Procédure devant le Tribunal judiciaire: l’enrôlement de l’affaire ou le placement de l’acte introductif d’instance (assignation, requête et requête conjointe)

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a opéré une simplification des modes de saisine, ces derniers étant unifiés devant le Tribunal judiciaire.

Cette unification des modes de saisine procède de la consécration d’une proposition formulée dans le rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile.

Ce rapport, issu d’un groupe de travail dirigé par Frédéric Agostini, Présidente du Tribunal de grande instance de Melun et par Nicolas Molfessis, Professeur de droit, comportait 30 propositions « pour une justice civile de première instance modernisée ».

Au nombre de ces propositions figurait celle appelant à « créer l’acte unique de saisine judiciaire ». Cette proposition repose sur le constat que

  • D’une part, « la majorité des réponses aux consultations est favorable à la réduction des cinq modes de saisine des juridictions civiles et propose de ne conserver que l’assignation et la requête. »
  • D’autre part, « la variété des modes de saisine existant pour une même juridiction est un facteur de complication des méthodes de travail alors que le numérique offre d’importantes perspectives de standardisation et devrait permettre de limiter les tâches répétitives. »

Aussi, le groupe de travail considère-t-il que « la transformation numérique impose de sortir des schémas actuels du code de procédure civile ».

Le vœu formulé par ce dernier a manifestement été exhaussé par le législateur puisque la loi du 23 mars 2019 a non seulement simplifié les modes de saisine, mais encore, tout en supprimant la déclaration au greffe et la présentation volontaire des parties comme mode de saisine, elle a conféré à l’assignation une nouvelle fonction : celle de convocation du défendeur en matière contentieuse. Pour le comprendre, revenons à la fonction générale des actes introductifs d’instance.

La formulation d’une demande en justice suppose, pour le plaideur qui est à l’initiative du procès, d’accomplir ce que l’on appelle un acte introductif d’instance, lequel consiste à soumettre au juge des prétentions (art. 53 CPC).

En matière contentieuse, selon l’article 54 du Code de procédure civile, cet acte peut prendre plusieurs formes au nombre desquelles figurent :

  • L’assignation
  • La requête
  • La requête conjointe

Reste que l’accomplissement d’un acte introductif d’instance n’emporte pas saisine de la juridiction.

En effet, pour saisir le juge, il convient de procéder à l’enrôlement de l’affaire, ce qui, par suite, donnera lieu à la constitution d’un dossier par le greffe. Dans le même temps, et plus précisément dans un délai de 15 jours à compter de la délivrance de l’assignation, il appartient, au défendeur, en procédure écrite, de constituer avocat.

Nous nous focaliserons ici sur l’enrôlement de l’acte introductif.

Bien que l’acte de constitution d’avocat doive être remis au greffe, il n’a pas pour effet de saisir le Tribunal.

Il ressort des articles 754 et 756 du CPC que cette saisine ne s’opère qu’à la condition que l’acte introductif d’instance accompli par les parties (assignation, requête ou requête conjointe) fasse l’objet d’un « placement » ou, dit autrement, d’un « enrôlement ».

Ces expressions sont synonymes : elles désignent ce que l’on appelle la mise au rôle de l’affaire. Par rôle, il faut entendre le registre tenu par le secrétariat du greffe du Tribunal qui recense toutes les affaires dont il est saisi, soit celles sur lesquels il doit statuer.

Cette exigence de placement d’enrôlement de l’acte introductif d’instance a été généralisée pour toutes les juridictions, de sorte que les principes applicables sont les mêmes, tant devant le Tribunal judiciaire, que devant le Tribunal de commerce.

À cet égard, la saisine proprement dite de la juridiction comporte trois étapes qu’il convient de distinguer

  • Le placement de l’acte introductif d’instance
  • L’enregistrement de l’affaire au répertoire général
  • La constitution et le suivi du dossier

I) Le placement de l’acte introductif d’instance

A) Le placement de l’assignation

1. La remise de l’assignation au greffe

L’article 754 du CPC dispose, en effet, que le tribunal est saisi, à la diligence de l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation.

C’est donc le dépôt de l’assignation au greffe du Tribunal judiciaire qui va opérer la saisine et non sa signification à la partie adverse.

À cet égard, l’article 769 du CPC précise que « la remise au greffe de la copie d’un acte de procédure ou d’une pièce est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué. »

2. Le délai

a. Principe

i. Droit antérieur

L’article 754 du CPC, modifié par le décret n°2020-1452 du 27 novembre 2020, disposait dans son ancienne rédaction que « sous réserve que la date de l’audience soit communiquée plus de quinze jours à l’avance, la remise doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date ».

L’alinéa 2 précisait que « lorsque la date de l’audience est communiquée par voie électronique, la remise doit être faite dans le délai de deux mois à compter de cette communication. »

Il ressortait de la combinaison de ces deux dispositions que pour déterminer le délai d’enrôlement de l’assignation, il y avait lieu de distinguer selon que la date d’audience est ou non communiquée par voie électronique.

?La date d’audience n’était pas communiquée par voie électronique

Il s’agit de l’hypothèse où les actes de procédures ne sont pas communiqués par voie électronique (RPVA).

Tel est le cas, par exemple, en matière de procédure orale ou de procédure à jour fixe, la voie électronique ne s’imposant, conformément à l’article 850 du CPC, qu’en matière de procédure écrite.

Cette disposition prévoit, en effet, que « à peine d’irrecevabilité relevée d’office, en matière de procédure écrite ordinaire et de procédure à jour fixe, les actes de procédure à l’exception de la requête mentionnée à l’article 840 sont remis à la juridiction par voie électronique. »

Dans cette hypothèse, il convenait donc de distinguer deux situations :

  • La date d’audience est communiquée plus de 15 jours avant l’audience
    • Le délai d’enrôlement de l’assignation devait être alors porté à 15 jours
  • La date d’audience est communiquée moins de 15 jours avant l’audience
    • L’assignation devait être enrôlée avant l’audience sans condition de délai

?La date d’audience était communiquée par voie électronique

Il s’agit donc de l’hypothèse où la date d’audience est communiquée par voie de RPVA ce qui, en application de l’article 850 du CPC, intéresse :

  • La procédure écrite ordinaire
  • La procédure à jour fixe

L’article 754 du CPC prévoyait que pour ces procédures, l’enrôlement de l’assignation doit intervenir « dans le délai de deux mois à compter de cette communication. »

Ainsi, lorsque la communication de la date d’audience était effectuée par voie électronique, le demandeur devait procéder à la remise de son assignation au greffe dans un délai de deux mois à compter de la communication de la date d’audience.

Le délai de placement de l’assignation était censé être adapté à ce nouveau mode de communication de la date de première audience.

Ce système n’a finalement pas été retenu lors de la nouvelle réforme intervenue un an plus tard.

ii. Droit positif

L’article 754 du CPC, modifié par le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021, dispose désormais en son alinéa 2 que « sous réserve que la date de l’audience soit communiquée plus de quinze jours à l’avance, la remise doit être effectuée au moins quinze jours avant cette date. »

Il ressort de cette disposition que pour déterminer le délai d’enrôlement de l’assignation, il y a lieu de distinguer selon que la date d’audience est ou non communiquée 15 jours avant la tenue de l’audience.

  • La date d’audience est communiquée plus de 15 jours avant la tenue de l’audience
    • Dans cette hypothèse, l’assignation doit être enrôlée au plus tard 15 jours avant l’audience
  • La date d’audience est communiquée moins de 15 jours avant la tenue de l’audience
    • Dans cette hypothèse, l’assignation doit être enrôlée avant l’audience sans condition de délai

Le décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 a ainsi mis fin au système antérieur qui supposait de déterminer si la date d’audience avait ou non été communiquée par voie électronique.

b. Exception

L’article 755 prévoit que dans les cas d’urgence ou de dates d’audience très rapprochées, les délais de comparution des parties ou de remise de l’assignation peuvent être réduits sur autorisation du juge.

Cette urgence sera notamment caractérisée pour les actions en référé dont la recevabilité est, pour certaines, subordonnée à la caractérisation d’un cas d’urgence (V. en ce sens l’art. 834 CPC)

Au total, le dispositif mis en place par le décret du 27 novembre 2020 permet de clarifier l’ancienne règle posée par l’ancien décret du 11 décembre 2019 et d’éviter les placements tardifs, et de récupérer une date d’audience inutilisée pour l’attribuer à une nouvelle affaire.

En procédure écrite, il convient surtout de retenir que le délai d’enrôlement est, par principe de deux mois, et par exception, il peut être réduit à 15 jours, voire à moins de 15 jours en cas d’urgence.

3. La sanction

L’article 754 prévoit que le non-respect du délai d’enrôlement est sanctionné par la caducité de l’assignation, soit son anéantissement rétroactif, lequel provoque la nullité de tous les actes subséquents.

Cette disposition précise que la caducité de l’assignation est « constatée d’office par ordonnance du juge »

À défaut, le non-respect du délai d’enrôlement peut être soulevé par requête présentée au président ou au juge en charge de l’affaire en vue de faire constater la caducité. Celui-ci ne dispose alors d’aucun pouvoir d’appréciation.

En tout état de cause, lorsque la caducité est acquise, elle a pour effet de mettre un terme à l’instance.

Surtout, la caducité de l’assignation n’a pas pu interrompre le délai de prescription qui s’est écoulé comme si aucune assignation n’était intervenue (Cass. 2e civ., 11 oct. 2001, n°9916.269).

B) Le placement de la requête

?Modalités de placement

La procédure sur requête présente cette particularité d’être non-contradictoire. Il en résulte que la requête n’a pas vocation à être notifiée à la partie adverse, à tout le moins dans le cadre de l’introduction de l’instance.

Aussi, la saisie de la juridiction s’opère par l’acte de dépôt de la requête auprès de la juridiction compétence, cette formalité n’étant précédée, ni suivi d’aucune autre.

L’article 845 du CPC prévoit en ce sens que « le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi. »

L’article 756 précise que « cette requête peut être remise ou adressée ou effectuée par voie électronique dans les conditions prévues par arrêté du garde des sceaux. »

L’alinéa 2 de cette disposition précise que, lorsque les parties ont soumis leur différend à un conciliateur de justice sans parvenir à un accord, leur requête peut également être transmise au greffe à leur demande par le conciliateur.

À cet égard, il convient d’observer que, désormais, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à une action en bornage ou aux actions visées à l’article R. 211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire (art. 750-1 CPC).

Enfin, comme pour l’assignation, en application de l’article 769 du CPC, la remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué.

?Convocation des parties défendeur

L’article 758 du CPC dispose que, lorsque la juridiction est saisie par requête, le président du tribunal fixe les lieu, jour et heure de l’audience.

Reste à en informer les parties :

  • S’agissant du requérant
    • Il est informé par le greffe de la date et de l’heure de l’audience « par tous moyens »
    • On en déduit qu’il n’est pas nécessaire pour le greffe de lui communication l’information par voie de lettre recommandée
  • S’agissant du défendeur
    • L’article 758, al. 3 prévoit que le greffier convoque le défendeur à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
    • À cet égard, la convocation doit comporter un certain nombre de mentions au nombre desquelles figurent :
      • La date ;
      • L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
      • L’indication que, faute pour le défendeur de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;
      • Le cas échéant, la date de l’audience à laquelle le défendeur est convoqué ainsi que les conditions dans lesquelles il peut se faire assister ou représenter.
      • Un rappel des dispositions de l’article 832 du CPC qui prévoit que
      • « Sans préjudice des dispositions de l’article 68, la demande incidente tendant à l’octroi d’un délai de paiement en application de l’article 1343-5 du Code civil peut être formée par courrier remis ou adressé au greffe. Les pièces que la partie souhaite invoquer à l’appui de sa demande sont jointes à son courrier. La demande est communiquée aux autres parties, à l’audience, par le juge, sauf la faculté pour ce dernier de la leur faire notifier par le greffier, accompagnée des pièces jointes, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

L’auteur de cette demande incidente peut ne pas se présenter à l’audience, conformément au second alinéa de l’article 446-1. Dans ce cas, le juge ne fait droit aux demandes présentées contre cette partie que s’il les estime régulières, recevables et bien fondées. »

      • Les modalités de comparution devant la juridiction
    • La convocation par le greffe du défendeur vaut citation précise l’article 758 du CPC.
    • Enfin, lorsque la représentation est obligatoire, l’avis est donné aux avocats par simple bulletin.
    • Par ailleurs, la copie de la requête est jointe à l’avis adressé à l’avocat du défendeur ou, lorsqu’il n’est pas représenté, au défendeur.

C) Le placement de la requête conjointe

?Modalités de placement

L’article 756 du CPC prévoit que « dans les cas où la demande peut être formée par requête, la partie la plus diligente saisit le tribunal par la remise au greffe de la requête. » La saisine de la juridiction compétente s’opère ainsi de la même manière que pour la requête « ordinaire ».

La requête peut, de sorte, également être remise ou adressée ou effectuée par voie électronique dans les conditions prévues par arrêté du garde des Sceaux à intervenir.

Le dépôt de la requête suffit, à lui-seul, à provoquer la saisine du Tribunal judiciaire. À la différence de l’assignation, aucun délai n’est imposé aux parties pour procéder au dépôt. La raison en est que la requête n’est pas signifiée, de sorte qu’il n’y a pas lieu de presser les demandeurs.

En application de l’article 769 du CPC La remise au greffe de la copie de la requête est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué.

?Convocation des parties

L’article 758 du CPC prévoit que, lorsque la requête est signée conjointement par les parties, cette date est fixée par le président du tribunal ; s’il y a lieu il désigne la chambre à laquelle elle est distribuée.

Consécutivement à la fixation de la date d’audience, les parties en sont avisées par le greffier.

II) L’enregistrement de l’affaire au répertoire général

L’article 726 du CPC prévoit que le greffe tient un répertoire général des affaires dont la juridiction est saisie. C’est ce que l’on appelle le rôle.

Le répertoire général indique la date de la saisine, le numéro d’inscription, le nom des parties, la nature de l’affaire, s’il y a lieu la chambre à laquelle celle-ci est distribuée, la nature et la date de la décision

Consécutivement au placement de l’acte introductif d’instance, il doit inscrire au répertoire général dans la perspective que l’affaire soit, par suite, distribuée.

III) La constitution et le suivi du dossier

Consécutivement à l’enrôlement de l’affaire, il appartient au greffier de constituer un dossier, lequel fera l’objet d’un suivi et d’une actualisation tout au long de l’instance.

?La constitution du dossier

L’article 727 du CPC prévoit que pour chaque affaire inscrite au répertoire général, le greffier constitue un dossier sur lequel sont portés, outre les indications figurant à ce répertoire, le nom du ou des juges ayant à connaître de l’affaire et, s’il y a lieu, le nom des personnes qui représentent ou assistent les parties.

Sont versés au dossier, après avoir été visés par le juge ou le greffier, les actes, notes et documents relatifs à l’affaire.

Y sont mentionnés ou versés en copie les décisions auxquelles celle-ci donne lieu, les avis et les lettres adressés par la juridiction.

Lorsque la procédure est orale, les prétentions des parties ou la référence qu’elles font aux prétentions qu’elles auraient formulées par écrit sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal.

Ainsi, le dossier constitué par le greffe a vocation à recueillir tous les actes de procédure. C’est là le sens de l’article 769 du CPC qui prévoit que « la remise au greffe de la copie d’un acte de procédure ou d’une pièce est constatée par la mention de la date de remise et le visa du greffier sur la copie ainsi que sur l’original, qui est immédiatement restitué. »

?Le suivi du dossier

L’article 771 prévoit que le dossier de l’affaire doit être conservé et tenu à jour par le greffier de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée.

Par ailleurs, il est établi une fiche permettant de connaître à tout moment l’état de l’affaire.

En particulier, en application de l’article 728 du CPC, le greffier de la formation de jugement doit tenir un registre où sont portés, pour chaque audience :

  • La date de l’audience ;
  • Le nom des juges et du greffier ;
  • Le nom des parties et la nature de l’affaire ;
  • L’indication des parties qui comparaissent elles-mêmes dans les matières où la représentation n’est pas obligatoire ;
  • Le nom des personnes qui représentent ou assistent les parties à l’audience.

Le greffier y mentionne également le caractère public ou non de l’audience, les incidents d’audience et les décisions prises sur ces incidents.

L’indication des jugements prononcés est portée sur le registre qui est signé, après chaque audience, par le président et le greffier.

Par ailleurs, l’article 729 précise que, en cas de recours ou de renvoi après cassation, le greffier adresse le dossier à la juridiction compétente, soit dans les quinze jours de la demande qui lui en est faite, soit dans les délais prévus par des dispositions particulières.

Le greffier établit, s’il y a lieu, copie des pièces nécessaires à la poursuite de l’instance.

Depuis l’adoption du décret n°2005-1678 du 28 décembre 2005, il est admis que le dossier et le registre soient tenus sur support électronique, à la condition que le système de traitement des informations garantisse l’intégrité et la confidentialité et permettre d’en assurer la conservation.

La nullité des actes de procédure pour vice de forme

?Notion

La nullité est la « sanction encourue par un acte juridique entaché d’un vice de forme ou d’une irrégularité de fond qui consiste dans l’anéantissement de l’acte »[1].

Si en droit public les nullités sont en principe toujours absolues et existent sans texte, en droit privé il n’en est pas de même.

Ainsi la procédure civile opère-t-elle une distinction majeure entre les nullités pour vice de fond et les nullités pour vice de forme.

  • Les nullités pour vice de forme sont réglées par l’article 114, alinéa 1er aux termes duquel « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme, si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».
  • Les nullités pour vice de fond sont énumérées à l’article 117 du CPC. Il s’agit du défaut de capacité d’ester en justice et du défaut de pouvoir.

La distinction entre nullités de forme et de fond est la principale difficulté du système actuel des nullités.

Aux nullités de forme, qui constituent le régime général des nullités procédurales, dont l’article 114 du nouveau code de procédure civile précise qu’elles ne peuvent être sanctionnées que si la nullité est « expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public », s’opposent donc les nullités de fond énumérées de façon exhaustive à l’article 117.

Entre les deux catégories de nullités, le critère général de distinction certainement voulu par les rédacteurs du code consiste en ce que les vices de forme affectent l’instrumentum, alors que les nullités pour irrégularités de fond atteignent le negotium.

Récusé par une partie de la doctrine, au sein de laquelle M. Perrot critique en particulier le recours, selon lui inadapté à la nature des actes de procédure, à des catégories issues du droit civil, ce critère général de distinction est toutefois le plus souvent admis. L’importance du débat tient au fait que les deux sortes de nullités ont des régimes très différents.

Alors que la nullité de forme doit être soulevée in limine litis, et que, selon l’article 114, elle « ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public », ces restrictions ne s’appliquent pas aux nullités de fond.

La distinction entre nullité de fond et nullité de forme présente ainsi un intérêt procédural, raison pour laquelle il convient de les envisager séparément.

I) Les causes de nullité pour vice de forme

Au nombre des causes de nullités d’actes de procédure, on rencontre d’abord le très vaste domaine des vices de forme auquel le législateur a délibérément donné la prééminence en y incluant la plupart des déficiences de nature à affecter la validité d’un acte et en soumettant l’admission de la nullité comme sanction à des conditions très contraignantes.

L’exception doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Elle n’aura d’effet que si aucune régularisation ultérieure n’est venue effacer rétroactivement le vice initial et si celui qui s’en prévaut démontre l’existence du grief que lui cause l’irrégularité.

Surtout, l’article 114 du CPC prévoit qu’aucun acte ne peut être déclaré nul en ce cas si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi. Est ainsi énoncé par cette disposition le fameux principe : point de nullité sans texte.

Ce principe est toutefois assorti d’une exception en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (formalité qui donne à l’acte sa nature, ses caractères, qui en constitue sa raison d’être)

?Principe : pas de nullité sans texte

En matière de nullité pour vice de forme, l’anéantissement de l’acte ne sera encouru qu’à la condition qu’un texte le prévoit expressément.

Pour déterminer les causes de nullité pour vice de conforme, il convient, par conséquent, de se reporter à toutes les règles qui sont prescrites à « peine de nullité ».

Un petit tour d’horizon révèle qu’elles sont nombreuses, à tel point que la nullité pour vice de forme représente la plupart des causes de nullité d’actes de procédure.

Parmi les vices de forme pouvant entacher un acte de procédure et entraîner sa nullité, on peut citer notamment :

  • Les mentions qui doivent figurer sur l’assignation
  • L’omission ou l’inexactitude de certaines mentions propres à l’acte d’huissier de justice
  • Les mentions qui doivent figurer sur l’acte de déclaration d’appel
  • Les formalités de notification des actes de procédure et des décisions de justice

?Exception : l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public

Le principe énoncé à l’article 114 du CPC selon lequel « pas de nullité sans texte » est assorti d’une exception remarquable : l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public

Cette exception est issue de l’ancienne distinction opérée par la jurisprudence entre les formalités substantielles et les formalités secondaires.

Dans un arrêt du 18 novembre 1947, la Cour de cassation avait, en effet, écarté l’application du principe « pas de nullité sans grief » (introduit par un décret-loi du 30 octobre 1935) en cas de violation d’une formalité substantielle.

Elle en avait donné la définition dans un arrêt du 3 mars 1955, aux termes duquel elle avait jugé que « le caractère substantiel est attaché dans un acte de procédure à ce qui tient à sa raison d’être et lui est indispensable pour remplir son objet » (Cass. 3e civ., 3 mars 1955 ; V. également en ce sens Cass. 2e civ. 20 oct. 1967).

Une partie de la doctrine avait critiqué cette jurisprudence, contraire selon elle aux vœux du législateur, en faisant valoir notamment qu’elle consistait à raisonner inexactement comme si la violation d’une formalité substantielle frappait l’acte d’inexistence.

Cela n’a pas empêché la jurisprudence de maintenir la distinction entre les formalités substantielles, dont l’inobservation est sanctionnée par la nullité alors qu’aucun texte ne le prévoit, des formalités secondaires assujetties au principe « pas de nullité sans texte ».

Pour déterminer si l’on est en présence d’une formalité substantielle ou secondaire il convient donc de se demander si la formalité qui lui est attachée est indispensable à la réalisation de son objet.

À l’examen, les formalités reconnues par la jurisprudence comme substantielles sont rares. Il en va ainsi de l’exigence de production d’un certificat médical au soutien d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de curatelle ou de tutelle ou encore l’exigence de signature de l’auteur de l’acte de procédure.

II) L’exigence d’un grief

L’article 114, al. 2 du CPC prévoit que « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. »

Pour que la nullité pour vice de forme produise ses effets, ce texte exige ainsi que la partie qui s’en prévaut justifie d’un grief. Cette règle est résumée par la formule « pas de nullité sans grief ».

La cause de la nullité est indifférente : ce qui importe c’est qu’il s’agisse d’un vice de forme. Cette exigence de justification d’un grief trouve sa source dans la volonté du législateur de prévenir les manœuvres dilatoires des parties.

Cette règle s’inspire, à certains égards, du droit de la responsabilité civile qui subordonne le succès d’une action en réparation à la démonstration d’un préjudice.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par grief.

Le grief est constitué par le tort causé à la partie qui invoque le vice et qui a été empêché ou limité dans ses possibilités de défense.

Dès lors que le vice de forme a pour incidence de nuire ou de désorganiser la défense de la partie qui s’en prévaut, le grief est constitué. En somme, le grief sera caractérisé toutes les fois qu’il sera démontré que l’irrégularité a perturbé le cours du procès.

Comme tout fait juridique, le grief doit pouvoir être établi par tous moyens. En général le grief est apprécié par les juridictions in concreto, soit compte tenu des circonstances et conditions particulières, tenant à la cause, aux parties, à la nature de l’irrégularité, à ses incidences (Cass. 2e civ., 27 juin 2013, n°12-20.929).

Cependant, exceptionnellement certaines juridictions s’en tiennent à l’importance de la règle transgressée lorsqu’elle porte par elle-même atteinte aux droits de la défense (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n°14-12.809).

L’interprétation in abstracto aurait, de toute évidence, pour effet de dénaturer et plus encore de limiter la portée de la règle « nullité sans grief n’opère rien », ce qui équivaudrait pratiquement à revenir au système des nullités substantielles.

C’est la raison pour laquelle cette appréciation du grief in abstracto est limitée aux cas d’inexistence de l’acte (absence de signature, acte formalisé par un officier ministériel incompétent, sans qualité etc.).

Dans un arrêt du 3 décembre 2015, la Cour de cassation a déduit, en ce sens, l’existence d’un grief de la seule omission de mentions essentielles à la validité d’un congé (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n°14-12.809).

Dans ces circonstances, le préjudice résulte, en quelque sorte, par lui-même, de l’importance de la règle transgressée, de sorte qu’il ne saurait être question d’accorder une valeur quelconque à un acte qui n’existe pas, le préjudice existant de plano.

Reste les cas dans lesquels la nullité d’un acte de procédure est prononcée en l’absence de démonstration d’un grief et en présence d’un vice qui n’entre pas dans l’énumération de l’article 117. La doctrine les range en trois catégories.

  • Tout d’abord, il s’agit, des actes affectés d’un vice qui porte atteinte aux règles d’organisation judiciaire, par exemple l’acte signifié par un huissier de justice instrumentant en dehors de son ressort territorial.
  • Ensuite, seraient en cause également des actes portant gravement atteinte aux droits de la défense (encore qu’on puisse penser que dans les affaires concernées, la nullité aurait généralement pu être aussi prononcée sur le fondement de l’article 114 en constatant l’existence d’un grief).
  • Enfin, il s’agit des actes omis, catégorie qui, elle-même, se subdivise entre les hypothèses où l’acte n’a pas été accompli du tout, et celles où a été fait un acte à la place d’un autre requis par la loi (ainsi la jurisprudence retient-elle que l’appel interjeté dans une forme autre que celle prévue équivaut à une absence d’acte).

Toutes ces décisions sont en général approuvées par les auteurs, y compris par ceux qui estiment que l’énumération de l’article 117 est limitative, parce qu’ils considèrent, soit qu’elles entrent en réalité dans les cas de nullités de fond ou de forme prévus par la loi, soit, pour ce qui concerne les omissions d’actes que la Cour de cassation sanctionne par la nullité (Cass. 2e civ. 27 nov. 1996) en évitant de parler de vice de fond, qu’il s’agit d’un type de nullité légitimement créé par la jurisprudence.

III) La régularisation de la nullité pour vice de forme

L’article 115 du CPC prévoit que « la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief. »

Il ressort de cette disposition que tout n’est pas perdu en cas de nullité pour vice de forme. L’auteur de l’acte irrégulier dispose, par principe, de la faculté de régulariser la situation.

Il s’ensuivra une validation rétroactive de l’acte entaché de nullité, celui-ci retrouvant la potentialité de produire tous ses effets.

La lecture de l’article 115 du CPC révèle cependant que trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • Pour que la nullité pour vice de forme soit couverte cela suppose, avant toute chose, que l’auteur de l’acte procède à sa régularisation.
    • Un nouvel acte rectifié et annulant et remplaçant celui entaché d’une irrégularité devra donc être accompli.
    • Il pourra s’agir, par exemple, en cas d’omission de mentions prescrites à peine de nullité, de délivrer à la partie adverse une nouvelle assignation ou de procéder à de nouvelles formalités de notifications ou de saisie.
  • Deuxième condition
    • Aucune forclusion ne doit être intervenue entre la naissance de l’irrégularité et la régularisation de l’acte
    • Reste que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, il est peu de chance que cette situation se rencontre dans la mesure où, en application de l’article 2241 du Code civil, la demande en justice interrompt les délais de prescription et de forclusion.
    • L’article 2242 précise que « l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance. »
  • Troisième condition
    • Pour que régularisation de l’acte soit opérante, l’article 115 du CPC exige qu’elle ne laisse subsister aucun grief.
    • Cela signifie donc que l’irrégularité dont était frappé l’acte ne doit plus causer aucun tort à la partie adverse, faute de quoi cette dernière sera toujours fondée à se prévaloir de la nullité
    • Il en résulte que la régularisation devra intervenir dans les plus brefs délais, sans quoi il est un risque que la défense de l’adversaire s’en trouve durablement perturbée.

IV) Mise en œuvre de la nullité pour vice de forme

  • Présentation de l’exception de nullité pour vice de forme
    • Seule la partie destinataire de l’acte entaché d’une irrégularité ou celle au préjudice de laquelle il est accompli sont recevables à se prévaloir de la nullité pour vice de forme.
    • Dans un arrêt du 21 juillet 1986, la Cour de cassation avait jugé en ce sens, en des termes généraux, qu’un acte de procédure ne pouvait être annulé pour vice de forme que sur la demande d’une partie « intéressée » (Cass. 2e civ., 21 juill. 1986).
  • Office du Juge
    • À la différence de la nullité pour vice de fond, le Juge n’est pas investi du pouvoir de soulever d’office une nullité pour vice de forme.
  • Moment de la présentation de l’exception de nullité pour vice de forme
    • L’article 112 du CPC prévoit que « la nullité des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement ; mais elle est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité. »
    • L’article 113 poursuit en disposant que « tous les moyens de nullité contre des actes de procédure déjà faits doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été. »
    • Il ressort de ces deux dispositions :
      • D’une part, que l’exception de nullité pour vice de forme doit être soulevée à mesure que les actes susceptibles d’être affectés par une irrégularité sont accomplis
      • D’autre part, que cette exception doit être présentée avant toute défense au fond, ce qui implique, lorsque l’acte irrégulier intervient postérieurement à la présentation d’un moyen de défense, de se référer à la date de l’acte pour apprécier la recevabilité de l’exception de nullité

L’astreinte judiciaire: fixation, point de départ et liquidation

Si, la plupart du temps, les décisions de justice sont exécutées spontanément par la partie succombante, il est des cas où il est nécessaire de l’y contraindre.

Pour ce faire, deux dispositifs sont envisagés par le droit :

  • L’exécution forcée qui suppose l’intervention d’un huissier de justice ou de la force publique
  • L’astreinte qui consiste en une condamnation pécuniaire accessoire, laquelle a vocation à s’appliquer en cas de retard dans l’exécution de la condamnation principale.

Ainsi que l’observe le Conseiller près la Cour de cassation Jean Buffet, l’astreinte n’est pas une modalité de l’exécution forcée des jugements pour deux raisons :

  • D’une part, le juge de l’exécution tient de la loi des compétences particulières en matière de prononcé et de liquidation d’astreinte, il peut être saisi à cette fin en dehors de toute procédure d’exécution engagée.
  • D’autre part, la décision qui liquide l’astreinte est exécutoire de plein droit par provision, et on sait qu’en cas d’appel, le premier président n’a pas le pouvoir d’arrêter l’exécution d’une décision exécutoire de droit. De leur côté, les décisions prises par le juge de l’exécution, qui sont exécutoires de droit, peuvent être l’objet d’un sursis à exécution par le premier Président de la Cour d’appel

Si, en théorie, l’astreinte peut être ordonnée pour assurer l’exécution de tous types d’obligations, en pratique, son terrain de prédilection est l’obligation de faire.

Tel est le cas par exemple, lorsque la partie à un procès se voit enjoindre de produire une pièce dans un certain délai. Cette injonction sera toujours assortie d’une astreinte qui commencera à courir à l’expiration du délai fixé par le juge.

Dans un arrêt du 20 octobre 1959, la Cour de cassation a défini l’astreinte comme « une mesure de contrainte entièrement distincte des dommages-intérêts et qui n’est en définitive qu’un moyen de vaincre la résistance opposée à l’exécution d’une condamnation, n’a pas pour objet de compenser le dommage né du retard, et est normalement liquidée en fonction de la gravité de la faute du débiteur récalcitrant et de ses facultés » (Cass. 1ère civ. 20 oct. 1959, n°57-10.110).

I) Compétence

L’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « tout juge peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision ».

Il ressort de cette disposition que le prononcé d’une astreinte judiciaire n’est le monopole d’aucun juge.

Elle peut être ordonnée :

  • Par les juridictions de droit commun (Tribunal judiciaire) et les juridictions spécialisées (Tribunal de commerce, Conseil de prud’hommes, etc.)
  • Par les juridictions civiles, commerciales, sociales et répressives
  • Par les juges qui statuent au fond et au provisoire
  • Par les juges qui statuent au premier et au second degré
  • Par les juges qui conduisent l’instruction de l’affaire

Reste que le Juge de l’exécution est investi d’un pouvoir particulier en matière d’astreinte dans la mesure où :

  • En premier lieu, il peut assortir d’une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité
  • En second lieu, il peut assortir sa propre décision d’une astreinte.

Aussi, le JEX dispose-t-il en matière d’astreinte des pouvoirs les plus étendus.

II) Pouvoirs du juge

L’astreinte peut être sollicitée par une partie, ce qui sera le plus souvent le cas, mais elle peut également être prononcée d’office par le juge (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 12 févr. 1964).

Dans un arrêt du 7 juin 2006, la Cour de cassation a précisé que « la fixation de l’astreinte relève du pouvoir discrétionnaire du juge » (Cass. 2e civ., 7 juin 2006, n°05-18.332), ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Le juge n’est pas tenu de provoquer au préalable les observations des parties (Cass. 2e civ., 21 mars 1979, n°77-15.052) ;
  • Le juge n’a pas non plus à motiver sa décision, ce qui n’est autre que la marque de l’exercice de son imperium (Cass. 3e civ., 3 nov. 1983, n°82-14.775).
  • La décision qui prononce l’astreinte est dépourvue de l’autorité de la chose jugée, dans la mesure où, par hypothèse, il n’y a rien de jugé. La conséquence en est que le juge peut, revenir à discrétion, sur le taux et la durée de l’astreinte.

III) Astreinte provisoire et astreinte définitive

L’article L. 131-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « l’astreinte est provisoire ou définitive. ».

Il ressort de ce texte que, en matière d’astreinte, le juge dispose d’une option. Il peut alternativement :

  • Soit prononcer une astreinte provisoire
  • Soit prononcer une astreinte définitive

La différence entre ces deux sortes d’astreinte tient au fait, comme précisé par l’article L. 131-4 du CPCE, que :

  • D’une part, contrairement à l’astreinte définitive, l’astreinte provisoire « est liquidée en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter ».
  • D’autre part, contrairement à l’astreinte provisoire, « le taux de l’astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation. »

Si, l’astreinte provisoire et l’astreinte définitive poursuivent le même but, assurer l’exécution de la décision rendue, le caractère comminatoire de l’astreinte définitive demeure plus prononcé, dans la mesure où le juge ne peut en réviser, ni le taux, ni la durée.

Ainsi que le relève un auteur, « stigmate du passé, l’astreinte définitive est perçue avec une certaine méfiance par le législateur lui-même »[1].

La raison en est que le prononcé d’une astreinte définitive est susceptible d’aboutir à une condamnation du débiteur parfois plus lourde que le montant de la condamnation principale, avec l’impossibilité pour ce dernier d’en demander la révision, sauf à démontrer, en application de l’article L. 131-4 du CPCE que « l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère ».

Voilà une preuve qui sera pour le moins éminemment difficile à rapporter, ce qui ne sera pas sans conduire, in fine, à une disproportion des conséquences de la décision rendue sur la situation de la partie succombante.

C’est la raison pour laquelle, le législateur a strictement encadré le prononcé de l’astreinte définitive qui obéit à plusieurs règles :

  • L’exigence de qualification expresse de l’astreinte définitive
    • L’article L. 131-2, al. 2 du CPCE prévoit que « l’astreinte est considérée comme provisoire, à moins que le juge n’ait précisé son caractère définitif. »
    • Ainsi, une astreinte ne peut jamais être qualifiée de définitive par défaut
    • Elle doit être expressément qualifiée comme telle dans la décision rendue par le juge, faute de quoi elle est réputée être provisoire
    • À cet égard, seule l’utilisation des termes « définitif » ou « définitive » est de nature à n’entretenir aucune ambiguïté.
    • Le juge doit donc se garder, sous peine de voir son astreinte être toujours considérée comme provisoire, d’employer un terme approchant, comme « forfaitaire », « irrévocable » ou « non comminatoire » (Cass. 2e civ., 23 nov. 1994).
  • L’exigence de respect de la chronologie entre l’astreinte provisoire et l’astreinte définitive
    • L’article L. 131-2, al. 3 prévoit que « une astreinte définitive ne peut être ordonnée qu’après le prononcé d’une astreinte provisoire »
    • Ainsi, le juge ne peut jamais prononcer une astreinte définitive sans avoir, au préalable, fait peser sur la tête du débiteur une astreinte provisoire.
  • L’exigence d’assortir l’astreinte provisoire précédent l’astreinte définitive d’un délai
    • Lorsque le juge prononce une astreinte provisoire qui est susceptible d’être convertie en astreinte définitive, il doit l’assortir d’un délai qu’il détermine.
    • La fixation de ce délai vise à permettre une liquidation de l’astreinte provisoire et, le cas échéant, de prononcer une nouvelle astreinte qui pourra être, à nouveau provisoire, provisoire majorée ou encore définitive ou définitive majorée.
    • Si la décision ne précise pas de délai pour l’astreinte provisoire, la partie elle-même appréciera à quel moment il sera opportun de la faire liquider et de demander la fixation d’une nouvelle astreinte.

L’article L. 131-2, al. 4e du CPCE précise que si une astreinte définitive est ordonnée sans qu’une astreinte provisoire ait été préalablement ordonnée ou que l’astreinte provisoire n’est assortie d’aucun délai par le juge, alors « l’astreinte est liquidée comme une astreinte provisoire. »

IV) Point de départ de l’astreinte

L’article R. 131-1 du CPCE dispose que « l’astreinte prend effet à la date fixée par le juge, laquelle ne peut pas être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire ».

Il ressort de cette disposition que c’est au juge qu’il revient de fixer la date de prise d’effet de l’astreinte.

Si, en la matière, le juge dispose d’une grande liberté, le texte précise néanmoins que la date fixée par le juge ne peut jamais « être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire. »

La raison en est, selon le Professeur Perrot, que « dès lors que l’astreinte est considérée comme une sanction attachée à l’inexécution d’une décision de justice, on ne saurait l’appliquer avant que cette décision ne soit devenue exécutoire à l’encontre du débiteur condamné ; et comme elle ne peut devenir exécutoire à son égard qu’après notification de la décision, la logique est parfaitement sauve ».

Il s’infère de la règle ainsi posée une exigence subsidiaire rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 1er mars 1995.

Dans cette décision, elle a, en effet, précisé que l’astreinte ne peut produire ses effets qu’à compter de la notification de la décision qui la prononce (V. en ce sens Cass. 2e civ., 1er mars 1995, n°93-12.690).

Par ailleurs, il convient également de compter avec le second alinéa de l’article R. 131-1 du CPCE qui prévoit que l’astreinte peut prendre effet dès le jour de son prononcé si elle assortit une décision qui est déjà exécutoire.

Ainsi, deux situations doivent être envisagées :

  • La décision qui est assortie d’une astreinte est exécutoire
    • Dans cette hypothèse, l’astreinte prend effet au jour de son prononcé
    • Ainsi, l’appel ne produit aucun effet suspensif sur une décision exécutoire par provision.
  • La décision qui est assortie d’une astreinte n’est pas exécutoire
    • Dans cette hypothèse, l’astreinte ne prendra effet qu’au jour où la décision sera devenue exécutoire

V) Liquidation de l’astreinte

A) Pouvoirs du Juge

1. La liquidation de l’astreinte par le juge de première instance

L’article L. 131-3 du CPCE prévoit que « l’astreinte, même définitive, est liquidée par le juge de l’exécution, sauf si le juge qui l’a ordonnée reste saisi de l’affaire ou s’en est expressément réservé le pouvoir. »

Quel enseignement retirer de cette disposition ? Un principe, lequel est assorti de deux exceptions :

?Principe

Il s’infère de l’article L. 131-3 du CPCE que le Juge de l’exécution est investi d’un monopole s’agissant de la liquidation de l’astreinte.

Plus précisément, il a compétence exclusive pour liquider :

  • Tant les astreintes qu’il a lui-même prononcées (qui assortissent, soit ses propres décisions, soit les décisions d’un autre juge)
  • Que les astreintes ordonnées par un autre juge, y compris la Cour d’appel

?Exceptions

Le principe énoncé à l’article L. 131-3 du CPC souffre de deux exceptions :

  • Première exception : le juge qui a ordonné l’astreinte reste saisi
    • En principe, « le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche » (art. 481, al. 1er CPC).
    • En substance, le dessaisissement du juge signifie que le prononcé du jugement épuise son pouvoir juridictionnel.
    • Non seulement, au titre de l’autorité de la chose jugée dont est assorti le jugement rendu, il est privé de la possibilité de revenir sur ce qui a été tranché, mais encore il lui est interdit, sous l’effet de son dessaisissement, d’exercer son pouvoir juridictionnel sur le litige.
    • Reste qu’il est des décisions dont le prononcé n’emporte pas dessaisissement du juge.
    • Tel est le cas des ordonnances rendues par le juge de la mise en état, les jugements avant dire droit ou encore certaines décisions rendues par le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.
    • Lorsque ces décisions sont assorties d’une astreinte, c’est le juge qui les a rendues qui demeure compétent pour procéder à sa liquidation
    • Cette règle participe d’une bonne administration de la justice.
    • Quant à la question de savoir si la liquidation de l’astreinte prononcée par le juge des référés relève de sa compétence dans la mesure où il statue par provision, la Cour de cassation a répondu, à plusieurs reprises, par la négative (V. notamment Cass. 2e civ. 17 déc. 1997, n°95-14189).
  • Seconde exception : le juge qui a ordonné l’astreinte s’est réservé le pouvoir de la liquider
    • L’article L. 131-3 du CPC confère au juge qui prononce une astreinte le pouvoir de s’en réserver la liquidation.
    • Pour ce faire, il devra le mentionner expressément dans sa décision, faute de quoi c’est le JEX qui sera compétent pour liquider l’astreinte.
    • Cette mention devra être dénuée de toute équivoque, tel que rappelé par la Cour de cassation (Cass. 2e civ. 15 janv. 2009, n°07-20955).
    • L’intérêt pour le juge de se réserver cette faculté est de suivre l’affaire et de s’assurer que la décision qu’il a rendue est exécutée conformément à ses prescriptions.

2. La liquidation de l’astreinte par la Cour d’appel

Quid de la faculté d’une Cour d’appel de liquider l’astreinte prononcée par le jugement qui lui est déféré par la voie de l’appel ?

Dans un arrêt du 20 octobre 2015, la Cour de cassation a jugé que « saisie de l’appel du jugement du conseil de prud’hommes devant lequel le salarié avait, conformément à la réserve expresse de l’ordonnance du bureau de conciliation, formé une demande de liquidation de l’astreinte, la cour d’appel n’a fait qu’exercer les pouvoirs qu’elle tenait de l’effet dévolutif de l’appel ; que le moyen n’est pas fondé » (Cass. soc. 20 oct. 2015, n°14-10725).

Ainsi, pour la haute juridiction, la Cour d’appel a compétence pour liquider l’astreinte prononcée en première instance, ce en raison de l’effet dévolutif de l’appel.

Il s’agit là d’un revirement de jurisprudence, puisque la Cour de cassation avait adopté la solution contraire dans un arrêt du 9 mai 2007 (Cass. soc. 9 mai 2007, n°05-46029).

Aussi, en l’état, deux situations doivent être distinguées :

  • Le juge s’est réservé le pouvoir de liquider l’astreinte
    • Dans cette hypothèse, l’astreinte peut être liquidée :
      • Soit, par le juge de première instance
      • Soit, par la Cour d’appel en application de l’effet dévolutif de l’appel.
  • Le juge ne s’est pas réservé le pouvoir de liquider l’astreinte
    • Dans cette hypothèse, la Cour d’appel n’aura d’autre choix que de soulever d’office son incompétence.
    • La liquidation de l’astreinte relèvera de la compétence exclusive du juge de l’exécution (V. en ce sens Cass. 2e civ. 21 mars 2002, n°00-17.279).

B) Montant de l’astreinte

La liquidation de l’astreinte, quant à son montant, diffère selon qu’il s’agit d’une astreinte provisoire ou définitive.

  • S’agissant de l’astreinte provisoire
    • L’article L. 131-4, al. 1er du CPCE prévoit que « le montant de l’astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter. »
    • Ainsi, l’astreinte provisoire est liquidée en tenant compte
      • Et du comportement de celui à qui l’injonction a été adressée
      • Et des difficultés qu’il a rencontrées pour l’exécuter
    • Par exemple, une astreinte fixée à 1.000 € par jour de retard pourra être liquidée, pour un retard de 20 jours, à 8.000 € en fonction des éléments de l’affaire.
    • S’agissant de l’exigence d’appréciation de la faute du débiteur, elle autorise le juge à réviser, à la haute, ou à la baisse le montant de l’astreinte.
    • En tout état de cause, il lui est fait interdiction de fixer le montant de l’astreinte en considération du préjudice subi par le créancier.
    • Cette interdiction résulte de l’article L. 131-2 du CPCE qui prévoit que « l’astreinte est indépendante des dommages-intérêts. ».
    • L’astreinte n’a pas vocation à réparer un préjudice, mais à assurer l’exécution d’une décision de justice.
    • Son montant ne peut donc dépendre que de la conduite du débiteur qu’il devra analyser avec une particulière rigueur.
    • À cet égard, l’obligation faite du juge de tenir compte du comportement du débiteur a pour effet de le contraindre à motiver sa décision et ce de façon circonstanciée (V. en ce sens Cass. 2e civ. 8 sept. 2011, n°10-21827).
    • La Cour de cassation en a tiré la conséquence que la fixation du montant de l’astreinte ne relève pas d’un pouvoir discrétionnaire du juge qui le dispenserait de motivation, mais d’un pouvoir souverain (Cass. 3e civ., 29 avr. 2009, n°08-12.952), que la Cour de cassation a étendu à l’appréciation de la cause étrangère.
  • S’agissant de l’astreinte définitive
    • L’article L. 131-4, al. 2e du CPCE dispose que « le taux de l’astreinte définitive ne peut jamais être modifié lors de sa liquidation »
    • L’astreinte définitive, qui doit être prononcée pour une durée que le juge détermine, est liquidée de manière mathématique : 1.000 € X 20 jours de retard = 20.000 €.
    • Ainsi, l’astreinte définitive
    • S’agissant en matière d’astreinte définitive, le comportement du débiteur est sans incidence sur l’opération de liquidation.
    • C’est là une grande différence avec l’astreinte provisoire qui autorise le juge à en réviser le montant.
    • Lorsque l’astreinte est définitive, le débiteur ne pourra en neutraliser les effets qu’en rapportant la preuve de la survenance d’une cause étrangère qui a fait obstacle à l’exécution de la décision rendue.
  • En toute hypothèse
    • L’article L. 131-4, al. 3e du CPCE prévoit que « l’astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s’il est établi que l’inexécution ou le retard dans l’exécution de l’injonction du juge provient, en tout ou partie, d’une cause étrangère. »
    • Ainsi, l’astreinte, qu’elle soit provisoire ou définitive, est supprimée en tout ou en partie si l’inexécution ou le retard dans l’exécution provient, en tout ou en partie, d’une cause étrangère.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par cause étrangère.
    • En droit de la responsabilité, la cause étrangère est définie comme « un fait, un événement dont la survenance a pour effet de rompre le lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage ».
    • Transposée à l’astreinte, il s’agit de tout événement non imputable au débiteur de la créance d’astreinte qui a pour effet de faire obstacle à l’exécution de la décision de justice rendue à son encontre.
    • À l’analyse, la cause étrangère est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :
      • Le fait d’un tiers
        • Un tiers peut, par son intervention impromptue, avoir empêché l’exécution de la décision par le débiteur de l’astreinte
      • Le fait du créancier
        • Le créancier peut être à l’origine de l’impossibilité pour le débiteur d’exécuter la décision assortie d’une astreinte
      • Le cas fortuit
        • Il s’agit d’événements naturels (inondation, tornade, incendie) ou d’actions humaines collectives (grève, guerre, manifestation) qui font obstacle à l’exécution de la décision.
    • Dans un arrêt du 14 septembre 2006, la Cour de cassation a affirmé que la charge de la preuve de la survenance d’une cause étrangère pesait sur le débiteur de l’astreinte (Cass. 2e civ. 14 sept. 2006, n°05-15.983).
    • Lorsque cette preuve est rapportée, l’astreinte pourra être supprimée partiellement ou totalement.

Il peut être observé que lorsque le juge qui procède à la liquidation de l’astreinte n’est celui qui l’a prononcée, il lui faudra analyser les obligations mises à la charge de la partie condamnée sous astreinte, ce qui, en cas d’ambiguïté, d’obscurité ou encore de contradiction des dispositions de la décision rendue, supposera qu’elle fasse l’objet d’une interprétation.

Or l’article 461 du Code civil prévoit que « il appartient à tout juge d’interpréter sa décision si elle n’est pas frappée d’appel. »

Bien que seul le juge qui a rendu la décision soit compétent pour connaître d’un recours en interprétation, ce monopole ne fait pas obstacle à ce qu’une autre juridiction interprète cette décision dans le cadre d’une autre instance, notamment s’agissant de la liquidation d’une astreinte (Cass. 1ère civ. 18 janv. 1989, n°87-13.177).

L’interprétation incidente, soit effectuée par un autre juge, est dans ce cadre parfaitement admis

À cet égard, il peut être observé que le pouvoir d’interpréter une décision est également dévolu au Juge de l’exécution qui, conformément à l’article L. 218-6 du Code de l’organisation judiciaire « connaît de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit ».

La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 7 avril 2016 (Cass. 2e civ. 7 avr. 2016, n°15-17.398).

Ce pouvoir d’interprétation ne pourra toutefois être exercé que dans le cadre d’une contestation portant sur une mesure d’exécution prise en application d’un titre exécutoire.

Le juge de l’exécution ne pourra, en aucun cas, faire droit à une demande en interprétation formulée à titre principal.

  1. F. Guerchoun, Astreinte, Dalloz, Répertoire de procédure civile, n°76. ?

Le principe de l’estoppel

Le principe de l’estoppel est issu du droit Anglais, dont on estime l’origine entre le XIIe et le XIIIe siècle[1].

Comme le relève le Premier avocat général près la Cour de cassation dans son avis formulé dans le cadre de l’arrêt rendu par l’Assemblée plénière en date du 27 novembre 2009[2], « à l’origine, l’estoppel a été conçu en droit comme un mécanisme de blocage fonctionnant à la manière d’une fin de non-recevoir : le contractant qui se contredit au détriment de son co-contractant est estopped ou stopped ».

Ce mécanisme s’est révélé nécessaire en droit anglais, qui ne connaît pas la notion de « bonne foi », afin d’assouplir la conception trop rigide du contrat en Common Law. Il s’agit donc initialement d’un instrument de justice contractuelle, adossé à la « consideration » et à la « reliance » (confiance légitime).

Au milieu du XXe siècle, le principe d’estoppel avait été décrit par Lord Denning, juge de la High Court, dans l’arrêt « High Trees case » en ces termes : « si par des paroles ou sa conduite, une personne fait une représentation non ambiguë quant à sa future conduite, avec l’intention que cette représentation affecte les relations légales entre les parties, et que l’autre partie change sa position sur la foi de celle-ci (“in reliance on it”), celui qui a fait la représentation ne peut plus agir de manière contradictoire (inconsistent with) avec la représentation si, ce faisant, il cause un préjudice à l’autre »[3].

Autrement dit, le principe de l’estoppel est un mécanisme qui permet de sanctionner des prétentions contradictoires qui auraient été défendues par un plaideur au cours d’une même instance.

Ce principe a mis du temps en droit français raison de l’existence de l’exigence de loyauté dans le procès civil. L’article 763 du Code de procédure civile dispose, par exemple, que le Juge de la mise en état « a mission de veiller au déroulement loyal de la procédure ».

Pour Nathalie Fricero « la loyauté est donc un élément perturbateur du procès civil pour un renforcement du contradictoire, mais c’est aussi un élément de cohérence du procès, pour une lutte contre la contradiction »[4].

À cet égard, la loyauté a été consacrée comme principe général de la procédure civile par l’Assemblée plénière dans un arrêt du 7 janvier 2011 aux termes duquel elle a affirmé que « les parties et leurs avocats doivent se conduire loyalement dans leurs relations avec le tribunal et les autres parties »[5].

S’agissant du principe de l’estoppel, s’il en d’abord été fait application en matière d’arbitrage[6], il y a, pour la première fois, été fait référence, en droit commun, par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 février 2009 au visa de l’article 122 du Code de procédure civile[7]. Dans cette décision, elle a néanmoins refusé de faire droit à la demande de la partie qui s’en prévalait au motif que « la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir ».

Il faut attendre un arrêt du 20 septembre 2011 pour que la haute juridiction consacre le principe de l’estoppel en l’érigeant au rang de visa[8]. Reste que, comme exprimé dans l’arrêt du 27 février 2009, si le principe de l’estoppel est désormais constitutif d’une fin de non-recevoir, la Cour de cassation entend se réserver le contrôle de sa mise en œuvre, raison pour laquelle son application n’est pas systématique.

Cass. com. 20 sept. 2011
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 juillet 2007, pourvoi n° 06-12.056), que la société Nergeco est titulaire de deux brevets européens, respectivement délivrés sous le n° EP 0 398 791, afin de couvrir "une porte à rideau relevable renforcée par des barres d'armature horizontales", et sous le n° EP 0 476 788 pour une "porte à rideaux relevables" ; que le breveté et la société Nergeco France, titulaire d'une licence portant sur la partie française de ces brevets (les sociétés Nergeco), ont agi à l'encontre des sociétés Mavil et Maviflex en contrefaçon ; que, statuant par arrêt du 2 octobre 2003 sur l'appel relevé par les sociétés Nergeco, le 16 janvier 2001, du jugement rendu sur leur action le 21 décembre 2000, la cour d'appel de Lyon a accueilli la demande reconventionnelle tendant à la nullité du brevet EP 0 476 788, rejeté au contraire celle portant sur le brevet EP 0 389 791, retenu que les modèles de porte "Fil'up" exploités par les défenderesses en constituaient la contrefaçon, et ordonné une expertise avant dire droit sur le préjudice ; que cet arrêt a été cassé en ses seules dispositions ayant prononcé l'annulation des revendications 2 à 9 du brevet EP 0 476 788 ; que, par arrêt du 31 janvier 2007, rendu en présence de la société Gewiss France, appelée en intervention forcée, comme étant aux droits, par fusion-absorption, de la société Mavil, la cour d'appel de Paris, juridiction de renvoi, a déclaré la société Nergeco France recevable à agir en contrefaçon du brevet EP 0 476 788, son contrat de licence n'étant cependant opposable aux tiers qu'à compter du 3 juin 1988, et a prononcé la nullité de la revendication 5 du brevet EP 0 476 788 ; que parallèlement, la cour d'appel de Lyon a statué par arrêt du 15 décembre 2005, en disant, d'une part, que, parmi les portes du modèle "Fil'up" des sociétés Mavil et Maviflex, seules les versions "trafic" étaient contrefaisantes, en décidant, d'autre part, que les portes fabriquées et commercialisées par les sociétés Mavil et Maviflex sous la dénomination "Mavitrafic" constituaient une contrefaçon du brevet EP 0 398 791, et en ordonnant, enfin, une expertise sur l'évaluation du préjudice ; que l'instance devant la cour d'appel de renvoi se poursuivant après dépôt du rapport d'expertise judiciaire, les sociétés Nergeco ont demandé réparation de leur préjudice; que la société Maviflex ayant fait l'objet d'une procédure de sauvegarde par jugement le 6 juillet 2006, MM. Y... et Z... ont été respectivement désignés mandataire et administrateur judiciaire ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société Maviflex fait grief à l'arrêt de refuser de surseoir à statuer sur l'action exercée par la société Nergeco France à son encontre en réparation du préjudice causé par la contrefaçon de son brevet n° 0 398 791, alors, selon le moyen, que l'article 4, alinéa 3, du code de procédure pénale confère au juge civil le pouvoir de surseoir à statuer sur l'action civile tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer une influence sur la solution du procès civil; que la cour d'appel, qui a d'ailleurs considéré que l'exploitation effective du brevet n° 0 398 791 opposé, contestée par la société Maviflex, était établie notamment par les publicités et "autres documents versés aux débats par lessociétés Nergeco et Nergeco France", ce qui incluait le constat d'huissier de justice du 2 septembre 2005 où ces sociétés entendaient trouver la preuve de cette exploitation, ne pouvait, pour refuser de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue des poursuites exercées, au pénal, pour escroquerie et tentative d'escroquerie au jugement contre la société Nergeco France pour avoir voulu rapporter faussement la preuve de l'exploitation du brevet par la production de ce constat, énoncer que la preuve n'était pas rapportée que l'éventuel défaut de force probante decet acte serait de nature à exercer une influence directe sur la solution du litige sans méconnaître la portée de ses propres constatations, violant ainsi l'article 4, alinéa 3, du code de procédure pénale ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que la demande dont elle était saisie, se fondait sur une décision de justice devenue irrévocable, n'a pas violé le texte visé au moyen en refusant de surseoir à statuer, la procédure pénale en cours du chef d'escroquerie et tentative d'escroquerie au jugement n'étant pas de nature à remettre en cause l'autorité de la chose précédemment jugée par cette décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen du même pourvoi, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article 1351 du code civil ;

Attendu que pour écarter la fin de non-recevoir que la société Maviflex avait tirée du défaut de qualité à agir de la société Nergeco France, l'arrêt retient que les moyens relatifs à la nullité du contrat de licence et à son inopposabilité faute d'inscription régulière sont irrecevables comme tendant à remettre en cause ce qui avait été définitivement jugé ;

Attendu qu'en statuant ainsi , alors que les précédents arrêts des 2 octobre 2003 et 15 décembre 2005 ne s'étaient pas prononcés sur la nullité du contrat de licence, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le moyen unique du pourvoi provoqué, pris en sa troisième branche :

Vu le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui :

Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes que les sociétés Nergeco ont présentées contre la société Gewiss France, l'arrêt retient que la fraude de cette société n'est pas caractérisée et qu'il est établi que l'irrégularité consistant à agir en justice contre une entité dépourvue de la personnalité juridique trouve sa source dans un défaut de vigilance des sociétés Nergeco ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la société Gewiss France qui avait elle-même formé et instruit le pourvoi contre l'arrêt du 15 décembre 2005 ayant abouti à la cassation partielle de cet arrêt, ne pouvait, sans se contredire au détriment des sociétés Nergeco, se prévaloir devant la cour de renvoi de la circonstance qu'elle aurait été dépourvue de personnalité juridique lors des instances ayant conduit à ces décisions, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois principal et provoqué :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juin 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

 

[1] V. en ce sens B. Fauvarque-Cosson, « La confiance légitime et l’estoppel », Journal of Comparative Law, déc. 2007, p. 13 et s.

[2] Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841 : JCP G 2009, II, 10073, P. Callé ; D. 2009, p. 1245, D. Houtcieff.

[3] High Court, King’s Bench Division, 18 juillet 1946, “Central London Property Trust Ltd v/ High Trees House Ltd (1947)

[4] N. Fricero, « La loyauté dans le procès civil », Gaz. Pal. 24 mai 2012, p. 27, no 6

[5] Cass., Ass. plén., 7 janv. 2011, nos 09-14.316  et 09-14.667, Bull. ass. plén., n° 1 ; D. 2011. 562, obs. Chevrier , note Fourment ; D. 2011. 618, obs. Vigneau  ; RTD civ. 2011. 127, obs. Fages  ; RTD civ. 2011. 383, obs. Théry.

[6] V. en ce sens arrêt “X… c/ République islamique d’Iran” ; Cass. 1ère civ. 6 juillet 2005, Bull., I, n° 302 ; Rev. Arbitr., 2005, 999, note Ph. Pinsolle; Cass. 2e civ. 26 janv. 1994, Bull., II, n° 38.

[7] Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19.841 : JCP G 2009, II, 10073, P. Callé ; D. 2009, p. 1245, D. Houtcieff.

[8] Cass. com. 20 sept. 2011, no 10-22.888, Bull. civ. IV, no 132 ; RTD civ. 2011. 760, obs. Fages.

La fin de non-recevoir comme sanction de la violation d’une clause de conciliation (Cass. 3e civ. 16 nov. 2017)

Par un arrêt du 16 novembre 2017, la troisième chambre civile confirme la nature de la sanction applicable en cas de violation d’une clause de conciliation.

  • Faits
    • Un maître d’ouvrage a fait construire, sous la direction d’un maître d’œuvre, deux maisons et une piscine par un entrepreneur
    • Lors la réception de la livraison, des réserves sont émises par le Maître d’ouvrage qui refuse de procéder au règlement de l’entrepreneur.
  • Demande
    • En réaction, ce dernier assigne en paiement le maître d’ouvrage qui appelle en garantie le maître d’œuvre, lequel soulève l’irrecevabilité de l’action, faute de saisine préalable du conseil régional de l’ordre des architectes ;
  • Procédure
    • Par un arrêt du 30 juin 2016, la Cour d’appel de Nîmes déclare la demande du maître d’ouvrage formulée contre le maître d’œuvre recevable.
    • Les juges du fond considèrent que le contrat qui stipulait qu’« en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire », il n’instituait pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, mais prévoyait simplement qu’une demande d’avis devait être adressée au conseil régional des architectes et que la fin de non-recevoir pouvait être régularisée en cours d’instance
  • Solution
    • Par un arrêt du 16 novembre 2017, la Cour de cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel.
    • Elle considère que « le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir et que la situation donnant lieu à celle-ci n’était pas susceptible d’être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d’instance».
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, la violation d’une clause qui institue une procédure de conciliation obligatoire préalablement à la saisine du juge est sanctionnée par une fin de non-recevoir
    • Cette sanction avait été consacrée dans deux arrêts de la chambre mixte rendus le 14 février 2003.
    • Cette dernière avait estimé dans ces décisions « qu’il résulte des articles 122 et 124 du nouveau Code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées ; que, licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent».
    • Dans des décisions postérieures, la Cour de cassation avait toutefois précisé que cette clause de conciliation devait faire l’objet d’une interprétation restrictive.
    • La chambre commerciale avait estimé en ce sens dans un arrêt du 29 avril 2014 que « la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en œuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci »
    • Ainsi, pour constituer une fin de non-recevoir, la violation doit porter sur une clause fixant des modalités précises de règlement du litige.
    • En l’espèce, non seulement la Cour de cassation confirme la fin de non-recevoir comme sanction de la violation d’une clause de conciliation, mais encore elle considère que la clause litigieuse était suffisamment précise pour justifier le prononcé de cette sanction.
    • La troisième chambre civile ajoute que la mise en œuvre de la clause en cours de l’instance est insusceptible de couvrir l’irrégularité.
    • L’article 126 du Code de procédure civile est donc inapplicable en matière de violation d’une clause de non-conciliation.
    • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.»
    • Il en résulte que, à supposer que l’action ne soit pas prescrite, le maître d’ouvrage n’aura d’autre choix que d’invoquer la clause, après quoi seulement il pourra introduire une nouvelle action.

Cass. 3e civ. 16 nov. 2017
Sur le moyen unique :

Vu les articles 122 et 126 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 30 juin 2016), que M. X..., maître d'ouvrage, a fait construire, sous la maîtrise d'oeuvre de M. Y..., deux maisons et une piscine par M. Z..., entrepreneur ; que, après réception avec des réserves, celui-ci a assigné en paiement de la retenue de garantie et des travaux supplémentaires M. X..., qui a appelé en garantie M. Y..., lequel a soulevé l'irrecevabilité de l'action, faute de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes ;

Attendu que, pour déclarer recevable la demande du maître de l'ouvrage contre l'architecte, l'arrêt retient que l'article G10 du cahier des charges générales du contrat d'architecte, qui stipulait qu' « en cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire », n'instituait pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, mais prévoyait simplement qu'une demande d'avis devait être adressée au conseil régional des architectes et que la fin de non-recevoir pouvait être régularisée en cours d'instance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui instituait une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, constituait une fin de non-recevoir et que la situation donnant lieu à celle-ci n'était pas susceptible d'être régularisée par la mise en œuvre de la clause en cours d'instance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du même code ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré recevable la mise en cause de M. Y..., l'arrêt rendu le 30 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

TEXTES

Code de procédure civile

Article 122

Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Article 126

Dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance.

Les délais de grâce: régime juridique

?Intérêt de la distinction entre les termes conventionnels, judiciaires et légaux

La distinction entre ces trois sortes de termes présente un triple intérêt :

  • Tout d’abord, tandis que les termes conventionnels et légaux s’imposent au juge, le délai judiciaire (de grâce) relève de son pouvoir souverain d’appréciation
  • Ensuite, tandis que seul le débiteur peut bénéficier du terme judiciaire, les termes légaux et conventionnels peuvent également profiter au créancier
  • Enfin, tandis que les termes légaux et judiciaires doivent être exprès, le terme conventionnel peut être tacite

I) Notion

Le délai de grâce se définit classiquement comme « le délai supplémentaire raisonnable que le juge peut, par un adoucissement de la rigueur du terme, accorder au débiteur pour s’exécuter, compte tenu de sa situation économique et de sa position personnelle »[1].

Plus précisément, le délai de grâce consenti par le juge à contractant fait obstacle à l’engagement de poursuites judiciaires contre lui.

Contrairement à une idée reçue, le délai de grâce n’affecte nullement l’exigibilité de la dette, dans la mesure où il n’empêche pas la production d’intérêts moratoires, ni la compensation.

II) Historique

Initialement, le pouvoir conféré au juge d’octroyer au débiteur un délai de grâce était pour le moins restreint puisqu’il ne pouvait en user qu’avec une extrême parcimonie.

Puis les lois du 25 mars et du 22 août 1936 ont étendu le pouvoir du juge tout en précisant que le délai de grâce ne pouvait pas dépasser un an.

Le législateur est intervenu une nouvelle fois avec la loi du 9 juillet 1991 pour porter ce délai à deux ans. Il en a profité par là même pour diversifier les modalités de mise en œuvre du délai de grâce (échelonnement de la dette ou suspension pure et simple).

Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, ce dernier n’a pas jugé nécessaire de revenir sur cette dernière réforme.

Le rapport au Président de la République indique en ce sens que conservées « sont conservées, mais rassemblées en un seul article, les dispositions existantes du code civil sur le report ou l’échelonnement du paiement des dettes par décision judiciaire (article 1343-5). »

Aussi, les conditions d’octroi d’un délai de grâce demeurent les mêmes.

III) Domaine d’application des délais de grâces

?Principe

Il ressort de l’article 1343-5 du Code civil qu’un délai de grâce peut être consenti par le juge au débiteur pour toute dette de droit privé.

Il importe peu que la dette soit de nature contractuelle ou délictuelle.

La cause de la dette est, par ailleurs, indifférente

L’alinéa 5 de l’article 1343-5 précise que « toute stipulation contraire est réputée non écrite. »

Il s’agit donc là d’une disposition d’ordre public.

?Exceptions

Dans certains cas, le législateur a pu estimer que les intérêts du débiteur ne devaient pas primer sur ceux du créancier.

Aussi, a-t-il interdit au juge, en pareilles hypothèses, d’octroyer des délais de grâces au débiteur.

Il en va ainsi pour plusieurs sortes de dettes dont notamment :

  • Les dettes d’aliments (art. 1343-5, al. 6 C. com.)
  • En matière d’effets de commerce (art. L. 511-81 et L. 512-3 C. com.)
  • Les créances de salaires (Cass. soc. 18 nov. 1992)
  • Les cotisations sociales (Cass. soc. 16 avr. 1992)
  • La prestation compensatoire (Cass. 2e civ. 10 avr. 2014)

IV) Textes

?Droit commun

Le droit commun des délais de grâce a pour siège de corpus de règles qu’il convient de distinguer :

  • L’article 1343-5 du Code civil pour les conditions et les modalités d’octroi d’un délai de grâce
  • Les articles 510 à 513 du Code de procédure civile pour la procédure d’octroi d’un délai de grâce

?Textes spéciaux

Plusieurs textes spéciaux ont été édictés par le législateur en vue de conférer au juge la faculté d’octroyer au débiteur des délais de grâces dans des circonstances particulières

Tel est le cas par exemple en matière :

  • De vente d’immeuble (art. 1655 C. civ.)
  • De prêt immobilier (art. L. 314-20 C. conso)
  • D’occupation de lieux habités ou de locaux à usage professionnel (art. L. 412-3 C. constr.)

V) Conditions d’octroi du délai de grâce

L’octroi au débiteur d’un délai de grâce n’est pas automatique.

C’est au juge qu’il revient d’apprécier l’opportunité de consentir ou de refuser au débiteur une telle faveur eu égard

Pour ce faire, il doit satisfaire un certain nombre de conditions posées par la loi :

  • Une dette monétaire
    • Pour être éligible à l’octroi d’un délai de grâce, la dette dont fait état le débiteur doit être de nature monétaire.
    • L’article 1343-5 du Code vise « le paiement des sommes dues »
    • Ainsi, ne peut-il s’agit d’une obligation de faire ou de ne pas faire.
  • La situation du débiteur
    • Pour solliciter le bénéfice d’un délai de grâce, le débiteur doit justifier
      • D’une part, d’une situation obérée, soit qu’il rencontre des difficultés qui objectivement ne lui permettent pas de satisfaire à son obligation de paiement
      • D’autre part, que les difficultés rencontrées résultent de circonstances indépendantes de sa volonté
      • Enfin, qu’il est de bonne foi, ce qui signifie qu’il a mis en œuvre tous les moyens dont ils disposent pour remplir son obligation.
  • Les besoins du créancier
    • La question qui se posera ici au juge est de savoir si, en octroyant un délai de grâce au débiteur, cette faveur est susceptible de compromettre la situation financière du créancier.
    • Aussi, les besoins du créancier détermineront la mesure dans laquelle le juge suspendra ou échelonnera le paiement de la dette
    • Si les besoins du créancier sont importants, celui-ci étant lui-même obligé vis-à-vis d’autres créanciers, le juge sera moins facilement enclin à octroyer à son débiteur des délais de paiement.
    • Il en ira tout autrement dans le cas contraire.

VI) Modalités d’octroi du délai de grâce

L’octroi d’un délai de grâce au débiteur par le juge peut s’opérer selon des modalités, les unes principales, les autres accessoires

?Les modalités principales

  • Le report de l’échéance
    • En application de l’article 1343-5 du Code civil, le juge peut suspendre le paiement de la dette pendant un délai maximum de deux ans
    • Cette mesure n’a toutefois pas pour effet de suspendre l’exigibilité de la dette.
    • Elle fait seulement obstacle à l’engagement de poursuites judiciaires par le créancier.
  • L’échelonnement de la dette
    • Le juge peut, s’il l’estime nécessaire, plutôt que de suspendre le paiement de la dette, seulement l’échelonner, là encore dans la limite de deux années.

?Les modalités accessoires

Deux modalités accessoires peuvent être prises en complément des modalités principales d’octroi d’un délai de grâce :

  • Réduction des intérêts et ordre d’imputation des paiements
    • Le juge peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.
  • Les mesures visant à faciliter ou garantir le paiement
    • Le juge peut subordonner les mesures prises à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette

VII) La procédure d’octroi du délai de grâce

?L’exigence d’une décision de justice

Aux termes de l’article 510 du Code de procédure civile, le délai de grâce ne peut être accordé que par la décision dont il est destiné à différer l’exécution.

Par décision, il faut entendre :

  • Les jugements de première instance
  • Les arrêts d’appel
  • Les accords de conciliation ou de médiations homologués par le juge
  • Les sentences arbitrales
  • Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire
  • Les titres exécutoires délivrés par les huissiers de justice en cas de non-paiement d’un chèque
  • Les titres exécutoires délivrés par les personnes morales de droit public

?Le pouvoir souverain d’appréciation du juge

La faculté conférée au juge d’octroyer des délais de grâce relève de son pouvoir souverain d’appréciation.

Dans un arrêt du 24 octobre 2006, la Cour de cassation a considéré en ce sens qu’« en refusant d’accorder un délai de paiement au débiteur, la cour d’appel n’a fait qu’exercer le pouvoir discrétionnaire qu’elle tient de l’article 1244-1 du code civil, sans avoir à motiver sa décision » (Cass. 1ère civ. 24 oct. 2006, n°04-16.706).

Cass. 1ère civ. 24 oct. 2006

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 9 du code civil et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que dans son numéro daté du 7 juin 2001, l’hebdomadaire l’Express a publié, au sein d’un dossier intitulé “Lille. Les réseaux qui comptent”, un article titré “Francs-maçons, le ménage s’impose” ; que, relatant la mise en examen pour faux en écriture publique, favoritisme et prise illégale d’intérêts de M. Michel X…, maire de Ronchin (Nord), le journal fait état de l’appartenance de l’intéressé et de huit membres nominativement désignés du conseil municipal à la franc-maçonnerie ;

Attendu que pour condamner la société Groupe Express-Expansion, éditrice, et M. Denis Y…, directeur de la publication, à dommages-intérêts envers les personnes ainsi mentionnées, l’arrêt retient que l’appartenance à la franc-maçonnerie relève de la vie privée, que l’article n’apporte aucune révélation sur le lien entre l’activité des plaignants et leur affiliation divulguée, ni sur la solidarité ayant pu en résulter dans la commission invoquée des faits délictueux, et que la mention litigieuse avait donc été purement gratuite, sans nécessité au regard ni de la teneur générale des développements, ni de la mise en examen intervenue, ni du devoir d’informer le public ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait observé que le contexte général de la publication était la mise au jour, légitime dans une société démocratique, de réseaux d’influence, et que l’appartenance à la franc-maçonnerie suppose un engagement, de sorte que la révélation litigieuse, qui s’inscrivait dans le contexte d’une actualité judiciaire, était justifiée par l’information du public sur un débat d’intérêt général, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et par suite a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 10 juin 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

?La motivation de la décision

Il ressort des articles 1343-5 du Code civil et 510 du Code de procédure civile que lorsque le juge octroie au débiteur un délai de grâce il doit spécialement motiver sa décision

?Juridiction compétence

La juridiction compétente pour statuer en matière de délai de grâce sera différente selon

  • Le montant du litige
    • Pour les litiges qui relèvent de matières civiles, c’est le Tribunal judiciaire qui sera compétent.
    • Le juge des contentieux de la protection sera notamment amené à connaître des actions relatives au crédit à la consommation et des mesures de traitement des situations de surendettement des particuliers.
  • La nature du litige
    • Le Tribunal de commerce sera compétent pour connaître des délais de grâce en matière commerciale.
    • Le Tribunal d’instance sera compétent pour connaître les litiges en matière de crédit à la consommation ou de saisie des rémunérations
    • Le juge de l’exécution sera compétent pour connaître les demandes de délai de grâce formulées dans le cadre de l’exécution d’une décision de justice.

?Point de départ du délai de grâce

Aux termes de l’article 511 du Code de procédure civile

  • Lorsque la décision est contradictoire, le délai court à compter du jour de son prononcé
  • Lorsque la décision n’est pas contradictoire, le délai court à compter du jour de sa notification

VIII) Effets

?Les effets à l’égard du débiteur

L’octroi d’un délai de grâce a pour effet principal d’empêcher l’engagement de poursuites judiciaires et non d’affecter le terme de l’obligation, en ce que son exigibilité serait suspendue, soit pour partie en cas d’échelonnement de la dette, soit totalement en cas de report de l’échéance à une date ultérieure

L’article 1347-3 du Code civil prévoit encore que le délai de grâce ne fait pas obstacle à la compensation, de sorte que la dette qui pèse sur la tête du débiteur peut être éteinte en cas de compensation avec une créance dont il serait titulaire contre son créancier.

?Les effets à l’égard du créancier

En application de l’article 1343-5, al. 4 du Code civil

  • D’une part, la décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier.
  • D’autre part, Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

L’article 513 du Code de procédure tempère néanmoins cette règle en disposant que le délai de grâce ne fait pas obstacle aux mesures conservatoires.

Cette faculté offerte au créancier lui permet de se garantir contre une éventuelle défaillance de paiement à l’issue du délai de grâce.

  1. G. Cornu, Vocabulaire juridiqur ?

Tableau récapitulatif: modes de saisine des juridictions civiles, enrôlement, représentation, constitution d’avocat (à jour de la réforme de la procédure civile)

Pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a opéré une simplification des modes de saisine des juridictions civiles, ainsi qu’une refonte des règles de représentation des parties devant ces mêmes juridictions.

A jour du décret n° 2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile

Procédure en
première Instance
Modes de
saisine
Enrôlement
Signification
ReprésentationConstitution d'avocat
Tribunal judiciaireProcédure
écrite
Art. 750 CPCArt. 754, 755 et 850 CPCArt. 760 et 761 CPC
Art. 763 CPC
• Assignation
• Requête conjointe
• Requête unilatérale dans les cas spécifiés par la loi
Au plus tard 15 jours avant l'audience

OU

Avant l'audience

• Soit si la date d'audience est communiquée moins de 15 jours avant l'audience
• Soit si cas d'urgence et sur autorisation du juge
La signification de l'assignation doit intervenir après la communication de la date d'audience et avant la date limite d'enrôlement de l'assignationReprésentation obligatoire par avocat15 jours à compter de l'assignation

OU

Avant l'audience si l'assignation est délivrée dans un délai inférieur ou égale à 15 jours avant l'audience
Procédure
orale
Tentative de conciliationArt. 761 et 762 CPC
Art. 820 CPC
RequêteReprésentation facultative

• Les parties elles-mêmes
• un avocat ;
• Le conjoint, le concubin ou la personne avec laquelle les parties ont conclu un pacte civil de solidarité ;
•Les parents ou alliés en ligne directe ;
• Les parents ou alliés en ligne collatérale jusqu'au troisième degré inclus ;
• les personnes exclusivement attachées à leur service personnel ou à leur entreprise.
• L'Etat, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.
Procédure aux fins de jugement
Art. 818 CPCArt. 754, 755 et 850 CPC
• Assignation
• Requête conjointe
• Requête unilatérale lorsque le montant de la demande est inférieur à 5,000 €
Au plus tard 15 jours avant l'audience

OU

Avant l'audience

• Soit si la date d'audience est communiquée moins de 15 jours avant l'audience
• Soit si cas d'urgence et sur autorisation du juge
La signification de l'assignation doit intervenir après la communication de la date d'audience et avant la date limite d'enrôlement de l'assignation
Procédure à jour fixeArt. 840 CPCArt. 843 CPCArt. 844 CPCArt. 842 CPC
• Requête unilatérale
• Assignation
Avant l'audienceDélai raisonnableReprésentation obligatoire par avocatAvant l'audience
Procédure de référéArt. 485 CPCArt. 754, 755 et 850 CPCArt. 760 et 761 CPCArt. 486 CPC
AssignationAu plus tard 15 jours avant l'audience

OU

Avant l'audience

• Soit si la date d'audience est communiquée moins de 15 jours avant l'audience
• Soit si cas d'urgence et sur autorisation du juge
La signification de l'assignation doit intervenir après la communication de la date d'audience et avant la date limite d'enrôlement de l'assignation• Représentation obligatoire

Si demande > 10,000 €

• Représentation facultative

Si demande < 10,000 €

• Contentieux électoral: Facultatif

• Compétences exclusives: Obligatoire
• Si représentation obligatoire:

- 15 jours à compter de l'assignation
- Avant l'audience si assignation délivrée moins de 15 jours avant l'audience

• Si représentation facultative:

- Avant l'audience
Procédure accélérée au fondArt. 839 et 481-1 CPC
AssignationAvant l'audienceLa signification de l'assignation doit intervenir après la communication de la date d'audience et avant la date limite d'enrôlement de l'assignation
Procédure sur requêteArt. 845 CPCArt. 756 CPCArt. 846 CPC
RequêteLa partie la plus diligente saisit le tribunal par la remise au greffe de la requêteReprésentation obligatoire par avocat ou officier ministériel
Tribunal de commerceArt. 854 CPCArt. 857 CPCArt. 856 CPCArt. 853 CPC
• L'assignation
• La requête conjointe
8 jours avant la date d'audience15 jours avant la date de l'audienceReprésentation obligatoire

Si demande > 10,000 €

Représentation facultative

• Si demande < 10,000 €
• Si procédure qui intéresse les entreprises en difficulté
• Si litige relatif à la tenue du registre du commerce et des sociétés.
• Si demande relative au gage des stocks et de gage sans dépossession
• Avant l'audience

• Absence de postulation
Conseil de prud'hommesProcédure ordinaireArt. 1452-1 C. trav.Art. R1452-5 C. tr.Art. R1452-3 C. tr.Art. R. 1453-1 et R. 1453-1 C. tr.
Requête
Sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article R. 1452-1, la convocation du défendeur devant le bureau de conciliation et d'orientation et, lorsqu'il est directement saisi, devant le bureau de jugement vaut citation en justice. • Le greffe avise par tous moyens le demandeur des lieu, jour et heure de la séance du bureau de conciliation et d'orientation ou de l'audience lorsque le préalable de conciliation ne s'applique pas.
• Si l'accusé de réception n'est pas retourné au greffe, ou s'il est retourné avec la mention « n'habite pas à l'adresse indiquée », ou « retour à l'envoyeur », le demandeur devra procéder par voie de signification (Cass. soc. 21 mai 1997).
• Les salariés ou les employeurs appartenant à la même branche d'activité ;
• Les défenseurs syndicaux;
• Le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin ;
• Les avocats.
• L'employeur peut également se faire assister ou représenter par un membre de l'entreprise ou de l'établissement.
• Le représentant, s'il n'est pas avocat, doit justifier d'un pouvoir spécial. Devant le bureau de conciliation et d'orientation, cet écrit doit l'autoriser à concilier au nom et pour le compte du mandant, et à prendre part aux mesures d'orientation.
Procédure de référéArt. R. 1455-9 C. tr.Art. R. 1455-9 C. tr.Art. 486 CPC
• Requête
• Assignation
La veille de l'audienceDélai raisonnable
Procédure en appel Délai d'appelDomaineMode de saisineForme de la déclaration d'appelReprésentation
Cour d'appelReprésentation obligatoireArt. 538 et 490 CPCArt. 899 CPCArt. 900 CPCArt. 901 CPCArt. 899 CPC
• Un mois en matière contentieuse
• Quinze jours en matière gracieuse
• Quinze jours en matière de référé
• Toutes les décisions rendues par une juridiction de premier degré, sauf disposition contraire• Déclaration unilatérale
• Requête conjointe
• Régularisation de la déclaration d'appel via RPVA
• Acte d'avocat adressé au greffe
• Régularisation via RPVA (Art. 930-1 CPC)
• Signification soit si retour de la lettre de notification adressée par le greffe, soit si défaut de constitution d'avocat au bout d'un mois (Art. 902 CPC)
• Avocat
(obligatoire)

• Monopole de postulation
Représentation non-obligatoireArt. 538 et 490 CPCArt. 931 à 939 CPCArt. 932 CPCArt. 932 CPCArt. 931 CPC
• Un mois en matière contentieuse
• Quinze jours en matière gracieuse
• Quinze jours en matière de référé
• Jugements des conseils de prud'hommes
• Jugements du tribunal paritaire des baux ruraux
Jugements du tribunal des affaires de la sécurité sociale
• Décisions du juge de l'exécution en matière de surendettement
• Jugements de déclaration d'abandon
• Décisions du Juge des enfants en matière d'assistance éductive
• Décisions du juge des tutelles
• Ordonnances du juge de l'expropriation
• Jugements en matière de domanialité publique
• Ordonnances du bâtonnier en matière de taxation d'honoraires
• Déclaration unilatérale• Lettre recommandée
• Lettre simple (Cass. 1ère civ., 2 nov. 1994)
• Régularisation de la déclaration d'appel via RPVA
• Les parties se défendent elles-mêmes.

• Elles ont la faculté de se faire assister ou représenter selon les règles applicables devant la juridiction dont émane le jugement.

• Le représentant doit, s'il n'est avocat, justifier d'un pouvoir spécial.
Procédure à jour fixeArt. 538 et 490 CPCArt. 917 CPCArt. 917 à 920 CPCArt. 922 CPCArt. 899 CPC
• Un mois en matière contentieuse
• Quinze jours en matière gracieuse
• Quinze jours en matière de référé
Si les droits d'une partie sont en péril, le premier président peut, sur requête, fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité. Plusieurs temps:
1° Déclaration unilatérale
2° Requête auprès du premier président
3° Assignation, si autorisation du premier président
• Acte d'avocat adressé au greffe
• Signification de l'assignation
• Régularisation via RPVA (Art. 930-1 CPC)
• Avocat
(obligatoire)

• Monopole de postulation

La caducité d’un acte de procédure peut-elle être assortie d’un effet rétroactif ?

La caducité fait partie de ces notions juridiques auxquelles le législateur et le juge font régulièrement référence sans qu’il existe pour autant de définition arrêtée. Si, quelques études lui ont bien été consacrées[1], elles sont si peu nombreuses que le sujet est encore loin d’être épuisé. En dépit du faible intérêt qu’elle suscite, les auteurs ne manquent pas de qualificatifs pour décrire ce que la caducité est supposée être. Ainsi, pour certains, l’acte caduc s’apparenterait à « un fruit parfaitement mûr […] tombé faute d’avoir été cueilli en son temps »[2]. Pour d’autres, la caducité évoque « l’automne d’un acte juridique, une mort lente et sans douleur »[3]. D’autres encore voient dans cette dernière un acte juridique frappé accidentellement de « stérilité »[4]. L’idée générale qui ressort de ces descriptions est que l’action du temps aurait eu raison de l’acte caduc, de sorte qu’il s’en trouverait privé d’effet. De ce point de vue, la caducité se rapproche de la nullité, qui a également pour conséquence l’anéantissement de l’acte qu’elle affecte. Est-ce à dire que les deux notions se confondent ? Assurément non. C’est précisément en s’appuyant sur la différence qui existe entre les deux que les auteurs définissent la caducité. Tandis que la nullité sanctionnerait l’absence d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation, la caducité s’identifierait, quant à elle, à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence. La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances. Cette différence d’objet ne saurait toutefois occulter les rapports étroits qu’entretiennent les deux notions, ne serait-ce parce que le vice qui affecte l’acte caduc aurait tout aussi bien pu être source de nullité s’il était apparu lors de la formation dudit acte. Sans doute est-ce d’ailleurs là l’une des raisons du regain d’intérêt pour la caducité ces dernières années.

Lorsqu’elle a été introduite dans le Code civil, l’usage de cette notion est limité au domaine des libéralités. Plus précisément, il est recouru à la caducité pour sanctionner la défaillance de l’une des conditions exigées pour que le legs, la donation ou le testament puisse prospérer utilement telles la survie[5], la capacité [6] du bénéficiaire ou bien encore la non-disparition du bien légué[7]. Ce cantonnement de la caducité au domaine des actes à titre gratuit s’estompe peu à peu avec les métamorphoses que connaît le droit des contrats. Comme le souligne Véronique Wester-Ouisse « alors que la formation du contrat était le seul souci réel des rédacteurs du Code civil, le contrat, aujourd’hui, est davantage examiné au stade de son exécution »[8]. L’appropriation de la notion de caducité par les spécialistes du droit des contrats prend, dans ces conditions, tout son sens[9]. Aussi, cela s’est-il traduit par la consécration de la caducité dans l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[10]. Là ne s’arrête pas son expansion. La caducité fait également son apparition en droit judiciaire privé. Si les auteurs sont partagés sur la question de savoir s’il s’agit de la même caducité que celle rencontrée en droit civil[11], tous s’accordent à dire qu’elle intervient comme une véritable sanction. En droit judiciaire privé la caducité aurait pour fonction de sanctionner l’inaction des parties qui n’ont pas effectué les diligences requises dans le délai prescrit par la loi[12]. Au vrai, si l’application de la caducité en droit judiciaire privé ne soulève guère de difficultés particulières, ses effets ne sont pas sans susciter de nombreuses interrogations quant à leur étendue.

La raison en est qu’aucun texte ne connaît des effets de la caducité judiciaire. La seule certitude que l’on peut se risquer à formuler à leur sujet, c’est que lorsqu’un acte est frappé de caducité, la procédure s’arrête sèchement ; il y est mis fin. Autrement dit, l’acte caduc est anéanti pour l’avenir. Une fois ce principe énoncé, nous n’avons cependant répondu qu’à la moitié de la question. Reste à déterminer ce qu’il advient des effets passés de l’acte caduc. Cela revient à se demander si la caducité qui atteint un acte de procédure peut être assortie d’un effet rétroactif. L’acte caduc est-il seulement anéanti pour l’avenir ou est-il supprimé rétroactivement de l’ordonnancement juridique, semblablement à l’acte nul ? Sur ce point, la jurisprudence est pour le moins hésitante. Quant à la doctrine, rares sont auteurs qui parviennent à emporter la conviction. La question est pourtant d’importance. En reconnaissant à la caducité un effet rétroactif, cela implique, notamment, que l’effet interruptif de prescription de l’acte caduc est anéanti. Il s’ensuit que ce n’est pas seulement la procédure judiciaire qui est éteinte ; le droit d’agir est susceptible de l’être aussi. D’où la nécessité de savoir si la caducité des actes de procédure produit un effet rétroactif. Pour le déterminer, il conviendra, dans un premier temps, de décrypter la jurisprudence, laquelle semble répondre par l’affirmative à cette question (I). Puis, dans un second temps, nous nous focaliserons sur l’association de la caducité à la rétroactivité, association qui n’est pas sans poser quelques problèmes de compatibilité (II).

I) La timide reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité des actes de procédure

Traditionnellement, la caducité est perçue comme étant dépourvue d’effet rétroactif ; elle éteint seulement l’acte qu’elle affecte pour l’avenir. Rana Chaaban analyse cette perception – encore majoritaire aujourd’hui – en relevant que, « dans la conception originelle, le domaine de la caducité était limité aux actes juridiques qui n’ont reçu aucune exécution »[13]. C’est la raison pour laquelle, pendant longtemps, la rétroactivité de la caducité n’a pas été envisagée[14]. Il eût été absurde de faire rétroagir la caducité en vue d’anéantir un acte qui n’a encore produit aucun effet. La non-rétroactivité est, certes, toujours considérée comme une caractéristique indissociable de la caducité. Mais les données du problème ont changé. La caducité n’est plus cantonnée au domaine des legs : elle a été importée en droit des contrats et en droit judiciaire privé[15]. Il en résulte qu’elle est, désormais, susceptible de frapper des actes qui ont reçu une exécution partielle voire totale[16]. Partant, la question de sa rétroactivité s’est inévitablement posée. Plus précisément, on s’est interrogé sur le point suivant : les situations engendrées par la caducité justifient-elles que l’on recourt à la fiction juridique qu’est la rétroactivité laquelle, on le rappelle, consiste à substituer « une situation nouvelle à une situation antérieure de telle sorte que tout se passe comme si celle-ci n’avait jamais existé »[17] ? Comme le souligne Jean Deprez, autant il est normal « qu’une situation juridique soit détruite pour l’avenir par l’intervention d’un acte ou d’un évènement qui en opère l’extinction, autant il est anormal de détruire les effets qu’elle a produits dans le passé »[18]. Aussi, la rétroactivité, poursuit-il, n’est « justifiable que dans la mesure où cette protection en nécessite le mécanisme »[19]. En l’absence de textes régissant les effets de la caducité, c’est tout naturellement au juge qu’il est revenu le soin de déterminer si l’on pouvait attacher à la caducité un effet rétroactif. Si, indéniablement, l’on assiste à l’émergence d’une reconnaissance de pareil effet (A), sa portée n’en demeure pas moins encore mal définie (B).

A) L’émergence récente de la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité des actes de procédure

Bien que les juridictions soient régulièrement amenées à statuer sur la question de la rétroactivité de la caducité, il ressort de la jurisprudence qu’il n’existe, pour l’heure, aucun principe général applicable à tous les cas de caducité. Comme elle le fait souvent pour les notions dont elle peine à se saisir, la jurisprudence agit de façon désordonnée, par touches successives. À défaut d’unité du régime juridique de la caducité, une partie de la doctrine voit dans les dernières décisions rendues en matière de caducité d’actes de procédure, l’ébauche d’une règle qui gouvernerait ses effets. Les contours de cette règle demeurent toutefois encore mal définis. La question de la rétroactivité de la caducité s’est tout d’abord posée lorsque l’on s’est demandé si l’on pouvait confondre l’assignation caduque avec l’assignation frappée de nullité. En les assimilant, cela permettait d’attraire l’assignation caduque dans le giron de l’ancien article 2247 du Code civil qui énonçait les cas dans lesquels l’interruption de prescription était non avenue. Pendant longtemps, la jurisprudence s’est refusé à procéder à une telle assimilation[20]. En un sens, cela pouvait se comprendre dans la mesure où, techniquement, la caducité se distingue nettement de la nullité. Or la liste des cas prévus par l’ancien article 2247 du Code civil était exhaustive[21]. Cet obstacle textuel n’a cependant pas empêché la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, de revenir sur sa position dans un arrêt du 3 avril 1987[22]. Dans cette décision, les juges du Quai de l’Horloge ont estimé que, quand bien même la caducité de l’assignation ne figurait pas parmi les circonstances visées par la loi, elle était, comme la nullité, insusceptible d’« interrompre le cours de la prescription ». De cette décision, les auteurs en ont déduit que la caducité pouvait avoir un effet rétroactif.

Si ce revirement de jurisprudence a été confirmé par la suite[23], on est légitimement en droit de se demander si elle est toujours valable. Le nouvel article 2243 du Code civil, introduit par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, ne fait plus référence à la nullité de l’assignation. Est-ce à dire que l’assignation nulle conserverait son effet interruptif de prescription et que, par voie de conséquence, il en irait de même pour l’assignation caduque ? Un auteur prédit que la solution adoptée par l’assemblée plénière sera maintenue[24]. S’il se trompe, cela ne saurait, en tout état de cause, être interprété comme portant un coup d’arrêt au mouvement tendant à reconnaître à la caducité un effet rétroactif. Les cas où la caducité est assortie de rétroactivité ne se limitent pas à l’assignation caduque. La jurisprudence en a envisagé d’autres. Ainsi, dans un arrêt du 23 novembre 2000 la Cour de cassation a-t-elle jugé que, dans l’hypothèse où une saisie-attribution serait frappée de caducité en raison de l’absence de dénonciation au débiteur dans un délai de huit jours, le tiers saisi qui aurait manqué à son obligation de renseignement ne saurait être condamné au paiement des causes de la saisie[25]. La deuxième chambre civile reprend, trait pour trait, la solution suggérée dans un avis rendu le 21 juin 1999[26] par la Cour de cassation où elle avait estimé que, parce que la caducité d’une saisie « la prive rétroactivement de tous ses effets [cette circonstance] s’oppose à ce que le créancier saisissant puisse faire condamner le tiers saisi, sur le fondement de l’article 238 du décret du 31 juillet 1992, au paiement des sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée » [27]. La position adoptée par la haute juridiction ne laisse guère de place à l’ambiguïté : la caducité qui atteint une saisie attribution ou conservatoire produit un effet rétroactif. Cette solution a été confirmée dans un arrêt du 3 mai 2001[28], puis dans plusieurs autres décisions[29]. Mieux, elle a été très récemment étendue à la caducité touchant un commandement de payer délivré dans le cadre d’une saisie immobilière.

Dans un arrêt du 19 février 2015, la Cour de cassation a, en effet, jugé que « la caducité qui frappe un commandement de payer valant saisie immobilière […] le prive rétroactivement de tous ses effets »[30]. Conséquemment, selon elle, d’une part, la prescription biennale qui courrait en l’espèce n’a pas été interrompue par le commandement de payer et, d’autre part, tous les actes de procédure subséquents doivent être déclarés caducs. Quelques mois plus tôt, la deuxième chambre civile s’était déjà prononcée en ce sens[31]. Aussi, avec ces deux arrêts, la Cour de cassation revient-elle sur une décision du 24 mars 2005 où elle avait décidé, dans un cas d’espèce similaire, qu’un commandement de payer « avait valablement interrompu la prescription, bien que la procédure de saisie immobilière dont il constituait le premier acte ne fût pas arrivée à son terme » [32]. Peut-on déduire de ces différents arrêts – qui reprennent sensiblement, dans les mêmes termes, la solution retenue par la Cour de cassation dans son avis du 21 juin 1999 – un principe général de rétroactivité qui s’appliquerait à la caducité des actes de procédure ? Certainement pas. Dans le même temps, la Cour de cassation a été amenée à adopter une position radicalement inverse.

B) L’émergence contrariée de la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité des actes de procédure

Si, les récentes décisions rendues par la Cour de cassation laissent à penser qu’elle reconnaîtrait à la caducité des actes de procédure un effet rétroactif, cette reconnaissance doit être nuancée. Dans une décision du 6 mai 2004, la deuxième chambre civile a, par exemple, estimé que « sauf disposition contraire, la caducité d’un titre exécutoire ne le prive pas de son efficacité pour la période antérieure à la caducité »[33]. Il s’agissait en l’espèce d’une convention temporaire de divorce homologuée par le juge aux affaires familiales, puis déclarée caduque pour défaut de renouvellement de la demande des époux dans les six mois conformément à l’ancien article 231 du Code civil.[34]. Dans cette convention, l’époux s’obligeait à verser à sa conjointe une pension alimentaire. Celui-ci n’ayant pas satisfait à son engagement, son épouse décide d’engager une procédure de saisie des rémunérations. Contestant la mesure d’exécution diligentée à son encontre, le débiteur soulève, dès lors, devant le Tribunal d’instance la caducité de l’ordonnance d’homologation. Débouté de sa demande, il forme un pourvoi devant la Cour de cassation qui considère que « les mensualités impayées de la pension alimentaire [qui] étaient dues pour une période antérieure à la caducité de la convention temporaire […] n’étaient pas atteintes par la caducité ». Ainsi, la deuxième chambre civile se refuse-t-elle, en l’espèce, à anéantir rétroactivement un acte de procédure caduc.

Cette décision n’est pas isolée. Dans un arrêt du 9 février 2011, la Cour de cassation a jugé que nonobstant la caducité d’une ordonnance de non-conciliation octroyant à une épouse la jouissance du domicile conjugal, le mari n’est pas fondé à réclamer, dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, une indemnité d’occupation[35]. Pour justifier sa décision, la Cour de cassation reprend exactement à l’identique, dans sa motivation, la formule déjà employée dans l’arrêt du 6 mai 2004 par la deuxième chambre civile : « sauf dispositions contraires, la caducité d’un titre exécutoire ne le prive pas de son efficacité pour la période antérieure à la caducité ». Comment interpréter cette jurisprudence ? Est-elle conciliable avec les décisions dans lesquelles la Cour de cassation affirme que la caducité qui atteint une assignation ou une mesure d’exécution forcée « la prive rétroactivement de tous ses effets » ? Pour certains auteurs, les derniers arrêts statuant sur les effets de la caducité ne sont pas nécessairement inconciliables. Selon Roger Perrot, afin de surmonter leur apparente contradiction, cela suppose de distinguer les actes de procédures qui produisent leurs effets « en un trait de temps », telle qu’une assignation ou une saisie-attribution, et les actes dont les effets s’échelonnent dans le temps, telle qu’une saisie des rémunérations ou une ordonnance attribuant la jouissance du domicile conjugal à une épouse[36]. Pour les premiers, dans la mesure où « l’acte n’a pas pu atteindre sa perfection », il doit être anéanti rétroactivement[37]. Pour les seconds, en revanche, « la caducité a pour conséquence de remettre en cause une situation juridique complètement formée qui avait atteint sa perfection », de sorte que l’on ne saurait nier que l’acte caduc a existé[38]. En procédant à cette distinction, la jurisprudence de la Cour de cassation prendrait tout son sens. On pourrait y voir la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité qui affecte les actes de procédure dont les effets se réalisent instantanément. Bien que séduisant à maints égards, le fondement juridique sur lequel reposerait cette reconnaissance n’en demeure pas moins fragile pour plusieurs raisons qu’il convient d’examiner.

II) La difficile compatibilité entre la rétroactivité et la caducité des actes de procédure

Depuis que la caducité n’est plus cantonnée au domaine des actes qui n’ont reçu aucune exécution, certains auteurs ont cherché à se départir de la conception classique selon laquelle la caducité serait dépourvue d’effet rétroactif. Pour Rana Chaaban, le péché originel a été commis lorsque l’on a érigé la « non-rétroactivité de la caducité des legs […] en principe général applicable à toutes les hypothèses de caducité »[39]. Reprenant les travaux de Jean Deprez sur la notion de rétroactivité[40], cet auteur poursuit son raisonnement en soutenant que la rétroactivité est une notion contingente. Dès lors, elle « ne saurait être abstraitement rattachée à une institution particulière ni au contraire lui être théoriquement refusée »[41]. Il en résulte qu’aucun principe général de non-rétroactivité de la caducité n’existerait. Pour déterminer si un cas de caducité produit un effet rétroactif, il conviendrait de « scruter la situation juridique spécifique à laquelle la caducité donne naissance »[42]. C’est manifestement dans cette voie que se sont engagés les auteurs qui soutiennent qu’en matière d’acte de procédure, pour savoir si la caducité qui atteint un acte est ou non assortie d’un effet rétroactif, il convient de distinguer selon que l’effet produit par l’acte visé est instantané ou s’étire dans la durée. Dans cette dernière hypothèse, Roger Perrot soutient que dans la mesure où l’on est en présence d’une situation juridique qui a produit des effets qui se sont inscrits dans le temps, il est impossible de « faire abstraction de l’instant précis où s’est produit l’événement qui a engendré la caducité »[43]. En somme, on ne peut plus faire machine arrière. La caducité ne saurait, en conséquence, opérer rétroactivement. Le rapprochement peut être fait avec la résiliation en matière contractuelle. Lorsque, en revanche, l’effet de l’acte frappé de caducité est instantané, la situation est toute autre. Aucun effet n’a, véritablement, été « consommé »[44]. Rien ne s’oppose donc à ce que la caducité anéantisse l’acte rétroactivement. Malgré l’avantage certain que procure cette thèse, ne serait-ce que parce qu’elle permet de concilier, comme nous l’avons vu, les dernières décisions rendues en la matière par la Cour de cassation, elle ne résiste pas à la critique (A). L’erreur commise par les auteurs viendrait de la confusion qui est faite entre la validité et l’efficacité des actes (B).

A) La rétroactivité de la caducité source de perturbation du droit positif

Reconnaître à la caducité de certains actes de procédure un effet rétroactif est susceptible de conduire, de l’aveu même des partisans de cette reconnaissance, à l’adoption de solutions qui, sur le plan la logique juridique, sont très discutables. En témoigne, tout d’abord, la série de décisions rendues par la Cour de cassation dans lesquelles, en raison de l’effet rétroactif de la caducité qui affecte un acte de saisie, le banquier, malgré la caractérisation d’une faute qui lui était imputable, a pu s’exonérer de sa responsabilité[45]. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, remémorons nous les faits qui étaient sensiblement les mêmes dans les espèces qu’a eus à connaître la haute juridiction : une saisie-attribution ou conservatoire est frappée de caducité faute de dénonciation dans les huit jours au débiteur conformément aux articles R. 211-3 et R. 523-3 du Code des procédures civiles d’exécution. En réaction, le créancier décide d’engager une action en responsabilité contre la banque. Au soutien de sa demande, il invoque un manquement par le banquier à son obligation de renseignement[46]. Alors que dans les espèces qui lui étaient soumises il est avéré que les déclarations faites par le tiers saisi étaient erronées, la Cour de cassation a néanmoins jugé que ce dernier n’engageait pas sa responsabilité. Selon elle, la caducité de la saisie « la prive de tous ses effets ». Autrement dit, pour la Cour de cassation, en anéantissant rétroactivement l’acte de saisie, la caducité prive de sa cause l’obligation de renseignement qui échoit au banquier, tant et si bien que sa responsabilité ne saurait être recherchée sur ce fondement. Si, de prime abord, cette solution, approuvée par la doctrine[47], ne semble pas prêter le flanc à la critique. La cour de cassation tire ici parfaitement les conséquences de l’application du principe de rétroactivité. À la vérité, elle est un exemple topique du danger que représente la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité.

Comment concevoir que la banque puisse échapper à sa responsabilité en invoquant la caducité de l’acte de saisie alors que la déclaration faite à l’huissier de justice instrumentaire était erronée ? Cette situation est d’autant plus difficile à comprendre que si le créancier n’a pas dénoncé la saisie – événement qui, on le rappelle, est à l’origine de la caducité – c’est précisément parce qu’au regard des informations qui lui ont été communiquées, la poursuite de la procédure était dénuée de tout intérêt, sauf à engager des frais d’actes qui ne seraient pas couverts par la saisie. Or elle s’annonçait infructueuse. Aussi, la position de la Cour de cassation revient-elle à admettre que le tiers saisi qui, par sa faute, a provoqué la caducité de la saisie, puisse se réfugier derrière cette même caducité pour s’exonérer de sa responsabilité. De toute évidence, cette solution est difficilement justifiable, tant sur le plan moral, que juridique. Certains juges du fond ont bien tenté de ne pas tomber dans cet écueil en considérant que seule la caducité d’une saisie fructueuse était assortie d’effets rétroactifs[48]. Cela permettait, d’une part, de dédouaner le créancier qui n’avait pas dénoncé la saisie consécutivement à la notification erronée par le banquier de l’absence de compte bancaire ouvert au nom du débiteur ou de l’existence d’un compte présentant un solde négatif et, d’autre part, de retenir la responsabilité de la banque pour manquement à son obligation de renseignement. La Cour de cassation a cependant, fort logiquement, censuré les décisions statuant en ce sens, estimant que c’était ajouter « aux dispositions réglementaires une condition qui n’entrait pas dans leur prévision »[49]. La lecture des textes visés lui donne incontestablement raison. Les articles R 523-3, R 523-4 et R 523-5 du Code des procédures civiles d’exécution n’opèrent aucune distinction entre les saisies fructueuses et infructueuses. Il ne peut donc être fait aucune différence dans la mise en œuvre des effets de la caducité. Sitôt que la procédure est caduque, l’inefficacité dont elle fait l’objet produit les mêmes conséquences, quelle que soit l’issue de la saisie. Afin de pallier les effets pervers de la position adoptée par la Cour de cassation sur cette question, ne pourrait-on pas envisager d’engager la responsabilité de la banque sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ? Certains auteurs le suggèrent[50]. Cela suppose, toutefois, pour le créancier de démontrer l’existence d’une faute distincte du manquement à l’obligation de renseignement. Par ailleurs, quid lorsque le tiers saisi n’a commis aucune faute ou lorsqu’une cause étrangère est venue perturber son action ? Aucune réponse n’ayant encore été apportée par la Cour de cassation à ces interrogations, le tiers saisi jouit, pour l’heure, d’une immunité de responsabilité lorsque le créancier n’a pas dénoncé la saisie.

Là n’est pas la seule anomalie engendrée par la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité. L’adoption de cette solution par la haute juridiction en matière de saisie immobilière est également source de difficulté. Dans une décision remarquée, la deuxième chambre civile a jugé qu’un commandement valant saisie immobilière frappé de caducité perdait son effet interruptif de prescription[51]. Selon la formule, désormais consacrée, « la caducité qui atteint une mesure d’exécution la prive rétroactivement de tous ses effets ». Si la Cour de cassation marque ici sa volonté de ne pas permettre au créancier de se ménager le bénéfice de la prescription biennale indéfiniment en délivrant ponctuellement à son débiteur des commandements de payer, sans pour autant mener à bien la procédure de saisie immobilière, sa position se heurte, néanmoins, à la lettre de l’article 2243 du Code civil qui prévoit, pour rappel, que « l’interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l’instance, ou si sa demande est définitivement rejetée ». La caducité n’étant pas expressément visée par cette disposition – comme cela avait été relevé par les juges du fond – on est légitimement en droit de s’étonner de la position de la Cour de cassation qui se livre à une interprétation extensive de l’article 2243 du Code civil. Cette décision est d’autant plus étonnante que l’article R. 221-5 du Code des procédures civiles d’exécution, applicable à la procédure de saisie-vente, dispose que, nonobstant la caducité de la saisie, « l’effet interruptif de prescription du commandement demeure ». Plus surprenant encore, dans l’arrêt du 19 février 2015, la Cour de cassation précise que la caducité du commandement valant saisie immobilière « atteint tous les actes de procédure de saisie qu’il engage »[52], ce qui visait, en l’espèce, l’assignation à l’audience d’orientation délivrée au débiteur, conformément à l’article R. 322-4 du Code des procédures civiles. L’article 2241 du Code civil prévoit toutefois que le délai de la prescription extinctive est interrompu, quand bien même « l’acte de la saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ». Bien qu’il n’existe pas d’incompatibilité absolue entre les dispositions relatives aux causes d’interruption de la prescription extinctives et la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité, leur conciliation repose manifestement sur une interprétation pour le moins discutable des textes.

B) La rétroactivité de la caducité source de confusion entre validité et efficacité des actes

Finalement, il apparaît que toutes les fois où la Cour de cassation a décidé que la caducité d’un acte de procédure devait être assortie d’un effet rétroactif, une question de compatibilité avec le droit positif s’est posée. Est-ce à dire que la caducité et le phénomène de rétroactivité seraient inconciliables comme a pu le soutenir récemment Caroline Pelletier[53] ? La tendance est pourtant à la démonstration de la thèse inverse[54]. Rappelons l’argument principal avancé par les auteurs pour justifier la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité des actes de procédure. Reprenant la définition de Gérard Cornu, Roger Perrot adhère à l’idée que la caducité consiste en l’« état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte »[55]. Autrement dit, l’acte caduc est réduit à néant ; il est censé n’avoir jamais existé. Il en résulte un anéantissement rétroactif de tous les effets y afférant ; d’où la privation d’effet interruptif de prescription pour l’acte de procédure caduc ou la disparition de l’obligation de renseignement incombant au banquier lorsque la saisie n’a pas été dénoncée au débiteur. Imparable en apparence, ce raisonnement comporte une faille. S’il est incontestable que l’acte caduc doit être supprimé de l’ordonnancement juridique en raison de la perte d’un élément essentiel l’empêchant de prospérer utilement, rien ne justifie pour autant qu’il fasse l’objet d’un anéantissement rétroactif. Pourquoi vouloir anéantir l’acte caduc rétroactivement, soit faire comme s’il n’avait jamais existé, alors qu’il était parfaitement valable au moment de sa formation ? Cela n’a pas grand sens. Dès lors qu’un acte est valablement formé, il produit des effets sur lesquels on ne doit plus pouvoir revenir, sauf à nier une situation juridiquement établie[56]. D’aucuns invoquent, pour réfuter cette thèse, le mécanisme de la résolution judiciaire qui a pour effet d’anéantir rétroactivement un contrat au cours de son exécution alors qu’il réunissait les conditions de validité exigées lors de sa conclusion[57]. À cet argument, il peut être opposé que la résolution tient son effet rétroactif de la loi. Elle répond, dans ces conditions, à une logique qui lui est propre. Aussi, ne saurait-on en tirer une quelconque conséquence s’agissant de la caducité, laquelle ne s’apparente nullement à la résolution et dont les effets ne sont régis par aucun texte.

Au vrai, l’erreur commise par les partisans de la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité vient de la confusion qui est faite entre la validité de l’acte juridique et son efficacité. Ces deux questions doivent cependant être distinguées. La seule condition qui doit être remplie pour qu’un acte soit valable, c’est que, tant son contenu, que ses modalités d’édiction soient conformes aux normes qui lui sont supérieures. On peut en déduire que la validité d’un acte ne se confond pas avec son efficacité. Si tel était le cas, cela reviendrait à remettre en cause sa validité à chaque fois que la norme dont il est porteur est violée. Or comme l’a démontré Denys de Béchillon « une norme juridique ne cesse pas d’être juridique lorsqu’elle n’est pas respectée »[58]. L’inefficacité de l’acte caduc se distingue certes de l’hypothèse précitée en ce qu’elle est irréversible et n’a pas le même fait générateur. Elle s’en rapproche néanmoins dans la mesure où, d’une part, elle s’apprécie au niveau de l’exécution de l’acte et, d’autre part, elle consiste en une inopérance de ses effets. Ainsi, les conséquences que l’on peut tirer de la caducité d’un acte sont les mêmes que celles qui peuvent être déduites du non-respect d’une norme : l’inefficacité qui les atteint ne conditionne nullement leur validité. D’où l’impossibilité logique d’anéantir rétroactivement l’acte ou la norme qui font l’objet de pareille inefficacité. Partant, lorsqu’une saisie n’est pas dénoncée au débiteur dans un délai de huit jours, seule son efficacité fait défaut. L’acte de saisie en lui-même reste valable, en conséquence de quoi il ne saurait faire l’objet d’un anéantissement rétroactif. Il en va de même pour le commandement de payer valant saisie immobilière qui n’aurait pas été publié au fichier immobilier dans un délai de deux mois à compter de sa signification[59].

Pour conclure, il apparaît que la caducité d’un acte de procédure peut difficilement être assortie d’un effet rétroactif. En l’admettant, comme le fait de plus en plus souvent la Cour de cassation, cela revient à considérer que l’efficacité d’un acte se confond avec sa validité. Or il s’agit là de deux choses radicalement différentes. Qui plus est, la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité pose, comme nous l’avons vu, de sérieux problèmes de compatibilité avec le droit positif.

[1] V. en ce sens Y. Buffelan-Lanore, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques en droit civil, LGDJ, 1963 ; N. Fricero-Goujon, La caducité en droit judiciaire privé : thèse Nice, 1979 ; C. Pelletier, La caducité des actes juridiques en droit privé, L’Harmattan, coll. « logiques juridiques », 2004 ; R. Chaaban, La caducité des actes juridiques, LGDJ, 2006.

[2] R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559.

[3] M.-C. Aubry, « Retour sur la caducité en matière contractuelle », RTD Civ., 2012, p. 625.

[4] H. roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, coll. « Traités », 2002, n°02, p. 38.

[5] Article 1089 du Code civil.

[6] Article 1043 du Code civil.

[7] Article 1042, alinéa 1er du Code civil.

[8] V. Wester-Ouisse, « La caducité en matière contractuelle : une notion à réinventer », JCP G, n°, Janv. 2001, I 290.

[9] V. en ce sens F. Garron, La caducité du contrat : étude de droit privé, PU Aix-Marseille, 2000.

[10] Le régime juridique de la caducité contractuelle figure désormais aux nouveaux articles 1186 et 1187 du Code civil.

[11] Pour Caroline Pelletier la caducité envisagée par les civilistes et la caducité que l’on rencontre en droit judiciaire privé forment une seule et même notion (C. Pelletier, op. cit., n°402, p.494-495). À l’inverse, Rana Chaaban estime qu’il s’agit là de caducités différentes (R. Chaaban, op. cit., n°29, p. 20). Elle estime en ce sens que, « contrairement à la caducité judiciaire, la caducité de droit civil éteint un droit substantiel, et non un élément processuel ».

[12] V. en ce sens S. Guinchard, « Le temps dans la procédure civile », in XVe Colloque des instituts d’études judiciaires, Clermont-Ferrand, 13-14-15 octobre 1983, Annales de la faculté de droit et de science politique de Clermont-Ferrand, 1983, p. 65-76.

[13] R. Chaaban, op. cit., n°371, p. 333.

[14] Pierre Hébraud affirme en ce sens que les effets de l’acte caduc « se concentrent dans cette chute, sans rayonner au-delà, sans s’accompagner, notamment de rétroactivité » (P. Hébraud, Préface de la thèse de Y. Buffelan-Lanore, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques en droit civil, LGDJ, 1963, p. VI).

[15] Dès 1971 la notion de caducité fait son apparition en droit des contrats. Dans trois arrêts remarqués, la Cour de cassation juge, par exemple, caduque une stipulation contractuelle qui ne satisfaisait plus, en cours d’exécution d’un contrat, à l’exigence de déterminabilité du prix (Cass. com., 27 avr. 1971, n° 69-10.843, n° 70-10.752 et n° 69-12.329 : Gaz. Pal. 1971, 2, p. 706, [3 arrêts] ; JCP G, 1972, II, 16975 note J. Boré ; D. 1972, p. 353, note J. Ghestin, W. Rabinovitch).

[16] Caroline Pelletier note que le cantonnement de la caducité aux actes juridiques non entrés en vigueur « ne reflète plus l’état du droit positif et [qu’elle] peut, aussi, sans inconvénient, résulter d’un fait générateur intervenant après le début de l’exécution de l’acte juridique » (C. Pelletier, op. cit., n°3, p. 17).

[17] R. Houin, « Le problème des fictions en droit civil », Travaux de l’association H. Capitant, 1947, p. 247.

[18] J. Deprez, La rétroactivité dans les actes juridiques : Thèse, Rennes, 1953, n°1.

[19] Ibid., n°61.

[20] Cass. 2e civ., 2 déc. 1982 : Bull. civ. 1982, II, n° 158 ; RTD civ. 1983, p. 593, obs. R. Perrot; Cass. 2e civ., 13 févr. 1985 : JCP G 1985, IV, 15.

[21] L’ancien article 2247 du Code civil disposait: « si l’assignation est nulle par défaut de forme, si le demandeur se désiste de sa demande, s’il laisse périmer l’instance, ou si sa demande est rejetée, l’interruption est regardée comme non avenue ».

[22] Cass. ass. plén., 3 avr. 1987 : JCP G 1987, II, 20792, concl. M. Cabannes ; Gaz. Pal. 1987, 2, somm. p. 173, note H. Croze et Ch. Morel ; RTD Civ., 1987, p. 401, obs. R. Perrot ; D. 1988, Somm. p. 122, obs. P. Julien.

[23] Cass. soc., 21 mai 1996 : D. 1996, inf. rap. p. 154 ; Civ. 2e, 3 mai 2001, n° 99-13.592, D. 2001. 1671; RTD civ. 2001. 667, obs. R. Perrot, Bull. civ. II, n° 89 ; Cass. 2e civ., 11 oct. 2001, n° 99-16.269 : Bull. civ. 2001, II, n° 153 ; Com. 14 mars 2006, n° 03-10.945.

[24] V. en ce sens L. Miniato, « La loi du 17 juin 2008 rend-elle caduque la jurisprudence de l’assemblée plénière de la Cour de cassation ? », D. 2008, p. 2592.

[25] Cass. 2e civ., 23 nov. 2000, Bull. civ. II, n° 155, D. 2001.182, JCP 2001.IV.1108 ; RTD Civ., 2001, 667, obs. R. Perrot.

[26] Cass., avis, 21 juin 1999, Defrénois 1999, art. 37080, p. 1344 ; D. 1999, IR, p. 206 ; JCP éd. G 1999, I, no 10160, note H. Croze et T. Moussa ; Dr. et patrimoine, nov.2000, p. 105, note Ph. Théry.

[27] Cet avis concernait certes la caducité d’une saisie conservatoire. Comme le révèle l’arrêt en l’espèce, la solution qu’il propose est toutefois transposable à la caducité affectant une saisie attribution.

[28] Cass. 2e civ., 3 mai 2001, Bull. civ. 2001, II, n° 89 ; D. 2001, p. 1671 ; Dr. et proc. 2001, p. 328, obs. J.-J. B. ; RTD civ. 2001, p. 667, obs. R. Perrot.

[29] Cass. 2e civ., 6 mai 2004 : Bull. civ. 2004, II, n° 217 ; D. 2004, p. 1646 ; JCP G 2004, II, 10150, note O. Salati ; Dr. et proc. 2004, p. 284, note E. Putman ; Defrénois, nov. 2004, n°22, p. 1549, note Ch. Lefort ; Civ. 2e, 21 déc. 2006, n° 04-16.511 : RTD Civ., 2007. 180, note R. Perrot ; Civ. 2e, 6 déc. 2007 n° 07-13964 : Bull. civ. II, RTD Civ., 2008. 162, note R. Perrot; Cass. 2e civ., 9 févr. 2011 : Dr. et proc. 2011, p. 125, note C. Lefort.

[30] Cass. 2e civ., 19 févr. 2015, n° 13-28.445 : Procédures, avril 2015, comm. 119, C. Laporte ; RD bancaire et fin, mai 2015, n°3, comm. 94, note S. Piedelièvre ; Procédures, novembre 2014, comm. 293.

[31] Cass. 2e civ., 25 sept. 2014, n° 13-19.935 : RD bancaire et fin. 2014, comm. 205, obs. Piedelièvre.

[32] Cass. 2e civ., 24 mars 2005, 2 arrêts, n° 02-20.216 et 03-16.312 : Bull. civ. 2005, II, n° 85 ; JCP G 2005, IV, 2059 et 2066 ; Procédures 2005, comm. 122, obs. R. Perrot ; D. 2005, p. 1609, obs. P. Julien et G. Taormina ; RTD civ., 2006, p. 603, note Ph. Théry.

[33] Cass. 2e civ., 6 mai 2004, n° 02-18.985 : Bull. civ. 2004, II, n° 220 ; RTD civ. 2004, p. 559, obs. R. Perrot ; RD bancaire et fin, janvier 2005, n°1, 25, note S. Piedelièvre.

[34] Cette disposition a depuis fait l’objet d’une abrogation par la loi n°2004-439 du 26 mai 2004.

[35] Cass. 1ère civ., 9 févr. 2011, n° 09-72.653 : Dr. et proc. 2011, p. 125, note C. Lefort. ; D. 2011. 594 ; AJ famille 2011. 153, obs. S. David; RTD Civ., 2011, p. 591, note R. Perrot.

[36] R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559.

[37] R. Perrot, « Caducité : produit-elle un effet rétroactif ? », RTD Civ., 2011, p. 591.

[38] Ibid.

[39] R. Chaaban, op. cit., n°370, p. 333.

[40] J. Deprez, op. cit.

[41] R. Chaaban, op. cit., n°468, p. 401.

[42] Ibid.

[43] R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559.

[44] Ibid.

[45] V. en ce sens Cass. 2e civ. 21 juin 1999 ; Cass. 2e civ. 23 nov. 2000 ; Cass. 2e civ. 3 mai 2001 ; Cass. 2e civ. 6 mai 2004 ; Cass. 2e civ. 21 déc. 2006.

[46] Les articles R. 211-5 et R. 523-5 du Code des procédures civiles d’exécution prévoient respectivement que, en matière de saisie attribution ou conservatoire « le tiers saisi qui, sans motif légitime, ne fournit pas les renseignements prévus, s’expose à devoir payer les sommes pour lesquelles la saisie a été pratiquée si le débiteur est condamné et sauf son recours contre ce dernier ».

[47] V. notamment en ce sens O. Salati, note sous Cass. 2e civ., 6 mai 2004 : JCP G, 2004, II, 10150 ; R. Perrot, note sous Cass. 2e civ., 23 nov. 2000 : RTD Civ., 2001, p. 667.

[48] V. en ce sens CA. Chambéry, 8 janv. 2002 Banque populaire des Alpes c/ Le prince Mohamad Bin Fahad Bin Abdulaziz AI Saud, note J.-M. Delleci, RD bancaire et fin., Mars 2002, n°2, 73.

[49] Cass. 2e civ., 6 mai 2004 : Bull. civ. 2004, II, n° 217 ; D. 2004, p. 1646 ; JCP G 2004, II, 10150, note O. Salati.

[50] V. notamment en ce sens O. Salati, note sous Cass. 2e civ., 6 mai 2004 : JCP G, 2004, II, 10150 ; C. Lefort, note sous Cass. 2e civ., 6 mai 2004 : Defrenois, nov. 2004, n°22, p. 1549.

[51] Cass. 2e civ., 25 sept. 2014, n° 13-19.935 : RD bancaire et fin. 2014, comm. 205, obs. Piedelièvre.

[52] Cass. 2e civ., 19 févr. 2015, n° 13-28.445 : Procédures, avril 2015, comm. 119, C. Laporte ; RD bancaire et fin, mai 2015, n°3, comm. 94, note S. Piedelièvre ; Procédures, novembre 2014, comm. 293.

[53] C. Pelletier, op. cit., pp. 384 et s.

[54] R. Chaaban, op. cit.

[55] G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, 2014, V. Caducité.

[56] V. en ce sens A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruylant, 1998, n°54 et s.

[57] R. Chaaban, op. cit., n°460, p. 397.

[58] D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, éd. Odile Jacob, 1997, p. 61. V. également en ce sens F. Rangeon, « Réflexions sur l’effectivité du droit » in les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 130 ; P. Amselek, « Kelsen et les contradictions du positivisme », APD, 1983, n°28, p. 274. Pour la thèse opposée V. H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 19 et s.

[59] Article R. 321-6 du Code des procédures civiles d’exécution.

La procédure d’injonction de payer

?Finalité de la procédure

La procédure d’injonction de payer a été instaurée par le législateur en vue d’offrir au créancier d’une obligation contractuelle le moyen d’obtenir rapidement, efficacement, et, à moindre frais, le règlement d’une facture impayée.

En somme, il s’agit de permettre au créancier de vaincre l’inertie du débiteur qui se soustrait à l’exécution spontanée de ses obligations.

À l’examen, la procédure d’injonction de payer se caractérise par la mise à l’écart du contradictoire entre la requête et la signification de l’ordonnance ou l’opposition.

Elle a pour objectif de concilier les droits du créancier au recouvrement de sa créance et ceux du débiteur qui n’a connaissance de cette volonté de recouvrement qu’au moment de la signification de l’ordonnance et qui ne peut donc faire valoir ses droits qu’après avoir reçu l’injonction.

Il peut être observé que le dépôt d’une requête en injonction de payer n’interrompt pas le délai de prescription de la créance. Il est donc nécessaire de veiller à cette prescription, car si le créancier est susceptible de se heurter à court à terme à une forclusion de son action, il sera préférable d’assigner le débiteur en paiement.

I) Les avantages de la procédure d’injonction de payer

Pour obtenir le règlement d’une facture impayée deux options s’offrent au créancier :

?Le recouvrement amiable

  • Soit gestion du recouvrement en interne
    • Avantages
      • Frais réduits à la portion congrue
      • Liberté d’action
      • S’effectue en dehors du cadre judiciaire
    • Inconvénients
      • Long : le succès de la négociation dépend du bon vouloir du débiteur
      • Inefficace : le créancier ne dispose d’aucun moyen de contrainte
  • Soit externalisation du recouvrement
    • Avantages
      • Recouvrement effectué par un professionnel du recouvrement
      • S’effectue en dehors du cadre judiciaire
    • Inconvénients
      • Onéreux, surtout en cas d’insolvabilité du débiteur
      • Long : le succès de la négociation dépend du bon vouloir du débiteur
      • Inefficace : le prestataire ne dispose d’aucun moyen de contrainte

?Le recouvrement judiciaire

  • Soit assigner le débiteur en paiement (action en justice de droit commun)
    • Avantage :
      • Efficace : obtention d’un titre exécutoire
    • Inconvénients :
      • Long : délais de procédure, respect du contradictoire, expertises
      • Onéreux : coûts liés à un procès
  • Soit engager une procédure d’injonction de payer (procédure d’exception)
    • Avantages :
      • Rapide : procédure simplifiée
      • Efficace : obtention d’un titre exécutoire
      • Peu onéreux : limitée aux frais de rédaction et de signification d’actes
    • Inconvénients
      • Les mêmes que ceux de l’action de justice au fond en cas d’opposition du débiteur

En résumé :

II) Les conditions de mise en œuvre de la procédure

Les conditions de mise en œuvre de la procédure d’injonction de payer sont édictées à l’article 1405 du Code de procédure civile qui prévoit que :

«  Le recouvrement d’une créance peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer lorsque :

1° La créance a une cause contractuelle ou résulte d’une obligation de caractère statutaire et s’élève à un montant déterminé ; en matière contractuelle, la détermination est faite en vertu des stipulations du contrat y compris, le cas échéant, la clause pénale ;

2° L’engagement résulte de l’acceptation ou du tirage d’une lettre de change, de la souscription d’un billet à ordre, de l’endossement ou de l’aval de l’un ou l’autre de ces titres ou de l’acceptation de la cession de créances conformément à la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises. »

Il ressort de cette disposition que la procédure d’injonction de payer ne peut être mise en œuvre que dans trois cas bien distincts :

  • La créance résultant d’une obligation contractuelle
  • La créance résultant d’une obligation statutaire
  • La créance résultant de la souscription d’un instrument de crédit

A) La créance résultant d’une obligation contractuelle

?Notion

Par créance contractuelle, il faut entendre toutes celles qui sont nées de la conclusion d’un contrat conformément à l’article 1101 du Code civil (contrat de vente, de bail, d’entreprise, de dépôt, de prêt, d’assurance, de caution etc.)

?Exclusion

  • Les créances nées d’un quasi-contrat
    • Enrichissement injustifié
    • Répétition de l’indu
    • Gestion d’affaire
    • Engagement unilatéral
  • Les créances nées d’un délit ou d’un quasi-délit
    • Action en réparation d’un préjudice extracontractuel (Cass. com., 17 mars 1958 : JCP G 1958)

?Caractères

  • Certaine : fondée et justifiée dans son principe
  • Liquide : déterminée quant à son montant (au regard des seules stipulations contractuelles)
  • Exigible : le délai de paiement est échu

B) La créance résultant d’une obligation statutaire

?Notion

Il s’agit des créances dues au titre d’un statut légal dont l’adhésion est le plus souvent exigée dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle (caisse de retraite, sécurité sociale)

?Caractères

  • Certaine
  • Liquide
  • Exigible

C) La créance résultant de la souscription d’un instrument de crédit

?Notion

L’article 1405 du Code de procédure civile vise expressément les créances qui résultent de la souscription de trois instruments de crédit différents et de certains actes y afférents :

  • La lettre de change
    • L’aval
    • L’endossement
  • Le billet à ordre
    • L’aval
    • L’endossement
  • L’acceptation d’une cession Dailly

?Exclusion

La créance qui résulte de l’émission d’un chèque n’est pas éligible à la procédure d’injonction de payer :

  • Le chèque peut faire l’objet d’un recouvrement simplifié
  • L’huissier de justice a compétence, en matière de chèque impayé, pour émettre un titre exécutoire

?Condition

La créance dont se prévaut le demandeur doit résulter d’un titre et d’un engagement valables, conformément aux exigences de fond et de forme posées par le Code de commerce

III) Le déroulement de la procédure d’injonction de payer

A) Le dépôt de la requête

1. L’auteur de la requête

L’article 1407 du Code de procédure civile prévoit que « la demande est formée par requête remise ou adressée, selon le cas, au greffe par le créancier ou par tout mandataire »

Il ressort de cette disposition deux choses :

  • Le créancier peut rédiger et déposer seul la requête d’injonction de payer
    • Quel que soit le montant de la demande, la représentation n’est donc pas obligatoire devant le Tribunal judiciaire et le Tribunal de commerce, à tout le moins au stade de la requête.
    • En cas d’opposition formulée contre l’ordonnance, ce sont les règles de droit commun qui s’appliqueront.
  • Le créancier peut solliciter les services d’un mandataire
    • Aucune limitation quant aux personnes susceptibles d’endosser la qualité de mandataire
      • Avocats
      • Huissiers
      • Notaire
      • Société de recouvrement
    • La preuve d’un mandat de représentation n’est pas exigée par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 27 juin 2002, n° 98-17.028)

2. La rédaction de la requête

La requête doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires et être assortie de documents justificatifs.

a. Les mentions obligatoires

Il ressort de l’article 1407 du CPC que la requête d’injonction de payer doit comporter deux sortes de mentions

  • Les mentions énoncées à l’article 1407 du CPC
  • Les mentions exigées aux articles 54 et 57 du CPC

?Les mentions énoncées à l’article 1407 du CPC

  • L’indication précise du montant de la somme réclamée
  • Le décompte des différents éléments de la créance, soit le détail
    • du principal
    • des intérêts légaux ou conventionnels
    • de la clause pénale
    • des frais de recouvrement antérieurs
    • des frais de dépôt de la requête si TC compétent
  • Le fondement de la créance, soit sa cause :
    • Créance née d’une obligation contractuelle
    • Créance née d’une obligation statutaire
    • Créance née de l’émission d’un effet de commerce
  • Le bordereau des documents justificatifs produits à l’appui de la requête.

?Les mentions énoncées aux articles 54 et 57 du CPC

  • Les mentions de l’article 54 du CPC
    • À peine de nullité, la demande initiale mentionne :
      • L’indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
      • L’objet de la demande ;
      • Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;
      • Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l’organe qui les représente légalement ;
      • Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier ;
      • Lorsqu’elle doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative.
  • Les mentions de l’article 57 du CPC
    • Elle contient, outre les mentions énoncées à l’article 54, également à peine de nullité :
      • Lorsqu’elle est formée par une seule partie, l’indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s’il s’agit d’une personne morale, de sa dénomination et de son siège social
      • Dans tous les cas, l’indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.
    • Elle est datée et signée.

b. Les documents justificatifs

L’article 1407 in fine prévoit que la requête « est accompagnée des documents justificatifs »

La Cour de cassation estime que cette exigence signifie qu’il incombe au créancier « de prouver la réalité et l’étendue de sa créance » (Cass. 2e civ., 23 oct. 1991, n° 90-15.529)

Ainsi, les documents produits par le créancier doivent justifier le bien-fondé de sa demande.

c. La présentation de la requête

  • La requête doit être adressée au greffe de la juridiction compétente
  • La requête doit être présentée en double exemplaire, conformément à l’article 494
  • La requête doit comporter l’indication précise des pièces invoquées

d. Absence d’exigence de tentative préalable de règlement amiable

La question s’est posée de savoir si le dépôt d’une requête en injonction de payer était subordonné à l’exigence de tentative de règlement amiable énoncée à l’article 750-1 du CPC.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage. »

Bien que la doctrine soit partagée sur cette question, la Direction des affaires civiles et du sceau a indiqué dans une note accompagnant l’adoption du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile[1] que lorsque la décision sollicitée devait être prise au terme d’une procédure non contractuelle, telle qu’une ordonnance sur requête ou une injonction de payer, cela constitue un motif légitime au sens du 3° de l’article 750-1 du CPC dispensant alors le requérant de justifier d’une tentative préalable de règlement amiable du litige porté devant la juridiction saisie.

3. La juridiction compétente

3.1. La compétence d’attribution

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice était censée réformer la procédure d’injonction de payer.

L’objectif affiché par le législateur était de renforcer l’efficacité et la rapidité du traitement des requêtes en injonction de payer. Selon l’étude d’impact, cette réforme visait également à faire des économies d’échelle.

À cette fin, deux mesures ont été envisagées par le législateur :

  • Centraliser au niveau national le traitement des requêtes en injonction de payer et des oppositions
  • Dématérialiser la procédure d’injonction de payer

Finalement, cette réforme, qui devait être mise en œuvre au plus tard le 1er septembre 2023, a été abandonnée.

Aussi, est-ce le dispositif prévu initialement par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 qui reste en vigueur.

Ce dispositif est énoncé à l’article 1406 du Code de procédure civile. Cette disposition prévoit que la demande est portée, selon le cas, devant le juge des contentieux de la protection ou devant le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce, dans la limite de la compétence d’attribution de ces juridictions :

  • Le Président du tribunal judiciaire (créance civile)
  • Le Juge des contentieux de la protection (créances portant sur des matières relevant de sa compétence)
  • Le Président du tribunal de commerce (créance commerciale)

3.2. La compétence territoriale

?Principe

Le lieu de résidence du débiteur (art. 1406, al. 2 CPC)

Il s’agit d’une règle d’ordre public (art. 1406, al.3) :

  • toute clause contraire est réputée non écrite (art. 1406, al.3)
  • le juge doit relever d’office son incompétence (art. 847-5 CPC)

Lorsqu’il s’agit d’une personne morale la théorie des gares principales est applicable (V. en ce sens Cass. 2e civ., 27 mai 1988, n° 86-19.606)

?Exception

En matière de créance née d’une charge de copropriété la juridiction compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble (art. 60 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967)

4. Frais de dépôt de la requête

?Principe

Le dépôt d’une requête d’injonction de payer n’est conditionné par le paiement d’aucuns frais.

?Exception

L’article 1425 du Code de procédure civile prévoit que « devant le tribunal de commerce, les frais de la procédure sont avancés par le demandeur et consignés au greffe au plus tard dans les quinze jours de la demande, faute de quoi celle-ci sera caduque. »

  • Frais de dépôt exigés devant le Tribunal de commerce
  • Frais doivent être consignés au greffe du TC au plus tard dans les 15 jours qui suivent le dépôt de la requête, faute de quoi la requête est caduque

B) La décision du juge

Trois sortes de décisions peuvent être rendues par le juge compétent pour connaître de la requête en injonction de payer :

  • Le juge peut accéder totalement à la requête d’injonction de payer
  • Le juge peut accéder partiellement à la requête d’injonction de payer
  • Le juge peut rejeter la requête d’injonction de payer

1. Admission totale ou partielle de la requête

  • Principe
    • S’il accède totalement ou partiellement à la requête du créancier, le magistrat rend une ordonnance portant injonction de payer
  • Contenu de l’ordonnance
    • Il n’est pas nécessaire pour le magistrat de motiver son ordonnance
    • À ce stade, la procédure demeure gracieuse
  • Mentions de l’ordonnance
    • Les noms du magistrat et du greffier
    • Leurs signatures
  • Apposition de la formule exécutoire
    • L’ordonnance faisant droit à la demande d’injonction de payer est revêtue de la formule exécutoire, ce qui permettra au requérant, à l’expiration du délai d’opposition, d’engager des mesures d’exécution forcée.
    • Il peut être observé qu’il s’agit là d’une nouveauté introduite par le décret n°2021-1322 du 11 octobre 2021.
    • Pour mémoire, sous l’empire du droit antérieur, l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance n’était pas immédiate.
    • Il appartenait au créancier de formuler une demande auprès du greffier en justifiant avoir, au préalable, signifié l’ordonnance au débiteur au plus tard dans le mois suivant l’expiration du délai d’opposition ou le désistement du débiteur, soit dans le délai de 2 mois à compter du jour de la signification de l’ordonnance portant injonction de payer.
    • Désormais, plus aucune démarche n’est exigée ; la formule exécutoire est immédiatement apposée sur l’ordonnance pris par le juge de l’injonction de payer.
  • Restitution des documents produits
    • Le juge doit restituer au demandeur les documents produits au soutien de la requête

2. Rejet de la requête

  • Principe
    • Le juge peut rejeter la requête sans avoir à motiver sa décision
  • Voies de recours
    • Le rejet de l’ordonnance n’ouvre aucune voie de recours au créancier
    • Le créancier n’a d’autre choix que d’engager une action sur le terrain du droit commun
  • Restitution de la requête
    • La requête déposée par le créancier lui est restituée avec tous les documents dont elle était assortie

C) La signification de l’ordonnance

?Principe

L’ordonnance d’injonction de payer doit être signifiée à l’initiative du créancier, à chacun des débiteurs, au débiteur (art. 1411 CPC).

?Délai de signification

La signification de l’ordonnance doit intervenir dans les 6 mois, sous peine de caducité (art. 1411, al. 3e CPC).

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 16 décembre 2010. Aux termes de cette décision, elle a, en effet, rappelé que « l’ordonnance portant injonction de payer est non avenue si elle n’a pas été notifiée dans les six mois de sa date » (Cass. 2e civ. 16 déc. 2010, n°10-10.809).

?Modalités de la signification

La signification doit être effectuée par un huissier de justice.

La signification porte sur :

  • D’une part, la copie certifiée conforme de la requête accompagnée du bordereau des documents justificatifs ;
  • D’autre part, l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire.

?Mentions de l’acte de signification

  • Les mentions prévues à l’article 648 CPC
    • La date
    • Si le requérant est une personne physique ses noms, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance
    • Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement.
    • Les noms, prénoms, demeure et signature de l’huissier de justice ;
    • Les noms et domicile du destinataire
    • S’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social.
  • Les mentions prévues à l’article 1413 CPC
    • À peine de nullité, l’acte de signification de l’ordonnance portant injonction de payer contient, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice, sommation d’avoir :
      • soit à payer au créancier le montant de la somme fixée par l’ordonnance ainsi que les intérêts et frais de greffe dont le montant est précisé ;
      • soit, si le débiteur a à faire valoir des moyens de défense, à former opposition, celle-ci ayant pour effet de saisir le tribunal de la demande initiale du créancier et de l’ensemble du litige.
    • L’acte de signification doit également, sous la même sanction :
      • D’une part, Indiquer de manière très apparente
        • Le délai dans lequel l’opposition doit être formée
        • Le tribunal devant lequel elle doit être portée
        • Les modalités selon lesquelles ce recours peut être exercé ;
      • D’autre part, avertir le débiteur qu’à défaut d’opposition dans le délai indiqué il ne pourra plus exercer aucun recours et pourra être contraint par toutes voies de droit de payer les sommes réclamées.

?Mise à disposition des documents justificatifs

  • Principe
    • L’article 1411 du CPC prévoit que l’huissier de justice doit mettre à disposition du débiteur les documents justificatifs (ceux produits au soutien de la requête) par voie électronique selon des modalités définies par l’arrêté du 24 février 2022.
    • Cet arrêté prévoit notamment que la mise à disposition des documents justificatifs est effectuée au moyen d’une plate-forme de services de communication électronique sécurisée dénommée « Mes Pièces » (www.mespieces.fr), mise en œuvre sous la responsabilité de la Chambre nationale des commissaires de justice, et intégrée au réseau privé sécurisé huissiers (RPSH).
    • Ce système doit garantir la fiabilité de l’identification des accédants à la plateforme, la confidentialité et l’intégrité des documents déposés, la journalisation des transmissions et consultations opérées et l’établissement de manière certaine de la date de consultation.
    • La consultation des documents déposés doit être gratuite.
    • Par ailleurs, le format des documents ne doit pas occasionner, pour le destinataire, un effort déraisonnable de consultation.
    • La durée de mise à disposition des documents est de 18 mois à compter de leur dépôt sur la plate-forme. L’huissier de justice s’assure que les pièces demeurent disponibles au minimum un mois après la signification faite en application de l’article 1411 du code de procédure civile.
    • Le système permet à l’huissier de justice de prolonger la durée de la mise à disposition pour respecter le délai d’un mois fixé à l’alinéa précédent.
    • À l’expiration de cette mise à disposition, les documents sont automatiquement supprimés.
    • Enfin, toute opération de dépôt sur la plateforme et de consultation doit faire l’objet d’une journalisation comportant l’identité de son auteur et l’objet de l’opération.
  • Exception
    • L’article 1411, al. 2e du CPC précise que si les documents justificatifs ne peuvent être mis à disposition par voie électronique pour une cause étrangère à l’huissier de justice, celui-ci les joint à la copie de la requête signifiée.

?Effets de la signification

  • Information du débiteur de l’existence d’une procédure en injonction engagée contre lui par le créancier
  • La signification de l’ordonnance d’injonction de payer s’apparente à une véritable citation en justice
    • Il appartient au débiteur de former opposition afin d’engager une procédure contradictoire
    • S’il ne le fait pas, il reconnaît le bien-fondé de la requête
  • La signification marque le point de départ du délai de recours ouvert au débiteur pour former opposition
  • La signification, en raison de son assimilation à une demande en justice, a pour effet d’interrompre la prescription de la créance
    • L’ordonnance non signifiée ne produit aucun effet interruptif

D) Les effets de l’ordonnance

?Effets d’un titre exécutoire

Depuis l’entrée en vigueur du décret n°2021-1322 du 11 octobre 2021, l’ordonnance portant injonction de payer est immédiatement revêtue de la formule exécutoire.

Est-ce à dire qu’elle peut donner lieu à la mise en œuvre de mesures d’exécution après avoir été dûment signifiée ?

Il n’en est rien. Comme énoncé par l’article 1422, al. 2e du CPC l’ordonnance ne constitue un titre exécutoire et ne produit les effets d’un tel titre ou d’une décision de justice qu’à l’expiration des causes suspensives d’exécution, soit à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de sa signification, lequel n’est autre que le délai pour former opposition.

Le texte précise que « quelles que soient les modalités de la signification, le délai d’opposition […] est suspensif d’exécution.

Aussi, tant que le délai d’opposition n’a pas expiré, aucune mesure d’exécution forcée ne peut être entreprise par le créancier.

L’article 1422 ajoute qu’il en va de même en cas d’opposition formée par le débiteur.

L’opposition formée par le débiteur suspend, en effet, toutes les mesures d’exécution qui auraient été engagées sur le fondement de l’ordonnance portant injonction de payer.

Compte tenu de ce que l’ordonnance portant injonction de payer ne produit les effets d’un titre exécutoire qu’à l’expiration du délai d’opposition, le Commissaire de justice saisi aux fins d’exécuter cette ordonnance devra, préalablement à l’accomplissement de toute mesure d’exécution forcée, s’assurer qu’aucune opposition n’a été formée par le débiteur.

Pour ce faire, il lui faudra solliciter du greffe la délivrance d’un certificat de non-opposition.

?Effets d’un jugement contradictoire

Il s’infère de l’article 1422, al. 2e du CPC que l’ordonnance portant injonction de payer n’est pourvue de l’autorité de la chose jugée qu’à l’expiration du délai d’opposition.

Il en résulte que tant que ce délai n’a pas expiré, il peut être fait droit en justice à des demandes qui tendraient à remettre en cause ce qui a été tranché par l’ordonnance.

À l’expiration, en revanche du délai d’opposition, l’ordonnance portant d’injonction de payer produit tous les effets d’un jugement contradictoire.

Dans un arrêt du 1er février 2018, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’autorité de chose jugée attachée à l’ordonnance portant injonction de payer faisait obstacle aux demandes relatives à la résolution de conventions conclues entre les parties pour inexécution par [le créancier] de ses obligations et à la restitution des sommes versées en exécution de l’ordonnance » (Cass. 2e civ. 1er févr. 2018, n°17-10.849).

Il peut, par ailleurs, être observé que, tant qu’elle ne produit pas les effets d’un jugement contradictoire, l’ordonnance portant d’injonction de payer ne saurait fonder l’adoption de mesures conservatoires.

Dans un arrêt du 13 septembre 2007, la Cour de cassation a ainsi affirmé « qu’une ordonnance portant injonction de payer n’est une décision de justice, au sens de l’article 68 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, qu’en l’absence d’opposition dans le mois de sa signification » (Cass. 2e civ. 13 sept. 2007, n°06-14.730).

?Voie de recours

Dès lors que l’ordonnance portant injonction de payer produit les effets d’un jugement contradictoire, l’article 1422, al. 2e du CPC dit qu’« elle n’est pas susceptible d’appel même si elle accorde des délais de paiement. »

Autrement dit, à l’expiration du délai d’opposition, l’ordonnance ne peut plus être remise en cause par le débiteur, puisqu’acquérant force exécutoire.

E) L’opposition

1. Les modalités de l’opposition

En application de l’article 1415 du CPC l’opposition doit être portée, selon le cas, devant la juridiction dont le juge ou le président a rendu l’ordonnance portant injonction de payer.

Le tribunal saisi statue alors sur la demande en recouvrement. Il connaît, dans les limites de sa compétence d’attribution, de la demande initiale et de toutes les demandes incidentes et défenses au fond. (art. 1417 CPC).

?Délai de l’opposition

  • Quantum du délai
    • Un mois
  • Point de départ
    • Si l’ordonnance d’injonction de payer a été signifiée à personne le délai court à compter de ladite signification
    • Si l’ordonnance d’injonction de payer n’a pas été signifiée à personne l’opposition est recevable
      • jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant le premier acte signifié à personne
      • ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.
        • La mesure d’exécution doit avoir été fructueuse, sauf si procès-verbal de carence signifié à personne au débiteur
        • À défaut, le délai ne court pas

?Sanction

En application de l’article 122 du CPC, le non-respect du délai pour former opposition constitue une fin de non-recevoir que le magistrat doit relever d’office.

Dans un arrêt du 21 septembre 2000, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le tribunal qui déclare irrecevable l’opposition formée contre une ordonnance portant injonction de payer excède ses pouvoirs en statuant au fond sur le recouvrement de la créance » (Cass. 2e civ. 21 sept. 2000, n°99-10.493).

?Forme de l’opposition

En application de l’article 1415 du CPC, l’opposition doit être portée, selon le cas, devant la juridiction dont le juge ou le président a rendu l’ordonnance portant injonction de payer.

Pratiquement, elle doit être formée au greffe, soit par déclaration contre récépissé, soit par lettre recommandée.

L’opposition peut être formée par le débiteur ou par un mandataire, étant précisé que si ce dernier n’est pas avocat, il doit justifier d’un pouvoir spécial.

L’opposition doit, à peine de nullité, mentionner l’adresse du débiteur.

Elle n’a pas, en revanche, à être motivée. Dans un arrêt du 14 janvier 1987, la Cour de cassation a ainsi affirmé que « l’opposition à injonction de payer n’ayant pas à être motivée, les énonciations qu’elle comporte, même si elles concernent le fond du litige, ne font pas obstacle à la recevabilité des exceptions devant le tribunal » (Cass. 2e civ. 14 janv. 1987, n°84-17.466).

2. Les effets de l’opposition

L’opposition a pour effet de transformer une procédure sur requête, donc unilatérale, en procédure contradictoire de droit commun.

Il en résulte plusieurs conséquences :

  • Suspension de la force exécutoire de l’ordonnance portant injonction de payer
  • Suspension des mesures d’exécution déjà engagées jusqu’à ce qu’une décision au fond soit rendue :
    • Dans l’hypothèse où une saisie-attribution a déjà été diligentée, l’opposition n’entraîne pas la mainlevée de la saisie.
    • Les fonds saisis demeurent indisponibles pendant toute la durée de la procédure (Cass., avis, 8 mars 1996, n°09-60.001)
  • Le créancier doit consigner, sous 15 jours, les frais d’opposition dans l’hypothèse où le litige relève de la compétence des juridictions commerciales
    • Le défaut de consignation est sanctionné par la caducité de la demande formée initialement
  • Admission des demandes incidentes (additionnelles ou reconventionnelles), en raison du caractère contradictoire de la nouvelle procédure

Il peut être observé que, en cas de pluralité de débiteur, l’opposition ne produit d’effets qu’à l’égard de son seul auteur.

À l’égard des autres codébiteurs, sauf à ce qu’ils forment à leur tour opposition dans le délai légal, l’ordonnance portant injonction de payer produira les effets d’un jugement contradictoire (Cass. 2e civ. 16 mai 2019, n°18-17.097).

Il en résulte que la juridiction à laquelle l’affaire est renvoyée ne sera saisie que sur le seul fondement de la requête initiale présentée contre l’auteur de l’opposition.

F) L’instance de droit commun

Dans l’hypothèse où la partie contre laquelle l’ordonnance d’injonction de payer est rendue forme opposition, la procédure devient contradictoire et est assujettie aux règles de droit commun.

L’article 1417 du CPC prévoit en ce sens que, consécutivement à l’opposition formée par le débiteur, le tribunal statue sur la demande en recouvrement.

Il connaît alors, dans les limites de sa compétence d’attribution, de la demande initiale et de toutes les demandes incidentes et défenses au fond.

En cas de décision d’incompétence, ou si le créancier en a expressément fait la demande dans sa requête en injonction de payer, l’affaire est renvoyée devant la juridiction compétente selon les règles prévues à l’article 82 du CPC.

En tout état de cause, lors du retour à la procédure contentieuse de droit commun, plusieurs phases doivent être distinguées.

1. La convocation des parties

?La convocation du débiteur

  • Le rôle du greffe
    • La bascule entre la procédure d’injonction de payer et la procédure ordinaire au fond est assurée par le greffe du Tribunal saisi.
    • C’est à lui qu’il revient de convoquer les parties.
    • L’article 1418 du CPC prévoit en ce sens que devant le tribunal judiciaire dans les matières visées à l’article 817, le juge des contentieux de la protection et le tribunal de commerce, le greffier convoque les parties à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.
  • Les destinataires de la convocation
    • La convocation est adressée à toutes les parties, même à celles qui n’ont pas formé opposition.
    • La précision est ici d’importance : ce n’est pas seulement le débiteur qui a formé opposition qui est convoqué, ce sont tous ceux contre lesquels l’ordonnance d’injonction de payer a été rendue.
    • L’objectif est ici de rendre contradictoire la procédure pour tous.
  • Le contenu de la convocation
    • La convocation contient :
      • Sa date ;
      • L’indication de la juridiction devant laquelle l’opposition est portée ;
      • L’indication de la date de l’audience à laquelle les parties sont convoquées ;
      • Les conditions dans lesquelles les parties peuvent se faire assister ou représenter.
      • La convocation adressée au défendeur précise en outre que, faute de comparaître, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.
    • Ces mentions sont prescrites à peine de nullité.

?La notification de l’opposition au créancier

L’article 1418 du CPC prévoit que le greffe adresse au créancier, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie de la déclaration d’opposition.

Cette notification est régulièrement faite à l’adresse indiquée par le créancier lors du dépôt de la requête en injonction de payer.

En cas de retour au greffe de l’avis de réception non signé, la date de notification est, à l’égard du destinataire, celle de la première présentation. La notification est alors réputée faite à domicile ou à résidence.

2. La constitution d’avocat

La constitution d’avocat par les parties s’opère en deux temps :

  • Premier temps : la constitution d’avocat par le créancier
    • L’article 1418 du CPC prévoit qu’il doit constituer avocat dans un délai de quinze jours à compter de la notification.
  • Second temps : la constitution d’avocat par le débiteur
    • Dès qu’il est constitué, l’avocat du créancier en informe le débiteur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, lui indiquant qu’il est tenu de constituer avocat dans un délai de quinze jours.

Une copie des actes de constitution est remise au greffe.

3. Le déroulement de l’instance

?Règles applicables

L’article 1418 du CPC rappelle que devant le tribunal judiciaire dans les autres matières, l’affaire est instruite et jugée selon la procédure écrite ordinaire

Ainsi, c’est le droit commun qui s’applique à la procédure d’injonction de payer prise dans sa phase contradictoire.

?Sur la charge de la preuve

Bien que l’instance sur opposition soit provoquée par le débiteur contre lequel l’ordonnance d’injonction de payer a été rendue, c’est le créancier qui est réputé être en demande.

Dans ces conditions, c’est sur lui que pèse la charge de la preuve.

Cette règle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation qui considère « qu’il appartient au créancier, défendeur à l’opposition, mais demandeur à l’injonction de payer, de prouver la réalité et l’étendue de sa créance » (Cass. 2e civ. 11 mai 2006, n°05-10.280).

?Sur le défaut de comparution

L’article 1419 du CPC prévoit que le défaut de comparution des parties est sanctionné par l’extinction de l’instance.

Le Code de procédure civile distingue alors deux hypothèses, s’agissant de la caractérisation du défaut de comparution

  • Première hypothèse
    • Devant le tribunal judiciaire dans les matières visées à l’article 817 (lorsque dispense des parties de constituer avocat), le juge des contentieux de la protection et le tribunal de commerce, la juridiction constate l’extinction de l’instance si aucune des parties ne comparaît.
  • Seconde hypothèse
    • Devant le tribunal judiciaire, lorsque la constitution d’avocat est obligatoire, le président constate l’extinction de l’instance si le créancier ne constitue pas avocat dans le délai prévu à l’article 1418 (15 jours)

En tout état de cause, l’article 1419 du CPC prévoit que l’extinction de l’instance rend non avenue l’ordonnance portant injonction de payer.

4. Le jugement sur opposition

L’article 1420 du CPC prévoit que le jugement du tribunal se substitue à l’ordonnance portant injonction de payer.

Il en résulte que le jugement n’a pas vocation à confirmer ou infirmer l’ordonnance.

Aussi, dans l’hypothèse où l’opposition serait déclarée irrecevable, le jugement n’emportera pas survie des effets de l’ordonnance (V. en ce sens Cass. 2e civ. 12 mars 2013, n°12-15.513).

Dans un arrêt rendu en date du 12 mai 2016, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’ordonnance est anéantie dès l’accomplissement de l’acte d’opposition (Cass. 1ère civ. 12 mai 2016, n°15-12.392).

Aussi, les seuls effets qui ont vocation à régler la situation des parties sont ceux produits par le jugement.

À l’examen, le Tribunal qui statue sur l’opposition dispose de deux options :

  • Soit il déboute le créancier de sa demande
  • Soit il condamne le débiteur au paiement de la somme réclamée

Dans ce second cas, le titre exécutoire qui fondera les poursuites du créancier contre le débiteur sera donc le jugement et non l’ordonnance à laquelle il s’est substitué.

Il ne sera dès lors plus nécessaire pour le créancier de réclamer l’apposition de la formule exécutoire sur l’ordonnance.

Le jugement rendu sur opposition est indépendant de l’ordonnance : il produit ses propres effets.

5. Voies de recours

Dans la mesure où le jugement rendu sur opposition se substitue à l’ordonnance d’injonction de payer il est susceptible de faire l’objet de voies de recours dans les conditions du droit commun.

L’article 1421 du CPC dispose en ce sens que le tribunal statue à charge d’appel lorsque le montant de la demande excède le taux de sa compétence en dernier ressort.

Cela signifie que la voie de l’appel ne sera ouverte que dans l’hypothèse où la demande initiale ou une demande incidente excède le taux du dernier ressort de la juridiction saisie.

A l’inverse, lorsqu’aucune demande n’excède le taux du dernier ressort, le jugement sera insusceptible d’appel.

  1. Direction des affaires civiles et du sceau – Décembre 2019 – 3/10 : https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/migrations/portail/art_pix/PC_Decret_2019-1333_Presentation_principales_modif.pdf ?