revanche, la présence d’un tel spécialiste aux côtés de l’acquéreur profane est de nature à rendre le vice apparent (Civ. 3, 16 sept. 2014, n° 13-19.911), et donc à exclure la garantie.

Lorsque l’acheteur est un professionnel de la même spécialité que le vendeur, il est présumé être compétent et connaître les défauts affectant la chose (Civ. 1, 18 déc. 1962, Bull. civ. I, 554). La garantie est alors exclue. La présomption n’est qu’une présomption simple « de connaissance des vices décelables selon une diligence raisonnable » (Civ. 3, 28 févr. 2012, n° 11-10.705). L’acheteur la renverse en démontrant que le défaut ne pouvait être révélé qu’à la suite d’examens approfondis, voire destructifs ; il recouvre alors le bénéfice de la garantie des vices cachés.

L’information sur le défaut

La garantie des vices cachés ne saurait jouer, quelles que soient les qualités des parties, dès lors que l’acheteur a été informé du vice ou de son éventualité. Ne sauraient se prévaloir de cette garantie les acquéreurs d’un immeuble infesté de termites dès lors que l’agent immobilier « leur avait signalé l’existence d’une infestation de capricornes dans la charpente et leur avait conseillé de prendre l’avis d’un spécialiste » (Civ. 3, 26 févr. 2003, n° 01-12.750, Bull. civ. III, 53 ; comp. Civ. 3, 17 déc. 2008, n° 07-20.450).

Si la preuve de l’information incombe a priori au vendeur, la jurisprudence atténue cependant cette rigueur, en admettant que l’information soit donnée implicitement ou qu’elle résulte des circonstances entourant la vente. Le très faible prix payé pour une voiture révèle ainsi la connaissance qu’avait l’acheteur du vice qui l’affectait (Civ. 1re, 13 mai 1981, n° 80-10.876, Bull. civ. I, 165).

La mise en œuvre de la garantie légale

L’action en garantie des vices cachés doit être engagée « dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice » (art. 1648, al. 1er, c.civ.). En fonction du point de départ – la découverte du vice –, le délai dans lequel doit être introduite l’action est donc plus long que le délai imposé à l’acquéreur consommateur au titre de la garantie de conformité.

Jusqu’à l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, l’article 1648 du Code civil prévoyait que l’action devait être engagée non « dans un délai de deux ans », mais dans un « bref délai » suivant la découverte du vice. Il incombait au juge du fond, usant de son pouvoir souverain, d’apprécier au cas par cas si le bref délai était respecté.

1.2.- Les effets de la garantie légale des vices cachés

La garantie légale des vices cachés se traduit par deux actions, différentes au regard de leur objet : l’action rédhibitoire (a) et l’action estimatoire (b).

« L’acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix » (art. 1644 c.civ.). La jurisprudence majoritaire s’accorde pour considérer que « le choix entre l’action estimatoire et l’action rédhibitoire prévu à l’article 1644 du Code civil appartient à l’acheteur et non au juge qui n’a pas à motiver sa décision sur ce point » (Civ. 3, 20 oct. 2010, n° 09-16.788, Bull. civ. III, 191 ; contra, en présence d’une demande principale et d’une demande subsidiaire : Civ. 3, 25 juin 2014, n° 13-17.254). Très ponctuellement, la loi impose l’action rédhibitoire (art. L. 223-7, C. rur.).

À l’une ou l’autre de ces actions s’ajoute, le cas échéant, le droit de l’acquéreur de prétendre à des dommages-intérêts (c).

a.- L’action rédhibitoire

L’action rédhibitoire (typique d’un défaut inacceptable) a pour objet l’anéantissement de la vente. Elle affecte la situation de l’acheteur et celle du vendeur.

  • La situation de l’acheteur

L’acheteur est tenu de rendre la chose. Encore faut-il qu’il soit en mesure de le faire : à défaut, et à moins que la disparition résulte de la « mauvaise qualité » de la chose, l’acheteur ne peut qu’emprunter la voie de l’action estimatoire (art. 1647, C. civ. ; Civ. 3, 3 déc. 1996, n° 94-19.176, Bull. civ. III, 441). En l’absence de disparition totale de la chose, la condition de restitution n’est pas trop lourde pour l’acheteur : la chose doit être restituée dans l’état où elle est au jour de la résolution du contrat, non dans l’état dans lequel elle se trouvait au jour de la vente (Civ. 1, 8 déc. 2009, n° 08-21.138).

L’acheteur restituant la chose n’est pas tenu d’indemniser le vendeur à raison de l’usage fait de celle-ci avant que se révèle le vice ou de la dépréciation de la chose résultant de cet usage (civ. 1, 19 févr. 2014, n° 12-15.520, Bull. civ. I, 26 ; comp., à propos de l’obligation de délivrance conforme, v. supra)

  • La situation du vendeur

Le vendeur est tenu à la restitution du prix ainsi qu’au remboursement des frais occasionnés par la vente (art. 1646 c.civ.), mais ne paraît pas tenu des intérêts. Lorsque l’action est exercée par le sous-acquéreur, le vendeur n’est tenu qu’à hauteur du prix reçu du vendeur intermédiaire.

Il peut néanmoins proposer à l’acheteur, et non lui imposer (Civ. 1, 11 juin 1980, n° 79-10.581, Bull. civ. I, 185 ; comp., à propos de la garantie de légale de conformité en matière de consommation, v. infra), de réparer le bien, voire de lui en substituer un autre ; l’acquéreur qui accepte renonce alors à la garantie légale des vices cachés (Com., 1er févr. 2011, n° 10-11.269).

b.- L’action estimatoire

L’action estimatoire est ouverte à l’acheteur qui entend conserver la chose en dépit du vice qui l’affecte. Elle a pour objet « de replacer l’acheteur dans la situation où il se serait trouvé si la chose vendue n’avait pas été atteinte de vices cachés » (Civ. 3, 1er févr. 2006, n° 05-10.845, Bull. civ. III, 22).

L’acheteur peut prétendre au remboursement d’une partie d’un prix (art. 1644 c.civ.), et non à l’intégralité de celui-ci, même s’il s’avère que les coûts de remise en l’état de la chose sont supérieurs au prix de vente (Civ. 1, 19 avr. 2000, n° 98-12.326, Bull. civ. I, 87).

Cette fraction du prix reste à fixer. La valeur est « arbitrée par des experts » (art. 1644 c.civ.), à charge pour le juge de retenir soit les coûts de remise en état de la chose (Civ. 3e, 1er févr. 2006, préc.), soit la différence entre le prix et la valeur vénale de la chose atteinte d’un vice.

c.- Les dommages-intérêts

La bonne ou la mauvaise foi du vendeur est indifférente au jeu de la garantie légale des vices cachés. Cela n’exclut pas que le vendeur de mauvaise foi soit plus rigoureusement obligé que le vendeur de bonne foi. Alors que le second ne doit que la restitution du prix et le remboursement des frais occasionnés par la vente (art. 1646 c.civ.), le premier est tenu « outre la restitution du prix […] de tous les dommages et intérêts envers l’acheteur » (art. 1645 c.civ.).

L’action en réparation est autonome : elle n’est pas soumise au délai de 2 ans (Civ. 3, 25 juin 2014, n° 13-17.254) et peut être engagée seule, sans que l’acheteur intente l’action rédhibitoire ou estimatoire (Civ. 1, 26 sept. 2012, n° 11-22.399, Bull. civ. I, 192).

La mauvaise foi du vendeur. La bonne foi se présume. Il incombe en principe à l’acheteur de démontrer que le vendeur avait connaissance du vice affectant la chose (art. 2274 c.civ.). La jurisprudence a cependant renversé ce principe à l’encontre des vendeurs professionnels, sur qui pèse une présomption irréfragable de connaissance des vices affectant la chose vendue.

Sont visés non seulement les professionnels qui ont pour activité principale la vente de la chose concernée, mais encore ceux qui n’assurent cette vente qu’à titre accessoire, quoique récurrent (Civ. 1, 30 sept. 2008, n° 07-16.876). De plus, il est parfaitement indifférent que l’acheteur soit ou non un professionnel ; toutefois, l’appréciation de l’apparence du vice est réalisée plus rigoureusement à propos de l’acheteur professionnel (v. supra).

L’indemnisation. Le vendeur de mauvaise foi est tenu de réparer l’intégralité des désordres affectant la chose ainsi que ceux qui, émanant du vice de celle-ci, ont été causés à d’autres biens ou à des personnes, peu importe que ces personnes soient tiers au contrat de vente.

Sous la seule réserve de l’existence d’un lien de causalité entre le vice et le dommage (Com., 15 mars 1976, n° 74-13.587, Bull. civ. IV, 99), le montant de la réparation ne connaît pas de limite a priori (Civ. 3, 8 oct. 1997, n° 95-19.808, Bull. civ. III, 193).

 

2.- La garantie conventionnelle des vices cachés

Les parties sont libres d’améliorer la garantie légale ; de manière plus restrictive, il leur est parfois autorisé de la réduire.

2.1.- L’amélioration de la garantie légale

Cette garantie est, en droit, toujours valable : le vendeur peut donc l’étendre, quelle que soit la forme de cette extension (renonciation au délai de deux ans, obligation de proposer un remplacement, engagement d’indemniser peu important sa bonne foi…).

La pratique, en revanche, est parfois discutable : sous couvert d’accroître la garantie légale des vices cachés, certains professionnels tendent ainsi à la réduire, si ce n’est en droit, du moins dans l’esprit des consommateurs. Tel est le cas lorsqu’ils proposent, en cas de défaut de la chose vendue, la substitution d’un autre produit ou le remboursement sous forme d’à-valoir. Le Code la consommation prévoit expressément une obligation d’information de l’acheteur sur les droits que celui-ci tire de la loi (art. L. 211-15, C. consom., v. supra).

2.2.- La limitation de la garantie légale

Le principe et la limite de l’aménagement conventionnel de la garantie des vices cachés sont prévus à l’article 1643 c.civ. Pourvu qu’une telle stipulation ait été insérée, la limitation de garantie est possible à l’endroit du vendeur ignorant le vice de la chose.

a.- La limitation de la garantie légale au profit du vendeur non professionnel

La limitation de garantie, partielle ou totale, est permise et produit ses effets, à moins que l’acheteur démontre que le vendeur avait connaissance des défauts cachés affectant la chose (Civ. 3, 6 oct. 2010, n° 09-70.266).

Le vendeur non professionnel de bonne foi bénéficiant d’une clause exclusive de responsabilité échappe donc à l’indemnisation des désordres causés par le vice affectant la chose (parce qu’il est de bonne foi), et aux actions rédhibitoire ou estimatoire (par le jeu de la clause).

b.- La limitation de la garantie légale au profit du vendeur professionnel

Le vendeur professionnel étant irréfragablement présumé connaître les vices affectant la chose qu’il cède, il ne devrait pas pouvoir limiter la garantie légale. Tel est effectivement le cas, en application tant de la législation (art. R. 132-1 et L. 211-15, C. consom.) que de la jurisprudence, lorsque l’acheteur est un non-professionnel, voire, en application de la jurisprudence seulement, lorsque l’acheteur est un professionnel (Civ. 1, 20 déc. 1983, n° 82-15.191, Bull. civ. I, 308).

Toutefois, l’efficacité des clauses limitatives de responsabilité est admise lorsque celles-ci sont stipulées entre professionnels de même spécialité (Civ. 1, 8 oct. 1973, n° 71-14.322, Bull. civ. I, 308).

Les restitutions: fondement juridique, nature et domaine d’application

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

==>Fondement des restitutions

La question s’est posée en doctrine du fondement des restitutions. Il ressort de la littérature produite sur le sujet que deux thèses s’affrontent :

  • Première thèse : la répétition de l’indu et l’enrichissement injustifié
    • Certains auteurs ont cherché à fonder le système des restitutions sur les règles qui régissent l’enrichissement injustifié et la répétition de l’indu.
    • Selon cette thèse, l’anéantissement de l’acte aurait pour effet de priver de cause les prestations fournies par les parties, de sorte que ce qui a été reçu par elles deviendrait injustifié ou indu ; d’où l’obligation – quasi contractuelle – de restituer, tantôt en nature, tantôt en valeur, ce qui est reçu.
    • Bien que cette thèse soit séduisante en ce qu’elle permet de justifier les restitutions, tant pour les cas de nullité, que pour les cas de résolution ou de caducité, elle a été rejetée par la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 24 septembre 2002, la première chambre civile a, en effet, jugé que « les restitutions consécutives à une annulation ne relèvent pas de la répétition de l’indu mais seulement des règles de la nullité » (Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, n° 00-21.278).
  • Seconde thèse : la rétroactivité attachée à la disparition de l’acte
    • La seconde thèse, soutenue par une partie de la doctrine, consiste à dire que le fondement des restitutions résiderait dans la rétroactivité attachée à l’anéantissement de l’acte.
    • Au fond, les restitutions ne seraient autres que la mise en œuvre de la fiction juridique qu’est la rétroactivité.
    • Dès lors que l’on considère que l’acte est réputé n’avoir jamais existé, il y a lieu de remettre les parties au statu quo ante, ce qui suppose qu’elles restituent ce qu’elles ont reçu.
    • Là aussi, bien que séduisant, l’argument n’emporte pas totalement la conviction, ne serait-ce que parce qu’il induit que les restitutions ne peuvent avoir lieu qu’en cas de rétroactivité.
    • Or certaines sanctions, telles que la caducité ou la résiliation ne sont assorties d’aucun effet rétroactif et pourtant pèse sur les parties l’obligation de restituer ce qu’elles ont reçu.

Un auteur a tenté de concilier les deux thèses en avançant fort opportunément que « à la différence de la nullité, qui tend à supprimer les effets juridiques attachés à l’acte s’il avait été valablement conclu, les restitutions tendent à supprimer les effets matériels produits par l’exécution de l’acte »[1]

Finalement, le législateur a mis un terme au débat en déconnectant les restitutions des parties du Code civil consacrées au contrat et aux quasi-contrats à la faveur d’un régime juridique autonome.

Désormais, les restitutions ont pour seul fondement juridique la loi, indépendamment des sanctions qu’elles ont vocation à accompagner.

==>Nature des restitutions

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la question s’est posée de la nature des restitutions.

Plus précisément on s’est interrogé sur leur nature indemnitaire : les restitutions, en particulier lorsqu’elles consistent en le versement d’une somme d’argent en raison de l’impossibilité de restituer la chose reçue, ne viseraient-elles pas, au fond, à compenser le préjudice résultant de l’anéantissement de l’acte ?

À plusieurs reprises, la Cour de cassation a répondu négativement à cette question, jugeant, par exemple, dans un arrêt du 25 octobre 2006 que « la restitution à laquelle le vendeur est condamné à la suite de la diminution du prix prévue par l’article 46, alinéa 7, de la loi du 10 juillet 1965 résultant de la délivrance d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constituait pas un préjudice indemnisable » (Cass. 3e civ. 25 oct. 2006, n°05-17.427)

Dans un arrêt du 28 octobre 2015, elle a encore considéré que « la restitution du dépôt de garantie consécutive à la nullité d’un bail commercial ne constituant pas en soi un préjudice indemnisable » (Cass. 1ère 28 oct. 2015, n°14-17.518)

La Cour de cassation en tire la conséquence que, en cas de restitutions consécutives à l’anéantissement d’un acte, la responsabilité de son rédacteur (notaire ou avocat) ne peut pas être recherchée.

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la troisième chambre civile a jugé en ce sens que « la restitution du prix perçu à laquelle le vendeur est condamné, en contrepartie de la restitution de la chose par l’acquéreur, ne constitue pas un préjudice indemnisable » raison pour laquelle il n’a y pas lieu de condamner le notaire instrumentaire de la vente annulée à garantir le remboursement du prix du bien objet de ladite vente (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2016, n° 15-12.719).

==>Domaine des restitutions

Le domaine des restitutions est défini par les nombreux renvois qui figurent dans le Code civil et qui intéressent :

  • Les nullités (art. 1178, al. 3 C. civ.)
  • La caducité (art. 1187, al. 2 C. civ.)
  • La résolution (art. 1229, al. 4 C. civ.)
  • Le paiement de l’indu (art. 1302-3, al. 1er C. civ.)

Cette liste est-elle limitative ? Peut-on envisager que des restitutions puissent jouer en dehors des cas visés par le Code civil ? D’aucuns le pensent, prenant l’exemple des clauses réputées non-écrites. Cette sanction, peut, il est vrai, en certaines circonstances, donner lieu à des restitutions.

==>Articulation du régime juridique

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

En parallèle, les articles 1352-4 et 1352-9 posent des règles applicables à toutes les formes de restitutions.

Les règles posées par ces dispositions intéressent :

  • En premier lieu, les mineurs non émancipés et les majeurs protégés
  • En second lieu, les sûretés qui avaient été constituées pour le paiement de l’obligation

L’exception d’inexécution: domaine, conditions, effets

L’exception d’inexécution

L’article 1217, al. 1er du Code civil dispose que la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :

  • Soit refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
  • Soit poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
  • Soit obtenir une réduction du prix ;
  • Soit provoquer la résolution du contrat ;
  • Soit demander réparation des conséquences de l’inexécution.

Au nombre des sanctions de l’inexécution d’une obligation figure ainsi ce que l’on appelle l’exception d’inexécution.

==>Définition

L’exception d’inexécution, ou « exceptio non adimpleti contractus », est définie classiquement comme le droit, pour une partie, de suspendre l’exécution de ses obligations tant que son cocontractant n’a pas exécuté les siennes.

Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit de légitime défense contractuelle susceptible d’être exercé, tant par le créancier, que par le débiteur :

  • Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le créancier elle s’apparente à un moyen de pression, en ce sens qu’elle lui permet, en refusant de fournir sa prestation, de contraindre le débiteur à exécuter ses propres obligations
  • Lorsque l’exception d’inexécution est exercée par le débiteur, elle remplit plutôt la fonction de garantie, en ce sens qu’elle lui permet de neutraliser l’action de son créancier tant que la prestation promise n’a pas été fournie

==>Origines

Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil ne reconnaissait aucune portée générale à l’exception d’inexécution qui n’était envisagée que par certaines dispositions traitant de contrats spéciaux :

  • En matière de contrat de vente
    • L’article 1612 du Code civil dispose que « le vendeur n’est pas tenu de délivrer la chose, si l’acheteur n’en paye pas le prix, et que le vendeur ne lui ait pas accordé un délai pour le paiement. »
    • L’article 1612 énonce encore que « il ne sera pas non plus obligé à la délivrance, quand même il aurait accordé un délai pour le paiement, si, depuis la vente, l’acheteur est tombé en faillite ou en état de déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de perdre le prix ; à moins que l’acheteur ne lui donne caution de payer au terme. »
    • L’article 1653 prévoit que « si l’acheteur est troublé ou a juste sujet de craindre d’être troublé par une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre le paiement du prix jusqu’à ce que le vendeur ait fait cesser le trouble, si mieux n’aime celui-ci donner caution, ou à moins qu’il n’ait été stipulé que, nonobstant le trouble, l’acheteur paiera. »
  • En matière de contrat d’échange, l’article 1704 dispose que « si l’un des copermutants a déjà reçu la chose à lui donner en échange, et qu’il prouve ensuite que l’autre contractant n’est pas propriétaire de cette chose, il ne peut pas être forcé à livrer celle qu’il a promise en contre-échange, mais seulement à rendre celle qu’il a reçue. »
  • En matière de contrat d’entreprise, l’article 1799-1 prévoit que « tant qu’aucune garantie n’a été fournie et que l’entrepreneur demeure impayé des travaux exécutés, celui-ci peut surseoir à l’exécution du contrat après mise en demeure restée sans effet à l’issue d’un délai de quinze jours »
  • En matière de contrat de dépôt, l’article 1948 prévoit que « le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu’à l’entier paiement de ce qui lui est dû à raison du dépôt ».

==>Généralisation jurisprudentielle

Bien que réservée, sinon contre (Cass. req., 1er déc. 1897), l’extension du champ d’application de l’exception d’inexécution en dehors des textes où elle était envisagée, la jurisprudence, sous l’impulsion des travaux de grande qualité de René Cassin, a finalement admis qu’elle puisse être généralisée à l’ensemble des contrats synallagmatiques.

Dans un arrêt du 5 mars 1974, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « le contractant poursuivi en exécution de ses obligations, et qui estime que l’autre partie n’a pas exécuté les siennes, a toujours le choix entre la contestation judiciaire et l’exercice à ses risques et périls de l’exception d’inexécution » (Cass. civ. 1re, 5 mars 1974)

La généralisation, par la jurisprudence, de l’exception d’inexécution reposait sur deux principaux arguments qui consistaient à dire que :

  • D’une part, en autorisant la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté à forcer l’autre à l’exécution de la convention, l’ancien article 1184, al. 2 du Code civil n’interdisait nullement le recours à l’exception d’inexécution dans la mesure où elle consiste précisément en un moyen indirect de provoquer l’exécution du contrat
  • D’autre part, on ne saurait voir dans les textes qui envisagent l’exception d’inexécution une portée restrictive, mais une application d’un principe général

==>Consécration légale

Si la réforme des sûretés avait amorcé la généralisation de l’exception d’inexécution en introduisant un article 2286 qui confère un droit de rétention sur la chose à « celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer », c’est l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations qui l’érige en principe général.

Désormais, l’exception d’inexécution est présentée, à l’article 1217 du Code civil, comme la première des sanctions dont dispose le créancier d’une obligation en souffrance. Les articles 1219 et 1220 en définissent quant à eux le régime.

Tandis que le premier de ces articles pose les conditions d’exercice de l’exception d’inexécution, le second autorise, et c’est là une nouveauté, le créancier à mettre en œuvre cette sanction de façon anticipée.

I) Le domaine de l’exception d’inexécution

==>Droit antérieur

Classiquement, la sanction que constitue l’exception d’inexécution est associée aux contrats synallagmatiques.

Pour mémoire, un contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement l’un envers l’autre.

En d’autres termes, le contrat synallagmatique crée des obligations réciproques et interdépendantes à la charge des deux parties. Chaque partie est donc tout à la fois créancier et débiteur. L’interdépendance et la réciprocité des obligations sont ce qui caractérise les contrats synallagmatiques.

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, si l’exception d’inexécution n’était envisagée par le Code civil que pour des contrats synallagmatiques, tels que la vente, l’échange ou encore le dépôt, à l’examen son domaine ne se limitait pas à cette typologie de contrats.

En effet, l’exception d’inexécution a été envisagée, tantôt par la jurisprudence, tantôt par la doctrine, dans d’autres cas :

  • Dans les contrats synallagmatiques imparfaits
    • Il s’agit de contrats qui sont unilatéraux au moment de la formation de l’acte, car ne créant d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, et qui au cours de son exécution donne naissance à des obligations réciproques de sorte que le créancier devient également débiteur.
      • Exemple : dans le cadre de l’exécution d’un contrat de dépôt, le dépositaire sur lequel ne pèse aucune obligation particulière lors de la formation du contrat, peut se voir mettre à charge une obligation si, en cours d’exécution de la convention, le dépositaire expose des frais de conservation
    • Très tôt, la jurisprudence a admis que les contrats synallagmatiques imparfaits puissent donner lieu à l’exercice de l’exception d’inexécution par une partie.
    • Cette jurisprudence repose sur l’idée que l’obligation qui naît au cours de l’exécution du contrat existait, en réalité, au moment de la formation de l’acte, à tout le moins les parties ne pouvaient pas ignorer qu’elle puisse naître, de sorte que l’obligation originaire et l’obligation éventuelle se servent mutuellement de cause.
  • Dans les rapports d’obligations qui résultent de quasi-contrat
    • La jurisprudence considère que dès lors qu’un quasi-contrat est susceptible de créer des obligations réciproques entre les parties, l’exception d’inexécution peut être invoquée.
    • Il en va ainsi, notamment, en matière de gestion d’affaires qui oblige le gérant d’affaires à continuer la gestion engagée en contrepartie de quoi il échoit au maître de l’affaire de l’indemniser de tous les frais exposés.
    • À cet égard, dans un arrêt du 15 janvier 1904, la Cour de cassation a jugé que « le mandataire auquel il doit être assimilé quand, comme dans l’espèce, l’utilité de sa gestion est reconnue, le gérant d’affaires a, par application de la règle inscrite dans l’article 1948 en faveur du dépositaire, le droit de retenir la chose qu’il a gérée jusqu’au payement de tout ce qui lui est dû à raison de sa gestion » (Cass. civ. 15 janv. 1904).
  • Dans les rapports d’obligations qui résultent de la loi
    • En doctrine, la question s’est rapidement posée de savoir si l’exception d’inexécution ne pouvait pas également être admise dans les rapports d’obligations qui résultent de la loi.
    • En effet, le contrat n’ayant pas le monopole de la création des obligations connexes et réciproques, certains auteurs en ont déduit que rien n’interdirait que l’exception d’inexécution puisse être invoquée dans le cadre de rapports d’obligations créés par la loi, tels que le lien matrimonial qui existe entre les époux ou encore le lien de filiation qui existe entre l’adoptant et l’adopté.
    • Cette thèse pourrait donc conduire à admettre que l’un des membres du couple suspende l’exécution de l’une de ses obligations (devoir de cohabitation par exemple) à l’exécution par son conjoint de ses propres obligations.
    • Aussi, une partie de la doctrine milite pour que le domaine de l’exception d’inexécution ne se limite pas au domaine contractuel et soit étendu à l’ensemble des rapports synallagmatiques.
    • Reste que pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, il ne suffit pas que les obligations créées entre les parties soient réciproques, il faut encore qu’elles soient interdépendantes, soit qu’elles se servent mutuellement de cause.
    • Or dans le cadre du rapport juridique créé par la loi dans le cadre du mariage par exemple, il n’existe aucune interdépendance entre les obligations des époux.
    • L’exception d’inexécution pourrait, dans ces conditions, difficilement justifier la suspension du devoir conjugal dans l’attente de l’exécution de l’obligation de contribution aux charges du mariage.

==>L’ordonnance du 10 février 2016

Les projets Catala et Terré avaient expressément circonscrit la mise en œuvre de l’exception d’inexécution au domaine des contrats synallagmatique.

Le projet Terré prévoyait en ce sens que « si, dans un contrat synallagmatique, une partie n’exécute pas son obligation, l’autre peut refuser, totalement ou partiellement, d’exécuter la sienne, à condition que ce refus ne soit pas disproportionné au regard du manquement ».

Ce cantonnement de l’exception d’inexécution au domaine des contrats synallagmatiques n’a manifestement pas été repris par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations.

Le silence de l’article 1219 du Code civil sur le domaine de l’exception d’inexécution suggère, en effet, que cette sanction peut faire l’objet d’une application en dehors du cadre contractuelle, conformément à la jurisprudence antérieure.

Aussi, il est fort probable que l’exception d’inexécution puisse jouer toutes les fois qu’il sera démontré l’existence d’un rapport juridique qui met aux prises des obligations réciproques et interdépendantes.

II) Les conditions de l’exception d’inexécution

Nouveauté de la réforme des obligations, l’article 1220 du Code civil prévoit la possibilité pour le créancier d’exercer l’exception d’inexécution par anticipation, soit avant que la défaillance du débiteur ne survienne.

Aussi, les conditions de l’exception d’inexécution diffèrent, selon que la défaillance du débiteur est avérée ou selon qu’elle est à venir.

A) L’exercice de l’exception d’inexécution consécutivement à une inexécution avérée

La mise en œuvre de l’exception d’inexécution est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives qui tiennent :

  • Aux obligations des parties
  • À l’inexécution d’une obligation
  • À l‘exercice de la sanction

1. Les conditions tenant aux obligations des parties

==>Exigence de réciprocité des obligations

L’exception d’inexécution ne se conçoit qu’en présence d’obligations réciproques, ce qui implique que les parties endossent l’une envers l’autre tout à la fois la qualité de créancier et de débiteur.

L’exception d’inexécution ne présente, en effet, d’intérêt que si le créancier peut exercer un moyen de pression sur son débiteur. Or ce moyen de pression consiste en la suspension de ses propres obligations. En l’absence de réciprocité, cette suspension s’avérera impossible dans la mesure où le créancier n’est débiteur d’aucune obligation envers son cocontractant.

À cet égard, comment le bénéficiaire d’un don pourrait-il exercer l’exception d’inexécution alors qu’il n’est débiteur d’aucune obligation envers le donateur ? De toute évidence, le donataire sera bien en peine de suspendre l’exécution d’obligations qui ne lui incombent pas.

C’est la raison pour laquelle, l’existence d’une réciprocité des obligations est primordiale. L’exception d’inexécution puise sa raison d’être dans cette réciprocité.

==>Exigence d’interdépendance des obligations

Bien que l’article 1219 du Code civil n’exige pas expressément que les obligations des parties soient interdépendantes pour que l’exception d’inexécution puisse jouer, il définit néanmoins cette sanction comme « la possibilité offerte à une partie de ne pas exécuter son obligation si l’autre n’exécute pas la sienne ».

L’exigence d’interdépendance est ici sous-jacente : l’exception d’inexécution est subordonnée à la démonstration par le créancier que la créance inexécutée dont il se prévaut est issue d’un rapport juridique ayant donné naissance à l’obligation qui lui échoit envers son débiteur.

Un lien d’interdépendance (de connexité) doit donc exister entre les deux obligations réciproques. Pour être interdépendances, ces obligations doivent se servir mutuellement de cause, soit avoir été envisagées par les parties comme la contrepartie de l’une à l’autre.

Ainsi, dans le contrat de vente, le prix est stipulé en contrepartie d’une chose, raison pour laquelle on dit que les obligations de délivrance de la chose et de paiement du prix sont interdépendantes.

==>Exigence du caractère certain, liquide et exigible de la créance du créancier

Pour que le créancier soit fondé à se prévaloir de l’exception d’inexécution il doit justifier d’une créance au moins certaine et exigible. Quant à l’exigence de liquidité de la créance, la jurisprudence est partagée.

  • Sur le caractère certain de la créance
    • Une créance présente un caractère certain lorsqu’elle est fondée dans son principe.
    • L’existence de la créance doit, autrement dit, être incontestable.
    • Pour que l’exception d’inexécution puisse jouer, la créance du créancier doit être certaine, à défaut de quoi il y aurait là quelque chose d’injuste à suspendre l’exécution d’une obligation dont l’existence est contestable.
    • Aussi, cela explique-t-il pourquoi en matière de bail la Cour de cassation dénie au locataire le droit d’exercer l’exception d’inexécution en réaction au refus du bailleur d’effectuer des travaux (Cass. com., 30 mai 2007, n° 06-19.068)
    • Tant que la question de savoir si la demande de réalisation de travaux n’est pas tranchée par un juge, la créance dont se prévaut le locataire n’est pas fondée dans son principe ; elle demeure hypothétique.
    • Dans un arrêt du 7 juillet 1955, la Cour de cassation a considéré en ce sens que « les preneurs ne peuvent pour refuser le paiement des fermages échus, qui constituent une créance certaine, liquide et exigible, opposer au bailleur l’inexécution par lui de travaux qui représentent une créance incertaine » (Cass. soc., 7 juill. 1955).
  • Sur le caractère exigible de la créance
    • Une créance présente un caractère exigible lorsque le terme de l’obligation est arrivé à l’échéance.
    • Pour que l’exception d’inexécution puisse être invoquée, encore faut-il que la créance dont se prévaut l’accipiens soit exigible
    • À défaut, il n’est pas fondé à en réclamer l’exécution et, par voie de conséquence, à suspendre l’exécution de ses propres obligations
    • Pour déterminer si une obligation est exigible, il convient de se reporter au terme stipulé dans le contrat.
    • À défaut de stipulation d’un terme, l’article 1305-3 du Code civil dispose que « le terme profite au débiteur, s’il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu’il a été établi en faveur du créancier ou des deux parties ».
    • Ainsi, le terme est-il toujours présumé être stipulé à la faveur du seul débiteur.
    • L’instauration de cette présomption se justifie par les effets du terme.
    • La stipulation d’un terme constitue effectivement un avantage consenti au débiteur, en ce qu’il suspend l’exigibilité de la dette.
    • Le terme autorise donc le débiteur à ne pas exécuter la prestation prévue au contrat.
    • Il s’agit là d’une présomption simple, de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Les parties ou la loi peuvent encore prévoir que le terme est stipulé, soit à la faveur du seul créancier, soit à la faveur des deux parties au contrat.
  • Sur le caractère liquide de la créance
    • Une créance présente un caractère liquide lorsqu’elle est susceptible d’être évaluable en argent ou déterminée
    • Tout autant que l’absence de caractère certain de la créance interdit l’exercice de l’exception d’inexécution, il a été admis dans certaines décisions que l’absence de liquidité puisse également y faire obstacle.
    • La Cour de cassation a par exemple statué en ce sens dans un arrêt du 6 juillet 1982, toujours, en matière de contrat de bail, considérant que les travaux réclamés par un locataire à son bailleur « représentent une créance indéterminée » (Cass. 3e civ., 6 juill. 1982, n°81-11.711).
    • Cette jurisprudence est toutefois contestée par une partie de la doctrine qui soutient que la liquidité de la créance indifférente, s’agissant de l’exercice de l’exception d’inexécution.
    • Dans un arrêt du 20 février 1991, la Cour de cassation a d’ailleurs adopté la solution contraire (Cass. 3e civ. 20 févr. 1991, n° 89-18.372).

2. Les conditions tenant à l’inexécution

L’article 1219 du Code civil prévoit que l’exception d’inexécution ne peut être soulevée par le créancier qu’à la condition qu’il justifie « d’une inexécution suffisamment grave ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « inexécution suffisamment grave ».

Pour le déterminer, il convient de se reporter à la jurisprudence antérieure dont on peut tirer plusieurs enseignements :

  • Premier enseignement : l’indifférence de la cause de l’inexécution
    • Principe
      • Peu importe la cause de l’inexécution imputable au débiteur, dès lors que cette inexécution est établie, le créancier est fondé à se prévaloir de l’exception d’inexécution.
      • L’inexécution du contrat postule la faute du débiteur à qui il appartient de démontrer qu’il rentre dans l’un des cas qui neutralisent l’exception d’inexécution
    • Exceptions
      • Par exception, l’exception d’inexécution ne pourra pas jouer dans les cas suivants
        • Lorsque la créance du débiteur est éteinte
        • Lorsque le débiteur justifie d’un cas de force majeure
        • Lorsque l’inexécution procède d’une faute de l’excipiens
  • Deuxième enseignement : indifférence du caractère partielle ou totale de l’inexécution
    • L’article 1219 du Code civil n’exige pas que l’inexécution de l’obligation dont se prévaut le créancier soit totale
    • Il est donc indifférent que cette inexécution soit partielle : l’exception d’inexécution peut jouer malgré tout (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 18 juill. 1995, n° 93-16.338).
  • Troisième enseignement : indifférence du caractère essentiel ou accessoire de l’obligation objet de l’inexécution
    • La jurisprudence a toujours considéré qu’il était indifférent que l’inexécution porte sur une obligation essentielle ou accessoire.
    • Ce qui importe c’est que l’inexécution soit suffisamment grave pour justifier l’inexécution, et plus précisément, s’agissant de l’inexécution d’une obligation accessoire, que la riposte soit proportionnée, ce qui implique que le créancier ne suspende pas une obligation essentielle (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 25 nov. 1980, n°79-14.791).
  • Quatrième enseignement : exigence de gravité de l’inexécution
    • Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence rappelait régulièrement que, au fond, il est indifférent que l’inexécution de l’obligation soit partielle ou que cette inexécution porte sur une obligation accessoire.
    • Pour la Cour de cassation, ce qui importe, c’est que l’inexécution soit suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution (V. en ce sens Cass. 3e civ. 26 nov. 2015, n°14-24.210).
    • À l’examen, ce critère a été repris par le législateur lors de la réforme du droit des obligations.
    • L’article 1219 du Code civil pose, en effet, que l’exception d’inexécution ne peut être soulevée par le créancier que si l’inexécution présente un caractère suffisamment grave.
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir comment apprécier cette gravité ?
    • L’examen de la jurisprudence antérieure révèle que, pour apprécier le bien-fondé de l’exercice de l’exception d’inexécution les juridictions cherchaient moins à évaluer la gravité du manquement contractuel en tant que tel qu’à regarder si la riposte du créancier était proportionnelle à l’importance de l’inexécution invoquée.
    • Dès lors que cette riposte était proportionnelle à la gravité du manquement, alors les juridictions avaient tendance à considérer que l’exception d’inexécution était justifiée. Dans le cas contraire, le créancier engageait sa responsabilité.
    • Si la formulation de l’article 1219 du Code civil est silencieuse sur l’exigence de proportion de la riposte au regard de l’inexécution contractuelle, le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 précise quant à lui que l’exception d’inexécution « ne peut être opposée comme moyen de pression sur le débiteur que de façon proportionnée ».
    • Ce rapport indique, en outre, que « l’usage de mauvaise foi de l’exception d’inexécution par un créancier face une inexécution insignifiante constituera dès lors un abus ou à tout le moins une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. »
    • Ainsi, selon le législateur, la gravité du manquement contractuelle ne doit pas être appréciée abstraitement : elle doit, tout au contraire, être confrontée à la riposte du créancier.
    • Ce n’est qu’au regard de cette confrontation que le juge pourra déterminer si le manquement contractuel dont se prévaut le créancier était suffisamment grave pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution.
    • Reste à savoir si la Cour de cassation statuera dans le sens indiqué par le législateur, sens qui, finalement, n’est pas si éloigné de la position prise par la jurisprudence antérieure (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 12 mai 2016, n° 15-20.834)

3. Les conditions tenant à l’exercice de l’exception d’inexécution

L’article 1219 du Code civil ne prévoit aucune condition d’exercice de l’exception d’inexécution.

D’une part, cette disposition n’exige pas que le créancier, pour exercer l’exception d’inexécution, saisisse le juge aux fins qu’il constate l’inexécution du contrat.

L’appréciation du caractère suffisamment grave de l’inexécution qui fonde l’exception d’inexécution est à la main du seul créancier qui donc l’exercera à ses risques et périls

Dans l’hypothèse où la suspension de ses propres obligations ne serait pas justifiée, il s’expose à devoir indemniser le débiteur.

D’autre part, le créancier n’a nullement l’obligation de mettre en demeure son débiteur de s’exécuter.

L’exception d’inexécution peut être exercée en l’absence de l’accomplissement de cette formalité préalable qui, pourtant, est exigée pour la mise en œuvre des autres sanctions attachées à l’inexécution contractuelle, que sont :

  • L’exécution forcée en nature (art. 1221 et 1222 C. civ.)
  • La réduction du prix (art. 1223 C. civ.)
  • L’activation de la clause résolutoire (art. 1225, al.2 C. civ.)
  • La résolution par notification (art. 1226, al. 1er C. civ.)
  • L’action en responsabilité contractuelle (art. 1231 C. civ.)

Bien que l’article 1219 du Code civil ne subordonne pas l’exercice de l’exception d’inexécution à la mise en demeure du débiteur, elle peut s’avérer utile, d’une part, pour faciliter la preuve de l’inexécution qui, au surplus, peut être constatée par acte d’huissier, d’autre part pour établir la bonne foi du créancier dont la riposte a été exercée avec discernement puisque, offrant la possibilité au débiteur de régulariser sa situation.

B) L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation d’une inexécution à venir

1. Consécration légale

L’article 1220 du Code civil prévoit que « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

Ainsi, cette disposition autorise-t-elle le créancier à exercer l’exception d’inexécution par anticipation, soit lorsqu’il craint que son débiteur ne s’exécute pas à l’échéance.

C’est là une nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016, la jurisprudence antérieure étant quelque peu hésitante quant à la reconnaissance de l’exercice de cette faculté au créancier en l’absence de texte.

La chambre commerciale avait néanmoins amorcé cette reconnaissance dans un arrêt du 11 février 2003 en jugeant que « l’exception d’inexécution a pour objet de contraindre l’un des cocontractants à exécuter ses propres obligations ou de prévenir un dommage imminent, tel qu’un risque caractérisé d’inexécution » (Cass. com. 11 févr. 2003, n°00-11.085).

Quoi qu’il en soit, l’article 1220 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 va plus loin que la jurisprudence antérieure, puisqu’il introduit la possibilité pour le créancier d’une obligation, avant tout commencement d’exécution du contrat, de suspendre l’exécution de sa prestation s’il est d’ores et déjà manifeste que le débiteur ne s’exécutera pas.

Il s’agit d’une faculté de suspension par anticipation de sa prestation par le créancier avant toute inexécution, qui permet de limiter le préjudice résultant d’une inexécution contractuelle, et qui constitue un moyen de pression efficace pour inciter le débiteur à s’exécuter.

Ce mécanisme est toutefois plus encadré que l’exception d’inexécution, puisqu’outre l’exigence de gravité suffisante de l’inexécution, la décision de suspension de la prestation doit être notifiée dans les meilleurs délais à l’autre partie.

2. Conditions

Outre les conditions propres à l’exception d’inexécution ordinaire que sont les exigences de réciprocité et d’interdépendance des obligations, l’article 1220 pose trois autres conditions que sont :

  • Le caractère manifeste de l’inexécution à venir
  • La gravité des conséquences attachées à l’inexécution à venir
  • La notification de l’exercice de l’exception d’inexécution

==>Sur le caractère manifeste de l’inexécution à venir

Pour que le créancier soit fondé à exercer l’exception d’inexécution par anticipation, il doit être en mesure de prouver que le risque de défaillance du débiteur à l’échéance est manifeste.

Autrement dit, la réalisation de ce risque doit être prévisible, sinon hautement probable. Afin d’apprécier le caractère manifeste du risque d’inexécution, il convient de se reporter à la méthode d’appréciation du dommage imminent adopté par le juge des référés lorsqu’il est saisi d’une demande d’adoption d’une mesure conservatoire.

En effet, pour solliciter la prescription d’une mesure conservatoire, il convient de justifier l’existence d’un dommage imminent, ce qui, finalement, n’est pas très éloigné de la notion de « risque manifeste d’inexécution ».

Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer.

Ainsi, appartient-il au demandeur de démontrer que, sans l’intervention du Juge, il est un risque dont la probabilité est certaine qu’un dommage irréversible se produise.

En matière d’exception d’inexécution par anticipation il est possible de raisonner sensiblement de la même manière : si le créancier ne réagit pas, par anticipation, en suspendant l’exécution de ses obligations, il est un risque de défaillance de son débiteur et que, par voie de conséquence, cette défaillance lui cause préjudice.

La probabilité de cette défaillance doit être suffisamment forte pour justifier l’exercice de l’exception d’inexécution.

==>Sur la gravité des conséquences attachées à l’exécution à venir

L’exercice de l’exception d’inexécution par anticipation est subordonné à l’établissement de la gravité des conséquences susceptibles de résulter de l’inexécution.

La formulation de l’article 1220 est différente de celle utilisée par l’article 1219 qui vise, non pas la gravité des conséquences du manquement, mais la gravité – intrinsèque – du manquement.

L’article 1220 invite, en d’autres termes, le juge à apprécier les conséquences de l’inexécution plutôt que ses causes.

Par gravité des conséquences du manquement, il convient d’envisager le préjudice susceptible d’être causé au créancier du fait de l’inexécution. Ce préjudice peut consister soit en une perte, soit en un gain manqué.

Ce qui donc peut justifier l’exercice de l’exception d’inexécution ce n’est donc pas le risque de non-paiement du prix de la prestation par le débiteur, mais les répercussions que ce défaut de paiement est susceptible d’avoir sur le créancier.

==>Sur la notification de l’exercice de l’exception d’inexécution

À la différence de l’article 1219 qui, pour l’exercice de l’exception d’inexécution ordinaire, n’exige pas que le créancier adresse, au préalable, une mise en demeure au débiteur, l’article 1220 impose l’accomplissement de cette formalité, lorsque l’exception d’inexécution est exercée par anticipation.

Plus précisément, cette disposition prévoit que la suspension de l’exécution des obligations du créancier « doit être notifiée dans les meilleurs délais » au débiteur.

Quid du contenu du courrier de mise en demeure ? Le texte ne le dit pas. On peut en déduire, que le créancier n’a pas l’obligation de motiver sa décision, ni d’informer le débiteur sur les conséquences de sa défaillance. Il n’est pas non plus tenu d’observer des formes particulières quant aux modalités de notification.

Il est toutefois conseillé, a minima, d’adresser la mise en demeure au créancier par voie de lettre recommandé avec accusé de réception.

Quant à la sanction de l’absence de mise en demeure du débiteur préalablement à l’exercice de l’exception d’inexécution, l’article 1220 du Code civil est également silencieux sur ce point.

Le plus probable est que cette irrégularité soit considérée comme entachant l’exercice par anticipation de l’exception d’inexécution d’une faute et que, par voie de conséquence, cela expose le créancier à une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

III) Les effets de l’exception d’inexécution

L’exercice de l’exception d’inexécution a pour effet de suspendre l’exécution des obligations du créancier, tant que le débiteur n’a pas fourni la prestation à laquelle il s’est engagé.

Aussi, le contrat n’est nullement anéanti : l’exigibilité des obligations de l’excipiens est seulement suspendue temporairement, étant précisé que cette suspension est unilatérale.

Dès lors que le débiteur aura régularisé sa situation, il incombera au créancier de lever la suspension exercée et d’exécuter ses obligations.

En tout état de cause, l’exercice de l’exception d’inexécution n’autorise pas le créancier à rompre le contrat (V. en ce sens Cass. com. 1er déc. 1992, n° 91-10.930).

Pour sortir de la relation contractuelle, il n’aura d’autre choix que de solliciter la résolution du contrat, selon l’une des modalités énoncées à l’article 1224 du Code civil.

En l’absence de réaction du débiteur, le créancier peut également saisir le juge aux fins de solliciter l’exécution forcée du contrat.

À l’inverse, dès lors que l’exercice de l’exception d’inexécution est justifié, le débiteur est irrecevable à solliciter l’exécution forcée du contrat ou sa résolution. Le créancier est par ailleurs à l’abri d’une condamnation au paiement de dommages et intérêts.

La notion de créance privilégiée

Il ressort de l’article L. 622-17 du Code de commerce que pour être qualifiée de privilégiée la créance doit répondre à trois critères cumulatifs qui tiennent

  • D’abord, à la date de naissance de la créance
  • Ensuite, à la régularité de la créance
  • Enfin, à l’utilité de la créance

I) La date de naissance de la créance

Seules les créances nées postérieurement au jugement d’ouverture peuvent bénéficier du régime de faveur.

Dans ces conditions, la détermination de la date de naissance de la créance présente un intérêt essentiel.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par créance postérieure ?

Si l’on est légitimement en droit de penser qu’une créance peut être qualifiée de postérieure dès lors que son fait générateur se produit après le prononcé du jugement d’ouverture, plusieurs difficultés sont nées :

  • tantôt quant à l’opportunité de retenir comme critère de la créance postérieure son fait générateur
  • tantôt quant à la détermination du fait générateur de la créance en lui-même

A) Sur l’opportunité de retenir le fait générateur comme critère de la créance postérieure

Si, en première intention, l’on voit mal pourquoi le fait générateur d’une créance ne pourrait-il pas être retenu pour déterminer si elle est ou non antérieure au jugement d’ouverture, une difficulté est née de l’interprétation de l’ancien article L. 621-43 du Code de commerce.

Cette disposition prévoyait, en effet, que « à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au représentant des créanciers. »

Seules les créances « ayant une origine antérieure au jugement d’ouverture » étaient donc soumises au régime de la déclaration, les créances privilégiées en étant exclues.

La formule choisie par le législateur n’était pas dénuée d’ambiguïté : fallait-il prendre pour date de référence, afin de déterminer l’antériorité d’une créance, sa date de naissance ou sa date d’exigibilité ?

Cette question s’est en particulier posée pour les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture mais dont l’exigibilité intervenait postérieurement.

Le contentieux relatif aux créances à déclarer selon leur date de naissance a été très important.

L’enjeu était, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde du 27 juillet 2005, de savoir si le créancier pouvait ou non se faire payer à échéance.

L’arrêt rendu en date du 20 février 1990 par la Cour de cassation est une illustration topique de cette problématique.

Cass. com. 20 févr. 1990
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Service agricole industriel du Clairacais (la société) a été mise en redressement judiciaire le 17 juin 1986, puis en liquidation judiciaire le 15 juillet 1986 et que le personnel a été licencié le 8 août 1986, avec dispense d'accomplir le préavis légal ; que l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales du Lot-et-Garonne (l'URSSAF) n'a été inscrite sur la liste des créances bénéficiant des dispositions de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 que pour les cotisations afférentes aux salaires de la période postérieure à l'ouverture de la procédure collective ; que la contestation par elle formée en vue d'obtenir son admission sur la liste précitée pour les cotisations relatives aux salaires de la période du 1er mai au 17 juin 1986, ainsi qu'aux indemnités de congés payés et de préavis consécutives aux licenciements, a été rejetée par le tribunal, dont la cour d'appel a infirmé la décision ;.

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de l'URSSAF en ce qui concerne les cotisations sur les indemnités de congés payés et de préavis, alors, selon le pourvoi, qu'en application de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, le paiement prioritaire des créances nées après le jugement d'ouverture ne peut être obtenu pour des créances nées après le jugement de liquidation ; qu'en déclarant prioritaires des créances sociales afférentes aux indemnités de rupture, la cour d'appel, qui a relevé que les licenciements, fait générateur de la créance, étaient postérieurs au jugement d'ouverture, mais n'a pas constaté qu'ils étaient antérieurs au jugement de liquidation, a violé par fausse application la disposition susvisée ;

Mais attendu que l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 étant applicable aux créances nées régulièrement après l'ouverture du redressement judiciaire, c'est à bon droit que la cour d'appel a considéré que devait bénéficier des dispositions de ce texte la créance de cotisations de l'URSSAF relative aux indemnités de congés payés et de préavis consécutives aux licenciements opérés après le prononcé de la liquidation judiciaire ; que le moyen est donc sans fondement ;

Mais sur la première branche du moyen :

Vu les articles 40 et 47, premier alinéa, de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que, pour accueillir la demande de l'URSSAF relative aux cotisations sur les salaires de la période du 1er mai au 17 juin 1986, l'arrêt retient que ces salaires ont été versés après l'ouverture du redressement judiciaire, en sorte que la créance de l'URSSAF, qui n'a pris naissance que lors du versement ainsi effectué, bénéficie de la priorité de paiement prévue à l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu qu'en se prononçant ainsi, alors qu'elle constatait que les cotisations dont le paiement était poursuivi se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure au jugement d'ouverture du redressement judiciaire, ce dont il résultait que la créance de l'URSSAF avait son origine antérieurement à ce jugement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a accueilli la demande de l'URSSAF relative aux cotisations sur les salaires de la période du 1er mai au 17 juin 1986, l'arrêt rendu le 16 juin 1988, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse

  • Faits
    • Une société est placée en liquidation judiciaire
    • son personnel est licencié
    • L’URASSAF est éligible au rang de créancier privilégié seulement pour les créances postérieures au jugement d’ouverture
  • Demande
    • L’URSAFF demande à ce que l’ensemble de ces créances soient admises au rang de créances privilégiées
  • Procédure
    • Par un arrêt du 16 juin 1988, la Cour d’appel d’Agen fait droit à la demande de l’URSAFF
    • Les juges du fond estiment que dans la mesure où les salaires sur lesquels portent les cotisations impayées ont été versés postérieurement à l’ouverture de la procédure, ils n’endossent pas la qualification de créance antérieure.
  • Solution
    • Par un arrêt du 20 février 1990, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • Elle reproche à la Cour d’appel d’avoir accédé à la demande de l’URSAFF en qualifiant la créance invoquée de postérieure « alors qu’elle constatait que les cotisations dont le paiement était poursuivi se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, ce dont il résultait que la créance de l’URSSAF avait son origine antérieurement à ce jugement»
    • Les créances dont se prévalait l’URSAFF devaient donc être soumises au régime juridique, non pas des créances postérieures, mais à celui des créances antérieures.
    • S’agissant des autres créances invoquées par l’organisme social, lesquels portaient sur des salaires perçus postérieurement au jugement d’ouverture, la chambre commerciale estime à l’inverse que « l’article 40 de la loi du 25 janvier 1985 étant applicable aux créances nées régulièrement après l’ouverture du redressement judiciaire, c’est à bon droit que la cour d’appel a considéré que devait bénéficier des dispositions de ce texte la créance de cotisations de l’URSSAF relative aux indemnités de congés payés et de préavis consécutives aux licenciements opérés après le prononcé de la liquidation judiciaire»
  • Analyse
    • Cette solution adoptée par la Cour de cassation intervient à la suite d’un long débat portant sur le régime juridique des créances de sécurité sociale
    • Très tôt s’est posée la question de la qualification des cotisations sociales qui se rattachaient à des salaires payés après le jugement d’ouverture mais se rapportant à une période de travail antérieure à ce jugement.
    • Deux conceptions s’opposaient sur cette question
      • Première conception
        • On considère que le régime juridique des créances de sécurité sociale est autonome et ne doit pas être influencé par les dispositions relatives au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises
        • Selon cette conception, les créances doivent donc être réglées à la date normale d’exigibilité dès lors qu’elles sont postérieures au jugement d’ouverture quand bien même les cotisations seraient calculées sur un salaire rémunérant une période d’emploi antérieure au jugement.
      • Seconde conception
        • On peut estimer, à l’inverse, que le fait générateur des cotisations sociales réside dans le travail fourni par le salarié et non le paiement des salaires, quand bien même leur versement constitue une condition de leur exigibilité.
        • Selon cette conception, les cotisations sociales doivent donc être regardées comme des créances antérieures.
    • De toute évidence, la Cour de cassation a opté dans l’arrêt en l’espèce pour la seconde conception.
    • Pour la chambre commerciale, le fait générateur du salaire c’est le travail effectué.
    • Or les cotisations sociales sont afférentes au salaire dû au salarié
    • Par conséquent, leur fait générateur c’est bien le travail du salarié et non la date d’exigibilité du salaire.
    • La Cour de cassation reproche ainsi à la Cour d’appel d’avoir confondu la naissance de la créance et son exigibilité.
    • C’est donc au jour du travail effectué qu’il faut remonter pour déterminer si l’on est en présence d’une créance antérieure ou postérieure au jugement d’ouverture.

On peut en déduire que le critère de rattachement d’une créance à la catégorie des créances postérieure est donc celui de la date de sa naissance.

L’adoption de la date de naissance de la créance comme critère de rattachement à la catégorie des créances postérieure exclut dès lors tout rôle que pourrait jouer la date d’exigibilité de la créance dans ce rattachement.

La date d’exigibilité n’est que celle à laquelle le créancier peut prétendre au paiement.

Elle est, par conséquent, naturellement distincte de la date de naissance qui, en principe, interviendra antérieurement.

Tandis que la date de naissance de la créance se rapporte à sa création, sa date d’exigibilité se rapporte quant à elle à son exécution.

Le débat est définitivement clos depuis l’adoption de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 qui a remplacé la formule « ayant une origine antérieure au jugement d’ouverture » par l’expression « est née » qui apparaît plus précise.

C’est donc le fait générateur de la créance dont il doit être tenu compte et non la date d’exigibilité afin de savoir si une créance est soumise au régime de la déclaration ou si, au contraire, elle peut faire l’objet d’un paiement à l’échéance.

B) Sur la détermination du fait générateur de la créance en lui-même

La détermination du fait générateur d’une créance n’est pas toujours simple.

Pour ce faire, il convient de distinguer les créances contractuelles des créances extracontractuelles.

  1. Les créances extracontractuelles

La postériorité d’une créance extracontractuelle au jugement d’ouverture n’est pas toujours aisée à déterminer.

La détermination de la date de naissance de cette catégorie de créances soulève parfois, en effet, des difficultés.

Bien que la jurisprudence soit guidée, le plus souvent, par une même logique, on ne saurait se livrer à une systématisation des critères adoptés.

Aussi, est-ce au cas par cas qu’il convient de raisonner en ce domaine, étant précisé que les principales difficultés se sont concentrées sur certaines créances en particulier :

a) Les créances de condamnation

Deux sortes de créances doivent être ici distinguées : la créance principale de condamnation et les créances accessoires à la condamnation

==> La créance principale de condamnation

Il s’agit de la créance qui a pour effet générateur l’événement à l’origine du litige.

La créance de réparation naît, par exemple, au jour de la survenance du dommage.

Si donc le dommage survient antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, quand bien même la décision de condamnation serait rendue postérieurement, la créance de réparation endossera la qualification de créance antérieure (V. en ce sens com., 9 mai 1995; Cass. com., 4 oct. 2005, n° 03-19.367)

==> Les créances accessoires à la condamnation

Son notamment ici visées les créances de dépens et d’article 700

La particularité de ces créances est qu’elles sont attachées, moins au fait générateur du litige, qu’à la décision de condamnation

Aussi, toute la difficulté est de déterminer la date de naissance de cette catégorie singulière de créances

La jurisprudence a connu une évolution sur ce point :

  • Première étape
    • Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que, en raison du caractère accessoire des créances de dépens ou d’article 700, leur qualification dépendait de la date de naissance de la créance principale de condamnation.
    • Telle a été la solution retenue par la chambre commerciale dans un arrêt du 24 novembre 1998

Cass. Com. 24 nov. 1998
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Rennes, 22 juin 1994) et les productions, que le groupement agricole d'exploitation en commun de la Morinais (le GAEC), qui a subi des dommages à la suite de la pollution d'une rivière, a engagé diverses procédures en vue de rechercher la responsabilité de la société Entreprise redonnaise de réparations électriques (société ERRE) et d'obtenir réparation de son préjudice ; qu'après la mise en redressement judiciaire de la société ERRE devenue la Société européenne de transformateurs (la SET), le Tribunal, qui a constaté l'intervention volontaire de l'administrateur du redressement judiciaire de la SET et du représentant de ses créanciers, a déclaré cette société et son dirigeant, M. X..., pris à titre personnel, responsables du préjudice subi par le GAEC, a fixé la créance de ce dernier à l'égard de la SET, a fixé à 10 000 francs la somme due au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a dit que les dépens seront supportés in solidum par la SET et M. X... ; que la cour d'appel, statuant sur le recours formé contre ce jugement, l'a confirmé en toutes ses dispositions et, y ajoutant, a dit que les dépens d'appel seront supportés in solidum par l'administrateur du redressement judiciaire de la SET et M. X... ; que le GAEC a demandé que les dépens de première instance et d'appel ainsi que la somme due au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile lui soient payés par l'administrateur du redressement judiciaire de la SET en application de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que le GAEC reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les créances de dépens et celles résultant de la mise en oeuvre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile nées régulièrement après le jugement d'ouverture au sens de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 bénéficient du régime instauré par ledit article, spécialement lorsque le ou les instances en cause ont été reprises par l'administrateur de la procédure collective ; que tel était le cas en l'espèce, ainsi que le GAEC, appelant, le faisait valoir dans ses écritures circonstanciées ; qu'en refusant de dire et juger que les frais de dépens litigieux bénéficieraient du privilège de l'article 40 précité, au motif qu'il n'y a pas lieu de distinguer les frais engagés postérieurement au jugement d'ouverture pouvant bénéficier du rang des dettes de l'article 40 et des autres, en sorte que l'ensemble des frais engagés pour parvenir à rendre la décision définitive est à inclure dans la déclaration de créance à inscrire au passif, excepté les frais engagés par les mandataires judiciaires depuis leur nomination, la cour d'appel a statué sur le fondement de motifs erronés et a ainsi violé, par refus d'application, l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, d'autre part, que la cour d'appel devait, à tout le moins, faire le départ entre les frais et dépens visés antérieurement et ceux visés postérieurement au jugement déclaratif, les organes de la procédure collective ayant repris à leur compte la procédure pendante devant le tribunal de grande instance, puis la cour d'appel, pour se prononcer pertinemment sur ceux susceptibles de bénéficier du régime de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ; qu'en refusant de procéder de la sorte, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article précité ;

Mais attendu que la créance de dépens et les sommes allouées au GAEC en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ont, comme la créance principale elle-même, leur origine antérieurement au jugement d'ouverture dès lors qu'elles sont nées de l'action engagée avant ce jugement et poursuivie après lui contre la SET et les organes de la procédure collective en vue de faire constater cette créance principale et d'en fixer le montant ; qu'ainsi la cour d'appel, qui a exactement énoncé qu'il n'y avait pas lieu de distinguer selon que les frais avaient été engagés avant ou après le jugement d'ouverture, n'a pas violé l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, inapplicable en la cause ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

  • Faits
    • Un groupement agricole a subi un préjudice suite à la pollution d’une rivière par une société qui, par suite, fera l’objet d’une procédure de redressement judiciaire
    • Cette société est déclarée responsable du préjudice causé au groupement agricole
    • Elle est notamment condamnée aux dépens et à l’article 700 (frais irrépétibles)
  • Demande
    • Le groupement agricole demande à l’administrateur que les dépens de première instance et d’appel ainsi que la somme due au titre de l’article 700 soient admis au rang des créances postérieures
  • Procédure
    • Par un arrêt du 21 juin 1994, la Cour d’appel de Rennes déboute l’administrateur de sa demande
    • Pour les juges du fond, il n’y a pas lieu de distinguer selon que les dépens et l’article 700 ont été octroyés avant ou après l’ouverture de la procédure, dans la mesure où leur fait générateur se situe antérieurement au jugement d’ouverture, soit au moment où l’action a été introduite par le groupement
  • Moyens
    • L’auteur du pourvoi soutient que la créance de dépens et d’article 700 est née postérieurement à l’ouverture de la procédure soit au moment du prononcé du jugement dans lequel ils sont octroyés au groupement agricole.
    • Or le jugement a bien été prononcé postérieurement à l’ouverture de la procédure
  • Solution
    • Par un arrêt du 24 novembre 1998, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le créancier
    • Elle estime que « la créance de dépens et les sommes allouées au GAEC en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ont, comme la créance principale elle-même, leur origine antérieurement au jugement d’ouverture dès lors qu’elles sont nées de l’action engagée avant ce jugement et poursuivie après lui contre la SET et les organes de la procédure collective en vue de faire constater cette créance principale et d’en fixer le montant»
    • Autrement dit, pour la chambre commerciale, la qualification de la créance de dépens et d’article 700 est adossée à celle de la créance principale.
    • Si cette dernière naît avant le jugement d’ouverture, les créances de dépens et de frais irrépétibles sont soumises au régime des créances antérieures.
    • Dans le cas contraire, elles endossent la qualification de créances postérieures.
  • Seconde étape
    • Dans un arrêt remarqué du 12 juin 2002, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en considérant que « la créance des dépens et des frais résultant de l’application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, mis à la charge du débiteur, trouve son origine dans la décision qui statue sur ces dépens et frais et entrent dans les prévisions de l’article L. 621-32 du Code de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective»
    • Ainsi, pour la chambre commerciale, la qualification des créances de dépens et d’article 700 ne doit plus être déterminée en considération de la date de naissance de la créance de condamnation principale
    • Les créances accessoires à la condamnation doivent, en toute hypothèse, échapper à la qualification de créances antérieures, dès lors que la décision de condamnation est rendue postérieurement au jugement d’ouverture.
    • Dans un arrêt du 7 octobre 2009, la Cour de cassation a confirmé cette solution en précisant que « la créance de dépens et des frais résultant de l’application de l’article 700 du code de procédure civile mise à la charge du débiteur trouve son origine dans la décision qui statue sur ces frais et dépens et entre dans les prévisions de l’article L. 622 17 du code de commerce (ancien article L. 621 32), lorsque cette décision est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective» ( com. 7 oct. 2009)

Cass. com. 12 juin 2002
Attendu, selon l'arrêt déféré (Colmar, 14 décembre 1999), que la société Schwind (la société) ayant été mise en redressement judiciaire le 4 juin 1996, l'URSSAF du Bas-Rhin a déclaré une créance qui a été contestée ;

Et sur les deuxième et troisième moyens réunis :

Attendu que la société reproche à l'arrêt, qui l'a condamnée à payer à l'URSAFF une somme de 3 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens, d'avoir dit que cette indemnité et les dépens de l'URSSAF seraient employés en frais privilégiés de procédure collective, alors, selon le moyen, que les créances de dépens obtenues à l'issue d'une action tendant à faire admettre une créance antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, sont des créances antérieures car elles se rattachent à la créance contestée par l'action, de sorte qu'elles peuvent seulement être admises au passif du débiteur et à la condition qu'elles aient fait l'objet d'une déclaration régulière ; qu'en condamnant la procédure collective à payer les dépens, la cour d'appel a violé les articles 47 et 50 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que la créance des dépens et des frais résultant de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, mis à la charge du débiteur, trouve son origine dans la décision qui statue sur ces dépens et frais et entrent dans les prévisions de l'article L. 621-32 du Code de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

b) Les créances sociales

La qualification des créances sociales a fait l’objet d’un abondant contentieux, notamment en ce qui concerne la détermination du fait générateur de l’indemnité de licenciement.

Dans un arrêt du 16 juin 2010, la chambre sociale a considéré que le fait générateur de l’indemnité de licenciement résidait, non pas dans la conclusion du contrat de travail, mais dans la décision de licenciement.

Cass. soc. 16 juin 2010
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juin 2008), que M. X..., employé par la société Cider santé (la société) a été licencié le 14 mai 2007 pour motif économique par le liquidateur, la société ayant fait l'objet d'une procédure de sauvegarde puis de liquidation judiciaire par jugements successifs du tribunal de commerce des 17 janvier et 2 mai 2007 ; que les sommes représentant les droits du salarié au jour de la rupture de son contrat de travail n'ayant été garanties par l'assurance générale des salaires qu'en partie, le salarié a saisi le juge de l'exécution, qui a autorisé par ordonnances du 16 juillet 2007 deux saisies conservatoires entre les mains des sociétés Repsco promotion et Codepharma ; que Mme Y..., liquidateur de la société, a assigné le 12 septembre 2007 M. X..., la société Repsco promotion et la société Codepharma, devant le juge de l'exécution aux fins d'obtenir la rétractation de ces deux ordonnances ;

Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt confirmatif de rejeter sa demande de mainlevée des saisies conservatoires pratiquées par M. X... entre les mains des sociétés Codepharma et Repso promotion alors, selon le moyen :

1°/ que l'article L. 641-13-I du code de commerce ne vise ni les créances nées pour les besoins de la procédure, ni les créances nées pour les besoins de la liquidation judiciaire parmi les créances assorties d'un privilège de procédure ; qu'en qualifiant l'indemnité due au salarié licencié postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire de son employeur de «créance née régulièrement pour les besoins de la procédure» pour affirmer que cette créance devait bénéficier d'un traitement préférentiel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que seules les créances nées pendant la poursuite provisoire de l'activité en liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période bénéficient d'un privilège de procédure ; que tel n'est pas le cas de l'indemnité due au salarié, licencié pour motif économique en raison du prononcé, sans poursuite d'activité, de la liquidation judiciaire de son employé ; qu'en élisant néanmoins une telle créance à un rang privilégié aux motifs erronés qu' «il n'y avait pas lieu de distinguer entre créance indemnitaire liée à la rupture du contrat de travail et créance de salaire lorsque ces créances sont nées après l'ouverture de la procédure collective», la cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 641-13-I du code de commerce ;

Mais attendu que relèvent notamment du privilège institué par l'article L. 641-13-I du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur au jour du licenciement, les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, pour les besoins du déroulement de la procédure ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a retenu que le licenciement de M. X... avait été prononcé par le liquidateur conformément à ses obligations dans le cadre de la procédure collective en cours, en a exactement déduit que les créances indemnitaires résultant de la rupture du contrat de travail étaient nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de cette procédure, et qu'en conséquence, elles relevaient de l'article L. 641-13-I du code de commerce, peu important que l'activité ait cessé immédiatement ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Faits
    • Un salarié est licencié pour motif économique par le liquidateur de la société qui l’employait.
    • Cette société faisait l’objet, au moment du licenciement, d’une procédure de liquidation judiciaire
    • Afin d’obtenir le paiement de ses indemnités, non garanties par l’AGS, le salarié demande au JEX l’autorisation de pratiquer deux saisies conservatoires sur les comptes de son ex-employeur
  • Demande
    • Le liquidateur de la société demande la rétractation des deux ordonnances autorisant la réalisation des saisies demandées par le salarié
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 juin 2008, la Cour d’appel de Versailles déboute le liquidateur de sa demande
    • Pour les juges du fond, dans la mesure où le licenciement a été prononcé dans le cadre de la procédure collective, soit postérieurement au jugement d’ouverture, la créance d’indemnité de licenciement pouvait être admise au rang des créances privilégiées.
  • Solution
    • Par un arrêt du 16 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le liquidateur
    • La chambre sociale considère que « relèvent notamment du privilège institué par l’article L. 641-13-I du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur au jour du licenciement, les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, pour les besoins du déroulement de la procédure»
    • Or elle constate que le licenciement du salarié a été prononcé dans le cadre de la procédure collective en cours.
    • Il en résulte pour elle que « les créances indemnitaires résultant de la rupture du contrat de travail étaient nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de cette procédure, et qu’en conséquence, elles relevaient de l’article L. 641-13-I du code de commerce, peu important que l’activité ait cessé immédiatement ».
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que les créances indemnitaires résultant de la rupture du contrat de travail étaient nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de cette procédure, elles échappaient à la qualification de créance antérieure, à la faveur du régime des créances privilégiées.

 c) Les créances fiscales

Le fait générateur d’une créance fiscale est différent selon le type d’impôt auquel est assujetti le débiteur.

En toute hypothèse, la date qui est le plus souvent retenue pour déterminer si une créance fiscale endosse ou non la qualification de créance antérieure est le jour de son exigibilité.

  • S’agissant de l’impôt sur le revenu
    • La Cour de cassation a estimé que la date qui doit être prise en compte, ce n’est pas le jour de perception du revenu, mais l’expiration de l’année au cours de laquelle ces revenus ont été perçus.

Cass. com. 14 janv. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 janvier 2001), que par jugement du 21 juillet 1994, M. X... a été mis en liquidation judiciaire ; que le trésorier principal de Bagneux a décerné le 15 février 1996 à l'employeur de Mme X... un avis à tiers détenteur relatif à l'impôt sur les revenus de l'année 1994 des époux X..., dont ceux-ci ont demandé la mainlevée au juge de l'exécution ;

Et sur le moyen unique du pourvoi formé par Mme X..., pris en ses deux branches :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'annulation et de mainlevée de l'avis à tiers détenteur, alors, selon le moyen :

1 / qu'en estimant que la créance du trésorier principal de Bagneux au titre de l'impôt sur le revenu dû par les époux X... pour l'année 1994 était postérieure à l'ouverture de la procédure collective ouverte le 21 juin 1994 à l'encontre de M. X..., dès lors que les impositions n'avaient été mises en recouvrement que le 31 juillet 1995, sans rechercher si le Trésor public n'était pas tenu de déclarer à titre provisionnel sa créance au passif de la procédure collective, la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal au regard des articles 47 et 50 de la loi du 25 janvier 1985, devenus les articles L. 621-40 et L. 621-43 du Code du commerce ;

2 / que dans leurs conclusions signifiées le 2 février 2000, M. et Mme X... faisaient valoir que le dessaisissement de M. X... consécutif à la liquidation judiciaire de ses biens interdisait toute poursuite exercée sur les biens communs des époux, soit en l'occurrence sur les gains et salaires de Mme X... ; qu'en estimant que la procédure collective ouverte à l'égard de M. X... laissait subsister l'obligation distincte pesant sur son épouse, codébitrice solidaire de l'impôt sur le revenu, sans répondre aux conclusions des époux X... faisant valoir que les biens communs des époux ne pouvaient en toute hypothèse faire l'objet de poursuite, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, le fait générateur de l'impôt sur les revenus résultant de l'expiration de l'année au cours de laquelle ces revenus ont été perçus, l'arrêt, répondant aux conclusions prétendument délaissées, retient exactement que la créance du Trésor public au titre de l'impôt sur les revenus perçus par les époux X... au cours de l'année 1994 était postérieure à l'ouverture, le 21 juin 1994, de la procédure collective de M. X... et que le comptable du Trésor chargé du recouvrement pouvait poursuivre individuellement le débiteur sur ses biens ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à se livrer à la recherche inopérante visée à la première branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE irrecevable le pourvoi formé par M. X... ;

REJETTE le pourvoi formé par Mme X... ;

  • S’agissant de l’impôt sur les sociétés
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens, en considérant que « le fait générateur de l’impôt sur les sociétés et la taxe y afférente résulte, en application des articles 36, 38 et 209 du CGI, de la clôture de l’exercice comptable et non pas de la perception des impôts »

Cass. com., 16 déc. 2008
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 décembre 2007), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, 28 novembre 2006, pourvoi n° 05-13.708 ) que la société à responsabilité limitée Network music group (la société) a fait l'objet, le 20 août 1997, d'un jugement de redressement judiciaire, puis, le 5 mai 1998, d'un plan de continuation ; qu'à la suite de la mise en recouvrement, les 31 août et 30 novembre 1998, de l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 1997 et de la contribution de 10 % y afférente, le trésorier principal de Boulogne-Billancourt (le trésorier) a, en application des dispositions de l'article L. 621-32 du code de commerce, demandé à l'administrateur le règlement de cette créance fiscale due par la société ; que contestant le caractère privilégié de la créance du Trésor, la société a assigné le trésorier et le commissaire à l'exécution du plan ès qualités devant le tribunal de commerce, pour en obtenir le remboursement, motif pris de ce qu'elle était née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de remboursement de l'impôt sur les sociétés et de la contribution de 10 % y afférente, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en application des articles 1668 et 1668 B du code général des impôts et des articles 358 à 366 I de l'annexe III à ce code, dans leur rédaction alors en vigueur, l'impôt sur les sociétés et la contribution supplémentaire y afférente, dus au titre d'un exercice donné, lequel correspond à une période de 12 mois mais ne coïncide pas nécessairement avec l'année civile, sont réglés spontanément par le contribuable sous forme d'acomptes trimestriels et sans émission d'un avis d'imposition, au plus tard le 20 février, le 20 mai, le 20 août et le 20 novembre de cet exercice et ce, à compter de la date de clôture de l'exercice précédent; que le solde de cet impôt et de son complément doit lui-même être acquitté spontanément par le redevable en même temps qu'il souscrit sa déclaration de résultats de l'exercice considéré c'est-à-dire, dans les trois mois de la clôture de l'exercice ou si aucun exercice n'est clos au cours d'une année, avant le 1er avril de l'année suivante ; qu'en considérant que le fait générateur de l'impôt sur les sociétés résulte de l'expiration de l'année au cours de laquelle les bénéfices sont perçus, bien qu'il soit exigible trimestriellement dans les conditions susvisées et que la date de son fait générateur ne puisse être postérieure à sa date d'exigibilité, les juges d'appel ont purement et simplement violé les textes susvisés ;

2°/ que l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu ne sont pas dus et versés dans des conditions identiques ; que l'impôt sur les sociétés est payé spontanément, par voie d'acomptes, tandis que le paiement de l'impôt sur le revenu est précédé de l'émission d'un avis d'imposition ; que la circonstance que les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés soient déterminés dans les mêmes conditions que les bénéfices passibles de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux en application de l'article 209 du code général des impôts est sans incidence sur le fait générateur et les conditions d'exigibilité de l'impôt sur les sociétés qui demeurent différents de ceux de l'impôt sur le revenu ; qu'en assimilant les conditions dans lesquelles l'impôt sur les sociétés est dû avec celles de l'impôt sur le revenu sous prétexte que les modalités de calcul des bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés et des bénéfices passibles de l'impôt sur le revenu étaient identiques, les juges d'appel ont encore violé les dispositions des articles 12, 209, 1668 et 1668 B du code général des impôts et des articles 358 à 366 I de l'annexe III à ce code ;

3°/ que les acomptes d'impôt sur les sociétés dus au Trésor public antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et non acquittés, constituent des créances nées antérieurement à cette décision, qui ne peuvent donc être réglées postérieurement et doivent donner lieu à une déclaration du Trésor public en application de l'article L. 621-43 du code de commerce ; qu'en considérant que le fait générateur de l'impôt sur les sociétés est l'expiration de l'année et non la perception des bénéfices et qu'il n'y avait pas lieu de mettre à part les sommes nées de l'activité de la société antérieure à l'ouverture de la procédure collective, bien que l'impôt sur les sociétés soit exigible au cours de l'exercice de réalisation des bénéfices et doive être réglé spontanément par voie d'acomptes, les juges d'appel ont violé les articles L. 621-24, L. 621-32 et L. 621-43 du code de commerce alors en vigueur ainsi que les articles 1668, 1668 B du code général des impôts et 358 à 366 I de l'annexe III à ce code ;

Mais attendu qu'en matière de procédure collective, la date du fait générateur de l'impôt permet de déterminer si la créance doit être déclarée au titre de l'article L. 621-43 du code de commerce ou si son recouvrement peut être poursuivi au titre de l'article L. 621-32 du même code ; que, c'est à bon droit, que la cour d'appel a retenu que le fait générateur de l'impôt sur les sociétés et la taxe y afférente résulte, en application des articles 36, 38 et 209 du CGI, de la clôture de l'exercice comptable et non pas de la perception des impôts, et, après avoir constaté que le principe de la créance des impôts en cause était né au 31 décembre 1997, soit après l'ouverture de la procédure collective, en a déduit que celle-ci relevait de l'article L. 621-32 du code de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • S’agissant de la TVA
    • L’article 269, 1, a) du Code général des impôts prévoit que le fait générateur de la TVA assise sur des prestations de service est, sauf cas particuliers, l’exécution de la prestation en cause et celui de la TVA assise sur une vente est, toujours sous réserve de situations spécifiques, la date de livraison.

d) Créance de dépollution

Dans un arrêt du 17 septembre 2002, la Cour de cassation a estimé que la créance de dépollution naît « de l’arrêté préfectoral ordonnant la consignation, postérieur au jugement d’ouverture »

Autrement dit, cette créance dont est titulaire le Trésor a pour fait générateur la décision du préfet ordonnant qu’une somme d’argent soit consignée en vue du financement de la remise en état du site pollué.

Dans un arrêt du 19 novembre 2003, la Cour de cassation a semblé revenir sur sa décision en retenant comme fait générateur de la créance la date de fermeture du site (Cass. com. 19 nov. 2003).

La portée de cette jurisprudence est toutefois incertaine pour les auteurs.

Cass. com. 17 sept. 2002
Sur le premier moyen :

Vu les articles 40 et 50 de la loi du 25 janvier 1985, ainsi que l'article 23 de la loi du 19 juillet 1976 ;

Attendu, selon l'arrêt déféré, que la Société d'utilisation du phénol (la société SUP), exploitante d'une installation classée, a été mise en redressement judiciaire le 6 janvier 1994, puis en liquidation judiciaire ;

que le liquidateur, M. X..., n'ayant pas déféré à une mise en demeure de remettre le site en l'état, le préfet lui a ordonné le 8 septembre 1995, par application du troisième texte susvisé, de consigner une somme répondant des travaux à réaliser ; que le liquidateur a soutenu que, n'ayant pas été déclarée à la procédure collective, cette créance du Trésor était éteinte ;

Attendu que pour déclarer éteinte la créance du Trésor et accueillir la demande de restitution de la somme consignée présentée par le liquidateur de la société SUP, la cour d'appel a retenu que l'activité de celle-ci était nécessairement arrêtée le jour de la liquidation judiciaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la créance du Trésor était née de l'arrêté préfectoral ordonnant la consignation, postérieur au jugement d'ouverture, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mars 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

2. Les créances contractuelles

La question de la date de naissance des créances contractuelles n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés en matière de procédures collectives.

En principe, les créances contractuelles ont pour fait générateur la date de conclusion du contrat, soit, selon le principe du consensualisme, au jour de la rencontre des volontés.

Cette conception volontariste du contrat devrait, en toute logique, conduire à ne qualifier de créances antérieures que les obligations résultant d’un contrat conclu antérieurement au jugement d’ouverture.

En raison néanmoins du caractère dérogatoire du droit des entreprises en difficulté et des objectifs spécifiques qu’il poursuit, il est des cas où cette conception du fait générateur de la créance contractuelle est remise en cause, à tout le moins est envisagée sous un autre angle.

Au fond, comme le soulignent certains auteurs, tant l’article L. 622-17, qui régit les créances antérieures, que l’article L. 622-13 relatif aux créances postérieures, se prononcent moins sur le fait générateur, que sur le régime qui leur est applicable.

Aussi, le droit des entreprises en difficulté ne remettrait nullement en cause l’approche civiliste du fait générateur des créances contractuelles.

La date du contrat permettrait donc toujours de déterminer le caractère antérieur ou postérieur de la créance et, ce faisant, le régime normalement applicable à la créance à condition toutefois, et là résiderait la particularité du droit des entreprises en difficulté, qu’aucune disposition spécifique ne vienne soumettre cette créance à un régime distinct de celui qui devrait lui être naturellement applicable.

Comme en matière de créance extracontractuelle, c’est également au cas par cas qu’il convient ici de raisonner.

a) Créance résultant d’un contrat de vente

==> Principe

Dans un arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation a estimé que la créance résultant d’un contrat de vente avait pour fait générateur, non pas la date de conclusion du contrat, mais le jour de son exécution.

Cass. com. 15 févr. 2000
Attendu, selon l'arrêt déféré, que, par ordonnance du 6 septembre 1994, le juge-commissaire du redressement judiciaire de la société SIAQ a admis la créance de la société Etudes et réalisations graphiques (société ERG), à titre chirographaire, pour une certaine somme, tandis que la société ERG soutenait que sa créance était née de la poursuite de l'activité et relevait de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que pour dire que la créance de la société ERG, correspondant à une commande passée avant le redressement judiciaire de la société SIAQ et livrée à celle-ci postérieurement au jugement d'ouverture, ne relevait pas de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, l'arrêt énonce que " le fait que cette prestation ait profité à la société SIAQ après l'ouverture de la procédure importe peu, dès lors que l'accord des parties sur la réalisation de la commande, qui fige les obligations respectives des parties et fait naître l'obligation au paiement, est intervenu avant la procédure collective " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mai 1996, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

  • Faits
    • Contrat de vente conclu entre deux sociétés
    • Entre la conclusion du contrat et la livraison de la marchandise, la société acheteuse est placée en redressement judiciaire
    • La société vendeuse n’est donc pas payée
    • Tandis que le juge-commissaire considère qu’il s’agit là d’une créance antérieure, le vendeur estime que sa créance est née de la poursuite de l’activité
  • Demande
    • Le vendeur se prévaut du bénéfice de l’article 40 de la loi du 25 janvier 85, soit du régime des créanciers privilégiés
  • Procédure
    • Par un arrêt du 6 mai 1996, la Cour d’appel d’Agen déboute le vendeur de sa demande
    • Les juges du fond estiment que le contrat de vente a été conclu antérieurement à l’ouverture de la procédure, de sorte que la créance revendiquée ne saurait être admise au rang des créances privilégiées
  • Solution
    • Par un arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation, casse l’arrêt de la Cour d’appel
    • La Cour de cassation considère que le fait générateur de l’obligation de paiement ce n’est pas la conclusion du contrat de vente, mais la délivrance de la chose achetée
    • Or en l’espèce, la délivrance a eu lieu postérieurement au jugement d’ouverture.
    • La créance du vendeur, peut donc bien être admise au rang des créances privilégiées
  • Analyse
    • De toute évidence, la solution retenue ici par la Cour de cassation est totalement dérogatoire au droit commun
    • Techniquement la créance nait bien, comme l’avait affirmé la Cour d’appel, au jour de la conclusion du contrat !
    • C’est la rencontre des volontés qui est créatrice d’obligations et non la délivrance de la chose
    • Tel n’est pas ce qui est pourtant décidé par la Cour de cassation
    • Pour la chambre commerciale c’est l’exécution de la prestation qui fait naître la créance
    • Le droit de revendication du vendeur de meuble dessaisi est manifestement sacrifié sur l’autel du droit des procédures collectives.
    • Cette solution est appliquée de manière générale à tous les contrats à exécution successive

==> Exceptions

  • Contrat de vente immobilière
    • Dans cette hypothèse, la qualification de la créance dépend, non pas de la remise des clés de l’immeuble, mais de son transfert de propriété.
    • Dans un arrêt du 1er février 2000, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « le contrat de vente de l’immeuble dont l’une des clauses subordonne le transfert de propriété au paiement intégral du prix est un contrat de vente à terme n’incluant pas un prêt et que ce contrat était en cours lors de l’ouverture de la procédure collective, une partie du prix restant à payer» ( com. 1er févr. 2000).
  • Garantie des vices cachés
    • Dans l’hypothèse où le débiteur endosse la qualité, non plus de vendeur, mais d’acheteur, la créance de garantie des vices cachés a pour fait générateur la date de conclusion du contrat.
    • Cette solution a été consacrée dans un arrêt du 18 janvier 2005.
    • La Cour de cassation a considéré dans cette décision que « la créance née de la garantie des vices cachés a son origine au jour de la conclusion de la vente et non au jour de la révélation du vice» ( com. 18 janv. 2005)

b) Créance résultant d’un contrat à exécution successive

En matière de contrat à exécution successive, la Cour de cassation considère que le fait générateur de la créance réside, non pas dans la date de conclusion du contrat, mais au jour de la fourniture de la prestation caractéristique.

  • Pour le contrat de travail
    • Le fait générateur de la créance de salaire réside dans l’exécution de la prestation de travail.
    • Dans un arrêt du 8 novembre 1988 la Cour de cassation considère, par exemple, que « après avoir retenu exactement que les dispositions relatives à l’exigibilité des cotisations ne pouvaient prévaloir sur celles de la loi du 25 janvier 1985 qui interdisent de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, le jugement constate que les cotisations réclamées se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure à l’ouverture de la procédure collective ; qu’en l’état de ces énonciations, c’est à bon droit que le tribunal a décidé qu’une telle créance était née antérieurement au jugement d’ouverture et que, par suite, peu important l’époque à laquelle les salaires correspondants avaient été payés, l’acte tendant à obtenir paiement de cette créance devait être annulé» ( com. 8 nov. 1988).
  • Pour le contrat de bail
    • Le fait générateur de la créance de loyer réside quant à elle dans la jouissance de la chose
    • Dans un arrêt du 28 mai 2002, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la redevance prévue par un contrat à exécution successive poursuivi par l’administrateur est une créance de la procédure pour la prestation afférente à la période postérieure au jugement d’ouverture et constitue une créance née antérieurement au jugement d’ouverture pour la prestation afférente à la période antérieure à ce jugement et soumise à déclaration au passif» ( com. 28 mai 2002)

c) Créance résultant d’un contrat de prêt

Bien que la jurisprudence tende désormais à considérer que le contrat de prêt constitue, non plus un contrat réel, mais un contrat consensuel, en matière de procédure collective, la cour de cassation estime toujours que la qualification endossée par la créance de remboursement est déterminée par la date de déblocage des fonds.

En matière d’ouverture de crédit, la chambre commerciale a estimé que, en ce qu’elle constitue une promesse de prêt, elle « donne naissance à un prêt, à concurrence des fonds utilisés par le client » (Cass. com. 21 janv. 2004).

d) Créance résultant d’un contrat de cautionnement

L’hypothèse visée ici est la situation où la caution, après avoir été actionnée en paiement par le créancier, se retourne contre le débiteur principal.

Elle dispose contre ce dernier de deux recours : un recours personnel et un recours subrogatoire.

  • En cas d’exercice par la caution de son recours subrogatoire
    • Dans cette hypothèse, la créance dont elle se prévaut la caution contre le débiteur n’est autre que celle dont était titulaire le créancier accipiens
    • La date de naissance de cette créance devrait, en conséquence, être déterminée selon les règles applicables à cette créance
  • En cas d’exercice par la caution de son recours personnel
    • Recours de la caution contre le débiteur
      • La détermination du fait générateur de la créance invoquée par la caution est ici plus problématique.
      • Deux approches sont envisageables
        • On peut considérer que la créance a pour fait générateur la conclusion du contrat
        • On peut également estimer que cette créance naît du paiement de la caution entre les mains du créancier accipiens.
      • Selon que l’on retient l’une ou l’autre approche, lorsque le jugement d’ouverture intervient entre la date de conclusion du contrat de caution et la date de paiement, la qualification de la créance sera différente.
      • Dans un arrêt du 3 février 2009, la Cour de cassation a opté pour la première approche.
      • Elle a, autrement dit, considéré que « la créance de la caution qui agit avant paiement contre le débiteur principal, sur le fondement de l’article 2309 du code civil, prend naissance à la date de l’engagement de caution» ( com. 3 févr. 2009)

Cass. com. 3 févr. 2009
Sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985, ensemble l'article 2309 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que poursuivi en paiement des sommes dues par Mme X..., au titre d'un prêt dont il s'était rendu caution, M. de Y... (la caution), a, en application des dispositions de l'article 2309 du code civil , assigné celle-ci, qui avait été mise en liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif, en paiement de la somme mise en recouvrement contre lui ;

Attendu que, pour déclarer l'action de la caution recevable et condamner Mme X... à lui payer une certaine somme, l'arrêt retient que l'action indemnitaire est née postérieurement à la clôture de la procédure collective de la débitrice principale puisque l'assignation en paiement de la banque à l'encontre de la caution a été délivrée le 16 novembre 1990 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la créance de la caution qui agit avant paiement contre le débiteur principal, sur le fondement de l'article 2309 du code civil, prend naissance à la date de l'engagement de caution et que l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 ne permet pas aux créanciers, de recouvrer l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif, sauf dans les cas prévus aux articles 169, alinéa 2, et 170 de cette même loi, la cour d'appel, qui a constaté que l'engagement de caution était du 30 janvier 1984 et que la liquidation judiciaire de Mme X... avait été clôturée le 28 février 1990 pour insuffisance d'actif, a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 avril 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

  • Recours de la caution contre ses cofidéjusseurs
    • Dans un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation a retenu une solution identique à celle adoptée dans l’arrêt du 3 février 2009.
      • Faits
        • Une banque consent un prêt à une société
        • En garantie, deux associés souscrivent à un cautionnement en faveur de la banque
        • L’un des associés caution cède ses parts sociales à l’autre
        • La société est par suite placée en liquidation judiciaire
        • La caution qui avait cédé ses parts règle à la banque la créance à hauteur du montant déclarée à la procédure
        • La caution se retourne alors contre le commissaire d’exécution au plan afin que lui soit réglée la part due par son ex-coassocié décédé entre-temps
      • Demande
        • La caution qui a réglé la dette principale réclame à l’administrateur le paiement de la part dû par les ayants droit de son cofidéjusseur
      • Procédure
        • Par un arrêt du 2 octobre 2001, la Cour d’appel de Besançon accède à la requête de la caution
        • Les juges du fond estiment que dans la mesure où l’action contre le cofidéjusseur ne naît qu’à partir du moment où l’un d’eux a réglé la dette principale, la créance de la caution naît au jour du paiement de la dette principale
      • Solution
        • Par un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel
        • Elle considère que « la créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l’article 2033 du Code civil, prend naissance à la date de l’engagement de caution»
        • Aussi, la Cour de cassation reproche-t-elle à la Cour d’appel d’avoir pris comme fait générateur de la créance le paiement de la dette principale par la caution.
        • Pour elle, dans la mesure où la souscription du cautionnement a eu lieu antérieurement au jugement d’ouverture, la créance de la caution n’est pas éligible au rang des créances privilégiées.
      • Analyse
        • La solution adoptée par la Cour de cassation ne s’impose pas avec évidence.
        • Car au fond, cette position revient à dire que, au moment où elle s’engage envers le créancier, la caution acquiert :
          • D’une part, la qualité de débiteur accessoire de la dette principale
          • D’autre part, la qualité de créancier chirographaire antérieur quant au recours qui lui est ouvert par le code civil contre son ou ses cofidéjusseurs
        • Au total, il semble désormais être acquis que le recours personnel de la caution, qu’il soit dirigé contre un cofidéjusseur soumis à une procédure collective ou contre le débiteur principal soumis à une procédure collective, naît au jour de la signature du contrat de cautionnement.

Cass. com. 16 juin 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 15 mars 1986, l'Union des banques régionales (la banque) a consenti un prêt à la société La Lizaine (la société), avec pour garantie le cautionnement solidaire de MM. X... et Y..., associés de la société ; que, le 31 janvier 1988, M. Y... a cédé à M. X... l'ensemble de ses parts sociales ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a déclaré sa créance qui a été admise pour un certain montant ;

que M. X... a été mis en redressement judiciaire à la suite duquel un plan de cession a été arrêté, M. Z... étant nommé commissaire à l'exécution du plan ; que M. Y... ayant réglé, en sa qualité de caution, une somme de 50 000 francs pour solde de la créance de la banque, a assigné M. X... en remboursement de cette somme ; que M. Z..., ès qualités, est intervenu à l'instance ; que M. X... est décédé le 4 mars 1998 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de M. X..., décédé, à payer 25 000 francs à M. Y... alors, selon le moyen, qu'aucune des parties, à qui il appartenait de fixer les termes du litige, n'avait demandé à la cour d'appel de condamner M. Z..., ès qualités, à payer la somme de 25 000 francs à M. Y... ; qu'en prononçant cette condamnation, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte des conclusions récapitulatives déposées par M. Y... le 20 mai 1999 que ce dernier a sollicité la condamnation de M. Z..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan, à lui payer une somme de 50 000 francs en application de l'article 2033 du Code civil ; que le moyen manque en fait ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 40 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, devenu l'article L.621-32 du Code de commerce ;

Attendu que la créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l'article 2033 du Code civil, prend naissance à la date de l'engagement de caution;

Attendu que pour condamner M. Z..., commissaire à l'exécution du plan de M. X..., décédé, à payer 25 000 francs à M. Y..., l'arrêt retient que s'agissant de rapports entre deux cautions, et non entre une caution et le débiteur principal, M. Y... ne disposait d'aucune action avant d'avoir payé, ce par application de l'article 2033 du Code civil, que l'origine de sa créance est, dès lors, postérieure à l'ouverture de la procédure collective de M. X..., de telle sorte que cette créance n'était pas soumise à l'obligation de déclaration ;

Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que l'engagement de caution de M. Y... avait été souscrit avant l'ouverture du redressement judiciaire de M. X..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;

II) L’exigence de régularité de la créance

L’article L. 622-17, I du Code de commerce vise les créances nées régulièrement après l’ouverture de la procédure.

Que doit-on entendre par l’expression « nées régulièrement » ?

Le législateur a entendu viser ici les créances nées conformément aux règles de répartition des pouvoirs entre les différents organes de la procédure.

Pour mémoire, selon la nature de la procédure dont fait l’objet le débiteur, l’administrateur, lorsqu’il est désigné, sera investi d’un certain nombre de pouvoirs, qu’il exercera, parfois, à titre exclusif.

En matière de procédure de sauvegarde, l’article L. 622-1 du Code de commerce prévoit par exemple que si « l’administration de l’entreprise est assurée par son dirigeant […] lorsque le tribunal désigne un ou plusieurs administrateurs, il les charge ensemble ou séparément de surveiller le débiteur dans sa gestion ou de l’assister pour tous les actes de gestion ou pour certains d’entre eux. »

Lorsqu’il s’agit d’une procédure de liquidation judiciaire, le débiteur sera complètement dessaisi de son pouvoir de gestion de l’entreprise à la faveur de l’administrateur (art. L. 641-9 C. com.)

Ainsi, la créance régulière est celle qui résulte d’un acte accompli en vertu d’un pouvoir dont était valablement investi son auteur.

A contrario, une créance sera jugée irrégulière en cas de dépassement de pouvoir par le débiteur ou l’administrateur.

Pour apprécier la régularité d’une créance il faut alors distinguer selon que la créance est d’origine contractuelle ou délictuelle

A) Les créances contractuelles

  • Pour les créances nées de la conclusion d’un contrat
    • La créance naît régulièrement si le contrat a été conclu par un organe qui était investi du pouvoir d’accomplir l’acte.
    • Pour les actes de gestion courante, le débiteur dispose de ce pouvoir en matière de procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire.
  • Pour les créances nées de l’exécution d’un contrat en cours
    • Lorsqu’une décision de continuation a été prise
      • La créance ne peut naître régulièrement qu’à la condition que le contrat ait été poursuivi en vertu d’une décision prise par la personne habilitée
      • Il s’agira
        • soit de l’administrateur lorsqu’il est désigné
        • soit du débiteur après avis conforme du mandataire
      • En matière de liquidation judiciaire, seul le liquidateur est investi de ce pouvoir.
    • Lorsqu’aucune décision de continuation n’a été prise
      • Lorsque la créance trouve son origine dans l’exécution d’un contrat en cours pour lequel aucune décision de continuation n’a été prise, la jurisprudence considère classiquement que cette absence de décision n’entache pas la régularité de la créance.
      • Il est, par ailleurs, indifférent que la décision prise ultérieurement soit favorable ou non à une continuation du contrat en cours (V. en ce sens com. 12 juill. 1994)
  • Cas particulier de la créance de salaire
    • Si, en principe, l’irrégularité de la créance s’apprécie au regard du dépassement de pouvoir du débiteur ou de l’administrateur, il est un cas où cette règle est écartée
    • Dans un arrêt du 13 juillet 2010, la Cour de cassation a, en effet, estimé que quand bien même une créance de salaire serait née irrégulièrement dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, elle pouvait, malgré tout, bénéficier du régime des créances privilégiées.

Cass. soc. 13 juill. 2010
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 621-32 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, alors applicable ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, bien que faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, M. X... a continué d'exercer son activité et d'employer M. Y... qu'il avait engagé en qualité de manoeuvre avant l'ouverture de la procédure ; qu'ayant appris l'existence de la procédure collective, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement des indemnités de rupture et d'un rappel de salaires ;

Attendu pour rejeter cette demande, l'arrêt, qui prononce la résiliation du contrat de travail, retient que les créances dont M. Y... poursuit le paiement, nées de la poursuite d'activité de M. X... après sa liquidation judiciaire, ou de la résiliation du contrat postérieurement à la liquidation judiciaire, ne sont pas nées régulièrement après le jugement d'ouverture au sens de l'ancien article L. 621-32 du code de commerce, qu'elles se trouvent par conséquent hors procédure et que leur montant ne peut pas être fixé dans le cadre de la procédure collective ;

Qu'en statuant ainsi alors d'une part qu'en cas de liquidation judiciaire de l'employeur, le contrat de travail du salarié se poursuit de plein droit tant que le liquidateur ne l'a pas rompu, et que, sauf en cas de fraude, est opposable à la procédure collective la créance du salarié née de la poursuite illicite de l'activité, sans que puissent lui être opposés l'usage irrégulier de ses pouvoirs par le débiteur et la méconnaissance de son dessaisissement, et alors, d'autre part, que l'article L. 621-32 du code de commerce, alors applicable, ne concernait que les modalités de paiement des créances et non les conditions de leur admission au passif salarial, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 octobre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

  • Faits
    • Une société fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire
    • Alors que la procédure de liquidation est engagée, l’entreprise continue d’employer un salarié alors qu’aucune décision en ce sens n’ayant été prise par le liquidateur
  • Demande
    • Après avoir eu connaissance de la procédure de liquidation, le salarié saisit la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir le paiement d’une indemnité de rupture de son contrat de travail et un rappel de salaire.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 10 octobre 2007 la Cour d’appel de Montpellier déboute le salarié de sa demande
    • Les juges du fond estiment que la créance invoquée par le salarié est née irrégulièrement, de sorte qu’il ne saurait se prévaloir du privilège consenti aux créanciers postérieurs
    • Pour la Cour d’appel, il s’agit donc d’une créance hors procédure, de sorte que le salarié ne peut, ni déclarer sa créance, ni en demander le paiement à l’échéance.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 juillet 2010, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article L. 621-32 du Code de commerce
    • La chambre sociale considère :
      • D’une part, qu’« en cas de liquidation judiciaire de l’employeur, le contrat de travail du salarié se poursuit de plein droit tant que le liquidateur ne l’a pas rompu, et que, sauf en cas de fraude, est opposable à la procédure collective la créance du salarié née de la poursuite illicite de l’activité, sans que puissent lui être opposés l’usage irrégulier de ses pouvoirs par le débiteur et la méconnaissance de son dessaisissement»
      • D’autre part, « que l’article L. 621-32 du code de commerce, alors applicable, ne concernait que les modalités de paiement des créances et non les conditions de leur admission au passif salarial»
    • Autrement dit, pour la haute juridiction, le salarié était parfaitement fondé à réclamer le paiement à échéance de sa créance.
    • Elle justifie sa solution en avançant deux arguments :
      • Premier argument
        • En cas de liquidation judiciaire, le contrat de travail du salarié se poursuivrait de plein droit
        • L’article L. 622-17, VI prévoit en ce sens que les contrats de travail échappent au pouvoir discrétionnaire de l’administrateur concernant la poursuite ou non des contrats en cours.
      • Second argument
        • La créance du salarié, même irrégulière, est opposable à la procédure collective car
          • D’une part, la violation en l’espèce des règles du dessaisissement du débiteur fautif n’est pas imputable au salarié
          • D’autre part, la créance invoquée par le salarié serait parfaitement régulière au regard de l’article L. 621-32 du Code de commerce applicable à la procédure de liquidation judiciaire puisque le contrat de travail n’a pas été rompu par le liquidateur.
  • Analyse
    • De toute évidence, la Cour de cassation se livre ici à une interprétation audacieuse de l’article L. 621-32.
    • En l’espèce, il y avait clairement un dépassement de pouvoir de la part du débiteur
    • Techniquement, la créance était donc bien irrégulière.
    • Aussi, en affirmant que la violation des règles de dessaisissement par le débiteur n’était pas imputable au salarié, la Cour de cassation ajouter une condition au texte.
    • L’article L. 621-32 ne prévoit nulle part qu’une créance peut être considérée comme régulière si le dépassement de pouvoir du débiteur ou de l’administrateur n’est pas imputable au créancier.
    • Lorsque, en outre, la chambre sociale ajoute que l’article L. 621-32 du Code ne concerne que les modalités de paiement des créances et non les conditions de leur admission, cette affirmation est, là encore, très critiquable.
    • Lorsque, en effet, cette disposition énonce qu’une créance doit être née régulièrement pour être opposable à la procédure et bénéficier d’un privilège de traitement, que fait-elle sinon poser une condition d’admission des créances ?
    • Ce ne sont pas des modalités de paiement dont il était question dans l’arrêt en l’espèce, mais bien de déterminer le bien-fondé du paiement d’une créance née postérieurement au jugement d’ouverture.

B) Les créances extracontractuelles

Dans la mesure où, par définition, les créances délictuelles et quasi-délictuelles naissent de faits illicites, elles ne devraient, en toute logique, jamais pouvoir être considérées comme nées régulièrement.

Animée par un souci de protection du créancier et, plus encore, d’indemnisation des victimes de dommages causés par le débiteur, la jurisprudence a admis que ces créances puissent être admises au rang des créances privilégiées.

Dans un arrêt remarqué du 13 octobre 1998, la Cour de cassation a que la nature délictuelle d’une créance ne faisait pas obstacle à ce qu’elle puisse être née régulièrement « après le jugement d’ouverture de la procédure collective, c’est-à-dire conformément aux règles gouvernant les pouvoirs du débiteur ou, le cas échéant, de l’administrateur ».

Cass. com. 13 oct. 1998
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Attendu, selon l'arrêt déféré, que M. Michel Z... a été assigné, le 6 mai 1992, en contrefaçon et paiement de dommages-intérêts par M. Edouard Z... ; que sur l'assignation en intervention forcée délivrée à M. X..., liquidateur judiciaire de M. Michel Z... désigné par un jugement du 22 mai 1986, la cour d'appel a dit que la condamnation en paiement de dommages-intérêts portée contre M. Michel Z..., l'est contre M. Y..., son liquidateur judiciaire ;

Sur la fin de non-recevoir relevée par la défense : (sans intérêt) ;

Et sur le moyen :

Vu l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que pour statuer comme il a fait, l'arrêt retient que la créance délictuelle de M. Edouard Z... à l'encontre de M. Michel Z... est née postérieurement au jugement d'ouverture et entre ainsi dans les prévisions de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 de sorte que M. Michel Z... étant dessaisi de ses biens par l'effet du jugement de liquidation judiciaire, la condamnation devra être prononcée contre M. Y..., ès qualités ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la créance était née régulièrement après le jugement d'ouverture de la procédure collective, c'est-à-dire conformément aux règles gouvernant les pouvoirs du débiteur ou, le cas échéant, de l'administrateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la condamnation pécuniaire portée par le jugement contre M. Michel Z... l'est contre M. Y..., liquidateur judiciaire de ce dernier, et en ce qu'il a condamné M. Michel Z... sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 septembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

III) L’exigence d’utilité de la créance

Pour être qualifié de créance privilégiée, l’article L. 622-17, I du Code de commerce exige que la créance soit née « pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période ».

Cette exigence a été introduite par la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, complétée ensuite par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008.

L’objectif poursuivi par le législateur était de réduire le nombre des créances susceptibles de faire l’objet d’un paiement à échéance, les critères de postériorité et de régularité ayant été jugés insuffisamment sélectifs.

Cette restriction a notamment été suggérée par la Cour de cassation en 2002 dans son rapport annuel.

Selon elle, la priorité conférée à l’ensemble des créances postérieures au jugement d’ouverture était « de nature à rendre plus difficile le redressement de l’entreprise si trop de créanciers peuvent en profiter. Il paraît excessif que la créance fasse ainsi l’objet d’un paiement prioritaire du seul fait qu’elle est née après le jugement d’ouverture ; il serait plus favorable au redressement des entreprises que seules les créances nécessaires à la poursuite de l’activité après le jugement d’ouverture bénéficient d’un tel traitement de faveur ».

Fort de cette invitation à durcir les critères d’admission des créances privilégiées, le législateur en a créé un nouveau : le critère d’utilité.

Afin de déterminer ce que l’on doit entendre par ce nouveau critère il convient d’envisager d’abord la notion d’utilité après quoi nous aborderons l’appréciation de cette notion. Nous nous intéresserons, enfin, aux difficultés d’application qu’elle soulève.

A) La notion d’utilité de la créance

Pour être considérée comme utile au sens de l’article L. 622-17, I la créance doit être née :

  • Soit pour les besoins de la procédure en tant que telle
  • Soit pour les besoins de l’activité de l’entreprise

==> Les créances nées pour les besoins de la procédure

L’article L. 622-17, I du Code de commerce vise ici :

  • Les créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure
    • Il s’agit essentiellement des frais de justice, des honoraires de l’administrateur, du mandataire, des avocats, des huissiers des commissaires-priseurs ou encore des frais d’expertise.
  • Les créances nées pour les besoins de la période d’observation
    • Il s’agit de tous les frais engagés par le débiteur nécessaires à la poursuite de l’activité de l’entreprise, notamment ceux engendrés par la continuation des contrats en cours.

==> Les créances nées pour les besoins de l’activité de l’entreprise

En premier lieu, il peut être observé que cette seconde catégorie de créances privilégiées tend à prendre en compte les cas dans lesquels, par exemple, une commande aurait été passée par le débiteur, donnant lieu à une prestation, mais que le mandataire judiciaire ou l’administrateur ne considérerait pas comme correspondant aux besoins de la procédure ou de la période d’observation.

Il n’y aurait là aucune justification à priver de telles créances d’un paiement prioritaire. D’où sa prise en compte par le législateur.

En second lieu, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008, l’article L. 622-17, I du Code de commerce prévoyait que, étaient éligibles au statut des créances privilégiées, les créances nées « en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période, sont payées à leur échéance ».

Cette disposition vise désormais les créances nées « en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. »

La précision « pour son activité professionnelle » a ainsi été supprimée de la version initiale du texte.

Cette suppression procède d’une volonté du législateur de ne pas limiter le bénéfice du privilège de priorité aux seules créances nées pour les pour besoins de l’activité professionnelles du débiteur.

Des créances nées en contrepartie d’une prestation étrangère à son activité professionnelle pourraient, en conséquence, être qualifiées de créances privilégiées.

Pour ce faire, elles n’en devront pas moins satisfaire à trois conditions cumulatives :

  • Une créance qui correspond à une prestation
    • Par prestation, il faut entendre la fourniture d’un bien ou d’un service.
    • Cette terminologie a été intégrée dans le Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, de sorte qu’elle ne soulève dès lors plus de difficulté
  • Une créance née en contrepartie de la prestation
    • La créance doit consister en la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur.
    • La fourniture de cette prestation doit avoir été utile
      • Soit à la procédure
      • Soit au maintien de l’activité de l’entreprise
    • En revanche, il est indifférent que le contrat à l’origine de la créance n’ait fait l’objet d’aucune décision de continuation dès lors qu’elle est née régulièrement.
  • Une créance née pendant la période d’observation
    • La créance ne peut accéder au rang de créance privilégiée que si elle est née pendant la période d’observation
    • Dès lors que la créance naît en dehors de cette période, quand bien même elle serait utile à la procédure où à la poursuite de l’activité, elle ne pourra pas bénéficier du privilège de priorité.
    • C’est là une exigence formelle posée par le texte.

B) L’appréciation de l’utilité de la créance

Une question a agité la doctrine : l’utilité de la créance doit-elle être appréciée en considération de l’acte qui en est à l’origine, ou au regard du bénéfice que le débiteur en retire ?

Les auteurs optent majoritairement pour la première option. Pour déterminer si créance utile pour la procédure ou pour le maintien de l’activité, il convient de se rapporter à son fait générateur.

Seules les circonstances de sa naissance sont à même de renseigner le juge sur l’opportunité de la décision prise par le débiteur.

Au fond, la question qui se pose est de savoir si l’acte d’où résulte la créance a été accompli dans l’intérêt de la procédure ou de l’entreprise.

C) Les difficultés d’application du critère

Les difficultés d’application du critère d’application du critère d’utilité concernent en particulier les créances fiscales et sociales.

Peut-on considérer que de telles créances présentent une utilité pour la procédure dans la mesure où elles conduisent, par nature, à aggraver la situation du débiteur ?

Dans un arrêt du 15 juin 2011, la Cour de cassation a admis qu’une créance dont se prévalait le RSI puisse bénéficier du statut de créance privilégiée.

Cass. com. 15 juin 2011
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 622-17 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse nationale du régime social des indépendants Participations extérieures (la caisse) a fait signifier à la société ARDDI (la société) le 6 octobre 2008 une contrainte datée du 12 août 2008, portant sur la contribution sociale de solidarité et des sociétés et la contribution additionnelle 2007 assises sur le chiffre d'affaires de l'année 2006 ; que la société, qui a été mise en redressement judiciaire le 20 octobre 2006, a fait opposition à cette contrainte le 7 octobre 2008 ;

Attendu que pour annuler cette contrainte, l'arrêt retient que si la créance est bien une créance dont le fait générateur est intervenu postérieurement au jugement ouvrant la procédure collective, elle ne peut être considérée comme une créance née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité professionnelle pendant cette période, ni comme une créance répondant aux besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, et qu'elle aurait dû faire l'objet d'une déclaration conformément à l'article L. 622-24, alinéa 5, du code de commerce ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la contribution sociale de solidarité et la contribution additionnelle constituent pour les sociétés assujetties une obligation légale prévue par les articles L. 651-1 et L. 245-13 du code de la sécurité sociale et que les créances en résultant, qui sont inhérentes à l'activité de la société, entrent dans les prévisions de l'article L. 622-17 du code de commerce pour l'activité poursuivie postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;

  • Faits
    • Le RSI délivre une contrainte à une société en raison de cotisations sociales impayées en date du 6 octobre 2008
    • Depuis deux ans, la société faisait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire
  • Demande
    • Le débiteur revendique l’inopposabilité de la contrainte qui lui a été notifiée
  • Procédure
    • Par un arrêt du 6 avril 2010, la Cour d’appel de Nîmes accède à la requête du débiteur
    • Les juges du fond estiment la créance dont est porteuse la contrainte est certes postérieure à l’ouverture de la procédure collective
    • Toutefois, elle ne remplit pas les critères d’une créance prioritaire dans la mesure où :
      • D’une part, elle ne constitue pas la contrepartie d’une prestation fournie par le débiteur
      • D’autre part, elle n’est pas née pour les besoins de la procédure collective
    • La Cour d’appel en conclut que cette créance aurait dû faire l’objet d’une déclaration, ce qui n’a pas été fait.
    • La créance du RSI serait donc éteinte
  • Solution
    • Par un arrêt du 15 juin 2011, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • La Cour de cassation considère que la « contribution sociale de solidarité et la contribution additionnelle constituent pour les sociétés assujetties une obligation légale prévue par les articles L. 651-1 et L. 245-13 du code de la sécurité sociale et que les créances en résultant, qui sont inhérentes à l’activité de la société, entrent dans les prévisions de l’article L. 622-17 du code de commerce pour l’activité poursuivie postérieurement à l’ouverture de la procédure collective»
    • Autrement dit, la créance dont se prévaut le RSI répondrait, en tous points, aux critères d’éligibilité du privilège de priorité
  • Analyse
    • La solution dégagée par la Cour de cassation est, en l’espèce, parfaitement conforme à la lettre et à l’esprit de la loi.
    • Dans la mesure où le paiement des cotisations sociales est une obligation légale, il est absolument nécessaire que l’entreprise, quelle que soit sa situation, satisfasse à cette obligation à défaut de quoi elle s’expose à aggraver automatiquement son passif.
    • Rien ne justifie, en conséquence, que la créance de RSI ne puisse pas être qualifiée de créance privilégiée.

Ainsi, lorsqu’une créance résulte d’une obligation légale à laquelle est subordonné l’exercice de l’activité de l’entreprise, elle est parfaitement éligible au rang des créances privilégiées.

Ouverture d’une procédure collective: le principe d’interdiction des paiements

Aux termes de l’article L. 620-1 du Code de commerce, la procédure de sauvegarde « est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. »

De toute évidence, il serait illusoire de vouloir atteindre ce triple objectif si aucun répit n’était consenti à l’entreprise pendant sa période de restructuration.

C’est la raison pour laquelle un certain nombre de règles ont été édictées afin d’instaurer une certaine discipline collective à laquelle doivent se conformer les créanciers.

Ces règles visent ainsi à assurer un savant équilibre entre, d’une part, la nécessité de maintenir l’égalité entre les créanciers et, d’autre part, éviter que des biens essentiels à l’activité de l’entreprise soient prématurément distraits du patrimoine du débiteur.

Parmi les principes de discipline collective posés par le législateur on compte notamment :

  • L’interdiction des paiements pour les créances nées avant le jugement d’ouverture
  • L’arrêt des poursuites individuelles contre le débiteur et ses coobligés
  • L’arrêt du cours des intérêts pour créances résultant de prêts conclus pour une durée de moins d’un an.
  • Interdiction d’inscriptions de sûretés postérieurement au jugement d’ouverture

La combinaison de ces quatre principes aboutit à un gel du passif de l’entreprise qui donc est momentanément soustrait à l’emprise des créanciers.

Focalisons-nous sur le premier d’entre eux: le principe d’interdiction des paiements.

Aux termes de l’article L. 622-7, I du Code de commerce « le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception du paiement par compensation de créances connexes. Il emporte également, de plein droit, interdiction de payer toute créance née après le jugement d’ouverture, non mentionnée au I de l’article L. 622-17. Ces interdictions ne sont pas applicables au paiement des créances alimentaires. »

Ainsi, cette disposition érige-t-elle en principe l’interdiction pour le débiteur de payer ses créanciers, en particulier ceux dont la créance est née antérieurement à l’ouverture de la procédure collective.

Pour rappel, l’article 1342, al. 1er du Code civil définit le paiement comme « l’exécution volontaire de la prestation due ». Il a pour effet de libérer le débiteur à l’égard du créancier et d’éteindre la dette.

Le paiement constitue le principal mode d’extinction des obligations.

Parmi les autres causes de satisfaction du créancier on compte également la compensation dont on s’est longtemps demandé si elle devait être envisagée de la même manière que le paiement s’agissant des créances nées antérieurement au jugement d’ouverture.

Le législateur a clos le débat lors de l’adoption de la loi du 26 juillet 2005. Le mécanisme de la compensation a été rangé dans la catégorie des exceptions dont est assorti le principe d’interdiction des paiements.

I) Le domaine du principe d’interdiction des paiements

Il ressort de l’article L. 622-7 du Code de commerce que le champ d’application du principe d’interdiction des paiements est relativement étendu.

L’application de ce principe est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives qui tiennent :

  • D’une part, à la date de naissance de la créance
  • D’autre part, à l’auteur du paiement

A) La condition tenant à la date de naissance de la créance

Deux catégories de créances doivent être distinguées

  • Les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture
  • Les créances nées postérieurement au jugement d’ouverture
  1. Les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture

Toutes les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture tombent, par principe, sous le coup de l’interdiction des paiements.

Dans ces conditions, la détermination de la date de naissance de la créance présente un intérêt essentiel.

Dès lors que la créance est née postérieurement au jugement d’ouverture, elle échappe au principe d’interdiction des paiements.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par créance antérieure ?

Si l’on est légitimement en droit de penser qu’une créance peut être qualifiée d’antérieure dès lors que son fait générateur se produit avant le prononcé du jugement d’ouverture, plusieurs difficultés sont nées :

  • tantôt quant à l’opportunité de retenir comme critère de la créance antérieure son fait générateur
  • tantôt quant à la détermination du fait générateur de la créance en lui-même

a) Sur l’opportunité de retenir le fait générateur comme critère de la créance antérieure

Si, en première intention, l’on voit mal pourquoi le fait générateur d’une créance ne pourrait-il pas être retenu pour déterminer si elle est ou non antérieure au jugement d’ouverture, une difficulté est née de l’interprétation de l’ancien article L. 621-43 du Code de commerce.

Cette disposition prévoyait, en effet, que « à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au représentant des créanciers. »

Seules les créances « ayant une origine antérieure au jugement d’ouverture » étaient donc soumises au régime de la déclaration.

La formule choisie par le législateur n’était pas dénuée d’ambiguïté : fallait-il prendre pour date de référence, afin de déterminer l’antériorité d’une créance, sa date de naissance ou sa date d’exigibilité ?

Cette question s’est en particulier posée pour les créances nées antérieurement au jugement d’ouverture mais dont l’exigibilité intervenait postérieurement.

Le contentieux relatif aux créances à déclarer selon leur date de naissance a été très important.

L’enjeu était, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde du 27 juillet 2005, de savoir si le créancier pouvait ou non se faire payer à échéance.

L’arrêt rendu en date du 20 février 1990 par la Cour de cassation est une illustration topique de cette problématique.

Cass. com. 20 févr. 1990
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Service agricole industriel du Clairacais (la société) a été mise en redressement judiciaire le 17 juin 1986, puis en liquidation judiciaire le 15 juillet 1986 et que le personnel a été licencié le 8 août 1986, avec dispense d'accomplir le préavis légal ; que l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales du Lot-et-Garonne (l'URSSAF) n'a été inscrite sur la liste des créances bénéficiant des dispositions de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 que pour les cotisations afférentes aux salaires de la période postérieure à l'ouverture de la procédure collective ; que la contestation par elle formée en vue d'obtenir son admission sur la liste précitée pour les cotisations relatives aux salaires de la période du 1er mai au 17 juin 1986, ainsi qu'aux indemnités de congés payés et de préavis consécutives aux licenciements, a été rejetée par le tribunal, dont la cour d'appel a infirmé la décision ;.

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'avoir accueilli la demande de l'URSSAF en ce qui concerne les cotisations sur les indemnités de congés payés et de préavis, alors, selon le pourvoi, qu'en application de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, le paiement prioritaire des créances nées après le jugement d'ouverture ne peut être obtenu pour des créances nées après le jugement de liquidation ; qu'en déclarant prioritaires des créances sociales afférentes aux indemnités de rupture, la cour d'appel, qui a relevé que les licenciements, fait générateur de la créance, étaient postérieurs au jugement d'ouverture, mais n'a pas constaté qu'ils étaient antérieurs au jugement de liquidation, a violé par fausse application la disposition susvisée ;

Mais attendu que l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 étant applicable aux créances nées régulièrement après l'ouverture du redressement judiciaire, c'est à bon droit que la cour d'appel a considéré que devait bénéficier des dispositions de ce texte la créance de cotisations de l'URSSAF relative aux indemnités de congés payés et de préavis consécutives aux licenciements opérés après le prononcé de la liquidation judiciaire ; que le moyen est donc sans fondement ;

Mais sur la première branche du moyen :

Vu les articles 40 et 47, premier alinéa, de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que, pour accueillir la demande de l'URSSAF relative aux cotisations sur les salaires de la période du 1er mai au 17 juin 1986, l'arrêt retient que ces salaires ont été versés après l'ouverture du redressement judiciaire, en sorte que la créance de l'URSSAF, qui n'a pris naissance que lors du versement ainsi effectué, bénéficie de la priorité de paiement prévue à l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu qu'en se prononçant ainsi, alors qu'elle constatait que les cotisations dont le paiement était poursuivi se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure au jugement d'ouverture du redressement judiciaire, ce dont il résultait que la créance de l'URSSAF avait son origine antérieurement à ce jugement, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a accueilli la demande de l'URSSAF relative aux cotisations sur les salaires de la période du 1er mai au 17 juin 1986, l'arrêt rendu le 16 juin 1988, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse

  • Faits
    • Une société est placée en liquidation judiciaire
    • son personnel est licencié
    • L’URASSAF est éligible au rang de créancier privilégié seulement pour les créances postérieures au jugement d’ouverture
  • Demande
    • L’URSAFF demande à ce que l’ensemble de ces créances soient admises au rang de créances privilégiées
  • Procédure
    • Par un arrêt du 16 juin 1988, la Cour d’appel d’Agen fait droit à la demande de l’URSAFF
    • Les juges du fond estiment que dans la mesure où les salaires sur lesquels portent les cotisations impayées ont été versés postérieurement à l’ouverture de la procédure, ils n’endossent pas la qualification de créance antérieure.
  • Solution
    • Par un arrêt du 20 février 1990, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • Elle reproche à la Cour d’appel d’avoir accédé à la demande de l’URSAFF en qualifiant la créance invoquée de postérieure « alors qu’elle constatait que les cotisations dont le paiement était poursuivi se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, ce dont il résultait que la créance de l’URSSAF avait son origine antérieurement à ce jugement»
    • Les créances dont se prévalait l’URSAFF devaient donc être soumises au régime juridique, non pas des créances postérieures, mais à celui des créances antérieures.
    • S’agissant des autres créances invoquées par l’organisme social, lesquels portaient sur des salaires perçus postérieurement au jugement d’ouverture, la chambre commerciale estime à l’inverse que « l’article 40 de la loi du 25 janvier 1985 étant applicable aux créances nées régulièrement après l’ouverture du redressement judiciaire, c’est à bon droit que la cour d’appel a considéré que devait bénéficier des dispositions de ce texte la créance de cotisations de l’URSSAF relative aux indemnités de congés payés et de préavis consécutives aux licenciements opérés après le prononcé de la liquidation judiciaire»
  • Analyse
    • Cette solution adoptée par la Cour de cassation intervient à la suite d’un long débat portant sur le régime juridique des créances de sécurité sociale
    • Très tôt s’est posée la question de la qualification des cotisations sociales qui se rattachaient à des salaires payés après le jugement d’ouverture mais se rapportant à une période de travail antérieure à ce jugement.
    • Deux conceptions s’opposaient sur cette question
      • Première conception
        • On considère que le régime juridique des créances de sécurité sociale est autonome et ne doit pas être influencé par les dispositions relatives au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises
        • Selon cette conception, les créances doivent donc être réglées à la date normale d’exigibilité dès lors qu’elles sont postérieures au jugement d’ouverture quand bien même les cotisations seraient calculées sur un salaire rémunérant une période d’emploi antérieure au jugement.
      • Seconde conception
        • On peut estimer, à l’inverse, que le fait générateur des cotisations sociales réside dans le travail fourni par le salarié et non le paiement des salaires, quand bien même leur versement constitue une condition de leur exigibilité.
        • Selon cette conception, les cotisations sociales doivent donc être regardées comme des créances antérieures.
    • De toute évidence, la Cour de cassation a opté dans l’arrêt en l’espèce pour la seconde conception.
    • Pour la chambre commerciale, le fait générateur du salaire c’est le travail effectué.
    • Or les cotisations sociales sont afférentes au salaire dû au salarié
    • Par conséquent, leur fait générateur c’est bien le travail du salarié et non la date d’exigibilité du salaire.
    • La Cour de cassation reproche ainsi à la Cour d’appel d’avoir confondu la naissance de la créance et son exigibilité.
    • C’est donc au jour du travail effectué qu’il faut remonter pour déterminer si l’on est en présence d’une créance antérieure ou postérieure au jugement d’ouverture.

Le critère de rattachement d’une créance à la catégorie des créances antérieure est donc celui de la date de sa naissance.

L’adoption de la date de naissance de la créance comme critère de rattachement à la catégorie des créances antérieure exclut dès lors tout rôle que pourrait jouer la date d’exigibilité de la créance dans ce rattachement.

La date d’exigibilité n’est que celle à laquelle le créancier peut prétendre au paiement.

Elle est, par conséquent, naturellement distincte de la date de naissance qui, en principe, interviendra antérieurement.

Tandis que la date de naissance de la créance se rapporte à sa création, sa date d’exigibilité se rapporte quant à elle à son exécution.

Le débat est définitivement clos depuis l’adoption de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 qui a remplacé la formule « ayant une origine antérieure au jugement d’ouverture » par l’expression « est née » qui apparaît plus précise.

C’est donc le fait générateur de la créance dont il doit être tenu compte et non la date d’exigibilité afin de savoir si une créance est soumise au régime de la déclaration ou si, au contraire, elle peut faire l’objet d’un paiement à l’échéance.

b) Sur la détermination du fait générateur de la créance en lui-même

La détermination du fait générateur d’une créance n’est pas toujours simple.

Pour ce faire, il convient de distinguer les créances contractuelles des créances extracontractuelles.

?) Les créances extracontractuelles

L’antériorité d’une créance extracontractuelle au jugement d’ouverture n’est pas toujours aisée à déterminer.

La détermination de la date de naissance de cette catégorie de créances soulève parfois, en effet, des difficultés.

Bien que la jurisprudence soit guidée, le plus souvent, par une même logique, on ne saurait se livrer à une systématisation des critères adoptés.

Aussi, est-ce au cas par cas qu’il convient de raisonner en ce domaine, étant précisé que les principales difficultés se sont concentrées sur certaines créances en particulier :

==> Les créances de condamnation

Deux sortes de créances doivent être ici distinguées : la créance principale de condamnation et les créances accessoires à la condamnation

  • La créance principale de condamnation
    • Il s’agit de la créance qui a pour effet générateur l’événement à l’origine du litige.
    • La créance de réparation naît, par exemple, au jour de la survenance du dommage.
    • Si donc le dommage survient antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure, quand bien même la décision de condamnation serait rendue postérieurement, la créance de réparation endossera la qualification de créance antérieure (V. en ce sens com., 9 mai 1995; Cass. com., 4 oct. 2005, n° 03-19.367)
  • Les créances accessoires à la condamnation
    • Son notamment ici visées les créances de dépens et d’article 700
    • La particularité de ces créances est qu’elles sont attachées, moins au fait générateur du litige, qu’à la décision de condamnation
    • Aussi, toute la difficulté est de déterminer la date de naissance de cette catégorie singulière de créances
    • La jurisprudence a connu une évolution sur ce point :
    • Première étape
      • Dans un premier temps, la Cour de cassation a estimé que, en raison du caractère accessoire des créances de dépens ou d’article 700, leur qualification dépendait de la date de naissance de la créance principale de condamnation.
      • Telle a été la solution retenue par la chambre commerciale dans un arrêt du 24 novembre 1998
      • Faits
        • Un groupement agricole a subi un préjudice suite à la pollution d’une rivière par une société qui, par suite, fera l’objet d’une procédure de redressement judiciaire
        • Cette société est déclarée responsable du préjudice causé au groupement agricole
        • Elle est notamment condamnée aux dépens et à l’article 700 (frais irrépétibles)
      • Demande
        • Le groupement agricole demande à l’administrateur que les dépens de première instance et d’appel ainsi que la somme due au titre de l’article 700 soient admis au rang des créances postérieures
      • Procédure
        • Par un arrêt du 21 juin 1994, la Cour d’appel de Rennes déboute l’administrateur de sa demande
        • Pour les juges du fond, il n’y a pas lieu de distinguer selon que les dépens et l’article 700 ont été octroyés avant ou après l’ouverture de la procédure, dans la mesure où leur fait générateur se situe antérieurement au jugement d’ouverture, soit au moment où l’action a été introduite par le groupement
      • Moyens
        • L’auteur du pourvoi soutient que la créance de dépens et d’article 700 est née postérieurement à l’ouverture de la procédure soit au moment du prononcé du jugement dans lequel ils sont octroyés au groupement agricole.
        • Or le jugement a bien été prononcé postérieurement à l’ouverture de la procédure
      • Solution
        • Par un arrêt du 24 novembre 1998, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le créancier
        • Elle estime que « la créance de dépens et les sommes allouées au GAEC en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ont, comme la créance principale elle-même, leur origine antérieurement au jugement d’ouverture dès lors qu’elles sont nées de l’action engagée avant ce jugement et poursuivie après lui contre la SET et les organes de la procédure collective en vue de faire constater cette créance principale et d’en fixer le montant»
        • Autrement dit, pour la chambre commerciale, la qualification de la créance de dépens et d’article 700 est adossée à celle de la créance principale.
        • Si cette dernière naît avant le jugement d’ouverture, les créances de dépens et de frais irrépétibles sont soumises au régime des créances antérieures.
        • Dans le cas contraire, elles endossent la qualification de créances postérieures.

Cass. Com. 24 nov. 1998
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu, selon l'arrêt déféré (Rennes, 22 juin 1994) et les productions, que le groupement agricole d'exploitation en commun de la Morinais (le GAEC), qui a subi des dommages à la suite de la pollution d'une rivière, a engagé diverses procédures en vue de rechercher la responsabilité de la société Entreprise redonnaise de réparations électriques (société ERRE) et d'obtenir réparation de son préjudice ; qu'après la mise en redressement judiciaire de la société ERRE devenue la Société européenne de transformateurs (la SET), le Tribunal, qui a constaté l'intervention volontaire de l'administrateur du redressement judiciaire de la SET et du représentant de ses créanciers, a déclaré cette société et son dirigeant, M. X..., pris à titre personnel, responsables du préjudice subi par le GAEC, a fixé la créance de ce dernier à l'égard de la SET, a fixé à 10 000 francs la somme due au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et a dit que les dépens seront supportés in solidum par la SET et M. X... ; que la cour d'appel, statuant sur le recours formé contre ce jugement, l'a confirmé en toutes ses dispositions et, y ajoutant, a dit que les dépens d'appel seront supportés in solidum par l'administrateur du redressement judiciaire de la SET et M. X... ; que le GAEC a demandé que les dépens de première instance et d'appel ainsi que la somme due au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile lui soient payés par l'administrateur du redressement judiciaire de la SET en application de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que le GAEC reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les créances de dépens et celles résultant de la mise en oeuvre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile nées régulièrement après le jugement d'ouverture au sens de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 bénéficient du régime instauré par ledit article, spécialement lorsque le ou les instances en cause ont été reprises par l'administrateur de la procédure collective ; que tel était le cas en l'espèce, ainsi que le GAEC, appelant, le faisait valoir dans ses écritures circonstanciées ; qu'en refusant de dire et juger que les frais de dépens litigieux bénéficieraient du privilège de l'article 40 précité, au motif qu'il n'y a pas lieu de distinguer les frais engagés postérieurement au jugement d'ouverture pouvant bénéficier du rang des dettes de l'article 40 et des autres, en sorte que l'ensemble des frais engagés pour parvenir à rendre la décision définitive est à inclure dans la déclaration de créance à inscrire au passif, excepté les frais engagés par les mandataires judiciaires depuis leur nomination, la cour d'appel a statué sur le fondement de motifs erronés et a ainsi violé, par refus d'application, l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, d'autre part, que la cour d'appel devait, à tout le moins, faire le départ entre les frais et dépens visés antérieurement et ceux visés postérieurement au jugement déclaratif, les organes de la procédure collective ayant repris à leur compte la procédure pendante devant le tribunal de grande instance, puis la cour d'appel, pour se prononcer pertinemment sur ceux susceptibles de bénéficier du régime de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ; qu'en refusant de procéder de la sorte, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article précité ;

Mais attendu que la créance de dépens et les sommes allouées au GAEC en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ont, comme la créance principale elle-même, leur origine antérieurement au jugement d'ouverture dès lors qu'elles sont nées de l'action engagée avant ce jugement et poursuivie après lui contre la SET et les organes de la procédure collective en vue de faire constater cette créance principale et d'en fixer le montant ; qu'ainsi la cour d'appel, qui a exactement énoncé qu'il n'y avait pas lieu de distinguer selon que les frais avaient été engagés avant ou après le jugement d'ouverture, n'a pas violé l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, inapplicable en la cause ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

    • Seconde étape
      • Dans un arrêt remarqué du 12 juin 2002, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en considérant que « la créance des dépens et des frais résultant de l’application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, mis à la charge du débiteur, trouve son origine dans la décision qui statue sur ces dépens et frais et entrent dans les prévisions de l’article L. 621-32 du Code de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective»
      • Ainsi, pour la chambre commerciale, la qualification des créances de dépens et d’article 700 ne doit plus être déterminée en considération de la date de naissance de la créance de condamnation principale
      • Les créances accessoires à la condamnation doivent, en toute hypothèse, échapper à la qualification de créances antérieures, dès lors que la décision de condamnation est rendue postérieurement au jugement d’ouverture.
      • Dans un arrêt du 7 octobre 2009, la Cour de cassation a confirmé cette solution en précisant que « la créance de dépens et des frais résultant de l’application de l’article 700 du code de procédure civile mise à la charge du débiteur trouve son origine dans la décision qui statue sur ces frais et dépens et entre dans les prévisions de l’article L. 622 17 du code de commerce (ancien article L. 621 32), lorsque cette décision est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective» ( com. 7 oct. 2009)

Cass. com. 12 juin 2002
Attendu, selon l'arrêt déféré (Colmar, 14 décembre 1999), que la société Schwind (la société) ayant été mise en redressement judiciaire le 4 juin 1996, l'URSSAF du Bas-Rhin a déclaré une créance qui a été contestée ;

Et sur les deuxième et troisième moyens réunis :

Attendu que la société reproche à l'arrêt, qui l'a condamnée à payer à l'URSAFF une somme de 3 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens, d'avoir dit que cette indemnité et les dépens de l'URSSAF seraient employés en frais privilégiés de procédure collective, alors, selon le moyen, que les créances de dépens obtenues à l'issue d'une action tendant à faire admettre une créance antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, sont des créances antérieures car elles se rattachent à la créance contestée par l'action, de sorte qu'elles peuvent seulement être admises au passif du débiteur et à la condition qu'elles aient fait l'objet d'une déclaration régulière ; qu'en condamnant la procédure collective à payer les dépens, la cour d'appel a violé les articles 47 et 50 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que la créance des dépens et des frais résultant de l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, mis à la charge du débiteur, trouve son origine dans la décision qui statue sur ces dépens et frais et entrent dans les prévisions de l'article L. 621-32 du Code de commerce lorsque cette décision est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective ; que le moyen n'est pas fondé ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi.

==> Les créances sociales

La qualification des créances sociales a fait l’objet d’un abondant contentieux, notamment en ce qui concerne la détermination du fait générateur de l’indemnité de licenciement.

Dans un arrêt du 16 juin 2010, la chambre sociale a considéré que le fait générateur de l’indemnité de licenciement résidait, non pas dans la conclusion du contrat de travail, mais dans la décision de licenciement.

Cass. soc. 16 juin 2010
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juin 2008), que M. X..., employé par la société Cider santé (la société) a été licencié le 14 mai 2007 pour motif économique par le liquidateur, la société ayant fait l'objet d'une procédure de sauvegarde puis de liquidation judiciaire par jugements successifs du tribunal de commerce des 17 janvier et 2 mai 2007 ; que les sommes représentant les droits du salarié au jour de la rupture de son contrat de travail n'ayant été garanties par l'assurance générale des salaires qu'en partie, le salarié a saisi le juge de l'exécution, qui a autorisé par ordonnances du 16 juillet 2007 deux saisies conservatoires entre les mains des sociétés Repsco promotion et Codepharma ; que Mme Y..., liquidateur de la société, a assigné le 12 septembre 2007 M. X..., la société Repsco promotion et la société Codepharma, devant le juge de l'exécution aux fins d'obtenir la rétractation de ces deux ordonnances ;

Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt confirmatif de rejeter sa demande de mainlevée des saisies conservatoires pratiquées par M. X... entre les mains des sociétés Codepharma et Repso promotion alors, selon le moyen :

1°/ que l'article L. 641-13-I du code de commerce ne vise ni les créances nées pour les besoins de la procédure, ni les créances nées pour les besoins de la liquidation judiciaire parmi les créances assorties d'un privilège de procédure ; qu'en qualifiant l'indemnité due au salarié licencié postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire de son employeur de «créance née régulièrement pour les besoins de la procédure» pour affirmer que cette créance devait bénéficier d'un traitement préférentiel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que seules les créances nées pendant la poursuite provisoire de l'activité en liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période bénéficient d'un privilège de procédure ; que tel n'est pas le cas de l'indemnité due au salarié, licencié pour motif économique en raison du prononcé, sans poursuite d'activité, de la liquidation judiciaire de son employé ; qu'en élisant néanmoins une telle créance à un rang privilégié aux motifs erronés qu' «il n'y avait pas lieu de distinguer entre créance indemnitaire liée à la rupture du contrat de travail et créance de salaire lorsque ces créances sont nées après l'ouverture de la procédure collective», la cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 641-13-I du code de commerce ;

Mais attendu que relèvent notamment du privilège institué par l'article L. 641-13-I du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur au jour du licenciement, les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, pour les besoins du déroulement de la procédure ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a retenu que le licenciement de M. X... avait été prononcé par le liquidateur conformément à ses obligations dans le cadre de la procédure collective en cours, en a exactement déduit que les créances indemnitaires résultant de la rupture du contrat de travail étaient nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de cette procédure, et qu'en conséquence, elles relevaient de l'article L. 641-13-I du code de commerce, peu important que l'activité ait cessé immédiatement ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Faits
    • Un salarié est licencié pour motif économique par le liquidateur de la société qui l’employait.
    • Cette société faisait l’objet, au moment du licenciement, d’une procédure de liquidation judiciaire
    • Afin d’obtenir le paiement de ses indemnités, non garanties par l’AGS, le salarié demande au JEX l’autorisation de pratiquer deux saisies conservatoires sur les comptes de son ex-employeur
  • Demande
    • Le liquidateur de la société demande la rétractation des deux ordonnances autorisant la réalisation des saisies demandées par le salarié
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 juin 2008, la Cour d’appel de Versailles déboute le liquidateur de sa demande
    • Pour les juges du fond, dans la mesure où le licenciement a été prononcé dans le cadre de la procédure collective, soit postérieurement au jugement d’ouverture, la créance d’indemnité de licenciement pouvait être admise au rang des créances privilégiées.
  • Solution
    • Par un arrêt du 16 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le liquidateur
    • La chambre sociale considère que « relèvent notamment du privilège institué par l’article L. 641-13-I du code de commerce, dans sa rédaction en vigueur au jour du licenciement, les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, pour les besoins du déroulement de la procédure»
    • Or elle constate que le licenciement du salarié a été prononcé dans le cadre de la procédure collective en cours.
    • Il en résulte pour elle que « les créances indemnitaires résultant de la rupture du contrat de travail étaient nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de cette procédure, et qu’en conséquence, elles relevaient de l’article L. 641-13-I du code de commerce, peu important que l’activité ait cessé immédiatement ».
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, dès lors que les créances indemnitaires résultant de la rupture du contrat de travail étaient nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire pour les besoins du déroulement de cette procédure, elles échappaient à la qualification de créance antérieure, à la faveur du régime des créances privilégiées.

==> Les créances fiscales

Le fait générateur d’une créance fiscale est différent selon le type d’impôt auquel est assujetti le débiteur.

En toute hypothèse, la date qui est le plus souvent retenue pour déterminer si une créance fiscale endosse ou non la qualification de créance antérieure est le jour de son exigibilité.

  • S’agissant de l’impôt sur le revenu
    • La Cour de cassation a estimé que la date qui doit être prise en compte, ce n’est pas le jour de perception du revenu, mais l’expiration de l’année au cours de laquelle ces revenus ont été perçus.

Cass. com. 14 janv. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 janvier 2001), que par jugement du 21 juillet 1994, M. X... a été mis en liquidation judiciaire ; que le trésorier principal de Bagneux a décerné le 15 février 1996 à l'employeur de Mme X... un avis à tiers détenteur relatif à l'impôt sur les revenus de l'année 1994 des époux X..., dont ceux-ci ont demandé la mainlevée au juge de l'exécution ;

Et sur le moyen unique du pourvoi formé par Mme X..., pris en ses deux branches :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande d'annulation et de mainlevée de l'avis à tiers détenteur, alors, selon le moyen :

1 / qu'en estimant que la créance du trésorier principal de Bagneux au titre de l'impôt sur le revenu dû par les époux X... pour l'année 1994 était postérieure à l'ouverture de la procédure collective ouverte le 21 juin 1994 à l'encontre de M. X..., dès lors que les impositions n'avaient été mises en recouvrement que le 31 juillet 1995, sans rechercher si le Trésor public n'était pas tenu de déclarer à titre provisionnel sa créance au passif de la procédure collective, la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal au regard des articles 47 et 50 de la loi du 25 janvier 1985, devenus les articles L. 621-40 et L. 621-43 du Code du commerce ;

2 / que dans leurs conclusions signifiées le 2 février 2000, M. et Mme X... faisaient valoir que le dessaisissement de M. X... consécutif à la liquidation judiciaire de ses biens interdisait toute poursuite exercée sur les biens communs des époux, soit en l'occurrence sur les gains et salaires de Mme X... ; qu'en estimant que la procédure collective ouverte à l'égard de M. X... laissait subsister l'obligation distincte pesant sur son épouse, codébitrice solidaire de l'impôt sur le revenu, sans répondre aux conclusions des époux X... faisant valoir que les biens communs des époux ne pouvaient en toute hypothèse faire l'objet de poursuite, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que, le fait générateur de l'impôt sur les revenus résultant de l'expiration de l'année au cours de laquelle ces revenus ont été perçus, l'arrêt, répondant aux conclusions prétendument délaissées, retient exactement que la créance du Trésor public au titre de l'impôt sur les revenus perçus par les époux X... au cours de l'année 1994 était postérieure à l'ouverture, le 21 juin 1994, de la procédure collective de M. X... et que le comptable du Trésor chargé du recouvrement pouvait poursuivre individuellement le débiteur sur ses biens ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à se livrer à la recherche inopérante visée à la première branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE irrecevable le pourvoi formé par M. X... ;

REJETTE le pourvoi formé par Mme X... ;

  • S’agissant de l’impôt sur les sociétés
    • La Cour de cassation a statué dans le même sens, en considérant que « le fait générateur de l’impôt sur les sociétés et la taxe y afférente résulte, en application des articles 36, 38 et 209 du CGI, de la clôture de l’exercice comptable et non pas de la perception des impôts »

Cass. com., 16 déc. 2008
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 décembre 2007), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, 28 novembre 2006, pourvoi n° 05-13.708 ) que la société à responsabilité limitée Network music group (la société) a fait l'objet, le 20 août 1997, d'un jugement de redressement judiciaire, puis, le 5 mai 1998, d'un plan de continuation ; qu'à la suite de la mise en recouvrement, les 31 août et 30 novembre 1998, de l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 1997 et de la contribution de 10 % y afférente, le trésorier principal de Boulogne-Billancourt (le trésorier) a, en application des dispositions de l'article L. 621-32 du code de commerce, demandé à l'administrateur le règlement de cette créance fiscale due par la société ; que contestant le caractère privilégié de la créance du Trésor, la société a assigné le trésorier et le commissaire à l'exécution du plan ès qualités devant le tribunal de commerce, pour en obtenir le remboursement, motif pris de ce qu'elle était née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de remboursement de l'impôt sur les sociétés et de la contribution de 10 % y afférente, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en application des articles 1668 et 1668 B du code général des impôts et des articles 358 à 366 I de l'annexe III à ce code, dans leur rédaction alors en vigueur, l'impôt sur les sociétés et la contribution supplémentaire y afférente, dus au titre d'un exercice donné, lequel correspond à une période de 12 mois mais ne coïncide pas nécessairement avec l'année civile, sont réglés spontanément par le contribuable sous forme d'acomptes trimestriels et sans émission d'un avis d'imposition, au plus tard le 20 février, le 20 mai, le 20 août et le 20 novembre de cet exercice et ce, à compter de la date de clôture de l'exercice précédent; que le solde de cet impôt et de son complément doit lui-même être acquitté spontanément par le redevable en même temps qu'il souscrit sa déclaration de résultats de l'exercice considéré c'est-à-dire, dans les trois mois de la clôture de l'exercice ou si aucun exercice n'est clos au cours d'une année, avant le 1er avril de l'année suivante ; qu'en considérant que le fait générateur de l'impôt sur les sociétés résulte de l'expiration de l'année au cours de laquelle les bénéfices sont perçus, bien qu'il soit exigible trimestriellement dans les conditions susvisées et que la date de son fait générateur ne puisse être postérieure à sa date d'exigibilité, les juges d'appel ont purement et simplement violé les textes susvisés ;

2°/ que l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu ne sont pas dus et versés dans des conditions identiques ; que l'impôt sur les sociétés est payé spontanément, par voie d'acomptes, tandis que le paiement de l'impôt sur le revenu est précédé de l'émission d'un avis d'imposition ; que la circonstance que les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés soient déterminés dans les mêmes conditions que les bénéfices passibles de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux en application de l'article 209 du code général des impôts est sans incidence sur le fait générateur et les conditions d'exigibilité de l'impôt sur les sociétés qui demeurent différents de ceux de l'impôt sur le revenu ; qu'en assimilant les conditions dans lesquelles l'impôt sur les sociétés est dû avec celles de l'impôt sur le revenu sous prétexte que les modalités de calcul des bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés et des bénéfices passibles de l'impôt sur le revenu étaient identiques, les juges d'appel ont encore violé les dispositions des articles 12, 209, 1668 et 1668 B du code général des impôts et des articles 358 à 366 I de l'annexe III à ce code ;

3°/ que les acomptes d'impôt sur les sociétés dus au Trésor public antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et non acquittés, constituent des créances nées antérieurement à cette décision, qui ne peuvent donc être réglées postérieurement et doivent donner lieu à une déclaration du Trésor public en application de l'article L. 621-43 du code de commerce ; qu'en considérant que le fait générateur de l'impôt sur les sociétés est l'expiration de l'année et non la perception des bénéfices et qu'il n'y avait pas lieu de mettre à part les sommes nées de l'activité de la société antérieure à l'ouverture de la procédure collective, bien que l'impôt sur les sociétés soit exigible au cours de l'exercice de réalisation des bénéfices et doive être réglé spontanément par voie d'acomptes, les juges d'appel ont violé les articles L. 621-24, L. 621-32 et L. 621-43 du code de commerce alors en vigueur ainsi que les articles 1668, 1668 B du code général des impôts et 358 à 366 I de l'annexe III à ce code ;

Mais attendu qu'en matière de procédure collective, la date du fait générateur de l'impôt permet de déterminer si la créance doit être déclarée au titre de l'article L. 621-43 du code de commerce ou si son recouvrement peut être poursuivi au titre de l'article L. 621-32 du même code ; que, c'est à bon droit, que la cour d'appel a retenu que le fait générateur de l'impôt sur les sociétés et la taxe y afférente résulte, en application des articles 36, 38 et 209 du CGI, de la clôture de l'exercice comptable et non pas de la perception des impôts, et, après avoir constaté que le principe de la créance des impôts en cause était né au 31 décembre 1997, soit après l'ouverture de la procédure collective, en a déduit que celle-ci relevait de l'article L. 621-32 du code de commerce ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • S’agissant de la TVA
    • L’article 269, 1, a) du Code général des impôts prévoit que le fait générateur de la TVA assise sur des prestations de service est, sauf cas particuliers, l’exécution de la prestation en cause et celui de la TVA assise sur une vente est, toujours sous réserve de situations spécifiques, la date de livraison.

==> Créance de dépollution

Dans un arrêt du 17 septembre 2002, la Cour de cassation a estimé que la créance de dépollution naît « de l’arrêté préfectoral ordonnant la consignation, postérieur au jugement d’ouverture »

Autrement dit, cette créance dont est titulaire le Trésor a pour fait générateur la décision du préfet ordonnant qu’une somme d’argent soit consignée en vue du financement de la remise en état du site pollué.

Dans un arrêt du 19 novembre 2003, la Cour de cassation a semblé revenir sur sa décision en retenant comme fait générateur de la créance la date de fermeture du site (Cass. com. 19 nov. 2003).

La portée de cette jurisprudence est toutefois incertaine pour les auteurs.

Cass. com. 17 sept. 2002
Sur le premier moyen :

Vu les articles 40 et 50 de la loi du 25 janvier 1985, ainsi que l'article 23 de la loi du 19 juillet 1976 ;

Attendu, selon l'arrêt déféré, que la Société d'utilisation du phénol (la société SUP), exploitante d'une installation classée, a été mise en redressement judiciaire le 6 janvier 1994, puis en liquidation judiciaire ;

que le liquidateur, M. X..., n'ayant pas déféré à une mise en demeure de remettre le site en l'état, le préfet lui a ordonné le 8 septembre 1995, par application du troisième texte susvisé, de consigner une somme répondant des travaux à réaliser ; que le liquidateur a soutenu que, n'ayant pas été déclarée à la procédure collective, cette créance du Trésor était éteinte ;

Attendu que pour déclarer éteinte la créance du Trésor et accueillir la demande de restitution de la somme consignée présentée par le liquidateur de la société SUP, la cour d'appel a retenu que l'activité de celle-ci était nécessairement arrêtée le jour de la liquidation judiciaire ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la créance du Trésor était née de l'arrêté préfectoral ordonnant la consignation, postérieur au jugement d'ouverture, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mars 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

?) Les créances contractuelles

La question de la date de naissance des créances contractuelles n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés en matière de procédures collectives.

En principe, les créances contractuelles ont pour fait générateur la date de conclusion du contrat, soit, selon le principe du consensualisme, au jour de la rencontre des volontés.

Cette conception volontariste du contrat devrait, en toute logique, conduire à ne qualifier de créances antérieures que les obligations résultant d’un contrat conclu antérieurement au jugement d’ouverture.

En raison néanmoins du caractère dérogatoire du droit des entreprises en difficulté et des objectifs spécifiques qu’il poursuit, il est des cas où cette conception du fait générateur de la créance contractuelle est remise en cause, à tout le moins est envisagée sous un autre angle.

Au fond, comme le soulignent certains auteurs, tant l’article L. 622-17, qui régit les créances antérieures, que l’article L. 622-13 relatif aux créances postérieures, se prononcent moins sur le fait générateur, que sur le régime qui leur est applicable.

Aussi, le droit des entreprises en difficulté ne remettrait nullement en cause l’approche civiliste du fait générateur des créances contractuelles.

La date du contrat permettrait donc toujours de déterminer le caractère antérieur ou postérieur de la créance et, ce faisant, le régime normalement applicable à la créance à condition toutefois, et là résiderait la particularité du droit des entreprises en difficulté, qu’aucune disposition spécifique ne vienne soumettre cette créance à un régime distinct de celui qui devrait lui être naturellement applicable.

Comme en matière de créance extracontractuelle, c’est également au cas par cas qu’il convient ici de raisonner.

==> Créance résultant d’un contrat de vente

  • Principe
    • Dans un arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation a estimé que la créance résultant d’un contrat de vente avait pour fait générateur, non pas la date de conclusion du contrat, mais le jour de son exécution.

Cass. com. 15 févr. 2000
Attendu, selon l'arrêt déféré, que, par ordonnance du 6 septembre 1994, le juge-commissaire du redressement judiciaire de la société SIAQ a admis la créance de la société Etudes et réalisations graphiques (société ERG), à titre chirographaire, pour une certaine somme, tandis que la société ERG soutenait que sa créance était née de la poursuite de l'activité et relevait de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches : (sans intérêt) ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que pour dire que la créance de la société ERG, correspondant à une commande passée avant le redressement judiciaire de la société SIAQ et livrée à celle-ci postérieurement au jugement d'ouverture, ne relevait pas de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, l'arrêt énonce que " le fait que cette prestation ait profité à la société SIAQ après l'ouverture de la procédure importe peu, dès lors que l'accord des parties sur la réalisation de la commande, qui fige les obligations respectives des parties et fait naître l'obligation au paiement, est intervenu avant la procédure collective " ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 mai 1996, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

  • Faits
    • Contrat de vente conclu entre deux sociétés
    • Entre la conclusion du contrat et la livraison de la marchandise, la société acheteuse est placée en redressement judiciaire
    • La société vendeuse n’est donc pas payée
    • Tandis que le juge-commissaire considère qu’il s’agit là d’une créance antérieure, le vendeur estime que sa créance est née de la poursuite de l’activité
  • Demande
    • Le vendeur se prévaut du bénéfice de l’article 40 de la loi du 25 janvier 85, soit du régime des créanciers privilégiés
  • Procédure
    • Par un arrêt du 6 mai 1996, la Cour d’appel d’Agen déboute le vendeur de sa demande
    • Les juges du fond estiment que le contrat de vente a été conclu antérieurement à l’ouverture de la procédure, de sorte que la créance revendiquée ne saurait être admise au rang des créances privilégiées
  • Solution
    • Par un arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation, casse l’arrêt de la Cour d’appel
    • La Cour de cassation considère que le fait générateur de l’obligation de paiement ce n’est pas la conclusion du contrat de vente, mais la délivrance de la chose achetée
    • Or en l’espèce, la délivrance a eu lieu postérieurement au jugement d’ouverture.
    • La créance du vendeur, peut donc bien être admise au rang des créances privilégiées
  • Analyse
    • De toute évidence, la solution retenue ici par la Cour de cassation est totalement dérogatoire au droit commun
    • Techniquement la créance nait bien, comme l’avait affirmé la Cour d’appel, au jour de la conclusion du contrat !
    • C’est la rencontre des volontés qui est créatrice d’obligations et non la délivrance de la chose
    • Tel n’est pas ce qui est pourtant décidé par la Cour de cassation
    • Pour la chambre commerciale c’est l’exécution de la prestation qui fait naître la créance
    • Le droit de revendication du vendeur de meuble dessaisi est manifestement sacrifié sur l’autel du droit des procédures collectives.
    • Cette solution est appliquée de manière générale à tous les contrats à exécution successive
  • Exceptions
    • Contrat de vente immobilière
      • Dans cette hypothèse, la qualification de la créance dépend, non pas de la remise des clés de l’immeuble, mais de son transfert de propriété.
      • Dans un arrêt du 1er février 2000, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « le contrat de vente de l’immeuble dont l’une des clauses subordonne le transfert de propriété au paiement intégral du prix est un contrat de vente à terme n’incluant pas un prêt et que ce contrat était en cours lors de l’ouverture de la procédure collective, une partie du prix restant à payer» ( com. 1er févr. 2000).
    • Garantie des vices cachés
      • Dans l’hypothèse où le débiteur endosse la qualité, non plus de vendeur, mais d’acheteur, la créance de garantie des vices cachés a pour fait générateur la date de conclusion du contrat.
      • Cette solution a été consacrée dans un arrêt du 18 janvier 2005.
      • La Cour de cassation a considéré dans cette décision que « la créance née de la garantie des vices cachés a son origine au jour de la conclusion de la vente et non au jour de la révélation du vice» ( com. 18 janv. 2005)

==> Créance résultant d’un contrat à exécution successive

En matière de contrat à exécution successive, la Cour de cassation considère que le fait générateur de la créance réside, non pas dans la date de conclusion du contrat, mais au jour de la fourniture de la prestation caractéristique.

  • Pour le contrat de travail
    • Le fait générateur de la créance de salaire réside dans l’exécution de la prestation de travail.
    • Dans un arrêt du 8 novembre 1988 la Cour de cassation considère, par exemple, que « après avoir retenu exactement que les dispositions relatives à l’exigibilité des cotisations ne pouvaient prévaloir sur celles de la loi du 25 janvier 1985 qui interdisent de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, le jugement constate que les cotisations réclamées se rapportaient à des salaires perçus pour une période de travail antérieure à l’ouverture de la procédure collective ; qu’en l’état de ces énonciations, c’est à bon droit que le tribunal a décidé qu’une telle créance était née antérieurement au jugement d’ouverture et que, par suite, peu important l’époque à laquelle les salaires correspondants avaient été payés, l’acte tendant à obtenir paiement de cette créance devait être annulé» ( com. 8 nov. 1988).
  • Pour le contrat de bail
    • Le fait générateur de la créance de loyer réside quant à elle dans la jouissance de la chose
    • Dans un arrêt du 28 mai 2002, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la redevance prévue par un contrat à exécution successive poursuivi par l’administrateur est une créance de la procédure pour la prestation afférente à la période postérieure au jugement d’ouverture et constitue une créance née antérieurement au jugement d’ouverture pour la prestation afférente à la période antérieure à ce jugement et soumise à déclaration au passif» ( com. 28 mai 2002)

==> Créance résultant d’un contrat de prêt

Bien que la jurisprudence tende désormais à considérer que le contrat de prêt constitue, non plus un contrat réel, mais un contrat consensuel, en matière de procédure collective, la cour de cassation estime toujours que la qualification endossée par la créance de remboursement est déterminée par la date de déblocage des fonds.

En matière d’ouverture de crédit, la chambre commerciale a estimé que, en ce qu’elle constitue une promesse de prêt, elle « donne naissance à un prêt, à concurrence des fonds utilisés par le client » (Cass. com. 21 janv. 2004).

==> Créance résultant d’un contrat de cautionnement

L’hypothèse visée ici est la situation où la caution, après avoir été actionnée en paiement par le créancier, se retourne contre le débiteur principal.

Elle dispose contre ce dernier de deux recours : un recours personnel et un recours subrogatoire.

  • En cas d’exercice par la caution de son recours subrogatoire
    • Dans cette hypothèse, la créance dont elle se prévaut la caution contre le débiteur n’est autre que celle dont était titulaire le créancier accipiens
    • La date de naissance de cette créance devrait, en conséquence, être déterminée selon les règles applicables à cette créance
  • En cas d’exercice par la caution de son recours personnel
    • Recours de la caution contre le débiteur
      • La détermination du fait générateur de la créance invoquée par la caution est ici plus problématique.
      • Deux approches sont envisageables
        • On peut considérer que la créance a pour fait générateur la conclusion du contrat
        • On peut également estimer que cette créance naît du paiement de la caution entre les mains du créancier accipiens.
      • Selon que l’on retient l’une ou l’autre approche, lorsque le jugement d’ouverture intervient entre la date de conclusion du contrat de caution et la date de paiement, la qualification de la créance sera différente.
      • Dans un arrêt du 3 février 2009, la Cour de cassation a opté pour la première approche.
      • Elle a, autrement dit, considéré que « la créance de la caution qui agit avant paiement contre le débiteur principal, sur le fondement de l’article 2309 du code civil, prend naissance à la date de l’engagement de caution» ( com. 3 févr. 2009)

Cass. com. 3 févr. 2009
Sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :

Vu l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985, ensemble l'article 2309 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que poursuivi en paiement des sommes dues par Mme X..., au titre d'un prêt dont il s'était rendu caution, M. de Y... (la caution), a, en application des dispositions de l'article 2309 du code civil , assigné celle-ci, qui avait été mise en liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif, en paiement de la somme mise en recouvrement contre lui ;

Attendu que, pour déclarer l'action de la caution recevable et condamner Mme X... à lui payer une certaine somme, l'arrêt retient que l'action indemnitaire est née postérieurement à la clôture de la procédure collective de la débitrice principale puisque l'assignation en paiement de la banque à l'encontre de la caution a été délivrée le 16 novembre 1990 ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la créance de la caution qui agit avant paiement contre le débiteur principal, sur le fondement de l'article 2309 du code civil, prend naissance à la date de l'engagement de caution et que l'article 169 de la loi du 25 janvier 1985 ne permet pas aux créanciers, de recouvrer l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif, sauf dans les cas prévus aux articles 169, alinéa 2, et 170 de cette même loi, la cour d'appel, qui a constaté que l'engagement de caution était du 30 janvier 1984 et que la liquidation judiciaire de Mme X... avait été clôturée le 28 février 1990 pour insuffisance d'actif, a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 avril 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

  • Recours de la caution contre ses cofidéjusseurs
    • Dans un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation a retenu une solution identique à celle adoptée dans l’arrêt du 3 février 2009.
      • Faits
        • Une banque consent un prêt à une société
        • En garantie, deux associés souscrivent à un cautionnement en faveur de la banque
        • L’un des associés caution cède ses parts sociales à l’autre
        • La société est par suite placée en liquidation judiciaire
        • La caution qui avait cédé ses parts règle à la banque la créance à hauteur du montant déclarée à la procédure
        • La caution se retourne alors contre le commissaire d’exécution au plan afin que lui soit réglée la part due par son ex-coassocié décédé entre-temps
      • Demande
        • La caution qui a réglé la dette principale réclame à l’administrateur le paiement de la part dû par les ayants droit de son cofidéjusseur
      • Procédure
        • Par un arrêt du 2 octobre 2001, la Cour d’appel de Besançon accède à la requête de la caution
        • Les juges du fond estiment que dans la mesure où l’action contre le cofidéjusseur ne naît qu’à partir du moment où l’un d’eux a réglé la dette principale, la créance de la caution naît au jour du paiement de la dette principale
      • Solution
        • Par un arrêt du 16 juin 2004, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel
        • Elle considère que « la créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l’article 2033 du Code civil, prend naissance à la date de l’engagement de caution»
        • Aussi, la Cour de cassation reproche-t-elle à la Cour d’appel d’avoir pris comme fait générateur de la créance le paiement de la dette principale par la caution.
        • Pour elle, dans la mesure où la souscription du cautionnement a eu lieu antérieurement au jugement d’ouverture, la créance de la caution n’est pas éligible au rang des créances privilégiées.
      • Analyse
        • La solution adoptée par la Cour de cassation ne s’impose pas avec évidence.
        • Car au fond, cette position revient à dire que, au moment où elle s’engage envers le créancier, la caution acquiert :
          • D’une part, la qualité de débiteur accessoire de la dette principale
          • D’autre part, la qualité de créancier chirographaire antérieur quant au recours qui lui est ouvert par le code civil contre son ou ses cofidéjusseurs
        • Au total, il semble désormais être acquis que le recours personnel de la caution, qu’il soit dirigé contre un cofidéjusseur soumis à une procédure collective ou contre le débiteur principal soumis à une procédure collective, naît au jour de la signature du contrat de cautionnement.

Cass. com. 16 juin 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 15 mars 1986, l'Union des banques régionales (la banque) a consenti un prêt à la société La Lizaine (la société), avec pour garantie le cautionnement solidaire de MM. X... et Y..., associés de la société ; que, le 31 janvier 1988, M. Y... a cédé à M. X... l'ensemble de ses parts sociales ; que la société ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a déclaré sa créance qui a été admise pour un certain montant ;

que M. X... a été mis en redressement judiciaire à la suite duquel un plan de cession a été arrêté, M. Z... étant nommé commissaire à l'exécution du plan ; que M. Y... ayant réglé, en sa qualité de caution, une somme de 50 000 francs pour solde de la créance de la banque, a assigné M. X... en remboursement de cette somme ; que M. Z..., ès qualités, est intervenu à l'instance ; que M. X... est décédé le 4 mars 1998 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Z... fait grief à l'arrêt de l'avoir condamné, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de M. X..., décédé, à payer 25 000 francs à M. Y... alors, selon le moyen, qu'aucune des parties, à qui il appartenait de fixer les termes du litige, n'avait demandé à la cour d'appel de condamner M. Z..., ès qualités, à payer la somme de 25 000 francs à M. Y... ; qu'en prononçant cette condamnation, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte des conclusions récapitulatives déposées par M. Y... le 20 mai 1999 que ce dernier a sollicité la condamnation de M. Z..., en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan, à lui payer une somme de 50 000 francs en application de l'article 2033 du Code civil ; que le moyen manque en fait ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 40 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, devenu l'article L.621-32 du Code de commerce ;

Attendu que la créance de la caution qui a payé la dette et qui agit contre son cofidéjusseur sur le fondement de l'article 2033 du Code civil, prend naissance à la date de l'engagement de caution;

Attendu que pour condamner M. Z..., commissaire à l'exécution du plan de M. X..., décédé, à payer 25 000 francs à M. Y..., l'arrêt retient que s'agissant de rapports entre deux cautions, et non entre une caution et le débiteur principal, M. Y... ne disposait d'aucune action avant d'avoir payé, ce par application de l'article 2033 du Code civil, que l'origine de sa créance est, dès lors, postérieure à l'ouverture de la procédure collective de M. X..., de telle sorte que cette créance n'était pas soumise à l'obligation de déclaration ;

Attendu qu'en statuant ainsi, après avoir relevé que l'engagement de caution de M. Y... avait été souscrit avant l'ouverture du redressement judiciaire de M. X..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 octobre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;

2. Les créances nées postérieurement au jugement d’ouverture

La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a étendu le champ d’application du principe d’interdiction des paiements en incluant dans son giron les créances qui n’entrent pas dans la catégorie des créances dites privilégiées visées à l’article L. 622-17 du code de commerce.

L’article L. 622-17 les définit comme les créances « nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période. »

Deux enseignements peuvent immédiatement être tirés de cette disposition :

  • D’une part, le principe d’interdiction des paiements ne s’applique pas seulement aux créances nées antérieurement au jugement d’ouverture, il est également susceptible de s’appliquer aux créances postérieures.
  • D’autre part, pour être applicable à une créance née postérieurement au jugement d’ouverture, ladite créance ne doit pas être considérée comme privilégiée au sens de l’article L. 622-17 du Code de commerce

Aussi, afin d’apprécier l’étendue du champ d’application du principe d’interdiction des paiements, convient-il de déterminer ce que l’on doit entendre par créance privilégiée.

Il ressort de la définition posée à l’article L. 622-17 du Code de commerce qu’une créance privilégiée répond à trois critères cumulatifs qui tiennent

  • D’abord, à la date de naissance de la créance
  • Ensuite, à la régularité de la créance
  • Enfin, à l’utilité de la créance

a) L’exigence de postériorité de la créance au jugement d’ouverture

Pour être qualifiée de privilégiée, la créance doit nécessairement être née postérieurement au jugement d’ouverture.

Dans ces conditions, la détermination de la date de naissance de la créance présentera un intérêt majeur.

Dès lors que la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, elle est imperméable à la qualification de créance privilégiée.

Afin de déterminer si une créance est postérieure, il conviendra alors de raisonner dans les mêmes termes que pour les créances antérieures.

b) L’exigence de régularité de la créance

L’article L. 622-17, I du Code de commerce vise les créances nées régulièrement après l’ouverture de la procédure.

Que doit-on entendre par l’expression « nées régulièrement » ?

Le législateur a entendu viser ici les créances nées conformément aux règles de répartition des pouvoirs entre les différents organes de la procédure.

Pour mémoire, selon la nature de la procédure dont fait l’objet le débiteur, l’administrateur, lorsqu’il est désigné, sera investi d’un certain nombre de pouvoirs, qu’il exercera, parfois, à titre exclusif.

En matière de procédure de sauvegarde, l’article L. 622-1 du Code de commerce prévoit par exemple que si « l’administration de l’entreprise est assurée par son dirigeant […] lorsque le tribunal désigne un ou plusieurs administrateurs, il les charge ensemble ou séparément de surveiller le débiteur dans sa gestion ou de l’assister pour tous les actes de gestion ou pour certains d’entre eux. »

Lorsqu’il s’agit d’une procédure de liquidation judiciaire, le débiteur sera complètement dessaisi de son pouvoir de gestion de l’entreprise à la faveur de l’administrateur (art. L. 641-9 C. com.)

Ainsi, la créance régulière est celle qui résulte d’un acte accompli en vertu d’un pouvoir dont était valablement investi son auteur.

A contrario, une créance sera jugée irrégulière en cas de dépassement de pouvoir par le débiteur ou l’administrateur.

Pour apprécier la régularité d’une créance il faut alors distinguer selon que la créance est d’origine contractuelle ou délictuelle

==> Les créances contractuelles

  • Pour les créances nées de la conclusion d’un contrat
    • La créance naît régulièrement si le contrat a été conclu par un organe qui était investi du pouvoir d’accomplir l’acte.
    • Pour les actes de gestion courante, le débiteur dispose de ce pouvoir en matière de procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire.
  • Pour les créances nées de l’exécution d’un contrat en cours
    • Lorsqu’une décision de continuation a été prise
      • La créance ne peut naître régulièrement qu’à la condition que le contrat ait été poursuivi en vertu d’une décision prise par la personne habilitée
      • Il s’agira
        • soit de l’administrateur lorsqu’il est désigné
        • soit du débiteur après avis conforme du mandataire
      • En matière de liquidation judiciaire, seul le liquidateur est investi de ce pouvoir.
    • Lorsqu’aucune décision de continuation n’a été prise
      • Lorsque la créance trouve son origine dans l’exécution d’un contrat en cours pour lequel aucune décision de continuation n’a été prise, la jurisprudence considère classiquement que cette absence de décision n’entache pas la régularité de la créance.
      • Il est, par ailleurs, indifférent que la décision prise ultérieurement soit favorable ou non à une continuation du contrat en cours (V. en ce sens com. 12 juill. 1994)
  • Cas particulier de la créance de salaire
    • Si, en principe, l’irrégularité de la créance s’apprécie au regard du dépassement de pouvoir du débiteur ou de l’administrateur, il est un cas où cette règle est écartée
    • Dans un arrêt du 13 juillet 2010, la Cour de cassation a, en effet, estimé que quand bien même une créance de salaire serait née irrégulièrement dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire, elle pouvait, malgré tout, bénéficier du régime des créances privilégiées.

Cass. soc. 13 juill. 2010
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 621-32 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, alors applicable ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, bien que faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, M. X... a continué d'exercer son activité et d'employer M. Y... qu'il avait engagé en qualité de manoeuvre avant l'ouverture de la procédure ; qu'ayant appris l'existence de la procédure collective, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement des indemnités de rupture et d'un rappel de salaires ;

Attendu pour rejeter cette demande, l'arrêt, qui prononce la résiliation du contrat de travail, retient que les créances dont M. Y... poursuit le paiement, nées de la poursuite d'activité de M. X... après sa liquidation judiciaire, ou de la résiliation du contrat postérieurement à la liquidation judiciaire, ne sont pas nées régulièrement après le jugement d'ouverture au sens de l'ancien article L. 621-32 du code de commerce, qu'elles se trouvent par conséquent hors procédure et que leur montant ne peut pas être fixé dans le cadre de la procédure collective ;

Qu'en statuant ainsi alors d'une part qu'en cas de liquidation judiciaire de l'employeur, le contrat de travail du salarié se poursuit de plein droit tant que le liquidateur ne l'a pas rompu, et que, sauf en cas de fraude, est opposable à la procédure collective la créance du salarié née de la poursuite illicite de l'activité, sans que puissent lui être opposés l'usage irrégulier de ses pouvoirs par le débiteur et la méconnaissance de son dessaisissement, et alors, d'autre part, que l'article L. 621-32 du code de commerce, alors applicable, ne concernait que les modalités de paiement des créances et non les conditions de leur admission au passif salarial, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 octobre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

  • Faits
    • Une société fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire
    • Alors que la procédure de liquidation est engagée, l’entreprise continue d’employer un salarié alors qu’aucune décision en ce sens n’ayant été prise par le liquidateur
  • Demande
    • Après avoir eu connaissance de la procédure de liquidation, le salarié saisit la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir le paiement d’une indemnité de rupture de son contrat de travail et un rappel de salaire.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 10 octobre 2007 la Cour d’appel de Montpellier déboute le salarié de sa demande
    • Les juges du fond estiment que la créance invoquée par le salarié est née irrégulièrement, de sorte qu’il ne saurait se prévaloir du privilège consenti aux créanciers postérieurs
    • Pour la Cour d’appel, il s’agit donc d’une créance hors procédure, de sorte que le salarié ne peut, ni déclarer sa créance, ni en demander le paiement à l’échéance.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 juillet 2010, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article L. 621-32 du Code de commerce
    • La chambre sociale considère :
      • D’une part, qu’« en cas de liquidation judiciaire de l’employeur, le contrat de travail du salarié se poursuit de plein droit tant que le liquidateur ne l’a pas rompu, et que, sauf en cas de fraude, est opposable à la procédure collective la créance du salarié née de la poursuite illicite de l’activité, sans que puissent lui être opposés l’usage irrégulier de ses pouvoirs par le débiteur et la méconnaissance de son dessaisissement»
      • D’autre part, « que l’article L. 621-32 du code de commerce, alors applicable, ne concernait que les modalités de paiement des créances et non les conditions de leur admission au passif salarial»
    • Autrement dit, pour la haute juridiction, le salarié était parfaitement fondé à réclamer le paiement à échéance de sa créance.
    • Elle justifie sa solution en avançant deux arguments :
      • Premier argument
        • En cas de liquidation judiciaire, le contrat de travail du salarié se poursuivrait de plein droit
        • L’article L. 622-17, VI prévoit en ce sens que les contrats de travail échappent au pouvoir discrétionnaire de l’administrateur concernant la poursuite ou non des contrats en cours.
      • Second argument
        • La créance du salarié, même irrégulière, est opposable à la procédure collective car
          • D’une part, la violation en l’espèce des règles du dessaisissement du débiteur fautif n’est pas imputable au salarié
          • D’autre part, la créance invoquée par le salarié serait parfaitement régulière au regard de l’article L. 621-32 du Code de commerce applicable à la procédure de liquidation judiciaire puisque le contrat de travail n’a pas été rompu par le liquidateur.
  • Analyse
    • De toute évidence, la Cour de cassation se livre ici à une interprétation audacieuse de l’article L. 621-32.
    • En l’espèce, il y avait clairement un dépassement de pouvoir de la part du débiteur
    • Techniquement, la créance était donc bien irrégulière.
    • Aussi, en affirmant que la violation des règles de dessaisissement par le débiteur n’était pas imputable au salarié, la Cour de cassation ajouter une condition au texte.
    • L’article L. 621-32 ne prévoit nulle part qu’une créance peut être considérée comme régulière si le dépassement de pouvoir du débiteur ou de l’administrateur n’est pas imputable au créancier.
    • Lorsque, en outre, la chambre sociale ajoute que l’article L. 621-32 du Code ne concerne que les modalités de paiement des créances et non les conditions de leur admission, cette affirmation est, là encore, très critiquable.
    • Lorsque, en effet, cette disposition énonce qu’une créance doit être née régulièrement pour être opposable à la procédure et bénéficier d’un privilège de traitement, que fait-elle sinon poser une condition d’admission des créances ?
    • Ce ne sont pas des modalités de paiement dont il était question dans l’arrêt en l’espèce, mais bien de déterminer le bien-fondé du paiement d’une créance née postérieurement au jugement d’ouverture.

==> Les créances extracontractuelles

Dans la mesure où, par définition, les créances délictuelles et quasi-délictuelles naissent de faits illicites, elles ne devraient, en toute logique, jamais pouvoir être considérées comme nées régulièrement.

Animée par un souci de protection du créancier et, plus encore, d’indemnisation des victimes de dommages causés par le débiteur, la jurisprudence a admis que ces créances puissent être admises au rang des créances privilégiées.

Dans un arrêt remarqué du 13 octobre 1998, la Cour de cassation a que la nature délictuelle d’une créance ne faisait pas obstacle à ce qu’elle puisse être née régulièrement « après le jugement d’ouverture de la procédure collective, c’est-à-dire conformément aux règles gouvernant les pouvoirs du débiteur ou, le cas échéant, de l’administrateur ».

Cass. com. 13 oct. 1998
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Attendu, selon l'arrêt déféré, que M. Michel Z... a été assigné, le 6 mai 1992, en contrefaçon et paiement de dommages-intérêts par M. Edouard Z... ; que sur l'assignation en intervention forcée délivrée à M. X..., liquidateur judiciaire de M. Michel Z... désigné par un jugement du 22 mai 1986, la cour d'appel a dit que la condamnation en paiement de dommages-intérêts portée contre M. Michel Z..., l'est contre M. Y..., son liquidateur judiciaire ;

Sur la fin de non-recevoir relevée par la défense : (sans intérêt) ;

Et sur le moyen :

Vu l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que pour statuer comme il a fait, l'arrêt retient que la créance délictuelle de M. Edouard Z... à l'encontre de M. Michel Z... est née postérieurement au jugement d'ouverture et entre ainsi dans les prévisions de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 de sorte que M. Michel Z... étant dessaisi de ses biens par l'effet du jugement de liquidation judiciaire, la condamnation devra être prononcée contre M. Y..., ès qualités ;

Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si la créance était née régulièrement après le jugement d'ouverture de la procédure collective, c'est-à-dire conformément aux règles gouvernant les pouvoirs du débiteur ou, le cas échéant, de l'administrateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la condamnation pécuniaire portée par le jugement contre M. Michel Z... l'est contre M. Y..., liquidateur judiciaire de ce dernier, et en ce qu'il a condamné M. Michel Z... sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 septembre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.

c) L’exigence d’utilité de la créance

Pour être qualifié de créance privilégiée, l’article L. 622-17, I du Code de commerce exige que la créance soit née « pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période ».

Cette exigence a été introduite par la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, complétée ensuite par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008.

L’objectif poursuivi par le législateur était de réduire le nombre des créances susceptibles de faire l’objet d’un paiement à échéance, les critères de postériorité et de régularité ayant été jugés insuffisamment sélectifs.

Cette restriction a notamment été suggérée par la Cour de cassation en 2002 dans son rapport annuel.

Selon elle, la priorité conférée à l’ensemble des créances postérieures au jugement d’ouverture était « de nature à rendre plus difficile le redressement de l’entreprise si trop de créanciers peuvent en profiter. Il paraît excessif que la créance fasse ainsi l’objet d’un paiement prioritaire du seul fait qu’elle est née après le jugement d’ouverture ; il serait plus favorable au redressement des entreprises que seules les créances nécessaires à la poursuite de l’activité après le jugement d’ouverture bénéficient d’un tel traitement de faveur ».

Fort de cette invitation à durcir les critères d’admission des créances privilégiées, le législateur en a créé un nouveau : le critère d’utilité.

Afin de déterminer ce que l’on doit entendre par ce nouveau critère il convient d’envisager d’abord la notion d’utilité après quoi nous aborderons l’appréciation de cette notion. Nous nous intéresserons, enfin, aux difficultés d’application qu’elle soulève.

?) La notion d’utilité de la créance

Pour être considérée comme utile au sens de l’article L. 622-17, I la créance doit être née :

  • Soit pour les besoins de la procédure en tant que telle
  • Soit pour les besoins de l’activité de l’entreprise

==> Les créances nées pour les besoins de la procédure

L’article L. 622-17, I du Code de commerce vise ici :

  • Les créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure
    • Il s’agit essentiellement des frais de justice, des honoraires de l’administrateur, du mandataire, des avocats, des huissiers des commissaires-priseurs ou encore des frais d’expertise.
  • Les créances nées pour les besoins de la période d’observation
    • Il s’agit de tous les frais engagés par le débiteur nécessaires à la poursuite de l’activité de l’entreprise, notamment ceux engendrés par la continuation des contrats en cours.

==> Les créances nées pour les besoins de l’activité de l’entreprise

En premier lieu, il peut être observé que cette seconde catégorie de créances privilégiées tend à prendre en compte les cas dans lesquels, par exemple, une commande aurait été passée par le débiteur, donnant lieu à une prestation, mais que le mandataire judiciaire ou l’administrateur ne considérerait pas comme correspondant aux besoins de la procédure ou de la période d’observation.

Il n’y aurait là aucune justification à priver de telles créances d’un paiement prioritaire. D’où sa prise en compte par le législateur.

En second lieu, avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2008-1345 du 18 décembre 2008, l’article L. 622-17, I du Code de commerce prévoyait que, étaient éligibles au statut des créances privilégiées, les créances nées « en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur, pour son activité professionnelle, pendant cette période, sont payées à leur échéance ».

Cette disposition vise désormais les créances nées « en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, sont payées à leur échéance. »

La précision « pour son activité professionnelle » a ainsi été supprimée de la version initiale du texte.

Cette suppression procède d’une volonté du législateur de ne pas limiter le bénéfice du privilège de priorité aux seules créances nées pour les pour besoins de l’activité professionnelles du débiteur.

Des créances nées en contrepartie d’une prestation étrangère à son activité professionnelle pourraient, en conséquence, être qualifiées de créances privilégiées.

Pour ce faire, elles n’en devront pas moins satisfaire à trois conditions cumulatives :

  • Une créance qui correspond à une prestation
    • Par prestation, il faut entendre la fourniture d’un bien ou d’un service.
    • Cette terminologie a été intégrée dans le Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, de sorte qu’elle ne soulève dès lors plus de difficulté
  • Une créance née en contrepartie de la prestation
    • La créance doit consister en la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur.
    • La fourniture de cette prestation doit avoir été utile
      • Soit à la procédure
      • Soit au maintien de l’activité de l’entreprise
    • En revanche, il est indifférent que le contrat à l’origine de la créance n’ait fait l’objet d’aucune décision de continuation dès lors qu’elle est née régulièrement.
  • Une créance née pendant la période d’observation
    • La créance ne peut accéder au rang de créance privilégiée que si elle est née pendant la période d’observation
    • Dès lors que la créance naît en dehors de cette période, quand bien même elle serait utile à la procédure où à la poursuite de l’activité, elle ne pourra pas bénéficier du privilège de priorité.
    • C’est là une exigence formelle posée par le texte.

?) L’appréciation de l’utilité de la créance

Une question a agité la doctrine : l’utilité de la créance doit-elle être appréciée en considération de l’acte qui en est à l’origine, ou au regard du bénéfice que le débiteur en retire ?

Les auteurs optent majoritairement pour la première option. Pour déterminer si créance utile pour la procédure ou pour le maintien de l’activité, il convient de se rapporter à son fait générateur.

Seules les circonstances de sa naissance sont à même de renseigner le juge sur l’opportunité de la décision prise par le débiteur.

Au fond, la question qui se pose est de savoir si l’acte d’où résulte la créance a été accompli dans l’intérêt de la procédure ou de l’entreprise.

?) Les difficultés d’application du critère

Les difficultés d’application du critère d’application du critère d’utilité concernent en particulier les créances fiscales et sociales.

Peut-on considérer que de telles créances présentent une utilité pour la procédure dans la mesure où elles conduisent, par nature, à aggraver la situation du débiteur ?

Dans un arrêt du 15 juin 2011, la Cour de cassation a admis qu’une créance dont se prévalait le RSI puisse bénéficier du statut de créance privilégiée.

Cass. com. 15 juin 2011
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 622-17 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 18 décembre 2008 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse nationale du régime social des indépendants Participations extérieures (la caisse) a fait signifier à la société ARDDI (la société) le 6 octobre 2008 une contrainte datée du 12 août 2008, portant sur la contribution sociale de solidarité et des sociétés et la contribution additionnelle 2007 assises sur le chiffre d'affaires de l'année 2006 ; que la société, qui a été mise en redressement judiciaire le 20 octobre 2006, a fait opposition à cette contrainte le 7 octobre 2008 ;

Attendu que pour annuler cette contrainte, l'arrêt retient que si la créance est bien une créance dont le fait générateur est intervenu postérieurement au jugement ouvrant la procédure collective, elle ne peut être considérée comme une créance née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité professionnelle pendant cette période, ni comme une créance répondant aux besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, et qu'elle aurait dû faire l'objet d'une déclaration conformément à l'article L. 622-24, alinéa 5, du code de commerce ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la contribution sociale de solidarité et la contribution additionnelle constituent pour les sociétés assujetties une obligation légale prévue par les articles L. 651-1 et L. 245-13 du code de la sécurité sociale et que les créances en résultant, qui sont inhérentes à l'activité de la société, entrent dans les prévisions de l'article L. 622-17 du code de commerce pour l'activité poursuivie postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 avril 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée ;

  • Faits
    • Le RSI délivre une contrainte à une société en raison de cotisations sociales impayées en date du 6 octobre 2008
    • Depuis deux ans, la société faisait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire
  • Demande
    • Le débiteur revendique l’inopposabilité de la contrainte qui lui a été notifiée
  • Procédure
    • Par un arrêt du 6 avril 2010, la Cour d’appel de Nîmes accède à la requête du débiteur
    • Les juges du fond estiment la créance dont est porteuse la contrainte est certes postérieure à l’ouverture de la procédure collective
    • Toutefois, elle ne remplit pas les critères d’une créance prioritaire dans la mesure où :
      • D’une part, elle ne constitue pas la contrepartie d’une prestation fournie par le débiteur
      • D’autre part, elle n’est pas née pour les besoins de la procédure collective
    • La Cour d’appel en conclut que cette créance aurait dû faire l’objet d’une déclaration, ce qui n’a pas été fait.
    • La créance du RSI serait donc éteinte
  • Solution
    • Par un arrêt du 15 juin 2011, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • La Cour de cassation considère que la « contribution sociale de solidarité et la contribution additionnelle constituent pour les sociétés assujetties une obligation légale prévue par les articles L. 651-1 et L. 245-13 du code de la sécurité sociale et que les créances en résultant, qui sont inhérentes à l’activité de la société, entrent dans les prévisions de l’article L. 622-17 du code de commerce pour l’activité poursuivie postérieurement à l’ouverture de la procédure collective»
    • Autrement dit, la créance dont se prévaut le RSI répondrait, en tous points, aux critères d’éligibilité du privilège de priorité
  • Analyse
    • La solution dégagée par la Cour de cassation est, en l’espèce, parfaitement conforme à la lettre et à l’esprit de la loi.
    • Dans la mesure où le paiement des cotisations sociales est une obligation légale, il est absolument nécessaire que l’entreprise, quelle que soit sa situation, satisfasse à cette obligation à défaut de quoi elle s’expose à aggraver automatiquement son passif.
    • Rien ne justifie, en conséquence, que la créance de RSI ne puisse pas être qualifiée de créance privilégiée.

Ainsi, lorsqu’une créance résulte d’une obligation légale à laquelle est subordonné l’exercice de l’activité de l’entreprise, elle est parfaitement éligible au rang des créances privilégiées.

B) La condition tenant à l’auteur du paiement

 Pour mémoire, l’article L. 622-7, I dispose que « le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture »

Cette disposition ne précise pas si le principe d’interdiction des paiements s’applique uniquement au débiteur ou s’il est écarté lorsque la dette est éteinte du fait de l’intervention d’un tiers.

Plusieurs situations peuvent se présenter :

==> La saisie-attribution d’une créance à exécution successive

Dans cette situation, le paiement de la dette du débiteur est effectué par un tiers-saisi vers lequel s’est tourné le créancier.

La question qui alors se pose est de savoir si le tiers-saisi peut valablement se libérer entre les mains du créancier s’agissant des créances de loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture, à la même que le principe d’interdiction des paiements semble y faire obstacle.

Sur cette question, une divergence de position est née entre la chambre commerciale et la deuxième chambre civile, divergence à laquelle il a été mis un terme par la chambre mixte.

  • La position de la chambre commerciale
    • Dans un arrêt du 17 mai 2001, la chambre commerciale a admis qu’une saisie-attribution produisait un effet sur les créances de loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture ( com., 17 mai 2001),
  • La position de la deuxième chambre civile
    • À l’inverse de la chambre commerciale, la deuxième chambre civile a considéré dans un arrêt du 8 mars 2001 que la saisie-attribution était privée d’efficacité pour les créances de loyers nées postérieurement au jugement d’ouverture ( 2e civ., 8 mars 2001).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 22 novembre 2002, la Cour de cassation a estimé que le principe d’interdiction des paiements ne privait pas d’efficacité la saisie ainsi diligentée ( ch. Mixte, 22 nov. 2002).
      • Faits
        • Un créancier pratique une saisie-attribution entre les mains du locataire du débiteur saisi.
        • Ce dernier est, par suite, placé en liquidation judiciaire, le jugement d’ouverture intervenant alors postérieurement à la saisie
        • Le tiers saisi (le locataire) ayant réglé les loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture entre les mains du créancier saisissant, le liquidateur saisit le juge des référés afin d’obtenir le remboursement de ces sommes et la mainlevée de la saisie.
      • Demande
        • Le liquidateur saisit le juge des référés afin d’obtenir
          • D’une part, le remboursement des sommes perçues postérieurement à l’ouverture de la procédure de liquidation
          • D’autre part, la mainlevée de la saisie-attribution.
      • Procédure
        • Alors que le juge des référés avait accueilli favorablement la demande du liquidateur, la cour d’appel de Versailles infirme la décision dans un arrêt du 19 février 1999
        • Les juges du fond estiment que l’effet attributif de la saisie-attribution est définitivement acquis avant l’ouverture de la procédure collective, de sorte que le créancier était fondé à continuer de percevoir les loyers de son débiteur après le prononcé du jugement d’ouverture.
      • Solution
        • Par un arrêt du 22 novembre 2002, la Chambre mixte de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le liquidateur.
        • Elle estime « qu’il résulte des articles 13 et 43 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 69 et suivants du décret du 31 juillet 1992, que la saisie-attribution d’une créance à exécution successive, pratiquée à l’encontre de son titulaire avant la survenance d’un jugement portant ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires de celui-ci, poursuit ses effets sur les sommes échues en vertu de cette créance, après ledit jugement»
        • Autrement dit, quand bien même l’exécution de la créance se poursuivait postérieurement au jugement d’ouverture, dans la mesure où elle a fait l’objet d’une saisie-attribution antérieurement au jugement, elle n’est pas soumise au régime juridique des créances antérieures.
        • Pour la chambre mixte « la saisie-attribution d’une créance à exécution successive poursuit ses effets sur les sommes échues en vertu de cette créance, après ledit jugement».
      • Analyse
        • Deux logiques s’affrontaient dans l’arrêt en l’espèce : la logique à laquelle répond le droit des entreprises en difficulté et celle qui sous-tend le droit des voies d’exécution
        • L’ouverture d’une procédure collective n’est pas neutre : elle poursuit comme objectif la sauvegarde de l’entreprise en difficulté, le maintien de l’activité et de l’emploi ainsi que l’apurement du passif.
        • À l’évidence, la poursuite des effets de la saisie-attribution sur les échéances postérieures au jugement d’ouverture ne favorise guère ce triple objectif.
        • La solution adoptée par la Cour de cassation contrevient, en outre, au principe d’égalité des créanciers, qui n’admet que des dérogations partielles à la faveur des celles créanciers privilégiés.
        • Tel n’était pas le cas en l’espèce, le créancier saisissant n’était pas un créancier susceptible de se prévaloir du bénéfice du paiement à l’échéance.
        • Aussi, pour certains auteurs, les principes qui régissent la naissance des créances à exécution successive ne sauraient être placés sur le même plan qu’une règle spécifique au droit des entreprises en difficulté.
        • L’article L. 622-7, I du Code de commerce ne vise pas à contribuer à la théorie de la formation des créances, mais seulement à préserver l’actif du débiteur.
        • Malgré les critiques, la chambre mixte s’est malgré tout ralliée à la position de la deuxième chambre civile, considérant que la saisie-attribution diligentée antérieurement au jugement d’ouverture produisait bien un effet sur les créances de loyers échus postérieurement audit jugement.

Cass. ch. Mixte 22 nov. 2002
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 février 1999), que la Banque La Hénin, aux droits de laquelle vient la société Chauray Contrôle, a fait pratiquer à l'encontre de la société Tiar (la société) une saisie-attribution entre les mains des locataires de cette société, sur des loyers à échoir ; qu'après la mise en liquidation judiciaire de la société, Mme X..., agissant en qualité de liquidateur, a saisi un juge des référés pour obtenir le remboursement des loyers échus postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, ainsi que la mainlevée de la saisie-attribution ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors, selon le moyen, qu'aux termes de l'article 33 de la loi du 25 janvier 1985, une créance de loyers échus postérieurement au prononcé du redressement judiciaire est soumise aux règles de cette procédure, ce dont il résulte qu'en raison de l'indisponibilité dont elle se trouve frappée dans le patrimoine du débiteur, cette créance échappe à l'effet attributif opéré par la saisie-attribution limité aux seules sommes échues avant le jugement d'ouverture de la procédure collective ; qu'en considérant néanmoins que le tiers saisi était tenu de payer les loyers échus postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective au créancier qui a pratiqué une saisie-attribution de la créance de loyers avant le jugement d'ouverture, la cour d'appel a violé l'article 33 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu qu'il résulte des articles 13 et 43 de la loi du 9 juillet 1991 et des articles 69 et suivants du décret du 31 juillet 1992, que la saisie-attribution d'une créance à exécution successive, pratiquée à l'encontre de son titulaire avant la survenance d'un jugement portant ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires de celui-ci, poursuit ses effets sur les sommes échues en vertu de cette créance, après ledit jugement ; que, dès lors, la cour d'appel, qui a retenu que la saisie avait définitivement produit son effet attributif avant le jugement prononçant la mise en liquidation judiciaire de la société, a décidé, à bon droit, qu'il n'y avait pas lieu d'en ordonner la mainlevée et a rejeté la demande de remboursement des loyers ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> La délégation portant sur une créance à exécution successive

Cette situation correspond à l’hypothèse où dans le cadre d’une délégation :

  • Dans un premier temps, le délégant consent une délégation au délégateur dont il est débiteur avant qu’il ne fasse l’objet d’une procédure collective
  • Dans un second temps, le délégué se libère entre les mains du délégataire postérieurement au jugement d’ouverture.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si le paiement effectué par le délégué entre les mains du délégataire ne contreviendrait pas au principe d’interdiction des paiements, dans la mesure où la délégation a pour effet d’éteindre la dette du délégant-débiteur.

Schéma - délégation

Cette question s’est notamment posée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 mars 2005.

Cass. com. 30 mars 2005
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 621-24 du Code de commerce ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par acte du 24 octobre 1997, la société Mirabeau a confié à la société Colas Midi Méditerranée (la société Colas) la construction d'un ensemble immobilier destiné à être donné en location à la société SGS Thomson Microelectronics (la société Thomson) suivant un bail commercial conclu le 30 avril 1997 ; qu'en règlement de sa dette correspondant aux travaux, la société Mirabeau a consenti à la société Colas une délégation des loyers dus par la société Thomson ; que la société Mirabeau a été mise en redressement judiciaire le 16 septembre 1999, M. X... étant désigné en qualité d'administrateur ; que la société Colas a assigné la société Thomson et M. X..., ès qualités, en paiement des sommes dues au titre de la délégation de loyers ;

Attendu que pour décider que la société Colas n'était pas fondée à demander le paiement des loyers devenus exigibles postérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société Mirabeau et la condamner, en conséquence, à reverser à cette dernière société les sommes reçues au titre de l'exécution provisoire du jugement, ordonner à M. Y..., séquestre, de remettre à la société Mirabeau toutes les sommes reçues de la société Thomson au titre de la délégation de loyers et ordonner à cette dernière société de payer à la société Mirabeau les sommes dues en exécution du contrat de bail, l'arrêt retient que, par l'effet du jugement déclaratif, aucune partie de l'actif ne peut être distraite au profit d'un créancier particulier, que la délégation imparfaite des loyers dus par la société Thomson ayant laissé subsister la créance de la société Mirabeau, délégante, dans son patrimoine, l'ouverture de la procédure collective fait obstacle aux droits du délégataire sur les créances nées de la poursuite d'un contrat à exécution successive postérieurement à ce jugement, cette règle étant applicable pendant la période d'observation comme après l'adoption d'un plan de continuation ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions de l'article L. 621-24 du Code de commerce ne s'appliquent qu'aux paiements faits par le débiteur et non par un tiers, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions condamnant la société Colas à payer à la société Mirabeau la somme de 682 729,68 euros reçue de M. Y... au titre de l'exécution provisoire, ordonnant à M. Y..., ès qualités, de remettre à la société Mirabeau toutes sommes reçues de la société Thomson au titre de la délégation de loyers et ordonnant à la société Thomson de payer à la société Mirabeau les sommes dues en exécution du contrat de bail, et ce pour la durée du plan, l'arrêt rendu le 11 mars 2003, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;

  • Faits
    • Par acte du 24 octobre 1997, la société Mirabeau a confié à la société Colas Midi Méditerranée (la société Colas) la construction d’un ensemble immobilier destiné à être donné en location à la société SGS Thomson Microelectronics (la société Thomson) suivant un bail commercial conclu le 30 avril 1997
    • En règlement de sa dette correspondant aux travaux, la société Mirabeau a consenti à la société Colas une délégation des loyers dus par la société Thomson
    • La société Mirabeau a été mise en redressement judiciaire le 16 septembre 1999

Schéma 2 - délégation.JPG

  • Demande
    • la société Colas assigne la société Thomson et l’administrateur, ès qualités, en paiement des sommes dues au titre de la délégation de loyers
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 mars 2003, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, déboule le délégué de sa demande en paiement des loyers devenus exigibles postérieurement au jugement d’ouverture.
    • Aussi, le condamne-t-elle, de surcroît, à reverser au délégant toutes les sommes reçues du délégataire au titre de la délégation de loyers
    • Les juges du fond justifient leur décision en avançant que par l’effet du jugement d’ouverture, aucune partie de l’actif ne peut être distraite au profit d’un créancier particulier
    • Or la délégation imparfaite des loyers dus par le délégataire ayant laissé subsister la créance du débiteur (délégant) dans son patrimoine, l’ouverture de la procédure collective fait obstacle aux droits du délégataire sur les créances nées de la poursuite d’un contrat à exécution successive postérieurement à ce jugement, cette règle étant applicable pendant la période d’observation comme après l’adoption d’un plan de continuation.
  • Solution
    • Par un arrêt du 30 mars 2005, la Cour de cassation censure la décision prise par la Cour d’appel.
    • Elle considère que « les dispositions de l’article L. 621-24 du Code de commerce ne s’appliquent qu’aux paiements faits par le débiteur et non par un tiers »
    • Le principe d’interdiction des paiements n’est de la sorte applicable qu’aux seuls débiteurs.
    • Lorsque, dès lors, c’est un tiers qui procède à un paiement qui a pour effet d’éteindre la dette du débiteur, il échappe à la prohibition instituée à l’article L. 622-7, I du code de commerce

Le principe posé par cet arrêt revêt manifestement une portée générale. Son application ne se limite donc pas au seul mécanisme de la délégation.

==> La cession de créances professionnelles

Cette hypothèse correspond à la situation où, dans le cadre d’une cession de créances :

  • Dans un premier temps le cédant cède sa créance avant qu’il ne fasse l’objet d’une procédure collective
  • Dans un second temps le débiteur-cédé se libère postérieurement au jugement d’ouverture entre les mains du cessionnaire.

Dans cette configuration le débiteur-cédé endosse manifestement la qualité de tiers à la procédure collection.

La question qui alors se pose est de savoir si, lorsque le débiteur cédé se libère entre les mains du cessionnaire, cette opération ne contrevient pas au principe d’interdiction des paiements dans la mesure où cela a pour effet d’éteindre la dette du cédant envers le cessionnaire.

Schéma - cession Dailly.JPG

Sur cette question, la position de la jurisprudence a radicalement évolué.

  • Première étape
    • Dans un arrêt du 26 avril 2000, la Cour de cassation a d’abord estimé que l’ouverture d’une procédure collective empêchait que le débiteur cédé se libère entre les mains du cessionnaire, quand bien même la cession de créances était intervenue antérieurement au jugement d’ouverture.
    • La chambre commerciale a considéré en ce sens que « le jugement d’ouverture de la procédure collective à l’égard du cédant fait obstacle aux droits de la banque cessionnaire sur les créances nées de la poursuite d’un contrat à exécution successive postérieurement à ce jugement»

Cass. com. 26 avr. 2000
Statuant tant sur le pourvoi incident relevé par la société Socpresse que sur le pourvoi principal formé par la Westpac Banking Corporation ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nouméa, 22 août 1996), que, par contrat souscrit le 23 octobre 1986, la société Socpresse a engagé M. X... pour exercer les fonctions de conseiller aux affaires Pacifique Sud, du 1er janvier 1987 au 31 décembre 1991 ; que, par un premier bordereau de cession de créances professionnelles du 28 juin 1988, M. X... a cédé ses créances correspondant aux rémunérations dues en vertu de ce contrat, à échéance du 31 décembre 1988 et du 31 mars 1989, à la Banque Indosuez, aux droits de laquelle se trouve la Westpac Banking Corporation (la banque) ; que, par un second acte du 17 décembre 1988, M. X... a cédé les créances se rapportant aux autres rémunérations prévues par ce contrat à la banque qui a notifié les cessions de créances à la société Socpresse, débiteur cédé ; que M. X... a été mis en liquidation judiciaire le 20 décembre 1989 ; que la société Socpresse a payé les créances cédées par le premier acte mais a refusé le paiement des créances cédées par le second ; qu'elle a été assignée par la banque en paiement de ces dernières créances ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable sa demande relative au paiement des créances échues postérieurement au jugement de liquidation judiciaire, alors, selon le pourvoi, que la cession de créance profesionnelle future, consentie en période suspecte est valable et le débiteur cédé ne peut opposer au cessionnaire l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du cédant pour refuser de payer les créances aux échéances ; qu'en considérant que la mise en liquidation judiciaire de M. X... a mis un terme aux droits de la banque pour toutes les créances postérieures au jugement, la cour d'appel a violé les articles 1 et 4 de la loi du 2 janvier 1981 et 107 et 152 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que le jugement d'ouverture de la procédure collective à l'égard du cédant fait obstacle aux droits de la banque cessionnaire sur les créances nées de la poursuite d'un contrat à exécution successive postérieurement à ce jugement ; que le moyen n'est pas fondé ;

  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 7 décembre 2004 la Cour de cassation a abandonné sa position antérieure en considérant que l’ouverture d’une procédure collective ne faisait pas obstacle à ce que le débiteur cédé se libère entre les mains du cessionnaire.
    • Elle a ainsi considéré que « même si son exigibilité n’est pas encore déterminée, la créance peut être cédée et que, sortie du patrimoine du cédant, son paiement n’est pas affecté par l’ouverture de la procédure collective de ce dernier postérieurement à cette date»

Cass. com. 7 déc. 2004
Statuant tant sur le pourvoi principal présenté par la CRCAM d'Aquitaine que sur le pourvoi incident présenté par la société Labat-Merle (la société Labat) ;

Attendu, selon l'arrêt déféré, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 octobre 2000, pourvoi n° P 97-21.744), que, par acte du 27 janvier 1992, la société Euroméca a cédé à la CRCAM d'Aquitaine (la Caisse), selon les modalités de la loi du 2 janvier 1981 codifiée sous les articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, la créance qu'elle détenait sur la société Labat au titre d'une commande que celle-ci lui avait passée ; que la société Labat n'a pas accepté cette cession, dont elle avait reçu notification, et a réglé le solde de la facture à la société Euroméca, en règlement judiciaire depuis le 19 février 1992 ;

que la Caisse a fait assigner la société Labat en paiement ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 313-23, L. 313-24 et L. 313-27 du Code monétaire et financier ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que, même si son exigibilité n'est pas encore déterminée, la créance peut être cédée et que, sortie du patrimoine du cédant, son paiement n'est pas affecté par l'ouverture de la procédure collective de ce dernier postérieurement à cette date ;

Attendu que pour rejeter la demande de la Caisse en paiement de la créance par la société Labat, débiteur cédé, l'arrêt retient que la créance cédée est née de la livraison et même de la fabrication postérieure au jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société Euroméca, entreprise cédante, et que ce jugement fait obstacle aux droits de la Caisse sur les créances nées de l'exécution du contrat au cours de la période d'observation et exigibles au jugement d'ouverture ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, la cession prenant effet entre les parties et devenant opposable aux tiers à la date apposée sur le bordereau, la cour d'appel, qui a relevé que la cession avait pris effet entre la société Euoméca et la Caisse avant l'ouverture de la procédure collective, ce dont il résulte que le paiement que la société Labat ne contestait pas devoir, et qu'elle avait effectué après avoir reçu notification de la cession, n'était pas libératoire, n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les textes susvisés ;

Et sur le pourvoi incident :

Attendu que ce pourvoi se trouve privé d'objet par la cassation consécutive au pourvoi principal ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er octobre 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;

II) La sanction du principe d’interdiction des paiements

Plusieurs sanctions sont applicables en cas de violation du principe d’interdiction des paiements

  • L’annulation du paiement
    • Principe
      • Aux termes de l’article L. 622-7, III « tout acte ou tout paiement passé en violation des dispositions du présent article est annulé»
      • Les sommes payées par le débiteur sont de la sorte réintégrées dans son patrimoine (V. en ce sens com. 3 oct. 2000)
    • Titularité de l’action
      • Tout intéressé
      • Le ministère public
    • Délai de prescription
      • Trois ans
    • Point de départ de la prescription
      • À compter de la date de réalisation du paiement
  • Faillite personnelle
    • L’article L. 653-5, 4° du Code de commerce prévoit que le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne qui a « payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers».
    • Cette sanction n’est applicable que dans le cas où le débiteur fait l’objet d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
    • Elle n’est pas encourue en cas de procédure de sauvegarde.
  • Sanction pénale
    • Aux termes de l’article L. 654-8, 1° du Code de commerce « est passible d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros le fait […] pour toute personne mentionnée à l’article L. 654-1, de passer un acte ou d’effectuer un paiement en violation des dispositions de l’article L. 622-7»
    • Ainsi, la violation du principe d’interdiction des paiements est-elle pénalement sanctionnée ce qui témoigne de l’importance que le législateur confère à l’objectif de maintien de l’égalité entre les créanciers et de préservation dans le patrimoine du débiteur des biens essentiels à la poursuite de son activité.

III) Les exceptions au principe d’interdiction des paiements

Le principe d’interdiction des paiements instituée à l’article L. 622-7, I du Code de commerce souffre de plusieurs exceptions.

A) Le paiement par compensation de créances connexes

==> Notion

La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. »

Cette modalité d’extinction des obligations suppose ainsi l’existence de deux créances réciproques.

Le droit commun exige, outre, leur réciprocité que ces créances soient certaines dans leur principe, liquides dans leur montant et exigibles, soit dont le terme est échu.

En ce que la compensation consiste, au fond, en un double paiement automatique, la question s’est rapidement posée de savoir si elle pouvait opérer entre deux créances dont l’une d’elles ne devenait certaine, liquide ou exigible qu’après le jugement d’ouverture.

Dans cette hypothèse, le principe d’interdiction des paiements ne fait-il pas obstacle à la compensation ?

Schéma - compensation.JPG

  • Première étape : l’admission jurisprudentielle du paiement par compensation
    • Dans un arrêt du 19 mars 1991, la Cour de cassation a, pour la première fois, admis que la compensation puisse opérer entre deux créances dont l’une était née postérieurement au jugement d’ouverture ( com. 19 mars 1991).
    • Avant cette décision, la jurisprudence était pour le moins fluctuante, la loi du 25 janvier 1985 étant silencieuse sur cette question.
  • Deuxième étape : consécration légale du paiement par compensation
    • Il faut attendre la loi du 10 juin 1994 pour que le paiement par compensation soit admis au rang des exceptions au principe d’interdiction des paiements.
    • L’article L. 622-7 du Code de commerce prévoit désormais que si le jugement d’ouverture emporte de plein droit interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d’ouverture, cette règle est écartée en cas de « paiement par compensation de créances connexes».
    • Par exception, le paiement par compensation est donc admis lorsque ses conditions sont réunies postérieurement au jugement d’ouverture.

==> Conditions

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les conditions d’application de cette exception au principe d’interdiction des paiements.

Elles sont au nombre de trois :

  • Des créances certaines
    • Cela signifie qu’elles ne doivent être pas être contestables
    • Elles doivent être avérées dans leur principe
  • Des créances réciproques
    • Les personnes en présence doivent être simultanément et personnellement créancières et débitrices l’une de l’autre
  • Des créances connexes
    • D’abord, la jurisprudence a défini les créances connexes comme les créances issues de l’exécution ou de l’inexécution d’un même contrat (V. en ce sens 1ère civ. 11 juill. 1958).
    • Ensuite la Cour de cassation a également admis qu’une connexité puisse exister entre créances nées d’une convention cadre ( com. 19 avr. 2005)
    • Enfin, la jurisprudence a encore étendu la notion de connexité en l’appliquant à des créances réciproques qui se rattachaient à « plusieurs conventions constituant les éléments d’un ensemble contractuel unique servant de cadre général à ces relations» ( com. 9 mai 1995).
    • Dans cette dernière hypothèse, c’est alors la notion d’opération économique qui fonde le mécanisme ( com. 19 mars 1991).

Au total, il ressort de la jurisprudence que la Cour de cassation envisage la notion de connexité de manière assez souple.

Il peut d’ailleurs être observé que la Cour de cassation n’exige pas que les créances soient liquides et exigibles pour que la compensation puisse opérer dans le cadre d’une procédure collective.

Dans un arrêt du 28 septembre 2004, elle a affirmé en ce sens que « la compensation fondée sur la connexité des créances n’exige pas la réunion des conditions de la compensation légale » (Cass. com. 28 sept. 2004).

==> Efficacité

La compensation ne pourra être efficace, soit emporter extinction de la créance, qu’à la condition que le créancier déclare ladite créance.

Cette exigence est régulièrement rappelée par la Cour de cassation qui estime qu’en l’absence de déclaration, la compensation sera sans effet, de sorte que la créance sera inopposable à la procédure (V. en ce sens Cass. com. 22 févr. 1994 ; Cass. com. 26 oct. 1999).

B) Le paiement des créances alimentaires

L’article L. 622-7, I du Code de commerce exclut expressément les créances alimentaires du champ de l’interdiction des paiements des créances antérieures.

Qui plus est, cette catégorie de créance échappe à l’exigence de déclaration.

C) Le paiement des créances salariales

Aux termes de l’article L. 625-8 du Code de commerce « nonobstant l’existence de toute autre créance, les créances que garantit le privilège établi aux articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail doivent, sur ordonnance du juge-commissaire, être payées dans les dix jours du prononcé du jugement ouvrant la procédure par le débiteur ou, lorsqu’il a une mission d’assistance, par l’administrateur, si le débiteur ou l’administrateur dispose des fonds nécessaires. »

Les créances salariales visées par cette disposition doivent ainsi être payées immédiatement sur les fonds dont dispose l’entreprise.

En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, si le paiement s’avère impossible c’est à l’AGS qu’il reviendra de régler les salariés.

Quant aux créances de salaire résultant d’une prestation de travail postérieure au jugement d’ouverture, elles devront être payées à l’échéance.

D) Le paiement des créances assises sur un, gage, un droit de rétention, une fiducie ou un crédit-bail

L’article L. 622-7, II du Code de commerce prévoit que le juge-commissaire peut autoriser le débiteur « à payer des créances antérieures au jugement, pour retirer le gage ou une chose légitimement retenue ou encore pour obtenir le retour de biens et droits transférés à titre de garantie dans un patrimoine fiduciaire, lorsque ce retrait ou ce retour est justifié par la poursuite de l’activité. Ce paiement peut en outre être autorisé pour lever l’option d’achat d’un contrat de crédit-bail, lorsque cette levée d’option est justifiée par la poursuite de l’activité. »

Ainsi, afin, de mettre un terme à un gage, à un droit de rétention ou encore pour rapatrier le bien dans le patrimoine du débiteur en raison l’existence d’une fiducie ou d’un crédit-bail, ce dernier peut être autorisé par le juge-commissaire à régler une créance née antérieurement au jugement d’ouverture.

Pour ce faire trois conditions doivent être réunies :

  • Première condition
    • Le bien doit avoir fait l’objet alternativement
      • soit d’un gage
      • soit d’un droit de rétention
      • soit d’une fiducie
      • soit d’un crédit-bail
  • Deuxième condition
    • Le bien sur lequel porte la créance antérieure doit être utile à la poursuite de l’activité de l’entreprise.
    • A défaut, le paiement de la créance antérieure ne présentera aucun intérêt.
  • Troisième condition
    • Le débiteur ou l’administrateur doivent obtenir l’autorisation du juge-commissaire

E) Le paiement des créances assises sur une clause de réserve de propriété

Conformément à l’article L. 624-16 du Code de commerce, sur autorisation du juge-commissaire, il peut être fait échec à l’exercice du droit de revendication du vendeur qui bénéfice d’une réserve de propriété par le paiement du prix du bien.

Cette disposition prévoit en ce sens, après avoir énoncé les conditions et les modalités de la revendication, que « dans tous les cas, il n’y a pas lieu à revendication si, sur décision du juge-commissaire, le prix est payé immédiatement. »

Cette règle constitue une dérogation au principe d’interdiction des paiements. Elle se justifie pour la nécessité de favoriser la poursuite de l’activité de l’entreprise.

F) Le paiement provisionnel de créances assises sur des sûretés

Autre dérogation au principe d’interdiction des paiements, la possibilité de payer les créanciers titulaires d’une sûreté.

Plus précisément, l’article L. 622-8 du Code de commerce prévoit que « le juge-commissaire peut ordonner le paiement provisionnel de tout ou partie de leur créance aux créanciers titulaires de sûretés sur le bien » lorsque celui-ci est vendu au cours de la période d’observation.

La sûreté peut ici consister tant, en un privilège spécial, qu’en un privilège général. Sont également visés l’hypothèque, le nantissement ou encore le gage.

L’exigence de contrepartie non illusoire ou dérisoire ou la résurgence de la cause

Il ressort des articles 1168 à 1171 du Code civil que, pour être valide, le contrat doit assurer une certaine équivalence entre les prestations des parties.

L’existence d’un déséquilibre contractuel ne sera cependant pas toujours sanctionnée, notamment lorsqu’il s’apparentera à une lésion

Aussi, afin de déterminer si l’exigence d’équivalence des prestations est satisfaite, cela supposera de vérifier :

  • D’une part, si la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage n’est pas illusoire ou dérisoire
  • D’autre part, si une clause du contrat ne porte pas atteinte à une obligation essentielle
  • Enfin, si une stipulation contractuelle ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties

Nous nous focaliserons ici sur l’exigence de contrepartie.

À la différence de l’ancien article 1108 du Code civil, l’article 1128 ne vise plus la cause comme condition de validité du contrat.

Aussi, cela suggère-t-il que cette condition aurait été abandonnée par le législateur. Toutefois, là encore, une analyse approfondie des dispositions nouvelles révèle le contraire.

Si la cause disparaît formellement de la liste des conditions de validité du contrat, elle réapparaît sous le vocable de contenu et de but du contrat, de sorte que les exigences posées par l’ordonnance du 10 février 2016 sont sensiblement les mêmes que celles édictées initialement.

Il ressort, en effet, de la combinaison des nouveaux articles 1162 et 1169 du Code civil que pour être valide le contrat doit :

  • ne pas « déroger à l’ordre public […] par son but »
  • prévoir « au moment de sa formation la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage » laquelle contrepartie ne doit pas être « illusoire ou dérisoire »

La cause n’a donc pas tout à fait disparu du Code civil. Le législateur s’y réfère sous des termes différents : le but et la contrepartie.

I) La notion de cause

L’ancien article 1108 du Code civil subordonnait donc la validité du contrat à l’existence d’« une cause licite dans l’obligation ».

L’article 1131 précisait que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »

Ainsi, ressort-il de ces articles que pour que le contrat soit valable, cela supposait qu’il comporte une cause conforme aux exigences légales : non seulement la cause devait exister, mais encore elle devait être licite.

Encore fallait-il, néanmoins, que l’on s’entende sur la notion de cause : à quoi correspondait cette fameuse « cause » qui a désormais disparu du Code civil, à tout le moins dans son appellation ?

A) La cause finale

Tout d’abord, il peut être observé que la cause anciennement visée par le Code civil n’était autre que la cause finale, soit le but visé par celui qui s’engage, par opposition à la cause efficiente.

  • La cause efficiente
    • La cause efficiente est entendue comme celle qui possède en soi la force nécessaire pour produire un effet réel
    • Il s’agit autrement dit, de la cause génératrice, soit de celle qui est à l’origine d’un événement.
    • Cette conception de la cause se retrouve en droit de la responsabilité, où l’on subordonne le droit à réparation de la victime à l’établissement d’un lien de causalité entre la faute et le dommage
    • On parle alors de cause du dommage ou de fait dommageable.
  • La cause finale
    • La cause finale est le but que les parties poursuivent en contractant, soit la raison pour laquelle elles s’engagent.
    • Ainsi, le vendeur d’un bien vend pour obtenir le paiement d’un prix et l’acheteur paie afin d’obtenir la délivrance de la chose
    • Ces deux raisons pour lesquelles le vendeur et l’acheteur s’engagent (le paiement du prix et la délivrance de la chose) constituent ce que l’on appelle la cause de l’obligation, que l’on oppose classiquement à la cause du contrat

B) Cause de l’obligation / Cause du contrat

Initialement, les rédacteurs du Code civil avaient une conception pour le moins étroite de la notion de cause.

Cette dernière n’était, en effet, entendue que comme la contrepartie de l’obligation de celui qui s’engage.

Aussi, dans un premier temps, ils ne souhaitaient pas que l’on puisse contrôler la validité de la cause en considération des mobiles qui ont animé les contractants, ces mobiles devant leur rester propres, sans possibilité pour le juge d’en apprécier la moralité.

Aussi, afin de contrôler l’exigence de cause formulée aux anciens articles 1131 et 1133 du Code civil, la jurisprudence ne prenait en compte que les raisons immédiates qui avaient conduit les parties à contracter, soit ce que l’on appelle la cause de l’obligation, par opposition à la cause du contrat :

  • La cause de l’obligation
    • Elle représente pour les contractants les motifs les plus proches qui ont animé les parties au contrat, soit plus exactement la contrepartie pour laquelle ils se sont engagés
    • La cause de l’obligation est également de qualifiée de cause objective, en ce sens qu’elle est la même pour chaque type de contrat.
    • Exemples :
      • Dans le contrat de vente, le vendeur s’engage pour obtenir le paiement du prix et l’acheteur pour la délivrance de la chose
      • Dans le contrat de bail, le bailleur s’engage pour obtenir le paiement du loyer et le preneur pour la jouissance de la chose louée.
  • La cause du contrat
    • Elle représente les mobiles plus lointains qui ont déterminé l’une ou l’autre partie à contracter
    • La cause du contrat est également qualifiée de cause subjective, dans la mesure où elle varie d’un contrat à l’autre
    • Exemples :
      • Les raisons qui conduisent un vendeur à céder sa maison ne sont pas nécessairement les mêmes que son prédécesseur
      • Les raisons qui animent un chasseur à acquérir un fusil ne sont pas les mêmes que les motifs d’une personne qui envisagent de commettre un meurtre

La Cour de cassation a parfaitement mis en exergue cette distinction entre la cause de l’obligation et la cause du contrat, notamment dans un arrêt du 12 juillet 1989.

Dans cette décision elle y affirme que « si la cause de l’obligation de l’acheteur réside bien dans le transfert de propriété et dans la livraison de la chose vendue, en revanche la cause du contrat de vente consiste dans le mobile déterminant, c’est-à-dire celui en l’absence duquel l’acquéreur ne se serait pas engagé » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 1989, n°88-11.443).

 

Cass. 1ère civ. 12 juill. 1989

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’en 1981, M. Y…, parapsychologue, a vendu à Mme X…, elle-même parapsychologue, divers ouvrages et matériels d’occultisme pour la somme de 52 875 francs ; que la facture du 29 décembre 1982 n’ayant pas été réglée, le vendeur a obtenu une ordonnance d’injonction de payer, à l’encontre de laquelle Mme X… a formé contredit ; que l’arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 1987) a débouté M. Y… de sa demande en paiement, au motif que le contrat de vente avait une cause illicite ;

Attendu que M. Y… fait grief audit arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d’une part, que la cause du contrat ne réside pas dans l’utilisation que compte faire l’acquéreur de la chose vendue, mais dans le transfert de propriété de cette chose, et qu’en prenant en compte, pour déterminer cette cause, le prétendu mobile de l’acquéreur, la cour d’appel aurait violé les articles 1131, 1133 et 1589 du Code civil ; et alors, d’autre part, qu’en déclarant nulle pour cause illicite la vente d’objets banals au prétexte que ceux-ci pourraient servir à escroquer des tiers, bien qu’il soit nécessaire que le mobile illicite déterminant soit commun aux deux parties sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’utilisation personnelle que l’acquéreur entend faire à l’égard des tiers de la chose vendue, l’arrêt attaqué aurait de nouveau violé les textes susvisés ;

Mais attendu, d’abord, que si la cause de l’obligation de l’acheteur réside bien dans le transfert de propriété et dans la livraison de la chose vendue, en revanche la cause du contrat de vente consiste dans le mobile déterminant, c’est-à-dire celui en l’absence duquel l’acquéreur ne se serait pas engagé ; qu’ayant relevé qu’en l’espèce, la cause impulsive et déterminante de ce contrat était de permettre l’exercice du métier de deviner et de pronostiquer, activité constituant la contravention prévue et punie par l’article R. 34 du Code pénal, la cour d’appel en a exactement déduit qu’une telle cause, puisant sa source dans une infraction pénale, revêtait un caractère illicite ;

Attendu, ensuite, que M. Y… exerçait la même profession de parapsychologue que Mme X…, qu’il considérait comme sa disciple ; qu’il ne pouvait donc ignorer que la vente de matériel d’occultisme à celle-ci était destinée à lui permettre d’exercer le métier de devin ; que la cour d’appel n’avait donc pas à rechercher si M. Y… connaissait le mobile déterminant de l’engagement de Mme X…, une telle connaissance découlant des faits de la cause ;

Qu’il s’ensuit que le moyen ne peut être retenu en aucune de ses deux branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

Rapidement la question s’est posée de savoir s’il fallait tenir compte de l’une et l’autre conception pour contrôler l’exigence de cause : convenait-il de ne contrôler que la cause proche, celle commune à tous les contrats (la cause objective) ou de contrôler également la cause lointaine, soit les raisons plus éloignées qui ont déterminé le consentement des parties (la cause subjective) ?

Après de nombreuses hésitations, il est apparu nécessaire d’admettre les deux conceptions de la cause, ne serait-ce que parce que prise dans sa conception objective, la cause ne permettait pas de remplir la fonction qui lui était pourtant assignée à l’article 1133 du Code civil : le contrôle de la moralité des conventions :

==>Première étape : le règne de la cause de l’obligation

Comme évoqué précédemment, pour contrôler la licéité de la cause, la jurisprudence ne prenait initialement en compte que les motifs les plus proches qui avaient conduit les parties à contracter.

Autrement dit, pour que le contrat soit annulé pour cause illicite, il fallait que la contrepartie pour laquelle l’une des parties s’était engagée soit immorale.

En retenant une conception abstraite de la cause, cela revenait cependant à conférer une fonction à la cause qui faisait double emploi avec celle attribuée classiquement à l’objet.

Dans la mesure, en effet, où la cause de l’obligation d’une partie n’est autre que l’objet de l’obligation de l’autre, en analysant la licéité de l’objet de l’obligation on analyse simultanément la licéité de la cause de l’obligation.

Certes, le contrôle de licéité de la cause conservait une certaine utilité, en ce qu’il permettait de faire annuler un contrat dans son entier lorsqu’une seule des obligations de l’acte avait un objet illicite.

Cependant, cela ne permettait pas un contrôle plus approfondi que celui opérer par l’entremise de l’objet.

Exemples : si l’on prend le cas de figure d’une vente immobilière :

  • Le vendeur a l’obligation d’assurer le transfert de la propriété de l’immeuble
  • L’acheteur a l’obligation de payer le prix de vente de l’immeuble

En l’espèce, l’objet de l’obligation de chacune des parties est parfaitement licite

Il en va de même pour la cause, si l’on ne s’intéresse qu’aux mobiles les plus proches qui ont animé les parties : la contrepartie pour laquelle elles se sont engagées, soit le paiement du prix pour le vendeur, la délivrance de l’immeuble pour l’acheteur.

Quid désormais si l’on s’attache aux raisons plus lointaines qui ont conduit les parties à contracter.

Il s’avère, en effet, que l’acheteur a acquis l’immeuble, objet du contrat de vente, en vue d’y abriter un trafic international de stupéfiants.

Manifestement, un contrôle de la licéité de la cause de l’obligation sera inopérant en l’espèce pour faire annuler le contrat, dans la mesure où l’on ne peut prendre en considération que les raisons les plus proches qui ont animé les contractants, soit la contrepartie immédiate de leur engagement.

Aussi, un véritable contrôle de licéité et de moralité du contrat supposerait que l’on s’autorise à prendre en considération les motifs plus lointains des parties, soit la volonté notamment de l’une d’elles d’enfreindre une règle d’ordre public et de porter atteinte aux bonnes mœurs.

Admettre la prise en compte de tels motifs, reviendrait, en somme, à s’intéresser à la cause subjective, dite autrement cause du contrat.

==>Seconde étape : la prise en compte de la cause du contrat

Prise dans sa conception abstraite, la cause ne permettait donc pas de remplir la fonction qui lui était assignée à l’article 1133 du Code civil : le contrôle de la moralité des conventions.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. »

Aussi, la jurisprudence a-t-elle cherché à surmonter l’inconvénient propre à la prise en compte des seuls motifs immédiats des parties, en dépassant l’apparence objective de la cause de l’obligation, soit en recherchant les motifs extrinsèques à l’acte ayant animé les contractant.

Pour ce faire, les juges se sont peu à peu intéressés aux motifs plus lointains qui ont déterminé les parties à contracter, soit à ce que l’on appelle la cause du contrat ou cause subjectif (V. en ce sens Cass. soc., 8 janv. 1964)

C’est ainsi que, à côté de la théorie de la cause de l’obligation, est apparue la théorie de la cause du contrat.

Au total, l’examen de la jurisprudence révèle qu’une conception dualiste de la cause s’est progressivement installée en droit français, ce qui a conduit les juridictions à lui assigner des fonctions bien distinctes :

  • S’agissant de la cause de l’obligation
    • En ne prenant en cause que les raisons immédiates qui ont conduit les parties à contracter, elle permettait d’apprécier l’existence d’une contrepartie à l’engagement de chaque contractant.
    • À défaut, le contrat était nul pour absence de cause
    • La cause de l’obligation remplit alors une fonction de protection des intérêts individuels : on protège les parties en vérifiant qu’elles ne se sont pas engagées sans contrepartie.
  • S’agissant de la cause du contrat
    • En ne prenant en considération que les motifs lointains qui ont conduit les parties à contracter, elle permettait de contrôler la licéité de la convention prise dans son ensemble, indépendamment de l’existence d’une contrepartie
    • Dans cette fonction, la cause était alors mise au service, moins des intérêts individuels, que de l’intérêt général.
    • Elle remplit alors une fonction de protection sociale : c’est la société que l’on entend protéger en contrôlant la licéité de la cause

De tout ce qui précède, il ressort des termes de l’article 1169 du Code civil que, en prévoyant qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire », cette disposition ne fait rien d’autre que reformuler l’exigence de cause, prise dans sa conception objective, énoncée à l’ancien article 1131 du Code civil.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle conservé la fonction primaire assignée par les rédacteurs du code civil à la cause : le contrôle de l’existence d’une contrepartie à l’engagement pris par celui qui s’oblige.

II) Le domaine d’application de l’exigence de contrepartie : les contrats à titre onéreux

Bien que le législateur semble n’avoir pas renoncé à la théorie de la cause, le domaine d’application de l’exigence de contrepartie interroge.

Antérieurement à la réforme des obligations, l’existence d’une contrepartie était exigée, tant pour les contrats à titre onéreux, que pour les contrats à titre gratuit.

L’article 1169 du Code civil ne vise pourtant que la première variété de contrats.

Est-ce à dire que l’existence d’une contrepartie n’est plus requise pour les contrats à titre gratuit ?

Tel est le sentiment qui, de prime abord, nous est laissé par l’ordonnance du 10 février 2016. Une lecture approfondie de ce texte révèle toutefois qu’il n’en est rien.

À la vérité, l’exigence de contrepartie pour les contrats à titre gratuit prend simplement une autre forme : elle se manifeste à l’article 1135 du Code civil qui pose une exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs.

Cette disposition prévoit en ce sens que « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. »

Quel est le rapport avec l’exigence de contrepartie en matière de contrat à titre gratuit ?

L’instauration de cette exception procède précisément de l’abandon par le législateur de la référence à la cause dans la liste des conditions de validité du contrat (V en ce sens le nouvel article 1128 du Code civil).

L’exigence de la cause supposait, en effet, avant la réforme des obligations, qu’une contrepartie à l’engagement de chaque partie existe, à défaut de quoi le contrat encourait la nullité.

Rapidement la question s’est alors posée de savoir en quoi la cause pouvait-elle bien consister dans les contrats à titre gratuit dans la mesure où, par définition, celui qui consent une libéralité s’engage sans contrepartie.

Très tôt, la jurisprudence a néanmoins répondu à cette question en considérant que, dans les actes à titre gratuit, la cause de l’engagement de l’auteur d’une libéralité consiste en un élément subjectif : l’intention libérale de celui qui s’engage.

Afin de contrôler l’existence de la cause, condition de validité du contrat, cela a conduit les juridictions à tenir compte des motifs du disposant.

Autrement dit, dès lors que l’auteur d’une libéralité se trompait sur les motifs de son engagement, l’acte conclu encourait la nullité.

Exemple : Je crois consentir une donation à une personne que je crois être mon fils, alors qu’en réalité il ne l’est pas car il est né d’une relation adultérine de mon épouse

Aussi, cela revenait-il pour la Cour de cassation à assimiler, en matière de libéralités, l’erreur sur les motifs à l’absence de cause (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986, n°84-15.513)

En édictant, à l’article 1133, al. 2, la règle selon laquelle « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité », le législateur a manifestement entendu palier la suppression de la cause de la liste des conditions de validité du contrat.

Cette exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs révèle, de la sorte, une résurgence de la cause qui est loin d’avoir disparu.

 

Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les époux X… ont, par acte du 22 juillet 1981, fait donation, à titre de partage anticipé, à leurs trois enfants, de la nue propriété de partie d’un ensemble immobilier ; que le 27 janvier 1982 ils ont assigné les bénéficiaires afin que soit déclarée nulle et de nul effet cette donation-partage, comme étant dépourvue de cause, en faisant valoir que les avantages fiscaux dont bénéficiaient les donations-partages et qui ont été supprimés rétroactivement au 9 juillet 1981 par la loi de finances rectificative du 3 août 1981, les avaient déterminés à consentir ce partage anticipé ; que les juges de première instance ont accueilli leur demande ; qu’appel de cette décision a été interjeté par le ministère public qui, tout en reconnaissant n’avoir été que partie jointe à l’instance, invoquait l’atteinte à l’ordre public ; que son appel a été déclaré irrecevable ;

Attendu que le procureur général près la Cour d’appel fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que, d’une part, les juges de première instance, en faisant droit à la demande d’annulation par les époux X… de la donation-partage qu’ils ont consentie, n’ont pas prononcé, ainsi qu’ils l’ont affirmé, un jugement ” strictement civil rendu par référence aux conditions de validité d’une donation-partage. “, mais une décision portant atteinte à l’ordre public et plus précisément à l’ordre public fiscal, et alors, d’autre part, que ce faisant, ils ont nécessairement méconnu la rétroactivité au 9 juillet 1981 du nouveau régime fiscal des donations-partages expressément prévue à l’article 4-1 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 dans le souci d’éviter une source importante d’évasion fiscale à partir du moment où il était devenu de notoriété publique que la loi de finances en préparation se proposait de soumettre, en ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, les donations-partages au régime du droit commun des libéralités ;

Mais attendu que la Cour d’appel, qui a relevé que les premiers juges avaient seulement recherché les circonstances et l’esprit dans lesquels les parties avaient agi pour en tirer les conséquences, sur le plan civil, au regard de la validité des donations-partages, a justement énoncé que ces juges n’avaient pas statué par une décision portant atteinte à l’ordre public en déclarant nulle pour absence de cause une donation-partage, acte purement privé intervenu entre personnes privées parce que l’application rétroactive d’une loi de finances promulguée postérieurement à l’acte avait eu pour conséquence que celui-ci ne se trouvait plus justifié par le mobile qui avait incité les parties à y recourir ; que c’est dès lors à bon droit qu’elle a déclaré le Ministère public, partie jointe, irrecevable en son appel ; que les juges du second degré, qui ont encore estimé qu’il n’y avait pas eu fraude à la loi dès lors que donateurs et donataires avaient opéré strictement dans le cadre de la législation en vigueur, n’ont pas méconnu la rétroactivité du nouveau régime fiscal, rétroactivité rendue inopérante par la nullité qu’ils prononçaient ; d’où il suit que le moyen est, en chacune de ses branches, dépourvu du moindre fondement ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

Au total, l’exigence de contrepartie pour les contrats à titre onéreux n’a donc pas été abandonnée par le législateur : cette condition est simplement formulée en des termes nouveaux : la théorie de l’erreur sur les motifs.

III) Le contenu de l’exigence de contrepartie

A) L’identification de la contrepartie

Afin d’appréhender le contenu de l’exigence de contrepartie pour les contrats à titre onéreux, il convient au préalable de déterminer en quoi consiste ladite contrepartie.

Aussi, cela suppose-t-il, pour ce faire, de distinguer les contrats synallagmatiques des contrats unilatéraux, mais également les contrats commutatifs des contrats aléatoires.

1. Contrats synallagmatiques / contrats unilatéraux

a. Dans les contrats synallagmatiques

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil définit le contrat synallagmatique comme l’acte par lequel « les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres. ».

Le contrat synallagmatique possède donc cette particularité que chaque partie est créancière et débitrice de l’autre. Les contractants sont engagés l’un envers l’autre.

Ainsi, dans les contrats synallagmatiques, la contrepartie réside dans l’objet de l’obligation du cocontractant. En d’autres termes la prestation due par chaque partie sert de contrepartie à l’autre.

Exemples :

  • En matière de contrat de vente la contrepartie du vendeur réside dans le paiement du prix et pour l’acheteur dans la délivrance de la chose
  • En matière de contrat de bail, la contrepartie du bailleur réside dans le paiement du loyer et pour le preneur dans la mise à disposition de la chose

Il peut être observé que la contrepartie exigée par l’article 1169 du Code civil représente les motifs les plus proches qui ont animé les parties au contrat.

Avant la réforme, cette contrepartie était qualifiée de cause objective de l’obligation en ce sens qu’elle est la même pour chaque type de contrat.

En matière de contrat de vente par exemple, l’absence de contrepartie se traduira toujours, soit par l’inexistence de la chose, soit par le défaut de fixation du prix, à tout le moins de prix sérieux.

De la même manière, l’exigence de contrepartie ne sera pas satisfaite en matière de contrat de bail, toutes les fois que la jouissance paisible de la chose louée ne sera pas assurée, ou que le prix du loyer sera dérisoire.

b. Dans les contrats unilatéraux

Pour rappel, l’article 1106, al. 2 du Code civil définit les contrats unilatéraux comme l’acte par lequel « une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Ainsi, dans le contrat unilatéral ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie à l’acte.

Dans les contrats unilatéraux, la contrepartie ne saurait résider dans l’objet de l’obligation du cocontractant puisque, précisément, il n’y en a pas. Celui-ci ne s’est pas engagé à fournir de contreprestation.

Immédiatement, la question alors se pose de savoir comment satisfaire à l’exigence de contrepartie, dans la mesure où pour les contrats à titre onéreux elle constitue une condition de validité du contrat.

À la vérité, cette difficulté n’est pas insurmontable. La jurisprudence considère, en effet, que dans les contrats unilatéraux la contrepartie réside dans le fait qui sert de fondement au contrat.

Cela se vérifie pour les deux contrats que sont le cautionnement et le prêt :

==>Le contrat de cautionnement

Le contrat de cautionnement se définit comme l’acte par lequel une personne, la caution, s’engage à l’égard d’un créancier à payer la dette d’un tiers, le débiteur principal, en cas de défaillance de ce dernier

Dans ce type de contrat, l’identification de la contrepartie ne soulève aucune difficulté : elle réside dans l’existence de la dette à garantir.

Ainsi, dans l’hypothèse où la caution s’engage à payer la dette d’autrui alors que ladite dette n’existe pas, la condition relative à la contrepartie n’est pas remplie.

==>Le contrat de prêt

Le prêt se définit comme le contrat par lequel une personne, le prêteur, remet une chose à une autre, l’emprunteur, afin qu’elle s’en serve pendant un certain temps puis la restitue en nature ou par équivalent.

Par ailleurs, il peut être observé que lorsqu’il est à intérêt, dont le prêt d’argent constitue la principale application, le prêt oblige l’emprunteur, en plus de la restitution de la chose ou des fonds prêtés, à verser des intérêts périodiques.

A priori, le contrat de prêt n’appellerait pas d’observations particulières s’agissant de l’exigence de contrepartie, si le droit français y voyait un contrat consensuel, soit un contrat qui se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression.

En effet, on serait alors en présence d’un contrat synallagmatique, de sorte que l’obligation du prêteur (remettre la chose) et l’obligation de l’emprunteur (restituer la chose et payer des intérêts) se serviraient mutuellement de contrepartie : l’objet de l’obligation du prêteur serait la contrepartie de l’objet de l’obligation de l’emprunteur.

Si l’on se rapporte à la conception classique du contrat de prêt, cette analyse doit cependant être rejetée.

  • La conception classique
    • Les rédacteurs du Code civil avaient, en effet, envisagé le prêt, dans le droit fil du droit romain, comme un contrat réel, soit comme un contrat dont la formation procède de la remise de la chose.
    • Selon cette conception, la contrepartie réside dès lors, non pas dans la contreprestation due par l’autre partie, mais dans la remise de la chose elle-même (V. en ce sens Cass. 1re civ., 20 nov. 1974, n°72-13.117).
    • Dans un arrêt du 5 mars 1996, la chambre commerciale a affirmé en ce sens que « la cause de l’obligation de l’emprunteur résidant dans la mise à sa disposition du montant du prêt » (Cass. com. 5 mars 1996, n°93-20.778).
  • Vers un abandon de la conception classique ?
    • Il ressort de la jurisprudence récente que la Cour de cassation est manifestement en passe d’abandonner la conception classique du contrat de prêt.
    • En effet, depuis un arrêt du 28 mars 2000, le crédit à la consommation n’est plus considéré comme un contrat réel (Cass. civ. 1ère, 28 mars 2000, n°97-21.422)
    • La chambre commerciale a adopté la même solution en 2009 (Cass. Com. 7 avril 2009, n°08-12.192)
    • Ainsi, pour la haute juridiction « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel»
      • Pratiquement, il en résulte que le non-versement des fonds à l’emprunteur ne fait pas obstacle à la conclusion du contrat de prêt.
      • Ainsi, dès lors que les parties ont échangé leur consentement, le contrat est valablement conclu.
    • La Cour de cassation avait déjà adopté cette position en matière de contrat de prêt immobilier (Cass. 1ère civ., 27 mai 1998, n°96-17.312)
    • Doit-on étendre cette solution à tous les contrats de prêt, notamment ceux consentis par des non-professionnels ?
    • La jurisprudence actuelle ne permet pas de la dire.

En toutes hypothèses, si dans la conception classique du contrat de prêt, la contrepartie réside dans la remise de la chose, la conception moderne autorise à rechercher la contrepartie dans la contreprestation due par chacune des parties à l’acte.

 

Cass. civ. 1ère, 28 mars 2000

Attendu que Daniel X… a acheté, le 21 février 1992, à la société Sanlaville, du matériel agricole qui devait être fourni par la société Fiatgeotech, le financement du prix devant être assuré à hauteur de 700 000 francs par un prêt consenti par la société UFB Locabail ; qu’aux termes du contrat, l’UFB Locabail s’est engagée à verser directement à la société Sanlaville le montant du prêt sur simple avis qui lui serait fait par le vendeur de la livraison du matériel, sous condition, notamment de l’adhésion de Daniel X… à une assurance-vie à souscrire auprès de la compagnie UAP Collectives aux droits de laquelle se trouve la société Axa collectives, qui a repris l’instance en ses lieu et place ; que Daniel X… ayant fait parvenir le 31 mars 1992 à l’UFB Locabail le dossier d’adhésion à la garantie d’assurance sur la vie, la société Sanlaville a adressé, le 22 juin suivant, à l’UFB le bon de livraison du matériel ; que Daniel X… est, entre-temps, décédé accidentellement le 4 juin 1992 ; qu’une contestation étant née sur la qualité du matériel livré et l’UFB Locabail ayant dénié devoir financer l’opération, les héritiers X… ont assigné la société Sanlaville, prise en la personne de son liquidateur judiciaire et l’UFB Locabail pour faire prononcer la résiliation de la vente et, subsidiairement, condamner l’UFB à verser à la société Sanlaville le montant du prêt ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que l’UFB Locabail fait grief à l’arrêt attaqué (Grenoble, 1er octobre 1997), d’avoir jugé que le contrat de financement souscrit par Daniel X… l’obligeait à payer la somme convenue à ses héritiers, alors, selon le moyen, en premier lieu, qu’il ressort de l’arrêt que l’UFB n’ayant jamais remis les fonds faisant l’objet du contrat de prêt à Daniel X… avant la date de livraison du matériel, le contrat de prêt ne s’était pas formé, la cour d’appel a violé l’article 1892 du Code civil ; alors, en deuxième lieu, que le contrat de prêt était conclu intuitu personae dès lors que le prêteur s’engageait en considération des possibilités de remboursement de l’emprunteur, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter le contrat de prêt initialement conclu au bénéfice de Daniel X… au profit des ayants-cause de ce dernier, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l’article 1122 du Code civil ; alors, en troisième lieu, que l’article 6 du contrat de prêt stipulait que les sommes restant dues par l’emprunteur deviendraient immédiatement exigibles en cas de décès de ce dernier et l’article 10 de l’acte prévoyait qu’en cas de décès de l’emprunteur avant remboursement de toutes les sommes dues au prêteur, il y aurait solidarité et indivisibilité entre ses héritiers, de sorte qu’en se fondant sur ces clauses qui impliquaient que les fonds avaient été préalablement remis à l’emprunteur avant son décès, pour caractériser une obligation de l’UFB de verser des fonds au profit des héritiers, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ; et alors, en quatrième lieu, que les fonds que l’UFB s’était engagée à verser à Daniel X… ne lui ayant jamais été remis, l’engagement de l’établissement financier ne pouvait s’analyser qu’en une promesse de prêt dont l’inexécution, à la supposer fautive, ne pouvait donner lieu qu’à l’allocation de dommages-intérêts, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter son engagement résultant de la promesse de prêt en lui imposant de verser aux ayants-droit de Daniel X… les sommes qui y étaient visées, la cour d’appel a violé les articles 1892 et 1142 du même Code ;

Mais attendu que le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ; que l’arrêt attaqué, qui relève que la proposition de financement avait été signée par Daniel X… et que les conditions de garanties dont elle était assortie étaient satisfaites, retient, à bon droit, que la société UFB Locabail était, par l’effet de cet accord de volonté, obligée au paiement de la somme convenue ; d’où il suit que le moyen qui n’est pas fondé en sa première branche, est inopérant en ses trois autres branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

2. Contrats commutatifs / contrats aléatoires

L’identification de la contrepartie dans les contrats à titre onéreux commande de distinguer les contrats commutatifs des contrats aléatoires.

==>Exposé de la distinction

  • Le contrat commutatif
    • Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit.
    • Autrement dit, le contrat commutatif est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques sont déterminés lors de la formation du contrat
      • Exemple : la vente est un contrat commutatif car dès sa conclusion les parties se sont accordées sur la détermination de la chose et du prix.
  • Le contrat aléatoire
    • Le contrat est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain.
    • Le contrat aléatoire est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques ne sont, ni déterminés, ni déterminables lors de la formation du contrat
    • La teneur de l’obligation à laquelle s’engagent les parties dépend de la réalisation d’un événement aléatoire
    • De la réalisation de cet événement dépendent le gain et la perte réalisés par les parties
      • Exemple : le contrat d’assurance ou le contrat de viager

==>Conséquence de la distinction sur l’identification de la contrepartie

Au regard de cette distinction, si l’identification de la contrepartie ne pose guère de difficultés en matière de contrat commutatif, dans la mesure où elle est déterminée dès la formation du contrat, tel n’est pas le cas pour les contrats aléatoires.

Dans ce type de contrat, une ou plusieurs prestations convenues par les parties ne sont pas certaines, en ce sens que leur exécution dépend de la réalisation d’un aléa.

Il en résulte que la contrepartie ne saurait résider dans la prestation du cocontractant dont la réalisation est soumise à un aléa. Par définition, il n’est, en effet, pas certain que ladite prestation sera due et que, par voie de conséquence, la contrepartie existera.

  • L’exemple du contrat d’assurance
    • Dans l’hypothèse où le risque assuré ne se réalise pas, les primes qui auront été versées par l’assuré pendant X années ne seront pas utilisées. Est-ce à dire que le contrat est dépourvu de contrepartie ?
    • À la vérité, la contrepartie existe bien. Seulement elle réside, non pas dans la contreprestation qui ne sera pas due en cas de non-réalisation du risque assuré, mais dans l’aléa lui-même. Ainsi, en matière de contrat aléatoire, la contrepartie réside dans l’existence d’un aléa.
    • Si, dès lors, le contrat n’est pas véritablement aléatoire, soit si le risque n’existe pas réellement, alors la condition tenant à l’exigence de contrepartie ne sera pas remplie. Dans ces conditions, il pourra être annulé pour absence de contrepartie.
    • L’article L. 121-15 du Code des assurances prévoit en ce sens que « l’assurance est nulle si, au moment du contrat, la chose assurée a déjà péri et ne peut plus être exposée aux risques ».
    • En application de cette règle la Cour de cassation a eu l’occasion de juger un contrat d’assurance nul pour défaut d’aléa, le risque assuré s’étant déjà réalisé au moment de la conclusion de l’acte (Cass. 1ère civ., 9 nov. 1999, n°97-16.800).
  • L’exemple du contrat constitutif de rente viagère
    • Il s’agit du contrat par lequel une personne, le crédirentier, s’engage à vendre un bien à une autre personne, le débirentier, en contrepartie du versement d’une certaine somme d’argent, des arrérages, à échéance périodique, jusqu’au décès du vendeur.
    • Le Code civil classe le contrat de rente viagère parmi les contrats aléatoires.
    • La contrepartie exigée par l’article 1169 du Code civil réside dès lors dans l’aléa que constitue le décès du crédirentier et non dans les prestations dues par les parties.
    • Aussi, l’article 1974 du Code civil dispose-t-il que « tout contrat de rente viagère, créé sur la tête d’une personne qui était morte au jour du contrat, ne produit aucun effet. »
    • L’article 1975 ajoute que, « il en est de même du contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat. »
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser dans un arrêt du 16 avril 1996 que « l’article 1975 du Code civil n’interdit pas de constater, pour des motifs tirés du droit commun des contrats, la nullité pour défaut d’aléa d’une vente consentie moyennant le versement d’une rente viagère, même lorsque le décès du crédirentier survient plus de vingt jours après la conclusion de cette vente ; qu’il n’est pas nécessaire, dans cette hypothèse, que le crédirentier soit décédé de la maladie dont il était atteint au jour de la signature du contrat ; qu’il suffit que le débirentier ait eu connaissance de la gravité de l’état de santé du vendeur » (Cass. 1ère civ. 16 avr. 1996, n°93-19.661)

B) Les caractères de la contrepartie

Il ressort de la combinaison des articles 1168 et 1169 du Code civil que, si, pour être valide, le contrat doit assurer une certaine équivalence entre les prestations des parties, l’exigence d’un déséquilibre contractuel ne sera cependant pas toujours sanctionnée, notamment lorsque ce déséquilibre s’apparentera à une lésion.

Pour rappel, aux termes de l’article 1168 du Code civil « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Combinée avec l’exigence de contrepartie énoncée à l’article 1169 du Code civil, cela signifie que pour affecter la validité du contrat, le déséquilibre entre les obligations des parties doit être tellement important qu’il constitue bien plus qu’une simple lésion.

Aussi, cela représente-t-il l’hypothèse où l’engagement de l’un des contractants n’est pas causé, en ce sens que celui-ci s’est obligé, alors même qu’il ne recevra aucune contre-prestation en retour.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir à partir de quand le déséquilibre susceptible de se créer entre les prestations des parties lors de la formation du contrat s’apparente-t-il à un défaut de contrepartie ?

L’examen de la jurisprudence nous révèle que cette situation se rencontre dans quatre cas précis :

1. L’absence totale de contrepartie

Il s’agit, de toute évidence, de l’hypothèse qui soulève le moins de difficultés. Dans ce cas de figure, il n’est pas question d’un déséquilibre entre les prestations contractuelles.

Pour qu’il y ait déséquilibre, encore faut-il que l’on puisse confronter deux prestations dont seraient débiteurs l’une et l’autre partie.

Dans l’hypothèse visée à l’article 1169 du Code civil l’un des contractants n’est cependant créancier d’aucune obligation en contrepartie de la prestation qu’il fournit.

Exemples :

  • En matière de contrat de vente
    • Le défaut de contrepartie correspond à l’hypothèse où le vendeur s’engage à transférer la propriété d’une chose qui n’existe pas
    • Inversement le défaut de contrepartie sera caractérisé lorsque l’acheteur ne sera tenu de s’acquitter d’aucun prix.
  • En matière de contrat de prêt
    • Le défaut de contrepartie correspond à l’hypothèse où l’emprunteur s’est engagé à restituer la chose prêtée, alors même qu’elle ne lui a jamais été remise.
  • En matière de contrat de prestation de service
    • Dans un arrêt du 24 juin 2014, la Cour de cassation a encore décidé qu’un contrat de prestation de service était nul pour défaut de cause (contrepartie) dès lors que celui-ci « ne correspondait à aucun service effectif » (Cass. com. 24 juin 2014, n°12-27.908)

2. L’absence de contrepartie sérieuse

Il ressort de l’article 1169 du Code civil que dans l’hypothèse où la contrepartie existe, mais qu’elle est dérisoire ou illusoire, elle doit être assimilée au défaut total de contrepartie.

Très tôt, la jurisprudence a considéré en ce sens que, en matière de contrat de vente par exemple, le prix fixé par les parties devait être sérieux, soit non dérisoire, faute de quoi le contrat encourait la nullité pour défaut de contrepartie (V. en ce sens Cass. req., 3 mai 1922).

Il en va de même pour le contrat de bail dans l’hypothèse où le loyer dû par le preneur serait dérisoire (Cass. 3e civ., 20 déc. 1971, n°70-13.450)

Ainsi l’ordonnance du 10 février 2016 est-elle venue consacrer une solution déjà bien établie en jurisprudence, solution qu’il convient d’appliquer à l’ensemble des contrats synallagmatiques.

3. L’absence de contrepartie réelle

À la différence de l’ancien article 1131 du Code civil, le nouvel article 1169 ne prévoit pas que le défaut de contrepartie s’apparente à la « fausse cause ».

Par fausse cause – contrepartie désormais – il faut entendre, une absence totale ou partielle de contrepartie dont le fait générateur réside, soit dans une simulation, soit dans un vice du consentement.

a. La contrepartie simulée

Il s’agit de l’hypothèse où les deux parties ont, de concert, assorti l’obligation principale du contrat d’une contrepartie apparente, alors que, en réalité, aucune contrepartie n’existe.

Il s’agit, autrement dit, d’une opération déguisée que les parties, cherchent à soustraire à l’application de règles le plus souvent d’ordre fiscal.

Tel est le cas, lorsque, sous couvert d’un contrat de vente, les contractants entendent conclure une donation.

Le vendeur et l’acheteur conviendront, pour ce faire, d’un prix dérisoire, qui s’apparentera, dès lors, à une contrepartie simulée.

Quid de la sanction de la contrepartie simulée ?

  • Principe : requalification de l’opération
    • L’ancien article 1132 du Code civil prévoyait que « la convention n’est pas moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée. »
    • Ainsi en cas de cause simulée, l’acte n’encourrait-il pas, par principe, la nullité.
    • Le juge était libre, néanmoins, de redonner à l’opération, en guise de sanction, sa véritable qualification.
    • Bien que le nouvel article 1169 ne fasse aucune référence à la contrepartie simulée, tout porte à croire que la règle antérieure sera reconduite par la Cour de cassation, conformément à sa jurisprudence constante (V. en ce sens notamment Cass. civ., 31 mai 1858).
  • Exception : la nullité de l’acte
    • En cas de contrepartie simulée l’acte encourra, par exception, la nullité dans l’hypothèse où ladite contrepartie est illicite.
    • Cette solution s’explique par le fait que la requalification de l’opération sera insuffisante quant à sauver le contrat, dans la mesure où le but poursuivi par les parties est contraire à l’ordre public.
    • Or il s’agit là d’une cause de nullité absolue.

b. L’erreur sur la contrepartie

La question qui se pose ici est de savoir comment s’analyse l’hypothèse où l’un des contractants commet une erreur sur la contrepartie dont il croit être créancier ?

Cette situation s’apparente-t-elle à un vice du consentement ou doit-elle être assimilée à un défaut de contrepartie ?

Deux cas de figure doivent principalement être distingués :

i. L’erreur porte sur l’existence de la contrepartie

Ce cas de figure correspond à la situation où, au moment de la conclusion du contrat, le contractant croyait que la cause existait, alors que, en réalité, elle n’existait pas, à tout le moins que partiellement.

==>Lorsque la contrepartie est totalement inexistante

Il est constant, dans cette hypothèse, que la jurisprudence assimile l’erreur sur l’absence de contrepartie à l’absence de contrepartie.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, la Cour de cassation a décidé en ce sens que « l’erreur sur l’existence de la cause, fût-elle inexcusable, justifie l’annulation de l’engagement pour défaut de cause » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°92-10.736).

 

Cass. 1ère civ. 10 mai 1995

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la Société d’économie mixte du marché d’Orléans (Sominos) a été constituée en 1961 avec pour mission, notamment, de construire et d’exploiter, sur les terrains concédés par le département du Loiret, des entrepôts et des immeubles de bureaux ou à usage commercial et d’assurer la gestion de tous les immeubles que le département estimera propres à contribuer à son développement économique ; qu’à compter de 1962, cette société a eu comme directeur général des personnes proposées par l’une de ses actionnaires, la Société centrale d’équipement du territoire (SCET) ; que la Sominos a signé le 28 juin 1972 avec la SCET une convention selon laquelle cette société s’engageait, moyennant une rémunération forfaitaire, à lui apporter une assistance en matière juridique et fiscale administrative, technique et économique, ainsi qu’en gestion financière ; que l’article 11 de la convention prévoyait que la Sominos pourrait faire appel à la SCET pour que soit mis à sa disposition ” un cadre qualifié compétent en matière de gestion de société d’économie mixte et susceptible de suppléer à l’absence ou l’empêchement du directeur ” ; qu’à compter du 1er juin 1980, M. X… a été délégué par la SCET auprès de la Sominos pour exercer les fonctions de directeur ; qu’à la suite de difficultés financières de la Sominos, une mission d’audit fut confiée en décembre 1986, à la Fiduciaire de France, qui déposa ses rapports en 1987 ; que, postérieurement à la dissolution anticipée de la Sominos intervenue en janvier 1988, la SCET a réclamé à cette dernière société le paiement d’une somme de 212 881,74 francs représentant le rachat de points de retraite au profit de M. X…, selon un engagement qu’elle aurait souscrit par lettre du 14 novembre 1986 ; que la Sominos, soutenant que la SCET avait manqué à ses obligations contractuelles en mettant à sa disposition un cadre incompétent ayant commis de graves fautes de gestion, l’a assignée en réparation de son préjudice ; que l’arrêt attaqué (Orléans, 20 novembre 1991) a débouté la Sominos de sa demande et l’a condamnée à payer à la SCET la somme réclamée ;

Sur le premier moyen :

Mais sur le second moyen :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner la Sominos à payer à la SCET le coût du rachat des points de retraite au profit de M. X…, l’arrêt se borne à retenir que la Sominos ne saurait prétendre que l’engagement qu’elle a pris à cet effet par lettre du 14 novembre 1986, compte tenu des services rendus par M. X…, est entaché d’erreur, dans l’ignorance où elle était, à cette date, des graves fautes de gestion commises par celui-ci, alors qu’il lui appartenait, en qualité de commettant, d’user de ses pouvoirs de contrôle et d’autorité sur son préposé ;

Qu’en se déterminant ainsi, alors que l’erreur sur l’existence de la cause, fût-elle inexcusable, justifie l’annulation de l’engagement pour défaut de cause, la cour d’appel, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Sominos à payer à la SCET la somme de 212 881,70 francs, l’arrêt rendu le 20 novembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers.

 

==>Lorsque la contrepartie est partiellement inexistante

Cette hypothèse correspond à la situation où l’un des contractants s’est trompé, non pas sur l’existence même de la contrepartie, mais seulement sur son étendue.

Autrement dit, l’errans s’est engagé pour un montant supérieur au prix qui a, en réalité, été convenu.

Contrairement à l’hypothèse précédente, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 11 mars 2003 sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil que « la fausseté partielle de la cause n’entraîne pas l’annulation de l’obligation, mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistante » (Cass. 1ère civ. 11 mars 2003, n°99-12.628).

Toutefois, dans un arrêt postérieur du 31 mai 2007, la première chambre civile est venue préciser que « dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l’obligation » (Cass. 1ère civ., 31 mai 2007, n°05-21.316).

Comment concilier ces deux décisions en apparence contradictoires ?

  • S’agissant de la première décision : Cass. 1ère civ. 11 mars 2003
    • La solution retenue en 2003 par la Cour de cassation a été adoptée en vue de permettre au juge de ramener l’engagement excessif pris par le débiteur dans le cadre d’une reconnaissance de dette à hauteur du montant de la dette préexistante.
    • Si, d’aucuns ont analysé cette solution comme l’introduction, en droit des contrats, d’une obligation générale de proportionnalité entre les engagements pris par les parties l’une envers l’autre, il semble néanmoins que cette solution doive être cantonnée au seul domaine de la reconnaissance de dette.
    • Cet acte s’apparente, en effet, à un engagement unilatéral de payer.
    • Or la cause de cet engagement réside dans l’existence de la dette préexistante.
    • Si donc, le débiteur s’oblige à rembourser une somme supérieure au montant de la dette initiale, il se déduit que son engagement est partiellement privé de contrepartie.
    • D’où l’admission par la Cour de cassation de la réduction de l’obligation du débiteur, à hauteur de la fraction subsistante, soit celle correspondant au montant de la dette préexistante (Cass. 1ère civ. 11 mars 2003, n°99-12.628).

 

Cass. 1ère civ. 11 mars 2003

Vu l’arrêt du 20 novembre 2001 constatant l’interruption de l’instance du fait du décès de Charlotte X…, veuve Y…, survenu le 17 juillet 1999, et les actes de signification du mémoire ampliatif aux héritiers de celle-ci ;

Attendu qu’au mois d’octobre 1981, M. Jean-Yves Y… a repris le cabinet de géomètre-expert de son oncle, Jean Y…, décédé le 18 juin 1981 ; que, par acte du 21 octobre 1992, Charlotte X…, veuve de Jean Y…, a assigné M. Jean-Yves Y… en paiement d’une somme de 629 956 francs, représentant notamment les loyers dus pour les locaux professionnels, et en annulation d’une reconnaissance de dette de 800 000 francs souscrite devant notaire le 13 novembre 1991 ; que l’arrêt attaqué (Rennes, 10 novembre 1998), rendu après expertise, a déclaré de nul effet l’acte du 13 novembre 1991, condamné M. Jean-Yves Y… à payer à Charlotte X… la somme de 149 417 francs, avec les intérêts au taux légal, outre une indemnité d’occupation de 1 200 francs par mois à compter de juillet 1996, et débouté les parties de leurs autres demandes ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Jean-Yves Y… fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamné à payer à Charlotte X… diverses sommes au titre de l’occupation des locaux professionnels : 1 ) en lui faisant supporter la preuve de l’absence d’obligation au paiement d’indemnités d’occupation, de sorte que la cour d’appel aurait inversé la charge de la preuve ; 2 ) sans répondre à ses conclusions de nature à établir qu’un accord était intervenu entre les parties pour compenser l’occupation des locaux et qu’il n’était donc redevable d’aucune indemnité ;

Mais attendu que, dans ses dernières conclusions d’appel, M. Jean-Yves Y… avait reconnu qu’il y avait eu promesse d’une indemnité d’occupation acceptée par les deux parties ; qu’il n’est donc pas recevable à soutenir devant la Cour de Cassation un moyen contraire à ses propres écritures ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu que la fausseté partielle de la cause n’entraîne pas l’annulation de l’obligation, mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistante ;

Attendu que, pour déclarer nul en sa totalité l’acte du 13 novembre 1991, la cour d’appel énonce que Charlotte X… ne pouvait être débitrice de la somme portée à cet acte ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle s’était appropriée les conclusions de l’expert dont il résultait que la dette de Charlotte X… à l’égard de son neveu existait bien, même si elle s’avérait inférieure à la somme pour laquelle elle s’était engagée, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions relatives à l’indemnité d’occupation, l’arrêt rendu le 10 novembre 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ;

 

  • S’agissant de la seconde décision : Cass. 1ère civ., 31 mai 2007
    • Dans l’arrêt du 31 mai 2007, la Cour de cassation décide que, dans les contrats synallagmatiques, la fausseté partielle de la cause ne peut jamais entraîner la réduction de l’obligation.
    • Cette décision se comprend aisément, car si l’on avait admis que l’erreur sur l’étendue de la contreprestation soit constitutive d’une cause de réduction de l’obligation, cela serait revenu à admettre indirectement la lésion.
    • Or la lésion est sans incidence sur la validité des engagements pris par les parties, conformément à l’article 1168 du Code civil
    • Dans ces conditions, la solution adoptée par la Cour de cassation ne peut être qu’approuvée (Cass. 1ère civ., 31 mai 2007, n°05-21.316).

 

Cass. 1ère civ., 31 mai 2007

Sur le moyen unique :

Attendu que M. et Mme Y… ont accepté, suivant acte du 1er juillet 1994, de céder à M. X…, au prix d’un franc, 2015 actions qu’ils possédaient dans le capital de la société Deltanic Tabey Pro (DTP), ce prix ayant été déterminé au vu de la situation comptable de cette société arrêtée au 30 avril 1994 et en tenant compte de l’abandon, par M. Y…, à hauteur de 301 892,23 francs, de son compte courant dont il était précisé qu’il s’élevait alors à 1 700 056,50 francs, M. Y… devant, par acte séparé, céder à M. X…, moyennant le prix d’un franc, la moitié de sa créance sur la société, soit 850 000 francs ; que par acte notarié des 4 avril et 2 mai 1995, les époux Y… ont cédé à M. X… les actions d’une autre société et le compte courant qu’ils détenaient dans les comptes de celle-ci ainsi que leurs actions de la société DTP et le compte courant d’associé de M. Y… dans cette société, moyennant la constitution d’une rente viagère de 24 000 francs par an ; qu’il résulte d’attestations de l’expert comptable et du commissaire aux comptes de la société DTP que le montant du compte-courant de M. Y… dans les comptes de la société DTP s’élevait seulement à la somme de 548 164,27 francs au 1er juillet 1994 ; que M. X… a assigné les époux Y… en sollicitant en dernier lieu notamment la réduction du prix de cession visé à l’acte des 4 avril et 2 mai 1995 ; que l’arrêt attaqué (Lyon, 29 septembre 2005) l’a débouté de ses demandes ;

Attendu qu’il est fait grief à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait alors, selon le moyen, que dans un contrat synallagmatique, la cause de l’obligation d’une partie réside dans l’objet de l’obligation de l’autre, sa fausseté partielle donnant lieu à la réduction de ladite obligation à la mesure de la fraction subsistante ; qu’il résulte en l’espèce des propres constatations de l’arrêt attaqué que le solde du compte courant inclus dans l’objet de la cession litigieuse, en considération duquel le prix de cession avait été en partie fixé, était largement supérieur à son montant réel, la cause de l’obligation de l’acquéreur étant ainsi partiellement fausse ; qu’en décidant cependant qu’il n’y avait pas lieu à réduction du prix, la cour d’appel a violé l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu que dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l’obligation ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

 

Quid de la reconduction par l’ordonnance du 10 février 2016 des solutions adoptées par la Cour de cassation en matière de fausseté partielle de la cause ?

Manifestement, l’article 1169 du Code civil ne traite nullement du cas de la fausseté partielle de la contrepartie.

Est-ce à dire qu’elle ne constitue plus une cause de réduction de l’obligation en matière de reconnaissance de dette, conformément à la jurisprudence du 11 mars 2003 ?

La question mérite d’être posée, dans la mesure où l’article 1169 ne vise que la contrepartie « non illusoire » ou « non dérisoire ».

Il n’est nullement fait référence dans cette disposition à l’hypothèse où a contrepartie serait partiellement inexistante.

La solution dégagée par la Cour de cassation en matière de reconnaissance est, par conséquent, susceptible d’être remise en cause.

ii. L’erreur porte sur l’objet de la contrepartie

Dans l’hypothèse où l’erreur d’un contractant porte sur l’objet de la contrepartie, la nullité du contrat est encourue.

La jurisprudence analyse classiquement cette situation comme en une erreur obstacle, en ce sens que la rencontre des volontés a été empêchée.

Exemple : l’une des parties pensait vendre son bien alors que l’autre croyait qu’il s’agissait d’un contrat de location.

Ainsi, l’erreur sur l’objet de la prestation est-elle sanctionnée sur le terrain du consentement et non sur celui du défaut de contrepartie.

4. L’absence d’utilité de l’opération

En principe, la contrepartie exigée à l’article 1169 du Code civil doit, de la sorte, être entendu comme la cause objective, soit celle qui représente pour les motifs les plus proches qui ont animé les parties au contrat.

Exemple :

  • Dans le contrat de vente, le contrôle de l’exigence de contrepartie portera sur la délivrance de la chose et sur le paiement d’un prix non dérisoire
  • Dans le contrat de bail, on vérifiera encore que le preneur s’acquitte d’un loyer et que preneur assure bien la jouissance paisible de la chose louée.

Il ne s’agira donc pas de s’intéresser aux motifs lointains des contractants, en ce sens que les raisons – ou cause subjective – qui ont déterminé l’une ou l’autre partie à contracter ne sont, a priori, pas pris en compte quant à contrôler l’exigence d’une contrepartie.

Tel était du moins l’état de la jurisprudence jusqu’à un arrêt du 3 juillet 1996 (Cass. civ. 1re, 3 juillet 1996, n°94-14.800)

Cette décision a, en effet, donné naissance à un mouvement que l’on a qualifié de subjectivisation de la cause, ce qui a conduit à une extension du domaine de la nullité pour absence de cause :

==>Première étape : naissance du mouvement de subjectivisation de la cause

 

Arrêt Point club vidéo

(Cass. civ. 1re, 3 juillet 1996)

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que la société DPM fait grief à l’arrêt attaqué (Grenoble, 17 mars 1994) d’avoir annulé, pour défaut de cause, le contrat de création d’un ” point club vidéo ” et de location de cassettes conclu avec M. et Mme Y…, en retenant que la cause, mobile déterminant de l’engagement de ces derniers, était la diffusion certaine des cassettes auprès de leur clientèle, et que cette exploitation était vouée à l’échec dans une agglomération de 1314 habitants, alors que, d’une part, dans un contrat synallagmatique la cause de l’obligation d’une partie réside dans l’obligation de l’autre partie, et qu’en l’espèce la cause de l’engagement des époux X… était la mise à leur disposition des cassettes vidéo, et que, d’autre part, les motifs déterminants ne peuvent constituer la cause du contrat que dans le cas non relevé par la cour d’appel où ces motifs sont entrés dans le champ contractuel ;

Mais attendu qu’ayant relevé que, s’agissant de la location de cassettes vidéo pour l’exploitation d’un commerce, l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties était impossible, la cour d’appel en a exactement déduit que le contrat était dépourvu de cause, dès lors qu’était ainsi constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l’obligation de payer le prix de location des cassettes, souscrite par M. et Mme Y… dans le cadre de la convention de création d’un ” point club vidéo ” ;

Que l’arrêt est ainsi légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

  • Faits
    • Conclusion d’un contrat entre un fournisseur de cassettes vidéo et un loueur qui entendait créer avec son épouse un point club vidéo.
    • Toutefois, l’exploitation de ce commerce s’avère très rapidement déficitaire, celui-ci ayant été ouvert dans une agglomération insuffisamment peuplée pour que l’opération soit économiquement rentable.
  • Demande
    • Une action en nullité du contrat de fourniture est alors engagée par le couple d’époux
  • Procédure
    • Par un arrêt du 17 mars 1994, la Cour d’appel de Grenoble annule le contrat conclu entre les époux et le fournisseur de vidéos.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’activité des époux était vouée à l’échec compte tenu du faible nombre d’habitants dans le village dans lequel ils se sont implantés, le contrat était entaché de nullité pour défaut de cause.
    • La Cour d’appel, considère, en effet, que la raison pour laquelle le couple d’époux aurait contracté avec le fournisseur résidait dans l’activité commerciale qu’ils comptaient exploiter.
    • Or dans l’agglomération dans laquelle ils ont implanté leur commerce, leur projet n’était pas viable compte tenu du faible nombre d’habitants.
    • Le contrat serait donc privé de cause.
  • Solution
    • Par un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile rejette le pourvoi formé par le fournisseur de cassettes vidéos.
    • La Cour de cassation justifie sa décision en relevant que l’exécution du contrat était impossible.
    • Plus précisément, elle estime que « le contrat était dépourvu de cause, dès lors qu’était ainsi constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l’obligation de payer le prix de location des cassettes ».
  • Analyse
    • Il ressort de cet arrêt que, contrairement à ce qu’elle s’était toujours refusé de faire, pour apprécier l’existence d’une cause à l’opération (contrepartie), la Cour de cassation prend en compte les mobiles des parties ; plus exactement leurs motifs lointains.
    • En effet, pour décider que le contrat est nul pour défaut de cause, la Cour de cassation se focalise, non pas sur la cause objective, soit la fourniture de cassettes vidéos, mais sur la cause subjective, soit le but poursuivi par les parties : exploiter un commerce de cassettes vidéos suffisamment rentable.
    • Jusqu’alors, pour vérifier l’exigence de cause, la haute juridiction se contentait pourtant de contrôle l’existence de contreparties réciproques.
    • Avec cet arrêt, elle se livre au contrôle de ce l’on a appelé « l’économie du contrat ».
    • Comment analyser cette décision ?
    • Deux théories ont principalement été avancées pour expliquer cette décision :
    • Première théorie : la cause objective
      • Selon cette théorie, bien que la Cour de cassation subisse l’attraction de la cause subjective, on demeurerait dans le cadre de la cause objective.
      • Pour les tenants de cette théorie, la haute juridiction ne contrôlerait pas vraiment les mobiles des parties, mais l’économie du contrat
      • En d’autres termes elle évaluerait seulement la contrepartie reçue par chacune d’elles, pour constater qu’elle est insuffisante.
      • On resterait donc bien dans le cadre de la cause objective.
      • La Cour de cassation subjectivise toutefois cette contrepartie, en exigeant qu’elle soit apte à satisfaire l’économie du contrat.
      • Ainsi, la cause de l’obligation souscrite par couple de commerçants, résiderait bien dans la contre-prestation exécutée par le fournisseur, soit la fourniture de vidéos cassettes, pourvu néanmoins, selon la Cour de cassation, que cette contre-prestation respecte l’économie du contrat.
      • C’est la raison pour laquelle, avec cet arrêt, la Cour de cassation a parlé de subjectivisation de la cause objective.
    • Seconde théorie : la cause subjective
      • Selon cette théorie, l’arrêt Point club vidéo consacrerait une approche purement subjective de la cause de sorte qu’il serait alors mis fin à la dualité entre cause objective et cause subjective.
      • Aussi, la cause constituerait désormais un concept unitaire et se définirait comme « le but contractuel commun aux parties ou poursuivi par l’une d’elles et pris en compte par les autres ; le défaut de cause s’identifierait à l’impossibilité pour les parties d’atteindre ce but contractuel »[1]
      • La Cour de cassation utilise toutefois dans l’arrêt le terme « contrepartie ».
      • Or c’est là la marque de la cause objective, de sorte que l’on peut s’interroger sur la véritable intention de la Cour de cassation dans cet arrêt.
      • La question qui s’est alors posée a été de savoir s’il s’agissait d’un simple arrêt d’espèce ou si l’on devait lui conférer la portée d’un arrêt de principe.
  • Critique générale
    • La solution retenue dans cet arrêt conduit manifestement les juges, en recourant prenant en compte les mobiles des parties pour contrôler l’exigence de cause, à se livrer à une véritable appréciation de la faisabilité de l’opération économique.
    • Or il s’agit là, en principe d’une prérogative qui, en principe, est exclusivement dévolue aux parties.
    • Aussi, de nombreux auteurs, ont-ils fait observer que, dans cet arrêt, la Cour de cassation était totalement sortie de son rôle, car il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la faisabilité de l’opération économique.
    • Cette décision a-t-elle été confirmée par la suite ?

==>Deuxième étape : tempérament du mouvement de subjectivisation de la cause

 

Cass. com. 27 mars 2007

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Agen, 31 janvier 2005), que M. X… a conclu avec la société MDM multimédia (la société MDM) “un contrat de création d’un point de location de cassettes vidéo”, aux termes duquel, moyennant une somme convenue, il disposerait, pour une durée de 10 mois renouvelable, d’un lot de 120 cassettes ; que M. X… n’ayant pas réglé les sommes convenues, la société MDM a obtenu une ordonnance d’injonction de payer contre laquelle il a formé opposition en sollicitant l’annulation du contrat ;

Attendu que M. X… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande en nullité de ce contrat et en dommages-intérêts et de l’avoir condamné à payer à la société MDM la somme de 5 437,83 euros outre les intérêts à compter du 26 juin 2002 et jusqu’à parfait paiement avec capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1154 du code civil, alors, selon le moyen :

1 / qu’en écartant l’allégation de dol sans répondre aux conclusions de M. X… qui soutenait que la société MDM ne lui avait pas révélé qu’elle avait fait signer un contrat du même type à un restaurateur installé à 13 km, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;

3 / que la cause de l’obligation d’une partie est constituée par la réalité de la prestation que lui doit l’autre partie ; qu’en se bornant à relever de manière générale que M. X… n’établit pas l’impossibilité qu’il allègue de pouvoir réaliser la location de cassettes vidéo à l’occasion de l’exercice de ses commerces sur des objectifs qu’il a lui-même fixés dans un contexte que sa situation de commerçant installé lui permettait de définir, sans rechercher si concrètement dans un village de 180 habitants (160 pour la cour d’appel) celui-ci avait une chance de louer un nombre de cassettes suffisant pour réaliser des bénéfices, compte tenu du prix de la mise en place de ces cassettes de 1 326,67 euros sur 10 mois, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir retenu qu’il résulte des éléments contradictoirement débattus que c’est M. X… qui a souscrit de lui-même un abonnement auprès de la société MDM sur des prestations connues de lui et qu’il ne peut donc faire relever du dol la médiocrité par lui alléguée des films qu’il proposait par ailleurs de louer à sa propre clientèle, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre M. X… dans le détail de son argumentation, a pu en déduire que la société MDM n’avait pas commis de dol à l’égard de ce dernier ;

Attendu, en second lieu, que l’arrêt retient que l’absence de cause ne se conçoit que si l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties est impossible en raison de l’absence de contrepartie réelle ; qu’il constate encore que M. X…, sur lequel repose la démonstration d’une telle situation, n’apporte que des éléments insuffisants à établir l’impossibilité qu’il allègue de pouvoir réaliser la location de cassettes vidéo à l’occasion de l’exercice de ses commerces sur des objectifs qu’il a lui-même fixés dans un contexte que sa situation de commerçant installé lui permettait de définir ; qu’en l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

 

  • Faits
    • Comme dans l’espèce, précédente, il s’agissait dans cet arrêt de la conclusion d’un contrat de création d’un point de location de cassettes vidéo, aux termes duquel, moyennant une somme convenue, l’exploitant disposerait, pour une durée de 10 mois renouvelable, d’un lot de 120 cassettes
    • Toutefois, ce dernier ne règle pas les sommes dues au titre du contrat de fourniture
    • Le fournisseur obtient alors une ordonnance d’injonction de payer à l’encontre de son débiteur.
  • Demande
    • L’exploitant de cassettes vidéos forme opposition à l’ordonnance d’injonction de payer rendue contre lui et sollicite l’annulation du contrat de fourniture.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 31 janvier 2005 la Cour d’appel d’Agen, déboute le requérant de sa demande d’annulation du contrat.
    • Les juges du fond estiment que les éléments apportés par l’exploitant sont insuffisants quant à établir l’impossibilité pour lui de réaliser l’opération économique envisagée, soit la création d’un point de location de cassettes vidéos.
  • Solution
    • Par un arrêt du 27 mars 2007, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’exploitant (Cass. com. 27 mars 2007, n°06-10.452).
    • La chambre commerciale valide en ce sens le raisonnement des juges du fond qui avaient estimé que «  l’absence de cause ne se conçoit que si l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties est impossible en raison de l’absence de contrepartie réelle ».
    • Or en l’espèce, l’auteur du pourvoi « n’apporte que des éléments insuffisants à établir l’impossibilité qu’il allègue de pouvoir réaliser la location de cassettes vidéo à l’occasion de l’exercice de ses commerces sur des objectifs qu’il a lui-même fixés dans un contexte que sa situation de commerçant installé lui permettait de définir »
    • La Cour de cassation confirme ainsi par cet arrêt la solution qui avait été adoptée 10 ans plus tôt.
    • Non seulement les faits sont sensiblement les mêmes, mais encore elle se réfère explicitement à « l’absence de contrepartie réelle », laquelle s’apprécie au regard de l’économie du contrat voulue par les parties, ce qui fait directement écho à l’arrêt du 3 juillet 1996.
    • La solution rendue en l’espèce n’est toutefois pas identique en tous points.
    • Il ressort, en effet de l’arrêt, que la haute juridiction procède à un renversement de la charge de la preuve.
    • La chambre commerciale estime en ce sens qu’il appartient à l’exploitant de prouver l’absence de contrepartie réelle, alors que cette exigence n’avait pas été formulée dans l’arrêt Point club vidéo.
    • La solution rendue ici est donc plus restrictive que la précédente.
    • D’aucuns y ont vu un signe d’apaisement envoyé par la Cour de cassation aux détracteurs de l’arrêt du 3 juillet 1996.

==>Troisième étape : fin du mouvement de subjectivisation de la cause

 

Cass. com. 9 juin 2009

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1131 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 17 avril 2002, la société Meria a conclu avec l’association Tourisme et culture Bordeaux, association des personnels des groupes La Poste et France Télécom (l’association), un contrat de location portant sur un lot de cassettes vidéo et DVD, pendant une durée de douze mois, selon un prix mensuel de 3 100 euros ; qu’après s’être acquittée du paiement d’une partie de ce prix, l’association a assigné la société Meria en annulation ou résolution de ce contrat, en remboursement de la somme versée, et en indemnisation de son préjudice ;

Attendu que, pour déclarer le contrat nul pour absence de cause, l’arrêt constate que l’objet de celui-ci, envisagé du point de vue de l’association, était de louer des cassettes et des DVD en vue de les diffuser à ses membres, au nombre d’environ 300, constitués de personnels de La Poste et de France Télécom ; qu’il relève que l’engagement résultant du contrat souscrit avec la société Meria, d’un montant de 37 200 euros, représentait plus du double de l’actif apparaissant sur les documents comptables au titre de l’exercice 2001, et que les pièces du dossier ne révèlent pas que l’association fut appelée à disposer au titre de l’année 2002 de ressources exceptionnelles ou susceptibles d’accroître notablement le budget de l’exercice précédent, de sorte qu’il est certain que le budget de l’association ne lui permettait pas de financer la location des vidéogrammes ; qu’il relève encore que l’importance de l’engagement financier mis à sa charge par le contrat l’empêchait de financer les autres objectifs poursuivis par celle-ci dans le domaine touristique et culturel ; qu’il relève enfin que, dans la mesure où les cassettes et DVD étaient destinés non seulement à être loués, mais aussi à être prêtés aux membres de l’association, le produit attendu des locations ne pouvait en aucun cas permettre d’assurer l’équilibre financier de l’opération ; qu’il en déduit que le contrat, en l’absence de contrepartie réelle pour l’association, ne pouvait être exécuté selon l’économie voulue par les parties ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la cause de l’obligation d’une partie à un contrat synallagmatique réside dans l’obligation contractée par l’autre, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a déclaré l’appel de l’association Tourisme et culture Bordeaux recevable, l’arrêt rendu le 29 novembre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux, autrement composée ;

 

  • Faits
    • Conclusion d’un contrat de location portant sur un lot de cassettes vidéo et DVD pendant une durée de douze mois, selon un prix mensuel de 3 100 euros entre une association et une société.
  • Demande
    • Après s’être acquittée du paiement d’une partie de ce prix, l’association assigne son fournisseur en annulation ou résolution de ce contrat, en remboursement de la somme versée, et en indemnisation de son préjudice.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 29 novembre 2007, la Cour d’appel de Bordeaux fait droit à la demande de l’association.
    • Au soutien de sa décision d’annulation du contrat pour absence de cause, les juges du fond relèvent que:
      • D’une part, l’objet de celui-ci, envisagé du point de vue de l’association, était de louer des cassettes et des DVD en vue de les diffuser à ses membres, au nombre d’environ 300, constitués de personnels de La Poste et de France Télécom
      • D’autre part, que l’engagement résultant du contrat souscrit avec la société Meria, d’un montant de 37 200 euros, représentait plus du double de l’actif apparaissant sur les documents comptables au titre de l’exercice 2001, et que les pièces du dossier ne révèlent pas que l’association fut appelée à disposer au titre de l’année 2002 de ressources exceptionnelles ou susceptibles d’accroître notablement le budget de l’exercice précédent, de sorte qu’il est certain que le budget de l’association ne lui permettait pas de financer la location des vidéogrammes.
      • En outre, que l’importance de l’engagement financier mis à sa charge par le contrat l’empêchait de financer les autres objectifs poursuivis par celle-ci dans le domaine touristique et culturel.
      • Enfin que, dans la mesure où les cassettes et DVD étaient destinés non seulement à être loués, mais aussi à être prêtés aux membres de l’association, le produit attendu des locations ne pouvait en aucun cas permettre d’assurer l’équilibre financier de l’opération.
    • La Cour d’appel en déduit que le contrat, en l’absence de contrepartie réelle pour l’association, « ne pouvait être exécuté selon l’économie voulue par les parties ».
  • Solution
    • Par un arrêt du 9 juin 2009, la chambre commerciale casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil, soit sur le fondement de la cause (Cass. com. 9 juin 2009, n°08-11.420).
    • La Cour de cassation estime en ce sens que « la cause de l’obligation d’une partie à un contrat synallagmatique rédie dans l’obligation contractée par l’autre ».
    • Aussi, la chambre commerciale, semble revenir par cet arrêt à une approche classique de la cause.
    • La Cour de cassation reproche, en effet, aux juges du fond d’avoir pris en compte les mobiles des parties pour apprécier l’existence de cause, alors qu’il convient seulement, pour ce faire, de vérifier l’existence d’une contrepartie.
    • Or en l’espèce, cette contrepartie existait bien, dans la mesure où elle consistait en la fourniture de cassettes vidéo et de DVD.
    • L’engagement de l’association était donc parfaitement causé !
    • Par cet arrêt, la Cour de cassation opère manifestement un revirement de jurisprudence et abandonne la solution adoptée dans l’arrêt Point club vidéo.
    • Ce retour à une conception classique de la cause a été confirmé par un arrêt du 18 mars 2014
    • Dans cette décision la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel qui avait débouté un requérant de sa demande de nullité d’un contrat pour défaut de cause (Cass. com. 18 mars 2014, n°12-29.453).
    • Pour justifier sa solution, la chambre commerciale affirme que « la cause de l’obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d’appel, appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat ; que par ce seul motif, la cour d’appel a justifié sa décision ».
    • Ainsi, la haute juridiction se refuse-t-elle à apprécier l’existence de cause au regard de la rentabilité du contrat.
    • Seule doit être prise en compte l’existence d’une contrepartie pour contrôler l’exigence de cause.

 

Cass. com. 18 mars 2014

Sur le moyen unique, qui est recevable comme étant de pur droit :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2012), que le 27 novembre 2006, la société Les Complices a concédé à la société Yangtzekiang, devenue la société Yang design (la société Yang) une licence d’exploitation de sa marque « Les Complices » en contrepartie d’une redevance annuelle calculée par un pourcentage sur le chiffre d’affaires, avec minima ; que n’ayant pas reçu paiement des redevances convenues, la société Les Complices a obtenu une ordonnance d’injonction de payer à laquelle la société Yang a fait opposition ;

Attendu que la société Yang fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à la société Les Complices les sommes de 37 685,13 euros et 42 319,75 euros avec intérêts, alors, selon le moyen, que la disparition de la cause d’un engagement à exécution successive en cours d’exécution du contrat entraîne sa caducité ; que l’évolution des circonstances économiques peut déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties et priver de contrepartie réelle l’engagement de l’une d’elles qui devient caduc ; que la société Yang a fait valoir que l’évolution des circonstances économiques du marché du textile et la chute des ventes dans la grande distribution ont entraîné un déséquilibre du contrat le rendant non viable pour elle et privant de cause son obligation au titre des minima garantis ; que pour rejeter ce moyen, la cour d’appel a jugé que la rentabilité du contrat ne participe pas davantage à la définition de la cause dont l’existence s’apprécie au moment de sa conclusion ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu que la cause de l’obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d’appel, appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat ; que par ce seul motif, la cour d’appel a justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

 

==>Quatrième étape : vers une résurgence du mouvement de subjectivisation de la cause ?

Bien que la Cour de cassation semble être revenue à une conception classique de la cause, la formulation du nouvel article 1169 du Code civil n’exclut pas l’hypothèse d’une résurgence du mouvement de subjectivisation de la cause.

En effet, cette disposition fait tout d’abord référence à la « contrepartie convenue ».

Or cette formule n’est pas sans rappeler l’arrêt du 27 mars 2007 où la Cour de cassation avait explicitement affirmé que « l’absence de cause ne se conçoit que si l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties est impossible en raison de l’absence de contrepartie réelle » (Cass. com. 27 mars 2007, n°06-10.452).

Ensuite, l’article 1169 prévoit que la contrepartie « convenue » ne doit pas être illusoire ce qui renvoie à l’exigence de contrepartie réelle qui avait déjà été formulée dans l’arrêt du 3 juillet 1996.

Au total, il ressort de cette nouvelle disposition que tous les ingrédients sont ainsi réunis pour permettre à la Cour de cassation de réactiver sa jurisprudence Point club vidéo.

5. L’obligation essentielle du contrat

Lorsque le juge se livre à un contrôle de la contrepartie – entendue antérieurement comme la cause de l’obligation – il doit, en principe, appréhender le contrat pris dans son ensemble, soit comme un tout.

Autrement dit, l’exigence formulée à l’article 1169 du Code civil ne suppose pas que chaque clause de l’acte soit assortie d’une contrepartie.

La stipulation d’une contrepartie n’est, en effet, exigée que pour la prestation caractéristique du contrat, appelée également obligation principale ou essentielle.

Ainsi, dans un contrat de vente, ce qui importe c’est qu’un prix sérieux ait été stipulé par les parties en contrepartie de la délivrance de la chose.

Une clause relative aux modalités d’exécution du contrat prévue par les parties sans contrepartie serait sans incidence sur la validité de l’acte, sauf à ce que la mise en œuvre de ladite clause porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat.

Tel est le sens de l’article 1170 du Code civil aux termes duquel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil, cette disposition est venue consacrer la célèbre construction jurisprudentielle Chronopost et Faurecia dont les rebondissements se sont échelonnés sur près de 14 ans.

a. La construction de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

a.1. La saga Chronopost

En résumant à gros trait, dans le cadre de l’affaire Chronopost, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si une clause stipulée en contradiction avec l’engagement principal pris par l’une des parties pouvait faire l’objet d’une annulation.

C’est sur le terrain de la cause que la Cour de cassation a tenté de répondre en se servant de cette notion comme d’un instrument de contrôle de la cohérence du contrat, ce qui n’a pas été sans alimenter le débat sur la subjectivisation de la cause.

Afin de bien saisir les termes du débat auquel a donné lieu la jurisprudence Chronopost, revenons sur les principales étapes de cette construction jurisprudentielle qui a conduit à l’introduction d’un article 1170 du Code civil.

i. Premier acte : arrêt Chronopost du 22 octobre 1996

 

Arrêt Chronopost I

(Cass. com. 22 oct. 1996)

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, que la société Banchereau a confié, à deux reprises, un pli contenant une soumission à une adjudication à la société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI ; que ces plis n’ayant pas été livrés le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi que la société Chronopost s’y était engagée, la société Banchereau a assigné en réparation de ses préjudices la société Chronopost ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Attendu que, pour débouter la société Banchereau de sa demande, l’arrêt retient que, si la société Chronopost n’a pas respecté son obligation de livrer les plis le lendemain du jour de l’expédition avant midi, elle n’a cependant pas commis une faute lourde exclusive de la limitation de responsabilité du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Banchereau dans un délai déterminé, et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 juin 1993, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen.

 

==>Faits

Une société (la société Chronopost), spécialiste du transport rapide, s’est engagée à livrer sous 24 heures un pli contenant une réponse à une adjudication.

Le pli arrive trop tard, de sorte que la société cliente ne parvient pas à remporter l’adjudication.

==>Demande

La société cliente demande réparation du préjudice subi auprès du transporteur

Toutefois, la société Chronopost lui oppose une clause qui limite sa responsabilité au montant du transport, soit 122 francs.

==>Procédure

Par un arrêt du 30 juin 1993, la Cour d’appel de Rennes, déboute la requérante de sa demande.

Les juges du fond estiment que la responsabilité contractuelle du transporteur n’aurait pu être recherchée que dans l’hypothèse où elle avait commis une faute lourde.

Or selon la Cour d’appel le retard dans la livraison du pli ne constituait pas une telle faute.

En conséquence, le client du transporteur ne pouvait être indemnisé du préjudice subi qu’à hauteur du montant prévu par le contrat soit le coût du transport : 122 francs.

==>Solution

Par un arrêt du 22 octobre 1996, la Chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 22 oct. 1996, n°93-18.632).

La Cour de cassation affirme, au soutien de sa décision que dans la mesure où la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant, à ce titre, la fiabilité et la célérité de son service, s’était engagée à livrer les plus de son client dans un délai déterminé, « en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».

==>Analyse

Tout d’abord, il peut être observé que, en visant l’ancien article 1131 du Code civil, la Cour de cassation assimile à l’absence de cause l’hypothèse où la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité a pour effet de contredire la portée de l’obligation essentielle contractée par les parties.

En l’espèce, la société Chronopost, spécialisée dans le transport rapide, s’est engagée à acheminer le plus confié dans un délai déterminé en contrepartie de quoi elle facture à ses clients un prix bien supérieur à ce qu’il est pour un envoi simple par voie postale.

En effet, c’est pour ce service, en particulier, que les clients de la société Chronopost, se sont adressé à elle, sinon pourquoi ne pas s’attacher les services d’un transporteur classique dont la prestation serait bien moins chère.

Ainsi, y a-t-il manifestement dans le délai rapide d’acheminement une obligation essentielle soit une obligation qui constitue l’essence même du contrat : son noyau dur.

Pourtant, la société Chronopost a inséré dans ses conditions générales une clause aux termes de laquelle elle limite sa responsabilité, en cas de non-respect du délai d’acheminement fixé, au montant du transport, alors même que le préjudice subi par le client est sans commune mesure.

D’où la question posée à la Cour de cassation : une telle clause ne vide-t-elle pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat, laquelle n’est autre que la stipulation en considération de laquelle le client s’est engagé ?

En d’autres termes, peut-on envisager que la société Chronopost s’engage à acheminer des plis dans un délai rapide et, corrélativement, limiter sa responsabilité en cas de non-respect du délai stipulé à la somme de 122 francs ?

Il ressort du présent arrêt, que la Cour de cassation répond par la négative à cette question.

Elle estime, en ce sens, que la stipulation de la clause limitative de responsabilité était de nature à contredire la portée de l’engagement pris au titre de l’obligation essentielle du contrat.

En réduisant à presque rien l’indemnisation en cas de manquement à l’obligation essentielle du contrat, la clause litigieuse vide de sa substance ladite obligation.

Aussi, cela reviendrait, selon la Cour de cassation qui vise l’article 1131 du Code civil, à priver de cause l’engagement du client, laquelle cause résiderait dans l’obligation d’acheminer le pli dans un délai déterminé.

Elle en déduit que la clause limitative de responsabilité doit être réputée non-écrite.

==>Critiques

Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de la solution retenue par la haute juridiction

  • Le visa de la solution
    • Pourquoi annuler la clause du contrat sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil alors même qu’il existe une contrepartie à l’obligation de chacun des contractants ?
      • La contrepartie de l’obligation de la société Chronopost consiste en le paiement du prix par son client.
      • La contrepartie de l’obligation du client consiste quant à elle en l’acheminement du pli par Chronopost.
    • Jusqu’alors, afin de contrôler l’existence d’une contrepartie, le contrat était appréhendé globalement et non réduit à une de ses clauses en particulier.
  • La subjectivisation de la cause
    • Autre critique formulée par les auteurs, la Cour de cassation se serait attachée, en l’espèce, à la fin que les parties ont poursuivie d’un commun accord, ce qui revient à recourir à la notion de cause subjective alors que le contrôle de l’existence de contrepartie s’opère, classiquement, au moyen de la seule cause objective.
    • Pour la Cour de cassation, en concluant un contrat de transport rapide, les parties ont voulu que le pli soit acheminé à son destinataire dans un certain délai.
    • Or, si l’on s’en tient à un contrôle de la cause objective (l’existence d’une contrepartie), cela ne permet pas d’annuler la clause limitative de responsabilité dont la mise en œuvre porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat : l’obligation de délivrer le pli dans le délai convenu.
    • Pour y parvenir, il est en effet nécessaire d’apprécier la validité des clauses du contrat en considération de l’objectif recherché par les contractants.
    • Le recours à la notion de cause subjective permet alors d’écarter la clause qui contredit la portée de l’engagement pris, car elle entrave la fin poursuivie et ainsi la cause qui a déterminé les parties à contracter.
    • Tel est le cas de la clause limitative de responsabilité qui fait obstacle à la réalisation du but poursuivi par les parties, cette clause étant de nature à ne pas inciter la société Chronopost à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose afin d’exécuter son obligation, soit acheminer les plis qui lui sont confiés dans le délai stipulé.
    • Au total, la conception que la Cour de cassation se fait de la cause renvoie à l’idée que la cause de l’obligation correspondrait au but poursuivi par les parties, ce qui n’est pas sans faire écho à l’arrêt Point club vidéo rendu le 3 juillet 1996, soit trois mois plus tôt, où elle avait assimilé le défaut d’utilité de l’opération économique envisagé par l’une des parties à l’absence de cause.
  • La sanction de l’atteinte à l’obligation essentielle
    • La cause étant une condition de validité du contrat, son absence était sanctionnée, en principe, par une nullité du contrat lui-même.
    • Tel n’est cependant pas le cas dans l’arrêt Chronopost où la Cour de cassation estime que la clause limitative de responsabilité est seulement réputée non-écrite.
    • Pourquoi cette solution ?
    • De toute évidence, en l’espèce, la Cour de cassation a statué pour partie en opportunité.
    • Si, en effet, elle avait prononcé la nullité du contrat dans son ensemble, cela aurait abouti au même résultat que si l’on avait considéré la clause valide :
      • Le client reprenait son pli
      • Chronopost reprend ses 122 francs.
    • Aussi, en réputant la clause non-écrite, cela permet d’envisager la question de la responsabilité contractuelle de la société Chronopost, la clause limitative de responsabilité ayant été neutralisée.
    • Plus largement, la sanction retenue participe d’un mouvement en faveur du maintien du contrat : plutôt que d’anéantir l’acte dans son ensemble, on préfère le maintenir, amputé de ses stipulations illicites.
    • La Cour de cassation parvient donc ici à une solution équivalente à laquelle aurait conduit l’application des règles relatives à la prohibition des clauses abusives.
    • Toutefois, ce corpus normatif ne trouve d’application que dans le cadre des relations entre professionnels et consommateurs, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, on peut estimer que la Cour de cassation s’est servie dans cet arrêt du concept de cause comme d’un instrument d’éradication d’une clause abusive stipulée dans un contrat qui, par nature, échappait au droit de la consommation.

ii. Deuxième acte : arrêt Chronopost du 9 juillet 2002

La solution retenue dans l’arrêt Chronopost n’a pas manqué de soulever plusieurs questions, dont une en particulier : une fois que l’on a réputé la clause limitative de responsabilité non-écrite comment apprécier la responsabilité de la société Chronopost ? Autrement dit, quelle conséquence tirer de cette sanction ?

 

Arrêt Chronopost II

(Cass. com. 9 juill. 2002)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 22 octobre 1996, bulletin n° 261), qu’à deux reprises, la société Banchereau a confié à la Société française de messagerie internationale (SFMI), un pli destiné à l’office national interprofessionnel des viandes, de l’élevage et de l’agriculture en vue d’une soumission à une adjudication de viande ; que ces plis n’ayant pas été remis au destinataire le lendemain de leur envoi, avant midi, ainsi que la SFMI s’y était engagée, la société Banchereau n’a pu participer aux adjudications ;

qu’elle a assigné la SFMI en réparation de son préjudice ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8, paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er et 15 du contrat type messagerie, établi par décret du 4 mai 1988, applicable en la cause ;

Attendu que pour déclarer inapplicable le contrat type messagerie, l’arrêt retient que le contrat comporte une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité qui rend inapplicable les dispositions du droit commun du transport ;

Attendu qu’en statuant ainsi, après avoir décidé que la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du deuxième moyen et sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;

 

  • Faits
    • La Cour de cassation est amenée à se prononcer une seconde fois sur l’affaire Chronopost jugée une première fois par elle le 22 octobre 1996.
    • Elle statue ici sur le pourvoi formé par la société Chronopost contre l’arrêt rendu sur renvoi le 5 janvier 1999 par la Cour d’appel de Rouen.
  • Problématique
    • À l’instar du contrat vente, de bail ou encore de prêt, le contrat de messagerie est encadré par des dispositions réglementaires.
    • Plus précisément il est réglementé par le décret du 4 mai 1988 qui organise son régime juridique.
    • Aussi, dans le deuxième volet de l’affaire Chronopost, la question s’est posée de savoir si le décret du 4 mai 1988 réglementant les contrats de type transport était applicable au contrat conclu entre la société Chronopost et son client ou si c’est le droit commun de la responsabilité contractuelle qui devait s’appliquer.
    • Quel était l’enjeu ?
      • Si le décret s’applique, en cas de non-acheminement du pli dans les délais par le transporteur, celui-ci prévoit une clause équivalente à celle déclarée nulle par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 octobre 1996 : le remboursement du montant du transport, soit la somme de 122 francs, celle-là même prévue dans les conditions générales de la société Chronopost.
      • Si, au contraire, c’est le droit commun de la responsabilité qui s’applique, une réparation du préjudice subie par la société cliente du transporteur est alors envisageable.
  • Solution
    • Tandis que la Cour d’appel condamne la société Chronopost sur le terrain du droit commun (réparation intégrale du préjudice) estimant que le contrat type messagerie était inapplicable en l’espèce, la Cour de cassation considère que le décret du 4 mai 1988 avait bien vocation à s’appliquer (Cass. com. 9 juill. 2002, n°99-12.554).
    • Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que dans la mesure où la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, cela entraîne nécessairement « l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec ».
    • En appliquant le droit commun des transports, cela revient alors à adopter une solution qui produit le même effet que si elle n’avait pas annulé la clause litigieuse : le remboursement de la somme de 122 francs !
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise toutefois que le plafond légal d’indemnisation est susceptible d’être écarté en rapportant la preuve d’une faute lourde imputable au transporteur.
    • D’où la référence dans le visa, entre autres, à l’ancien article 1150 du Code civil qui prévoyait que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »
    • La solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2002 a immédiatement soulevé une nouvelle question :le manquement à une obligation essentielle du contrat pouvait être assimilé à une faute lourde, ce qui dès lors permettrait d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.

iii. Troisième acte : arrêts Chronopost du 22 avril 2005

 

Arrêts Chronopost III

(Cass. ch. mixte, 22 avril 2005)

 

Première espèce

Attendu, selon l’arrêt attaqué que la société D… France (la société D…) ayant décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de sa candidature qui n’est parvenue à destination que le 26 mai 1999 ; que la société D… a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard du contrat-type “messagerie” ; Sur le second moyen :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8 paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu que pour écarter le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type “messagerie” et condamner la société Chronopost à payer à la société D… la somme de 100 000 francs, l’arrêt retient que la défaillance de la société Chronopost consistant en un retard de quatre jours, qualifié par elle-même “d’erreur exceptionnelle d’acheminement”, sans qu’elle soit en mesure d’y apporter une quelconque explication, caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société Chronopost, l’arrêt rendu le 24 mai 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

 

 

Seconde espèce

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 7 février 2003), que le 31 décembre 1998, la société Dubosc et Landowski (société Dubosc) a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes ; que le dossier qui aurait dû parvenir au jury avant le 4 janvier 1999, a été livré le lendemain ; que la société Dubosc, dont la candidature n’a pu de ce fait être examinée, a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard figurant au contrat-type annexé au décret du 4 mai 1988 ;

Attendu que la société Dubosc fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Chronopost à lui payer seulement la somme de 22,11 euros, alors, selon le moyen, “que l’arrêt relève que l’obligation de célérité, ainsi que l’obligation de fiabilité, qui en est le complément nécessaire, s’analysent en des obligations essentielles résultant de la convention conclue entre la société Dubosc et la société Chronopost ; que l’inexécution d’une obligation essentielle par le débiteur suffit à constituer la faute lourde et à priver d’effet la clause limitative de responsabilité dont le débiteur fautif ne peut se prévaloir pour s’exonérer de la réparation du préjudice qui en résulte pour le créancier ; qu’en décidant que faute d’établir des faits précis caractérisant la faute lourde du débiteur, le créancier ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du prix du transport, la cour d’appel a violé les articles 1131, 1134, 1147 et 1315 du Code civil, 8, alinéa 2, de !a loi du 30 décembre 1982, 1 et 15 du contrat messagerie établi par le décret du 4 mai 1988″ ;

Mais attendu qu’il résulte de l’article 1150 du Code civil et du décret du 4 mai 1988 portant approbation du contrat-type pour le transport public terrestre de marchandises applicable aux envois de moins de trois tonnes pour lesquels il n’existe pas de contrat-type spécifique que, si une clause limitant le montant de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, seule une faute lourde, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat-type établi annexé au décret ;

Qu’ayant énoncé à bon droit que la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il convenait de limiter l’indemnisation de la société Dubosc au coût du transport ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

==>Faits

  • Dans la première espèce
    • Une société qui avait décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de
    • Sa candidature n’est cependant parvenue à destination que le 26 mai 1999 en raison d’un retard dans l’acheminement du pli.
  • Dans la seconde espèce
    • Une société a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes.
    • Le dossier devait parvenir au jury avant le 4 janvier 1999.
    • Toutefois, il n’est délivré que le lendemain.

==>Demande

Dans les deux arrêts, les clients de la société Chronopost demandent réparation du préjudice occasionné du fait du retard de livraison du pli confié au transporteur

==>Procédure

  • Première espèce
    • Par un arrêt du 24 mai 2002, la Cour d’appel de Paris accède à la requête du client de la société Chronopost.
    • Les juges du fond estiment que le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type messagerie devait être écarté dans la mesure où le retard d’acheminement du pli qui avait été confié à la société Chronopost « caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ».
  • Seconde espèce
    • Par un arrêt du 7 février 2003, la Cour d’appel de Versailles déboute le client de la société Chronopost de sa demande.
    • Les juges du fond estiment dans cette espèce que si l’obligation de livrer dans les délais le pli confié au transporteur constitue une obligation essentielle du contrat, le manquement à cette obligation ne suffit pas à caractériser une faute lourde.
    • Dès lors, pour la Cour d’appel de Versailles, il n’y a pas lieu d’écarter le plafond d’indemnisation prévu par le décret qui réglemente les contrats-type messagerie.

==>Solution

Tandis que dans la première espèce, la Chambre mixte casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, dans la seconde le pourvoi formé par le client de la société Chronopost est rejeté.

Deux enseignements peuvent être tirés des deux arrêts rendus le même jour par la chambre mixte le 22 avril 2005 :

  • Définition de la faute lourde
    • La Cour de cassation répond à l’interrogation née de l’arrêt du 9 juillet 2002 : la définition de la faute lourde
    • Aussi, dans la deuxième espèce jugée par la chambre mixte, la faute lourde est définie comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté ».
    • La faute lourde comprendrait donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif : l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • Faute lourde et manquement à l’obligation essentielle
    • Dans la première espèce la Cour de cassation estime que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°02-18.326).
    • Dans la seconde espèce, la haute juridiction affirme encore que « la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°03-14.112).
    • En d’autres termes, il résulte des deux arrêts rendus par la chambre mixte le 22 avril 2005 que le simple manquement à une obligation essentielle du contrat ne saurait caractériser à lui seul une faute lourde
    • Pour que la faute lourde soit retenue, il aurait fallu que soit établie, en plus, l’existence d’un élément subjectif : le comportement d’une extrême gravité confinant au dol.
    • Ainsi, était-il nécessaire de démontrer que la société Chronopost avait délibérément livré le pli qui lui a été confié en retard, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’espèce.
    • D’où le refus de la Cour de cassation d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.
    • La chambre mixte a dès lors fait le choix d’une approche extrêmement restrictive de la faute lourde, à tel point que les auteurs se sont demandé si cela ne revenait pas à exclure toute possibilité d’écarter le plafond légal d’indemnisation en raison de l’impossibilité de rapporter la preuve de la faute lourde.

iv. Quatrième acte : Arrêt Chronopost du 30 mai 2006

 

Arrêt Chronopost IV

(Cass. com. 30 mai 2006)

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que deux montres, confiées par la société JMB International à la société Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport ; que la société JMB International a contesté la clause de limitation de responsabilité que lui a opposée la société Chronopost ;

Attendu que pour débouter la société JMB International de toutes ses demandes, l’arrêt retient que celle-ci, qui faisait valoir le grave manquement de la société Chronopost à son obligation essentielle d’acheminement du colis à elle confié, avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a dit que l’action de la société JMB International était recevable et n’était pas prescrite, l’arrêt rendu le 11 mars 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris

 

  • Faits
    • Deux montres, confiées par une société au transporteur Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport.
  • Demande
    • La société cliente engage la responsabilité de Chronopost.
    • Au soutien de sa demande, elle avance que la clause limitative de responsabilité dont se prévaut le transporteur ne lui est pas opposable.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 mars 2004, la Cour d’appel de Paris déboute le client de la société Chronopost de toutes ses demandes.
    • Étonnamment, les juges du fond adoptent une solution pour le moins différente de la jurisprudence initiée par la Cour de cassation dix ans plus tôt.
    • Ils considèrent que, en confiant un pli à la société Chronopost pour qu’elle l’achemine jusqu’à son destinataire, elle « avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté »
    • La clause limitative de responsabilité était, dans ces conditions, parfaitement applicable à la société cliente.
    • Ainsi, la Cour d’appel refuse-t-elle d’apprécier la validité de la clause limitative de responsabilité en se demandant si elle ne portait pas atteinte à une obligation essentielle, ni même si la société Chronopost n’avait pas manqué à son obligation de délivrer le pli dans le délai prévu par le contrat.
  • Solution
    • Par un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 30 mai 2006, n°04-14.974).
    • Sans surprise, la chambre commerciale reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché « si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat »
    • Ainsi, la haute juridiction fait-elle une exacte application de la solution dégagée dans le premier arrêt Chronopost rendu le 22 octobre 1996.

v. Cinquième acte : Arrêt Chronopost du 13 juin 2006

 

Arrêt Chronopost V

(Cass. com. 13 juin 2006)

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1150 du code civil, l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Dole froid service a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi” ; que ce délai n’ayant pas été respecté, la société Dole froid service, dont l’offre n’a pu être examinée, a assigné la société Chronopost service en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour dire inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et du contrat type messagerie applicables en la cause et condamner en conséquence la société Chronopost à payer à la société Dole froid service la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice, l’arrêt retient que la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a condamné la société Chronopost à verser à la société Dole froid service la somme complémentaire de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts, l’arrêt rendu le 2 décembre 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

 

  • Faits
    • Une société a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi”.
    • Le délai de livraison n’ayant pas été respecté, l’offre n’a pu être examinée.
  • Demande
    • Le client de la société Chronopost engage sa responsabilité aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 décembre 2004, la Cour d’appel de Paris accède à la demande du demandeur en déclarant le plafond légal d’indemnisation inapplicable,
    • La Cour d’appel relève pour ce faire que « la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée »
    • Elle en déduit que, en l’espèce, la faute lourde ce qui, conformément à l’ancien article 1150 du Code civil, rendait inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 juin 2006, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond notamment au visa de l’article 1150 du Code civil (Cass. com. 13 juin 2006, n°05-12.619).
    • La chambre commerciale réitère ici la solution dégagée par la chambre mixte le 22 avril 2005 en affirmant que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
    • Or en l’espèce, le seul manquement susceptible d’être reproché au transporteur était de n’avoir pas exécuté son obligation essentielle, de sorte que cela n’était pas suffisant pour caractériser une faute lourde.
    • Pour y parvenir, la Cour de cassation rappelle que cela suppose de démontrer d’adoption par le transporteur d’un comportement d’une extrême gravité confinant au dol.

a.2 L’épilogue de la saga Chronopost : les arrêts Faurecia

La saga des arrêts Chronopost a donné lieu à un épilogue qui s’est déroulé en deux actes.

i. Premier acte : arrêt Faurecia du 13 février 2007

 

Arrêt Faurecia I

(Cass. com. 13 févr. 2007)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

[…]

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l’article 1131 du code civil ;

Attendu que, pour limiter les sommes dues par la société Oracle à la société Faurecia à la garantie de la condamnation de cette société au paiement de la somme de 203 312 euros à la société Franfinance et rejeter les autres demandes de la société Faurecia, l’arrêt retient que la société Faurecia ne caractérise pas la faute lourde de la société Oracle qui permettrait d’écarter la clause limitative de responsabilité, se contentant d’évoquer des manquements à des obligations essentielles, sans caractériser ce que seraient les premiers et les secondes et dès lors que de tels manquements ne peuvent résulter du seul fait que la version V 12 n’ait pas été livrée ou que l’installation provisoire ait été ultérieurement “désinstallée” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait, d’abord, constaté que la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12, ce dont il résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

 

==>Faits

La société Faurecia a souhaité déployer sur ses sites en 1997 un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale

Conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999

Des contrats de licence, de maintenance et de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en œuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte

Dans l’attente de la livraison de la livraison du nouveau logiciel, une solution provisoire a été installée

Toutefois, cette solution provisoire ne fonctionnait pas correctement et la version V 12 du logiciel n’était toujours pas livrée.

La société Faurecia a dès lors cessé de régler les redevances dues à son fournisseur, la société Oracle, laquelle avait, entre-temps, cédé ses droits à la société Franfinance.

==>Demande

La société Faurecia assigne alors la société Oracle ainsi que la société Deloitte aux fins d’obtenir la nullité des contrats conclus pour dol et subsidiairement leur résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties.

==>Procédure

Par un arrêt du 31 mars 2005, la Cour d’appel de Versailles a estimé que l’indemnisation susceptible d’être allouée à la société Faurecia en réparation de son préjudice devait être limitée au montant prévu par la clause limitative de responsabilité.

Cette clause trouvait, en effet, pleinement à s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où la société Faurecia ne caractérisait pas la faute lourde de la société Oracle.

Les juges du fond avancent au soutien de cette affirmation que, non seulement la société Faurecia n’établit aucun des manquements aux obligations essentiels reprochés à la société Oracle, mais encore que ces manquements ne sauraient résulter du seul fait que le logiciel ne lui a pas été livré, ni que l’installation provisoire ait été ultérieurement désinstallée.

La solution de la Cour d’appel était ainsi, en tous points, conforme à la jurisprudence Chronopost de la Cour de cassation.

==>Solution

Par un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Après avoir relevé que « la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12 », la cour de cassation considère que le manquement reproché à la société Oracle portait sur une obligation essentielle.

Or elle estime que pareil manquement « est de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt Faurecia I

  • En premier lieu
    • Dès lors qu’une clause vient limiter la responsabilité du débiteur d’une obligation essentielle, elle doit être réputée non écrite.
    • Les clauses limitatives de responsabilité seraient, en somme, sans effet dès lors que le manquement reproché à une partie porterait sur une obligation essentielle.
  • En second lieu
    • Le seul manquement à une obligation essentielle suffit à caractériser la faute lourde.
    • Il s’agit donc de la solution radicalement opposée à celle adoptée par la Cour de cassation, par deux fois, dans ses arrêts du 22 avril 2005 et du 13 juin 2006.
    • Sur ce point, la chambre commerciale opère donc un revirement de jurisprudence.
    • Désormais, le simple manquement est suffisant quant à faire échec à la clause limitative de responsabilité.
    • Il n’est plus besoin de rapporter la preuve d’un comportement d’une extrême gravité imputable au débiteur de l’obligation essentielle.

==>Analyse

La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt Faurecia I a été unanimement critiquée par la doctrine.

Les auteurs ont reproché à la chambre commerciale d’avoir retenu une solution « liberticide » en ce sens que cela revenait à priver les parties de la possibilité de stipuler une clause limitative de responsabilité dès lors qu’une obligation essentielle était en jeu.

L’application de cette jurisprudence aurait conduit, en effet, à considérer que seules les obligations accessoires au contrat pouvaient désormais faire l’objet d’une limitation de responsabilité, ce qui n’est pas sans porter atteinte à la liberté contractuelle des parties.

La Cour de cassation s’est, de la sorte, écartée de la solution dégagée dans l’arrêt Chronopost I où elle avait décidé que la clause limitative de responsabilité ne devait être réputée non écrite qu’à la condition que ladite clause prive la portée de l’engagement pris.

Dans l’arrêt Faurecia I, la chambre commerciale ne formule pas cette exigence.

Elle se satisfait de la seule présence dans le contrat, d’une clause limitative de responsabilité susceptible d’être activée en cas de manquement à une obligation essentielle.

Animée d’une volonté d’encadrer le recours aux clauses limitatives de responsabilité la Cour de cassation est, à l’évidence, allée trop loin.

Aussi, un retour à la solution antérieure s’est très rapidement imposé.

ii. Second acte : arrêt Faurecia du 29 juin 2010

 

Arrêt Faurecia II

(Cass. com. 29 juin 2010)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2008), que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; qu’elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre ces sociétés ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ; que la cour d’appel a, par application d’une clause des conventions conclues entre les parties, limité la condamnation de la société Oracle envers la société Faurecia à la garantie de la condamnation de celle-ci envers la société Franfinance et rejeté les autres demandes de la société Faurecia ; que cet arrêt a été partiellement cassé de ce chef (chambre commerciale, financière et économique, 13 février 2007, pourvoi n° Z 05-17.407) ; que, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel, faisant application de la clause limitative de réparation, a condamné la société Oracle à garantir la société Faurecia de sa condamnation à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel légal de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus dans les termes de l’article 1154 à compter du 1er mars 2002 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Faurecia fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l’arrêt relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications ; que la cour d’appel en a déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Faurecia fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, qu’après avoir constaté que la société Oracle n’avait pas livré la version V 12, en considération de laquelle la société Faurecia avait signé les contrats de licences, de support technique, de formation et de mise en oeuvre du programme Oracle applications, qu’elle avait ainsi manqué à une obligation essentielle et ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l’aurait empêchée d’accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d’appel a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une faute d’une gravité telle qu’elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil ;

Mais attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que les deuxième et quatrième moyens ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

==>Faits / procédure

Après que dans l’arrêt Faurecia I, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel de Versailles, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

Par un arrêt du 26 novembre 2008, les juges parisiens, qui donc statuent sur renvoi, décident de résister à la chambre commerciale.

Ils estiment, en effet, que la clause limitative de responsabilité était pleinement applicable en l’espèce, conformément à la solution qui avait été adoptée par la première Cour d’appel qui avait été saisie.

==>Solution

Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Faurecia contre la décision de la Cour d’appel de Paris (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

Deux questions étaient soumises à la chambre commerciale :

  • Première question : la clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle doit-elle être réputée non-écrite ?
    • À cette question, la Cour de cassation répond par la négative.
    • Elle affirme en ce sens que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »
    • Ainsi, la Cour de cassation renoue-t-elle à la solution classique dégagée dans l’arrêt Chronopost I.
    • Pour qu’une clause limitative de responsabilité soit annulée, elle doit vider de sa substance l’obligation essentielle.
    • Dans le cas contraire, elle demeure valide.
    • En l’espèce, la Chambre commerciale relève que « si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications »
    • Elle en déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle
    • Rien ne justifiait donc que ladite clause soit réputée non-écrite.
  • Seconde question : le manquement à une obligation essentielle est-il constitutif d’une faute lourde ?
    • La Cour de cassation renoue là aussi avec la solution antérieure.
    • Elle affirme que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur »
    • Le seul manquement à une obligation essentielle ne suffit donc pas à caractériser une faute lourde.
    • Il est nécessaire de démontrer l’existence d’un comportant d’une extrême gravité confinant au dol imputable au débiteur de l’obligation essentielle.
    • Or en l’espèce, la société Oracle n’a pas rapporté la preuve d’une telle faute.

Au total, avec l’arrêt Faurecia II la Cour de cassation renoue avec la jurisprudence Chronopost dont elle s’était écartée dans l’arrêt Faurecia I.

Le législateur n’a pas manqué de saluer ce revirement en consacrant la solution adoptée dans l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1170 du Code civil.

b. La consécration légale de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

Aux termes de l’article 1170 du Code civil « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Ainsi, le législateur a-t-il entendu consacrer la jurisprudence initiée par l’arrêt Chronopost I, puis qui s’est conclue sur l’arrêt Faurecia II.

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de la règle introduite par l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil.

==>Sur le domaine d’application de la règle

Il peut tout d’abord être observé que, de par sa généralité, l’application de la règle édictée à l’article 1170 n’est pas cantonnée au domaine des clauses limitatives de responsabilité.

Cette disposition a vocation à s’appliquer à toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

On peut ainsi envisager que cela concerne, par exemple les clauses de non-concurrence qui seraient stipulées sans contrepartie.

Il peut encore s’agir des clauses dites de réclamation insérées dans les contrats d’assurance vie aux termes desquelles la victime d’un sinistre doit, pour être indemnisée par son assureur, présenté sa réclamation pendant la durée de validité du contrat. À défaut, la clause a pour effet de priver l’assuré de l’indemnisation d’un sinistre alors même que celui-ci est survenu pendant la durée d’efficacité du contrat et que les primes d’assurance ont été dûment réglées.

==>Sur les conditions d’application de la règle

L’application de la règle édictée à l’article 1170 du Code civil est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • L’existence d’une obligation essentielle
    • Le législateur a repris à son compte la notion d’obligation essentielle dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost I
    • Que doit-on entendre par obligation essentielle ?
    • L’ordonnance du 10 février 2016 ne le dit pas.
    • Une ébauche de définition a été donnée par Pothier qui, dès le XVIIIe siècle, décrivaient les obligations essentielles comme celles « sans lesquelles le contrat ne peut subsister. Faute de l’une ou de l’autre de ces choses, ou il n’y a point du tout de contrat ou c’est une autre espèce de contrat ».
    • Il s’agit, autrement dit, de l’obligation en considération de laquelle les parties se sont engagées.
    • Ainsi, la réalisation de l’opération économique envisagée par les parties dépend de l’exécution de l’obligation essentielle.
    • Elle constitue, en somme, le pilier central autour duquel l’édifice contractuel tout entier est bâti.
  • La stipulation d’une clause qui viderait de sa substance l’obligation essentielle
    • L’ordonnance d’une 10 février 2016 conditionne l’annulation d’une clause sur le fondement de l’article 1170 du Code civil qu’à la condition qu’elle « prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur »
    • Ainsi, le législateur a-t-il choisi de reprendre à l’identique la solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Faurecia II ?
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Faurecia I, la Chambre commerciale avait estimé que dès lors qu’une clause limitative de responsabilité portait sur une obligation essentielle elle devait être réputée non écrite (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).
    • Sous le feu des critiques, la Cour de cassation a été contrainte de revoir sa position dans l’arrêt Faurecia II.
    • Dans cette décision, elle choisit de renouer avec la jurisprudence Chronopost en affirmant que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).
    • Si, indéniablement, l’article 1170 consacre cette solution, reste néanmoins une question en suspens : que doit-on entendre par « substance » ?
    • Plus précisément, qu’est-ce qu’une clause qui prive de sa substance une obligation essentielle ?
    • Dans l’arrêt Chronopost, la Cour de cassation s’était placée sur le terrain de la cause pour justifier sa solution.
    • Elle estimait, en effet, que la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité conduisait à priver de son intérêt l’utilité de l’opération économique convenue par les parties : l’acheminement du pli confié au transporteur dans un bref délai.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si le législateur a entendu assimiler la privation de l’obligation essentielle de sa substance à l’absence de cause, telle que, envisagée dans l’arrêt Chronopost, soit dans sa conception subjective ?
    • Si l’on compare les expressions « substance de l’obligation » (art. 1170) et « portée de l’obligation » (arrêt Chronopost), il apparaît que le sens de chacune d’elles est sensiblement différent.
      • Le terme substance renvoie à l’idée de contenu de l’obligation : en quoi consiste la prestation convenue par les parties ?
      • Le terme de portée renvoie quant à lui à l’idée de cause de l’obligation : pourquoi les contractants se sont-ils engagés ?
    • Aussi, selon que l’on raisonne sur la base de l’un ou l’autre terme, le champ d’application de l’article 1170 du Code civil est susceptible d’être plus ou moins étendu.
      • Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 1170, ne pourront être pris en considération que les éléments prévus dans le contrat pour apprécier la validité d’une clause qui affecterait une obligation essentielle
      • Si en revanche, l’on s’écarte de la lettre de l’article 1170 à la faveur d’une conception finaliste, pourront alors être pris en compte, les mobiles des parties, telle que l’utilité de l’opération économique envisagée individuellement par elles.
    • Pratiquement, la seconde conception offre, de toute évidence, une bien plus grande marge de manœuvre au juge qui pourra, pour apprécier la validité de la clause affectant une obligation essentielle, se référer à des éléments extérieurs au contrat : les mobiles des parties.

==>La sanction de la règle

Le législateur a décidé d’étendre la sanction prévue initialement pour les seules clauses abusives, aux clauses qui portent atteinte à une obligation essentielle du contrat : elles sont réputées non-écrite.

Cela signifie que, non seulement la clause est privée d’effet, mais encore qu’elle disparaît du contrat.

La conséquence en est un retour immédiat au droit commun qui s’appliquera à la situation juridique, initialement réglée par les parties, mais qui, sous l’effet de la sanction du juge, est devenue orpheline de tout cadre contractuel.

Est-ce à dire que, dans les différents arrêts Chronopost la suppression de la clause limitative de responsabilité permettrait aux clients d’être indemnisés de leurs préjudices ?

S’agissant de ce cas spécifique, la réponse ne peut être que négative.

Le droit commun a prévu que, en matière de contrat-type message, l’indemnisation du préjudice en cas de retard de livraison du pli ne peut excéder un certain plafond, soit celui-là même fixé par la société Chronopost.

Une suppression de la clause serait donc inopérante, sauf à ce que le client soit susceptible d’établir une faute lourde à l’encontre du transporteur, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (V. notamment l’arrêt Faurecia II : Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

  1. Ph. Reigné, La notion de cause efficiente du contrat en droit privé français, thèse ?

L’exigence de détermination du prix et la réforme des obligations

Nombreux sont les contrats dans lesquels est stipulée une obligation qui consiste en le paiement d’une somme d’argent, soit d’une obligation pécuniaire qui exprime le prix d’une chose ou d’un service (prix dans la vente, loyer dans le bail, honoraires dans le mandat, prime dans l’assurance etc.)

Si l’obligation pécuniaire se retrouve dans la très grande majorité des contrats onéreux, elle n’en constitue pas moins une catégorie particulière d’obligation, celle-ci portant sur de la monnaie.

Or par définition, la monnaie est instable en ce sens que rien ne permet de dire que la prestation estimée à un euro aujourd’hui aura toujours la même valeur demain.

D’où la difficulté pour les contrats qui s’échelonnent dans le temps de fixer un prix et, par voie de conséquence, de satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation.

S’il peut s’avérer extrêmement tentant pour les parties de reporter la fixation du prix à plus tard, il est un risque que, dans pareille hypothèse, le contrat encourt la nullité.

Immédiatement la question alors se pose de savoir quelles sont les marges de manœuvres dont disposent les parties quant à la détermination du prix.

1. Droit antérieur

Il ressort de la jurisprudence que les exigences relatives à la détermination du prix ont considérablement évolué sous l’empire du droit antérieur.

==>Première étape : conception souple de l’exigence de détermination du prix

  • Droit commun des contrats
    • La jurisprudence considérait, dans un premier temps, que, sauf disposition spéciale, l’article 1129 du Code civil était seul applicable en matière de détermination du prix.
    • Aussi, cela signifiait-il que dans les contrats qui comportaient une obligation pécuniaire, pour être valables, le prix devait être, soit déterminé, soit déterminable.
  • Cas des contrats-cadre
    • En application, de l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation a fait preuve d’une relativement grande souplesse s’agissant de l’exigence de détermination du prix, notamment pour les contrats-cadre, dont la particularité est de voir leur exécution échelonnée dans le temps.
    • Les contrats cadres ont, en effet, pour fonction d’organiser les relations contractuelles futures des parties.
    • La question s’est alors posée de savoir s’il était nécessaire que, dès la conclusion du contrat-cadre, le prix auquel seront conclues les ventes à venir soit déterminé.
    • Devait-on admettre, au contraire, que, sans fixer le prix, le fournisseur puisse seulement prévoir que le prix correspondra, par exemple, au tarif qui figurera sur le catalogue à la date de conclusion du contrat d’application ?
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est manifestement satisfaite de la seconde option.
    • Elle estimait, de la sorte, que le renvoi dans le contrat-cadre au prix du tarif fournisseur au jour de la livraison pour les ventes exécutées en application de ce contrat était valable (V. notamment Cass. req., 5 févr. 1934).
  • Cas du contrat de vente
    • Il peut être observé que la règle dégagée par la jurisprudence pour les contrats en général et pour les contrats-cadres ne s’appliquait pas au contrat de vente, la détermination du prix étant régi, pour ce type de contrat, par l’article 1591.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ». La détermination du prix est, de la sorte, une condition de validité du contrat de vente.
    • Lorsque le prix est seulement déterminable, la jurisprudence exige que sa fixation définitive soit indépendante de la volonté des parties (V. en ce sens Cass. com., 10 mars 1987, n°85-14.121).
    • Par ailleurs, l’article 1592 prévoit que le prix peut « être laissé à l’estimation d’un tiers ».

==>Deuxième étape : la chasse aux nullités pour indétermination du prix

À partir du début des années 1970, la jurisprudence a changé radicalement de position s’agissant de l’exigence de détermination du prix en se livrant, selon l’expression désormais consacrée par les auteurs, à une véritable chasse aux nullités pour indétermination du prix

La Cour de cassation a, en effet, cherché à attraire dans le champ d’application de l’article 1591, soit le régime applicable au contrat de vente, des opérations qui n’étaient pas véritablement constitutives de ventes mais qui en produisaient les effets (fourniture d’un produit).

Dans un arrêt du 27 avril 1971 la Cour de cassation a estimé en ce sens, au visa de l’article 1591 du Code civil qu’un contrat-cadre devait être annulé dans la mesure où « les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci » (Cass. com. 27 avr. 1971, n°70-10.753)

Cette solution a été réaffirmée par la chambre commerciale dans un arrêt du 12 février 1974 où elle censure une Cour d’appel qui, pour valider un contrat cadre, s’était référée « a des accords successifs intervenus pour la fixation du prix d’un certain nombre de fournitures, sans préciser comment, en vertu de la convention originaire, les prix de l’ensemble des fournitures prévues par celles-ci étaient soumis, malgré l’obligation d’exclusivité assumée par les époux x…, au libre jeu de la concurrence et ne dépendaient donc pas de la seule volonté de la brasserie du coq hardi » (Cass. com. 12 févr. 1974, n°72-13.959).

Cette chasse aux nullités pour indétermination du prix engagée par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, dans la mesure où cette dernière faisait application de l’article 1591 du Code civil à des contrats qui avaient pour objet, non pas la vente de produits, mais la fixation du cadre de la conclusion de contrats d’application futurs.

 

Cass. com. 27 avr. 1971

Sur le premier moyen : vu les articles 1591 et 1592 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que, par convention du 31 mai 1956, la société Lille, Bonnieres et colombe, aux droits de laquelle se trouve la société Total, a consenti a la société Selmensheim, aux droits de laquelle se trouve la société Saint-Marcel Motors, pour l’exploitation par celle-ci d’une station de vente au détail de carburants, un prêt de matériel et d’argent ;

Qu’en contrepartie, la société Saint-Marcel Motors s’engageait à réserver à la société Total l’exclusivité pendant vingt ans, de ses achats de carburants “au prix pompiste de marque au jour de la livraison” ;

Que cette convention a d’abord été exécutée sous le régime d’un arrêté du 28 octobre 1952, qui fixait les marges respectives maximum de bénéfices de la compagnie distributrice et du pompiste détaillant, au prix du tarif de la société total lequel correspondait à la marge bénéficiaire maximum de cette société puis sous le régime de l’arrêté du 27 mai 1963, qui ne fixant plus que le prix limite de vente aux consommateurs, réalisait ainsi une fusion des deux marges, jusqu’au 17 juin 1965, date à laquelle la société Saint-Marcel Motors faisait valoir son désaccord sur les prix ;

Qu’elle assigna la société Total en vue de faire déclarer la caducité de la convention à compter de ladite date ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient essentiellement que le prix “pompiste de marque” a toujours été le prix du tarif de la société total, qui reproduisait le barème du comité professionnel du pétrole, et que c’était une coutume, les parties n’ayant pas avantage à ce qu’il en fut autrement ;

Qu’avant la publication de l’arrêté du 27 mai 1963, l’administration ne fixait pas le prix de vente des produits pétroliers aux pompistes et que cette situation n’a pas été modifiée par cet arrêté qui, en abandonnant le système des deux marges avait réalisé la fusion de celles-ci, que, lors des discussions quotidiennes qui s’instaurent entre total et ses clients pompistes de marque pour le renouvellement d’anciens contrats et la passation de nouveaux sur les conditions spéciales a chaque cas, se forme un cours moyen qui a sa traduction dans le barème du comité professionnel du pétrole, que ce barème n’a donc pas le caractère arbitraire ;

Attendu qu’en admettant ainsi que les prix fixes par la société Total pouvaient être retenus, la cour d’appel, qui n’a pas recherche si depuis le 1er octobre 1963, date d’application de l’arrêté du 27 mai 1963, les parties avaient été d’accord pour continuer à appliquer le régime antérieur, et qui n’a pas établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

 

==>Troisième étape : substitution de visa (art. 1591 => art. 1129)

En réaction aux critiques de la doctrine concentrées sur l’application de l’article 1591 aux contrats-cadre, la chambre commerciale décida, par trois arrêts du 11 octobre 1978, de revenir à son ancien visa, soit de fonder sa jurisprudence sur l’article 1129 du Code civil, sans pour autant changer de position.

La haute juridiction estimait, en effet, « qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée » (Cass. com. 11 oct. 1978, n°77-11.624).

Ainsi, la Cour de cassation refusait-elle toujours de valider les contrats dont la détermination du prix :

  • Soit supposait un nouvel accord des parties
  • Soit dépendait de la volonté discrétionnaire d’un seul contractant

L’article 1129 relevant du droit commun des contrats, la Cour de cassation a étendu sa position bien au-delà des contrats-cadre (contrat d’approvisionnement, contrat de franchise, contrat de prêt etc.).

Il a alors été reproché à la Cour de cassation d’avoir créé une véritable insécurité juridique, dans la mesure où, dans les contrats-cadre, il est extrêmement difficile de fixer le prix d’opérations qui se réaliseront parfois plusieurs années après la conclusion du contrat initial.

 

Cass. com. 11 oct. 1978

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : vu l’article 1129 du code civil ;

Attendu qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt défère que, par acte du 26 juin 1969, la société brasserie guillaume x… s’est engagée, en contrepartie d’avantages financiers a elle consentis par la société européenne de brasserie (Eurobra), a ne débiter, dans son établissement de brasserie-restaurant, pendant une durée de cinq années, que des bières fabriquées ou distribuées par cette dernière société, la quantité minimum des fournitures devant atteindre 2.000 hectolitres pendant la durée susvisée ;

Qu’il était prévu à l’acte que les marchandises en cause seraient livrées “aux prix habituellement pratiques pour des marchandises de même qualité sur la place ou est exploité le fonds” ;

Que celui-ci ayant été cédé a une société Sedlo, celle-ci le transféra à son tour, par acte du 22 novembre 1972, a une société dénommée, elle aussi, brasserie guillaume x… ;

Que, dans les deux actes de cession successifs, les sociétés cessionnaires s’engagèrent à observer l’obligation d’exclusivité de fourniture résultant de l’acte du 26 juin 1969 ;

Que la société brasserie guillaume x… ayant, dans le courant de 1973, cesse de s’approvisionner auprès de la société Eurobra, celle-ci l’a assignée en payement du montant de la clause pénale figurant à l’acte dont il s’agit ;

Attendu que la société brasserie guillaume x… ayant opposé à cette demande la nullité dudit acte en raison de l’indétermination du prix des marchandises en faisant l’objet, la cour d’appel a rejeté cette exception en retenant que la clause susvisée relative à la fixation de ce prix “fait implicitement appel à la loi de l’offre et de la demande et laisse intactes toutes possibilités de négociation ou de rectification au cas où le prix propose serait supérieur au prix de marche…” ;

Attendu qu’en considérant ainsi que le prix des fournitures en cause était déterminable suivant les énonciations du contrat, sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société brasserie guillaume x…, si la référence opérée par la clause litigieuse au prix du marché pratique à Lyon, ou ladite société avait son établissement, permettait “d’avoir un élément de référence sérieux, précis et objectif”, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le premier moyen, non plus que sur les autres branches du second moyen : casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 18 janvier 1977 par la cour d’appel de paris ;

 

 

==>Quatrième étape : infléchissement de la position de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’est pas demeurée insensible aux nombreux reproches dont sa jurisprudence faisait l’objet.

C’est la raison pour laquelle, dans le courant des années 1980, elle a cherché à infléchir sa position.

Ainsi, dans un arrêt du 9 novembre 1987, la Cour de cassation a refusé d’accéder à la demande d’annulation d’un contrat de distribution pour indétermination du prix, estimant qu’il s’agissait là d’un contrat dont l’objet consiste en une obligation de faire.

Or selon elle, seuls les contrats qui portent sur une obligation de donner sont soumis à l’exigence de détermination du prix (Cass. com. 9 nov. 1987, n°86-13.984).

En d’autres termes, l’exigence de détermination du prix posée à l’article 1129 du Code civil varierait du tout ou rien, selon que l’on est en présence d’une obligation de donner ou de faire.

Critiquable à maints égards, la Cour de cassation abandonne rapidement cette distinction à la faveur du critère de la stipulation potestative, soit lorsque la fixation du prix dépend de la volonté d’une seule des parties

Dans un arrêt du 16 juillet 1991, la chambre commerciale admet en ce sens que, dans un contrat-cadre, il n’est plus nécessaire que le prix des marchandises soit déterminable « pourvu qu’il puisse être librement débattu et accepté » au moment de la conclusion de la vente (Cass. com. 16 juill. 1991).

 

Cass. com. 9 nov. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 27 mars 1986) que, par un contrat du 1er mars 1983, dit ” de commercialisation “, la société Cofadis, qui fabrique une machine destinée à l’imprimerie, a chargé la société Graphic Repro Diffusion (société Graphic) d’en assurer en exclusivité la distribution et la vente dans certains pays ; que la société Graphic, qui s’était engagée à vendre directement un nombre déterminé de ces appareils par an, n’ayant pas satisfait à cette obligation, la société Cofadis l’a assignée en résiliation du contrat ;

Attendu que la société Graphic fait grief à la cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation du contrat à ses torts exclusifs alors, selon le pourvoi, d’une part, que le contrat de distribution commerciale comporte nécessairement pour son exécution une série de ventes successives et s’analyse donc en une promesse de vente ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que la société Graphic achèterait à Cofadis les équipements dont elle devait assurer la distribution ; qu’en énonçant néanmoins que le contrat litigieux ne faisait naître que des obligations de faire à la charge des co-contractants, alors qu’il avait pour objet essentiel la vente de marchandises à la société Graphic en vue de leur commercialisation dans le public, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1589 du Code civil et alors, d’autre part, que le prix des marchandises vendues dans le cadre d’un contrat de distribution commerciale doit être déterminé ou déterminable sans qu’il faille un nouvel accord des parties, ce, à peine de nullité du contrat de distribution ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que le prix des ventes à intervenir dans le cadre du contrat de distribution conclu entre les parties devait être déterminé par un accord ultérieur entre elles ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la convention litigieuse, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’accord litigieux conclu entre la société Cofadis et la société Graphic comportait, pour la première société, l’obligation d’accorder l’exclusivité de la distribution, dans un certain nombre de pays, du matériel en cause et, pour la seconde, l’obligation d’assurer la promotion et la vente du matériel dans ces mêmes pays, la cour d’appel a pu considérer que la convention ne s’analysait pas comme une vente avec obligation de mentionner le prix mais comme une obligation de faire et se prononcer comme elle l’a fait, sans violer les textes visés au moyen ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

==>Cinquième étape : l’amorce d’un revirement de jurisprudence

Dans deux arrêts du 20 novembre 1994, la Cour de cassation affirme, au visa des articles 1129 et 1134, al. 3 du Code civil que si la détermination du prix demeure une exigence, il y est satisfait dès lors que le contrat fait « référence au tarif » fixé par une partie, à condition, néanmoins, que cette dernière n’ait pas « abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994, n°91-21.009).

Dans le cas contraire, la première chambre civile considère que cela reviendrait à violer l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties lors de l’exécution du contrat.

Plusieurs enseignements ont immédiatement été tirés de ces arrêts :

  • Tout d’abord, en visant l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation maintien l’exigence de détermination du prix quel que soit le type de contrat conclu, y compris pour les contrats-cadre.
  • Ensuite, il ressort de la décision rendue qu’il importe peu, désormais, que le prix soit fixé discrétionnairement par une seule des parties au contrat.
  • En outre, la haute juridiction affirme que la nullité d’un contrat pour indétermination du prix ne peut être prononcée qu’à la condition qu’une partie ait abusé de sa situation économique pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime.
  • Enfin, la Cour de cassation fonde sa décision notamment sur l’ancien article 1134, al. 3 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Aussi, cela témoigne-t-il de sa volonté de déplacer l’exigence de détermination du prix au niveau de l’exécution du contrat, alors qu’il s’agit pourtant d’une condition de formation de l’acte.

Malgré la nouveauté de la solution adoptée par la Cour de cassation dans ces deux arrêts du 20 novembre 1994, deux questions demeuraient en suspens :

  • Qui de la sanction de l’abus dans la fixation du prix ?
    • Nullité ? Octroi de dommages et intérêts ? Résolution du contrat ?
  • Quid du ralliement de la chambre commerciale à la position de la première chambre civile ?
    • Dans un arrêt rendu sensiblement à la même date, elle rendit, en effet, une décision dans laquelle elle maintenait la solution antérieure ? (Cass. com., 8 nov. 1994)

Par chance, des réponses ont rapidement été apportées à ces deux questions par quatre arrêts d’assemblée plénière rendus en date du 1er décembre 1995 (Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, n°91-15.578).

 

Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1129 et 1134, alinéa 3, du Code civil ;

Attendu que pour prononcer, pour indétermination du prix, la nullité des conventions conclues par M. X… avec la société GST-Alcatel Est pour la fourniture et l’entretien d’une installation téléphonique, la cour d’appel retient que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une ” plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur ” ;

Attendu qu’en se prononçant par ces motifs, alors que, portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

 

==>Sixième étape : le revirement de jurisprudence des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995

Par quatre arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre, la Cour de cassation a affirmé deux principes s’agissant de l’exigence de détermination.

  • Dans l’un des quatre arrêts, elle considère que « l’article 1129 du Code civil [n’est] pas applicable à la détermination du prix », de sorte que, en matière de contrat-cadre, la détermination du prix n’est pas une condition de validité du contrat.
  • Dans les trois autres arrêts, elle précise, sans détour, que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».

Afin de prendre la mesure de ces deux principes posés par la Cour de cassation, remémorons-nous les circonstances de fait et de procédure de l’un de ces arrêts.

 

Cass. ass. plén. 1er déc. 1995

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1709 et 1710, ensemble les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Attendu que lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ;

Attendu selon l’arrêt attaqué (Rennes, 13 février 1991) que le 5 juillet 1981, la société Sumaco a conclu avec la société Compagnie atlantique de téléphone (CAT) un contrat de location-entretien d’une installation téléphonique moyennant une redevance indexée, la convention stipulant que toutes modifications demandées par l’Administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur ; que la compagnie ayant déclaré résilier le contrat en 1986 en raison de l’absence de paiement de la redevance, et réclamé l’indemnité contractuellement prévue, la Sumaco a demandé l’annulation de la convention pour indétermination de prix ;

Attendu que pour annuler le contrat, l’arrêt retient que l’abonné était contractuellement tenu de s’adresser exclusivement à la compagnie pour toutes les modifications de l’installation et que le prix des remaniements inéluctables de cette installation et pour lesquels la Sumaco était obligée de s’adresser à la CAT, n’était pas déterminé et dépendait de la seule volonté de celle-ci, de même que le prix des éventuels suppléments ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 février 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

 

  • Faits
    • Le 5 juillet 1981, une société conclut avec un prestataire un contrat-cadre de location et d’entretien d’une installation téléphonique en contrepartie de l’acquittement d’une redevance indexée.
    • La convention stipulait que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur.
    • La société abonnée n’ayant pas payé la redevance, la Compagnie de téléphone a, dès lors, souhaité résilier le contrat.
  • Demande
    • La société abonnée demande l’annulation du contrat de prestation conclu avec la société de téléphone.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 février 1991, la Cour d’appel de Rennes a annulé le contrat de prestation téléphonique.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’abonné était tenu contractuellement de s’adresser à la compagnie de téléphone pour toute intervention sur la ligne, il était soumis aux prix que lui imposerait la compagnie de téléphone.
    • Or ce prix n’était pas déterminé, car fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone.
  • Solution
    • Par un arrêt du 1er décembre 1995, l’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles 1709, 17010 et 1134 et 11385.
    • Deux affirmations retiennent l’attention dans cet arrêt
      • D’une part, l’indétermination du prix dans un contrat cadre n’est pas une cause de nullité du contrat
      • D’autre part, l’abus dans la fixation du prix est sanctionné soit par la résiliation du contrat, soit par l’octroi de dommages intérêts
    • Aussi, de ce principe d’indétermination posé par la Cour de cassation, elle en déduit, dans le litige en l’espèce, que bien que le prix ait été fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone au cours de l’exécution du contrat, le contrat d’abonnement était bien valable.
    • Par ailleurs, en visant les anciens articles 1134 et 1135 du Code civil, la Cour de cassation indique clairement que, pour apprécier le respect de l’exigence de détermination du prix, il convient désormais de se situer, non plus au niveau de la formation du contrat, mais au niveau de son exécution.
    • Ainsi, la Cour de cassation confirme-t-elle que la détermination du prix n’est plus une condition de validité du contrat.
    • Il en résulte que dans un contrat-cadre, il importe peu que le prix soit indéterminé et que sa fixation dépende de la volonté d’une seule des parties.
    • Il ressort toutefois que le principe d’indétermination du prix a vocation à s’appliquer sauf « dispositions légales particulières ».
    • Tel sera notamment le cas du contrat de vente qui reste soumis au régime de l’article 1591 du Code civil, soit au principe de détermination de prix.
    • Bien que les auteurs fussent, dans un premier temps, satisfait par la solution novatrice de la Cour de cassation, cette jurisprudence n’en a pas moins fait naître quelques incertitudes, notamment s’agissant de la notion d’abus.
  • Portée des arrêts du 1er décembre 1995
    • Plusieurs enseignements peuvent être tirés des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995 :
      • Premier enseignement : la détermination du prix n’est plus une condition de validité dans les contrats-cadre : le principe devient l’indétermination du prix
      • Deuxième enseignement : l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, de sorte que ce dernier ne saurait être assimilé à une chose
      • Troisième enseignement : le principe d’indétermination du prix n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats qui ne sont soumis à aucune disposition particulière
      • Quatrième enseignement : l’indétermination du prix est sanctionnée uniquement en cas d’abus de la partie forte au contrat.
      • Cinquième enseignement : l’abus dans la fixation du prix s’apprécie au niveau de l’exécution du contrat
      • Sixième enseignement : la sanction de l’abus dans la fixation du prix est, soit la résiliation du contrat, soit l’octroi de dommages et intérêts

==>Septième étape : la précision de la notion d’abus dans la fixation du prix

Dans un arrêt du 15 janvier 2002, la Cour de cassation a estimé que l’abus dans la fixation du prix était caractérisé lorsque deux conditions cumulatives étaient réunies (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-21.172) :

  • L’existence d’une situation de dépendance économique
    • Cela suppose que la victime de l’abus ne soit pas en mesure de négocier le prix qui lui est imposé, sauf à mettre en péril son activité
    • Dans un arrêt du 30 juin 2004, la Cour de cassation a, par exemple, estimé qu’il n’y avait pas abus lorsque le contractant n’a pas été contraint de subir la modification unilatérale, la décision d’augmenter le prix lui ayant été notifié suffisamment tôt pour qu’il puisse trouver une autre solution en s’adressant à la concurrence (Cass. com. 30 juin 2004, n°01-00.475).
  • L’existence d’un prix disproportionné
    • Cela suppose que le prix imposé à la partie, victime de l’abus, ne lui permette pas d’exploiter de manière rentable son activité.
    • Dans un arrêt du 4 novembre 2014, il a, par ailleurs, été jugé qu’un prix était disproportionné parce qu’il est excessif au regard de celui pratiqué pour les autres clients du distributeur (Cass. com. 4 nov. 2014, n°11-14.026).

 

Cass. com. 15 janv. 2002

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1999) que la société d’Exploitation du garage Schouwer (le Garage Schouwer) était concessionnaire exclusif de véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines depuis 1991 ; que, reprochant à la société France Motors, importateur exclusif de la marque, d’avoir, à partir de 1993, abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente et d’avoir abusivement refusé de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait, le Garage Schouwer l’a assignée en paiement de dommages-et-intérêts ; qu’il a été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 1995 et que son liquidateur, M. Z…, a repris l’instance ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que la société France Motors fait grief à l’arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen :

[..]

Mais attendu qu’ayant, par une décision motivée, relevé que la société France Motors, qui s’était trouvée confrontée à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité, l’arrêt retient que le concédant ne s’est pas imposé la même rigueur bien qu’il disposât des moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il a distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il avait été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires et que notamment, en ce qui concerne le Garage Schouwer, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l’insuffisance d’actif que celui-ci a accusé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision sans méconnaître l’objet du litige et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente et qu’elle devait réparation au Garage Schouwer du préjudice qui en était résulté pour lui ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses diverses branches

 

2. La réforme des obligations

L’examen de la réforme des obligations révèle que le législateur a consacré pour l’essentiel la jurisprudence en matière de détermination du prix.

a. Principe

Dans la mesure où le paiement d’un prix consiste en une prestation comme une autre, les contrats qui comportent une obligation pécuniaire n’échappent pas au principe posé à l’article 1163, al. 2 du Code civil : l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable

Il peut d’ores et déjà être observé que le législateur a ici pris ses distances avec la solution adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 1er décembre 1995 où elle avait estimé que l’ancien article 1129 du Code civil n’était pas applicable à la détermination du prix.

Or cette disposition prévoyait l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle ressuscité le principe de détermination du prix qui l’avait relégué au rang d’exception.

La détermination du prix redevient, de la sorte, une condition de validité du contrat.

Il en résulte que la sanction encourue en cas d’indétermination du prix est la nullité et non plus la résiliation du contrat ou l’octroi de dommages et intérêts.

b. Exceptions

Le législateur a jugé bon d’assortir le principe de détermination du prix de deux exceptions

==>Première exception : les contrats-cadre

L’article 1164, al. 1 du Code civil prévoit que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. »

L’article 1164, al. 2 précise que « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

Il ressort de ces deux alinéas que le législateur est venu consacrer, dans les mêmes termes, la solution dégagée dans les arrêts du 1er décembre 1995.

Autrement dit, dans les contrats-cadre, le prix peut être fixé discrétionnairement par l’une des parties, sous réserve de l’abus.

Le législateur ne prend cependant pas la peine de définir la notion d’abus dans la fixation du prix, alors même que cette définition faisait déjà défaut dans les arrêts d’assemblée plénière.

Aussi conviendra-t-il de se reporter à la jurisprudence postérieure qui s’est employée à délimiter les contours de la notion.

==>Seconde exception : les contrats de prestation de service

Aux termes de l’article 1165 du Code civil « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Comme en matière de contrat-cadre, les contrats de prestation de service ne sont pas soumis au principe de détermination du prix, à la condition toutefois qu’aucun accord ne soit intervenu entre les parties avant l’exécution de la convention.

Il s’agit là, ni plus ni moins, d’une consécration de la jurisprudence selon laquelle, dans les contrats d’entreprise, la détermination du prix n’est pas une condition de validité de l’acte.

Dans un arrêt du 15 juin 1973 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel d’un contrat de cette nature » (Cass. 1er civ. 15 juin 1973, n°72-12.062).

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge ne pourra pas, comme l’y autorisait la jurisprudence antérieure, réduire le prix de la prestation, ni même prononcer la résiliation du contrat comme en matière de contrat-cadre.

Il pourra seulement « être saisi d’une demande en dommages et intérêts ».

Par ailleurs, quid de ses pouvoirs en cas d’indétermination du prix ?

Antérieurement à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation estimait « qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°91-18.650).

Le nouvel article 1165 du Code civil ne semble pas conférer au juge un tel pouvoir.

Il ressort, au contraire de la lettre de cette disposition que, en cas d’indétermination du prix, il appartiendra au seul créancier de le fixer.

==>Le sort de la clause d’indexation du prix

L’article 1167 du Code civil prévoit que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Qu’est-ce qu’une clause d’indexation ?

Il s’agit d’une stipulation par laquelle les parties désignent un indice qui servira de référence quant à la détermination du prix au cours de l’exécution du contrat.

La question s’était alors posée en jurisprudence de savoir quels étaient les pouvoirs du juge lorsque cet indice avait cessé d’exister ou était illicite.

Dans un arrêt du 22 juillet 1987, la Cour de cassation avait estimé qu’il revenait au juge de se référer à la commune intention des parties quant à déterminer le nouvel indice de référence (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Désormais, le nouvel article 1167 prévoit que le juge doit remplacer l’indice illicite ou qui a disparu « par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

 

Cass. 3e civ. 22 juill. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Compagnie Internationale du Travail Temporaire (CITT), assistée de son syndic au règlement judiciaire, Monsieur X…, fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 1983), statuant sur les conséquences de l’annulation d’une clause d’échelle mobile incluse dans le bail commercial dont elle est titulaire sur des locaux appartenant à Mme Y…, d’avoir décidé que le loyer serait indexé sur les variations de l’indice trimestriel de la construction établi par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, aux lieus et place de celles prévues dans la stipulation du bail annulée par un précédent arrêt, alors, selon le moyen, ” qu’en l’absence de toute volonté commune des parties au contrat quant à la référence à un autre indice que celui expressément stipulé, le juge ne saurait, sans excéder ses pouvoirs et violer l’article 79 § 3 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 et l’article 1134 du Code civil, substituer, de sa propre autorité, un indice licite à celui figurant dans une clause précédemment déclarée illicite ” ;

Mais attendu que la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a souverainement retenu que leur volonté a essentiellement porté sur le principe de l’indexation et que la stipulation du choix de l’indice en constituant une application, il y avait lieu de substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

 

La détermination de la prestation ou l’objet de l’obligation

Tout d’abord, il peut être observé que la question de l’objet de l’obligation est traitée aux articles 1163 à 1167 du Code civil, lesquels remplacent les anciens articles 1126 à 1130.

La lecture de ces nouvelles dispositions appelle plusieurs remarques à titre liminaire.

==>Objet de l’obligation / Objet du contrat

Bien que l’ordonnance du 10 février 2016 ait regroupé sous le vocable de contenu du contrat, les concepts d’objet et de cause, la notion d’objet n’a pas totalement disparu du Code civil, celui-ci y faisant toujours référence, notamment à l’article 1163.

Cette disposition prévoit en effet que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future ».

Ainsi, le législateur vise-t-il ici ce que l’on qualifiait autrefois d’objet de l’obligation que l’on opposait à l’objet du contrat.

  • L’objet de l’obligation doit être entendu comme la prestation qu’une partie au contrat s’est engagée à exécuter.
    • Exemple :
      • Dans un contrat de vente, l’objet de l’obligation du vendeur est la délivrance de la chose et pour l’acheteur le paiement du prix
      • Dans un contrat de bail, l’objet de l’obligation du preneur est le paiement du loyer, tandis que pour le bailleur c’est la mise à disposition de la chose louée.
  • L’objet du contrat désigne quant à lui l’opération contractuelle que les parties ont réalisée, soit l’opération envisagée dans son ensemble et non plus dans l’un ou l’autre de ses éléments constitutifs.

==>Chose VS Prestation

Aux termes de l’article 1163, al. 1 du Code civil « l’obligation a pour objet une prestation […] ».

Aussi, ressort-il de cette disposition que le législateur a préféré au terme chose, qui avait été désigné en 1804 comme l’objet de l’obligation, le mot prestation, lequel fait sa grande apparition dans le Code civil.

L’ancien article 1126 du Code civil prévoyait, en effet, que « tout contrat a pour objet une chose qu’une partie s’oblige à donner, ou qu’une partie s’oblige à faire ou à ne pas faire. »

Pourquoi ce changement de vocable ? Deux raisons peuvent être invoquées :

Première raison : abandon de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire

Antérieurement à la réforme du droit des obligations, le Code civil distinguait les obligations de donner, de faire et de ne pas faire :

  • Exposé de la distinction
    • L’obligation de donner
      • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
      • Exemple : dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
    • L’obligation de faire
      • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
      • Exemple : le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • L’obligation de ne pas faire
      • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
      • Exemple : le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé.
  • Intérêt – révolu – de la distinction
    • Le principal intérêt de la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire résidait dans les modalités de l’exécution forcée de ces types d’obligations.
    • L’ancien article 1142 C. civ. prévoyait en effet que :
      • « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
    • L’ancien article 1143 C. civ. prévoyait quant à lui que :
      • « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu. »
    • L’ancien article 1145 C. civ disposait enfin que :
      • « Si l’obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention. »
    • Il ressortait de ces dispositions que les modalités de l’exécution forcée étaient différentes, selon que l’on était en présence d’une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire
      • S’agissant de l’obligation de donner, son exécution forcée se traduisait par une exécution forcée en nature
      • S’agissant de l’obligation de faire, son exécution forcée se traduisait par l’octroi de dommages et intérêt
      • S’agissant de l’obligation de ne pas faire, son exécution forcée se traduisait :
        • Soit par la destruction de ce qui ne devait pas être fait (art. 1143 C. civ)
        • Soit par l’octroi de dommages et intérêts (art. 1145 C. civ).
  • Abandon de la distinction
    • L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, a abandonné la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire, à tout le moins elle n’y fait plus référence.
    • Ainsi érige-t-elle désormais en principe, l’exécution forcée en nature, alors que, avant la réforme, cette modalité d’exécution n’était qu’une exception.
    • Le nouvel article 1221 du Code civil prévoit en ce sens que :
      • « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »
    • L’exécution forcée en nature s’impose ainsi pour toutes les obligations, y compris en matière de promesse de vente ou de pacte de préférence.
    • Ce n’est que par exception, si l’exécution en nature n’est pas possible, que l’octroi de dommage et intérêt pourra être envisagé par le juge.
    • Qui plus est, le nouvel article 1222 du Code civil offre la possibilité au juge de permettre au créancier de faire exécuter la prestation due par un tiers ou de détruire ce qui a été fait :
      • « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.
      • « Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction. »
  • Conséquences de l’abandon de la distinction
    • Dans la mesure où la distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire a perdu de son intérêt, le législateur a estimé qu’il n’était plus nécessaire de s’y référer.
    • Il lui fallait donc trouver une notion qui puisse englober ces trois catégories d’obligations.
    • Or le terme prestation le permet, car sa signification est suffisamment large pour que l’on puisse ranger sous cette notion tous les objets sur lesquels une obligation contractuelle est susceptible de porter.

Seconde raison : un remède au caractère restrictif du terme chose

Le second argument qui a conduit le législateur a changé de vocable, s’agissant de l’objet de l’obligation, est que la signification du terme chose apparaît bien plus étroite que celle que l’on confère habituellement à la notion de prestation.

Tandis, en effet, que le terme « chose » semble ne viser que l’obligation de donner, la notion de « prestation » permet d’envisager que l’objet de l’obligation puisse consister en la fourniture d’un service autre d’une opération de transfert de droits de propriétés.

Immédiatement, une question alors se pose : que doit-on entendre par le terme prestation ?

==>Notion de prestation

Par prestation, il faut entendre ce à quoi les parties au contrat se sont engagées.

Le législateur ne précisant pas en quoi s’apparente précisément une prestation, on peut en déduire qu’elle consiste indifféremment en une obligation de donner, de faire ou de ne pas faire.

Est-ce à dire que dès lors qu’une prestation est stipulée par les parties, le contrat est valide ?

Indépendamment du fait que la prestation doit être licite, conformément à l’article 1162 du Code civil, l’alinéa 2 de l’article 1163 précise qu’elle doit « être possible et déterminée ou déterminable », faute de quoi le contrat est nul.

I) La possibilité de la prestation

L’article 1162 du Code civil subordonne la validité du contrat à la possibilité de la prestation. Cette exigence est manifestement tirée de l’adage Nulla impossibilium obligatio, soit à l’impossible nul n’est tenu.

Cela signifie, autrement dit, que qu’il ne faut pas qu’existe une impossibilité d’exécuter la prestation que l’on s’est engagé à accomplir.

Toutefois, encore faut-il que l’impossibilité présente un certain nombre de caractères, à défaut de quoi, le débiteur de l’obligation sera tenu, nonobstant l’existence de l’impossibilité.

A) Les caractères de l’impossibilité

==>Une impossibilité absolue

Pour être cause de nullité du contrat, l’impossibilité qui fait obstacle à l’exécution de la prestation doit être absolue et non relative.

L’impossibilité doit de la sorte être prise dans son sens objectif : n’importe quel débiteur s’y heurterait (V. en ce sens CA Paris, 4 juill. 1865).

Exemples :

  • L’impossibilité absolue de réaliser une prestation consisterait à s’engager à faire disparaître le soleil ou à ramener à la vie un mort.
  • L’impossibilité relative consisterait, quant à elle, à s’engager à donner un récital de piano, alors que l’on n’a jamais appris à jouer de cet instrument ou encore à battre le record du monde du saut en longueur alors que l’on n’a jamais fait d’athlétisme.

Tandis que l’existence d’une impossibilité absolue constituerait une cause de nullité du contrat, la seule impossibilité relative ne serait pas de nature à remettre en cause sa validité.

Aussi, lorsque l’impossibilité qui fait obstacle à la réalisation de la prestation est seulement relative, le débiteur engage sa responsabilité contractuelle.

Il s’expose donc à devoir verser aux créanciers des dommages et intérêts.

==>Une impossibilité inconnue du débiteur

Lorsque l’impossibilité d’exécuter l’obligation est absolue, le débiteur ne doit pas avoir eu connaissance de cette impossibilité au moment de la conclusion du contrat.

À défaut, il engage sa responsabilité, dans la mesure où il lui appartenait de ne pas contracter, soit de ne pas créer une espérance chez le créancier.

==>Une impossibilité originelle

Pour être cause de nullité, l’impossibilité doit encore exister au moment de la formation du contrat.

Si cette impossibilité survient au cours de l’exécution de la prestation, le débiteur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de la survenance d’une cause étrangère (force majeure, cas fortuit etc.).

B) La sanction de l’impossibilité

Les règles relatives à l’objet de l’obligation visent à protéger l’intérêt général. Aussi, relèvent-elles de l’ordre public de direction.

Dans un arrêt du 28 avril 1987, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue » (Cass. com. 28 avr. 1987, n°86-16.084).

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Cass. com. 28 avr. 1987

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1304, alinéa 1er du Code civil ;

Attendu que les actes dont la nullité est absolue étant dépourvus d’existence légale ne sont susceptibles ni de prescription ni de confirmation :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, par une convention du 20 décembre 1963, la société de Travaux Publics Brethome s’est engagée à s’approvisionner pendant 50 années en matériaux nécessaires aux besoins de ses chantiers routiers dans les différentes carrières où M. Z… posséderait des intérêts dans tous les cas où ces chantiers se trouveraient à une distance déterminée de ces carrières, et ce “à prix égal à celui de la concurrence éventuelle” ; que M. Y… et la société Y… ont demandé la nullité de cette convention pour défaut d’objet en ce que s’est révélée impossible l’obligation leur incombant de soumettre à M. Z… par écrit les prix résultant de la concurrence ;

Attendu que, pour déclarer prescrite cette action en nullité, la Cour d’appel énonce que la validité de la convention doit s’apprécier à la date à laquelle elle a été conclue, que, dans la mesure où elle ne repose ni sur la violence, ni sur l’erreur ou le dol, le point de départ du délai de prescription de cinq ans se situe au 20 décembre 1963, date où a été conclue la convention, de sorte que l’action était prescrite lorsqu’a été délivrée l’assignation du 28 mai 1982, que la demande tend en réalité à faire constater que l’engagement ne pouvait plus être exécuté en raison de la survenance d’un événement postérieur tendant à l’obligation de soumettre par écrit les prix résultant de la concurrence et qu’il appartiendrait à la société X…, pour pouvoir être libérée de son obligation, de prouver l’existence de la force majeure qui se caractérise par l’imprévisibilité et l’irrésistibilité ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la nullité des conventions pour défaut d’objet est une nullité absolue, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ;

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II) La détermination de la prestation

Il ressort de la combinaison des articles 1163 à 1167 que deux types de règles s’appliquent à la détermination de la prestation

  • Les règles générales relatives à la détermination de la prestation
  • Les règles spécifiques relatives la détermination de la prestation lorsqu’elle consiste en le paiement d’un prix

A) Les règles générales relatives à la détermination de la prestation

L’examen des articles 1163 et 1166 du code civil révèle qu’il convient de distinguer selon que la prestation est déterminée ou détermination ou selon qu’elle est indéterminée

1. La prestation déterminée ou déterminable

Aux termes de l’article 1163 du Code civil, la prestation objet du contrat « doit être déterminée ou déterminable ».

Cette disposition n’est autre qu’une actualisation de l’ancien article 1129 du Code civil qui prévoyait en son alinéa 1 que « il faut que l’obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce » et d’ajouter à son alinéa 2 que « la quotité de la chose peut être incertaine, pourvu qu’elle puisse être déterminée. »

Si, sur le fond, le législateur n’a apporté aucune modification significative au droit positif, il n’en a pas moins profité pour toiletter l’énoncé des règles dont la formulation était devenue un peu datée.

a. Droit antérieur

Dans le droit antérieur, la jurisprudence distinguait selon que l’objet de l’obligation consistait en une chose ou un service.

==>L’objet de l’obligation est relatif à une chose

Dans cette hypothèse, il convenait de distinguer selon que la chose s’apparentait à un corps certain ou à une chose de genre.

  • La chose consiste en un corps certain
    • Par corps certain, il faut entendre un bien unique qui possède une individualité propre
      • Exemple : un immeuble, un bijou de famille, une œuvre d’art, etc…
    • Dans cette hypothèse, il suffit que le corps certain soit désigné dans le contrat pour que l’exigence de détermination de la prestation soit satisfaite.
    • La désignation du corps certain devra toutefois être suffisamment précise pour que l’on puisse identifier le bien, objet de la convention.
  • La chose consiste en une chose de genre
    • Par chose de genre, il faut entendre un bien qui ne possède pas une individualité propre, en ce sens qu’il est fongible
    • Il s’agit, autrement dit, de choses qui sont interchangeables
      • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
    • Dans cette hypothèse, l’article 1129 prévoit que si la chose doit être déterminée quant à son espèce (sa nature, son genre) lors de la formation du contrat, sa quotité pouvant être incertaine, pourvu qu’elle soit déterminable
    • Cela signifie donc qu’il importe peu que la chose de genre ne soit pas individualisée lors de la conclusion du contrat
    • Sa quantité devra toutefois être déterminable à partir des éléments contractuels prévus par les parties

==>L’objet de l’obligation est relatif à un service

Dans cette hypothèse, l’objet de l’obligation consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose

Pour satisfaire l’exigence de détermination de la prestation, la jurisprudence estimait qu’il était nécessaire que ladite prestation soit déterminée, tant dans sa nature (ne pas exercer une activité concurrente de celle de son ancien employeur), que dans sa durée (pendant cinq ans).

Ainsi, a-t-il été jugé, par exemple, dans un arrêt du 28 février 1983 que l’obligation de « faire un geste » n’est pas suffisamment précise pour satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation (Cass. com. 28 févr. 1983, n°81-14.921).

Dans un arrêt du 12 décembre 1989 la haute juridiction a toutefois précisé « qu’il est nécessaire pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties » (Cass. com. 12 déc. 1989, n°88-17.021).

Autrement dit, la prestation peut être considérée comme déterminable si sa quotité dépend de circonstances extérieures à la volonté des parties.

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Cass. com. 12 déc. 1989

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1129 du Code civil ;

Attendu qu’il est nécessaire, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée en vertu des clauses du contrat par voie de relation avec des éléments qui ne dépendent plus ni de l’une ni de l’autre des parties ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, qu’assignée en paiement de dommages-intérêts par la société Interrent à laquelle la liait un contrat de franchisage d’une durée de cinq ans qu’elle avait unilatéralement résilié avant son expiration, la société Portier automatériel (société Portier) a opposé la nullité du contrat pour indétermination du montant de la redevance mise à sa charge par la clause prévoyant qu’en contrepartie des avantages qui lui étaient consentis, elle devait mensuellement verser à la société Interrent ” une participation financière déterminée pour chaque année civile par le conseil d’administration de la société ” ;

Attendu que, pour rejeter l’exception, l’arrêt énonce, par motif propre, que la clause litigieuse fait dépendre le prix de la volonté d’une des parties et que, dès lors, il n’y a plus de défaut d’accord de volontés sur le prix puisque les parties se sont entendues pour que l’une d’elles fixe celui-ci et, par motif adopté, que la participation financière imposée à la société Portier est ” donc bien déterminée ” ;

Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, après avoir relevé que le montant de la redevance due par cette société dépendait de la seule volonté de la société Interrent, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 juin 1988, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Limoges

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b. La réforme des obligations

Il ressort de l’article 1163 du Code civil, qu’il n’est plus besoin de distinguer

  • D’une part, selon que l’objet de l’obligation consiste en une chose ou un service
  • D’autre part, selon que la chose consiste en un corps certain ou une chose de genre

La règle désormais posée est que, en toute hypothèse, la prestation « doit être déterminée ou déterminable ».

Aussi, la seule distinction qu’il convient d’opérer est celle qui oppose la prestation déterminée à la prestation déterminable.

  • S’agissant d’une prestation déterminée, il s’agit de l’hypothèse où dès la conclusion du contrat, le débiteur sait précisément à quoi il s’engage, en ce sens qu’il connaît tous les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa prestation :
    • S’il s’agit de fourniture d’un corps certain, il sera désigné avec suffisamment de précision dans le contrat pour que les parties soient en mesure de l’identifier
    • S’il s’agit de fourniture d’une chose de genre, elle devra être déterminée quant à son espèce et quant à sa quotité
    • S’il s’agit de la fourniture d’un service ou d’une abstention, elle devra être déterminée dans sa nature et dans sa durée.
  • S’agissant d’une prestation déterminable
    • Dans cette hypothèse, l’alinéa 3 de l’article 1163 précise que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
    • Dans l’hypothèse où la prestation n’est pas déterminée, elle devra au moins être déterminable
    • Toutefois pour satisfaire à cette exigence, cela suppose
      • Soit que les stipulations du contrat permettent de déterminer la quotité de la prestation
      • Soit que la quotité de la prestation puisse être déduite des usages, ou des relations antérieures entretenues par les parties
    • En toute hypothèse, l’alinéa 3 in fine de l’article 1163 prévoit que la prestation ne pourra jamais être réputée déterminable, lorsqu’un nouvel accord des parties est nécessaire quant à fixer le contenu de la prestation.

2. La prestation indéterminée

L’article 1166 du Code civil dispose que « lorsque la qualité de la prestation n’est pas déterminée ou déterminable en vertu du contrat, le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie. »

Si, antérieurement à la réforme des obligations la loi ne posait aucune véritable exigence s’agissant de la qualité de la prestation, la jurisprudence exigeait néanmoins du débiteur qu’il fournisse une prestation de qualité moyenne.

Cette règle était inspirée de l’ancien article 1246 du Code civil qui prévoyait que « si la dette est d’une chose qui ne soit déterminée que par son espèce, le débiteur ne sera pas tenu, pour être libéré, de la donner de la meilleure espèce ; mais il ne pourra l’offrir de la plus mauvaise. »

Dorénavant, il n’est donc plus question de qualité moyenne de la prestation : pour répondre à l’exigence de détermination, elle doit seulement être « conforme aux attentes légitimes du créancier », lesquelles attentes doivent être appréciées en considération de la nature de la prestation des usages et de la contrepartie fournie.

Il s’agit là toutefois d’une règle supplétive qui n’aura vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse où la prestation n’est ni déterminée, ni déterminable.

B) Les règles spécifiques relatives à la détermination du prix

Nombreux sont les contrats dans lesquels est stipulée une obligation qui consiste en le paiement d’une somme d’argent, soit d’une obligation pécuniaire qui exprime le prix d’une chose ou d’un service (prix dans la vente, loyer dans le bail, honoraires dans le mandat, prime dans l’assurance etc.)

Si l’obligation pécuniaire se retrouve dans la très grande majorité des contrats onéreux, elle n’en constitue pas moins une catégorie particulière d’obligation, celle-ci portant sur de la monnaie.

Or par définition, la monnaie est instable en ce sens que rien ne permet de dire que la prestation estimée à un euro aujourd’hui aura toujours la même valeur demain.

D’où la difficulté pour les contrats qui s’échelonnent dans le temps de fixer un prix et, par voie de conséquence, de satisfaire à l’exigence de détermination de la prestation.

S’il peut s’avérer extrêmement tentant pour les parties de reporter la fixation du prix à plus tard, il est un risque que, dans pareille hypothèse, le contrat encourt la nullité.

Immédiatement la question alors se pose de savoir quelles sont les marges de manœuvres dont disposent les parties quant à la détermination du prix.

1. Droit antérieur

Il ressort de la jurisprudence que les exigences relatives à la détermination du prix ont considérablement évolué sous l’empire du droit antérieur.

==>Première étape : conception souple de l’exigence de détermination du prix

  • Droit commun des contrats
    • La jurisprudence considérait, dans un premier temps, que, sauf disposition spéciale, l’article 1129 du Code civil était seul applicable en matière de détermination du prix.
    • Aussi, cela signifiait-il que dans les contrats qui comportaient une obligation pécuniaire, pour être valables, le prix devait être, soit déterminé, soit déterminable.
  • Cas des contrats-cadre
    • En application, de l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation a fait preuve d’une relativement grande souplesse s’agissant de l’exigence de détermination du prix, notamment pour les contrats-cadre, dont la particularité est de voir leur exécution échelonnée dans le temps.
    • Les contrats cadres ont, en effet, pour fonction d’organiser les relations contractuelles futures des parties.
    • La question s’est alors posée de savoir s’il était nécessaire que, dès la conclusion du contrat-cadre, le prix auquel seront conclues les ventes à venir soit déterminé.
    • Devait-on admettre, au contraire, que, sans fixer le prix, le fournisseur puisse seulement prévoir que le prix correspondra, par exemple, au tarif qui figurera sur le catalogue à la date de conclusion du contrat d’application ?
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est manifestement satisfaite de la seconde option.
    • Elle estimait, de la sorte, que le renvoi dans le contrat-cadre au prix du tarif fournisseur au jour de la livraison pour les ventes exécutées en application de ce contrat était valable (V. notamment Cass. req., 5 févr. 1934).
  • Cas du contrat de vente
    • Il peut être observé que la règle dégagée par la jurisprudence pour les contrats en général et pour les contrats-cadres ne s’appliquait pas au contrat de vente, la détermination du prix étant régi, pour ce type de contrat, par l’article 1591.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties. ». La détermination du prix est, de la sorte, une condition de validité du contrat de vente.
    • Lorsque le prix est seulement déterminable, la jurisprudence exige que sa fixation définitive soit indépendante de la volonté des parties (V. en ce sens Cass. com., 10 mars 1987, n°85-14.121).
    • Par ailleurs, l’article 1592 prévoit que le prix peut « être laissé à l’estimation d’un tiers ».

==>Deuxième étape : la chasse aux nullités pour indétermination du prix

À partir du début des années 1970, la jurisprudence a changé radicalement de position s’agissant de l’exigence de détermination du prix en se livrant, selon l’expression désormais consacrée par les auteurs, à une véritable chasse aux nullités pour indétermination du prix

La Cour de cassation a, en effet, cherché à attraire dans le champ d’application de l’article 1591, soit le régime applicable au contrat de vente, des opérations qui n’étaient pas véritablement constitutives de ventes mais qui en produisaient les effets (fourniture d’un produit).

Dans un arrêt du 27 avril 1971 la Cour de cassation a estimé en ce sens, au visa de l’article 1591 du Code civil qu’un contrat-cadre devait être annulé dans la mesure où « les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci » (Cass. com. 27 avr. 1971, n°70-10.753)

Cette solution a été réaffirmée par la chambre commerciale dans un arrêt du 12 février 1974 où elle censure une Cour d’appel qui, pour valider un contrat cadre, s’était référée « a des accords successifs intervenus pour la fixation du prix d’un certain nombre de fournitures, sans préciser comment, en vertu de la convention originaire, les prix de l’ensemble des fournitures prévues par celles-ci étaient soumis, malgré l’obligation d’exclusivité assumée par les époux x…, au libre jeu de la concurrence et ne dépendaient donc pas de la seule volonté de la brasserie du coq hardi » (Cass. com. 12 févr. 1974, n°72-13.959).

Cette chasse aux nullités pour indétermination du prix engagée par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, dans la mesure où cette dernière faisait application de l’article 1591 du Code civil à des contrats qui avaient pour objet, non pas la vente de produits, mais la fixation du cadre de la conclusion de contrats d’application futurs.

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Cass. com. 27 avr. 1971

Sur le premier moyen : vu les articles 1591 et 1592 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que, par convention du 31 mai 1956, la société Lille, Bonnieres et colombe, aux droits de laquelle se trouve la société Total, a consenti a la société Selmensheim, aux droits de laquelle se trouve la société Saint-Marcel Motors, pour l’exploitation par celle-ci d’une station de vente au détail de carburants, un prêt de matériel et d’argent ;

Qu’en contrepartie, la société Saint-Marcel Motors s’engageait à réserver à la société Total l’exclusivité pendant vingt ans, de ses achats de carburants “au prix pompiste de marque au jour de la livraison” ;

Que cette convention a d’abord été exécutée sous le régime d’un arrêté du 28 octobre 1952, qui fixait les marges respectives maximum de bénéfices de la compagnie distributrice et du pompiste détaillant, au prix du tarif de la société total lequel correspondait à la marge bénéficiaire maximum de cette société puis sous le régime de l’arrêté du 27 mai 1963, qui ne fixant plus que le prix limite de vente aux consommateurs, réalisait ainsi une fusion des deux marges, jusqu’au 17 juin 1965, date à laquelle la société Saint-Marcel Motors faisait valoir son désaccord sur les prix ;

Qu’elle assigna la société Total en vue de faire déclarer la caducité de la convention à compter de ladite date ;

Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient essentiellement que le prix “pompiste de marque” a toujours été le prix du tarif de la société total, qui reproduisait le barème du comité professionnel du pétrole, et que c’était une coutume, les parties n’ayant pas avantage à ce qu’il en fut autrement ;

Qu’avant la publication de l’arrêté du 27 mai 1963, l’administration ne fixait pas le prix de vente des produits pétroliers aux pompistes et que cette situation n’a pas été modifiée par cet arrêté qui, en abandonnant le système des deux marges avait réalisé la fusion de celles-ci, que, lors des discussions quotidiennes qui s’instaurent entre total et ses clients pompistes de marque pour le renouvellement d’anciens contrats et la passation de nouveaux sur les conditions spéciales a chaque cas, se forme un cours moyen qui a sa traduction dans le barème du comité professionnel du pétrole, que ce barème n’a donc pas le caractère arbitraire ;

Attendu qu’en admettant ainsi que les prix fixes par la société Total pouvaient être retenus, la cour d’appel, qui n’a pas recherche si depuis le 1er octobre 1963, date d’application de l’arrêté du 27 mai 1963, les parties avaient été d’accord pour continuer à appliquer le régime antérieur, et qui n’a pas établi que les éléments du tarif des distributeurs ne dépendaient pas de la volonté de ceux-ci, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

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==>Troisième étape : substitution de visa (art. 1591 => art. 1129)

En réaction aux critiques de la doctrine concentrées sur l’application de l’article 1591 aux contrats-cadre, la chambre commerciale décida, par trois arrêts du 11 octobre 1978, de revenir à son ancien visa, soit de fonder sa jurisprudence sur l’article 1129 du Code civil, sans pour autant changer de position.

La haute juridiction estimait, en effet, « qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée » (Cass. com. 11 oct. 1978, n°77-11.624).

Ainsi, la Cour de cassation refusait-elle toujours de valider les contrats dont la détermination du prix :

  • Soit supposait un nouvel accord des parties
  • Soit dépendait de la volonté discrétionnaire d’un seul contractant

L’article 1129 relevant du droit commun des contrats, la Cour de cassation a étendu sa position bien au-delà des contrats-cadre (contrat d’approvisionnement, contrat de franchise, contrat de prêt etc.).

Il a alors été reproché à la Cour de cassation d’avoir créé une véritable insécurité juridique, dans la mesure où, dans les contrats-cadre, il est extrêmement difficile de fixer le prix d’opérations qui se réaliseront parfois plusieurs années après la conclusion du contrat initial.

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Cass. com. 11 oct. 1978

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche : vu l’article 1129 du code civil ;

Attendu qu’en vertu de ce texte il faut, pour la validité du contrat, que la quotité de l’objet de l’obligation qui en est issue puisse être déterminée ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt défère que, par acte du 26 juin 1969, la société brasserie guillaume x… s’est engagée, en contrepartie d’avantages financiers a elle consentis par la société européenne de brasserie (Eurobra), a ne débiter, dans son établissement de brasserie-restaurant, pendant une durée de cinq années, que des bières fabriquées ou distribuées par cette dernière société, la quantité minimum des fournitures devant atteindre 2.000 hectolitres pendant la durée susvisée ;

Qu’il était prévu à l’acte que les marchandises en cause seraient livrées “aux prix habituellement pratiques pour des marchandises de même qualité sur la place ou est exploité le fonds” ;

Que celui-ci ayant été cédé a une société Sedlo, celle-ci le transféra à son tour, par acte du 22 novembre 1972, a une société dénommée, elle aussi, brasserie guillaume x… ;

Que, dans les deux actes de cession successifs, les sociétés cessionnaires s’engagèrent à observer l’obligation d’exclusivité de fourniture résultant de l’acte du 26 juin 1969 ;

Que la société brasserie guillaume x… ayant, dans le courant de 1973, cesse de s’approvisionner auprès de la société Eurobra, celle-ci l’a assignée en payement du montant de la clause pénale figurant à l’acte dont il s’agit ;

Attendu que la société brasserie guillaume x… ayant opposé à cette demande la nullité dudit acte en raison de l’indétermination du prix des marchandises en faisant l’objet, la cour d’appel a rejeté cette exception en retenant que la clause susvisée relative à la fixation de ce prix “fait implicitement appel à la loi de l’offre et de la demande et laisse intactes toutes possibilités de négociation ou de rectification au cas où le prix propose serait supérieur au prix de marche…” ;

Attendu qu’en considérant ainsi que le prix des fournitures en cause était déterminable suivant les énonciations du contrat, sans rechercher, comme l’y invitaient les conclusions de la société brasserie guillaume x…, si la référence opérée par la clause litigieuse au prix du marché pratique à Lyon, ou ladite société avait son établissement, permettait “d’avoir un élément de référence sérieux, précis et objectif”, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le premier moyen, non plus que sur les autres branches du second moyen : casse et annule l’arrêt rendu entre les parties le 18 janvier 1977 par la cour d’appel de paris ;

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==>Quatrième étape : infléchissement de la position de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’est pas demeurée insensible aux nombreux reproches dont sa jurisprudence faisait l’objet.

C’est la raison pour laquelle, dans le courant des années 1980, elle a cherché à infléchir sa position.

Ainsi, dans un arrêt du 9 novembre 1987, la Cour de cassation a refusé d’accéder à la demande d’annulation d’un contrat de distribution pour indétermination du prix, estimant qu’il s’agissait là d’un contrat dont l’objet consiste en une obligation de faire.

Or selon elle, seuls les contrats qui portent sur une obligation de donner sont soumis à l’exigence de détermination du prix (Cass. com. 9 nov. 1987, n°86-13.984).

En d’autres termes, l’exigence de détermination du prix posée à l’article 1129 du Code civil varierait du tout ou rien, selon que l’on est en présence d’une obligation de donner ou de faire.

Critiquable à maints égards, la Cour de cassation abandonne rapidement cette distinction à la faveur du critère de la stipulation potestative, soit lorsque la fixation du prix dépend de la volonté d’une seule des parties

Dans un arrêt du 16 juillet 1991, la chambre commerciale admet en ce sens que, dans un contrat-cadre, il n’est plus nécessaire que le prix des marchandises soit déterminable « pourvu qu’il puisse être librement débattu et accepté » au moment de la conclusion de la vente (Cass. com. 16 juill. 1991).

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Cass. com. 9 nov. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 27 mars 1986) que, par un contrat du 1er mars 1983, dit ” de commercialisation “, la société Cofadis, qui fabrique une machine destinée à l’imprimerie, a chargé la société Graphic Repro Diffusion (société Graphic) d’en assurer en exclusivité la distribution et la vente dans certains pays ; que la société Graphic, qui s’était engagée à vendre directement un nombre déterminé de ces appareils par an, n’ayant pas satisfait à cette obligation, la société Cofadis l’a assignée en résiliation du contrat ;

Attendu que la société Graphic fait grief à la cour d’appel d’avoir prononcé la résiliation du contrat à ses torts exclusifs alors, selon le pourvoi, d’une part, que le contrat de distribution commerciale comporte nécessairement pour son exécution une série de ventes successives et s’analyse donc en une promesse de vente ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que la société Graphic achèterait à Cofadis les équipements dont elle devait assurer la distribution ; qu’en énonçant néanmoins que le contrat litigieux ne faisait naître que des obligations de faire à la charge des co-contractants, alors qu’il avait pour objet essentiel la vente de marchandises à la société Graphic en vue de leur commercialisation dans le public, la cour d’appel a violé les articles 1134 et 1589 du Code civil et alors, d’autre part, que le prix des marchandises vendues dans le cadre d’un contrat de distribution commerciale doit être déterminé ou déterminable sans qu’il faille un nouvel accord des parties, ce, à peine de nullité du contrat de distribution ; qu’il résulte des constatations de l’arrêt que le prix des ventes à intervenir dans le cadre du contrat de distribution conclu entre les parties devait être déterminé par un accord ultérieur entre elles ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la convention litigieuse, la cour d’appel a violé les articles 1134, 1129 et 1591 du Code civil ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’accord litigieux conclu entre la société Cofadis et la société Graphic comportait, pour la première société, l’obligation d’accorder l’exclusivité de la distribution, dans un certain nombre de pays, du matériel en cause et, pour la seconde, l’obligation d’assurer la promotion et la vente du matériel dans ces mêmes pays, la cour d’appel a pu considérer que la convention ne s’analysait pas comme une vente avec obligation de mentionner le prix mais comme une obligation de faire et se prononcer comme elle l’a fait, sans violer les textes visés au moyen ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

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==>Cinquième étape : l’amorce d’un revirement de jurisprudence

Dans deux arrêts du 20 novembre 1994, la Cour de cassation affirme, au visa des articles 1129 et 1134, al. 3 du Code civil que si la détermination du prix demeure une exigence, il y est satisfait dès lors que le contrat fait « référence au tarif » fixé par une partie, à condition, néanmoins, que cette dernière n’ait pas « abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994, n°91-21.009).

Dans le cas contraire, la première chambre civile considère que cela reviendrait à violer l’obligation de bonne foi qui échoit aux parties lors de l’exécution du contrat.

Plusieurs enseignements ont immédiatement été tirés de ces arrêts :

  • Tout d’abord, en visant l’article 1129 du Code civil, la Cour de cassation maintien l’exigence de détermination du prix quel que soit le type de contrat conclu, y compris pour les contrats-cadre.
  • Ensuite, il ressort de la décision rendue qu’il importe peu, désormais, que le prix soit fixé discrétionnairement par une seule des parties au contrat.
  • En outre, la haute juridiction affirme que la nullité d’un contrat pour indétermination du prix ne peut être prononcée qu’à la condition qu’une partie ait abusé de sa situation économique pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime.
  • Enfin, la Cour de cassation fonde sa décision notamment sur l’ancien article 1134, al. 3 du Code civil, selon lequel les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Aussi, cela témoigne-t-il de sa volonté de déplacer l’exigence de détermination du prix au niveau de l’exécution du contrat, alors qu’il s’agit pourtant d’une condition de formation de l’acte.

Malgré la nouveauté de la solution adoptée par la Cour de cassation dans ces deux arrêts du 20 novembre 1994, deux questions demeuraient en suspens :

  • Qui de la sanction de l’abus dans la fixation du prix ?
    • Nullité ? Octroi de dommages et intérêts ? Résolution du contrat ?
  • Quid du ralliement de la chambre commerciale à la position de la première chambre civile ?
    • Dans un arrêt rendu sensiblement à la même date, elle rendit, en effet, une décision dans laquelle elle maintenait la solution antérieure ? (Cass. com., 8 nov. 1994)

Par chance, des réponses ont rapidement été apportées à ces deux questions par quatre arrêts d’assemblée plénière rendus en date du 1er décembre 1995 (Cass. ass. plén., 1er déc. 1995, n°91-15.578).

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Cass. 1ère civ. 20 nov. 1994

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1129 et 1134, alinéa 3, du Code civil ;

Attendu que pour prononcer, pour indétermination du prix, la nullité des conventions conclues par M. X… avec la société GST-Alcatel Est pour la fourniture et l’entretien d’une installation téléphonique, la cour d’appel retient que si le prix de la location et de l’entretien de l’installation était déterminable, il n’en était pas de même du coût des modifications dont le bailleur s’était réservé l’exclusivité, le contrat se bornant sur ce point à mentionner l’application d’une ” plus-value de la redevance de location sur la base du tarif en vigueur ” ;

Attendu qu’en se prononçant par ces motifs, alors que, portant sur des modifications futures de l’installation, la convention litigieuse faisait référence à un tarif, de sorte que le prix en était déterminable, et qu’il n’était pas allégué que la société GST-Alcatel eût abusé de l’exclusivité qui lui était réservée pour majorer son tarif dans le but d’en tirer un profit illégitime, et ainsi méconnu son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

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==>Sixième étape : le revirement de jurisprudence des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995

Par quatre arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre, la Cour de cassation a affirmé deux principes s’agissant de l’exigence de détermination.

  • Dans l’un des quatre arrêts, elle considère que « l’article 1129 du Code civil [n’est] pas applicable à la détermination du prix », de sorte que, en matière de contrat-cadre, la détermination du prix n’est pas une condition de validité du contrat.
  • Dans les trois autres arrêts, elle précise, sans détour, que « lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ».

Afin de prendre la mesure de ces deux principes posés par la Cour de cassation, remémorons-nous les circonstances de fait et de procédure de l’un de ces arrêts.

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Cass. ass. plén. 1er déc. 1995

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1709 et 1710, ensemble les articles 1134 et 1135 du Code civil ;

Attendu que lorsqu’une convention prévoit la conclusion de contrats ultérieurs, l’indétermination du prix de ces contrats dans la convention initiale n’affecte pas, sauf dispositions légales particulières, la validité de celle-ci, l’abus dans la fixation du prix ne donnant lieu qu’à résiliation ou indemnisation ;

Attendu selon l’arrêt attaqué (Rennes, 13 février 1991) que le 5 juillet 1981, la société Sumaco a conclu avec la société Compagnie atlantique de téléphone (CAT) un contrat de location-entretien d’une installation téléphonique moyennant une redevance indexée, la convention stipulant que toutes modifications demandées par l’Administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur ; que la compagnie ayant déclaré résilier le contrat en 1986 en raison de l’absence de paiement de la redevance, et réclamé l’indemnité contractuellement prévue, la Sumaco a demandé l’annulation de la convention pour indétermination de prix ;

Attendu que pour annuler le contrat, l’arrêt retient que l’abonné était contractuellement tenu de s’adresser exclusivement à la compagnie pour toutes les modifications de l’installation et que le prix des remaniements inéluctables de cette installation et pour lesquels la Sumaco était obligée de s’adresser à la CAT, n’était pas déterminé et dépendait de la seule volonté de celle-ci, de même que le prix des éventuels suppléments ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 février 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

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  • Faits
    • Le 5 juillet 1981, une société conclut avec un prestataire un contrat-cadre de location et d’entretien d’une installation téléphonique en contrepartie de l’acquittement d’une redevance indexée.
    • La convention stipulait que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonné seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur.
    • La société abonnée n’ayant pas payé la redevance, la Compagnie de téléphone a, dès lors, souhaité résilier le contrat.
  • Demande
    • La société abonnée demande l’annulation du contrat de prestation conclu avec la société de téléphone.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 13 février 1991, la Cour d’appel de Rennes a annulé le contrat de prestation téléphonique.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’abonné était tenu contractuellement de s’adresser à la compagnie de téléphone pour toute intervention sur la ligne, il était soumis aux prix que lui imposerait la compagnie de téléphone.
    • Or ce prix n’était pas déterminé, car fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone.
  • Solution
    • Par un arrêt du 1er décembre 1995, l’assemblée plénière de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par les juges du fond au visa des articles 1709, 17010 et 1134 et 11385.
    • Deux affirmations retiennent l’attention dans cet arrêt
      • D’une part, l’indétermination du prix dans un contrat cadre n’est pas une cause de nullité du contrat
      • D’autre part, l’abus dans la fixation du prix est sanctionné soit par la résiliation du contrat, soit par l’octroi de dommages intérêts
    • Aussi, de ce principe d’indétermination posé par la Cour de cassation, elle en déduit, dans le litige en l’espèce, que bien que le prix ait été fixé unilatéralement par la compagnie de téléphone au cours de l’exécution du contrat, le contrat d’abonnement était bien valable.
    • Par ailleurs, en visant les anciens articles 1134 et 1135 du Code civil, la Cour de cassation indique clairement que, pour apprécier le respect de l’exigence de détermination du prix, il convient désormais de se situer, non plus au niveau de la formation du contrat, mais au niveau de son exécution.
    • Ainsi, la Cour de cassation confirme-t-elle que la détermination du prix n’est plus une condition de validité du contrat.
    • Il en résulte que dans un contrat-cadre, il importe peu que le prix soit indéterminé et que sa fixation dépende de la volonté d’une seule des parties.
    • Il ressort toutefois que le principe d’indétermination du prix a vocation à s’appliquer sauf « dispositions légales particulières ».
    • Tel sera notamment le cas du contrat de vente qui reste soumis au régime de l’article 1591 du Code civil, soit au principe de détermination de prix.
    • Bien que les auteurs fussent, dans un premier temps, satisfait par la solution novatrice de la Cour de cassation, cette jurisprudence n’en a pas moins fait naître quelques incertitudes, notamment s’agissant de la notion d’abus.
  • Portée des arrêts du 1er décembre 1995
    • Plusieurs enseignements peuvent être tirés des arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995 :
      • Premier enseignement : la détermination du prix n’est plus une condition de validité dans les contrats-cadre : le principe devient l’indétermination du prix
      • Deuxième enseignement : l’article 1129 du Code civil n’est pas applicable à la détermination du prix, de sorte que ce dernier ne saurait être assimilé à une chose
      • Troisième enseignement : le principe d’indétermination du prix n’a vocation à s’appliquer qu’aux contrats qui ne sont soumis à aucune disposition particulière
      • Quatrième enseignement : l’indétermination du prix est sanctionnée uniquement en cas d’abus de la partie forte au contrat.
      • Cinquième enseignement : l’abus dans la fixation du prix s’apprécie au niveau de l’exécution du contrat
      • Sixième enseignement : la sanction de l’abus dans la fixation du prix est, soit la résiliation du contrat, soit l’octroi de dommages et intérêts

==>Septième étape : la précision de la notion d’abus dans la fixation du prix

Dans un arrêt du 15 janvier 2002, la Cour de cassation a estimé que l’abus dans la fixation du prix était caractérisé lorsque deux conditions cumulatives étaient réunies (Cass. com. 15 janv. 2002, n°99-21.172) :

  • L’existence d’une situation de dépendance économique
    • Cela suppose que la victime de l’abus ne soit pas en mesure de négocier le prix qui lui est imposé, sauf à mettre en péril son activité
    • Dans un arrêt du 30 juin 2004, la Cour de cassation a, par exemple, estimé qu’il n’y avait pas abus lorsque le contractant n’a pas été contraint de subir la modification unilatérale, la décision d’augmenter le prix lui ayant été notifié suffisamment tôt pour qu’il puisse trouver une autre solution en s’adressant à la concurrence (Cass. com. 30 juin 2004, n°01-00.475).
  • L’existence d’un prix disproportionné
    • Cela suppose que le prix imposé à la partie, victime de l’abus, ne lui permette pas d’exploiter de manière rentable son activité.
    • Dans un arrêt du 4 novembre 2014, il a, par ailleurs, été jugé qu’un prix était disproportionné parce qu’il est excessif au regard de celui pratiqué pour les autres clients du distributeur (Cass. com. 4 nov. 2014, n°11-14.026).

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Cass. com. 15 janv. 2002

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 23 septembre 1999) que la société d’Exploitation du garage Schouwer (le Garage Schouwer) était concessionnaire exclusif de véhicules de la marque Mazda sur le territoire de Sarrebourg et Sarreguemines depuis 1991 ; que, reprochant à la société France Motors, importateur exclusif de la marque, d’avoir, à partir de 1993, abusé de son droit de fixation unilatérale des conditions de vente et d’avoir abusivement refusé de déroger à la clause d’exclusivité en lui interdisant de représenter la marque Daewoo, et d’être ainsi responsable des difficultés financières qu’il connaissait, le Garage Schouwer l’a assignée en paiement de dommages-et-intérêts ; qu’il a été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 1995 et que son liquidateur, M. Z…, a repris l’instance ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que la société France Motors fait grief à l’arrêt de sa condamnation alors, selon le moyen :

[..]

Mais attendu qu’ayant, par une décision motivée, relevé que la société France Motors, qui s’était trouvée confrontée à un effondrement général du marché de l’automobile, aggravé par une hausse du yen, avait pris des mesures imposant des sacrifices à ses concessionnaires, eux-mêmes fragilisés, au point de mettre en péril la poursuite de leur activité, l’arrêt retient que le concédant ne s’est pas imposé la même rigueur bien qu’il disposât des moyens lui permettant d’assumer lui-même une part plus importante des aménagements requis par la détérioration du marché, puisque, dans le même temps, il a distribué à ses actionnaires des dividendes prélevés sur les bénéfices pour un montant qui, à lui seul, s’il avait été conservé, lui aurait permis de contribuer aux mesures salvatrices nécessaires en soulageant substantiellement chacun de ses concessionnaires et que notamment, en ce qui concerne le Garage Schouwer, il aurait pu disposer à son endroit d’un montant équivalant à l’insuffisance d’actif que celui-ci a accusé ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations déduites de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d’appel, qui a légalement justifié sa décision sans méconnaître l’objet du litige et sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu estimer que la société France Motors avait abusé de son droit de fixer unilatéralement les conditions de vente et qu’elle devait réparation au Garage Schouwer du préjudice qui en était résulté pour lui ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses diverses branches

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2. La réforme des obligations

L’examen de la réforme des obligations révèle que le législateur a consacré pour l’essentiel la jurisprudence en matière de détermination du prix.

a. Principe

Dans la mesure où le paiement d’un prix consiste en une prestation comme une autre, les contrats qui comportent une obligation pécuniaire n’échappent pas au principe posé à l’article 1163, al. 2 du Code civil : l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable

Il peut d’ores et déjà être observé que le législateur a ici pris ses distances avec la solution adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 1er décembre 1995 où elle avait estimé que l’ancien article 1129 du Code civil n’était pas applicable à la détermination du prix.

Or cette disposition prévoyait l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle ressuscité le principe de détermination du prix qui l’avait relégué au rang d’exception.

La détermination du prix redevient, de la sorte, une condition de validité du contrat.

Il en résulte que la sanction encourue en cas d’indétermination du prix est la nullité et non plus la résiliation du contrat ou l’octroi de dommages et intérêts.

b. Exceptions

Le législateur a jugé bon d’assortir le principe de détermination du prix de deux exceptions

==>Première exception : les contrats-cadre

L’article 1164, al. 1 du Code civil prévoit que « dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation. »

L’article 1164, al. 2 précise que « en cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat. »

Il ressort de ces deux alinéas que le législateur est venu consacrer, dans les mêmes termes, la solution dégagée dans les arrêts du 1er décembre 1995.

Autrement dit, dans les contrats-cadre, le prix peut être fixé discrétionnairement par l’une des parties, sous réserve de l’abus.

Le législateur ne prend cependant pas la peine de définir la notion d’abus dans la fixation du prix, alors même que cette définition faisait déjà défaut dans les arrêts d’assemblée plénière.

Aussi conviendra-t-il de se reporter à la jurisprudence postérieure qui s’est employée à délimiter les contours de la notion.

==>Seconde exception : les contrats de prestation de service

Aux termes de l’article 1165 du Code civil « dans les contrats de prestation de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Comme en matière de contrat-cadre, les contrats de prestation de service ne sont pas soumis au principe de détermination du prix, à la condition toutefois qu’aucun accord ne soit intervenu entre les parties avant l’exécution de la convention.

Il s’agit là, ni plus ni moins, d’une consécration de la jurisprudence selon laquelle, dans les contrats d’entreprise, la détermination du prix n’est pas une condition de validité de l’acte.

Dans un arrêt du 15 juin 1973 la Cour de cassation a estimé en ce sens que « un accord préalable sur le montant exact de la rémunération n’est pas un élément essentiel d’un contrat de cette nature » (Cass. 1er civ. 15 juin 1973, n°72-12.062).

En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge ne pourra pas, comme l’y autorisait la jurisprudence antérieure, réduire le prix de la prestation, ni même prononcer la résiliation du contrat comme en matière de contrat-cadre.

Il pourra seulement « être saisi d’une demande en dommages et intérêts ».

Par ailleurs, quid de ses pouvoirs en cas d’indétermination du prix ?

Antérieurement à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, la Cour de cassation estimait « qu’en l’absence d’un tel accord, il appartient aux juges du fond de fixer la rémunération compte tenu des éléments de la cause » (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1993, n°91-18.650).

Le nouvel article 1165 du Code civil ne semble pas conférer au juge un tel pouvoir.

Il ressort, au contraire de la lettre de cette disposition que, en cas d’indétermination du prix, il appartiendra au seul créancier de le fixer.

==>Le sort de la clause d’indexation du prix

L’article 1167 du Code civil prévoit que « lorsque le prix ou tout autre élément du contrat doit être déterminé par référence à un indice qui n’existe pas ou a cessé d’exister ou d’être accessible, celui-ci est remplacé par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

Qu’est-ce qu’une clause d’indexation ?

Il s’agit d’une stipulation par laquelle les parties désignent un indice qui servira de référence quant à la détermination du prix au cours de l’exécution du contrat.

La question s’était alors posée en jurisprudence de savoir quels étaient les pouvoirs du juge lorsque cet indice avait cessé d’exister ou était illicite.

Dans un arrêt du 22 juillet 1987, la Cour de cassation avait estimé qu’il revenait au juge de se référer à la commune intention des parties quant à déterminer le nouvel indice de référence (Cass. 3e civ. 22 juill. 1987, n°84-10.548).

Désormais, le nouvel article 1167 prévoit que le juge doit remplacer l’indice illicite ou qui a disparu « par l’indice qui s’en rapproche le plus. »

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Cass. 3e civ. 22 juill. 1987

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Compagnie Internationale du Travail Temporaire (CITT), assistée de son syndic au règlement judiciaire, Monsieur X…, fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 1983), statuant sur les conséquences de l’annulation d’une clause d’échelle mobile incluse dans le bail commercial dont elle est titulaire sur des locaux appartenant à Mme Y…, d’avoir décidé que le loyer serait indexé sur les variations de l’indice trimestriel de la construction établi par l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, aux lieus et place de celles prévues dans la stipulation du bail annulée par un précédent arrêt, alors, selon le moyen, ” qu’en l’absence de toute volonté commune des parties au contrat quant à la référence à un autre indice que celui expressément stipulé, le juge ne saurait, sans excéder ses pouvoirs et violer l’article 79 § 3 de l’ordonnance du 30 décembre 1958 et l’article 1134 du Code civil, substituer, de sa propre autorité, un indice licite à celui figurant dans une clause précédemment déclarée illicite ” ;

Mais attendu que la cour d’appel, recherchant la commune intention des parties, a souverainement retenu que leur volonté a essentiellement porté sur le principe de l’indexation et que la stipulation du choix de l’indice en constituant une application, il y avait lieu de substituer à l’indice annulé un indice admis par la loi ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

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