Attribution préférentielle: conditions

L’attribution préférentielle constitue une exception à la règle du partage égalitaire des biens indivis. Codifiée aux articles 831 et suivants du Code civil, elle permet à un indivisaire d’obtenir, par priorité, la propriété exclusive de certains biens, en contrepartie d’une compensation financière éventuelle sous forme de soulte. Ce mécanisme, destiné à éviter les aléas du tirage au sort ou les conséquences d’un partage matériel inadapté, répond à un objectif de continuité patrimoniale et de préservation de certains intérêts essentiels.

Toutefois, cette faculté n’est ni automatique ni absolue : elle est soumise à des conditions strictes, tant en ce qui concerne la nature des biens susceptibles d’en faire l’objet que la qualité du demandeur. Ainsi, l’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que pour des biens présentant un intérêt particulier, tels que la résidence principale du conjoint survivant, une exploitation agricole, un fonds de commerce ou encore un local professionnel indispensable à l’exercice d’une activité.

Outre ces critères objectifs, la loi impose une appréciation rigoureuse des circonstances entourant la demande, afin d’éviter tout détournement de ce mécanisme à des fins purement patrimoniales. Dès lors, l’octroi de l’attribution préférentielle suppose la réunion de conditions précises, dont la justification repose à la fois sur des considérations économiques, professionnelles et familiales.

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

Preuve des actes juridiques: le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

Nous nous focaliserons ici sur le commencement de preuve par écrit.

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

α: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

β: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

γ: Les copies d’actes sous signature privée

==>Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carenceLa règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carenceL’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

==>Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiableEn application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiableL’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

==>Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

==>Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielleSelon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelleSelon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les modes de preuve admis à suppléer l’écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

Nous nous focaliserons ici sur les modes de preuve admis à suppléer l’écrit.

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

I) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

A) La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

1. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

a. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

i. Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

ii. Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

iii. Les copies d’actes sous signature privée

==>Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

==>Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

b. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

c. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

2. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

a. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

B) La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

==>Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

==>Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

II) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: l’impossibilité de se procurer un écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

Nous nous focaliserons ici sur l’impossibilité de se procurer un écrit.

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

I) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

A) L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

1. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

?L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

?L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

2. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

B) L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

II) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les dérogations à l’exigence d’écrit

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

I) L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

A) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

1. L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

a. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

==>L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

==>L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

b. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

2. L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

B) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).

II) Les modes de preuves admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

A) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

α: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

β: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

γ: Les copies d’actes sous signature privée

==>Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

==>Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

==>Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

==>Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

B) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soit réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

III) L’aménagement conventionnel de l’exigence d’écrit

Les articles 1358 et 1359 du Code civil énoncent des règles qui ne sont pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger par convention contraire.

Bien que l’on se soit, un temps, posé la question de la licéité des conventions sur la preuve, elles ont finalement été admises par la jurisprudence.

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles de preuve.

À cet égard, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la licéité des conventions visant à déterminer contractuellement quels seront les modes de preuves admis pour faire la preuve d’un droit ou d’une obligation.

Pour la Haute juridiction, les parties sont libres, tant d’étendre les modes de preuve admissibles (Cass. req. 6 janv. 1936) ; que de les restreindre (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1995, n°92-18.013).

Il s’en déduit que les parties peuvent parfaitement prévoir contractuellement que la preuve de l’acte juridique conclu entre elles pourra se faire par tous moyens.

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles de preuve n’est toutefois pas sans limites ; elle se heurte, en particulier, aux dispositions d’ordre public que l’on retrouve notamment en droit de la consommation.

Dans ce domaine, il est notamment interdit au professionnel de restreindre les modes de preuve admis à prouver l’acte juridique conclu avec un consommateur.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

La preuve outre ou contre un écrit: régime

I) Principe

L’article 1359, al. 2 du Code civil prévoit que « il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que dès lors qu’un acte juridique est prouvé au moyen d’un écrit, les énonciations figurant dans ce dernier – pris en tant qu’instrumentum – ne pourront être contredites ou complétées que par la production d’un autre écrit.

Plus précisément, cette exigence joue, dit le texte, lorsqu’il s’agit de prouver « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « prouver outre ou contre un écrit ».

  • La preuve outre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à établir que toutes les stipulations de l’acte juridique litigieux ne se retrouvent pas dans l’écrit produit.
    • Prouver outre un écrit consiste ainsi à en compléter les vides et à établir ce qu’il ne dit pas
    • En application de l’article 1359, al. 2e du Code civil, seule la production d’un autre écrit qui constaterait les stipulations manquantes sera alors admise.
  • La preuve contre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à contredire une ou plusieurs énonciations figurant dans l’écrit produit :
      • Soit parce qu’elles ne seraient pas conformes aux termes de l’acte juridique conclu entre les parties
      • Soit parce qu’elles ne rendraient pas compte de la véritable nature de l’acte, tel qu’il résulterait de l’accord conclu entre les parties
    • Autrement dit, prouver contre un écrit c’est établir que les énonciations figurant dans l’instrumentum versé aux débats ne reflèteraient pas la réalité de l’accord passé entre les parties.

Qu’il s’agisse de prouver contre ou outre un écrit, dans les deux cas, l’article 1359, al. 2e du Code civil exige que la preuve soit rapportée par écrit.

À cet égard, la Cour de cassation est régulièrement conduite à faire application de cette règle.

Dans un arrêt du 27 novembre 1967, elle a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis que la preuve puisse être rapportée par tous moyens s’agissant d’établir la stipulation d’une clause qui ne figurait pas dans l’écrit versé aux débats (Cass. 1ère civ. 27 nov. 1967).

Dans un arrêt du 17 février 2010, la Première chambre civile a encore rappelé qu’un acte authentique qui avait conféré à opération l’apparence d’une donation, alors qu’il s’agissait en réalité d’une vente, ne pouvait être contredit au qu’au moyen de la production autre écrit (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2010, n°09-11.455).

On peut enfin évoquer un arrêt du 4 novembre 2011 qui reproche à une Cour d’appel d’avoir admis comme preuve du remboursement d’un prêt consenti par un établissement de crédit une quittance adressée à l’emprunteur à la suite d’une erreur matérielle consécutive à une défaillance de son système informatique, « alors que si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n’a pas la valeur libératoire qu’implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du Code civil » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-27.035).

II) Mise en œuvre

La règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés de mise en œuvre.

==>L’indifférence du montant de l’acte litigieux

Dans la mesure où la preuve par écrit n’est exigée que pour les seuls actes juridiques portant sur un montant supérieur à 1500 euros, on pourrait être légitimement en droit de se demander si, par parallélisme des formes, il n’y aurait pas lieu d’appliquer ce seuil s’agissant de prouver contre ou outre un écrit.

À l’analyse, l’article 1359, al. 2e du Code civil l’exclut expressément. Le texte dit, en effet, qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, « même si la somme ou la valeur n’excède pas [le seuil réglementaire] ».

Aussi, peu importe le montant de l’acte litigieux, dès lors que celui-ci a été prouvé par écrit, il ne pourra être contesté qu’au moyen d’un autre écrit.

Au fond, cette règle ne fait que rappeler le principe de supériorité de l’écrit sur les autres modes de preuve (exceptions faites du serment décisoire ou de l’aveu judiciaire qui sont des modes de preuve parfaits et qui, à ce titre, sont toujours admis à pallier l’absence d’écrit).

Bien que l’écrit ne soit pas exigé pour établir un acte juridique portant sur un montant inférieur à 1500 euros, rien n’interdit les plaideurs de produire aux débats une preuve littérale.

Compte tenu de ce que l’écrit est pourvu d’une force probante supérieure aux témoignages et précomptions, il est parfaitement cohérent de considérer que pour combattre un écrit, seul un autre écrit peut être admis.

C’est là le sens l’article 1359, al. 2e du Code civil lorsqu’il précise qu’il est indifférent que la somme ou la valeur de l’acte juridique litigieux « n’excède pas » le seuil réglementaire.

==>Exclusion de l’interprétation

Si la preuve outre ou contre un écrit requiert la production d’un autre écrit, tel n’est pas le cas de l’interprétation d’un acte juridique.

Si les deux opérations sont susceptibles de se ressembler, elles ne se ressemblent pas.

En effet, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification aux stipulations d’un acte juridique. Aussi n’a-t-elle vocation à intervenir qu’en présence d’un écrit dont les énonciations seraient obscures et ambiguës.

Prouver outre ou contre un écrit est une opération quelque peu différente.

Il ne s’agit pas de donner un sens à une énonciation qui présenterait un caractère sibyllin. Au contraire, parce que l’énonciation contestée est parfaitement claire, le plaideur chercher à lui ajouter ou à lui retrancher quelque chose dans la mesure où la règle qu’elle exprime n’est pas conforme aux termes de l’accord conclu entre les parties.

Faisait une distinction entre les deux opérations, dans un arrêt du 19 octobre 1964 la Cour de cassation « s’il n’est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions contre et outre le contenu aux actes, cette preuve peut cependant être invoquée pour interpréter un acte, s’il est obscur ou ambigu » (Cass. 1ère civ. 19 oct. 1964).

Ainsi, lorsqu’il s’agit de prouver l’interprétation à donner à l’énonciation d’un écrit, la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.

Cette position qui doit être approuvée a, par suite, été reconduite à plusieurs reprises par la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 26 janv. 2012, n°10-28.356).

En effet, l’opération consistant à interpréter un écrit s’analyse en un fait juridique. Il s’agit de sonder l’interprétation des parties et d’identifier le sens qu’elles ont voulu donner à l’acte juridique litigieux.

Reste que, en pratique, comme souligné par les auteurs « au-delà des mots, la frontière entre la contestation de l’acte et son interprétation est parfois poreuse »[10].

Tel était notamment le cas dans un arrêt rendu par la Troisième chambre civile le 10 avril 1973 (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.405 ).

Dans cette affaire, les acquéreurs d’une exploitation agricole assignent en justice leurs vendeurs pour défaut de délivrance de l’intégralité des droits afférents à ce bien, spécialement du droit de replantation d’un hectare de vignes provenant de ce que les vendeurs avaient arraché ces vignes

Par un arrêt du 16 juin 1971, la Cour d’appel de Montpellier déboute les acquéreurs de leur demande en dommages et intérêts au motif que les droits invoqués n’étaient mentionnés nulle part dans l’acte notarié produit.

Au soutien de leur demande ils faisaient notamment valoir que les juges du fond ne pouvaient recevoir aucune preuve par témoin contre et outre le contenu de l’acte authentique, dont les termes s’imposaient à eux pour déterminer la volonté des parties.

Tandis que la Cour d’appel avait, en effet, raisonné sur le terrain de l’interprétation de l’acte litigieux, raison pour laquelle elle avait jugé recevable, comme élément de preuve, « la correspondance échangée entre les notaires des parties », les acquéreurs considéraient, quant à eux, que l’opération en jeu visait, non pas à interpréter l’écrit versé aux débats – dont les énonciations étaient parfaitement claires au cas particulier – mais à lui ajouter quelque chose qu’il ne disait pas. Or prouver contre un écrit requiert la production d’un autre écrit.

On voit bien dans cette affaire que la ligne séparant l’interprétation d’un écrit et l’opération consistant à le contester peut être extrêmement ténue. D’où la difficulté de mise en œuvre de la règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

==>Conflits entre écrits

S’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un autre écrit, cela signifie qu’il est des cas où deux écrits exprimant des clauses contraires, à tout le moins divergentes sont susceptibles d’entrer en conflit.

La question qui alors se pose est de savoir comment régler ce conflit entre écrits ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1368 du Code civil qui prévoit que « à défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le plus vraisemblable. »

Aussi, en cas de production d’écrits par chacune des parties, c’est au juge que revient la charge d’arbitrer et de déterminer quel écrit lui apparaît le plus vraisemblable et doit, en conséquence, primer sur l’autre.

III) Portée

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1341 du Code civil prévoyait que « il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre. »

Si l’article 1359, al. 2e du Code civil reprend sensiblement dans les mêmes termes la règle énoncée par l’ancienne disposition, il en simplifie toutefois la formulation.

L’ordonnance du n°2016-131 du 10 février 2016 a notamment abandonné la précision selon laquelle il n’est reçu aucune preuve par témoins « sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes ». La raison en est qu’elle n’apportait rien.

Le législateur a, par ailleurs, jugé bon de circonscrire la règle énoncée aux seuls actes « établissant un acte juridique ». Cette précision n’est pas neutre ainsi que nous allons le voir juste après.

En effet, la jurisprudence avait déduit de l’ancienne formulation de l’article 1341 du Code civil que, quelle que soit la mention énoncée dans l’instrumentum produit en justice, elle ne pouvait être contestée qu’au moyen d’un écrit, y compris lorsque cette mention relatait un fait juridique, tel que, par exemple, la cause de l’acte litigieux, la réalisation d’un paiement ou encore l’exécution de travaux.

Dans un arrêt du 23 février 2012, la Cour de cassation a ainsi jugé que « dans les rapports entre les parties, la preuve de la fausseté de la cause exprimée à l’acte doit être administrée par écrit, dans les conditions prévues par l’article 1341 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°11-11.230).

Cette position adoptée par la jurisprudence était pour le moins sévère, car elle imposait aux plaideurs de produire un écrit aux fins de prouver un fait juridique, certes relaté dans un acte juridique, mais ne perdant néanmoins pas sa qualification de fait pour autant.

Or la preuve d’un fait juridique est, en principe libre. Tel n’était pas l’avis de la Cour de cassation qui, par une application rigoureuse, sinon rigoriste de l’ancien article 1341 du Code civil, estimait que la preuve de la fausseté d’un fait relaté dans un écrit ne pouvait se faire qu’au moyen d’un autre écrit.

Suite à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 ayant porté réforme du droit de la preuve, un débat est né en doctrine sur la portée qu’il y avait lieu de reconnaître à la nouvelle règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

Deux thèses s’opposent :

  • Première thèse
    • Pour une partie de la doctrine[11], il y aurait lieu de voir dans la nouvelle formulation de l’article 1359, al. 2 du Code civil l’abandon de l’exigence de preuve littérale pour les écrits qui se bornent à relater un fait juridique.
    • Cet abandon s’évincerait de la précision « un écrit établissant un acte juridique », ce dont il se déduirait que seraient exclus du domaine de la règle les écrits établissant des faits juridiques.
    • Selon cette thèse, le législateur aurait donc fait le choix de préciser dans le nouveau texte que l’exigence de preuve par écrit ne joue que s’il s’agit de prouver contre ou outre un écrit « établissant un acte juridique ».
    • Si dès lors, la mention contestée se limite à relater un fait juridique, la preuve littérale ne serait pas exigée ; la preuve pourrait donc être rapportée par tout moyen.
  • Seconde thèse
    • L’interprétation consistant à dire que l’exigence de preuve littérale aurait été abandonnée, s’agissant de contester un fait relaté dans un écrit, ne fait pas l’unanimité en doctrine.
    • Certains auteurs avancent que le sens de la règle énoncée par l’ancien article 1341 du Code civil demeure inchangé, de sorte que la preuve d’un fait juridique relaté dans un acte requiert toujours la production d’un écrit[12].
    • Au soutien de cette position, est invoqué le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Il est en effet indiqué dans ce rapport que « le second alinéa, également inspiré de l’article 1341, prévoit qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un écrit, et ce quelle que soit la valeur ou le montant sur lequel porte l’obligation en cause, et sa source, acte ou fait juridique ».
    • Au surplus, il y aurait lieu de retenir la même signification pour la formule « contre et outre le contenu aux actes » et la formule « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».
    • Dans les deux cas, seul l’instrumentum serait visé, sans considération de ce qu’il constate un acte juridique ou relate des faits juridiques.
    • Pour cette raison, la preuve des faits juridiques relatés dans un écrit serait toujours soumise à l’exigence de preuve littérale

Comment départager ces deux thèses ? Les auteurs s’accordent à dire qu’un commencement de réponse peut être trouvé à l’article 1356, al. 2 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que les contrats sur la preuve « ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Autrement dit, il est fait interdiction aux parties de rendre incontestables des faits juridiques qu’elles entendraient relater dans un acte.

Or comme souligné par Gwendoline Lardeux « énoncer un fait dans un acte juridique ne le rend contestable que par un autre écrit qui, en pratique, n’existe pas […]. Par conséquent, affirmer un fait dans un écrit le rend indiscutable ; en d’autres termes, cela revient à stipuler une présomption irréfragable de l’existence de ce fait »

Parce que la stipulation de telles présomptions est prohibée, cela devrait conduire, en toute logique, à admettre que la preuve d’un fait juridique relaté dans un écrit puisse être rapportée par tout moyen.

En l’absence de jurisprudence sur ce point, il est difficile de dire si la Cour de cassation maintiendra sa position adoptée sous l’empire de l’ancien article 1341 du Code civil ou si elle l’abandonnera.

Si tel est le cas, sur quel fondement : l’article 1359, al. 2e ou l’article 1356, al. 2? La question demeure en suspens.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les actes non soumis à l’exigence d’écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: la condition tenant au montant des actes soumis à l’exigence d’écrit

==>Principe

L’article 1359, al. 1er du Code civil n’impose la preuve par écrit que pour les seuls actes juridiques « portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Il convient alors de se reporter au décret n°80-533 du 15 juillet 1980, modifié à plusieurs reprises, afin de déterminer le seuil au-delà duquel la preuve par écrit est exigée.

Tandis que le texte originel avait fixé ce seuil à 5000 francs, il a été porté à 800 euros par le décret n° 2001-476 du 30 mars 2001 consécutivement au passage du franc à l’euro.

Considérant que ce montant était trop faible, compte tenu de l’inflation, il a été relevé, peu de temps après, par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, à 1500 euros.

Aussi, le texte réglementaire prévoit désormais que « la somme ou la valeur visée à l’article 1359 du Code civil est fixée à 1 500 euros. »

La fixation de ce seuil procède de la volonté du législateur d’exclure du domaine de l’exigence de la preuve par écrit les actes de la vie courante. Cette exclusion avait déjà été prévue par l’ordonnance de Moulins qui avait fixé le seuil à « cinquante francs ».

Les actes juridiques de la vie courante peuvent ainsi se prouver par tout moyen. Ils ne requièrent pas la préconstitution d’un écrit.

La règle est heureuse ; elle favorise la fluidité des échanges économiques. Il serait inenvisageable, sinon inutile de contraindre les agents à régulariser un écrit pour les actes portant sur des sommes modiques qu’ils accomplissent au quotidien, parfois plusieurs fois par jour (achats de produits alimentaires, de vêtements ou encore de loisirs).

L’exigence d’établissement d’un écrit se justifie en revanche lorsque l’acte juridique porte sur une somme importante, soit inférieure à 1500 euros. Dans cette hypothèse, les parties seront plus portées à saisir le juge en cas de litige.

Or la meilleure solution pour prévenir un procès c’est, comme affirmé par Bentham, de se préconstituer une preuve afin d’être en mesure « d’établir de manière incontestable le droit qui est attaqué »[9].

==>Mise en œuvre

La fixation d’un seuil au-delà duquel la production d’un écrit est exigée aux fins de prouver un acte juridique ne permet pas de mettre en œuvre la règle.

En effet, pour déterminer la nature de la preuve à rapporter en présence d’un acte juridique encore faut-il définir les modalités de calcul du seuil visé par le législateur.

En cas de litige, doit-on prendre en compte le montant de la créance dont se prévaut le demandeur ou celui initialement stipulé dans l’acte ? Par ailleurs, faut-il inclure les intérêts et autres accessoires de la créance litigieuse ou s’en tenir au principal ? Quid, en outre, du moment de l’évaluation du montant de créance ?

Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil prévoyait un certain nombre de règles de calcul du seuil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve n’a conservé que celles énoncées aux troisième et quatrième alinéas des articles 1343 et 1344 du Code civil en modifiant leur formulation pour plus de clarté et de rigueur.

  • Première règle
    • L’article 1359, al. 3e du Code civil prévoit que « celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. ».
    • Il s’infère de cette disposition que les parties ne peuvent pas contourner l’exigence de production d’un écrit en ajustant le montant de leur demande de telle sorte que celui-ci serait inférieur au seuil réglementaire.
    • Il se déduit de cette règle que pour déterminer si ce seuil est dépassé il y a lieu de prendre en considération, non pas le montant de la demande du plaideur, mais le montant de la créance stipulé dans l’acte initial.
    • Autrement dit, il convient de se placer au moment de la formation de l’acte pour évaluer le montant de la créance litigieuse.
    • La raison en est que c’est à ce moment précis du processus contractuel qu’il y a lieu pour les parties de décider si la préconstitution d’un écrit est ou non nécessaire.
    • À cet égard, la Cour de cassation avait statué en ce sens dans un arrêt du 17 novembre 2011.
    • Dans cette décision elle avait, en effet, jugé que pour déterminer si l’objet du contrat avait une valeur inférieure ou supérieure au seuil réglementaire de 1500 euros il convenait de se positionner « au jour de la naissance de l’obligation » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-25.343).
    • Pratiquement cela signifie que, en cas d’action en responsabilité contractuelle engagée par une partie contre l’autre, il y aura lieu de tenir compte, non pas du montant des dommages et intérêts réclamés, mais du montant de l’obligation principale stipulée au contrat au jour de sa formation.
    • De la même façon, l’application de la règle énoncée à l’article 1359, al. 3e du Code civil conduit à ne pas tenir compte des intérêts éventuellement produits par la créance et/ou des pénalités attachées pour déterminer si celle-ci excède le seuil réglementaire.
    • Dans la mesure où, au jour de la naissance de l’obligation, elle n’a, par hypothèse, pas pu produire d’intérêts, ni être assortie de pénalités, seul le principal de la créance doit être pris en compte dans son évaluation.
  • Seconde règle
    • L’article 1359, al. 4e du Code civil prévoit que celui dont la demande, même inférieure au seuil réglementaire, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
    • Ainsi, il importe peu que le solde restant dû de la créance soit inférieur au seuil réglementaire.
    • Afin de déterminer si ce seuil est atteint, il y a lieu de tenir compte de la créance initiale prise dans sa globalité.
    • Cette règle a été instituée par le législateur afin d’empêcher que, par le jeu d’un fractionnement de la créance litigieuse, une partie puisse se soustraire à l’exigence d’écrit.

==>Exceptions

Par dérogation à l’exigence de production d’un écrit pour la preuve des actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, il est un certain nombre de dispositions légales qui imposent la preuve littérale quel que soit le montant de l’acte litigieux.

Au nombre de ces dispositions, on compte celles relatives notamment à :

  • La transaction
    • L’article 2044, al. 2e du Code civil prévoit que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »
  • Le contrat d’assurance
    • L’article L. 112-3 du Code des assurances prévoit que « le contrat d’assurance et les informations transmises par l’assureur au souscripteur mentionnées dans le présent code sont rédigés par écrit, en français, en caractère apparents. »
    • Dans un arrêt du 2 mars 2004, la Cour de cassation a déduit de cette disposition que « la preuve de la conclusion du contrat d’assurance ne peut résulter que d’un écrit émanant de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°00-19.871).
  • Le contrat de représentation, d’édition et de production audiovisuelle
    • L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce type de contrat doit nécessairement être constaté par écrit.
  • Cession de parts sociales
    • L’article L. 221-14 du Code de commerce prévoit que, pour les sociétés en nom collectif « la cession des parts sociales doit être constatée par écrit ».
    • Il en va de même pour les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 223-17 C. com.)

Pour tous ces contrats, le montant de leur objet est indifférent. Leur preuve ne peut être rapportée qu’au moyen d’un écrit.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

Preuve des actes juridiques: les actes soumis à l’exigence d’écrit

Si, en application de l’article 1359 du Code civil, la production d’un écrit n’est exigée comme mode de preuve que pour les seuls actes juridiques, tous les actes juridiques ne sont pas visés par cette exigence.

1. Les actes juridiques visés par l’exigence de preuve par écrit

Pour être soumis à l’exigence de preuve par écrit, l’acte dont la preuve doit être rapportée doit répondre à deux conditions cumulatives :

  • D’une part, il doit endosser la qualification d’acte juridique
  • D’autre part, il doit porter sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret

a. La qualification d’acte juridique

i. Les éléments de la qualification d’acte juridique

Les actes juridiques sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

Il ressort de cette définition que les actes juridiques sont la conjonction de deux éléments : une manifestation de volonté et la production d’effets de droit voulus :

  • Des manifestations de volonté
    • L’acte juridique suppose l’extériorisation d’une intention en vue de générer des conséquences juridiques.
    • L’acte juridique repose donc sur la manifestation de volonté de son auteur, lequel recherche la production d’effets de droit
      • Exemple : un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Comme souligné par Gérard Cornu dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, « fondamentalement, tous les actes juridiques se caractérisent, comme actes volontaires, par la direction que prend la volonté (car les faits juridiques peuvent aussi être volontaires). »
    • Reste que dans l’acte juridique, « la volonté est toujours tendue vers l’effet de droit consciemment perçu et recherché par son auteur (ce que traduisent les mots-clé « destinés », « en vue »). »
    • À cet égard, l’acte juridique peut résulter de l’expression d’une pluralité de volontés ou d’une volonté unique.
    • Dans le premier cas l’acte sera conventionnel, tandis que dans le second cas il sera unilatéral.
    • L’article 1100-1 du Code civil précise en ce sens que les actes juridiques peuvent être « conventionnels ou unilatéraux ».
      • Les actes juridiques conventionnels
        • Les actes juridiques conventionnels forment la catégorie des contrats.
        • Par contrat, il faut entendre, selon l’article 1101 du Code civil, « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »
        • L’un des éléments essentiels qui caractérise le contrat est d’être le produit d’un accord d’au moins deux volontés.
        • Quand bien même le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, ce qui pourrait inciter à le classer dans la catégorie des actes unilatéraux, il requiert toujours la rencontre de plusieurs volontés.
        • Aussi, on qualifie d’unilatéral un contrat, non pas parce qu’il est le produit d’une manifestation unilatérale de volonté, mais parce que, en pareil cas, une seule partie s’oblige sans qu’il y ait d’engagement réciproque de l’autre partie.
        • L’article 1106 du Code civil pose en ce sens que :
          • Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
          • Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
      • Les actes juridiques unilatéraux
        • Contrairement à l’acte juridique conventionnel, l’acte juridique unilatéral n’est défini par aucune disposition du Code civil.
        • L’avant-projet de réforme du droit des obligations avait pourtant proposé de le définir comme « un acte accompli par une seule ou plusieurs personnes unies dans la considération d’un même intérêt en vue de produire des effets de droit dans les cas admis par la loi ou par l’usage. »
        • Il ressort de cette définition que l’acte unilatéral se distingue de l’acte conventionnel en deux points :
          • En premier lieu, il n’est pas le produit d’une rencontre de plusieurs volontés, mais la manifestation d’une volonté unique.
          • En second lieu, l’acte unilatéral est établi « dans la considération d’un même intérêt », alors que l’acte conventionnel est porteur d’une pluralité d’intérêts divergents ou opposés.
  • La production d’effets de droit voulus
    • Une manifestation de volonté ne suffit pas à créer un acte juridique, il faut encore que cette volonté soit exprimée en vue de produire des effets de droit.
    • Autrement dit, il faut que le ou les auteurs de l’acte aient intentionnellement recherché des conséquences juridiques.
    • Lorsque, par exemple, deux personnes décident de conclure un contrat, les obligations stipulées dans cet acte conventionnel sont toujours voulues.
    • La volonté de produire des effets de droit est également présente lorsqu’un salarié décide de démissionner de ses fonctions ou lorsqu’un héritier accepte une succession.
    • C’est là une différence fondamentale avec les faits juridiques dont les conséquences juridiques ne sont jamais voulues.
    • À cet égard, selon que l’acte juridique est conventionnel ou unilatéral, les effets produits sont différents.
    • Effectivement, ce qui fondamentalement distingue l’acte juridique unilatéral de l’acte juridique conventionnel, c’est qu’il n’est jamais générateur d’obligations.
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance de paternité
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
    • Il peut être relevé le cas particulier de l’engagement unilatéral de volonté :
      • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligations
      • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation
    • Compte tenu des caractéristiques de l’engagement unilatéral de volonté, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être classé parmi les actes juridiques.
    • Le rapport au Président de la République dont est assortie l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a répondu positivement à cette question en indiquant que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci ».

ii. La mise en œuvre de la qualification d’acte juridique

Bien que les actes juridiques bénéficient depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 d’une définition, l’exigence de la preuve par écrit soulève un certain nombre de difficultés qui tiennent, tantôt à la nature de l’acte en cause, tantôt à la qualification même d’acte juridique.

==>Les difficultés qui tiennent à la nature de l’acte

S’il ne fait aucun doute que les actes juridiques conventionnels sont tous soumis à l’exigence de preuve par écrit, le doute est permis s’agissant des actes juridiques unilatéraux.

En effet, l’article 1359 du Code civil relève d’un chapitre dédié à l’admissibilité des modes de preuve, lequel chapitre relève d’un titre consacré à la preuve des obligations.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si seuls les actes juridiques créateurs d’obligations sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.

Dans l’affirmative, cela signifierait que les actes juridiques unilatéraux ne seraient pas soumis à cette exigence et, par voie de conséquence, pourraient être prouvés par tout moyen.

Il est, en effet, de principe que les actes juridiques unilatéraux ne sont pas créateurs d’obligations. Comme vu précédemment, ils ne produisent que quatre sortes d’effets (déclaratif, translatif, abdicatif et extinctif).

Par ailleurs, certaines décisions rendues sous l’empire du droit antérieur ont pu semer le trouble en admettant que l’exigence de preuve par écrit puisse être écartée s’agissant d’établir l’existence d’engagements unilatéraux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300 ; Cass. 1ère civ. 23 mai 2006, n°04-19.099).

Cette jurisprudence suggérait ainsi que tous les actes juridiques ne devaient pas nécessairement être prouvés par écrit.

Si le débat était ouvert sous l’empire du droit antérieur, les auteurs s’accordent aujourd’hui à dire qu’il n’a plus lieu d’être au regard de la nouvelle formulation des textes.

L’article 1359 du Code civil, bien qu’appartenant à un chapitre traitant de la preuve des obligations, prévoit que l’exigence de preuve par écrit s’applique à « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Le texte n’opère aucune distinction, il vise, par principe, tous les actes juridiques quelle que soit leur nature, pourvu qu’ils portent sur un montant supérieur à 1500 euros.

Sont donc soumis à l’exigence de preuve par écrit, tant le contrat, que l’engagement unilatéral de volonté ou encore l’acte produisant un effet extinctif (résiliation) ou déclaratif (partage).

Quid des contrats réels ? des quasi-contrats ?

==>Les difficultés qui tiennent à la qualification d’acte

Il est certaines opérations dont la qualification interroge en raison de la difficulté rencontrée à déterminer si elles relèvent de la catégorie des actes juridiques ou des faits juridiques.

  • Le paiement
    • Bien que le paiement soit une opération courante, sa nature a été particulièrement discutée en doctrine.
    • La question s’est, en effet, posée de savoir s’il s’agissait d’un acte juridique ou d’un fait juridique.
    • La qualification du paiement comporte deux enjeux :
      • Premier enjeu : le mode de preuve
        • Si le paiement s’apparente à en un acte juridique, alors la preuve est soumise à l’exigence de la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.)
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, alors la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen (art. 1358 C. civ.)
      • Second enjeu : la capacité juridique
        • Si le paiement s’apparente à un acte juridique, sa validité est subordonnée à la capacité juridique du solvens et de l’accipiens
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, il est indifférent que le solvens ou l’accipiens soient capables : il produira ses effets y compris lorsqu’il aura été réalisé par un incapable
    • Dans le cadre du débat qui a opposé les auteurs sur la nature du paiement, deux thèses ont émergé :
      • La thèse de l’acte juridique
        • Selon cette thèse, le paiement s’analyserait en une convention conclue entre le solvens (celui qui paye) et l’accipiens (celui qui est payé) aux fins d’éteindre l’obligation originaire.
        • Bien que séduisante, cette thèse ne permet pas de rendre compte de l’hypothèse – fréquente – où le paiement est effectué par un tiers.
        • Elle ne permet pas non plus d’expliquer le cas où le débiteur peut contraindre le créancier à accepter le paiement par voie de mise en demeure (art. 1345-3 C. civ.).
      • La thèse du fait juridique
        • Selon cette thèse, le paiement tirerait ses effets de la loi et non de la volonté du débiteur.
        • Si donc le paiement produit, tantôt un effet extinctif, tantôt un effet subrogatoire, ce n’est pas parce que les parties intéressées à l’opération l’ont voulu, mais parce que la loi le prévoit.
    • Entre ces deux thèses, la Cour de cassation a opté pour la seconde.
    • Dans un arrêt du 6 juillet 2004, elle a jugé en ce sen que « la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 2004, 01-14.618).
    • Par suite, à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a validé cette approche en insérant un article 1342-8 dans le Code civil qui dispose que « le paiement se prouve par tout moyen. »
    • Est-ce à dire que le débat est clos et que le paiement doit, désormais, être regardé comme un fait juridique ? Le texte ne le précise pas.
    • Si l’on se focalise sur les modalités de preuve du paiement, une réponse positive s’impose. Dans la mesure où la preuve est libre, le paiement s’apparenterait à un fait juridique.
    • Si, en revanche, on se tourne vers ses conditions de validité, il y a lieu d’être plus nuancé.
    • L’article 1342-2 du Code civil exige en effet que celui qui reçoit le paiement dispose de sa pleine capacité juridique. À défaut, le paiement n’est pas valable, sauf à ce que le créancier incapable en ait tiré profit.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».
    • Bien que son régime ait été réformé par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les nouveaux textes ne disent rien sur sa nature.
    • À cet égard, elle est souvent présentée comme consistant en un double paiement.
    • Compte tenu de ce que le paiement se prouve désormais par tout moyen, faut-il en déduire qu’il en va de même pour la compensation ?
    • Les auteurs suggèrent de distinguer selon que la compensation est légale ou conventionnelle.
    • Lorsqu’elle procède d’un accord entre les parties, dans les conditions de l’article 1348-2 du Code civil, il est certain qu’elle est soumise à l’exigence de la preuve par écrit à l’instar de n’importe quel contrat, à tout le moins lorsque les créances réciproques en jeu portent sur un montant supérieur à 1500 euros.
    • Lorsque, en revanche, la compensation est d’origine légale, le doute est permis.
    • Dans cette hypothèse, elle s’opère de plein droit par l’effet de la loi.
    • Pour cette raison, elle s’apparenterait à un fait juridique, faute d’avoir été voulue par les parties.
    • La volonté de ces dernières n’est toutefois pas étrangère à l’opération.
    • En effet, pour que la compensation légale produise ses effets, encore faut-il qu’elle ait été invoquée par la personne qui s’en prévaut.
    • L’article 1347, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que la compensation « s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies ».
    • Cette exigence était-elle suffisante pour conférer à la compensation légale la qualification d’acte juridique ?
    • Nous ne le pensons pas. Reste que la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur cette question.

b. Le montant de l’acte juridique

==>Principe

L’article 1359, al. 1er du Code civil n’impose la preuve par écrit que pour les seuls actes juridiques « portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Il convient alors de se reporter au décret n°80-533 du 15 juillet 1980, modifié à plusieurs reprises, afin de déterminer le seuil au-delà duquel la preuve par écrit est exigée.

Tandis que le texte originel avait fixé ce seuil à 5000 francs, il a été porté à 800 euros par le décret n° 2001-476 du 30 mars 2001 consécutivement au passage du franc à l’euro.

Considérant que ce montant était trop faible, compte tenu de l’inflation, il a été relevé, peu de temps après, par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, à 1500 euros.

Aussi, le texte réglementaire prévoit désormais que « la somme ou la valeur visée à l’article 1359 du Code civil est fixée à 1 500 euros. »

La fixation de ce seuil procède de la volonté du législateur d’exclure du domaine de l’exigence de la preuve par écrit les actes de la vie courante. Cette exclusion avait déjà été prévue par l’ordonnance de Moulins qui avait fixé le seuil à « cinquante francs ».

Les actes juridiques de la vie courante peuvent ainsi se prouver par tout moyen. Ils ne requièrent pas la préconstitution d’un écrit.

La règle est heureuse ; elle favorise la fluidité des échanges économiques. Il serait inenvisageable, sinon inutile de contraindre les agents à régulariser un écrit pour les actes portant sur des sommes modiques qu’ils accomplissent au quotidien, parfois plusieurs fois par jour (achats de produits alimentaires, de vêtements ou encore de loisirs).

L’exigence d’établissement d’un écrit se justifie en revanche lorsque l’acte juridique porte sur une somme importante, soit inférieure à 1500 euros. Dans cette hypothèse, les parties seront plus portées à saisir le juge en cas de litige.

Or la meilleure solution pour prévenir un procès c’est, comme affirmé par Bentham, de se préconstituer une preuve afin d’être en mesure « d’établir de manière incontestable le droit qui est attaqué »[9].

==>Mise en œuvre

La fixation d’un seuil au-delà duquel la production d’un écrit est exigée aux fins de prouver un acte juridique ne permet pas de mettre en œuvre la règle.

En effet, pour déterminer la nature de la preuve à rapporter en présence d’un acte juridique encore faut-il définir les modalités de calcul du seuil visé par le législateur.

En cas de litige, doit-on prendre en compte le montant de la créance dont se prévaut le demandeur ou celui initialement stipulé dans l’acte ? Par ailleurs, faut-il inclure les intérêts et autres accessoires de la créance litigieuse ou s’en tenir au principal ? Quid, en outre, du moment de l’évaluation du montant de créance ?

Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil prévoyait un certain nombre de règles de calcul du seuil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve n’a conservé que celles énoncées aux troisième et quatrième alinéas des articles 1343 et 1344 du Code civil en modifiant leur formulation pour plus de clarté et de rigueur.

  • Première règle
    • L’article 1359, al. 3e du Code civil prévoit que « celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. ».
    • Il s’infère de cette disposition que les parties ne peuvent pas contourner l’exigence de production d’un écrit en ajustant le montant de leur demande de telle sorte que celui-ci serait inférieur au seuil réglementaire.
    • Il se déduit de cette règle que pour déterminer si ce seuil est dépassé il y a lieu de prendre en considération, non pas le montant de la demande du plaideur, mais le montant de la créance stipulé dans l’acte initial.
    • Autrement dit, il convient de se placer au moment de la formation de l’acte pour évaluer le montant de la créance litigieuse.
    • La raison en est que c’est à ce moment précis du processus contractuel qu’il y a lieu pour les parties de décider si la préconstitution d’un écrit est ou non nécessaire.
    • À cet égard, la Cour de cassation avait statué en ce sens dans un arrêt du 17 novembre 2011.
    • Dans cette décision elle avait, en effet, jugé que pour déterminer si l’objet du contrat avait une valeur inférieure ou supérieure au seuil réglementaire de 1500 euros il convenait de se positionner « au jour de la naissance de l’obligation » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-25.343).
    • Pratiquement cela signifie que, en cas d’action en responsabilité contractuelle engagée par une partie contre l’autre, il y aura lieu de tenir compte, non pas du montant des dommages et intérêts réclamés, mais du montant de l’obligation principale stipulée au contrat au jour de sa formation.
    • De la même façon, l’application de la règle énoncée à l’article 1359, al. 3e du Code civil conduit à ne pas tenir compte des intérêts éventuellement produits par la créance et/ou des pénalités attachées pour déterminer si celle-ci excède le seuil réglementaire.
    • Dans la mesure où, au jour de la naissance de l’obligation, elle n’a, par hypothèse, pas pu produire d’intérêts, ni être assortie de pénalités, seul le principal de la créance doit être pris en compte dans son évaluation.
  • Seconde règle
    • L’article 1359, al. 4e du Code civil prévoit que celui dont la demande, même inférieure au seuil réglementaire, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
    • Ainsi, il importe peu que le solde restant dû de la créance soit inférieur au seuil réglementaire.
    • Afin de déterminer si ce seuil est atteint, il y a lieu de tenir compte de la créance initiale prise dans sa globalité.
    • Cette règle a été instituée par le législateur afin d’empêcher que, par le jeu d’un fractionnement de la créance litigieuse, une partie puisse se soustraire à l’exigence d’écrit.

==>Exceptions

Par dérogation à l’exigence de production d’un écrit pour la preuve des actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, il est un certain nombre de dispositions légales qui imposent la preuve littérale quel que soit le montant de l’acte litigieux.

Au nombre de ces dispositions, on compte celles relatives notamment à :

  • La transaction
    • L’article 2044, al. 2e du Code civil prévoit que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »
  • Le contrat d’assurance
    • L’article L. 112-3 du Code des assurances prévoit que « le contrat d’assurance et les informations transmises par l’assureur au souscripteur mentionnées dans le présent code sont rédigés par écrit, en français, en caractère apparents. »
    • Dans un arrêt du 2 mars 2004, la Cour de cassation a déduit de cette disposition que « la preuve de la conclusion du contrat d’assurance ne peut résulter que d’un écrit émanant de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°00-19.871).
  • Le contrat de représentation, d’édition et de production audiovisuelle
    • L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce type de contrat doit nécessairement être constaté par écrit.
  • Cession de parts sociales
    • L’article L. 221-14 du Code de commerce prévoit que, pour les sociétés en nom collectif « la cession des parts sociales doit être constatée par écrit ».
    • Il en va de même pour les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 223-17 C. com.)

Pour tous ces contrats, le montant de leur objet est indifférent. Leur preuve ne peut être rapportée qu’au moyen d’un écrit.

2. Les actes juridiques non visés par l’exigence de preuve par écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).
  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?

La preuve des actes juridiques: régime

À la différence des faits juridiques qui se prouvent par tout moyen (art. 1358 C. civ.), les actes juridiques ne peuvent être prouvés que par la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.).

Cette règle n’est toutefois pas absolue ; elle souffre de plusieurs dérogations énoncées notamment aux articles 1360 et suivants du Code civil.

§1: Les principes encadrant la preuve des actes juridiques

==>Origines

Les règles qui encadrent la preuve des actes juridiques sont héritées de l’ordonnance de Moulins de février 1566 qui prescrivait en son article 54 l’obligation d’établir un écrit pour toutes les opérations dont le montant excédait 150 livres[1].

L’adoption de cette ordonnance a bouleversé la hiérarchie des modes de preuve admis à l’époque.

Jusqu’alors le système probatoire avait accordé une place importante, sinon prépondérante aux témoignages.

Durant la période médiévale, les juges étaient, en effet, particulièrement portés à privilégier ce mode de preuve, compte tenu de ce que l’écrit était encore peu répandu dans les relations d’affaires.

Cette place conférée à la preuve testimoniale dans le système probatoire était exprimée par l’adage « témoins passent lettres », ce qui signifiait que ce mode de preuve prévalait sur l’écrit.

Progressivement, les juristes ont toutefois appréhendé la preuve testimoniale avec de plus en plus de méfiance considérant que sa fiabilité était, par nature, limitée.

En parallèle, à partir de l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en août 1539 par François 1er, l’écrit a commencé à supplanter les autres modes de preuve s’agissant de la preuve des actes juridiques.

Domat justifiait la primauté de la preuve littérale en avançant que « la force des preuves par écrit consiste en ce que les hommes sont convenus de conserver par l’écriture le souvenir des choses qui se sont passées et dont ils ont voulu faire subsister la mémoire, pour s’en faire des règles, ou avoir la preuve perpétuelle de la vérité de ce que l’on a écrit ».

Aussi, pour le célèbre jurisconsulte, « on écrit les conventions pour conserver la mémoire de ce qu’on s’est prescrit en contractant et pour se faire une loi fixe et immuable de ce qui a été convenu ».

Au fond, l’ordonnance de Moulins de février 1566 n’a fait qu’entériner l’abandon progressif de la preuve testimoniale – qui est devenue un mode de preuve subsidiaire – à la faveur de la preuve littérale.

Cette primauté de l’écrit sur le témoignage, à compter de la seconde moitié du XVIe siècle, sera reprise 250 ans plus tard par les rédacteurs du Code civil.

Ils y introduisirent un article 1341 qui reprenait fidèlement les termes de l’ordonnance de Moulins en prévoyant que « il doit être passé acte devant notaires ou sous signature privée, de toutes choses excédant la somme ou valeur de cent cinquante francs, même pour dépôts volontaires ; et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre de cent cinquante francs ».

Cette disposition est ainsi venue consacrer l’exigence d’un écrit pour la preuve des actes juridiques.

Assez curieusement néanmoins, elle siégeait dans une section dédiée à la preuve testimoniale, ce qui n’a pas manqué de susciter des critiques.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant notamment réforme du droit de la preuve, le législateur en a profité pour rectifier cette maladresse.

La règle énoncée à l’ancien article 1341 du Code civil a été transférée à l’article 1359. Elle relève désormais d’un chapitre sous lequel sont rassemblés les principes généraux qui régissent l’admissibilité des modes de preuve.

La formulation de la règle a, par ailleurs, été modernisée. Le nouveau texte a été débarrassée de ses tournures désuètes. Il énonce dorénavant deux règles bien distinctes.

  • La première règle pose l’exigence de la production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique dont le montant excède un certain seuil (art. 1359, al. 1er C. civ.)
  • La seconde règle prévoit, quant à elle, qu’on ne peut prouver contre ou outre un acte juridique qu’en produisant un autre écrit (art. 1359, al. 2e C. civ.).

I) La preuve de l’acte juridique

A) L’exposé du principe

1. Signification

L’article 1359 du Code civil prévoit que « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que la preuve d’un acte juridique suppose la production d’un écrit.

Il s’agit là d’une exception au principe institué à l’article 1358 du Code civil qui, pour mémoire, prévoit que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

Les actes juridiques ne sont ainsi pas soumis au principe de liberté de la preuve. Lorsque le montant sur lequel ils portent excède un certain seuil (1500 euros), ils ne peuvent être prouvés qu’au moyen d’un écrit qui en constate l’établissement.

Comme souligné dans le Rapport au Président de la République qui accompagnait l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 « l’écrit n’étant pas exigé à titre de validité du contrat, en vertu du principe du consensualisme, la sécurité des transactions rend indispensable l’exigence de la preuve par écrit ».

Pratiquement, cela signifie que, lorsqu’il s’agit de rapporter la preuve d’un acte juridique, le seul mode de preuve admissible c’est l’écrit.

Faute de production d’un écrit par la partie qui se prévaut de l’acte juridique, le juge devra réputer le fait allégué comme n’ayant pas été prouvé. Or comme énoncé par l’adage : idem est non esse non probari. Cela signifie littéralement que c’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé.

Aussi, le plaideur qui se trouve dans l’incapacité de produire un écrit alors qu’il lui incombe de prouver un acte juridique est promis à perdre le procès.

Quand bien même il verserait aux débats des témoignages ou convoquerait des présomptions, le juge n’aura d’autre choix que de les écarter, le seul mode de preuve recevable, s’agissant de prouver un acte juridique, étant l’écrit.

Encore faut-il néanmoins que l’écrit produit par le plaideur réponde aux exigences fixées par la loi.

2. Notion d’écrit

==>L’appréhension de l’écrit par l’ancien droit

Très tôt, l’écriture est apparue comme un formidable moyen pour l’Homme de fixer sur des supports les plus divers (tablettes de pierre, papyrus, parchemins etc.) les récits de son vécu.

Assez paradoxalement, ce n’est à partir du XVIe siècle que les juristes lui ont accordé une place prépondérante dans le système probatoire.

Si une hiérarchie des modes de preuve relativement sophistiquée avait été établie dans l’ancien droit, la preuve par écrit a occupé pendant longtemps un rang bien inférieur à celui conféré aux preuves irrationnelles telles que les ordalies, le duel judiciaire ou encore le serment.

Ce n’est qu’à partir de l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée en août 1539 par François 1er que l’écrit a commencé à supplanter les autres modes de preuve.

Domat justifiait la primauté de la preuve littérale en avançant que « la force des preuves par écrit consiste en ce que les hommes sont convenus de conserver par l’écriture le souvenir des choses qui se sont passées et dont ils ont voulu faire subsister la mémoire, pour s’en faire des règles, ou avoir la preuve perpétuelle de la vérité de ce que l’on a écrit ».

Ainsi poursuit-il « on écrit les conventions pour conserver la mémoire de ce qu’on s’est prescrit en contractant et pour se faire une loi fixe et immuable de ce qui a été convenu ».

==>L’absence de définition de l’écrit dans le Code civil de 1804

Cette place réservée à la preuve par écrit à compter du XVIe siècle a été reconduite par les rédacteurs du Code civil en 1804.

Curieusement, ces derniers n’avaient toutefois pas jugé utile de définir ce que l’on devait entendre par écrit.

Tout au plus, l’ancien article 1359 du Code civil prévoyait que « il doit être passé acte devant notaires ou sous signatures privées de toutes choses excédant une somme ou une valeur fixée par décret, même pour dépôts volontaires, et il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre ».

Cette disposition définissait donc le domaine de la preuve littérale sans pour autant préciser le sens de la notion.

Pour certains auteurs, ce silence trahit l’état d’esprit dans lequel se trouvait le législateur en 1804 qui ne concevait pas que l’on puisse dissocier l’écrit de son support.

La preuve littérale ou preuve par écrit n’a pas été définie tant il était évident, à l’époque, que l’adjectif littéral désignait « une écriture apposée en signes lisibles sur un support tangible ».

Pour les promoteurs du Code napoléonien, l’écrit faisait nécessairement qu’un avec le support destiné à le recevoir, en l’occurrence pour les actes juridiques, le papier. Or le papier est une notion qui ne requiert pas qu’on la définisse ; sa signification relève de l’évidence.

L’absence de définition de la preuve littérale dans le Code civil ne soulevait aucune difficulté tant que les actes juridiques étaient dressés sur des supports papiers.

L’apparition des nouvelles technologies de l’information et de la communication a toutefois complètement bouleversé la conception que l’on se faisait de l’écrit.

La possibilité offerte aux opérateurs économiques de conclure et d’exécuter des opérations par voie dématérialisée a contraint les juristes et les pouvoirs publics à réfléchir à l’adaptation du droit de la preuve aux nouvelles technologies de l’information.

Dès la fin du XXe siècle une partie de la doctrine a plaidé pour interprétation souple des textes alors en vigueur.

Ces derniers n’en demeuraient pas moins inadaptés aux actes conclus par voie électronique.

Comme relevé par le Conseil d’État, dans son rapport intitulé « Internet et les réseaux » publié le 2 juillet 1998, « la notion d’original n’a pas de sens s’agissant d’un message numérique et il serait dangereux de considérer comme satisfaisant à l’obligation d’une signature un procédé dont la loi n’aurait pas fixé les conditions de validité ».

Cela n’a toutefois pas empêché la Chambre commerciale de la Cour de cassation de construire une jurisprudence tendant vers une assimilation des documents électroniques offrant certaines garanties à un écrit.

Dans un arrêt remarqué du 2 décembre 1997, elle a ainsi jugé que « l’écrit constituant, aux termes de l’article 6 de la loi du 2 janvier 1981, l’acte d’acceptation de la cession ou de nantissement d’une créance professionnelle, peut être établi et conservé sur tout support, y compris par télécopies, dès lors que son intégrité et l’imputabilité de son contenu à l’auteur désigné ont été vérifiées, ou ne sont pas contestées » (Cass. com. 2 déc. 1997, n°95-251).

Pour la Chambre commerciale, c’est donc aux juges du fond qu’il revenait d’analyser les circonstances dans lesquelles avait été émis l’écrit pour établir s’il pouvait ou non être retenu comme établissant la preuve d’un acte.

Cette position n’a pas été partagée par toutes les chambres de la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 14 février 1995, la Première chambre civile a, par exemple, estimé qu’une photocopie ne pouvait pas être assimilée à un écrit et ne pouvait dès lors valoir que commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Si le droit en vigueur autorisait à prendre en compte les documents électroniques au titre des exceptions prévues par la loi à l’exigence de preuve littérale, la doctrine s’accordait à dire qu’il ne permettait pas, en revanche, de leur reconnaître la même valeur probatoire qu’un écrit.

D’où l’appel du Conseil d’État émis dans son rapport de 1998 à procéder à « une reconnaissance rapide de la valeur juridique du document électronique [qui] s’impose et rend nécessaire une adaptation du Code civil ».

==>L’apparition tardive d’une définition de l’écrit dans le Code civil

Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique pour voir apparaître dans le Code civil une définition de l’écrit.

Cette définition a d’abord eu pour siège l’ancien article 1316 du Code civil. Puis, elle a été transférée à l’article 1365 consécutivement à l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Selon ce texte, « l’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quel que soit leur support. »

Comme précisé dans les travaux parlementaires, la définition retenue de la preuve littérale a été formulée en des termes suffisamment généraux pour couvrir, non seulement l’écrit électronique, mais également toute autre forme d’écrit susceptible de résulter des évolutions technologiques à venir.

Si cette définition présente indéniablement l’avantage d’embrasser tout le champ des possibles, certains auteurs ont souligné qu’elle demeurait malgré tout « incomplète »[2].

En effet, l’article 1365 du Code civil se limite à présenter l’écrit comme consistant « en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible ». Il est pourtant bien plus que cela.

Le législateur a omis d’intégrer dans la définition de l’écrit sa raison d’être : faire la preuve de ce qu’il constate.

Dans son sens juridique, l’écrit est indissociable de sa finalité probatoire. Il n’est autre que le support qui a vocation à fixer la volonté de ceux qui l’établissent à produire des effets de droit.

La notion d’écrit conjugue, autrement dit, ce que l’on appelle le negocium et l’instrumentum.

Pour mémoire :

  • S’agissant du negocium
    • Il consiste en l’acte juridique, soit l’opération voulue par son auteur.
    • L’article 1100-1 du Code civil définit les actes juridiques comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »
    • Exemple : la vente d’un bien, la fourniture d’un service, la location d’un immeuble, l’acceptation d’une succession etc.
  • S’agissant de l’instrumentum
    • Il s’agit du support qui constate une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit, soit un acte juridique.
    • L’instrumentum renferme ainsi l’opération juridique telle que voulue, à tout le moins décrite, par son auteur.
    • Autrement dit, l’instrumentum est le contenant, tandis que le negocium est le contenu

L’écrit au sens juridique du terme fait la synthèse entre ces deux notions : il consiste en l’instrumentum qui constate le negocium.

À l’analyse, la définition formulée à l’article 1365 du Code civil ne rend pas compte de cette double dimension de l’écrit.

Pour ce faire, il aurait fallu qu’elle exprime la nécessité pour qu’une suite de signes puisse valoir écrit que celle-ci ait été établie en vue de faire la preuve de l’acte juridique qu’elle constate.

Absente de la définition de l’écrit, cette exigence est éclatée entre les différents articles relevant de la sous-section du Code civil consacrée aux dispositions générales applicable à la preuve par écrit.

À cet égard, il s’évince de ce corpus introductif de textes qu’un écrit se caractérise par la réunion de plusieurs éléments constitutifs qui tiennent :

  • À sa consistance
    • L’article 1365 du Code civil prévoit que « l’écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible ».
    • Il ressort de cette disposition que la notion d’écrit couvre, tant la formulation de lettres et de chiffres traduisant un langage courant, que l’inscription de signes et de symboles dont la compréhension requiert une opération de traduction, à tout le moins d’interprétation.
    • Au fond, la seule exigence posée par le texte pour que l’on soit en présence d’un écrit, c’est que la suite de signes ou de symboles susceptible d’être présentée au juge soit dotée d’une signification intelligible.
    • Il en résulte qu’un texte crypté, mais déchiffrable par son destinataire, est intelligible et possède par conséquent une vocation probatoire.
  • À son support
    • L’article 1365 du Code civil ne subordonne manifestement l’écrit à aucune condition qui tiendrait à son support ou à ses modalités de transmission.
    • Désormais, la preuve littérale ne s’identifie plus au papier et peut résulter d’une communication à distance (e-mail, disquette, disque dur, clé USB).
    • Au fond, comme souligné par des auteurs, l’insertion dans le Code civil d’une définition de l’écrit par la loi n°2000-230 du 13 mars 2000 « n’a eu d’autre but que de permettre de reconnaître valeur juridique à l’écrit électronique »[3].
    • À cet égard, la disposition qui suit l’article 1365 du Code civil n’est autre que celle qui place sur un pied d’égalité l’écrit papier et l’écrit électronique.
    • Le législateur a écarté la proposition visant à établir dans la loi une hiérarchie entre l’écrit sur support papier et l’écrit électronique, dans les cas où l’écrit sur support papier était authentifié, c’est-à-dire signé des parties.
    • L’article 1366 prévoit ainsi que « l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier ».
    • Le texte subordonne toutefois l’admission de l’écrit électronique à une double condition :
      • D’une part, la personne dont il émane doit pouvoir « être dûment identifiée »
      • D’autre part, il doit être « établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».
  • À sa signature
    • Bien que l’article 1365 du Code civil soit silencieux sur l’exigence de signature de l’écrit, elle n’en est pas moins l’un de ses éléments constitutifs.
    • L’article 1367 prévoit, en ce sens, que la signature est « nécessaire à la perfection d’un acte juridique ».
    • Pour être précis, la signature est requise pour parfaire, non pas « l’acte juridique », mais « l’écrit » en tant que mode de preuve. La formulation de la règle est maladroite : le législateur confond ici l’instrumentum avec le negocium.
    • En effet, au sens strict, l’acte juridique c’est le negocium, soit l’opération voulue par son auteur. Or conformément au principe du consensualisme, la perfection du negocium est subordonnée à la seule expression des volontés. La signature n’est donc pas une condition de validité du negocium.
    • Si la signature est exigée c’est pour permettre d’établir l’existence et le contenu du negocium. C’est la raison pour laquelle elle est requise uniquement pour parfaire l’écrit, soit l’instrumentum constatant le negocium.
    • Comme souligné par des auteurs, la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 « aurait pu être l’occasion de corriger cette inadvertance, en érigeant la signature en condition de perfection de l’écrit, qu’il soit authentique ou sous signature privée, électronique ou papier, plutôt qu’en condition de l’acte juridique »[4].
    • Le législateur n’a pas saisi cette occasion ; il s’est contenté en 2016 de reprendre dans les mêmes termes la règle énoncée à l’ancien article 1316-4 du Code civil qu’il a transféré à l’article 1367.
  • À son auteur
    • Il est un principe constant en droit de la preuve selon lequel pour être recevable, l’écrit produit en justice ne peut pas émaner de la partie qui s’en prévaut.
    • Aussi, est-il fait interdiction au demandeur de fonder ses prétentions sur des preuves qu’il se serait préconstituées unilatéralement ; il ne peut prouver ses allégations qu’au moyen d’éléments qui lui sont extérieurs.
    • Cette règle a, très tôt, été énoncée par Pothier qui écrivait dans son Traité des obligations que « personne ne pouvant se faire de titre à soi-même, suivant le principe que nous avons déjà établi, il suit de là que les livres-journaux des marchands sur lesquels ils inscrivent jour par jour les marchandises qu’ils débitent aux différents particuliers, ne peuvent pas faire une preuve pleine et entière de ces fournitures contre les personnes à qui elles ont été faites »[5].
    • Elle a, par suite, été reconduite par les rédacteurs du Code civil qui l’ont codifiée aux anciens articles 1329 et 1331 du Code civil.
    • Ces dispositions interdisaient de prouver des allégations :
      • Pour les marchands en produisant leurs propres registres contre des personnes non marchandes
      • Pour les particuliers en produisant leurs propres registres ou papiers domestiques
    • On retrouvait également cette règle à l’ancien article 1347, alinéa 2e du Code civil qui définissait le commencement de preuve par écrit comme un acte « qui est émané de celui contre lequel la demande est formée ».
    • Alors que l’application des dispositions précitées était a priori cantonnée à des domaines spéciaux, la jurisprudence a dégagé des règles énoncées un principe général selon lequel « nul ne peut se constituer une preuve à lui-même ».
    • La reconnaissance de ce principe est notamment intervenue dans un arrêt du 23 novembre 1972 rendu par la Chambre sociale aux termes duquel elle reproche à une Cour d’appel d’avoir retenu à titre de preuve une affirmation émanant du demandeur à l’allégation (Cass. soc. 23 nov. 1972, 71-12.032).
    • La Première chambre civile se fondera sur ce même principe dans un arrêt du 2 avril 1996 pour décider que la SNCF ne pouvait, dans le cadre d’un procès, produire aux débats des témoignages émanant de ses propres salariés aux fins de s’exonérer de sa responsabilité envers un voyeur victime d’un accident (Cass. 1ère civ. 2 avr. 1996, n°93-17.181).
    • Comme souligné par un auteur, cette règle se fonde « sur des considérations d’élémentaire justice et de protection de la partie adverse de celle à qui incombe la charge de la preuve dans un procès »[6].
    • On ne peut, en effet, raisonnablement admettre qu’un demandeur puisse fonder ses prétentions sur ses propres déclarations ou sur les documents qu’il a lui-même établis.
    • Le principe d’interdiction des preuves constituées par et pour soi-même relève de l’évidence, sinon du « bon sens »[7] et participe de l’exigence de « loyauté dans le débat judiciaire »[8].
  • À sa forme
    • L’article 1364 du Code civil prévoit que « la preuve d’un acte juridique peut être préconstituée par un écrit en la forme authentique ou sous signature privée. »
    • Il s’infère de cette disposition que, pour produire les effets juridiques d’un écrit et donc pour être recevable à titre de preuve d’un acte juridique, l’élément de preuve rapportée par les parties doit prendre la forme, soit d’un acte authentique, soit d’un acte sous signature privée :
      • S’agissant de l’acte authentique, il présente la particularité d’être dressé par un officier public qui est tiers à l’opération conclue entre les parties. L’intervention de ce tiers lui confère à l’acte son authenticité et la plus haute valeur juridique, ce qui le place au sommet de la hiérarchie des écrits. Son établissement est requis dans certains domaines, tels que, par exemple, la régularisation d’un contrat de mariage, la vente d’un immeuble ou encore l’octroi d’une donation.
      • S’agissant de l’acte sous signature privée, il se distingue de l’acte authentique en ce qu’il est rédigé par les parties elles-mêmes, sans l’intervention d’un officier public. À cet égard, il tire sa valeur juridique de la signature dont il est revêtu. Il peut être recouru à l’acte sous signature privée dans tous les domaines où l’établissement d’un acte authentique n’est pas exigé. Ce sera notamment le cas pour tous les contrats consensuels, soit les contrats qui se forment par le seul échange des consentements des parties.
    • Comme l’acte sous signature privée, l’acte authentique est un acte instrumentaire, c’est-à-dire un écrit rédigé spécialement en vue de constater des droits et obligations.
    • Mais, à la différence de l’acte sous signature privée, il est revêtu d’une qualité particulière, l’authenticité, résultant de ce qu’il est dressé par un officier public (ce qui impose sa présence pour recevoir le consentement des parties) suivant les formalités requises.
    • Ces formalités varient selon les catégories d’actes, mais deux formalités sont toujours exigées : la signature manuscrite de l’officier public et l’indication de la date.
    • Si donc l’acte sous signature privée et l’acte authentique sont recevables à titre de preuve d’un acte juridique ils se distinguent sur plusieurs points :
      • La sécurité procurée par l’acte
        • La signature d’un acte authentique par l’officier public qui l’établit garantit son authenticité et plus précisément la véracité de ce que ce dernier a été en mesure de vérifier par lui-même : l’origine de l’acte, sa date, le contenu des déclarations des parties, le paiement intervenu entre ses mains etc.
        • Tel n’est pas le cas de la signature apposée sur un acte sous signature privée qui a seulement pour fonction d’identifier l’auteur de l’acte et son consentement à l’opération constatée.
        • Aussi, en dehors des exceptions prévues par la loi, l’acte sous signature privée n’est soumis à aucune autre condition de forme que la signature de ceux qui s’obligent.
      • La force probante
        • S’agissant de l’acte authentique
          • Il fait foi jusqu’à inscription en faux des faits que l’officier public y a énoncés
          • Cela qui signifie que pour contester ce type d’acte, il est nécessaire de mettre en œuvre une procédure spécifique obéissant à des règles très précises (articles 303 et suivants du Code de procédure civile).
          • À cet égard, le demandeur en faux qui succomberait à l’issue de cette procédure encourt une condamnation à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
        • S’agissant de l’acte sous signature privée
          • Il fait foi entre ceux qui y ont souscrit et leurs héritiers ou ayant cause.
          • Toutefois, il est permis d’en rapporter la preuve contraire sans qu’il soit besoin de mettre en œuvre la procédure d’inscription en faux applicable aux actes authentiques.
      • La force exécutoire
        • L’un des principaux avantages de l’acte authentique réside dans la force exécutoire dont il est pourvu.
        • Cette force exécutoire permet à son bénéficiaire de solliciter l’exécution des obligations constatées dans l’acte auprès d’un huissier de justice sans avoir besoin au préalable de recourir à une décision de justice.
        • Autrement dit, l’acte authentique dispense son titulaire d’agir en justice aux fins de faire reconnaître ses droits : il peut obtenir l’exécution forcée de son titre sur la simple présentation de ce que l’on appelle une copie exécutoire
        • C’est là une différence fondamentale avec les actes sous signature privée qui ne sont pas dotés de la force exécutoire.
        • La partie à un acte sous signature privée est, en effet, contrainte de saisir le juge si elle souhaite recouvrer sa créance, faute d’exécution spontanée du débiteur
      • Le coût de l’acte
        • La rédaction d’un acte sous signature privée est, la plupart du temps, bien moins onéreuse que l’établissement d’un acte authentique.
        • L’acte authentique requiert, en effet, toujours l’intervention d’un officier public, ce qui génère un coût, outre les taxes et autres frais attachés à l’opération constatée dans l’acte.
        • Tel n’est pas le cas de l’acte sous signature privée qui peut être établi par les seules parties.
        • Ces dernières peuvent néanmoins décider de se faire assister par un avocat, ce qui impliquera le paiement d’honoraires. Cela n’est toutefois pas une obligation.

B) Le domaine du principe

Si, en application de l’article 1359 du Code civil, la production d’un écrit n’est exigée comme mode de preuve que pour les seuls actes juridiques, tous les actes juridiques ne sont pas visés par cette exigence.

1. Les actes juridiques visés par l’exigence de preuve par écrit

Pour être soumis à l’exigence de preuve par écrit, l’acte dont la preuve doit être rapportée doit répondre à deux conditions cumulatives :

  • D’une part, il doit endosser la qualification d’acte juridique
  • D’autre part, il doit porter sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret

a. La qualification d’acte juridique

i. Les éléments de la qualification d’acte juridique

Les actes juridiques sont définis à l’article 1100-1 du Code civil comme « des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

Il ressort de cette définition que les actes juridiques sont la conjonction de deux éléments : une manifestation de volonté et la production d’effets de droit voulus :

  • Des manifestations de volonté
    • L’acte juridique suppose l’extériorisation d’une intention en vue de générer des conséquences juridiques.
    • L’acte juridique repose donc sur la manifestation de volonté de son auteur, lequel recherche la production d’effets de droit
      • Exemple : un contrat, une démission, une déclaration de naissance, l’acceptation d’une succession etc.
    • Comme souligné par Gérard Cornu dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, « fondamentalement, tous les actes juridiques se caractérisent, comme actes volontaires, par la direction que prend la volonté (car les faits juridiques peuvent aussi être volontaires). »
    • Reste que dans l’acte juridique, « la volonté est toujours tendue vers l’effet de droit consciemment perçu et recherché par son auteur (ce que traduisent les mots-clé « destinés », « en vue »). »
    • À cet égard, l’acte juridique peut résulter de l’expression d’une pluralité de volontés ou d’une volonté unique.
    • Dans le premier cas l’acte sera conventionnel, tandis que dans le second cas il sera unilatéral.
    • L’article 1100-1 du Code civil précise en ce sens que les actes juridiques peuvent être « conventionnels ou unilatéraux ».
      • Les actes juridiques conventionnels
        • Les actes juridiques conventionnels forment la catégorie des contrats.
        • Par contrat, il faut entendre, selon l’article 1101 du Code civil, « un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations. »
        • L’un des éléments essentiels qui caractérise le contrat est d’être le produit d’un accord d’au moins deux volontés.
        • Quand bien même le contrat ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie, ce qui pourrait inciter à le classer dans la catégorie des actes unilatéraux, il requiert toujours la rencontre de plusieurs volontés.
        • Aussi, on qualifie d’unilatéral un contrat, non pas parce qu’il est le produit d’une manifestation unilatérale de volonté, mais parce que, en pareil cas, une seule partie s’oblige sans qu’il y ait d’engagement réciproque de l’autre partie.
        • L’article 1106 du Code civil pose en ce sens que :
          • Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
          • Il est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
      • Les actes juridiques unilatéraux
        • Contrairement à l’acte juridique conventionnel, l’acte juridique unilatéral n’est défini par aucune disposition du Code civil.
        • L’avant-projet de réforme du droit des obligations avait pourtant proposé de le définir comme « un acte accompli par une seule ou plusieurs personnes unies dans la considération d’un même intérêt en vue de produire des effets de droit dans les cas admis par la loi ou par l’usage. »
        • Il ressort de cette définition que l’acte unilatéral se distingue de l’acte conventionnel en deux points :
          • En premier lieu, il n’est pas le produit d’une rencontre de plusieurs volontés, mais la manifestation d’une volonté unique.
          • En second lieu, l’acte unilatéral est établi « dans la considération d’un même intérêt », alors que l’acte conventionnel est porteur d’une pluralité d’intérêts divergents ou opposés.
  • La production d’effets de droit voulus
    • Une manifestation de volonté ne suffit pas à créer un acte juridique, il faut encore que cette volonté soit exprimée en vue de produire des effets de droit.
    • Autrement dit, il faut que le ou les auteurs de l’acte aient intentionnellement recherché des conséquences juridiques.
    • Lorsque, par exemple, deux personnes décident de conclure un contrat, les obligations stipulées dans cet acte conventionnel sont toujours voulues.
    • La volonté de produire des effets de droit est également présente lorsqu’un salarié décide de démissionner de ses fonctions ou lorsqu’un héritier accepte une succession.
    • C’est là une différence fondamentale avec les faits juridiques dont les conséquences juridiques ne sont jamais voulues.
    • À cet égard, selon que l’acte juridique est conventionnel ou unilatéral, les effets produits sont différents.
    • Effectivement, ce qui fondamentalement distingue l’acte juridique unilatéral de l’acte juridique conventionnel, c’est qu’il n’est jamais générateur d’obligations.
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance de paternité
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
    • Il peut être relevé le cas particulier de l’engagement unilatéral de volonté :
      • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligations
      • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation
    • Compte tenu des caractéristiques de l’engagement unilatéral de volonté, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être classé parmi les actes juridiques.
    • Le rapport au Président de la République dont est assortie l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 a répondu positivement à cette question en indiquant que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci ».

ii. La mise en œuvre de la qualification d’acte juridique

Bien que les actes juridiques bénéficient depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 d’une définition, l’exigence de la preuve par écrit soulève un certain nombre de difficultés qui tiennent, tantôt à la nature de l’acte en cause, tantôt à la qualification même d’acte juridique.

==>Les difficultés qui tiennent à la nature de l’acte

S’il ne fait aucun doute que les actes juridiques conventionnels sont tous soumis à l’exigence de preuve par écrit, le doute est permis s’agissant des actes juridiques unilatéraux.

En effet, l’article 1359 du Code civil relève d’un chapitre dédié à l’admissibilité des modes de preuve, lequel chapitre relève d’un titre consacré à la preuve des obligations.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si seuls les actes juridiques créateurs d’obligations sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.

Dans l’affirmative, cela signifierait que les actes juridiques unilatéraux ne seraient pas soumis à cette exigence et, par voie de conséquence, pourraient être prouvés par tout moyen.

Il est, en effet, de principe que les actes juridiques unilatéraux ne sont pas créateurs d’obligations. Comme vu précédemment, ils ne produisent que quatre sortes d’effets (déclaratif, translatif, abdicatif et extinctif).

Par ailleurs, certaines décisions rendues sous l’empire du droit antérieur ont pu semer le trouble en admettant que l’exigence de preuve par écrit puisse être écartée s’agissant d’établir l’existence d’engagements unilatéraux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300 ; Cass. 1ère civ. 23 mai 2006, n°04-19.099).

Cette jurisprudence suggérait ainsi que tous les actes juridiques ne devaient pas nécessairement être prouvés par écrit.

Si le débat était ouvert sous l’empire du droit antérieur, les auteurs s’accordent aujourd’hui à dire qu’il n’a plus lieu d’être au regard de la nouvelle formulation des textes.

L’article 1359 du Code civil, bien qu’appartenant à un chapitre traitant de la preuve des obligations, prévoit que l’exigence de preuve par écrit s’applique à « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Le texte n’opère aucune distinction, il vise, par principe, tous les actes juridiques quelle que soit leur nature, pourvu qu’ils portent sur un montant supérieur à 1500 euros.

Sont donc soumis à l’exigence de preuve par écrit, tant le contrat, que l’engagement unilatéral de volonté ou encore l’acte produisant un effet extinctif (résiliation) ou déclaratif (partage).

Quid des contrats réels ? des quasi-contrats ?

==>Les difficultés qui tiennent à la qualification d’acte

Il est certaines opérations dont la qualification interroge en raison de la difficulté rencontrée à déterminer si elles relèvent de la catégorie des actes juridiques ou des faits juridiques.

  • Le paiement
    • Bien que le paiement soit une opération courante, sa nature a été particulièrement discutée en doctrine.
    • La question s’est, en effet, posée de savoir s’il s’agissait d’un acte juridique ou d’un fait juridique.
    • La qualification du paiement comporte deux enjeux :
      • Premier enjeu : le mode de preuve
        • Si le paiement s’apparente à en un acte juridique, alors la preuve est soumise à l’exigence de la production d’un écrit (art. 1359 C. civ.)
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, alors la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen (art. 1358 C. civ.)
      • Second enjeu : la capacité juridique
        • Si le paiement s’apparente à un acte juridique, sa validité est subordonnée à la capacité juridique du solvens et de l’accipiens
        • Si le paiement s’apparente à un fait juridique, il est indifférent que le solvens ou l’accipiens soient capables : il produira ses effets y compris lorsqu’il aura été réalisé par un incapable
    • Dans le cadre du débat qui a opposé les auteurs sur la nature du paiement, deux thèses ont émergé :
      • La thèse de l’acte juridique
        • Selon cette thèse, le paiement s’analyserait en une convention conclue entre le solvens (celui qui paye) et l’accipiens (celui qui est payé) aux fins d’éteindre l’obligation originaire.
        • Bien que séduisante, cette thèse ne permet pas de rendre compte de l’hypothèse – fréquente – où le paiement est effectué par un tiers.
        • Elle ne permet pas non plus d’expliquer le cas où le débiteur peut contraindre le créancier à accepter le paiement par voie de mise en demeure (art. 1345-3 C. civ.).
      • La thèse du fait juridique
        • Selon cette thèse, le paiement tirerait ses effets de la loi et non de la volonté du débiteur.
        • Si donc le paiement produit, tantôt un effet extinctif, tantôt un effet subrogatoire, ce n’est pas parce que les parties intéressées à l’opération l’ont voulu, mais parce que la loi le prévoit.
    • Entre ces deux thèses, la Cour de cassation a opté pour la seconde.
    • Dans un arrêt du 6 juillet 2004, elle a jugé en ce sen que « la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 6 juill. 2004, 01-14.618).
    • Par suite, à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le législateur a validé cette approche en insérant un article 1342-8 dans le Code civil qui dispose que « le paiement se prouve par tout moyen. »
    • Est-ce à dire que le débat est clos et que le paiement doit, désormais, être regardé comme un fait juridique ? Le texte ne le précise pas.
    • Si l’on se focalise sur les modalités de preuve du paiement, une réponse positive s’impose. Dans la mesure où la preuve est libre, le paiement s’apparenterait à un fait juridique.
    • Si, en revanche, on se tourne vers ses conditions de validité, il y a lieu d’être plus nuancé.
    • L’article 1342-2 du Code civil exige en effet que celui qui reçoit le paiement dispose de sa pleine capacité juridique. À défaut, le paiement n’est pas valable, sauf à ce que le créancier incapable en ait tiré profit.
  • La compensation
    • La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».
    • Bien que son régime ait été réformé par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les nouveaux textes ne disent rien sur sa nature.
    • À cet égard, elle est souvent présentée comme consistant en un double paiement.
    • Compte tenu de ce que le paiement se prouve désormais par tout moyen, faut-il en déduire qu’il en va de même pour la compensation ?
    • Les auteurs suggèrent de distinguer selon que la compensation est légale ou conventionnelle.
    • Lorsqu’elle procède d’un accord entre les parties, dans les conditions de l’article 1348-2 du Code civil, il est certain qu’elle est soumise à l’exigence de la preuve par écrit à l’instar de n’importe quel contrat, à tout le moins lorsque les créances réciproques en jeu portent sur un montant supérieur à 1500 euros.
    • Lorsque, en revanche, la compensation est d’origine légale, le doute est permis.
    • Dans cette hypothèse, elle s’opère de plein droit par l’effet de la loi.
    • Pour cette raison, elle s’apparenterait à un fait juridique, faute d’avoir été voulue par les parties.
    • La volonté de ces dernières n’est toutefois pas étrangère à l’opération.
    • En effet, pour que la compensation légale produise ses effets, encore faut-il qu’elle ait été invoquée par la personne qui s’en prévaut.
    • L’article 1347, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que la compensation « s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies ».
    • Cette exigence était-elle suffisante pour conférer à la compensation légale la qualification d’acte juridique ?
    • Nous ne le pensons pas. Reste que la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur cette question.

b. Le montant de l’acte juridique

==>Principe

L’article 1359, al. 1er du Code civil n’impose la preuve par écrit que pour les seuls actes juridiques « portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret ».

Il convient alors de se reporter au décret n°80-533 du 15 juillet 1980, modifié à plusieurs reprises, afin de déterminer le seuil au-delà duquel la preuve par écrit est exigée.

Tandis que le texte originel avait fixé ce seuil à 5000 francs, il a été porté à 800 euros par le décret n° 2001-476 du 30 mars 2001 consécutivement au passage du franc à l’euro.

Considérant que ce montant était trop faible, compte tenu de l’inflation, il a été relevé, peu de temps après, par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004, à 1500 euros.

Aussi, le texte réglementaire prévoit désormais que « la somme ou la valeur visée à l’article 1359 du Code civil est fixée à 1 500 euros. »

La fixation de ce seuil procède de la volonté du législateur d’exclure du domaine de l’exigence de la preuve par écrit les actes de la vie courante. Cette exclusion avait déjà été prévue par l’ordonnance de Moulins qui avait fixé le seuil à « cinquante francs ».

Les actes juridiques de la vie courante peuvent ainsi se prouver par tout moyen. Ils ne requièrent pas la préconstitution d’un écrit.

La règle est heureuse ; elle favorise la fluidité des échanges économiques. Il serait inenvisageable, sinon inutile de contraindre les agents à régulariser un écrit pour les actes portant sur des sommes modiques qu’ils accomplissent au quotidien, parfois plusieurs fois par jour (achats de produits alimentaires, de vêtements ou encore de loisirs).

L’exigence d’établissement d’un écrit se justifie en revanche lorsque l’acte juridique porte sur une somme importante, soit inférieure à 1500 euros. Dans cette hypothèse, les parties seront plus portées à saisir le juge en cas de litige.

Or la meilleure solution pour prévenir un procès c’est, comme affirmé par Bentham, de se préconstituer une preuve afin d’être en mesure « d’établir de manière incontestable le droit qui est attaqué »[9].

==>Mise en œuvre

La fixation d’un seuil au-delà duquel la production d’un écrit est exigée aux fins de prouver un acte juridique ne permet pas de mettre en œuvre la règle.

En effet, pour déterminer la nature de la preuve à rapporter en présence d’un acte juridique encore faut-il définir les modalités de calcul du seuil visé par le législateur.

En cas de litige, doit-on prendre en compte le montant de la créance dont se prévaut le demandeur ou celui initialement stipulé dans l’acte ? Par ailleurs, faut-il inclure les intérêts et autres accessoires de la créance litigieuse ou s’en tenir au principal ? Quid, en outre, du moment de l’évaluation du montant de créance ?

Sous l’empire du droit antérieur, le Code civil prévoyait un certain nombre de règles de calcul du seuil.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve n’a conservé que celles énoncées aux troisième et quatrième alinéas des articles 1343 et 1344 du Code civil en modifiant leur formulation pour plus de clarté et de rigueur.

  • Première règle
    • L’article 1359, al. 3e du Code civil prévoit que « celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. ».
    • Il s’infère de cette disposition que les parties ne peuvent pas contourner l’exigence de production d’un écrit en ajustant le montant de leur demande de telle sorte que celui-ci serait inférieur au seuil réglementaire.
    • Il se déduit de cette règle que pour déterminer si ce seuil est dépassé il y a lieu de prendre en considération, non pas le montant de la demande du plaideur, mais le montant de la créance stipulé dans l’acte initial.
    • Autrement dit, il convient de se placer au moment de la formation de l’acte pour évaluer le montant de la créance litigieuse.
    • La raison en est que c’est à ce moment précis du processus contractuel qu’il y a lieu pour les parties de décider si la préconstitution d’un écrit est ou non nécessaire.
    • À cet égard, la Cour de cassation avait statué en ce sens dans un arrêt du 17 novembre 2011.
    • Dans cette décision elle avait, en effet, jugé que pour déterminer si l’objet du contrat avait une valeur inférieure ou supérieure au seuil réglementaire de 1500 euros il convenait de se positionner « au jour de la naissance de l’obligation » (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-25.343).
    • Pratiquement cela signifie que, en cas d’action en responsabilité contractuelle engagée par une partie contre l’autre, il y aura lieu de tenir compte, non pas du montant des dommages et intérêts réclamés, mais du montant de l’obligation principale stipulée au contrat au jour de sa formation.
    • De la même façon, l’application de la règle énoncée à l’article 1359, al. 3e du Code civil conduit à ne pas tenir compte des intérêts éventuellement produits par la créance et/ou des pénalités attachées pour déterminer si celle-ci excède le seuil réglementaire.
    • Dans la mesure où, au jour de la naissance de l’obligation, elle n’a, par hypothèse, pas pu produire d’intérêts, ni être assortie de pénalités, seul le principal de la créance doit être pris en compte dans son évaluation.
  • Seconde règle
    • L’article 1359, al. 4e du Code civil prévoit que celui dont la demande, même inférieure au seuil réglementaire, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
    • Ainsi, il importe peu que le solde restant dû de la créance soit inférieur au seuil réglementaire.
    • Afin de déterminer si ce seuil est atteint, il y a lieu de tenir compte de la créance initiale prise dans sa globalité.
    • Cette règle a été instituée par le législateur afin d’empêcher que, par le jeu d’un fractionnement de la créance litigieuse, une partie puisse se soustraire à l’exigence d’écrit.

==>Exceptions

Par dérogation à l’exigence de production d’un écrit pour la preuve des actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, il est un certain nombre de dispositions légales qui imposent la preuve littérale quel que soit le montant de l’acte litigieux.

Au nombre de ces dispositions, on compte celles relatives notamment à :

  • La transaction
    • L’article 2044, al. 2e du Code civil prévoit que « ce contrat doit être rédigé par écrit. »
  • Le contrat d’assurance
    • L’article L. 112-3 du Code des assurances prévoit que « le contrat d’assurance et les informations transmises par l’assureur au souscripteur mentionnées dans le présent code sont rédigés par écrit, en français, en caractère apparents. »
    • Dans un arrêt du 2 mars 2004, la Cour de cassation a déduit de cette disposition que « la preuve de la conclusion du contrat d’assurance ne peut résulter que d’un écrit émanant de la partie à laquelle on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°00-19.871).
  • Le contrat de représentation, d’édition et de production audiovisuelle
    • L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que ce type de contrat doit nécessairement être constaté par écrit.
  • Cession de parts sociales
    • L’article L. 221-14 du Code de commerce prévoit que, pour les sociétés en nom collectif « la cession des parts sociales doit être constatée par écrit ».
    • Il en va de même pour les sociétés à responsabilité limitée (art. L. 223-17 C. com.)

Pour tous ces contrats, le montant de leur objet est indifférent. Leur preuve ne peut être rapportée qu’au moyen d’un écrit.

2. Les actes juridiques non visés par l’exigence de preuve par écrit

Nonobstant la formulation générale de la règle énoncée à l’article 1359, al. 1er du Code civil, il est un certain nombre de cas où la production d’un écrit n’est pas exigée pour établir un acte juridique, de telle sorte que la preuve peut être rapportée par tout moyen :

  • Les actes juridiques dont le montant est inférieur au seuil réglementaire
    • Dans la mesure où la production d’un écrit est exigée pour les seuls actes dont le montant est supérieur à 1500 euros, cela signifie, a contrario, que les actes dont le montant est inférieur à ce seuil ne sont pas soumis à l’exigence de preuve littérale.
    • Aussi, pour ces actes la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.
  • Les actes de commerce
    • L’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi »
    • Il ressort de cette disposition que la preuve des actes de commerce ne requiert pas la production d’un écrit, quand bien même l’acte porterait sur un montant supérieur au seuil réglementaire visé par l’article 1359, al. 1er du Code civil.
    • Pour que la preuve soit libre encore faut-il que deux conditions cumulatives soit remplies :
      • Première condition
        • L’acte litigieux doit présenter un caractère commercial.
        • Pour mémoire, il existe trois sortes d’actes de commerce :
          • Les actes de commerce par nature, soit ceux portant sur les opérations visées aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce et qui, pour présenter un caractère commercial, doivent nécessairement être accomplis de façon répétée et à des fins spéculatives
          • Les actes de commerce par la forme, soit ceux dont la commercialité ne dépend ni de la qualité de la personne qui les accomplis, ni de leur finalité ou de leur répétition
          • Les actes de commerce par accessoire, soit ceux, quelle que soit leur nature, dont l’accomplissement se rattache à une opération commerciale principale
      • Seconde condition
        • Pour que le plaideur auquel il appartient de prouver un acte de commerce ne soit pas soumis à l’exigence d’écrit, le défendeur doit endosser la qualité de commerçant.
        • En effet, si l’article L. 110-3 du Code de commerce prévoit que les actes de commerce peuvent être prouvés par tous moyens, le texte précise que la règle ne joue que pour les seuls actes accomplis « à l’égard des commerçants ».
        • Aussi, dans l’hypothèse où le défendeur n’endosserait pas la qualité de commerçant, la preuve de l’acte de commerce requerra la production d’un écrit, à tout le moins pour le demandeur.
        • On parlera alors d’acte de mixte.
        • Un acte est dit mixte, lorsqu’il présente un caractère commercial à l’égard d’une partie et un caractère civil à l’égard de l’autre partie.
        • Dans cette hypothèse, le régime probatoire applicable est asymétrique :
  • Les actes relevant de la compétence du juge prud’homal
    • En matière prud’homale, il est de jurisprudence constante que la preuve est, par principe, libre (Cass. soc. 27 mars 2001, n°98-44.666)
    • La raison en est l’impossibilité morale résultant du rapport de subordination existant entre l’employeur et le salarié.
    • C’est pourquoi, il est admis que les faits allégués soient établis par tous moyens.
    • À cet égard, régulièrement la Cour de cassation rappelle qu’en matière prud’homale, « les juges du fond apprécient souverainement la portée et la valeur probante des éléments qui leur sont soumis » (Cass. soc. 10 juin 1965 ; Cass. soc. 13 févr. 2013, n°11-26.098).
  • Les actes dont se prévalent les tiers
    • Principe
      • En application du principe de l’effet relatif des conventions, le contrat ne produit d’effets qu’entre les parties (art. 1199 C. civ.).
      • Est-ce à dire que les tiers ne pourraient pas s’en prévaloir ? Dans l’affirmative, comment prouver l’acte juridique qu’un tiers souhaiterait opposer aux parties ?
      • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1200 du Code civil.
      • Cette disposition prévoit que les tiers peuvent se prévaloir de la situation juridique créée par le contrat « notamment pour apporter la preuve d’un fait ».
      • Ainsi, est-il admis qu’un tiers puisse opposer à des contractants l’existence ou le contenu de l’acte qu’ils ont conclu.
      • En pareille hypothèse, il est de jurisprudence constante que la preuve est libre.
      • La raison en est que pour les tiers, le contrat conclu entre les parties constitue un fait juridique.
      • Pour cette raison, la preuve de l’acte par le tiers peut être rapportée par tous moyens.
      • Dans un arrêt du 25 novembre 1970, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’ancien article 1341 du Code civil, que « les règles édictées par ce texte, relativement à la preuve des actes juridiques, ne concernent que les parties auxdits actes, et qu’il est permis aux tiers d’établir leur existence par tous moyens de preuve » (Cass. 1ère civ. 25 nov. 1970, n°69-10.893).
      • Dans un arrêt du 30 juin 1980, la Chambre commerciale a encore affirmé que « la défense de prouver par témoins ou par présomptions contre et outre le contenu à l’acte ne concerne que les parties contractantes et qu’il est permis au tiers de contester par ces modes de preuves la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » (Cass. com. 30 juin 1980, n°79-10.623).
      • La Première chambre civile a rappelé plus récemment cette règle dans un arrêt du 3 juin 2015.
      • Aux termes de cette décision, elle a décidé, s’agissant d’un contrat de mandat, que « le banquier dépositaire, qui se borne à exécuter les ordres de paiement que lui transmet le mandataire du déposant, peut rapporter la preuve par tous moyens du contrat de mandat auquel il n’est pas partie » (Cass. 1ère civ. 3 juin 2015, n°14-20.518).
      • À l’inverse, lorsqu’une partie à l’acte souhaite, en application de l’article 1200 du Code civil, opposer à un tiers « la situation judiciaire créée par le contrat », la Cour de cassation juge que s’il « est permis aux tiers de contester par tous modes de preuve la sincérité des énonciations contenues dans les écrits qu’on leur oppose » ; en revanche « il appartient aux parties à un acte d’en rapporter la preuve contre les tiers dans les termes du droit commun » (Cass. 3e civ. 15 mai 1974, n°73-12.073).
      • Autrement dit, y compris lorsqu’ils cherchent à opposer l’acte juridique qu’ils ont conclu à un tiers, les contractants sont soumis à l’exigence de preuve par écrit.
    • Domaine
      • Seuls les tiers à l’acte ne sont pas soumis à l’existence de production d’un écrit s’agissant de la preuve de son existence et de son contenu.
      • Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de tiers.
      • Une première approche conduit à exclure de la qualification de tiers toutes les personnes qui ne sont pas partie à l’acte, soit qui n’y ont pas adhéré.
      • Cette approche est toutefois trop restrictive
      • Il est, en effet, certaines personnes qui, si au moment de la conclusion de l’acte, endossaient la qualité de tiers, peuvent, après coup, endosser la qualité de partie.
      • Tel est le cas du cessionnaire qui se substitue à l’une des parties initiales.
      • Il en va de même des ayants-cause universels ou à titre universels, soit des héritiers des parties, lesquels ont vocation à « continuer » la personne du défunt : la mort saisit le vif.
      • Par exception, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 avril 1989 que « les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d’une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l’aide de présomptions » (Cass. 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-10.388).

C) La portée du principe

==>La preuve de l’existence et du contenu de l’acte

L’exigence de preuve littérale vaut, tant s’agissant d’établir l’existence de l’acte, que son contenu.

  • La preuve de l’existence de l’acte juridique
    • Lorsque c’est l’existence même de l’acte juridique qui est contestée, il est admis qu’il y a lieu de faire application de l’article 1359 du Code civil : la production d’un écrit est donc exigée.
    • Il est certains arrêts qui ont toutefois pu laisser penser le contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’existence d’un contrat d’entreprise était établie compte tenu de ce que le maître d’ouvrage avait réceptionné la facture qui lui avait été adressée par l’entrepreneur et qu’il avait laissé les travaux s’exécuter.
    • Dans cette affaire, la preuve est ainsi tirée de l’acceptation tacite et de l’exécution des travaux, sans qu’aucun écrit constatant le contrat litigieux n’ait été produit aux débats (Cass. 3e civ. 19 oct. 1971, n°70-11.510).
    • Faut-il en déduire que la preuve de l’existence d’un contrat peut être rapportée par tout moyen, dès lors qu’il est établi qu’un échange des volontés est bien intervenu entre les parties ?
    • À l’analyse, quand bien même la validité d’un contrat n’est pas subordonnée à l’établissement d’un écrit et que, à ce titre, il est admis qu’il puisse être formé de manière tacite, la preuve de son existence demeure cependant toujours – sauf exceptions – soumise à l’exigence de preuve littérale.
    • Comment expliquer dès lors certaines décisions entreprises par la Cour de cassation qui admettent que l’existence d’un contrat puisse être rapportée par tout moyen ?
    • Pour Gwendoline Lardeux, l’explication réside dans le caractère supplétif de l’article 1359 du Code civil.
    • Cette disposition n’étant pas d’ordre public, le juge n’est pas tenu de relever d’office la règle prescrivant l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique.
    • Or dans aucune des affaires où l’existence du contrat est réputée établie sur la base de la seule attitude des parties, ces dernières ne s’étaient prévalues de l’exigence de preuve littérale.
    • Pour cette raison, il n’y aurait pas d’incohérence dans la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle statue au regard des moyens soulevés par les plaideurs.
  • La preuve du contenu de l’acte juridique
    • La production d’un écrit n’est pas seulement exigée pour établir l’existence d’un acte juridique, elle est également requise pour prouver son contenu.
    • Bien que cette exigence ne soulève, a priori, aucune difficulté d’application la jurisprudence n’a pourtant pas toujours eu la même position sur ce point.
    • Dans un premier temps, la Cour de cassation estimait, en effet, que dès lors que l’existence de l’acte juridique n’était pas contestée, la preuve de son contenu pouvait être rapportée par tout moyen.
    • Dans un arrêt du 20 janvier 1969, elle a jugé en ce sens s’agissant d’un contrat d’entreprise que « l’existence de la commande et de la livraison n’étant pas déniée, il est possible de prouver par tous moyens le contenu même du contrat et notamment le prix convenu entre les parties qu’aucun écrit n’était venu préciser » (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1969).
    • Dans un second temps, la Cour de cassation est revenue sur sa position en estimant que l’établissement de l’existence d’un acte juridique était sans incidence sur l’exigence de preuve par écrit s’agissant de son contenu.
    • Dans un arrêt du 13 mai 2004, elle a ainsi affirmé, à propos d’un contrat d’assurance, « que le fait que l’assuré apporte la preuve de l’existence d’un contrat ne le dispensait pas de l’obligation d’apporter également la preuve littérale et suffisante du contenu de celui-ci » (Cass. 2e civ. 13 mai 2004, n°03-10.964).

==>La preuve des irrégularités frappant l’acte et de l’exécution des obligations

  • Les irrégularités frappant l’acte
    • Les vices du consentement
      • Il est admis que la preuve des vices du consentement (erreur, dol ou violence), affectant la validité d’un acte juridique est libre.
      • La raison en est qu’il s’agit là de faits juridiques (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 26 janv. 1972, n°69-14.771).
      • Dans ces conditions, ce sont les dispositions de l’article 1358 du Code civil qui s’appliquent.
      • Dans un arrêt du 23 février 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « un vice du consentement, tel que l’erreur ou le dol, constitue un simple fait extérieur à l’acte notarié, de telle sorte qu’en principe sa preuve est libre et peut s’administrer par tous moyens » (Cass. 1ère civ. 23 févr. 1994, n°91-20.189).
    • L’illicéité de l’acte
      • Lorsqu’un acte est frappé d’illicéité, il est de jurisprudence constante que la preuve peut être rapportée par tous moyens.
      • La raison en est que la cause de l’illicéité de l’acte réside le plus souvent dans des circonstances extérieures à l’acte, soit dans des faits juridiques.
      • Dans un arrêt du 24 février 1960 la Cour de cassation a par exemple indiqué que « le caractère illicite de la cause d’une obligation peut être établi par tout mode de preuve, notamment par simples présomptions » (Cass. soc. 24 févr. 1960).
  • L’exécution des obligations résultant de l’acte
    • Il est admis que la bonne exécution des obligations résultant de l’acte est soumise au régime de la preuve libre.
    • Là encore, l’exécution d’une obligation, bien que contractuelle, s’analyse en un fait juridique.
    • Ainsi a-t-il été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 octobre 1997 que la preuve de l’exécution de l’obligation d’information dont est débiteur un médecin peut être rapportée par tous moyens (Cass. 1ère civ. 14 oct. 1997, n°95-19.609).
    • Dans un arrêt du 3 février 1998, elle a encore jugé que « la preuve du conseil donné, qui incombe au notaire, peut résulter de toute circonstance ou document établissant que le client a été averti clairement des risques inhérents à l’acte que le notaire a instrumenté » (Cass. 1ère civ., 3 févr. 1998, n° 96-13.201).

Si la preuve des irrégularités frappant l’acte et de l’exécution des obligations en résultant peut, en principe, être rapportée par tous moyens, tel plus le cas lorsqu’il s’agit de prouver un fait qui est de nature à contredire les termes de l’acte.

Lorsque, en effet, il s’agit de prouver contre un acte juridique, conformément à l’article 1359, al. 2e du Code civil, la preuve doit nécessairement se faire au moyen de la production d’un écrit.

II) La preuve outre et contre l’acte juridique

A) Principe

L’article 1359, al. 2 du Code civil prévoit que « il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique. »

Il ressort de cette disposition que dès lors qu’un acte juridique est prouvé au moyen d’un écrit, les énonciations figurant dans ce dernier – pris en tant qu’instrumentum – ne pourront être contredites ou complétées que par la production d’un autre écrit.

Plus précisément, cette exigence joue, dit le texte, lorsqu’il s’agit de prouver « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « prouver outre ou contre un écrit ».

  • La preuve outre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à établir que toutes les stipulations de l’acte juridique litigieux ne se retrouvent pas dans l’écrit produit.
    • Prouver outre un écrit consiste ainsi à en compléter les vides et à établir ce qu’il ne dit pas
    • En application de l’article 1359, al. 2e du Code civil, seule la production d’un autre écrit qui constaterait les stipulations manquantes sera alors admise.
  • La preuve contre un écrit
    • Il s’agit de la preuve qui vise à contredire une ou plusieurs énonciations figurant dans l’écrit produit :
      • Soit parce qu’elles ne seraient pas conformes aux termes de l’acte juridique conclu entre les parties
      • Soit parce qu’elles ne rendraient pas compte de la véritable nature de l’acte, tel qu’il résulterait de l’accord conclu entre les parties
    • Autrement dit, prouver contre un écrit c’est établir que les énonciations figurant dans l’instrumentum versé aux débats ne reflèteraient pas la réalité de l’accord passé entre les parties.

Qu’il s’agisse de prouver contre ou outre un écrit, dans les deux cas, l’article 1359, al. 2e du Code civil exige que la preuve soit rapportée par écrit.

À cet égard, la Cour de cassation est régulièrement conduite à faire application de cette règle.

Dans un arrêt du 27 novembre 1967, elle a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis que la preuve puisse être rapportée par tous moyens s’agissant d’établir la stipulation d’une clause qui ne figurait pas dans l’écrit versé aux débats (Cass. 1ère civ. 27 nov. 1967).

Dans un arrêt du 17 février 2010, la Première chambre civile a encore rappelé qu’un acte authentique qui avait conféré à opération l’apparence d’une donation, alors qu’il s’agissait en réalité d’une vente, ne pouvait être contredit au qu’au moyen de la production autre écrit (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2010, n°09-11.455).

On peut enfin évoquer un arrêt du 4 novembre 2011 qui reproche à une Cour d’appel d’avoir admis comme preuve du remboursement d’un prêt consenti par un établissement de crédit une quittance adressée à l’emprunteur à la suite d’une erreur matérielle consécutive à une défaillance de son système informatique, « alors que si celui qui a donné quittance peut établir que celle-ci n’a pas la valeur libératoire qu’implique son libellé, cette preuve ne peut être rapportée que dans les conditions prévues par les articles 1341 et suivants du Code civil » (Cass. 1ère civ. 4 nov. 2011, n°10-27.035).

B) Mise en œuvre

La règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil n’est pas sans soulever un certain nombre de difficultés de mise en œuvre.

==>L’indifférence du montant de l’acte litigieux

Dans la mesure où la preuve par écrit n’est exigée que pour les seuls actes juridiques portant sur un montant supérieur à 1500 euros, on pourrait être légitimement en droit de se demander si, par parallélisme des formes, il n’y aurait pas lieu d’appliquer ce seuil s’agissant de prouver contre ou outre un écrit.

À l’analyse, l’article 1359, al. 2e du Code civil l’exclut expressément. Le texte dit, en effet, qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, « même si la somme ou la valeur n’excède pas [le seuil réglementaire] ».

Aussi, peu importe le montant de l’acte litigieux, dès lors que celui-ci a été prouvé par écrit, il ne pourra être contesté qu’au moyen d’un autre écrit.

Au fond, cette règle ne fait que rappeler le principe de supériorité de l’écrit sur les autres modes de preuve (exceptions faites du serment décisoire ou de l’aveu judiciaire qui sont des modes de preuve parfaits et qui, à ce titre, sont toujours admis à pallier l’absence d’écrit).

Bien que l’écrit ne soit pas exigé pour établir un acte juridique portant sur un montant inférieur à 1500 euros, rien n’interdit les plaideurs de produire aux débats une preuve littérale.

Compte tenu de ce que l’écrit est pourvu d’une force probante supérieure aux témoignages et précomptions, il est parfaitement cohérent de considérer que pour combattre un écrit, seul un autre écrit peut être admis.

C’est là le sens l’article 1359, al. 2e du Code civil lorsqu’il précise qu’il est indifférent que la somme ou la valeur de l’acte juridique litigieux « n’excède pas » le seuil réglementaire.

==>Exclusion de l’interprétation

Si la preuve outre ou contre un écrit requiert la production d’un autre écrit, tel n’est pas le cas de l’interprétation d’un acte juridique.

Si les deux opérations sont susceptibles de se ressembler, elles ne se ressemblent pas.

En effet, l’interprétation est l’opération qui consiste à conférer une signification aux stipulations d’un acte juridique. Aussi n’a-t-elle vocation à intervenir qu’en présence d’un écrit dont les énonciations seraient obscures et ambiguës.

Prouver outre ou contre un écrit est une opération quelque peu différente.

Il ne s’agit pas de donner un sens à une énonciation qui présenterait un caractère sibyllin. Au contraire, parce que l’énonciation contestée est parfaitement claire, le plaideur chercher à lui ajouter ou à lui retrancher quelque chose dans la mesure où la règle qu’elle exprime n’est pas conforme aux termes de l’accord conclu entre les parties.

Faisait une distinction entre les deux opérations, dans un arrêt du 19 octobre 1964 la Cour de cassation « s’il n’est reçu aucune preuve par témoins ou présomptions contre et outre le contenu aux actes, cette preuve peut cependant être invoquée pour interpréter un acte, s’il est obscur ou ambigu » (Cass. 1ère civ. 19 oct. 1964).

Ainsi, lorsqu’il s’agit de prouver l’interprétation à donner à l’énonciation d’un écrit, la preuve est libre ; elle peut donc être rapportée par tout moyen.

Cette position qui doit être approuvée a, par suite, été reconduite à plusieurs reprises par la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 26 janv. 2012, n°10-28.356).

En effet, l’opération consistant à interpréter un écrit s’analyse en un fait juridique. Il s’agit de sonder l’interprétation des parties et d’identifier le sens qu’elles ont voulu donner à l’acte juridique litigieux.

Reste que, en pratique, comme souligné par les auteurs « au-delà des mots, la frontière entre la contestation de l’acte et son interprétation est parfois poreuse »[10].

Tel était notamment le cas dans un arrêt rendu par la Troisième chambre civile le 10 avril 1973 (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.405 ).

Dans cette affaire, les acquéreurs d’une exploitation agricole assignent en justice leurs vendeurs pour défaut de délivrance de l’intégralité des droits afférents à ce bien, spécialement du droit de replantation d’un hectare de vignes provenant de ce que les vendeurs avaient arraché ces vignes

Par un arrêt du 16 juin 1971, la Cour d’appel de Montpellier déboute les acquéreurs de leur demande en dommages et intérêts au motif que les droits invoqués n’étaient mentionnés nulle part dans l’acte notarié produit.

Au soutien de leur demande ils faisaient notamment valoir que les juges du fond ne pouvaient recevoir aucune preuve par témoin contre et outre le contenu de l’acte authentique, dont les termes s’imposaient à eux pour déterminer la volonté des parties.

Tandis que la Cour d’appel avait, en effet, raisonné sur le terrain de l’interprétation de l’acte litigieux, raison pour laquelle elle avait jugé recevable, comme élément de preuve, « la correspondance échangée entre les notaires des parties », les acquéreurs considéraient, quant à eux, que l’opération en jeu visait, non pas à interpréter l’écrit versé aux débats – dont les énonciations étaient parfaitement claires au cas particulier – mais à lui ajouter quelque chose qu’il ne disait pas. Or prouver contre un écrit requiert la production d’un autre écrit.

On voit bien dans cette affaire que la ligne séparant l’interprétation d’un écrit et l’opération consistant à le contester peut être extrêmement ténue. D’où la difficulté de mise en œuvre de la règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

==>Conflits entre écrits

S’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un autre écrit, cela signifie qu’il est des cas où deux écrits exprimant des clauses contraires, à tout le moins divergentes sont susceptibles d’entrer en conflit.

La question qui alors se pose est de savoir comment régler ce conflit entre écrits ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1368 du Code civil qui prévoit que « à défaut de dispositions ou de conventions contraires, le juge règle les conflits de preuve par écrit en déterminant par tout moyen le titre le plus vraisemblable. »

Aussi, en cas de production d’écrits par chacune des parties, c’est au juge que revient la charge d’arbitrer et de déterminer quel écrit lui apparaît le plus vraisemblable et doit, en conséquence, primer sur l’autre.

C) Portée

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1341 du Code civil prévoyait que « il n’est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu’il s’agisse d’une somme ou valeur moindre. »

Si l’article 1359, al. 2e du Code civil reprend sensiblement dans les mêmes termes la règle énoncée par l’ancienne disposition, il en simplifie toutefois la formulation.

L’ordonnance du n°2016-131 du 10 février 2016 a notamment abandonné la précision selon laquelle il n’est reçu aucune preuve par témoins « sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes ». La raison en est qu’elle n’apportait rien.

Le législateur a, par ailleurs, jugé bon de circonscrire la règle énoncée aux seuls actes « établissant un acte juridique ». Cette précision n’est pas neutre ainsi que nous allons le voir juste après.

En effet, la jurisprudence avait déduit de l’ancienne formulation de l’article 1341 du Code civil que, quelle que soit la mention énoncée dans l’instrumentum produit en justice, elle ne pouvait être contestée qu’au moyen d’un écrit, y compris lorsque cette mention relatait un fait juridique, tel que, par exemple, la cause de l’acte litigieux, la réalisation d’un paiement ou encore l’exécution de travaux.

Dans un arrêt du 23 février 2012, la Cour de cassation a ainsi jugé que « dans les rapports entre les parties, la preuve de la fausseté de la cause exprimée à l’acte doit être administrée par écrit, dans les conditions prévues par l’article 1341 du Code civil » (Cass. 1ère civ. 23 févr. 2012, n°11-11.230).

Cette position adoptée par la jurisprudence était pour le moins sévère, car elle imposait aux plaideurs de produire un écrit aux fins de prouver un fait juridique, certes relaté dans un acte juridique, mais ne perdant néanmoins pas sa qualification de fait pour autant.

Or la preuve d’un fait juridique est, en principe libre. Tel n’était pas l’avis de la Cour de cassation qui, par une application rigoureuse, sinon rigoriste de l’ancien article 1341 du Code civil, estimait que la preuve de la fausseté d’un fait relaté dans un écrit ne pouvait se faire qu’au moyen d’un autre écrit.

Suite à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 ayant porté réforme du droit de la preuve, un débat est né en doctrine sur la portée qu’il y avait lieu de reconnaître à la nouvelle règle énoncée à l’article 1359, al. 2e du Code civil.

Deux thèses s’opposent :

  • Première thèse
    • Pour une partie de la doctrine[11], il y aurait lieu de voir dans la nouvelle formulation de l’article 1359, al. 2 du Code civil l’abandon de l’exigence de preuve littérale pour les écrits qui se bornent à relater un fait juridique.
    • Cet abandon s’évincerait de la précision « un écrit établissant un acte juridique », ce dont il se déduirait que seraient exclus du domaine de la règle les écrits établissant des faits juridiques.
    • Selon cette thèse, le législateur aurait donc fait le choix de préciser dans le nouveau texte que l’exigence de preuve par écrit ne joue que s’il s’agit de prouver contre ou outre un écrit « établissant un acte juridique ».
    • Si dès lors, la mention contestée se limite à relater un fait juridique, la preuve littérale ne serait pas exigée ; la preuve pourrait donc être rapportée par tout moyen.
  • Seconde thèse
    • L’interprétation consistant à dire que l’exigence de preuve littérale aurait été abandonnée, s’agissant de contester un fait relaté dans un écrit, ne fait pas l’unanimité en doctrine.
    • Certains auteurs avancent que le sens de la règle énoncée par l’ancien article 1341 du Code civil demeure inchangé, de sorte que la preuve d’un fait juridique relaté dans un acte requiert toujours la production d’un écrit[12].
    • Au soutien de cette position, est invoqué le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016.
    • Il est en effet indiqué dans ce rapport que « le second alinéa, également inspiré de l’article 1341, prévoit qu’il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit que par un écrit, et ce quelle que soit la valeur ou le montant sur lequel porte l’obligation en cause, et sa source, acte ou fait juridique ».
    • Au surplus, il y aurait lieu de retenir la même signification pour la formule « contre et outre le contenu aux actes » et la formule « outre ou contre un écrit établissant un acte juridique ».
    • Dans les deux cas, seul l’instrumentum serait visé, sans considération de ce qu’il constate un acte juridique ou relate des faits juridiques.
    • Pour cette raison, la preuve des faits juridiques relatés dans un écrit serait toujours soumise à l’exigence de preuve littérale

Comment départager ces deux thèses ? Les auteurs s’accordent à dire qu’un commencement de réponse peut être trouvé à l’article 1356, al. 2 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que les contrats sur la preuve « ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Autrement dit, il est fait interdiction aux parties de rendre incontestables des faits juridiques qu’elles entendraient relater dans un acte.

Or comme souligné par Gwendoline Lardeux « énoncer un fait dans un acte juridique ne le rend contestable que par un autre écrit qui, en pratique, n’existe pas […]. Par conséquent, affirmer un fait dans un écrit le rend indiscutable ; en d’autres termes, cela revient à stipuler une présomption irréfragable de l’existence de ce fait »

Parce que la stipulation de telles présomptions est prohibée, cela devrait conduire, en toute logique, à admettre que la preuve d’un fait juridique relaté dans un écrit puisse être rapportée par tout moyen.

En l’absence de jurisprudence sur ce point, il est difficile de dire si la Cour de cassation maintiendra sa position adoptée sous l’empire de l’ancien article 1341 du Code civil ou si elle l’abandonnera.

Si tel est le cas, sur quel fondement : l’article 1359, al. 2e ou l’article 1356, al. 2? La question demeure en suspens.

§2: Les dérogations aux principes régissant la preuve des actes juridiques

Si les actes juridiques portant sur montant supérieur à 1500 euros ne peuvent, par principe, être prouvés qu’au moyen d’un écrit, cette exigence est susceptible d’être écartée :

  • Soit lorsqu’il y a d’impossibilité de se procurer un écrit
  • Soit en cas de recours à un mode de preuve admis à suppléer l’écrit
  • Soit en cas de stipulation par les parties d’une clause contraire

I) L’impossibilité de se procurer un écrit

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de production d’un écrit pour faire la preuve d’un acte juridique reçoit « exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Il ressort de cette disposition qu’il est fait exception à l’exigence de prouver un acte juridique au moyen d’un écrit dans deux cas :

  • Premier cas : l’impossibilité de rédiger un écrit
  • Second cas : l’impossibilité de produire un écrit

A) L’impossibilité de rédiger un écrit

En application de l’article 1360 du Code civil, l’exigence de produire un écrit pour la preuve des actes juridiques est écartée en cas d’impossibilité de rédiger un écrit.

Cette exception à la règle recouvre deux situations :

  • L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit
  • L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

1. L’impossibilité matérielle ou morale de rédiger un écrit

a. Énoncé du principe

La première exception à l’exigence de prouver un acte juridique par écrit, c’est donc l’impossibilité matérielle ou morale dans laquelle se sont trouvées les parties au moment de la conclusion de l’acte juridique de rédiger un écrit.

Parce qu’il leur était impossible, à ce moment, de se préconstituer un écrit il serait particulièrement injuste d’exiger du plaideur qui se prévaut de l’acte juridique litigieux de produire un écrit qui, par hypothèse, n’a pas pu être établi.

Or comme exprimé par l’adage latin ad impossibilia nemo tenetur : à l’impossibile nul n’est tenu.

Pour que le moyen tiré de l’impossibilité d’établir un écrit soit recevable, cette impossibilité doit, dit le texte, être soit matérielle, soit morale.

==>L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit

Pour que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit soit admise comme exception à l’exigence d’écrit, elle doit résulter de circonstances exceptionnelles qui ont empêché la rédaction d’un écrit au moment de la conclusion de l’acte.

Quelles sont ces circonstances exceptionnelles ? L’ancien article 1348 du Code civil en vigueur en 1804 fournissait quelques illustrations.

Il visait notamment :

  • Les « dépôts nécessaires faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage »
  • Les « obligations contractées en cas d’accidents imprévus »

Ces illustrations, bien que ne figurant plus dans le Code civil, sont toujours d’actualité. À tout le moins, elles donnent une indication sur la nature des circonstances qui autorisent un plaideur à se prévaloir de l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit.

Pour être dispensé de rapporter la preuve de l’acte juridique litigieux par écrit, celui-ci doit démontrer que la conclusion de cet acte est intervenue dans le cadre d’une situation d’urgence, ce qui rendait impossible l’établissement d’un écrit.

Plus généralement, la Cour de cassation admet que l’impossibilité matérielle de se procurer un écrit est caractérisée lorsque les parties se sont heurtées, au moment de la conclusion de l’acte, à un obstacle insurmontable qui les a empêchées de rédiger un écrit.

Dans un arrêt du 13 mai 1964, la Cour de cassation a admis que cet obstacle puisse consister en l’incapacité pour l’une des parties d’écrire (Cass. 1ère civ. 13 mai 1964).

==>L’impossibilité morale de se procurer un écrit

L’impossibilité de se procurer un écrit n’est pas seulement retenue lorsqu’elle est matérielle ; il est expressément admis par l’article 1360 du Code civil qu’elle puisse être morale.

Cette admission de l’impossibilité morale au rang des exceptions à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques est d’origine jurisprudentielle.

Elle n’était pas prévue par les rédacteurs du Code civil. Il a fallu attendre l’adoption de la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 pour qu’elle soit consacrée par le législateur.

Cette reconnaissance de l’impossibilité morale de se procurer un écrit a considérablement étendu le domaine de l’exception initiale.

En effet, l’impossibilité morale d’établir un écrit recouvre de nombreuses situations, puisque tenant à un obstacle psychologique.

Elle sera admise lorsque les parties entretiennent des relations particulières entre elles.

Plus précisément, l’impossibilité de rédiger un écrit pourra provenir de l’existence d’un lien familial.

Elle a ainsi été admise lorsque la conclusion d’un acte juridique était intervenue entre parents et enfant (Cass. 1ère civ. 6 déc. 1972, n°71-13.427), entre frères (Cass. 1ère civ. 17 nov. 2011, n°10-17.128), entre époux (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°15-27.387) ou encore entre concubins (Cass. 3e civ. 7 janv. 1972, n°70-13.528).

Le lien familial entre les deux parties à l’acte devra toutefois être suffisamment étroit et fort pour que l’impossibilité morale de se procurer un écrit soit admise (V. en ce sens Cass. 3e civ. 24 oct. 1972, n°71-12.175). Par ailleurs, il ne devra pas exister de relations d’affaires entretenues entre les parties (Cass. com. 3 avr. 1973, n°71-14.663).

L’existence d’une impossibilité morale de se procurer un écrit pourra également être caractérisée en présence de relations d’affection entre les parties à l’acte (V. en ce sens Cass. 3e civ. 7 janv. 1981, n°79-14.831 ; Cass. 1ère civ. 7 mars 2000, n°98-10.574).

b. Effets du principe

Lorsque l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit est admise, la preuve de l’acte juridique litigieux pourra se faire par tout moyen et notamment au moyen de témoignages ou de présomptions.

Dans un arrêt du 29 janvier 2014, la Cour de cassation a précisé que pour produire ses effets, la règle instituant l’impossibilité de se procurer un écrit comme exception à l’exigence d’écrit n’est pas « subordonnée à l’existence d’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 29 janv. 2014, n°12-27.186).

Aussi, la seule démonstration de l’existence d’une impossibilité matérielle ou morale suffit à écarter l’exigence de preuve littérale, étant précisé que cette impossibilité, en ce qu’elle s’analyse en un fait juridique, se prouve par tout moyen.

La Cour de cassation a en revanche rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2016 que lorsque l’impossibilité de se ménager un écrit est caractérisée, cela ne dispense pas le demandeur de rapporter la preuve par tous moyens du prêt allégué (Cass. 1ère civ. 19 oct. 2016, n°16-27.387).

L’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ne saurait ainsi avoir pour effet de renverser la charge de la preuve, laquelle pèse toujours sur le demandeur auquel il incombe « de prouver par tous moyens l’obligation dont il réclame l’exécution ».

2. L’existence d’un usage de ne pas établir un écrit

L’exigence de produire un écrit afin de prouver un acte juridique reçoit également une exception, dit l’article 1360 du Code civil, « s’il est d’usage de ne pas établir un écrit ».

Il s’agit là d’une innovation de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Comme indiqué par le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur a entendu consacrer ici une exception reconnue par la jurisprudence aux côtés des autres causes d’impossibilité de se procurer un écrit.

La Cour de cassation a, en effet, admis de longue date que lorsqu’il est d’usage dans une profession de conclure des actes juridiques verbalement, cette habitude peut s’analyser comme une impossibilité morale de se ménager un écrit (Cass. 1ère civ. 15 janv. 1963).

Tel est le cas pour certaines professions médicales, telles que les médecins par exemple (Cass. req. 27 mars 1907) ou encore pour les avocats, à tout le moins avant que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ne rende obligatoire l’établissement d’une convention d’honoraire.

Toujours est-il que, comme souligné par un auteur, ces pratiques consistant à contracter par voie orale répondent souvent « à un souci de délicatesse qui font regarder l’exigence d’un écrit comme n’étant pas convenable »[13].

Plus généralement, exiger de son cocontractant l’établissement d’un écrit peut être perçu par lui comme la marque d’un manque de confiance. Or dans les relations d’affaires la confiance est primordiale.

Pour cette raison, il paraît juste de ne pas faire application de l’exigence de rédaction d’un écrit en présence d’un usage contraire.

À cet égard, non seulement le législateur a consacré cette exception à la règle, mais encore il lui a conféré une autonomie. Cette autonomie s’explique, selon la doctrine, par le fondement de la nouvelle dérogation à l’exigence de preuve littérale.

Bien que cette dérogation ait été rattachée par la jurisprudence à l’impossibilité morale de se préconstituer un écrit, elle se fonde, en réalité, sur le caractère supplétif de l’ancien article 1341 du Code civil, devenu l’article 1359.

L’existence d’un usage contraire est, en effet, susceptible de dispenser des cocontractants de l’établissement d’un écrit, non pas parce que l’usage représente un empêchement moral pour ces dernières, mais parce qu’il peut être dérogé à l’exigence d’écrit par convention contraire en raison du caractère supplétif de cette règle. Or l’usage peut s’analyser en une telle convention.

B) L’impossibilité de produire un écrit

L’existence d’une impossibilité de rédiger un écrit n’est pas la seule exception à l’exigence d’écrit pour la preuve des actes juridiques. L’article 1360 du Code civil admet qu’il puisse également être dérogé à la règle en cas d’impossibilité de produire un écrit.

Cette dérogation tient, non pas aux circonstances qui ont entouré l’établissement d’un écrit au jour de la conclusion de l’acte, mais aux circonstances qui empêchent la production de l’écrit qui, a bien été établi conformément à l’article 1359 du Code civil, mais qui a été perdu en raison de la survenance d’un cas de force majeure.

Là encore, la règle procède de l’idée que « à l’impossible nul n’est tenu ». Autrement dit, il est difficile d’exiger de plaideurs qu’ils produisent un écrit qui a disparu pour une cause indépendante de leur volonté.

Pour que l’exigence de preuve littérale soit écartée en pareille circonstance, encore faut-il que deux conditions cumulatives soient remplies :

  • Première condition
    • Le demandeur doit prouver qu’un écrit avait bien été rédigé au jour de la conclusion de l’acte juridique litigieux.
    • Plus précisément, il doit être établi qu’un écrit répondant aux conditions de l’article 1364 du Code civil avait bien été préconstitué par les parties conformément à l’exigence énoncée par l’article 1359 du Code civil
    • Compte tenu de ce qu’il s’agira de prouver un fait juridique, la preuve peut être rapportée par tout moyen.
  • Seconde condition
    • Le demandeur doit démontrer que l’impossibilité de produire un écrit résulte d’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure.
    • Pour mémoire, on attribue classiquement à la force majeure trois attributs :
      • Irrésistible
        • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour les parties à l’acte d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
      • Imprévisible
        • L’imprévisibilité suppose que les plaideurs n’ont pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère, soit la disparition de l’écrit.
      • Extérieure
        • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance doit être indépendante de la volonté des parties à l’acte
    • Pour qu’il puisse être dérogé à l’exigence d’écrit, la force majeure devra être caractérisée dans tous éléments constitutifs, étant précisé qu’il appartient aux juges du fonds de vérifier que ces éléments sont bien réunis (Cass. 1ère civ. 23 juin 1971, n°70-10.937).
    • Aussi, dans l’hypothèse où la perte de l’écrit serait imputable à une simple négligence du demandeur, celui-ci ne sera pas admis à prouver l’acte juridique au moyen d’un autre mode de preuve que l’écrit.
    • Dans un arrêt du 15 mai 1973, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la perte de l’original alléguée, en l’absence de toute justification des circonstances qui l’auraient entrainée, ne peut être assimilée à un cas de force majeure » (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).
    • Le plus souvent, la perte de l’écrit sera imputable à un tiers auquel les parties avaient confié la conservation de l’instrumentum.
    • Nombreux sont notamment les arrêts qui traitent de cas où c’est le notaire qui a perdu l’original de l’acte litigieux (V. en ce sens pour la perte de l’original d’un testament Cass. 1ère civ. 2 mars 2004, n°01-16.001).
    • Pour que l’exception tenant à l’impossibilité de produire un écrit puisse jouer encore faut-il que la disparition de cet écrit soit irrémédiable.
    • Dans un arrêt du 12 novembre 2009, la Cour de cassation a ainsi refusé d’admettre que l’impossibilité pour un plaideur de produire l’original d’un testament, compte tenu de ce que son avocat ne l’avait pas emporté avec lui lors de son changement de cabinet, constituait un cas de force majeure.
    • L’original n’avait, en effet, pas disparu ; il était seulement conservé dans l’ancien cabinet de l’avocat de la plaignante, de sorte que cette dernière disposait toujours de la faculté de se le procurer et de le produire aux débats (Cass. 1ère civ. 12 nov. 2009, n°08-18.898).
    • Quoi qu’il en soit, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que c’est à celui qui se prévaut de la disparition de l’écrit en raison de la survenance d’un cas de force majeur d’en rapporter la preuve (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-19.064).

II) Les modes de preuves admis à suppléer l’écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Il ressort de cette disposition qu’il est deux catégories de preuves qui sont reconnues comme équivalentes à l’écrit et qui, à ce titre, peuvent le suppléer :

  • Le commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve
  • L’aveu judiciaire et le serment que l’on qualifie de modes de preuve parfaits

A) Le commencement de preuve par écrit

L’article 1361 du Code civil prévoit donc qu’il peut être suppléé à l’écrit « par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

Le commencement de preuve par écrit est ainsi envisagé par ce texte comme l’équivalent d’un écrit, à tout le moins dès lors qu’il est « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1347 du Code civil prévoyait que l’exigence de préconstitution d’un écrit pour la preuve des actes juridiques reçoit « exception lorsqu’il existe un commencement de preuve par écrit ».

Le commencement de preuve par écrit est ainsi passé du statut d’exception à l’exigence de preuve littérale au statut de mode de preuve pouvant suppléer l’écrit.

Ce changement d’approche opéré par le législateur en 2016 n’est pas sans interroger.

Pourquoi, en effet, mettre le commencement de preuve par écrit sur le même plan que l’aveu judiciaire et le serment décisoire alors que, contrairement à ces deux derniers, il n’appartient pas à la catégorie des modes de preuve parfaits ?

Pour mémoire, les modes de preuve parfaits présentent la particularité d’être admis en toutes matières et, surtout, de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

Dans l’affirmative, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait ou de l’acte allégué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

Le commencement de preuve par écrit, quant à lui, ne s’impose pas au juge. Il est de jurisprudence constante que l’autre moyen de preuve devant corroborer le commencement de preuve par écrit est soumis à l’appréciation souveraine du juge.

C’est pour cette raison que le commencement de preuve par écrit ne s’analyse pas en un mode de preuve parfait.

Comme énoncé par l’article 1361 du Code civil cela ne l’empêche pas, pour autant, d’être un mode de preuve reconnu comme l’équivalent d’un écrit lorsqu’il est corroboré par un autre moyen de preuve.

Pour faire la preuve d’un acte juridique, le commencement de preuve par écrit doit donc remplir deux conditions :

  • Répondre à la définition prévue par la loi
  • Être corroboré par un autre moyen de preuve

Ce n’est que lorsque ces deux conditions cumulatives sont réunies que l’exigence de preuve littérale pourra être écartée.

1. La notion de commencement de preuve par écrit

Parce que le commencement de preuve par écrit a été instrumenté par la jurisprudence comme un moyen d’atténuer l’exigence – parfois difficilement surmontable – de la production d’un écrit pour la preuve des actes juridiques, elle s’est employée, dès le XIXe siècle à élargir les contours de la notion.

Les juridictions ont notamment admis dans son périmètre, un certain nombre d’éléments de preuve qu’elles ont considérés comme valant commencement de preuve par écrit.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme portant réforme du droit de la preuve, la Cour de cassation a consacré cette extension de la notion de commencement de preuve par écrit au-delà de ses frontières originelles.

a. Les éléments constitutifs de la notion de commencement par écrit

L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit comme « tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. »

Il s’agit là d’une reprise sensiblement dans les mêmes termes de la définition qui était énoncée par l’ancien article 1348 du Code civil. Le législateur n’a pas innové sur ce point. Il a préféré ne pas bouleverser l’économie générale de la notion.

Aussi, pour être recevable à suppléer l’écrit, le commencement de preuve par écrit doit être caractérisé dans ses trois éléments constitutifs :

  • Un écrit
  • Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente
  • Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

i. Un écrit

Comme suggéré par son appellation, un commencement de preuve par écrit consiste, avant toute chose, en un écrit.

Plus précisément, l’article 1362 du Code civil énonce qu’il peut s’agir de « tout écrit ».

Par cette formulation, il faut comprendre qu’il n’est pas nécessaire que l’écrit versé aux débats soit un acte sous seing privé ou un acte authentique.

Et pour cause, un commencement de preuve par écrit a précisément vocation à être produit pour le cas où le demandeur n’est pas en mesure de fournir un écrit au sens des articles 1364 et suivants du Code civil.

Exiger qu’un commencement de preuve par écrit présente les mêmes attributs que la preuve littérale, reviendrait à vider le dispositif institué par le législateur de tout son intérêt.

C’est ce qui a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 1971 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fond d’avoir ajouté une condition à la loi en exigeant que l’écrit produit par l’un des plaideurs soit signé – et donc remplisse les conditions d’un acte sous seing privé – pour valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 27 janv. 1971, n°69-13.273).

Aussi, est-il admis de voir dans toute forme de document écrit un commencement de preuve par écrit, pourvu qu’il ne s’agisse, ni d’un acte sous seing privé, ni d’un acte authentique.

Classiquement, on recense trois catégories d’écrits susceptibles de répondre à la qualification de commencement de preuve par écrit :

α: Les écrits irréguliers

Le plus souvent, la reconnaissance du statut de commencement de preuve par écrit à un document résultera de la requalification d’un acte sous seing privé ou d’un acte authentique frappé d’une irrégularité.

Tel serait le cas d’un acte sous seing privé qui ne comporterait pas l’une des mentions énoncées par l’ancien article 1326 du Code civil, devenu l’article 1376.

Dans un arrêt du 21 mars 2006, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que l’absence d’indication du montant de l’engagement unilatéral souscrit en chiffres affectait l’acte de telle sorte qu’il « ne pouvait constituer qu’un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 21 mars 2006, n°04-18.673).

Dans un arrêt du 15 octobre 1991, elle a encore décidé que « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

L’oubli de la mention indiquant le nombre d’originaux établis par les parties est également de nature à faire requalifier l’acte en commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

Il en va de même dans l’hypothèse où l’acte n’a pas été rédigé en autant d’originaux qu’il y a de parties, comme exigé par l’article 1375 du Code civil (Cass. com., 5 nov. 1962).

La Cour de cassation a encore estimé que pouvait valoir commencement de preuve par écrit un procès-verbal constatant un accord ne comportant pas la signature des parties (Cass. com. 20 janv. 1965, n°62-11.990).

La Cour de cassation a retenu la même solution pour un acte authentique qui, à encore, n’avait pas été signé par les parties (Cass. 1ère civ. 28 oct. 2003, n°01-02.654).

La première chambre civile a également admis qu’une reconnaissance de dette dont la signature avait été raturée pouvait valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 16 juin 1993, n°91-20.105).

On peut encore citer les lettres missives auxquelles il a toujours été reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit pourvu qu’elles rendent vraisemblable l’existence de l’acte juridique litigieux (Cass. 1ère civ. 20 avr. 1983, n°82-150).

Dans un arrêt récent rendu le 24 janvier 2018, la Chambre commerciale a ainsi admis qu’une lettre aux termes de laquelle la banque reconnaissait avoir retrouvé le double du bordereau d’une remise de fonds, valait commencement de preuve par écrit du dépôt de la somme d’argent réalisé par un client (Cass. com. 24 janv. 2018, n°16-19.866).

β: Les écrits réguliers ne permettant pas d’identifier avec certitude l’acte litigieux

Autre typologie d’écrit susceptibles de valoir commencement de preuve par écrit, ceux qui ne sont frappés d’aucune irrégularité, mais qui ne permettent pas d’identifier avec suffisamment de certitude l’acte juridique auquel ils se rapportent.

Il en va ainsi d’un chèque rejeté pour absence de provision (Cass. com. 5 févr. 1991, n°89-16.333).

Il pourra également s’agir d’ordres de virement mentionnant le motif de l’opération (Cass. 1ère civ. 25 juin 2008, n°07-12.545).

γ: Les copies d’actes sous signature privée

==>Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la jurisprudence admettait qu’une copie puisse valoir commencement de preuve par écrit (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n° 84-14.370).

Elle subordonnait toutefois la reconnaissance de cette valeur probatoire à l’absence de contestation de la copie produite aux débats.

La Cour de cassation a, par exemple, statué en ce sens un arrêt du 14 février 1995 s’agissant de la photocopie d’une reconnaissance de dette signée par le débiteur « qui ne contestait ni l’existence de l’acte ni la conformité de la photocopie à l’original, selon lui détruit » (Cass.1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-17.061).

Elle a retenu la même solution pour des copies certifiées conformes dans un arrêt du 13 décembre 2005 aux termes duquel elle a jugé que « les copies d’actes sous seing privé même certifiées conformes qui n’ont par elles-mêmes aucune valeur juridique dès lors que l’existence de l’original est déniée, ne peuvent valoir comme commencement de preuve » (Cass. 1ère civ. 13 déc. 2005, n°04-14.229).

La Haute juridiction considérait ainsi que, lorsque la copie produite aux débats était contestée par le défendeur, elle devait être purement et simplement écartée des débats (Cass. 3e civ. 15 mai 1973, n°72-11.819).

Cette position se fondait sur l’ancien article 1334 du Code civil qui prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »

Si cette disposition admettait qu’une copie puisse être produite en justice aux fins de prouver un acte juridique, la partie adverse pouvait néanmoins toujours exiger la production de l’original.

Il en avait été tiré la conséquence par la jurisprudence que la force probante d’une copie était subordonnée à l’existence de l’écrit original.

Lorsque cette condition était remplie la copie pouvait alors faire foi au même titre que l’original (Cass. req. 16 févr. 1926). La copie était ainsi dépourvue de toute valeur juridique autonome.

S’agissant des photocopies, compte tenu de ce qu’elles ne sont pas revêtues de la signature originale des parties, elles ne pouvaient valoir que commencement de preuve par écrit.

Reste que pour se voir reconnu cette valeur probatoire, aucune contestation ne devait être élevée par le défendeur.

En réaction à cette jurisprudence qui subordonnait la reconnaissance d’une valeur probatoire aux copies à l’absence de contestation, ce, alors même que les techniques de reproduction étaient de plus en plus fiables, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne.

C’est ce qu’il a fait en adoptant la loi n°80-525 du 12 juillet 1980 laquelle a introduit un article 1348, al. 2e dans le Code civil qui a renforcé la valeur juridique des copies en leur conférant une force probante autonome.

Ce texte prévoyait, en effet, que « lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable », cette copie était admise pour faire la preuve d’un acte juridique par exception à l’exigence de la preuve par écrit.

Aussi, désormais une copie pouvait-elle faire foi nonobstant la disparition de l’original dont sa persistance n’était donc plus une exigence absolue.

Pour que la copie puisse toutefois être pourvue d’une force probante autonome, soit pour le cas où l’original n’existerait plus ou ne pouvait pas être produit, encore fallait-il que soient démontrées la fidélité de la reproduction et la durabilité du support utilisé.

À cet égard, le texte précisait que « est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support. »

Bien que cette précision renseignât sur ce qu’il fallait entendre par une copie « durable », cela était loin d’être suffisant pour déterminer quelles étaient les copies qui répondaient aux conditions de reproduction énoncée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Rapidement la question s’est alors posée en jurisprudence de savoir si les photocopies remplissaient la condition de fiabilité exigée par l’article 1348, al. 2e du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 25 juin 1996, elle a jugé que cette technique pouvait être admise au rang des procédés permettant l’obtention d’une « reproduction fidèle et durable ».

Elle en déduisit que la photocopie qui était produite aux débats « ne constituait pas un commencement de preuve par écrit, mais faisait pleinement la preuve de l’existence » de l’acte juridique dont l’existence était contestée au cas particulier (Cass. 1ère civ. 25 juin 1996, n°94-11.745).

Dans cette décision, la haute juridiction reconnaissait ainsi à la photocopie la valeur d’une preuve complète, puisque n’exigeant pas qu’elle soit corroborée, comme c’est le cas pour un commencement de preuve par écrit, par des éléments probatoires extrinsèques, tels que des témoignages ou des présomptions.

Bien qu’il puisse être porté au crédit de la loi du 12 juillet 1980 d’avoir été le premier texte à reconnaître à la copie d’un écrit une valeur probatoire indépendante de l’original, le dispositif, tel que prévu par l’ancien article 1348, al. 2e du Code civil, souffrait de deux carences principales.

  • Première carence
    • La règle renforçant la force probante de la copie était logée dans un article relevant de la preuve testimoniale. Or le régime des copies intéresse la preuve littérale.
    • Ce problème de méthode quant à la localisation de la règle dans le corpus textuel du droit de la preuve était de nature à flouer la portée qu’il y avait lieu de donner au dispositif mis en place.
  • Seconde carence
    • L’autonomie probatoire conférée à la copie résultait non pas d’une exception à l’absence de principe de force probante des copies, mais d’une exception à l’exigence de preuve par écrit des actes juridiques, ce qui, de l’avis des auteurs, n’était pas très cohérent

Pour ces deux raisons, il est apparu nécessaire que le législateur intervienne à nouveau afin de clarifier le régime juridique des copies.

==>Droit positif

Le législateur s’est attelé à la tâche de réformer le régime juridique des copies à l’occasion de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Dans le rapport au Président de la République accompagnant cette ordonnance, le législateur justifie cette réforme en avançant que :

  • D’une part, sous l’empire de l’ancienne loi du 12 juillet 1980, le Code civil ne disposait d’aucun régime unifié et cohérent de la copie
  • D’autre part, que l’évolution des technologies implique une conception plus large de l’écrit qui ne se matérialise plus nécessairement sur papier, et consécutivement une multiplication des techniques de reproduction, raison pour laquelle le régime juridique de la copie doit être revu

C’est sur la base de ces deux constats que le législateur a donc façonné un nouveau régime de la copie qui a désormais pour siège le nouvel article 1379 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la copie fiable a la même force probante que l’original. »

Il s’évince de cette disposition un principe général d’équivalence entre la copie dite fiable et l’original.

Surtout, et c’est là une rupture avec l’ancien article 1334 du Code civil, cette équivalence opère peu important que l’original subsiste ou pas, et peu important l’origine.

Autrement dit, il est indifférent que l’original ait disparu ou que son détenteur soit dans l’incapacité de le produire ; la copie possède la même valeur probatoire que l’original pourvu qu’elle soit fiable.

À l’analyse, en énonçant un principe général d’équivalence entre les deux types d’écrits, le législateur confirme l’autonomie probatoire qu’il avait entendu conférer à la copie à l’occasion de l’adoption de la loi du 12 juillet 1980.

Aussi, désormais, la force probante d’une copie tient, non plus à la persistance de l’original mais à sa fiabilité :

  • La force probante de la copie fiable
    • En application de l’article 1379, al. 1er du Code civil, elle possède la même valeur que l’original.
    • Cela signifie que :
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte authentique, la copie « fait foi jusqu’à inscription de faux de ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. »
      • S’il s’agit de la reproduction d’un acte sous seing privé, la copie fait foi entre les parties jusqu’à preuve du contraire.
  • La force probante de la copie non fiable
    • L’article 1379 du Code civil est silencieux sur la force probante de la copie dont la fiabilité ne serait pas reconnue.
    • Est-ce à dire qu’elle ne serait pourvue d’aucune valeur probatoire ?
    • Pour le déterminer il convient de se reporter au troisième alinéa de l’article 1379 qui fournit un indice.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « si l’original subsiste, sa présentation peut toujours être exigée. »
    • Il convient tout d’abord d’observer que cette exigence est a priori inapplicable à la copie fiable.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance du 10 février 2016 indique en ce sens que « si l’original subsiste, sa production pourra toujours être ordonnée par le juge, mais sa subsistance ne conditionne plus la valeur probatoire de la copie. »
    • Il faut comprendre ici, s’agissant de la copie fiable, que la disparition de l’original est sans incidence sur sa force probante.
    • En revanche, pour les copies qui ne répondent pas à l’exigence de fiabilité, l’article 1379, al. 3e suggère que leur force probante est subordonnée à la subsistance de l’original.
    • On retrouve là, manifestement, la règle énoncée par l’ancien article 1334 du Code civil qui, pour mémoire, prévoyait que « les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée. »
    • Cette règle n’a toutefois vocation à s’appliquer que pour le cas où la copie produite aux débats est contestée par la partie adverse.
    • Dès lors qu’elle ne fait l’objet d’aucune discussion, il devrait être admis qu’elle puisse faire foi conformément à ce qui avait été décidé par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur (V. par exemple Cass. 1ère civ. 30 avr. 1969 ; Cass. 2e civ., 10 nov. 1998, n°96-21.767).

ii. Un écrit émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu’il représente

Un écrit ne peut donc être qualifié de commencement de preuve par écrit qu’à la condition qu’il émane de la personne à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 11 avril 1995, la Cour de cassation a rappelé cette exigence en énonçant, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil devenu l’article 1362, que « pour valoir commencement de preuve, l’écrit doit émaner de la personne à laquelle il est opposé et non de celle qui s’en prévaut » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.246 ; V. également dans le même sens Cass. 1ère civ. 14 nov. 2012, n°11-25.900).

Cette règle n’est autre qu’une déclinaison du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » désormais énoncé à l’article 1363 du Code civil.

Aussi, dans l’hypothèse où l’écrit produit émanerait de celui-là même qui l’a établi ne saurait se voir reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 2002, n°99-15.430).

Par extension, l’article 1362 du Code civil admet que le commencement de preuve par écrit puisse émaner du représentant de la partie contre laquelle il est produit.

Dans un arrêt du 28 juin 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « le commencement de preuve par écrit peut émaner du mandataire de celui à qui on l’oppose » (Cass. 1ère civ. 28 juin 1989, n°86-19.012).

La solution est logique en ce que la représentation d’une personne consiste en l’accomplissement d’actes au nom et pour le compte de cette personne, de telle sorte que les actes sont réputés avoir été passés par cette dernière.

Aussi, est-il logique d’admettre que l’écrit émanant du représentant soit pourvu de la même valeur que celui établi par le représenté lui-même.

En revanche, le commencement de preuve par écrit ne saurait émaner d’un tiers.

Dans un arrêt du 25 novembre 2023 la Cour de cassation a ainsi reproché à une Cour d’appel d’avoir reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit à des documents qui avaient été établis par des tiers et non par des personnes auxquelles ils étaient opposés (Cass. 1ère civ., 25 nov. 2003, n° 00-22.577).

Par exception, il est admis qu’un écrit émanant d’un tiers puisse valoir commencement de preuve par écrit lorsqu’il a été approuvé par la partie à laquelle on l’oppose.

Dans un arrêt du 20 janvier 2004, la Cour de cassation a reconnu la qualification de commencement de preuve par écrit à une demande de permis de construire qui n’émanait pas du défendeur, au cas particulier un architecte auquel les demandeurs réclamaient la restitution d’acomptes et d’honoraires versés.

Ce document comportait toutefois le nom et la signature de l’architecte, ce qui suffisait, pour la Troisième chambre civile, à lui conférer la valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 20 janv. 2004, n°02-12.674).

La Cour de cassation est allée encore plus loin en admettant, dans des arrêts anciens, qu’un écrit puisse valoir commencement de preuve par écrit, alors même que la partie à laquelle il était opposé n’avait pas participé matériellement à son établissement.

Elle en était, en revanche, l’auteur intellectuel, le tiers n’ayant fait que reporter sur le document litigieux les énonciations qui lui étaient dictées.

Pour le démontrer, il conviendra de prouver que l’écrit ne fait qu’exprimer la volonté de la personne intéressée, ce qui suggère qu’il a été approuvé tacitement par cette dernière (Cass. 3e civ.29 févr. 1972, n°70-13.069).

Cette implication intellectuelle dans la rédaction de l’écrit pourra également se déduire lorsque l’auteur matériel de l’acte indique l’origine des déclarations et justifie d’une qualité qui ne permet pas de mettre en cause son impartialité (Cass. req. 29 avr. 1922 : affaire portant sur un acte d’état civil).

iii. Un écrit rendant vraisemblable ce qui est allégué

En application de l’article 1362 du Code civil, l’élément de preuve produit aux débats ne pourra endosser la qualification de commencement de preuve par écrit que s’il « rend vraisemblable ce qui est allégué ».

Que faut-il entendre par cette formule ? Des auteurs suggèrent qu’il faut comprendre que « le commencement de preuve par écrit doit être pertinent, approprié au fond de l’affaire, et créer un préjugé en faveur de celui qui l’invoque »[14].

Autrement dit, l’élément de preuve produit doit être suffisamment convaincant et sérieux pour rendre possible et envisageable le fait allégué. La vraisemblance ne saurait résulter d’une simple possibilité ou d’une hypothèse. En somme, il ne doit pas y avoir d’équivoque pour qu’il y ait vraisemblance.

À cet égard, la condition tenant à la vraisemblance du fait allégué est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ. 20 janv. 1970, n°69-10.414 ; Cass. 1ère civ. 21 oct. 1997, n°95-18.787).

Il peut être observé que cette question de l’appréciation de la vraisemblance a fait l’objet d’un contentieux nourri s’agissant des chèques bancaires.

La question s’est notamment posée de savoir si un chèque pouvait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt d’argent pour le montant mentionné sur le chèque.

Dans un premier temps, la Cour de cassation l’a admis pour le cas où le chèque avait été endossé par le débiteur.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, elle a jugé en ce sens que « si le chèque ne peut, en tant que tel, valoir commencement de preuve par écrit contre le bénéficiaire, il en est différemment du chèque endossé par celui-ci » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°93-13.133).

Dans un second temps, elle a retenu la solution inverse, considérant que « l’endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds » (Cass. 1ère civ. 3 juin 1998, n°96-14.232).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si un chèque permet bien d’établir la remise de fonds lorsqu’il a été endossé, cette remise ne permet pas d’établir sa cause, à tout le moins avec vraisemblable.

Une remise de fonds peut procéder, tout autant d’une donation que de l’existence d’une créance. C’est la raison pour laquelle un chèque, même endossé, ne saurait valoir commencement de preuve par écrit d’un contrat de prêt.

b. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit

Animée par une volonté de faciliter la preuve des actes juridiques, la Cour de cassation a progressivement adopté une approche extensive de la notion de commencement de preuve par écrit, à telle enseigne qu’elle a admis que puissent valoir commencement de preuve par écrit des éléments de preuve qui dérogent :

  • Soit à la condition tenant l’exigence d’un écrit
  • Soit à la condition tenant à l’origine de l’écrit

i. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’exigence d’un écrit

Comme vu précédemment, pour valoir commencement de preuve par écrit, l’élément de preuve produit doit, en principe, consister en un écrit.

L’article 1362 al. 2 du Code civil déroge toutefois à cette exigence en énonçant que « peuvent être considérés par le juge comme équivalant à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution. »

Il s’agit là d’une reprise de l’alinéa 3e de l’ancien article 1347 du Code civil, lequel était issu de la loi n°75-596 du 9 juillet 1975.

Cette loi était venue consacrer la jurisprudence antérieure qui, très tôt, avait admis que des déclarations orales puissent valoir commencement de preuve par écrit (Cass. req., 29 avr. 1922).

Toutefois, toutes les déclarations orales ne constituent pas nécessairement des commencements de preuve par écrit.

Le texte précise en effet que sont seules éligibles à cette qualification :

  • les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle
  • Le refus d’une partie de répondre aux questions du juge
  • L’absence de comparution d’une partie

Dans un arrêt du 19 novembre 2002 la Cour de cassation a ainsi refusé de reconnaître la valeur de commencement de preuve par écrit à une sommation interpellative qui était pourtant consignée dans un constat d’huissier de justice (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2002, n°01-10.169).

À l’analyse, l’article 1362, al. 2e du Code civil n’apporte rien de nouveau au droit positif dans la mesure où il ne fait qu’énoncer une règle qui existe déjà dans le Code de procédure civile et qui a été introduite dans ce code à l’article 198 par une loi du 23 mai 1942.

Cette disposition prévoit, en effet, que « le juge peut tirer toute conséquence de droit des déclarations des parties, de l’absence ou du refus de répondre de l’une d’elles et en faire état comme équivalent à un commencement de preuve par écrit. »

En tout état de cause, c’est au juge, dit le texte, d’apprécier souverainement s’il y a lieu de considérer comme équivalent à un commencement de preuve par écrit les déclarations faites par une partie lors de sa comparution personnelle, son refus de répondre ou son absence à la comparution.

ii. Les éléments de preuve valant commencement de preuve par écrit dérogeant à la condition tenant à l’origine de l’écrit

Si, en principe, pour valoir commencement de preuve par écrit l’élément de preuve produit doit émaner de la partie à laquelle on l’oppose, l’article 1362, al. 3e du Code civil assortit la règle d’une exception.

Cette disposition prévoit, en effet, que « la mention d’un écrit authentique ou sous signature privée sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. »

La règle déroge ici aux conditions du commencement de preuve par écrit en ce que le registre susceptible d’être produit comme élément de preuve émane d’un tiers (l’autorité publique qui tient le registre) et non de la partie à laquelle il est opposé.

À la différence de la précédente dérogation, cette règle ne figurait pas dans l’ancien article 1347 du Code civil. Il s’agit là d’une création de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve.

Si l’on se réfère au rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance, cette création vise à alléger « les conditions dans lesquelles la transcription d’un acte sur les registres publics peut servir de commencement de preuve par écrit. »

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1336 du Code civil prévoyait, pour mémoire, que pour que la transcription d’un acte sur les registres publics puisse servir de commencement de preuve par écrit, il fallait que deux conditions cumulatives soient réunies :

  • Qu’il soit constant que toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, soient perdues, ou que l’on prouve que la perte de la minute de cet acte a été faite par un accident particulier ;
  • Qu’il existe un répertoire en règle du notaire, qui constate que l’acte a été fait à la même date.

Aujourd’hui, ces deux conditions n’ont plus cours. Il suffit que le registre produit soit public pour que les mentions qui y figurent vaillent commencement de preuve par écrit.

2. La corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve

Pour qu’un commencement de preuve par écrit soit recevable à faire la preuve d’un acte juridique il doit nécessairement, dit l’article 1361 du Code civil, être « corroboré par un autre moyen de preuve ».

Ainsi, un commencement de preuve par écrit ne suffit pas à lui seul à faire la preuve d’un acte juridique. C’est là ce qui le distingue fondamentalement des autres modes de preuve parfaits qui, quant à eux, ne requiert l’addition d’aucun autre moyen de preuve pour que le fait allégué soit réputé établi.

En somme, comme souligné par un auteur « le commencement de preuve par écrit ne prouve pas le fait contesté. Il rend seulement admissible d’autres modes de preuve dans un domaine où, à son défaut, ils auraient été irrecevables »[15].

La Cour de cassation rappelle régulièrement cette impuissance du commencement de preuve par écrit à faire la preuve d’un acte juridique lorsqu’il n’est pas corroboré par un autre moyen de preuve (V. par exemple Cass. com. 31 mai 1994, n°92-10.795 ; Cass. 1ère civ. 28 févr. 1995, n°92-19.097).

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quels sont les « autres moyens de preuve » admis à compléter un commencement de preuve par écrit.

À l’analyse, le moyen de preuve complémentaire produit doit répondre à deux exigences :

  • Consister en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil
  • Présenter un caractère extrinsèque

==>Un mode de preuve reconnu par le Code civil

L’article 1361 du Code civil exige donc que le commencement de preuve par écrit soit complété par un « autre moyen de preuve ».

Par « autre moyen de preuve », il faut comprendre ceux énoncés sous le chapitre consacré aux « différents modes de preuve ».

Pour mémoire, sont reconnus par le Code civil comme mode de preuve pouvant être produit en justice :

  • L’écrit (art. 1363 à 1380 C. civ.)
  • Le témoignage (art. 1382 C. civ.)
  • Les présomptions judiciaires (art. 1381 C. civ.)
  • L’aveu (art. 1383 à 1383-2 C. civ.)
  • Le serment (art. 1384 à 1386-1 C. civ.)

Parmi ces modes de preuves, il y a lieu d’ores et déjà d’exclure ceux qui sont parfaits, compte tenu de ce qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Ils rendent dès lors inutile le recours au mécanisme du commencement de preuve par écrit pour le plaideur qui serait en mesure de se prévaloir de l’un d’eux, au nombre desquels figurent, pour rappel, l’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.

Il s’en déduit que les autres moyens de preuve admis à compléter un commencement de preuve par écrit ne sont autres que les modes de preuve imparfaits, soit :

  • Le témoignage
  • Les présomptions judiciaires
  • L’aveu extrajudiciaire
  • Le serment supplétoire

N’importe lequel parmi ces modes de preuve est ainsi recevable à corroborer un commencement de preuve par écrit.

Dès lors que l’un de ces moyens de preuve est produit par le plaideur dans ce cadre, le juge ne saurait subordonner la preuve de l’acte juridique litigieux à la satisfaction d’une autre condition (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a, par ailleurs, rappelé que c’est aux juges du fond qu’il revient d’apprécier « souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit » (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n°02-13.395).

C’est, autrement dit, à lui seul de dire si la condition tenant à l’exigence de corroboration du commencement de preuve par écrit par un autre moyen de preuve est remplie.

À l’inverse, il incombe aux parties de se prévaloir de l’exception tirée d’un commencement de preuve par écrit. Le juge ne dispose pas du pouvoir de relever ce moyen d’office (Cass. 3e civ. 5 juill. 2011, n°08-12.689). Il est seulement tenu de prendre en compte le commencement de preuve par écrit, à tout le moins de vérifier que ses conditions de recevabilité sont satisfaites.

==>Un mode de preuve présentant un caractère extrinsèque

Pour qu’un élément de preuve soit admis à compléter un commencement de preuve par écrit, il ne suffit pas qu’il consiste en l’un des modes de preuve reconnus par le Code civil, il faut encore qu’il présente un caractère extrinsèque.

Cette exigence avait été formulée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016.

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation avait, par exemple, affirmé, au visa de l’ancien article 1347 du Code civil, que « pour compléter un commencement de preuve par écrit, le juge doit se fonder sur un élément extrinsèque a ce document » (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-10.431).

Bien que l’exigence d’extériorité de l’élément de preuve produit en complément d’un commencement de preuve par écrit ne soit pas exprimée explicitement par les nouveaux textes, les auteurs s’accordent à dire qu’elle s’infère de la formule « autre moyen de preuve » que l’on retrouve à l’article 1361 du Code civil.

L’exigence d’origine jurisprudentielle serait donc maintenue, ce qui conduit dès lors à se poser la question de savoir ce qu’il faut entendre par « un élément de preuve extrinsèque ».

Deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche matérielle
    • Selon cette approche, l’élément de preuve produit en complément du commencement de preuve par écrit doit être matériellement distinct de lui.
    • Autrement dit, il ne saurait être recherché dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit ; l’élément de preuve complémentaire doit lui être totalement extérieur
    • Un même document ne saurait ainsi servir à la fois de commencement de preuve par écrit et d’élément de preuve complémentaire.
  • L’approche intellectuelle
    • Selon cette approche, il n’est pas nécessaire que l’élément invoqué en complément du commencement de preuve par écrit, soit matériellement distinct de lui.
    • Il peut donc parfaitement être contenu dans l’instrumentum servant de commencement de preuve par écrit, pourvu néanmoins qu’il n’émane pas de l’auteur de cet instrumentum
    • Il pourrait, par exemple, s’agir d’une mention ou d’une signature ajoutée par une personne autre que celle qui a établi le commencement de preuve par écrit produit.

Entre ces deux approches, la Cour de cassation semble avoir opté pour la seconde.

Dans un arrêt du 8 octobre 2014, elle a, en effet, considéré que des signatures apposées par des témoins sur un écrit constatant une reconnaissance de dette pouvaient constituer des éléments extrinsèques à l’acte, alors même qu’elles figuraient sur le même support que le commencement de preuve par écrit qu’elles venaient corroborer (Cass. 1ère civ. 8 oct. 2014, n°13-21.776).

À l’analyse, les éléments de preuve extérieurs au commencement de preuve par écrit peuvent être d’une grande variété.

Ces éléments pourront notamment consister en des témoignages ou des présomptions (Cass. 1ère civ. 24 mai 2017, n°16-14.128).

Il pourra également s’agit d’un aveu-extrajudiciaire qui, pour mémoire, consiste en une déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n° 00-15.834).

Dans un arrêt du 22 juillet 1975, la Cour de cassation a encore admis qu’un acte d’exécution puisse constituer un élément de preuve venant compléter un commencement de preuve par écrit (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1975, n°74-12.425).

De façon générale, tout indice pourra être retenu par le juge pour valoir élément de preuve complétant le commencement de preuve par écrit produit.

Il pourra, par exemple, s’agir d’une clause ou d’une énonciation contenue dans un acte (Cass. com. 5 mai, n°2004, n°02-11.574), peu importe qu’il soit nul (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1965).

Il pourra également s’agir de tout indice tiré du comportement d’une partie au cours de l’instance (Cass. 1ère civ. 23 janv. 1996, n°94-12.931) ou encore de la qualité de l’auteur du commencement de preuve par écrit produit aux débats (Cass. com., 22 juin 1999, n°97-12.839).

B) Les modes de preuve parfaits

En application de l’article 1361 du Code civil, il peut être suppléé à l’écrit :

  • Soit par l’aveu judiciaire
  • Soit par le serment décisoire

Ces deux moyens de preuve appartiennent à la catégorie des modes de preuve parfaits.

Aussi, présentent-ils une double spécificité :

  • En premier lieu, ils sont admis en toutes matières, soit pour faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques peu importe le montant de ces deniers
  • En second lieu, ils s’imposent au juge en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonnera à vérifier que le moyen de preuve qui lui est soumis répond aux exigences légales.

En l’absence d’écrit pour faire la preuve d’un acte juridique, les plaideurs ont ainsi la faculté de recourir à un mode de preuve parfait, étant précisé qu’il n’existe aucune hiérarchie entre ces derniers (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 28 janv. 1981, 79-17.501).

Sous réserve que les conditions d’admission du mode de preuve parfait soient réunies, le juge n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve de l’acte juridique litigieux soit rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire.

III) L’aménagement conventionnel de l’exigence d’écrit

Les articles 1358 et 1359 du Code civil énoncent des règles qui ne sont pas d’ordre public, de sorte que les parties peuvent y déroger par convention contraire.

Bien que l’on se soit, un temps, posé la question de la licéité des conventions sur la preuve, elles ont finalement été admises par la jurisprudence.

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles de preuve.

À cet égard, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la licéité des conventions visant à déterminer contractuellement quels seront les modes de preuves admis pour faire la preuve d’un droit ou d’une obligation.

Pour la Haute juridiction, les parties sont libres, tant d’étendre les modes de preuve admissibles (Cass. req. 6 janv. 1936) ; que de les restreindre (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1995, n°92-18.013).

Il s’en déduit que les parties peuvent parfaitement prévoir contractuellement que la preuve de l’acte juridique conclu entre elles pourra se faire par tous moyens.

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles de preuve n’est toutefois pas sans limites ; elle se heurte, en particulier, aux dispositions d’ordre public que l’on retrouve notamment en droit de la consommation.

Dans ce domaine, il est notamment interdit au professionnel de restreindre les modes de preuve admis à prouver l’acte juridique conclu avec un consommateur.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°15. ?
  3. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1834, p. 1910 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1182, p. 1054. ?
  5. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  6. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  7. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  8. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  9. J. bentham, Traité des preuves judiciaires, éd. Bossange, 1823, t. 1, p. 249 ?
  10. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1148, p. 1030. ?
  11. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1146, p. 1029. ?
  12. G. Lardeux, Preuve : mode de preuve, Dalloz, Rép. de Droit Civil. n°64-65 ?
  13. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°606, p.577 ?
  14. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1792, p. 616 ?
  15. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°604-1, p.573 ?