Le régime juridique de l’usufruit

==> Notion

L’usufruit est défini à l’article 578 du Code civil comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. »

L’usufruitier dispose ainsi d’un droit réel d’usage et de jouissance sur la chose d’autrui, par le jeu d’un démembrement de la propriété.

Ce démembrement s’opère comme suit :

  • L’usufruitier recueille temporairement dans son patrimoine l’usus et le fructus qui, à sa mort, en vocation à être restitués au nu-propriétaire sans pouvoir être transmis aux héritiers
  • Le nu-propriétaire conserve, pendant toute la durée de l’usufruit, l’abusus qui, à la mort de l’usufruitier, se verra restituer l’usus et le fructus, recouvrant alors la pleine propriété de son bien

L’usufruit est, de toute évidence, le droit de jouissance le plus complet, en ce sens qu’il confère à l’usufruitier le droit de jouir des choses « comme le propriétaire lui-même ».

Cela implique donc que l’usufruitier peut, non seulement tirer profit de l’utilisation de la chose, mais encore en percevoir les fruits, notamment en exploitant le bien à titre commercial.

C’est là une différence majeure entre l’usufruitier et le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation, ce dernier ne disposant pas du pouvoir de louer le bien. Il est seulement autorisé à en faire usage pour ses besoins personnels et ceux de sa famille.

Seule limite pour l’usufruitier quant à la jouissance du bien : pèse sur lui une obligation de conservation de la chose. Il ne dispose donc pas du pouvoir de la détruire ou de la céder.

==> Nature

L’usufruit confère à l’usufruitier un droit réel sur la chose, de sorte qu’il exerce sur elle un droit direct et immédiat.

La qualification de droit réel de l’usufruit est parfois contestée par certains auteurs. D’aucuns avancent, en effet, que si la nature de droit réel se conçoit parfaitement lorsqu’il porte sur une chose corporelle, il n’en va pas de même lorsqu’il a pour objet une chose incorporelle. Il y a, selon eux, une incompatibilité entre l’intangibilité de la chose et l’exercice d’un pouvoir direct et immédiat sur elle.

Cette thèse est, toutefois, selon nous inopérante, dans la mesure où l’incorporalité d’une chose ne fait nullement obstacle à ce que son propriétaire exerce sur elle une emprise qui, certes, ne sera pas physique, mais qui consistera à contrôler son utilisation.

Aussi, partageons-nous l’idée que le droit exercé par l’usufruitier sur la chose, présente un caractère réel.

À cet égard, la nature de ce droit dont est investi l’usufruitier permet de le distinguer du locataire qui est titulaire, non pas d’un droit réel, mais d’un droit personnel qu’il exerce contre son bailleur.

Pour mémoire, le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.

Il en résulte que le droit pour le preneur de jouir de la chose procède, non pas du pouvoir reconnu par la loi à l’usufruitier en application de l’article 578 du Code civil, mais de la conclusion du contrat de bail qui oblige le bailleur, conformément à l’article 1719 du Code civil, à délivrer au preneur la chose louée et lui assurer une jouissance paisible.

Le preneur est donc investi d’un droit qu’il exerce non pas directement sur le bien loué, mais contre le bailleur sur lequel pèse un certain nombre d’obligations en contrepartie du paiement d’un loyer.

À l’examen, la situation dans laquelle se trouvent l’usufruitier et le nu-propriétaire est radicalement différente.

Il n’existe entre l’usufruitier et le nu-propriétaire aucun lien contractuel, de sorte que, ni l’usufruitier, ni le nu-propriétaire n’ont d’obligations positives l’un envers l’autre.

La seule obligation qui pèse sur l’usufruitier est de conserver la substance de la chose, tandis que le nu-propriétaire doit s’abstenir de la détruire.

Aussi, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

François Terré et Philippe Simler ont écrit en ce sens que « le Code civil a conçu l’usufruit et la nue-propriété comme deux droits réels, coexistant sur la chose et juxtaposés, mais séparés : il n’y a pas communauté, mais bien séparation d’intérêts entre l’usufruitier et le nu-propriétaire ».

Il n’y a donc, entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Les seules limites à l’exercice indépendant de ces droits réels dont ils sont titulaires sont celles posées par la loi, laquelle met à la charge de l’usufruitier plusieurs obligations propter rem (art. 600 à 615 C. civ.)

==> Caractère temporaire

L’usufruit présente cette particularité d’être temporaire. C’est la raison pour laquelle un droit réel qui procéderait de la conclusion d’un contrat et qui ne serait assorti d’aucun terme extinctif ne pourrait pas être qualifié d’usufruit.

Aussi, en l’absence de stipulation particulière, l’usufruit est viager, soit s’éteint à cause de mort. Lorsqu’il est dévolu à une personne morale, sa durée est portée à 30 ans.

L’usufruit, a donc, en toute hypothèse, vocation à revenir au nu-propriétaire qui recouvra la pleine propriété de son bien.

À cet égard, c’est là le seul intérêt de la nue-propriété, le nu-propriétaire étant privé, pendant toute la durée de l’usufruitier de toutes les utilités de la chose (usus et fructus).

§1 : Le domaine de l’usufruit

A) L’objet de l’usufruit

L’usufruit peut tout autant porter sur un bien pris individuellement, que sur un ensemble de biens.

  1. L’usufruit porte sur un bien

L’article 581 du Code civil prévoit que l’usufruit « peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou immeubles. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruit peut porter sur n’importe quel type de bien. Il est néanmoins soumis à des règles particulières lorsqu’il a pour objet une chose consomptible, d’où la nécessité d’envisager cette catégorie de choses séparément.

a) Les choses non-consomptibles

i) Les choses corporelles

Pour mémoire, les choses corporelles sont tout ce qui peut être appréhendé par les sens et qui est extérieur à la personne.

Elles ont, autrement dit, une réalité matérielle, en ce qu’elles peuvent être touchées physiquement. Tel est le cas d’une maison, d’un arbre, d’une pièce de monnaie, d’une table, un terrain, etc..

Les choses corporelles sont le terrain d’élection privilégié de l’usufruit, en ce que sa nature de droit réel trouve pleinement vocation à s’exprimer, en ce sens que l’usufruitier pourra exercer un pouvoir direct et immédiat sur la chose.

À cet égard, ainsi que l’écrivait Proudhon « considéré dans l’objet auquel il s’applique, l’usufruit emprunte le corps de la chose même qui doit être livrée à l’usufruitier pour qu’il en jouisse : la loi le place au rang des meubles ou immeubles, suivant qu’il est établi sur des choses mobilières ou immobilières ».

L’usufruit peut, de la sorte, consister tantôt en un droit réel mobilier, tantôt en un droit réel immobilier.

ii) Les choses incorporelles

Les choses incorporelles se distinguent des choses corporelles en ce qu’elles n’ont pas de réalité physique. Elles sont tout ce qui ne peut pas être saisi par les sens et qui est extérieur à la personne.

Parce qu’elles sont dépourvues de toute substance matérielle et qu’elles n’existent qu’à travers l’esprit humain, les choses incorporelles ne peuvent pas être touchées.

Il résulte qu’elles ne peuvent jamais être le fruit de la nature : elles sont toujours artificielles, soit le produit d’une activité humaine.

L’intangibilité des choses incorporelles ne fait pas obstacle à ce qu’elle fasse l’objet d’un usufruit.

Il est notamment admis que l’usufruit puisse porter sur :

  • Des créations intellectuelles
    • L’usufruit peut avoir pour objet une œuvre de l’esprit, un brevet d’invention ou encore une marque
    • Dans cette hypothèse, l’usufruitier pourra tirer profit de l’exploitation commerciale des créations intellectuelles par l’exercice des droits patrimoniaux attachés à ces créations (reproduction, représentation, concession etc..)
  • Un usufruit
    • Rien n’interdit d’envisager la constitution d’un usufruit d’usufruit
    • Cette situation correspond à l’hypothèse où un droit d’usage et d’habitation serait établi sur un usufruit
  • Une créance
    • L’usufruit peut porter sur une créance ce qui emportera pour conséquence d’obliger le débiteur à régler entre les mains, non pas du créancier, mais de l’usufruitier (V. en ce sens com., 12 juill. 1993, n° 91-15667).
    • Encore faut-il que le débiteur ait été prévenu de la constitution d’un usufruit, ce qui soulève la problématique de son opposabilité.
    • Pour être opposable au débiteur, cette constitution d’usufruit doit-elle lui être notifiée selon les formes prescrites par les règles qui régissent la cession de créance ?
    • L’article 1324 du Code civil prévoit notamment que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte».
    • Si la doctrine est partagée sur l’accomplissement de cette formalité, on ne voit pas comment l’usufruitier pourrait y échapper, ne serait-ce que s’il veut se prémunir d’un paiement entre les mains du créancier.
  • Une rente
    • L’article 588 du Code civil envisage la possibilité de constituer un usufruit sur une rente viagère.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que « l’usufruit d’une rente viagère donne aussi à l’usufruitier, pendant la durée de son usufruit, le droit d’en percevoir les arrérages, sans être tenu à aucune restitution.»
    • Par arrérages, il faut entendre le montant échu de la rente qui est versée périodiquement
  • Des droits sociaux
    • Il est admis que l’usufruit puisse porter sur des droits sociaux, peu importe qu’il s’agisse d’actions ou de parts sociales.
    • L’article 1844 du Code civil envisage cette situation en prévoyant que « si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier».
    • Il ressort de cette disposition que, le nu-propriétaire, conserve le droit de vote dont il demeure titulaire, à tout le moins pour les décisions les plus graves qui intéressent la société (modification des statuts), tandis que l’usufruitier est appelé à percevoir les dividendes.
    • Ce dernier est également investi du pouvoir de se prononcer sur les décisions relatives à l’affectation des bénéfices (distribution ou mise en réserve).
    • Cette prérogative de l’usufruitier a été réaffirmée avec force par la Cour de cassation dans un arrêt du 31 mars 2004.
    • Dans cette décision, la chambre commerciale a validé l’annulation d’une clause statutaire qui privait l’usufruitier de voter les décisions concernant les bénéfices et subordonnait à la seule volonté des nus-propriétaires le droit d’user de la chose grevée d’usufruit et d’en percevoir les fruits, alors que l’article 578 du Code civil attache à l’usufruit ces prérogatives essentielles ( com. 31 mars 2004, n°03-16694).
    • Cette jurisprudence n’est pas sans avoir agité la doctrine, en particulier sur la question de savoir, qui du nu-propriétaire ou de l’usufruitier, endosse la qualité d’associé.
    • La réponse à cette question a de véritables incidences pratiques, car elle permet de déterminer si l’usufruitier peut exercer l’action sociale ut singuli ou s’il peut encore formuler une demande de désignation de l’expert en gestion.
    • A cet égard, dans un arrêt du 22 février 2005, la Cour de cassation a précisé que « les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle si une part est grevée d’un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, à condition qu’il ne soit pas dérogé au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives» ( com. 22 févr. 2005, n°03-17421).
    • Il ressort de cette disposition que les statuts sont susceptibles de prévoir que l’usufruitier est investi du droit de vote pour toutes les décisions auquel cas il se rapproche du statut d’associé.
    • Des auteurs ont néanmoins interprété un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 29 novembre 2006 comme déniant à l’usufruitier la qualité d’associé ( 3e civ. 29 nov. 2006, n°05-17009).
    • Dans un autre arrêt, cette fois-ci rendu par la chambre commerciale le 2 décembre 2008, les statuts d’une société civile avaient attribué l’intégralité du droit de vote à l’usufruitier.
    • Ce dernier avait alors approuvé, en assemblée générale extraordinaire, le projet de fusion absorption de la société dont il détenait une partie des titres.
    • L’un des nus-propriétaires, opposé à cette fusion, a assigné l’usufruitier en nullité de la délibération sociale ayant conduit à la fusion, en excipant l’illicéité de la clause statutaire qui réservait au seul usufruitier l’intégralité des droits de vote.
    • Par un arrêt du 19 février 2008 la Cour d’appel de Caen a fait droit aux demandes du nu-propriétaire quant à déclarer illicite la clause statutaire octroyant l’intégralité des droits de vote à l’usufruitier et annuler la délibération litigieuse.
    • La chambre commerciale de la Cour de cassation a néanmoins censuré cette décision au motif que « les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle, si une part est grevée d’usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, dès lors qu’ils ne dérogent pas au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives» ( com. 2 déc. 2008, n°08-13185).
    • Quel enseignement tiré de cette décision ?
    • En premier lieu, il est possible de priver le nu-propriétaire de son droit de vote à la condition qu’il puisse participer à la prise de décision ce qui concrètement implique qu’il puisse assister à la délibération et exprimer son avis.
    • En second lieu, l’usufruitier semble être mis sur un même pied d’égalité que les autres associés puisque, alors même qu’il s’agit d’une décision qui intéresse la fusion absorption de la société, c’est à lui que revient le droit de voter et non au nu-propriétaire.
    • Enfin, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir expliqué « en quoi l’usufruitier aurait fait du droit de vote que lui attribuaient les statuts un usage contraire à l’intérêt de la société, dans le seul dessein de favoriser ses intérêts personnels au détriment de ceux des autres associés»
    • Elle affirme donc, en creux, qu’il appartient à l’usufruitier d’agir dans l’intérêt de la société.
    • Or n’est-ce pas là l’objectif assigné à tout associé ?
    • D’aucuns considèrent que cet arrêt reconnaît à l’usufruitier la qualité d’associé et opère ainsi un revirement de jurisprudence si l’on se réfère à la décision du 29 novembre 2006.
    • La décision rendue n’est toutefois pas sans comporter des zones d’ombre, raison pour laquelle il convient de rester prudent sur le sens à lui donner.
    • Aussi, la question de l’octroi à l’usufruitier de la qualité d’associé demeure grande ouverte.
    • Elle n’a encore jamais été clairement tranchée par la Cour de cassation.

b) Les choses consomptibles

Les choses consomptibles sont celles qui se consomment par le premier usage, en ce sens qu’elles disparaissent à mesure de l’utilisation que l’on en fait.

Exemple : l’argent, des aliments, une cartouche d’encre etc.

À l’évidence, lorsque l’usufruit porte sur une chose consomptible, cette situation soulève une difficulté qui tient à la fonction même de l’usufruit.

Il est, en effet, de principe que l’usufruit ne confère à l’usufruitier qu’un droit d’usage sur la chose, de sorte qu’il ne peut pas en disposer.

Si l’in appliquait cette règle strictement aux choses consomptibles, cela reviendrait à priver l’usufruitier d’en jouir et donc de vider le droit réel dont il est titulaire de sa substance.

C’est la raison pour laquelle, par exception, l’usufruitier est autorisé à disposer de la chose, telle le véritable propriétaire (on parle alors de quasi-usufruit).

L’article 587 du Code civil prévoit en ce sens que « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution ».

En contrepartie du droit de jouir d’une chose consomptible, l’usufruitier a donc l’obligation de restituer, à l’expiration de l’usufruit, soit une chose de même qualité et de même quotité, soit son équivalent en argent.

La conséquence en est que le nu-propriétaire qui, de fait, perd l’abusus n’exerce plus aucun droit réel sur la chose. Il est un simple créancier de l’usufruitier.

2. L’usufruit porte sur un ensemble de biens

Tout autant que l’usufruit peut porter sur un bien, pris individuellement, il peut porter sur un ensemble de biens constitutif d’une universalité. Il est indifférent que cette universalité soit de fait ou de droit.

  • L’usufruit d’une universalité de fait
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit porte sur un ensemble de biens unis par une même finalité économique.
    • Tel est le cas notamment du fonds de commerce qui regroupe l’ensemble des biens nécessaires à l’exploitation d’une activité commerciale déterminée.
    • Lorsque l’usufruit porte sur une universalité de fait, le droit dont est investi l’usufruitier a pour assiette, non pas les biens qui la composent, mais l’ensemble constitué par ces biens, soit le tout.
    • Il en résulte que l’usufruitier est seulement tenu de conserver l’universalité, prise dans sa globalité : il ne peut pas en disposer, ni la détruire.
    • Il ne s’agit donc pas d’un quasi-usufruit, mais bien d’un usufruit ordinaire.
    • Appliqué au fonds de commerce, cela signifie que, à l’expiration de l’usufruit, l’usufruitier devra restituer un fonds de commerce de valeur équivalente.
    • Pendant toute la durée de l’usufruit, il est, en revanche, libre de disposer de chacun des éléments qui composent le fonds de commerce (machines, outils, marchandises, matières premières etc.)
    • L’usufruitier est ainsi autorisé à accomplir tous les actes de nécessaires à l’exploitation de l’activité commerciale (achat et vente de marchandises etc.)
    • À cet égard, c’est lui qui percevra les bénéfices tirés de l’exploitation du fonds, tout autant que c’est lui qui endossera la qualité de commerçant et qui, à ce titre, sera soumis à l’obligation d’immatriculation.
  • L’usufruit d’une universalité de droit
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit porte sur une masse de biens qui, de nature et d’origine diverses, et matériellement séparés, ne sont réunis par la pensée qu’en considération du fait qu’ils appartiennent à une même personne
    • Autrement dit, l’usufruit a ici pour objet un patrimoine ou une fraction de patrimoine.
    • Selon le cas, il sera qualifié d’usufruit à titre universel ou d’usufruit à titre particulier.
    • Cette forme d’usufruit se rencontre le plus souvent consécutivement à une dévolution successorale ou testamentaire.
    • Lorsqu’il porte sur un patrimoine, la portée de l’usufruit est radicalement différente de la situation où il a pour objet une universalité de fait.
    • En effet, l’assiette du droit de l’usufruitier est constituée par l’ensemble des biens qui composent le patrimoine et non par le patrimoine pris dans sa globalité.
    • La conséquence en est que, si l’usufruitier peut jouir des biens qui relèvent de l’assiette de son droit, il lui est fait interdiction d’en disposer, sauf à ce que, au nombre de ces biens, figurent des choses consomptibles auquel cas il sera autorisé à les restituer en valeur.

B) La durée de l’usufruit

Par nature, l’usufruit présente un caractère temporaire l’objectif recherché étant de permettre au nu-propriétaire de récupérer, à terme, les utilités de la chose, faute de quoi son droit de propriété serait vidé de sa substance et la circulation économique du bien paralysé.

Si, tous les usufruits présentent ce caractère temporaire, leur durée peut être, tantôt viagère, tantôt déterminée.

  1. L’usufruit à durée viagère

==> Principe

L’article 617, al. 1 prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la mort de l’usufruitier ». Le principe, c’est donc que l’usufruit est viager, ce qui implique qu’il prend fin au décès de l’usufruitier.

À cet égard, l’usufruit est attaché à la personne. Il en résulte qu’il n’est pas transmissible à cause de mort.

==> Tempéraments

Bien que l’interdiction qui est faite à l’usufruitier de transmettre son droit après sa mort soit une règle d’ordre public, elle comporte deux tempéraments

  • Premier tempérament : l’usufruit simultané
    • L’usufruit peut être constitué à la faveur de plusieurs personnes simultanément, ce qui revient à créer une indivision en usufruit.
    • Cette constitution d’usufruit est subordonnée à l’existence de tous les bénéficiaires au jour de l’établissement de l’acte.
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteint progressivement à mesure que les usufruitiers décèdent, tandis que le nu-propriétaire recouvre corrélativement la pleine propriété de son bien sur les quotes-parts ainsi libérées
    • Afin d’éviter que l’assiette de l’usufruit ne se réduise au gré des décès qui frappent les usufruitiers, il est possible de stipuler une clause dite de réversibilité.
    • Dans cette hypothèse, la quote-part de celui des usufruitiers qui est prédécédé accroît celle des autres, qui en bénéficient pour la totalité, jusqu’au décès du dernier d’entre eux.
    • Le dernier survivant a ainsi vocation à exercer un monopole sur l’usufruit du bien.
  • Second tempérament : l’usufruit successif
    • L’usufruit peut également être constitué sur plusieurs têtes, non pas simultanément, mais successivement.
    • Il s’agira autrement dit de stipuler une clause de réversibilité aux termes de laquelle au décès de l’usufruitier de « premier rang », une autre personne deviendra usufruitière en second rang.
    • Dans cette hypothèse, les usufruitiers n’exerceront pas de pouvoirs concurrents sur la chose : ils se succéderont, le décès de l’un, ouvrant le droit d’usufruit de l’autre.
    • Chacun jouira ainsi, tout à tour, de l’intégralité de l’usufruit constitué.
    • Selon M. Grimaldi nous ne sommes pas en présence « d’un unique usufruit qui passerait mortis causa d’un gratifié à l’autre» mais d’« usufruits successifs, distincts qui s’ouvriront tour à tour, chacun à l’extinction du précédent par la mort de son titulaire ».
    • La Cour de cassation a précisé que la clause de réversibilité de l’usufruit « s’analysait en une donation à terme de bien présent, le droit d’usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l’acte» ( 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-19759).
    • Il en résulte que seul l’exercice du droit d’usufruit est différé, non sa constitution, ce qui évite de tomber sous le coup de la prohibition des pactes sur succession future.

2. L’usufruit à durée déterminée

Il est deux situations où l’usufruit n’est pas viager : lorsque, d’une part, il est assorti d’un terme stipulé par le constituant et lorsque, d’autre part, il est constitué à la faveur d’une personne morale

==> L’usufruit est assorti d’un terme stipulé par le constituant

Il est admis que le constituant assortisse l’usufruit d’un terme déterminé. Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteindra :

  • Soit à l’expiration du terme fixé par l’acte constitutif
  • Soit au décès de l’usufruitier qui peut potentiellement intervenir avant le terme fixé

La seule limite à la liberté des parties quant à la fixation du terme de l’usufruit, c’est l’impossibilité de transmettre l’usufruit à cause de mort.

==> L’usufruit est constitué au profit d’une personne morale

Dans l’hypothèse où l’usufruitier est une personne morale, il est susceptible d’être perpétuel. En effet, une personne morale vit aussi longtemps que ses associés réalisent son objet social. Or ces derniers sont susceptibles de se succéder éternellement, par le jeu, soit des transmissions à cause de mort, soit des cessions de droits sociaux.

Aussi, afin que la règle impérative qui assortit l’usufruit d’un caractère temporaire s’applique également aux personnes morales, l’article 619 du Code civil que « l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans. »

Cette règle est d’ordre public, de sorte que la durée ainsi posée ne saurait être allongée. Dans un arrêt du 7 mars 2007, la Cour de cassation n’a pas manqué de le rappeler, en jugeant que « l’usufruit accordé à une personne morale ne peut excéder trente ans » (Cass. 7 mars 2007, n°06-12568).

§2 : La constitution de l’usufruit

A) Les modes de constitution de l’usufruit

L’article 579 du Code civil dispose que « l’usufruit est établi par la loi, ou par la volonté de l’homme. »

À ces deux modes de constitution de l’usufruit visés par le texte, on en ajoute classiquement un troisième : la prescription acquisitive.

  1. La loi

La loi prévoit plusieurs cas de constitution d’un usufruit sur un ou plusieurs biens :

  • L’usufruit légal du conjoint survivant sur un ou plusieurs biens du de cujus
  • Le droit de jouissance légale des parents sur les biens de leurs enfants mineurs
  • Le droit de l’époux bénéficiaire d’une prestation compensatoire

==> L’usufruit légal du conjoint survivant

La loi a toujours octroyé au conjoint survivant un droit d’usufruit sur les biens du de cujus, lorsque celui-ci est en concours avec des descendants ou des descendants.

Sous l’empire du droit antérieur, ce droit d’usufruit était limité à une quote-part des biens du prédécédé.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001, les droits du conjoint survivant ont été renforcés.

En effet, l’article 757 du Code civil dispose que « si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux. »

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que le conjoint survivant est ou non en présence d’enfants communs.

  • En présence d’enfants communs
    • Dans cette hypothèse, le conjoint survivant, il dispose d’une option :
      • Soit il peut réclamer un droit d’usufruit sur la totalité du patrimoine du de cujus
      • Soit il peut obtenir un quart en pleine propriété des biens de cujus
    • S’il opte pour l’usufruit, cette solution permet au conjoint survivant de se maintenir dans son cadre de vie habituel, sans préjudicier aux droits des héritiers du de cujus, en particulier des enfants.
  • En l’absence d’enfants communs
    • Le conjoint survivant ne disposera d’aucune option, il ne pourra revendiquer qu’un quart des biens du de cujus en pleine propriété.
    • Il s’agit ici d’éviter de préjudicier aux enfants qui ne seraient pas issus de cette union
    • Le droit d’option est également refusé au conjoint survivant s’il vient en concours avec les père et mère
    • L’article 757-1 du Code civil prévoit en ce sens que si, à défaut d’enfants ou de descendants, le défunt laisse ses père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié des biens.
    • L’autre moitié est alors dévolue pour un quart au père et pour un quart à la mère.
    • Quand le père ou la mère est prédécédé, la part qui lui serait revenue échoit au conjoint survivant.
    • Enfin, en l’absence d’enfants ou de descendants du défunt et de ses père et mère, le conjoint survivant recueille toute la succession ( 752-2 C. civ.)

==> Le droit de jouissance légale des parents

L’article 386-1 du Code civil confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.

Cette disposition prévoit en ce sens que « la jouissance légale est attachée à l’administration légale : elle appartient soit aux parents en commun, soit à celui d’entre eux qui a la charge de l’administration. »

La jouissance octroyée par la loi aux parents sur les biens de leurs enfants s’assimile à un véritable usufruit (V. en ce sens Cass. civ., 24 janv. 1900), précision faite que cet usufruit ne présente pas de caractère viager.

À cet égard, l’article 386-2 précise que le droit de jouissance cesse :

  • Soit dès que l’enfant a seize ans accomplis ou même plus tôt quand il contracte mariage ;
  • Soit par les causes qui mettent fin à l’autorité parentale ou par celles qui mettent fin à l’administration légale ;
  • Soit par les causes qui emportent l’extinction de tout usufruit.

L’article 386-3 ajoute que, les charges de cette jouissance sont :

  • Celles auxquelles sont tenus les usufruitiers ;
  • La nourriture, l’entretien et l’éducation de l’enfant, selon sa fortune ;
  • Les dettes grevant la succession recueillie par l’enfant en tant qu’elles auraient dû être acquittées sur les revenus.

En contrepartie, les parents perçoivent les fruits civils, naturels ou industriels que peuvent produire les biens de l’enfant (encaissement des loyers, des intérêts d’un compte rémunéré etc.).

Enfin, l’article 383-4 parachève le régime du droit de jouissance légale conféré aux parents en prévoyant que certains biens sont exclus de son périmètre, au nombre desquels figurent :

  • Les biens que l’enfant peut acquérir par son travail ;
  • Les biens qui lui sont donnés ou légués sous la condition expresse que les parents n’en jouiront pas ;
  • Les biens qu’il reçoit au titre de l’indemnisation d’un préjudice extrapatrimonial dont il a été victime.

==> L’époux bénéficiaire d’une prestation compensatoire

Aux termes de l’article 270, al. 2 du Code civil « l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives. »

Ainsi, dans le cadre des mesures qui accompagnent un divorce,

Le juge peut octroyer une prestation compensatoire à un époux, laquelle vise à compenser la disparité que la rupture du mariage créée dans les conditions de vie respectives des époux.

Le principe posé par la loi est que cette prestation compensatoire doit être octroyée sous forme de capital

L’article 270, al. 2 prévoit en ce sens que la prestation compensatoire « a un caractère forfaitaire. Elle prend la forme d’un capital dont le montant est fixé par le juge »

Pour que le principe de versement d’une prestation compensatoire sous forme de capital puisse être appliqué efficacement, le législateur a prévu d’encourager le versement en numéraire tout en diversifiant les formes de paiement de ce capital, notamment en autorisant l’abandon d’un bien en pleine propriété.

À cet égard, l’article 274 du Code civil prévoit que le juge décide des modalités selon lesquelles s’exécutera la prestation compensatoire en capital parmi les formes suivantes:

  • Soit versement d’une somme d’argent, le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution des garanties prévues à l’article 277 ;
  • Soit attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit, le jugement opérant cession forcée en faveur du créancier.

Cette disposition a été adoptée afin de diversifier les formes d’attribution d’un capital et de permettre au débiteur qui ne dispose pas de liquidités suffisantes d’abandonner ses droits en propriété sur un bien mobilier ou immobilier propre, commun ou indivis.

Il peut également préférer céder à son conjoint un droit d’usufruit sur le logement de famille pendant une durée qui peut être soit temporaire, soit viagère.

En tout état de cause, il appartiendra au juge, qui a l’obligation de fixer le montant de la prestation compensatoire en capital, de procéder à une évaluation de l’usufruit.

La Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette règle dans un arrêt du 22 mars 2005 aux termes duquel elle a affirmé que « lorsque le juge alloue une prestation compensatoire sous forme d’un capital il doit quelles qu’en soient les modalités en fixer le montant » (Cass. 1ère civ. 22 mars 2005, n°02-18648).

2. La volonté de l’homme

En application de l’article 579 du Code civil, l’usufruit peut être établi, nous dit le texte, « par la volonté de l’homme ».

Par volonté de l’homme, il faut entendre, tout autant l’accomplissement d’un acte unilatéral, que la conclusion d’une convention.

  • L’usufruit par acte unilatéral
    • Cette hypothèse correspond à l’établissement par le propriétaire d’un testament aux termes duquel il gratifie un ou plusieurs bénéficiaires d’un droit d’usufruit sur un bien ou sur tout ou partie de son patrimoine
    • Il peut ainsi consentir un usufruit à un légataire désigné et réserver la nue-propriété à ses héritiers ab intestat (légaux)
    • En la matière, le disposant dispose d’une relativement grande liberté sous réserve de ne pas porter atteinte à la réserve héréditaire.
    • Pour mémoire, cette réserve héréditaire consiste en « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent. » ( 912 C. civ.)
    • Il s’agit, autrement dit, de la portion de biens dont le défunt ne peut pas disposer à sa guise, la réserve héréditaire présentant un caractère d’ordre public ( req., 26 juin 1882).
    • Ainsi, la réserve s’impose-t-elle impérativement au testateur qui ne pourra déroger aux règles de dévolution légale qu’en ce qui concerne ce que l’on appelle la quotité disponible.
    • C’est sur cette quotité disponible que le disposant aura toute liberté pour constituer un ou plusieurs usufruits
  • L’usufruit par acte conventionnel
    • Le propriétaire est libre de constituer un usufruit par convention à titre gratuit (donation) ou onéreux (cession)
    • L’usufruit peut alors être constitué selon deux schémas différents
      • Constitution de l’usufruit per translationem
        • Dans cette hypothèse, le propriétaire aliène directement l’usufruit (usus et fructus) en conservant la nue-propriété (abusus)
      • Constitution de l’usufruit per deductionem
        • Dans cette hypothèse, le propriétaire se réserve l’usufruit, tandis qu’il aliène la nue-propriété
    • Le plus souvent l’usufruit sera constitué selon le second schéma, l’objectif recherché étant, par exemple, pour des parents, de consentir à leurs enfants une donation de leur vivant, tout en conservant la jouissance du bien transmis.
    • La constitution d’un usufruit par convention n’est subordonnée à l’observation d’aucunes particulières, sinon celles qui régissent la validité des actes juridiques et la publicité foncière lorsque l’usufruit est constitué sur un immeuble.
    • Reste qu’il convient de distinguer selon que la constitution procède d’une donation ou d’une cession
      • La constitution d’usufruit à titre gratuit
        • Dans cette hypothèse, la constitution procédera d’une donation, ce qui implique qu’elle doit, d’une part, faire l’objet d’une régularisation par acte authentique, et, d’autre part, satisfaire aux règles du droit des successions.
        • En effet, en cas de donation excessive, la constitution d’usufruit pourra donner lieu à des restitutions successorales, notamment au titre de la réserve héréditaire à laquelle il serait porté atteinte ou au titre de l’égalité qui préside au partage de cette réserve héréditaire
      • La constitution d’usufruit à titre onéreux
        • Le propriétaire est libre de constituer un usufruit par voie de convention conclue à titre onéreux
        • L’hypothèse est néanmoins rare, dans la mesure où la constitution d’un usufruit par convention vise le plus souvent à organiser la transmission d’un patrimoine familial.
        • Reste que lorsque l’usufruit est constitué à titre onéreux, la contrepartie consistera pour l’acquéreur à verser, tantôt un capital, tantôt une rente viagère.
        • Par hypothèse, l’opération n’est pas sans comporter un aspect spéculatif, en raison du caractère viager de l’usufruit.
        • Aussi, pourrait-elle être requalifiée en donation déguisée dans l’hypothèse où le prix fixé serait déraisonnablement bas, l’objectif recherché étant, pour les parties, d’échapper au paiement des droits de mutation.

3. La prescription acquisitive

Bien que prévu par aucun texte, il est admis que l’usufruit puisse être acquis par le jeu de la prescription acquisitive attachée à la possession.

L’article 2258 du Code civil définit cette prescription comme « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

La prescription acquisitive aura vocation à jouer lorsque celui qui tire profit de la jouissance de la chose se comportera comme le véritable usufruitier.

Tel sera notamment le cas, lorsqu’il aura acquis l’usufruit, en vertu d’un titre, auprès d’une personne qui n’était pas le véritable propriétaire du bien. Le possesseur aura ainsi été institué usufruitier a non domino.

S’agissant de la durée de la prescription acquisitive, elle dépend de la nature du bien objet de la possession.

  • S’il s’agit d’un immeuble, la prescription pourra être de 10 ans en cas de bonne foi du possesseur et de justification d’un juste titre. À défaut, la durée de la prescription acquisitive est portée à trente ans.
  • S’il s’agit d’un meuble, l’effet acquisitif de la possession est immédiat, sauf à ce que le possesseur soit de mauvaise foi auquel cas la durée de la prescription sera de trente ans.

B) Les formalités de constitution de l’usufruit

Avant d’entrer en jouissance, l’usufruitier a l’obligation de faire dresser un inventaire des choses sur lesquels il a vocation à exercer son droit. Il doit, en outre, fournir caution de jouir raisonnablement de la chose.

Ces formalités qui s’imposent à l’usufruitier visent à préserver les droits et intérêts du nu-propriétaire qui se dessaisit temporairement de son bien.

Ainsi que l’observait le doyen Carbonnier au sujet du nu-propriétaire et de l’usufruitier « ce ne sont pas seulement deux droits réels, ce sont deux individus qui sont rivaux », de sorte que « l’usufruitier a intérêt à exploiter le plus possible, au risque d’épuiser la substance ».

À cet égard, parce que c’est l’usufruitier qui possède la maîtrise matérielle de la chose, celle échappant totalement au contrôle du nu-propriétaire, il y a lieu de prévenir les manquements qui seraient de nature à altérer sa substance et diminuer sa valeur.

Les obligations qui échoient à l’usufruitier participent ainsi du dispositif qui vise à protéger le nu-propriétaire qui, à l’expiration de l’usufruit, a vocation à recouvrer la pleine propriété de son bien.

  1. L’inventaire

a) L’obligation d’inventaire

==> Principe

L’article 600 du Code civil dispose que « l’usufruitier prend les choses dans l’état où elles sont, mais il ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser, en présence du propriétaire, ou lui dûment appelé, un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit. »

Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition : d’une part, lors de son entrée en jouissance, l’usufruitier prend les choses en l’état, d’autre part, il lui appartient d’en dresser un inventaire.

  • L’état des choses sur lesquelles s’exerce l’usufruit
    • L’article 600 du Code civil précise donc que l’usufruitier prend les choses « dans l’état où elles sont» lors de son entrée en jouissance
    • Cette précision n’est pas sans importance : cela signifie qu’il n’est pas nécessaire que la chose soit en bon état d’usage et de réparation ainsi que peut l’exiger un locataire au titre du contrat de bail
    • Obligation est seulement faite au nu-propriétaire de délivrer la chose dans l’état où elle se trouve et à l’usufruitier de la restituer dans le même état à l’expiration de son droit.
    • À cet égard, l’inventaire permettra de procéder à une évaluation de l’état des biens au moment de l’entrée en jouissance.
    • Lors de la restitution de la chose au nu-propriétaire il permettra encore de déterminer s’il y a lieu de la remettre en état aux frais de l’usufruitier.
  • L’inventaire des choses sur lesquelles s’exerce l’usufruit
    • L’article 600 exige que préalablement à l’entrée en jouissance un inventaire soit dressé des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit
    • Cet inventaire vise ;
      • D’une part, à répertorier les biens qui formeront l’assiette de l’usufruit et qui ont été délivrés à l’usufruitier
      • D’autre part, à évaluer l’état de ces biens en vue de prévenir toute contestation lors de leur restitution au nu-propriétaire
    • Il s’agit, autrement dit, lors de l’inventaire de fixer, non seulement la consistance des biens donnés en usufruit, mais encore leur état qui devra être conservé, aux frais de l’usufruitier, pendant toute la durée de la jouissance.
    • Dans un arrêt du 11 février 1959 la Cour de cassation a précisé « que, si aucun inventaire n’a été dressé à cette époque, il appartenait aux propriétaires de le requérir, puisque c’est dans leur intérêt, pour assurer la restitution des biens à la fin de l’usufruit, que l’article 600 du Code civil, l’impose aux usufruitiers» ( 1ère civ. 11 févr. 1959)

==> Exceptions

La règle qui prévoit l’obligation de dresser un inventaire n’est que supplétive, de sorte qu’il peut y être dérogé par clause contraire.

Le principal intérêt de stipuler pareille clause est de dispenser l’usufruitier d’accomplir cette démarche qui peut s’avérer fastidieuse et lourde et de supporter la charge des frais d’inventaire qui peuvent être élevés.

Dans un arrêt du 23 juillet 1957, la Cour de cassation a validé une clause de dispense d’inventaire qui avait été stipulée dans un testament après avoir relevé que « la dame Perrai avait, dans le libellé même de l’acte, attaché une importance spéciale à la dispense d’inventaire, constatent que, en l’espèce, les opérations auxquelles devra se livrer le notaire liquidateur doivent suffire à établir la consistance active et passive de la succession ; qu’ils observent également que chacune des parties propose un notaire pour y procéder et que le jugement entrepris… décide que les deux notaires ainsi désignés y procéderont ».

Elle en déduit que « au vu de ces constatations, qu’il était inutile d’ordonner, en outre, la confection de l’inventaire, sollicité par les époux Descotes, l’arrêt attaqué a légalement justifié sa décision » (Cass. 1ère civ. 23 juill. 1957).

Certains arrêts ont même admis que la clause de dispense d’inventaire pouvait être implicite. Tel sera notamment le cas lorsque l’usufruitier sera dispensé par le constituant d’assumer la charge des travaux de réparation et d’entretien du bien donné en usufruit (V. en ce sens Cass. 3e civ., 17 oct. 1984).

==> Exceptions à l’exception

La clause de dispense d’inventaire ne peut être stipulée qu’autant que la loi n’exige pas ce formalisme à peine de nullité.

Aussi, cette clause est-elle expressément prohibée dans deux cas :

  • Libéralités entre époux en présence d’enfants
    • L’article 1094-3 du Code civil dispose que « les enfants ou descendants pourront, nonobstant toute stipulation contraire du disposant, exiger, quant aux biens soumis à l’usufruit, qu’il soit dressé inventaire des meubles ainsi qu’état des immeubles, qu’il soit fait emploi des sommes et que les titres au porteur soient, au choix de l’usufruitier, convertis en titres nominatifs ou déposés chez un dépositaire agréé.»
    • Ainsi, cette disposition octroie-t-elle le droit pour les enfants d’exiger en cas de legs de l’usufruit au conjoint survivant, qu’un inventaire soit dressé.
    • L’objectif visé est ici de protéger les héritiers ab intestat des manquements susceptibles d’être commis par le légataire de l’usufruit.
    • Reste que lorsque la libéralité prendra la forme, non pas d’une donation, mais d’un don manuel, l’exigence d’inventaire ne sera pas observée, l’opération consistant seulement en une remise par tradition de la chose, soit de main à la main
  • Donation de biens meubles
    • L’article 948 du Code civil prévoit que « tout acte de donation d’effets mobiliers ne sera valable que pour les effets dont un état estimatif, signé du donateur et du donataire, ou de ceux qui acceptent pour lui, aura été annexé à la minute de la donation.»
    • Dès lors qu’une donation consiste en la transmission d’un bien meuble, le donataire a l’obligation de faire dresser un inventaire, nonobstant toute clause contraire.
    • S’agissant des immeubles, ils ne sont pas visés par cette disposition dans la constitution d’un usufruit sur cette catégorie de biens est subordonnée à la régularisation d’un acte authentique.
    • Un état descriptif de l’immeuble sera donc nécessairement mentionné dans l’acte notarié constitutif d’usufruit

b) Les modalités de l’inventaire

  • Quand ?
    • L’article 600 du Code civil prévoit que l’inventaire doit être dressé préalablement à l’entrée en jouissance du ou des biens sur lequel l’usufruit est constitué
    • Est-ce à dire que lorsque l’usufruitier est déjà entré en jouissance, il est trop tard pour faire dresser un inventaire ?
    • À l’analyse, les juridictions admettent que l’inventaire puisse être dressé ultérieurement lorsque les circonstances l’exigent.
    • Par ailleurs, il est admis qu’un inventaire complémentaire soit réalisé lorsque le premier inventaire était lacunaire.
    • Le nu-propriétaire peut encore saisir le juge aux fins de faire réaliser un second inventaire, lequel visera à vérifier que les biens sujets à l’usufruit ont bien été conservés par l’usufruitier
  • Comment ?
    • Aucun formalisme n’est exigé quant à la réalisation de l’inventaire
    • Il peut donc être réalisé, tant par acte sous seing privé, que par acte authentique
    • Lorsque le nu-propriétaire et l’usufruitier sont en conflit, le juge pourra être saisi aux fins de désignation d’un officier ministériel qui sera chargé de réaliser l’inventaire
    • En tout état de cause, l’inventaire consistera à répertorier les biens et à évaluer leur état
    • Il pourra être assorti d’un état estimatif, bien que cette démarche soit facultative (V. en ce sens 1ère civ., 4 juin 2009, n° 08-11985).
  • En présence de qui ?
    • L’article 600 du Code civil prévoit expressément que l’usufruitier et le nu-propriétaire doivent être « dûment appelé» à se joindre aux opérations d’inventaire
    • Cet inventaire doit être dressé contradictoirement, faute de quoi il ne sera pas opposable à celui qui était absent
    • Si néanmoins le nu-propriétaire ou l’usufruitier n’étaient pas présents lors de la réalisation des opérations d’inventaire, alors même qu’ils ont été régulièrement convoqués par acte d’huissier par exemple, l’inventaire leur sera parfaitement opposable
  • Frais
    • Les frais d’inventaire sont à la charge exclusive de l’usufruitier, sauf à ce que l’usufruitier soit dispensé de dresser un inventaire
    • En cas de dispense, dans l’hypothèse ou le nu-propriétaire solliciterait la réalisation d’un inventaire, c’est à lui-seul que reviendra la charge de supporter les frais

c) La sanction du défaut d’inventaire

En l’absence de texte, le défaut d’inventaire ne saurait entraîner la déchéance du droit de l’usufruitier.

Dans un arrêt du 13 octobre 1992, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le défaut d’inventaire ne prive pas M. Z… de ses droits d’usufruitier, mais autorise simplement les nus-propriétaires à prouver par tous moyens la consistance des objets soumis à usufruit » (Cass. 1ère civ. 13 oct. 1992, n°91-10.970).

Tout au plus, le nu-propriétaire peut donc, soit provoquer la réalisation d’un inventaire en saisissant le juge (V. en ce sens Cass. civ. 10 janv. 1859).

Soit il peut encore refuser d’exécuter son obligation de délivrance du bien à l’usufruitier. Ce droit de rétention dont est titulaire le nu-propriétaire s’infère de l’article 600 du Code civil qui prévoit que l’usufruitier « ne peut entrer en jouissance qu’après avoir fait dresser […] un inventaire des meubles et un état des immeubles sujets à l’usufruit ».

Dans cette hypothèse, l’usufruitier conserve néanmoins son droit de percevoir les fruits des biens non encore délivrés par le nu-propriétaire. Ils devront donc être restitués à l’usufruitier une fois les opérations d’inventaire réalisées.

2. La caution

a) L’obligation de fournir une caution

==> Principe

L’article 601 du Code civil dispose que l’usufruitier « donne caution de jouir en bon père de famille, s’il n’en est dispensé par l’acte constitutif de l’usufruit ; cependant les père et mère ayant l’usufruit légal du bien de leurs enfants, le vendeur ou le donateur, sous réserve d’usufruit, ne sont pas tenus de donner caution. »

Cette disposition prescrit ainsi l’obligation pour l’usufruitier de fournir une caution au nu-propriétaire.

Cette obligation vise à garantir le paiement de dommages et intérêts dont l’usufruitier pourrait devenir redevable en cas de manquement à ses obligations de conservation et d’entretien de la chose soumise à l’usufruit.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les garanties qui satisfont à l’exigence posée à l’article 601 du Code civil.

==> Nature de la garantie

Il ressort du texte que la fourniture d’une caution simple suffit. Celui-ci n’exige nullement qu’une solidarité soit stipulée entre l’usufruitier et le garant.

Parce que la garantie requise par l’article 601 consiste en un cautionnement, il s’agira pour l’usufruitier d’obtenir d’un tiers qu’il s’engage envers le nu-propriétaire à garantir les dettes qui pourraient naître de ses rapports avec ce dernier.

À cet égard, l’article 2295 du Code civil prévoit que « le débiteur obligé à fournir une caution doit en présenter une qui ait la capacité de contracter et qui ait un bien suffisant pour répondre de l’objet de l’obligation. »

L’article 2296 précise que « la solvabilité d’une caution ne s’estime qu’eu égard à ses propriétés foncières, excepté en matière de commerce, ou lorsque la dette est modique. » et de poursuivre « on n’a point égard aux immeubles litigieux, ou dont la discussion deviendrait trop difficile par l’éloignement de leur situation »

==> Substitution de garantie

Dans l’hypothèse où l’usufruitier ne parviendrait pas à obtenir le cautionnement d’un tiers, il n’aura d’autre choix que de consentir au nu-propriétaire une hypothèque sur ses immeubles ou de donner en gage des biens mobiliers.

Le nu-propriétaire ne pourra pas refuser à l’usufruitier cette substitution de garantie, l’article 2318 du Code civil prévoyant expressément que « celui qui ne peut pas trouver une caution est reçu à donner à sa place un gage en nantissement suffisant. »

==> Exceptions

L’article 601 du Code civil prévoit que l’usufruit peut être dispensé de fournir une caution au nu-propriétaire.

Cette dispense procède tantôt de la loi, tantôt de la volonté du constituant :

  • Dispenses légales
    • La loi dispense, dans deux cas, l’usufruitier de fournir une caution au nu-propriétaire
      • Dispense des pères et mère ayant l’usufruit légal du bien de leurs enfants
        • L’article 386-1 du Code civil confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.
        • Cette disposition prévoit en ce sens que « la jouissance légale est attachée à l’administration légale : elle appartient soit aux parents en commun, soit à celui d’entre eux qui a la charge de l’administration.»
        • La jouissance octroyée par la loi aux parents sur les biens de leurs enfants s’assimile à un véritable usufruit (V. en ce sens civ., 24 janv. 1900), précision faite que cet usufruit ne présente pas de caractère viager.
        • Surtout, l’article 601 dispense les parents de fournir caution à leurs enfants en garantie de la préservation de leurs droits.
        • Cette dispense procède de la nature des liens particuliers et étroits qui existent entre ces derniers
        • On présume que les parents sont animés des meilleures intentions quant à l’administration des biens de leurs enfants et que, par conséquent, ils s’emploieront à accomplir toutes les diligences utiles pour en assurer la conservation
      • Dispense du vendeur ou du donateur, sous réserve d’usufruit
        • Lorsque le donateur ou le vendeur d’une chose se réserve sur cette chose l’usufruit, l’article 601 le dispense de fournir au donataire ou à l’acquéreur une caution.
        • La raison en est que l’on présume que cette dispense procède de la volonté des parties.
        • Il est, en effet, peu probable que celui qui aliène la nue-propriété de son bien souhaite, en outre, être assujetti à l’obligation de fournir caution, en particulier s’il s’agit d’une donation.
        • Tel ne sera, en revanche, pas le cas dans l’hypothèse inverse, soit lorsque le donateur ou le vendeur aliène, non pas la nue-propriété de son bien, mais l’usufruit.
        • En pareil cas, l’exigence de fourniture d’une caution sera maintenue, sauf à ce qu’il en soit décidé autrement par les parties à l’acte.
  • Dispenses volontaires
    • L’article 601 du Code civil prévoit expressément la possibilité pour le constituant de dispenser, par sa seule volonté, l’usufruitier de fournir une caution.
    • À cet égard, cette dispense sera fréquemment stipulée dans les testaments et donation, l’auteur de la libéralité ne souhaitant pas faire peser une charge trop importante sur la tête du bénéficiaire.
    • Très tôt, la jurisprudence a, par ailleurs, admis qu’une telle dispense puisse être accordée à l’usufruitier, alors même que le bien grevé relèverait de bien relevant, pour la nue-propriété, de la réserve héréditaire des descendants ou des ascendants (V. en ce sens civ. 5 juill. 1876).
    • Tel sera notamment le cas lorsqu’une libéralité sera consentie au conjoint survivant.
    • S’agissant de la forme de la dispense, elle peut être expresse ou tacite, le juge ayant alors pour tâche rechercher si la volonté du constituant résulte clairement de l’acte constitutif d’usufruit
    • Dans un arrêt du 4 décembre 1958, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la dispense accordée par le testateur au légataire d’un usufruit de fournir caution peut être implicite et s’induire des dispositions testamentaires» ( 1ère civ. 4 déc. 1958)

Lorsque la dispense consentie à l’usufruitier est régulière, le nu-propriétaire a l’obligation de lui délivrer le ou les biens soumis à l’usufruit.

Aussi, l’usufruitier doit pouvoir exercer son droit comme s’il avait fourni la caution exigée par l’article 601. Il est libre de jouir du bien, sans qu’aucune restriction ne puisse lui être imposée par le nu-propriétaire.

À cet égard, ce dernier ne saurait solliciter l’adoption de mesures conservatoires, au seul motif qu’il a un doute sur la capacité de l’usufruitier à apporter tous les soins requis à la chose.

Ces éléments ne sont pas suffisants pour justifier l’intervention du juge qui ne pourra prononcer des mesures conservatoires que s’il existe un risque sérieux d’atteinte aux droits et intérêts du nu-propriétaire.

==> Exceptions à l’exception

Il est de jurisprudence constante que lorsqu’il est établi que l’usufruitier met en péril, par ses actes ou par un changement survenu dans sa situation personnelle, les droits du nu-propriétaire, l’adoption de mesures conservatoires peut être ordonnée par le juge (V. en ce sens Cass. civ. 7 déc. 1891).

Tel sera notamment le cas en cas d’abus de jouissance de l’usufruitier, soit lorsqu’il accomplira des actes qui seront de nature à mettre en péril la consistance des biens soumis à l’usufruit ou lorsqu’il les laissera dépérir faute d’entretien (V. en ce sens Cass. req. 26 mars 1889).

L’abus de jouissance peut d’ailleurs conduire le juge, en application de l’article 618 du Code civil, à prononcer la déchéance de l’usufruit.

La solution est extrême, c’est la raison pour laquelle il privilégiera, d’abord, l’adoption de mesures visant à assurer la conservation du bien.

Ces mesures, ne seront pas seulement justifiées en cas d’abus de jouissance. Il a également été admis qu’elles puissent être prononcées en cas d’incapacité de l’usufruitier à gérer ses biens, en cas d’insolvabilité (Cass. req. 22 oct. 1889) ou en cas de soupçons légitimes de malversations (Cass. req. 21 janv. 1845).

Lorsque, pareillement, si les garanties qu’il a fournies lors de la constitution de l’usufruit diminuent, le juge pourra être saisi aux fins de préservation des intérêts du nu-propriétaire.

b) La sanction du défaut de caution

À l’instar du défaut d’inventaire, l’impossibilité pour l’usufruitier de fournir une caution ou des garanties de substitution suffisantes n’est pas sanctionnée par la déchéance de l’usufruit, faute de texte.

Il est néanmoins admis que le nu-propriétaire dispose d’un droit de rétention sur le bien soumis à usufruit droit qu’il pourra exercer tant que la caution requise par l’article 601 du Code civil ne lui sera pas fournie.

L’article 604 précise que, en tout état de cause, « le retard de donner caution ne prive pas l’usufruitier des fruits auxquels il peut avoir droit ; ils lui sont dus du moment où l’usufruit a été ouvert. »

Ainsi, le nu-propriétaire aura l’obligation de restituer à l’usufruitier l’ensemble des fruits perçus lorsqu’il aura régularisé sa situation.

Faute, malgré tout, pour l’usufruitier d’être en mesure de fournir une caution, les articles 602 et 603 du Code civil envisagent l’adoption de mesures différentes, selon que les biens soumis à l’usufruit sont des immeubles ou des meubles :

  • L’usufruit porte sur des biens meubles
    • Dans cette hypothèse, L’article 602 prévoit que, si l’usufruitier ne trouve pas de caution « les immeubles sont donnés à ferme ou mis en séquestre»
    • Il s’agira, autrement dit, de confier les immeubles à un gardien dont la mission consistera à les administrer
    • Aussi, aura-t-il l’obligation d’apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.
  • L’usufruit porte sur des biens meubles
    • Dans cette hypothèse, l’article 602 du Code civil prévoit que si l’usufruitier ne trouve pas de caution
      • Les sommes comprises dans l’usufruit sont placées ;
      • Les denrées sont vendues et le prix en provenant est pareillement placé ;
      • Les intérêts de ces sommes et les prix des fermes appartiennent, dans ce cas, à l’usufruitier.
    • L’article 603 ajoute que « le propriétaire peut exiger que les meubles qui dépérissent par l’usage soient vendus, pour le prix en être placé comme celui des denrées ; et alors l’usufruitier jouit de l’intérêt pendant son usufruit
    • L’idée est ici de prendre toutes les mesures nécessaires à la préservation de la valeur des biens soumis à l’usufruit.
    • Lorsque, de la sorte, il s’agira de denrées ou de choses qui dépérissent par l’usage il y aura lieu de les vendre et de placer le produit de la vente, sauf à ce que le nu-propriétaire s’y oppose, ce qui est son droit, charge à lui de les conserver en tant que dépositaire, ce lui interdit de s’en servir.
    • Le même sort sera réservé aux sommes d’argent, l’objectif recherché étant de leur faire produire des intérêts.
    • Seule limite à l’absence de délivrance du bien soumis à l’usufruit en cas de défaut de caution, l’article 603 du Code civil prévoit que « l’usufruitier pourra demander, et les juges pourront ordonner, suivant les circonstances, qu’une partie des meubles nécessaires pour son usage lui soit délaissée, sous sa simple caution juratoire, et à la charge de les représenter à l’extinction de l’usufruit. »
    • Par caution juratoire, il faut entendre le serment qui doit être prêté par l’usufruitier de restituer les biens dont il conserve la jouissance, nonobstant le défaut de caution, au nu-propriétaire à l’expiration de son droit.

§3 : Les effets de l’usufruit

L’usufruit confère à son titulaire un droit réel. L’exercice de ce droit n’est, toutefois, pas sans contrepartie.

Un certain nombre d’obligations sont mises à la charge de l’usufruitier la principale d’entre elles étant la restitution du bien dans le même état que celui où il se trouvait au moment de l’entrée en jouissance.

De son côté, le nu-propriétaire exerce également un droit réel sur la chose. Ce droit, dont l’assiette est pendant toute la durée de l’usufruit pour le moins restreinte, a, au fond, pour intérêt majeur de garantir au nu-propriétaire le recouvrement de la pleine propriété de la chose à l’expiration de l’usufruit.

À cet effet, le nu-propriétaire a pour principale obligation de ne pas nuire à l’usufruitier dans sa jouissance de la chose.

À l’analyse, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

François Terré et Philippe Simler ont écrit en ce sens que « le Code civil a conçu l’usufruit et la nue-propriété comme deux droits réels, coexistant sur la chose et juxtaposés, mais séparés : il n’y a pas communauté, mais bien séparation d’intérêts entre l’usufruitier et le nu-propriétaire ».

Il n’y a donc, entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Les seules limites à l’exercice indépendant de ces droits réels dont ils sont titulaires sont celles posées par la loi, laquelle met à la charge de l’usufruitier plusieurs obligations propter rem (art. 600 à 615 C. civ.).

I) La situation de l’usufruitier

A) Les droits de l’usufruitier

La constitution d’un usufruit sur une chose opère un démembrement du droit de propriété : tandis que le nu-propriétaire conserve l’abusus, l’usufruitier recueille l’usus et le fructus.

Au vrai, cette répartition des prérogatives entre ces deux titulaires de droits réels n’est pas tout à fait exacte, en ce sens que le démembrement du droit de propriété n’est pas une opération à somme nulle.

En toute logique, la somme des démembrements du droit de propriété devrait être égale au tout que constitue la pleine propriété, soit rassemblée dans tous ses attributs.

Tel n’est pourtant pas le cas. Il suffit pour s’en convaincre d’observer que le démembrement du droit de propriété entre un usufruitier et un nu-propriétaire ne permet, ni à l’un, ni à l’autre de détruire le bien, alors même qu’il s’agit d’une prérogative dont est investi le plein propriétaire.

Ce constat a conduit des auteurs à relever que « quantitativement, l’usufruitier a moins de pouvoir que le propriétaire n’en perd… ; quant au nu-propriétaire, il a moins de pouvoir que ce qu’il aurait si son droit était ce qu’il reste de la propriété après ablation de l’usus et du fructus »[1].

En tout état de cause, il peut être relevé que l’usufruitier est titulaire de deux sortes de droits

  • Les droits qui s’exercent sur la chose
  • Les droits qui s’exercent sur l’usufruit
  1. Les droits qui s’exercent sur la chose

Les droits dont est titulaire l’usufruitier sur la chose procèdent de l’usus et du fructus que lui confère l’usufruit.

a) Le droit d’user de la chose : l’usus

==> Principes généraux

Parce qu’il est titulaire de l’usus, l’usufruitier est investi du pouvoir de faire usage de la chose en exerçant sur elle une emprise matérielle.

Le Doyen Carbonnier définissait l’usus comme « cette sorte de jouissance qui consiste à retirer personnellement – individuellement ou par sa famille – l’utilité ou le plaisir que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non exploitée (habiter sa maison, porter ses bijoux, c’est en user) ».

À cet égard, le droit d’user de la chose confère à son titulaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.

À cet égard l’article 597 du Code civil précise, s’agissant de l’usufruitier, qu’« il jouit des droits de servitude, de passage, et généralement de tous les droits dont le propriétaire peut jouir, et il en jouit comme le propriétaire lui-même. »

L’usufruitier peut ainsi :

  • Utiliser la chose pour ses besoins personnels et pour autrui (habiter une maison, utiliser une voiture
  • Donner la chose à bail
  • Exploiter la chose (cultiver des terres, exploiter un fonds de commerce ou le donner en location-gérance etc..)
  • Consommer les choses consomptibles, à charge de les restituer par équivalent ou en valeur à l’expiration de l’usufruit
  • Construire un ouvrage dès lors que cela n’affecte pas de manière irréversiblement la substance de la chose

L’article 589 du Code civil précise que si l’usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l’usage, comme du linge, des meubles meublants, l’usufruitier a le droit de s’en servir pour l’usage auquel elles sont destinées, et n’est obligé de les rendre à la fin de l’usufruit que dans l’état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute.

Cela signifie donc que, pour les choses qui se détériorent par l’usage, l’usufruitier ne devra aucune indemnité au nu-propriétaire lors de la restitution du bien, dès lors qu’il en aura fait un usage normal.

Lorsque, en revanche, l’usage qu’il en fait est inapproprié et est de nature à précipiter la détérioration de la chose, l’usufruitier engagera sa responsabilité.

Il est encore fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.

Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.

Par exemple, il lui est interdit de transformer un immeuble à usage d’habitation en local qui abriterait une activité commerciale.

Dans un arrêt du 4 juin 1975 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destines à un autre usage constitue en elle-même une altération de la substance de la chose soumise à usufruit et peut caractériser un abus de jouissance de nature à entraîner la déchéance de l’usufruit » (Cass. 3e civ. 4 juin 1975, n°74-10777).

==> Cas particulier de la conclusion de baux

 L’article 595, al. 1er du Code civil prévoit que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. »

Ainsi, l’usufruitier est-il autorisé, par principe, à donner la chose soumise à l’usufruit à bail.

Toutefois, la conclusion de certains baux s’apparente parfois à un véritable acte de disposition. Tel est le cas de la régularisation d’un bail commercial ou encore d’un bail rural

Aussi, afin qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits du nu-propriétaire qui, en présence d’un tel bail, serait contraint d’en supporter la charge à l’extinction de l’usufruit, le législateur a encadré l’opposabilité des actes accomplis en la matière par l’usufruitier.

  • S’agissant des baux conclus pour une durée égale ou inférieure à neuf ans
    • Le principe posé par l’article 595 du Code civil, c’est que l’usufruitier pour conclure seul ce type de baux, de sorte qu’ils sont parfaitement opposables au nu-propriétaire.
    • Ils auront donc vocation à se poursuivre à l’expiration de l’usufruit sans que le nu-propriétaire puisse s’y opposer.
    • L’alinéa 3 de l’article 595 a néanmoins apporté un tempérament à cette règle en prévoyant que « les baux de neuf ans ou au-dessous que l’usufruitier seul a passés ou renouvelés plus de trois ans avant l’expiration du bail courant s’il s’agit de biens ruraux, et plus de deux ans avant la même époque s’il s’agit de maisons, sont sans effet, à moins que leur exécution n’ait commencé avant la cessation de l’usufruit.».
    • L’objectif visé par cette règle est de limiter les conséquences d’un renouvellement de bail par anticipation.
    • Ainsi, selon qu’il s’agit d’un bail rural ou d’un autre type de bail, le renouvellement du bail ne pourra intervenir que trois ans ou deux avant l’expiration du bail en cours
  • S’agissant des baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans
    • Il ressort de l’article 595 du Code civil que lorsque le bail est conclu pour une durée supérieure à 9 ans, il est inopposable au nu-propriétaire.
    • L’alinéa 2e de cette disposition prévoit en ce sens que « les baux que l’usufruitier seul a faits pour un temps qui excède neuf ans ne sont, en cas de cessation de l’usufruit, obligatoires à l’égard du nu-propriétaire que pour le temps qui reste à courir, soit de la première période de neuf ans, si les parties s’y trouvent encore, soit de la seconde, et ainsi de suite de manière que le preneur n’ait que le droit d’achever la jouissance de la période de neuf ans où il se trouve»
  • S’agissant des baux portant sur un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal
    • L’article 595, al. 4 dispose que « l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. À défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte. »
    • Pour les baux visés par cette disposition, l’usufruitier est donc contraint d’obtenir l’accord du nu-propriétaire.
    • Cet accord n’est toutefois pas indispensable, dans la mesure où le texte ouvre une action à l’usufruitier qui peut solliciter le juge aux fins de l’autoriser à conclure le bail.
    • Elle lui sera accordée lorsqu’il s’avère que le refus du nu-propriétaire est seulement animé par l’intention de nuire ou qu’elle ne repose sur aucune raison valable.
    • En cas d’absence d’autorisation du nu-propriétaire ou du juge, la sanction encourue c’est la nullité du bail et non l’inopposabilité (V. en ce sens 3e civ., 26 janv. 1972).
    • Dans un arrêt du 16 décembre 1987, la Cour de cassation a précisé que « l’exercice de l’action en nullité découlant de l’article 595 du Code civil n’est pas subordonné à la cessation de l’usufruit?» ( 3e civ., 16 déc. 1987, n° 86-15324).
    • Il en résulte que l’action peut être engagée sans qu’il soit besoin d’attendre la fin de l’usufruit
    • À cet égard, la nullité est ici relative, de sorte que l’action appartient au seul nu-propriétaire.

b) Le droit de jouir de la chose : le fructus

L’usufruit ne confère pas seulement à l’usufruitier le droit de faire usage de la chose, il lui confère également le droit d’en jouir.

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour l’usufruitier d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

L’article 582 du Code civil prévoit en ce sens que « l’usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l’objet dont il a l’usufruit. »

Immédiatement, il convient alors de préciser ce que l’on doit entendre par « fruits », lesquels doivent être distingués des « produits. »

i) Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière des pierres.

La question qui a lors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
          • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
          • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
          • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
          • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
      • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères :
        • La périodicité (plus ou moins régulière)
        • La conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
      • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[2].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

Manifestement, la qualification de fruit ou de produit du revenu généré par la chose est d’importance, car elle détermine qui du nu-propriétaire ou de l’usufruitier en bénéficiera.

Si, en principe, cette qualification est prédéterminée par la nature de la chose, il est des cas où elle dépend de la volonté du propriétaire qui selon l’exploitation qu’il en fait pourra en retirer, tantôt des fruits, tantôt des produits.

Illustration est faite de cette possibilité dans le code civil qui distingue selon que sont présents sur un fonds soumis à usufruit des arbres de haute futaie des forêts ou des bois taillis.

  • S’agissant des bois taillis
    • Il s’agit des arbres qui ont vocation à être coupés à échéance périodique avant qu’ils n’atteignent leur pleine maturité pour qu’ils se développent à nouveau à partir de leur souche
    • Cette périodicité de la coupe des bois taillis leur confère la qualité de fruit : ils reviennent donc au seul usufruitier
    • À cet égard, l’article 590, al.1er du Code civil précise « si l’usufruit comprend des bois taillis, l’usufruitier est tenu d’observer l’ordre et la quotité des coupes, conformément à l’aménagement ou à l’usage constant des propriétaires ; sans indemnité toutefois en faveur de l’usufruitier ou de ses héritiers, pour les coupes ordinaires, soit de taillis, soit de baliveaux, soit de futaie, qu’il n’aurait pas faites pendant sa jouissanc»
    • L’alinéa 2 ajoute que l’usufruitier doit se conformer aux usages des lieux pour le remplacement
  • S’agissant des arbres de haute futaie des forêts
    • Principe
      • Contrairement aux bois taillis, les arbres de haute futaie des forêts sont ceux qui sont laissés en place pour qu’ils atteignent leur pleine maturité
      • Ils n’ont donc pas vocation à être coupés à échéance périodique ce qui fait d’eux des produits
      • Aussi reviennent-ils au nu-propriétaire et non à l’usufruitier qui ne peut y toucher.
      • Tout au plus l’article 592 du Code civil autorise l’usufruitier à « employer, pour faire les réparations dont il est tenu, les arbres arrachés ou brisés par accident ; il peut même, pour cet objet, en faire abattre s’il est nécessaire, mais à la charge d’en faire constater la nécessité avec le propriétaire. »
    • Exception
      • L’article 591 du Code civil envisage un cas où les arbres de haute futaie peuvent être qualifiés de fruits : lorsqu’ils sont aménagés et plus précisément lorsqu’ils sont soumis à une coupe réglée.
      • Dans cette hypothèse, ils reviennent à l’usufruitier et non au nu-propriétaire
      • Le texte prévoit en ce sens que « l’usufruitier profite encore […] des parties de bois de haute futaie qui ont été mises en coupes réglées, soit que ces coupes se fassent périodiquement sur une certaine étendue de terrain, soit qu’elles se fassent d’une certaine quantité d’arbres pris indistinctement sur toute la surface du domaine. »
      • Cette prérogative conférée à l’usufruitier est toutefois subordonnée au respect par lui de l’exigence de se conformer « aux époques et à l’usage des anciens propriétaires».
      • Dans le prolongement de cette faculté consenti à titre dérogatoire à l’usufruitier sur les arbres de haute futaie, l’article 593 du Code civil prévoit que « il peut prendre, dans les bois, des échalas pour les vignes ; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels ou périodiques ; le tout suivant l’usage du pays ou la coutume des propriétaires».

Enfin, l’article 594 du Code civil envisage le sort des arbres fruitiers présents sur le fonds soumis à l’usufruit.

Le texte prévoit que « les arbres fruitiers qui meurent, ceux mêmes qui sont arrachés ou brisés par accident, appartiennent à l’usufruitier, à la charge de les remplacer par d’autres. »

ii) L’acquisition des fruits

==> Le moment d’acquisition des fruits

L’article 604 du Code civil dispose que « le retard de donner caution ne prive pas l’usufruitier des fruits auxquels il peut avoir droit ; ils lui sont dus du moment où l’usufruit a été ouvert. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruitier peut percevoir les fruits produits par la chose à compter du moment où son droit est ouvert.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment s’opère cette ouverture du droit de l’usufruitier ?

À l’examen, il convient de distinguer selon que l’usufruit est d’origine légale, conventionnelle, testamentaire ou judiciaire.

  • L’usufruit d’origine légale
    • Dans cette hypothèse, pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier de percevoir les fruits, il convient de se reporter au point de départ fixé par la loi.
    • Ainsi, le droit du conjoint survivant qui est susceptible d’opter en présence d’enfants communs pour l’usufruit de la totalité des biens du de cujus s’ouvre à compter du décès de ce dernier
    • S’agissant du droit de jouissance légal des parents sur les biens de leur enfant il naît à compter du jour de l’acquisition du bien
  • L’usufruit conventionnel
    • Dans cette hypothèse, c’est la volonté des parties qui détermine le point de départ de l’usufruit.
    • À défaut, le droit de l’usufruitier est réputé être ouvert à compter du jour de la conclusion du contrat, soit de la régularisation de l’acte.
  • L’usufruit judiciaire
    • Dans cette hypothèse, c’est le juge qui, en octroyant à une partie, un droit d’usufruit, fixera son point de départ.
    • Lorsque, par exemple, l’usufruit sera constitué dans le cadre de l’octroi d’une prestation compensatoire, le droit du bénéficiaire prendra le plus souvent effet au jour de prononcé du jugement
  • L’usufruit testamentaire
    • Dans cette hypothèse, il convient de distinguer selon que l’usufruit est consenti à un légataire universel ou à un légataire à titre particulier.
      • L’usufruit consenti à un légataire universel ou à titre universel
        • Pour rappel, le légataire universel est celui qui se voit léguer l’universalité des biens du testateur, soit l’ensemble de son patrimoine ( 1003 C. civ.)
        • Quant au légataire à titre universel il s’agit de la personne qui recueille une quote-part des biens dont la loi permet au testateur de disposer, telle qu’une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier ( 1010 C. civ.).
        • À l’examen, la jurisprudence ne distingue pas selon que l’usufruitier est légataire universel ou légataire à titre universel
        • Dans les deux cas, les juridictions font application de l’article 1005 du Code civil.
        • En application de cette disposition le légataire universel aura la jouissance des biens compris dans le testament, à compter du jour du décès, si la demande en délivrance a été faite dans l’année, depuis cette époque
        • À défaut, précise le texte, cette jouissance ne commencera que du jour de la demande formée en justice, ou du jour que la délivrance aurait été volontairement consentie.
        • Dans un arrêt du 6 décembre 2005 la cour de cassation est venue préciser que « le conjoint survivant, investi de la saisine sur l’universalité de l’hérédité, a, dès le jour du décès et quelle que soit l’étendue de la vocation conférée par le legs qui lui a été consenti, la jouissance de tous les biens composant la succession, laquelle est exclusive de toute indemnité d’occupation» ( 6 déc. 2005, n°03-10211).
        • Il ressort de cette disposition que lorsque l’usufruitier cumule les qualités de légataire universel ou à titre universel et d’héritier son droit s’ouvre, en tout état de cause, au jour du décès du de cujus.
      • L’usufruit consenti à un légataire à titre particulier
        • Tout d’abord, le légataire à titre particulier est celui qui se voit léguer par le testateur un ou plusieurs biens individualisés
        • Dans cette hypothèse pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier à percevoir les fruits, il convient de se reporter à l’article 1014, al. 2e du Code civil.
        • Cette disposition prévoit que « le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »
        • Il en résulte que le légataire à titre universel devra attendre la délivrance de la chose par les héritiers saisis pour percevoir les fruits.

==> Les modes d’acquisition des fruits

Les règles qui régissent l’acquisition des fruits diffèrent selon qu’il s’agit de fruits naturels, de fruits industriels ou encore de fruits civils.

  • Les fruits naturels
    • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
    • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
    • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
    • S’agissant de leur perception, elle procède de leur séparation du sol.
    • Ainsi, l’article 585, al. 1er du Code civil prévoit que les fruits naturels pendants par branches ou par racines au moment où l’usufruit est ouvert, appartiennent à l’usufruitier.
    • Encore faut-il néanmoins que l’usufruitier se donne la peine de les récolter.
    • L’alinéa 2e de l’article 585 précise, en effet, que les fruits « qui sont dans le même état au moment où finit l’usufruit appartiennent au propriétaire, sans récompense de part ni d’autre des labours et des semences, mais aussi sans préjudice de la portion des fruits qui pourrait être acquise au métayer, s’il en existait un au commencement ou à la cessation de l’usufruit. »
    • Ainsi les fruits qui n’auraient pas été perçus par l’usufruitier lorsque l’usufruit vient à expirer deviennent la propriété du propriétaire, ce, quand bien même le coût de la cultivation a été entièrement supporté par l’usufruitier.
    • Ce dernier ne peut réclamer ni la restitution du produit de la vente, ni indemnisation
  • Les fruits industriels
    • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
    • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
    • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
    • À l’instar des fruits naturels, les fruits industriels s’acquièrent par la perception, soit par leur séparation de la chose productrice ( 585 C. civ.)
  • Les fruits civils
    • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
    • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
    • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
    • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
    • S’agissant de leur perception, l’article 586 du Code civil prévoit que « les fruits civils sont réputés s’acquérir jour par jour et appartiennent à l’usufruitier à proportion de la durée de son usufruit. Cette règle s’applique aux prix des baux à ferme comme aux loyers des maisons et autres fruits civils. »
    • Il ressort de cette disposition que les fruits civils sont répartis, pour les années d’ouverture et d’expiration du droit d’usufruit entre l’usufruitier et le nu-propriétaire au prorata temporis.
    • Peu importe donc la date de la perception ; ce qui importe c’est la prise d’effet et d’extinction du droit.
    • Le calcul s’opérera sur la base d’une année de 365 jours, étant précisé que, l’usufruitier a droit aux fruits civils proportionnellement à la durée réelle de sa jouissance.
    • Pour exemple, si l’usufruit expire au 1er juillet, l’usufruitier percevra la moitié des loyers annuels et le nu-propriétaire l’autre moitié.
    • Si, en revanche, l’usufruit expire au 4 mars, l’usufruitier percevra les loyers dus pour les mois de janvier et février auxquels s’ajoutera le montant du loyer correspondant à 4 jours de jouissance.

2. Les droits qui s’exercent sur l’usufruit

L’usufruitier n’est pas seulement investi d’un droit direct sur la chose dont il a la jouissance, il dispose également de la faculté d’aliéner son droit et d’engager toutes les actions en justice utiles pour en assurer la préservation.

==> Le droit d’aliéner l’usufruit

  • Principe
    • L’article 595 du Code civil dispose que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. »
    • Il ressort de cette disposition que l’usufruitier est investi du droit d’aliéner son droit d’usufruit.
    • À cet égard, l’usufruitier peut :
      • Céder son droit à titre onéreux ou à titre gratuit
      • Constituer une sûreté réelle sur la chose soumise à l’usufruit (gage pour les meubles et hypothèque pour les immeubles)
      • Effectuer un apport en société avec l’usufruit
    • En outre, il est admis que l’usufruit puisse faire l’objet d’une saisie
  • Limites
    • La faculté pour l’usufruitier d’aliéner son droit n’est pas sans limites
      • Tout d’abord, l’usufruit demeure, en tout état de cause intransmissible à cause de mort.
      • Ensuite, parce que l’usufruit présente un caractère temporaire son aliénation ne saurait avoir pour conséquence de porter atteinte à la substance de la chose, ni aux droits du nu-propriétaire
      • Enfin, lorsque l’acte de constitution comporte une clause d’inaliénabilité, il est fait défense à l’usufruitier de le céder
  • Portée
    • L’aliénation de l’usufruit est sans incidence sur sa durée en ce sens qu’il a vocation à s’éteindre, soit au décès de l’usufruitier, soit à l’expiration du terme prévu dans l’acte constitutif
    • Par ailleurs, c’est le cédant de l’usufruit qui répond des préjudices causés au nu-propriétaire à raison de fautes commises par le cessionnaire.

==> Le droit d’agir en justice

Afin de préserver son droit réel, notamment des atteintes qui pourraient lui être portées par le nu-propriétaire, plusieurs actions en justice sont ouvertes à l’usufruitier.

  • L’action confessoire
    • Cette action dont est titulaire l’usufruitier vise à faire reconnaître son droit de jouissance sur la chose, soit à obtenir la délivrance de la chose qui serait détenue, soit par un tiers, soit par le nu-propriétaire
    • Dans un arrêt du 7 avril 2004, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’usufruitier peut ester en justice, dans la mesure où il agit pour défendre ou protéger son droit de jouissance, et que ce droit lui permet d’exercer aussi bien une action personnelle que réelle» ( 3e civ. 7 avr. 2004, n°02-13703).
    • Cette action est, en quelque sorte, à l’usufruit ce que l’action en revendication est à la propriété.
    • Reste que, à la différence de l’action en revendication, l’action confessoire n’est pas imprescriptible : l’usufruitier doit agir dans un délai de trente ans peu importe que l’usufruit porte sur un bien meuble ou sur un immeuble
  • L’action personnelle
    • Ainsi qu’il l’a été jugé la Cour de cassation dans l’arrêt du 7 avril 2004, l’usufruitier dispose d’une action personnelle
    • Cette action poursuit parfois la même finalité que l’action confessoire : obtenir la délivrance de la chose.
    • Dans cette hypothèse, son domaine est toutefois bien plus restreint que celui de l’action confessoire puisqu’elle ne peut être dirigée que contre le nu-propriétaire et ses ayants droits.
    • L’action personnelle peut également avoir pour finalité de sanctionner les troubles de jouissance dont l’usufruitier est susceptible d’être victime.
    • Il sera, par exemple, fondé à engager la responsabilité du nu-propriétaire qui accomplirait des actes qui lui causeraient un préjudice

B) Les obligations de l’usufruitier

Il ressort de l’article 601 du Code civil que l’usufruitier est tenu « de jouir en bon père de famille » du bien soumis à l’usufruit.

Dit autrement, cela signifie que le droit d’usufruit doit s’exercer dans le respect du droit de propriété du nu-propriétaire.

De ce devoir général qui pèse sur la tête de l’usufruitier découlent plusieurs obligations très concrètes au nombre desquelles figurent :

  • L’obligation de conserver la substance de la chose
  • L’obligation de s’acquitter des charges usufructuaires
  1. L’obligation de conserver la substance de la chose

L’article 578 du Code civil prévoit que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. »

Il ressort de cette disposition que l’une des principales obligations de l’usufruitier, c’est de conserver la substance de la chose.

Par substance, il faut entendre les caractères substantiels du bien, ceux qui le structurent et sans lesquels il perdrait son identité.

L’obligation pour l’usufruitier de conserver la substance de la chose emporte plusieurs conséquences ;

  • L’interdiction de détruire ou détériorer la chose
    • La première conséquence de l’obligation de conservation de la substance de la chose consiste en l’interdiction de lui porter atteinte.
    • Il est, de sorte, fait défense à l’usufruitier de détruire la chose ou de la détériorer.
    • À cet égard, l’article 618 du Code civil prévoit que l’usufruit peut cesser « par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »
    • La destruction et la détérioration de la chose sont ainsi susceptibles d’être sanctionnées par la déchéance de l’usufruit, laquelle peut être sollicitée par le nu-propriétaire.
    • L’usufruitier engagera également sa responsabilité en cas de perte de la chose, sauf à démontrer la survenance d’une cause étrangère.
  • L’accomplissement d’actes conservatoires
    • Pour conserver la substance de la chose, il échoit à l’usufruitier d’accomplir tous les actes conservatoires requis.
    • Cette obligation s’applique en particulier lorsque l’usufruit a pour objet une créance.
    • Dans cette hypothèse, il appartiendra à l’usufruitier d’engager tous les actes nécessaires à sa conservation : recouvrement, renouvellement des sûretés, interruption des délais de prescription, action.
    • L’article 614 du Code civil prévoit encore que « si, pendant la durée de l’usufruit, un tiers commet quelque usurpation sur le fonds, ou attente autrement aux droits du propriétaire, l’usufruitier est tenu de le dénoncer à celui-ci ; faute de ce, il est responsable de tout le dommage qui peut en résulter pour le propriétaire, comme il le serait de dégradations commises par lui-même.»
    • Il résulte de cette disposition que l’usufruitier doit, dès qu’il en a connaissance, dénoncer les empiétements susceptibles d’affecter le fonds dont il jouit.
    • À défaut, l’usufruitier engagera sa responsabilité, le risque pour le nu-propriétaire étant que la prescription acquisitive le dépossède de son bien.
  • L’usage de la chose conformément à sa destination
    • Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, il est fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.
    • Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.
    • Par exemple, il lui est interdit de transformer un immeuble à usage d’habitation en local qui abriterait une activité commerciale.
    • Dans un arrêt du 4 juin 1975 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destines à un autre usage constitue en elle-même une altération de la substance de la chose soumise à usufruit et peut caractériser un abus de jouissance de nature à entraîner la déchéance de l’usufruit» ( 3e civ. 4 juin 1975, n°74-10777).
    • Elle est ensuite venue préciser, dans un arrêt du 2 février 2005 que l’obligation de respect de la destination de la chose, ne doit pas être comprise comme une interdiction de toute variation dans le mode d’exploitation de la chose.
    • Dans cette décision, elle ainsi validé l’arrêt d’une Cour d’appel qui avait admis que les usufruitiers de terres agricoles puissent conclure un bail commercial avec deux sociétés en vue de leur permettre de construire et d’exploiter une plate-forme de compostage de déchets organiques.
    • Au soutien de sa décision la troisième chambre civile relève que « le bail commercial envisagé obéissait à la nécessité d’adapter les activités agricoles à l’évolution économique et à la réglementation sur la protection de l’environnement, qu’il ne dénaturait ni l’usage auquel les parcelles étaient destinées, ni leur vocation agricole, qu’il était profitable à l’indivision, mais sans porter atteinte aux droits des nus-propriétaires dans la mesure où le preneur s’engageait en fin de bail à remettre les lieux dans leur état d’origine, la cour d’appel, qui en a déduit qu’il ne portait pas atteinte à la substance de la chose, a pu autoriser les usufruitiers à conclure seuls un bail commercial sur les parcelles en cause» ( 3e civ. 2 févr. 2005, n°03-19729).
    • À l’examen, la jurisprudence semble admettre les aménagements de la destination du bien, dès lors qu’ils n’impliquent pas une altération de la chose qui serait irréversible.
    • Si les travaux à engager sont minimums, à tout le moins, ne sont pas de nature à porter atteinte à la substance du bien, le nu-propriétaire ne pourra pas s’y opposer.
  • L’obligation d’information en cas d’altération de la substance de la chose
    • Dans un arrêt du 12 novembre 1998, la Cour de cassation a qualifié le portefeuille de valeurs mobilières d’universalité de fait ( 1ère civ. 12 nov. 1998, n°96-18041)
    • Or lorsque l’usufruit porte sur une universalité de fait, le droit dont est investi l’usufruitier a pour assiette, non pas les biens qui la composent, mais l’ensemble constitué par ces biens, soit le tout.
    • Il en résulte que l’usufruitier est seulement tenu de conserver l’universalité, prise dans sa globalité : il ne peut pas en disposer, ni la détruire.
    • Pendant toute la durée de l’usufruit, il est, en revanche, libre de disposer de chacun des éléments qui composent l’universalité.
    • Lorsque l’universalité consiste en un portefeuille de valeurs mobilières, il est un risque que le nu-propriétaire soit spolié par l’usufruitier.
    • Aussi, afin de prévenir cette situation, la Cour de cassation a instauré une obligation d’information du nu-propriétaire sur la modification du contenu du portefeuille de valeurs mobilières.
    • Dans un arrêt du 3 décembre 2002, la troisième chambre civile a précisé que « pour déterminer la substance conservée et la valeur du bien à partager, il est nécessaire que l’usufruitière puisse donner tous les éléments nécessaires pour déterminer si les seules valeurs subsistantes au jour du partage, représentent bien toute la substance de l’universalité qu’elle était chargée de conserver» ( 3e civ. 3 déc. 2002, n°00-17870).
    • Cette obligation d’information instituée par la Cour de cassation doit être exécutée pendant toute la durée de l’usufruit, l’objectif recherché étant que le nu-propriétaire puisse, en cas de manquement grave de l’usufruitier, engager toutes les actions nécessaires à la préservation de ses droits.

2. L’obligation de s’acquitter des charges usufructuaires

Afin de comprendre la logique qui préside aux charges usufructuaires, relisons le Doyen Carbonnier qui a écrit : « l’idée générale est que, dans la gestion d’une propriété, il y a des frais et des dettes qu’il est rationnel de payer avec les revenus et d’autres avec le capital. Si la propriété est démembrée, le passif de la première catégorie doit être à la charge de l’usufruitier, l’autre à la charge du nu-propriétaire ».

Aussi, les charges usufructuaires ne sont autres que l’ensemble des défenses et des frais qui incombent à l’usufruitier en contrepartie de la jouissance de la chose.

Au nombre des charges usufructuaires figurent :

  • Les charges périodiques
  • Les frais et dépenses de réparation

Lorsque l’usufruit est universel ou à titre universel, pèse sur l’usufruitier une autre catégorie de charges usufructuaires : les intérêts du passif attaché au patrimoine ou à la quotité de patrimoine dont il jouit.

a) Les charges périodiques

L’article 608 du Code civil dispose que « l’usufruitier est tenu, pendant sa jouissance, de toutes les charges annuelles de l’héritage, telles que les contributions et autres qui dans l’usage sont censées charges des fruits. »

Sont ici visées ce que l’on appelle les charges périodiques, soit celles qui sont afférentes à la jouissance du bien. Leur périodicité est en générale annuelle.

Tel est notamment le cas des charges fiscales au nombre desquelles figurent, l’impôt sur les revenus générés par le bien, la taxe d’habitation, la taxe foncière, les charges de copropriété relatives aux services collectifs.

Les charges périodiques incombent à l’usufruitier dans la mesure où elles sont directement attachées à la jouissance du bien.

Classiquement, on oppose les charges périodiques aux charges extraordinaires qui sont visées à l’article 609 du Code civil.

Cette disposition les définit comme celles « qui peuvent être imposées sur la propriété pendant la durée de l’usufruit ».

Ces charges sont attachées à la substance de la chose, au capital. Il s’agit, par exemple, des frais de bornage.

L’article 609, al. 2e répartit les charges extraordinaires entre le nu-propriétaire et l’usufruitier comme suit :

  • Le nu-propriétaire supporte le coût des charges pour le capital
  • L’usufruitier supporte, quant à lui, le coût des intérêts

L’alinéa 3 du texte précise que si les charges extraordinaires sont avancées par l’usufruitier, il a la répétition du capital à la fin de l’usufruit.

Reste que les créanciers ne peuvent agir, pour le recouvrement du capital de la dette, que contre le nu-propriétaire

b) Les frais et dépenses de réparation

Il ressort des articles 605 et 606 du Code civil que, tant l’usufruitier, que le nu-propriétaire sont tenus de supporter la charge des réparations du bien.

Ces réparations peuvent être de deux ordres :

  • D’une part, il peut s’agir de dépenses d’entretien, soit des dépenses qui visent à conserver le bien en bon état
  • D’autre part, il peut s’agir de grosses réparations, soit des dépenses qui visent à remettre en état la structure du bien

Tandis que les dépenses d’entretien sont à la charge de l’usufruitier, les grosses réparations sont, quant à elles, à la charge du nu-propriétaire.

i) Les dépenses d’entretien

==> Notion

Les dépenses d’entretien sont donc celles qui visent à conserver le bien en bon état. En application de l’article 605 du Code civil, elles sont à la charge du seul usufruitier.

Le législateur a, en effet, considéré qu’elles résultaient de la jouissance du bien et que, par conséquent, elles devaient être payées avec les revenus qui précisément reviennent à l’usufruitier.

Toute la question est alors de savoir ce que l’on doit entendre par dépense d’entretien, la réponse déterminant si elle doit ou non être supportée par l’usufruitier.

À l’examen, les dépenses de réparation et d’entretien s’entendent de celles qui correspondent à des travaux ayant pour objet de maintenir ou de remettre en bon état le bien et d’en permettre un usage normal, conforme à sa destination, sans en modifier la consistance, l’agencement ou l’équipement initial.

Plus généralement, ainsi que l’indique l’article 606, al. 3e du Code civil les dépenses d’entretien sont toutes celles qui ne sont pas des grosses réparations.

==> Exécution de l’obligation

Il peut être observé que si l’usufruitier ne peut pas contraindre le nu-propriétaire à effectuer des grosses réparations ainsi que nous le verrons plus après, l’inverse n’est pas vrai.

Dans un arrêt du 21 mars 1962 la Cour de cassation a, en effet, jugé que « le nu-propriétaire peut, pendant la durée de l’usufruit, contraindre l’usufruitier à effectuer les réparations d’entretien tendant à la conservation de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble grevée d’usufruit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 1962).

À cet égard, en cas d’inaction de l’usufruitier il est un risque qu’il soit déchu de son droit. L’article 618 du Code civil prévoit, en effet, que « l’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »

ii) Les grosses réparations

==> Notion

Contrairement aux dépenses d’entretien qui ne sont pas définies par le Code civil, les grosses réparations sont listées par l’article 606.

En application de cette disposition elles s’entendent des réparations des gros murs, voûtes et planchers, du rétablissement des poutres, des couvertures entières, des digues, murs de soutènement et clôtures.

La Cour de cassation a défini les grosses réparations comme celles qui « intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale » tandis que les réparations d’entretien « sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 13 juill. 2005, n°04-13764).

Il a par exemple été jugé que :

  • La réfection de zingueries affectant une partie exceptionnelle de l’immeuble était une grosse réparation car engageant une dépense exceptionnelle ( 1ère civ. 2 févr. 1955)
  • Le recrépissement ou le ravalement d’un immeuble est, en revanche, une réparation d’entretien ( 1ère civ. 21 mars 196)

Les grosses réparations correspondent donc aux travaux de restauration d’une structure essentielle de l’immeuble, tels que la réfection d’un mur pignon ou le rétablissement de poutres ou de couvertures entières.

Dans un arrêt du 27 novembre 2002, la troisième chambre civile a précisé que « l’article 606 du Code civil énumère limitativement les grosses réparations » (Cass. 3e civ. 27 nov. 2002, n°01-12816).

Il en résulte que les juridictions ne peuvent pas ajouter des travaux à la liste énoncée par l’article 606. Les grosses réparations doivent se limiter à celles qui touchent à la solidité et à la structure du bien.

==> Répartition

  • Principe
    • Parce que les grosses réparations se rattachent à la substance même de la chose, l’article 605 prévoit qu’elles sont à la charge du seul nu-propriétaire.
    • Il devra s’acquitter de son obligation au plus tard à l’expiration de l’usufruit.
  • Exceptions
    • Négligence de l’usufruitier
      • L’article 605 indique que les grosses réparations restent à la charge de l’usufruitier lorsqu’elles ont été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu.
      • Ainsi, dans l’hypothèse où les grosses réparations résulteraient de la faute de l’usufruitier qui n’auraient pas satisfait à son obligation d’entretien et de conservation de la chose en bon état, c’est lui qui en supportera le coût.
    • Travaux d’amélioration
      • Lorsque les grosses réparations s’apparentent à des travaux d’améliorations, elles demeurent à la charge de l’usufruitier
      • Dans un arrêt du 12 juin 2012 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien et que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit, auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu ; que ce dernier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée» ( com. 12 juin 2012, n°n° 11-11424).
    • Reconstruction du bien
      • L’article 607 du Code civil prévoit que « ni le propriétaire, ni l’usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit.»
      • Lorsque, de la sorte, un immeuble est tombé en ruine, aucune obligation n’est faite au nu-propriétaire de le rebâtir, sous réserve que la cause de l’état du bien réside dans le cas fortuit.
      • Dans l’hypothèse où la destruction de l’immeuble serait imputable au nu-propriétaire, il devra indemniser l’usufruitier et inversement.

==> Exécution de l’obligation

La Cour de cassation a jugé dans plusieurs arrêts que l’usufruitier ne pouvait pas contraindre le nu-propriétaire à effectuer les grosses réparations sur le bien (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 juill. 2002, n°00-22158 ; Cass. 3e civ. 18 déc. 2013, n°12-18537).

La raison en est qu’ils sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

Aussi, il n’y a entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Reste que dans l’hypothèse où l’usufruitier a été contraint de supporter la charge des grosses réparations, il disposera d’un recours contre le nu-propriétaire qu’il pourra exercer à l’expiration de l’usufruit.

Dans un arrêt du 17 juillet 1911 la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’usufruitier qui a supporté le coût d’une grosse réparation était fondé à réclamer le montant de la plus-value en résultant lors de la cessation de l’usufruit (Cass. civ. 17 juill. 1917).

c) La contribution aux dettes grevant le patrimoine soumis à l’usufruit

Il ressort des articles 610- 611 et 612 du Code civil que, selon que l’usufruit est universel, à titre universel, ou à titre particulier, l’usufruitier sera ou non tenu de contribuer aux dettes grevant le patrimoine dont il jouit.

Pour rappel :

  • L’usufruit universel est celui qui porte sur une l’universalité des biens, soit sur l’ensemble d’un patrimoine
  • L’usufruit à titre universel est celui qui porte sur une quote-part des biens, telle qu’une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier
  • L’usufruit à titre particulier est celui qui porte sur un ou plusieurs biens individualisés

Ceci étant rappelé, le Code civil opère une distinction entre :

  • D’une part, l’usufruitier à titre particulier qui n’est pas tenu de contribuer aux dettes grevant le patrimoine dont relève le ou les biens dont il jouit
  • D’autre part, l’usufruitier universel et à titre universel qui est tenu de contribuer aux dettes grevant le patrimoine ou la quotité de patrimoine soumis à l’usufruit

S’agissant de l’usufruitier à titre particulier, l’article 611 du Code civil précise que qu’il « n’est pas tenu des dettes auxquelles le fonds est hypothéqué : s’il est forcé de les payer, il a son recours contre le propriétaire, sauf ce qui est dit à l’article 1020, au titre ” Des donations entre vifs et des testaments ” ».

Ainsi, en cas d’usufruit constitué sur un bien grevé d’une hypothèque, la dette attachée à la sûreté n’incombe pas à l’usufruitier. Reste qu’il peut être poursuivi par le créancier hypothécaire au titre de son droit de suite. L’usufruitier, s’il veut conserver la jouissance du bien, n’aura alors d’autre choix que de régler la dette, charge à lui de se retourner contre le nu-propriétaire.

S’agissant de l’usufruitier universel et à titre universel, l’idée qui préside à l’obligation de contribution de l’usufruitier à la dette est qu’il jouit d’un patrimoine ou d’une quote-part de celui-ci. Or un patrimoine consiste en une corrélation entre un actif et un passif.

Il en résulte que la jouissance de l’actif s’accompagne nécessairement d’une contribution aux dettes qui composent le passif.

C’est la raison pour laquelle, le Code civil met à la charge de l’usufruit le règlement des intérêts de la dette, lesquels ne sont autres que l’équivalent des revenus engendrés par le patrimoine soumis à l’usufruit.

À cet égard, tandis que l’article 610 régit la contribution de l’usufruitier aux rentes viagères et pensions alimentaires qui grèvent le patrimoine dont il jouit, l’article 612 règle la contribution aux autres dettes.

  • S’agissant des rentes viagères et des pensions alimentaires
    • En application de l’article 610 du Code civil l’usufruitier universel et à titre universel doit supporter la charge des arrérages à proportion de l’étendue de son usufruit.
    • S’il est usufruitier universel il prendra en charge l’intégralité des arrérages et s’il est usufruitier à titre universel il y contribuera dans la proportion de sa jouissance
  • S’agissant des dettes qui ne sont ni des rentes viagères, ni des pensions alimentaires
    • En application de l’article 612 du Code civil, l’usufruitier universel et à titre universel doit supporter le coût des intérêts de la dette.
    • Là encore, il devra contribuer au règlement des intérêts de la dette à proportion de l’étendue de sa jouissance.
    • À cet égard, l’article 612 envisage plusieurs modes de contribution à la dette.
      • Tout d’abord, si l’usufruitier veut avancer la somme nécessaire au règlement de la dette, le capital lui sera restitué à la fin de l’usufruit, sans aucun intérêt.
      • Ensuite, Si l’usufruitier ne veut pas faire cette avance de capital, le propriétaire a le choix :
        • Soit payer cette somme, et, dans ce cas, l’usufruitier lui tient compte des intérêts pendant la durée de l’usufruit
        • Soit faire vendre jusqu’à due concurrence une portion des biens soumis à l’usufruit.

En tout état de cause, et indépendamment des modes de contributions envisagés par le Code civil, il a très tôt été admis que les créanciers puissent agir contre le nu-propriétaire pour le capital et les intérêts de la dette (Cass. civ. 23 avr. 1888).

II) La situation du nu-propriétaire

Aux côtés de l’usufruitier qui bénéficie de la jouissance de la chose (usus et fructus), le nu-propriétaire conserve le droit d’en disposer (abusus).

Ce droit, dont l’assiette est pendant toute la durée de l’usufruit pour le moins restreinte a pour intérêt majeur de garantir au nu-propriétaire le recouvrement de la pleine propriété de la chose à l’expiration de l’usufruit.

Parce que le nu-propriétaire, à l’instar de l’usufruitier, exerce un droit réel sur la chose, il est investi de prérogatives tout autant qu’il lui incombe des obligations.

A) Les droits du nu-propriétaire

Par hypothèse, le nu-propriétaire ne bénéficie pas de la jouissance de la chose. Il en résulte que ses prérogatives sont bien moins nombreuses que celles exercées par l’usufruitier.

  1. Le droit de disposer de la chose : l’abusus

Tandis que l’usufruitier est titulaire des droits d’user et de jouir de la chose, le nu-propriétaire est investi du droit d’en disposer.

Ce droit de disposer de la chose est néanmoins restreint, car il ne lui permet pas de détruire le bien, alors même que cette prérogative relève de l’abusus.

La raison en est que s’il détruisait la chose, il porterait atteinte au droit – réel de l’usufruitier – qui serait privé de la faculté d’en jouir.

C’est donc un droit de disposer diminué qui est conféré au nu-propriétaire. Il conserve néanmoins la faculté de céder son droit ou de grever la nue-propriété de droits réels (sûretés, servitudes).

À cet égard, l’article 621 du Code civil précise que « la vente du bien grevé d’usufruit, sans l’accord de l’usufruitier, ne modifie pas le droit de ce dernier, qui continue à jouir de son usufruit sur le bien s’il n’y a pas expressément renoncé. »

2. Le droit de percevoir les produits

Si l’usufruitier est titulaire du droit de percevoir les fruits engendrés par la chose, c’est au nu-propriétaire que reviennent les produits.

Pour rappel, les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance

Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine. Il en va de même des arbres de haute futaie des forêts qui sont ceux laissés en place pour qu’ils atteignent leur pleine maturité. N’ayant pas vocation à être coupés à échéance périodique, on les qualifie de produits.

Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé »[3].

C’est la raison pour laquelle, les produits ne peuvent être perçus que par le nu-propriétaire dont le droit s’exerce sur le capital.

3. Actes conservatoires

Bien que l’accomplissement d’actes conservatoires relève des prérogatives de l’usufruitier, le nu-propriétaire est directement intéressé par la conservation de la chose. Et pour cause, il a vocation à recouvrer la pleine propriété du bien à l’expiration de l’usufruit.

Aussi, est-il admis que, pour assurer la sauvegarde de la substance de la chose, le nu-propriétaire puisse accomplir tous les actes conservatoires requis, notamment en cas de carence de l’usufruitier.

Il pourra donc s’agir d’engager une procédure de recouvrement, renouveler une sûreté, interrompre un délai de prescription

Il pourra encore contraindre l’usufruitier à prendre toutes les mesures utiles aux fins d’éviter que la chose ne se détériore et plus généralement à engager des travaux d’entretien.

Dans un arrêt du 21 mars 1962 la Cour de cassation a, en effet, jugé que « le nu-propriétaire peut, pendant la durée de l’usufruit, contraindre l’usufruitier à effectuer les réparations d’entretien tendant à la conservation de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble grevée d’usufruit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 1962).

À cet égard, en cas d’inaction de l’usufruitier il est un risque qu’il soit déchu de son droit. L’article 618 du Code civil prévoit, en effet, que « l’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »

4. Actions en justice

Le nu-propriétaire est fondé à engager toutes les actions en justice qui vise à préserver son droit de propriété.

Il peut donc exercer l’action en revendication, en contestation ou reconnaissance d’une servitude.

Le nu-propriétaire peut encore dénoncer en justice les empiétements susceptibles d’affecter le fonds dont il est propriétaire, tout autant qu’il peut saisir le juge pour toute question relative au bornage ou à la clôture du terrain.

Il peut enfin agir contre l’usufruitier qui manquerait à ses obligations, en particulier s’il constate qu’il commet un abus de jouissance, lequel abus est sanctionné par la déchéance de l’usufruit.

5. Le droit à être informé de la modification de la substance de la chose

De manière générale, le nu-propriétaire est en droit d’être informé par l’usufruitier de toutes les modifications qui affectent la substance de la chose.

La raison en est qu’il doit pouvoir agir au plus vite afin de prendre toutes les mesures utiles que requiert la situation. Il doit néanmoins pouvoir empêcher l’usufruitier d’accomplir des actes qui auraient des conséquences irréversibles.

Ce droit à être informé dont est titulaire le nu-propriétaire a été reconnu par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 1998 qui, dans cette affaire, avait qualifié le portefeuille de valeurs mobilières d’universalité de fait (Cass. 1ère civ. 12 nov. 1998, n°96-18041)

Or lorsque l’usufruit porte sur une universalité de fait, le droit dont est investi l’usufruitier a pour assiette, non pas les biens qui la composent, mais l’ensemble constitué par ces biens, soit le tout.

Il en résulte que l’usufruitier est seulement tenu de conserver l’universalité, prise dans sa globalité : il ne peut pas en disposer, ni la détruire.

Pendant toute la durée de l’usufruit, il est, en revanche, libre de disposer de chacun des éléments qui composent l’universalité.

Lorsque l’universalité consiste en un portefeuille de valeurs mobilières, il est un risque que le nu-propriétaire soit spolié par l’usufruitier.

Aussi, afin de prévenir cette situation, la Cour de cassation a instauré une obligation d’information du nu-propriétaire sur la modification du contenu du portefeuille de valeurs mobilières.

Dans un arrêt du 3 décembre 2002, la troisième chambre civile a précisé que « pour déterminer la substance conservée et la valeur du bien à partager, il est nécessaire que l’usufruitière puisse donner tous les éléments nécessaires pour déterminer si les seules valeurs subsistantes au jour du partage, représentent bien toute la substance de l’universalité qu’elle était chargée de conserver » (Cass. 3e civ. 3 déc. 2002, n°00-17870).

Cette obligation d’information instituée par la Cour de cassation doit être exécutée pendant toute la durée de l’usufruit, l’objectif recherché étant que le nu-propriétaire puisse, en cas de manquement grave de l’usufruitier, engager toutes les actions nécessaires à la préservation de ses droits.

B) Les obligations du nu-propriétaire

À l’examen, trois obligations pèsent sur la tête du nu-propriétaire :

  • Ne pas porter atteinte au droit de jouissance de l’usufruitier
  • Supporter la charge des grosses réparations
  • S’acquitter des charges extraordinaires
  1. L’obligation de ne pas nuire aux droits de l’usufruitier

L’article 599, al. 1er du Code civil dispose que « le propriétaire ne peut, par son fait, ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l’usufruitier. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait défense au nu-propriétaire d’entraver l’exercice des droits d’usage et de jouissance de l’usufruitier.

Autrement dit, le nu-propriétaire ne peut apporter aucune modification à la substance de la chose puisque celle-ci constitue l’assiette de l’usufruit.

Dans un arrêt du 28 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que méconnaissait les droits de l’usufruitier le nu-propriétaire qui en défrichant et en clôturant un domaine anéantissait toute possibilité de chasse (Cass. 1ère civ. 28 nov. 1972).

Les seuls travaux d’ampleur que le nu-propriétaire est autorisé à effectuer sont ceux qui visent à réaliser des grosses réparations.

2. L’obligation de supporter la charge des grosses réparations

==> Notion

Contrairement aux dépenses d’entretien qui ne sont pas définies par le Code civil, les grosses réparations sont listées par l’article 606.

En application de cette disposition elles s’entendent des réparations des gros murs, voûtes et planchers, du rétablissement des poutres, des couvertures entières, des digues, murs de soutènement et clôtures.

La Cour de cassation a défini les grosses réparations comme celles qui « intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale » tandis que les réparations d’entretien « sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 13 juill. 2005, n°04-13764).

Il a par exemple été jugé que :

  • La réfection de zingueries affectant une partie exceptionnelle de l’immeuble était une grosse réparation car engageant une dépense exceptionnelle ( 1ère civ. 2 févr. 1955)
  • Le recrépissement ou le ravalement d’un immeuble est, en revanche, une réparation d’entretien ( 1ère civ. 21 mars 196)

Les grosses réparations correspondent donc aux travaux de restauration d’une structure essentielle de l’immeuble, tels que la réfection d’un mur pignon ou le rétablissement de poutres ou de couvertures entières.

Dans un arrêt du 27 novembre 2002, la troisième chambre civile a précisé que « l’article 606 du Code civil énumère limitativement les grosses réparations » (Cass. 3e civ. 27 nov. 2002, n°01-12816).

Il en résulte que les juridictions ne peuvent pas ajouter des travaux à la liste énoncée par l’article 606. Les grosses réparations doivent se limiter à celles qui touchent à la solidité et à la structure du bien.

==> Répartition

  • Principe
    • Parce que les grosses réparations se rattachent à la substance même de la chose, l’article 605 prévoit qu’elles sont à la charge du seul nu-propriétaire.
    • Il devra s’acquitter de son obligation au plus tard à l’expiration de l’usufruit.
  • Exceptions
    • Négligence de l’usufruitier
      • L’article 605 indique que les grosses réparations restent à la charge de l’usufruitier lorsqu’elles ont été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu.
      • Ainsi, dans l’hypothèse où les grosses réparations résulteraient de la faute de l’usufruitier qui n’auraient pas satisfait à son obligation d’entretien et de conservation de la chose en bon état, c’est lui qui en supportera le coût.
    • Travaux d’amélioration
      • Lorsque les grosses réparations s’apparentent à des travaux d’améliorations, elles demeurent à la charge de l’usufruitier
      • Dans un arrêt du 12 juin 2012 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien et que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit, auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu ; que ce dernier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée» ( com. 12 juin 2012, n°n° 11-11424).
    • Reconstruction du bien
      • L’article 607 du Code civil prévoit que « ni le propriétaire, ni l’usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit.»
      • Lorsque, de la sorte, un immeuble est tombé en ruine, aucune obligation n’est faite au nu-propriétaire de le rebâtir, sous réserve que la cause de l’état du bien réside dans le cas fortuit.
      • Dans l’hypothèse où la destruction de l’immeuble serait imputable au nu-propriétaire, il devra indemniser l’usufruitier et inversement.

==> Exécution de l’obligation

La Cour de cassation a jugé dans plusieurs arrêts que l’usufruitier ne pouvait pas contraindre le nu-propriétaire à effectuer les grosses réparations sur le bien (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 juill. 2002, n°00-22158 ; Cass. 3e civ. 18 déc. 2013, n°12-18537).

La raison en est qu’ils sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

Aussi, il n’y a entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Reste que dans l’hypothèse où l’usufruitier a été contraint de supporter la charge des grosses réparations, il disposera d’un recours contre le nu-propriétaire qu’il pourra exercer à l’expiration de l’usufruit.

Dans un arrêt du 17 juillet 1911 la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’usufruitier qui a supporté le coût d’une grosse réparation était fondé à réclamer le montant de la plus-value en résultant lors de la cessation de l’usufruit (Cass. civ. 17 juill. 1917).

3. L’obligation de s’acquitter des charges extraordinaires

Tandis que les charges périodiques incombent à l’usufruitier (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, taxe foncière etc.), car directement attachées à la jouissance du bien, l’article 609 du Code civil fait supporter au nu-propriétaire les charges dites extraordinaires.

Cette disposition les définit comme celles « qui peuvent être imposées sur la propriété pendant la durée de l’usufruit ».

Ces charges sont attachées à la substance de la chose, au capital. Il s’agit, par exemple, des frais de bornage.

L’article 609, al. 2e répartit les charges extraordinaires entre le nu-propriétaire et l’usufruitier comme suit :

  • Le nu-propriétaire supporte le coût des charges pour le capital
  • L’usufruitier supporte, quant à lui, le coût des intérêts

L’alinéa 3 du texte précise que si les charges extraordinaires sont avancées par l’usufruitier, il a la répétition du capital à la fin de l’usufruit.

Reste que les créanciers ne peuvent agir, pour le recouvrement du capital de la dette, que contre le nu-propriétaire

§4 : L’extinction de l’usufruit

I) Les causes d’extinction

Parce que l’usufruit est un droit qui, à la différence de la nue-propriété, est un droit réel qui présente un caractère temporaire, il a vocation à s’éteindre.

La raison en est que la loi n’est pas favorable au maintien d’une dissociation entre le pouvoir de disposer de la chose et le pouvoir de l’exploiter.

Aussi, l’objectif recherché est de permettre au nu-propriétaire de récupérer, à terme, les utilités de la chose, faute de quoi son droit de propriété serait vidé de sa substance et la circulation économique du bien paralysé.

Les causes d’extinction de l’usufruit sont énoncées aux articles 617 et 618 du Code civil.

A) Le décès

==> Principe

L’article 617, al. 1 prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la mort de l’usufruitier ». Le principe, c’est donc que l’usufruit est viager, ce qui implique qu’il prend fin au décès de l’usufruitier.

À cet égard, l’usufruit est attaché à la personne. Il en résulte qu’il n’est pas transmissible à cause de mort.

==> Tempéraments

Bien que l’interdiction qui est faite à l’usufruitier de transmettre son droit après sa mort soit une règle d’ordre public, elle comporte deux tempéraments

  • Premier tempérament : l’usufruit simultané
    • L’usufruit peut être constitué à la faveur de plusieurs personnes simultanément, ce qui revient à créer une indivision en usufruit.
    • Cette constitution d’usufruit est subordonnée à l’existence de tous les bénéficiaires au jour de l’établissement de l’acte.
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteint progressivement à mesure que les usufruitiers décèdent, tandis que le nu-propriétaire recouvre corrélativement la pleine propriété de son bien sur les quotes-parts ainsi libérées
    • Afin d’éviter que l’assiette de l’usufruit ne se réduise au gré des décès qui frappent les usufruitiers, il est possible de stipuler une clause dite de réversibilité.
    • Dans cette hypothèse, la quote-part de celui des usufruitiers qui est prédécédé accroît celle des autres, qui en bénéficient pour la totalité, jusqu’au décès du dernier d’entre eux.
    • Le dernier survivant a ainsi vocation à exercer un monopole sur l’usufruit du bien.
  • Second tempérament : l’usufruit successif
    • L’usufruit peut également être constitué sur plusieurs têtes, non pas simultanément, mais successivement.
    • Il s’agira autrement dit de stipuler une clause de réversibilité aux termes de laquelle au décès de l’usufruitier de « premier rang », une autre personne deviendra usufruitière en second rang.
    • Dans cette hypothèse, les usufruitiers n’exerceront pas de pouvoirs concurrents sur la chose : ils se succéderont, le décès de l’un, ouvrant le droit d’usufruit de l’autre.
    • Chacun jouira ainsi, tout à tour, de l’intégralité de l’usufruit constitué.
    • Selon M. Grimaldi nous ne sommes pas en présence « d’un unique usufruit qui passerait mortis causa d’un gratifié à l’autre» mais d’« usufruits successifs, distincts qui s’ouvriront tour à tour, chacun à l’extinction du précédent par la mort de son titulaire ».
    • La Cour de cassation a précisé que la clause de réversibilité de l’usufruit « s’analysait en une donation à terme de bien présent, le droit d’usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l’acte» ( 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-19759).
    • Il en résulte que seul l’exercice du droit d’usufruit est différé, non sa constitution, ce qui évite de tomber sous le coup de la prohibition des pactes sur succession future.

B) Le terme

L’article 617, al. 3 dispose que « l’usufruit s’éteint […] par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé »

À l’analyse, il est deux situations où l’usufruit n’est pas viager : lorsque, d’une part, il est assorti d’un terme stipulé par le constituant et lorsque, d’autre part, il est constitué à la faveur d’une personne morale

==> L’usufruit est assorti d’un terme stipulé par le constituant

Il est admis que le constituant assortisse l’usufruit d’un terme déterminé. Dans cette hypothèse, l’usufruit s’éteindra :

  • Soit à l’expiration du terme fixé par l’acte constitutif
  • Soit au décès de l’usufruitier qui peut potentiellement intervenir avant le terme fixé

La seule limite à la liberté des parties quant à la fixation du terme de l’usufruit, c’est l’impossibilité de transmettre l’usufruit à cause de mort.

==> L’usufruit est constitué au profit d’une personne morale

Dans l’hypothèse où l’usufruitier est une personne morale, il est susceptible d’être perpétuel. En effet, une personne morale vit aussi longtemps que ses associés réalisent son objet social. Or ces derniers sont susceptibles de se succéder éternellement, par le jeu, soit des transmissions à cause de mort, soit des cessions de droits sociaux.

Aussi, afin que la règle impérative qui assortit l’usufruit d’un caractère temporaire s’applique également aux personnes morales, l’article 619 du Code civil que « l’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans. »

Cette règle est d’ordre public, de sorte que la durée ainsi posée ne saurait être allongée. Dans un arrêt du 7 mars 2007, la Cour de cassation n’a pas manqué de le rappeler, en jugeant que « l’usufruit accordé à une personne morale ne peut excéder trente ans » (Cass. 7 mars 2007, n°06-12568).

C) La consolidation

==> Principe général

L’article 617, al 4 prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la consolidation ou la réunion sur la même tête, des deux qualités d’usufruitier et de propriétaire »

Cette cause d’extinction de l’usufruit correspond à l’hypothèse d’acquisition :

  • Soit de la nue-propriété par l’usufruitier
  • Soit de l’usufruit par le nu-propriétaire
  • Soit de l’usufruit et de la nue-propriété par un tiers

Lorsque cette acquisition procède de l’accomplissement d’un acte juridique, la consolidation est subordonnée à la validité de cet acte. En cas d’irrégularité, le démembrement produira à nouveau tous ses effets.

L’acte opérant cette consolidation peut consister en une cession, une donation, un legs, un échange et plus généralement en toute opération translative de propriété.

==> Cas particulier de la vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété

L’article 621 du Code civil dispose que « en cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix. »

Cette disposition est directement issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités qui a tenté de régler une difficulté à laquelle étaient confrontés les praticiens du droit.

En effet, dans le cas de la cession d’un bien démembré, la question se pose fréquemment de savoir comment répartir le prix de cession entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.

Cette question ne concerne pas spécifiquement les partages successoraux, mais vise à préciser de manière générale le règlement de la vente globale d’un bien démembré, quel qu’en soit le contexte ou la raison.

La jurisprudence s’est abondamment prononcée en faveur de la répartition du prix de vente au prorata entre l’usufruit et la nue-propriété, considérant que tant l’usufruitier que le nu-propriétaire avaient droit à une portion du prix total correspondant à la valeur comparative de l’usufruit avec la nue-propriété (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 20 oct. 1987 ; Cass. 2e civ. 18 oct. 1989).

Il a, par suite, été jugé que les intérêts dus sur le prix de vente devaient également être partagés dans les mêmes proportions, sans que l’usufruitier puisse prétendre à leur totalité (Cass. 3e civ., 3 juillet 1991).

Mais, inversement, certains auteurs de la doctrine ont pu estimer qu’il convenait de reporter le démembrement de propriété sur le prix[4]. Cette thèse était toutefois minoritaire.

À l’examen, l’article 621, al. 1er du Code civil est venu consacrer la jurisprudence l’objectif recherché étant d’atteindre l’équité

Ainsi, cette disposition prévoit-elle que le prix de cession est réparti entre l’usufruitier et le nu-propriétaire – ou, ainsi que le dit le texte, entre l’usufruit et la nue-propriété – selon la valeur « respective » de chacun de ces droits.

Les parties conservent néanmoins la faculté de décider que l’usufruit se reportera sur le prix, ce qui revient à constituer un quasi-usufruit à la faveur de l’usufruitier, lequel pourra alors librement disposer de l’intégralité du prix de cession.

La contrepartie pour le nu-propriétaire résidera dans la restitution, à l’extinction de l’usufruit, du prix de cession lequel viendra s’imputer sur la masse successorale, puisque constituant une dette inscrite au passif. Cette dette viendra d’autant réduire l’assiette des droits de succession ; d’où l’intérêt de l’opération.

Quid de la valorisation de l’usufruit et de la nue-propriété ?

Comme dans le cas de la conversion de l’usufruit total du conjoint survivant en rente viagère, les modalités de calcul de la valorisation respective des droits démembrés ne sont pas précisées par l’article 621.

Cette imprécision renvoie alors à la totale liberté des parties, dont le contentieux éventuel devra être tranché par le juge.

À cet égard, la jurisprudence a déjà eu à se prononcer sur le mode de calcul de la valeur de l’usufruit, en acceptant de ne pas l’asseoir nécessairement sur le barème de l’article 762 du Code général des impôts, dont l’application ne s’impose qu’en matière fiscale,

BARÈME DE L’USUFRUIT EN PROPORTION DE LA VALEUR EN PLEINE PROPRIÉTÉ

Âge de l'usufruitierValeur de l'usufruitValeur de la nue-propriété
Jusqu'à 20 ans90%10%
De 21 à 30 ans80%20%
De 31 à 40 ans70%30%
De 41 à 50 ans60%40%
De 51 à 60 ans50%50%
De 61 à 70 ans40%60%
De 71 à 80 ans30%70%
De 81 à 90 ans20%80%
À partir de 91 ans10%90%

Dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la répartition du prix entre les venderesses, usufruitière et nue-propriétaire des actions, devait être proportionnelle à la valeur comparative de l’usufruit et de la nue-propriété et en retenant souverainement que l’évaluation de l’usufruit devait se faire en tenant compte de l’âge de l’usufruitière et du revenu net qu’elle pouvait espérer obtenir des actions vendues » (Cass. 3e civ. 25 févr. 1997).

Une autre solution consiste à s’appuyer sur le dispositif fiscal, au moins par défaut.

Toutefois, cette méthode présente le double inconvénient d’être moins respectueuse de la liberté des parties, et de s’éloigner de la valeur économique réelle.

En pratique, il existe globalement assez peu de contentieux, et donc de jurisprudence, en matière de répartition du prix entre usufruitier et nu-propriétaire. Cette situation traduit le caractère souvent consensuel des ventes de biens dont la propriété est démembrée.

Les parties se mettent en effet d’accord sur la valeur respective des droits, soit en se basant sur la valeur fiscale prévue par le code général des impôts, soit au regard des tables actuarielles dites « de Xénard » – du nom du notaire qui les a élaborées – permettant de déterminer la valeur économique de l’usufruit et auxquelles les praticiens se réfèrent souvent.

Une nouvelle évaluation de l’usufruit contraindrait à une élaboration mathématique nécessairement complexe, susceptible d’entraîner débats et contestations au plan réglementaire.

Il a donc logiquement semblé préférable de laisser aux parties, en cas de contestation devant le juge, le soin de faire fixer la valeur des droits d’usufruit et de nue-propriété par voie d’expert[5].

En tout état de cause, l’appréciation de cette valeur respective variera naturellement selon qu’il s’agit d’un usufruit à durée limitée, ou viager.

S’agissant d’un usufruit à durée limitée, la valeur fiscale de l’usufruit est fixée par le même article 669 du CGI à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de 10 ans, dans la limite de la valeur de l’usufruit viager.

D) La renonciation

Proche du mécanisme de la consolidation, la renonciation de l’usufruitier à son droit est une cause d’extinction de l’usufruit. Elle peut prendre plusieurs formes.

En effet, la renonciation peut être :

  • Conventionnelle ou unilatérale
  • Onéreuse ou libérale

En tout état de cause, il est admis que la renonciation emporte mutation d’un droit réel. La raison en est que la réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe que lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier (art. 1133 CGI).

Aussi, lorsque la réunion a lieu avant l’expiration du terme convenu pour la durée de l’usufruit ou avant l’expiration normale de celui-ci par le décès de l’usufruitier, par l’effet d’une renonciation de l’usufruitier ou d’une convention quelconque, l’impôt de mutation est dû sur la convention intervenue.

En outre, lorsque l’usufruit porte sur un immeuble, obligation est faite au renonçant d’accomplir toutes les formalités de publicité foncière en application de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955, faute de quoi l’acte de renonciation sera inopposable aux tiers.

Enfin, l’article 622 du Code civil prévoit que « les créanciers de l’usufruitier peuvent faire annuler la renonciation qu’il aurait faite à leur préjudice. ».

Autrement dit, si l’usufruitier agit en fraude de leurs droits, ils pourront demander la réintégration de l’usufruit dans son patrimoine pour mieux pouvoir l’appréhender en cas de mise en œuvre de procédures d’exécution forcée.

E) Le non-usage

L’article 617, al. 4 du Code civil prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par le non-usage du droit pendant trente ans ».

Il ressort de cette disposition que, à la différence du droit de propriété qui est imprescriptible, le droit d’usufruit succombe sous l’effet de la prescription extinctive dont le délai est fixé à trente ans. Ce délai court à compter du dernier acte accompli par l’usufruitier.

Il est indifférent que l’usufruit s’exerce sur un meuble ou un immeuble : la prescription extinctive produit ses effets dès lors qu’est constaté le non-usage de la chose.

A contrario, cela signifie que dès lors que l’usufruitier exerce son droit d’user et de jouir de la chose, même très rarement, le jeu de la prescription extinctive est neutralisé.

Plus précisément, cela suffit à l’interrompre et donc à effacer le délai de prescription acquis et faire courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.

À cet égard, il importe peu que l’acte interruptif soit accompli par l’usufruitier lui-même ou qu’il soit accompli par un tiers en son nom (locataire, mandataire, etc.)

F) L’usucapion

Bien que prévu par aucun texte, il est admis que l’usufruit puisse être acquis par le jeu de la prescription acquisitive attachée à la possession, ce qui a pour conséquence de faire perdre à l’usufruitier initial son droit de jouissance sur la chose.

L’article 2258 du Code civil définit cette prescription comme « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

La prescription acquisitive aura vocation à jouer lorsque celui qui tire profit de la jouissance de la chose se comportera comme le véritable usufruitier.

Tel sera notamment le cas, lorsqu’il aura acquis l’usufruit, en vertu d’un titre, auprès d’une personne qui n’était pas le véritable propriétaire du bien. Le possesseur aura ainsi été institué usufruitier a non domino.

S’agissant de la durée de la prescription acquisitive, elle dépend de la nature du bien objet de la possession.

  • S’il s’agit d’un immeuble, la prescription pourra être de 10 ans en cas de bonne foi du possesseur et de justification d’un juste titre. À défaut, la durée de la prescription acquisitive est portée à trente ans.
  • S’il s’agit d’un meuble, l’effet acquisitif de la possession est immédiat, sauf à ce que le possesseur soit de mauvaise foi auquel cas la durée de la prescription sera de trente ans.

G) La perte de la chose

==> Principe

L’article 617, al. 4 du Code civil prévoit que « l’usufruit s’éteint […] par la perte totale de la chose sur laquelle l’usufruit est établi. »

La perte de la chose a donc pour conséquence de mettre fin à l’usufruit, car le privant d’objet.

Cette perte peut consister :

  • Soit en une disparition de la chose lorsqu’elle est corporelle
  • Soit en la perte d’un droit lorsque la chose est incorporelle

À cet égard, les auteurs assimilent à la perte de la chose, le cas où elle ferait l’objet d’une modification qui l’altérerait dans ses caractères essentiels et qui la rendrait impropre à l’usage auquel elle était destinée (V. en ce sens Aubry et Rau).

En outre, l’article 624 du Code civil envisage le cas particulier de l’usufruit portant sur un immeuble.

Cette disposition distingue, selon qu’est ou non inclus dans son assiette le sol.

  • L’usufruit porte sur le sol et le bâtiment
    • Dans cette hypothèse, en cas de destruction du bâtiment, l’usufruit pourra continuer à jouir du sol et des matériaux
  • L’usufruit porte sur le seul bâtiment
    • Dans cette hypothèse, en cas de destruction du bâtiment soit par incendie ou par un autre accident, ou qu’il s’écroule de vétusté, l’usufruitier n’aura le droit de jouir ni du sol ni des matériaux.

Enfin, le texte précise que seule la perte totale de la chose a pour effet d’éteindre l’usufruit. Lorsque, par conséquent, cette perte n’est que partielle, les droits de l’usufruitier subsistent, l’assiette de l’usufruit s’en trouvant seulement réduite.

L’article 623 du Code civil prévoit en ce sens que « si une partie seulement de la chose soumise à l’usufruit est détruite, l’usufruit se conserve sur ce qui reste. »

==> Exception

Par exception, il est admis que lorsque la perte de la chose donne lieu au paiement d’une indemnité, l’usufruit se reporte sur cette indemnité par le jeu d’une subrogation réelle.

Pour rappel, cette forme de subrogation réalise la substitution, dans un patrimoine, d’une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

La subrogation réelle est susceptible d’intervenir dans trois situations distinctes :

  • La perte de la chose donne lieu à l’octroi d’une indemnité d’assurance
  • La perte de la chose a pour cause une expropriation pour cause d’utilité publique dont la contrepartie est le paiement d’une juste et préalable indemnité.
    • L’article L. 13-7 du Code de l’expropriation prévoit en ce sens que « dans le cas d’usufruit, une seule indemnité est fixée, le nu-propriétaire et l’usufruitier exercent leurs droits sur le montant de l’indemnité au lieu de les exercer sur la chose. »
  • La perte de la chose donne lieu au paiement de dommages et intérêts

H) La déchéance pour abus de jouissance

L’article 618 du Code civil dispose que « l’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruitier peut être déchu de son droit lorsqu’il commet un abus de jouissance.

Par abus de jouissance, il faut entendre une faute dont la gravité est de nature à altérer la substance du bien grevé par l’usufruit ou à en menacer la restitution.

Aussi, doit-il s’agit d’une faute commise, soit par l’usufruitier, soit par la personne dont il répond.

Au nombre des fautes constitutives d’un abus de jouissance, l’article 618 vise expressément :

  • Les dégradations sur le fonds
  • Le dépérissement du fonds par manque d’entretien

Dans un arrêt du 12 mars 1970, la Cour de cassation a de la sorte validé la décision d’une Cour d’appel qui avait jugé que « Dame veuve X était responsable de la ruine des immeubles soumis à son usufruit “même si x… Michel avait la charge de faire procéder en même temps qu’elle a des travaux confortatifs “, a constaté qu’un défaut d’entretien, remontant à dix-neuf années et imputable à l’usufruitière, avait entraîné la détérioration du gros œuvre des immeubles » (Cass. 3e civ. 12 mars 1970).

De son côté, la jurisprudence a admis qu’une le changement de destination du bien soumis à l’usufruit était susceptible de constituer un abus de jouissance.

Bien que le Code civil soit silencieux sur ce point, il est, en effet, fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.

Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.

C’est ainsi que dans un arrêt du 4 juin 1975 la Cour de cassation a jugé que « la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destines à un autre usage constitue en elle-même une altération de la substance de la chose soumise à usufruit et peut caractériser un abus de jouissance de nature à entraîner la déchéance de l’usufruit » (Cass. 3e civ. 4 juin 1975, n°74-10777).

II) Les effets de l’extinction

L’extinction de l’usufruit emporte deux conséquences :

  • La restitution de la chose
  • Le règlement des comptes

A) La restitution de la chose

  1. Principe

==> Droit commun

La première obligation qui échoit à l’usufruitier à l’expiration de son droit consiste à restituer la chose soumise à l’usufruit au nu-propriétaire

Cette restitution doit, en principe, intervenir en nature. Elle doit alors être restituée dans l’état où elle se trouvait au moment de la délivrance, et plus précisément tel que décrit dans l’inventaire qui a été dressé en application de l’article 600 du Code civil.

À défaut d’inventaire, notamment dans le cas d’une dispense, il appartiendra au nu-propriétaire de prouver que l’état dans lequel le bien lui est restitué ne correspond pas à celui dans lequel il se trouvait au jour de sa délivrance.

==> Cas particulier de l’universalité de biens

Lorsque l’usufruit porte sur une universalité de biens, il convient de distinguer selon que cette universalité est de droit ou de fait

  • L’usufruit d’une universalité de fait
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit porte sur un ensemble de biens unis par une même finalité économique.
    • Tel est le cas notamment du fonds de commerce qui regroupe l’ensemble des biens nécessaires à l’exploitation d’une activité commerciale déterminée.
    • Lorsque l’usufruit porte sur une universalité de fait, le droit dont est investi l’usufruitier a pour assiette, non pas les biens qui la composent, mais l’ensemble constitué par ces biens, soit le tout.
    • Il en résulte que l’usufruitier est seulement tenu de conserver l’universalité, prise dans sa globalité : il ne peut pas en disposer, ni la détruire.
    • Il ne s’agit donc pas d’un quasi-usufruit, mais bien d’un usufruit ordinaire.
    • Appliqué au fonds de commerce, cela signifie que, à l’expiration de l’usufruit, l’usufruitier devra restituer un fonds de commerce de valeur équivalente.
    • Pendant toute la durée de l’usufruit, il est, en revanche, libre de disposer de chacun des éléments qui composent le fonds de commerce (machines, outils, marchandises, matières premières etc.)
    • L’usufruitier est ainsi autorisé à accomplir tous les actes de nécessaires à l’exploitation de l’activité commerciale (achat et vente de marchandises etc.)
    • À cet égard, c’est lui qui percevra les bénéfices tirés de l’exploitation du fonds, tout autant que c’est lui qui endossera la qualité de commerçant et qui, à ce titre, sera soumis à l’obligation d’immatriculation.
  • L’usufruit d’une universalité de droit
    • Dans cette hypothèse, l’usufruit porte sur une masse de biens qui, de nature et d’origine diverses, et matériellement séparés, ne sont réunis par la pensée qu’en considération du fait qu’ils appartiennent à une même personne
    • Autrement dit, l’usufruit a ici pour objet un patrimoine ou une fraction de patrimoine.
    • Selon le cas, il sera qualifié d’usufruit à titre universel ou d’usufruit à titre particulier.
    • Cette forme d’usufruit se rencontre le plus souvent consécutivement à une dévolution successorale ou testamentaire.
    • Lorsqu’il porte sur un patrimoine, la portée de l’usufruit est radicalement différente de la situation où il a pour objet une universalité de fait.
    • En effet, l’assiette du droit de l’usufruitier est constituée par l’ensemble des biens qui composent le patrimoine et non par le patrimoine pris dans sa globalité.
    • La conséquence en est que, si l’usufruitier peut jouir des biens qui relèvent de l’assiette de son droit, il lui est fait interdiction d’en disposer, sauf à ce que, au nombre de ces biens, figurent des choses consomptibles auquel cas il sera autorisé à les restituer en valeur.
    • Pour les autres biens, non-consomptibles, il devra les restituer au nu-propriétaire dans le même état que celui dans lequel ils se trouvaient au jour de la délivrance

2. Exceptions

==> La restitution de la chose par équivalent

Il est des cas où la restitution de la chose ne pourra pas intervenir en nature. Il en va ainsi lorsque soit la chose est consomptible, soit elle a été perdue.

  • La chose est consomptible
    • Les choses consomptibles sont celles qui se consomment par le premier usage, en ce sens qu’elles disparaissent à mesure de l’utilisation que l’on en fait.
      • Exemple: l’argent, des aliments, une cartouche d’encre etc.
    • À l’évidence, lorsque l’usufruit porte sur une chose consomptible, cette situation soulève une difficulté qui tient à la fonction même de l’usufruit.
    • Il est, en effet, de principe que l’usufruit ne confère à l’usufruitier qu’un droit d’usage sur la chose, de sorte qu’il ne peut pas en disposer.
    • Si l’in appliquait cette règle strictement aux choses consomptibles, cela reviendrait à priver l’usufruitier d’en jouir et donc de vider le droit réel dont il est titulaire de sa substance.
    • C’est la raison pour laquelle, par exception, l’usufruitier est autorisé à disposer de la chose, telle le véritable propriétaire (on parle alors de quasi-usufruit).
    • L’article 587 du Code civil prévoit en ce sens que « si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution».
    • En contrepartie du droit de jouir d’une chose consomptible, l’usufruitier a donc l’obligation de restituer, à l’expiration de l’usufruit, soit une chose de même qualité et de même quotité, soit son équivalent en argent.
  • La chose a été perdue
    • Lorsque cette situation se présente, par hypothèse, la chose ne peut pas être restituée au nu-propriétaire.
    • Il est donc fondé à réclamer une restitution par équivalent, laquelle prendra la forme de dommages et intérêts
    • Une indemnisation sera également due en cas de détérioration de la chose imputable à l’usufruitier ou à la personne dont il répond
    • Afin d’évaluer la valeur de la chose, il conviendra de se reporter à l’inventaire qui devrait comporter une estimation de sa valeur

==> La restitution de la chose en l’état

L’article 589 du Code civil dispose que « si l’usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l’usage, comme du linge, des meubles meublants, l’usufruitier a le droit de s’en servir pour l’usage auquel elles sont destinées, et n’est obligé de les rendre à la fin de l’usufruit que dans l’état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute. »

Ainsi, lorsque la détérioration procède d’un usage normal de la chose, il n’y a pas lieu pour l’usufruitier à indemniser le nu-propriétaire.

On considère ici qu’elle se serait autant détériorée si elle avait été entre ses mains. Si toutefois cette détérioration résulte d’un manquement imputable à l’usufruitier qui n’aurait pas joui de la chose comme un bon père de famille, il sera redevable de dommages et intérêts à l’égard du nu-propriétaire.

==> L’absence de restitution de la chose

L’article 607 du Code civil prévoit que « ni le propriétaire, ni l’usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit. »

Lorsqu’ainsi la détérioration de la chose est due à un événement indépendant de la volonté de l’usufruitier (phénomène naturel, guerre, grève etc.) il ne doit aucune indemnité au nu-propriétaire et inversement.

B) Le règlement des comptes

À l’expiration de l’usufruit, il conviendra de procéder à un règlement des comptes afin de déterminer ce que doit l’usufruitier au nu-propriétaire et ce qui lui est dû

1. S’agissant des dettes de l’usufruitier

À l’expiration de l’usufruit, le nu-propriétaire est en droit de réclamer à l’usufruitier :

  • Les indemnités dues en réparation de la détérioration fautive de la chose ( 618 C. civ.)
  • Les intérêts charges extraordinaires au nombre desquelles figurent les frais de bornage, de clôture ( 609 C. civ.)
  • Restitution des fruits civils perçus postérieurement à l’expiration de l’usufruit ( 586 C. civ.)

2. S’agissant des créances de l’usufruitier

==> Principe général

À l’expiration de son droit, l’usufruitier est susceptible de solliciter auprès du nu-propriétaire le remboursement :

  • Du montant réglé au titre des grosses réparations, dans la limite de la plus-value apportée à l’immeuble
  • Des avances effectuées au titre des charges extraordinaires

==> Sort des dépenses d’amélioration

Il peut être précisé que lorsque l’usufruitier a entrepris des travaux d’amélioration, les dépenses engagées demeurent à la charge de l’usufruitier.

Par amélioration, il faut entendre tous les travaux qui ne se justifient pas par la conservation du bien et qui visent, au contraire, à lui apporter une plus-value.

L’article 599, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée. »

Dans un arrêt du 12 juin 2012 la Cour de cassation elle a fait une application de la règle ainsi énoncée en jugeant que « l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien et que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit, auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu ; que ce dernier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée » (Cass. com. 12 juin 2012, n°n° 11-11424).

L’objectif recherché ici est d’éviter tout contentieux sur l’estimation de la plus-value réalisée et de protéger le nu-propriétaire de dépenses dispendieuses qui pourraient être engagées par l’usufruitier, celui-ci pouvant être encouragé par la perspective d’être intégralement indemnisé à l’expiration de son droit. Ce sera là une charge très lourde qui pourrait être imposée au nu-propriétaire, alors même qu’il n’a rien demandé, ni n’a été en mesure d’y consentir.

Pour c’est raison, il est constant en jurisprudence que les dépenses d’amélioration demeurent à la charge du seul usufruitier.

Cette position n’est pas sans faire l’objet de critiques dans la mesure où cela revient :

  • D’une part, à admettre un cas d’enrichissement sans cause, ce en contravention avec l’article 1303 du Code civil
  • D’autre part, à placer l’usufruitier dans une situation bien moins avantageuse que le possesseur de mauvaise foi qui, en application de l’article 555, al. 3 du Code civil, est fondé à obtenir une indemnité lorsqu’il a édifié une construction sur le fonds qu’il occupe et que le propriétaire décide d’exercer son droit à la conserver

Malgré ces critiques, la jurisprudence est demeurée intransigeante. Elle a notamment refusé de distinguer, ainsi que cela avait été suggéré, de distinguer selon que la défense engagée vise à améliorer le bien soumis à usufruit ou à en acquérir un nouveau.

La Cour de cassation considère que cette règle s’applique en tout état de cause, y compris lorsque l’amélioration du bien consiste en l’édification d’une construction/

Dans un arrêt du 4 novembre 1885, elle a par exemple jugé que « suivant l’esprit de [l’article 599], on ne doit considérer comme améliorations soit les constructions ayant pour effet d’achever un bâtiment commencé, ou bien d’agrandir un édifice préexistant » (Cass. req. 4 nov. 1885).

Dans un arrêt du 19 septembre 2012 la troisième chambre civile a précisé « qu’il n’existait aucun enrichissement pour la nue-propriétaire qui n’entrera en possession des constructions qu’à l’extinction de l’usufruit, l’accession n’a pas opéré immédiatement au profit du nu-propriétaire du sol » (Cass. 3e civ. 19 sept. 2012, n°11-15460).

Seule limite à la règle ainsi posée : l’alinéa 3 de l’article 599 du Code civil autorise l’usufruitier à « enlever les glaces, tableaux et autres ornements qu’il aurait fait placer, mais à la charge de rétablir les lieux dans leur premier état. »

[1] F. Zénati et Th. Revet, Les biens, éd. PUF, 2008, n°244

[2] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[3] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[4] F.-X. Royet, « L’article 815-5 du Code civil et la vente en pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit », J.C.P. 1985, I, p. 102. De même, voir étude de J. Patarin, Rép. Defrénois 1954, art. 27306.

[5] V. en ce sens étude publiée au Defrenois par M. L.-C. Brault, notaire, n° 36042, en 1995.

Le droits et obligations du nu-propriétaire

Aux côtés de l’usufruitier qui bénéficie de la jouissance de la chose (usus et fructus), le nu-propriétaire conserve le droit d’en disposer (abusus).

Ce droit, dont l’assiette est pendant toute la durée de l’usufruit pour le moins restreinte a pour intérêt majeur de garantir au nu-propriétaire le recouvrement de la pleine propriété de la chose à l’expiration de l’usufruit.

Parce que le nu-propriétaire, à l’instar de l’usufruitier, exerce un droit réel sur la chose, il est investi de prérogatives tout autant qu’il lui incombe des obligations.

I) Les droits du nu-propriétaire

Par hypothèse, le nu-propriétaire ne bénéficie pas de la jouissance de la chose. Il en résulte que ses prérogatives sont bien moins nombreuses que celles exercées par l’usufruitier.

A) Le droit de disposer de la chose : l’abusus

Tandis que l’usufruitier est titulaire des droits d’user et de jouir de la chose, le nu-propriétaire est investi du droit d’en disposer.

Ce droit de disposer de la chose est néanmoins restreint, car il ne lui permet pas de détruire le bien, alors même que cette prérogative relève de l’abusus.

La raison en est que s’il détruisait la chose, il porterait atteinte au droit – réel de l’usufruitier – qui serait privé de la faculté d’en jouir.

C’est donc un droit de disposer diminué qui est conféré au nu-propriétaire. Il conserve néanmoins la faculté de céder son droit ou de grever la nue-propriété de droits réels (sûretés, servitudes).

À cet égard, l’article 621 du Code civil précise que « la vente du bien grevé d’usufruit, sans l’accord de l’usufruitier, ne modifie pas le droit de ce dernier, qui continue à jouir de son usufruit sur le bien s’il n’y a pas expressément renoncé. »

B) Le droit de percevoir les produits

Si l’usufruitier est titulaire du droit de percevoir les fruits engendrés par la chose, c’est au nu-propriétaire que reviennent les produits.

Pour rappel, les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance

Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine. Il en va de même des arbres de haute futaie des forêts qui sont ceux laissés en place pour qu’ils atteignent leur pleine maturité. N’ayant pas vocation à être coupés à échéance périodique, on les qualifie de produits.

Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé »[1].

C’est la raison pour laquelle, les produits ne peuvent être perçus que par le nu-propriétaire dont le droit s’exerce sur le capital.

C) Actes conservatoires

Bien que l’accomplissement d’actes conservatoires relève des prérogatives de l’usufruitier, le nu-propriétaire est directement intéressé par la conservation de la chose. Et pour cause, il a vocation à recouvrer la pleine propriété du bien à l’expiration de l’usufruit.

Aussi, est-il admis que, pour assurer la sauvegarde de la substance de la chose, le nu-propriétaire puisse accomplir tous les actes conservatoires requis, notamment en cas de carence de l’usufruitier.

Il pourra donc s’agir d’engager une procédure de recouvrement, renouveler une sûreté, interrompre un délai de prescription

Il pourra encore contraindre l’usufruitier à prendre toutes les mesures utiles aux fins d’éviter que la chose ne se détériore et plus généralement à engager des travaux d’entretien.

Dans un arrêt du 21 mars 1962 la Cour de cassation a, en effet, jugé que « le nu-propriétaire peut, pendant la durée de l’usufruit, contraindre l’usufruitier à effectuer les réparations d’entretien tendant à la conservation de l’immeuble ou de la partie de l’immeuble grevée d’usufruit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 1962).

À cet égard, en cas d’inaction de l’usufruitier il est un risque qu’il soit déchu de son droit. L’article 618 du Code civil prévoit, en effet, que « l’usufruit peut aussi cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. »

D) Actions en justice

Le nu-propriétaire est fondé à engager toutes les actions en justice qui vise à préserver son droit de propriété.

Il peut donc exercer l’action en revendication, en contestation ou reconnaissance d’une servitude.

Le nu-propriétaire peut encore dénoncer en justice les empiétements susceptibles d’affecter le fonds dont il est propriétaire, tout autant qu’il peut saisir le juge pour toute question relative au bornage ou à la clôture du terrain.

Il peut enfin agir contre l’usufruitier qui manquerait à ses obligations, en particulier s’il constate qu’il commet un abus de jouissance, lequel abus est sanctionné par la déchéance de l’usufruit.

E) Le droit à être informé de la modification de la substance de la chose

De manière générale, le nu-propriétaire est en droit d’être informé par l’usufruitier de toutes les modifications qui affectent la substance de la chose.

La raison en est qu’il doit pouvoir agir au plus vite afin de prendre toutes les mesures utiles que requiert la situation. Il doit néanmoins pouvoir empêcher l’usufruitier d’accomplir des actes qui auraient des conséquences irréversibles.

Ce droit à être informé dont est titulaire le nu-propriétaire a été reconnu par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 novembre 1998 qui, dans cette affaire, avait qualifié le portefeuille de valeurs mobilières d’universalité de fait (Cass. 1ère civ. 12 nov. 1998, n°96-18041)

Or lorsque l’usufruit porte sur une universalité de fait, le droit dont est investi l’usufruitier a pour assiette, non pas les biens qui la composent, mais l’ensemble constitué par ces biens, soit le tout.

Il en résulte que l’usufruitier est seulement tenu de conserver l’universalité, prise dans sa globalité : il ne peut pas en disposer, ni la détruire.

Pendant toute la durée de l’usufruit, il est, en revanche, libre de disposer de chacun des éléments qui composent l’universalité.

Lorsque l’universalité consiste en un portefeuille de valeurs mobilières, il est un risque que le nu-propriétaire soit spolié par l’usufruitier.

Aussi, afin de prévenir cette situation, la Cour de cassation a instauré une obligation d’information du nu-propriétaire sur la modification du contenu du portefeuille de valeurs mobilières.

Dans un arrêt du 3 décembre 2002, la troisième chambre civile a précisé que « pour déterminer la substance conservée et la valeur du bien à partager, il est nécessaire que l’usufruitière puisse donner tous les éléments nécessaires pour déterminer si les seules valeurs subsistantes au jour du partage, représentent bien toute la substance de l’universalité qu’elle était chargée de conserver » (Cass. 3e civ. 3 déc. 2002, n°00-17870).

Cette obligation d’information instituée par la Cour de cassation doit être exécutée pendant toute la durée de l’usufruit, l’objectif recherché étant que le nu-propriétaire puisse, en cas de manquement grave de l’usufruitier, engager toutes les actions nécessaires à la préservation de ses droits.

II) Les obligations du nu-propriétaire

À l’examen, trois obligations pèsent sur la tête du nu-propriétaire :

  • Ne pas porter atteinte au droit de jouissance de l’usufruitier
  • Supporter la charge des grosses réparations
  • S’acquitter des charges extraordinaires

A) L’obligation de ne pas nuire aux droits de l’usufruitier

L’article 599, al. 1er du Code civil dispose que « le propriétaire ne peut, par son fait, ni de quelque manière que ce soit, nuire aux droits de l’usufruitier. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait défense au nu-propriétaire d’entraver l’exercice des droits d’usage et de jouissance de l’usufruitier.

Autrement dit, le nu-propriétaire ne peut apporter aucune modification à la substance de la chose puisque celle-ci constitue l’assiette de l’usufruit.

Dans un arrêt du 28 novembre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que méconnaissait les droits de l’usufruitier le nu-propriétaire qui en défrichant et en clôturant un domaine anéantissait toute possibilité de chasse (Cass. 1ère civ. 28 nov. 1972).

Les seuls travaux d’ampleur que le nu-propriétaire est autorisé à effectuer sont ceux qui visent à réaliser des grosses réparations.

B) L’obligation de supporter la charge des grosses réparations

==> Notion

Contrairement aux dépenses d’entretien qui ne sont pas définies par le Code civil, les grosses réparations sont listées par l’article 606.

En application de cette disposition elles s’entendent des réparations des gros murs, voûtes et planchers, du rétablissement des poutres, des couvertures entières, des digues, murs de soutènement et clôtures.

La Cour de cassation a défini les grosses réparations comme celles qui « intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale » tandis que les réparations d’entretien « sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 13 juill. 2005, n°04-13764).

Il a par exemple été jugé que :

  • La réfection de zingueries affectant une partie exceptionnelle de l’immeuble était une grosse réparation car engageant une dépense exceptionnelle ( 1ère civ. 2 févr. 1955)
  • Le recrépissement ou le ravalement d’un immeuble est, en revanche, une réparation d’entretien ( 1ère civ. 21 mars 196)

Les grosses réparations correspondent donc aux travaux de restauration d’une structure essentielle de l’immeuble, tels que la réfection d’un mur pignon ou le rétablissement de poutres ou de couvertures entières.

Dans un arrêt du 27 novembre 2002, la troisième chambre civile a précisé que « l’article 606 du Code civil énumère limitativement les grosses réparations » (Cass. 3e civ. 27 nov. 2002, n°01-12816).

Il en résulte que les juridictions ne peuvent pas ajouter des travaux à la liste énoncée par l’article 606. Les grosses réparations doivent se limiter à celles qui touchent à la solidité et à la structure du bien.

==> Répartition

  • Principe
    • Parce que les grosses réparations se rattachent à la substance même de la chose, l’article 605 prévoit qu’elles sont à la charge du seul nu-propriétaire.
    • Il devra s’acquitter de son obligation au plus tard à l’expiration de l’usufruit.
  • Exceptions
    • Négligence de l’usufruitier
      • L’article 605 indique que les grosses réparations restent à la charge de l’usufruitier lorsqu’elles ont été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit ; auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu.
      • Ainsi, dans l’hypothèse où les grosses réparations résulteraient de la faute de l’usufruitier qui n’auraient pas satisfait à son obligation d’entretien et de conservation de la chose en bon état, c’est lui qui en supportera le coût.
    • Travaux d’amélioration
      • Lorsque les grosses réparations s’apparentent à des travaux d’améliorations, elles demeurent à la charge de l’usufruitier
      • Dans un arrêt du 12 juin 2012 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’usufruitier n’est tenu qu’aux réparations d’entretien et que les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire, à moins qu’elles n’aient été occasionnées par le défaut de réparations d’entretien, depuis l’ouverture de l’usufruit, auquel cas l’usufruitier en est aussi tenu ; que ce dernier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée» ( com. 12 juin 2012, n°n° 11-11424).
    • Reconstruction du bien
      • L’article 607 du Code civil prévoit que « ni le propriétaire, ni l’usufruitier, ne sont tenus de rebâtir ce qui est tombé de vétusté, ou ce qui a été détruit par cas fortuit.»
      • Lorsque, de la sorte, un immeuble est tombé en ruine, aucune obligation n’est faite au nu-propriétaire de le rebâtir, sous réserve que la cause de l’état du bien réside dans le cas fortuit.
      • Dans l’hypothèse où la destruction de l’immeuble serait imputable au nu-propriétaire, il devra indemniser l’usufruitier et inversement.

==> Exécution de l’obligation

La Cour de cassation a jugé dans plusieurs arrêts que l’usufruitier ne pouvait pas contraindre le nu-propriétaire à effectuer les grosses réparations sur le bien (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 juill. 2002, n°00-22158 ; Cass. 3e civ. 18 déc. 2013, n°12-18537).

La raison en est qu’ils sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

Aussi, il n’y a entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Reste que dans l’hypothèse où l’usufruitier a été contraint de supporter la charge des grosses réparations, il disposera d’un recours contre le nu-propriétaire qu’il pourra exercer à l’expiration de l’usufruit.

Dans un arrêt du 17 juillet 1911 la Cour de cassation a jugé en ce sens que l’usufruitier qui a supporté le coût d’une grosse réparation était fondé à réclamer le montant de la plus-value en résultant lors de la cessation de l’usufruit (Cass. civ. 17 juill. 1917).

C) L’obligation de s’acquitter des charges extraordinaires

Tandis que les charges périodiques incombent à l’usufruitier (impôt sur le revenu, taxe d’habitation, taxe foncière etc.), car directement attachées à la jouissance du bien, l’article 609 du Code civil fait supporter au nu-propriétaire les charges dites extraordinaires.

Cette disposition les définit comme celles « qui peuvent être imposées sur la propriété pendant la durée de l’usufruit ».

Ces charges sont attachées à la substance de la chose, au capital. Il s’agit, par exemple, des frais de bornage.

L’article 609, al. 2e répartit les charges extraordinaires entre le nu-propriétaire et l’usufruitier comme suit :

  • Le nu-propriétaire supporte le coût des charges pour le capital
  • L’usufruitier supporte, quant à lui, le coût des intérêts

L’alinéa 3 du texte précise que si les charges extraordinaires sont avancées par l’usufruitier, il a la répétition du capital à la fin de l’usufruit.

Reste que les créanciers ne peuvent agir, pour le recouvrement du capital de la dette, que contre le nu-propriétaire.

[1] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

Usufruit: le droit de percevoir les fruits

L’usufruit ne confère pas seulement à l’usufruitier le droit de faire usage de la chose, il lui confère également le droit d’en jouir.

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour l’usufruitier d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

L’article 582 du Code civil prévoit en ce sens que « l’usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l’objet dont il a l’usufruit. »

Immédiatement, il convient alors de préciser ce que l’on doit entendre par « fruits », lesquels doivent être distingués des « produits. »

I) Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière des pierres.

La question qui a lors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
          • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
          • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
          • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
          • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
        • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères :
          • La périodicité (plus ou moins régulière)
          • La conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
        • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[2].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

Manifestement, la qualification de fruit ou de produit du revenu généré par la chose est d’importance, car elle détermine qui du nu-propriétaire ou de l’usufruitier en bénéficiera.

Si, en principe, cette qualification est prédéterminée par la nature de la chose, il est des cas où elle dépend de la volonté du propriétaire qui selon l’exploitation qu’il en fait pourra en retirer, tantôt des fruits, tantôt des produits.

Illustration est faite de cette possibilité dans le code civil qui distingue selon que sont présents sur un fonds soumis à usufruit des arbres de haute futaie des forêts ou des bois taillis.

  • S’agissant des bois taillis
    • Il s’agit des arbres qui ont vocation à être coupés à échéance périodique avant qu’ils n’atteignent leur pleine maturité pour qu’ils se développent à nouveau à partir de leur souche
    • Cette périodicité de la coupe des bois taillis leur confère la qualité de fruit : ils reviennent donc au seul usufruitier
    • À cet égard, l’article 590, al.1er du Code civil précise « si l’usufruit comprend des bois taillis, l’usufruitier est tenu d’observer l’ordre et la quotité des coupes, conformément à l’aménagement ou à l’usage constant des propriétaires ; sans indemnité toutefois en faveur de l’usufruitier ou de ses héritiers, pour les coupes ordinaires, soit de taillis, soit de baliveaux, soit de futaie, qu’il n’aurait pas faites pendant sa jouissance»
    • L’alinéa 2 ajoute que l’usufruitier doit se conformer aux usages des lieux pour le remplacement
  • S’agissant des arbres de haute futaie des forêts
    • Principe
      • Contrairement aux bois taillis, les arbres de haute futaie des forêts sont ceux qui sont laissés en place pour qu’ils atteignent leur pleine maturité
      • Ils n’ont donc pas vocation à être coupés à échéance périodique ce qui fait d’eux des produits
      • Aussi reviennent-ils au nu-propriétaire et non à l’usufruitier qui ne peut y toucher.
      • Tout au plus l’article 592 du Code civil autorise l’usufruitier à « employer, pour faire les réparations dont il est tenu, les arbres arrachés ou brisés par accident ; il peut même, pour cet objet, en faire abattre s’il est nécessaire, mais à la charge d’en faire constater la nécessité avec le propriétaire. »
    • Exception
      • L’article 591 du Code civil envisage un cas où les arbres de haute futaie peuvent être qualifiés de fruits : lorsqu’ils sont aménagés et plus précisément lorsqu’ils sont soumis à une coupe réglée.
      • Dans cette hypothèse, ils reviennent à l’usufruitier et non au nu-propriétaire
      • Le texte prévoit en ce sens que « l’usufruitier profite encore […] des parties de bois de haute futaie qui ont été mises en coupes réglées, soit que ces coupes se fassent périodiquement sur une certaine étendue de terrain, soit qu’elles se fassent d’une certaine quantité d’arbres pris indistinctement sur toute la surface du domaine. »
      • Cette prérogative conférée à l’usufruitier est toutefois subordonnée au respect par lui de l’exigence de se conformer « aux époques et à l’usage des anciens propriétaires».
      • Dans le prolongement de cette faculté consenti à titre dérogatoire à l’usufruitier sur les arbres de haute futaie, l’article 593 du Code civil prévoit que « il peut prendre, dans les bois, des échalas pour les vignes ; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels ou périodiques ; le tout suivant l’usage du pays ou la coutume des propriétaires».

Enfin, l’article 594 du Code civil envisage le sort des arbres fruitiers présents sur le fonds soumis à l’usufruit.

Le texte prévoit que « les arbres fruitiers qui meurent, ceux mêmes qui sont arrachés ou brisés par accident, appartiennent à l’usufruitier, à la charge de les remplacer par d’autres. »

II) L’acquisition des fruits

==> Le moment d’acquisition des fruits

L’article 604 du Code civil dispose que « le retard de donner caution ne prive pas l’usufruitier des fruits auxquels il peut avoir droit ; ils lui sont dus du moment où l’usufruit a été ouvert. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruitier peut percevoir les fruits produits par la chose à compter du moment où son droit est ouvert.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment s’opère cette ouverture du droit de l’usufruitier ?

À l’examen, il convient de distinguer selon que l’usufruit est d’origine légale, conventionnelle, testamentaire ou judiciaire.

  • L’usufruit d’origine légale
    • Dans cette hypothèse, pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier de percevoir les fruits, il convient de se reporter au point de départ fixé par la loi.
    • Ainsi, le droit du conjoint survivant qui est susceptible d’opter en présence d’enfants communs pour l’usufruit de la totalité des biens du de cujus s’ouvre à compter du décès de ce dernier
    • S’agissant du droit de jouissance légal des parents sur les biens de leur enfant il naît à compter du jour de l’acquisition du bien
  • L’usufruit conventionnel
    • Dans cette hypothèse, c’est la volonté des parties qui détermine le point de départ de l’usufruit.
    • À défaut, le droit de l’usufruitier est réputé être ouvert à compter du jour de la conclusion du contrat, soit de la régularisation de l’acte.
  • L’usufruit judiciaire
    • Dans cette hypothèse, c’est le juge qui, en octroyant à une partie, un droit d’usufruit, fixera son point de départ.
    • Lorsque, par exemple, l’usufruit sera constitué dans le cadre de l’octroi d’une prestation compensatoire, le droit du bénéficiaire prendra le plus souvent effet au jour de prononcé du jugement
  • L’usufruit testamentaire
    • Dans cette hypothèse, il convient de distinguer selon que l’usufruit est consenti à un légataire universel ou à un légataire à titre particulier.
      • L’usufruit consenti à un légataire universel ou à titre universel
        • Pour rappel, le légataire universel est celui qui se voit léguer l’universalité des biens du testateur, soit l’ensemble de son patrimoine ( 1003 C. civ.)
        • Quant au légataire à titre universel il s’agit de la personne qui recueille une quote-part des biens dont la loi permet au testateur de disposer, telle qu’une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier ( 1010 C. civ.).
        • À l’examen, la jurisprudence ne distingue pas selon que l’usufruitier est légataire universel ou légataire à titre universel
        • Dans les deux cas, les juridictions font application de l’article 1005 du Code civil.
        • En application de cette disposition le légataire universel aura la jouissance des biens compris dans le testament, à compter du jour du décès, si la demande en délivrance a été faite dans l’année, depuis cette époque
        • À défaut, précise le texte, cette jouissance ne commencera que du jour de la demande formée en justice, ou du jour que la délivrance aurait été volontairement consentie.
        • Dans un arrêt du 6 décembre 2005 la cour de cassation est venue préciser que « le conjoint survivant, investi de la saisine sur l’universalité de l’hérédité, a, dès le jour du décès et quelle que soit l’étendue de la vocation conférée par le legs qui lui a été consenti, la jouissance de tous les biens composant la succession, laquelle est exclusive de toute indemnité d’occupation» ( 6 déc. 2005, n°03-10211).
        • Il ressort de cette disposition que lorsque l’usufruitier cumule les qualités de légataire universel ou à titre universel et d’héritier son droit s’ouvre, en tout état de cause, au jour du décès du de cujus.
      • L’usufruit consenti à un légataire à titre particulier
        • Tout d’abord, le légataire à titre particulier est celui qui se voit léguer par le testateur un ou plusieurs biens individualisés
        • Dans cette hypothèse pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier à percevoir les fruits, il convient de se reporter à l’article 1014, al. 2e du Code civil.
        • Cette disposition prévoit que « le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »
        • Il en résulte que le légataire à titre universel devra attendre la délivrance de la chose par les héritiers saisis pour percevoir les fruits.

==> Les modes d’acquisition des fruits

Les règles qui régissent l’acquisition des fruits diffèrent selon qu’il s’agit de fruits naturels, de fruits industriels ou encore de fruits civils.

  • Les fruits naturels
    • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
    • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
    • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
    • S’agissant de leur perception, elle procède de leur séparation du sol.
    • Ainsi, l’article 585, al. 1er du Code civil prévoit que les fruits naturels pendants par branches ou par racines au moment où l’usufruit est ouvert, appartiennent à l’usufruitier.
    • Encore faut-il néanmoins que l’usufruitier se donne la peine de les récolter.
    • L’alinéa 2e de l’article 585 précise, en effet, que les fruits « qui sont dans le même état au moment où finit l’usufruit appartiennent au propriétaire, sans récompense de part ni d’autre des labours et des semences, mais aussi sans préjudice de la portion des fruits qui pourrait être acquise au métayer, s’il en existait un au commencement ou à la cessation de l’usufruit. »
    • Ainsi les fruits qui n’auraient pas été perçus par l’usufruitier lorsque l’usufruit vient à expirer deviennent la propriété du propriétaire, ce, quand bien même le coût de la cultivation a été entièrement supporté par l’usufruitier.
    • Ce dernier ne peut réclamer ni la restitution du produit de la vente, ni indemnisation
  • Les fruits industriels
    • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
    • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
    • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
    • À l’instar des fruits naturels, les fruits industriels s’acquièrent par la perception, soit par leur séparation de la chose productrice ( 585 C. civ.)
  • Les fruits civils
    • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
    • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
    • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
    • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
    • S’agissant de leur perception, l’article 586 du Code civil prévoit que « les fruits civils sont réputés s’acquérir jour par jour et appartiennent à l’usufruitier à proportion de la durée de son usufruit. Cette règle s’applique aux prix des baux à ferme comme aux loyers des maisons et autres fruits civils. »
    • Il ressort de cette disposition que les fruits civils sont répartis, pour les années d’ouverture et d’expiration du droit d’usufruit entre l’usufruitier et le nu-propriétaire au prorata temporis.
    • Peu importe donc la date de la perception ; ce qui importe c’est la prise d’effet et d’extinction du droit.
    • Le calcul s’opérera sur la base d’une année de 365 jours, étant précisé que, l’usufruitier a droit aux fruits civils proportionnellement à la durée réelle de sa jouissance.
    • Pour exemple, si l’usufruit expire au 1er juillet, l’usufruitier percevra la moitié des loyers annuels et le nu-propriétaire l’autre moitié.
    • Si, en revanche, l’usufruit expire au 4 mars, l’usufruitier percevra les loyers dus pour les mois de janvier et février auxquels s’ajoutera le montant du loyer correspondant à 4 jours de jouissance.

Les droits de l’usufruitier

L’usufruit confère à son titulaire un droit réel. L’exercice de ce droit n’est, toutefois, pas sans contrepartie.

Un certain nombre d’obligations sont mises à la charge de l’usufruitier la principale d’entre elles étant la restitution du bien dans le même état que celui où il se trouvait au moment de l’entrée en jouissance.

De son côté, le nu-propriétaire exerce également un droit réel sur la chose. Ce droit, dont l’assiette est pendant toute la durée de l’usufruit pour le moins restreinte, a, au fond, pour intérêt majeur de garantir au nu-propriétaire le recouvrement de la pleine propriété de la chose à l’expiration de l’usufruit.

À cet effet, le nu-propriétaire a pour principale obligation de ne pas nuire à l’usufruitier dans sa jouissance de la chose.

À l’analyse, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

François Terré et Philippe Simler ont écrit en ce sens que « le Code civil a conçu l’usufruit et la nue-propriété comme deux droits réels, coexistant sur la chose et juxtaposés, mais séparés : il n’y a pas communauté, mais bien séparation d’intérêts entre l’usufruitier et le nu-propriétaire ».

Il n’y a donc, entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Les seules limites à l’exercice indépendant de ces droits réels dont ils sont titulaires sont celles posées par la loi, laquelle met à la charge de l’usufruitier plusieurs obligations propter rem (art. 600 à 615 C. civ.).

Nous nous focaliserons ici sur les droits de l’usufruitier.

La constitution d’un usufruit sur une chose opère un démembrement du droit de propriété : tandis que le nu-propriétaire conserve l’abusus, l’usufruitier recueille l’usus et le fructus.

Au vrai, cette répartition des prérogatives entre ces deux titulaires de droits réels n’est pas tout à fait exacte, en ce sens que le démembrement du droit de propriété n’est pas une opération à somme nulle.

En toute logique, la somme des démembrements du droit de propriété devrait être égale au tout que constitue la pleine propriété, soit rassemblée dans tous ses attributs.

Tel n’est pourtant pas le cas. Il suffit pour s’en convaincre d’observer que le démembrement du droit de propriété entre un usufruitier et un nu-propriétaire ne permet, ni à l’un, ni à l’autre de détruire le bien, alors même qu’il s’agit d’une prérogative dont est investi le plein propriétaire.

Ce constat a conduit des auteurs à relever que « quantitativement, l’usufruitier a moins de pouvoir que le propriétaire n’en perd… ; quant au nu-propriétaire, il a moins de pouvoir que ce qu’il aurait si son droit était ce qu’il reste de la propriété après ablation de l’usus et du fructus »[1].

En tout état de cause, il peut être relevé que l’usufruitier est titulaire de deux sortes de droits

  • Les droits qui s’exercent sur la chose
  • Les droits qui s’exercent sur l’usufruit

I) Les droits qui s’exercent sur la chose

Les droits dont est titulaire l’usufruitier sur la chose procèdent de l’usus et du fructus que lui confère l’usufruit.

A) Le droit d’user de la chose : l’usus

==> Principes généraux

Parce qu’il est titulaire de l’usus, l’usufruitier est investi du pouvoir de faire usage de la chose en exerçant sur elle une emprise matérielle.

Le Doyen Carbonnier définissait l’usus comme « cette sorte de jouissance qui consiste à retirer personnellement – individuellement ou par sa famille – l’utilité ou le plaisir que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non exploitée (habiter sa maison, porter ses bijoux, c’est en user) ».

À cet égard, le droit d’user de la chose confère à son titulaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.

À cet égard l’article 597 du Code civil précise, s’agissant de l’usufruitier, qu’« il jouit des droits de servitude, de passage, et généralement de tous les droits dont le propriétaire peut jouir, et il en jouit comme le propriétaire lui-même. »

L’usufruitier peut ainsi :

  • Utiliser la chose pour ses besoins personnels et pour autrui (habiter une maison, utiliser une voiture
  • Donner la chose à bail
  • Exploiter la chose (cultiver des terres, exploiter un fonds de commerce ou le donner en location-gérance etc..)
  • Consommer les choses consomptibles, à charge de les restituer par équivalent ou en valeur à l’expiration de l’usufruit
  • Construire un ouvrage dès lors que cela n’affecte pas de manière irréversiblement la substance de la chose

L’article 589 du Code civil précise que si l’usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l’usage, comme du linge, des meubles meublants, l’usufruitier a le droit de s’en servir pour l’usage auquel elles sont destinées, et n’est obligé de les rendre à la fin de l’usufruit que dans l’état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute.

Cela signifie donc que, pour les choses qui se détériorent par l’usage, l’usufruitier ne devra aucune indemnité au nu-propriétaire lors de la restitution du bien, dès lors qu’il en aura fait un usage normal.

Lorsque, en revanche, l’usage qu’il en fait est inapproprié et est de nature à précipiter la détérioration de la chose, l’usufruitier engagera sa responsabilité.

Il est encore fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.

Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.

Par exemple, il lui est interdit de transformer un immeuble à usage d’habitation en local qui abriterait une activité commerciale.

Dans un arrêt du 4 juin 1975 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destines à un autre usage constitue en elle-même une altération de la substance de la chose soumise à usufruit et peut caractériser un abus de jouissance de nature à entraîner la déchéance de l’usufruit » (Cass. 3e civ. 4 juin 1975, n°74-10777).

==> Cas particulier de la conclusion de baux

 L’article 595, al. 1er du Code civil prévoit que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. »

Ainsi, l’usufruitier est-il autorisé, par principe, à donner la chose soumise à l’usufruit à bail.

Toutefois, la conclusion de certains baux s’apparent parfois à de véritables actes disposition. Tel est le cas de la régularisation d’un bail commercial ou encore d’un bail rural

Aussi, afin qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits du nu-propriétaire qui, en présence d’un tel bail, serait contraint d’en supporter la charge à l’extinction de l’usufruit, le législateur a encadré l’opposabilité des actes accomplis en la matière par l’usufruitier.

  • S’agissant des baux conclus pour une durée égale ou inférieure à neuf ans
    • Le principe posé par l’article 595 du Code civil, c’est que l’usufruitier pour conclure seul ce type de baux, de sorte qu’ils sont parfaitement opposables au nu-propriétaire.
    • Ils auront donc vocation à se poursuivre à l’expiration de l’usufruit sans que le nu-propriétaire puisse s’y opposer.
    • L’alinéa 3 de l’article 595 a néanmoins apporté un tempérament à cette règle en prévoyant que « les baux de neuf ans ou au-dessous que l’usufruitier seul a passés ou renouvelés plus de trois ans avant l’expiration du bail courant s’il s’agit de biens ruraux, et plus de deux ans avant la même époque s’il s’agit de maisons, sont sans effet, à moins que leur exécution n’ait commencé avant la cessation de l’usufruit.».
    • L’objectif visée par cette règle est de limiter les conséquences d’un renouvellement de bail par anticipation.
    • Ainsi, selon qu’il s’agit d’un bail rural ou d’un autre type de bail, le renouvellement du bail ne pourra intervenir que trois ans ou deux avant l’expiration du bail en cours
  • S’agissant des baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans
    • Il ressort de l’article 595 du Code civil que lorsque le bail est conclu pour une durée supérieure à 9 ans, il est inopposable au nu-propriétaire.
    • L’alinéa 2e de cette disposition prévoit en ce sens que « les baux que l’usufruitier seul a faits pour un temps qui excède neuf ans ne sont, en cas de cessation de l’usufruit, obligatoires à l’égard du nu-propriétaire que pour le temps qui reste à courir, soit de la première période de neuf ans, si les parties s’y trouvent encore, soit de la seconde, et ainsi de suite de manière que le preneur n’ait que le droit d’achever la jouissance de la période de neuf ans où il se trouve»
  • S’agissant des baux portant sur un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal
    • L’article 595, al. 4 dispose que « l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte. »
    • Pour les baux visés par cette disposition, l’usufruitier est donc contraint d’obtenir l’accord du nu-propriétaire.
    • Cet accord n’est toutefois pas indispensable, dans la mesure où le texte ouvre une action à l’usufruitier qui peut solliciter le juge aux fins de l’autoriser à conclure le bail.
    • Elle lui sera accordée lorsqu’il s’avère que le refus du nu-propriétaire est seulement animé par l’intention de nuire ou qu’elle ne repose sur aucune raison valable.
    • En cas d’absence d’autorisation du nu-propriétaire ou du juge, la sanction encourue c’est la nullité du bail et non l’inopposabilité (V. en ce sens 3e civ., 26 janv. 1972).
    • Dans un arrêt du 16 décembre 1987, la Cour de cassation a précisé que « l’exercice de l’action en nullité découlant de l’article 595 du Code civil n’est pas subordonné à la cessation de l’usufruit?» ( 3e civ., 16 déc. 1987, n° 86-15324).
    • Il en résulte que l’action peut être engagée sans qu’il soit besoin d’attendre la fin de l’usufruit
    • A cet égard, la nullité est ici relative, de sorte que l’action appartient au seul nu-propriétaire.

B) Le droit de jouir de la chose : le fructus

L’usufruit ne confère pas seulement à l’usufruitier le droit de faire usage de la chose, il lui confère également le droit d’en jouir.

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour l’usufruitier d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

L’article 582 du Code civil prévoit en ce sens que « l’usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l’objet dont il a l’usufruit. »

Immédiatement, il convient alors de préciser ce que l’on doit entendre par « fruits », lesquels doivent être distingués des « produits. »

  1. Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière des pierres.

La question qui a lors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
          • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
          • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
          • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
          • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
        • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères :
          • La périodicité (plus ou moins régulière)
          • La conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
        • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[2].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

Manifestement, la qualification de fruit ou de produit du revenu généré par la chose est d’importance, car elle détermine qui du nu-propriétaire ou de l’usufruitier en bénéficiera.

Si, en principe, cette qualification est prédéterminée par la nature de la chose, il est des cas où elle dépend de la volonté du propriétaire qui selon l’exploitation qu’il en fait pourra en retirer, tantôt des fruits, tantôt des produits.

Illustration est faite de cette possibilité dans le code civil qui distingue selon que sont présents sur un fonds soumis à usufruit des arbres de haute futaie des forêts ou des bois taillis.

  • S’agissant des bois taillis
    • Il s’agit des arbres qui ont vocation à être coupés à échéance périodique avant qu’ils n’atteignent leur pleine maturité pour qu’ils se développent à nouveau à partir de leur souche
    • Cette périodicité de la coupe des bois taillis leur confère la qualité de fruit : ils reviennent donc au seul usufruitier
    • À cet égard, l’article 590, al.1er du Code civil précise « si l’usufruit comprend des bois taillis, l’usufruitier est tenu d’observer l’ordre et la quotité des coupes, conformément à l’aménagement ou à l’usage constant des propriétaires ; sans indemnité toutefois en faveur de l’usufruitier ou de ses héritiers, pour les coupes ordinaires, soit de taillis, soit de baliveaux, soit de futaie, qu’il n’aurait pas faites pendant sa jouissanc»
    • L’alinéa 2 ajoute que l’usufruitier doit se conformer aux usages des lieux pour le remplacement
  • S’agissant des arbres de haute futaie des forêts
    • Principe
      • Contrairement aux bois taillis, les arbres de haute futaie des forêts sont ceux qui sont laissés en place pour qu’ils atteignent leur pleine maturité
      • Ils n’ont donc pas vocation à être coupés à échéance périodique ce qui fait d’eux des produits
      • Aussi reviennent-ils au nu-propriétaire et non à l’usufruitier qui ne peut y toucher.
      • Tout au plus l’article 592 du Code civil autorise l’usufruitier à « employer, pour faire les réparations dont il est tenu, les arbres arrachés ou brisés par accident ; il peut même, pour cet objet, en faire abattre s’il est nécessaire, mais à la charge d’en faire constater la nécessité avec le propriétaire. »
    • Exception
      • L’article 591 du Code civil envisage un cas où les arbres de haute futaie peuvent être qualifiés de fruits : lorsqu’ils sont aménagés et plus précisément lorsqu’ils sont soumis à une coupe réglée.
      • Dans cette hypothèse, ils reviennent à l’usufruitier et non au nu-propriétaire
      • Le texte prévoit en ce sens que « l’usufruitier profite encore […] des parties de bois de haute futaie qui ont été mises en coupes réglées, soit que ces coupes se fassent périodiquement sur une certaine étendue de terrain, soit qu’elles se fassent d’une certaine quantité d’arbres pris indistinctement sur toute la surface du domaine. »
      • Cette prérogative conférée à l’usufruitier est toutefois subordonnée au respect par lui de l’exigence de se conformer « aux époques et à l’usage des anciens propriétaires».
      • Dans le prolongement de cette faculté consenti à titre dérogatoire à l’usufruitier sur les arbres de haute futaie, l’article 593 du Code civil prévoit que « il peut prendre, dans les bois, des échalas pour les vignes ; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels ou périodiques ; le tout suivant l’usage du pays ou la coutume des propriétaires».

Enfin, l’article 594 du Code civil envisage le sort des arbres fruitiers présents sur le fonds soumis à l’usufruit.

Le texte prévoit que « les arbres fruitiers qui meurent, ceux mêmes qui sont arrachés ou brisés par accident, appartiennent à l’usufruitier, à la charge de les remplacer par d’autres. »

2. L’acquisition des fruits

==> Le moment d’acquisition des fruits

L’article 604 du Code civil dispose que « le retard de donner caution ne prive pas l’usufruitier des fruits auxquels il peut avoir droit ; ils lui sont dus du moment où l’usufruit a été ouvert. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruitier peut percevoir les fruits produits par la chose à compter du moment où son droit est ouvert.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment s’opère cette ouverture du droit de l’usufruitier ?

À l’examen, il convient de distinguer selon que l’usufruit est d’origine légale, conventionnelle, testamentaire ou judiciaire.

  • L’usufruit d’origine légale
    • Dans cette hypothèse, pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier de percevoir les fruits, il convient de se reporter au point de départ fixé par la loi.
    • Ainsi, le droit du conjoint survivant qui est susceptible d’opter en présence d’enfants communs pour l’usufruit de la totalité des biens du de cujus s’ouvre à compter du décès de ce dernier
    • S’agissant du droit de jouissance légal des parents sur les biens de leur enfant il naît à compter du jour de l’acquisition du bien
  • L’usufruit conventionnel
    • Dans cette hypothèse, c’est la volonté des parties qui détermine le point de départ de l’usufruit.
    • À défaut, le droit de l’usufruitier est réputé être ouvert à compter du jour de la conclusion du contrat, soit de la régularisation de l’acte.
  • L’usufruit judiciaire
    • Dans cette hypothèse, c’est le juge qui, en octroyant à une partie, un droit d’usufruit, fixera son point de départ.
    • Lorsque, par exemple, l’usufruit sera constitué dans le cadre de l’octroi d’une prestation compensatoire, le droit du bénéficiaire prendra le plus souvent effet au jour de prononcé du jugement
  • L’usufruit testamentaire
    • Dans cette hypothèse, il convient de distinguer selon que l’usufruit est consenti à un légataire universel ou à un légataire à titre particulier.
      • L’usufruit consenti à un légataire universel ou à titre universel
        • Pour rappel, le légataire universel est celui qui se voit léguer l’universalité des biens du testateur, soit l’ensemble de son patrimoine ( 1003 C. civ.)
        • Quant au légataire à titre universel il s’agit de la personne qui recueille une quote-part des biens dont la loi permet au testateur de disposer, telle qu’une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier ( 1010 C. civ.).
        • À l’examen, la jurisprudence ne distingue pas selon que l’usufruitier est légataire universel ou légataire à titre universel
        • Dans les deux cas, les juridictions font application de l’article 1005 du Code civil.
        • En application de cette disposition le légataire universel aura la jouissance des biens compris dans le testament, à compter du jour du décès, si la demande en délivrance a été faite dans l’année, depuis cette époque
        • À défaut, précise le texte, cette jouissance ne commencera que du jour de la demande formée en justice, ou du jour que la délivrance aurait été volontairement consentie.
        • Dans un arrêt du 6 décembre 2005 la cour de cassation est venue préciser que « le conjoint survivant, investi de la saisine sur l’universalité de l’hérédité, a, dès le jour du décès et quelle que soit l’étendue de la vocation conférée par le legs qui lui a été consenti, la jouissance de tous les biens composant la succession, laquelle est exclusive de toute indemnité d’occupation» ( 6 déc. 2005, n°03-10211).
        • Il ressort de cette disposition que lorsque l’usufruitier cumule les qualités de légataire universel ou à titre universel et d’héritier son droit s’ouvre, en tout état de cause, au jour du décès du de cujus.
      • L’usufruit consenti à un légataire à titre particulier
        • Tout d’abord, le légataire à titre particulier est celui qui se voit léguer par le testateur un ou plusieurs biens individualisés
        • Dans cette hypothèse pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier à percevoir les fruits, il convient de se reporter à l’article 1014, al. 2e du Code civil.
        • Cette disposition prévoit que « le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »
        • Il en résulte que le légataire à titre universel devra attendre la délivrance de la chose par les héritiers saisis pour percevoir les fruits.

==> Les modes d’acquisition des fruits

Les règles qui régissent l’acquisition des fruits diffèrent selon qu’il s’agit de fruits naturels, de fruits industriels ou encore de fruits civils.

  • Les fruits naturels
    • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
    • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
    • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
    • S’agissant de leur perception, elle procède de leur séparation du sol.
    • Ainsi, l’article 585, al. 1er du Code civil prévoit que les fruits naturels pendants par branches ou par racines au moment où l’usufruit est ouvert, appartiennent à l’usufruitier.
    • Encore faut-il néanmoins que l’usufruitier se donne la peine de les récolter.
    • L’alinéa 2e de l’article 585 précise, en effet, que les fruits « qui sont dans le même état au moment où finit l’usufruit appartiennent au propriétaire, sans récompense de part ni d’autre des labours et des semences, mais aussi sans préjudice de la portion des fruits qui pourrait être acquise au métayer, s’il en existait un au commencement ou à la cessation de l’usufruit. »
    • Ainsi les fruits qui n’auraient pas été perçus par l’usufruitier lorsque l’usufruit vient à expirer deviennent la propriété du propriétaire, ce, quand bien même le coût de la cultivation a été entièrement supporté par l’usufruitier.
    • Ce dernier ne peut réclamer ni la restitution du produit de la vente, ni indemnisation
  • Les fruits industriels
    • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
    • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
    • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
    • À l’instar des fruits naturels, les fruits industriels s’acquièrent par la perception, soit par leur séparation de la chose productrice ( 585 C. civ.)
  • Les fruits civils
    • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
    • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
    • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
    • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
    • S’agissant de leur perception, l’article 586 du Code civil prévoit que « les fruits civils sont réputés s’acquérir jour par jour et appartiennent à l’usufruitier à proportion de la durée de son usufruit. Cette règle s’applique aux prix des baux à ferme comme aux loyers des maisons et autres fruits civils. »
    • Il ressort de cette disposition que les fruits civils sont répartis, pour les années d’ouverture et d’expiration du droit d’usufruit entre l’usufruitier et le nu-propriétaire au prorata temporis.
    • Peu importe donc la date de la perception ; ce qui importe c’est la prise d’effet et d’extinction du droit.
    • Le calcul s’opérera sur la base d’une année de 365 jours, étant précisé que, l’usufruitier a droit aux fruits civils proportionnellement à la durée réelle de sa jouissance.
    • Pour exemple, si l’usufruit expire au 1er juillet, l’usufruitier percevra la moitié des loyers annuels et le nu-propriétaire l’autre moitié.
    • Si, en revanche, l’usufruit expire au 4 mars, l’usufruitier percevra les loyers dus pour les mois de janvier et février auxquels s’ajoutera le montant du loyer correspondant à 4 jours de jouissance.

II) Les droits qui s’exercent sur l’usufruit

L’usufruitier n’est pas seulement investi d’un droit direct sur la chose dont il a la jouissance, il dispose également de la faculté d’aliéner son droit et d’engager toutes les actions en justice utiles pour en assurer la préservation.

==> Le droit d’aliéner l’usufruit

  • Principe
    • L’article 595 du Code civil dispose que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. »
    • Il ressort de cette disposition que l’usufruitier est investi du droit d’aliéner son droit d’usufruit.
    • À cet égard, l’usufruitier peut :
      • Céder son droit à titre onéreux ou à titre gratuit
      • Constituer une sûreté réelle sur la chose soumise à l’usufruit (gage pour les meubles et hypothèque pour les immeubles)
      • Effectuer un apport en société avec l’usufruit
    • En outre, il est admis que l’usufruit puisse faire l’objet d’une saisie
  • Limites
    • La faculté pour l’usufruitier d’aliéner son droit n’est pas sans limites
      • Tout d’abord, l’usufruit demeure, en tout état de cause intransmissible à cause de mort.
      • Ensuite, parce que l’usufruit présente un caractère temporaire son aliénation ne saurait avoir pour conséquence de porter atteinte à la substance de la chose, ni aux droits du nu-propriétaire
      • Enfin, lorsque l’acte de constitution comporte une clause d’inaliénabilité, il est fait défense à l’usufruitier de le céder
  • Portée
    • L’aliénation de l’usufruit est sans incidence sur sa durée en ce sens qu’il a vocation à s’éteindre, soit au décès de l’usufruitier, soit à l’expiration du terme prévu dans l’acte constitutif
    • Par ailleurs, c’est le cédant de l’usufruit qui répond des préjudices causés au nu-propriétaire à raison de fautes commises par le cessionnaire.

==> Le droit d’agir en justice

Afin de préserver son droit réel, notamment des atteintes qui pourraient lui être portées par le nu-propriétaire, plusieurs actions en justice sont ouvertes à l’usufruitier.

  • L’action confessoire
    • Cette action dont est titulaire l’usufruitier vise à faire reconnaître son droit de jouissance sur la chose, soit à obtenir la délivrance de la chose qui serait détenue, soit par un tiers, soit par le nu-propriétaire
    • Dans un arrêt du 7 avril 2004, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’usufruitier peut ester en justice, dans la mesure où il agit pour défendre ou protéger son droit de jouissance, et que ce droit lui permet d’exercer aussi bien une action personnelle que réelle» ( 3e civ. 7 avr. 2004, n°02-13703).
    • Cette action est, en quelque sorte, à l’usufruit ce que l’action en revendication est à la propriété.
    • Reste que, à la différence de l’action en revendication, l’action confessoire n’est pas imprescriptible : l’usufruitier doit agir dans un délai de trente ans peu importe que l’usufruit porte sur un bien meuble ou sur un immeuble
  • L’action personnelle
    • Ainsi qu’il l’a été jugé la Cour de cassation dans l’arrêt du 7 avril 2004, l’usufruitier dispose d’une action personnelle
    • Cette action poursuit parfois la même finalité que l’action confessoire : obtenir la délivrance de la chose.
    • Dans cette hypothèse, son domaine est toutefois bien plus restreint que celui de l’action confessoire puisqu’elle ne peut être dirigée que contre le nu-propriétaire et ses ayants droits.
    • L’action personnelle peut également avoir pour finalité de sanctionner les troubles de jouissance dont l’usufruitier est susceptible d’être victime.
    • Il sera, par exemple, fondé à engager la responsabilité du nu-propriétaire qui accomplirait des actes qui lui causeraient un préjudice

[1] F. Zénati et Th. Revet, Les biens, éd. PUF, 2008, n°244

[2] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

Les attributs du droit de propriété: l’usus, le fructus et l’abusus

Le droit de propriété confère un spectre de prérogatives des plus large à son titulaire regroupées en trois attributs.

Au nombre de ces attributs figurent, l’usus, le fructus et l’abusus, lesquels permettent respectivement d’utiliser, de jouir, et de disposer de la chose.

§1: le droit d’user de la chose: l’usus

I) Fondement

L’article 544 du Code civil dispose que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses ». Ainsi sont résumées les prérogatives qui sont conférées au propriétaire d’un bien.

Alors que le texte investi ce dernier du pouvoir de disposer de la chose (abusus) et de tirer profit des fruits qu’elle lui procure (fructus), étonnement il n’est nullement fait référence à la possibilité d’en user.

Est-ce à dire que l’usage de la chose ne compte pas parmi les prérogatives qui échoient au propriétaire ? Certainement pas. Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à la dernière partie de l’article 544 du Code civil qui précise « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

La faculté d’user de la chose relève donc bien des prérogatives conférées au propriétaire au titre de son droit de propriété. La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvre le droit « d’user de la chose ».

II) Signification

À l’examen, l’usus doit être envisagé sous ses deux aspects, positifs et négatifs :

==> Positivement

L’usus c’est d’abord le pouvoir de faire usage de la chose en exerçant sur elle une emprise matérielle.

Le Doyen Carbonnier définissait l’usus comme « cette sorte de jouissance qui consiste à retirer personnellement – individuellement ou par sa famille – l’utilité ou le plaisir que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non exploitée (habiter sa maison, porter ses bijoux, c’est en user) ».

À cet égard, le droit d’user de la chose confère au propriétaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.

Sous réserve de la réglementation applicable et des autorisations administratives requises, il est donc libre d’édifier un immeuble sur le terrain dont il est propriétaire, tout autant qu’il peut choisir d’affecter ce terrain à de la cultivation ou à l’exploitation d’un camping.

==> Négativement

L’usus c’est aussi le pouvoir de ne pas faire usage de la chose dont on est propriétaire, nonobstant les conséquences matérielles ou économiques que ce non-usage est susceptible d’occasionner.

Ainsi, l’automobiliste est-il libre de ne pas utiliser sa voiture, tout autant que le propriétaire d’une maison est libre de ne pas l’habiter, quand bien même il est un risque que l’un et l’autre de ces biens se détériorent en cas d’absence d’utilisation prolongée.

§2: Le droit de jouir de la chose: le fructus

I) Notion

Le droit de propriété ce n’est pas seulement le droit d’user de la chose, c’est également le droit d’en jouir (fructus).

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À l’instar de l’usus, le fructus comporte également un aspect négatif, en ce qu’il autorise le propriétaire à ne pas percevoir les revenus de son bien, soit de le laisser inexploité.

Immédiatement, il convient d’observer que le bien est susceptible de procurer deux sortes de revenus au propriétaire : des fruits et des produits

II) Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière de pierres.

La question qui alors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • Il s’agit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • Il s’agit des fruits que l’on obtient par la culture, soit dont la production procède du travail de l’homme
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • Il s’agit des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
      • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères : la périodicité (plus ou moins régulière) et la conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
      • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[1].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

III) Formes de la jouissance

En approfondissant l’analyse, il apparaît que le fructus peut se manifester sous deux formes différentes :

  • L’accomplissement d’actes matériels
    • La jouissance peut tout d’abord consister en la perception de revenus au moyen d’actes matériels
    • Dans cette hypothèse le propriétaire récolte lui-même les fruits naturels ou industriels
  • L’accomplissement d’actes juridiques
    • La jouissance peut ensuite consister en la perception de revenus aux moyens d’actes juridiques
    • Il s’agira ici d’accomplir des actes d’administration ou de disposition pour que le bien produise des fruits civils.
    • Tel est le cas du propriétaire d’un immeuble qui doit conclure un contrat de bail pour percevoir des loyers

IV) Cas particulier du droit à l’image sur les biens

Le droit de jouissance octroie, en principe, au propriétaire la liberté d’exploiter son bien, mais également de ne rien en faire.

L’utilité conférée par la jouissance au propriétaire est très vaste, à telle enseigne que rien ne s’oppose à ce qu’elle permette d’appréhender des utilités nouvelles des biens, en particulier des utilités qui jusqu’à maintenant avaient échappé à l’appréhension du droit, parce que l’intérêt qui s’y attachait était moindre.

Sous le prisme de la jouissance, on s’est alors posé la question du droit du propriétaire à l’image de son bien, par transposition au droit à l’image des personnes.

Ainsi que le relève le Professeur Zénati, « l’intervention de la photographie, du cinématographe, et de la communication audiovisuelle ont mis au jour une utilité qui, jusqu’alors, demeurait discrète : la reproduction picturale. Comme d’habitude, le droit réagit avec quelque retard, mais peu importe. Il est patent que la vertu qu’ont tous les objets matériels de pouvoir être mis en image est une utilité qui tombe sous le champ de la propriété à l’instar des utilités classiques que l’on connaît et qu’en conséquence cet avantage échappe à la jouissance d’autrui ».

Première illustration de ce phénomène, dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 544 du Code civil, que « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1999, n°96-18699).

Cass. 1ère civ. 10 mars 1999
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le propriétaire a seul le droit d'exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit ;

Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X..., épouse Y..., tendant à la saisie de cartes postales mises en vente par la société Editions Dubray, représentant le " Café Gondrée ", dont Mme Y... est propriétaire à Bénouville, l'arrêt attaqué énonce que la photographie, prise sans l'autorisation du propriétaire, d'un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public ainsi que sa reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, non plus que sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Il ressort de cet arrêt que le droit à l’image sur les biens relève du monopole de jouissance dont est investi le propriétaire.

Le professeur Cornu analyse ce rattachement du droit à l’image au fructus en soutenant que « c’est parce qu’il est investi, sur son bien, non pas d’un droit à l’image, de celui-ci, mais du droit exclusif de l’exploiter (partie de sa jouissance), que le propriétaire est fondé à interdire aux tiers l’exploitation photographique et lucrative de son bien qui est tout simplement une part de son utilité économique »

Selon cette thèse la reproduction d’un bien meuble ou immeuble sous la forme d’une image, que les techniques modernes permettent de commercialiser à grande échelle, constitue une utilités susceptible d’être source de profit.

Dans notre société qui repose très largement sur la propriété privée, il n’y aurait donc aucune raison que les propriétaires qui ont la charge de l’entretien de leurs biens soient dépossédés des potentialités de leur exploitation au prétexte qu’ils sont accessibles au regard du public.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient. En témoignent également les dispositions des articles 675 à 680 de ce Code qui imposent aux propriétaires d’immeubles d’éloigner de la limite séparative de leurs fonds les murs comportant des vues sur le fonds voisin.

En réaction à cette jurisprudence, des spécialistes du droit d’auteur ont soutenu que si le législateur a limité la durée des droits patrimoniaux des auteurs, spécialement du droit de reproduction que leur accorde à titre exclusif l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, c’est parce que leurs œuvres doivent tomber dans le domaine public libres de toute entrave afin de développer la culture et la connaissance du patrimoine. En raison de son caractère perpétuel, le droit de propriété ferait obstacle à l’extension sans cesse régénérée du domaine public.

D’autres commentateurs ont avancé que la découverte de cette nouvelle utilité du bien (droit à l’image) au bénéfice de son propriétaire aboutirait à des solutions ingérables en pratique, trop contraignantes et trop coûteuses pour les professionnels de l’illustration. Ils ont encore dénoncé ainsi une “privatisation de l’espace public” au détriment de la liberté d’expression[2].

Attentive aux critiques à l’encontre de la position qu’elle avait adoptée en 1999, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée en 2001 en y apportant un tempérament.

Dans un arrêt du 2 mai 2001, la première chambre civile a, en effet, reproché aux juges de fond de n’avoir pas précisé « en quoi l’exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d’usage et de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°99-10709).

L’exploitation de l’image d’un bien par un tiers ne serait ainsi sanctionnée qu’à la condition que soit établie l’existence d’un « trouble certain du droit d’usage et de jouissance du propriétaire ».

Cass. 1ère civ. 2 mai 2001
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le Comité régional de tourisme de Bretagne (le CRT) a utilisé à des fins de publicité un cliché dont il avait acquis le droit de reproduction de M. X..., photographe professionnel ; que cette image représente l'estuaire du Trieux, avec, au premier plan, l'îlot de Roch Arhon, propriété de la société civile immobilière du même nom, et a été diffusée malgré l'opposition de celle-ci ;

Attendu que pour accueillir la demande de la SCI en interdiction de cette reproduction, l'arrêt attaqué énonce que les droits invoqués par le CRT et M. X... trouvent leurs limites dans la protection du droit de propriété de la SCI, à la mesure des abus inhérents à l'exploitation d'une représentation de son bien à des fins commerciales et avec une publicité importante, que l'île est le sujet essentiel de l'image, et que la photographie est utilisée sous la forme d'une affiche à grande diffusion, au titre d'une campagne publicitaire destinée à la promotion du tourisme ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d'usage ou de jouissance du propriétaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

[…]

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des premier et deuxième moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

À l’analyse, il ressort de cette décision que la Cour de cassation s’est mise en quête de la recherche d’un équilibre entre les intérêts du propriétaire et la liberté de circulation de l’image du bien.

L’exigence de démontrer un trouble certain dans la jouissance du propriétaire conduit à autoriser l’utilisation de l’image du bien d’autrui, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une exploitation directe de cette image.

Cette protection nouvelle du droit à l’image de son bien a pour fondement l’article 544 du Code civil, et plus précisément le droit de jouissance dont est investi le propriétaire.

Cette appréhension du droit à l’image sur les biens comme une expression de l’usus et du fructus n’a manifestement pas perduré.

Dans un arrêt du 7 mai 2004, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a, en effet, jugé que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » (Cass. ass. plen. 7 mai 2004, n°02-10450).

Par cette formule, haute juridiction déconnecte le droit à l’image sur le bien dont est titulaire le propriétaire de l’article 544 du Code civil pour le rattacher aux principes de la responsabilité civile.

Cass. ass. plen. 7 mai 2004
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 31 octobre 2001), que la Société de promotion immobilière SCIR Normandie (la société SCIR Normandie), a confié à la société Publicis Qualigraphie aux droits de laquelle se trouve la société Publicis Hourra (la société Publicis) la confection de dépliants publicitaires comportant, outre des informations relatives à l'implantation de la future résidence et à ses avantages, la reproduction de la façade d'un immeuble historique de Rouen, l'Hôtel de Girancourt ; que se prévalant de sa qualité de propriétaire de cet hôtel, la SCP Hôtel de Girancourt, dont l'autorisation n'avait pas été sollicitée, a demandé judiciairement à la société SCIR Normandie la réparation du préjudice qu'elle disait avoir subi du fait de l'utilisation de l'image de son bien ; que cette dernière a appelé la société Publicis en garantie ;

Attendu que la SCP Hôtel de Girancourt fait grief à l'arrêt du rejet de ses prétentions, alors, selon le moyen :

1 ) qu'aux termes de l'article 544 du Code civil, "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements" ; que le droit de jouir emporte celui d'user de la chose dont on est propriétaire et de l'exploiter personnellement ou par le truchement d'un tiers qui rémunère le propriétaire, ce droit ayant un caractère absolu et conduisant à reconnaître au propriétaire un monopole d'exploitation de son bien, sauf s'il y renonce volontairement ; qu'en énonçant que "le droit de propriété n'est pas absolu et illimité et ne comporte pas un droit exclusif pour le propriétaire sur l'image de son bien" pour en déduire qu'il lui appartenait de démontrer l'existence d'un préjudice car la seule reproduction de son bien immeuble sans son consentement ne suffit pas à caractériser ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil ;

2 ) qu'elle faisait valoir dans ses conclusions d'appel que l'utilisation à des fins commerciales de la reproduction de la façade de l'Hôtel de Girancourt sans aucune contrepartie financière pour elle, qui a supporté un effort financier considérable pour la restauration de l'hôtel particulier ainsi qu'en témoignent les photographies de l'immeuble avant et après les travaux, restauration qui a permis aux intimées de choisir une image de cet immeuble pour l'intégrer dans le dépliant publicitaire, est totalement abusive et lui cause un préjudice réel, le fait que les intimées aient acheté cette reproduction chez un photographe rouennais prouvant bien que la façade restaurée représente une valeur commerciale ; qu'en énonçant, sans répondre à ce moyen particulièrement pertinent qu'elle "ne démontre pas l'existence du préjudice invoqué par elle et d'une atteinte à son droit de propriété", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 544 du Code civil ;

3 ) qu'elle faisait également valoir dans ses conclusions d'appel en visant les cartes postales de la façade historique de l’Hôtel de Girancourt qu'elle édite et qu'elle avait régulièrement produites, que les mentions portées au verso de ces pièces confirment sa volonté de conserver à son usage exclusif le droit de reproduire la façade de l'hôtel ou de concéder une autorisation quand elle estime que les conditions sont réunies ; qu'en s'abstenant totalement de se prononcer sur la valeur de ces pièces qu'elle avait régulièrement versées aux débats à l'appui de ses prétentions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci ; qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ;

Et attendu que les énonciations de l'arrêt font apparaître qu'un tel trouble n'était pas établi ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

C’est ainsi que la Cour de cassation nie désormais le pouvoir du propriétaire d’exercer un droit de propriété sur l’image de son bien. Il dispose seulement d’une action qui pourrait reposer, tant sur les principes du droit de la responsabilité, que sur le droit à la vie privée ou encore sur la diffamation envisagée par la loi du 29 juillet 1881.

La notion de trouble se retrouve dans de nombreux régimes de responsabilité, de sorte que cela offre une large palette d’actions au propriétaire incommodé.

Par trouble anormal, il faut entendre, selon un arrêt de la première chambre civile, une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité de la personne (Cass. 1ère civ. 5 juil. 2005, n°02-21452).

Dans un arrêt du 31 mars 2015, la Chambre commerciale a précisé que l’exploitation commerciale en elle-même de l’image d’un bien n’est pas constitutive d’un trouble anormal (Cass. com. 31 mars 2015, n°13-21300).

§3: Le droit de disposer de la chose: l’abusus

==> Signification

L’article 544 du Code civil prévoit expressément que l’un des attributs du droit de propriété c’est le pouvoir de disposer de la chose (abusus).

Ce pouvoir dont est investi le propriétaire l’autorise à accomplir tous les actes susceptibles de conduire à la perte totale ou partielle de son bien.

À l’évidence, il s’agit là de l’expression du droit de propriété la plus extrême, celle qui emporte les conséquences les plus graves puisqu’il s’agit d’aliéner son droit sur la chose.

C’est la raison pour laquelle ce pouvoir n’appartient, ni à l’usufruitier (sauf exception du quasi usufruitier pour les choses consomptibles), ni au locataire.

Néanmoins, à l’instar de l’usus et du fructus, l’abusus comporte un aspect positif et négatif, en ce sens qu’il autorise le propriétaire à aliéner son bien, tout autant qu’il lui octroie la liberté de ne pas s’en déposséder.

Manifestement, le droit de disposer de la chose fait l’objet d’une protection particulièrement renforcée puisque, outre l’article 544 du Code civil qui le consacre, il est envisagé, et par l’article 545 du même Code et par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC).

  • S’agissant de l’article 545 du Code civil, il prévoit que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.»
  • S’agissant de l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, cette disposition prévoit que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Le droit de ne pas être exproprié est ainsi doublement protégé, et au niveau légal, et au niveau constitutionnel.

S’agissant du droit de disposer de son bien proprement dit son exercice peut se traduire de différentes manières. Reste que cet exercice n’est pas sans limite, en particulier lorsque le bien est frappé d’inaliénabilité

I) Les formes de disposition

Le droit de disposer de la chose peut se traduire, soit par l’accomplissement d’actes matériels, soit par l’accomplissement d’actes juridiques.

==> L’accomplissement d’actes matériels

L’exercice du droit de disposition peut, tout d’abord, se traduire par l’accomplissement d’actes matériels sur la chose tels que :

  • Sa modification
  • Sa destruction
  • Son amélioration
  • Son accroissement
  • Sa transformation
  • Sa consommation

En somme, le propriétaire est investi, au titre de l’abusus, d’un pouvoir d’affecter la substance de la chose.

Cette faculté d’accomplir des actes sur la substance de la chose qui est conférée par l’abusus est refusée aux autres droits réels, en ce que les droits de jouissance sur la chose d’autrui ne sont conférés à leur titulaire qu’à la charge d’en conserver la substance (art. 578 C. civ.).

==> L’accomplissement d’actes juridiques

L’exercice du droit de disposition peut, ensuite, se traduire par l’accomplissement d’actes juridiques qui auront pour effet de :

  • Transférer le droit de propriété, soit par un contrat (vente, donation, apport en société), soit par un acte unilatéral (testament, déguerpissement conduisant à un abandon)
  • Démembrer le droit de propriété, ce qui peut consister à constituer un droit réel d’usufruit, céder la nue-propriété, constituer une servitude sur le bien ou encore consentir une emphytéose
  • Affecter le bien à la garantie du paiement d’une dette au moyen d’une hypothèse, d’un nantissement, d’un gage ou encore d’une fiducie

À la différence de l’acte matériel de disposition, l’acte juridique porte, non pas sur la chose, mais sur le droit de propriété qui fait l’objet d’une opération économique.

En certaines circonstances, le propriétaire peut n’être pas autorisé à accomplir des actes de disposition sur son bien en raison de son caractère inaliénable.

II) Les limites au droit de disposer

Bien que le droit de disposer de son bien soit l’expression suprême de la maîtrise du bien qui n’est reconnue qu’au seul propriétaire, il est des cas où ce pouvoir dont il est investi est limité.

Tantôt, le propriétaire peut n’être pas autorisé à aliéner son bien, tantôt il sera, au contraire, obligé de le céder.

A) Les clauses d’inaliénabilité du bien

Le droit de disposer d’un bien l’autorise-t-il le propriétaire à insérer dans un acte translatif de propriété une clause interdisant à l’acquéreur d’aliéner le bien ?

Si une telle clause se justifie difficilement en cas d’acte à titre onéreux, quid lorsque le propriétaire accomplit un acte à titre gratuit, tel un testament ou une donation ?

Pendant longtemps, le Code civil  est resté silencieux sur cette question, ce type de clause n’ayant pas été envisagée par ses rédacteurs.

Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se positionner sur la validité des clauses d’inaliénabilité stipulées dans un testament ou une donation.

==> Évolution jurisprudentielle

Dans un premier temps, la jurisprudence a prohibé les clauses d’inaliénabilité perpétuelle, qu’elle considérait comme contraires à l’ordre public, car portant entrave à la circulation des biens et à leur libre disposition par le propriétaire (V. en ce sens Cass. 6 juin 1853 — D. 1853).

Les auteurs justifiaient cette position en interprétant les articles 537, 544 et 1598 du Code civil comme admettant les clauses d’inaliénabilité que dans les cas expressément prévus par la loi.

Dans un second temps, la Cour de cassation a considérablement assoupli sa position. Dans un arrêt du 20 avril 1858, elle a ainsi jugé que « cette interdiction temporaire, imposée dans l’intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d’aliéner absolue et indéfinie qui aurait pour résultat de mettre les biens hors de circulation » (Cass. civ., 20 avr. 1858).

Cass. civ., 20 avr. 1858
LA COUR,

Ouï M. le conseiller Laborie, en son rapport; Maître Petit, avocat du demandeur, en ses observations, et M. l'avocat général Sévin, en ses conclusions ; le tout à l'audience publique, après en avoir immédiatement délibéré ;

Vu l'article 900 du X... Napoléon ;

Attendu que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ; qu'aucune loi ne défend au père de famille, qui fait donation de ses biens à ses enfants, de s'en réserver l'usufruit, et, soit dans l'intérêt de son droit comme usufruitier, soit pour assurer l'exercice du droit de retour qui peut un jour lui appartenir, d'imposer à ses enfants la condition de ne pas aliéner ou hypothéquer de son vivant les biens donnés ; que cette interdiction temporaire, imposée dans l'intérêt du père donateur, ne peut être assimilée à une interdiction d'aliéner, absolue et indéfinie, qui aurait pour résultat de mettre pendant un long temps les biens hors de la circulation ; qu'en déclarant valable l'hypothèque consentie par la femme de Pons à Z..., par le motif unique que la condition imposée par le père donateur à ladite femme de Pons était nulle comme contraire aux lois, l'arrêt dénoncé a faussement appliqué et, par suite, formellement violé la disposition ci-dessus visée :

Par ces motifs, donnant défaut contre les défendeurs, CASSE, Ainsi jugé et prononcé, Chambre civile.

Il ressort de cet arrêt que les clauses d’inaliénabilité sont admises dès lorsque deux critères sont remplis : la limitation dans le temps de l’inaliénabilité du bien et la justification d’un intérêt sérieux et légitime.

==> Consécration légale

Alors même que la jurisprudence était constante s’agissant des critères de validité des clauses d’inaliénabilité, il est apparu nécessaire au législateur d’intervenir aux fins de les graver dans le marbre de la loi.

Ainsi, à partir des deux critères posés par la jurisprudence le législateur est-il venu entériner, par la loi du 3 juillet 1971, les solutions adoptées en insérant dans le Code civil un article 900-1.

Cette disposition prévoit que « les clauses d’inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime.

La validité des clauses d’inaliénabilité est donc soumise à deux conditions :

  • S’agissant de la limitation dans le temps de l’inaliénabilité
    • Lorsqu’une clause d’inaliénabilité est stipulée dans un testament ou une donation, elle ne peut donc produire que des effets temporaires.
    • La perpétuité d’une telle clause serait, en effet, de nature à entraver la libre circulation des biens.
    • Aussi, l’interdiction d’aliéner doit être limitée dans le temps.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par temporaire
    • Il a été jugé que la clause rendant inaliénable un bien durant toute la vie du donateur était temporaire.
    • À l’inverse, une clause stipulant une inaliénabilité du bien pour toute la vie du donataire n’est pas temporaire (V. en ce sens 1ère civ. 8 janv. 2002)
  • S’agissant de la justification d’un intérêt sérieux et légitime
    • L’article 900-1 du Code civil admet la validité des clauses d’inaliénabilité à la condition qu’elles soient justifiées par un intérêt sérieux et légitime.
    • Selon l’expression du Doyen Carbonnier, la jurisprudence a parfois admis la prise en considération de ce que l’on peut qualifier d’intérêt de confort.
    • Pour exemple, l’intérêt pour un usufruitier ou le titulaire d’un droit d’usage ou d’habitation de conserver comme nu-propriétaire son fils plutôt qu’un étranger.
    • À l’examen, cet intérêt exigé par l’article 900-1 du Code civil peut être soit celui du disposant, soit celui du bénéficiaire, soit celui d’un tiers.
      • Dans le cas du disposant, on conçoit aisément qu’il ait intérêt à stipuler une clause d’inaliénabilité lui permettant, en cas de prédécès du donataire, d’exercer son droit de retour légal, ce droit ne pouvant être exercé que si les biens se retrouvent en nature dans la succession ( civ. 22 juillet 1896).
      • Dans le cas du bénéficiaire, la clause d’inaliénabilité aura pour objet de le protéger contre son inexpérience ou sa prodigalité ( civ. 16 janvier 1923) .
      • Dans le cas du tiers, il peut avoir un intérêt à ce qu’un bien demeure dans le patrimoine du bénéficiaire : c’est le cas, par exemple, lorsque ce dernier est tenu à verser à une tierce personne une rente prélevée sur les revenus dudit bien ( civ. 16 mars 1903)
    • Il peut être observé que, dans l’hypothèse où l’intérêt disparaît, l’article 900-1 du Code civil prévoit que « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

==> L’exception des personnes morales

L’alinéa 2 de l’article 900-1 dispose que « les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou mêmes à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales. »

Ainsi si les conditions restrictives de stipulation d’une clause d’inaliénabilité ne sont pas applicables aux personnes morales où aux personnes physiques qui supportent l’obligation de constituer une personne morale.

Cela signifie donc qu’une clause d’inaliénabilité qui présenterait un caractère perpétuel est pleinement valide.

Cette exception au principe posé à l’article 900-1, al. 1er du Code civil était déjà admise par la jurisprudence antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1971.

La Chambre civile de la Cour de cassation avait de la sorte admis la validité d’une clause par laquelle le disposant affectait tout ou partie de ses biens à l’établissement d’une fondation présentant un caractère d’utilité générale, en l’occurrence un hôpital communal dont les frais d’entretien seraient assurés par le revenu de fermes déclarées inaliénables (Cass. civ. 1 . 19 oct. 1965).

Aussi, conformément aux termes de l’article 900-1 du Code civil seules les clauses d’inaliénabilité affectant des biens donnés ou légués à der personnes physiques sont assujetties à l’existence de limitation dans le temps.

==> Extension aux contrats à titre onéreux

Alors que l’article 900-1 du Code civil envisage les clauses d’inaliénabilité pour les seules libéralités, la jurisprudence a admis qu’elles puissent être stipulées dans un contrat à titre onéreux.

Dans un arrêt du 31 octobre 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « dès lors qu’elle est limitée dans le temps et qu’elle est justifiée par un intérêt sérieux et légitime, une clause d’inaliénabilité peut être stipulée dans un acte à titre onéreux » (Cass. 1ère civ. 31 oct. 2007, n°05-14238).

==> Effets de la clause d’inaliénabilité

La stipulation d’une clause d’inaliénabilité produit plusieurs effets. En effet, elle fait obstacle :

  • D’une part, à l’aliénation du bien
  • D’autre part, à la constitution de sûretés réelles sur le bien, telles qu’une hypothèque, un gage ou encore un nantissement
  • Enfin, à la saisie du bien qui est alors isolé du patrimoine du gratifié (V. en ce sens req., 27 juill. 1863).

==> Sanction de la violation de la clause d’inaliénabilité

En cas de violation de la clause d’inaliénabilité, deux sanctions sont encourues par le gratifié :

  • La révocation de la libéralité pour ingratitude
    • En matière de donation entre vifs, l’article 953 du Code civil prévoit que la donation peut être révoquée « pour cause d’inexécution des conditions sous lesquelles elle aura été faite.»
    • La stipulation d’une clause d’inaliénabilité s’analysant sans aucun doute en une condition d’exécution de la libéralité, la violation de la clause tombe sous le coup de la sanction énoncée par le texte : la révocation
    • La jurisprudence exige néanmoins que l’inexécution reprochée au donataire présente une particulière gravité.
    • Il est encore exigé que la stipulation de la clause ait été la cause impulsive et déterminante de la libéralité.
  • La nullité de la clause d’inaliénabilité
    • Très tôt la jurisprudence a amis que la violation de la clause d’inaliénabilité puisse être sanctionnée par la nullité, ce qui emporte réintégration du bien dans le patrimoine de l’auteur de la libéralité (V. en ce sens req., 9 mars 1868)
    • La nullité est ici relative, de sorte qu’elle ne peut être invoquée que par la personne dans l’intérêt de laquelle la clause a été stipulée, ce qui pourra varier selon les circonstances.

==> La mainlevée de la clause d’inaliénabilité

L’article 900-1 « le donataire ou le légataire peut être judiciairement autorisé à disposer du bien si l’intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s’il advient qu’un intérêt plus important l’exige. »

Il ressort de cette disposition que le bénéficiaire peut être autorisé à solliciter en justice la mainlevée de la clause d’inaliénabilité.

Pour ce faire, il lui faudra remplir deux conditions :

  • Première condition : obtention de l’autorisation du juge
    • Ainsi que le prévoit l’article 900-1 du Code civil, la mainlevée de la clause d’inaliénabilité ne peut être prononcée que par un juge
    • La juridiction compétence sera toujours le juge judiciaire, y compris dans les cas où le bénéficiaire de la libéralité est une personne de droit public (
  • Seconde condition : disparition de l’intérêt qui avait justifié la cause ou survenance d’un intérêt plus important
    • L’article 900-1 du Code civil conditionne la possibilité de solliciter la mainlevée de la clause d’inaliénabilité :
      • Soit à la disparition de l’intérêt qui avait justifié la clause
        • Dans cette hypothèse, la cause qui avait justifié la stipulation de la clause d’inaliénabilité a disparu, de sorte qu’elle est devenue sans objet ou n’est plus actuel
        • Tel est le cas par exemple, lorsque le bien a été donné à une personne aux fins qu’elle réalise un projet particulier et que sa réalisation devient impossible
      • Soit à la survenance d’un intérêt plus important
        • Dans cette hypothèse, l’objectif recherché est d’éviter que la clause d’inaliénabilité puisse avoir des conséquences particulièrement préjudiciables pour le bénéficiaire de la libéralité
        • Aussi, est-il permis au donataire ou légataire, personne physique, de se faire autoriser par le tribunal à disposer du bien s’il advient qu’un intérêt supérieur l’exige : notamment si le propriétaire ne peut plus entretenir le bien, ou s’il a impérieusement besoin de l’aliéner ou de l’hypothéquer, par exemple pour assurer le logement de sa famille et l’éducation de ses enfants, ou encore pour payer des droits de succession.
    • Il peut être observé que dans un arrêt du 23 janvier 2008, la Cour de cassation a exclu la possibilité pour les personnes morales bénéficiaires d’une libéralité de solliciter auprès du juge la mainlevée de clause d’inaliénabilité (V. en ce sens 1ère civ. 23 janv. 2008, n° 16-16120).
    • L’alinéa 1er in fine de l’article 900-1 du Code civil ne peut ainsi être invoqué que par les personnes physiques bénéficiaires d’une libéralité

Cass. 1ère civ. 23 janv. 2008
Attendu qu'aux termes de ce texte les dispositions du présent article ne préjudicient pas aux libéralités consenties à des personnes morales ou même à des personnes physiques à charge de constituer des personnes morales ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande tendant à l'annulation des constitutions d'hypothèques et des quatre ventes immobilières intervenues du chef de l'association entre 1995 et 1999, le premier arrêt retient que celles-ci avaient permis à l'association de continuer à fonctionner et qu'elles correspondaient à un intérêt plus important que celui pour lequel la clause d'inaliénabilité avait été prévue ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé ;

==> La prohibition des clauses pénales

Lors de l’adoption de la loi du 3 juillet 1971, s’est posée la question de la validité des clauses pénales  par lesquelles un disposant priverait d’une libéralité celui qui attaquerait la validité de tout ou partie de celle-ci.

Manifestement la stipulation d’une telle clause serait de nature à dissuader le bénéficiaire de la libéralité de contester sa validité devant le juge car, s’il triomphe en faisant reconnaître par le juge l’illicéité de la clause d’inaliénabilité, il risque de perdre le bien ayant fait l’objet de la stipulation.

C’est la raison pour laquelle, afin de neutraliser toute velléité de contournement de la loi, a été inséré dans le Code civil un article 900-8 qui prévoit que « est réputée non écrite toute clause par laquelle le disposant prive de la libéralité celui qui mettrait en cause la validité d’une clause d’inaliénabilité ou demanderait l’autorisation d’aliéner ».

B) L’obligation d’aliénation du bien

==> L’expropriation pour cause d’utilité publique

Si, en certaines circonstances, le propriétaire peut être privé de la faculté d’aliéner sont bien, il est un cas ou, à l’inverse, il peut être contraint de le céder. Cette situation se rencontre en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.

L’article 545 du code civil dispose que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

Cette règle est également énoncée à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (le code civil ayant substitué la cause d’utilité publique à la nécessité publique évoquée par la Déclaration).

Il ressort de ces textes que l’expropriation permet  à une personne publique d’acquérir les biens qui lui sont nécessaires pour l’accomplissement de ses missions.

La raison en est que l’intérêt public prime sur l’intérêt privé du propriétaire du bien. C’est la raison pour laquelle le droit d’exproprier n’appartient qu’aux collectivités publiques, sous réserve du respect du principe de spécialité.

En pratique, dans l’immense majorité des cas, l’autorité expropriante est une collectivité locale, commune ou département. Il peut être mis en oeuvre par les établissements publics et par certaines personnes privées, concessionnaires qui exercent les droits de leur concédant.

L’objet en est au premier chef la réalisation d’équipements publics, mais aussi des opérations locales d’aménagement et la constitution de réserves foncières.

Il importe de préciser que seuls les immeubles et les droits réels les grevant, peuvent faire l’objet d’une expropriation. Les droits réels tels que l’usufruit peuvent être expropriés, indépendamment de l’immeuble. L’expropriation peut encore atteindre un droit personnel, celui de donner à bail.

==> Procédure

L’article 1 du Code de l’expropriation prévoit que « l’expropriation, en tout ou partie, d’immeubles ou de droits réels immobiliers ne peut être prononcée qu’à la condition qu’elle réponde à une utilité publique préalablement et formellement constatée à la suite d’une enquête et qu’il ait été procédé, contradictoirement, à la détermination des parcelles à exproprier ainsi qu’à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres personnes intéressées. »

La procédure d’expropriation vise à déterminer les intérêts en présence et à garantir les intérêts pécuniaires des propriétaires expropriés.

Elle se décompose en deux phases :

  • Première phase
    • La première phase est administrative et conduit, à la suite d’une enquête, à une déclaration d’utilité publique.
    • Le préfet, par l’arrêté de cessibilité, dresse alors la lite des immeubles ou des droits réels immobiliers à exproprier.
  • Seconde phase
    • Il s’agit d’une phase judiciaire au cours de laquelle est transférée la propriété du bien et fixée l’indemnité due au propriétaire exproprié.
    • Mais on doit rappeler que 90 % des biens immobiliers faisant l’objet d’une déclaration d’utilité publique font l’objet d’une cession amiable et ne donnent pas lieu à un transfert de propriété par ordonnance d’expropriation.

L’ordonnance d’expropriation, à défaut d’accord amiable, opère le transfert de propriété et envoie l’expropriant en possession (art. L. 12-1 du code de l’expropriation).

==> Une juste et préalable indemnisation

L’expropriation fait naître un droit à indemnité au profit du propriétaire de l’immeuble et de tous les titulaires d’un droit réel ou personnel portant sur l’immeuble.

L’indemnité doit être juste, c’est-à-dire qu’elle doit couvrir l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par la privation du droit de propriété (art. L. 13-13 du code de l’expropriation).

Son montant est fixé par rapport à la consistance du bien au jour de l’ordonnance portant transfert de propriété, c’est-à-dire en fonction de la valeur réelle du bien exproprié (CEDH, 11 avril 2002, Lallemant c. France).

[1] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[2] M. Guérin et E. De Roux, “Pour le photographe, la rue n’est plus libre de droits”, Le Monde 27 mars 1999, p. 29 et M. Huet, Droit de l’architecture, Economica, 2001 3ème éd. p. 267.

De la distinction entre les fruits et les produits de la chose

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière de pierres.

La question qui alors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

==> Exposé de la distinction

  • Les fruits
    • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
    • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
    • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
      • Les fruits naturels
        • Il s’agit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
        • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
      • Les fruits industriels
        • Il s’agit des fruits que l’on obtient par la culture, soit dont la production procède du travail de l’homme
        • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
      • Les fruits civils
        • Il s’agit des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
        • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
    • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères : la périodicité (plus ou moins régulière) et la conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
    • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
  • Les produits
    • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
    • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
    • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[1].
    • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
    • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
    • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
    • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.

==> Intérêt de la distinction

La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.

En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

Attributs du droit de propriété: le droit de jouir de la chose (le fructus)

Le droit de propriété confère un spectre de prérogatives des plus large à son titulaire regroupées en trois attributs.

Au nombre de ces attributs figurent, l’usus, le fructus et l’abusus, lesquels permettent respectivement d’utiliser, de jouir, et de disposer de la chose. Nous nous focaliserons ici sur le fructus.

I) Notion

Le droit de propriété ce n’est pas seulement le droit d’user de la chose, c’est également le droit d’en jouir (fructus).

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À l’instar de l’usus, le fructus comporte également un aspect négatif, en ce qu’il autorise le propriétaire à ne pas percevoir les revenus de son bien, soit de le laisser inexploité.

Immédiatement, il convient d’observer que le bien est susceptible de procurer deux sortes de revenus au propriétaire : des fruits et des produits

II) Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière de pierres.

La question qui alors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • Il s’agit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • Il s’agit des fruits que l’on obtient par la culture, soit dont la production procède du travail de l’homme
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • Il s’agit des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
      • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères : la périodicité (plus ou moins régulière) et la conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
      • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[1].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

III) Formes de la jouissance

En approfondissant l’analyse, il apparaît que le fructus peut se manifester sous deux formes différentes :

  • L’accomplissement d’actes matériels
    • La jouissance peut tout d’abord consister en la perception de revenus au moyen d’actes matériels
    • Dans cette hypothèse le propriétaire récolte lui-même les fruits naturels ou industriels
  • L’accomplissement d’actes juridiques
    • La jouissance peut ensuite consister en la perception de revenus aux moyens d’actes juridiques
    • Il s’agira ici d’accomplir des actes d’administration ou de disposition pour que le bien produise des fruits civils.
    • Tel est le cas du propriétaire d’un immeuble qui doit conclure un contrat de bail pour percevoir des loyers

IV) Cas particulier du droit à l’image sur les biens

Le droit de jouissance octroie, en principe, au propriétaire la liberté d’exploiter son bien, mais également de ne rien en faire.

L’utilité conférée par la jouissance au propriétaire est très vaste, à telle enseigne que rien ne s’oppose à ce qu’elle permette d’appréhender des utilités nouvelles des biens, en particulier des utilités qui jusqu’à maintenant avaient échappé à l’appréhension du droit, parce que l’intérêt qui s’y attachait était moindre.

Sous le prisme de la jouissance, on s’est alors posé la question du droit du propriétaire à l’image de son bien, par transposition au droit à l’image des personnes.

Ainsi que le relève le Professeur Zénati, « l’intervention de la photographie, du cinématographe, et de la communication audiovisuelle ont mis au jour une utilité qui, jusqu’alors, demeurait discrète : la reproduction picturale. Comme d’habitude, le droit réagit avec quelque retard, mais peu importe. Il est patent que la vertu qu’ont tous les objets matériels de pouvoir être mis en image est une utilité qui tombe sous le champ de la propriété à l’instar des utilités classiques que l’on connaît et qu’en conséquence cet avantage échappe à la jouissance d’autrui ».

Première illustration de ce phénomène, dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 544 du Code civil, que « l’exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1999, n°96-18699).

Cass. 1ère civ. 10 mars 1999
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le propriétaire a seul le droit d'exploiter son bien, sous quelque forme que ce soit ;

Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X..., épouse Y..., tendant à la saisie de cartes postales mises en vente par la société Editions Dubray, représentant le " Café Gondrée ", dont Mme Y... est propriétaire à Bénouville, l'arrêt attaqué énonce que la photographie, prise sans l'autorisation du propriétaire, d'un immeuble exposé à la vue du public et réalisée à partir du domaine public ainsi que sa reproduction, fût-ce à des fins commerciales, ne constituent pas une atteinte aux prérogatives reconnues au propriétaire ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que l'exploitation du bien sous la forme de photographies porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, non plus que sur le second moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 juin 1996, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Il ressort de cet arrêt que le droit à l’image sur les biens relève du monopole de jouissance dont est investi le propriétaire.

Le professeur Cornu analyse ce rattachement du droit à l’image au fructus en soutenant que « c’est parce qu’il est investi, sur son bien, non pas d’un droit à l’image, de celui-ci mais du droit exclusif de l’exploiter (partie de sa jouissance), que le propriétaire est fondé à interdire aux tiers l’exploitation photographique et lucrative de son bien qui est tout simplement une part de son utilité économique »

Selon cette thèse la reproduction d’un bien meuble ou immeuble sous la forme d’une image, que les techniques modernes permettent de commercialiser à grande échelle, constitue une utilités susceptible d’être source de profit.

Dans notre société qui repose très largement sur la propriété privée, il n’y aurait donc aucune raison que les propriétaires qui ont la charge de l’entretien de leurs biens soient dépossédés des potentialités de leur exploitation au prétexte qu’ils sont accessibles au regard du public.

Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que le droit de se clore prévu par l’article 647 du Code civil n’est pas seulement un moyen de protéger le propriétaire contre les incursions des tiers mais est aussi le signe que la vue de son bien est une utilité qui lui appartient. En témoignent également les dispositions des articles 675 à 680 de ce Code qui imposent aux propriétaires d’immeubles d’éloigner de la limite séparative de leurs fonds les murs comportant des vues sur le fonds voisin.

En réaction à cette jurisprudence, des spécialistes du droit d’auteur ont soutenu que si le législateur a limité la durée des droits patrimoniaux des auteurs, spécialement du droit de reproduction que leur accorde à titre exclusif l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, c’est parce que leurs œuvres doivent tomber dans le domaine public libres de toute entrave afin de développer la culture et la connaissance du patrimoine. En raison de son caractère perpétuel, le droit de propriété ferait obstacle à l’extension sans cesse régénérée du domaine public.

D’autres commentateurs ont avancé que la découverte de cette nouvelle utilité du bien (droit à l’image) au bénéfice de son propriétaire aboutirait à des solutions ingérables en pratique, trop contraignantes et trop coûteuses pour les professionnels de l’illustration. Ils ont encore dénoncé ainsi une “privatisation de l’espace public” au détriment de la liberté d’expression[2].

Attentive aux critiques à l’encontre de la position qu’elle avait adoptée en 1999, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée en 2001 en y apportant un tempérament.

Dans un arrêt du 2 mai 2001, la première chambre civile a, en effet, reproché aux juges de fond de n’avoir pas précisé « en quoi l’exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d’usage et de jouissance du propriétaire » (Cass. 1ère civ. 2 mai 2001, n°99-10709).

L’exploitation de l’image d’un bien par un tiers ne serait ainsi sanctionnée qu’à la condition que soit établie l’existence d’un « trouble certain du droit d’usage et de jouissance du propriétaire ».

Cass. 1ère civ. 2 mai 2001
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 544 du Code civil ;

Attendu que le Comité régional de tourisme de Bretagne (le CRT) a utilisé à des fins de publicité un cliché dont il avait acquis le droit de reproduction de M. X..., photographe professionnel ; que cette image représente l'estuaire du Trieux, avec, au premier plan, l'îlot de Roch Arhon, propriété de la société civile immobilière du même nom, et a été diffusée malgré l'opposition de celle-ci ;

Attendu que pour accueillir la demande de la SCI en interdiction de cette reproduction, l'arrêt attaqué énonce que les droits invoqués par le CRT et M. X... trouvent leurs limites dans la protection du droit de propriété de la SCI, à la mesure des abus inhérents à l'exploitation d'une représentation de son bien à des fins commerciales et avec une publicité importante, que l'île est le sujet essentiel de l'image, et que la photographie est utilisée sous la forme d'une affiche à grande diffusion, au titre d'une campagne publicitaire destinée à la promotion du tourisme ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'exploitation de la photographie par les titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d'usage ou de jouissance du propriétaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

[…]

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des premier et deuxième moyens :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 1998, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

À l’analyse, il ressort de cette décision que la Cour de cassation s’est mise en quête de la recherche d’un équilibre entre les intérêts du propriétaire et la liberté de circulation de l’image du bien.

L’exigence de démontrer un trouble certain dans la jouissance du propriétaire conduit à autoriser l’utilisation de l’image du bien d’autrui, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une exploitation directe de cette image.

Cette protection nouvelle du droit à l’image de son bien a pour fondement l’article 544 du Code civil, et plus précisément le droit de jouissance dont est investi le propriétaire.

Cette appréhension du droit à l’image sur les biens comme une expression de l’usus et du fructus n’a manifestement pas perduré.

Dans un arrêt du 7 mai 2004, la Cour de cassation réunie en assemblée plénière a, en effet, jugé que « le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; qu’il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal » (Cass. ass. plen. 7 mai 2004, n°02-10450).

Par cette formule, haute juridiction déconnecte le droit à l’image sur le bien dont est titulaire le propriétaire de l’article 544 du Code civil pour le rattacher aux principes de la responsabilité civile.

Cass. ass. plen. 7 mai 2004
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 31 octobre 2001), que la Société de promotion immobilière SCIR Normandie (la société SCIR Normandie), a confié à la société Publicis Qualigraphie aux droits de laquelle se trouve la société Publicis Hourra (la société Publicis) la confection de dépliants publicitaires comportant, outre des informations relatives à l'implantation de la future résidence et à ses avantages, la reproduction de la façade d'un immeuble historique de Rouen, l'Hôtel de Girancourt ; que se prévalant de sa qualité de propriétaire de cet hôtel, la SCP Hôtel de Girancourt, dont l'autorisation n'avait pas été sollicitée, a demandé judiciairement à la société SCIR Normandie la réparation du préjudice qu'elle disait avoir subi du fait de l'utilisation de l'image de son bien ; que cette dernière a appelé la société Publicis en garantie ;

Attendu que la SCP Hôtel de Girancourt fait grief à l'arrêt du rejet de ses prétentions, alors, selon le moyen :

1 ) qu'aux termes de l'article 544 du Code civil, "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements" ; que le droit de jouir emporte celui d'user de la chose dont on est propriétaire et de l'exploiter personnellement ou par le truchement d'un tiers qui rémunère le propriétaire, ce droit ayant un caractère absolu et conduisant à reconnaître au propriétaire un monopole d'exploitation de son bien, sauf s'il y renonce volontairement ; qu'en énonçant que "le droit de propriété n'est pas absolu et illimité et ne comporte pas un droit exclusif pour le propriétaire sur l'image de son bien" pour en déduire qu'il lui appartenait de démontrer l'existence d'un préjudice car la seule reproduction de son bien immeuble sans son consentement ne suffit pas à caractériser ce préjudice, la cour d'appel a violé l'article 544 du Code civil ;

2 ) qu'elle faisait valoir dans ses conclusions d'appel que l'utilisation à des fins commerciales de la reproduction de la façade de l'Hôtel de Girancourt sans aucune contrepartie financière pour elle, qui a supporté un effort financier considérable pour la restauration de l'hôtel particulier ainsi qu'en témoignent les photographies de l'immeuble avant et après les travaux, restauration qui a permis aux intimées de choisir une image de cet immeuble pour l'intégrer dans le dépliant publicitaire, est totalement abusive et lui cause un préjudice réel, le fait que les intimées aient acheté cette reproduction chez un photographe rouennais prouvant bien que la façade restaurée représente une valeur commerciale ; qu'en énonçant, sans répondre à ce moyen particulièrement pertinent qu'elle "ne démontre pas l'existence du préjudice invoqué par elle et d'une atteinte à son droit de propriété", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 544 du Code civil ;

3 ) qu'elle faisait également valoir dans ses conclusions d'appel en visant les cartes postales de la façade historique de l’Hôtel de Girancourt qu'elle édite et qu'elle avait régulièrement produites, que les mentions portées au verso de ces pièces confirment sa volonté de conserver à son usage exclusif le droit de reproduire la façade de l'hôtel ou de concéder une autorisation quand elle estime que les conditions sont réunies ; qu'en s'abstenant totalement de se prononcer sur la valeur de ces pièces qu'elle avait régulièrement versées aux débats à l'appui de ses prétentions, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1353 du Code civil et 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci ; qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal ;

Et attendu que les énonciations de l'arrêt font apparaître qu'un tel trouble n'était pas établi ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

C’est ainsi que la Cour de cassation nie désormais le pouvoir du propriétaire d’exercer un droit de propriété sur l’image de son bien. Il dispose seulement d’une action qui pourrait reposer, tant sur les principes du droit de la responsabilité, que sur le droit à la vie privée ou encore sur la diffamation envisagée par la loi du 29 juillet 1881.

La notion de trouble se retrouve dans de nombreux régimes de responsabilité, de sorte que cela offre une large palette d’actions au propriétaire incommodé.

Par trouble anormal, il faut entendre, selon un arrêt de la première chambre civile, une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité de la personne (Cass. 1ère civ. 5 juil. 2005, n°02-21452).

Dans un arrêt du 31 mars 2015, la Chambre commerciale a précisé que l’exploitation commerciale en elle-même de l’image d’un bien n’est pas constitutive d’un trouble anormal (Cass. com. 31 mars 2015, n°13-21300).

[1] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[2] M. Guérin et E. De Roux, “Pour le photographe, la rue n’est plus libre de droits”, Le Monde 27 mars 1999, p. 29 et M. Huet, Droit de l’architecture, Economica, 2001 3ème éd. p. 267.

L’effet acquisitif de la possession

La possession d’un bien ne produit pas seulement un effet probatoire, elle emporte également un effet acquisitif lorsque certaines conditions sont remplies. Cet effet attaché à la possession procède du jeu de la prescription acquisitive.

L’article 2258 du Code civil définit cette prescription comme « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Immédiatement, il convient de distinguer la prescription acquisitive de la prescription extinctive.

  • La prescription extinctive
    • En application de l’article 2227 du Code civil, « le droit de propriété est imprescriptible»
    • Il en résulte que la propriété ne se perd par le non-usage, raison pour laquelle la prescription extinctive est inopposable au propriétaire.
    • Cette prescription extinctive joue, en revanche, s’agissant des actions réelles immobilières qui se prescrivent par trente ans.
  • La prescription acquisitive
    • La prescription acquisitive a pour effet de permettre au possesseur de devenir propriétaire du bien qu’il possède à l’expiration d’un certain délai.
    • Cette prescription qui peut avoir pour effet de priver le propriétaire initial d’un bien à la faveur du possesseur a été jugé par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 30 2007 comme conforme à l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH 30 août 2007, Gde ch. J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c/ Royaume-Uni, n° 44302/02).
    • Les juges strasbourgeois considèrent que l’instauration d’une prescription acquisitive relève du pouvoir des États de « réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général».

S’agissant de la possession, c’est donc la prescription acquisitive qui a vocation à jouer. À cet égard, ses conditions de mise en oeuvre diffèrent selon que l’on est en présence d’un meuble ou d’un immeuble.

Par ailleurs, la présomption ne permet pas seulement d’acquérir un bien, elle emporte également l’acquisition des fruits.

I) L’acquisition du bien

L’effet acquisitif de la possession varie donc selon qu’elle porte sur un meuble ou sur un immeuble. À l’intérieur de chaque catégorie de biens, il convient encore de distinguer selon que le possesseur est de bonne foi ou de mauvaise foi.

Reste que toute possession utile, quand bien même le possesseur est de mauvaise foi, fait acquérir la propriété du bien.

Cette règle résulte clairement de l’article 2261 du Code civil qui ne fait nullement référence à l’exigence de bonne foi.

Dès lors, le principe c’est la production d’un effet acquisitif pour toute possession. La mise en œuvre de ce principe connaît néanmoins des variations selon que le possesseur est de bonne ou de mauvaise foi.

A) Le principe

  1. L’effet acquisitif de la possession utile

L’article 2261 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que la possession produit un effet acquisitif pourvu qu’elle soit prolongée dans le temps et qu’elle ne soit affectée d’aucun vice.

Si les conditions sont remplies, le possesseur devient titulaire du droit par l’effet de la prescription acquisitive : c’est ce que l’on appelle l’usucapion.

Si la règle ainsi posée s’applique tant aux meubles qu’aux immeubles, la durée de la prescription diffère d’une catégorie à l’autre.

  • Pour les immeubles, la durée de la prescription acquisitive est fixée à trente ans
  • Pour les meubles, la possession produit, par principe, un effet acquisitif immédiat

2. Calcul de la prescription

==> Modalités de calcul

La prescription acquisitive ne fonde le droit de propriété du possesseur, qu’autant que le possesseur est en mesure de justifier l’écoulement d’un certain délai.

En application de l’article 2228 du Code civil, ce délai, qui est fixé en année, et qui varie selon que l’on est en présence d’un meuble ou d’un immeuble, se calcule en jours et non en heures.

Quant à l’expiration du délai, elle intervient lorsque le dernier jour du terme est accompli (art. 2229 C. civ.).

Combinées au droit commun de la computation des délais énoncé aux articles 640 et suivants du Code de procédure civile, les règles ainsi posées conduisent à envisager la détermination du point de départ de la prescription acquisitive et son expiration comme suit :

  • Point de départ : le dies a quo
    • Première règle
      • Conformément à l’article 640 du Code de procédure civil, le délai « a pour origine la date de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir»
    • Seconde règle
      • L’article 641 précise que « lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas.»
      • Il en résulte que le jour initial de la possession ne doit pas être compté dans le délai de prescription.
  • Date d’expiration : le dies ad quem
    • Le principe est désormais que les délais sont francs, ce qui signifie qu’ils expirent le dernier jour à vingt-quatre heures
    • Combiné avec la règle qui s’applique au dies a quo la détermination du jour d’expiration du délai consiste à ajouter au quantième du jour de l’événement qui fait courir le délai le nombre de jours que comprend le délai
      • Exemples
        • L’événement se produit le 12 du mois et le délai est de 10 jours
          • Le jour d’expiration du délai est le 12+10, soit le 22 du mois
        • L’événement se produit le 27 du mois et le délai est de 10 jours
          • Le jour d’expiration du délai est le 27+10, soit le 7 du mois suivants si mois de 30 jours et 6 si mois de 31 jours
    • S’agissant de la prescription acquisitive, le dernier jour de la prescription est donc celui qui porte dans l’année finale le même quantième que le jour de la prise de possession.
    • Si toutefois, ce dernier jour est chômé ou férié, la Cour de cassation considère que la prorogation du délai prévue à l’article 642 du Code de procédure civile n’a pas lieu de s’appliquer (Cass. 2e civ. 5 févr. 2004, n°02-14217).

==> Fait générateur de la prescription

Le point de départ de la possession est, en principe, l’entrée en possession du bien, soit plus précisément le moment à partir toutes les conditions de la possession sont réunies.

Pour pouvoir prescrire, le possesseur devra donc justifier :

  • D’une part, de la caractérisation du corpus et de l’animus
  • D’autre part, de l’efficacité de la possession, en ce qu’elle doit être utile.

En pratique, il appartiendra au demandeur de démontrer que le délai durant lequel le possesseur a exercé son emprise sur le bien revendiqué est insuffisant pour pouvoir prescrire.

Si cela se vérifie, ce qui sera souvent le cas en matière immobilière, le possesseur pourra lui opposer la caractérisation de ce que l’on appelle une jonction de possessions.

==> La jonction des possessions

En cas d’insuffisance du délai de possession, le possesseur est autorisé à se prévaloir la règle posée à l’article 2265 du Code civil qui dispose que « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux. »

Aussi ressort-il de cette disposition que les durées de possession du bien en cas de possesseurs successifs s’additionnent. C’est la jonction des possessions. Ce mécanisme est admis, quels que soient les modes de transmission de la possession.

Dans cette perspective, afin de renforcer le titre de propriété de l’acquéreur d’un bien immobilier, les notaires s’attachent toujours à retracer dans l’acte de vente la chaîne de propriété en remontant à jusqu’à l’origine trentenaire.

Reste qu’il convient de distinguer selon que les possesseurs se sont succédé à titre particulier ou à titre universel :

  • Les possesseurs se sont succédé à titre universel
    • Dans cette hypothèse, il y a une continuation de la personne du possesseur originaire par le possesseur actuel.
    • Il en résulte que la possession de l’ayant cause universel possède les mêmes qualités que la possession de son auteur
    • Les vices affectant la possession originaire se transmettent ainsi de possession en possession.
    • Il en va de même pour la mauvaise foi du premier possesseur
    • Si donc la possession originaire a été interrompue, il conviendra de démontrer qu’elle a été reprise suffisamment tôt pour que la prescription acquisitive puisse jouer.
  • Les possesseurs se sont succédé à titre particulier
    • Dans cette hypothèse, le possesseur actuel ne tient du possesseur originaire que le droit attaché à la possession en tant que tel.
    • Il en résulte que démarre une nouvelle possession, débarrassée de ses vices affectant éventuellement les possessions antérieures
    • Chaque possession de la chaîne translative sera donc appréciée séparément, ce qui signifie que la possession de l’ayant cause pourra présenter des qualités radicalement différentes de celle de son auteur.
    • Lorsque toutefois, la jonction porte sur une prescription trentenaire et une prescription abrégée, les délais ne pourront s’additionner qu’à certaines conditions.
    • Pour rappel, tandis que la prescription trentenaire requiert seulement l’absence de vice affectant la possession, la prescription abrégée exige la réunion de deux conditions supplémentaires que sont, la bonne foi du possesseur et l’entrée en possession au moyen d’un titre.
    • Deux situations doivent alors être distinguées :
      • Le possesseur n’est pas fondé à se prévaloir de la prescription abrégée
        • Dans cette hypothèse, la jonction ne pourra se faire qu’avec la seule prescription trentenaire
      • Le possesseur est fondé à se prévaloir de la prescription abrégée
        • Dans cette hypothèse, le possesseur dispose d’une option :
          • Soit il décide de prescrire par lui-même au moyen de la prescription abrégée
          • Soit il décide de bénéficier de la jonction de possession avec la prescription trentenaire si le délai qui reste à courir est inférieur à celui de la prescription abrégée
        • En tout état de cause, la jonction ne peut valablement opérer qu’à la condition que le possesseur, qui tien la chose en sa qualité d’ayant cause à titre particulier, se la soit vue remettre au titre d’une obligation de délivrance ou de restitution.

==> Les incidents affectant le cours de la prescription

Le cours de la possession peut, en raison de vices, être soit interrompu, soit suspendu. L’article 2259 du Code civil prévoit en ce sens que sont applicables à la prescription acquisitive les causes d’interruption et de suspension de la prescription acquisitive.

  • L’interruption de la possession
    • À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, en application de l’article 2231 du Code civil, l’interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.
    • Plusieurs causes sont susceptibles d’interrompre la prescription :
      • Privation de jouissance
        • La prescription acquisitive est interrompue lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers ( 2271 C. civ.)
      • Reconnaissance des droits du propriétaire
        • La reconnaissance par le possesseur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ( 2240 C. civ.)
      • Action en justice
        • L’action en justice exercée par le demandeur qui revendique la propriété du bien sur lequel le possesseur exerce son emprise ( 2241 C. civ.)
      • Mesure conservatoire et exécution forcée
        • Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée ( 2244 C. civ.)
      • Pluralité de possesseurs
        • L’interpellation faite à l’un des possesseurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le possesseur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers ( 2245 C. civ)
  • La suspension de la possession
    • En application de l’article 2230 du Code civil, ma suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.
    • Ainsi, à la différence de l’interruption un nouveau délai ne recommence pas à courir.
    • Plusieurs causes de suspension de la prescription acquisitive sont prévues par le Code civil
      • Force majeure
        • La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ( 2234 C. civ.)
      • Incapacité
        • La prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle ( 2235 C. civ.)
      • Mariage et pacs
        • La prescription ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ( 2236 C. civ.)
      • Conciliation et médiation
        • La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation ( 2238 C. civ.).
      • Procédure participative
        • La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d’une convention de procédure participative ou à compter de l’accord du débiteur constaté par l’huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution ( 2238 C. civ.).
      • Mesure d’instruction avant dire droit
        • La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès ( 2239 C. civ.)

3. Rôle de la volonté du possesseur

==> L’invocation de la prescription

L’article 2247 du Code civil dispose que « les juges ne peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription. »

Il en résulte que l’on ne peut prescrire contre la volonté du possesseur. Autrement dit, il a seul qualité à se prévaloir de la prescription acquisitive attachée à la possession

À cet égard, l’article 2248 précise que sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d’appel.

==> La renonciation à la prescription

La question subsidiaire qui alors se pose est de savoir dans quelles conditions le possesseur est-il autorisé à renoncer à la prescription acquisitive ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 2250 à 2253 du Code civil qui traitent de la renonciation à la prescription.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces dispositions :

  • L’impossibilité de renoncer à une prescription en cours
    • L’article 2250 du Code civil dispose que « seule une prescription acquise est susceptible de renonciation.»
    • On peut en déduire que le possesseur n’est pas autorisé, en cours de possession, à prescrire.
  • Les modalités de la renonciation
    • Sur la forme de la renonciation
      • L’article 2251, al. 1er du Code civil prévoit que La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.
      • L’alinéa 2 du texte précise que la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.
    • Sur la capacité du possesseur
      • L’article 2252 du Code civil dispose que « celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise. »
      • Cela signifie que s’il est indifférent que le possesseur soit frappé d’une incapacité pour que la possession produise son effet acquisitif, il est, en revanche, nécessaire d’être doté de sa pleine capacité pour renoncer à la prescription acquisitive.
      • Cette renonciation est regardée comme un acte de disposition, raison pour laquelle il faut être capable pour accomplir cet acte.
  • Opposabilité de la renonciation
    • L’article 2253 du Code civil prévoit que « les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce. »
    • Cela signifie que la renonciation à la prescription acquisitive n’est, par principe, pas opposable aux tiers.
    • Pour le devenir, le possesseur doit accomplir les formalités de publicité prévues à l’article 28, 8° du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière
    • À cet égard, cette disposition prévoit que « sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles […] les actes qui interrompent la prescription acquisitive conformément aux articles 2244 et 2248 du code civil, et les actes de renonciation à la prescription acquise»

==> La restitution du bien

L’article 2249 du Code civil dispose que « le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré. »

Cette disposition doit être interprétée comme posant que le possesseur, en cas de remise du bien à l’auteur de la revendication, ne dispose d’aucun recours en restitution quand bien même il démontre que la prescription acquisitive a opéré.

La raison en est que l’acquisition du délai de prescription ne fait nullement disparaître le droit du propriétaire : elle fait seulement obstacle à l’exercice d’une action en justice.

C’est la raison pour laquelle si le bien lui est remis spontanément, il est parfaitement fondé à refuser de le restituer au possesseur.

4. Aménagement conventionnel de la prescription

==> Principe

Issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’article 2254 du Code civil traite de l’aménagement conventionnel de la prescription.

Cette disposition a, en effet, consacré et étendu les possibilités d’aménagement conventionnel de la prescription qui avaient été envisagées par la jurisprudence.

De tels aménagements étaient, en effet, déjà possibles avant la réforme, compte tenu de l’interprétation que les juridictions ont faite d’ancien article 2220 du code civil.

Cette disposition qui prohibait la renonciation à une prescription par anticipation autorisait néanmoins la stipulation de clauses contractuelles abrégeant un délai. En particulier, il était admis que le délai de prescription acquisitive soit réduit.

Désormais, les parties disposent de la faculté d’aménager

  • La durée de la prescription
    • Le premier alinéa de l’article 2254 du Code civil prévoit que la durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties.
    • Cette faculté est toutefois encadrée par une double limite
      • D’une part, la durée de la prescription ne peut être réduite à moins d’un an
      • D’autre part, la durée de la prescription ne peut pas être étendue à plus de dix ans
  • Les causes d’interruption et de suspension de la prescription
    • Le deuxième alinéa de l’article 2254 du Code civil prévoit que les parties peuvent également, d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi.
    • Cette faculté, qui est une reprise de la jurisprudence antérieure (V. en ce sens civ., 13 mars 1968) n’est ici assortie d’aucune restriction, à l’exception de celle qui tient à la relation entre un professionnel et un consommateur

Bien que la possibilité pour les parties d’aménager la prescription acquisitive soit prévue par la loi, elle n’en demeure pas moins théorique dans la mesure où pour ce faire, encore faut-il qu’un contrat ait été conclu.

Or le plus souvent, le possesseur et la personne qui revendique le bien sont étrangers l’un à l’autre.

==> Tempérament

L’article L. 218-1 du Code de la consommation prévoit que « par dérogation à l’article 2254 du code civil, les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci. »

Ainsi, dans le cadre de la relation entre un professionnel et un consommateur, l’aménagement conventionnel de la prescription acquisitif est purement est simplement prohibé.

B) La mise en œuvre du principe

Les modalités de mise en œuvre de la prescription acquisitive diffèrent selon que la possession porte sur un meuble ou un immeuble.

Lorsque certaines conditions sont remplies, les textes prévoient, en effet, des délais de prescription abrégée, l’objectif recherché étant de primer la bonne foi du possesseur.

  1. La prescription acquisitive des immeubles

==> Principe : la prescription trentenaire

L’article 2272 du Code civil prévoit que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

Pour prescrire en matière immobilière il convient donc de posséder utilement le bien pendant un délai de 30 ans.

Il est ici indifférent que le possesseur soit de mauvaise foi. La bonne foi n’est pas érigée en condition d’application de la prescription trentenaire.

==> Exception : la prescription abrégée

Par exception à la prescription trentenaire, l’alinéa 2 de l’article 2272 du Code civil prévoit que « celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. »

Lorsqu’ainsi les conditions posées par ce texte sont remplies, la prescription acquisitive est ramenée à 10 ans en matière de propriété immobilière.

Cette mesure de faveur qui bénéficie au possesseur de bonne foi, vise à lui permettre de ne pas rester dans l’incertitude trop longtemps et à mettre fin à une situation qui est susceptible d’entraver l’exploitation économique du bien, ainsi que sa circulation.

Le législateur n’est pas allé jusqu’à assortir la possession de bonne foi d’un effet acquisitif immédiat, à l’instar des meubles.

Compte tenu de la valeur des immeubles, il convient, en effet, de laisser le temps  nécessaire au vrai propriétaire (verus dominus) de se manifester et d’exercer, le cas échéant, une action en revendication.

==> Domaine

  • Les biens éligibles
    • La prescription abrégée je noue que pour l’acquisition d’immeubles ou de droits réels immobiliers
    • Il est indifférent que le droit immobilier sur lequel elle porte soit démembré, de sorte qu’elle peut jouer en matière de d’usufruit.
    • En revanche, sont exclues du champ d’application de la prescription abrégée les servitudes ( civ. 6 nov. 1889).
    • Cette exclusion est d’origine légale, plusieurs dispositions du Code civil assujettissant la possession de servitudes à la prescription trentenaire (V. en ce sens 642, 685 et 690 C. civ.)
  • Acquisition a non domino
    • Le jeu de la prescription abrégée se limite aux immeubles et aux droits réels qui ont fait l’objet d’une acquisition a non domino, soit que le possesseur a acquis auprès du non-propriétaire.
    • Ainsi, celui qui a acquis le bien auprès du véritable propriétaire, mais dont le titre est entaché d’une irrégularité (nullité, inexistence) ou privé d’efficacité (caducité, résolution), ne pourra pas se prévaloir du bénéfice de la prescription abrégée.
    • La raison en est que l’usucapion vise à couvrir, non pas l’inefficacité du titre détenu par le possesseur, mais l’absence de titre du verus dominus.

==> Conditions

Les conditions exigées par l’article 2272 du Code civil sont : la bonne foi du possesseur, la justification d’un juste titre.

  • Sur la bonne foi
    • Pour usucaper un bien ou en droit réel immobilier au moyen de la prescription abrégée le possesseur doit être de bonne foi.
    • Que doit-on entendre par bonne foi ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 550 du Code civil qui définit cette notion.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • À cet égard, en application de l’article 2274 du Code civil, la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.
    • Il lui appartiendra ainsi d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.
  • Sur le juste titre
    • Deuxième condition d’application de la prescription abrégée, le possesseur doit être entré en possession du bien en étant muni d’un juste titre.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par juste titre.
    • En l’absence de définition légale, il convient de se tourner vers la jurisprudence qui a défini, par touches successives, la notion.
      • Un acte translatif de propriété
        • Le juste titre est un acte qui opère un transfert de propriété du bien
        • Il en résulte que les actes tels que le bail, le mandat ou encore le prêt ne peuvent, en aucun cas, être regardés comme des justes titre au sens de l’article 2272, al. 2e du Code civil.
      • Un acte translatif de propriété à titre particulier
        • Lorsque, au moment de sa délivrance, le bien relevait d’une universalité, le possesseur ne justifie pas d’un juste titre.
        • Tel est le cas en matière de succession, l’ayant cause à titre universel héritant d’une masse de biens non individualisés.
        • Seuls les actes qui ont opéré un transfert à titre particulier de biens sont constitutifs d’un juste titre
      • Un titre réel et valable
        • Pour se prévaloir d’un juste titre, le possesseur doit non seulement justifier de l’existence d’un acte translatif, mais encore de sa validité.
        • Si l’acte est frappé de nullité ou qu’il ne mentionne pas, avec précision, le bien revendiqué, il ne constituera pas un juste titre
        • S’agissant de la preuve du titre, elle se fait conformément au droit commun.
        • Quant à la charge de la preuve, elle pèsera sur l’auteur de l’action en revendication.

2. La prescription acquisitive des meubles

En matière de meuble, le délai de la prescription varie selon que le posssesseur est de bonne ou de mauvaise foi.

Le législateur a, par ailleurs, soumis les biens perdus ou volés à un régime spécial qui offre la possibilité au véritable propriétaire de revendiquer son bien pendant un certain temps.

a) Le possesseur est de bonne foi : acquisition immédiate

i) Principe

L’article 2276 du Code civil dispose que « en fait de meubles, la possession vaut titre ». Outre la fonction probatoire remplie par la règle ainsi énoncée, elle confère à la possession un effet acquisitif immédiat.

Autrement dit, la loi confère à celui qui possède, de bonne foi, un meuble un titre de propriété ; car « la possession vaut titre ». Nul besoin ici pour le possesseur de justifier d’un acte translatif de propriété : la possession utile et de bonne foi suffit à lui conférer la qualité de propriétaire.

Plus encore, elle lui confère au possesseur un droit originaire sur le meuble, soit un droit qui prime sur les droits, tant réels, que personnels, que le verus dominus a pu consentir à des tiers. Les droits de ce dernier son donc inopposables à l’acquéreur a non domino.

Manifestement, la règle ainsi posée déroge au principe nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a.

En toute rigueur, il serait plus juste de considérer que le bien revendiqué demeure, jusqu’à preuve du contraire, la propriété du véritable propriétaire.

Toutefois, en raison de la nature des meubles dont la preuve se la propriété se laisse difficilement rapporter, l’action en revendication portant que cette catégorie a toujours été enfermée dans des conditions très strictes. D’où l’adage « les meubles n’ont point de suite ».

Ainsi, en matière de meuble, l’effet acquisitif immédiat attaché à la possession est de nature à exclure, par principe, l’action en revendication.

Ce n’est que par exception, visée notamment à l’article 2 de l’article 2276 du Code civil, que la revendication est admise.

Pour jouer, la règle énoncée à l’alinéa 1er de l’article 2276 est toutefois subordonnée à l’observation de plusieurs conditions. Son domaine d’application est, par ailleurs, strictement délimité.

ii) Domaine

==> Biens éligibles

L’article 2276 du Code civil vise les seuls meubles comme susceptibles de faire l’objet d’une acquisition instantanée par le possesseur.

On peut immédiatement en déduire que les immeubles sont exclus du champ d’application de la règle de sorte qu’ils ne peuvent être acquis par possession qu’au moyen de la prescription trentenaire ou abrégée.

S’agissant des meubles, la question se pose de savoir si tous sont concernés.

A l’examen, un certain nombre d’entre eux échappent à la règle « en fait de meuble possession vaut titre ».

Au nombre des exclus on compte :

  • Les meubles soumis à la publicité
    • Dès lors que l’acquisition d’un bien meuble suppose l’accomplissement d’une formalité de publicité, l’article 2276 du Code civil devient inapplicable
    • Ainsi, la possession d’un bien immatriculé ne produit aucun effet acquisitif.
  • Les meubles qui relèvent du domaine public
    • Les meubles du domaine public sont inaliénables
    • Aussi, cette inaliénabilité a-t-elle pour effet de neutraliser l’application de l’article 2276 du Code civil.
  • Les meubles gagés
    • Lorsque le meuble fait l’objet d’un gage sans dépossession, il n’est, par hypothèse, pas dans les mains du constituant.
    • Est-ce à dire que son débiteur peut se prévaloir du jeu de l’article 2276 du Code civil en cas d’actionnement de la garantie ?
    • Il n’en est rien dans la mesure où le gage sans dépossession confère au créancier constituant un droit de rétention sur le bien gagé.
  • Les meubles incorporels
    • Les meubles incorporels sont exclus du champ d’application de l’article 2276 du Code civil
    • La raison en est que pour être applicable, encore faut-il que puisse s’exercer sur le bien une possession prise dans tous ses éléments constitutifs
    • Or lorsqu’il s’agit d’une chose incorporelle, la condition tenant au corpus ne peut pas être remplie (V. en ce sens civ., 11 mars 1839).
    • Dans un arrêt du 7 mars 2006, la chambre commerciale a par exemple jugé que « l’article 2279 du Code civil ne s’applique qu’aux seuls meubles corporels individualisés ; que la licence d’exploitation d’un débit de boissons ayant la même nature de meuble incorporel que le fonds de commerce dont elle est l’un des éléments et ne se transmettant pas par simple tradition manuelle, c’est à bon droit que la cour d’appel a écarté pour la dite licence d’exploitation la présomption prévue par ce texte»
  • Les meubles par anticipation ( 3e civ., 4 juill. 1968)
    • Pour mémoire, les meubles par anticipation sont tous les biens qui sont des immeubles par nature, mais qui, dans un futur proche, ont vocation à être détachés du sol.

S’agissant des meubles qui rentrent dans le champ d’application de l’article 2276 du Code civil, on compte, les meubles corporels susceptibles de tradition, d’aliénation.

S’agissant de la monnaie scripturale la Cour de cassation considère qu’elle échappe à l’effet acquisitif de la possession, dans la mesure où seuls les meubles corporels individualisés peuvent donner lieu à l’application de l’article 2276 du Code civil et peuvent être l’objet d’une revendication (Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, n°96-12.711).

Cette position vaut-elle pour toutes les choses fongibles ?

Il convient manifestement de répondre par la négative à cette question.

L’article 2369 du Code civil prévoit, en effet, que « la propriété réservée d’un bien fongible peut s’exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte. »

Il s’infère de cette disposition que l’action en revendication portant sur un bien fongible est permise dès lors que le demandeur est en mesure d’identifier chez le défendeur un bien de même nature et de même qualité.

Réciproquement, le possesseur d’un bien fongible individualisé doit pouvoir se prévaloir de l’effet acquisitif attaché à la possession.

iii) Acquisition a non domino

À l’instar de la prescription abrégée, l’application de la règle en fait de meuble possession vaut titre se limite aux meubles qui ont fait l’objet d’une acquisition a non domino, soit que le possesseur a acquis auprès du non-propriétaire.

Ainsi, celui qui a acquis le bien auprès du véritable propriétaire, mais dont le titre est entaché d’une irrégularité (nullité, inexistence) ou privé d’efficacité (caducité, résolution), ne pourra pas se prévaloir du bénéfice de la prescription abrégée.

La raison en est que la règle posée à l’article 2276 du Code civil vise à couvrir, non pas l’inefficacité du titre détenu par le possesseur, mais l’absence de titre du verus dominus.

iv) Conditions

  • La possession
    • Pour que la possession d’un meuble produise un effet acquisitif, encore faut-il
      • D’une part, qu’elle soit caractérisée dans tous ses éléments que sont le corpus et l’animus
      • D’autre part, qu’elle soit utile, c’est-à-dire affectée d’aucun vice
    • La charge de preuve pèse sur le verus dominus qui exercera l’action en revendication.
  • Bonne foi
    • Pour opérer, la règle posée à l’article 2276 du Code civil suppose la bonne foi du possesseur.
    • Dans la mesure où, en application de l’article 2274, la bonne foi est toujours présumée c’est, là encore, au verus dominus de prouver que le possesseur est de mauvaise foi.
    • Pour mémoire, l’article 550 du Code civil dispose que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • Il appartiendra au demandeur d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.
    • À cet égard, il convient d’observer que le possesseur de mauvaise foi ne peut pas se prévaloir de l’article 2276 du Code civil.
    • Faut de pouvoir acquérir immédiatement le bien, il ne pourra compter que sur la prescription acquisitive.
  • La dépossession volontaire
    • Pour jouer, la règle en fait de meuble possession vaut titre exige que le verus dominus se soit volontairement dépossédée du bien revendiquée
    • Cette condition s’infère du second alinéa de l’article 2276 du Code civil qui prévoit que, en cas de perte ou de vol, l’action en revendication peut être exercée pendant un délai de trois ans contre celui dans les mains duquel il la trouve.
    • Par dépossession volontaire, il faut entendre la régularisation d’un contrat non translatif de propriété par lequel le propriétaire a remis le bien entre les mains d’un tiers, lequel l’a aliéné à la faveur de l’auteur de la possession.
    • L’effet acquisitif immédiat de la possession fait ici obstacle à toute action en revendication contre le possesseur de bonne foi.
    • Le verus dominus disposera seulement d’une action récursoire contre son cocontractant qui a transmis plus de droits qu’il n’en avait sur la chose ( 2276, al. 2e in fine), ce qui est de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

v) Exception

==> Perte et vol

L’article 2276, al. 2 du Code civil dispose que « celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »

La règle en fait de meuble possession vaut titre est ainsi assortie d’une exception qui tient à la dépossession involontaire du verus dominus.

Cette dépossession involontaire peut procéder du vol ou d’une perte.

  • S’agissant du vol, il est défini comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ( 311-1 C. pén.)
  • S’agissant d’une perte, il s’agit de l’hypothèse où le verus dominus s’est dessaisi involontairement de la chose

==> Acquisition sous condition suspensive

Dans ces deux situations, le verus dominus dispose d’une action en revendication qui, si elle est exercée, neutralise la règle énoncée à l’alinéa 1er de l’article 2276 du Code civil.

Contrairement à ce que suggère l’alinéa 2 de cette disposition, la possession produit bien un effet acquisitif. Toutefois cet effet peut être anéanti rétroactivement en cas d’action en revendication.

==> Délai de l’action en revendication

Cette action peut être exercée pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel la chose se trouve.

Ce délai étant un délai préfix, il est insusceptible de faire l’objet d’une suspension ou d’une interruption.

==> Mise en œuvre de l’action

S’agissant de la mise en œuvre de l’action en revendication elle est subordonnée au remboursement du possesseur par le verus dominus.

C’est le sens de l’article 2277 du Code civil qui dispose que « si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu’en remboursant au possesseur le prix qu’elle lui a coûté. »

Il en va de même selon l’alinéa 2 du texte pour le bailleur qui « revendique, en vertu de l’article 2332, les meubles déplacés sans son consentement et qui ont été achetés dans les mêmes conditions ». Ce dernier se doit également de « rembourser à l’acheteur le prix qu’ils lui ont coûté ».

Dans cette configuration, l’action en revendication exercée par le verus dominus n’aura d’intérêt pour lui qu’à la condition que le bien revendiqué possède une valeur particulière pour lui.

==> Actions récursoires

En cas de succès de l’action en revendication contre le possesseur, la question se pose des recours contre celui qui a aliéné la chose au mépris de la règle nemo plus juris.

  • Le recours du possesseur
    • L’article 2276, al. 2e du Code civil confère une action récursoire au possesseur contraint de restituer la chose revendiquée au verus dominus contre le détenteur indélicat.
    • Ce recours s’analyse en l’exercice de droit d’éviction prévu à l’article 1626 du Code civil qui prévoit que « quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »
    • Il s’agit ainsi de la mise en œuvre de la garantie d’éviction dont bénéficie l’acquéreur d’une chose.
    • Au titre de cette garantie, le possesseur évincé sera fondé à réclamer la restitution du prix de la chose, des frais accessoires attachés à cette restitution et, le cas échéant des frais de procédure engagés dans le cadre de l’action en revendication et de mise en œuvre de la garantie d’éviction.
    • La question qui alors se pose est de savoir si, dans l’hypothèse où le possesseur évincé a été indemnisé par le verus dominus en application de l’article 2277 du Code civil, il conserve son droit d’agir contre son vendeur.
    • À cette question, la jurisprudence a répondu par la négative, considérant que son action devenait sans objet (V. en ce sens 1ère civ. 26 nov. 1956).
    • Il convient néanmoins de nuancer cette solution qui ne devrait pas faire obstacle à une demande d’indemnisation liée à la perte d’exploitation susceptible d’être occasionné par la restitution de la chose, outre les frais d’entretien et de procédure engagés.
    • Dans un arrêt du 7 novembre 1995, la Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que « l’acquéreur de bonne foi d’une chose volée qui s’est volontairement dessaisi perd de son propre fait le droit d’obtenir du propriétaire le remboursement du prix qu’il a payé et ne peut en conséquence rechercher la garantie de son vendeur» ( 1ère civ., 7 nov. 1995 n° 93-15.840).
  • Le recours du verus dominus
    • Le succès de l’action en revendication exercée par le verus dominus contre le possesseur est subordonné au remboursement du prix de la chose revendiquée.
    • Le revendiquant aura ainsi été contraint d’exposer des frais pour obtenir la restitution de son bien.
    • La question qui a lors se pose est de savoir si celui-ci dispose d’un recours contre le vendeur du bien.
    • À l’examen, tout dépend si ce dernier est de bonne ou de mauvaise foi.
    • En effet, dans un arrêt du 11 février 1931 la Cour de cassation a jugé que « le propriétaire qui, pour se faire rendre une chose volée ou perdue, a dû rembourser au possesseur actuel le prix qu’elle lui a coûté, ne saurait puiser dans les articles 2276, 2277 et 1251 du Code civil le principe d’une action en indemnité contre celui qui a cessé d’avoir la possession de la chose volée ou perdue ; que la seule action appartenant dans ce cas au propriétaire doit être fondée, par application de l’article 1382 du Code civil, sur l’existence d’une faute commise par le défendeur et qu’elle ne saurait être accueillie qu’alors que cette faute est préalablement constatée par le juge» ( civ., 11 févr. 1931).
    • Il ressort de cette décision que le verus dominus ne peut agir contre le vendeur qu’à la condition qu’il démontre que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité délictuelle sont réunies.
    • Autrement, il lui appartient d’établir que le vendeur était de mauvaise foi, laquelle mauvaise foi constitue une faute au sens de l’article 1240 du Code civil, anciennement 1382 à l’époque de l’arrêt.
    • Lorsque, dès lors, le vendeur est de bonne foi, le verus dominus ne dispose d’aucun recours contre lui, ni sur le fondement de la subrogation légale, ni sur le fondement de l’enrichissement injustifié (action de in rem verso).

b) Le possesseur est de mauvaise foi : acquisition différée

Lorsque le possesseur est de mauvaise foi, la règle « en fait de meuble possession vaut titre est écartée » de sorte que l’acquisition du bien n’est pas immédiate.

Elle est, en effet, soumise à la prescription acquisitive dont le délai était fixé à trente ans avant la réforme opérée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

L’ancien article 2262 du Code civil prévoyait en ce sens que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme la question du délai de la prescription acquisitive en cas de possession de mauvaise foi d’un meuble n’est envisagée par aucun texte.

Tandis que le délai de droit commun intéresse la seule prescription extinctive, la prescription acquisitive trentenaire ne vise que les immeubles.

En l’absence de texte tranchant cette question, plusieurs thèses peuvent être retenues :

  • Première thèse
    • Lorsque le possesseur est de mauvaise foi, la possession ne produit aucun effet acquisitif
    • La propriété des meubles est ainsi imprescriptible pour les possesseurs de mauvaise foi
  • Deuxième thèse
    • Il convient d’appliquer le délai de droit commun de la prescription énoncé par l’article 2224 du Code civil qui dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Bien que ce délai de 5 ans soit prévu pour la prescription extinctive, il pourrait être appliqué, par extinction, à la prescription acquisitive en cas de mauvaise foi du possesseur
  • Troisième thèse
    • On pourrait appliquer aux meubles, par analogie aux règles qui régissent la possession de mauvaise foi d’un immeuble, la prescription trentenaire visée à l’article 2272 du Code civil.
    • La possession produirait ainsi, en matière de meuble, un effet acquisitif à l’expiration d’un délai de trente ans lorsque le possesseur est de mauvaise foi.

À l’examen, la doctrine serait plutôt favorable à cette dernière option, ce qui conduit à envisager l’effet acquisitif de la possession des meubles comme suit :

  • En cas de bonne foi du possesseur, la possession produit un effet acquisitif immédiat, conformément à la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil.
  • En cas de mauvaise foi du possesseur, la possession produit un effet acquisitif différé à trente ans, en application de l’article 2272 du Code civil.

II) L’acquisition des fruits

L’acquisition des fruits produit par le bien revendiqué dépend de la bonne ou mauvaise foi du possesseur :

  • Le possesseur est de bonne foi
    • L’article 549 du Code civil prévoit que « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. »
    • Le possesseur de bonne foi conserve ainsi le bénéfice des fruits du bien, quand bien même il serait tenu de le restituer au verus dominus
  • Le possesseur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 549 du Code civil prévoit que le possesseur « est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique»
    • Le texte précise que si les fruits ne se retrouvent pas en nature dans le patrimoine du possesseur de mauvaise foi, leur valeur est estimée à la date du remboursement.
    • Autrement dit, il appartient à ce dernier de restituer au verus dominus les fruits perçus par équivalent, soit en valeur.
    • Se posera également la question d’une restitution de la valeur de jouissance procurée par la possession de la chose (V. en ce sens Fiche consacrée à la restitution des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose)

Les restitutions consécutives à l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité): régime juridique

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

?Fondement des restitutions

La question s’est posée en doctrine du fondement des restitutions. Il ressort de la littérature produite sur le sujet que deux thèses s’affrontent :

  • Première thèse : la répétition de l’indu et l’enrichissement injustifié
    • Certains auteurs ont cherché à fonder le système des restitutions sur les règles qui régissent l’enrichissement injustifié et la répétition de l’indu.
    • Selon cette thèse, l’anéantissement de l’acte aurait pour effet de priver de cause les prestations fournies par les parties, de sorte que ce qui a été reçu par elles deviendrait injustifié ou indu ; d’où l’obligation – quasi contractuelle – de restituer, tantôt en nature, tantôt en valeur, ce qui est reçu.
    • Bien que cette thèse soit séduisante en ce qu’elle permet de justifier les restitutions, tant pour les cas de nullité, que pour les cas de résolution ou de caducité, elle a été rejetée par la Cour de cassation.
    • Dans un arrêt du 24 septembre 2002, la première chambre civile a, en effet, jugé que « les restitutions consécutives à une annulation ne relèvent pas de la répétition de l’indu mais seulement des règles de la nullité » (Cass. 1re civ., 24 sept. 2002, n° 00-21.278).
  • Seconde thèse : la rétroactivité attachée à la disparition de l’acte
    • La seconde thèse, soutenue par une partie de la doctrine, consiste à dire que le fondement des restitutions résiderait dans la rétroactivité attachée à l’anéantissement de l’acte.
    • Au fond, les restitutions ne seraient autres que la mise en œuvre de la fiction juridique qu’est la rétroactivité.
    • Dès lors que l’on considère que l’acte est réputé n’avoir jamais existé, il y a lieu de remettre les parties au statu quo ante, ce qui suppose qu’elles restituent ce qu’elles ont reçu.
    • Là aussi, bien que séduisant, l’argument n’emporte pas totalement la conviction, ne serait-ce que parce qu’il induit que les restitutions ne peuvent avoir lieu qu’en cas de rétroactivité.
    • Or certaines sanctions, telles que la caducité ou la résiliation ne sont assorties d’aucun effet rétroactif et pourtant pèse sur les parties l’obligation de restituer ce qu’elles ont reçu.

Un auteur a tenté de concilier les deux thèses en avançant fort opportunément que « à la différence de la nullité, qui tend à supprimer les effets juridiques attachés à l’acte s’il avait été valablement conclu, les restitutions tendent à supprimer les effets matériels produits par l’exécution de l’acte »[1]

Finalement, le législateur a mis un terme au débat en déconnectant les restitutions des parties du Code civil consacrées au contrat et aux quasi-contrats à la faveur d’un régime juridique autonome.

Désormais, les restitutions ont pour seul fondement juridique la loi, indépendamment des sanctions qu’elles ont vocation à accompagner.

?Nature des restitutions

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, la question s’est posée de la nature des restitutions.

Plus précisément on s’est interrogé sur leur nature indemnitaire : les restitutions, en particulier lorsqu’elles consistent en le versement d’une somme d’argent en raison de l’impossibilité de restituer la chose reçue, ne viseraient-elles pas, au fond, à compenser le préjudice résultant de l’anéantissement de l’acte ?

À plusieurs reprises, la Cour de cassation a répondu négativement à cette question, jugeant, par exemple, dans un arrêt du 25 octobre 2006 que « la restitution à laquelle le vendeur est condamné à la suite de la diminution du prix prévue par l’article 46, alinéa 7, de la loi du 10 juillet 1965 résultant de la délivrance d’une moindre mesure par rapport à la superficie convenue ne constituait pas un préjudice indemnisable » (Cass. 3e civ. 25 oct. 2006, n°05-17.427)

Dans un arrêt du 28 octobre 2015, elle a encore considéré que « la restitution du dépôt de garantie consécutive à la nullité d’un bail commercial ne constituant pas en soi un préjudice indemnisable » (Cass. 1ère 28 oct. 2015, n°14-17.518)

La Cour de cassation en tire la conséquence que, en cas de restitutions consécutives à l’anéantissement d’un acte, la responsabilité de son rédacteur (notaire ou avocat) ne peut pas être recherchée.

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la troisième chambre civile a jugé en ce sens que « la restitution du prix perçu à laquelle le vendeur est condamné, en contrepartie de la restitution de la chose par l’acquéreur, ne constitue pas un préjudice indemnisable » raison pour laquelle il n’a y pas lieu de condamner le notaire instrumentaire de la vente annulée à garantir le remboursement du prix du bien objet de ladite vente (Cass. 1ère civ., 18 févr. 2016, n° 15-12.719).

?Domaine des restitutions

Le domaine des restitutions est défini par les nombreux renvois qui figurent dans le Code civil et qui intéressent :

  • Les nullités (art. 1178, al. 3 C. civ.)
  • La caducité (art. 1187, al. 2 C. civ.)
  • La résolution (art. 1229, al. 4 C. civ.)
  • Le paiement de l’indu (art. 1302-3, al. 1er C. civ.)

Cette liste est-elle limitative ? Peut-on envisager que des restitutions puissent jouer en dehors des cas visés par le Code civil ? D’aucuns le pensent, prenant l’exemple des clauses réputées non-écrites. Cette sanction, peut, il est vrai, en certaines circonstances, donner lieu à des restitutions.

?Articulation du régime juridique

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

En parallèle, les articles 1352-4 et 1352-9 posent des règles applicables à toutes les formes de restitutions.

§1 : Les règles propres à chaque restitution

I) La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent

?Textes

La restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent est régie aux articles 1352 à 1352-3 du Code civil. L’article 1352-5 du Code civil en complète le régime.

?Domaine

Par chose, il faut entendre, tant les meubles que les immeubles, à l’exclusion des sommes d’argent.

La restitution de ces dernières fait l’objet d’un traitement spécifique à l’article 1352-6. Cette disposition a, en effet, vocation à s’appliquer lorsque l’exécution de l’obligation consiste en le paiement d’une valeur monétaire.

Quant aux contrats dont l’anéantissement conduit à la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent, il peut s’agir, tout aussi bien de contrats translatifs de propriété (contrat de vente, contrat d’entreprise, donation, échange etc.), que de contrats qui ne font que mettre à la disposition du débiteur une chose sans lui en transférer la propriété (contrat de bail, contrat de dépôt, contrat de prêt, etc.).

?Régime

Lorsque la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, le principe posé par l’article 1352 du Code civil, c’est la restitution en nature.

Par exception, soit lorsque la restitution en nature s’avère impossible, la restitution se fera en valeur, soit par équivalent monétaire.

A) Principe : la restitution en nature

1. Exposé du principe

L’article 1352 du Code civil pose donc le principe de restitution en nature des choses autres qu’une somme d’argent.

L’instauration de ce principe, d’abord reconnu par la jurisprudence, puis consacré par la loi, procède de l’objectif poursuivi par le législateur qui vise à remettre les parties dans la situation patrimoniale à laquelle elles se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité entachant l’acte ou de son inexécution.

Aussi, le retour à ce statu quo ante suppose, avant toute chose, d’exiger des parties qu’elles restituent à l’autre ce qui se trouve encore entre dans leurs patrimoines respectifs.

Lorsqu’il s’agit de restituer en nature un corps certain, la partie qui le détient devra restituer à son cocontractant le même corps certain que celui qui lui a été remis lors de son entrée en possession.

Lorsque, en revanche, la restitution porte sur une chose de genre, la chose rendue devra être de même nature, être restituée dans la même quotité et présenter les mêmes qualités.

2. Mise en œuvre du principe

Si, en cas d’anéantissement d’un acte, la restitution, en nature, des choses qui se trouvaient dans les patrimoines respectifs des parties est une étape nécessaire vers un retour au statu quo ante, cette opération n’est, dans bien des cas, pas suffisante.

Entre le moment où la chose a été remise et la date de sa restitution, des événements sont, en effet, susceptibles d’avoir affecté l’état de la chose.

Elle peut, tout aussi bien avoir été détériorée ou s’être dégradée, qu’avoir fait l’objet d’améliorations ou de réparations.

Des dépenses auront, par ailleurs, pu être exposées pour assurer sa conservation. La chose peut encore avoir produit des fruits en même temps qu’il a été permis à son détenteur d’en jouir.

Aussi, afin de se rapprocher de la situation dans laquelle les parties se trouvaient au moment de la survenance de l’irrégularité ayant entaché l’acte ou de son inexécution, il est nécessaire de rétablir les équilibres qui ont pu être rompus en raison :

  • Soit des dépenses exposées par détenteur de la chose pour assurer sa conservation
  • Soit des circonstances qui ont affecté l’état de la chose (plus-values et moins-values)
  • Soit de la jouissance que la chose a procurée et des fruits dont le détenteur a tiré profit

Pour ce faire, les articles 1352-1, 1352-3 et 1352-5 du Code civil prévoient un certain nombre de règlements accessoires à la restitution, en principal, de la chose qui visent, selon la doctrine, à tenir compte de l’écoulement du temps.

Plus précisément, ces règlements accessoires à la restitution de la chose ont été institués pour traiter :

  • Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose
  • Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose
  • Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

a. Les conséquences des dégradations et détériorations de la chose

L’article 1352-1 du Code civil dispose que « celui qui restitue la chose répond des dégradations et détériorations qui en ont diminué la valeur, à moins qu’il ne soit de bonne foi et que celles-ci ne soient pas dues à sa faute. »

Il ressort de cette disposition que la restitution en nature de la chose suppose qu’elle soit rendue au créancier dans le même état que celui dans lequel elle se trouvait au moment de sa remise.

Aussi, dans l’hypothèse où la chose objet de la restitution est dégradée ou détériorée, pèse sur la partie qui détient la chose une obligation d’indemnisation du créancier, ainsi que le suggère l’emploi du terme « répond ».

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par dégradation et détérioration.

Plus précisément, ces deux notions couvrent-elles seulement les altérations anormales affectant accidentellement ou intentionnellement l’état de la chose ou embrassent-elles également l’usure résultant de l’usure normale de la chose ?

Dans le silence des textes, les deux interprétations sont possibles. Reste que, par analogie avec les règles qui régissent le contrat de bail, il peut être postulé que l’usure normale de la chose restituée ne donne pas lieu à indemnisation, à l’instar du local restitué au bailleur en fin de bail.

À cet égard, dans un arrêt du 8 mars 2005 la Cour de cassation avait considéré que « l’effet rétroactif de la résolution d’une vente oblige l’acquéreur à indemniser le vendeur de la dépréciation subie par la chose à raison de l’utilisation qu’il en a faite, à l’exclusion de celle due à la vétusté » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Lorsque, en revanche, l’altération de l’état de la chose ne résulte pas de son usure normale, alors le débiteur de l’obligation de restituer doit indemniser le créancier.

Cette indemnisation est toutefois subordonnée à la réunion de deux conditions alternatives :

  • Première condition : la mauvaise foi du débiteur de l’obligation de restituer
    • L’article 1352-1 du Code civil prévoit que l’indemnisation ne peut avoir lieu en cas de dégradation ou de détérioration de la chose qu’à la condition que le débiteur de l’obligation de restituer soit de mauvaise foi.
    • Ce dernier sera de mauvaise foi lorsqu’il connaissait la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.
    • Autrement dit, le débiteur savait qu’il ne pouvait pas valablement détenir et jouir de la chose.
    • Il importe peu que la dégradation ou la détérioration de la chose soit de sa faute : dans les deux cas, dès lors que sa mauvaise foi est établie, il a l’obligation d’indemniser le créancier de la restitution.
  • Seconde condition : la faute du débiteur de l’obligation de restituer
    • Il s’infère de l’article 1352-1 du Code civil que, dans l’hypothèse où le débiteur serait de bonne foi, le créancier ne pourra solliciter une indemnisation que s’il démontre que les dégradations ou détériorations de la chose résultent de la faute du débiteur.
    • À défaut, aucune indemnisation ne sera due, sauf à ce que le débiteur de l’obligation de restitution soit de mauvaise foi, ce qui sera suffisant pour l’obliger à réparer le préjudice résultant de l’altération de l’état de la chose.

b. Le sort des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose

L’article 1352-3 du Code civil dispose que « la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée. »

La règle ainsi posée vise tenir compte de l’utilisation de la chose par le débiteur entre le moment où il est en entrée en possession de cette chose et la date à laquelle il doit la restituer.

Pendant cette période, ce dernier a, tout d’abord, pu en jouir, soit tirer profit de sa possession. Tel est le cas de l’acquéreur d’un véhicule qui dispose de la possibilité de le conduire ou de l’acquéreur d’un immeuble qui peut l’habiter.

La possession d’une chose peut ensuite permettre à son détenteur d’en percevoir les fruits. Selon la définition donnée par Gérard Cornu, les fruits, s’entendent « des biens de toute sorte (sommes d’argent, biens en nature) que fournissent et rapportent périodiquement les biens frugifères (sans que la substance de ceux-ci soit entamée comme elle l’est par les produits au sens strict) ; espèce de revenus issus des capitaux, à la différence des revenus du travail. Ex. : récoltes, intérêts des fonds prêtés, loyers des maisons ou des terres louées, arrérages des rentes. ».

Si les avantages que procure la jouissance de la chose et, éventuellement, la perception de ses fruits sont sans incidence sur sa substance, en ce sens que cela ne lui apporte aucune moins-value, ni plus-value, sa seule restitution au créancier, en cas d’anéantissement du contrat au titre duquel elle avait été transférée, ne permet pas d’obtenir les effets recherchés par cet anéantissement, soit le retour des parties au statu quo ante.

Tandis que le débiteur de l’obligation de restituer s’est enrichi en tirant profit de la jouissance de la chose et en percevant les fruits, le créancier a, quant à lui, été privé de son utilisation.

Aussi, afin de rétablir l’équilibre qui a été rompu consécutivement à la disparition de l’acte, très tôt la question s’est posée de l’indemnisation de ce dernier.

La question est alors double. Elle tient à l’indemnisation du créancier de l’obligation de restituer résultant :

  • D’une part, de la jouissance de la chose par le débiteur
  • D’autre part, de la perception des fruits par le débiteur

Mettant fin à une jurisprudence fournie qui n’est pas sans avoir tergiversé, en particulier sur l’indemnisation de la jouissance de la chose, l’ordonnance du 10 février 2016 prévoit que, tant la valeur de la jouissance de la chose que les fruits procurés par elle au débiteur donnent lieu à restitution.

L’article 1352-7 précise toutefois que l’étendue de cette restitution varie selon que le débiteur de l’obligation de restituer était de bonne ou de mauvaise foi au moment où il a perçu les fruits ou a commencé à jouir de la chose.

b.1. Le principe de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

?) La restitution de la valeur de la jouissance de la chose

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence était fluctuante, s’agissant d’octroyer au créancier de l’obligation de restituer une indemnité visant à compenser la jouissance de la chose par le débiteur.

À l’analyse, deux positions s’affrontaient : celle de la première chambre civile qui refusait d’indemniser le créancier à raison de l’utilisation de la chose restituée par le débiteur et celle de la troisième chambre civile qui admettait que ce dernier puisse percevoir une indemnité.

Cette situation qui opposait les deux chambres a conduit la chambre mixte à se prononcer. Son intervention n’a toutefois pas suffi à mettre fin au débat.

  • La position de la première chambre civile : le refus d’indemniser
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la première chambre civile a jugé que « dans le cas où un contrat nul a […] été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles étaient auparavant, en raison de la nullité dont la vente est entachée dès l’origine ».
    • Toutefois, elle a ajouté que « le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant au profit qu’a retiré l’acquéreur de l’utilisation de la machine » (Cass. 1ère civ. 1 juin 1987, n°84-16.624)
    • La première chambre civile a précisé sa position dans un arrêt du 11 mars 2003, aux termes duquel elle a affirmé que « en raison de l’effet rétroactif de la résolution de la vente, le vendeur n’est pas fondé à obtenir une indemnité correspondant à la seule utilisation du véhicule par l’acquéreur » (Cass. 1ère civ. 2003, 01-01.673)
    • La première chambre civile fait ici manifestement une application stricte du principe de l’anéantissement rétroactif du contrat : si l’acquéreur doit remettre la chose, abstraction faite de l’évolution de sa valeur, au même état que si les obligations nées du contrat n’avaient pas existé, le vendeur doit restituer le prix, le principe du nominalisme monétaire interdisant toute revalorisation.
    • Cette position n’était toutefois pas partagée par la troisième chambre civile.
  • La position de la troisième chambre civile : l’admission d’un droit à indemnisation
    • Dans un arrêt du 12 janvier 1988, la troisième chambre civile a adopté une position radicalement inverse à celle retenue par la première chambre civile.
    • Au visa de l’article 544 du Code civil, ensemble les articles 1644, 1645 et 1646 du même Code, elle a jugé que « lorsque la vente d’une chose est résolue par l’effet de l’action rédhibitoire, cette chose est remise au même état que si les obligations du contrat n’avaient pas existé »
    • Elle en a tiré la conséquence que « l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire, sauf si celui-ci connaissait les vices de l’immeuble » (Cass. 3e civ. 12 janv. 1988, n°86-15.722).
    • La troisième chambre civile a réitéré sa position dans un arrêt du 26 janvier 1994 aux termes duquel elle affirmait que « la résolution de la vente anéantit les stipulations du contrat et que l’acquéreur doit une indemnité d’occupation au vendeur de l’immeuble qui recouvre sa qualité de propriétaire » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1994, n° 91-20.934).
    • Elle a, à nouveau, retenu cette solution dans un arrêt du 12 mars 2003 (Cass. 3e civ. 12 mars 2003, n°01-17.207), soit le lendemain de l’arrêt rendu par la première chambre civile qui adoptait la position inverse (Cass. 1ère civ. 2003, n°01-01.673).
  • L’intervention de la chambre mixte
    • Dans un arrêt du 9 juillet 2004 la chambre mixte s’est finalement prononcée sur la question qui opposait la première civile à la troisième chambre civile.
    • Dans cette décision elle a jugé que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302i).
    • Ainsi la chambre mixte de la Cour de cassation a-t-elle opiné dans le sens de la position adoptée par la première chambre civile.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2007 elle a toutefois semblé opérer un revirement de jurisprudence en retenant la solution inverse.
    • Elle a, en effet, considéré dans cette décision que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par l’EURL en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass. ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508).
    • Les auteurs ont interprété cette décision comme opérant, non pas un revirement de jurisprudence, mais une distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail.
    • Tandis que pour les premiers aucune indemnité ne serait due au vendeur, pour les seconds, le bailleur serait fondé à réclamer une indemnisation au preneur.
    • Cette interprétation qui semblait avoir été validée par un arrêt rendu le 24 juin 2009 par la première chambre civile (Cass. 3e civ. 24 juin 2009, n° 08-12.251) a toutefois été remise en cause par une décision de la chambre commerciale du 3 décembre 2015.
    • Cette dernière a, en effet, jugé que « la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété » (Cass. com. 3 déc. 2015, n°14-22.692).

Au bilan, la jurisprudence était pour le moins incertaine quant au bien-fondé de l’octroi d’une indemnité au créancier correspondant à l’usage de la chose restituée.

Quant à la doctrine, les auteurs étaient partagés.

Planiol et Riper étaient favorable à la reconnaissance d’une indemnité de jouissance à la charge du débiteur de l’obligation de restituer. Pour eux « la liquidation comportera le paiement de la valeur de toute chose consommée, de toute jouissance, de tout service reçu, dont l’autre partie n’aurait pas eu, en exécution des conventions, la contrepartie effective »[2].

Dans le même sens, pour Marie Malaurie, dans certains cas, une indemnité de jouissance peut être versée. Les restitutions sont bilatérales et gouvernées par une « règle de corrélation », cette indemnité compensant l’utilisation du bien aurait pour « corollaire les intérêts légaux qui indemnisent forfaitairement la jouissance de l’argent à laquelle pourrait prétendre l’acheteur »[3].

Dans ces conditions une indemnité est due en l’absence de corrélation entre la jouissance du prix et celle de la chose. À ce titre, deux exemples d’indemnisation sont cités : la perception partielle ou la non-perception du prix par le vendeur et la jouissance de la chose conjuguée à la perception des fruits par l’acquéreur.

À l’inverse, pour Jean-Louis Aubert, « l’utilisation du bien faite par l’acheteur se situe indéniablement hors le champ des restitutions »[4].

Pour les tenants de cette thèse « seules sont restituables, en valeur, les prestations fournies en exécution du contrat annulé, c’est-à-dire mises, par le contrat, à la charge de celui qui les a exécutées »[5].Or, à la différence d’un bailleur tenu d’une obligation de faire, le vendeur n’a exécuté aucune obligation relative à la jouissance, il n’est donc tenu que d’une obligation de délivrance, en exécution de l’obligation de donner résultant du contrat de vente. Dès lors, l’octroi d’une indemnité d’utilisation « outrepasserait la restitution intégrale » puisque, dans un contrat de bail, l’indemnité d’occupation correspond à la restitution en valeur de la jouissance, tandis qu’en matière de vente, l’indemnité est réclamée en plus de la restitution en nature de la chose[6].

Si, à l’examen, la doctrine était plutôt défavorable au versement d’une indemnité de jouissance au créancier de l’obligation de restituer, le législateur a, lors de la réforme du droit des obligations, finalement tranché en faveur d’une indemnisation.

?Ordonnance du 10 février 2016

L’article 1352-3, al. 1re prévoit que la restitution de la chose donne lieu, corrélativement à la restitution de la valeur de la jouissance.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle renversé la position qui avait été adoptée antérieurement par la chambre mixte de la Cour de cassation en matière de contrat de vente.

Manifestement, le nouvel article 1352-3 du Code civil n’opère aucune distinction entre les contrats de vente et les contrats de bail. On peut en déduire que cette disposition a vocation à s’appliquer à tous les contrats.

Quelle que soit la nature du contrat anéanti, le créancier de l’obligation de restituer sera donc fondé à réclamer au débiteur le versement d’une indemnité de jouissance.

L’alinéa 2 de l’article 1352-3 précise que « la valeur de la jouissance est évaluée par le juge au jour où il se prononce. »

Quant à l’évaluation de la valeur en tant que telle de la jouissance, c’est vers le Rapport au Président de la République qu’il convient de se tourner pour comprendre ses modalités de calcul. Selon ce rapport, l’indemnité de jouissant doit être regardée « comme un équivalent économique des fruits que la chose aurait pu produire. »

En d’autres termes, si la chose objet de la restitution est un immeuble, la valeur de la jouissance doit être calculée sur la base des loyers qui auraient pu être perçus par le créancier de l’obligation de restituer.

L’application de cette méthode de calcul conduit immédiatement à s’interroger sur l’octroi d’une indemnité de jouissance en cas de restitution d’un bien non frugifère.

Le rapport au Président de la République semble s’y opposer. Toutefois, l’article 1352-3 du Code civil ne l’interdit pas, de sorte qu’il convient d’attendre que la jurisprudence se prononce avant de tirer des conséquences sur la portée de la règle.

?) La restitution des fruits produits par la chose

À l’instar de la valeur de la jouissance de la chose, le nouvel article 1352-3 du Code civil pose que les fruits qu’elle a procurés au débiteur ont vocation à être restitués au créancier en cas d’anéantissement du contrat.

Cette règle n’était toutefois pas d’application systématique ce qui a conduit le législateur lors de la réforme du droit des obligations à clarifier les choses.

?Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer si, en cas d’anéantissement d’un acte, il y avait lieu de restituer les fruits procurés par la chose, la jurisprudence distinguait selon que le débiteur était de bonne ou mauvaise foi.

Dans un arrêt du 5 juillet 1978, la Cour de cassation a jugé en ce sens, application de l’article 549 du Code civil, « le possesseur de bonne foi fait siens les fruits dans le cas où il possède de bonne foi » (Cass. 3e civ. 5 juill. 1978, n°77-11.157). Elle a eu l’occasion de préciser ensuite que le possesseur de bonne foi ne doit restituer les fruits au propriétaire qu’à compter de la demande qu’il en a fait (Cass. 3e civ. 28 juin 1983, n°81-14.889).

À l’inverse, la chambre commerciale a, dans un arrêt du 14 mai 2013, considéré que « la circonstance que la restitution consécutive à l’annulation d’une cession de droits sociaux a lieu en valeur ne fait pas obstacle à la restitution au cédant des fruits produits par les parts sociales litigieuses et perçus en connaissance du vice affectant l’acte annulé par celui qui est tenu à restitution » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637). Ainsi, lorsque le débiteur est de mauvaise foi, pèse sur lui une obligation de restitution des fruits.

L’ordonnance du 10 février 2016 a mis fin à cette jurisprudence qui subordonnait la restitution des fruits à la mauvaise foi du débiteur.

?Ordonnance du 10 février 2016

En application de l’article 1352-3 du Code civil, les fruits doivent être restitués sans que cette restitution dépende de la bonne ou mauvaise foi du débiteur de la restitution.

Il ressort du 3e alinéa de cette disposition que la restitution des fruits doit, par principe, avoir lieu en nature, ce qui n’est pas sans rappeler le principe général posé par l’article 1352 du Code civil qui impose cette modalité de restitution pour la chose elle-même.

Ce n’est que si la restitution des fruits en nature est impossible, qu’elle peut intervenir en valeur.

À cet égard, le texte précise que, en cas de restitution en valeur :

  • D’une part, l’estimation doit se faire « à la date du remboursement des fruits par le débiteur », soit plus précisément à la date du jugement
  • D’autre part, cette estimation doit être effectuée « suivant l’état de la chose au jour du paiement de l’obligation », ce qui signifie que le créancier ne peut réclamer la restitution que des seuls fruits que la chose était susceptible de produire dans l’état où elle se trouvait au moment de sa remise au débiteur. Le législateur a entendu ici consacrer la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 1967 aux termes duquel elle avait jugé que « si le possesseur doit restituer les fruits au propriétaire, qui revendique la chose, à compter du jour de la demande, le propriétaire ne saurait prétendre qu’aux fruits qu’aurait produits la chose dans l’état où le possesseur en a pris possession » (Cass. 1ère civ., 20 juin 1967)

Il convient enfin de préciser que les règles qui gouvernent la restitution des fruits ne sont pas d’ordre public, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 1352-3 du Code civil. Les parties peuvent y déroger par convention contraire, ce qui implique qu’elles sont libres de prévoir que l’anéantissement du contrat ne donnera pas lieu à restitution des fruits.

Les contractants peuvent encore stipuler des modalités d’évaluation de la valeur des fruits différentes de celles fixées par l’article 1352-3.

b.2. L’étendue de la restitution de la valeur de la jouissance de la chose et de ses fruits

L’article 1352-7 du Code civil dispose que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande. »

Il ressort de cette disposition que, s’agissant de la restitution des fruits et de la valeur de la jouissance, l’étendue de cette restitution dépend de la bonne foi du débiteur.

Si, conformément à l’article 2268 du Code civil la bonne foi est toujours présumée, la mauvaise foi est, quant à elle, caractérisée lorsqu’il est établi que le débiteur de l’obligation de restituer avait connaissance et de la cause d’anéantissement du contrat et qu’il a malgré tout accepté de recevoir la chose.

Deux situations sont donc susceptibles de se présenter :

  • Le débiteur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement, soit à compter de la date à laquelle il est entré en possession de la chose.
  • Le débiteur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, le débiteur doit les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du jour de la demande, ou de la date d’introduction de l’action en justice.

c. Le sort des dépenses exposées pour la conservation et le maintien de la chose

L’article 1352-5 du Code civil dispose que « pour fixer le montant des restitutions, il est tenu compte à celui qui doit restituer des dépenses nécessaires à la conservation de la chose et de celles qui en ont augmenté la valeur, dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution. »

Il ressort de cette disposition que toutes les dépenses qui ont été exposées par le débiteur pour conserver ou pour améliorer à la chose donnent lieu à restitution.

Cette règle participe toujours de l’idée que si le débiteur ne doit pas s’être enrichi en jouissant de la chose ou en en percevant les fruits, il en va de même pour le créancier qui ne doit pas pouvoir tirer profit de la restitution de la chose lorsqu’elle a fait l’objet d’améliorations ou que des frais de conservation ont été exposés par son détenteur.

Pour cette raison, l’article 1352-5 du Code civil prévoit que les frais et dépenses exposées par le débiteur de l’obligation de restituer durant l’exécution du contrat doivent être supportés par le créancier.

À l’examen, l’évaluation de la restitution est envisagée différemment selon que les dépenses exposées concernent la conservation de la chose ou l’amélioration de la chose.

  • S’agissant des dépenses de conservation de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses nécessaires à la conservation de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les dépenses de conservation visées par cette disposition.
    • La lecture du texte révèle que seules les dépenses nécessaires à sa conservation donnent lieu à restituer.
    • Autrement dit, ces dépenses doivent être indispensables, ce qui exclut, par hypothèse, les dépenses somptuaires au sens de l’article
    • Concrètement, il s’agira ainsi des dépenses courantes, des frais d’entretien, ainsi que des frais attachés à la possession de la chose, tels que les impôts let autres taxes par exemple.
    • Contrairement à ce que suggère la lettre de l’article 1352-5 du Code civil, afin de déterminer le montant de la restitution, il n’y a pas lieu de plafonner les dépenses de conservation à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution. »
    • Et pour cause ce type de dépenses n’a pas vocation à apporter une plus-value à la chose, seulement à la maintenir dans son état initial.
    • L’indemnisation du débiteur doit donc couvrir l’intégralité des dépenses de conservation exposées, sans limite de montant.
    • Le plafonnement de l’indemnisation ne concerne, en réalité, que les dépenses d’amélioration.
  • S’agissant des dépenses d’amélioration de la chose
    • L’article 1352-5 du Code civil prévoit que « les dépenses qui ont augmenté la valeur de la chose » doivent être supportées par le créancier de l’obligation de restituer, ce « dans la limite de la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Il ressort de ce texte que l’indemnisation due au débiteur doit être calculée, non pas sur la plus-value intrinsèque apportée à la chose, mais sur la base des dépenses exposées.
    • Ainsi, dans l’hypothèse où la plus-value serait de 200 et que les dépenses exposées par le débiteur représenteraient un coût de 100, la restitution ne pourrait pas être supérieure à 100.
    • Seules les améliorations résultant de dépenses ne peuvent donc donner lieu à restitution.
    • L’article 1352-5 précise que le montant de l’indemnisation est, en toute hypothèse, plafonné à hauteur de « la plus-value estimée au jour de la restitution ».
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit le montant le montant des dépenses exposées est inférieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas le débiteur pourra être intégralement indemnisé
      • Soit le montant des dépenses exposées est supérieur à la plus-value apportée à la chose auquel cas l’indemnisation du débiteur sera plafonnée à hauteur de cette plus-value.
    • À cet égard, tandis que le montant des dépenses s’apprécie au jour où elles ont été exposées, le montant de la plus-value est, quant à lui, apprécié à la date de la restitution, soit du jugement.

B) Exception : la restitution en valeur

L’article 1352 du Code civil prévoit que, par exception au principe de restitution en nature de la chose, lorsque cette restitution est impossible, elle a lieu en valeur.

Ce texte envisage ainsi l’hypothèse du débiteur qui n’est plus en possession de la chose au jour où naît l’obligation de la restituer.

Seule alternative pour surmonter l’obstacle : obliger le débiteur à restituer la chose par équivalent, soit en valeur.

Bien que simple en apparence, cette solution n’est toutefois pas sans soulever plusieurs difficultés.

Ces difficultés tiennent :

  • D’une part, à la délimitation du domaine de l’impossibilité
  • D’autre part, aux modalités d’estimation de la valeur restituée

1. Le domaine de l’impossibilité

?L’étendue du domaine de l’impossibilité

La première question qui se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer que la restitution de la chose est impossible.

Lorsque la chose a disparu ou a péri, l’impossibilité de la restituer s’impose d’elle-même. Il en va de même pour les choses consomptibles.

Plus délicate est, en revanche, la question pour les choses dont le débiteur est toujours en possession mais pour lesquelles la restitution représenterait pour lui un coût si élevé qu’il serait déconnecté de l’économie initiale du contrat.

Dans un arrêt du 18 février 1992, la Cour de cassation a répondu à cette question en censurant une Cour d’appel pour avoir mis à la charge d’un débiteur une obligation de restituer en nature consécutivement à l’anéantissement d’un contrat considérant, au cas particulier, que « l’obligation de restitution en nature du matériel impose des travaux coûteux au revendeur de carburant, non justifiés par des nécessités techniques en raison de la durée de vie des cuves, et qu’elle est susceptible de le dissuader de traiter avec un autre fournisseur ; qu’elle est ainsi disproportionnée avec la fonction qui lui a été fixée de faire respecter l’exclusivité d’achat du carburant et constitue un frein à la concurrence d’autres fournisseurs, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (Cass. com. 18 févr. 1992, n°87-12.844).

Ainsi, pour la Cour de cassation, lorsque la restitution en nature serait disproportionnée eu égard le résultat recherché par l’anéantissement de l’acte, soit un retour au statu quo, elle ne peut avoir lieu qu’en valeur.

Cette solution a été réaffirmée par la troisième chambre civile dans un arrêt du 15 octobre 2015 aux termes duquel elle a cassé la décision d’une Cour d’appel à laquelle elle reprochait de n’avoir pas recherché « si la démolition de l’ouvrage, à laquelle s’opposait la société Trecobat, constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » (Cass. 3e civ. 15 oct. 2015, n°14-23.612).

Dans le silence de l’article 1352 du Code civil sur la notion d’impossibilité, peut-on considérer que cette jurisprudence a été reconduite par le législateur ?

D’aucuns postulent que la réponse à cette question résiderait dans la comparaison de l’article 1352 avec l’article 1221.

En effet, cette dernière disposition exige expressément la réalisation d’un contrôle de proportionnalité pour déterminer s’il y a lieu d’exclure l’exécution forcée en nature d’une obligation en cas d’inexécution du contrat.

Tel n’est pas le cas de l’article 1352 qui est silencieux sur ce point s’agissant de l’exclusion de la restitution de la chose en nature.

Pour l’heure la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée, de sorte qu’il est difficile de tirer des conclusions sur le maintien de la jurisprudence antérieure.

?Cas particulier de la revente de la chose

L’article 1352-2 du Code civil envisage le cas particulier de la revente de la chose qui devait être restituée au vendeur en suite de l’anéantissement du contrat.

Cette disposition prévoit, plus précisément, que lorsque l’acquéreur revend la chose qui lui a été délivrée, la restitution s’opère en valeur.

Selon le texte, il y a néanmoins lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

Si, de prime abord, l’on est tenté d’apprécier la bonne foi de l’acquéreur au moment de la délivrance de la chose, certains auteurs plaident pour que cette appréciation se fasse au stade de la revente[7].

Il peut, en effet, parfaitement être envisagé que l’acquéreur ignorât la cause d’anéantissement du contrat au moment de la délivrance de la chose, mais que, en revanche, il l’ait revendue en toute connaissance de cause.

L’objectif recherché par l’article 1352-2, al.2 étant de sanctionner l’acquéreur qui, sciemment, a cherché à tirer profit de la revente de la chose au préjudice du vendeur, il ne serait pas aberrant d’apprécier sa bonne foi au jour de la revente de la chose.

Dans le silence de l’article 1352-2, c’est à la jurisprudence qu’il reviendra de se prononcer sur cette question.

Reste que, en toute hypothèse, il y a lieu de distinguer selon que l’acquéreur est de bonne ou de mauvaise foi.

  • L’acquéreur est de bonne foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352-2 prévoit qu’il ne doit restituer que le prix de la vente de la chose
    • Le prix à restituer est celui, non pas de l’acquisition initiale de la chose, mais celui de la revente.
    • L’acquéreur ne peut ainsi tirer profit de la revente, ni s’appauvrir, l’objectif recherché étant une opération à somme nulle.
  • L’acquéreur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 1352 dispose qu’il « en doit la valeur au jour de la restitution lorsqu’elle est supérieure au prix. »
    • Autrement dit, pour déterminer le montant de la somme à restituer, il convient de se placer non pas au moment de la revente de la chose, mais à la date de sa restitution qui, concrètement, correspond à celle du jugement.
    • À cet égard, le texte oblige l’acquéreur de mauvaise foi à restituer la plus forte des deux sommes entre le prix de revente de la chose et sa valeur au moment de la restitution
    • Aussi, de deux choses l’une :
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est inférieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur ne devra restituer au vendeur que ce seul prix de revente
      • Soit la valeur de la chose au moment de la restitution est supérieure au prix de revente auquel cas l’acquéreur devra restituer au vendeur non seulement ce seul prix de revente, mais encore la plus-value réalisée au jour du jugement
    • Le sort réservé ici à l’acquéreur de mauvaise foi est manifestement pour le moins défavorable dans la mesure où il sera privé des profits réalisés en suite de la revente de la chose.

2. Les modalités d’estimation de la valeur restituée

Une fois admis que la restitution de la chose en nature est impossible, reste à estimer sa valeur afin que puisse être restituée au créancier une somme d’argent.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, à quelle date la valeur de la chose doit-elle être estimée ?
  • D’autre part, quel critère d’estimation retenir pour déterminer la valeur de la chose ?

?Sur la date d’estimation de la valeur de la chose

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du droit des obligations, la jurisprudence avait posé, en l’absence de texte, que pour estimer la valeur de la chose restituée il y avait lieu de se situer à la date de remise de la chose.

Dans un arrêt du 14 juin 2005, la chambre commerciale a jugé en ce sens, s’agissant d’une annulation de cession de titres sociaux, que « l’annulation de la cession litigieuse confère au vendeur, dans la mesure où la remise des actions en nature n’est plus possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 15 juin 2005, n°03-12.339).

Cette solution a été reconduite dans une décision rendue le 14 mai 2013 aux termes de laquelle la Cour de cassation a considéré que « l’annulation d’une cession de parts sociales confère au vendeur, dans la mesure où leur restitution en nature n’est pas possible, le droit d’en obtenir la remise en valeur laquelle doit être appréciée au jour de l’acte annulé » (Cass. com. 14 mai 2013, n°12-17.637).

Prenant le contre-pied de cette jurisprudence, l’ordonnance du 10 février 2016 a retenu la solution inverse en prévoyant que lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur, cette valeur est « estimée au jour de la restitution. »

Ce n’est donc plus à la date de la remise de la chose au débiteur que sa valeur doit être estimée, mais au jour du jugement qui ordonne sa restitution.

L’objectif recherché par le législateur était de calquer la restitution en valeur sur la restitution en nature.

Autrement dit, il a voulu que les plus-values et moins-values réalisées par le débiteur soient prises en compte dans l’évaluation du montant de la restitution. Il ne faudrait pas qu’une partie s’enrichisse au préjudice de l’autre, à raison de la survenance de circonstances postérieures à la conclusion du contrat anéanti.

Il peut être observé que, contrairement à la restitution de la valeur de la jouissance ou des fruits procurés par la chose, il est indifférent, ici, que le débiteur soit de bonne ou mauvaise foi : dans les deux cas, l’estimation de la valeur à restituer doit être effectuée au jour de la restitution de la chose.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la chose

Autre question qui se pose lorsque la restitution de la chose a lieu en valeur : quid du critère de son évaluation ? En d’autres termes, doit-on retenir le prix stipulé par les parties dans le contrat ou doit-on se référer au prix du marché ?

L’article 1352 est silencieux sur ce point. Reste que dans un arrêt du 8 mars 2005, la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil, que « la créance de restitution en valeur d’un bien, est égale, non pas au prix convenu, mais à la valeur effective, au jour de la vente, de la chose remise » (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005, n° 02-11.594).

Ainsi, est-ce une approche objective qui avait été retenue par la première chambre civile, la position adoptée consistant à dire, en substance, que l’estimation de la chose doit être effectuée sur la base de sa valeur effective au moment de sa restitution et non en considération du prix initialement fixé par les parties.

Manifestement, cette solution se concilie parfaitement bien avec l’exigence d’estimation de la valeur de la chose au jour de sa restitution, de sorte qu’il est fort probable que la solution dégagée par la Cour de cassation en 2005 soit maintenue.

II) La restitution d’une somme d’argent

L’article 1352-6 du Code civil prévoit que « la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue. »

Ainsi, appartient-il à la partie qui a reçu une somme d’argent au titre d’un acte qui a été anéanti de la restituer, augmentée des intérêts et, éventuellement, des taxes y afférentes.

Deux questions ici se posent :

  • Quid de la valorisation de la somme d’argent à restituer ?
  • Quid des accessoires de la somme d’argent à restituer ?

?Sur la valorisation de la somme d’argent à restituer

La question qui ici se pose est de savoir si cette restitution est soumise au principe du nominalisme monétaire ou si elle obéit à la règle du valorisme.

  • Si l’on applique le principe du nominalisme monétaire, cela signifie que le débiteur doit restituer au créancier le montant nominal de la somme d’argent reçue
  • Si l’on applique le principe du valorisme monétaire, cela signifie, au contraire, que la somme d’argent restituée doit avoir été actualisée au jour de la restitution afin qu’il soit tenu compte des phénomènes d’inflation et de dépréciation monétaires

L’analyse de la jurisprudence antérieure révèle que la Cour de cassation avait retenu la première solution, puisque appliquant la règle du nominalisme monétaire.

Dans un arrêt du 7 avril 1998, elle a jugé en ce sens que « la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat et de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement ; que si, en cas de résolution d’un contrat de vente, le vendeur doit restituer le prix, ce prix ne peut s’entendre que de la somme qu’il a reçue, éventuellement augmentée des intérêts, et sauf au juge du fond à accorder en outre des dommages-intérêts ; que, dès lors, c’est sans se contredire et en faisant une exacte application du principe précité, que la cour d’appel, qui n’a pas fait échec à la règle de la réparation intégrale, et qui, pour une créance d’argent, n’avait pas à se référer à la notion de dette de valeur, a statué comme elle l’a fait » (Cass. 7 avr. 1998, n°96-18.790).

Qu’en est-il de l’ordonnance du 10 février 2016 ? Retiennent-ils également la règle du nominalisme monétaire ? Si, les nouvelles dispositions du Code civil consacrées aux restitutions sont silencieuses sur ce point, une règle s’infère de l’article 1343 de ce code.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal. »

C’est donc bien la règle du nominalisme qui est posée par ce texte. Tout indique qu’elle est pleinement applicable aux restitutions.

?Sur les accessoires de la somme d’argent à restituer

Il ressort de l’article 1352-6 du Code civil que, lorsque la restitution porte sur une somme d’argent, plusieurs éléments devront être restitués au créancier : le capital reçu, les intérêts produits par le capital et les taxes.

  • S’agissant du capital
    • Il s’agit de la somme d’argent reçu par le débiteur consécutivement à la conclusion du contrat.
    • Le montant du capital versé au créancier sera, en application de la règle du nominalisme monétaire, identique à celui reçu par le débiteur.
  • S’agissant des intérêts
    • Il s’agit des intérêts produits par le capital calculés au taux légal
    • Il peut être observé que, à la différence de l’article 1352-3, l’article 1352-6 n’inclut pas les fruits dans la restitution de la somme d’argent.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse cette somme d’argent aurait rapporté au débiteur des intérêts au moyen d’un investissement financier, il ne sera tenu de restituer que le montant des intérêts légaux.
    • Il conservera donc le surplus d’intérêts produits par le capital.
  • S’agissant des taxes acquittées entre les mains du débiteur
    • Il s’agit de toutes les taxes susceptibles d’avoir été réglées par le débiteur au créancier lorsqu’il a reçu la somme d’argent.
    • Tel est le cas notamment de la TVA qui, par voie de conséquence, devra être restituée, peu importe que le débiteur ait pu la récupérer auprès de l’administration fiscale.
    • Cette solution avait déjà été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 juin 1990 (Cass. com., 26 juin 1990, n° 88-17.892).

III) La restitution d’une prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil dispose que « la restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie. »

Par hypothèse, lorsque le contrat anéanti portait sur la fourniture d’une prestation de service, la restitution ne peut pas se faire en nature. Une prestation de service consiste, en effet, toujours en la mise à disposition d’une force de travail. Or cette force de travail, une fois fournie, ne peut être ni annulée, ni restituée.

Aussi, le législateur en a tiré la conséquence, en posant à l’article 1352-8 que la restitution d’une prestation de service devait nécessairement avoir lieu en valeur.

Cette disposition intéresse particulièrement le contrat d’entreprise et le contrat de mandat. S’agissant du contrat d’entreprise par exemple, tandis que le maître d’ouvrage restituera au maître d’œuvre le prix de la prestation payé, le maître d’œuvre restituera au maître d’ouvrage la valeur de la prestation fournie

Toute la question est alors de savoir comment évaluer la valeur de la prestation de service objet de la restitution.

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que la restitution ne porte que sur la valeur de la prestation fournie en tant que telle et non sur la valeur des bénéfices procurés au débiteur.

Ainsi, dans un contrat d’entreprise, ce qui devra être restitué c’est le coût de la prestation fournie par le maître d’œuvre et non la valeur de l’ouvrage qui a été réalisé.

Dans un arrêt du 13 septembre 2006, la Cour de cassation avait considéré en ce sens que « dans le cas où un contrat nul a été exécuté, les parties doivent être remises dans l’état où elles se trouvaient avant cette exécution, que condamnée à réparer le préjudice subi par l’entrepreneur principal à la suite des désordres survenus sur les travaux sous-traités, la société CIFN était en droit d’obtenir la restitution par cet entrepreneur des sommes réellement déboursées, sans que soit prise en compte la valeur de l’ouvrage » (Cass. 3e civ. 13 sept. 2006, n°05-11.533).

Dans un arrêt du 10 décembre 2014 la haute juridiction a encore jugé que « pour remettre les parties d’un contrat d’intégration annulé dans leur état antérieur, seules doivent être prises en considération les prestations fournies par chacune d’elles en exécution de ce contrat, sans avoir égard aux bénéfices tirés de celui-ci par l’intégrateur » (Cass. 1ère 10 déc. 2014, n°13-23.903).

Une fois l’objet de la restitution identifiée lorsque celle-ci porte sur une prestation de service, reste à déterminer comment estimer sa valeur, ce qui conduit à s’interroger sur deux choses :

  • La date d’estimation de la valeur de la prestation de service
  • Le critère d’estimation de la valeur de la prestation de service

?Sur la date d’estimation de la valeur de la prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil prévoit que la valeur de la prestation de service « est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie. »

La solution retenue ici par le législateur est conforme à la jurisprudence antérieure (V. en ce sens Cass. 3e civ. 18 nov. 2009, n°08-19.355).

Il peut être observé que la date ici prise en compte par le texte pour estimer la valeur de la prestation fournie est totalement différente de celle retenue en matière de restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent lorsque la restitution en nature est impossible.

En effet, dans cet autre cas de figure, la valeur de la chose doit être estimée, non pas au jour de l’entrée en possession du débiteur, mais au jour de sa restitution par équivalent monétaire.

Les auteurs justifient cette différence entre les deux textes en arguant que la règle posée à l’article 1352 du Code civil répond à la logique de la restitution en nature. Or cette forme de restitution ne se conçoit que si l’on se place à la date à laquelle elle intervient, soit au jour du jugement.

?Sur le critère d’estimation de la valeur de la prestation de service

L’article 1352-8 du Code civil est silencieux sur les critères auxquels le juge doit se référer pour estimer la valeur de la prestation de service objet de la restitution.

La question est pourtant d’importance. Doit-on retenir le prix initialement convenu par les parties dans le contrat ou doit-on se référer à un critère plus objectif, tel que le prix du marché ?

En la matière, la jurisprudence antérieure considérait que le juge était investi d’un pouvoir souverain d’appréciation, ce qui l’autorisait à faire montre de souplesse dans l’estimation de la valeur de la prestation de service (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012, n° 11-17.587).

§2 : Les règles communes à toutes les restitutions

Deux séries de règles sont applicables à toutes les restitutions. Elles intéressent :

  • D’une part, les mineurs non émancipés et les majeurs protégés
  • D’autre part, les sûretés qui avaient été constituées pour le paiement de l’obligation

I) La teneur des restitutions effectuées à la faveur d’un mineur ou d’un majeur protégé

L’article 1352-4 du Code civil dispose que « les restitutions dues par un mineur non émancipé ou par un majeur protégé sont réduites à hauteur du profit qu’il a retiré de l’acte annulé. »

Cette disposition se veut être une reprise à droit constant de l’ancien article 1312 du Code civil qui prévoyait que « Lorsque les mineurs ou les majeurs en tutelle sont admis, en ces qualités, à se faire restituer contre leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la minorité ou la tutelle des majeurs, ne peut en être exigé, à moins qu’il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit. »

La règle ainsi instituée vise à atténuer les effets habituels de l’anéantissement d’un acte en faveur des personnes protégées, en prenant en considération l’avantage économique qu’elles ont, en définitive, conservé.

En effet, alors que les restitutions visent à rétablir la situation patrimoniale des parties comme si l’acte anéanti n’avait jamais existé, l’article 1352-4 prévoit que lorsque de débiteur de l’obligation de restituer est un mineur non émancipé ou un majeur protégé il peut conserver le profit que lui a procuré ce qu’il a reçu.

Aussi, trois situations peuvent se présenter :

  • Ce qui a été reçu n’a pas été consommé, ni n’a disparu : la restitution sera totale
  • Ce qui a été reçu a été en partie consommé ou a été altéré : la restitution sera partielle
  • Ce qui a été reçu a été totalement consommé ou a disparu : aucune restitution ne pourra avoir lieu

À l’examen, le champ d’application de la règle posée à l’article 1352-4 est limité puisque le texte ne vise que les actes annulés.

Aussi, ce texte n’a-t-il pas vocation à s’appliquer en cas de résolution ou de caducité d’un contrat.

Reste que, à la différence de l’ancien article 1312 du Code civil, elle ne profite pas seulement aux majeurs sous tutelles. Elle intéresse également les majeurs qui font l’objet des mesures de protections que sont :

  • La sauvegarde de justice
  • La curatelle simple et renforcée
  • Le mandat de protection future

Enfin, en application de la jurisprudence antérieure qui devrait être reconduite, la règle posée à l’article 1352-4 du Code civil ne jouera que lorsque l’acte anéanti n’a pas été accompli par l’entremise du représentant légal du mineur ou du majeur protégé.

Dans un arrêt du 18 janvier 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « l’article 1312 du Code civil concerne les seuls paiements faits entre les mains d’un mineur ; que la cour d’appel n’avait pas à faire application de ce texte, s’agissant d’une restitution qui était la conséquence d’un paiement fait au père de la victime » (Cass. 1ère civ., 18 janv. 1989, n° 87-12.019).

À l’instar de l’ancien texte, l’article 1352-4 du Code civil ne devrait donc s’appliquer que dans l’hypothèse où c’est le mineur qui a directement contracté avec le créancier de l’obligation de restituer.

II) Le sort des sûretés constituées pour le paiement de l’obligation

L’article 1352-9 du Code civil dispose que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte est anéanti, le créancier de l’obligation de restituer continue de bénéficier de la sûreté qui avait été constituée pour garantir l’obligation souscrite initialement par le débiteur.

Pour exemple, lorsque c’est un contrat de vente qui est annulé, la sûreté qui avait été constituée par le vendeur pour garantir le paiement du prix de vente est maintenue en vue de garantir l’obligation de restitution de la chose délivrée qui pèse sur l’acquéreur.

La règle ainsi posée n’est qu’une généralisation la solution consacrée par la jurisprudence en matière de prêt d’argent.

Dans un arrêt du 17 novembre 1982 la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » (Cass. com. 17 nov. 1982, n° 81-10.757).

Désormais, le domaine d’application de la règle édictée à l’article 1352-9 n’est plus cantonné aux seuls contrats de prêts. Cette disposition s’applique à tous les contrats, la condition étant que les parties au contrat initial soient les mêmes que celles concernées par l’obligation de restitution.

Par ailleurs, peu importe la cause de l’anéantissement de l’acte. L’article 1352-9 n’opère aucune distinction entre la nullité, la résolution ou encore la caducité.

Enfin, la nature de la sûreté pouvant faire l’objet d’un report sur l’obligation de restitution est indifférente. Il peut s’agir, tant d’un cautionnement, que d’une hypothèque ou encore d’une garantie autonome.

L’article 1352-9 apporte néanmoins une précision pour le cautionnement en prévoyant que le report de la sûreté sur l’obligation de restitution est sans incidence sur « les droits de la caution, qui pourra invoquer le bénéfice du terme. »

Autrement dit, en cas de maintien du cautionnement aux fins de garantir l’obligation de restitution qui pèse sur le débiteur, la caution conserve le bénéfice du terme stipulé initialement dans le contrat anéanti. Il serait particulièrement injuste pour cette dernière d’être appelée en garantie de manière anticipée, alors qu’elle s’était engagée sur la base de conditions d’exigibilité différentes.

  1. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ, 1992, n° 927. ?
  2. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. 6, Les obligations, par P. Esmein, 2e éd., LGDJ, 1952, n° 433 ?
  3. M. Malaurie, Les restitutions en droit civil, thèse, Paris 2, Cujas, 1991, p. 283 et suivantes ?
  4. J.-L. Aubert, sous Com 11 mai 1976, Defrénois 1977, art. 31343, n° 8, p. 396 ?
  5. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilités, thèse, Paris, LGDJ, 1992, n° 818 et suivants ?
  6. J. Mestre, B. Fages, sous Civ.1, 11 mars 2003,Revue Trimestrielle de Droit Civil 2003 p. 501. ?
  7. G. Chantepie et M. Latina, La réforme du droit des obligations, 2e éd. Dalloz, n°1066, p.957 ?

La restitution d’une somme d’argent consécutivement à l’anéantissement d’un contrat

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

Nous nous focaliserons sur la deuxième forme de restitutions.

L’article 1352-6 du Code civil prévoit que « la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées entre les mains de celui qui l’a reçue. »

Ainsi, appartient-il à la partie qui a reçu une somme d’argent au titre d’un acte qui a été anéanti de la restituer, augmentée des intérêts et, éventuellement, des taxes y afférentes.

Deux questions ici se posent :

  • Quid de la valorisation de la somme d’argent à restituer ?
  • Quid des accessoires de la somme d’argent à restituer ?

?Sur la valorisation de la somme d’argent à restituer

La question qui ici se pose est de savoir si cette restitution est soumise au principe du nominalisme monétaire ou si elle obéit à la règle du valorisme.

  • Si l’on applique le principe du nominalisme monétaire, cela signifie que le débiteur doit restituer au créancier le montant nominal de la somme d’argent reçue
  • Si l’on applique le principe du valorisme monétaire, cela signifie, au contraire, que la somme d’argent restituée doit avoir été actualisée au jour de la restitution afin qu’il soit tenu compte des phénomènes d’inflation et de dépréciation monétaires

L’analyse de la jurisprudence antérieure révèle que la Cour de cassation avait retenu la première solution, puisque appliquant la règle du nominalisme monétaire.

Dans un arrêt du 7 avril 1998, elle a jugé en ce sens que « la résolution a pour effet d’anéantir rétroactivement le contrat et de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement ; que si, en cas de résolution d’un contrat de vente, le vendeur doit restituer le prix, ce prix ne peut s’entendre que de la somme qu’il a reçue, éventuellement augmentée des intérêts, et sauf au juge du fond à accorder en outre des dommages-intérêts ; que, dès lors, c’est sans se contredire et en faisant une exacte application du principe précité, que la cour d’appel, qui n’a pas fait échec à la règle de la réparation intégrale, et qui, pour une créance d’argent, n’avait pas à se référer à la notion de dette de valeur, a statué comme elle l’a fait » (Cass. 7 avr. 1998, n°96-18.790).

Qu’en est-il de l’ordonnance du 10 février 2016 ? Retiennent-ils également la règle du nominalisme monétaire ? Si, les nouvelles dispositions du Code civil consacrées aux restitutions sont silencieuses sur ce point, une règle s’infère de l’article 1343 de ce code.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal. »

C’est donc bien la règle du nominalisme qui est posée par ce texte. Tout indique qu’elle est pleinement applicable aux restitutions.

?Sur les accessoires de la somme d’argent à restituer

Il ressort de l’article 1352-6 du Code civil que, lorsque la restitution porte sur une somme d’argent, plusieurs éléments devront être restitués au créancier : le capital reçu, les intérêts produits par le capital et les taxes.

  • S’agissant du capital
    • Il s’agit de la somme d’argent reçu par le débiteur consécutivement à la conclusion du contrat.
    • Le montant du capital versé au créancier sera, en application de la règle du nominalisme monétaire, identique à celui reçu par le débiteur.
  • S’agissant des intérêts
    • Il s’agit des intérêts produits par le capital calculés au taux légal
    • Il peut être observé que, à la différence de l’article 1352-3, l’article 1352-6 n’inclut pas les fruits dans la restitution de la somme d’argent.
    • Il en résulte que dans l’hypothèse cette somme d’argent aurait rapporté au débiteur des intérêts au moyen d’un investissement financier, il ne sera tenu de restituer que le montant des intérêts légaux.
    • Il conservera donc le surplus d’intérêts produits par le capital.
  • S’agissant des taxes acquittées entre les mains du débiteur
    • Il s’agit de toutes les taxes susceptibles d’avoir été réglées par le débiteur au créancier lorsqu’il a reçu la somme d’argent.
    • Tel est le cas notamment de la TVA qui, par voie de conséquence, devra être restituée, peu importe que le débiteur ait pu la récupérer auprès de l’administration fiscale.
    • Cette solution avait déjà été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 26 juin 1990 (Cass. com., 26 juin 1990, n° 88-17.892).