De la distinction entre les exceptions de procédures, les fins de non-recevoir et les défenses au fond

Pour faire échec aux prétentions du requérant, la partie adverse peut, pour assurer sa défense, soutenir trois sortes de moyens qui consisteront à faire déclarer la demande :

  • Soit irrégulière
  • Soit irrecevable
  • Soit mal-fondée

S’agissant de la demande irrégulière, il s’agit de celle qui tombe sous le coup d’une exception de procédure, soit d’une irrégularité qui procède, par exemple, de l’incompétence du Juge ou encore de la nullité d’un acte.

S’agissant de la demande irrecevable, il s’agit de celle qui tombe sous le coup d’une fin de non-recevoir, soit d’une règle qui prive le demandeur du droit d’agir.

S’agissant de la demande mal-fondée, il s’agit de celle n’est pas justifiée en droit et/ou en fait, de sorte que le Juge, après examen du fond de cette demande, ne peut pas l’accueillir favorablement

Lorsque les moyens ci-dessus énoncés sont soulevés alternativement ou cumulativement dans des conclusions en défense, ils doivent être exposés dans un ordre déterminé par le Code de procédure civile.

Plus précisément, il ressort des textes que doivent être distingués les moyens devant être soulevées avant toute défense au fond (in limine litis), de ceux qui peuvent être soulevés en tout état de cause.

§1 : Les moyens de défense devant être soulevés in limine litis

I) Règles communes

Les moyens de défense devant être soulevés in limine litis, soit avant toute défense au fond, sont ce que l’on appelle les exceptions de procédure.

L’article 73 du CPC définit l’exception de procédure comme « tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. »

Il ressort de cette définition que l’exception de procédure se distingue très nettement de la défense au fond et des fins de non-recevoir.

A) Exception de procédure, défense au fond et fin de non-recevoir

L’exception de procédure s’oppose à la défense au fond car elle ne repose pas sur une contestation du bien-fondé de la prétention du demandeur, mais porte uniquement sur la procédure dont elle a pour objet de paralyser le cours.

L’exception de procédure se distingue également de la fin de non-recevoir, en ce qu’elle est constitutive d’une irrégularité qui concerne le fond ou la forme des actes de procédure ; elle affecte la validité de la procédure, alors que la fin de non-recevoir est une irrégularité qui touche au droit d’agir et atteint l’action elle-même : « est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir » (articles 32 et 122 du CPC).

B) Liste des exceptions de procédure

Au nombre des exceptions de procédure figurent :

  • Les exceptions d’incompétence
  • Les exceptions de litispendance et de connexité
  • Les exceptions dilatoires
  • Les exceptions de nullité

Cette liste est-elle limitative ? Selon certains auteurs, comme Serge Guinchard ou Isabelle Pétel-Teyssié, la définition de l’article 73 du CPC permet de concevoir d’autres exceptions, dès lors qu’elles tendent à la finalité énoncée par cet article.

Cette opinion a été illustrée par la jurisprudence qui a qualifié d’exception de procédure la règle « le criminel tient le civil en l’état » (Cass. 1ère civ., 28 avril 1982, n°80-16.546) en précisant que l’exception était de la nature de celle visée à l’article 108 du CPC, c’est-à-dire une exception dilatoire ou encore l’incident tendant à faire constater la caducité du jugement par application de l’article 478 du CPC procédure civile (Cass. 2e civ., 22 nov. 2001, n°99-17.875) ou l’incident de péremption (Cass. 2e civ., 31 janv. 1996, n°93-11.246).

Quant au régime juridique des exceptions de procédure, il obéit à des règles strictes fixées par l’article 74 du CPC : « les exceptions doivent être invoquées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir » et la deuxième chambre civile, le 8 juillet 2004, puis le 14 avril 2005 a précisé, montrant la rigueur de ces dispositions, qu’une partie n’était pas recevable à soulever une exception de procédure après une fin de non-recevoir, peu important que les incidents aient été présentés dans les mêmes conclusions.

C) Spécificité des exceptions de procédure : la présentation in limine litis

Pour qu’une exception de procédure prospère, l’article 74 du CPC prévoit qu’elle doit, à peine d’irrecevabilité, être soulevée simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Cette disposition précise qu’il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public (V. en ce sens Cass. soc., 5 janv. 1995, n° 92-19.823).

Il s’infère de l’article 74 du CPC que les exceptions de procédure ne peuvent donc pas être soulevées n’importe quand. Plusieurs règles doivent être observées par les parties.

1. Avant toute défense au fond

🡺Principe

Il est de principe que les exceptions de procédure doivent être soulevées in limine litis, soit avant toute défense au fond.

Pour mémoire, par défense au fond il faut entendre, selon l’article 71 du CPC, « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire. »

Dès lors que l’exception de procédure est soulevée après la prise de conclusions exposant les prétentions, fussent-elles banales et de pure forme, ou l’exercice d’un recours, elle est irrecevable.

Ainsi, il a par exemple été jugé que le fait de s’en rapporter à justice constitue une défense au fond, interdisant ensuite de soulever une exception d’incompétence (Cass. 2e civ., 7 juin 2007, n°06-15.920).

Cette règle est applicable devant toutes les juridictions, y compris devant la Cour d’appel.

S’agissant spécifiquement de la procédure applicable devant le Tribunal de grande, l’article 771 du CPC prévoit que les exceptions de procédure ne peuvent être soulevées que devant le Juge de la mise en état seul compétent pour statuer sur ces dernières.

Les parties ne sont donc plus recevables à soulever ces exceptions ultérieurement.

Dans un arrêt du 12 mai 2016, la Cour de cassation a précisé que le conseiller de la mise en état n’est saisi des demandes relevant de sa compétence que par les conclusions qui lui sont spécialement adressées (Cass. 2e civ.,12 mai 2016, n° 14-25.054).

En application, d’ailleurs, de l’article 775 du CPC « si les ordonnances du juge de la mise en état n’ont pas au principal autorité de la chose jugée, il est fait exception pour celles statuant sur les exceptions de procédure et sur les incidents mettant fin à l’instance ».

🡺Tempérament

Nonobstant la prise de conclusions au fond, il est admis que le plaideur puisse soulever, par la suite, une exception de procédure en cas de formulation d’une demande incidente par la partie adverse.

Peu importe la nature de la demande incidente (reconventionnelle, additionnelle ou en intervention), la partie contre qui cette demande est formulée peut, en réponse, opposer une exception d’incompétence en réponse.

2. Simultanéité

L’article 74 prévoit expressément que, pour être recevable, les exceptions de procédure doivent être soulevées simultanément

Cette règle a été posée afin d’éviter qu’un plaideur ne se livre à des manœuvres dilatoires, en étirant dans le temps, pour faire durer la procédure, l’invocation des exceptions de procédure.

Il en résulte un certain nombre de points de vigilances pour les plaideurs, tant en matière de procédure écrite, qu’en matière de procédure orale.

  • En matière de procédure écrite
    • Obligation est faite aux parties de soulever toutes les exceptions de procédures en même temps, ce qui implique qu’elles doivent figurer dans le même jeu de conclusions.
    • À cet égard, si la Cour de cassation admet que les exceptions de procédure puissent être présentées dans les mêmes écritures, elles doivent être formellement abordées par le plaideur avant l’exposé des défenses au fond.
    • Ajouté à cette exigence, les exceptions de procédure doivent être soulevées avant l’exposé d’une fin de non-recevoir, fût-ce à titre subsidiaire.
  • En matière de procédure orale
    • Les exceptions de procédure doivent être soulevées avant l’ouverture des débats.
    • La question s’est longtemps posée de savoir si la prise de conclusions au fond avant l’audience des plaidoiries ne rendait pas irrecevable les exceptions de procédure qui seraient soulevées pour la première fois le jour de l’audience.
    • Dans un arrêt du 6 mai 1999, la Cour de cassation a répondu positivement à cette question estimant qu’il était indifférent que la procédure soit orale : dès lors que des défenses au fond sont présentées par une partie, cela fait obstacle à l’invocation d’exceptions de procédure (Cass. 2e civ., 6 mai 1999, n°96-22.143).
    • Fortement critiquée par la doctrine, la Cour de cassation est revenue sur sa position dans un arrêt du 16 octobre 2003 considérant au visa de l’article 74 du CPC que « les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ; que, devant le tribunal de commerce, la procédure étant orale, les prétentions des parties peuvent être formulées au cours de l’audience et qu’il en est notamment ainsi des exceptions de procédure » (Cass. 2e civ., 16 oct. 2003, n°01-13.036).
    • Peu importe désormais que des conclusions au fond aient été prises avant l’audience des plaidoiries : les exceptions de procédure peuvent être soulevées, en tout état de cause, le jour de l’audience.
    • Seul l’ordre de présentation oral doit donc être considéré et il suffit, par conséquent, que l’exception de procédure soit exposée verbalement à l’audience, in limine litis, lors des plaidoiries, avant les autres explications orales touchant au fond de l’affaire, pour être recevable.
    • Selon les mêmes principes, un tribunal de commerce ne saurait relever d’office – qui plus est sans observer le principe de la contradiction et inviter les parties à présenter leurs observations – l’irrecevabilité d’une exception d’incompétence en se déterminant d’après la seule chronologie des conclusions du défendeur contenant ses différents moyens de défense, alors même que celui-ci aurait soulevé l’exception d’incompétence après une défense au fond exprimée dans des conclusions antérieures écrites (Cass. 2e civ., 20 nov. 2003, n°02-11.272).
    • C’est donc bien uniquement au jour des plaidoiries qu’il convient de se placer pour apprécier l’ordre des moyens de défense présentés par un plaideur et que doit, en particulier, être examinée l’antériorité de l’exception d’incompétence par rapport aux autres moyens.
    • Dans un arrêt du 22 juin 2017, la Cour de cassation est néanmoins venue apporter un tempérament à sa position en considérant, s’agissant de la procédure applicable devant le Tribunal de commerce que lorsque le juge a organisé les échanges écrits entre les parties conformément au dispositif de mise en état de la procédure orale prévu par l’article 446-2 du code de procédure civile, la date de leurs prétentions et moyens régulièrement présentés par écrit est celle de leur communication entre elles dès lors qu’un calendrier de mise en état a été élaboré par le juge (Cass. 2e civ., 22 juin 2017, n° 16-17.118).
    • En cas de calendrier fixé par le Juge, dans le cadre d’une procédure orale, la date de l’exposé des moyens et des prétentions qui doit être prise en compte est celle de leur communication entre parties et non celle de l’audience

3. Succession de procédures

Quid lorsque l’exception de procédure est soulevée pour la première fois, consécutivement à une procédure de référé, une tentative de conciliation ou encore dans le cadre d’un appel ou d’un pourvoi en cassation ?

🡺L’exception de procédure consécutivement à une procédure de référé

Il est de jurisprudence constante que les exceptions de procédure peuvent être soulevées dans le cadre d’une procédure de référé, alors même qu’elles n’auraient pas été préalablement présentées dans le cadre d’une instance en référé.

La raison en est que les deux procédures sont distinctes : tandis que le juge des référés statue au provisoire, le juge saisi du fond du litige statue au principal.

Dans un arrêt du 29 mai 1991, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’instance de référé étant distincte de l’instance au fond, la cour d’appel a justement retenu que le fait par une partie de ne pas invoquer une clause attributive de compétence dans le cadre d’une instance de référé ne manifestait pas la volonté non équivoque de cette partie de renoncer à s’en prévaloir dans le cadre d’une instance ultérieure au fond, quand bien même les deux instances concerneraient le même litige » (Cass. com. 28 mai 1991, n°89-19.683).

🡺L’exception de procédure consécutivement à une tentative de conciliation

  • Principe
    • En matière de conciliation, la solution retenue par la Cour de cassation est identique à celle adoptée pour la procédure de référé.
    • En effet, l’invocation, pour la première fois, d’une exception de procédure postérieurement à la tentative de conciliation n’est pas frappée d’irrecevabilité, alors même que des défenses au fond auraient été présentées dans le cadre de cette dernière procédure (Cass. soc., 22 janv. 1975, n°74-40.133).
    • Il importe peu que la tentative de conciliation ait ou non été obligatoire ; en tout état de cause elle ne fait pas obstacle à la présentation d’une exception de procédure.
  • Exception
    • En matière de divorce, les exceptions de procédure doivent être dès l’audience de conciliation, faute de quoi elles deviennent irrecevables dans le cadre de l’instance en divorce
    • L’article 1073 du CPC prévoit en ce sens que « le juge aux affaires familiales est, le cas échéant, juge de la mise en état. »
    • Dans la mesure où le juge de la mise en état possède une compétence exclusive pour statuer sur les exceptions de procédure, il est certain que le juge aux affaires familiales dispose des mêmes pouvoirs

🡺L’exception de procédure soulevée dans le cadre d’un appel

  • Principe
    • Lorsqu’une exception de procédure est soulevée pour la première fois en appel elle est, par principe, irrecevable, dans la mesure où, par hypothèse, des défenses au fond ont été présentées en première instance.
    • La condition tenant à l’invocation à titre in limine litis des exceptions de procédure n’est donc pas remplie (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 14 avr. 2010, n°09-12.477).
    • Cette solution s’applique quand bien même c’est la compétence d’une juridiction étrangère qui serait revendiquée.
  • Exception
    • Il est de jurisprudence constante que, par dérogation, une exception d’incompétence peut être soulevée pour la première fois en appel, dès lors qu’elle est soulevée avant toute défense au fond, ce qui sera le cas lorsque le défendeur n’a pas comparu en première instance.
    • La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 25 novembre 1981 qu’il n’était pas nécessaire que l’exception d’incompétence figure dans la déclaration d’appel
    • Elle peut valablement être soulevée dans des conclusions postérieures (Cass. 2e civ., 25 nov. 1981, n°80-11.378)

🡺L’exception de procédure soulevée dans le cadre d’un pourvoi en cassation

À l’instar de la procédure d’appel, la Cour de cassation considère que les exceptions de procédure ne peuvent pas être soulevées pour la première fois dans le cadre d’un pourvoi en cassation (Cass. 1ère civ., 28 févr. 2006, n° 03-21.048).

La règle posée à l’article 74 du CPC est d’interprétation stricte de sorte que dès lors que des défenses au fond ont été soulevées en première instance ou en appel par le plaideur, il lui est défendu d’exciper des exceptions de procédure devant la haute juridiction, quand bien même l’exception soulevée serait d’ordre public (Cass., ass. plén., 26 mai 1967, n°63-12.709).

II) Règles propres à chaque exception de procédure

A) L’exception d’incompétence

L’exception d’incompétence est régie par les articles 75 à 91 du Code de procédure civile. Le moyen tiré de l’incompétence consiste à contester à la juridiction saisie :

  • Soit sa compétence matérielle
  • Soit sa compétence territoriale

1. Incompétence et défaut de pouvoir

L’incompétence ne doit pas être confondue avec le défaut de pouvoir du Juge.

  • Une juridiction peut avoir été valablement saisie par une partie, sans pour autant être investie du pouvoir de trancher le litige.
    • Tel sera le cas du Juge des référés qui, nonobstant les règles qui régissent sa compétence matérielle et territoriale, ne dispose pas du pouvoir de statuer au principal
    • Tel sera encore le cas du Juge-commissaire dont le pouvoir est limité à la vérification des créances, de sorte qu’il lui est interdit de statuer sur leur validité
  • Une Juridiction peut, à l’inverse, être pleinement investie du pouvoir de trancher une question qui lui est soumise, sans pour autant être matériellement ou territorialement compétente pour statuer.
    • Tel sera le cas du Tribunal judiciaire qui dispose du pouvoir de statuer au principal tout en étant incompétent pour se prononcer sur un litige de nature commerciale
    • Il en va de même pour le Tribunal de commerce de Paris qui dispose du pouvoir de statuer sur l’ouverture d’une procédure collective, mais qui n’est pas compétent pour se prononcer sur une procédure de redressement judiciaire ouverte à l’encontre d’un débiteur dont le siège social est situé à Marseille

Tandis que l’incompétence relève de la catégorie des exceptions de procédure, et qui donc ne peut être soulevée qu’in limine litis, le défaut de pouvoir est constitutif d’une fin de non-recevoir et peut, dès lors, être soulevée en tout état de cause.

2. Le déclinatoire d’incompétence

L’article 75 du CPC dispose que s’il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d’irrecevabilité

  • D’une part, la motiver, soit exposer les raisons en fait et en droit qui fonde l’incompétence excipée
  • D’autre part, désigner la juridiction compétence, faute de quoi l’incompétence soulevée est irrecevable

3. L’invocation de l’exception d’incompétence

Le Code de procédure civile distingue selon que l’incompétence de la juridiction est soulevée par une partie ou par le juge.

🡺L’incompétence soulevée par les parties

L’exception d’incompétence n’étant envisagée par le Code de procédure civile que comme un moyen de défense, le demandeur est irrecevable à contester la compétence de la juridiction qu’il a saisie (V. en ce sens Cass. 3e civ., 29 avr. 2002, n° 00-20.973).

🡺L’incompétence relevée par le Juge

Il ressort des articles 76 et 77 du Code de procédure civile qu’il convient de distinguer selon que le juge soulève d’office son incompétence matérielle ou territoriale

  • L’incompétence matérielle
    • Principe
      • L’article 76 du CPC prévoit que, sauf application de l’article 82-1, l’incompétence peut être prononcée d’office en cas de violation d’une règle de compétence d’attribution lorsque cette règle est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas.
      • Cette disposition précise que l’incompétence matérielle ne peut l’être qu’en ces cas.
      • Le pouvoir du juge de soulever d’office son incompétence matérielle reste une faculté, de sorte qu’il ne le fera que si les intérêts de l’une des parties sont menacés.
      • En cas d’inaction du juge ou des parties, la compétence de la juridiction saisie pourra donc être prorogée
    • Tempérament
      • L’alinéa 2 de l’article 76 du CPC ajoute que devant la cour d’appel et devant la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être relevée d’office que si l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française.
  • L’incompétence territoriale
    • Principe
      • Il ressort de l’article 76 du CPC que l’incompétence territoriale ne peut jamais être soulevée en matière contentieuse.
      • En matière gracieuse, en revanche, l’article 77 prévoit que le juge peut relever d’office son incompétence territoriale
      • Là encore, il ne s’agit que d’une simple faculté, de sorte que la compétence territoriale de la juridiction saisie peut être prorogée en cas d’inaction du juge ou des parties.
    • Exception
      • Le juge ne peut relever d’office son incompétence territoriale en matière contentieuse que dans les litiges relatifs à l’état des personnes, dans les cas où la loi attribue compétence exclusive à une autre juridiction ou si le défendeur ne comparaît pas.

🡺Cas particulier de l’exception de compétence au sein du Tribunal judiciaire

Animé par le souci de limiter les incidents d’instance, le législateur a, dans concomitamment à la fusion du Tribunal de grande instance et du Tribunal d’instance, introduit un article 82-1 dans le Code de procédure civile qui vise à régler les questions de compétence au sein du Tribunal judiciaire.

La création de nouvelle disposition est issue du rapport sur l’amélioration et la simplification de la procédure civile.qui comportait 30 propositions « pour une justice civile de première instance modernisée ».

Au nombre de ces propositions figurait celle appelant à « mettre fin aux exceptions d’incompétence et simplifier la gestion des fins de non-recevoir et des exceptions de nullité » (proposition n°18)

À cette fin il était notamment suggéré :

  • D’une part, dans l’attente de l’instauration du point d’entrée unique que pourrait constituer le tribunal judiciaire, de permettre au juge de trancher les exceptions d’incompétence territoriale et matérielle au sein du tribunal de grande instance, voire au sein du tribunal de grande instance et du tribunal d’instance
  • D’autre part, en cas de mise en place du Tribunal judiciaire, de permettre au juge de statuer sur les exceptions d’incompétence par simple mesure d’administration judiciaire, insusceptible de recours, puisque seule la compétence territoriale sera concernée, à l’instar des juridictions administratives.

Le tribunal judiciaire ayant finalement été créé, c’est la seconde option qui a été retenue par le législateur.

  • Principe : règlement de l’incident de compétence par l’adoption d’une mesure judiciaire
    • L’article 82-1 du CPC dispose en ce sens que « par dérogation aux dispositions de la présente sous-section, les questions de compétence au sein d’un tribunal judiciaire peuvent être réglées avant la première audience par mention au dossier, à la demande d’une partie ou d’office par le juge. »
    • Ainsi, lorsqu’un incident de compétence survient dans le cadre d’une instance pendante devant le Tribunal judiciaire et que la difficulté d’attribution est interne, celui-ci peut être réglé par l’adoption d’une mesure d’administration judiciaire.
    • La conséquence en est que, contrairement à un incident de compétence ordinaire, la mesure prise par le juge est insusceptible de voie de recours.
    • La difficulté de compétence peut être réglée
      • Soit à la demande des parties
      • Soit d’office par le juge
    • S’agissant de la difficulté de compétence en elle-même, elle peut concerner l’attribution de l’affaire au juge des contentieux de la protection, au juge de l’exécution, au Juge aux affaires familiale ou encore au Président de la juridiction.
  • Formalités
    • En ce que le règlement de l’incident de compétence interne au Tribunal judiciaire consiste en l’adoption d’une mesure d’administration judiciaire, la décision du juge se traduit, non pas par le prononcé d’une décision, mais par l’apposition d’une mention au dossier tenu par le greffe.
  • Notification
    • Les parties ou leurs avocats en sont avisés sans délai par tout moyen conférant date certaine.
  • Renvoi
    • Une fois le juge compétent (JCP, JEX, JAF etc.) désigné par le juge saisi à tort, le dossier de l’affaire est aussitôt transmis par le greffe au juge désigné.
  • Contestations
    • À l’examen, les parties sont susceptibles de contester la compétence du juge désigné à deux stades de la procédure
      • Contestation devant le juge désigné par le premier Juge saisi
        • La compétence du juge à qui l’affaire a été ainsi renvoyée peut être remise en cause par ce juge ou une partie dans un délai de trois mois.
        • Le délai pour contester la compétence du juge désigné est donc de trois mois, ce qui est un délai bien plus longtemps que le délai de droit commun pour interjeter appel d’une décision statuant sur un incident de compétence, lequel est de 15 jours à compter de la notification de la décision (art. 84 CPC).
        • En cas de contestation de la compétence du juge désigné, la procédure se déroule en deux temps
          • Premier temps : le juge, d’office ou à la demande d’une partie, renvoie l’affaire par simple mention au dossier au président du tribunal judiciaire.
          • Second temps : le président renvoie l’affaire, selon les mêmes modalités, au juge qu’il désigne, étant précisé que sa décision n’est pas susceptible de recours.
      • Contestation devant le Juge désigné par le Président du tribunal judiciaire
        • Lorsque l’affaire est renvoyée par le Président du tribunal judiciaire, la compétence du Juge désigné peut être contestée par les parties
        • En pareil cas, la décision se prononçant sur la compétence peut faire l’objet d’un appel dans les conditions prévues aux articles 83 à 91 du CPC.
        • Le délai pour interjeter appel est donc ici, non pas de trois mois, mais de 15 jours.

4. La décision du Juge

Lorsqu’une exception d’incompétence est caractérisée, le juge dispose de deux options :

  • Soit il admet l’exception d’incompétence
  • Soit il rejette l’exception d’incompétence

a. La décision admettant l’exception d’incompétence

Lorsque le juge initialement saisi se déclare incompétent, il convient de distinguer deux hypothèses :

  • Soit il invite seulement les parties à mieux se pourvoir
  • Soit il désigne la juridiction compétente

🡺Invitation à mieux se pourvoir

L’article 81 du CPC prévoit que « lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir. »

Dans ces hypothèses, la désignation de la juridiction compétente est donc prohibée puisque le juge n’a pas le pouvoir d’imposer sa compétence à ces juridictions.

Ainsi, le juge peut se contenter, dans le dispositif de son jugement, d’inviter les parties à saisir la juridiction compétente, sans pour autant la désigner. Il les invitera donc à « mieux se pourvoir ».

🡺Désignation de la juridiction compétente

Lorsque le litige relève de la compétence d’une juridiction autre que des juridictions répressives, administratives arbitrales ou étrangères, le juge qui se déclare incompétent a l’obligation, conformément à l’article 81 du CPC, de désigner la juridiction qu’il estime compétente.

Tel sera le cas lorsque le litige relèvera de la compétence des juridictions civiles ou commerciales.

Précision qui n’est pas sans importance, l’alinéa 2 in fine de l’article 81 du CPC prévoit que la désignation par le juge de la juridiction compétente « s’impose aux parties et au juge de renvoi ».

Cela signifie que, quand bien même le juge de renvoi s’estimerait incompétent, il n’a d’autre choix que de statuer le litige qui lui est soumis en suite d’une déclaration d’incompétence.

🡺Modalités du renvoi

L’article 82 du CPC prévoit que, en cas de renvoi devant une juridiction désignée, le dossier de l’affaire lui est transmis par le greffe, avec une copie de la décision de renvoi, à défaut d’appel dans le délai.

Dans un arrêt du 6 juillet 2000, la Cour de cassation a précisé que, en cas de carence du greffe, les dispositions de l’article 82 du CPC « ne dispensent pas les parties d’accomplir, s’il y a lieu, les diligences propres à éviter la péremption de l’instance » (Cass. 2e civ. 6 juill. 2000, n°98-17.893).

Lorsque le greffe accomplit sa tâche, dès réception du dossier, les parties sont invitées par tout moyen par le greffe de la juridiction désignée à poursuivre l’instance et, s’il y a lieu, à constituer avocat dans le délai d’un mois à compter de cet avis.

Lorsque devant la juridiction désignée les parties sont tenues de se faire représenter, l’affaire est d’office radiée si aucune d’elles n’a constitué avocat dans le mois de l’invitation qui leur a été faite en application de l’alinéa précédent.

🡺Effets de la déclaration d’incompétence

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le juge invite les parties à mieux se pourvoir
    • Dans cette hypothèse le juge est immédiatement dessaisi et l’instance est éteinte.
    • Il en résulte que les parties sont dans l’obligation :
      • Soit d’interjeter appel si elles entendent contester cette déclaration d’incompétence
      • Soit d’introduire une nouvelle instance devant la juridiction compétente qui
    • En toute hypothèse, il leur reviendra de déterminer la juridiction compétente qui, par hypothèse, n’a pas été désignée.
  • Le juge désigne la juridiction qu’il estime compétente
    • Dans cette hypothèse, il est dessaisi de l’affaire, sans pour autant qu’il en résulte une extinction de l’instance
    • En effet, l’instance a vocation à se poursuivre devant la juridiction désignée
    • Les parties sont donc dispensées d’accomplir des formalités de saisine, soit concrètement de faire délivrer une nouvelle assignation.
    • L’instance est suspendue tant que le délai pour interjeter appel de la déclaration d’appel n’a pas écoulé.
    • Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai que le dossier de l’affaire est transmis à la juridiction désignée.

En tout état de cause l’article 79 du CPC précise que « lorsqu’il ne se prononce pas sur le fond du litige, mais que la détermination de la compétence dépend d’une question de fond, le juge doit, dans le dispositif du jugement, statuer sur cette question de fond et sur la compétence par des dispositions distinctes ».

L’alinéa 2 précise que « sa décision a autorité de chose jugée sur cette question de fond ».

Il ressort de la règle ainsi posée que lorsque le juge est contraint, pour statuer sur sa compétence, de trancher une question de fond, sa décision aura autorité de la chose jugée sur cette question de fond.

Par exception, la décision rendue par le juge des référés ne sera jamais revêtue de cette autorité de la chose jugée. Et pour cause, celui-ci ne statue jamais au principal. Sa décision est toujours rendue au provisoire.

b. La décision rejetant l’exception d’incompétence

Lorsque le juge s’estime compétent, il dispose de deux options :

  • Soit il dissocie la question de sa compétence du reste de l’affaire
  • Soit il statue sur le tout dans un même jugement

🡺Le juge dissocie la question de sa compétence du reste de l’affaire

Dans cette hypothèse, le juge statuera en deux temps :

  • Première phase
    • Il statue sur sa compétence et corrélativement sursoit à statuer sur le fond
    • En application de l’article 80 du CPC, dans cette hypothèse l’instance est alors suspendue jusqu’à l’expiration du délai pour former appel et, en cas d’appel, jusqu’à ce que la cour d’appel ait rendu sa décision.
    • L’incident de compétence sera ainsi définitivement réglé avant que le juge ne se prononce sur le fond.
  • Seconde phase
    • Le juge statue sur le fond du litige, étant précisé que toutes les voies de recours seront épuisées contre la décision qui a préalablement tranché la question de la compétence
    • L’appel de cette décision ne pourra donc porter que sur le fond et non plus sur la compétence.

🡺Le juge statue sur le tout dans un même jugement

L’article 78 du CPC prévoit que le juge peut, dans un même jugement, mais par des dispositions distinctes, se déclarer compétent et statuer sur le fond du litige, après avoir, le cas échéant, mis préalablement les parties en demeure de conclure sur le fond.

Ainsi, la possibilité s’offre au juge de ne pas dissocier la question de la compétence du reste de l’affaire. Il optera notamment pour cette option lorsque l’incident de compétence n’est pas sérieux, à tout le moins ne soulève aucune difficulté.

Le juge est sûr de son fait, de sorte qu’il n’est pas nécessaire qu’il dissocie la compétence du fond.

Reste que l’article 78 du CPC lui impose de trancher par dispositions distinctes dans son dispositif.

Par ailleurs, il doit avoir préalablement et expressément invité les parties à conclure sur le fond, étant précisé que cette obligation pèse sur toutes les juridictions, y compris les Cours d’appel.

5. Les voies de recours

Jusqu’en 2017 il existait une dualité des voies de recours pour contester une décision statuant sur la compétence d’une juridiction : le contredit et l’appel.

Ces deux recours étaient tous deux portés devant la cour d’appel, et leur existence interdisait le pourvoi en cassation contre la décision des premiers juges même rendue en premier et dernier ressort mais ils n’étaient pas utilisables indifféremment.

Cette dualité des voies de recours a été supprimée par le décret n°2017-891 du 6 mai 2017 à la faveur de l’appel qui est désormais la seule voie de recours pour contester une décision qui tranche une question de compétence.

Reste que le Code distingue désormais deux procédures d’appel, selon que le jugement contesté statue exclusivement sur la compétence ou selon qu’elle statue sur la compétence et sur le fond du litige

a. L’appel du jugement statuant exclusivement sur la compétence

🡺Une voie de recours unique : l’appel

L’article 83 du CPC pose que « lorsque le juge s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l’objet d’un appel dans les conditions prévues par le présent paragraphe. »

La voie du contredit est ainsi complètement abandonnée. Il en va de même, précise l’alinéa 2 de cette disposition, lorsque « le juge se prononce sur la compétence et ordonne une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ».

Peu importe que la déclaration d’incompétence soit assortie du prononcé d’une mesure provisoire ou d’instruction : la seule voie de recours ouverte aux parties c’est l’appel.

🡺Délai d’appel

L’article 84 du CPC prévoit que le délai pour interjeter appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement.

En principe, la notification est assurée par le greffe qui notifie le jugement aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il notifie également le jugement à leur avocat, dans le cas d’une procédure avec représentation obligatoire.

En cas d’appel, l’appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d’appel, saisir, dans le délai d’appel, le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire.

🡺Déclaration d’appel

L’article 85 prévoit que l’appel est interjeté par voie de déclaration accomplie auprès du greffe de la Cour d’appel

Cette déclaration d’appel doit contenir :

  • Les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933
    • La représentation est obligatoire
      • L’article 901 prévoit que la déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l’article 58, et à peine de nullité :
        • La constitution de l’avocat de l’appelant ;
        • L’indication de la décision attaquée ;
        • L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
        • Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
        • Elle est signée par l’avocat constitué.
        • Elle est accompagnée d’une copie de la décision.
        • Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle.
    • La représentation n’est pas obligatoire
      • L’article 933 prévoit quant à lui que :
        • la déclaration comporte les mentions prescrites par l’article 58.
        • Elle désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l’adresse du représentant de l’appelant devant la cour.
        • Elle est accompagnée de la copie de la décision.
  • La déclaration d’appel doit préciser qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration.

🡺Instruction et jugement

L’article 85 du CPC prévoit que l’appel est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l’appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d’appel imposent la constitution d’avocat, ou, dans le cas contraire, comme il est dit à l’article 948.

🡺La décision de la Cour d’appel

Qu’elle confirme ou infirme la décision contestée, en application de l’article 86 du CPC, il échoit à la Cour d’appel de renvoyer l’affaire à la juridiction qu’elle estime compétente. Cette décision s’impose aux parties et au juge de renvoi.

Lorsque le renvoi est fait à la juridiction qui avait été initialement saisie, l’instance se poursuit à la diligence du juge.

🡺Notification

Le greffier de la cour notifie aussitôt l’arrêt aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

🡺Voies de recours

Si l’arrêt rendu par la Cour d’appel n’est pas susceptible d’opposition, il peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

Le délai de pourvoi en cassation (deux mois) court à compter de sa notification.

🡺Évocation au fond

  • Principe
    • L’article 88 du CPC autorise la Cour d’appel à évoquer le fond
    • Autrement dit, il lui est permis de se prononcer au-delà de la compétence de la juridiction saisie en première instance, ce qui revient à priver les parties d’un double degré de juridiction
    • C’est la raison pour laquelle cette faculté est subordonnée à la satisfaction de conditions.
  • Conditions
    • Deux conditions cumulatives doivent être remplies pour que la Cour d’appel soit autorisée à évoquer l’affaire qui lui est déférée au fond :
      • D’une part, elle doit être la juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente
        • La Cour d’appel doit ainsi posséder une plénitude de juridiction
        • La juridiction qu’elle considère comme compétence doit, en particulier, se situer dans son ressort
      • D’autre part, l’évocation de l’affaire au fond est permise si la Cour d’appel estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction.
        • Cette condition, purement subjective, est laissée à l’appréciation souveraine de la Cour d’appel
  • Procédure
    • L’article 89 du CPC pose que quand elle décide d’évoquer, la cour invite les parties, le cas échéant par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à constituer avocat dans le délai qu’elle fixe, si les règles applicables à l’appel des décisions rendues par la juridiction dont émane le jugement frappé d’appel imposent cette constitution.
    • Si aucune des parties ne constitue avocat, la cour peut prononcer d’office la radiation de l’affaire par décision motivée non susceptible de recours.
    • Copie de cette décision est portée à la connaissance de chacune des parties par lettre simple adressée à leur domicile ou à leur résidence.

b. L’appel du jugement statuant sur la compétence et le fond du litige

L’appel du jugement statuant sur la compétence et le fond du litige est régi par les articles 90 et 91 du CPC.

Il ressort de ces dispositions qu’il convient de distinguer selon que le jugement critiqué a été rendu en premier ressort ou en dernier ressort.

Les pouvoirs de la Cour d’appel sont, en effet, différents selon que l’on se trouve dans l’une ou l’autre situation.

En tout état de cause, le délai pour interjeter appel de la décision de première instance est d’un mois à compter de la notification de la décision.

🡺Le jugement critiqué a été rendu en premier ressort

Dans cette hypothèse, l’article 90 du CPC pose que le jugement critiqué peut alors être frappé d’appel dans l’ensemble de ses dispositions.

Les modalités d’application de ce principe diffèrent toutefois selon que l’arrêt rendu confirme ou infirme la décision rendue en première instance du chef de la compétence

  • L’arrêt de la Cour d’appel confirme le jugement du chef de la compétence
    • Lorsque la Cour confirme la décision rendue en première instance du chef de la compétence, rien ne fait obstacle à ce qu’elle se prononce, dans le même temps, sur le fond du litige.
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la même Cour d’appel qui est amenée à statuer sur l’ensemble des dispositions du jugement critiqué.
  • L’arrêt de la Cour d’appel infirme le jugement du chef de la compétence
    • Dans cette hypothèse, l’article 90 du CPC distingue deux situations :
      • La Cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente
        • En pareil cas, l’article 90, al. 2e du CPC dispose que la Cour d’appel saisie statue néanmoins sur le fond du litige
        • Ainsi, l’incompétence de la juridiction de première instance ne fait pas obstacle à ce que la Cour statue sur le fond du litige
        • La solution est logique puisque cette dernière est, en tout état de cause, la juridiction compétente pour connaître de l’appel sur le fond dont est frappé le jugement rendu en première instance
      • La Cour n’est pas la juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente
        • Dans cette hypothèse, l’article 90 al. 3 du CPC prévoit que la Cour doit renvoyer l’affaire devant la cour qui est juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eût été compétente en première instance.
        • Cette décision s’impose alors aux parties et à la cour de renvoi.
        • Quand bien même cette dernière s’estimerait incompétente, elle n’aura donc d’autre choix que de statuer.

🡺Le jugement critiqué a été rendu en dernier ressort

  • Principe
    • L’article 91 du CPC prévoit que lorsque le juge s’est déclaré compétent et a statué sur le fond du litige dans un même jugement rendu en dernier ressort, celui-ci peut être frappé d’appel exclusivement sur la compétence.
    • Ainsi l’effet dévolutif de l’appel ne pourra pas s’étendre aux dispositions sur le fond.
    • La raison en est que le jugement frappé d’appel a été rendu en dernier ressort, ce qui dès lors implique qu’il est insusceptible d’être frappé d’appel sur le fond du litige.
    • Tout au plus les parties pourront former un pourvoi en cassation, si elles souhaitent critiquer les dispositions du jugement sur le fond.
  • Mise en œuvre du principe
    • L’alinéa 2 de l’article 91 précise que, en cas d’appel, lorsque la cour infirme la décision attaquée du chef de la compétence, elle renvoie l’affaire devant la juridiction qu’elle estime compétente à laquelle le dossier est transmis à l’expiration du délai du pourvoi ou, le cas échéant, lorsqu’il a été statué sur celui-ci.
    • Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cette disposition
      • Renvoi devant la juridiction compétente
        • En cas d’infirmation du jugement rendu en dernier ressort du chef de la compétence, la Cour d’appel doit renvoyer l’affaire devant la juridiction compétence
        • À cet égard le texte précise que la décision de renvoi s’impose aux parties et à la juridiction de renvoi.
        • Cette dernière n’aura ainsi d’autre choix que de statuer, quand bien même elle s’estimerait compétente
      • Délai du renvoi
        • L’affaire est renvoyée à la juridiction compétente seulement à l’expiration du délai de pouvoir, soit deux mois à compter de la notification de la décision
      • Réformation des dispositions sur le fond
        • Lorsque la Cour d’appel infirme le jugement qui lui est déféré du chef de la compétence, quand bien même il a été rendu en dernier ressort, le renvoi devant la juridiction compétence a pour conséquence de réformer les dispositions du jugement sur le fond.
        • C’est là une véritable entorse au principe qui pose l’absence d’un double degré de juridiction pour les décisions rendues en dernier ressort.
  • Exception au principe
    • L’article 91 du CPC prévoit que, un pourvoi formé à l’encontre des dispositions sur le fond rend l’appel irrecevable.
    • Ainsi, si les parties entendent former un pourvoi en cassation, elles se privent de la possibilité d’interjeter appel de la décision rendue en dernier ressort du chef de la compétence.
    • Dans l’hypothèse, où la compétence serait discutable, les parties auront dès lors tout intérêt à saisir d’abord la Cour d’appel avec cette perspective de voir leur affaire rejuger sur le fond en cas d’arrêt infirmatif.

B) Les exceptions de litispendance et de connexité

Les exceptions de litispendance et de connexité sont régies par les articles 100 à 107 du Code de procédure civile.

Ces deux situations sont envisagées dans la même section en raison des points communs qu’elles partagent :

  • D’une part, la litispendance et la connexité supposent que des demandes aient été formulées devant des juridictions différentes
  • D’autre part, dans les deux cas les juridictions saisies connaissent de demandes connexes ou identiques
  • Enfin, tant en matière de litispendance, qu’en matière de connexité, il s’agira pour l’une des juridictions saisies de décliner sa compétence au profit de l’autre.

Nonobstant ces points communs qui créent un lien étroit entre ces deux exceptions de procédure, elles possèdent un certain nombre de particularités qui justifient qu’elles soient abordées séparément.

1. L’exception de litispendance

L’exception de litispendance est envisagée à l’article 100 du CPC qui prévoit que « si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l’autre si l’une des parties le demande ».

Il ressort de cette disposition que la situation de litispendance se caractérise par la saisine de deux juridictions différentes, mais compétentes, qui ont vocation à statuer sur un même litige.

Plusieurs conditions doivent donc être réunies pour que cette situation conduise à ce que l’une des juridictions saisies décline sa compétence au profit de l’autre.

a. Conditions de l’incident de litispendance

Pour qu’une situation de litispendance soit caractérisée plusieurs conditions doivent être réunies :

  • Les litiges pendants devant les juridictions saisies doivent être identiques
  • Les litiges doivent être pendants devant deux juridictions
  • Les litiges doivent être pendants devant deux juridictions compétentes

🡺Une identité de litige

Pour qu’il y ait litispendance, l’article 100 du CPC exige qu’un « même litige » soit pendant devant deux juridictions.

Fondamentalement, la question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « même litige ». Quels sont les critères ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à la finalité de la règle qui pose l’obligation pour l’une des juridictions saisies de se dessaisir au profit de l’autre.

À l’examen, cette règle vise à éviter que deux décisions contradictoires soient rendues. Surtout, le danger réside dans l’autorité de la chose jugée dont sont susceptibles d’être pourvues ces décisions, ce qui conduirait à une situation inextricable.

Aussi, est-ce à la lumière de l’autorité de la chose jugée que la notion d’identité de litige se définit. En effet, il y aura litispendance lorsque la demande formulée en second aurait été déclarée irrecevable en raison de l’autorité de la chose jugée que posséderait le jugement qui aurait statué sur la première demande.

Pour mémoire, l’article 1355 du CPC dispose que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

Il s’infère de cette disposition que l’autorité de la chose jugée fait obstacle à l’examen d’une demande en justice dès lors qu’il y a :

  • Identité des parties
    • Il y aura donc litispendance lorsque les litiges pendants devant des juridictions distinctes opposent les mêmes parties
  • Identité d’objet
    • L’article 4 du CPC prévoit que « l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties »
    • La situation de litispendance sera donc caractérisée lorsque les prétentions des parties soumises aux juridictions saisies seront identiques
  • Identité de cause
    • Dans le silence des textes, la cause de la demande est définie par la doctrine comme le fondement juridique de la prétention des parties
    • Il y aura ainsi litispendance lorsque le fondement juridique dont les parties se prévalent aux fins qu’il soit fait droit à leurs demandes respectives par les juridictions saisies est le même.

Au bilan, la situation de litispendance sera caractérisée lorsque l’on constatera une identité des parties, une identité d’objet des demandes et une identité de leurs causes.

🡺Un litige pendant devant deux juridictions

L’article 100 du CPC prévoit que la litispendance suppose que le litige soit pendant « devant deux juridictions de même degré ».

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Le litige doit être pendant devant deux juridictions
    • Par pendant, il faut comprendre que les deux juridictions qui ont vocation à statuer sur le litige doivent avoir été saisies et ne soient pas dessaisies.
      • S’agissant de la saisine, elle ne sera effectivement qu’à la date d’enrôlement de l’affaire, étant précisé que la jurisprudence considère que l’accomplissement d’un acte introductif d’instance (assignation, requête, déclaration au greffe etc.) ne vaut pas saisine de la juridiction (V. en ce sens Cass. 3e civ., 10 déc. 1985, n° 84-16.799).
      • S’agissant du dessaisissement, il est caractérisé en cas d’extinction de l’instance, quelle qu’en soit la cause de cette extinction (désistement, péremption, caducité, acquiescement, jugement etc…).
  • Le litige doit être pendant devant deux juridictions distinctes
    • Pour qu’il y ait litispendance il faut que deux juridictions distinctes soient saisies.
    • Il peut s’agir
      • Soit de deux juridictions de premier degré (Art. 100 CPC)
      • Soit de deux juridictions second degré (Art. 100 CPC)
      • Soit d’une juridiction de premier degré et d’une juridiction de second degré (art. 102 CPC)
    • Ce qui importe c’est qu’il s’agisse de juridictions différentes, ce qui exclut l’hypothèse de litiges pendants devant des chambres ou des formations de jugement différentes au sein d’une même juridiction
    • Cette situation correspondrait, en effet, à un cas de connexité qui se règle au moyen d’une mesure d’administration judiciaire (art. 107 CPC)

🡺Un litige pendant devant deux juridictions compétentes

L’article 100 du CPC précise que, pour qu’il y ait litispendance, il est nécessaire que les deux juridictions saisies soient compétentes pour connaître du litige.

La raison en est que dans l’hypothèse où l’une des deux juridictions ne serait pas compétence, la situation relèvera du régime de l’exception d’incompétence et non de litispendance.

À cet égard, si elles sont du même degré, c’est à la juridiction saisie en second qu’il appartient de vérifier sa compétence.

Si, en revanche, les juridictions saisies sont d’un degré différent, la juridiction de premier degré doit vérifier que c’est le même litige qui est pendant devant la Cour d’appel. Dans l’affirmative, elle devra se dessaisir à la faveur de la Cour.

Si, lorsque la caractérisation de la litispendance ne soulève pas de difficulté lorsque les deux juridictions saisies sont compétence, plus délicate sont les hypothèses où leur compétence est contestée ou contestable :

Aussi, la Cour de cassation a-t-elle été conduite à préciser que la situation de litispendance sera caractérisée lorsque :

  • Soit la juridiction dont la compétence est contestée se déclare compétente
  • Soit en cas de prorogation de compétence en raison de l’inaction des parties
  • Soit dans l’hypothèse où la juridiction qui se déclare incompétence renvoie l’affaire par-devant une juridiction différente de celle saisie du même litige

b. Résolution de l’incident de litispendance

b.1) L’invocation de l’exception de litispendance

Le Code de procédure civile distingue selon que l’incompétence de la juridiction est soulevée par une partie ou par le juge.

🡺La litispendance soulevée par les parties

Il ressort de l’article 100 du CPC que l’exception de litispendance peut être soulevée, tant par le demandeur, que par le défendeur.

Cette exception se distingue, sur ce point, de l’exception d’incompétence qui n’est envisagée que comme un moyen de défense de sorte que le demandeur est irrecevable à la soulever.

En tout état de cause, comme l’exception d’incompétence, l’exception de litispendance doit nécessairement être soulevée in limine litis, soit avant toute défense au fond, conformément à l’article 74 du CPC.

🡺La litispendance relevée par le Juge

L’article 100 du CPC prévoit que, à défaut d’invocation de l’exception de litispendance par les parties, elle peut être relevée d’office par le juge.

Il s’agit là d’une simple faculté, faculté qu’il ne peut exercer qu’à titre subsidiaire, en cas de carence des parties.

Lorsque les juridictions saisies sont de même degré, il s’évince de l’article 100 du CPC que cette faculté est réservée à la juridiction saisie en second.

Lorsque, en revanche, elles sont d’un degré différent, c’est à la juridiction de degré inférieur qu’il appartient de relever d’office l’exception de litispendance, encore qu’il s’agit, ici encore, d’une simple faculté.

b.2) La décision du juge

i. Les modalités de règlement de l’incident

Lorsque la situation de litispendance est caractérisée, il est nécessaire que l’une des juridictions saisies se dessaisisse au profit de l’autre afin de mettre un terme à l’incident, faute de quoi il est un risque que deux décisions contradictoires soient rendues.

Aussi, le Code de procédure civil a-t-il posé des règles qui permettent de déterminer quelle juridiction saisie doit se dessaisir au profit de l’autre.

  • Les juridictions saisies sont du premier degré
    • Il est acquis qu’il appartient à la juridiction saisie en second de vérifier sa compétence, le cas échéant de se dessaisir et de renvoyer l’affaire devant la juridiction saisie en premier
    • La décision de renvoi s’impose à la juridiction désignée.
  • Les juridictions saisies sont du second degré
    • Dans cette hypothèse, l’exception de litispendance devrait être déclarée irrecevable dans la mesure où elle aurait dû être soulevée en première instance.
    • Reste que si l’une des parties n’a pas comparu dans le cadre de la première instance, elle sera toujours fondée à soulever l’exception en appel
    • Si la situation se produisait ce serait donc à la Cour d’appel saisie en second de se dessaisir au profit de la première Cour d’appel.
  • Les juridictions saisies ne sont pas du même degré
    • En pareil cas, l’article 102 du CPC prévoit qu’il appartient à la juridiction de degré inférieur de vérifier sa compétence et de renvoyer, le cas échéant, l’affaire devant la Cour d’appel.
    • En application de l’article 105 du CPC la décision rendue sur l’exception soit par la juridiction qui en est saisie s’impose tant à la juridiction de renvoi qu’à celle dont le dessaisissement est ordonné.
    • Une Cour d’appel ne pourra donc pas décliner sa compétence, quand bien même elle serait désignée à tort.

ii. Le recours contre la décision

🡺Principe

L’article 104 du CPC dispose que les recours contre les décisions rendues sur la litispendance ou la connexité par les juridictions du premier degré sont formés et jugés comme en matière d’exception d’incompétence.

Il convient donc de se reporter aux articles 83 et suivants du CPC

À cet égard, l’article 83 pose que « lorsque le juge s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l’objet d’un appel dans les conditions prévues par le présent paragraphe. »

La voie du contredit est ainsi complètement abandonnée. Il en va de même, précise l’alinéa 2 de cette disposition, lorsque « le juge se prononce sur la compétence et ordonne une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ».

Peu importe que la déclaration de litispendance soit assortie du prononcé d’une mesure provisoire ou d’instruction : la seule voie de recours ouverte aux parties c’est l’appel.

🡺Délai d’appel

L’article 84 du CPC prévoit que le délai pour interjeter appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement.

En principe, la notification est assurée par le greffe qui notifie le jugement aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il notifie également le jugement à leur avocat, dans le cas d’une procédure avec représentation obligatoire.

En cas d’appel, l’appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d’appel, saisir, dans le délai d’appel, le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire.

🡺Déclaration d’appel

L’article 85 prévoit que l’appel est interjeté par voie de déclaration accomplie auprès du greffe de la Cour d’appel

Cette déclaration d’appel doit contenir :

  • Les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933
    • La représentation est obligatoire
      • L’article 901 prévoit que la déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l’article 58, et à peine de nullité :
        • La constitution de l’avocat de l’appelant ;
        • L’indication de la décision attaquée ;
        • L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
        • Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
        • Elle est signée par l’avocat constitué.
        • Elle est accompagnée d’une copie de la décision.
        • Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle.
    • La représentation n’est pas obligatoire
      • L’article 933 prévoit quant à lui que :
        • la déclaration comporte les mentions prescrites par l’article 58.
        • Elle désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l’adresse du représentant de l’appelant devant la cour.
        • Elle est accompagnée de la copie de la décision.
  • La déclaration d’appel doit préciser qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration.

🡺Recours multiples

L’article 104 du CPC prévoit que, en cas de recours multiples, la décision appartient à la cour d’appel la première saisie qui, si elle fait droit à l’exception, attribue l’affaire à celles des juridictions qui, selon les circonstances, paraît la mieux placée pour en connaître.

2. L’exception de connexité

L’exception de connexité est envisagée à l’article 101 du CPC qui prévoit que « s’il existe entre des affaires portées devant deux juridictions distinctes un lien tel qu’il soit de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, il peut être demandé à l’une de ces juridictions de se dessaisir et de renvoyer en l’état la connaissance de l’affaire à l’autre juridiction ».

La connexité correspond ainsi à la situation où deux litiges différents sont pendants devant deux juridictions distinctes et qui, en raison du lien étroit qu’ils entretiennent, commande une jonction d’instance par souci de bonne administration de la justice.

À la différence de la situation de litispendance, la connexité implique que les affaires portées devant les juridictions saisies ne soient pas identiques, soit en raison des parties qui s’opposent, soit en raison de l’objet ou de la cause des demandes.

Bien que les affaires doivent être différentes pour que la connexité soit caractérisée, un lien étroit doit les unir, à défaut de quoi la jonction demande de jonction d’instance sera irrecevable.

À cet égard, il ressort de l’article 101 du CPC que plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que la situation de connexité soit établie.

a. Conditions de l’incident de connexité

🡺Un lien étroit entre deux affaires

Pour que la situation de connexité soit caractérisée, l’article 101 du CPC exige que soit établi un lien entre les deux affaires. Quelle doit être la teneur de ce lien, son intensité ? Le texte ne le dit pas.

L’examen de la jurisprudence révèle que ce lien sera caractérisé dès lors qu’il est un risque que des décisions contradictoires, à tout le moins difficilement conciliables soient rendues.

Le lien de connexité peut donc tenir, par exemple, à l’identité des parties ou encore à l’objet de leurs prétentions.

🡺Intérêt d’une bonne justice de les instruire et juger ensemble

Non seulement il doit exister un lien entre les deux affaires pour la connexité soit établie, mais encore il est nécessaire que leur jonction soit justifiée par l’« intérêt d’une bonne justice de les instruire et juger ensemble ».

C’est la raison pour laquelle, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer que l’admission de l’exception de connexité est une simple faculté laissée à l’appréciation du juge (Cass. 1ère civ., 20 oct. 1987, n°85-18.877).

🡺Deux affaires pendantes

Par pendant, il faut comprendre que les deux juridictions qui ont vocation à statuer sur le litige doivent avoir été saisies et ne soient pas dessaisies.

  • S’agissant de la saisine, elle ne sera effectivement qu’à la date d’enrôlement de l’affaire, étant précisé que la jurisprudence considère que l’accomplissement d’un acte introductif d’instance (assignation, requête, déclaration au greffe etc.) ne vaut pas saisine de la juridiction (V. en ce sens Cass. 3e civ., 10 déc. 1985, n° 84-16.799).
  • S’agissant du dessaisissement, il est caractérisé en cas d’extinction de l’instance, quelle qu’en soit la cause de cette extinction (désistement, péremption, caducité, acquiescement, jugement etc…)

🡺Deux affaires pendantes devant des juridictions distinctes

Pour que l’exception de connexité puisse être soulevée, encore faut-il que l’affaire soit pendante devant deux juridictions distinctes et compétentes.

L’article 107 du CPC précise que s’il s’élève sur la connexité des difficultés entre diverses formations d’une même juridiction, elles sont réglées sans formalité par le président, étant précisé que sa décision est une mesure d’administration judiciaire.

Cette décision est, en conséquence, dépourvue de l’autorité de la chose jugée, à la différence d’une décision qui statuerait sur l’exception de connexité.

b. Résolution de l’incident de connexité

b.1) L’invocation de l’exception de connexité

i. Par qui ?

À la différence de l’exception d’incompétence ou de litispendance, l’exception de connexité ne peut être soulevée que par les parties. Elle ne peut pas être relevée d’office par le juge, faute de texte qui lui confère cette faculté.

ii. Quand ?

L’article 103 du CPC dispose que « l’exception de connexité peut être proposée en tout état de cause. »

Ainsi, à la différence de l’exception d’incompétence ou de litispendance, il est indifférent que l’exception de connexité soit soulevée in limine litis.

Elle peut être soulevée à n’importe quel stade de la procédure, ce qui est une dérogation majeure au principe posée à l’article 74 du CPC.

Pour mémoire cette disposition prévoit que « les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre pub ».

Tel n’est pas le cas pour l’exception de connexité qui peut être soulevée en tout état de cause, ce qui la rapproche, sur ce point, d’une fin de non-recevoir ou d’une défense au fond.

Reste que l’article 103 du CPC exige que cette exception soit soulevée le plus tôt possible. En cas de manœuvre dilatoire de la partie adverse, le juge disposera toujours de la faculté de l’écarter.

iii. Devant quelle juridiction ?

L’article 101 du CPC ne précise pas devant quelle juridiction l’exception de connexité doit être soulevée. En matière de litispendance, l’exception doit être soulevée devant la seconde juridiction saisie.

En matière de connexité, c’est égal. Cette exception peut être indifféremment soulevée devant l’une ou l’autre juridiction, voire devant les deux. Selon le cas, le régime applicable diffère.

Il convient ici de distinguer deux hypothèses :

🡺Les juridictions saisies sont du même degré

Dans cette hypothèse plusieurs situations peuvent se présenter :

  • Une juridiction de droit commun (TGI) et une juridiction d’exception (TI, TC etc.) sont saisies
    • C’est alors devant la juridiction d’exception que l’exception de connexité doit être soulevée
    • Entre les deux, c’est la juridiction d’exception qui a vocation à se dessaisir au profit de la juridiction de droit commun.
  • Parmi les juridictions saisies, l’une d’entre elle possède une compétence exclusive
    • L’exception de connexité doit être soulevée devant la juridiction dont la compétence est exclusive
    • Entre les deux juridictions saisies, c’est la juridiction dont la compétence n’est pas exclusive qui doit se dessaisir

🡺Les juridictions saisies ne sont pas du même degré

Dans cette hypothèse, l’article 102 du CPC prévoit que l’exception ne peut être soulevée que devant la juridiction de premier degré, quand bien même elle aurait été saisie antérieurement à la date de saisine de la Cour d’appel

b.2) La décision du juge

i. Les modalités de règlement de l’incident

🡺Le dessaisissement

Pour déterminer quelle juridiction doit se dessaisir en cas d’admission de l’exception de connexité, il convient de distinguer plusieurs hypothèses

  • Une juridiction de droit commun et une juridiction d’exception sont saisies
    • C’est à la juridiction d’exception de se dessaisir au profit de la juridiction de droit commun, cette dernière étant seule compétence pour connaître de l’entier litige.
  • L’une des deux juridictions saisies possède une compétence exclusive
    • C’est la juridiction qui ne possède pas de compétence exclusive qui doit se dessaisir au profit de l’autre juridiction.
  • Les juridictions saisies sont des juridictions d’exception
    • C’est à la juridiction saisie en second de se dessaisir au profit de la juridiction saisie en premier

🡺Le renvoi

L’article 105 du CPC dispose que « la décision rendue sur l’exception soit par la juridiction qui en est saisie, soit à la suite d’un recours s’impose tant à la juridiction de renvoi qu’à celle dont le dessaisissement est ordonné. »

Ainsi, après avoir admis l’exception de connexité, le juge qui a statué doit renvoyer l’affaire devant l’autre juridiction saisie.

Cette décision s’impose à la juridiction de renvoi qui ne peut pas décliner sa compétence

Dans l’hypothèse où l’exception de connexité serait soulevée devant les deux juridictions, l’article 106 du CPC précise que « dans le cas où les deux juridictions se seraient dessaisies, la décision intervenue la dernière en date est considérée comme non avenue. »

Ainsi, c’est la juridiction qui a statué en second sur la demande de renvoi qui devra connaître l’affaire dans son ensemble.

ii. Le recours contre la décision

🡺Principe

L’article 104 du CPC dispose que les recours contre les décisions rendues sur la litispendance ou la connexité par les juridictions du premier degré sont formés et jugés comme en matière d’exception d’incompétence.

Il convient donc de se reporter aux articles 83 et suivants du CPC

À cet égard, l’article 83 pose que « lorsque le juge s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l’objet d’un appel dans les conditions prévues par le présent paragraphe. »

La voie du contredit est ainsi complètement abandonnée. Il en va de même, précise l’alinéa 2 de cette disposition, lorsque « le juge se prononce sur la compétence et ordonne une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ».

Peu importe que la déclaration de litispendance soit assortie du prononcé d’une mesure provisoire ou d’instruction : la seule voie de recours ouverte aux parties c’est l’appel.

🡺Délai d’appel

L’article 84 du CPC prévoit que le délai pour interjeter appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement.

En principe, la notification est assurée par le greffe qui notifie le jugement aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Il notifie également le jugement à leur avocat, dans le cas d’une procédure avec représentation obligatoire.

En cas d’appel, l’appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d’appel, saisir, dans le délai d’appel, le premier président en vue, selon le cas, d’être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d’une fixation prioritaire de l’affaire.

🡺Déclaration d’appel

L’article 85 prévoit que l’appel est interjeté par voie de déclaration accomplie auprès du greffe de la Cour d’appel

Cette déclaration d’appel doit contenir :

  • Les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933
    • La représentation est obligatoire
      • L’article 901 prévoit que la déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l’article 58, et à peine de nullité :
        • La constitution de l’avocat de l’appelant ;
        • L’indication de la décision attaquée ;
        • L’indication de la cour devant laquelle l’appel est porté ;
        • Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
        • Elle est signée par l’avocat constitué.
        • Elle est accompagnée d’une copie de la décision.
        • Elle est remise au greffe et vaut demande d’inscription au rôle.
    • La représentation n’est pas obligatoire
      • L’article 933 prévoit quant à lui que :
        • La déclaration comporte les mentions prescrites par l’article 58.
        • Elle désigne le jugement dont il est fait appel, précise les chefs du jugement critiqués auquel l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, et mentionne, le cas échéant, le nom et l’adresse du représentant de l’appelant devant la cour.
        • Elle est accompagnée de la copie de la décision.
  • La déclaration d’appel doit préciser qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d’irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration.

🡺Recours multiples

L’article 104 du CPC prévoit que, en cas de recours multiples, la décision appartient à la cour d’appel la première saisie qui, si elle fait droit à l’exception, attribue l’affaire à celles des juridictions qui, selon les circonstances, paraît la mieux placée pour en connaître.

C) L’exception dilatoire

1. Définition

L’exception dilatoire, qui est comptée parmi les exceptions de procédure, se définit par sa finalité. Elle constitue un moyen par lequel une partie demande au juge de surseoir à statuer.

En effet, l’exception dilatoire a vocation, pour le plaideur qui l’invoque, à suspendre la procédure.

Plus précisément, elles créent un obstacle temporaire à la poursuite de l’instance et obligent le juge ou l’autorisent à suspendre l’instance jusqu’à l’expiration d’un certain délai.

Les exceptions dilatoires sont régies aux articles 108 à 111 du CPC.

2. Liste des exceptions dilatoires

Il convient de distinguer les cas de suspension de l’instance expressément visés par la loi, de ceux qui ne sont le sont pas.

🡺Les cas de suspension visés par la loi

Il ressort de la combinaison des articles 108, 109 et 110 que plusieurs cas de suspension de l’instance sont prévus par la loi.

  • Le délai d’option successorale
    • L’article 108 du CPC prévoit que « le juge doit suspendre l’instance lorsque la partie qui le demande jouit soit d’un délai pour faire inventaire et délibérer ».
    • Manifestement, c’est le délai d’option successorale qui est envisagé par ce texte.
    • L’article 771 du Code civil prévoit que L’héritier ne peut être contraint à opter avant l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, le bénéficiaire de ce délai peut solliciter du juge un sursis à statuer pendant afin de prendre le temps d’opter.
    • À l’expiration du délai de 4 mois, l’héritier pourra être sommé d’exercer son option successorale, ce qui ouvrira un nouveau délai de deux mois.
  • Le bénéfice de discussion ou de division
    • L’article 108 prévoit encore que « le juge doit suspendre l’instance lorsque la partie qui le demande jouit […] d’un bénéfice de discussion ou de division », étant précisé que ces mécanismes se rencontrent dans le cadre d’un engagement de caution.
      • Le bénéfice de la discussion prévu à l’article 2298 du Code civil permet à la caution d’exiger du créancier qu’il saisisse et fasse vendre les biens du débiteur avant de l’actionner en paiement.
      • Le bénéfice de division quant à lui, prévu à l’article 2303 du Code civil autorise la caution à exiger du créancier qu’il divise préalablement son action, et la réduise à la part et portion de chaque caution.
    • Tant le bénéfice de discussion que le bénéfice de division sont envisagées par le Code de procédure civile comme des exceptions dilatoires.
    • La caution est donc fondée à s’en prévaloir afin de solliciter un sursis à statuer.
    • Tel sera le cas lorsqu’elle sera poursuivie par le créancier, sans que celui-ci n’ait préalablement actionné en paiement le débiteur principal ou divisé ses poursuites en autant d’actions qu’il y a de cautions.
  • Le délai d’appel à un garant
    • L’article 109 du CPC prévoit que « le juge peut accorder un délai au défendeur pour appeler un garant. »
    • Le texte fait ici référence à la faculté pour l’une des parties de solliciter la mise en œuvre d’une garantie simple ou formelle.
    • À cet égard, l’article 334 du CPC prévoit que la garantie est simple ou formelle selon que le demandeur en garantie est lui-même poursuivi comme personnellement obligé ou seulement comme détenteur d’un bien.
    • Dans les deux cas, le demandeur peut avoir besoin de temps pour appeler à la cause le garant.
    • C’est précisément là la fonction de l’article 109 du CPC que d’autoriser le juge à octroyer au demandeur ce temps nécessaire à l’organisation de sa défense.
  • Délai nécessaire à l’exercice d’une voie de recours extraordinaire
    • L’article 110 du CPC prévoit que « le juge peut également suspendre l’instance lorsque l’une des parties invoque une décision, frappée de tierce opposition, de recours en révision ou de pourvoi en cassation. »
    • Ainsi, lorsque l’une des parties entend se prévaloir d’une décision frappée par l’une de ces voies de recours, elle peut solliciter du juge un sursis à statuer.
    • Celui-ci accédera à la demande qui lui est présentée lorsque la décision dont se prévaut le demandeur est susceptible d’avoir une incidence sur la solution du litige qui lui est soumis.
    • L’objectif visé par cette règle est d’éviter que des décisions contradictoires puissent être rendues, raison pour laquelle il convient que la décision frappée d’une voie de recours extraordinaire soit définitive.

🡺Les cas de suspension non visés par la loi

L’article 108 du CPC prévoit outre les exceptions dilatoires tenant au délai d’option successorale ou aux bénéfices de discussion et de division, « le juge doit suspendre l’instance lorsque la partie qui le demande jouit […]de quelque autre délai d’attente en vertu de la loi. »

Il ressort de cette disposition que la liste des exceptions dilatoires énoncée aux articles 108, 109 et 110 du CPC n’est pas exhaustive. Elle demeure ouverte.

Reste à déterminer quels sont les autres cas de suspension de l’instance en dehors de ceux expressément par la loi.

L’examen de la jurisprudence révèle que les principaux cas admis au rang des exceptions dilatoires sont :

  • La formulation d’une question préjudicielle adressée au Juge administratif
    • Dans cette hypothèse, l’article 49, al. 2 du CPC prévoit que « lorsque la solution d’un litige dépend d’une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative. Elle sursoit à statuer jusqu’à la décision sur la question préjudicielle. »
  • La formulation d’une question prioritaire de constitutionnalité
    • La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit dans la Constitution du 4 octobre 1958 un article 61-1 disposant que « lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »
    • Pour permettre le contrôle par le Conseil constitutionnel, par voie d’exception, des dispositions législatives promulguées, la réforme instaure un dispositif qui comprend une suspension d’instance.
    • En effet, à l’occasion d’une instance en cours, une partie peut désormais soulever un moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
    • Ce moyen est qualifié par la loi organique de question prioritaire de constitutionnalité.
    • Lorsqu’une telle question est posée devant une juridiction judiciaire, il incombe à celle-ci de statuer sans délai sur sa transmission à la Cour de cassation.
    • Cette transmission doit être ordonnée dès lors que la disposition législative contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’a pas déjà, sauf changement des circonstances, été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.
    • Cette transmission impose, en principe, à la juridiction initialement saisie de surseoir à statuer sur le fond de l’affaire dans l’attente de la décision sur la question prioritaire de constitutionnalité.
  • Le criminel tient le civil en l’état
    • L’ancien article 4 du CPC prévoyait un sursis obligatoire à statuer de l’action civile « tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ».
    • Ce sursis au jugement de l’action civile reposait sur le principe prétorien selon lequel « le criminel tient le civil en l’état ».
    • La primauté de la décision pénale s’expliquait notamment en raison des moyens d’investigation plus efficaces dont dispose le juge répressif, ainsi que par le nécessaire respect de la présomption d’innocence.
    • Ce principe ne valait toutefois que pour les actions civiles engagées pendant ou après la mise en mouvement de l’action publique, et en aucun cas pour celles ayant déjà été tranchées lorsque celle-ci est mise en mouvement.
    • En outre, l’action publique et l’action civile devaient être relatives aux mêmes faits.
    • Ainsi en était-il par exemple d’une action civile exercée en réparation du dommage causé par l’infraction pour laquelle est engagée une procédure pénale.
    • La Cour de cassation avait interprété assez largement ce principe et considéré que le sursis à statuer devait être prononcé dès lors que le même fait avait servi de fondement à l’action publique et à l’action civile, sans pour autant que cette dernière corresponde à la réparation du préjudice subi du fait de l’infraction (V. en ce sens Cass., civ., 11 juin 1918).
    • La Cour de cassation considérait donc que le sursis à statuer devait être prononcé lorsque la décision prise sur l’action publique était « susceptible d’influer sur celle de la juridiction civile ».
    • Cette règle visait principalement à assurer une primauté de la chose jugée par le pénal sur le civil et à éviter ainsi une divergence de jurisprudence.
    • Au fil du temps, une pratique s’est toutefois installée, laquelle consistait à mettre en mouvement une action publique devant le juge pénal dans le seul objectif de suspendre un procès civil.
    • Afin de mettre un terme aux abus, la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a considérablement limité la portée de la règle selon laquelle « le criminel tient le civil en l’état » en cantonnant son application aux seules actions civiles exercées en réparation du dommage causé par l’infraction.
    • Ainsi, désormais, le sursis à statuer ne peut être sollicité que dans l’hypothèse où l’action civile est exercée en réparation d’un dommage causé par une infraction pour laquelle une action publique aurait été mise en mouvement devant le juge pénal.

3. La recevabilité de l’exception dilatoire

  • Qui peut soulever l’exception dilatoire ?
    • Dans la mesure où l’exception dilatoire consiste en un moyen de défense, classiquement on considère seul le défendeur est recevable à s’en prévaloir
    • Reste que, en matière de question préjudicielle, la jurisprudence admet qu’elle puisse être invoquée par le demandeur (Cass. 2e civ., 20 déc. 2012, n°11-18.095).
  • Quand soulever l’exception dilatoire ?
    • En application de l’article 74 du CPC l’exception dilatoire doit être soulevée in limine litis, soit avant la présentation de toute défense au fond.
    • Il est néanmoins dérogé à l’exigence de simultanéité de présentation des exceptions de procédure s’agissant de la mise en œuvre de l’exception dilatoire tenant au délai d’option successorale.
    • L’article 111 du CPC prévoit, en effet, que « le bénéficiaire d’un délai pour faire inventaire et délibérer peut ne proposer ses autres exceptions qu’après l’expiration de ce délai ».
    • Autrement dit, dans ce cas précis, l’exception dilatoire et les autres exceptions de procédure pourront être soulevées séparément.
  • Quid de l’office du Juge ?
    • L’examen de la jurisprudence révèle qu’aucune obligation ne pèse sur le juge de relever d’office une exception dilatoire
    • Il s’agit là pour lui d’une simple faculté
    • Dans un arrêt du 6 février 1996, la Cour de cassation a jugé en ce sens s’agissant de l’exception dilatoire qui tenait au principe selon lequel « le criminel tient le civil en état » qu’elle « n’est pas une fin de non-recevoir que le juge serait tenu de relever d’office en raison de son caractère d’ordre public, mais constitue une exception tendant à suspendre le cours de l’action »
    • Elle en déduit que « la cour d’appel n’était donc pas tenue de surseoir à statuer dès lors qu’aucune demande en ce sens ne lui était soumise » (Cass. soc. 6 févr. 1996, n°92-44.964).

4. La décision

🡺Nature de la décision

Lorsque le juge accueille favorablement l’invocation de l’exception dilatoire, en application de l’article 378 du CPC, il rend une décision de sursis à statuer.

À cet égard, cette disposition prévoit que « la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine. »

Surtout, à la différence des mesures d’administration judiciaire, les décisions de sursis à statuer sont de véritables jugements de sorte qu’elles sont assujetties à des voies de recours.

🡺Effets de la décision

Lorsque l’exception dilatoire est retenue par le juge, elle a pour effet de suspendre le cours de l’instance, de sorte qu’il y a interruption du délai de péremption.

Aussi, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge. À l’expiration du sursis, l’instance est poursuivie à l’initiative des parties ou à la diligence du juge, sauf la faculté d’ordonner, s’il y a lieu, un nouveau sursis.

🡺Voie de recours

  • La juridiction saisie ne retient pas l’exception dilatoire
    • Dans cette hypothèse, la décision rendue est susceptible d’une voie de recours, sauf à ce qu’elle tranche, concomitamment, le litige au principal.
    • La décision ne peut donc faire l’objet, ni d’un appel, ni d’un pourvoi en cassation.
    • Elle aura la même valeur qu’un jugement avant dire droit.
  • La juridiction saisie ne retient pas l’exception dilatoire
    • Dans cette hypothèse, la décision rendue s’apparente à une décision de sursis à statuer.
    • Il en résulte qu’elle peut faire l’objet d’une voie de recours
    • L’article 380 du CPC prévoit en ce sens que la décision de sursis peut être frappée d’appel sur autorisation du premier président de la cour d’appel s’il est justifié d’un motif grave et légitime.
    • Pratiquement, la partie qui veut faire appel saisit le premier président, qui statue dans la forme des référés. L’assignation doit être délivrée dans le mois de la décision.
    • S’il accueille la demande, le premier président fixe, par une décision insusceptible de pourvoi, le jour où l’affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou comme il est dit à l’article 948, selon le cas.

D) Les exceptions de nullité

🡺Notion

La nullité est la « sanction encourue par un acte juridique entaché d’un vice de forme ou d’une irrégularité de fond qui consiste dans l’anéantissement de l’acte »[1].

Si en droit public les nullités sont en principe toujours absolues et existent sans texte, en droit privé il n’en est pas de même.

Ainsi la procédure civile opère-t-elle une distinction majeure entre les nullités pour vice de fond et les nullités pour vice de forme.

  • Les nullités pour vice de forme sont réglées par l’article 114, alinéa 1er aux termes duquel « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme, si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».
  • Les nullités pour vice de fond sont énumérées à l’article 117 du CPC. Il s’agit du défaut de capacité d’ester en justice et du défaut de pouvoir.

La distinction entre nullités de forme et de fond est la principale difficulté du système actuel des nullités.

Aux nullités de forme, qui constituent le régime général des nullités procédurales, dont l’article 114 du nouveau code de procédure civile précise qu’elles ne peuvent être sanctionnées que si la nullité est « expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public », s’opposent donc les nullités de fond énumérées de façon exhaustive à l’article 117.

Entre les deux catégories de nullités, le critère général de distinction certainement voulu par les rédacteurs du code consiste en ce que les vices de forme affectent l’instrumentum, alors que les nullités pour irrégularités de fond atteignent le negotium.

Récusé par une partie de la doctrine, au sein de laquelle M. Perrot critique en particulier le recours, selon lui inadapté à la nature des actes de procédure, à des catégories issues du droit civil, ce critère général de distinction est toutefois le plus souvent admis. L’importance du débat tient au fait que les deux sortes de nullités ont des régimes très différents.

Alors que la nullité de forme doit être soulevée in limine litis, et que, selon l’article 114, elle « ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public », ces restrictions ne s’appliquent pas aux nullités de fond.

La distinction entre nullité de fond et nullité de forme présente ainsi un intérêt procédural, raison pour laquelle il convient de les envisager séparément.

1. Les nullités des actes de procédure pour vice de forme

a. Les causes de nullité pour vice de forme

Au nombre des causes de nullités d’actes de procédure, on rencontre d’abord le très vaste domaine des vices de forme auquel le législateur a délibérément donné la prééminence en y incluant la plupart des déficiences de nature à affecter la validité d’un acte et en soumettant l’admission de la nullité comme sanction à des conditions très contraignantes.

L’exception doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Elle n’aura d’effet que si aucune régularisation ultérieure n’est venue effacer rétroactivement le vice initial et si celui qui s’en prévaut démontre l’existence du grief que lui cause l’irrégularité.

Surtout, l’article 114 du CPC prévoit qu’aucun acte ne peut être déclaré nul en ce cas si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi. Est ainsi énoncé par cette disposition le fameux principe : point de nullité sans texte.

Ce principe est toutefois assorti d’une exception en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (formalité qui donne à l’acte sa nature, ses caractères, qui en constitue sa raison d’être)

🡺Principe : pas de nullité sans texte

En matière de nullité pour vice de forme, l’anéantissement de l’acte ne sera encouru qu’à la condition qu’un texte le prévoit expressément.

Pour déterminer les causes de nullité pour vice de conforme, il convient, par conséquent, de se reporter à toutes les règles qui sont prescrites à « peine de nullité ».

Un petit tour d’horizon révèle qu’elles sont nombreuses, à tel point que la nullité pour vice de forme représente la plupart des causes de nullité d’actes de procédure.

Parmi les vices de forme pouvant entacher un acte de procédure et entraîner sa nullité, on peut citer notamment :

  • Les mentions qui doivent figurer sur l’assignation
  • L’omission ou l’inexactitude de certaines mentions propres à l’acte d’huissier de justice
  • Les mentions qui doivent figurer sur l’acte de déclaration d’appel
  • Les formalités de notification des actes de procédure et des décisions de justice

🡺Exception : l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public

Le principe énoncé à l’article 114 du CPC selon lequel « pas de nullité sans texte » est assorti d’une exception remarquable : l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public

Cette exception est issue de l’ancienne distinction opérée par la jurisprudence entre les formalités substantielles et les formalités secondaires.

Dans un arrêt du 18 novembre 1947, la Cour de cassation avait, en effet, écarté l’application du principe « pas de nullité sans grief » (introduit par un décret-loi du 30 octobre 1935) en cas de violation d’une formalité substantielle.

Elle en avait donné la définition dans un arrêt du 3 mars 1955, aux termes duquel elle avait jugé que « le caractère substantiel est attaché dans un acte de procédure à ce qui tient à sa raison d’être et lui est indispensable pour remplir son objet » (Cass. 3e civ., 3 mars 1955 ; V. également en ce sens Cass. 2e civ. 20 oct. 1967).

Une partie de la doctrine avait critiqué cette jurisprudence, contraire selon elle aux vœux du législateur, en faisant valoir notamment qu’elle consistait à raisonner inexactement comme si la violation d’une formalité substantielle frappait l’acte d’inexistence.

Cela n’a pas empêché la jurisprudence de maintenir la distinction entre les formalités substantielles, dont l’inobservation est sanctionnée par la nullité alors qu’aucun texte ne le prévoit, des formalités secondaires assujetties au principe « pas de nullité sans texte ».

Pour déterminer si l’on est en présence d’une formalité substantielle ou secondaire il convient donc de se demander si la formalité qui lui est attachée est indispensable à la réalisation de son objet.

À l’examen, les formalités reconnues par la jurisprudence comme substantielles sont rares. Il en va ainsi de l’exigence de production d’un certificat médical au soutien d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de curatelle ou de tutelle ou encore l’exigence de signature de l’auteur de l’acte de procédure.

b. L’exigence d’un grief

L’article 114, al. 2 du CPC prévoit que « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. »

Pour que la nullité pour vice de forme produise ses effets, ce texte exige ainsi que la partie qui s’en prévaut justifie d’un grief. Cette règle est résumée par la formule « pas de nullité sans grief ».

La cause de la nullité est indifférente : ce qui importe c’est qu’il s’agisse d’un vice de forme. Cette exigence de justification d’un grief trouve sa source dans la volonté du législateur de prévenir les manœuvres dilatoires des parties.

Cette règle s’inspire, à certains égards, du droit de la responsabilité civile qui subordonne le succès d’une action en réparation à la démonstration d’un préjudice.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par grief.

Le grief est constitué par le tort causé à la partie qui invoque le vice et qui a été empêché ou limité dans ses possibilités de défense.

Dès lors que le vice de forme a pour incidence de nuire ou de désorganiser la défense de la partie qui s’en prévaut, le grief est constitué. En somme, le grief sera caractérisé toutes les fois qu’il sera démontré que l’irrégularité a perturbé le cours du procès.

Comme tout fait juridique, le grief doit pouvoir être établi par tous moyens. En général le grief est apprécié par les juridictions in concreto, soit compte tenu des circonstances et conditions particulières, tenant à la cause, aux parties, à la nature de l’irrégularité, à ses incidences (Cass. 2e civ., 27 juin 2013, n°12-20.929).

Cependant, exceptionnellement certaines juridictions s’en tiennent à l’importance de la règle transgressée lorsqu’elle porte par elle-même atteinte aux droits de la défense (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n°14-12.809).

L’interprétation in abstracto aurait, de toute évidence, pour effet de dénaturer et plus encore de limiter la portée de la règle « nullité sans grief n’opère rien », ce qui équivaudrait pratiquement à revenir au système des nullités substantielles.

C’est la raison pour laquelle cette appréciation du grief in abstracto est limitée aux cas d’inexistence de l’acte (absence de signature, acte formalisé par un officier ministériel incompétent, sans qualité etc.).

Dans un arrêt du 3 décembre 2015, la Cour de cassation a déduit, en ce sens, l’existence d’un grief de la seule omission de mentions essentielles à la validité d’un congé (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n°14-12.809).

Dans ces circonstances, le préjudice résulte, en quelque sorte, par lui-même, de l’importance de la règle transgressée, de sorte qu’il ne saurait être question d’accorder une valeur quelconque à un acte qui n’existe pas, le préjudice existant de plano.

Reste les cas dans lesquels la nullité d’un acte de procédure est prononcée en l’absence de démonstration d’un grief et en présence d’un vice qui n’entre pas dans l’énumération de l’article 117. La doctrine les range en trois catégories.

  • Tout d’abord, il s’agit, des actes affectés d’un vice qui porte atteinte aux règles d’organisation judiciaire, par exemple l’acte signifié par un huissier de justice instrumentant en dehors de son ressort territorial.
  • Ensuite, seraient en cause également des actes portant gravement atteinte aux droits de la défense (encore qu’on puisse penser que dans les affaires concernées, la nullité aurait généralement pu être aussi prononcée sur le fondement de l’article 114 en constatant l’existence d’un grief).
  • Enfin, il s’agit des actes omis, catégorie qui, elle-même, se subdivise entre les hypothèses où l’acte n’a pas été accompli du tout, et celles où a été fait un acte à la place d’un autre requis par la loi (ainsi la jurisprudence retient-elle que l’appel interjeté dans une forme autre que celle prévue équivaut à une absence d’acte).

Toutes ces décisions sont en général approuvées par les auteurs, y compris par ceux qui estiment que l’énumération de l’article 117 est limitative, parce qu’ils considèrent, soit qu’elles entrent en réalité dans les cas de nullités de fond ou de forme prévus par la loi, soit, pour ce qui concerne les omissions d’actes que la Cour de cassation sanctionne par la nullité (Cass. 2e civ. 27 nov. 1996) en évitant de parler de vice de fond, qu’il s’agit d’un type de nullité légitimement créé par la jurisprudence.

c. La régularisation de la nullité pour vice de forme

L’article 115 du CPC prévoit que « la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief. »

Il ressort de cette disposition que tout n’est pas perdu en cas de nullité pour vice de forme. L’auteur de l’acte irrégulier dispose, par principe, de la faculté de régulariser la situation.

Il s’ensuivra une validation rétroactive de l’acte entaché de nullité, celui-ci retrouvant la potentialité de produire tous ses effets.

La lecture de l’article 115 du CPC révèle cependant que trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • Pour que la nullité pour vice de forme soit couverte cela suppose, avant toute chose, que l’auteur de l’acte procède à sa régularisation.
    • Un nouvel acte rectifié et annulant et remplaçant celui entaché d’une irrégularité devra donc être accompli.
    • Il pourra s’agir, par exemple, en cas d’omission de mentions prescrites à peine de nullité, de délivrer à la partie adverse une nouvelle assignation ou de procéder à de nouvelles formalités de notifications ou de saisie.
  • Deuxième condition
    • Aucune forclusion ne doit être intervenue entre la naissance de l’irrégularité et la régularisation de l’acte
    • Reste que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, il est peu de chance que cette situation se rencontre dans la mesure où, en application de l’article 2241 du Code civil, la demande en justice interrompt les délais de prescription et de forclusion.
    • L’article 2242 précise que « l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance. »
  • Troisième condition
    • Pour que régularisation de l’acte soit opérante, l’article 115 du CPC exige qu’elle ne laisse subsister aucun grief.
    • Cela signifie donc que l’irrégularité dont était frappé l’acte ne doit plus causer aucun tort à la partie adverse, faute de quoi cette dernière sera toujours fondée à se prévaloir de la nullité
    • Il en résulte que la régularisation devra intervenir dans les plus brefs délais, sans quoi il est un risque que la défense de l’adversaire s’en trouve durablement perturbée.

d. Mise en œuvre de la nullité pour vice de forme

  • Présentation de l’exception de nullité pour vice de forme
    • Seule la partie destinataire de l’acte entaché d’une irrégularité ou celle au préjudice de laquelle il est accompli sont recevables à se prévaloir de la nullité pour vice de forme.
    • Dans un arrêt du 21 juillet 1986, la Cour de cassation avait jugé en ce sens, en des termes généraux, qu’un acte de procédure ne pouvait être annulé pour vice de forme que sur la demande d’une partie « intéressée » (Cass. 2e civ., 21 juill. 1986).
  • Office du Juge
    • À la différence de la nullité pour vice de fond, le Juge n’est pas investi du pouvoir de soulever d’office une nullité pour vice de forme.
  • Moment de la présentation de l’exception de nullité pour vice de forme
    • L’article 112 du CPC prévoit que « la nullité des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement ; mais elle est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité. »
    • L’article 113 poursuit en disposant que « tous les moyens de nullité contre des actes de procédure déjà faits doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été. »
    • Il ressort de ces deux dispositions :
      • D’une part, que l’exception de nullité pour vice de forme doit être soulevée à mesure que les actes susceptibles d’être affectés par une irrégularité sont accomplis
      • D’autre part, que cette exception doit être présentée avant toute défense au fond, ce qui implique, lorsque l’acte irrégulier intervient postérieurement à la présentation d’un moyen de défense, de se référer à la date de l’acte pour apprécier la recevabilité de l’exception de nullité

2. Les nullités des actes de procédure pour vice de fond

a. Les causes de nullité pour vice de fond

L’article 117 du CPC prévoit que constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte :

  • Le défaut de capacité d’ester en justice
    • Il peut s’agir soit d’une personne frappée d’une incapacité, doit d’un groupement qui ne dispose pas de la personnalité juridique (société en participation, société de fait, créée de fait etc..).
  • Le défaut de pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice
    • Il s’agit ici du défaut de pouvoir de représentation, soit d’une personne morale, soit d’une personne physique
  • Le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice
    • Ce cas renvoie ici à l’hypothèse de la représentation ad litem, soit au pouvoir de représentation d’une personne en justice
    • Si ce pouvoir de représentation est présumé pour les avocats, pour les autres personnes il doit être prouvé, sans compter que selon la juridiction saisie les règles de représentation diffèrent

Très vite, la question s’est posée de savoir si la liste des irrégularités de fond énoncées par cette disposition était ou non limitative ?

Pendant longtemps, la doctrine et la jurisprudence se sont divisées sur ce point.

Si la Cour de cassation a plusieurs fois posé en principe que « seules affectent la validité d’un acte indépendamment du grief qu’elles ont pu causer les irrégularités de fond limitativement énumérées par l’article 117 du nouveau code de procédure civile » (Cass. 2e civ. 15 mars 1989, n°87-19.599 et 87-45.773), des décisions font exception à ce principe.

Quant à la doctrine, elle considère en majorité que l’énumération de l’article 117 n’est pas limitative, justifiant sa position par :

  • Un argument de texte : l’emploi de l’article indéfini « des » à l’article 117 « Constituent des nullités de fond… » impliquerait qu’il peut y en avoir d’autres
  • Un argument d’opportunité, qui tiendrait à la nécessité de ne pas laisser sans sanction, pour la seule raison qu’elles n’auraient pas causé grief, des irrégularités très graves qui affectent la substance de l’acte, et où selon une expression de M. Perrot, l’irrégularité de forme n’est que la projection d’un vice de fond sous-jacent, si bien qu’elles portent atteinte à l’organisation judiciaire ou aux droits de la défense.

Depuis un arrêt rendu en date du 7 juillet 2006, il semble que la position de la Cour de cassation, réunie en chambre mixte, soit arrêtée désormais (Cass. ch. mixte, 7 juill. 2006, n°03-20.026).

Aux termes de cet arrêt, il a été jugé que « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d’un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l’article 117 du nouveau code de procédure civile »

Depuis lors, la position de la Cour de cassation est demeurée inchangée (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 17 janv. 2008, n°06-14.380).

b. La régularisation de la nullité pour vice de fond

L’article 121 du CPC prévoit que « dans les cas où elle est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue. »

Il ressort de cette disposition que, à l’instar de la nullité pour vice de forme, tout n’est pas perdu en cas de nullité pour irrégularité de fond. L’auteur de l’acte irrégulier dispose, par principe, de la faculté de régulariser la situation.

Il s’ensuivra une validation rétroactive de l’acte entaché de nullité, celui-ci retrouvant la potentialité de produire tous ses effets.

La lecture de l’article 21 du CPC révèle cependant que trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • Pour que la nullité pour vice de fond soit couverte cela suppose, avant toute chose, que l’auteur de l’acte procède à sa régularisation.
    • Un nouvel acte rectifié et annulant et remplaçant celui entaché d’une irrégularité devra donc être accompli.
    • En cas de défaut de pouvoir de l’auteur de l’acte, il s’agira pour la personne valablement investie de ce pouvoir de réitérer l’acte.
  • Deuxième condition
    • Pour que la régularisation soit opérante, l’article 121 du CPC exige que la nullité soit susceptible d’être couverte.
    • On en déduit alors que toutes les nullités ne peuvent pas être couvertes.
    • Le texte ne pose cependant aucun critère permettant de déterminer les nullités éligibles à une régularisation.
    • Ce qui est a priori acquis c’est que pour que la nullité puisse être couverte aucune forclusion ne doit être intervenue entre la naissance de l’irrégularité et la régularisation de l’acte.
    • Pour le reste, les juridictions apprécieront la possibilité d’une couverture de la nullité au cas par cas.
    • La jurisprudence a, en tout état de cause, estimé que le caractère d’ordre public d’une nullité n’était, en soi, pas rédhibitoire (V. en ce sens Cass. 3e 11 janv. 1984).
  • Troisième condition
    • Pour que régularisation de l’acte soit opérante, l’article 121 du CPC exige que la nullité ait disparu au jour où le juge statue.
    • Cette disparition doit, en conséquence, intervenir avant la clôture des débats.

c. La mise en œuvre de la nullité pour vice de fond

À l’examen, le régime juridique auquel sont assujetties les nullités pour vice de fond se rapproche plus de celui applicable aux fins de non-recevoir que de celui auquel sont soumises les nullités pour vice de forme.

  • Absence de justification d’un grief
    • L’article 119 du CPC prévoit que « les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que la nullité ne résulterait d’aucune disposition expresse. »
    • De toute évidence, c’est là une grande différence avec les nullités pour vice de forme dont la recevabilité est précisément subordonnée à l’établissement d’un grief
    • Dès lors que la nullité pour irrégularité de fond est caractérisée, elle peut être soulevée, alors même que l’existence de cette nullité ne cause aucun tort à la partie adverse.
  • Office du Juge
    • À la différence des nullités pour vice de forme qui ne peuvent, en aucune manière, être relevées d’office par le Juge, lorsqu’il s’agit d’une nullité pour vice de fond, l’article 120 du CPC confère au Juge ce pouvoir dès lors que nullité en question présente un caractère d’ordre public.
  • Moment de la présentation de l’exception de nullité pour vice de forme
    • L’article 118 du CPC dispose que « les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu’il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt. »
    • Il ressort de cette disposition que, par principe, les nullités pour vice de fond peuvent être soulevées en tout état de cause, soit à n’importe quel moment de la procédure.
    • Si toutefois leur invocation procède d’une manœuvre dilatoire de la partie qui s’en prévaut, ce qui devra être démontré, le juge pourra octroyer à la victime de cette manœuvre des dommages et intérêts.
    • Est ainsi énoncée la même règle qu’en matière de fin de non-recevoir (V. en ce sens l’article 123 du CPC).

§2 : Les moyens de défense pouvant être soulevés en tout état de cause

Deux sortes de moyens peuvent être soulevées en tout état de cause, soit au cours des débats :

  • Les fins de non-recevoir
  • Les défenses au fond

Dans la mesure où, en cas de succès, la fin de non-recevoir dispensera le juge d’examiner la demande au fond, elle doit être soulevée en premier.

I) Les fins de non-recevoir

🡺Définition

L’article 122 du Code de procédure civile définit la fin de non-recevoir comme « tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. ».

La liste de l’article 122 du code de procédure civile n’est pas limitative : des fins de non-recevoir nombreuses existent en droit de la famille(procédure de réconciliation des époux dans la procédure de divorce, filiation…), en matière de publicité foncière (fin de non-recevoir pour non-publication de la demande au bureau des hypothèques, dans les actions en nullité ou en résolution affectant des droits immobiliers – décret 4 janvier 1955, art 28), en matière de surendettement des particuliers (absence de bonne foi du demandeur).

Tandis que l’exception de procédure est une irrégularité qui concerne le fond ou la forme des actes de procédure qui affecte la validité de la procédure, la fin de non-recevoir est une irrégularité qui touche au droit d’agir : elle affecte l’action elle-même, la justification même de l’acte.

  • Le défaut de qualité
    • Avoir qualité, c’est être titulaire du droit litigieux ou être le représentant légal ou conventionnel du titulaire.
  • Le défaut d’intérêt
    • Il n’existe pas de définition juridique de l’intérêt, mais il est certain qu’avoir intérêt est la condition première pour pouvoir saisir la justice ainsi que le souligne l’adage bien connu : « Pas d’intérêt pas d’action ».
    • Le défaut d’intérêt se double souvent, d’ailleurs, d’un défaut de qualité.
    • L’intérêt doit être légitime, né et actuel ; un intérêt simplement éventuel n’est pas suffisant.
  • La prescription
    • La prescription extinctive a pour effet d’éteindre l’action du créancier attaché au droit dont il est titulaire par le seul écoulement du temps
    • Toutefois elle laisse subsister une obligation naturelle à la charge du créancier.
  • Délai préfix
    • On appelle délai « préfix » un délai de rigueur, fondé sur l’intérêt général, qui échappe entièrement à la volonté des parties.
    • La déchéance encourue résulte automatiquement et nécessairement de l’expiration du délai.
    • Le délai préfix n’est, en principe, pas susceptible d’être suspendu, ce qui le différencie du délai de prescription.
    • Par ailleurs, il n’est pas possible de renoncer à se prévaloir d’un délai préfix et, à la différence de ce qui se passe pour la prescription, le tribunal doit soulever ce moyen d’office.
  • Chose jugée
    • L’expression « chose jugée » dans le langage juridique s’applique à la décision prise par un jugement.
    • Dès que celui-ci est rendu, on lui reconnaît « autorité de chose jugée », en ce qu’il met fin au litige.
    • Le point sur lequel il a été statué ne peut plus, en principe, être remis en question dès lors qu’une présomption de vérité est attachée au jugement rendu.
    • Le principe de l’autorité de la chose jugée a été posé par le code civil qui prévoit en son article 1355 que
    • L’article 1351 du code civil énonce que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement.
    • Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.
    • Ainsi, l’autorité de la chose jugée par une décision rendue dans un litige de plein contentieux est subordonnée à la triple identité des parties, d’objet et de cause.
    • L’autorité de la chose jugée peut être ou non définitive selon que les décisions auxquelles elle s’attache sont devenues ou non inattaquables.
    • C’est pourquoi, on distingue :
      • Les jugements passés en force de chose jugée irrévocable qui ne peuvent être remis en question devant aucun tribunal (lorsque les délais des voies de recours ordinaires et extraordinaires sont expirés ou qu’il a été fait usage en vain de ces voies de droit)
      • Les jugements qui ont acquis simplement la force de chose jugée, lesquels ne peuvent être attaqués que par des voies de recours extraordinaires (tierce opposition, recours en révision, pourvoi en cassation) ;
      • Les jugements qui n’ont que l’autorité de la chose jugée, et sont susceptibles d’être attaqués par les voies de recours ordinaires.
    • La notion d’autorité de la chose jugée répond à un souci de sécurité juridique et de paix sociale : il est en effet primordial que les relations entre les particuliers eux-mêmes ou entre les particuliers et l’administration demeurent stables et ne soient pas sans cesse remises en cause devant les juridictions.
    • À cet égard, la chose jugée constitue une fin de non-recevoir et peut être opposée par l’une des parties pour empêcher que la partie adverse ne remette en question un point litigieux déjà tranché.

🡺Conditions

Contrairement aux exceptions de procédure les fins de non-recevoir, elles peuvent être invoquées en tout état de cause, à cette nuance près que l’article 123 du CPC réserve au juge la possibilité de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de soulever plus tôt.

L’article 124 précise, par ailleurs, que les fins de non-recevoir doivent être accueillies sans que celui qui les invoque ait à justifier d’un grief et alors même que l’irrecevabilité ne résulterait d’aucune disposition expresse.

🡺Pouvoirs du Juge

En application de l’article 125 du CPC, le juge est investi du pouvoir de relever d’office les fins de non-recevoir, dès lors qu’elles ont un caractère d’ordre public, notamment lorsqu’elles résultent de l’inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées les voies de recours ou de l’absence d’ouverture d’une voie de recours.

S’agissant de relever d’office la fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée, aucune obligation ne pèse sur le juge. Il dispose d’une simple faculté.

🡺Régularisation

L’article 126 du CPC prévoit que l’irrégularité tirée d’une fin de non-recevoir peut être couverte si elle a disparu au moment où le juge statue.

Il en est de même lorsque, avant toute forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance.

II) Les défenses au fond

L’article 71 du CPC définit la défense au fond comme « tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l’adversaire. »

Il ressort de cette disposition que la défense au fond n’a d’autre objet ou finalité que d’obtenir le rejet, comme non fondée, de la prétention adverse en déniant le droit prétendu de l’adversaire.

Autrement dit, c’est « un moyen directement dirigé à l’encontre de la prétention du demandeur pour établir qu’elle est injustifiée, non fondée »[2]

La défense au fond se situe ainsi sur le fond du droit, et non plus sur le terrain de la procédure ou du droit d’agir. Il s’agit de combattre la demande de la partie adverse en démontrant qu’elle est mal-fondée en fait et/ou en droit.

À l’instar de la fin de non-recevoir, la défense au fond peut être proposée en tout état de cause. Mieux, elle n’est soumise à aucune condition de recevabilité.

  1. G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 1992, p. 545
  2. S. Guinchard, F. Ferrand, et C. Chaisnais, Procédure civile, Dalloz, 2010, 30 ème édition, n° 317

La protection du logement familial: régime juridique (art. 215, al. 3e C. civ.)

Parce que les époux se sont mutuellement obligés à une communauté de vie, ils doivent affecter un lieu à leur résidence familiale. C’est le logement de la famille.

Ce logement de la famille a pour fonction première d’abriter la cellule familiale et plus précisément d’être le point d’ancrage de la vie du ménage. C’est lui qui assure l’unité, la cohésion et la sécurité de la famille. D’une certaine manière, ainsi que l’observe Anne Karm, il la protège des « agressions matérielles et morales extérieures »[1].

Pour toutes ces raisons, le logement familial bénéficie d’un statut particulier, l’objectif recherché par le législateur étant de faire primer l’intérêt de la famille sur des considérations d’ordre purement patrimonial.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par logement de famille, l’enjeu étant de pouvoir déterminer quels sont les lieux éligibles à la protection instituée par la loi.

==> Notion de logement familial

Les textes sont silencieux sur la notion de logement familial. L’article 215 du Code civil, qui régit son statut, ne fournit aucune définition.

Ainsi que le relèvent des auteurs, la notion de logement de la famille « à la différence du domicile, notion de droit […] est une notion concrète qui exprime une donnée de fait »[2].

En substance, il s’agit de l’endroit où réside la famille et plus encore du lieu où le ménage, composé des époux et de leurs enfants, s’est établi pour vivre.

Aussi, le logement familial correspond nécessairement à la résidence principale du ménage, soit le lieu, pour reprendre la formule d’un auteur, « où se concentrent les intérêts moraux et patrimoniaux de la famille »[3].

Pratiquement, il s’agit donc de l’endroit qui est effectivement occupé par le ménage et qui est donc susceptible de changer autant de fois que la famille déménage.

Il s’en déduit que la résidence secondaire ne peut jamais, par hypothèse, endosser la qualification de logement familial au sens de l’article 215, al. 2e du Code civil.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 octobre 1999, aux termes duquel elle a affirmé « qu’un immeuble qui sert de résidence secondaire aux époux, et non de résidence principale, ne constitue pas le logement familial » (Cass. 1ère civ. 19 oct. 1999, n°97-21.466).

Seule la résidence principale est ainsi éligible à la qualification de logement de la famille.

Quant au logement de fonction, il ressort d’un arrêt du 4 octobre 1983 (Cass. 1ère civ. 4 oct. 1983, n°84-14093), qu’il se voit appliquer d’un statut hybride. Il convient, en effet, de s’attacher à la situation du conjoint qui bénéficie de ce logement :

  • Tant que l’époux exerce ses fonctions, le logement qui lui est attribué au titre de son activité professionnelle endosse le statut de résidence familiale, dès lors que c’est à cet endroit que le ménage vie
    • Il en résulte qu’il lui est fait défense de renoncer à son logement de fonction pour des convenances d’ordre personnel, à tout le moins sans obtenir le consentement de son conjoint.
    • Il lui faudra donc observer les règles énoncées à l’article 215, al. 3e du Code civil.
  • Lorsque, en revanche, l’époux quitte ses fonctions, le logement qui lui est attribué au titre de son activité professionnelle perd son statut de résidence familiale
    • La conséquence en est que le conjoint ne peut pas s’opposer à la restitution de ce logement.
    • La première chambre civile justifie cette position en arguant que l’application du dispositif posé à l’article 215, al. 3e du Code civil serait de nature à porter atteinte à la liberté d’exercice professionnel de l’époux auquel est attribué le logement de fonction.

Enfin, il convient de préciser que le logement de la famille ne se confond pas nécessairement avec la résidence des époux qui peuvent, pour de multiples raisons, vivre séparément.

Dans un arrêt du 22 mars 1972, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le logement de la famille ne s’identifie pas nécessairement avec le domicile conjugal » (Cass. 1ère civ. 22 mars 1972, n°70-14.049).

Toute la question est alors de savoir quel est le logement familial lorsque les époux ne résident pas au même endroit.

==> Logement familial et séparation des époux

La plupart du temps, tous les membres du ménage vivent sous le même toit, de sorte que l’identification de la résidence familiale ne soulèvera aucune difficulté.

Il est néanmoins des circonstances, de droit ou de fait, susceptibles de conduire les époux à vivre séparément. En pareil cas, la question se pose inévitablement du lieu de situation du logement de la famille.

Pour le déterminer, il y a lieu de distinguer deux situations :

  • Première situation : l’un des époux occupe la résidence dans laquelle le ménage s’était établi avant la séparation du couple
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation considère que la séparation est sans incidence sur le lieu de la résidence familiale.
    • Ce lieu ne change pas : il demeure celui choisi en commun par les époux avant que la situation de crise ne surgisse (v. en ce sens 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).
    • Dans un arrêt du 26 janvier 2011, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser en ce sens que « le logement de la famille ne perd pas cette qualité lorsque sa jouissance a été attribuée, à titre provisoire, à l’un des époux pour la durée de l’instance en divorce» ( 1ère civ. 26 janv. 2011, n°09-13.138).
  • Seconde situation : les époux ont tous deux quitter la résidence dans laquelle le ménage s’était établi avant la séparation du couple
    • Dans cette hypothèse, le juge est susceptible de désigner le lieu qu’il considérera comme constituant le logement de la famille en se laissant guider par un faisceau d’indices.
    • Il pourra notamment prendre en compte le lieu de résidence des enfants où encore l’endroit où l’un des époux a décidé d’installer son conjoint.
    • Quid néanmoins lorsqu’aucun élément tangible ne permet de désigner le lieu de situation de la résidence familiale, notamment lorsque les époux n’ont pas d’enfants, à tout le moins à charge ?
    • Doit-on considérer les logements occupés séparément par les époux endossent tous deux la qualification de résidence familiale ou peut-on admettre que le logement de la famille n’a tout bonnement pas survécu à la séparation du ménage ?
    • La doctrine est partagée sur ce point. Quant à la jurisprudence, elle ne s’est pas encore prononcée.

Au total, l’identification du logement familial présente un enjeu majeur, dans la mesure où elle permet de déterminer quelle résidence est protégée par le régime primaire.

À cet égard, ce statut protecteur attaché au logement de la famille repose sur deux dispositifs énoncés aux alinéas 2 et 3 de l’article 215 du Code civil :

  • Le premier dispositif vise à encadrer le choix du logement familial qui ne peut procéder que d’un commun accord des époux
  • Le second dispositif vise quant à lui à protéger le logement familial d’actes accomplis par un époux seul qui porterait atteinte à l’intérêt de la famille

Nous nous focaliserons ici sur le second dispositif.

Parce que la famille est le principal pilier de l’ordre social, ainsi qu’aimait à le rappeler le Doyen Carbonnier[4], le législateur a donc entendu sanctuariser le logement dans lequel elle a élu domicile en lui conférant un statut spécifique.

La spécificité de ce statut tient à son caractère dérogatoire en ce sens qu’il soustrait la résidence familiale au jeu du droit commun des biens.

Le législateur a été guidé par cette idée que l’intérêt de la famille devait primer sur les considérations d’ordre patrimonial, ce qui, en certaines circonstances, justifie qu’il puisse être porté atteinte au droit de propriété individuel d’un époux.

À l’examen, cette protection dont jouit la résidence familiale se compose de deux corps de règles. Les premières, énoncées à l’article 215, al. 3e du Code civil, ont une portée générale tandis que les secondes, énoncées à l’article 1751, n’intéressent que le cas où le logement de la famille est occupé par le ménage au titre d’un contrat de bail.

§1: La protection générale du logement familial ( 215, al. 3e C. civ.)

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux ne peut disposer seul de la résidence familiale ainsi que des meubles qui y sont attachés. Il ne peut le faire qu’avec le consentement de son conjoint, ce qui, lorsqu’il s’agit de biens propres n’est pas sans porter atteinte à son droit de propriété.

Après avoir déterminé le domaine d’application de cette règle qui ne concerne que le logement de la famille, nous envisagerons sa mise en œuvre.

I) Le domaine de la protection

A) Le domaine de la protection quant à son objet

L’article 215, al. 3 du Code civil interdit donc les époux de disposer l’un sans l’autre « des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni ».

L’objet de l’interdiction ainsi posée est double :

  • D’une part, elle porte sur la résidence familiale
  • D’autre part, elle s’étend aux meubles meublants qui le garnissent
  1. Le logement familial

À l’analyse, l’objet de l’interdiction faite aux époux de disposer seul du logement familial est des plus larges.

L’article 215, al. 3e du Code civil précise, en effet, que cette interdiction porte, non pas sur le bien qui sert de lieu de résidence aux époux, mais sur « les droits par lesquels est assuré le logement de famille ».

Deux questions alors se posent :

  • Première question: que doit-on entendre par logement de famille
  • Seconde question: quels sont les droits visés par l’interdiction formulée par le texte

==> La notion de logement de famille

Ainsi qu’il l’a été exposé précédemment, le logement familial correspond à l’endroit où réside la famille et plus encore du lieu où le ménage, composé des époux et de leurs enfants, s’est établi pour vivre.

Il s’agit, plus précisément de sa résidence principale, soit le lieu où elle vit de façon stable et habituelle.

Les résidences secondaires sont de la sorte exclues du champ d’application de l’interdiction énoncée à l’article 215, al. 3e du Code civil.

Quant au logement de fonction, il jouit d’un statut hybride en ce sens qu’il ne jouit de la protection instituée par le texte qu’autant que l’époux auquel il est attribué conserve ses fonctions. Lorsqu’il les quitte, son conjoint ne peut s’opposer à la restitution du logement.

==> Les droits dont un époux ne peut disposer seul

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que l’interdiction porte sur « sur « les droits par lesquels est assuré le logement de famille ».

Il est admis, tant par la doctrine, que par la jurisprudence que sont ici visées tous les droits qui confèrent au ménage un titre de jouissance de la résidence familiale.

La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 20 janvier 2004, au visa de l’article 215, al. 3e « que ce texte institue un régime de protection du logement familial visant les droits de toute nature de l’un des conjoints sur le logement de la famille » (Cass. 1ère civ. 20 janv. 2004, n°02-12.130).

Il est donc indifférent qu’il s’agisse de droits réels ou de droits personnels. Au nombre des droits éligibles au dispositif de protection du logement de famille figurent donc :

  • Le droit de propriété
  • Le droit d’usufruit
  • Le droit d’habitation
  • Le droit au bail
  • Le droit au maintien dans les lieux

Dans un arrêt du 14 mars 2018, la Cour de cassation est venue préciser que « si l’article 215, alinéa 3, du code civil, qui a pour objectif la protection du logement familial, subordonne au consentement des deux époux les actes de disposition portant sur les droits par lesquels ce logement est assuré, c’est à la condition, lorsque ces droits appartiennent à une société civile immobilière dont l’un des époux au moins est associé, que celui-ci soit autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé ou d’une décision prise à l’unanimité de ceux-ci, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du code civil ».

Aussi, lorsqu’il n’est justifié, poursuit la première chambre civile, d’aucun bail, droit d’habitation ou convention de mise à disposition du logement occupé par le ménage, la protection accordée par l’article 215, al. 3e doit être écartée (Cass. 1ère civ. 14 mars 2018, n°17-16.482).

L’enseignement qui peut manifestement être retiré de cet arrêt est que seuls les droits donnant vocation à la jouissance ou à l’attribution d’un logement sont visés par l’interdiction posée par ce texte.

2. Les meubles meublants

La protection instituée par l’article 215, al. 3e du Code civil ne concerne pas seulement le logement familial, elle porte également sur les meubles meublants qui le garnissent.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par meubles meublants. Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter à l’article 534 du Code civil qui en donne une définition.

Cette disposition prévoit, en effet, que les meubles meublants correspondent à ceux « destinés à l’usage et à l’ornement des appartements, comme tapisseries, lits, sièges, glaces, pendules, tables, porcelaines et autres objets de cette nature ».

L’alinéa 2 de l’article 534 précise que, « les tableaux et les statues qui font partie du meuble d’un appartement y sont aussi compris, mais non les collections de tableaux qui peuvent être dans les galeries ou pièces particulières ». Sont ainsi exclus de la qualification de meubles meublants, les biens mobiliers qui constituent une universalité de fait.

L’alinéa 3 du texte ajoute qu’« il en est de même des porcelaines : celles seulement qui font partie de la décoration d’un appartement sont comprises sous la dénomination de “meubles meublants ».

Pour qu’un bien mobilier puisse être qualifié de meuble meublant, encore faut-il qu’il soit toujours présent dans le logement au moment où l’acte litigieux est accompli par un époux seul.

Par ailleurs, il peut être observé que l’interdiction pour les époux de disposer des meubles meublants prime sur la règle énoncée à l’article 222 du Code civil qui prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »

Aussi, en cas de violation par un époux de l’interdiction posée à l’article 215, al. 3e du Code civil, l’acte accompli au mépris de cette interdiction pourrait faire l’objet d’une annulation, nonobstant la bonne foi du tiers.

Cette disposition n’est pas applicable aux meubles meublants visés à l’article 215, alinéa 3, non plus qu’aux meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404.

Cette dérogation à la présomption de pouvoir édictée par l’article 222 est expressément prévue au second alinéa de ce texte.

B) Le domaine de la protection quant aux actes

  1. Principe

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que les actes portant sur le logement familial soumis au consentement des deux époux sont les actes de disposition.

La formulation est des plus larges, de sorte que tous les actes qui tendent à aliéner, à titre onéreux ou à titre gratuit, le bien dans lequel le ménage a élu domicile sont d’emblée visés par l’interdiction.

Plus que l’aliénation de la résidence familiale, ce sont, en réalité, tous les actes susceptibles de priver la famille de son logement qui relèvent du domaine d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

==> Les actes visant à aliéner le logement familial

Au nombre des actes qui ne peuvent être accomplis par un époux seul figurent, au premier chef, la vente ainsi que tous les actes qui en dérivent.

Ainsi, dans un arrêt du 6 avril 1994, la Cour de cassation a admis que la conclusion d’une promesse synallagmatique de vente valant vente, elle constituait un acte de disposition des droits par lequel est assuré le logement de la famille au sens de l’article 215, al. 3e du Code civil peu important que le transfert de propriété ait été reporté au jour de l’acte authentique dès lors que cette stipulation n’avait pas été considérée par les parties comme un élément essentiel à la formation de la vente (Cass. 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-15.000).

Dans un arrêt du 16 juin 1992, elle a encore décidé que la vente avec réserve d’usufruit au profit du seul époux propriétaire vendeur supposait le recueil du consentement de son conjoint (Cass. 1ère civ. 16 juin 1992, n°89-17.305).

De façon générale, sont visés par l’interdiction énoncée à l’article 215, al. 3e du Code civil tous les actes qui opèrent un transfert de propriété du bien, tels que la donation, l’échange ou encore l’apport en société.

Il en va de même pour les actes réalisant un démembrement du droit de propriété conduisant à priver la famille de son logement, tels que la constitution d’un usufruit, d’un droit d’habitation ou encore d’un droit d’usage.

Tel est encore le cas des actes constitutifs de sûretés sur le logement familial (hypothèque) ou sur les meubles meublant (gage).

S’agissant de la constitution d’une hypothèque, la Cour de cassation a pris le soin de préciser dans un arrêt du 4 octobre 1983 que « l’inscription d’hypothèque judiciaire qui n’est que l’exercice d’une prérogative légale accordée au titulaire d’une créance, même chirographaire, n’est pas un acte de disposition par un époux au sens de l’article 215, alinéa 3, du code civil » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 1983, n°82-13.781).

Aussi, pour la Première chambre civile, seule l’hypothèque conventionnelle est visée par ce texte.

Dans une décision du 17 décembre 1991, elle a jugé en ce sens, au visa des articles 215, al. 3e et 2124 du Code civil « qu’il résulte du premier de ces textes que le mari ne peut disposer seul des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ; qu’aux termes du second, les hypothèques conventionnelles ne peuvent être consenties que par ceux qui ont la capacité d’aliéner les immeubles qu’ils y soumettent » (Cass. 1ère civ. 17 déc. 1991, n°90-11.908).

La simple promesse d’affectation hypothécaire n’est, en revanche, pas soumise à l’exigence du double consentement des époux, dans la mesure où la violation d’une telle promesse donne seulement lieu à l’octroi de dommages et intérêts (Cass. 3e civ. 29 mai 2002, n°99-21.018).

En définitive, il y a donc lieu de distinguer l’aliénation volontaire du logement familial qui suppose le consentement des deux époux, de l’aliénation forcée (judiciaire) qui échappe, quant à elle, à l’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

==> Les actes visant à priver la famille de son logement

Une analyse de la jurisprudence révèle que la Cour de cassation ne s’est pas limitée à inclure dans le giron de l’article 215, al. 3e du Code civil les seuls actes de pure disposition.

Par une interprétation extensive de la règle, elle a jugé qu’étaient également visés par l’exigence double consentement tous les actes privant ou risquant de priver la famille de son logement.

C’est ainsi que la Cour de cassation a admis que la conclusion, par un époux seul, d’un bail au profit d’un tiers pouvait être frappée de nullité dès lors que l’acte accompli était de nature à compromettre la vocation familiale du logement donné en location (Cass. 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-13.441).

Au soutien de sa décision, elle affirme qu’il résulte des termes généraux de l’article 215, alinéa 3, du Code civil instituant un régime de protection du logement familial que ce texte vise les actes qui anéantissent ou réduisent les droits réels ou les droits personnels de l’un des conjoints sur le logement de la famille.

Or tel est le cas, poursuit-elle, d’une location puisque conduisant à priver la famille de ses droits de jouissance ou d’occupation du logement familial.

Dans le droit fil de cette solution, la Cour de cassation a considéré que le mandat confié à un agent immobilier de vendre le logement familial exigeait le consentement des deux époux dès lors que l’acte conclu engageait le mandant (Cass. 1ère civ. 13 avr. 1983, n°82-11.121).

Pour elle, cet acte étant susceptible de priver la famille de son logement, rien ne justifie qu’il échappe à l’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

La première chambre civile est allée encore plus loin en jugeant, dans un arrêt du 10 mars 2004, que la résiliation du contrat d’assurance garantissant le logement familial contre d’éventuels sinistres ne pouvait être accomplie par un époux seul et exigeait donc, pour être valable, le consentement du conjoint (Cass. 2e civ. 10 mars 2004, n°02-20.275).

Cette position a pour le moins été froidement accueillie par la doctrine. Pour Isabelle Dauriac, par exemple, la solution retenue fait « le jeu d’une politique peut être à l’excès sécuritaire. Cette application de l’article 215, al. 3e est à ce point déformante qu’elle pourrait transformer l’exception de cogestion – censée éviter que la famille ne soit exposée à la privation de son toit par la seule initiative d’un époux –, en règle de principe applicable à tout acte du seul fait qu’il concerne le logement »[5].

Malgré les critiques, la Cour de cassation a persévéré dans sa position en précisant dans un arrêt du 14 novembre 2006 que la résiliation par un époux, sans le consentement de son conjoint, d’un contrat d’assurance relatif à un bien commun n’encourt la nullité « que dans la seule mesure où ce bien est affecté au logement de la famille en application de l’article 215, alinéa 3, du code civil » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).

Au bilan, il apparaît que les actes portant sur le logement familial qui requièrent le consentement des deux époux sont moins ceux qui visent à aliéner le bien, que ceux qui ont pour effet de priver la famille de son logement.

C’est là le véritable critère retenu par la jurisprudence pour déterminer si un acte relève ou non du domaine d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

Reste que la règle ainsi posée n’est pas sans faire l’objet d’un certain nombre d’exceptions.

2. Exceptions

L’interdiction pour les époux d’accomplir seul un acte susceptible de priver la famille de son logement n’est pas absolue. Elle souffre de plusieurs exceptions qui intéressent plusieurs catégories d’actes.

  • Les actes n’opérant pas d’aliénation du logement familial
    • L’interdiction posée par l’article 215, al. 3e du Code civil ne se conçoit qu’en présence d’un acte qui vise à aliéner le logement familial, à tout le moins d’en priver le ménage.
    • C’est la raison pour laquelle les actes qui n’opèrent pas d’aliénation de ce bien ne requièrent pas le consentement des deux époux.
    • Ainsi, une vente assortie d’une clause de réserve d’usufruit au profit du conjoint survivant du vendeur ne semble pas être visée par l’interdiction faite aux époux de disposer seul du logement familial (TGI Paris, 16 déc. 1970).
    • Dans le même sens, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 22 mai 2019, qu’une donation avec réserve d’usufruit au profit de l’époux donateur échappait à l’exigence du double consentement, dès lors que la donation consentie ne portait pas atteinte « à l’usage et à la jouissance du logement familial».
    • À cet égard, la Cour de cassation précise qu’il est indifférent que la donation soit de nature à priver le conjoint survivant du logement de famille au décès du donateur, dans la mesure où la règle édictée à l’article 215, al. 3e du Code civil, « qui procède de l’obligation de communauté de vie des époux, ne protège le logement familial que pendant le mariage» ( 1ère civ. 22 mai 2019, n°18-16.666).
  • Les actes de disposition à cause de mort
    • La question s’est posée en jurisprudence de savoir si les actes de disposition à cause de mort (les testaments) étaient visés par l’article 215, al. 3e du Code civil.
      • Les arguments pour l’application du texte
        • Tout d’abord, il peut être avancé que l’article 215, al. 3 ne distingue pas selon la nature de l’acte accompli par un époux seul, de sorte que l’interdiction viserait indifféremment tous les actes de disposition, peu important qu’ils soient accomplis entre vifs ou à cause de mort.
        • Ensuite, il a été soutenu que le testament attribuant la résidence familiale à un tiers devait nécessairement être soumis au consentement des deux époux dans la mesure où au décès du testateur il aurait pour effet de priver la famille, à commencer par le conjoint survivant, de son logement.
        • Or ce serait là contraire à l’esprit de l’article 215, al. 3 qui a précisément été institué en vue d’assurer un toit au ménage.
      • Les arguments contre l’application du texte
        • En premier lieu, il peut être observé que, exiger d’un époux qu’il obtienne l’autorisation de son conjoint, pour léguer la propriété du logement familial qui lui appartient en propre reviendrait à porter atteinte à la liberté de tester.
        • En second lieu, et c’est là l’argument décisif nous semble-t-il, l’interdiction posée à l’article 215, al. 3e du code civil n’a cours qu’autant que le mariage perdure.
        • Or le décès d’un époux emporte dissolution de l’union matrimoniale et, par voie de conséquence, extinction de tous les droits et obligations qui y sont attachés.
        • Aussi, n’est-il pas illogique de considérer que la protection instituée par l’article 215, al. 3e ne survit pas au décès d’un époux.
    • Finalement, la Cour de cassation a tranché en faveur de l’inapplication de l’interdiction posée par ce texte aux actes de disposition accomplis à cause de mort.
    • Dans un arrêt du 22 octobre 1974, elle a jugé en ce sens que « l’article 215, alinéa 4, du code civil qui protège le logement de la famille […] le mariage ne porte pas atteinte au droit qu’à chaque conjoint de disposer de ses biens à cause de mort» ( 1ère civ. 22 oct. 1974, n°73-12.402).
    • A cet égard, il peut être observé que la portée de cette solution doit être mise en perspective avec la loi du 3 décembre 2001 qui a réformé le droit des successions.
    • Cette loi a notamment institué au profit du conjoint survivant un droit de maintien, à titre gratuit, pendant une durée d’un an, dans le logement de la famille qui était occupé par le couple ( 763 C. civ.) et est titulaire, à l’expiration de ce délai, d’un droit viager d’habitation et d’usage de ce logement à titre onéreux (qui s’impute sur la succession) sauf volonté contraire de l’époux défunt (art. 764 C. civ.).
    • Le conjoint survivant n’est, de la sorte, pas sans protection en cas de legs à un tiers, par son époux, de la résidence familiale. L’esprit de l’article 215, al. 3e est sauf.
  • La demande en partage
    • Dans l’hypothèse où le logement familial est détenu en indivision par les époux, la question s’est posée de savoir si la demande en partage formulée par l’un d’eux tombait sous le coup de l’article 215, al. 3e du Code civil.
    • Cette situation se rencontrera notamment, lorsque les époux seront mariés sous le régime de la séparation de biens.
    • Une demande en partage est constitutive, a priori, d’un acte de disposition de sorte qu’elle devrait être soumise au consentement des deux époux, en particulier, lorsque cette demande est susceptible de conduire à priver la famille de son logement.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 1978, la Cour de cassation a pourtant considéré que « nonobstant les dispositions de l’article 215 alinéa 3 du code civil, les époux ont le droit de demander le partage de biens indivis servant au logement de la famille et que ces dispositions doivent, hors le cas de fraude, être considérées comme inopposables aux créanciers sous peine de frapper les biens d’une insaisissabilité contraire à la loi» ( 1ère civ. 4 juill. 1978, n°76-15.253).
    • Dans cette décision, la première chambre civile semble ainsi faire primer l’application de l’article 815 sur le dispositif énoncé à l’article 215, al. 3 du Code civil.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2004, la Cour de cassation est toutefois venue préciser que « les dispositions de l’article 215, alinéa 3, du Code civil ne font pas obstacle à une demande en partage des biens indivis, dès lors que sont préservés les droits sur le logement de la famille» ( 1ère civ. 19 oct. 2004, n°02-13.671).
    • Autrement dit, si la demande en partage peut être formulée par un époux seul, c’est à la condition qu’elle n’ait pas pour effet de priver son conjoint de la jouissance du logement de la famille, ce qui implique que lui soit réservé un droit d’habitation et d’usage de l’immeuble dont la propriété est transférée à un attributaire tiers.
  • L’acte de cautionnement
    • Bien que l’acte de cautionnement ne soit pas constitutif d’un acte de disposition en tant que tel, dans la mesure où il consiste seulement à consentir à un créancier un droit de gage général sur le patrimoine de la caution, sa réalisation est, quant à elle, susceptible de conduire à une aliénation – forcée – des biens dont est propriétaire cette dernière.
    • Or parmi ces biens, est susceptible de figurer le logement familial ; d’où la question qui s’est posée de savoir si l’acte de cautionnement relevait du champ d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.
    • À cette question, il a été répondu par la négative par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 juillet 1978, sous réserve qu’aucune fraude ne soit constatée ( 1ère civ. 21 juill. 1978, n°77-10.330).
    • Reste que, dans l’hypothèse où les époux sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts et que le logement familial est un bien commun, celui-ci ne pourra être saisi en exécution d’un cautionnement qu’à la condition que le conjoint de l’époux qui a agi seul ait consenti à l’acte.
    • L’article 1415 du Code civil prévoit, en effet, que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »
    • En l’absence de consentement du conjoint, le cautionnement souscrit par un époux ne sera donc exécutoire que sur ses biens propres ainsi que sur ses gains et salaires.
  • Les actes d’exécution forcée accomplis par les créanciers du ménage
    • Principe
      • Il est admis de longue date que l’indisponibilité du logement de la famille au titre de l’article 215, al. 3e du Code civil n’emporte pas l’insaisissabilité de ce bien.
      • Autrement dit, cette disposition ne saurait faire obstacle à la saisie de la résidence familiale pratiquée en exécution d’une dette contractée par un époux seul.
      • Dans un arrêt du 12 octobre 1977, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’article 215, alinéa 3, du code civil, selon lequel les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, n’est pas applicable lorsqu’il s’agit d’une vente forcée poursuivie en vertu de la loi du 13 juillet 1967 sur la liquidation des biens» ( 3e civ. 12 oct. 1977, n°76-12.482).
      • Cette position se justifie en raison de l’objet de la règle posée par ce texte qui se borne à exiger le consentement des deux époux pour les seuls actes volontaires qui visent à aliéner le logement familial.
      • Lorsque l’aliénation est subie, soit lorsqu’elle procède du recouvrement forcé d’une dette contractée par un époux seul, elle échappe à l’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.
      • Il s’agit là d’une jurisprudence constante maintenue par la Cour de cassation qui se refuse à étendre le champ d’application aux actes qui certes engagent le patrimoine du ménage, mais qui ne portent pas directement sur les droits qui assurent le logement de la famille.
      • Les cas d’aliénation forcée sont variés : il peut s’agir de la constitution d’une sûreté judiciaire ( 1ère civ. 4 oct. 1983, n°84-14093), d’une vente forcée dans le cadre d’une liquidation judiciaire (Cass. 3e civ. 12 oct. 1977, n°76-12.482) ou encore d’un partage du bien indivis provoqué par les créanciers (Cass. 1ère civ., 3 déc. 1991, n°90-12.469)
      • Ainsi que le relèvent des auteurs « la solution contraire conduirait les créanciers à exiger le consentement des deux époux, ce qui étendrait excessivement le domaine de la cogestion voulue par le législateur»[6].
      • Les juridictions réservent néanmoins le cas de la fraude qui donnerait lieu à un rétablissement de la règle posée à l’article 215, al. 3e du Code civil.
    • Tempérament
      • Par exception au principe de saisissabilité du logement familial dans le cadre du recouvrement d’une dette contractée du chef d’un seul époux, la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a institué à la faveur de l’entrepreneur individuel un mécanisme d’insaisissabilité de la résidence principale.
      • En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.
      • Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation.
        • Les entrepreneurs assujettis à l’obligation d’immatriculation
          • Les commerçants doivent s’immatriculer au Registre du commerce et des sociétés
          • Les artisans doivent s’immatriculer au Répertoire des métiers
          • Les agents commerciaux doivent s’immatriculer au registre national des agents commerciaux s’il est commercial.
          • Concomitamment à cette immatriculation, l’article L. 526-4 du Code de commerce prévoit que « lors de sa demande d’immatriculation à un registre de publicité légale à caractère professionnel, la personne physique mariée sous un régime de communauté légale ou conventionnelle doit justifier que son conjoint a été informé des conséquences sur les biens communs des dettes contractées dans l’exercice de sa profession. »
        • Les entrepreneurs non assujettis à l’obligation d’immatriculation
          • Les agriculteurs n’ont pas l’obligation de s’immatriculer au registre de l’agriculture pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité
          • Il en va de même pour les professionnels exerçant à titre indépendant, telles que les professions libérales (avocats, architectes, médecins etc.)
      • Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).
      • S’agissant du régime de l’insaisissabilité de la résidence principale, l’article 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne».
      • Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.
      • Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

C) Le domaine de la protection quant à la durée

Il est admis que la protection du logement familial opère aussi longtemps que le mariage perdure.

Aussi, seule la dissolution de l’union matrimoniale est susceptible de mettre fin à l’interdiction posée à l’article 215, al. 3 du Code civil.

À cet égard, dans un arrêt du 22 mai 2019, la Cour de cassation a affirmé que la règle édictée à l’article 215, al. 3e du Code civil, « qui procède de l’obligation de communauté de vie des époux, ne protège le logement familial que pendant le mariage » (Cass. 1ère civ. 22 mai 2019, n°18-16.666).

La séparation de fait des époux est donc sans incidence sur les effets de cette règle qui ne sont nullement suspendus en pareille circonstance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-13.141).

Il en va de même s’agissant de la séparation de droit, telle que celle qui intervient dans le cadre d’une procédure de divorce.

La plupart du temps, le juge attribuera temporairement la jouissance du logement familial à l’un des époux pendant toute la durée de l’instance.

Dans un arrêt du 26 janvier 2011, la Cour de cassation a jugé, à cet égard, que « le logement de la famille ne perd pas cette qualité lorsque sa jouissance a été attribuée, à titre provisoire, à l’un des époux pour la durée de l’instance en divorce »

Elle en déduit que, en cas de vente de ce bien par un époux seul sans le consentement de son conjoint alors que la dissolution du mariage n’est pas encore intervenue, est nulle en application de l’article 215, alinéa 3, du code civil (Cass. 1ère civ. 26 janv. 2011, n° 09-13.138).

Dans un arrêt du 30 septembre 2011, elle a toutefois précisé que « l’attribution, à titre provisoire, de la jouissance du domicile conjugal à l’un des époux par le juge du divorce ne fait pas obstacle à une autorisation judiciaire de vente du logement familial à la demande de l’autre époux en application de l’article 217 du code civil » (Cass. 1ère civ. 30 sept. 2009, n°08-13.220).

II) La mise en œuvre de la protection

A) L’exigence de consentement des deux époux

==> Le principe de codécision

L’article 215, al. 3e du Code civil requiert le consentement des deux époux pour tous les actes qui visent à priver la famille de son logement.

Est ainsi instauré un principe de codécision, en ce sens que les époux, selon la lettre du texte, « ne peuvent l’un sans l’autre » accomplir d’actes de disposition sur la résidence familiale.

Un auteur relève que, techniquement, l’article 215, al. 3 n’instaure pas un mécanisme de cogestion, tel qu’envisagé dans le régime légal, mais plutôt un mécanisme de codécision.

La cogestion renvoie, selon lui, à l’idée que le consentement des époux est mis sur le même plan, soit qu’il aurait la même portée.

Or s’agissant des actes de disposition du logement familial, la portée du consentement du conjoint varie d’un régime matrimonial à l’autre.

En effet, tandis qu’il peut s’agir d’une « simple autorisation » lorsque le logement de la famille est un bien propre du mari, le consentement du conjoint peut valoir « coparticipation à l’acte » en régime communautaire lorsque la résidence familiale est un bien commun[7].

La notion de codécision présente cet avantage d’embrasser les différents degrés de consentement que l’article 215, al. 3 mobilise au titre de la protection du logement de la famille.

==> Les modalités du consentement

Dans le silence des textes, il est admis que le consentement du conjoint puisse ne pas se traduire par l’établissement d’un écrit.

Dans un arrêt du 13 avril 1983, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’article 215 du code civil n’exige pas que, pour un acte de nature à priver la famille de son logement, le consentement de chaque conjoint soit constaté par écrit »

Le texte exige seulement précise-t-elle « que ce consentement soit certain » (Cass. 1ère civ. 13 avr. 1983, n°82-11.121).

Quant à l’étendue du consentement, il ne doit pas seulement porter sur le principe de l’aliénation du logement familial, le conjoint doit également se prononcer sur les termes de cette aliénation.

Ainsi, dans un arrêt du 16 juillet 1985, la Cour de cassation a-t-elle affirmé, au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil, « que le consentement du conjoint, exigé par ce texte, doit porter non seulement sur le principe de la disposition des droits par lesquels est assure le logement de la famille, mais aussi sur les conditions de leur cession » (Cass. 1ère civ. 16 juill. 1985, n°83-17.393).

Le consentement donné par le conjoint doit, dans ces conditions, être certain et spécial, faute de quoi il ne suffira pas à valider l’acte de disposition.

B) La sanction de l’exigence de consentement des deux époux

  1. La nullité relative

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que, en cas de violation de l’exigence du double consentement des époux « celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’accomplissement par un époux seul d’un acte privant la famille de son logement, la sanction encourue c’est la nullité de l’acte.

Et par nullité, il faut entendre nullité relative dans la mesure où la règle instaurée par le texte intéresse l’ordre public de protection.

Il en résulte qu’elle ne peut être soulevée que par l’époux dont les intérêts ont été contrariés, ce qui interdit donc à l’auteur de l’acte litigieux de s’en prévaloir (V. en ce sens Cass. com. 26 mars 1996, n°94-13.124).

Dans un arrêt du 3 mars 2010, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « si l’article 215 du code civil désigne l’époux dont le consentement n’a pas été donné comme ayant seul qualité pour exercer l’action en nullité de l’acte de disposition, par son conjoint, des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, cet époux doit justifier d’un intérêt actuel à demander l’annulation de l’acte » (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-13.500)

Dans cette affaire, l’épouse qui se prévalait de la nullité de l’acte n’occupait plus le logement familial au jour de l’introduction de son action en justice, de sorte qu’elle ne justifiait d’aucun intérêt à agir.

Lorsque, toutefois, cet intérêt à agir sera démontré, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation quat à accueillir la nullité dès lors que les conditions de l’article 215, al. 3e di Code civil. Il s’agit là d’une nullité de droit et non d’une nullité faculté dont le prononcé est laissé à la discrétion du juge.

2. L’action en nullité

==> Principe : le bref délai

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Cette action est ainsi enfermée dans un double délai :

  • Premier délai
    • L’action en nullité peut être exercé dans le délai d’un an à compter du jour où son titulaire a eu connaissance de l’acte.
    • Dans un arrêt du 2 décembre 1982, la Cour de cassation a précisé qu’il s’agit là d’un délai de prescription, de sorte qu’il est susceptible de faire l’objet d’une interruption ou d’une suspension (V. en ce sens 2e civ. 2 déc. 1982, n°80-15.998).
    • Quant à la preuve de la connaissance de l’acte, il est admis qu’elle puisse être rapportée par tous moyens, dans la mesure où il s’agit de prouver un fait juridique.
    • La charge de la preuve pèse, selon la jurisprudence, sur le tiers défendeur auquel qui il appartiendra de démontrer que le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté ne pouvait pas ignorer l’opération contestée (V. en ce sens 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-15.000).
  • Second délai
    • L’action en nullité ne peut être exercée, en tout état de cause, au-delà d’un délai d’un an à compter de la date de dissolution du mariage.
    • Cela signifie, dès lors, que dans l’hypothèse où l’époux lésé découvrirait l’acte litigieux après la dissolution du mariage il ne pourra agir en nullité qu’à la condition que cette dissolution soit intervenue moins d’un an avant la saisine du juge.
    • La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 12 janvier 2011 en affirmant « qu’aux termes de l’article 215, alinéa 3, du code civil, l’action en nullité accordée à l’épouse ne peut être exercée plus d’un an à compter du jour où elle a eu connaissance de l’acte sans jamais pouvoir être intentée plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial» ( 1ère civ. 12 janv. 2011, n°09-15.631).
    • Au-delà de ce délai d’un an, l’action en nullité est forclose, étant précisé qu’il s’agit là d’un délai préfix, soit insusceptible d’interruption ou de suspension.
    • Quant à la notion de dissolution, elle est discutée en doctrine, recouvre-t-elle seulement les cas de dissolution au sens classique du terme (divorce et décès) ou doit-elle être étendue aux cas de séparation de corps et de changement de régime matrimonial ?
    • La doctrine majoritaire, derrière laquelle nous nous rangeons, abonde dans le sens de la première solution.
    • En effet, l’article 215 al. 3 du Code civil a vocation à s’appliquer autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, seule la dissolution qui met définitivement fin à l’union matrimoniale doit être prise en compte pour déterminer le point de départ de l’action en nullité.

==> Tempéraments

Si, de principe, l’action en nullité est enfermée dans un bref délai, il est des cas où ce délai est susceptible d’être allongé.

  • La nullité est soulevée en défense par l’époux lésé
    • Il est des cas où la nullité de l’acte privant la famille de son logement est susceptible d’être excipée par voie d’exception, soit lorsque l’époux lésé est le défendeur à l’instance.
    • Dans cette hypothèse, le délai pour soulever la nullité s’en trouve modifié.
      • Le principe de perpétuité de l’exception de nullité
        • Lorsque la nullité est soulevée par voie d’exception, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.
        • Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »
        • Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle
        • Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles
        • Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de défini par un texte (5 ans en droit commun et 1 an pour l’action fondée sur l’article 215, al. 3), le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution
        • Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.
      • Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité
        • Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies
          • Première condition
            • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté» ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
            • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
            • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
          • Deuxième condition
            • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
            • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 ( 1ère civ. 4 mai 2012)
            • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté»
            • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
              • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
              • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative ( 1ère civ. 24 avr. 2013).
              • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité ( 1ère civ. 13 mai 2004)
          • Troisième condition
            • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
            • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
            • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
            • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée» ( 30 CPC).
    • La question s’est posée en jurisprudence de savoir si l’époux lésé pouvait se prévaloir de la nullité l’acte privant la famille de son logement par voie d’exception et, par voie de conséquence invoquer cette nullité sans condition de délai.
    • Par un arrêt du 8 février 2000, la Cour de cassation a répondu par l’affirmation à cette question.
    • Elle a affirmé en ce sens, au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil « qu’il résulte de ce texte, que si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille, l’action en nullité est ouverte à son conjoint pendant une année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous ; que cette disposition ne peut avoir pour effet de priver le conjoint du droit d’invoquer la nullité comme moyen de défense contre la demande d’exécution d’un acte irrégulièrement passé par l’autre époux» ( 1ère civ. 8 févr. 2000, n°98-10.836).
      • Faits
        • Dans cette affaire, pour garantir le remboursement d’un emprunt qu’il avait contracté auprès d’un établissement de crédit, un époux séparé de biens lui avait consenti une hypothèque sur une maison qui lui appartenait en propre et qui était affectée au logement de sa famille.
        • Consécutivement à la défaillance de cet époux, la banque engage des poursuites judiciaires aux fins de saisie du bien donné en garantie.
        • En défense, la conjointe de l’emprunteur qui n’avait pas consenti à la constitution de l’hypothèque sur le bien alors qu’il s’agissait de la résidence familiale excipe la nullité de l’acte d’affectation hypothécaire.
      • Procédure
        • Par un jugement du 28 novembre 1997, le Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a rejeté la demande de nullité formulée par l’épouse lésée.
        • Au soutien de sa décision il a considéré que l’action était prescrite et que l’épouse ne pouvait pas soulever la nullité par voie d’exception, dès lors qu’il lui avait été possible d’agir.
      • Décision
        • La Cour de cassation casse et annule le jugement rendu par les juges du fond au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil.
        • Elle estime que, bien au contraire, l’épouse était parfaitement recevable à exciper l’exception de nullité de sorte que si l’action était bien prescrite, la nullité pouvait néanmoins être soulevée par voie d’exception.
      • Au bilan, l’époux dont le consentement était requis en application de l’article 215, al. 3e du Code civil pourra toujours, nonobstant l’écoulement du délai de prescription, opposer l’exception de nullité à un tiers qui solliciterait l’exécution d’un acte conclu en violation du dispositif de protection du logement familial.
  • Le logement familial est un bien commun
    • Dans l’hypothèse où les époux sont mariés sous le régime légal et que le logement familial constitue un bien commun, l’article 215, al. 3e du Code civil se retrouve en concurrence avec l’article 1427 du Code civil.
    • Cette dernière disposition envisage, en effet, la sanction de la violation par un époux d’une règle de cogestion.
    • Le premier alinéa du texte prévoit en ce sens que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation».
    • L’alinéa 2 précise que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
    • La question qui alors se pose est de savoir quel délai retenir dans l’hypothèse où le logement familial est un bien commun.
    • En principe, les règles du régime primaire priment sur les règles du régime matrimonial pour lequel ont opté les époux.
    • Reste que, au cas particulier, l’article 1427 du Code civil instaure une règle plus protectrice que celle énoncée par le régime primaire en portant de délai pour agir en nullité de l’acte qui prive la famille de son logement à deux ans.
    • Dans ces conditions, quelle disposition appliquer ? L’article 215 qui instaure un bref délai d’un an ou l’article 1427 qui prévoit un délai de deux ans ?
    • Pour la doctrine, il y a lieu de faire application de l’article 1427, de sorte que l’action en nullité peut être exercée pendant un délai de deux ans lorsque le logement de la famille est un bien commun.
    • Encore faut-il néanmoins que l’acte en cause corresponde à l’un des cas de cogestion énoncés aux articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil.
    • Tel ne sera pas le cas, par exemple, de la résiliation d’un contrat d’assurance, la Cour de cassation ayant estimé, dans un arrêt du 14 novembre 2006, que cet acte ne relève pas du domaine de la cogestion ( 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).

3. Les effets de la nullité

La nullité a pour effet d’anéantir rétroactivement l’acte accompli en violation de l’article 215, al. 3e du Code civil. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que l’acte est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Dans un arrêt du 3 mars 2010 la Cour de cassation a pris le soin de préciser que la nullité privait l’acte de tout effet, de sorte que le tiers contractant ne pouvait pas se prévaloir du bénéfice d’une clause pénale stipulée dans cet acte (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-18.947).

La première chambre civile est allée encore plus loin en jugeant que la nullité pouvait s’étendre, par contamination, à la promesse de porte-fort attachée à l’acte anéanti (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Dans cette affaire, un époux a vendu le bien affecté au logement de la famille à un tiers par l’entremise d’une agence immobilière en se portant fort de la ratification de l’acte par sa conjointe.

Consécutivement au refus de cette dernière de consentir à la vente, les tiers acquéreurs ont sollicité l’exécution de la promesse de porte-fort consentie à leur profit, exécution qui devait se traduire par l’octroi de dommages et intérêts.

Tandis que les juges du fonds ont considéré que cette promesse était parfaitement valable, la Première chambre civile retient la solution inverse, au motif que la nullité frappant l’acte de vente atteignait également la promesse de porte-fort qui y était attachée.

La solution est ici contestable dans la mesure où elle revient à étendre de façon excessive le périmètre de l’article 215, al. 3e du Code civil.

Non seulement la promesse de porte-fort ne menaçait en rien le logement familial puisque son inexécution ne pouvait donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts, mais encore cette promesse pouvait être regardée comme totalement indépendante de l’acte de vente pris séparément.

Telle n’est toutefois pas la voie que la Cour de cassation a choisi d’emprunter. Depuis lors, elle n’est jamais revenue sur sa position.

Pratiquement, cela signifie que le tiers qui est victime de l’annulation de l’acte, ne dispose d’aucun recours contre l’époux avec lequel il a contracté.

La Cour de cassation considère qu’il lui appartenait « d’exiger les consentements nécessaires à la validité de la vente » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Tout au plus, il pourra engager la responsabilité du professionnel de l’immobilier pour manquement à son obligation de conseil.

§2: La protection spéciale du logement familial ( 1751 C. civ.)

==> Vue générale

L’article 1751 du Code civil prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique »[8]. Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires » (Cass. 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).

Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit » le régime matrimonial des époux.

Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage. Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.

Reste que le domaine de cette règle demeure circonscrit tout autant que ses effets ainsi que sa durée.

I) Le domaine de la protection instituée pour les baux

Pour que la protection instituée par l’article 1751 du Code civil puisse opérer, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, la cotitularité ne joue que s’il est question d’un droit au bail
  • D’autre part, seuls les baux d’habitation ne sont visés par la protection
  • Enfin, le local doit servir effectivement à l’habitation des époux

==> S’agissant de l’exigence d’un bail

Comme précisé par l’article 1751 du Code civil, le dispositif de protection institué n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un bail.

Par bail, il faut entendre, selon l’article 1709 du Code civil, le contrat par lequel l’une des parties s’oblige (le bailleur) à faire jouir l’autre (le preneur ou locataire) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle refusé de faire application de l’article 1751 à une convention d’occupation gratuite d’un immeuble qui se distingue d’un bail en ce qu’elle confère au preneur un droit précaire sur le local auquel il peut être mis fin à tout moment.

Dans un arrêt du 13 mars 2002, la Troisième chambre civile affirme que « les dispositions de l’article 1751 du Code civil ne sont pas applicables à une convention d’occupation gratuite d’un local » (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, n°00-17.707).

Aussi, est-il absolument nécessaire qu’un bail soit conclu pour que la règle énoncée à l’article 1751 du Code civil puisse jouer.

À cet égard, il est indifférent que le bail ait été conclu avant le mariage ou qu’il soit assujetti à un statut spécifique, encore qu’il doive consister, a minima, en un bail d’habitation.

==> S’agissant de l’exigence d’un bail d’habitation

L’article 1751 du Code civil prévoit que l’extension de la titularité du bail au conjoint ne peut opérer qu’à la condition que les locaux loués soient affectés à un usage d’habitation.

Cette disposition exclut, en effet, de son champ d’application les baux conclus aux fins d’usage professionnel, commercial, rural ou mixte.

Il s’agit là, manifestement d’une différence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui ne distingue pas selon la destination du local. La protection instituée par cette disposition opère, en effet, dès lors que le local constitue le lieu de vie effectif de la famille.

==> S’agissant de l’exigence d’habitation effective du local loué

L’article 1751 du Code civil vise le seul « droit au bail du local […] qui sert effectivement à l’habitation de deux époux ».

Il en résulte que la protection instituée par cette disposition ne pourra pas jouer pour le bail qui se rapporte à une résidence secondaire et plus généralement à un local dans lequel la famille ne vit pas à titre habituel (V. en ce sens CA Orléans, 20 févr. 1964).

Dans le même sens, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que la cotitularité du bail n’avait pas vocation à jouer lorsque les époux n’avaient pas cohabité dans le local (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-21.276).

Pour que l’article 1751 s’applique le local disputé doit nécessairement avoir servi à l’habitation des deux époux (Cass. 3e civ. 28 janv. 1971, n°69-13.314).

II) Les effets de la protection spéciale instituée pour les baux

L’extension de la titularité du bail au conjoint par le jeu de l’article 1751 du Code civil emporte plusieurs effets :

  • Premier effet
    • Le principal effet de l’instauration d’une cotitularité du bail et dont découlent tous les autres est qu’il « est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux».
    • Autrement dit, quand bien même le bail aurait été conclu, lors de l’entrée en possession des lieux, pas un époux seul, le mariage a pour effet de conférer à son conjoint la qualité de partie au contrat.
    • Il s’agit là, manifestement, d’une règle exorbitante du droit commun et plus précisément une dérogation à l’effet relatif des conventions.
    • En principe, seules les personnes qui ont participé à la conclusion d’un contrat acquièrent la qualité de partie à l’acte.
    • L’article 1751 du Code civil vient ici déroger à la règle en octroyant au conjoint, peu important qu’il ait consenti ou non à l’acte, la qualité de partie au contrat.
    • Selon le texte, il est « réputé» (terme qui signale une fiction juridique) être cotitulaire du bail.
  • Deuxième effet
    • Conséquence de l’extension de la titularité du bail au conjoint, le contrat ne peut faire l’objet d’aucune résiliation du chef d’un seul époux.
    • La résiliation du bail requiert, autrement dit, le consentement des deux époux.
    • Dans un arrêt du 20 février 1969, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le congé donné par le mari seul ne peut avoir effet à l’égard de la femme, cotitulaire du droit au bail ( 3e civ. 20 févr. 1969).
    • Plus généralement, un époux ne peut disposer seul du bail, en ce sens qu’il ne peut, ni le résilier, ni le modifier.
    • La violation de cette interdiction est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte (V. en ce sens 1ère civ. 1er avr. 2009, n°08-15.929).
    • La Troisième chambre civile a, par ailleurs, précisé dans un arrêt du 19 juin 2002 que « le congé donné par un seul des époux titulaires du bail n’est pas opposable à l’autre et que l’époux qui a donné congé reste solidairement tenu des loyers » ( 3e civ. 19 juin 2002, n°01-00.652).
  • Troisième effet
    • Autre effet de la cotitularité du bail, les obligations stipulées dans le contrat pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.
    • Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent».
    • Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux ( 1er civ. 1 mai 1969).
    • À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453).
    • Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.
  • Quatrième effet
    • La jurisprudence considère que pour opérer, le congé donné par le bailleur doit être notifié individuellement aux deux époux, faute de quoi ce congé est inopposable au conjoint qui n’a pas été touché par la notification ( 3e civ. 10 mai 1989, n°88-10.363).
    • La solution est sévère pour le bailleur, dans la mesure où il est susceptible de n’avoir pas eu connaissance de la situation matrimoniale du preneur notamment lorsqu’il n’était pas marié au jour de la conclusion du bail.
    • Reste que la jurisprudence est constante sur l’application de cette règle dont les effets ont toutefois été atténués par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
    • Cette loi comporte, en effet, un article 9-1 qui prévoit que « nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l’existence de ce partenaire ou de ce conjoint n’a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. »
    • Autrement dit, toute évolution de la situation matrimoniale du preneur doit être portée à la connaissance du bailleur, faute de quoi en cas de délivrance d’un congé, le conjoint ne sera pas fondé à se prévaloir, auprès du bailleur, de la cotitularité du bail.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2005, la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette exigence en affirmant, s’agissant d’un congé qui avait été délivré au seul mari, que « l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 faisait peser sur le locataire une obligation d’information de son lien matrimonial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur et que la preuve que cette information avait bien été donnée incombait au preneur, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que cette preuve n’était pas rapportée, en a exactement déduit que le congé notifié à M. Y… seul était opposable à son épouse» ( 3e civ. 19 oct. 2005, n°04-17.039).
    • La Cour de cassation a toutefois précisé dans un arrêt du 9 novembre 2011 que l’absence de notification au bailleur du changement de situation matrimoniale du preneur était sans incidence sur la cotitularité du bail, soit sur les rapports entre époux ( 3e civ. 9 nov. 2011, n°10-20.287).
  • Cinquième effet
    • Au même titre que l’époux qui a conclu le bail, le conjoint qui, par l’effet du mariage, devient cotitulaire de ce bail, se voit conférer, un droit de préemption qu’il peut exercer en cas de projet de cession du bien loué.
    • Pour la Cour de cassation « il résulte de l’article 11 de la loi du 22 juin 1982, rapproché des dispositions de l’article 1751 du Code civil, qu’en cas de vente d’un immeuble servant à l’habitation des deux époux, chacun d’eux bénéficie d’un droit de préemption aux conditions fixées par le propriétaire» ( 3e civ. 16 oct. 1996, n°89-20.260).

III) La durée de la protection spéciale instituée pour les baux

L’article 1751 du Code civil envisage à ses alinéas 2 et 3 le sort du bail en cas, d’une part, de divorce ou de séparation de corps, et, d’autre part, de décès d’un des époux.

  • S’agissant du divorce ou de la séparation de corps
    • L’alinéa 2 de l’article 1751 du Code civil prévoit que « en cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.»
    • Ainsi, revient-il au juge de décider du sort du bail, sauf à ce que les époux s’entendent sur son attribution.
    • Lorsqu’aucun accord ne sera trouvé entre les époux, il appartiendra au juge de se déterminer en considération « des intérêts sociaux et familiaux en cause».
  • S’agissant du décès d’un des époux
    • L’alinéa 3 de l’article 1751 prévoit que « en cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »
    • Issue de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, cette disposition confère au conjoint survivant un droit exclusif sur le bail.
    • Cette loi a ainsi mis fin à une situation qui, par une application stricte de l’article 1751 du Code civil, conduisait à mettre le conjoint survivant en concurrence avec les ayants droit de l’époux décédé quant à la titularité du bail.
    • Désormais, il est protégé et dispose d’une option qui lui octroie la faculté de se maintenir dans les lieux ou de renoncer au bail.

[1] A. Karm, Mariage – Organisation de la communauté conjugale et familiale – Communauté de résidence, Jurisclasseur, fasc. 30, n°3.

[2] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°123, p. 113.

[3] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux, éd. LGDJ, 2010, n°53, p. 42.

[4] J. Carbonnier, « Les trois piliers du droit », Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 2001, pp. 257 et s.

[5] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le pacs, éd. LGDJ, 2010, n°61, p. 47.

[6] J. Flour et Gérard Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, éd. 2001, n°126, p. 119.

[7] R. Cabrillac, Droit des régimes matrimoniaux, éd. Monchrestien, 2011, n°42, p. 45.

[8] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

La cotitularité du bail d’habitation entre époux: régime juridique (art. 1751 C. civ.)

==> Vue générale

L’article 1751 du Code civil prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique »[1]. Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires » (Cass. 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).

Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit » le régime matrimonial des époux.

Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage. Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.

Reste que le domaine de cette règle demeure circonscrit tout autant que ses effets ainsi que sa durée.

I) Le domaine de la protection instituée pour les baux

Pour que la protection instituée par l’article 1751 du Code civil puisse opérer, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, la cotitularité ne joue que s’il est question d’un droit au bail
  • D’autre part, seuls les baux d’habitation ne sont visés par la protection
  • Enfin, le local doit servir effectivement à l’habitation des époux

==> S’agissant de l’exigence d’un bail

Comme précisé par l’article 1751 du Code civil, le dispositif de protection institué n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un bail.

Par bail, il faut entendre, selon l’article 1709 du Code civil, le contrat par lequel l’une des parties s’oblige (le bailleur) à faire jouir l’autre (le preneur ou locataire) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle refusé de faire application de l’article 1751 à une convention d’occupation gratuite d’un immeuble qui se distingue d’un bail en ce qu’elle confère au preneur un droit précaire sur le local auquel il peut être mis fin à tout moment.

Dans un arrêt du 13 mars 2002, la Troisième chambre civile affirme que « les dispositions de l’article 1751 du Code civil ne sont pas applicables à une convention d’occupation gratuite d’un local » (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, n°00-17.707).

Aussi, est-il absolument nécessaire qu’un bail soit conclu pour que la règle énoncée à l’article 1751 du Code civil puisse jouer.

À cet égard, il est indifférent que le bail ait été conclu avant le mariage ou qu’il soit assujetti à un statut spécifique, encore qu’il doive consister, a minima, en un bail d’habitation.

==> S’agissant de l’exigence d’un bail d’habitation

L’article 1751 du Code civil prévoit que l’extension de la titularité du bail au conjoint ne peut opérer qu’à la condition que les locaux loués soient affectés à un usage d’habitation.

Cette disposition exclut, en effet, de son champ d’application les baux conclus aux fins d’usage professionnel, commercial, rural ou mixte.

Il s’agit là, manifestement d’une différence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui ne distingue pas selon la destination du local. La protection instituée par cette disposition opère, en effet, dès lors que le local constitue le lieu de vie effectif de la famille.

==> S’agissant de l’exigence d’habitation effective du local loué

L’article 1751 du Code civil vise le seul « droit au bail du local […] qui sert effectivement à l’habitation de deux époux ».

Il en résulte que la protection instituée par cette disposition ne pourra pas jouer pour le bail qui se rapporte à une résidence secondaire et plus généralement à un local dans lequel la famille ne vit pas à titre habituel (V. en ce sens CA Orléans, 20 févr. 1964).

Dans le même sens, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que la cotitularité du bail n’avait pas vocation à jouer lorsque les époux n’avaient pas cohabité dans le local (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-21.276).

Pour que l’article 1751 s’applique le local disputé doit nécessairement avoir servi à l’habitation des deux époux (Cass. 3e civ. 28 janv. 1971, n°69-13.314).

II) Les effets de la protection spéciale instituée pour les baux

L’extension de la titularité du bail au conjoint par le jeu de l’article 1751 du Code civil emporte plusieurs effets :

  • Premier effet
    • Le principal effet de l’instauration d’une cotitularité du bail et dont découlent tous les autres est qu’il « est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux».
    • Autrement dit, quand bien même le bail aurait été conclu, lors de l’entrée en possession des lieux, pas un époux seul, le mariage a pour effet de conférer à son conjoint la qualité de partie au contrat.
    • Il s’agit là, manifestement, d’une règle exorbitante du droit commun et plus précisément une dérogation à l’effet relatif des conventions.
    • En principe, seules les personnes qui ont participé à la conclusion d’un contrat acquièrent la qualité de partie à l’acte.
    • L’article 1751 du Code civil vient ici déroger à la règle en octroyant au conjoint, peu important qu’il ait consenti ou non à l’acte, la qualité de partie au contrat.
    • Selon le texte, il est « réputé» (terme qui signale une fiction juridique) être cotitulaire du bail.
  • Deuxième effet
    • Conséquence de l’extension de la titularité du bail au conjoint, le contrat ne peut faire l’objet d’aucune résiliation du chef d’un seul époux.
    • La résiliation du bail requiert, autrement dit, le consentement des deux époux.
    • Dans un arrêt du 20 février 1969, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le congé donné par le mari seul ne peut avoir effet à l’égard de la femme, cotitulaire du droit au bail ( 3e civ. 20 févr. 1969).
    • Plus généralement, un époux ne peut disposer seul du bail, en ce sens qu’il ne peut, ni le résilier, ni le modifier.
    • La violation de cette interdiction est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte (V. en ce sens 1ère civ. 1er avr. 2009, n°08-15.929).
    • La Troisième chambre civile a, par ailleurs, précisé dans un arrêt du 19 juin 2002 que « le congé donné par un seul des époux titulaires du bail n’est pas opposable à l’autre et que l’époux qui a donné congé reste solidairement tenu des loyers » ( 3e civ. 19 juin 2002, n°01-00.652).
  • Troisième effet
    • Autre effet de la cotitularité du bail, les obligations stipulées dans le contrat pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.
    • Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent».
    • Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux ( 1er civ. 1 mai 1969).
    • À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453).
    • Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.
  • Quatrième effet
    • La jurisprudence considère que pour opérer, le congé donné par le bailleur doit être notifié individuellement aux deux époux, faute de quoi ce congé est inopposable au conjoint qui n’a pas été touché par la notification ( 3e civ. 10 mai 1989, n°88-10.363).
    • La solution est sévère pour le bailleur, dans la mesure où il est susceptible de n’avoir pas eu connaissance de la situation matrimoniale du preneur notamment lorsqu’il n’était pas marié au jour de la conclusion du bail.
    • Reste que la jurisprudence est constante sur l’application de cette règle dont les effets ont toutefois été atténués par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
    • Cette loi comporte, en effet, un article 9-1 qui prévoit que « nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l’existence de ce partenaire ou de ce conjoint n’a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. »
    • Autrement dit, toute évolution de la situation matrimoniale du preneur doit être portée à la connaissance du bailleur, faute de quoi en cas de délivrance d’un congé, le conjoint ne sera pas fondé à se prévaloir, auprès du bailleur, de la cotitularité du bail.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2005, la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette exigence en affirmant, s’agissant d’un congé qui avait été délivré au seul mari, que « l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 faisait peser sur le locataire une obligation d’information de son lien matrimonial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur et que la preuve que cette information avait bien été donnée incombait au preneur, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que cette preuve n’était pas rapportée, en a exactement déduit que le congé notifié à M. Y… seul était opposable à son épouse» ( 3e civ. 19 oct. 2005, n°04-17.039).
    • La Cour de cassation a toutefois précisé dans un arrêt du 9 novembre 2011 que l’absence de notification au bailleur du changement de situation matrimoniale du preneur était sans incidence sur la cotitularité du bail, soit sur les rapports entre époux ( 3e civ. 9 nov. 2011, n°10-20.287).
  • Cinquième effet
    • Au même titre que l’époux qui a conclu le bail, le conjoint qui, par l’effet du mariage, devient cotitulaire de ce bail, se voit conférer, un droit de préemption qu’il peut exercer en cas de projet de cession du bien loué.
    • Pour la Cour de cassation « il résulte de l’article 11 de la loi du 22 juin 1982, rapproché des dispositions de l’article 1751 du Code civil, qu’en cas de vente d’un immeuble servant à l’habitation des deux époux, chacun d’eux bénéficie d’un droit de préemption aux conditions fixées par le propriétaire» ( 3e civ. 16 oct. 1996, n°89-20.260).

III) La durée de la protection spéciale instituée pour les baux

L’article 1751 du Code civil envisage à ses alinéas 2 et 3 le sort du bail en cas, d’une part, de divorce ou de séparation de corps, et, d’autre part, de décès d’un des époux.

  • S’agissant du divorce ou de la séparation de corps
    • L’alinéa 2 de l’article 1751 du Code civil prévoit que « en cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.»
    • Ainsi, revient-il au juge de décider du sort du bail, sauf à ce que les époux s’entendent sur son attribution.
    • Lorsqu’aucun accord ne sera trouvé entre les époux, il appartiendra au juge de se déterminer en considération « des intérêts sociaux et familiaux en cause».
  • S’agissant du décès d’un des époux
    • L’alinéa 3 de l’article 1751 prévoit que « en cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »
    • Issue de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, cette disposition confère au conjoint survivant un droit exclusif sur le bail.
    • Cette loi a ainsi mis fin à une situation qui, par une application stricte de l’article 1751 du Code civil, conduisait à mettre le conjoint survivant en concurrence avec les ayants droit de l’époux décédé quant à la titularité du bail.
    • Désormais, il est protégé et dispose d’une option qui lui octroie la faculté de se maintenir dans les lieux ou de renoncer au bail.

[1] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

Protection du logement familial: action en nullité et bref délai (art. 215, al. 3e C. civ.)

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que, en cas de violation de l’exigence du double consentement des époux « celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’accomplissement par un époux seul d’un acte privant la famille de son logement, la sanction encourue c’est la nullité de l’acte.

Et par nullité, il faut entendre nullité relative dans la mesure où la règle instaurée par le texte intéresse l’ordre public de protection.

Il en résulte qu’elle ne peut être soulevée que par l’époux dont les intérêts ont été contrariés, ce qui interdit donc à l’auteur de l’acte litigieux de s’en prévaloir (V. en ce sens Cass. com. 26 mars 1996, n°94-13.124).

La question qui alors se pose est de savoir dans quel délai, l’action en nullité peut être exercée.

==> Principe : le bref délai

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Cette action est ainsi enfermée dans un double délai :

  • Premier délai
    • L’action en nullité peut être exercé dans le délai d’un an à compter du jour où son titulaire a eu connaissance de l’acte.
    • Dans un arrêt du 2 décembre 1982, la Cour de cassation a précisé qu’il s’agit là d’un délai de prescription, de sorte qu’il est susceptible de faire l’objet d’une interruption ou d’une suspension (V. en ce sens 2e civ. 2 déc. 1982, n°80-15.998).
    • Quant à la preuve de la connaissance de l’acte, il est admis qu’elle puisse être rapportée par tous moyens, dans la mesure où il s’agit de prouver un fait juridique.
    • La charge de la preuve pèse, selon la jurisprudence, sur le tiers défendeur auquel qui il appartiendra de démontrer que le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté ne pouvait pas ignorer l’opération contestée (V. en ce sens 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-15.000).
  • Second délai
    • L’action en nullité ne peut être exercée, en tout état de cause, au-delà d’un délai d’un an à compter de la date de dissolution du mariage.
    • Cela signifie, dès lors, que dans l’hypothèse où l’époux lésé découvrirait l’acte litigieux après la dissolution du mariage il ne pourra agir en nullité qu’à la condition que cette dissolution soit intervenue moins d’un an avant la saisine du juge.
    • La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 12 janvier 2011 en affirmant « qu’aux termes de l’article 215, alinéa 3, du code civil, l’action en nullité accordée à l’épouse ne peut être exercée plus d’un an à compter du jour où elle a eu connaissance de l’acte sans jamais pouvoir être intentée plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial» ( 1ère civ. 12 janv. 2011, n°09-15.631).
    • Au-delà de ce délai d’un an, l’action en nullité est forclose, étant précisé qu’il s’agit là d’un délai préfix, soit insusceptible d’interruption ou de suspension.
    • Quant à la notion de dissolution, elle est discutée en doctrine, recouvre-t-elle seulement les cas de dissolution au sens classique du terme (divorce et décès) ou doit-elle être étendue aux cas de séparation de corps et de changement de régime matrimonial ?
    • La doctrine majoritaire, derrière laquelle nous nous rangeons, abonde dans le sens de la première solution.
    • En effet, l’article 215 al. 3 du Code civil a vocation à s’appliquer autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, seule la dissolution qui met définitivement fin à l’union matrimoniale doit être prise en compte pour déterminer le point de départ de l’action en nullité.

==> Tempéraments

Si, de principe, l’action en nullité est enfermée dans un bref délai, il est des cas où ce délai est susceptible d’être allongé.

  • La nullité est soulevée en défense par l’époux lésé
    • Il est des cas où la nullité de l’acte privant la famille de son logement est susceptible d’être excipée par voie d’exception, soit lorsque l’époux lésé est le défendeur à l’instance.
    • Dans cette hypothèse, le délai pour soulever la nullité s’en trouve modifié.
      • Le principe de perpétuité de l’exception de nullité
        • Lorsque la nullité est soulevée par voie d’exception, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.
        • Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »
        • Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle
        • Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles
        • Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de défini par un texte (5 ans en droit commun et 1 an pour l’action fondée sur l’article 215, al. 3), le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution
        • Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.
      • Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité
        • Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies
          • Première condition
            • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté» ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
            • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
            • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
          • Deuxième condition
            • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
            • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 ( 1ère civ. 4 mai 2012)
            • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté»
            • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
              • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
              • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative ( 1ère civ. 24 avr. 2013).
              • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité ( 1ère civ. 13 mai 2004)
          • Troisième condition
            • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
            • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
            • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
            • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée» ( 30 CPC).
    • La question s’est posée en jurisprudence de savoir si l’époux lésé pouvait se prévaloir de la nullité l’acte privant la famille de son logement par voie d’exception et, par voie de conséquence invoquer cette nullité sans condition de délai.
    • Par un arrêt du 8 février 2000, la Cour de cassation a répondu par l’affirmation à cette question.
    • Elle a affirmé en ce sens, au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil « qu’il résulte de ce texte, que si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille, l’action en nullité est ouverte à son conjoint pendant une année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous ; que cette disposition ne peut avoir pour effet de priver le conjoint du droit d’invoquer la nullité comme moyen de défense contre la demande d’exécution d’un acte irrégulièrement passé par l’autre époux» ( 1ère civ. 8 févr. 2000, n°98-10.836).
      • Faits
        • Dans cette affaire, pour garantir le remboursement d’un emprunt qu’il avait contracté auprès d’un établissement de crédit, un époux séparé de biens lui avait consenti une hypothèque sur une maison qui lui appartenait en propre et qui était affectée au logement de sa famille.
        • Consécutivement à la défaillance de cet époux, la banque engage des poursuites judiciaires aux fins de saisie du bien donné en garantie.
        • En défense, la conjointe de l’emprunteur qui n’avait pas consenti à la constitution de l’hypothèque sur le bien alors qu’il s’agissait de la résidence familiale excipe la nullité de l’acte d’affectation hypothécaire.
      • Procédure
        • Par un jugement du 28 novembre 1997, le Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a rejeté la demande de nullité formulée par l’épouse lésée.
        • Au soutien de sa décision il a considéré que l’action était prescrite et que l’épouse ne pouvait pas soulever la nullité par voie d’exception, dès lors qu’il lui avait été possible d’agir.
      • Décision
        • La Cour de cassation casse et annule le jugement rendu par les juges du fond au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil.
        • Elle estime que, bien au contraire, l’épouse était parfaitement recevable à exciper l’exception de nullité de sorte que si l’action était bien prescrite, la nullité pouvait néanmoins être soulevée par voie d’exception.
      • Au bilan, l’époux dont le consentement était requis en application de l’article 215, al. 3e du Code civil pourra toujours, nonobstant l’écoulement du délai de prescription, opposer l’exception de nullité à un tiers qui solliciterait l’exécution d’un acte conclu en violation du dispositif de protection du logement familial.
  • Le logement familial est un bien commun
    • Dans l’hypothèse où les époux sont mariés sous le régime légal et que le logement familial constitue un bien commun, l’article 215, al. 3e du Code civil se retrouve en concurrence avec l’article 1427 du Code civil.
    • Cette dernière disposition envisage, en effet, la sanction de la violation par un époux d’une règle de cogestion.
    • Le premier alinéa du texte prévoit en ce sens que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation».
    • L’alinéa 2 précise que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
    • La question qui alors se pose est de savoir quel délai retenir dans l’hypothèse où le logement familial est un bien commun.
    • En principe, les règles du régime primaire priment sur les règles du régime matrimonial pour lequel ont opté les époux.
    • Reste que, au cas particulier, l’article 1427 du Code civil instaure une règle plus protectrice que celle énoncée par le régime primaire en portant de délai pour agir en nullité de l’acte qui prive la famille de son logement à deux ans.
    • Dans ces conditions, quelle disposition appliquer ? L’article 215 qui instaure un bref délai d’un an ou l’article 1427 qui prévoit un délai de deux ans ?
    • Pour la doctrine, il y a lieu de faire application de l’article 1427, de sorte que l’action en nullité peut être exercée pendant un délai de deux ans lorsque le logement de la famille est un bien commun.
    • Encore faut-il néanmoins que l’acte en cause corresponde à l’un des cas de cogestion énoncés aux articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil.
    • Tel ne sera pas le cas, par exemple, de la résiliation d’un contrat d’assurance, la Cour de cassation ayant estimé, dans un arrêt du 14 novembre 2006, que cet acte ne relève pas du domaine de la cogestion ( 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).

Protection du logement familial: la sanction de l’exigence de consentement des deux époux (art. 215, al. 3e C. civ.)

I) La nullité relative

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que, en cas de violation de l’exigence du double consentement des époux « celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’accomplissement par un époux seul d’un acte privant la famille de son logement, la sanction encourue c’est la nullité de l’acte.

Et par nullité, il faut entendre nullité relative dans la mesure où la règle instaurée par le texte intéresse l’ordre public de protection.

Il en résulte qu’elle ne peut être soulevée que par l’époux dont les intérêts ont été contrariés, ce qui interdit donc à l’auteur de l’acte litigieux de s’en prévaloir (V. en ce sens Cass. com. 26 mars 1996, n°94-13.124).

Dans un arrêt du 3 mars 2010, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « si l’article 215 du code civil désigne l’époux dont le consentement n’a pas été donné comme ayant seul qualité pour exercer l’action en nullité de l’acte de disposition, par son conjoint, des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, cet époux doit justifier d’un intérêt actuel à demander l’annulation de l’acte » (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-13.500)

Dans cette affaire, l’épouse qui se prévalait de la nullité de l’acte n’occupait plus le logement familial au jour de l’introduction de son action en justice, de sorte qu’elle ne justifiait d’aucun intérêt à agir.

Lorsque, toutefois, cet intérêt à agir sera démontré, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation quat à accueillir la nullité dès lors que les conditions de l’article 215, al. 3e di Code civil. Il s’agit là d’une nullité de droit et non d’une nullité faculté dont le prononcé est laissé à la discrétion du juge.

II) L’action en nullité

==> Principe : le bref délai

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Cette action est ainsi enfermée dans un double délai :

  • Premier délai
    • L’action en nullité peut être exercé dans le délai d’un an à compter du jour où son titulaire a eu connaissance de l’acte.
    • Dans un arrêt du 2 décembre 1982, la Cour de cassation a précisé qu’il s’agit là d’un délai de prescription, de sorte qu’il est susceptible de faire l’objet d’une interruption ou d’une suspension (V. en ce sens 2e civ. 2 déc. 1982, n°80-15.998).
    • Quant à la preuve de la connaissance de l’acte, il est admis qu’elle puisse être rapportée par tous moyens, dans la mesure où il s’agit de prouver un fait juridique.
    • La charge de la preuve pèse, selon la jurisprudence, sur le tiers défendeur auquel qui il appartiendra de démontrer que le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté ne pouvait pas ignorer l’opération contestée (V. en ce sens 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-15.000).
  • Second délai
    • L’action en nullité ne peut être exercée, en tout état de cause, au-delà d’un délai d’un an à compter de la date de dissolution du mariage.
    • Cela signifie, dès lors, que dans l’hypothèse où l’époux lésé découvrirait l’acte litigieux après la dissolution du mariage il ne pourra agir en nullité qu’à la condition que cette dissolution soit intervenue moins d’un an avant la saisine du juge.
    • La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 12 janvier 2011 en affirmant « qu’aux termes de l’article 215, alinéa 3, du code civil, l’action en nullité accordée à l’épouse ne peut être exercée plus d’un an à compter du jour où elle a eu connaissance de l’acte sans jamais pouvoir être intentée plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial» ( 1ère civ. 12 janv. 2011, n°09-15.631).
    • Au-delà de ce délai d’un an, l’action en nullité est forclose, étant précisé qu’il s’agit là d’un délai préfix, soit insusceptible d’interruption ou de suspension.
    • Quant à la notion de dissolution, elle est discutée en doctrine, recouvre-t-elle seulement les cas de dissolution au sens classique du terme (divorce et décès) ou doit-elle être étendue aux cas de séparation de corps et de changement de régime matrimonial ?
    • La doctrine majoritaire, derrière laquelle nous nous rangeons, abonde dans le sens de la première solution.
    • En effet, l’article 215 al. 3 du Code civil a vocation à s’appliquer autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, seule la dissolution qui met définitivement fin à l’union matrimoniale doit être prise en compte pour déterminer le point de départ de l’action en nullité.

==> Tempéraments

Si, de principe, l’action en nullité est enfermée dans un bref délai, il est des cas où ce délai est susceptible d’être allongé.

  • La nullité est soulevée en défense par l’époux lésé
    • Il est des cas où la nullité de l’acte privant la famille de son logement est susceptible d’être excipée par voie d’exception, soit lorsque l’époux lésé est le défendeur à l’instance.
    • Dans cette hypothèse, le délai pour soulever la nullité s’en trouve modifié.
      • Le principe de perpétuité de l’exception de nullité
        • Lorsque la nullité est soulevée par voie d’exception, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.
        • Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »
        • Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle
        • Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles
        • Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de défini par un texte (5 ans en droit commun et 1 an pour l’action fondée sur l’article 215, al. 3), le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution
        • Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.
      • Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité
        • Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies
          • Première condition
            • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté» ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
            • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
            • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
          • Deuxième condition
            • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
            • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 ( 1ère civ. 4 mai 2012)
            • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté»
            • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
              • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
              • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative ( 1ère civ. 24 avr. 2013).
              • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité ( 1ère civ. 13 mai 2004)
          • Troisième condition
            • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
            • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
            • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
            • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée» ( 30 CPC).
    • La question s’est posée en jurisprudence de savoir si l’époux lésé pouvait se prévaloir de la nullité l’acte privant la famille de son logement par voie d’exception et, par voie de conséquence invoquer cette nullité sans condition de délai.
    • Par un arrêt du 8 février 2000, la Cour de cassation a répondu par l’affirmation à cette question.
    • Elle a affirmé en ce sens, au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil « qu’il résulte de ce texte, que si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille, l’action en nullité est ouverte à son conjoint pendant une année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous ; que cette disposition ne peut avoir pour effet de priver le conjoint du droit d’invoquer la nullité comme moyen de défense contre la demande d’exécution d’un acte irrégulièrement passé par l’autre époux» ( 1ère civ. 8 févr. 2000, n°98-10.836).
      • Faits
        • Dans cette affaire, pour garantir le remboursement d’un emprunt qu’il avait contracté auprès d’un établissement de crédit, un époux séparé de biens lui avait consenti une hypothèque sur une maison qui lui appartenait en propre et qui était affectée au logement de sa famille.
        • Consécutivement à la défaillance de cet époux, la banque engage des poursuites judiciaires aux fins de saisie du bien donné en garantie.
        • En défense, la conjointe de l’emprunteur qui n’avait pas consenti à la constitution de l’hypothèque sur le bien alors qu’il s’agissait de la résidence familiale excipe la nullité de l’acte d’affectation hypothécaire.
      • Procédure
        • Par un jugement du 28 novembre 1997, le Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a rejeté la demande de nullité formulée par l’épouse lésée.
        • Au soutien de sa décision il a considéré que l’action était prescrite et que l’épouse ne pouvait pas soulever la nullité par voie d’exception, dès lors qu’il lui avait été possible d’agir.
      • Décision
        • La Cour de cassation casse et annule le jugement rendu par les juges du fond au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil.
        • Elle estime que, bien au contraire, l’épouse était parfaitement recevable à exciper l’exception de nullité de sorte que si l’action était bien prescrite, la nullité pouvait néanmoins être soulevée par voie d’exception.
      • Au bilan, l’époux dont le consentement était requis en application de l’article 215, al. 3e du Code civil pourra toujours, nonobstant l’écoulement du délai de prescription, opposer l’exception de nullité à un tiers qui solliciterait l’exécution d’un acte conclu en violation du dispositif de protection du logement familial.
  • Le logement familial est un bien commun
    • Dans l’hypothèse où les époux sont mariés sous le régime légal et que le logement familial constitue un bien commun, l’article 215, al. 3e du Code civil se retrouve en concurrence avec l’article 1427 du Code civil.
    • Cette dernière disposition envisage, en effet, la sanction de la violation par un époux d’une règle de cogestion.
    • Le premier alinéa du texte prévoit en ce sens que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation».
    • L’alinéa 2 précise que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
    • La question qui alors se pose est de savoir quel délai retenir dans l’hypothèse où le logement familial est un bien commun.
    • En principe, les règles du régime primaire priment sur les règles du régime matrimonial pour lequel ont opté les époux.
    • Reste que, au cas particulier, l’article 1427 du Code civil instaure une règle plus protectrice que celle énoncée par le régime primaire en portant de délai pour agir en nullité de l’acte qui prive la famille de son logement à deux ans.
    • Dans ces conditions, quelle disposition appliquer ? L’article 215 qui instaure un bref délai d’un an ou l’article 1427 qui prévoit un délai de deux ans ?
    • Pour la doctrine, il y a lieu de faire application de l’article 1427, de sorte que l’action en nullité peut être exercée pendant un délai de deux ans lorsque le logement de la famille est un bien commun.
    • Encore faut-il néanmoins que l’acte en cause corresponde à l’un des cas de cogestion énoncés aux articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil.
    • Tel ne sera pas le cas, par exemple, de la résiliation d’un contrat d’assurance, la Cour de cassation ayant estimé, dans un arrêt du 14 novembre 2006, que cet acte ne relève pas du domaine de la cogestion ( 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).

II) Les effets de la nullité

La nullité a pour effet d’anéantir rétroactivement l’acte accompli en violation de l’article 215, al. 3e du Code civil. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que l’acte est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Dans un arrêt du 3 mars 2010 la Cour de cassation a pris le soin de préciser que la nullité privait l’acte de tout effet, de sorte que le tiers contractant ne pouvait pas se prévaloir du bénéfice d’une clause pénale stipulée dans cet acte (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-18.947).

La première chambre civile est allée encore plus loin en jugeant que la nullité pouvait s’étendre, par contamination, à la promesse de porte-fort attachée à l’acte anéanti (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Dans cette affaire, un époux a vendu le bien affecté au logement de la famille à un tiers par l’entremise d’une agence immobilière en se portant fort de la ratification de l’acte par sa conjointe.

Consécutivement au refus de cette dernière de consentir à la vente, les tiers acquéreurs ont sollicité l’exécution de la promesse de porte-fort consentie à leur profit, exécution qui devait se traduire par l’octroi de dommages et intérêts.

Tandis que les juges du fonds ont considéré que cette promesse était parfaitement valable, la Première chambre civile retient la solution inverse, au motif que la nullité frappant l’acte de vente atteignait également la promesse de porte-fort qui y était attachée.

La solution est ici contestable dans la mesure où elle revient à étendre de façon excessive le périmètre de l’article 215, al. 3e du Code civil.

Non seulement la promesse de porte-fort ne menaçait en rien le logement familial puisque son inexécution ne pouvait donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts, mais encore cette promesse pouvait être regardée comme totalement indépendante de l’acte de vente pris séparément.

Telle n’est toutefois pas la voie que la Cour de cassation a choisi d’emprunter. Depuis lors, elle n’est jamais revenue sur sa position.

Pratiquement, cela signifie que le tiers qui est victime de l’annulation de l’acte, ne dispose d’aucun recours contre l’époux avec lequel il a contracté.

La Cour de cassation considère qu’il lui appartenait « d’exiger les consentements nécessaires à la validité de la vente » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Tout au plus, il pourra engager la responsabilité du professionnel de l’immobilier pour manquement à son obligation de conseil.

La nullité des actes de procédure pour vice de forme

?Notion

La nullité est la « sanction encourue par un acte juridique entaché d’un vice de forme ou d’une irrégularité de fond qui consiste dans l’anéantissement de l’acte »[1].

Si en droit public les nullités sont en principe toujours absolues et existent sans texte, en droit privé il n’en est pas de même.

Ainsi la procédure civile opère-t-elle une distinction majeure entre les nullités pour vice de fond et les nullités pour vice de forme.

  • Les nullités pour vice de forme sont réglées par l’article 114, alinéa 1er aux termes duquel « aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme, si la nullité n’est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».
  • Les nullités pour vice de fond sont énumérées à l’article 117 du CPC. Il s’agit du défaut de capacité d’ester en justice et du défaut de pouvoir.

La distinction entre nullités de forme et de fond est la principale difficulté du système actuel des nullités.

Aux nullités de forme, qui constituent le régime général des nullités procédurales, dont l’article 114 du nouveau code de procédure civile précise qu’elles ne peuvent être sanctionnées que si la nullité est « expressément prévue par la loi, sauf en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public », s’opposent donc les nullités de fond énumérées de façon exhaustive à l’article 117.

Entre les deux catégories de nullités, le critère général de distinction certainement voulu par les rédacteurs du code consiste en ce que les vices de forme affectent l’instrumentum, alors que les nullités pour irrégularités de fond atteignent le negotium.

Récusé par une partie de la doctrine, au sein de laquelle M. Perrot critique en particulier le recours, selon lui inadapté à la nature des actes de procédure, à des catégories issues du droit civil, ce critère général de distinction est toutefois le plus souvent admis. L’importance du débat tient au fait que les deux sortes de nullités ont des régimes très différents.

Alors que la nullité de forme doit être soulevée in limine litis, et que, selon l’article 114, elle « ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public », ces restrictions ne s’appliquent pas aux nullités de fond.

La distinction entre nullité de fond et nullité de forme présente ainsi un intérêt procédural, raison pour laquelle il convient de les envisager séparément.

I) Les causes de nullité pour vice de forme

Au nombre des causes de nullités d’actes de procédure, on rencontre d’abord le très vaste domaine des vices de forme auquel le législateur a délibérément donné la prééminence en y incluant la plupart des déficiences de nature à affecter la validité d’un acte et en soumettant l’admission de la nullité comme sanction à des conditions très contraignantes.

L’exception doit être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Elle n’aura d’effet que si aucune régularisation ultérieure n’est venue effacer rétroactivement le vice initial et si celui qui s’en prévaut démontre l’existence du grief que lui cause l’irrégularité.

Surtout, l’article 114 du CPC prévoit qu’aucun acte ne peut être déclaré nul en ce cas si la nullité n’en est pas expressément prévue par la loi. Est ainsi énoncé par cette disposition le fameux principe : point de nullité sans texte.

Ce principe est toutefois assorti d’une exception en cas d’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public (formalité qui donne à l’acte sa nature, ses caractères, qui en constitue sa raison d’être)

?Principe : pas de nullité sans texte

En matière de nullité pour vice de forme, l’anéantissement de l’acte ne sera encouru qu’à la condition qu’un texte le prévoit expressément.

Pour déterminer les causes de nullité pour vice de conforme, il convient, par conséquent, de se reporter à toutes les règles qui sont prescrites à « peine de nullité ».

Un petit tour d’horizon révèle qu’elles sont nombreuses, à tel point que la nullité pour vice de forme représente la plupart des causes de nullité d’actes de procédure.

Parmi les vices de forme pouvant entacher un acte de procédure et entraîner sa nullité, on peut citer notamment :

  • Les mentions qui doivent figurer sur l’assignation
  • L’omission ou l’inexactitude de certaines mentions propres à l’acte d’huissier de justice
  • Les mentions qui doivent figurer sur l’acte de déclaration d’appel
  • Les formalités de notification des actes de procédure et des décisions de justice

?Exception : l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public

Le principe énoncé à l’article 114 du CPC selon lequel « pas de nullité sans texte » est assorti d’une exception remarquable : l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public

Cette exception est issue de l’ancienne distinction opérée par la jurisprudence entre les formalités substantielles et les formalités secondaires.

Dans un arrêt du 18 novembre 1947, la Cour de cassation avait, en effet, écarté l’application du principe « pas de nullité sans grief » (introduit par un décret-loi du 30 octobre 1935) en cas de violation d’une formalité substantielle.

Elle en avait donné la définition dans un arrêt du 3 mars 1955, aux termes duquel elle avait jugé que « le caractère substantiel est attaché dans un acte de procédure à ce qui tient à sa raison d’être et lui est indispensable pour remplir son objet » (Cass. 3e civ., 3 mars 1955 ; V. également en ce sens Cass. 2e civ. 20 oct. 1967).

Une partie de la doctrine avait critiqué cette jurisprudence, contraire selon elle aux vœux du législateur, en faisant valoir notamment qu’elle consistait à raisonner inexactement comme si la violation d’une formalité substantielle frappait l’acte d’inexistence.

Cela n’a pas empêché la jurisprudence de maintenir la distinction entre les formalités substantielles, dont l’inobservation est sanctionnée par la nullité alors qu’aucun texte ne le prévoit, des formalités secondaires assujetties au principe « pas de nullité sans texte ».

Pour déterminer si l’on est en présence d’une formalité substantielle ou secondaire il convient donc de se demander si la formalité qui lui est attachée est indispensable à la réalisation de son objet.

À l’examen, les formalités reconnues par la jurisprudence comme substantielles sont rares. Il en va ainsi de l’exigence de production d’un certificat médical au soutien d’une requête aux fins d’ouverture d’une mesure de curatelle ou de tutelle ou encore l’exigence de signature de l’auteur de l’acte de procédure.

II) L’exigence d’un grief

L’article 114, al. 2 du CPC prévoit que « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public. »

Pour que la nullité pour vice de forme produise ses effets, ce texte exige ainsi que la partie qui s’en prévaut justifie d’un grief. Cette règle est résumée par la formule « pas de nullité sans grief ».

La cause de la nullité est indifférente : ce qui importe c’est qu’il s’agisse d’un vice de forme. Cette exigence de justification d’un grief trouve sa source dans la volonté du législateur de prévenir les manœuvres dilatoires des parties.

Cette règle s’inspire, à certains égards, du droit de la responsabilité civile qui subordonne le succès d’une action en réparation à la démonstration d’un préjudice.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par grief.

Le grief est constitué par le tort causé à la partie qui invoque le vice et qui a été empêché ou limité dans ses possibilités de défense.

Dès lors que le vice de forme a pour incidence de nuire ou de désorganiser la défense de la partie qui s’en prévaut, le grief est constitué. En somme, le grief sera caractérisé toutes les fois qu’il sera démontré que l’irrégularité a perturbé le cours du procès.

Comme tout fait juridique, le grief doit pouvoir être établi par tous moyens. En général le grief est apprécié par les juridictions in concreto, soit compte tenu des circonstances et conditions particulières, tenant à la cause, aux parties, à la nature de l’irrégularité, à ses incidences (Cass. 2e civ., 27 juin 2013, n°12-20.929).

Cependant, exceptionnellement certaines juridictions s’en tiennent à l’importance de la règle transgressée lorsqu’elle porte par elle-même atteinte aux droits de la défense (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n°14-12.809).

L’interprétation in abstracto aurait, de toute évidence, pour effet de dénaturer et plus encore de limiter la portée de la règle « nullité sans grief n’opère rien », ce qui équivaudrait pratiquement à revenir au système des nullités substantielles.

C’est la raison pour laquelle cette appréciation du grief in abstracto est limitée aux cas d’inexistence de l’acte (absence de signature, acte formalisé par un officier ministériel incompétent, sans qualité etc.).

Dans un arrêt du 3 décembre 2015, la Cour de cassation a déduit, en ce sens, l’existence d’un grief de la seule omission de mentions essentielles à la validité d’un congé (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n°14-12.809).

Dans ces circonstances, le préjudice résulte, en quelque sorte, par lui-même, de l’importance de la règle transgressée, de sorte qu’il ne saurait être question d’accorder une valeur quelconque à un acte qui n’existe pas, le préjudice existant de plano.

Reste les cas dans lesquels la nullité d’un acte de procédure est prononcée en l’absence de démonstration d’un grief et en présence d’un vice qui n’entre pas dans l’énumération de l’article 117. La doctrine les range en trois catégories.

  • Tout d’abord, il s’agit, des actes affectés d’un vice qui porte atteinte aux règles d’organisation judiciaire, par exemple l’acte signifié par un huissier de justice instrumentant en dehors de son ressort territorial.
  • Ensuite, seraient en cause également des actes portant gravement atteinte aux droits de la défense (encore qu’on puisse penser que dans les affaires concernées, la nullité aurait généralement pu être aussi prononcée sur le fondement de l’article 114 en constatant l’existence d’un grief).
  • Enfin, il s’agit des actes omis, catégorie qui, elle-même, se subdivise entre les hypothèses où l’acte n’a pas été accompli du tout, et celles où a été fait un acte à la place d’un autre requis par la loi (ainsi la jurisprudence retient-elle que l’appel interjeté dans une forme autre que celle prévue équivaut à une absence d’acte).

Toutes ces décisions sont en général approuvées par les auteurs, y compris par ceux qui estiment que l’énumération de l’article 117 est limitative, parce qu’ils considèrent, soit qu’elles entrent en réalité dans les cas de nullités de fond ou de forme prévus par la loi, soit, pour ce qui concerne les omissions d’actes que la Cour de cassation sanctionne par la nullité (Cass. 2e civ. 27 nov. 1996) en évitant de parler de vice de fond, qu’il s’agit d’un type de nullité légitimement créé par la jurisprudence.

III) La régularisation de la nullité pour vice de forme

L’article 115 du CPC prévoit que « la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief. »

Il ressort de cette disposition que tout n’est pas perdu en cas de nullité pour vice de forme. L’auteur de l’acte irrégulier dispose, par principe, de la faculté de régulariser la situation.

Il s’ensuivra une validation rétroactive de l’acte entaché de nullité, celui-ci retrouvant la potentialité de produire tous ses effets.

La lecture de l’article 115 du CPC révèle cependant que trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • Première condition
    • Pour que la nullité pour vice de forme soit couverte cela suppose, avant toute chose, que l’auteur de l’acte procède à sa régularisation.
    • Un nouvel acte rectifié et annulant et remplaçant celui entaché d’une irrégularité devra donc être accompli.
    • Il pourra s’agir, par exemple, en cas d’omission de mentions prescrites à peine de nullité, de délivrer à la partie adverse une nouvelle assignation ou de procéder à de nouvelles formalités de notifications ou de saisie.
  • Deuxième condition
    • Aucune forclusion ne doit être intervenue entre la naissance de l’irrégularité et la régularisation de l’acte
    • Reste que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, il est peu de chance que cette situation se rencontre dans la mesure où, en application de l’article 2241 du Code civil, la demande en justice interrompt les délais de prescription et de forclusion.
    • L’article 2242 précise que « l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance. »
  • Troisième condition
    • Pour que régularisation de l’acte soit opérante, l’article 115 du CPC exige qu’elle ne laisse subsister aucun grief.
    • Cela signifie donc que l’irrégularité dont était frappé l’acte ne doit plus causer aucun tort à la partie adverse, faute de quoi cette dernière sera toujours fondée à se prévaloir de la nullité
    • Il en résulte que la régularisation devra intervenir dans les plus brefs délais, sans quoi il est un risque que la défense de l’adversaire s’en trouve durablement perturbée.

IV) Mise en œuvre de la nullité pour vice de forme

  • Présentation de l’exception de nullité pour vice de forme
    • Seule la partie destinataire de l’acte entaché d’une irrégularité ou celle au préjudice de laquelle il est accompli sont recevables à se prévaloir de la nullité pour vice de forme.
    • Dans un arrêt du 21 juillet 1986, la Cour de cassation avait jugé en ce sens, en des termes généraux, qu’un acte de procédure ne pouvait être annulé pour vice de forme que sur la demande d’une partie « intéressée » (Cass. 2e civ., 21 juill. 1986).
  • Office du Juge
    • À la différence de la nullité pour vice de fond, le Juge n’est pas investi du pouvoir de soulever d’office une nullité pour vice de forme.
  • Moment de la présentation de l’exception de nullité pour vice de forme
    • L’article 112 du CPC prévoit que « la nullité des actes de procédure peut être invoquée au fur et à mesure de leur accomplissement ; mais elle est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité. »
    • L’article 113 poursuit en disposant que « tous les moyens de nullité contre des actes de procédure déjà faits doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été. »
    • Il ressort de ces deux dispositions :
      • D’une part, que l’exception de nullité pour vice de forme doit être soulevée à mesure que les actes susceptibles d’être affectés par une irrégularité sont accomplis
      • D’autre part, que cette exception doit être présentée avant toute défense au fond, ce qui implique, lorsque l’acte irrégulier intervient postérieurement à la présentation d’un moyen de défense, de se référer à la date de l’acte pour apprécier la recevabilité de l’exception de nullité

La nullité du contrat : régime juridique

I) Vue générale

A) Notion

Aux termes du nouvel article 1178 du Code civil introduit par l’ordonnance du 10 février 2016, « un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. ».

Par « nul », il faut comprendre, poursuit cette disposition, qu’il « est censé n’avoir jamais existé. »

Il ressort de cette définition générale de la nullité qu’elle présente deux caractères principaux :

  • Elle sanctionne les conditions de formation de l’acte irrégulier
  • Elle anéantit l’acte qu’elle frappe rétroactivement

B) Nullité et notions voisines

1. Nullité et caducité

?Défaillance

La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances.

  • La nullité
    • Elle sanctionne le non-respect d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation.
  • La caducité
    • Elle s’identifie à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence.

?Volonté des parties

Pour être acquise, la caducité doit résulter de la survenant d’un événement indépendant de la volonté des parties.

Admettre le contraire reviendrait à conférer indirectement aux parties un droit de rupture unilatérale du contrat.

?Effets

  • La nullité
    • Elle est, en principe, assortie d’un effet rétroactif.
    • L’acte est donc anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.
  • La caducité
    • Selon les termes de l’article 1187 du Code civil, elle met simplement fin au contrat, de sort qu’elle n’opère que pour l’avenir.
    • Les parties pourront toujours solliciter des restitutions.

2. Nullité et résolution

?Défaillance

Comme la caducité, la résolution ne vise à pas sanctionner la même défaillance que la nullité.

  • La nullité
    • Elle sanctionne le non-respect d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation.
  • La résolution
    • Elle sanctionne une irrégularité qui procède de la survenance d’une circonstance postérieure à la formation.
    • Cette irrégularité consiste
      • Soit en une inexécution
      • Soit en la non-réalisation d’une condition

Tandis que la nullité intervient au moment de la formation du contrat, la résolution ne peut survenir qu’au cours de son exécution.

?Effets

  • Principe
    • La nullité et la résolution produisent les mêmes effets : elles sont toutes les deux assorties d’un effet rétroactif.
  • Exception
    • En matière de contrat à exécution successive, il ressort de l’article 1229, al. 3 du Code civil que « lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. »
    • Autrement dit, contrairement à la résolution, la résiliation anéantit le contrat seulement pour l’avenir.
    • Elle ne produit aucun effet rétroactif.

3. Nullité et rescision

?Défaillance

  • La nullité
    • Elle sanctionne le non-respect d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation.
  • La rescision
    • Elle sanctionne la lésion qui affecte certains contrats au moment de leur formation.
    • Par lésion, il faut entendre le préjudice subi par l’une des parties au moment de la conclusion du contrat, du fait d’un déséquilibre existant entre les prestations.

?Effets

Tant la nullité que la rescision sont assorties d’un effet rétroactif. Le contrat est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés

4. Nullité et inopposabilité

?Défaillance

Tant la nullité que l’inopposabilité résultent du non-respect d’une condition de formation du contrat.

L’inopposabilité résultera, le plus souvent, du non-accomplissement d’une formalité de publicité.

?Effets

  • La nullité
    • Elle anéantit l’acte qu’elle frappe, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.
  • L’inopposabilité
    • Contrairement à la nullité, elle n’a pas pour effet d’anéantir l’acte : il demeure valable entre les parties
    • L’inopposabilité a seulement pour effet de rendre l’acte inefficace pour les tiers.

5. Nullité et inexistence

?Défaillance

  • La nullité
    • Elle sanctionne le non-respect d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation.
  • L’inexistence
    • Si l’inexistence se rapproche de la nullité en ce qu’elle consiste en la sanction prononcée à l’encontre d’un acte dont l’un des éléments constitutifs essentiels à sa formation fait défaut.
    • Elle s’en distingue, en ce qu’elle intervient lorsque la défaillance qui atteint l’une des conditions de validité de l’acte porte sur son processus de formation.
    • Autrement dit, tandis qu’en matière de nullité l’échange des consentements a eu lieu, tel n’est pas le cas en matière d’inexistence.
    • Aussi, l’inexistence vient-elle précisément sanctionner l’absence de rencontre des volontés.
    • Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a approuvé en ce sens une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aucun échange de consentement n’était intervenu entre les parties, a estimé qu’il n’y avait pas pu y avoir de contrat elles (Cass. 1ère civ., 5 mars 1991, n°89-17.167).
    • Conformément à cette jurisprudence, l’erreur obstacle devrait donc, en toute logique, être sanctionnée par l’inexistence, comme le soutiennent certains auteurs et non par la nullité.

?Effets

  • La nullité
    • Dans l’hypothèse, où le non-respect d’une condition de validité du contrat est sanctionné par la nullité, celui qui entend contester l’acte dispose d’un délai de 5 ans pour agir.
    • Conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de ce délai de prescription court à compter « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Il s’agira, le plus souvent, du jour de la conclusion du contrat.
  • L’inexistence
    • Dans l’hypothèse toutefois où la sanction prononcée est l’inexistence de l’acte, le contrat n’a jamais été formé puisque les volontés ne se sont pas rencontrées.
    • Il en résulte que les parties à l’acte inexistant ne sauraient se prévaloir d’aucun droit, sinon de celui de faire constater l’inexistence.
    • Aussi, l’exercice de l’action en inexistence n’est-il subordonné à l’observation d’un quelconque délai de prescription.
    • L’intérêt de la sanction de l’inexistence ne tient pas seulement à l’absence de prescription de l’action.
    • Elle réside également dans l’impossibilité pour les parties de confirmer l’acte.
    • On ne saurait, en effet, confirmer la validité d’un acte qui n’a jamais existé.

C) La summa divisio des nullités

Traditionnellement, on distingue deux catégories de nullités :

  • Les nullités relatives
  • Les nullités absolues

La question qui immédiatement se pose est alors se savoir quel critère retenir pour les distinguer. Sur cette question, deux théories se sont opposées : l’une dite classique et l’autre moderne

?La théorie classique

Selon cette théorie, née au XIXe siècle, le critère de distinction entre les nullités relatives et les nullités absolues serait purement anthropomorphique.

Autrement dit, le contrat pourrait être comparé à un être vivant, lequel est composé d’organes.

Or ces organes peuvent, soit faire défaut, ce qui serait synonyme de mort, soit être défectueux, ce qui s’apparenterait à une maladie.

Selon la doctrine de cette époque, il en irait de même pour le contrat qui est susceptible d’être frappé par différents maux d’une plus ou moins grande gravité.

En l’absence d’une condition d’existence (consentement, objet, cause) l’acte serait mort-né : il encourrait la nullité absolue

Lorsque les conditions d’existence seraient réunies mais que l’une d’elles serait viciée, l’acte serait seulement malade : il encourrait la nullité relative

Cette théorie n’a pas convaincu les auteurs modernes qui lui ont reproché l’artifice de la comparaison.

?La théorie moderne

La théorie classique des nullités a été vivement critiquée, notamment par Japiot et Gaudemet.

Selon ces auteurs, le critère de distinction entre la nullité relative et la nullité absolue réside, non pas dans la gravité du mal qui affecte l’acte, mais dans la finalité poursuivie par la règle sanctionnée par la nullité.

Ainsi, selon cette théorie :

  • La nullité absolue viserait à assurer la sauvegarde de l’intérêt général, ce qui justifierait qu’elle puisse être invoquée par quiconque à un intérêt à agir
  • La nullité relative viserait à assurer la sauvegarde d’un intérêt privé, ce qui justifierait qu’elle ne puisse être invoquée que par la personne protégée par la règle transgressée

S’il est indéniable que le critère de distinction proposé par la doctrine moderne est d’application plus aisé que le critère anthropomorphique, il n’en demeure pas moins, dans certains cas, difficile à mettre en œuvre.

Qui plus est, il ressort de la jurisprudence que les tribunaux n’ont absolument pas renoncé au premier critère.

Il est, en effet, constant en jurisprudence que les vices de forme ou l’absence d’objet sont sanctionnés par une nullité absolue, alors même que ces conditions de validité de l’acte visent à protéger moins l’intérêt général, que l’intérêt des cocontractants.

Aussi, cela témoigne-t-il, sans aucun doute, de l’existence d’une certaine corrélation entre la gravité du mal qui affecte l’acte et la sanction appliquée.

À l’occasion de la réforme des obligations, le législateur n’est pas resté étranger à ce débat.

On peut lire dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016 qu’il a entendu consacrer « ce qu’il est convenu d’appeler la théorie moderne des nullités »

Cette volonté du législateur de trancher le débat relatif au critère de distinction entre la nullité absolue et la nullité relative, s’est traduite par l’introduction d’un nouvel article 1179 dans le Code civil.

Cette disposition prévoit désormais que la nullité est :

  • Absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général.
  • Relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé.

Aussi, est-ce toujours autour de cette distinction que s’articule le régime juridique de l’action en nullité (I)

Que la nullité soit absolue ou relative, cela n’aura toutefois aucune répercussion sur les effets de la nullité (II)

II) L’action en nullité

A) Les titulaires de l’action en nullité

Afin de déterminer qui a qualité à agir en annulation d’un acte, il convient de déterminer si la sanction de la règle transgressée est une nullité absolue ou relative.

1. L’invocation de la nullité absolue

?Principe : indifférence de la qualité à agir

Aux termes du nouvel article 1180 du Code civil « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. »

Cela signifie que le périmètre de l’action s’étend au-delà de la sphère des parties.

L’étendue de ce périmètre se justifie par la nature de la transgression qui est sanctionnée.

L’atteinte est portée, en pareil cas, à une règle protectrice de l’intérêt général. Potentiellement ce sont donc tous les sujets droits qui sont visés par cette atteinte.

Dans ces conditions, il n’est pas illégitime d’admettre qu’ils puissent agir en nullité de l’acte qu’il leur fait grief aux fins d’assurer la sauvegarde de leurs intérêts.

?Condition : exigence d’un intérêt à agir

Si, en matière de nullité absolue, l’article 1180 du Code civil ne restreint pas le nombre de personnes qui ont qualité à agir, il n’en subordonne pas moins l’exercice de l’action à l’existence d’un intérêt.

Pour invoquer la nullité absolue d’un acte cela suppose, autrement dit, d’être en mesure de justifier :

  • En premier lieu
    • d’un intérêt légitime au sens de l’article 31 du Code de procédure civile, soit d’un intérêt qui entretient un lien suffisamment étroit avec la cause de nullité.
  • En second lieu
    • d’un intérêt direct ce qui pose la question de la faculté pour les associations et autres groupements de défense des intérêts collectifs d’agir en nullité.
    • Dans un arrêt du 22 janvier 2014, cela n’a toutefois pas empêché la Cour de cassation de reconnaître à un syndicat son intérêt à agir en nullité d’un acte (Cass. 1ère civ. 22 janv. 2014, n°13-12.675).

?Les personnes qui ont un intérêt à agir

  • Les parties
    • De par leur engagement à l’acte, les parties ont, en toutes circonstances, intérêt à soulever une cause de nullité absolue.
    • Elles y sont intéressées au premier chef.
    • Cette faculté leur est offerte, quand bien même le contractant qui solliciterait la nullité serait à l’origine du vice qui affecte l’acte.
    • La raison en est que l’adage nemo auditur n’est applicable aux effets de l’action engagée et non à ses causes.
  • Les créanciers
    • Les créanciers peuvent justifier d’un intérêt à agir s’ils démontrent que l’acte conclu par leur débiteur leur cause un préjudice.
    • Dans le cas, contraire l’action en nullité leur sera fermée
  • Les tiers
    • La possibilité pour un tiers d’agir en nullité semble extrêmement restreinte.
    • Par définition, le tiers est insusceptible d’être atteint par les effets de l’acte.
    • Dans ces conditions, il ne semble pas pouvoir être en mesure de justifier d’un intérêt à agir, sauf à envisager que l’exécution de l’acte lui cause préjudice
  • Le ministère public
    • La possibilité pour le ministère public d’agir en nullité absolue de l’acte est expressément prévue par l’article 1180 du Code civil.
    • Son action n’est subordonnée, a priori, au respect d’aucune condition en particulier.
    • En pratique toutefois
      • d’une part, son intervention sera subsidiaire
      • d’autre part, il ne soulèvera que les causes de nullité relatives à l’illicéité du contenu de l’acte

2. L’invocation de la nullité relative

?Restriction des personnes ayant qualité à agir

Aux termes de l’article 1181 du Code civil « la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger. »

Ainsi, la loi restreint-elle le cercle des personnes ayant qualité à agir en nullité relative d’un acte. Cette disposition est d’ordre public. Il ne saurait, en conséquence, y être dérogé par convention contraire.

?Les personnes ayant qualité à agir

  • Les contractants
    • La règle dont la violation est sanctionnée par une nullité relative vise, le plus souvent, à protéger les contractants
    • Mécaniquement, c’est donc l’une des parties au contrat qui sera seule titulaire de l’action en nullité
    • Il en ira ainsi en matière :
      • de vices du consentement
      • de lésion (lorsqu’elle est reconnue)
      • d’incapacité
    • Il peut être observé que l’action en nullité ne pourra être exercée que par la partie victime de la violation de la règle sanctionnée par une nullité relative
    • Son cocontractant sera, en conséquence, privé du droit d’agir, quand bien même il justifierait d’un intérêt.
  • Les représentants légaux
    • En ce qu’ils agissent au nom et pour le compte de la personne protégée, les représentants légaux peuvent exercer l’action en nullité (tuteur, curateur etc.).
  • Les ayants cause
    • Lorsque les droits de la personne protégée sont transmis à un ayant cause, celui-ci devient titulaire des actions attachées à ces droits, dont l’action en nullité qui dès lors, pourra être exercée par lui.
  • Les créanciers
    • Si, par principe, les créanciers n’auront pas qualité à agir pour exercer directement l’action en nullité lorsque ladite nullité est relative, ils pourront néanmoins agir par voie d’action oblique.
    • L’article 1341-1 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. »

B) Les pouvoirs du juge

?Principe : la nullité judiciaire

  • Le monopole du juge
    • En principe, seul le juge est investi du pouvoir de prononcer la nullité du contrat.
    • L’article 1178 du Code civil dispose que « la nullité doit être prononcée par le juge ».
    • Cette règle se justifie par la présomption de validité qui pèse sur les conventions.
    • Cette présomption a été instituée aux fins d’assurer la sécurité des actes juridiques.
    • Il sera par conséquent nécessaire pour celui qui agit en nullité d’un acte de saisir la juridiction compétente, avant d’entreprendre toute rupture de la relation contractuelle.
    • Aussi, appartiendra-t-il au juge une fois saisi
      • D’abord de vérifier les conditions de validité de l’acte
      • Ensuite de constater sa nullité si établie
      • Enfin de prononcer sur les effets de la nullité
    • Quid néanmoins dans l’hypothèse où, au cours d’une instance, le juge relève une nullité, mais qu’elle n’a pas été soulevée par les parties ?
    • C’est toute la question de l’office du juge.
  • L’office du juge
    • Le juge peut-il relever d’office la nullité d’un acte ?
    • Les textes sont silencieux sur cette question.
    • Tout au plus, l’article 12 du Code de procédure civil prévoit que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. »
    • Toutefois, il ressort de la jurisprudence (Cass. 1ère civ. 22 mai 1985, n°84-10.572) que le juge dispose de cette faculté à la condition qu’il fonde sa décision
      • D’une part sur des faits inclus dans les débats (art. 7 CPC)
      • D’autre part que ces faits aient été débattus contradictoirement par les parties (art. 16 CPC)
    • La jurisprudence n’opère aucune distinction, selon que la nullité est absolue ou relative.

?Exception : la nullité conventionnelle

Si, en principe, la nullité d’un acte ne produit d’effets qu’à la condition d’être prononcée par le juge, l’article 1178 du Code civil prévoit que cette règle est écartée lorsque les parties constatent la nullité « d’un commun accord ».

Cette faculté qu’ont les parties à tirer, elles-mêmes, les conséquences de la nullité d’un acte résulte du principe du mutus dissens.

Autrement dit, ce que les contractants ont consenti à faire, ils doivent pouvoir le défaire au moyen de cette même volonté.

Cette conception du pouvoir dont sont titulaires les parties, consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme des obligations, participe de sa volonté, d’une part, de leur conférer une plus grande autonomie, mais encore de désengorger les tribunaux.

En matière fiscale néanmoins, il peut être observé que les parties n’auront pas la possibilité d’opposer au Trésor public la nullité amiable.

L’article 1961, al. 2 du CGI dispose en ce sens que « en cas de rescision d’un contrat pour cause de lésion, ou d’annulation d’une vente pour cause de vices cachés et, au surplus, dans tous les cas où il y a lieu à annulation, les impositions visées au premier alinéa perçues sur l’acte annulé, résolu ou rescindé ne sont restituables que si l’annulation, la résolution ou la rescision a été prononcée par un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée. »

C) La prescription de l’action en nullité

Afin d’envisager la question de la prescription, il convient de distinguer selon que la nullité est invoquée par voie d’action ou par voie d’exception.

Tandis que dans le premier cas, le délai de prescription est de 5 ans, dans le second il est perpétuel.

1. L’invocation de la nullité par voie d’action

On dit de la nullité qu’elle est invoquée par voie d’action, lorsque celui qui soulève ce moyen est le demandeur à l’instance.

?Le délai de prescription

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Antérieurement à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, le délai de prescription de l’action en nullité était différent que la nullité était absolue ou relative :

  • Lorsque la nullité était absolue, le délai de prescription était de 30 ans
  • Lorsque la nullité était relative, le délai de prescription était de 5 ans

Désormais, il n’y a plus lieu de distinguer selon que la nullité est absolue ou relative.

Dans les deux cas, le délai de prescription de l’action en nullité est de 5 ans.

?Le point de départ du délai

  • La fixation du point de départ du délai
    • Aux termes de l’article 2224 du Code civil le délai de prescription de l’action en nullité court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Cela signifie donc que tant que le titulaire de l’action en nullité n’a pas connaissance de la cause de nullité qui affecte l’acte, le délai de prescription ne court pas ; son point de départ est reporté
    • En matière de vices du consentement, l’article 1144 précise que le délai de l’action en nullité ne court
      • D’une part, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts
      • D’autre part, en cas de violence, que du jour où elle a cessé.
  • Le report du point de départ du délai
    • L’article 2232, al. 2 du Code civil pose une limite au report du point de départ du délai de prescription de l’action en nullité.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. »
    • Ainsi, le point de départ de la prescription ne peut être reporté que dans la limite de 20 ans à compter du jour de la conclusion de l’acte.

?L’invocation de la prescription

  • Les parties
    • Aux termes de l’article 2248 du Code civil, les parties ont la faculté de soulever la nullité d’un acte en première instance et en appel.
    • La voie leur est fermée en cas de pourvoi en cassation.
  • Le juge
    • L’article 2247 interdit au juge de « suppléer d’office le moyen résultant de la prescription ».
    • Autrement dit, il revient aux parties d’invoquer la prescription de l’action en nullité.
    • À défaut, elle sera sans effet.

2. L’invocation de la nullité par voie d’exception

On dit que la nullité est invoquée par voie d’exception lorsque celui qui la soulève est le défendeur à l’instance.

Ce dernier est conduit à soulever la nullité de l’acte dans le cadre du débat contradictoire qui va s’instaurer avec le demandeur dont ce dernier est à l’initiative, puisque auteur de l’acte introductif d’instance.

?Le principe de perpétuité de l’exception de nullité

Lorsque la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles

Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de 5 ans, le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution.

Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.

?Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité

Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies

  • Première condition
    • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté » (Cass. 1ère civ. 1er déc. 1998, n°96-17.761)
    • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
    • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
  • Deuxième condition
    • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
    • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 (Cass. 1ère civ. 4 mai 2012, n°10-25.558)
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté »
    • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
      • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement (Cass. 1ère civ. 1er déc. 1998)
      • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative (Cass. 1ère civ. 24 avr. 2013).
      • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité (Cass. 1ère civ. 13 mai 2004).
  • Troisième condition
    • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
    • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
    • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
    • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée » (art. 30 CPC).

III) L’étendue de la nullité

Longtemps, la question s’est posée de savoir si la nullité ne devait avoir que pour effet d’anéantir l’acte qu’elle affecte dans son ensemble ou si elle pouvait ne porter que sur certaines clauses.

Lorsque le contrat est privé d’objet ou que le consentement d’une partie à l’acte fait défaut ou est vicié, cette question ne soulève pas de difficultés.

Mais quid dans l’hypothèse où seule une stipulation est illicite ?

Dans certains cas, le législateur surmonte cette difficulté en prévoyant une sanction spéciale, qui tend à se développer de plus en plus : le réputé non écrit.

En pareil cas, seule la clause entachée d’irrégularité est anéantie, tandis que le contrat est quant à lui maintenu.

Exemple :

  • L’article 1170 dispose que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »
  • L’article 1171 prévoit encore que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. »

En dehors de textes spécifiques, quelle solution adopter en cas d’irrégularité d’une stipulation contractuelle ?

A) Droit antérieur

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition de portée générale régissant l’étendue de la nullité.

Tout au plus, on a pu voir dans la combinaison des articles 900 et 1172 une distinction à opérer s’agissant de l’étendue de la nullité entre les actes à titre gratuit et les actes à titre onéreux.

  • Les actes à titre gratuit
    • L’article 900 du Code civil prévoit que « dans toute disposition entre vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui sont contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites »
    • Pour les actes à titre gratuit, la nullité pourrait donc n’être que partielle en cas d’illicéité d’une clause.
  • Les actes à titre onéreux
    • L’ancien article 1172 prévoyait que « toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend »
    • Sur le fondement de cette disposition les auteurs estimaient que, pour les actes à titre onéreux, l’illicéité d’une stipulation contractuelle entachait l’acte dans son ensemble de sorte que la nullité ne pouvait être totale.

Manifestement, la jurisprudence a très largement dépassé ce clivage.

Les tribunaux ont préféré s’appuyer sur le critère du caractère déterminant de la clause dans l’esprit des parties (Voir en sens notamment Cass. 3e civ., 24 juin 1971, n°70-11.730)

Aussi, la détermination de l’étendue de la nullité supposait-elle de distinguer deux situations :

  • Lorsque la clause présente un caractère « impulsif et déterminant », soit est essentielle, son illicéité affecte l’acte dans son entier
    • La nullité est donc totale
  • Lorsque la clause illicite ne présente aucun caractère « impulsif et déterminant », soit est accessoire, elle est seulement réputée non-écrite
    • La nullité est donc partielle

Jugeant le Code civil « lacunaire » sur la question de l’étendue de la nullité, à l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a consacré la théorie de la nullité partielle, reprenant le critère subjectif institué par la jurisprudence.

B) Réforme des obligations

Le législateur n’a pas seulement consacré la théorie de la nullité partielle, il en également profité pour clarifier le système instauré par la jurisprudence.

Pour ce faire, il a envisagé deux sortes de maintien du contrat :

?Le maintien de principe

Aux termes de l’article 1184, al. 1er du Code civil, « lorsque la cause de nullité n’affecte qu’une ou plusieurs clauses du contrat, elle n’emporte nullité de l’acte tout entier que si cette ou ces clauses ont constitué un élément déterminant de l’engagement des parties ou de l’une d’elles. »

Il ressort de cette disposition que quand bien même un acte est affecté par une cause de nullité, il peut être sauvé.

Le juge dispose, en effet, de la faculté de ne prononcer qu’une nullité partielle de l’acte.

Cela suppose toutefois que deux conditions soient remplies :

  • L’illicéité affecte une ou plusieurs clauses de l’acte
  • La stipulation desdites clauses ne doit pas avoir été déterminante de l’engagement des parties

Si ces deux conditions sont remplies, les clauses affectées par la cause de nullité seront réputées non-écrites

?Le maintien d’exception

Le législateur a prévu à l’alinéa 2 de l’article 1184 du Code civil deux hypothèses de maintien du contrat, quand bien même les conditions exigées à l’alinéa 1er ne seraient pas remplies.

Peu importe donc que la stipulation de la clause illicite ait été ou non déterminante de l’engagement des parties.

Le contrat sera, en tout état de cause maintenu.

  • Première hypothèse
    • Le contrat est maintenu lorsque la loi répute la clause non écrite
    • Ainsi, la règle spéciale déroge à la règle générale.
  • Seconde hypothèse
    • Le contrat est maintenu lorsque la finalité de la règle méconnue exige son maintien
    • Cette hypothèse se rencontrera lorsque le maintien du contrat est regardé comme une sanction pour celui contre qui la nullité partielle est prononcée.

IV) Les effets de la nullité

Plusieurs effets sont attachés à la nullité d’un acte. Il convient de distinguer les effets de la nullité à l’égard des parties des effets à l’égard des tiers

A) Les effets de la nullité à l’égard des parties

À l’égard des parties, il ressort de l’article 178 du Code civil que les effets de la nullité sont au nombre de trois.

?L’effet rétroactif de la nullité

Le principal effet de la nullité c’est la rétroactivité. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que le contrat est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Pour ce faire, il conviendra alors de procéder à des restitutions.

?Les restitutions

Conséquence de l’effet rétroactif de la nullité, l’obligation de restitution qui échoit aux parties consiste pour ces dernières à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Les restitutions qui résultent de la nullité d’un acte sont régies aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.

L’objectif poursuivi par les restitutions est de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement à la conclusion du contrat.

Cet objectif se révélera toutefois, dans bien des cas, difficile à atteindre, notamment lorsque la restitution portera sur une chose consomptible, périssable ou encore qui a fait l’objet de dégradation. Quid encore de la restitution des fruits procurés par la chose restituée ?

Toutes ces questions sont traitées dans un chapitre propre aux restitutions, destiné à unifier la matière et à s’appliquer à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

?L’octroi de dommages et intérêts

Aux termes de l’article 1178, al. 4 du Code civil « indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle. »

Ainsi, la partie qui obtient la nullité d’un acte peut se voir octroyer, si elle justifie d’un préjudice, des dommages et intérêts. Elle ne pourra engager la responsabilité de son cocontractant que sur le terrain de la responsabilité délictuelle puisque l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Dans un arrêt du 9 juillet 2004, la Chambre mixte a, toutefois, eu l’occasion de préciser que « la partie de bonne foi au contrat de vente annulé peut seule demander la condamnation de la partie fautive à réparer le préjudice qu’elle a subi en raison de la conclusion du contrat annulé » (Cass. ch. Mixte, 9 juill. 2004, n°02-16.302).

B) Les effets de la nullité à l’égard des tiers

?Principe

Dans la mesure où l’acte annulé est censé n’avoir jamais existé, il ne devrait en toute logique produire aucun effet à l’égard des tiers.

Toute prérogative octroyée à un tiers et qui a sa source dans le contrat annulé devrait normalement être anéantie.

Exemple :

  • Envisageons l’hypothèse où A vend un bien à B et que B le revend à C.
  • L’annulation du contrat entre A et B devrait avoir pour effet de priver C de la propriété du bien dont il est le sous-acquéreur.
  • Dans la mesure où B n’a, en raison de l’annulation du contrat, jamais été propriétaire du bien, il n’a pu valablement en transmettre la propriété à C.
  • Cette règle est exprimée par l’adage nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a.

?Correctifs

De toute évidence, la règle nemo plus juris porte atteinte à la sécurité juridique puisque l’annulation d’un acte est susceptible de remettre en cause nombre de situations juridiques constituées dans le lignage de cet acte.

Cette situation est d’autant plus injuste lorsque le tiers est de bonne foi, soit lorsqu’il ignorait la cause de nullité qui affectait l’acte initial.

C’est la raison pour laquelle, de nombreux correctifs ont été institués pour atténuer l’effet de la nullité d’un acte à l’égard des tiers.

  • La possession mobilière de bonne foi : aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre »
    • Lorsqu’il est de bonne foi, le possesseur d’un bien meuble est considéré comme le propriétaire de la chose par le simple effet de la possession.
    • Dans notre exemple, C est présumé être le propriétaire du bien qui lui a été vendu par B, quand bien même le contrat conclu entre ce dernier et A est nul.
  • La prescription acquisitive immobilière
    • Après l’écoulement d’un certain temps, le possesseur d’un immeuble est considéré comme son propriétaire
    • Son droit de propriété est alors insusceptible d’être atteinte par la nullité du contrat
    • Le délai est de 10 pour le possesseur de bonne foi et de trente ans lorsqu’il est de mauvaise foi (art. 2272 C. civ.)
    • Il peut être observé que l’article 2274 prévoit que, en matière de prescription acquisitive, « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »

V) Le remède à la nullité

Le vice qui affecte la validité d’un acte n’est pas sans remède. Il est possible de sauver l’acte de la nullité, en se prévalant de sa confirmation.

A) Notion de confirmation

Par confirmation, il faut entendre, selon l’article 1182 du Code civil « l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce »

Il s’agit, autrement dit, de la manifestation de volonté par laquelle le titulaire de l’action en nullité renonce à agir et, par un nouveau consentement, valide rétroactivement l’acte.

B) Distinctions

La confirmation doit principalement être distinguée de la régularisation et de la réfection de l’acte

  • Confirmation et régularisation
    • La régularisation consiste à valider un acte initialement nul en le purgeant du vice qui l’affecte.
    • À la différence de la confirmation, la régularisation de l’acte est opposable erga omnes
    • Tel n’est pas le cas de la confirmation qui ne produit d’effet qu’à l’égard du titulaire de l’action en nullité, lequel renonce simplement à son droit de critiquer l’acte.
    • C’est la raison pour laquelle la régularisation de l’acte est envisageable, tant en matière de nullité relative qu’en matière de nullité absolue.
    • Pour être efficace, elle doit néanmoins être permise par la loi.
    • Tel est, par exemple le cas en matière de rescision de la vente pour cause de lésion.
    • L’article 1681 du Code civil prévoit en ce sens que « dans le cas où l’action en rescision est admise, l’acquéreur a le choix ou de rendre la chose en retirant le prix qu’il en a payé, ou de garder le fonds en payant le supplément du juste prix, sous la déduction du dixième du prix total. »
  • Confirmation et réfection
    • La réfection consiste pour les parties d’un acte affecté par une cause de nullité à conclure un nouvel accord, semblable à celui qui avait donné naissance au contrat initial, mais expurgé de toute irrégularité.
    • Contrairement à la confirmation ou à la régularisation, la réfection ne produit aucun effet rétroactif.
    • Cette dernière s’apparente à la conclusion d’un nouveau contrat qui produit ses effets au jour de sa formation.
    • La réfection du contrat sera par exemple nécessaire lorsqu’une donation n’aura pas été effectuée en la forme authentique.
    • L’article 931-1 du Code civil prévoit, en effet, que « en cas de vice de forme, une donation entre vifs ne peut faire l’objet d’une confirmation. Elle doit être refaite en la forme légale. »

C) Domaine de la confirmation

Conformément aux articles 1180 et 1181 la confirmation ne peut être sollicitée qu’en matière de nullité relative.

Lorsque l’acte est affecté par une cause de nullité absolue, il ne peut pas être confirmé (art. 1180, al. 2e C. civ.).

Cette règle est logique : la confirmation de l’acte par une partie au contrat n’a pour effet que d’éteindre son propre droit de critique. Or l’action en nullité absolue appartient à tout intéressé.

D’où la limitation du domaine de la confirmation aux seules causes de nullité relative, dont l’invocation relève du monopole que d’une seule personne.

D) Conditions de la confirmation

Plusieurs conditions doivent être réunies pour que la confirmation sauve l’acte affecté par un vice de la nullité :

?Indifférence de l’expression de la confirmation

  • La confirmation expresse
    • Lorsque la confirmation est expresse, l’acte qui l’exprime doit mentionner l’objet de l’obligation et le vice affectant le contrat (art. 1182, al. 1er C. civ.)
    • Cette exigence vise à s’assurer que celui qui renonce à son droit à la critique de l’acte, a conscience, de l’existence d’une cause de nullité de l’acte.
  • La confirmation tacite
    • Bien que le Code n’envisage pas nommément la confirmation tacite de l’acte nul, il ne l’exclut pas.
    • L’article 1182, al. 3e du Code civil prévoit en ce sens que « l’exécution volontaire du contrat, en connaissance de la cause de nullité, vaut confirmation »
    • Ainsi, la seule exécution du contrat par la partie titulaire de l’action en nullité relative s’apparente à une confirmation, à la condition toutefois qu’elle ait conscience du vice qui affecte l’acte.

?L’exigence de postériorité de la confirmation

Conformément à l’article 1182, al. 2e du Code civil « la confirmation ne peut intervenir qu’après la conclusion du contrat. »

L’alinéa 3 précise que « en cas de violence, la confirmation ne peut intervenir qu’après que la violence a cessé. »

La solution retenue par le législateur est logique.

Elle se justifie par la nécessité d’empêcher que la victime du vice ne renonce prématurément à l’action en nullité.

Surtout, il est nécessaire que cette dernière ne soit plus sous l’emprise de son cocontractant ce qui est susceptible d’être le cas tant que le contrat n’a pas été conclu.

D’où l’exigence de postériorité de la confirmation à la conclusion de l’acte.

E) Effets de la confirmation

Aux termes de l’article 1182, al. 4e du Code civil « la confirmation emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés, sans préjudice néanmoins des droits des tiers. »

Cela signifie que la confirmation d’un acte fait obstacle à ce que son auteur, après avoir renoncé à son droit de critiquer l’acte, soit exerce une action en nullité, soit oppose une exception tirée de l’existence d’une irrégularité.

Une fois confirmé, l’acte ne pourra donc plus être remis en cause. La confirmation de l’acte est alors opposable à l’égard de tous, sauf à ce que d’autres personnes soient titulaires de l’action en nullité relative.

Dans cette dernière hypothèse, pour que l’acte soit définitivement confirmé, tous ceux susceptibles d’agir en nullité devront avoir renoncé à leur droit de critiquer l’acte.

F) Action interrogatoire

?Principe

Parce que le contrat qui est affecté par une cause de nullité peut être anéanti à tout moment, la partie contre laquelle une action en nullité est susceptible d’être diligentée se retrouve dans une situation pour le moins précaire.

Tant que la nullité n’est pas prononcée l’acte est efficace. Il demeure toutefois sous la menace d’un anéantissement rétroactif.

Cette situation est susceptible de perdurer aussi longtemps que l’action en nullité n’est pas prescrite.

Aussi afin de ne pas laisser la partie qui subit cette situation dans l’incertitude, le législateur lui a conféré la faculté de contraindre le titulaire de l’action à nullité à se prononcer sur le maintien de l’acte.

Le nouvel article 1183 du Code civil prévoit en ce sens que « une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. »

Cette disposition a, de la sorte, instauré une action interrogatoire au bénéfice de celui qui souhaite savoir si le titulaire de l’action en nullité entend réclamer l’anéantissement du contrat.

L’exercice de cette action est subordonné à la satisfaction d’un certain nombre de conditions.

?Conditions

  • Premièrement, l’action interrogatoire n’appartient qu’aux seules parties au contrat.
  • Deuxièmement, pour que l’action interrogatoire puisse être exercée, la cause de nullité doit avoir cessé
  • Troisièmement, l’exercice de l’action interrogatoire doit être formalisé par un écrit
  • Quatrièmement, l’écrit doit mentionner les conséquences de l’absence de réaction du titulaire de l’action en nullité en cas d’interpellation

?Effets

L’exercice de l’action interrogatoire a pour effet de contraindre le titulaire de l’action en nullité de se prononcer sur le maintien du contrat.

Si dans un délai de 6 mois ce dernier n’a pas opté, le contrat est réputé confirmé.

Prescription de l’action en nullité et exception de nullité

Afin d’envisager la question de la prescription, il convient de distinguer selon que la nullité est invoquée par voie d’action ou par voie d’exception.

Tandis que dans le premier cas, le délai de prescription est de 5 ans, dans le second il est perpétuel.

1. L’invocation de la nullité par voie d’action

On dit de la nullité qu’elle est invoquée par voie d’action, lorsque celui qui soulève ce moyen est le demandeur à l’instance.

?Le délai de prescription

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Antérieurement à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, le délai de prescription de l’action en nullité était différent que la nullité était absolue ou relative :

  • Lorsque la nullité était absolue, le délai de prescription était de 30 ans
  • Lorsque la nullité était relative, le délai de prescription était de 5 ans

Désormais, il n’y a plus lieu de distinguer selon que la nullité est absolue ou relative.

Dans les deux cas, le délai de prescription de l’action en nullité est de 5 ans.

?Le point de départ du délai

  • La fixation du point de départ du délai
    • Aux termes de l’article 2224 du Code civil le délai de prescription de l’action en nullité court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Cela signifie donc que tant que le titulaire de l’action en nullité n’a pas connaissance de la cause de nullité qui affecte l’acte, le délai de prescription ne court pas ; son point de départ est reporté
    • En matière de vices du consentement, l’article 1144 précise que le délai de l’action en nullité ne court
      • D’une part, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts
      • D’autre part, en cas de violence, que du jour où elle a cessé.
  • Le report du point de départ du délai
    • L’article 2232, al. 2 du Code civil pose une limite au report du point de départ du délai de prescription de l’action en nullité.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. »
    • Ainsi, le point de départ de la prescription ne peut être reporté que dans la limite de 20 ans à compter du jour de la conclusion de l’acte.

?L’invocation de la prescription

  • Les parties
    • Aux termes de l’article 2248 du Code civil, les parties ont la faculté de soulever la nullité d’un acte en première instance et en appel.
    • La voie leur est fermée en cas de pourvoi en cassation.
  • Le juge
    • L’article 2247 interdit au juge de « suppléer d’office le moyen résultant de la prescription ».
    • Autrement dit, il revient aux parties d’invoquer la prescription de l’action en nullité.
    • À défaut, elle sera sans effet.

2. L’invocation de la nullité par voie d’exception

On dit que la nullité est invoquée par voie d’exception lorsque celui qui la soulève est le défendeur à l’instance.

Ce dernier est conduit à soulever la nullité de l’acte dans le cadre du débat contradictoire qui va s’instaurer avec le demandeur dont ce dernier est à l’initiative, puisque auteur de l’acte introductif d’instance.

?Le principe de perpétuité de l’exception de nullité

Lorsque la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles

Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de 5 ans, le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution.

Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.

?Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité

Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies

  • Première condition
    • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté » (Cass. 1ère civ. 1er déc. 1998, n°96-17.761)
    • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
    • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
  • Deuxième condition
    • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
    • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 (Cass. 1ère civ. 4 mai 2012, n°10-25.558)
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté »
    • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
      • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement (Cass. 1ère civ. 1er déc. 1998)
      • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative (Cass. 1ère civ. 24 avr. 2013).
      • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité (Cass. 1ère civ. 13 mai 2004).
  • Troisième condition
    • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
    • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
    • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
    • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée » (art. 30 CPC).

Le régime de l’action en nullité des sociétés

I) La titularité de l’action en nullité

Aux termes de l’article 31 du Code de procédure civil « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Ainsi, pour engager une action en nullité, cela suppose-t-il pour le requérant de justifier d’une qualité à agir.

Or en matière de nullité, la qualité à agir dépend de la nature de l’intérêt protégé par la règle sanctionnée par la nullité.

  • Lorsque la nullité est relative, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de protection, ont seules qualité à agir les personnes dont le législateur a souhaité assurer la protection, à condition que le demandeur justifie d’un intérêt à agir.
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité relative sont celles qui concernent :
      • Les vices du consentement
      • Le défaut de consentement
        • La Cour de cassation l’assimile régulièrement, à tort, au vice du consentement ( Com. 20 juin 1989)
      • L’incapacité
  • Lorsque la nullité est absolue, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de direction, ont qualité à agir toutes les personnes susceptibles de se prévoir d’un intérêt à agir
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité absolue sont celles relatives :
      • Au défaut d’affectio societatis
      • Au défaut d’apport
      • À l’absence de pluralité d’associé
      • Au défaut d’accomplissement des formalités de publicité relatives à une société en nom collectif ou en commandite simple
      • La fraude
      • L’illicéité de l’objet social
      • Le défaut d’acte constitutif

II) La prescription de l’action en nullité

Par exception à l’article 2224 du Code civil qui prévoit que l’action en nullité se prescrit par 5 ans, le délai de prescription est raccourci à 3 ans en matière de nullité de société

Les articles 1844-14 du Code civil et L. 235-9 du Code de commerce disposent en ce sens que « les actions en nullité de la société ou d’actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue. »

Quid du point de départ de la prescription lorsque l’irrégularité qui entache la constitution de la société persiste au cours de la vie sociale, tel que le défaut d’affectio societatis ou l’illicéité de l’objet social ?

Dans un arrêt remarqué du 20 novembre 2001, la Cour de cassation a estimé que « les actions en nullité de la société se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue » (Cass. 1ère civ., 20 nov. 2001)

Ainsi, la haute juridiction reproche à la Cour d’appel d’avoir jugé que « s’agissant d’une nullité permanente, seule la disparition de la cause de celle-ci, soit la reconstitution d’une affectio societatis fait courir la prescription de trois ans de l’article 1844-14 du Code civil »

Pour la première chambre civile, le point de départ du délai de prescription n’est pas le jour de la disparition de la cause de nullité, mais au jour. Le délai court dès lors que la cause de nullité survient.

schema-11

III) L’exception de nullité

Conformément à l’adage quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum, la nullité est toujours susceptible d’être opposée comme exception en défense à une action principale en exécution d’une obligation.

La Cour de cassation a notamment rappelé cette règle, applicable en matière de nullité de société, dans un arrêt du 20 novembre 1990 (Cass. com., 20 nov. 1990)

La chambre commerciale affirme en ce sens que « si l’action en nullité d’une délibération d’une assemblée générale prise en violation des statuts de la société est soumise à la prescription triennale instituée par l’article 1844-14 du Code civil, l’exception de nullité est perpétuelle ».

schema-12

Dans un arrêt du 25 novembre 1998, la Cour de cassation réitère sa solution en affirmant que « la prescription d’une action en nullité n’éteint pas le droit d’opposer celle-ci comme exception en défense à une action principale » (Cass. 3e civ., 25 nov. 1998).

Dans un arrêt du 13 février 2007, la première chambre civile a néanmoins précisé que « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007)

 Schéma 13.JPG

IV) La régularisation de la nullité

Lors de l’élaboration du régime de nullité, le législateur ne s’est pas contenté de restreindre les causes de nullité, il a, en parallèle, considérablement facilité la régularisation des sociétés dont la constitution est entachée d’une irrégularité.

Deux cas de figure doivent être distingués :

  • La régularisation constatée
    • Aux termes de l’article L. 235-3 du Code de commerce, « l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social»
    • Aux termes de l’article L. 235-4 du Code de commerce :
      • Le tribunal de commerce, saisi d’une action en nullité, peut, même d’office, fixer un délai pour permettre de couvrir les nullités
      • Le Tribunal peut prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l’exploit introductif d’instance. »
      • Si, pour couvrir une nullité, une assemblée doit être convoquée ou une consultation des associés effectuée, et s’il est justifié d’une convocation régulière de cette assemblée ou de l’envoi aux associés du texte des projets de décision accompagné des documents qui doivent leur être communiqués, le tribunal accorde par jugement le délai nécessaire pour que les associés puissent prendre une décision.
  • La régularisation provoquée
    • Plusieurs hypothèses doivent être distinguées
      • En cas de vice du consentement ou d’incapacité d’un associé
        • Toute personne y ayant intérêt peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l’opérer, soit de régulariser, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. Cette mise en demeure est dénoncée à la société (art. L. 235-6 C. com)
      • En cas de violation des règles de publicité
        • Toute personne ayant intérêt à la régularisation de l’acte peut mettre la société en demeure d’y procéder, dans le délai fixé par décret en Conseil d’État. À défaut de régularisation dans ce délai, tout intéressé peut demander la désignation, par décision de justice, d’un mandataire chargé d’accomplir la formalité ( L. 235-7 C. com)
      • En cas d’irrégularité quelconque
        • Si les statuts ne contiennent pas toutes les énonciations exigées par la loi et les règlements ou si une formalité prescrite par ceux-ci pour la constitution de la société a été omise ou irrégulièrement accomplie, tout intéressé est recevable à demander en justice que soit ordonnée, sous astreinte, la régularisation de la constitution. Le ministère public est habile à agir aux mêmes fins ( L. 210-7, al. 2 C. com)

V) Les effets de la nullité

  • Les effets de la nullité à l’égard de la société
    • Absence de rétroactivité
      • Aux termes de l’article 1844-15 du Code civil la nullité a pour effet
        • De mettre fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat de société (al. 1)
        • De produire les effets d’une dissolution prononcée par justice (al. 2)
      • Ainsi la nullité de la société n’opère que pour l’avenir. Elle n’a point d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne donnera pas lieu au jeu des restitutions.
    • Effet d’une dissolution
      • La nullité de la société produit les mêmes effets qu’une dissolution
      • Ainsi, conformément à l’article 1844-8 du Code civil :
        • « La dissolution de la société entraîne sa liquidation, hormis les cas prévus à l’article 1844-4 et au troisième alinéa de l’article 1844-5. Elle n’a d’effet à l’égard des tiers qu’après sa publication.
        • Le liquidateur est nommé conformément aux dispositions des statuts. Dans le silence de ceux-ci, il est nommé par les associés ou, si les associés n’ont pu procéder à cette nomination, par décision de justice. Le liquidateur peut être révoqué dans les mêmes conditions. La nomination et la révocation ne sont opposables aux tiers qu’à compter de leur publication. Ni la société ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d’une irrégularité dans la nomination ou dans la révocation du liquidateur, dès lors que celle-ci a été régulièrement publiée.
        • La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.
        • Si la clôture de la liquidation n’est pas intervenue dans un délai de trois ans à compter de la dissolution, le ministère public ou tout intéressé peut saisir le tribunal, qui fait procéder à la liquidation ou, si celle-ci a été commencée, à son achèvement.»
  • Les effets de la nullité à l’égard des tiers
    • Principe
      • L’article 1844-16 du Code civil prévoit que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi»
      • Cela signifie que la nullité leur est inopposable.
      • Ils sont donc toujours fondés à se prévaloir des engagements souscrits envers eux par la société
    • Exception
      • L’article 1844-16 du Code civil pose une exception au principe d’inopposabilité de la nullité aux tiers de bonne foi :
        • « la nullité résultant de l’incapacité ou de l’un des vices du consentement est opposable même aux tiers par l’incapable et ses représentants légaux, ou par l’associé dont le consentement a été surpris par erreur, dol ou violence»

La nullité des sociétés

En tant qu’elle constitue un acte juridique, la société devrait, en théorie, encourir la nullité toutes les fois que l’un de ses éléments constitutifs fait défaut.

La société n’est, cependant, pas un acte ordinaire. Le pacte social que les associés ont conclu lors de la constitution de la société donne naissance à une personne morale qui jouit d’une pleine et entière capacité juridique.

Dans cette perspective, lorsque les tiers nouent des relations économiques avec la société, ils contractent, non pas directement avec les associés, mais avec une personne morale en considération de son autonomie patrimoniale. On dit alors que la société fait écran, en ce sens qu’elle s’interpose entre les associés et les tiers.

Dès lors, dans l’hypothèse où la société ferait l’objet d’une annulation, il est un risque que ses créanciers se retrouvent sans débiteurs. Les recours dont ils disposent contre les associés sont, en effet, par nature, pour le moins aléatoires et limités.

Aussi, afin de procurer aux tiers de bonne foi la sécurité juridique qu’ils sont légitimement en droit d’attendre dans leurs rapports avec une société, le législateur, notamment européen, a considérablement restreint les causes de nullité (I), tout autant qu’il a encadré les modalités d’exercice de l’action en nullité (II).

I) Les causes de nullité

Deux textes énoncent les causes de nullités encourues par une société :

  • L’article 1844-10 du Code civil prévoit que « la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832, 1832-1, alinéa 1er, et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.»
  • L’article L. 235-1 du Code de commerce prévoit que « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats.»

Il ressort de la combinaison de ces deux articles que la nullité d’une société peut résulter :

  • Soit de la violation d’une disposition qui compose le régime général du contrat
  • Soit de la violation d’une disposition spéciale qui régit le contrat de société
  • Soit de la violation d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce

Nonobstant le silence des textes, il convient d’ajouter, à ces trois séries de causes de nullité, la fraude dont la jurisprudence estime, conformément à l’adage fraus omnia corrumpit, qu’elle constitue également une cause de nullité.

A) La nullité résultant de la violation d’une disposition qui compose le régime général du contrat

Aux termes du nouvel article 1128 du Code civil, « sont nécessaires à la validité d’un contrat :

  • Le consentement des parties ;
  • Leur capacité de contracter ;
  • Un contenu licite et certain. »
  1. Le consentement des associés

Les articles 1832 et 1128 du Code civil ayant érigé le consentement comme une condition de validité du contrat de société, celui-ci est nul dès lors que les associés n’ont pas valablement consenti à leur engagement.

Aussi, cela suppose-t-il que le consentement des associés existe et qu’il ne soit pas vicié

a) L’existence du consentement des associés

La condition relative à l’existence du consentement se traduit, en droit des sociétés, par l’exigence d’un consentement non simulé.

La simulation consiste pour les associés à donner l’apparence de constituer une société alors que la réalité est toute autre.

Aussi, la simulation peut-elle prendre trois formes différentes. Elle peut porter :

  • Sur l’existence du contrat de société
  • Sur la nature du contrat conclu entre eux
  • Sur la personne d’un ou plusieurs associés

==> La simulation portant sur l’existence du contrat de société

Dans l’hypothèse où la simulation porte sur l’existence du contrat de société, on dit que la société est fictive.

  • Notion de fictivité
    • Une société est fictive lorsque les associés n’ont nullement l’intention de s’associer, ni même de collaborer
    • Ils poursuivent une fin étrangère à la constitution d’une société
  • Caractères de la fictivité
    • Les juges déduiront la fictivité de la société en constatant le défaut d’un ou plusieurs éléments constitutifs de la société
      • Défaut d’affectio societatis
      • Absence d’apport
      • Absence de pluralité d’associé
  • Sanction de la fictivité
    • Il convient de distinguer selon que la société fait ou non l’objet d’une procédure collective :
      • Si la société fictive fait l’objet d’une procédure collective
        • Dans un arrêt Lumale du 16 juin 1992, la Cour de cassation a estimé « qu’une société fictive est une société nulle et non inexistante» ( com. 16 juin 1992).
        • Il en résulte plusieurs conséquences :
          • La nullité ne produit aucun effet rétroactif conformément à l’article 1844-15 du Code civil qui prévoit que « lorsque la nullité de la société est prononcée, elle met fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat. »
          • La nullité n’est pas opposable aux tiers de bonne foi conformément à l’article 1844-16 du Code civil qui prévoit que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi»
          • L’action en nullité se prescrit par trois ans

schema-1

  • Si la société fictive ne fait pas l’objet d’une procédure collective
    • Dans un arrêt Franck du 19 février 2002, la Cour de cassation a estimé ( com. 19 févr. 2002) que la fictivité d’une société soumise à une procédure collective devait être sanctionnée par l’extension de ladite procédure au véritable maître de l’affaire, conformément à l’article L. 621-2 du Code de commerce pris en son alinéa 2.
      • Cette disposition prévoit que « à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale. »
    • Autrement dit, en cas de procédure collective ouverte à l’encontre d’une société fictive, la fictivité est inopposable aux créanciers, en ce sens que ses associés ne sauraient se prévaloir d’une quelconque nullité du contrat de société.
    • Rien n’empêche, dès lors, que la procédure collective soit étendue au véritable maître de l’affaire.

schema-2

==> La simulation portant sur la nature du contrat conclu entre les associés

Cette hypothèse se rencontre lorsque la conclusion du pacte social dissimule une autre opération.

Sous couvert de la constitution d’une société, les associés ont, en effet, pu vouloir dissimuler une donation ou bien encore un contrat de travail.

Aussi, les associés sont-ils animés, le plus souvent, par une intention frauduleuse.

Ils donnent au pacte qu’ils concluent l’apparence d’un contrat de société, alors qu’il s’agit, en réalité, d’une opération dont ils se gardent de révéler la véritable nature aux tiers.

==> La simulation portant sur la personne d’un ou plusieurs associés

Cette catégorie de simulation correspond à l’hypothèse de l’interposition de personne. Autrement dit, l’associé apparent sert de prête-nom au véritable associé qui agit, dans le secret, comme un donneur d’ordre.

Dans cette configuration deux contrats peuvent être identifiés :

  • Le contrat de société
  • Le contrat de mandat conclu entre l’associé apparent (le mandataire) et le donneur d’ordre (le mandant)

Quid de la validité de la simulation par interposition de personne ?

  • Principe
    • Dans un arrêt du 30 janvier 1961, la Cour de cassation a jugé que « une souscription par prête-noms ne constitue pas en elle-même une cause de nullité des lors qu’ils constatent que la simulation incriminée ne recouvre aucune fraude et que la libération des actions n’est pas fictive, les fonds étant réellement et définitivement entres dans les caisses de la société.» ( com. 30 janv. 1961).
    • Il ressort de cette jurisprudence que la simulation par interposition de personne ne constitue pas, en soi, une cause de nullité.
  • Exceptions
    • La simulation par interposition de personne constitue une cause de nullité lorsque :
      • D’une part, une fraude est constatée ( com. 30 janv. 1961)
      • D’autre part, lorsque tous les associés apparents servent de prête-nom à un même donneur d’ordre

b) L’intégrité du consentement des associés

Pour que le contrat de société soit valable, il ne suffit pas que le consentement des associés existe, il faut encore qu’il soit intègre.

Aussi cela suppose-t-il qu’il soit exempt de tous vices.

Comme en matière de droit des contrats, trois vices de consentement sont susceptibles de conduire à l’annulation d’une société :

  • L’erreur
  • Le dol
  • La violence

2. La capacité des associés

Pour pouvoir prendre part à la constitution d’une société, encore faut-il jouir de la capacité juridique.

Par capacité juridique, il faut entendre l’aptitude à être titulaire de droits et à les exercer.

En raison de l’absence de dispositions particulières en droit des sociétés concernant la capacité juridique, il convient de se tourner vers le droit commun de la capacité civile et commerciale.

Aussi, convient-il de distinguer la capacité des personnes physiques de la capacité des personnes morales.

La capacité des personnes physiques

  • Principe
    • Aux termes de l’article 1145, al.1 du Code civil « toute personne physique peut contracter sauf en cas d’incapacité prévue par la loi».
    • Il en résulte que, par principe, toute personne physique jouit de la capacité juridique pour endosser la qualité de partie au contrat de société, soit pour être associé.
  • Les mineurs
    • La lecture de l’article 1145, al. 1 du Code civil nous révèle que rien n’empêche un mineur de devenir associé.
    • Limites
      • Le mineur étant frappé d’une incapacité d’exercice général, il ne pourra exercer ses prérogatives d’associé que par l’entremise de son représentant légal
      • Pour les actes de dispositions graves, tel que l’apport d’un immeuble ou d’un fonds de commerce, le mineur devra obtenir l’autorisation du juge des tutelles
    • Exclusion
      • Principe
        • Le mineur ne peut pas, par principe, endosser la qualité de commerçant.
        • Il résulte qui ne peut pas devenir associé dans une société qui requiert la qualité de commerçant, telle que la société en nom collectif ou la société en commandite simple
      • Exception
        • Le nouvel article L. 121-2 du Code de commerce introduit par la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée prévoit que « le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal de grande instance s’il formule cette demande après avoir été émancipé.»
        • Ainsi, rien n’empêche désormais le mineur émancipé de devenir associé d’une société qui requiert la qualité de commerçant
  • Les majeurs incapables
    • Comme les mineurs, les majeurs incapables peuvent par principe devenir associés d’une société.
    • Cependant, selon la mesure de protection dont ils font l’objet (sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle), leur capacité d’exercice sera plus ou moins limitée, de sorte qu’ils devront obtenir l’autorisation de leur représentant légal selon la gravité de l’acte qu’ils souhaitent accomplir.
  • Les sociétés entre époux
    • L’ancien article 1832-1 du Code civil prévoyait que « deux époux peuvent, seuls ou avec d’autres personnes, être associés dans une même société et participer ensemble ou non à la gestion sociale. Toutefois, cette faculté n’est ouverte que si les époux ne doivent pas, l’un et l’autre, être indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales.»
    • Ainsi, cette disposition interdisait-elle aux époux de devenir associé dès lors qu’il s’agissait d’une société à risque illimité.
    • La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs a supprimé cette restriction, de sorte que rien ne fait plus obstacle à ce que des époux soient associés d’une même société, quelle que soit la forme sociale adoptée.
    • Le nouvel article 1832-1 du Code civil dispose en ce sens que « même s’ils n’emploient que des biens de communauté pour les apports à une société ou pour l’acquisition de parts sociales, deux époux seuls ou avec d’autres personnes peuvent être associés dans une même société et participer ensemble ou non à la gestion sociale.»

La capacité des personnes morales

  • Principe de spécialité
    • Contrairement aux personnes physiques, les personnes morales ne disposent pas d’une capacité de jouissance générale.
    • Leur capacité est enserrée dans la limite de leur objet sociale.
    • Il en résulte qu’une société ne peut devenir associée d’une société que si cette association se rattache à la réalisation de son objet social.
    • En dehors de cette limite, rien n’empêche une personne morale d’endosser la qualité d’associé.
    • Cette possibilité vaut tant pour les personnes morales de droit privé que pour les personnes morales de droit public.

3. L’objet social

==> Définition

Ni le Code civil, ni le Code de commerce ne donne de définition de l’objet social, bien que de nombreux textes normatifs y fassent référence.

C’est donc vers la doctrine qu’il convient de se tourner afin d’en cerner la notion.

Les auteurs s’accordent à définir l’objet social comme « le programme des activités auxquelles la société peut se livrer en vue de faire des bénéfices ou des économies et d’en faire profiter ses membres »[1].

Ainsi, l’objet social représente-t-il l’ensemble des activités que la société s’est donné pour tâche d’exercer. Il s’agit du but poursuivi par la société.

==> Conditions de validité

La validité de l’objet social est subordonnée à la satisfaction de deux conditions :

  • L’objet social doit être déterminé
  • L’objet social doit être licite

À défaut de respect de l’une de ces conditions, la société encourt la nullité

a) La détermination de l’objet social

L’exigence de détermination de l’objet social suppose qu’il soit précisé dans les statuts et qu’il soit possible.

  • La précision de l’objet social dans les statuts
    • L’article 1835 du Code civil prévoit que « les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l’objet, l’appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement. »
    • Il ressort de cette disposition que les associés ont l’obligation de décrire l’objet social dans les statuts de la société, faute de quoi la société est susceptible d’être annulée.
    • La description qui figure dans statuts doit être conforme au principe de spécialité qui préside à la constitution de toute personne morale.
    • Cela signifie, en d’autres termes, que l’objet social ne saurait être trop général et visé, comme l’a rappelé l’autorité des marchés financiers « “toutes opérations commerciales, industrielles ou financières ».
    • Qui plus est, les associés doivent être particulièrement vigilants quant à la description de l’objet social, dans la mesure où il détermine l’étendue de la capacité juridique de la société ainsi que des pouvoirs des dirigeants sociaux.
  • La possibilité de l’objet social
    • L’objet social doit être possible dans la mesure où l’existence-même de la société tient à la réalisation de son objet.
    • Conformément à l’article 1844-7, 2° du Code civil la société est dissoute de plein droit notamment « par la réalisation ou l’extinction de son objet ».
    • Ainsi, l’impossibilité de réaliser l’objet social d’une société constitue une cause de dissolution, sauf à ce que les associés décident de modifier l’objet social.

b) La licéité de l’objet social

  • Exposé du principe
    • L’article 1833 du Code civil dispose que « toute société doit avoir un objet licite».
    • Aussi, cela signifie-t-il que l’objet social :
      • Ne doit pas porter atteinte à une disposition impérative
      • Ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs conformément à l’article 6 du Code civil
  • Appréciation de la licéité
    • Depuis l’arrêt Marleasing rendu le13 novembre 1990 par la Cour de justice de l’Union européenne, s’agissant de l’appréciation de la licéité de l’objet social d’une société une distinction doit être faite entre le droit interne et le droit de l’Union européenne.
      • En droit interne
        • La licéité de l’objet social s’apprécie au regard, non pas de l’objet statutaire de la société, mais de son objet réel, soit de l’activité effectivement exercée par la personne morale ( com., 18 juill. 1989, n° 88-13.261)

schema-3

  • En droit de l’Union européenne
    • Pour mémoire l’article 11-2 b) de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968 prévoit que «  le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société» constitue une cause de nullité (http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:31968L0151)
    • Dans un arrêt Marleasing du 13 novembre 1990 la Cour de justice de l’Union européenne a, manifestement, retenu une solution radicalement contraire à celle adoptée par les juridictions françaises s’agissant de l’appréciation de la licéité de l’objet social.
    • Les juges européens ont, en effet, estimé que seul l’objet statutaire devait être pris en compte pour apprécier la licéité de l’objet social d’une société
    • Autrement dit, l’objet statutaire prime l’objet réel, de sorte que, quand bien même l’activité réellement exercée par la société serait contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs, dès lors que l’objet statutaire est licite, la société n’encourt pas la nullité.
    • La Cour de justice affirme en ce sens que « les mots “l’ objet de la société” doivent être compris comme se référant à l’ objet de la société tel qu’ il est décrit dans l’ acte de constitution ou dans les statuts»
    • Elle justifie sa décision en se référant à la position de la Commission européenne qui a eu l’occasion d’affirmer que « l’expression “l’ objet de la société” doit être interprétée en ce sens qu’ elle vise exclusivement l’ objet de la société, tel qu’ il est décrit dans l’ acte de constitution ou dans les statuts».
  • Sanction de l’illicéité
    • La nullité
      • L’illicéité de l’objet social est sanctionnée par la nullité de la société.
        • L’article 1844-10 du Code civil prévoit explicitement cette sanction en visant l’article 1833, disposition posant la condition de la licéité de l’objet social.
        • L’article L. 235-1 du Code de commerce vise quant à lui expressément « lois qui régissent la nullité des contrats».
      • La nullité absolue
        • La nullité prononcée pour illicéité de l’objet social est absolue, de sorte qu’aucune régularisation n’est permise.
          • L’article 1844-11 du Code civil dispose en ce sens que « l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social.»

B) La nullité résultant de la violation d’une disposition spéciale qui régit le contrat de société

Aux termes de l’article 1832 du Code civil :

« La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter.

Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne.

Les associés s’engagent à contribuer aux pertes. »

Il ressort de cette disposition que la validité d’une société est subordonnée à la réunion de trois éléments constitutifs :

  • La pluralité d’associés
  • La constitution d’apports par les associés
  • La participation aux résultats de la société (bénéfices et pertes)
  • La volonté de s’associer (l’affectio societatis)
  1. La pluralité d’associés

La condition tenant à la pluralité d’associés doit être envisagée :

  • Lors de la constitution de la société
  • Au cours de la vie sociale

==> Lors de la constitution de la société

  • Principe : la pluralité d’associés
    • L’article 1832 du Code civil exige que « deux ou plusieurs personnes » concourent à la constitution d’une société.
    • Cette condition tient à la dimension contractuelle de la société.
    • La formation d’un contrat suppose la rencontre des volontés des parties, lesquelles doivent en conséquence, être au mininum deux, ce quand bien même le contrat conclu est unilatéral, soit ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie.
    • D’où l’exigence de pluralité d’associés comme élément constitutif de la société
  • Seuils
    • Si l’article 1832 fixe en nombre minimum d’associés en deçà duquel la société ne saurait être valablement constituée (deux), elle ne prévoit, en revanche, aucun seuil maximum, de sorte qu’il n’est, en principe, aucune limite quant au nombre de personnes pouvant être associés d’une société.
    • Toutefois, par exception, l’exigence de pluralité d’associés peut varier selon la forme sociale de la société.
    • Ainsi, convient-il de distinguer les sociétés dont le nombre d’associé est encadré le seuil de droit commun, des sociétés pour lesquelles la loi a instauré un seuil spécial.
      • Les sociétés soumises au seuil de droit commun
        • La société civile
        • La société créée de fait
        • La société en participation
        • La société en nom collectif
        • La société en commandite simple
        • Le groupement d’intérêt économique
      • Les sociétés soumises à un seuil spécial
        • La société à responsabilité limitée ( L. 223-3 c. com)
          • Seuil minimum: 2
          • Seuil maximum: 100
        • La société anonyme ( L. 225-1 c. com)
          • Seuil minimum
            • Pour la SA côtée : 7
            • Pour la SA non côtée : 2
          • Seuil maximum
            • Illimité
          • La société en commandite par actions ( L. 226-4 c. com)
            • Seuil minimum: 3
            • Seuil maximum: illimité
  • Exception : la société unipersonnelle
    • L’article 1832, al.2 du Code civil dispose que la société « peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l’acte de volonté d’une seule personne. »
    • Cette disposition prévoit ainsi une dérogation à l’exigence de pluralité d’associés
    • Toutefois, la possibilité d’instituer une société par un seul associé est strictement encadrée en ce sens que société qui ne comporte qu’un seul associé doit nécessairement revêtir l’une des formes expressément prévues par la loi.
    • On dénombre aujourd’hui quatre types de sociétés à associé unique :
      • L’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL)
        • Elle emprunte son régime juridique à la SARL ( L. 223-1 à L. 223-43 c. com.)
      • L’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL)
      • La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU)

==> Au cours de la vie sociale

La condition tenant à la pluralité d’associé doit être remplie, tant lors de la constitution de la société qu’au cours de la vie sociale.

Aussi, cela signifie-t-il que dans l’hypothèse où, au cours de la vie social, le seuil du nombre d’associés fixé par la loi n’est plus atteint, soit en raison du décès d’un associé, soit en raison du retrait d’un ou plusieurs associés, la société devrait être dissoute.

Bien qu’il s’agisse là d’un principe que l’on peut aisément déduire de l’article 1832 du Code civil, tel n’est cependant pas la règle instaurée par l’article 1844-5 du Code civil, lequel a posé comme principe, la survie – temporaire – de la société en cas de « réunion de toutes les parts en une seule main ».

L’article 1844-5 du Code civil dispose en effet que « La réunion de toutes les parts sociales en une seule main n’entraîne pas la dissolution de plein droit de la société. »

 Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • La réunion de toutes les parts en une seule main au cours de la vie sociale n’a pas pour effet de dissoudre la société.
    • La personne morale survit, quand bien même la condition tenant à la pluralité d’associés n’est plus remplie
  • Si aucune régularisation de la situation n’est effectuée par l’associé détenteur de toutes les parts, la dissolution de la société peut être prononcée
    • L’article 1844-5 précise en ce sens que le défaut de pluralité d’associés n’entraîne pas la dissolution de la société « de plein droit», ce qui donc implique que la survie de la société n’est que temporaire

Deux issues sont envisageables lorsque l’hypothèse de réunion de toutes les parts en une seule main se produit :

  • La survie de la société
    • L’associé doit alors satisfaire à deux conditions
      • Il doit réagir dans un délai d’un an à compter de la réunion de toutes les parts en une seule main
        • L’article 1844-5 ajoute que ce délai peut être prorogé de 6 mois
      • Il doit régulariser la situation
        • Soit en cédant une partie de ses droits sociaux à un tiers
        • Soit en créant de nouvelles parts par le biais d’une augmentation de capital social
  • La dissolution de la société
    • Lorsque l’associé est à l’initiative de la dissolution elle peut être demandée par lui au greffe du Tribunal de commerce sans délai
    • Lorsque c’est un tiers qui est à l’initiative de la dissolution, trois conditions doivent être remplies
      • La demande de dissolution ne peut être formulée qu’un an après la réunion de toutes les parts en une seule main
      • L’associé ne doit pas avoir régularisation la situation dans le délai d’un an que la loi lui octroie
      • Le tiers doit formaliser sa demande auprès du Tribunal de commerce, en ce sens que tant qu’aucune demande de dissolution n’est formulée, la société survit

2. La constitution d’apports

Conformément à l’article 1832 du Code civil, les associés ont l’obligation « d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie », soit de constituer des apports à la faveur de la société.

La mise en commun d’apports par les associés traduit leur volonté de s’associer et plus encore d’œuvrer au développement d’une entreprise commune.

Aussi, cela explique-t-il pourquoi la constitution d’un apport est exigée dans toutes les formes de sociétés, y compris les sociétés créées de fait (Cass. com. 8 janv. 1991) et les sociétés en participation (Cass. com. 7 juill. 1953).

==> Conditions générales tenant à l’objet de l’apport

  • Licéité de l’apport
    • L’objet de l’apport doit être licite et ne doit pas être contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
    • Il ne doit pas non plus consister en un bien hors du commerce ( en ce sens Cass. com. 25 juin 2013)

schema-4

  • Légitimité de l’apport
    • L’apport ne doit pas avoir été réalisé en fraude des droits des créanciers de l’apporteur
    • À défaut, ces derniers seraient fondés à demander la réintégration du bien apporté en fraude de leurs droits dans le patrimoine de leur débiteur
      • Soit par le biais de l’action obligation ( civ., 11 avr. 1927)
      • Soit par le biais de l’action paulienne ( 3e civ., 20 déc. 2000)
  • Précision statutaire de l’apport
    • Aux termes de l’article 1835 du Code civil, « les statuts […] déterminent […] les apports de chaque associé»
    • Aussi, cela signifie-t-il que les statuts doivent déterminer les apports de chaque associé, tant dans leur forme, que dans leur étendue.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler cette exigence, notamment dans un arrêt du 14 décembre 2004 en affirmant que « seuls les statuts déterminent les apports de chaque associé».

schema-5

Faits :

  • Acquisition par deux associés de 13 et 11 parts sociales sur 50 d’une société civile d’exploitation agricole
  • Quelques années plus tard, ils souhaitent se retirer
  • Désignation d’un expert pour évaluer le montant de leurs parts sociales
  • Contestations par les deux associés de l’expertise à laquelle ils reprochent de ne pas avoir tenu compte de l’apport en industrie qu’ils avaient effectué, à savoir le coût du travail fourni par eux depuis leur entrée dans la société

Demande :

Assignation de la société afin de faire reconnaître leurs droits

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 7 mars 2001, la Cour d’appel de Bourges déboute les deux associés de leur demande

Motivation des juges du fond:

  • Les juges du fond estiment que pour qu’un associé puisse faire un apport en industrie, il faut que cette possibilité soit permise par les statuts
  • Or en l’espèce, les juges du fond constatent que les statuts prévoyaient seulement la possibilité de faire des apports en espèce
  • Qui plus est, pas de cumul possible entre une rémunération en qualité de salarié et la rémunération due au titre du partage des bénéfices

Moyens des parties :

  • Première branche: l’apport en industrie peut résulter, à défaut d’une mention dans les statuts, d’un accord unanime des associés
  • Deuxième branche: il ne s’agit pas pour eux de demander un supplément de rémunération en qualité de salarié, mais seulement au titre du partage des bénéfices ès qualités d’associé

Problème de droit :

L’apport en industrie effectué par deux associés d’une société civile d’exploitation agricole est-il valable alors qu’il n’a pas expressément été prévu par les statuts ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

Par un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les deux associés

  • Sens de l’arrêt:

La Cour de cassation condamne, en l’espèce l’idée que des apports en industrie puissent être effectués par des associés sans que le pacte social l’ait prévu : les parts d’industrie, comme les parts sociales doivent être expressément déterminées par les statuts.

En l’espèce, la chambre commerciale rappelle que ce formalisme procède d’une exigence légale posée à l’article 1835 du Code civil.

Dans cette perspective, pour la Cour de cassation il ne saurait y avoir d’apport valablement réalisé sans qu’il soit prévu dans les statuts.

Cette règle ne s’applique pas seulement aux apports en industrie. Elle vaut également pour les apports en numéraire et les apports en nature.

À défaut de précision dans les statuts de l’existence d’un apport ou de sa forme, l’associé ne saurait s’en prévaloir aux fins de revendiquer l’octroi de droits sociaux.

Quid dans l’hypothèse où la possibilité de réaliser un apport non prévu dans les statuts procède d’une délibération des associés ?

Pour mémoire, l’article 1854 du Code civil dispose que dans les sociétés civiles « les décisions peuvent encore résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte »

Or en l’espèce, comme le soutien le pourvoi, il y avait bien eu une décision de tous les associés tendant à reconnaître l’apport en industrie des deux requérants.

Dès lors, on pouvait légitimement se poser la question de savoir si cet accord unanime de tous les associés pouvait pallier le défaut de mention dans les statuts de la possibilité d’effectuer un apport en industrie.

Aussi, apparaît-il que la solution rendue par la Cour d’appel était loin d’être acquise. D’où le recours par la Cour de cassation a la formule « à bon droit » pour approuver la décision des juges du fond

La haute juridiction estime, en effet, que la décision résultant du consentement unanime des associés ne peut avoir pour effet de modifier les statuts que dans l’hypothèse où elle est formalisée dans un acte.

La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser de manière très explicite que la modification des statuts ne peut « être établie pas tous moyens et se déduire du mode de fonctionnement de la société » (Cass. 1re civ., 21 mars 2000).

3. La participation aux résultats

Il ressort de l’article 1832 du Code civil que l’associé a vocation :

  • soit à patager les bénéfices d’exploitation de la société ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter
  • soit à contribuer aux pertes

a) Le partage des bénéfices et des économies

Deux objectifs sont été assignés par la loi à la société :

  • Le partage de bénéfices
  • Le partage de l’économie qui pourra en résulter.

Que doit-on entendre par bénéfices ?

La loi donne en donne plusieurs définitions :

  • L’article L. 232-11 du Code de commerce dispose que « le bénéfice distribuable est constitué par le bénéfice de l’exercice, diminué des pertes antérieures, ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts, et augmenté du report bénéficiaire.»
  • L’article 38, 2 du Code général des impôts définit, quant à lui, le bénéfice comme « la différence entre les valeurs de l’actif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ».

En raison de leur trop grande spécificité, aucune de ces définitions légales des bénéfices ne permet de distinguer la société des autres groupements.

Pour ce faire, c’est vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

Dans un célèbre arrêt Caisse rurale de la commune de Manigod c/ Administration de l’enregistrement rendu en date du 11 mars 1914, la Cour de cassation définit les bénéfices comme « tout gain pécuniaire ou tout gain matériel qui ajouterait à la fortune des intéressés ».

L’adoption d’une définition des bénéfices par la Cour de cassation procède, manifestement, d’une volonté de distinguer la société des autres groupements tels que :

  • Les groupements d’intérêt économique
  • Les associations

==> L’inclusion des groupements d’intérêt économique dans le champ de la qualification de société

Bien que la définition des bénéfices posée par la Cour de cassation ait le mérite d’exister, elle n’en a pas moins été jugée trop restrictive.

En estimant que les bénéfices ne pouvaient consister qu’en un gain pécuniaire ou matériel, cette définition implique que les groupements qui se sont constitués en vue, non pas de réaliser un profit, mais de générer des économies sont privés de la possibilité d’adopter une forme sociale.

Or la structure sociétaire présente de très nombreux avantages.

Aussi, afin de permettre aux groupements d’intérêt économique, dont l’objet est la réalisation d’économies, de se constituer en société, le législateur a-t-il décidé d’intervenir.

La loi du 4 janvier 1978 a, de la sorte, modifié l’article 1832 du Code civil en précisant qu’une société peut être instituée « en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »

Si, cet élargissement de la notion de société a permis aux groupements d’intérêt économique d’adopter une forme sociale, il a corrélativement contribué à flouer la distinction entre les sociétés et les groupements dont le but est autre que la réalisation de bénéfices.

Ainsi, la frontière entre les sociétés et les associations est parfois difficile à déterminer.

==> L’exclusion des associations du champ de la qualification de société

Quelle est la distinction entre une société et une association ?

La différence entre ces deux groupements tient à leur finalité.

  • Conformément à l’article 1832 du Code civil, « la société est instituée […] en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. »
  • Aux termes de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 « l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices».

Ainsi, le critère de la distinction entre la société et l’association est le partage des bénéfices.

Tandis que la société se constitue dans un but exclusivement lucratif, l’association se forme, en principe, dans un but non-lucratif

En apparence, ce critère ne semble pas soulever de difficultés. Sa mise est œuvre n’est, cependant, pas aussi aisée qu’il y paraît.

En effet, si l’on procède à une lecture attentive de la loi du 1er juillet 1901, il ressort de l’alinéa 1er que ce qui est interdit pour une association, ce n’est pas la réalisation de bénéfices, mais leur distribution entre ses membres.

Dans ces conditions, rien n’empêche une association de se constituer dans un but à vocation exclusivement lucrative.

Aussi, lorsque cette situation se rencontre, la différence entre l’association et la société est pour le moins ténue.

b) La contribution aux pertes

Aux termes de l’article 1832, al. 3 du Code civil, dans le cadre de la constitution d’une société « les associés s’engagent à contribuer aux pertes ».

Aussi, cela signifie-t-il que, en contrepartie de leur participation aux bénéfices et de l’économie réalisée, les associés sont tenus de contribuer aux pertes susceptibles d’être réalisées par la société.

Le respect de cette exigence est une condition de validité de la société.

L’obligation de contribution aux pertes pèse sur tous les associés quelle que soit la forme de la société.

==> Contribution aux pertes / Obligation à la dette

Contrairement à l’obligation à la dette dont la mise en œuvre s’effectue au cours de la vie sociale, la contribution aux pertes n’apparaît, sauf stipulation contraire, qu’au moment de la liquidation de la société.

En effet, pendant l’exercice social, les associés ne sont jamais tenus de contribuer aux pertes de la société. Ces pertes sont compensées par les revenus de la société.

Ce n’est que lorsque l’actif disponible de la société ne sera plus en mesure de couvrir son actif disponible (cession des paiements) que l’obligation de contribution aux pertes sera mise en œuvre.

Tant que la société n’est pas en liquidation, seule la société est tenue de supporter la charge de ces pertes.

 ==> Principe de contribution aux pertes

Quelle est l’étendue de l’obligation de contribution aux pertes ?

  • Dans les sociétés à risque limité l’obligation de contribution aux pertes ne peut excéder le montant des apports.
  • Dans les sociétés à risque illimité l’obligation de contribution aux pertes ne connaît aucune limite.
    • La responsabilité des associés peut-être recherchée au-delà de ses apports

En toute hypothèse, chaque associé est tenu de contribuer aux pertes proportionnellement à la part du capital qu’il détient dans la société.

Toutefois, une répartition inégalitaire est admise à certaines conditions.

==> Répartition inégalitaire autorisée

L’article 1844-1, al. 1er du Code civil dispose que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire. »

Plusieurs enseignements ressortent de cette disposition :

  • Principe
    • Dans le silence des statuts, la part des associés dans les bénéfices est proportionnelle à leurs apports
  • Exceptions
    • Les associés peuvent prévoir dans les statuts
      • Soit un partage égal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports inégaux
      • Soit un partage inégal des bénéfices et des pertes nonobstant des apports égaux

==> Prohibition des clauses léonines

Aux termes de l’article 1844-1, al. 2 du Code civil « la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

Trois interdictions ressortent de cette disposition qui prohibe ce que l’on appelle les clauses léonines, soit les stipulations qui attribueraient à un associé « la part du lion ».

En vertu de cette disposition sont ainsi prohibées les clauses qui :

  • attribueraient à un seul associé la totalité des bénéfices réalisés par la société
  • excluraient totalement un associé du partage des bénéfices
  • mettrait à la charge d’un associé la totalité des pertes

La présence d’une clause léonine dans les statuts n’est pas une cause de nullité de la société. La stipulation est seulement réputée non-écrite, de sorte que le partage des bénéfices et des pertes devra s’opérer proportionnellement aux apports des associés.

4. L’affectio societatis

La validité du contrat de société n’est pas seulement subordonnée par l’existence du consentement des associés à l’acte constitutif du groupement qu’ils entendent instituer, elle suppose encore que ces derniers soient animés par la volonté de s’associer. Cette exigence est qualifiée, plus couramment, d’affectio societatis.

==> Affectio societatis / Consentement

Contrairement à la condition tenant au consentement des associés qui est exigé au moment de la formation du contrat de société, l’affectio societatis doit exister :

  • D’abord, lors de la constitution du groupement
  • Ensuite, tout au long de l’exécution du pacte social.

Yves Guyon affirme en ce sens que l’affectio societatis est plus « que le consentement à un contrat instantané. Elle s’apparenterait davantage au consentement au mariage, qui est non seulement la volonté de contracter l’union mais aussi celle de mener la vie conjugale »[1]

Aussi, si l’affectio societatis venait à disparaître au cours de la vie sociale, la société concernée encourrait la dissolution judiciaire pour mésentente, conformément à l’article 1844-7, 5° du Code civil (Cass. Com. 13 févr. 1996)

==> Définition

L’affectio societatis n’est défini par aucun texte, ni même visée à l’article 1832 du Code civil. Aussi, c’est à la doctrine et à la jurisprudence qu’est revenue la tâche d’en déterminer les contours.

Dans un arrêt du 9 avril 1996, la Cour de cassation a défini l’affectio societatis comme la « volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble et sur un pied d’égalité à la poursuite de l’œuvre commune » (Cass. com. 9 avr. 1996).

Bien que le contenu de la notion diffère d’une forme de société à l’autre, deux éléments principaux ressortent de cette définition :

  • La volonté de collaborer
    • Cela implique que les associés doivent œuvrer, de concert, à la réalisation d’un intérêt commun : l’objet social
    • Ainsi le contrat de société constitue-t-il l’exact opposé du contrat synallagmatique.
      • Comme l’a relevé Paul Didier « le premier type de contrat établit entre les parties un jeu à somme nulle en ceci que l’un des contractants gagne nécessairement ce que l’autre perd, et les intérêts des parties y sont donc largement divergents, même s’ils peuvent ponctuellement converger. Le deuxième type de contrat, au contraire crée entre les parties les conditions d’un jeu de coopération où les deux parties peuvent gagner et perdre conjointement et leurs intérêts sont donc structurellement convergents même s’ils peuvent ponctuellement diverger»[2]
  • Une collaboration sur un pied d’égalité
    • Cela signifie qu’aucun lien de subordination ne doit exister entre associés bien qu’ils soient susceptibles d’être détenteurs de participations inégales dans le capital de la société (Cass. com., 1er mars 1971).

==> Rôle de l’affectio societatis

L’affectio societatis remplit, grosso modo, deux fonctions distinctes. Il permet d’apprécier, d’une part, l’existence de la société et, d’autre part, la qualité d’associé.

  • L’appréciation de l’existence de la société
    • Lors de la constitution de la société
      • Afin de déterminer si une société est ou non fictive, il suffit pour le juge de vérifier l’existence d’un affectio societatis.
      • Si cet élément constitutif du pacte social fait défaut, la société encourt la nullité
      • Dans un arrêt du 15 mai 2007, la Cour de cassation a ainsi validé la nullité d’une société prononcée par une Cour d’appel pour défaut d’affectio societatis ( com., 15 mai 2007).
      • La Chambre commerciale relève, au soutien de sa décision, plusieurs éléments qui témoignent de la fictivité de la société annulée :
        • Le défaut de fonctionnement de la société
        • L’absence d’acte de gestion relatif à l’achat ou à la vente de valeurs mobilières n’ayant été effectuée entre le moment de la constitution de la société et l’acte de donation-partage litigieux
        • L’absence d’autonomie financière de la société
        • L’absence d’apports réels
        • Le défaut d’une véritable volonté de s’associer

schema-6

  • Au cours de la vie sociale
    • Si l’affectio societatis venait à disparaître au cours de la vie sociale, il s’agit là d’une cause de dissolution judiciaire de la société
    • L’article 1844-7 du Code civil dispose en ce sens que « la société prend fin […] par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société».
    • Dans un arrêt du 16 mars 2011, la Cour de cassation est cependant venue préciser que « la mésentente existant entre les associés et par suite la disparition de l’affectio societatis ne pouvaient constituer un juste motif de dissolution qu’à la condition de se traduire par une paralysie du fonctionnement de la société» ( com. 16 mars 2011).
    • Ainsi, pour la chambre commerciale, la disparition de l’affectio societatis au cours de la vie sociale n’est une cause de dissolution qu’à la condition qu’elle soit assortie d’une paralysie du fonctionnement de la société.
    • Dans le cas contraire, le juge ne sera pas fondé à prononcer la dissolution judiciaire, quand bien même une mésentente s’est installée entre les associés.

schema-7

  • L’appréciation de la qualité d’associé
    • L’affectio societatis permet de distinguer les associés des personnes entretiennent des rapports avec la société, sans pour autant être investies des droits et obligations dont est assortie la qualité d’associé.
    • Seuls les associés jouissent d’un droit de vote et d’un droit aux dividendes ou au boni de liquidation.
    • En somme, l’affectio societatis est la cause des droits et obligations des associés
    • Surtout l’affectio societatis fonde le droit propre de l’associé à faire partie de la société et donc de ne pas en être exclu dès lors qu’il a satisfait à son obligation de réalisation des apports.

==> La sanction du défaut d’affectio societatis

Dans la mesure où aucun texte ne vise expressément l’exigence d’affectio societatis quant à la validité du contrat de société, on est légitimement en droit de s’interroger sur sa sanction.

Conformément au principe « pas de nullité sans texte », le défaut d’affectio societatis ne devrait, en effet, jamais conduire le juge à prononcer la nullité de la société.

Qui plus est, la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, ne prévoit pas que le défaut d’affectio societatis soit constitutif d’une cause de nullité.

Toutefois, les juridictions ont tendance à rattacher la condition tenant à l’affectio societatis à l’article 1832 du Code civil.

Aussi, est-ce, par exemple, en s’appuyant précisément sur ce texte que la chambre commerciale a jugé que la nullité prononcée par une Cour d’appel à l’encontre d’une société en raison de l’absence d’affectio societatis entre les associés était bien fondée (Cass. com., 15 mai 2007).

C) La nullité résultant de la violation d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce

Aux termes de l’article L. 235-1 du Code de commerce « la nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats».

La question qui alors immédiatement se pose est de savoir quelles sont les causes de nullité prévues par le Livre II du Code de commerce.

À l’examen, ledit livre ne vise expressément qu’une seule cause de nullité, une seconde cause étant néanmoins débattue par la doctrine

==> Le défaut d’accomplissement des formalités de publicité relatives aux sociétés en nom collectif et en commandite simple

Aux termes de l’article L. 235-2 du Code de commerce prévoit en ce sens que « dans les sociétés en nom collectif et en commandite simple, l’accomplissement des formalités de publicité est requis à peine de nullité de la société, de l’acte ou de la délibération, selon les cas, sans que les associés et la société puissent se prévaloir, à l’égard des tiers, de cette cause de nullité. Toutefois, le tribunal a la faculté de ne pas prononcer la nullité encourue, si aucune fraude n’est constatée. »

Ainsi, dans les sociétés en nom collectif et en commandite simple l’accomplissement des formalités de publicité est exigé à peine de nullité.

En pratique, il s’agira là néanmoins d’une cause de nullité exceptionnelle, dans la mesure où le greffe du Tribunal de commerce vérifiera, systématiquement, avant toute immatriculation de la société, que les formalités requises ont bien été accomplies.

La cause de nullité prévue à l’article L. 235-2 du Code de commerce n’est donc qu’un cas d’école.

Le juge est-il tenu de prononcé la nullité dès lors qu’il constate le défaut d’accomplissement des formalités de publicité ou s’agit-il d’une simple faculté ?

Il apparaît que l’article L. 235-2 du Code de commerce n’oblige en rien le juge à prononcer la nullité. Il lui laisse un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de prononcer la nullité de la société.

Conformément à l’article L. 210-7 du Code de commerce, cette cause de nullité est susceptible de faire l’objet d’une régularisation

==> L’absence de tenue d’une assemblée constitutive pour les sociétés faisant appel public à l’épargne

Aux termes de l’article L. 225-8, al. 3 et 4 du Code de commerce :

« L’assemblée générale constitutive statue sur l’évaluation des apports en nature et l’octroi d’avantages particuliers. Elle ne peut les réduire qu’à l’unanimité de tous les souscripteurs.

À défaut d’approbation expresse des apporteurs et des bénéficiaires d’avantages particuliers, mentionnée au procès-verbal, la société n’est pas constituée. »

Toute la question est alors de savoir que doit-on entendre par « la société n’est pas constituée » ?

Est-ce une cause de nullité qui est instituée par ce texte ? Cependant, une société qui n’est pas constituée n’est pas nulle pour autant. Car une société nulle, est une société qui a bien été constituée mais dont l’acte constitutif est entaché d’une irrégularité.

D) La nullité fondée sur la théorie de la fraude

Quelle sanction adopter, lorsqu’une société est constituée dans un but frauduleux ?

  1. Exposé de la problématique

Cette hypothèse se rencontrera

  • Soit lorsque les associés souhaiteront se soustraire à une obligation juridique qu’ils ne pourront contourner qu’en constituant une société
  • Soit lorsqu’ils seront animés par la volonté de porter atteinte aux droits de tiers.

Conformément au principe général du droit fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout), on pourrait estimer que la constitution d’une société dans un but frauduleux est sanctionnée par la nullité.

Cependant, aucun texte du Code civil, ni du Code de commerce ne vise la fraude comme cause de nullité. Or il ne saurait y avoir de nullité sans texte.

Reste néanmoins que lorsqu’une société est constituée dans un but frauduleux, on pourrait estimer que la cause du contrat de société est illicite.

Aussi, pourrait-on faire application du nouvel article 1162 du Code civil qui prévoit que « le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties. ».

Dans ces conditions, rien n’empêche que la fraude puisse être sanctionnée par la nullité sur le fondement du droit commun des contrats. Cette solution aurait indéniablement le mérite de fournir un support textuel à la nullité de la société fondée sur la fraude.

2. Position de la jurisprudence

Si, dans un premier temps, la jurisprudence était plutôt opposée à prononcer la nullité constituée dans un but frauduleux, dans un second temps elle a finalement admis que la fraude puisse être une cause nullité.

Qui plus est, la Cour de cassation est passée d’une conception subjective, à une conception objective de la fraude, facilitant alors l’action en nullité fondée sur la fraude.

==> Première étape : la conception subjective de la fraude

Dans un arrêt Demuth du 28 janvier 1992, la Cour de cassation a admis pour la première fois qu’une société qui avait été constituée dans un but frauduleux puisse être annulée (Cass. com., 28 janv. 1992)

schema-8

Faits :

  • Fonds artisanal créé par un couple d’époux mariés sous le régime légal
  • Fonds est exploité par les deux époux puis seulement par le mari
  • Alors qu’une mésentente conjugale s’installait, ce dernier a organisé un montage sociétaire avec plusieurs associés en vue de réaménager le régime juridique d’exploitation du fonds artisanal commun.
    • Ce montage consistait en la concession à la société de la gérance du fonds moyennant un loyer très inférieur aux revenus de son exploitation.

Demande :

  • Estimant que la création de cette société n’avait été effectuée que pour faire échec à ses droits, elle fait alors assigner la SARL ainsi que ses associés devant le Tribunal de grande instance de Belfort à l’effet de voir prononcer la nullité de la SARL ainsi que la nullité de la location-gérance.

Procédure :

  • Dispositif de la décision rendue au fond:
    • Par un arrêt du 16 mai 1990, la Cour d’appel de Besançon fait droit à la demande de l’épouse
  • Motivation des juges du fond:
    • Les juges du fond estiment que la location-gérance a été consentie à la société en fraude des droits de l’épouse et que par conséquent cette opération devait être déclarée nulle
    • Violation de l’article 1424 du C. civ qui prévoit que:

« Les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations »

  • Pour bien comprendre le montage il faut observer que le fonds artisanal avait la nature d’un bien commun relevant de la gestion exclusive du mari dans la mesure où son épouse ne participait pas à l’exploitation.
  • Le mari ne pouvait, certes, pas aliéner seul le fonds de commerce
  • Il pouvait néanmoins parfaitement le donner en location-gérance.
  • C’est la raison pour laquelle, à l’approche de son divorce, il a créé une société afin de lui consentir la location-gérance du fonds de commerce qu’il exploitait.
  • Cependant, en l’espèce, il apparaît que la location du fonds à la société est faite pour une somme dérisoire alors que
    • le fonds est prospère
    • l’opération s’est déroulée moins d’un an avant le début de la procédure de divorce
    • l’épouse n’a pas été avertie conformément aux dispositions de l’article 1832-2 du Code civil au moment de la création de la société mais, plus tard, à une époque où l’entrée de l’épouse dans la société dépendait de l’agrément des autres associés
      • Aux termes de cette disposition : « un époux ne peut, sous la sanction prévue à l’article 1427, employer des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociales non négociables sans que son conjoint en ait été averti et sans qu’il en soit justifié dans l’acte»

Problème de droit :

La question qui se posait ici était de savoir une société qui avait été créée en vue de frauder les droits de l’épouse d’un des associés peut être annulée

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:
    • Par un arrêt du 28 janvier 1992, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon
    • Visa : article 360 de la loi du 24 juillet 1960
    • Cas d’ouverture : défaut de base légale

Sens de l’arrêt:

  • Sur le défaut de base légale
    • La Cour de cassation reproche, en l’espèce, à la Cour d’appel de n’avoir pas apporté suffisamment d’éléments à la Cour de cassation, pour que cette dernière puisse exercer son contrôle sur la bonne application de la règle de droit !
    • Pourquoi la motivation de la Cour d’appel est insuffisante en l’espèce ?
    • La Cour d’appel aurait dû rechercher si tous les associés de la société avaient concouru à la fraude retenue par les juges du fond
    • Dès lors, cet arrêt ne saurait s’interpréter comme un rejet, par la Cour de cassation, de la fraude comme cause de nullité d’une société.
    • Il s’agit là d’un contresens qui doit être évité.
  • Admission de la fraude comme cause de nullité
    • Dans cet arrêt Demuth, la Cour de cassation admet que la fraude puisse être une cause de nullité
  • Restriction du principe
    • La Cour de cassation précise que pour que la fraude soit une cause de nullité, il est nécessaire que tous les associés aient concouru à la fraude.

Valeur de l’arrêt

  • Sur le visa
    • Dans l’arrêt Demuth, la Cour de cassation vise l’ancien article 360 de la loi du 24 juillet 1960
    • Cette disposition prévoyait que « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut que résulter d’une disposition expresse de la présente loi ou de celles qui régissent la nullité des contrats. En ce qui concerne les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, la nullité de la société ne peut résulter ni d’un vice de consentement, ni de l’incapacité, à moins que celle-ci n’atteigne tous les associés fondateurs»
    • Il ressort manifestement de cette disposition que la fraude n’est nullement érigée en cause de nullité
    • Pourquoi, dès lors, viser cette disposition ?
    • La raison en est que la Cour de cassation entend ériger la fraude comme une cause autonome de nullité.
    • En effet, la haute juridiction aurait pu rattacher la fraude à la cause illicite comme l’avait fait la Cour d’appel. Cependant, elle s’y refuse.
    • D’où le recours à ce visa qui fonde, de manière générale, toutes les causes de nullité, sans distinction.
  • Sur la notion de fraude
    • Gérard Cornu définit la fraude de manière générale comme « acte régulier en soi accompli dans l’intention d’éluder une loi impérative ou prohibitive et qui, pour cette raison est frappé d’inefficacité par la jurisprudence ou par la loi ».
    • En somme, la fraude consiste en un agissement licite accompli en vue de poursuivre un but illicite
    • Deux conceptions de la fraude sont envisageables en droit des sociétés :
      • Une conception subjective
        • Selon cette conception, la fraude s’apparente à la volonté de poursuivre un but illicite, en ce sens que l’auteur de la fraude est animé par l’intention de frauder
        • La fraude requiert donc la caractérisation d’un élément moral
      • Une conception objective
        • Selon cette conception, la fraude est caractérisée par la seule violation de la loi, peu importe que son auteur ait ou non été animé par l’intention de frauder.
        • Ici, c’est l’élément matériel qui détermine la fraude. L’élément moral est indifférent.
      • De toute évidence, dans l’arrêt Demuth, la Cour de cassation retient une conception subjective de la faute dans la mesure où elle exige que tous les associés aient concouru à la fraude.
      • Cette solution se justifie par le souci de protection des associés de bonne foi.
      • Elle est néanmoins défavorable à la victime qui, si elle ne parvient pas à prouver que la fraude touchait tous les associés, ne pourra pas obtenir la nullité de la société, quand bien même elle aurait été constituée en fraude de ses droits.

==> Deuxième étape : la conception objective de la fraude

Dans un arrêt du 7 octobre 1998, la Cour de cassation est passée d’une conception subjective de la fraude à une conception objective estimant que « un contrat peut être annulé pour cause illicite ou immorale, même lorsque l’une des parties n’a pas eu connaissance du caractère illicite ou immoral du motif déterminant de la conclusion du contrat » (Cass. 1ère civ. 7 oct. 1998).

Il ressort de cette décision qu’il n’est, désormais, plus nécessaire que tous les associés aient été touchés par la fraude que la société constituée dans un but frauduleux encourt la nullité.

schema-9

==> La reconnaissance de la fraude comme principe général du droit européen

Dans un arrêt Centros du 9 mars 1999 et un arrêt Inspire Art du 30 septembre 2003, la CJUE a eu l’occasion d’affirmer que la fraude constituait une limite à la liberté d’établissement des sociétés.

Dans ces deux décisions, la fraude est érigée par la juridiction européenne comme un principe général de droit européen.

Dans l’arrêt Centros, la CJUE estime notamment que les États sont fondés à « prendre toute mesure de nature à prévenir ou à sanctionner les fraudes, soit à l’égard de la société elle-même, le cas échéant en coopération avec l’État membre dans lequel elle est constituée, soit à l’égard des associés dont il serait établi qu’ils cherchent en réalité, par le biais de la constitution d’une société, à échapper à leurs obligations vis-à-vis de créanciers privés ou publics établis sur le territoire de l’État membre concerné. » (CJCE, 9 mars 1999, n° C-212/97)

Dans l’arrêt Inspire Art, le même raisonnement est tenu (CJCE, 30 sept. 2003, n° C-167/01).

Si, dès lors, la fraude est érigée au rang de principe général du droit européen, cela signifie qu’elle constitue une cause autonome de nullité.

La jurisprudence de la Cour de cassation en matière de nullité pour fraude ne serait donc pas contraire au droit européen.

E) La restriction des causes de nullité par le droit de l’Union européenne

==> Les causes de nullité en droit de l’Union européenne

Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 9 mars 1968 une directive « tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’article 58 deuxième alinéa du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers » (directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968 )

L’objectif affiché par le législateur européen est, selon ses termes, « d’assurer la sécurité juridique dans les rapports entre la société et les tiers ainsi qu’entre les associés, de limiter les cas de nullité ainsi que l’effet rétroactif de la déclaration de nullité et de fixer un délai bref pour la tierce opposition à cette déclaration ».

Ainsi, la directive du 9 mars 1968 a été adoptée dans le dessein de réduire les causes de nullité des sociétés à la portion congrue.

Il peut être observé que ce texte ne concerne que les sociétés commerciales, de sorte que les sociétés de personne sont exclues de son champ d’application.

Aussi, l’article 11 de ce texte énonce que :

« La législation des États membres ne peut organiser le régime des nullités des sociétés que dans les conditions suivantes: 1. la nullité doit être prononcée par décision judiciaire;

les seuls cas dans lesquels la nullité peut être prononcée sont:

a) le défaut d’acte constitutif ou l’inobservation, soit des formalités de contrôle préventif, soit de la forme authentique;

b) le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société;

c) l’absence, dans l’acte constitutif ou dans les statuts, de toute indication au sujet soit de la dénomination de la société, soit des apports, soit du montant du capital souscrit, soit de l’objet social;

d) l’inobservation des dispositions de la législation nationale relatives à la libération minimale du capital social;

e) l’incapacité de tous les associés fondateurs;f) le fait que, contrairement à la législation nationale régissant la société, le nombre des associés fondateurs est inférieur à deux.

En dehors de ces cas de nullité, les sociétés ne sont soumises à aucune cause d’inexistence, de nullité absolue, de nullité relative ou d’annulabilité »

==> Confrontation avec les causes de nullité en droit interne

Pour mémoire, en droit interne, deux textes énoncent les causes de nullités encourues par une société :

  • L’article 1844-10 du Code civil prévoit que « la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832, 1832-1, alinéa 1er, et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général.»
  • L’article L. 235-1 du Code de commerce prévoit que « La nullité d’une société ou d’un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d’une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats.»

Il ressort de la combinaison de ces deux articles que la nullité d’une société peut résulter:

  • Soit de la violation d’une disposition qui compose le régime général du contrat
  • Soit de la violation d’une disposition spéciale qui régit le contrat de société
  • Soit de la violation d’une disposition expresse du Livre II du Code de commerce

À l’examen, il ressort de la confrontation du droit interne et du droit de l’Union européenne, que de nombreuses causes de nullité édictées en droit français ne sont pas prévues par l’article 11 de la directive du 9 mars 1968.

schema-14

Arrêt Marleasing

(CJCE, 13 nov. 1990)

Dans un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de justice de l’Union européenne a été conduite à se prononcer sur l’interprétation à donner de l’article 11 de la directive du 9 mars 1968 qui restreint les causes de nullité des sociétés.
1 Par ordonnance du 13 mars 1989, parvenue à la Cour le 3 avril suivant, le juge de première instance et d’ instruction n° 1 d’ Oviedo a posé, en vertu de l’ article 177 du traité CEE, une question préjudicielle concernant l’ interprétation de l’ article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l’ article 58, deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers ( JO L 65, p . 8 ).
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’ un litige opposant la société Marleasing SA, la requérante au principal, à un certain nombre de défenderesses au nombre desquelles figure La Comercial Internacional de Alimentación SA ( ci-après : “La Comercial “). Cette dernière a été constituée sous la forme d’ une société anonyme par trois personnes, parmi lesquelles se trouve la société Barviesa, qui a fait apport de son patrimoine .
3 Il résulte des motifs de l’ ordonnance de renvoi que Marleasing a conclu à titre principal, sur la base des articles 1261 et 1275 du code civil espagnol, qui privent de tout effet juridique les contrats sans cause ou dont la cause est illicite, à l’ annulation du contrat de société instituant La Comercial, au motif que la constitution de cette dernière serait dépourvue de cause juridique, entachée de simulation et serait intervenue en fraude des droits des créanciers de la société Barviesa, cofondatrice de la défenderesse . La Commercial a conclu au rejet intégral de la demande en invoquant, notamment, le fait que la directive 68/151, précitée, dont l’ article 11 dresse la liste limitative des cas de nullité des sociétés anonymes, ne fait pas figurer l’ absence de cause juridique parmi ces cas .
4 La juridiction nationale a rappelé que, conformément à l’ article 395 de l’ acte relatif aux conditions d’ adhésion du royaume d’ Espagne et de la République portugaise aux Communautés européennes ( JO 1985, L 302, p . 23 ), le royaume d’ Espagne était tenu de mettre la directive en vigueur dès son adhésion, transposition qui n’ avait pas encore eu lieu au jour de l’ ordonnance de renvoi . Considérant donc que le litige soulevait un problème d’ interprétation du droit communautaire, la juridiction nationale a posé à la Cour la question suivante :
“L’ article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil du 9 mars 1968, qui n’a pas été mise en œuvre dans le droit interne, est-il directement applicable pour empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à l’article précité ?”
5 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, du déroulement de la procédure et des observations présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d’audience . Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour .
6 Sur la question de savoir si un particulier peut se prévaloir de la directive à l’encontre d’une loi nationale, il convient de rappeler la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et, par conséquent, la disposition d’une directive ne peut pas être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une telle personne ( arrêt du 26 février 1986, Marshall, 152/84, Rec . p . 723 ).
7 Il ressort, toutefois, du dossier que la juridiction nationale vise, en substance, à savoir si le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151, précitée, est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, afin d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 .
8 En vue de répondre à cette question, il convient de rappeler que, comme la Cour l’ a précisé dans son arrêt du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann, point 26 ( 14/83, Rec . p . 1891, l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles. Il s’ensuit qu’en appliquant le droit national, qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité .
9 Il s’ensuit que l’exigence d’une interprétation du droit national conforme à l’article 11 de la directive 68/151, précitée, interdit d’interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d’une manière telle que la nullité d’une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l’article 11 de la directive en cause .
10 En ce qui concerne l’ interprétation à donner à l’ article 11 de la directive, et notamment son paragraphe 2, sous b ), il y a lieu de constater que cette disposition interdit aux législations des États membres de prévoir une annulation judiciaire en dehors des cas limitativement énoncés dans la directive, parmi lesquels figure le caractère illicite ou contraire à l’ ordre public de l’ objet de la société .
11 Selon la Commission, l’expression “l’objet de la société” doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement l’objet de la société, tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts. Il s’ensuivrait que la déclaration de nullité d’une société ne pourrait pas résulter de l’activité qu’elle poursuit effectivement, telle que, par exemple, spolier les créanciers des fondateurs.
12 Cette thèse doit être retenue. Ainsi qu’il ressort du préambule de la directive 65/151, précitée, son but était de limiter les cas de nullité et l’effet rétroactif de la déclaration de nullité afin d’assurer la “sécurité juridique dans les rapports entre la société et les tiers ainsi qu’entre les associés” ( sixième considérant ). De plus, la protection des tiers “doit être assurée par des dispositions limitant, autant que possible, les causes de non-validité des engagements pris au nom de la société “. Il s’ensuit, dès lors, que chaque motif de nullité prévu par l’article 11 de la directive est d’interprétation stricte. Dans de telles circonstances, les mots “l’objet de la société” doivent être compris comme se référant à l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts.
13 11 y a donc lieu de répondre à la question posée que le juge national qui est saisi d’un litige dans une matière entrant dans le domaine d’application de la directive 68/151 est tenu d’interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, en vue d’empêcher la déclaration de nullité d’une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11 .

Faits :

  • La société engage une action en nullité contre la société La Comerciale, à laquelle elle reproche d’avoir été constituée en violation des articles 1261 et 1275 du Code civil espagnol
  • Or ces disposition sanctionnent par la nullité les contrats conclus sans cause ou dont la cause est illicite
  • Plus précisément, la société Marleasing reproche à la société La Comerciale de n’avoir été constituée que pour soustraire du gage des créanciers, parmi lesquels figure la société Marleasing, l’actif d’une tierce société, la société Barviesa, cofondatrice de la société Marleasing.
  • En défense, la société La comerciale soutient que dans la mesure où la directive du 9 mars 1968 n’érige pas l’absence de cause ou la cause illicite comme une cause de nullité des sociétés. Or la liste des causes de nullité dressée par ce texte est limitative.

Procédure :

  • La juridiction espagnole saisie du litige pose à la Cour de justice, sur la base de l’article 177 du traité, une question préjudicielle concernant l’interprétation de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du 9 mars 1968.

Problème de droit :

  • Il est demandé à la Cour si l’existence d’une cause illicite s’agissant de la constitution d’une société peut constituer un cas de nullité au sens de l’article 11 de la directive

Solution :

  • La CJUE estime que l’article 11 de la directive est d’interprétation stricte
  • Par conséquent, les législations nationales ne peuvent pas prévoir comme cause de nullité d’autres cas que ceux prévus par l’article 11 de ladite directive
  • La CJUE poursuit en jugeant que l’expression « objet social » visée à l’article 11 doit s’entendre comme l’objet social défini dans les statuts de la société.
  • La CJUE refuse dès lors que soit pris en compte pour apprécier la licéité de l’objet, l’objet réel de la société. Seul compte l’objet statutaire

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Sur la restriction des causes de nullité
    • La CJUE juge, sans ambiguïté que « l’exigence d’une interprétation du droit national conforme à l’article 11 de la directive 68/151, précitée, interdit d’interpréter les dispositions du droit national relatives aux sociétés anonymes d’une manière telle que la nullité d’une société anonyme puisse être prononcée pour des motifs autres que ceux qui sont limitativement énoncés à l’article 11 de la directive en cause ».
    • Ainsi, la liste des causes de nullité dressée par la directive est limitative.
    • En dehors des cas prévus par le texte communautaire, les juges nationaux ne sont pas fondés à prononcer la nullité d’une société
  • Sur la notion d’objet social
    • Tout d’abord la CJUE affirme que « en ce qui concerne l’interprétation à donner à l’article 11 de la directive, et notamment son paragraphe 2, sous b ), il y a lieu de constater que cette disposition interdit aux législations des États membres de prévoir une annulation judiciaire en dehors des cas limitativement énoncés dans la directive, parmi lesquels figure le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de l’objet de la société»
    • Ensuite, la juridiction européenne estime que si la nullité d’une société est prononcée sur le fondement de l’illicéité de son objet social, le caractère illicite ou contraire à l’ordre public de celui-ci doit être apprécié au regard des statuts de la société
    • Elle affirme en ce sens que « la déclaration de nullité d’une société ne pourrait pas résulter de l’activité qu’elle poursuit effectivement, telle que, par exemple, spolier les créanciers des fondateurs »
    • Autrement dit, seul l’objet social statutaire doit être pris en compte pour prononcer la nullité d’une société et non son objet réel.
    • Au soutien de sa décision la CJUE invoque la position de la Commission européenne qui a eu l’occasion d’affirmer que « l’objet de la société” doit être interprété en ce sens qu’elle vise exclusivement l’objet de la société, tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts».
  • Sur la justification de la solution dégagée par la CJUE
    • Il ressort de la ratio legis de la directive que le but affiché par le législateur européen est de réduire à la portion congrue les causes de nullité des sociétés
    • La CJUE est animée par le souci de protection des tiers, comme le signale l’intitulé du texte communautaire.
  • Critiques
    • En souhaitant conférer aux tiers une protection dans leurs rapports avec les sociétés, la CJUE restreint de façon déraisonnable les causes de nullité des sociétés
    • Qui plus est, on est légitimement en droit de se demander si, au regard de cet arrêt Marleasing, les causes de nullité visées par la directive ne seraient pas des cas d’école.
    • Comment, en effet, envisager que des associés puissent prévoir un objet statutaire illicite lors de la constitution de leur société ? Cela n’aurait pas de sens
    • Cette hypothèse ne se rencontrera donc jamais en pratique.
    • Par ailleurs, la CJUE tend à présenter la nullité comme portant gravement atteinte aux intérêts des tiers.
    • Toutefois c’est oublier qu’en droit des sociétés
      • D’une part, la nullité opère sans rétroactivité
      • D’autre part, la nullité n’est pas opposable aux tiers de bonne foi
    • Au total, à trop vouloir réduire les causes de nullité, la CJCE les réduit avec cette décision dans une proportion difficilement justifiable

==> Réception de la jurisprudence Marleasing en droit français

Manifestement, la jurisprudence Marleasing a, dans un premier temps, été accueillie pour le moins fraîchement en droit interne, après quoi une période d’incertitude s’est installée en jurisprudence.

Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention :

  • L’arrêt Demuth ( com. 18 janv. 1992)
    • L’arrêt Démuth rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 1992 témoigne de cette hostilité des juridictions française à l’égard de la position adoptée par la CJUE.
    • Pour mémoire, dans cet arrêt, la Haute juridiction admet qu’une société qui a été constituée dans un but frauduleux puisse être annulée, alors que la fraude n’est pas une cause de nullité visée par la directive du 9 mars 1968.
  • L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 21 septembre 2001
    • Il s’agissait en l’espèce d’une action en nullité engagée à l’encontre d’une société en raison de l’apport fictif réalisé par ses associés dans le dessein de couvrir l’attribution d’actions à trois des associés
    • Cependant, le défaut d’apport, ou l’apport fictif n’est pas une cause de nullité prévue par la directive du 9 mars 1968
    • À la surprise générale, par un arrêt du 21 septembre 2001, la Cour d’appel de Paris déboute le demandeur de ses demandes et refuse de prononcer la nullité de la société anonyme pour apport fictif (CA Paris, 21 sept. 2001).
    • Les juges parisiens estiment que « l’article L. 235-1 du Code de commerce, en ce qu’il se réfère aux dispositions du droit commun des contrats comme cause de nullité d’un contrat de société, n’est pas compatible avec les dispositions de l’article 11 de la directive susvisée qui énumère de manière limitative les causes de nullité de la société »
    • Autrement dit, pour la Cour d’appel, que dans la mesure que, le défaut d’apport où l’apport fictif n’est pas une cause de nullité au sens de l’article 11 de la directive, la société en l’espèce ne saurait faire l’objet d’une annulation, conformément au principe de primauté du droit communautaire sur le droit national dégagé dans l’arrêt Costa c. Enel de la CJUE du 15 juillet 1964.

==> Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 10 novembre 2015, la Cour de cassation semble s’être ralliée à la position adoptée par la CJUE dans l’arrêt Marleasing.

La Cour de cassation affirme, en effet, « qu’il résulte des dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, tel qu’interprété par l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 13 novembre 1990, (Marleasing SA/Comercial Internacional de Alimentación SA, C-106/89) que la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts »

schema-10

Faits :

  • Une société qui souhaitait réaliser une opération immobilière soutient qu’une SARL a été constituée dans l’unique but de contester devant la juridiction administrative les permis de construire qu’elle avait obtenu.

Procédure :

  • Par un arrêt du 20 mars 2014, la Cour d’appel d’Aix en Provence déboute la société requérante de sa demande d’annulation
  • Les juges du fond estiment que le fait d’avoir constitué une société dans le seul but de contester des permis de construire n’est pas une cause de nullité
  • Seule la responsabilité du gérant est susceptible d’être recherchée

Solution :

  • Par son arrêt du 15 novembre 2015, la Cour de cassation rejette le pourvoi en se conformant, pour la première fois, à la position de la CJUE adoptée dans l’arrêt Marleasing
  • Deux points retiennent l’attention :
  • Sur la nullité de la société
    • La chambre commerciale estime que « dispositions des articles 1833 et 1844-10 du code civil, qui doivent, en ce qui concerne les causes de nullité des sociétés à responsabilité limitée, être analysées à la lumière de l’article 11 de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, repris à l’article 12 de la directive 2009/101/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009»
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation, en dehors des cas expressément prévus par la directive, une société ne saurait faire l’objet d’une annulation
    • On peut en déduire que la haute juridiction entend, à l’avenir, apprécier la nullité d’une société qu’au regard du seul texte communautaire.
    • Toutes les causes de nullités qui, jusqu’à présent, étaient admises en droit français et qui ne sont pas prévues par la directive, ont donc vocation à disparaître.
    • Cela concerne :
      • La fictivité de la société pour défaut de consentement
      • Les vices du consentement
      • Le défaut d’apport
      • Le défaut d’affectio societatis
  • Sur l’appréciation de l’illicéité de l’objet social
    • La Cour de cassation retient exactement la même solution que celle adoptée par la CJUE dans l’arrêt Marleasing : pour apprécier l’illicéité de l’objet social seul doit être pris en compte l’objet statutaire et non l’objet réel de la société
    • La chambre commerciale affirme en ce sens que « la nullité d’une société tenant au caractère illicite ou contraire à l’ordre public de son objet doit s’entendre comme visant exclusivement l’objet de la société tel qu’il est décrit dans l’acte de constitution ou dans les statuts».

II) L’action en nullité

==> La titularité de l’action en nullité

Aux termes de l’article 31 du Code de procédure civil « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

Ainsi, pour engager une action en nullité, cela suppose-t-il pour le requérant de justifier d’une qualité à agir.

Or en matière de nullité, la qualité à agir dépend de la nature de l’intérêt protégé par la règle sanctionnée par la nullité.

  • Lorsque la nullité est relative, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de protection, ont seules qualité à agir les personnes dont le législateur a souhaité assurer la protection, à condition que le demandeur justifie d’un intérêt à agir.
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité relative sont celles qui concernent :
      • Les vices du consentement
      • Le défaut de consentement
        • La Cour de cassation l’assimile régulièrement, à tort, au vice du consentement ( Com. 20 juin 1989)
      • L’incapacité
  • Lorsque la nullité est absolue, soit lorsqu’elle vise à sanctionner le non-respect d’une règle d’ordre public de direction, ont qualité à agir toutes les personnes susceptibles de se prévoir d’un intérêt à agir
    • Les règles dont le non-respect est sanctionné par une nullité absolue sont celles relatives :
      • Au défaut d’affectio societatis
      • Au défaut d’apport
      • À l’absence de pluralité d’associé
      • Au défaut d’accomplissement des formalités de publicité relatives à une société en nom collectif ou en commandite simple
      • La fraude
      • L’illicéité de l’objet social
      • Le défaut d’acte constitutif

==> La prescription de l’action en nullité

Par exception à l’article 2224 du Code civil qui prévoit que l’action en nullité se prescrit par 5 ans, le délai de prescription est raccourci à 3 ans en matière de nullité de société

Les articles 1844-14 du Code civil et L. 235-9 du Code de commerce disposent en ce sens que « les actions en nullité de la société ou d’actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue. »

Quid du point de départ de la prescription lorsque l’irrégularité qui entache la constitution de la société persiste au cours de la vie sociale, tel que le défaut d’affectio societatis ou l’illicéité de l’objet social ?

Dans un arrêt remarqué du 20 novembre 2001, la Cour de cassation a estimé que « les actions en nullité de la société se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue » (Cass. 1ère civ., 20 nov. 2001)

Ainsi, la haute juridiction reproche à la Cour d’appel d’avoir jugé que « s’agissant d’une nullité permanente, seule la disparition de la cause de celle-ci, soit la reconstitution d’une affectio societatis fait courir la prescription de trois ans de l’article 1844-14 du Code civil »

Pour la première chambre civile, le point de départ du délai de prescription n’est pas le jour de la disparition de la cause de nullité, mais au jour. Le délai court dès lors que la cause de nullité survient.

schema-11

==> L’exception de nullité

Conformément à l’adage quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum, la nullité est toujours susceptible d’être opposée comme exception en défense à une action principale en exécution d’une obligation.

La Cour de cassation a notamment rappelé cette règle, applicable en matière de nullité de société, dans un arrêt du 20 novembre 1990 (Cass. com., 20 nov. 1990)

La chambre commerciale affirme en ce sens que « si l’action en nullité d’une délibération d’une assemblée générale prise en violation des statuts de la société est soumise à la prescription triennale instituée par l’article 1844-14 du Code civil, l’exception de nullité est perpétuelle ».

schema-12

Dans un arrêt du 25 novembre 1998, la Cour de cassation réitère sa solution en affirmant que « la prescription d’une action en nullité n’éteint pas le droit d’opposer celle-ci comme exception en défense à une action principale » (Cass. 3e civ., 25 nov. 1998).

Dans un arrêt du 13 février 2007, la première chambre civile a néanmoins précisé que « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007)

schema-13

==> La régularisation de la nullité

Lors de l’élaboration du régime de nullité, le législateur ne s’est pas contenté de restreindre les causes de nullité, il a, en parallèle, considérablement facilité la régularisation des sociétés dont la constitution est entachée d’une irrégularité.

Deux cas de figure doivent être distingués :

  • La régularisation constatée
    • Aux termes de l’article L. 235-3 du Code de commerce, « l’action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé d’exister le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l’illicéité de l’objet social»
    • Aux termes de l’article L. 235-4 du Code de commerce :
      • Le tribunal de commerce, saisi d’une action en nullité, peut, même d’office, fixer un délai pour permettre de couvrir les nullités
      • Le Tribunal peut prononcer la nullité moins de deux mois après la date de l’exploit introductif d’instance. »
      • Si, pour couvrir une nullité, une assemblée doit être convoquée ou une consultation des associés effectuée, et s’il est justifié d’une convocation régulière de cette assemblée ou de l’envoi aux associés du texte des projets de décision accompagné des documents qui doivent leur être communiqués, le tribunal accorde par jugement le délai nécessaire pour que les associés puissent prendre une décision.
  • La régularisation provoquée
    • Plusieurs hypothèses doivent être distinguées
      • En cas de vice du consentement ou d’incapacité d’un associé
        • Toute personne y ayant intérêt peut mettre en demeure celui qui est susceptible de l’opérer, soit de régulariser, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. Cette mise en demeure est dénoncée à la société (art. L. 235-6 C. com)
      • En cas de violation des règles de publicité
        • Toute personne ayant intérêt à la régularisation de l’acte peut mettre la société en demeure d’y procéder, dans le délai fixé par décret en Conseil d’État. À défaut de régularisation dans ce délai, tout intéressé peut demander la désignation, par décision de justice, d’un mandataire chargé d’accomplir la formalité ( L. 235-7 C. com)
      • En cas d’irrégularité quelconque
        • Si les statuts ne contiennent pas toutes les énonciations exigées par la loi et les règlements ou si une formalité prescrite par ceux-ci pour la constitution de la société a été omise ou irrégulièrement accomplie, tout intéressé est recevable à demander en justice que soit ordonnée, sous astreinte, la régularisation de la constitution. Le ministère public est habile à agir aux mêmes fins ( L. 210-7, al. 2 C. com)

==> Les effets de la nullité

  • Les effets de la nullité à l’égard de la société
    • Absence de rétroactivité
      • Aux termes de l’article 1844-15 du Code civil la nullité a pour effet
        • De mettre fin, sans rétroactivité, à l’exécution du contrat de société (al. 1)
        • De produire les effets d’une dissolution prononcée par justice (al. 2)
      • Ainsi la nullité de la société n’opère que pour l’avenir. Elle n’a point d’effet rétroactif, de sorte qu’elle ne donnera pas lieu au jeu des restitutions.
    • Effet d’une dissolution
      • La nullité de la société produit les mêmes effets qu’une dissolution
      • Ainsi, conformément à l’article 1844-8 du Code civil :
        • « La dissolution de la société entraîne sa liquidation, hormis les cas prévus à l’article 1844-4 et au troisième alinéa de l’article 1844-5. Elle n’a d’effet à l’égard des tiers qu’après sa publication.
        • Le liquidateur est nommé conformément aux dispositions des statuts. Dans le silence de ceux-ci, il est nommé par les associés ou, si les associés n’ont pu procéder à cette nomination, par décision de justice. Le liquidateur peut être révoqué dans les mêmes conditions. La nomination et la révocation ne sont opposables aux tiers qu’à compter de leur publication. Ni la société ni les tiers ne peuvent, pour se soustraire à leurs engagements, se prévaloir d’une irrégularité dans la nomination ou dans la révocation du liquidateur, dès lors que celle-ci a été régulièrement publiée.
        • La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.
        • Si la clôture de la liquidation n’est pas intervenue dans un délai de trois ans à compter de la dissolution, le ministère public ou tout intéressé peut saisir le tribunal, qui fait procéder à la liquidation ou, si celle-ci a été commencée, à son achèvement.»
  • Les effets de la nullité à l’égard des tiers
    • Principe
      • L’article 1844-16 du Code civil prévoit que « ni la société ni les associés ne peuvent se prévaloir d’une nullité à l’égard des tiers de bonne foi»
      • Cela signifie que la nullité leur est inopposable.
      • Ils sont donc toujours fondés à se prévaloir des engagements souscrits envers eux par la société
    • Exception
      • L’article 1844-16 du Code civil pose une exception au principe d’inopposabilité de la nullité aux tiers de bonne foi :
        • « la nullité résultant de l’incapacité ou de l’un des vices du consentement est opposable même aux tiers par l’incapable et ses représentants légaux, ou par l’associé dont le consentement a été surpris par erreur, dol ou violence»

[1] Y Guyon, Droit des affaires, tome 1 : Economica, 11e éd., 2002, n° 124, p. 127

[2] .P. Didier, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L’avenir du droit – Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz-PUF-Juris-classeur, 1999, p. 636.

[3] G. Ripert et R. Roblot par M. Germain, Traité de droit commercial, LGDJ, 17 éd. 1998, t.1, n°1051, p. 822.