Les groupes de contrats: régime (chaînes de contrats et ensembles contractuels)

En vertu de l’effet relatif, chaque contrat doit, en principe, être regardé comme autonome de sorte qu’il ne peut produire d’effet sur les autres contrats.

Quid néanmoins, de l’hypothèse où, par exemple, un même bien fait l’objet de plusieurs contrats de vente successifs ? Le vendeur initial doit-il être regardé comme un véritable tiers pour le sous-acquéreur ? Ou peut-on estimer qu’existe un lien contractuel indirect entre eux ?

C’est toute la question de l’application du principe de l’effet relatif dans les groupes de contrats.

Deux groupes de contrats doivent être distingués :

  • Les ensembles contractuels
    • Ils regroupent des contrats qui concourent à la réalisation d’une même opération
  • Les chaînes de contrats
    • Elles regroupent des contrats qui portent sur un même objet

1. Les ensembles contractuels

Les ensembles contractuels se rencontrent lorsqu’une opération économique suppose, pour sa réalisation, la conclusion de plusieurs contrats.

La question qui alors se pose est de savoir si l’anéantissement de l’un des contrats est susceptible d’affecter l’existence des autres contrats ?

Schématiquement, deux approches peuvent être envisagées :

  • L’approche stricte
    • Au nom d’une application stricte du principe de l’effet relatif, chaque contrat de l’ensemble ne devrait produire d’effets qu’à l’égard de ses contractants
    • Le sort de chacun des contrats ne devrait, en conséquence, être déterminé que par son propre contenu et non par les exceptions ou causes d’extinction susceptibles d’affecter les autres.
  • L’approche souple
    • Elle consiste à considérer que de la création d’un ensemble contractuel naît un lien d’indivisibilité entre les contrats, de sorte qu’ils seraient interdépendants
    • En raison de cette interdépendance, le sort des uns serait alors lié au sort des autres.

Après s’être arc-boutés sur une position pour le moins orthodoxe pendant des années, les tribunaux ont finalement opté pour l’approche souple. Ce mouvement ne s’est cependant pas opéré sans tâtonnements.

L’ordonnance du 10 février 2016 est venue parachever cette lente évolution jurisprudentielle.

a. L’évolution de la jurisprudence

La position de la jurisprudence sur les ensembles contractuels a radicalement changé après l’adoption de la loi n°78-22 du 10 janvier 1978 relative à l’information et à la protection des consommateurs dans le domaine de certaines opérations de crédit.

a.1 La rigueur de la position retenue par la jurisprudence avant la loi du 10 janvier 1978

Pendant longtemps, la jurisprudence a refusé de reconnaître l’existence d’un lien d’indivisibilité entre contrats conclus en vue de la réalisation d’une même opération économique.

Pour la Cour de cassation, dès lors qu’un contrat a été conclu distinctement d’un ou plusieurs autres actes, il jouit, en application du principe de l’effet relatif, d’une autonomie propre. Son sort ne saurait, en conséquence, être lié à d’autres contrats, nonobstant leur appartenance respective à un même ensemble contractuel.

La cour de cassation a notamment fait application de cette position dans un arrêt du 21 mars 1972 (Cass. com. 21 mars 1972, n°70-12.836)

Dans cette décision elle a estimé que la nullité de deux contrats de vente conclus par une société qui souhaitait acquérir des semi-remorques était insusceptible de fonder l’anéantissement du contrat de prêt, souscrit corrélativement par l’acheteur pour financer l’opération.

Pour la chambre commerciale, quand bien même l’annulation du contrat principal faisait perdre au contrat de financement toute son utilité, cela était sans effet sur sa validité, de sorte qu’il devait, malgré tout, être maintenu.

Pour que l’interdépendance entre ces deux contrats soit admise, cela supposait donc que les parties aient expressément stipulé, dans le contrat de prêt, que l’emprunt était destiné à financer l’opération principale.

Cass. com. 21 mars 1972

Sur le premier moyen : attendu que, selon les énonciations de l’arrêt attaque, la société Venassier passa commande a x… de deux semi-remorques à construire à partir de châssis nus ;

Que ladite société sollicita deux prêts, que lui accorda la société crédit industriel et financier (CIFA) pour financer ces deux acquisitions ;

Que le CIFA remit le montant de ces prêts, non pas au vendeur, mais a l’acquéreur, société Venassier ;

Que celle-ci fut peu après déclarée en état de règlement judiciaire ;

Que x…, n’ayant jamais reçu de quiconque le prix des deux semi-remorques vendues, ne les livra pas ;

Attendu qu’il est reproche à la cour d’appel d’avoir refusé de déclarer nuls les gages pris par le CIFA sur les véhicules, et d’avoir condamne x… a remettre ceux-ci à cet établissement financier qui se les verrait attribuer, dans la limite de ses créances, après évaluation a dire d’expert, sans répondre, selon le pourvoi, aux conclusions dudit x… faisant valoir que les ventes des deux véhicules et les contrats de financement les concernant étaient atteints de nullité d’ordre public pour avoir été conclus en infraction aux dispositions de la législation sur les ventes a crédit relatives à la délivrance par le vendeur a l’acquéreur d’une attestation conforme a la réglementation en vigueur ;

Mais attendu qu’après avoir, a bon droit, énonce que le contrat de prêt en vue de financer l’acquisition d’un véhicule automobile est distinct du contrat de vente, la cour d’appel, qui a considéré qu’en l’espèce le CIFA avait ignoré la nullité des ventes alléguées par x…, a déclaré que ce dernier était d’autant moins fondé dans ses prétentions que le CIFA n’avait pu inscrire son gage que grâce aux documents régulièrement établis et transmis par lui ;

Qu’ainsi, abstraction faite du motif erroné mais surabondant tire de l’absence de sanction civile frappant l’infraction aux règles concernant le plafond des prêts dans les ventes a crédit, l’arrêt a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;

Que le moyen n’est donc pas fondé ;

Jugeant la jurisprudence de la Cour de cassation dangereuse, le législateur est intervenu le 10 janvier 1978 pour y mettre un terme.

Pour ce faire, il a institué à l’ancien article L. 311-20, devenu L. 312-48 du Code de la consommation, la règle selon laquelle les obligations de l’emprunteur ne prennent effet qu’à compter de l’exécution complète de la fourniture de biens ou services convenue au titre d’un contrat principal.

La portée de cette règle était, cependant, pour le moins restreinte. Elle n’avait été envisagée que pour les seuls crédits à la consommation.

Très vite les juridictions ont toutefois cherché à s’émanciper de cette restriction en faisait application du concept d’interdépendance contractuelle au-delà de la sphère du droit de la consommation.

a.2 L’assouplissement de la position retenue par la jurisprudence après la loi du 10 janvier 1978

Après l’adoption de la loi du 10 janvier 1978, les tribunaux se sont donc mis en quête d’une solution juridique pour lier le sort de plusieurs contrats distincts conclus en vue de la réalisation d’une même opération économique.

La première chose qui leur fallait trouver pour y parvenir était un fondement juridique sur lequel asseoir le concept d’indivisibilité contractuelle.

Dans le même temps la question des critères et des effets de l’indivisibilité s’est posé au juge, ce qui a donné lieu à de nombreuses hésitations jurisprudentielles.

i. La recherche d’un fondement au concept d’indivisibilité contractuelle

Aux fins de justifier l’existence d’une indivisibilité ou interdépendance entre plusieurs contrats ayant concouru à la réalisation d’une même opération, plusieurs fondements juridiques ont été envisagés par la Cour de cassation.

?La règle de l’accessoire

  • Exposé du fondement
    • Selon l’adage latin accessorium sequitur principal, devenu principe général du droit, l’accessoire suit le principal.
    • Cela signifie que l’on va regrouper différents actes ou faits juridiques autour d’un principal en leur appliquant à tous les régimes juridiques applicables à l’élément prépondérant.
    • Appliquée à des contrats interdépendants, cette règle permet de considérer que dans l’hypothèse où le contrat principal disparaîtrait, il s’ensuit un anéantissement des contrats conclus à titre accessoire
    • Tel est le fondement qui a été retenu par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 avril. 1987 (Cass. com. 7 avr. 1987, n°84-16.254).
  • Critique du fondement
    • L’inconvénient de la règle de l’accessoire est qu’elle ne permet de rendre compte de la notion d’indivisibilité que pour moitié
    • L’indivisibilité suggère, en effet, que le lien d’interdépendance qui unit plusieurs contrats est à double sens, soit qu’existe une certaine réciprocité entre contrats quant aux effets qu’ils produisent les uns sur les autres
    • La règle de l’accessoire ne permet pas d’envisager cette réciprocité.
    • L’anéantissement de l’un des contrats n’est susceptible de se répercuter sur les autres qu’à la condition que le fait générateur de cet anéantissement réside dans le contrat principal.
    • Dans l’hypothèse où c’est un contrat accessoire qui serait touché en premier, cela serait sans effet sur le contrat principal.
    • Ainsi, la règle de l’accessoire est-elle à sens unique.
    • Sans doute est-ce la raison pour laquelle cette règle n’a pas été retenue par la jurisprudence comme fondement de la notion d’indivisibilité.

Cass. com. 7 avr. 1987

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Paris, 9 mai 1984) que l’Etablissement national des invalides de la marine (ENIM) a été admis au passif du règlement judiciaire de la société Compagnie de navigation fruitière et de la Société navale de transports de conteneurs, converti ensuite en liquidation des biens, pour une somme de 4 198 680,12 francs au titre du privilège spécial sur les navires prévus par l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967, en raison des cotisations qui lui restaient dues, que la société Scheepshypotheebank et la société nationale Nederlanden Scheepshypotheebank (les banques), créancières des deux sociétés en liquidation des biens, ont formé une réclamation en contestant le privilège de l’ENIM ;

Attendu que les banques font grief à l’arrêt d’avoir déclaré que les créances de cotisations sociales de l’ENIM sont privilégiées par application de l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 alors, selon le pourvoi, que, d’une part, il résulte des dispositions conjuguées des articles 31-3° et 36 de la loi du 3 janvier 1967, et les privilèges étant de droit étroit, que l’ENIM ne saurait invoquer le privilège défini par l’article 31-3° de la loi, violé par conséquent par la cour d’appel ; alors que, d’autre part, si l’ENIM pouvait invoquer ce privilège, celui-ci ne pourrait jouer pour les cotisations de la Caisse de prévoyance, la cour d’appel n’ayant pu dire le contraire sans violer l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 et l’article 41 du décret n° 68-292 du 21 mars 1968 ;

Mais attendu que c’est à bon droit que l’arrêt déclare qu’il existe entre le contrat d’engagement et les cotisations sociales un rapport étroit et nécessaire de cause à effet tel que ces cotisations, comme les autres créances résultant du contrat d’engagement, bénéficient du privilège établi par les dispositions de l’article 31-3° de la loi du 3 janvier 1967 ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?La notion de condition

  • Exposé du fondement
    • Dans des arrêts Sedri du 4 avril 1995, la Cour de cassation a justifié l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats en considérant qu’ils constituaient les uns pour les autres « une condition de leur existence » (Cass. com. 4 avr. 1995, n°93-14.585 et 93-15.671).
    • Autrement dit, l’efficacité de chaque contrat serait subordonnée à la réalisation d’une condition suspensive laquelle consisterait en l’exécution complète des autres actes.
  • Critique du fondement
    • La principale critique que l’on peut formuler à l’encontre de ce fondement est que, là encore, la notion de condition ne permet pas de rendre compte du lien d’indivisibilité qui se noue entre contrats interdépendants.
    • Conformément à l’article 1304 du Code civil « l’obligation est conditionnelle lorsqu’elle dépend d’un événement futur et incertain »
    • Selon cette définition, la condition s’apparente donc à un événement extérieur au contrat.
    • Tel n’est cependant pas le cas de l’indivisibilité qui consiste toujours en un lien qui unit plusieurs actes.
    • Or, l’existence de ce lien procède de leurs contenus respectifs et non de la réalisation d’un événement qui leur serait extérieur.
    • Au surplus, tandis que l’absence de réalisation d’une condition affecte seulement la formation du contrat, l’établissement d’une indivisibilité lie le sort des contrats, tant au niveau de leur formation qu’au niveau de leur exécution.
    • Pour toutes ces raisons, les notions de condition et d’indivisibilité ne se confondent pas.

?La notion d’obligation indivisible

  • Exposé du fondement
    • Dans certaines décisions, la Cour de cassation a cherché à justifier l’existence d’une indivisibilité contractuelle en se fondant sur la notion d’obligation indivisible.
    • La Cour de cassation s’est notamment prononcée en ce sens dans un arrêt du 13 mars 2008 où elle vise expressément l’ancien article 1218 du Code civil, siège de l’obligation indivisible (Cass. 1ère civ. 13 mars 2008, n°06-19.339).
  • Critique du fondement
    • L’inconvénient du choix de ce fondement est qu’il repose sur une confusion entre les notions d’obligation indivisible et d’indivisibilité contractuelle
      • L’obligation indivisible est celle qui comporte plusieurs débiteurs ou créanciers.
      • L’indivisibilité contractuelle consiste, quant à elle, en l’existence de liens qui créent une interdépendance entre plusieurs contrats
    • La notion d’obligation indivisible apparait de la sorte inadéquate pour rendre compte du phénomène de l’indivisibilité contractuelle.

?La notion de cause

  • Exposé du fondement
    • Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a fondé l’existence d’une invisibilité sur la notion de cause.
    • Pour ce faire, elle a estimé que la cause d’un contrat appartenant à un ensemble contractuel résidait dans la conclusion des autres contrats auquel il était lié.
    • L’anéantissement de d’un acte de l’ensemble emporterait dès lors disparition de la cause des autres et réciproquement.
    • Telle a notamment été la solution retenue par la troisième chambre civile qui, dans un arrêt du 3 mars 1993, a approuvé une Cour d’appel pour avoir décidé que « la vente du terrain sur lequel était bâtie l’usine, pour le prix d’un franc, était une condition de réalisation de l’opération, cette vente ne pouvant être dissociée de celle des bâtiments et de la reprise des dettes de la société X… par la société Cerinco, l’ensemble concernant la vente de l’entreprise de briqueterie formant un tout indivisible, et que cette vente permettant l’apurement des dettes et la poursuite de l’activité, M. X… avait grand intérêt à sa réalisation, tant à titre personnel pour éviter les poursuites de ses créanciers, qu’à titre d’actionnaire de la société X… dont il détenait avec son épouse près de la moitié des parts sociales, la cour d’appel a pu en déduire que dans le cadre de l’économie générale du contrat, la vente du terrain était causée et avait une contrepartie réelle » (Cass. 3e cvi. 3 mars 1993, n°91-15.613)
    • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 1er juillet 1997 où la Cour de cassation valide l’anéantissement en cascade de deux contrats, après avoir relevé que « les deux actes de vente et de prêt, qui avaient été passés le même jour par-devant le même notaire, étaient intimement liés, et en a déduit que les parties avaient entendu subordonner l’existence du prêt à la réalisation de la vente en vue de laquelle il avait été conclu, de sorte que les deux contrats répondaient à une cause unique » (Cass. 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-15.642)
    • Plus récemment, la Cour de cassation a, dans une décision du 15 février 2000, jugé s’agissant d’une opération de crédit-bail que « le crédit-bailleur était informé que le matériel pris à bail était destiné à être exploité par la société de publicité, qu’en tant que de besoin le crédit-bailleur autorisait cette exploitation, qu’il s’agissait d’un matériel très spécifique et que la seule cause du contrat de crédit-bail était constituée par le contrat de prestations d’images, ce dont il déduit que les deux contrats étaient interdépendants et, par suite, que l’exploitation devenant impossible du fait de la défaillance de la société de publicité, la résiliation du contrat de crédit-bail devait être prononcée » (Cass. com. 25 févr. 2000, n°97-19.793).
  • Critique du fondement
    • Le recours à la notion de cause pour justifier l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats n’a pas fait l’unanimité en doctrine.
    • Le principal reproche formulé à l’encontre de cette solution consiste à dire que la cause, au sens de l’ancien article 1131 du Code civil, doit être entendue objectivement.
    • Selon cette approche, la cause représente les motifs les plus proches qui ont animé les parties au moment de la formation du contrat, soit plus exactement la contrepartie pour laquelle elles se sont engagées
    • Aussi, cette conception est-elle incompatible avec la notion de d’indivisibilité.
    • La justification de l’existence d’une indivisibilité contractuelle au moyen de la notion de cause supposerait en effet que l’on admette qu’elle puisse être recherchée dans des motifs extrinsèques à l’acte : la conclusion d’un second contrat.
    • Selon l’approche objective, la cause de l’engagement des parties réside toutefois dans un élément qui doit nécessairement avoir été intégré dans le champ contractuel.
    • D’où la réticence de certains auteurs à fonder l’anéantissement en cascade de contrats qui appartiennent à un même ensemble sur la notion de cause.

ii. La recherche des critères du concept d’indivisibilité contractuelle

?Exposé des approches objectives et subjectives

Deux approches de la notion d’indivisibilité ont été envisagées par la jurisprudence : l’une objective, l’autre subjective :

  • L’approche subjective
    • Selon cette approche, l’indivisibilité contractuelle trouverait sa source dans la seule volonté des parties.
    • Cela signifie que pour établir l’existence d’une invisibilité entre plusieurs contrats, cela suppose de déterminer si les contractants ont voulu cette indivisibilité.
    • Si tel n’est pas le cas, quand bien même les contrats en cause auraient concouru à la réalisation d’une même opération économique, ils ne pourront pas être regardés comme formant un ensemble contractuel indivisible.
  • L’approche objective
    • Selon cette approche, l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats doit être appréciée, non pas au regard de la volonté des parties, mais en considération de la convergence de l’objet de chaque contrat
    • Autrement dit, peu importe que les contractants n’aient pas voulu rendre les contrats auxquels ils sont partie interdépendants.
    • L’indivisibilité desdits contrats est établie dès lors qu’ils participent à la réalisation d’une même opération économique.

?L’absence de position arrêtée de la jurisprudence

L’incertitude quant à l’adoption de l’approche subjective ou objective de l’indivisibilité résulte des arrêts Sedri rendu, le même jour, soit le 4 avril 1995 par la chambre commerciale.

Les arrêts Sédri
  • Premier arrêt Sedri
    • Dans ce premier arrêt, la Cour de cassation approuve une Cour d’appel pour avoir « fondé sa décision relative à l’indivisibilité des conventions sur la considération de chacune d’entre elles par les parties comme une condition de l’existence des autres et non pas sur la nature spécifique de l’objet loué par rapport aux utilisations envisagées » (Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-14.585 et n° 93-15.671).
    • Ainsi, la haute juridiction retient-elle une approche subjective de la notion d’indivisibilité.
    • Elle s’attache à rechercher l’intention des parties, lesquelles avait, en l’espèce, voulu rendre les contrats indivisibles.
  • Second arrêt Sedri
    • Dans cette décision, bien que rendue le même jour que le précédent arrêt, la Cour de cassation adopte une approche radicalement différente de la notion d’indivisibilité.
    • Elle approuve une Cour d’appel pour avoir déduit l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats après avoir seulement relevé que « les matériels et logiciels ne pouvaient avoir, sans modifications substantielles, d’autre usage que la communication par le réseau Sedri, que cette spécificité était connue de la société bailleresse et que celle-ci avait participé à l’élaboration de l’ensemble complexe ayant pour objet la mise en place et le financement du système de communication » (Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029).
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, c’est parce que les contrats concourraient à la réalisation d’une même opération économique qu’ils devaient être regardés comme indivisibles.
    • La haute juridiction ne semble pas vouloir faire, en l’espèce, de la volonté des parties le critère de l’indivisibilité.
    • Seule importe l’économie générale de l’ensemble contractuel soumis à son examen.

Cass. com., 4 avr. 1995, n° 93-20.029

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 30 juin 1993), que M. X… a conclu avec la société V Conseil application (société V Conseil) un contrat lui donnant accès, par l’intermédiaire d’un matériel et d’un logiciel spécifiques, au réseau télématique de la Société d’études, de développements et de recherches industrielles (société Sedri) en vue de la diffusion d’images d’information et de publicité dans son magasin ; que, pour le financement du matériel et du logiciel, sur proposition du représentant de la société V Conseil, M. X… a souscrit un projet de contrat de location auprès de la Compagnie générale de location (société CGL), laquelle a ensuite donné son acceptation, avec la garantie d’une assurance à la charge de la société Sedri pour le cas de dommages au matériel ou d’interruption dans le paiement des loyers par le locataire ; que la prise en charge des loyers par la société Sedri a été proposée à M. X… en contrepartie de la cession de droits sur certaines images publicitaires le concernant ; qu’en août et septembre 1990, la société Sedri, la société V Conseil et la compagnie d’assurances garantissant la société CGL ont été mises en liquidations judiciaires, à la suite desquelles la diffusion des images sur le réseau a été interrompue et la résiliation des contrats de prestations de services a été notifiée aux commerçants abonnés par le mandataire de justice représentant les sociétés ; que la société CGL a réclamé à M. X… la poursuite du règlement des loyers ;

Sur le premier et le second moyens, réunis, chacun étant pris en ses deux branches :

Attendu que la société CGL fait grief à l’arrêt d’avoir décidé que la cessation des services promis par la société Sedri entraînait résiliation du contrat de location du matériel et du logiciel, alors, selon le pourvoi, d’une part, que, devant la cour d’appel, le commerçant invoquait une indivisibilité objective liant le contrat de location du matériel télématique conclu entre la CGL et le commerçant, et le contrat d’adhésion souscrit par le commerçant auprès du centre serveur Sedri ; que la CGL, à l’inverse, faisait valoir l’absence de lien entre ces contrats ; qu’après avoir relevé qu’il n’existait pas d’indivisibilité subjective entre ces contrats, la cour d’appel a jugé qu’il existait en revanche, entre ceux-ci, des liens tels que la résiliation de l’un entraînait la résiliation de l’autre ; qu’en statuant ainsi, sans caractériser en quoi ces deux contrats auraient été liés par l’identité de leur objet ou par un rapport de dépendance juridique nécessaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134, alinéa 1er, et 1184 du Code civil ; alors, d’autre part, qu’elle a, ainsi, également privé sa décision de base légale au regard de l’article 1165 du Code civil ; alors, en outre, que l’obligation d’assurer la maintenance incombait non pas au loueur mais au locataire ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, qu’en toute hypothèse, l’obligation de maintenance porte sur l’entretien du matériel loué et non sur la fourniture des images délivrées par le centre serveur ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt relève que les matériels et logiciels ne pouvaient avoir, sans modifications substantielles, d’autre usage que la communication par le réseau Sedri, que cette spécificité était connue de la société bailleresse et que celle-ci avait participé à l’élaboration de l’ensemble complexe ayant pour objet la mise en place et le financement du système de communication ; qu’en déduisant de ces constatations l’indivisibilité entre les contrats souscrits par M. X… tant avec la société V Conseil et la société Sedri qu’avec la société CGL, la cour d’appel a légalement justifié sa décision, indépendamment des motifs critiqués par le second moyen qui sont surabondants ; que les moyens ne peuvent donc être accueillis en aucune de leurs branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

Après les arrêts Sedri, l’incertitude quant à au critère de l’indivisibilité était de mise : quelle conception devait-on retenir ?

?L’adoption de l’approche objective

Dans une décision du 13 février 2007, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel pour avoir décidé que « les quatre contrats litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l’acquisition de ces licences par la société Faurecia n’ayant aucune raison d’être si le contrat de mise en œuvre n’était pas exécuté, la cour d’appel n’avait pas à relever que la société Oracle en était informée, dès lors que cette société avait elle-même conclu les quatre contrats concernés » (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Dans un arrêt du 15 février 2015, la Cour de cassation a semblé abonder dans le même sens en décidant qu’une clause de divisibilité des contrats devait être réputée non-écrite, dès lors qu’elle contrevenait à l’économie générale du contrat (Cass. com., 15 févr. 2000, n°97-19.793).

Dans cette décision, la chambre commerciale fait ainsi primer, l’existence d’une interdépendance objective des actes en cause sur la volonté des parties.

On en a alors déduit que les contractants ne pouvaient pas écarter l’indivisibilité contractuelle par le jeu de leur seule volonté.

Cette solution a été réitérée par la chambre commerciale à plusieurs reprises.

Dans un arrêt du 23 octobre 2007 elle reproche encore à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « s’il existait une indivisibilité entre les contrats de location et les contrats de prestation de services, au regard de l’économie générale de l’opération pour laquelle ces deux contrats avaient été conclus et si, en conséquence, le texte de la clause n’était pas en contradiction avec la finalité de cette opération, telle que résultant de la commune intention des parties » (Cass. com., 23 oct. 2007, n°06-19.976).

Cass. com., 13 févr. 2007

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société Oracle :

Attendu que la société Oracle fait grief à l’arrêt d’avoir prononcé la résolution partielle du contrat de licences et la résiliation du contrat de formation en date du 29 mai 1998 aux torts de la société Oracle, constaté la résiliation des contrats de maintenance et de mise en oeuvre, et condamné en conséquence la société Oracle, d’une part, à garantir la société Faurecia de la condamnation de cette dernière à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus à compter du 1er mars 2002, d’autre part, à payer à la société Franfinance la somme de 3 381 566,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2001 et capitalisation des intérêts échus à compter du 11 janvier 2005, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu qu’ayant retenu que les quatre contrats litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n’avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l’acquisition de ces licences par la société Faurecia n’ayant aucune raison d’être si le contrat de mise en oeuvre n’était pas exécuté, la cour d’appel n’avait pas à relever que la société Oracle en était informée, dès lors que cette société avait elle-même conclu les quatre contrats concernés ; qu’ainsi l’arrêt n’encourt aucun des griefs formulés au moyen ; que ce dernier n’est pas fondé ;

?L’adoption de l’approche subjective

À l’inverse des décisions précédemment évoquées, dans un arrêt remarqué du 28 octobre 2010, la première chambre civile a approuvé une Cour d’appel pour avoir refusé de retenir l’existence d’une indivisibilité contractuelle après avoir relevé que « la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre » (Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2010, n°09-68.014).

Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2010

Sur le moyen unique :

Attendu que par contrat du 27 décembre 2001, Mme X… a commandé à la société Génération Online un produit appelé « Net in Pack », comprenant, pendant une durée de 36 mois, la création d’un site internet marchand, du matériel informatique, des services internet et des services d’assistance téléphonique et de maintenance de ce matériel dont le financement a été assuré par la souscription auprès de la société Factobail, le 7 janvier 2002, d’un contrat de location financière d’une durée de 36 mois stipulant un loyer mensuel de 196, 64 euros ; qu’à la suite de la liquidation judiciaire de la société Génération Online, prononcée par jugement du 18 juin 2002, cette société a cessé d’exécuter ses obligations ; que Mme X… a alors interrompu le paiement des mensualités du contrat de location financière ; que la société Factobail l’a assignée en paiement des sommes dues jusqu’au terme de ce contrat et que Mme X… a reconventionnellement sollicité l’annulation du contrat pour absence de cause, à défaut la constatation de sa caducité du fait de la liquidation judiciaire de la société Génération Online et de l’indivisibilité de ces deux contrats ;

Attendu que Mme X… fait grief à l’arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2008), d’avoir accueilli la demande de la société Factobail et rejeté la sienne, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que la cour d’appel a constaté que le contrat de location litigieux stipulait que les produits ayant été choisis par le locataire sous sa seule responsabilité et sans la participation du loueur, ce dernier mandatait le locataire pour exercer tout recours à l’encontre du fournisseur, que le loueur serait déchargé de toute responsabilité et de toute obligation à cet égard et que l’immobilisation temporaire des produits pour quelque cause que ce soit n’entraînerait aucune diminution de loyers ni indemnité ; qu’elle en a souverainement déduit que la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre ; qu’aucun des griefs n’est donc fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Comment interpréter cette fluctuation de la position de la Cour de cassation ?

Tandis que la doctrine est pendant longtemps est demeurée partagée pendant longtemps sur cette question, ce n’est que tardivement que la Cour de cassation a finalement décidé de trancher la question.

?L’interprétation doctrinale des tergiversations de la Cour de cassation

  • Pour certains auteurs, la position de la Cour de cassation serait assise sur la distinction entre :
    • D’une part,
      • Les contrats qui n’auraient pas de fonction économique propre lorsqu’ils sont envisagés séparément.
      • Dans cette hypothèse, c’est la conception objective qui primerait.
    • D’autre part,
      • Les contrats qui rempliraient une fonction économique propre, en ce sens que, quand bien même ils seraient conclus seuls, leur exécution serait pourvue d’une utilité économique.
  • Pour d’autres d’auteurs, l’absence de position bien arrêtée de la Cour de cassation sur la question du critère de la notion d’indivisibilité résulterait d’une divergence entre :
    • La première chambre civile : favorable à l’approche subjective
    • La chambre commerciale : partisane de l’approche objective

C’est dans ce contexte que, réunie en chambre mixte, la Cour de cassation a rendu simultanément deux arrêts en date du 17 mai 2013.

?La clarification de la position de la Cour de cassation

Deux interventions ont été nécessaires à la Cour de cassation pour clarifier sa position sur l’approche à adopter s’agissant de la notion d’indivisibilité.

  • Première intervention : les arrêts du 17 mai 2013
    • Dans deux décisions rendues le 17 mai 2013, la chambre mixte de la Cour de cassation a estimé que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants » de sorte que « sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » (Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013, n°11-22.768)
    • Ces deux arrêts ont été accompagnés par un communiqué de presse par lequel la Cour de cassation explique :
      • Tout d’abord, que les deux espèces soumises portent chacune sur un ensemble de contrats comprenant un contrat de référence assorti d’un contrat de location financière nécessaire à son exécution :
        • dans un cas, le contrat de référence était une convention de partenariat pour des diffusions publicitaires
        • dans l’autre cas, le contrat de référence était un contrat de télésauvegarde informatique
      • Ensuite, que dans chaque espèce, un cocontractant unique, pivot de l’opération, s’est engagé avec deux opérateurs distincts : le prestataire de service, d’une part, le bailleur financier, d’autre part de sorte que, à chaque fois, le contrat principal a été anéanti.
        • Dans la première affaire, la cour d’appel de Paris, retenant l’interdépendance des contrats, a écarté la clause de divisibilité stipulée par les parties et a prononcé la résiliation du contrat de location.
        • Dans la seconde affaire, la cour d’appel de Lyon, statuant comme cour de renvoi après une première cassation, a écarté, au contraire, l’interdépendance des conventions.
      • La Cour de cassation vient ici préciser les éléments caractérisant l’interdépendance contractuelle, en qualifiant d’interdépendants, qualification soumise à son contrôle, les contrats concomitants ou successifs s’inscrivant dans une opération incluant une location financière.
      • Aussi, s’inspirant de la jurisprudence de la chambre commerciale, elle juge que sont réputées non écrites les clauses de divisibilité contractuelle inconciliables avec cette interdépendance.
      • La chambre mixte rejette en conséquence le pourvoi formé à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Paris et casse l’arrêt de la cour d’appel de Lyon.
    • Il peut être observé que, si ces deux arrêts retiennent indubitablement une approche objective de la notion d’indivisibilité, leur portée doit être tempérée par la précision « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière »
    • Ainsi, la Cour de cassation invite-t-elle à cantonner cette solution aux seuls ensembles contractuels au sein desquels figure un contrat de location financière.
    • Dans les autres cas, la volonté des parties semble prévaloir sur l’économie générale du contrat.

Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 6 avril 2011), que deux conventions de partenariat ont été signées, les 25 novembre 2004 et 8 avril 2005, entre la société Bar le Paris et la société Media vitrine, aux termes desquelles la seconde s’est engagée, d’une part, à installer chez la première un “réseau global de communication interactive”, par la mise en place d’un ensemble informatique et vidéo “avec un contenu interactif pour les clients et un contenu en diffusion médiatique”, contenant notamment des spots publicitaires dont la commercialisation devait assurer l’équilibre financier de l’ensemble, d’autre part, à lui verser une redevance de 900 euros hors taxes par mois, pendant une durée de quarante huit mois, la société Bar le Paris s’obligeant à garantir à la société Media vitrine l’exclusivité de l’exploitation du partenariat publicitaire, que, les 29 décembre 2004 et 4 janvier 2005, la société Leaseo, qui avait acquis de la société Cybervitrine le matériel nécessaire, a consenti à la société Bar le Paris la location de ce matériel, avec effet au 1er janvier 2005, pour une durée identique et moyennant le paiement d’un loyer mensuel de 1 000 euros hors taxes, que, le 5 janvier 2005, la société Leaseo a cédé le matériel à la société Siemens lease services, qui a apposé sa signature sur le contrat de location en qualité de bailleur substitué, que le système n’a jamais fonctionné de manière satisfaisante, que la société Siemens lease services a mis en demeure la société Bar le Paris de lui régler les loyers impayés, puis lui a notifié la résiliation du contrat faute de règlement des arriérés s’élevant à 10 166,60 euros et l’a assignée en paiement, que la société Bar le Paris a appelé en intervention forcée la société Cybervitrine et la société Techni force, anciennement dénommée la société Media vitrine, que la société Techni force et la société Cybervitrine ont été mises en liquidation judiciaire ;

Attendu que la société Siemens lease services fait grief à l’arrêt de prononcer, avec effet au 17 janvier 2007, la résiliation du contrat de partenariat, aux torts exclusifs de la société Media vitrine, ainsi que la résiliation du contrat de location, de condamner la société Bar le Paris à lui payer la somme de 3 588 euros, outre intérêts, et de rejeter le surplus de ses demandes, alors, selon le moyen, qu’hormis le cas où la loi le prévoit, il n’existe d’indivisibilité entre deux contrats juridiquement distincts que si les parties contractantes l’ont stipulée ; qu’en énonçant, à partir des éléments qu’elle énumère, que le contrat de location des 29 décembre 2004 et 4 janvier 2005 est indivisible du contrat de partenariat des 25 novembre 2004 et 8 avril 2005, quand elle constate qu’une clause du contrat de location stipule qu’il est « indépendant » du contrat de prestation de services (partenariat), la cour d’appel, qui refuse expressément d’appliquer cette clause et qui, par conséquent, ampute la convention qui la stipule de partie de son contenu, a violé les articles 1134, 1217 et 1218 du code civil, ensemble le principe de la force obligatoire des conventions ;

Mais attendu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Seconde intervention : les arrêts du 10 septembre 2015
    • Dans deux arrêts du 10 septembre 2015, la Cour de cassation a précisé sa position en s’appuyant, tant sur l’économie générale de l’opération que sur la volonté des parties
      • Dans le premier arrêt, elle a ainsi estimé que dans la mesure où « l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du code civil » (Cass. 1ère civ.10 sept. 2015, n° 14-13.658)
      • Dans le second arrêt, la première chambre civile approuve la Cour d’appel pour avoir retenu l’existence d’une indivisibilité contractuelle après avoir constaté « d’une part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur » (Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772).
    • Ainsi, la Cour de cassation combine-t-elle dans ces deux décisions les approches objectives et subjectives de l’indivisibilité de qui témoigne de sa volonté d’adopter une approche mixte de la notion.
    • Non sans hasard, la lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 nous révèle que c’est précisément cette approche de la notion d’indivisibilité qui a été retenue par le législateur.

 Cass. 1ère civ.10 sept. 2015, n° 14-13.658

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 novembre 2013), que, suivant bon de commande du 23 octobre 2008, les époux X… qui avaient fait l’acquisition, moyennant le prix de 22 600 euros, d’un toit photovoltaïque auprès de la société BSP Groupe VPF, actuellement en liquidation judiciaire, en recourant à un emprunt du même montant consenti par la société Groupe Sofemo (le prêteur), ont assigné le vendeur et le prêteur en résolution des contrats de vente et de crédit, alléguant que le matériel commandé n’avait été ni intégralement livré ni installé ;

Sur le moyen relevé d’office, après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile :

Attendu que le prêteur fait grief à l’arrêt de prononcer la résolution du contrat de crédit après avoir prononcé celle du contrat de vente, de rejeter sa demande reconventionnelle en remboursement du prêt ainsi que de le condamner à restituer aux époux X… les mensualités par eux acquittées et à procéder à leur radiation du fichier national des incidents de paiement, en se déterminant par des motifs impropres à établir l’accord du prêteur pour déroger à la clause du contrat de crédit excluant les articles L. 311-1 et suivants du code de la consommation si l’opération de crédit dépassait 21 500 euros ;

Mais attendu qu’ayant constaté que l’offre de crédit était affectée au contrat principal et avait été renseignée par le vendeur, et que le prêteur avait remis les fonds empruntés entre les mains de ce dernier, la cour d’appel a caractérisé l’existence d’une indivisibilité conventionnelle entre les contrats de vente et de prêt au sens de l’article 1218 du code civil ; que, par ce motif de pur droit, substitué au motif justement critiqué par le premier moyen, l’arrêt se trouve légalement justifié ; […]

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 février 2014), que, suivant offre préalable acceptée le 13 juin 2007, la société Financo (la banque) a consenti à M. et Mme X…un prêt d’un montant de 32 000 euros destiné à financer l’acquisition et l’installation d’une éolienne vendue par la société France éoliennes ; que ceux-ci ont assigné la banque et Mme Y…, ès qualités, aux fins de voir prononcer la résolution du contrat de vente et la caducité du contrat de prêt ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable :

Attendu que la banque fait grief à l’arrêt de constater la résolution du contrat de prêt après avoir prononcé celle du contrat de vente, alors, selon le moyen :

1°/ que sont exclus du champ d’application du chapitre relatif aux crédits à la consommation les prêts d’un montant supérieur à 21 500 euros ; que la cour d’appel a constaté que l’offre préalable de crédit n’était pas soumise aux dispositions du code de la consommation compte tenu du montant du crédit accordé ; d’où il suit qu’en décidant que la résolution du contrat principal entraînait la résolution du contrat de crédit, quand la banque rappelait cependant dans ses conclusions qu’il ne saurait y avoir lieu à résolution du contrat faute de disposition analogue en droit commun à celle du droit consumériste, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 311-3, L. 311-20 et D. 311-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable au litige ;

2°/ que la cause de l’obligation de l’emprunteur résidant dans la mise à disposition du montant du prêt, viole l’article 1131 du code civil la cour d’appel qui constate la résolution du contrat de prêt, non soumis aux articles L. 311-3, L. 311-20 et D. 311-1 du code de la consommation dans leur rédaction applicable au litige, en conséquence de la résolution du contrat principal de vente, quand bien même le prêt litigieux eût été affecté à l’achat d’un bien déterminé, dès lors qu’il n’était pas prétendu que le vendeur et le prêteur avaient agi de concert ;

Mais attendu que la cour d’appel, qui n’a pas appliqué les dispositions du code de la consommation, a fait ressortir l’indivisibilité des contrats litigieux en énonçant, d’une part, que le contrat de crédit était l’accessoire du contrat de vente auquel il était subordonné, d’autre part, que l’emprunteur avait attesté de l’exécution du contrat principal afin d’obtenir la libération des fonds par le prêteur, lequel avait mis ceux-ci à la disposition du vendeur ; qu’elle en a justement déduit que la résolution du contrat principal emportait l’anéantissement du contrat accessoire ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

iii. La détermination des effets de l’indivisibilité contractuelle

En plus de s’être interrogé sur les fondements et les critères de la notion d’indivisibilité, la jurisprudence a éprouvé un certain nombre de difficultés à en déterminer les effets ?

Plusieurs sanctions ont été envisagées en cas de reconnaissance d’une indivisibilité contractuelle :

  • La nullité
    • Telle a été la solution retenue dans un arrêt du 18 juin 1991, la chambre commerciale ayant validé la décision d’une Cour d’appel pour avoir « souverainement, estimé que les commandes émanant de cette société, bien que passées distinctement en deux lots, n’en étaient pas moins, au su de la société BP Conseils, déterminée par des considérations globales de coûts et, comme telles, indivisibles ; que, par ces seuls motifs, elle a pu décider que l’importante majoration de prix, que la société BP Conseils a tenté d’imposer à posteriori sur le dernier lot, remettait en cause les considérations communes sur le prix total et justifiait une annulation des deux commandes » (Cass. com. 18 juin 1991, n°89-18.691).
  • La résolution
    • Dans les arrêts du 10 septembre 2015, la Cour de cassation considère que la résolution de la vente emportait la résolution du contrat de prêt (Cass. 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772)
    • À l’instar de la nullité la résolution d’un acte est assortie d’un effet rétroactif, de sorte que l’anéantissement en cascade des contrats appartenant à l’ensemble donnera lieu à des restitutions.
  • La résiliation
    • Dans d’autres décisions, la Cour de cassation a retenu comme sanction de l’anéantissement du contrat principal la résiliation des actes auxquels il était lié.
    • Elle a notamment statué en ce sens dans les arrêts Sedri du 4 avril 1995.
    • Dans l’un d’eux, elle a considéré par exemple que la cessation des services promis par la société Sedri entraînait résiliation du contrat de location du matériel et du logiciel souscrit concomitamment par son cocontractant (Cass. com. 4 avr. 1995, n°93-14.585 et 93-15.671).
  • La caducité
    • Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a retenu la caducité pour sanctionner l’anéantissement d’un contrat appartenant à un ensemble.
    • Dans une décision du 1er juillet 1997 elle a décidé en ce sens que « l’annulation du contrat de vente avait entraîné la caducité du prêt » (Cass. 1ère civ. 1èr juill. 1997, n°95-15.642).
    • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 4 avril 2006 à l’occasion duquel la première chambre civile a estimé « qu’ayant souverainement retenu que les deux conventions constituaient un ensemble contractuel indivisible, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la résiliation du contrat d’exploitation avait entraîné la caducité du contrat d’approvisionnement » (Cass. 1ère civ. 4 avr. 2006, n°02-18.277l).
    • La chambre commerciale a abondé dans le même sens dans un arrêt du 5 juin 2007.
    • Dans cette décision, elle a jugé que « alors que la résiliation des contrats de location et de maintenance n’entraîne pas, lorsque ces contrats constituent un ensemble contractuel complexe et indivisible, la résolution du contrat de vente mais seulement sa caducité » (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380).

La lecture de toutes ces décisions révèle que la Cour de cassation n’a jamais vraiment eu de position bien définie sur les effets de l’indivisibilité contractuelle.

Aussi, l’intervention du législateur se faisait-elle attendre. Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016 il n’a pas manqué de se prononcer sur les effets de l’indivisibilité et plus généralement d’offrir aux ensembles contractuels le cadre juridique dont, jusqu’alors, ils étaient dépourvus.

b. L’intervention du législateur

La réforme des obligations engagée en 2016 a fourni l’occasion au législateur de faire rentrer dans le Code civil le concept d’ensemble contractuel.

Le nouvel article 1186 du Code civil prévoit ainsi à son alinéa 2 que « lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. »

La règle est désormais posée : l’anéantissement d’un acte qui appartient à un ensemble contractuel entraîne consécutivement la disparition des autres.

Quels enseignements tirer de l’édiction de cette nouvelle règle ? Ils sont au nombre de trois :

b.1 L’autonomie de la notion d’indivisibilité

Jusqu’alors, la jurisprudence s’était employée à trouver un fondement juridique au concept d’indivisibilité contractuelle, tantôt en le rattachant à la notion cause, tantôt à la notion de condition ou encore à la notion d’obligation indivisible.

Le législateur ayant consacré les ensembles contractuels, cette quête est devenue inutile.

Aussi, l’indivisibilité constitue-t-elle dorénavant une notion autonome qui dispose d’un fondement juridique qui lui propre : l’alinéa 2 de l’article 1186 du Code civil.

Nul n’est dès lors plus besoin de chercher à dévoyer les notions de cause – disparue – ou de conditions pour justifier l’anéantissement en cascade de plusieurs contrats en raison de leur appartenance à un même ensemble.

Il suffit désormais d’établir que lesdits contrats forment un tout indivisible.

b.2 Les critères de la notion d’indivisibilité

Il ressort de l’article 1186, al. 2 du code civil que, semblablement à la Cour de cassation dans ces dernières décisions, le législateur a combiné le critère objectif et le critère subjectif pour définir l’indivisibilité.

  • Le critère objectif
    • La reconnaissance d’une indivisibilité suppose :
      • D’une part, que plusieurs contrats aient été « nécessaires à la réalisation d’une même opération »
      • D’autre part, que l’un d’eux ait disparu
      • Enfin, que l’exécution ait été « rendue impossible par cette disparition »
    • Ces trois éléments doivent être établis pour que le premier critère objectif soit rempli, étant précisé qu’ils sont exigés cumulativement.
  • Le critère subjectif
    • Principe
      • La deuxième partie de l’alinéa 2 de l’article 1186 précise que l’indivisibilité peut encore être établie dans l’hypothèse où les contrats « pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie »
      • Ainsi l’indivisibilité contractuelle peut-elle résulter, en plus de l’économie générale de l’opération, de la volonté des parties.
      • Dès lors, que les contractants ont voulu rendre plusieurs contrats indivisibles, le juge est tenu d’en tirer toutes les conséquences qu’en aux événements susceptibles d’affecter l’un des actes composant l’ensemble.
    • Condition
      • L’alinéa 3 de l’article 1186 du Code civil pose une condition à l’application du critère subjectif
      • Aux termes de cette disposition, « la caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »
      • L’anéantissement des contrats liés au contrat affecté par une cause de disparition est donc subordonné à la connaissance par les différents cocontractants de l’existence de l’ensemble, soit que les contrats auxquels ils sont partie concourraient à la réalisation d’une même opération économique.

b.3 Les effets de l’indivisibilité

Les effets de l’indivisibilité sont très clairement posés par l’article 1186 du Code civil : la caducité.

Plus précisément, la disparition de l’un des contrats de l’ensemble entraîne consécutivement la caducité des autres.

i. Absence de définition de la caducité

La caducité fait partie de ces notions juridiques auxquelles le législateur et le juge font régulièrement référence sans qu’il existe pour autant de définition arrêtée.

Si, quelques études lui ont bien été consacrées[1], elles sont si peu nombreuses que le sujet est encore loin d’être épuisé. En dépit du faible intérêt qu’elle suscite, les auteurs ne manquent pas de qualificatifs pour décrire ce que la caducité est supposée être.

Ainsi, pour certains, l’acte caduc s’apparenterait à « un fruit parfaitement mûr […] tombé faute d’avoir été cueilli en son temps »[2]. Pour d’autres, la caducité évoque « l’automne d’un acte juridique, une mort lente et sans douleur »[3]. D’autres encore voient dans cette dernière un acte juridique frappé accidentellement de « stérilité »[4].

L’idée générale qui ressort de ces descriptions est que l’action du temps aurait eu raison de l’acte caduc, de sorte qu’il s’en trouverait privé d’effet.

ii. Caducité et nullité

De ce point de vue, la caducité se rapproche de la nullité, qui a également pour conséquence l’anéantissement de l’acte qu’elle affecte. Est-ce à dire que les deux notions se confondent ? Assurément non.

C’est précisément en s’appuyant sur la différence qui existe entre les deux que les auteurs définissent la caducité.

Tandis que la nullité sanctionnerait l’absence d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation, la caducité s’identifierait, quant à elle, à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence.

La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances. Cette différence d’objet ne saurait toutefois occulter les rapports étroits qu’entretiennent les deux notions, ne serait-ce parce que le vice qui affecte l’acte caduc aurait tout aussi bien pu être source de nullité s’il était apparu lors de la formation dudit acte. Sans doute est-ce d’ailleurs là l’une des raisons du regain d’intérêt pour la caducité ces dernières années.

iii. Origine

Lorsqu’elle a été introduite dans le Code civil, l’usage de cette notion est limité au domaine des libéralités. Plus précisément, il est recouru à la caducité pour sanctionner la défaillance de l’une des conditions exigées pour que le legs, la donation ou le testament puisse prospérer utilement telles la survie[5], la capacité [6] du bénéficiaire ou bien encore la non-disparition du bien légué[7].

Ce cantonnement de la caducité au domaine des actes à titre gratuit s’estompe peu à peu avec les métamorphoses que connaît le droit des contrats. Comme le souligne Véronique Wester-Ouisse « alors que la formation du contrat était le seul souci réel des rédacteurs du Code civil, le contrat, aujourd’hui, est davantage examiné au stade de son exécution »[8]. L’appropriation de la notion de caducité par les spécialistes du droit des contrats prend, dans ces conditions, tout son sens[9].

Aussi, cela s’est-il traduit par la consécration de la caducité dans l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[10].

iv. Intervention du législateur

La lecture de l’article 1186 du Code civil révèle que le législateur a donc repris in extenso la définition de la caducité.

Aux termes de l’alinéa 1er de cette disposition « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. »

Il ressort de cette définition que :

  • D’une part, la caducité ne peut affecter qu’un acte qui a été régulièrement accompli
  • D’autre part, elle suppose que l’acte anéanti ait perdu l’un des éléments essentiels à son existence

Telles sont les deux conditions cumulatives qui doivent être réunies pour qu’un contrat puisse être frappé de caducité.

v. Les conditions de la caducité

?L’exigence d’un acte valablement formé

Si l’article 1186 prévoit que pour encourir la caducité le contrat doit avoir été valablement formé.

Aussi, cela signifie-t-il qu’il ne doit, ni avoir été annulé, ni avoir fait l’objet d’une résolution.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir s’il est nécessaire que la nullité du contrat ou sa résolution aient été constatées en justice ou s’il suffit qu’il soit seulement annulable ou susceptible de faire l’objet d’une résolution.

L’article 1186 ne le dit pas, de sorte qu’il appartient à la jurisprudence de se prononcer sur ce point.

?L’exigence de disparition d’un élément essentiel de l’acte

L’article 1186 subordonne la caducité à la disparition de l’un de ses éléments essentiels du contrat.

À la lecture de cette condition, deux difficultés surviennent immédiatement :

  • Première difficulté
    • L’article 1186 se garde de bien de dire ce que l’on doit entendre par « éléments essentiels ».
    • Faut-il limiter le périmètre de la notion d’« éléments essentiels » aux seules conditions de validité du contrat ou doit-on l’étendre aux éléments qui conditionnent son exécution ?
    • Selon les auteurs, c’est vers une approche restrictive de la notion que l’on devrait se tourner.
    • Au soutien de cet argument est notamment convoqué le nouvel article 1114 du Code civil qui associe la notion d’« éléments essentiels » à l’offre contractuelle, soit au contenu du contrat.
  • Seconde difficulté
    • Une seconde difficulté naît de la lecture de l’article 1186 en ce qu’il ne dit pas si la disparition de l’un des éléments essentiels du contrat doit être volontaire ou involontaire.
    • Jusqu’alors, les auteurs ont toujours considéré qu’un acte ne pouvait être frappé de caducité qu’à la condition que la disparition de l’un de ses éléments essentiels soit indépendante de la volonté des parties.
    • Admettre le contraire reviendrait, selon eux, à conférer aux contractants un pouvoir de rupture unilatérale du contrat
    • Aussi, cela porterait-il directement atteinte au principe du mutus dissensus.
    • Encore un point sur lequel il appartiendra à la jurisprudence de se prononcer.

vi. Les effets de la caducité

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité produit deux effets : d’une part, elle met fin au contrat et, d’autre part, elle peut donner lieu à des restitutions

?L’anéantissement du contrat

En prévoyant que « la caducité met fin au contrat », l’article 1187 du Code civil soulève deux difficultés : la première tient à la prise d’effet de la caducité, la seconde à sa rétroactivité :

  • La prise d’effet de la caducité
    • Faut-il pour que la caducité prenne effet qu’elle soit constatée par un juge ou peut-elle être acquise de plein droit, soit par la seule prise d’initiative d’un des contractants ?
    • L’article 1187 est silencieux sur ce point.
    • Doit-on, sans ces conditions, se risquer à faire un parallèle avec la résolution ou la nullité ?
      • Si l’on tourne vers la résolution, l’article 1224 dispose que cette sanction devient efficace
        • Soit par l’application d’une clause résolutoire
        • Soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur
        • Soit d’une décision de justice
      • Si l’on se tourne vers la nullité, l’article 1178 prévoit sensiblement la même chose puisqu’elle peut
        • Soit être prononcée par le juge
        • Soit être constatée d’un commun accord par les parties
    • Manifestement, aucun texte ne paraît subordonner l’efficacité de la caducité à sa constatation par un juge
    • Aussi, le silence de l’article 1187 combiné aux dispositions qui régissent la résolution et la nullité laisse à penser que la caducité pourrait être acquise par l’effet de la seule initiative de l’une des parties, ce, à plus forte raison si elles y ont consenti d’un commun accord.
  • La rétroactivité de la caducité
    • S’il ne fait aucun doute que la caducité anéantit le contrat qu’elle affecte pour l’avenir, l’article 1187 ne dit pas s’il en va de même pour ses effets passés.
      • D’un côté, l’alinéa 1er de l’article 1187 prévoit que la caducité « met fin au contrat », de sorte que l’on pourrait être enclin à penser que seuls les effets futurs du contrat sont anéantis.
      • D’un autre côté, l’alinéa 2 de cette même disposition envisage la possibilité pour les parties de solliciter un retour au statu quo ante par le jeu des restitutions, ce qui suggérerait dès lors que la caducité puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • Comment comprendre l’articulation de ces deux alinéas dont il n’est pas illégitime de penser qu’ils sont porteurs du germe de la contradiction ?
    • La caducité doit-elle être assortie d’un effet rétroactif ou cette possibilité doit-elle être exclue ?
    • Pour le déterminer, revenons un instant sur la définition de la caducité.
    • Selon Gérard Cornu la caducité consisterait en l’« état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte »[11].
    • Autrement dit, l’acte caduc est réduit à néant ; il est censé n’avoir jamais existé.
    • S’il est incontestable que l’acte caduc doit être supprimé de l’ordonnancement juridique en raison de la perte d’un élément essentiel l’empêchant de prospérer utilement, rien ne justifie pour autant qu’il fasse l’objet d’un anéantissement rétroactif.
    • Pourquoi vouloir anéantir l’acte caduc rétroactivement, soit faire comme s’il n’avait jamais existé, alors qu’il était parfaitement valable au moment de sa formation ? Cela n’a pas grand sens.
    • Dès lors qu’un acte est valablement formé, il produit des effets sur lesquels on ne doit plus pouvoir revenir, sauf à nier une situation juridiquement établie[12].
    • Au vrai, l’erreur commise par les partisans de la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité vient de la confusion qui est faite entre la validité de l’acte juridique et son efficacité.
    • Ces deux questions doivent cependant être distinguées.
    • La seule condition qui doit être remplie pour qu’un acte soit valable, c’est que, tant son contenu, que ses modalités d’édiction soient conformes aux normes qui lui sont supérieures.
    • On peut en déduire que la validité d’un acte ne se confond pas avec son efficacité.
    • Si tel était le cas, cela reviendrait à remettre en cause sa validité à chaque fois que la norme dont il est porteur est violée.
    • Or comme l’a démontré Denys de Béchillon « une norme juridique ne cesse pas d’être juridique lorsqu’elle n’est pas respectée »[13].
    • L’inefficacité de l’acte caduc se distingue certes de l’hypothèse précitée en ce qu’elle est irréversible et n’a pas le même fait générateur.
    • Elle s’en rapproche néanmoins dans la mesure où, d’une part, elle s’apprécie au niveau de l’exécution de l’acte et, d’autre part, elle consiste en une inopérance de ses effets.
    • Ainsi, les conséquences que l’on peut tirer de la caducité d’un acte sont les mêmes que celles qui peuvent être déduites du non-respect d’une norme : l’inefficacité qui les atteint ne conditionne nullement leur validité.
    • D’où l’impossibilité logique d’anéantir rétroactivement l’acte ou la norme qui font l’objet de pareille inefficacité.
    • En conclusion, nous ne pensons pas qu’il faille envisager que la caducité d’un contrat puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • L’alinéa 2 de l’article 1187 du Code civil peut être compris comme confirmant cette thèse.
    • Il peut être déduit de l’utilisation, dans cet alinéa, du verbe « peut » et de non « doit » que le législateur a, en offrant la possibilité aux parties de solliciter des restitutions, posé une exception au principe de non-rétroactivité institué à l’alinéa 1er de l’article 1187 du Code civil.
    • Aussi, dans l’hypothèse où l’une des parties à l’acte formulerait une demande de restitutions en justice, il n’est pas à exclure que le juge, alors même qu’il constatera la caducité du contrat, ne fasse pas droit à sa demande estimant qu’il ressort de la lettre de l’article 1187 que les restitutions sont facultatives.

?Les restitutions

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité « peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ».

En application de ces articles, plusieurs règles doivent être observées en matière de restitutions dont les principales sont les suivantes :

D’abord, la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution (art. 1352 C. civ.).

Ensuite, La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie (art. 1352-8 C. civ.).

Enfin, la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée (art. 1352-3 C. civ.).

2. Les chaînes de contrats

Contrairement aux ensembles contractuels qui regroupent des actes qui concourent à la réalisation d’une même opération, les chaînes de contrats sont constituées d’actes qui portent sur un même objet.

Exemple : un contrat de vente est conclu entre A et B, puis entre B et C. La question qui immédiatement se pose est de savoir si, en cas de vice affectant la chose, le sous-acquéreur dispose d’une action contre le vendeur initial ?

A priori, le principe de l’effet relatif interdit au sous-acquéreur d’agir contre le vendeur initial dans la mesure où ils ne sont liés par aucun contrat. L’acquéreur fait écran entre ce que l’on appelle les « contractants extrêmes » lesquels sont des tiers l’un pour l’autre.

Aussi, une action du sous-acquéreur contre le vendeur initial ne semble pas envisageable, à plus forte raison si elle est engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Tel n’est cependant pas ce qui a été décidé par la jurisprudence qui a connu une longue évolution.

2.1 Première étape : la distinction entre les chaînes de contrats homogènes et les chaînes hétérogènes

Pour déterminer si le, sous-acquéreur était fondé à agir contre le vendeur initial, la Cour de cassation a, dans un premier temps, distingué selon que l’on était en présence d’une chaîne de contrat homogène ou hétérogène.

a. Notion

  • La chaîne de contrats homogène est celle qui est formée d’actes de même nature (plusieurs ventes successives)
  • La chaîne de contrats hétérogène est celle qui est formée de plusieurs contrats de nature différente (vente et entreprise)

b. Application

i. Pour les chaînes de contrats homogènes

?Première étape : l’indifférence du fondement

La Cour de cassation a pendant longtemps estimé que le sous-acquéreur disposait d’une option en ce sens qu’il pouvait agir contre le vendeur initial, soit sur le terrain de la responsabilité contractuelle, soit sur le terrain de la responsabilité délictuelle (V. en ce sens Cass. civ. 25 janv. 1820).

L’idée était de permettre au sous-acquéreur de ne pas demeurer sans recours dans l’hypothèse où une stipulation contractuelle l’empêcherait d’agir contre son propre vendeur.

?Deuxième étape : la responsabilité contractuelle

Considérant que l’option laissée au sous-acquéreur quant au choix du fondement de l’action dirigée contre le vendeur initial constituait une atteinte au principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt Lamborghini du 9 octobre 1979

La première chambre civile a estimé dans cette décision que « l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1979, n°78-12.502).

Cette solution repose sur l’idée que l’action dont dispose l’acquéreur contre le vendeur initial serait transmise au sous-acquéreur lors du transfert de propriété de la chose, ce qui justifie que ce dernier puisse agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

En somme l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le vendeur initial est fondée sur la théorie de l’accessoire.

Cass. 1ère civ. 9 oct. 1979

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1147 et 1648 du code civil;

Attendu que, selon les juges du fond, constant, ayant acquis le 5 septembre 1968, de Landrau, garagiste, une automobile d’occasion de marque Lamborghini, modèle <400 ct>, a provoqué le 15 septembre suivant un accident dont l’expertise a révélé qu’il était du a la rupture d’une pièce de la suspension arrière résultant d’un vice de construction, reconnu par le constructeur, qui avait, le 8 mai 1967, adresse à ce sujet une note a tous ses agents en indiquant la manière de remédier au défaut constate sur ce modèle;

Que la société des voitures paris-monceau, importateur en France des véhicules de marque Lamborghini, qui avait assure l’entretien de l’automobile litigieuse pendant un certain temps, pour le compte d’un précèdent propriétaire, n’a pas méconnu avoir reçu les instructions de la société Lamborghini, mais n’a pas procédé a la réparation préconisée par le constructeur; que constant et son assureur, l’uap, ayant assigne la société Lamborghini, Landrau et la société des voitures paris-monceau sur le fondement des articles 1147 et 1582 et suivants du code civil, Landrau a appelé en garantie la société des voitures paris-monceau;

Que le tribunal a condamné in solidum les trois défendeurs envers constant et l’Uap, en précisant que dans leurs rapports, ils supporteraient cette condamnation a raison des 3/6 a la charge de la société Lamborghini, responsable du vice de fabrication, des 2/6 a la charge de la société des voitures paris-monceau, pour n’avoir pas fait la réparation demandée par le constructeur, et de 1/6 a la charge de Landrau, en sa qualité de vendeur professionnel;

Que la cour d’appel pour confirmer la condamnation prononcée contre les sociétés Lamborghini et paris-monceau et décider qu’elles seraient tenues chacune par moitié, s’est fondée sur la responsabilité quasi-délictuelle et a déclaré ces deux sociétés responsables a l’égard de constant et de son assureur, par application de l’article 1383 du code civil;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle, et qu’il appartenait des lors aux juges du fond de rechercher, comme il leur était demandé, si l’action avait été intentée dans le bref délai prévu par la loi, la cour d’appel a violé les textes susvisés;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu entre les parties le 20 décembre 1977 par la cour d’appel de paris; remet, en conséquence, la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens.

ii. Pour les chaînes de contrats hétérogènes

Un conflit s’est noué entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation lesquelles ne se sont pas entendues sur la nature de l’action dont disposait le contractant en bout de chaîne (maître d’ouvrage) contre le premier (fabricant).

Cette opposition entre les deux chambres a provoqué l’intervention, par la suite, de l’assemblée plénière.

?Position de la première chambre civile

Dans un arrêt du 29 mai 1984, la première chambre civile s’est prononcée en faveur de la nature contractuelle de l’action (Cass. 1ère civ. 29 mai 1984, n°82-14.875).

Elle a estimé en ce sens que le maître d’ouvrage « dispose contre le fabricant de matériaux posés par son entrepreneur d’une action directe pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de nature contractuelle ».

Il s’agissait en l’espèce d’un contrat de vente suivi d’un contrat d’entreprise.

La première chambre civile retient manifestement ici la même solution que celle qu’elle avait adoptée dans l’arrêt Lamborghini qui portait sur une chaîne de contrats homogène.

Cass. 1ère civ. 29 mai 1984

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche : vu les articles 1147 et 1648 du code civil ;

Attendu que Mme z… et Mlle Meyniel a… x… d’une maison, avaient fait recouvrir en 1966 la toiture de celle-ci de tuiles par un entrepreneur ;

Que lesdites tuiles s’étant révélées gélives, les copropriétaires ont assigne en réparation de leur préjudice le fabricant de ce matériau, la société Perrusson-Rhomer qui avait vendu les tuiles a l’entrepreneur ;

Que pour accueillir leur demande, la cour d’appel, qui s’est referee a son précèdent arrêt du 15 juin 1981, a fait application des principes relatifs à la responsabilité quasi-délictuelle ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le maitre de y… dispose contre le fabricant de matériaux poses par son entrepreneur d’une action directe pour la garantie du vice cache affectant la chose vendue dès sa fabrication, laquelle action est nécessairement de nature contractuelle ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer ni sur les deux autres branches du premier moyen, ni sur le second moyen : CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu le 19 avril 1982, entre les parties, par la cour d’appel de Riom ;

?Position de la troisième chambre civile

Dans un arrêt rendu sensiblement à la même époque, soit le 19 juin 1984, la troisième chambre civile s’est radicalement opposée à la première chambre civile (Cass. 3e civ. 19 juin 1984, n°83-10.901).

Elle a, en effet, validé la décision d’une Cour d’appel qui après avoir relevé que « par suite d’une conception défectueuse, les tuiles fabriquées par la société Lambert Céramique n’étaient pas horizontales dans le sens transversal, vice qui ne pouvait être décelé et qui était l’unique cause des désordres affectant la toiture […] par ces seuls motifs caractérisant, en dehors de tout contrat, la faute commise et sa relation de causalité avec le dommage, [elle] a pu retenir la responsabilité du fabricant même en l’absence de lien de droit direct avec le maître de l’ouvrage ».

Pour la troisième chambre civile, l’action dont dispose le maître de l’ouvrage contre le fabricant est de nature délictuelle, car « en dehors de tout contrat ».

Cass. 3e civ. 19 juin 1984

Sur le moyen unique :

Attendu que selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 6 décembre 1982) M. Y… a fait réaliser la couverture de sa villa par l’entrepreneur M. X… qui a utilisé des tuiles, fournies par les établissements Grisard et fabriquées par la Tuilerie des Mureaux aux droits et obligations de laquelle vient la société Lambert Céramique ; qu’à la suite d’infiltrations d’eau, le maître de l’ouvrage a assigné le fabricant en réparation du dommage ; que l’Union fédérale des consommateurs de la Savoie est intervenue volontairement en cause d’appel ;

Attendu que le fabricant fait grief à l’arrêt d’avoir déclaré recevables les demandes du maître de l’ouvrage et de l’intervenante tendant au paiement de dommages-intérêts et de sommes non comprises dans les dépens alors, selon le moyen, “que l’action en garantie des vices cachés contre le fabricant est de nature contractuelle, que le contrat d’entreprise n’étant pas un contrat de vente, le maître de l’ouvrage n’est pas acquéreur des matériaux et ne bénéficie pas, en tant que sous-acquéreur, de la garantie des vendeurs successifs ; que, dès lors, la Cour d’appel, qui a relevé l’absence d’un lien de droit direct entre la société Lambert Céramique et M. Y…, n’a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s’imposent en déclarant recevable l’action en garantie de celui-ci et a ainsi violé l’article 1641 du Code civil” ;

Mais attendu que l’arrêt retient que par suite d’une conception défectueuse, les tuiles fabriquées par la société Lambert Céramique n’étaient pas horizontales dans le sens transversal, vice qui ne pouvait être décelé et qui était l’unique cause des désordres affectant la toiture ; que, par ces seuls motifs caractérisant, en dehors de tout contrat, la faute commise et sa relation de causalité avec le dommage, la Cour d’appel a pu retenu la responsabilité du fabricant même en l’absence de lien de droit direct avec le maître de l’ouvrage ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 6 décembre 1982 par la Cour d’appel de Chambéry.

?Intervention de l’assemblée plénière

Cette opposition frontale entre la première et la troisième chambre civile a donné lieu à une intervention de l’assemblée plénière qui s’est prononcée sur la nature de l’action en responsabilité dont est titulaire le maître d’ouvrage contre le fabricant dans un arrêt remarqué du 7 février 1986.

Dans cette décision, l’assemblée plénière a tranché en faveur de la solution retenue par la première chambre civile (Cass ass. plén. 7 févr. 1986, n°84-15.189).

Elle a, en effet, estimé que le maître d’ouvrage « dispose […] contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ».

Pour l’assemblée plénière, peu importe donc que la chaîne de contrats soit homogène ou hétérogène : l’action en responsabilité dont est titulaire le maître d’ouvrage est de nature contractuelle.

Elle justifie cette solution en affirmant que « le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ».

L’assemblée plénière retient ainsi comme fondement de l’action en responsabilité contractuelle la théorie de l’accessoire : l’action est transmise concomitamment avec le transfert de propriété de la chose.

Autrement dit, tant le maître de l’ouvrage que le sous-acquéreur recueillent dans leur patrimoine avec la chose les accessoires juridiques qui y sont attachés.

Cass ass. plén. 7 févr. 1986

Sur le premier moyen :

Attendu que, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Paris, 14 juin 1984), la société civile immobilière Résidence Brigitte, assurée par l’Union des Assurances de Paris (U.A.P.) a, en 1969, confié aux architectes C… et Z…, aux droits desquels se trouvent les consorts Z…, assistés des bureaux d’études OTH et BEPET, la construction d’un ensemble immobilier, que la société Petit, chargée du gros oeuvre, a sous traité à la société Samy l’ouverture de tranchées pour la pose de canalisations effectuée par la société Laurent X…, que la société Samy a procédé à l’application sur ces canalisations de Protexculate, produit destiné à en assurer l’isolation thermique, qui lui avait vendu par la Société Commerciale de Matériaux pour la Protection et l’Isolation (MPI), fabricant, que des fuites d’eau s’étant produites, les experts désignés en référé ont conclu en 1977 à une corrosion des canalisations imputables au Protexculate et aggravée par un mauvais remblaiement des tranchées, que l’U.A.P. a assigné la société MPI, les sociétés Petit, Samy et Laurent X…, MM. C… et Z… ainsi que les bureaux d’études, pour obtenir le remboursement de l’indemnité versée aux copropriétaires suivant quittance subrogative du 30 octobre 1980 ;

Attendu que la société MPI fait grief à l’arrêt d’avoir accueilli cette demande avec intérêts au taux légal à compter du 30 octobre 1980 sur le fondement de la responsabilité délictuelle, alors, selon le moyen, d’une part, que le maître de l’ouvrage ne dispose contre le fabricant de matériaux posés par un entrepreneur que d’une action directe pour la garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication et que cette action, nécessairement de nature contractuelle, doit être engagée dans un bref délai après la découverte du vice ; qu’en accueillant donc, en l’espèce, l’action engagée le 28 janvier 1980 par l’U.A.P., subrogée dans les droits du maître de l’ouvrage, pour obtenir garantie d’un vice découvert par les experts judiciaires le 4 février 1977 et indemnisé par l’U.A.P. le 30 octobre 1980, la Cour d’appel, qui s’est refusée à rechercher si l’action avait été exercée à bref délai, a violé, par fausse application, l’article 1382 du Code civil et, par défaut d’application, l’article 1648 du même Code ;

Mais attendu que le maître de l’ouvrage comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur ; qu’il dispose donc à cet effet contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée ; que, dès lors, en relevant que la Société Commerciale de Matériaux pour la Protection et l’Isolation (M.P.I.) avait fabriqué et vendu sous le nom de “Protexulate” un produit non conforme à l’usage auquel il était destiné et qui était à l’origine des dommages subis par la S.C.I. Résidence Brigitte, maître de l’ouvrage, la Cour d’appel qui a caractérisé un manquement contractuel dont l’U.A.P., substituée à la S.C.I., pouvait se prévaloir pour lui demander directement réparation dans le délai de droit commun, a, par ces motifs, légalement justifié sa décision ; […]

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi

?Portée de la décision d’assemblée plénière

Après l’intervention de l’assemblée plénière, la troisième chambre civile n’a eu d’autre choix que de se rallier à sa position.

C’est ce qu’elle a fait notamment dans un arrêt du 10 mai 1990 à l’occasion duquel elle a estimé que le maître de l’ouvrage, et les acquéreurs disposent « contre le fabricant ou le fournisseur d’une action contractuelle directe » (Cass. 3e civ. 10 mai 1990, n°88-14.478).

Cass. 3e civ. 10 mai 1990

Sur le moyen unique du pourvoi provoqué :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 26 juin 1987), que la société civile immobilière du Domaine des Grands Prés (SCI) a fait édifier, un groupe de pavillons, par la société Balency-Briard, actuellement société Sogéa, entrepreneur général, qui a posé des chassis ouvrants achetés à la société Roto-Franck qui les a fabriqués ; que des désordres tenant à des phénomènes de condensation sur ces chassis s’étant manifestés après réception et la vente des pavillons intervenues en 1976-1977, plusieurs acquéreurs ont assigné en réparation la SCI, l’entrepreneur général et le fabricant, et qu’il s’en est suivi des appels en garantie ; […]

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, qui est recevable :

Vu l’article 1147 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner la société Roto-Franck à indemniser les copropriétaires et à garantir la SCI, l’arrêt retient la responsabilité de la société Roto-Franck, en tant que fabricant et fournisseur des chassis affectés de désordres, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, à l’égard des tiers que sont pour elle le maître de l’ouvrage et ses acquéreurs ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la SCI, maître de l’ouvrage, et les acquéreurs disposaient contre le fabricant ou le fournisseur d’une action contractuelle directe, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré la société Roto-Franck responsable des désordres affectant les chassis et a prononcé condamnation contre elle, l’arrêt rendu le 26 juin 1987, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans

2.2 Seconde étape : la distinction entre les chaînes de contrats translatives de propriété et les chaînes non translatives de propriété

S’il ressort de la jurisprudence précédemment étudiée que la Cour de cassation a voulu étendre le domaine de l’action contractuelle dans les chaînes de contrats, ce, en refusant de distinguer selon que la chaîne était homogène ou hétérogène, ce mouvement extensif n’a pas été sans limite.

Un coup d’arrêt lui a été porté dans une décision rendue par l’assemblée plénière elle-même le 12 juillet 1991, plus connue sous le nom d’arrêt Besse, ce qui a conduit certains auteurs à se demander si cette dernière n’entendait pas revenir sur sa position initiale (Cass. ass. plén. 12 juill. 1991, n°90-13.602)

Les circonstances dans lesquelles l’assemblée plénière a été amenée à se prononcer cette fois-ci étaient toutefois sensiblement différentes de celles qui avaient entouré sa première décision.

Dans l’arrêt du 7 février 1986, il était, en effet, question d’une chaîne de contrats dite translative de propriété, en ce sens que la chose, objet des contrats successifs, est transférée d’un acquéreur à l’autre (Cass. ass. plén. 7 févr. 1986, n°84-15.189).

Tel n’était pas dans l’arrêt Besse, lequel portait sur une chaîne de contrats non-translative de propriété (contrat d’entreprise couplé à un contrat de sous-traitance).

Il peut néanmoins être noté que l’intervention de l’assemblée plénière a une nouvelle fois été provoquée par un conflit né entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

a. L’opposition entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation

i. La position de la première chambre civile

?Première étape

Dans un arrêt du 8 mars 1988, la première chambre civile a considéré au visa des anciens articles 1147 et 1382 du Code civil que « dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d’une action de nature nécessairement contractuelle, qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué » (Cass. 1ère civ. 8 mars 1988, n°86-18.182).

Ainsi, pour cette chambre de la Cour de cassation en matière de sous-traitance, l’action dont dispose le maître de d’ouvrage contre le sous-traitant est de nature contractuelle, alors même que ces derniers ne sont liés par aucun contrat, à tout le moins de façon directe.

Cass. 1ère civ. 8 mars 1988

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

Attendu que dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette personne que d’une action de nature nécessairement contractuelle, qu’il peut exercer directement dans la double limite de ses droits et de l’étendue de l’engagement du débiteur substitué ;

Attendu que la société Clic Clac Photo, qui avait reçu de M. X… des diapositives en vue de leur agrandissement, a chargé de ce travail la société Photo Ciné Strittmatter ; que cette dernière société ayant perdu les diapositives, l’arrêt attaqué a retenu sa responsabilité délictuelle vis-à-vis de M. X… ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé, par fausse application, l’article 1382 du Code civil, et par refus d’application l’article 1147 du même code ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 mai 1986, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen

?Seconde étape

La première chambre civile ne s’est pas arrêtée à la solution qu’elle venait d’adopter le 8 mars 1988, dont la portée était circonscrite à la seule sphère des contrats de sous-traitance.

Dans une décision remarquée du 21 juin 1988 (arrêt Saxby), elle a estimé que cette solution était applicable à l’ensemble des groupes de contrats, sans distinction (Cass. 1ère civ. 21 juin 1988, n°85-12.609).

Elle a jugé en ce sens que « dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial ; qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle, même en l’absence de contrat entre eux ».

Pour la première chambre civile, peu importe donc que l’on soit en présence d’une chaîne translative ou non de propriété : le principe de l’effet relatif ne fait pas obstacle à l’existence d’une relation contractuelle entre deux cocontractants extrêmes, soit entre des parties qui n’ont pas échangé leurs consentements.

Cass. 1ère civ. 21 juin 1988

Sur le premier moyen, pris en sa première branche du pourvoi de la société Saxby Manutention, moyen étendu d’office par application de l’article 12 du nouveau Code de procédure civile au pourvoi de la société Soderep et au pourvoi incident de la Commercial Union Assurance Company Limited, assureur de Saxby ;

Vu les articles 1147 et 1382 du Code civil ;

Attendu que, dans un groupe de contrats, la responsabilité contractuelle régit nécessairement la demande en réparation de tous ceux qui n’ont souffert du dommage que parce qu’ils avaient un lien avec le contrat initial ; qu’en effet, dans ce cas, le débiteur ayant dû prévoir les conséquences de sa défaillance selon les règles contractuelles applicables en la matière, la victime ne peut disposer contre lui que d’une action de nature contractuelle, même en l’absence de contrat entre eux ;

Attendu qu’un avion de la compagnie norvégienne Braathens South American and Far East Airtransport, dite Braathens SAFE, a été endommagé pendant l’opération destinée à l’éloigner à reculons du point d’embarquement de ses passagers pour lui permettre de se diriger ensuite par ses propres moyens vers la piste d’envol ; qu’en effet, le tracteur d’Aéroports de Paris qui le refoulait s’étant brusquement décroché de la ” barre de repoussage ” attelée par son autre extrémité au train d’atterrissage, l’appareil et le tracteur sont entrés en collision ; que l’accident a eu pour origine une fuite d’air comprimé due à un défaut de l’intérieur du corps d’une vanne pneumatique fabriquée par la société Soderep et incorporée au système d’attelage de la barre au tracteur par la société Saxby, devenue depuis lors Saxby Manutention, constructeur et fournisseur de l’engin à Aéroports de Paris ; que la compagnie Braathens SAFE ayant assigné en réparation Aéroports de Paris ainsi que les sociétés Saxby Manutention et Soderep, l’arrêt attaqué a dit la demande non fondée en tant que dirigée contre le premier en raison de la clause de non-recours insérée dans le contrat d’assistance aéroportuaire liant la compagnie demanderesse à Aéroports de Paris ; qu’en revanche, il a déclaré les sociétés Saxby Manutention et Soderep, la première en raison, notamment, du mauvais choix de la vanne devant équiper le tracteur, responsables, chacune pour moitié, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil ;

Attendu qu’en statuant ainsi par application des règles de la responsabilité délictuelle à l’égard des sociétés Soderep et Saxby Manutention, alors que, le dommage étant survenu dans l’exécution de la convention d’assistance aéroportuaire au moyen d’une chose affectée d’un vice de fabrication imputable à la première et équipant le tracteur fourni par la seconde à Aéroports de Paris, l’action engagée contre elles par la compagnie Braathens SAFE ne pouvait être que de nature contractuelle, la cour d’appel, qui ne pouvait donc se dispenser d’interpréter la convention d’assistance aéroportuaire, a, par refus d’application du premier et fausse application du second, violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois des sociétés Soderep et Saxby Manutention et du pourvoi incident de la Commercial Union Assurance Company Limited :

CASSE ET ANNULE, en ce qu’il a déclaré responsables, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, les sociétés Saxby Manutention et Soderep des conséquences dommageables de l’accident survenu le 10 juillet 1979 à l’aéroport de Paris-Orly, l’arrêt rendu le 14 février 1985, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

ii. La position de la troisième chambre civile

Comme elle l’avait fait en matière de chaîne de contrats hétérogène, la troisième chambre civile s’est vigoureusement opposée à la première chambre civile.

Pour ce faire, elle a rendu le 22 juin 1988 dans lequel elle a considéré que « l’obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices, à laquelle le sous-traitant est tenu vis-à-vis de l’entrepreneur principal, a pour seul fondement les rapports contractuels et personnels existant entre eux et ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage, qui est étranger à la convention de sous-traitance » (Cass. 3 civ. 22 juin 1988, n°86-16.263).

Pour la troisième chambre civile, dans les groupes de contrats, les cocontractants extrêmes doivent autrement dit être regardés comme des tiers l’un pour l’autre.

L’un ne saurait, en conséquence, engager contre l’autre une action sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

Seul le fondement de la responsabilité délictuelle est susceptible d’être invoqué.

Cass. 3e civ. 22 juin 1988

Sur le moyen unique

Attendu qu’ayant chargé de l’édification d’une maison individuelle la Société Corelia-Constructions, mise par la suite en état de liquidation des biens avec M. Guerin pour syndic, M. et Mme Jollivet font grief à l’arrêt attaqué (Pau, 4 juin 1986) d’avoir rejeté, en se plaçant sur le terrain de la responsabilité délictuelle, la demande en réparation de malfaçons, qu’ils avaient formée contre M. Dupeyrou, sous-traitant de l’entreprise pour les travaux de charpente-couverture, et de les avoir condamnés à payer à ce dernier une somme excessive en paiement de travaux qu’ils lui avaient directement commandés,

Alors, selon le moyen, que, « d’une part, le maître de l’ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur et dispose, à cet effet, contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée, qu’en l’espèce, les époux Jollivet ne pouvaient être privés de cette action contractuelle directe contre M. Dupeyrou, n’ayant pas livré un arbalétrier et des éléments de charpente ou menuiserie conformes aux spécifications du marché de construction de la maison, qu’en statuant comme il l’a fait, l’arrêt attaqué, qui a méconnu l’obligation de résultat pesant sur M. Dupeyrou et les conséquences des malfaçons constatées, a violé l’article 1147 du Code civil, ensemble et par fausse application l’article 1382 du même code, alors que, d’autre part, l’expert commis ayant retenu que les travaux concernant les solives, supports et pose de menuiserie, évaluées à 4.016,04 francs, étaient déjà compris dans le devis de M. Dupeyrou, l’arrêt attaqué ne pouvait lui accorder la même somme au titre d’un supplément de travaux à la charge des époux Jollivet, que le double emploi qui en résulte, au détriment des maîtres de l’ouvrage, aboutit à une violation de l’article 541 de l’ancien Code de procédure civile, encore en vigueur à la date de ces travaux » ;

Mais attendu, d’une part, que l’obligation de résultat d’exécuter des travaux exempts de vices, à laquelle le sous-traitant est tenu vis-à-vis de l’entrepreneur principal, a pour seul fondement les rapports contractuels et personnels existant entre eux et ne peut être invoquée par le maître de l’ouvrage, qui est étranger à la convention de sous-traitance ;

Attendu, d’autre part, que M. et Mme Jollivet n’ayant pas soutenu que la somme que leur réclamait M. Dupeyrou au titre des solives et support et de la pose des menuiseries se rapportaient à des travaux qui avaient été compris dans le devis, le moyen est, de ce chef, nouveau, mélangé de fait et de droit ; D’où il suit que le moyen, qui est, pour partie, mal fondé, est pour le surplus irrecevable ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.

b. L’intervention de l’assemblée plénière : l’arrêt Besse

Dans l’arrêt Besse du 12 juillet 1991, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, a, à nouveau, été appelée à trancher le conflit qui opposait la première chambre à la troisième chambre civile de la Cour de cassation.

Toutefois, cette fois-ci, c’est à la seconde de deux chambres qu’elle a donné raison. Elle a estimé, s’agissant d’un contrat de sous-traitance et au visa de l’article 1165 du Code civil, ancien siège du principe de l’effet relatif, que « le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage ».

Cass. ass. plén. 12 juill. 1991

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1165 du Code civil ;

Attendu que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que plus de 10 années après la réception de l’immeuble d’habitation, dont il avait confié la construction à M. X…, entrepreneur principal, et dans lequel, en qualité de sous-traitant, M. Z… avait exécuté divers travaux de plomberie qui se sont révélés défectueux, M. Y… les a assignés, l’un et l’autre, en réparation du préjudice subi ;

Attendu que, pour déclarer irrecevables les demandes formées contre le sous-traitant, l’arrêt retient que, dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d’une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l’engagement du débiteur substitué ; qu’il en déduit que M. Z… peut opposer à M. Y… tous les moyens de défense tirés du contrat de construction conclu entre ce dernier et l’entrepreneur principal, ainsi que des dispositions légales qui le régissent, en particulier la forclusion décennale ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le sous-traitant n’est pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré irrecevable la demande dirigée contre M. Z…, l’arrêt rendu le 16 janvier 1990, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Reims

?Faits

Un maître d’ouvrage confie à un entrepreneur principal la construction d’un immeuble.

De son côté, l’entrepreneur principal délègue les travaux de plomberie à un sous-traitant

L’installation effectuée par ce dernier va toutefois se révéler défectueuse.

?Demande

Le maître d’ouvrage assigne en dommages et intérêts :

  • L’entrepreneur principal
  • Le sous-traitant

?Procédure

Par un arrêt du 16 janvier 1990, la Cour d’appel de Nancy déboute le maître d’ouvrage de son action formée contre le sous-traitant.

Les juges du fond estiment que dans le cas où le débiteur d’une obligation contractuelle a chargé une autre personne de l’exécution de cette obligation, le créancier ne dispose contre cette dernière que d’une action nécessairement contractuelle, dans la limite de ses droits et de l’engagement du débiteur substitué

Or en l’espèce, le sous-traitant pouvait opposer à l’entrepreneur principal la forclusion décennale.

La Cour d’appel en déduit que ladite forclusion pouvait également être opposée au maître d’ouvrage en raison de la nature contractuelle de son action.

?Solution

Par un arrêt du 12 juillet 1991, l’assemblée plénière casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’ancien article 1165 du Code civil.

La Cour de cassation estime que, en l’espèce, le sous-traitant n’était pas contractuellement lié au maître de l’ouvrage, de sorte que la forclusion décennale ne lui était pas opposable.

Cela signifie, par conséquent, que l’action dont dispose le sous-traitant contre le maître d’ouvrage est de nature délictuelle.

La Cour de cassation fait ici une application stricte du principe de l’effet relatif.

Le maître d’ouvrage n’étant pas contractuellement lié au sous-traitant, les exceptions qui affectent le contrat conclu entre ce dernier et l’entrepreneur principal ne lui sont pas opposables.

?Analyse

Si, de toute évidence, le raisonnement adopté par la Cour de cassation dans cette décision est imparable, il n’en a pas moins été diversement apprécié par la doctrine.

Immédiatement après l’arrêt Besse la question s’est posée de savoir si la Cour de cassation entendait revenir sur sa position adoptée dans l’arrêt du 7 février 1986 ou si elle souhaitait seulement limiter le domaine de l’action contractuelle dans les chaînes de contrat en introduisant la distinction entre les chaînes translatives et non-translatives de propriété.

Ainsi, deux interprétations étaient envisageables :

  • Première interprétation
    • On pouvait d’abord voir dans cette nouvelle décision d’assemblée plénière un revirement de jurisprudence, dans la mesure où cinq ans plus tôt la même assemblée avait affirmé de manière fort explicite que le maître d’ouvrage « dispose […] contre le fabricant d’une action contractuelle directe fondée sur la non-conformité de la chose livrée » ?
    • Une lecture rapide de l’arrêt pouvait conduire à le penser.
    • Toutefois, l’analyse des faits révèle que les circonstances de l’arrêt Besse n’étaient pas les mêmes que dans l’arrêt du 7 février 1986.
    • Dans cette décision, on était, en effet, en présence d’une chaîne de contrat translative de propriété, en ce sens que les droits réels exercés sur la chose étaient transférés d’un acquéreur à l’autre.
    • Tel n’était pas le cas dans l’arrêt Besse.
    • Il s’agissait d’un contrat d’entreprise couplé à un contrat de sous-traitance.
    • Aussi, cette chaîne de contrats n’était nullement translative de propriété
  • Seconde interprétation
    • L’assemblée plénière est simplement venue mettre un terme à l’opposition qui s’était instauré entre la première et la troisième chambre civile de la Cour de cassation sur les chaînes de contrats non-translatives de propriété.
    • Dans cette perspective, certains auteurs ont suggéré qu’en matière de chaîne de contrats, il convenait dorénavant de distinguer selon que la chaîne était translative ou non translative de propriété.
      • Les chaînes de contrats translatives de propriété
        • Dans cette hypothèse, les accessoires attachés à la chose sont transférés d’acquéreur en acquéreur ce qui dès lors permettra à l’acquéreur final d’agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle contre le vendeur initial.
        • En contrepartie, ce dernier sera fondé à opposer au sous-acquéreur les mêmes exceptions qu’il peut invoquer à l’encontre de son cocontractant.
      • Les chaînes de contrats non-translatives de propriété
        • Dans cette hypothèse, les accessoires attachés à la chose ne pourront pas, par définition, être transférés aux contractants subséquents, si bien qu’ils ne disposeront contre les contractants extrêmes que d’une action de nature délictuelle.
        • Cette situation ne sera cependant pas sans avantage pour eux dans la mesure où ils ne pourront pas se voir opposer les exceptions affectant les contrats dont ils ne sont pas parties.
    • Il ressort des arrêts rendus postérieurement à cet arrêt d’assemblée plénière que c’est la seconde interprétation qu’il fallait retenir.
    • Dans un arrêt du 23 juin 1993, la première chambre civile a par exemple jugé que « le maître de l’ouvrage dispose contre le fabricant d’une action contractuelle » (Cass. 1ère civ. 23 juin 1993, n°91-18.132).
    • Il s’agissait en l’espèce d’une chaîne translative de propriété (contrat de vente + contrat d’entreprise).
    • À l’inverse, dans un arrêt du 16 février 1994, la même chambre a estimé que, en matière de chaîne non translative de propriété, l’action était nature délictuelle.
    • Depuis ces arrêts, il convient donc de distinguer selon que la chaîne est translative ou non de propriété.

c. Le trouble semé par un arrêt du 22 mai 2002

Un arrêt rendu le 22 mai 2002 par la chambre commerciale est venu jeter le trouble sur la jurisprudence Besse (Cass. com. 22 mai 2002, n°99-11.113).

La Cour de cassation a, en effet, estimé dans cette décision que l’action dont disposait un maître d’ouvrage contre le sous-traitant était de nature contractuelle, alors même que c’est la solution inverse qui avait été adoptée dans l’arrêt Besse.

Si toutefois, l’on prête attention à la motivation de la Cour de cassation, celle-ci semble maintenir la distinction entre les chaînes translatives et non translatives de propriété.

Elle considère en ce sens que « si le maître de l’ouvrage qui agit contre le sous-traitant exerce l’action que le vendeur intermédiaire lui a transmise avec la propriété de la chose livrée, le sous-traitant, qui n’est pas lié contractuellement au maître de l’ouvrage, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le contrat principal passé entre le maître de l’ouvrage et le vendeur intermédiaire ».

Aussi, cette solution ne doit, en aucune manière, être interprétée comme remettant en cause la solution dégagée dans l’arrêt Besse. La motivation retenue par la Cour de cassation est tout au plus maladroite.

Au, vrai, cet arrêt révèle la difficulté qu’il y a à déterminer si une chaîne de contrat réalise ou non un transfert de propriété, spécialement lorsqu’elle comporte un contrat d’entreprise ce qui était le cas en l’espèce.

Cass. com. 22 mai 2002

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 1998), que la société Qatar Petrochemical Cy Ltd (la société QAPCO) a confié, dans le courant de l’année 1977 à la société Technip la réalisation d’un complexe pétrochimique au Qatar ; que, suivant bon de commande du 28 novembre 1977 faisant expressément référence aux conditions particulières du contrat 5521 B datées du mois d’avril 1977, la société Technip a demandé à la société Alsthom la fourniture d’un turbo associé à un compresseur ; qu’à la suite de deux incidents survenus le 17 janvier 1984 et le 20 janvier 1986, la société Qapco et ses assureurs ont judiciairement demandé que la société Alsthom soit déclarée responsable des vices cachés affectant la turbine et condamnée à réparer le préjudice en résultant ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que la société Alsthom fait grief à l’arrêt d’avoir dit qu’elle était tenue de réparer l’intégralité des dommages subis par la société Qapco et ses assureurs subrogés et de l’avoir condamnée à leur payer diverses sommes au titre des préjudices subis, alors, selon le moyen […]

Mais attendu, d’une part, qu’après avoir exposé que la société Alsthom avait reçu, de la société Technip, commande du turbo-compresseur le 28 novembre 1977, l’arrêt relève que seules les conditions particulières du contrat 5521 B étaient reprises dans cette commande du 28 novembre 1977 à l’exclusion des conditions générales du contrat principal liant Qapco à la société Technip ; que, dès lors, contrairement aux allégations du moyen, la cour d’appel, en se fondant, pour condamner Alsthom au profit de la société Qapco, sur l’article 11-1 des conditions particulières du contrat 5521 B, n’a pas admis la société Qapco à se prévaloir à l’encontre d’Alsthom des stipulations liant la société Qapco à la société Technip ; que le moyen manque en fait ;

Attendu, d’autre part, que, si le maître de l’ouvrage qui agit contre le sous-traitant exerce l’action que le vendeur intermédiaire lui a transmise avec la propriété de la chose livrée, le sous-traitant, qui n’est pas lié contractuellement au maître de l’ouvrage, ne peut invoquer les limitations éventuellement prévues dans le contrat principal passé entre le maître de l’ouvrage et le vendeur intermédiaire ; qu’ayant retenu que l’action du sous-acquéreur était celle de son auteur, à savoir celle du vendeur intermédiaire contre son vendeur originaire, la cour d’appel a justement décidé que la société Alsthom ne pouvait opposer que la clause limitative de responsabilité figurant dans le contrat qu’elle avait conclu avec la société Technip, vendeur intermédiaire ;

Et attendu, enfin, que l’arrêt retient que Qapco et ses assureurs subrogés étaient bien fondés à rechercher la garantie légale de l’entrepreneur et que, le contrat d’entreprise conclu par la société Alsthom ayant eu pour objet de transmettre la propriété de la chose, l’entrepreneur se trouvait tenu d’une obligation de résultat qui emportait présomption de faute et présomption de causalité ; qu’ainsi, la cour d’appel n’a pas appliqué à la société Alsthom une clause relative à la garantie légale du vendeur ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

  1. V. en ce sens Y. Buffelan-Lanore, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques en droit civil, LGDJ, 1963 ; N. Fricero-Goujon, La caducité en droit judiciaire privé : thèse Nice, 1979 ; C. Pelletier, La caducité des actes juridiques en droit privé, L’Harmattan, coll. « logiques juridiques », 2004 ; R. Chaaban, La caducité des actes juridiques, LGDJ, 2006. ?
  2. R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559. ?
  3. M.-C. Aubry, « Retour sur la caducité en matière contractuelle », RTD Civ., 2012, p. 625. ?
  4. H. roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, coll. « Traités », 2002, n°02, p. 38. ?
  5. Article 1089 du Code civil. ?
  6. Article 1043 du Code civil. ?
  7. Article 1042, alinéa 1er du Code civil. ?
  8. V. Wester-Ouisse, « La caducité en matière contractuelle : une notion à réinventer », JCP G, n°, Janv. 2001, I 290. ?
  9. V. en ce sens F. Garron, La caducité du contrat : étude de droit privé, PU Aix-Marseille, 2000. ?
  10. Le régime juridique de la caducité contractuelle figure désormais aux nouveaux articles 1186 et 1187 du Code civil. ?
  11. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, 2014, V. Caducité. ?
  12. V. en ce sens A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruylant, 1998, n°54 et s. ?
  13. D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, éd. Odile Jacob, 1997, p. 61. V. également en ce sens F. Rangeon, « Réflexions sur l’effectivité du droit » in les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 130 ; P. Amselek, « Kelsen et les contradictions du positivisme », APD, 1983, n°28, p. 274. Pour la thèse opposée V. H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 19 et s. ?
  14. R. Savatier, Le prétendu principe de l’effet relatif des contrats, R.T.D. Civ., 1934, p. 544. ?

L’effet acquisitif de la possession

La possession d’un bien ne produit pas seulement un effet probatoire, elle emporte également un effet acquisitif lorsque certaines conditions sont remplies. Cet effet attaché à la possession procède du jeu de la prescription acquisitive.

L’article 2258 du Code civil définit cette prescription comme « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Immédiatement, il convient de distinguer la prescription acquisitive de la prescription extinctive.

  • La prescription extinctive
    • En application de l’article 2227 du Code civil, « le droit de propriété est imprescriptible»
    • Il en résulte que la propriété ne se perd par le non-usage, raison pour laquelle la prescription extinctive est inopposable au propriétaire.
    • Cette prescription extinctive joue, en revanche, s’agissant des actions réelles immobilières qui se prescrivent par trente ans.
  • La prescription acquisitive
    • La prescription acquisitive a pour effet de permettre au possesseur de devenir propriétaire du bien qu’il possède à l’expiration d’un certain délai.
    • Cette prescription qui peut avoir pour effet de priver le propriétaire initial d’un bien à la faveur du possesseur a été jugé par la Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt du 30 2007 comme conforme à l’article 1 du Protocole n° 1 (protection de la propriété) à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH 30 août 2007, Gde ch. J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c/ Royaume-Uni, n° 44302/02).
    • Les juges strasbourgeois considèrent que l’instauration d’une prescription acquisitive relève du pouvoir des États de « réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général».

S’agissant de la possession, c’est donc la prescription acquisitive qui a vocation à jouer. À cet égard, ses conditions de mise en oeuvre diffèrent selon que l’on est en présence d’un meuble ou d’un immeuble.

Par ailleurs, la présomption ne permet pas seulement d’acquérir un bien, elle emporte également l’acquisition des fruits.

I) L’acquisition du bien

L’effet acquisitif de la possession varie donc selon qu’elle porte sur un meuble ou sur un immeuble. À l’intérieur de chaque catégorie de biens, il convient encore de distinguer selon que le possesseur est de bonne foi ou de mauvaise foi.

Reste que toute possession utile, quand bien même le possesseur est de mauvaise foi, fait acquérir la propriété du bien.

Cette règle résulte clairement de l’article 2261 du Code civil qui ne fait nullement référence à l’exigence de bonne foi.

Dès lors, le principe c’est la production d’un effet acquisitif pour toute possession. La mise en œuvre de ce principe connaît néanmoins des variations selon que le possesseur est de bonne ou de mauvaise foi.

A) Le principe

  1. L’effet acquisitif de la possession utile

L’article 2261 du Code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que la possession produit un effet acquisitif pourvu qu’elle soit prolongée dans le temps et qu’elle ne soit affectée d’aucun vice.

Si les conditions sont remplies, le possesseur devient titulaire du droit par l’effet de la prescription acquisitive : c’est ce que l’on appelle l’usucapion.

Si la règle ainsi posée s’applique tant aux meubles qu’aux immeubles, la durée de la prescription diffère d’une catégorie à l’autre.

  • Pour les immeubles, la durée de la prescription acquisitive est fixée à trente ans
  • Pour les meubles, la possession produit, par principe, un effet acquisitif immédiat

2. Calcul de la prescription

==> Modalités de calcul

La prescription acquisitive ne fonde le droit de propriété du possesseur, qu’autant que le possesseur est en mesure de justifier l’écoulement d’un certain délai.

En application de l’article 2228 du Code civil, ce délai, qui est fixé en année, et qui varie selon que l’on est en présence d’un meuble ou d’un immeuble, se calcule en jours et non en heures.

Quant à l’expiration du délai, elle intervient lorsque le dernier jour du terme est accompli (art. 2229 C. civ.).

Combinées au droit commun de la computation des délais énoncé aux articles 640 et suivants du Code de procédure civile, les règles ainsi posées conduisent à envisager la détermination du point de départ de la prescription acquisitive et son expiration comme suit :

  • Point de départ : le dies a quo
    • Première règle
      • Conformément à l’article 640 du Code de procédure civil, le délai « a pour origine la date de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir»
    • Seconde règle
      • L’article 641 précise que « lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas.»
      • Il en résulte que le jour initial de la possession ne doit pas être compté dans le délai de prescription.
  • Date d’expiration : le dies ad quem
    • Le principe est désormais que les délais sont francs, ce qui signifie qu’ils expirent le dernier jour à vingt-quatre heures
    • Combiné avec la règle qui s’applique au dies a quo la détermination du jour d’expiration du délai consiste à ajouter au quantième du jour de l’événement qui fait courir le délai le nombre de jours que comprend le délai
      • Exemples
        • L’événement se produit le 12 du mois et le délai est de 10 jours
          • Le jour d’expiration du délai est le 12+10, soit le 22 du mois
        • L’événement se produit le 27 du mois et le délai est de 10 jours
          • Le jour d’expiration du délai est le 27+10, soit le 7 du mois suivants si mois de 30 jours et 6 si mois de 31 jours
    • S’agissant de la prescription acquisitive, le dernier jour de la prescription est donc celui qui porte dans l’année finale le même quantième que le jour de la prise de possession.
    • Si toutefois, ce dernier jour est chômé ou férié, la Cour de cassation considère que la prorogation du délai prévue à l’article 642 du Code de procédure civile n’a pas lieu de s’appliquer (Cass. 2e civ. 5 févr. 2004, n°02-14217).

==> Fait générateur de la prescription

Le point de départ de la possession est, en principe, l’entrée en possession du bien, soit plus précisément le moment à partir toutes les conditions de la possession sont réunies.

Pour pouvoir prescrire, le possesseur devra donc justifier :

  • D’une part, de la caractérisation du corpus et de l’animus
  • D’autre part, de l’efficacité de la possession, en ce qu’elle doit être utile.

En pratique, il appartiendra au demandeur de démontrer que le délai durant lequel le possesseur a exercé son emprise sur le bien revendiqué est insuffisant pour pouvoir prescrire.

Si cela se vérifie, ce qui sera souvent le cas en matière immobilière, le possesseur pourra lui opposer la caractérisation de ce que l’on appelle une jonction de possessions.

==> La jonction des possessions

En cas d’insuffisance du délai de possession, le possesseur est autorisé à se prévaloir la règle posée à l’article 2265 du Code civil qui dispose que « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux. »

Aussi ressort-il de cette disposition que les durées de possession du bien en cas de possesseurs successifs s’additionnent. C’est la jonction des possessions. Ce mécanisme est admis, quels que soient les modes de transmission de la possession.

Dans cette perspective, afin de renforcer le titre de propriété de l’acquéreur d’un bien immobilier, les notaires s’attachent toujours à retracer dans l’acte de vente la chaîne de propriété en remontant à jusqu’à l’origine trentenaire.

Reste qu’il convient de distinguer selon que les possesseurs se sont succédé à titre particulier ou à titre universel :

  • Les possesseurs se sont succédé à titre universel
    • Dans cette hypothèse, il y a une continuation de la personne du possesseur originaire par le possesseur actuel.
    • Il en résulte que la possession de l’ayant cause universel possède les mêmes qualités que la possession de son auteur
    • Les vices affectant la possession originaire se transmettent ainsi de possession en possession.
    • Il en va de même pour la mauvaise foi du premier possesseur
    • Si donc la possession originaire a été interrompue, il conviendra de démontrer qu’elle a été reprise suffisamment tôt pour que la prescription acquisitive puisse jouer.
  • Les possesseurs se sont succédé à titre particulier
    • Dans cette hypothèse, le possesseur actuel ne tient du possesseur originaire que le droit attaché à la possession en tant que tel.
    • Il en résulte que démarre une nouvelle possession, débarrassée de ses vices affectant éventuellement les possessions antérieures
    • Chaque possession de la chaîne translative sera donc appréciée séparément, ce qui signifie que la possession de l’ayant cause pourra présenter des qualités radicalement différentes de celle de son auteur.
    • Lorsque toutefois, la jonction porte sur une prescription trentenaire et une prescription abrégée, les délais ne pourront s’additionner qu’à certaines conditions.
    • Pour rappel, tandis que la prescription trentenaire requiert seulement l’absence de vice affectant la possession, la prescription abrégée exige la réunion de deux conditions supplémentaires que sont, la bonne foi du possesseur et l’entrée en possession au moyen d’un titre.
    • Deux situations doivent alors être distinguées :
      • Le possesseur n’est pas fondé à se prévaloir de la prescription abrégée
        • Dans cette hypothèse, la jonction ne pourra se faire qu’avec la seule prescription trentenaire
      • Le possesseur est fondé à se prévaloir de la prescription abrégée
        • Dans cette hypothèse, le possesseur dispose d’une option :
          • Soit il décide de prescrire par lui-même au moyen de la prescription abrégée
          • Soit il décide de bénéficier de la jonction de possession avec la prescription trentenaire si le délai qui reste à courir est inférieur à celui de la prescription abrégée
        • En tout état de cause, la jonction ne peut valablement opérer qu’à la condition que le possesseur, qui tien la chose en sa qualité d’ayant cause à titre particulier, se la soit vue remettre au titre d’une obligation de délivrance ou de restitution.

==> Les incidents affectant le cours de la prescription

Le cours de la possession peut, en raison de vices, être soit interrompu, soit suspendu. L’article 2259 du Code civil prévoit en ce sens que sont applicables à la prescription acquisitive les causes d’interruption et de suspension de la prescription acquisitive.

  • L’interruption de la possession
    • À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, en application de l’article 2231 du Code civil, l’interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien.
    • Plusieurs causes sont susceptibles d’interrompre la prescription :
      • Privation de jouissance
        • La prescription acquisitive est interrompue lorsque le possesseur d’un bien est privé pendant plus d’un an de la jouissance de ce bien soit par le propriétaire, soit même par un tiers ( 2271 C. civ.)
      • Reconnaissance des droits du propriétaire
        • La reconnaissance par le possesseur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription ( 2240 C. civ.)
      • Action en justice
        • L’action en justice exercée par le demandeur qui revendique la propriété du bien sur lequel le possesseur exerce son emprise ( 2241 C. civ.)
      • Mesure conservatoire et exécution forcée
        • Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée ( 2244 C. civ.)
      • Pluralité de possesseurs
        • L’interpellation faite à l’un des possesseurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le possesseur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers ( 2245 C. civ)
  • La suspension de la possession
    • En application de l’article 2230 du Code civil, ma suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.
    • Ainsi, à la différence de l’interruption un nouveau délai ne recommence pas à courir.
    • Plusieurs causes de suspension de la prescription acquisitive sont prévues par le Code civil
      • Force majeure
        • La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure ( 2234 C. civ.)
      • Incapacité
        • La prescription ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle ( 2235 C. civ.)
      • Mariage et pacs
        • La prescription ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ( 2236 C. civ.)
      • Conciliation et médiation
        • La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation ( 2238 C. civ.).
      • Procédure participative
        • La prescription est également suspendue à compter de la conclusion d’une convention de procédure participative ou à compter de l’accord du débiteur constaté par l’huissier de justice pour participer à la procédure prévue à l’article L. 125-1 du code des procédures civiles d’exécution ( 2238 C. civ.).
      • Mesure d’instruction avant dire droit
        • La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès ( 2239 C. civ.)

3. Rôle de la volonté du possesseur

==> L’invocation de la prescription

L’article 2247 du Code civil dispose que « les juges ne peuvent pas suppléer d’office le moyen résultant de la prescription. »

Il en résulte que l’on ne peut prescrire contre la volonté du possesseur. Autrement dit, il a seul qualité à se prévaloir de la prescription acquisitive attachée à la possession

À cet égard, l’article 2248 précise que sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d’appel.

==> La renonciation à la prescription

La question subsidiaire qui alors se pose est de savoir dans quelles conditions le possesseur est-il autorisé à renoncer à la prescription acquisitive ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 2250 à 2253 du Code civil qui traitent de la renonciation à la prescription.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces dispositions :

  • L’impossibilité de renoncer à une prescription en cours
    • L’article 2250 du Code civil dispose que « seule une prescription acquise est susceptible de renonciation.»
    • On peut en déduire que le possesseur n’est pas autorisé, en cours de possession, à prescrire.
  • Les modalités de la renonciation
    • Sur la forme de la renonciation
      • L’article 2251, al. 1er du Code civil prévoit que La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.
      • L’alinéa 2 du texte précise que la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.
    • Sur la capacité du possesseur
      • L’article 2252 du Code civil dispose que « celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise. »
      • Cela signifie que s’il est indifférent que le possesseur soit frappé d’une incapacité pour que la possession produise son effet acquisitif, il est, en revanche, nécessaire d’être doté de sa pleine capacité pour renoncer à la prescription acquisitive.
      • Cette renonciation est regardée comme un acte de disposition, raison pour laquelle il faut être capable pour accomplir cet acte.
  • Opposabilité de la renonciation
    • L’article 2253 du Code civil prévoit que « les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l’opposer ou l’invoquer lors même que le débiteur y renonce. »
    • Cela signifie que la renonciation à la prescription acquisitive n’est, par principe, pas opposable aux tiers.
    • Pour le devenir, le possesseur doit accomplir les formalités de publicité prévues à l’article 28, 8° du décret n°55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière
    • À cet égard, cette disposition prévoit que « sont obligatoirement publiés au service chargé de la publicité foncière de la situation des immeubles […] les actes qui interrompent la prescription acquisitive conformément aux articles 2244 et 2248 du code civil, et les actes de renonciation à la prescription acquise»

==> La restitution du bien

L’article 2249 du Code civil dispose que « le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré. »

Cette disposition doit être interprétée comme posant que le possesseur, en cas de remise du bien à l’auteur de la revendication, ne dispose d’aucun recours en restitution quand bien même il démontre que la prescription acquisitive a opéré.

La raison en est que l’acquisition du délai de prescription ne fait nullement disparaître le droit du propriétaire : elle fait seulement obstacle à l’exercice d’une action en justice.

C’est la raison pour laquelle si le bien lui est remis spontanément, il est parfaitement fondé à refuser de le restituer au possesseur.

4. Aménagement conventionnel de la prescription

==> Principe

Issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, l’article 2254 du Code civil traite de l’aménagement conventionnel de la prescription.

Cette disposition a, en effet, consacré et étendu les possibilités d’aménagement conventionnel de la prescription qui avaient été envisagées par la jurisprudence.

De tels aménagements étaient, en effet, déjà possibles avant la réforme, compte tenu de l’interprétation que les juridictions ont faite d’ancien article 2220 du code civil.

Cette disposition qui prohibait la renonciation à une prescription par anticipation autorisait néanmoins la stipulation de clauses contractuelles abrégeant un délai. En particulier, il était admis que le délai de prescription acquisitive soit réduit.

Désormais, les parties disposent de la faculté d’aménager

  • La durée de la prescription
    • Le premier alinéa de l’article 2254 du Code civil prévoit que la durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties.
    • Cette faculté est toutefois encadrée par une double limite
      • D’une part, la durée de la prescription ne peut être réduite à moins d’un an
      • D’autre part, la durée de la prescription ne peut pas être étendue à plus de dix ans
  • Les causes d’interruption et de suspension de la prescription
    • Le deuxième alinéa de l’article 2254 du Code civil prévoit que les parties peuvent également, d’un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de la prescription prévues par la loi.
    • Cette faculté, qui est une reprise de la jurisprudence antérieure (V. en ce sens civ., 13 mars 1968) n’est ici assortie d’aucune restriction, à l’exception de celle qui tient à la relation entre un professionnel et un consommateur

Bien que la possibilité pour les parties d’aménager la prescription acquisitive soit prévue par la loi, elle n’en demeure pas moins théorique dans la mesure où pour ce faire, encore faut-il qu’un contrat ait été conclu.

Or le plus souvent, le possesseur et la personne qui revendique le bien sont étrangers l’un à l’autre.

==> Tempérament

L’article L. 218-1 du Code de la consommation prévoit que « par dérogation à l’article 2254 du code civil, les parties au contrat entre un professionnel et un consommateur ne peuvent, même d’un commun accord, ni modifier la durée de la prescription, ni ajouter aux causes de suspension ou d’interruption de celle-ci. »

Ainsi, dans le cadre de la relation entre un professionnel et un consommateur, l’aménagement conventionnel de la prescription acquisitif est purement est simplement prohibé.

B) La mise en œuvre du principe

Les modalités de mise en œuvre de la prescription acquisitive diffèrent selon que la possession porte sur un meuble ou un immeuble.

Lorsque certaines conditions sont remplies, les textes prévoient, en effet, des délais de prescription abrégée, l’objectif recherché étant de primer la bonne foi du possesseur.

  1. La prescription acquisitive des immeubles

==> Principe : la prescription trentenaire

L’article 2272 du Code civil prévoit que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

Pour prescrire en matière immobilière il convient donc de posséder utilement le bien pendant un délai de 30 ans.

Il est ici indifférent que le possesseur soit de mauvaise foi. La bonne foi n’est pas érigée en condition d’application de la prescription trentenaire.

==> Exception : la prescription abrégée

Par exception à la prescription trentenaire, l’alinéa 2 de l’article 2272 du Code civil prévoit que « celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. »

Lorsqu’ainsi les conditions posées par ce texte sont remplies, la prescription acquisitive est ramenée à 10 ans en matière de propriété immobilière.

Cette mesure de faveur qui bénéficie au possesseur de bonne foi, vise à lui permettre de ne pas rester dans l’incertitude trop longtemps et à mettre fin à une situation qui est susceptible d’entraver l’exploitation économique du bien, ainsi que sa circulation.

Le législateur n’est pas allé jusqu’à assortir la possession de bonne foi d’un effet acquisitif immédiat, à l’instar des meubles.

Compte tenu de la valeur des immeubles, il convient, en effet, de laisser le temps  nécessaire au vrai propriétaire (verus dominus) de se manifester et d’exercer, le cas échéant, une action en revendication.

==> Domaine

  • Les biens éligibles
    • La prescription abrégée je noue que pour l’acquisition d’immeubles ou de droits réels immobiliers
    • Il est indifférent que le droit immobilier sur lequel elle porte soit démembré, de sorte qu’elle peut jouer en matière de d’usufruit.
    • En revanche, sont exclues du champ d’application de la prescription abrégée les servitudes ( civ. 6 nov. 1889).
    • Cette exclusion est d’origine légale, plusieurs dispositions du Code civil assujettissant la possession de servitudes à la prescription trentenaire (V. en ce sens 642, 685 et 690 C. civ.)
  • Acquisition a non domino
    • Le jeu de la prescription abrégée se limite aux immeubles et aux droits réels qui ont fait l’objet d’une acquisition a non domino, soit que le possesseur a acquis auprès du non-propriétaire.
    • Ainsi, celui qui a acquis le bien auprès du véritable propriétaire, mais dont le titre est entaché d’une irrégularité (nullité, inexistence) ou privé d’efficacité (caducité, résolution), ne pourra pas se prévaloir du bénéfice de la prescription abrégée.
    • La raison en est que l’usucapion vise à couvrir, non pas l’inefficacité du titre détenu par le possesseur, mais l’absence de titre du verus dominus.

==> Conditions

Les conditions exigées par l’article 2272 du Code civil sont : la bonne foi du possesseur, la justification d’un juste titre.

  • Sur la bonne foi
    • Pour usucaper un bien ou en droit réel immobilier au moyen de la prescription abrégée le possesseur doit être de bonne foi.
    • Que doit-on entendre par bonne foi ?
    • Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 550 du Code civil qui définit cette notion.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • À cet égard, en application de l’article 2274 du Code civil, la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.
    • Il lui appartiendra ainsi d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.
  • Sur le juste titre
    • Deuxième condition d’application de la prescription abrégée, le possesseur doit être entré en possession du bien en étant muni d’un juste titre.
    • La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par juste titre.
    • En l’absence de définition légale, il convient de se tourner vers la jurisprudence qui a défini, par touches successives, la notion.
      • Un acte translatif de propriété
        • Le juste titre est un acte qui opère un transfert de propriété du bien
        • Il en résulte que les actes tels que le bail, le mandat ou encore le prêt ne peuvent, en aucun cas, être regardés comme des justes titre au sens de l’article 2272, al. 2e du Code civil.
      • Un acte translatif de propriété à titre particulier
        • Lorsque, au moment de sa délivrance, le bien relevait d’une universalité, le possesseur ne justifie pas d’un juste titre.
        • Tel est le cas en matière de succession, l’ayant cause à titre universel héritant d’une masse de biens non individualisés.
        • Seuls les actes qui ont opéré un transfert à titre particulier de biens sont constitutifs d’un juste titre
      • Un titre réel et valable
        • Pour se prévaloir d’un juste titre, le possesseur doit non seulement justifier de l’existence d’un acte translatif, mais encore de sa validité.
        • Si l’acte est frappé de nullité ou qu’il ne mentionne pas, avec précision, le bien revendiqué, il ne constituera pas un juste titre
        • S’agissant de la preuve du titre, elle se fait conformément au droit commun.
        • Quant à la charge de la preuve, elle pèsera sur l’auteur de l’action en revendication.

2. La prescription acquisitive des meubles

En matière de meuble, le délai de la prescription varie selon que le posssesseur est de bonne ou de mauvaise foi.

Le législateur a, par ailleurs, soumis les biens perdus ou volés à un régime spécial qui offre la possibilité au véritable propriétaire de revendiquer son bien pendant un certain temps.

a) Le possesseur est de bonne foi : acquisition immédiate

i) Principe

L’article 2276 du Code civil dispose que « en fait de meubles, la possession vaut titre ». Outre la fonction probatoire remplie par la règle ainsi énoncée, elle confère à la possession un effet acquisitif immédiat.

Autrement dit, la loi confère à celui qui possède, de bonne foi, un meuble un titre de propriété ; car « la possession vaut titre ». Nul besoin ici pour le possesseur de justifier d’un acte translatif de propriété : la possession utile et de bonne foi suffit à lui conférer la qualité de propriétaire.

Plus encore, elle lui confère au possesseur un droit originaire sur le meuble, soit un droit qui prime sur les droits, tant réels, que personnels, que le verus dominus a pu consentir à des tiers. Les droits de ce dernier son donc inopposables à l’acquéreur a non domino.

Manifestement, la règle ainsi posée déroge au principe nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a.

En toute rigueur, il serait plus juste de considérer que le bien revendiqué demeure, jusqu’à preuve du contraire, la propriété du véritable propriétaire.

Toutefois, en raison de la nature des meubles dont la preuve se la propriété se laisse difficilement rapporter, l’action en revendication portant que cette catégorie a toujours été enfermée dans des conditions très strictes. D’où l’adage « les meubles n’ont point de suite ».

Ainsi, en matière de meuble, l’effet acquisitif immédiat attaché à la possession est de nature à exclure, par principe, l’action en revendication.

Ce n’est que par exception, visée notamment à l’article 2 de l’article 2276 du Code civil, que la revendication est admise.

Pour jouer, la règle énoncée à l’alinéa 1er de l’article 2276 est toutefois subordonnée à l’observation de plusieurs conditions. Son domaine d’application est, par ailleurs, strictement délimité.

ii) Domaine

==> Biens éligibles

L’article 2276 du Code civil vise les seuls meubles comme susceptibles de faire l’objet d’une acquisition instantanée par le possesseur.

On peut immédiatement en déduire que les immeubles sont exclus du champ d’application de la règle de sorte qu’ils ne peuvent être acquis par possession qu’au moyen de la prescription trentenaire ou abrégée.

S’agissant des meubles, la question se pose de savoir si tous sont concernés.

A l’examen, un certain nombre d’entre eux échappent à la règle « en fait de meuble possession vaut titre ».

Au nombre des exclus on compte :

  • Les meubles soumis à la publicité
    • Dès lors que l’acquisition d’un bien meuble suppose l’accomplissement d’une formalité de publicité, l’article 2276 du Code civil devient inapplicable
    • Ainsi, la possession d’un bien immatriculé ne produit aucun effet acquisitif.
  • Les meubles qui relèvent du domaine public
    • Les meubles du domaine public sont inaliénables
    • Aussi, cette inaliénabilité a-t-elle pour effet de neutraliser l’application de l’article 2276 du Code civil.
  • Les meubles gagés
    • Lorsque le meuble fait l’objet d’un gage sans dépossession, il n’est, par hypothèse, pas dans les mains du constituant.
    • Est-ce à dire que son débiteur peut se prévaloir du jeu de l’article 2276 du Code civil en cas d’actionnement de la garantie ?
    • Il n’en est rien dans la mesure où le gage sans dépossession confère au créancier constituant un droit de rétention sur le bien gagé.
  • Les meubles incorporels
    • Les meubles incorporels sont exclus du champ d’application de l’article 2276 du Code civil
    • La raison en est que pour être applicable, encore faut-il que puisse s’exercer sur le bien une possession prise dans tous ses éléments constitutifs
    • Or lorsqu’il s’agit d’une chose incorporelle, la condition tenant au corpus ne peut pas être remplie (V. en ce sens civ., 11 mars 1839).
    • Dans un arrêt du 7 mars 2006, la chambre commerciale a par exemple jugé que « l’article 2279 du Code civil ne s’applique qu’aux seuls meubles corporels individualisés ; que la licence d’exploitation d’un débit de boissons ayant la même nature de meuble incorporel que le fonds de commerce dont elle est l’un des éléments et ne se transmettant pas par simple tradition manuelle, c’est à bon droit que la cour d’appel a écarté pour la dite licence d’exploitation la présomption prévue par ce texte»
  • Les meubles par anticipation ( 3e civ., 4 juill. 1968)
    • Pour mémoire, les meubles par anticipation sont tous les biens qui sont des immeubles par nature, mais qui, dans un futur proche, ont vocation à être détachés du sol.

S’agissant des meubles qui rentrent dans le champ d’application de l’article 2276 du Code civil, on compte, les meubles corporels susceptibles de tradition, d’aliénation.

S’agissant de la monnaie scripturale la Cour de cassation considère qu’elle échappe à l’effet acquisitif de la possession, dans la mesure où seuls les meubles corporels individualisés peuvent donner lieu à l’application de l’article 2276 du Code civil et peuvent être l’objet d’une revendication (Cass. 1re civ., 10 févr. 1998, n°96-12.711).

Cette position vaut-elle pour toutes les choses fongibles ?

Il convient manifestement de répondre par la négative à cette question.

L’article 2369 du Code civil prévoit, en effet, que « la propriété réservée d’un bien fongible peut s’exercer, à concurrence de la créance restant due, sur des biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte. »

Il s’infère de cette disposition que l’action en revendication portant sur un bien fongible est permise dès lors que le demandeur est en mesure d’identifier chez le défendeur un bien de même nature et de même qualité.

Réciproquement, le possesseur d’un bien fongible individualisé doit pouvoir se prévaloir de l’effet acquisitif attaché à la possession.

iii) Acquisition a non domino

À l’instar de la prescription abrégée, l’application de la règle en fait de meuble possession vaut titre se limite aux meubles qui ont fait l’objet d’une acquisition a non domino, soit que le possesseur a acquis auprès du non-propriétaire.

Ainsi, celui qui a acquis le bien auprès du véritable propriétaire, mais dont le titre est entaché d’une irrégularité (nullité, inexistence) ou privé d’efficacité (caducité, résolution), ne pourra pas se prévaloir du bénéfice de la prescription abrégée.

La raison en est que la règle posée à l’article 2276 du Code civil vise à couvrir, non pas l’inefficacité du titre détenu par le possesseur, mais l’absence de titre du verus dominus.

iv) Conditions

  • La possession
    • Pour que la possession d’un meuble produise un effet acquisitif, encore faut-il
      • D’une part, qu’elle soit caractérisée dans tous ses éléments que sont le corpus et l’animus
      • D’autre part, qu’elle soit utile, c’est-à-dire affectée d’aucun vice
    • La charge de preuve pèse sur le verus dominus qui exercera l’action en revendication.
  • Bonne foi
    • Pour opérer, la règle posée à l’article 2276 du Code civil suppose la bonne foi du possesseur.
    • Dans la mesure où, en application de l’article 2274, la bonne foi est toujours présumée c’est, là encore, au verus dominus de prouver que le possesseur est de mauvaise foi.
    • Pour mémoire, l’article 550 du Code civil dispose que le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignore les vices.
    • La bonne foi s’apprécie ainsi non pas au moment de l’entrée en possession, mais au moment l’acquisition qui procède de l’obtention d’un titre, tel qu’un contrat par exemple.
    • Il appartiendra au demandeur d’établir que le possesseur connaissait, au jour de l’acquisition du bien, les causes d’inefficacité du titre en vertu duquel il est entré en possession.
    • Plus précisément l’auteur de l’action en revendication devra démontrer que le possesseur savait qu’il acquérait le bien a non domino, soit que la personne avec laquelle il traitait n’était pas le verus dominus.
    • À cet égard, il convient d’observer que le possesseur de mauvaise foi ne peut pas se prévaloir de l’article 2276 du Code civil.
    • Faut de pouvoir acquérir immédiatement le bien, il ne pourra compter que sur la prescription acquisitive.
  • La dépossession volontaire
    • Pour jouer, la règle en fait de meuble possession vaut titre exige que le verus dominus se soit volontairement dépossédée du bien revendiquée
    • Cette condition s’infère du second alinéa de l’article 2276 du Code civil qui prévoit que, en cas de perte ou de vol, l’action en revendication peut être exercée pendant un délai de trois ans contre celui dans les mains duquel il la trouve.
    • Par dépossession volontaire, il faut entendre la régularisation d’un contrat non translatif de propriété par lequel le propriétaire a remis le bien entre les mains d’un tiers, lequel l’a aliéné à la faveur de l’auteur de la possession.
    • L’effet acquisitif immédiat de la possession fait ici obstacle à toute action en revendication contre le possesseur de bonne foi.
    • Le verus dominus disposera seulement d’une action récursoire contre son cocontractant qui a transmis plus de droits qu’il n’en avait sur la chose ( 2276, al. 2e in fine), ce qui est de nature à engager sa responsabilité contractuelle.

v) Exception

==> Perte et vol

L’article 2276, al. 2 du Code civil dispose que « celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel il la trouve ; sauf à celui-ci son recours contre celui duquel il la tient. »

La règle en fait de meuble possession vaut titre est ainsi assortie d’une exception qui tient à la dépossession involontaire du verus dominus.

Cette dépossession involontaire peut procéder du vol ou d’une perte.

  • S’agissant du vol, il est défini comme la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ( 311-1 C. pén.)
  • S’agissant d’une perte, il s’agit de l’hypothèse où le verus dominus s’est dessaisi involontairement de la chose

==> Acquisition sous condition suspensive

Dans ces deux situations, le verus dominus dispose d’une action en revendication qui, si elle est exercée, neutralise la règle énoncée à l’alinéa 1er de l’article 2276 du Code civil.

Contrairement à ce que suggère l’alinéa 2 de cette disposition, la possession produit bien un effet acquisitif. Toutefois cet effet peut être anéanti rétroactivement en cas d’action en revendication.

==> Délai de l’action en revendication

Cette action peut être exercée pendant trois ans à compter du jour de la perte ou du vol, contre celui dans les mains duquel la chose se trouve.

Ce délai étant un délai préfix, il est insusceptible de faire l’objet d’une suspension ou d’une interruption.

==> Mise en œuvre de l’action

S’agissant de la mise en œuvre de l’action en revendication elle est subordonnée au remboursement du possesseur par le verus dominus.

C’est le sens de l’article 2277 du Code civil qui dispose que « si le possesseur actuel de la chose volée ou perdue l’a achetée dans une foire ou dans un marché, ou dans une vente publique, ou d’un marchand vendant des choses pareilles, le propriétaire originaire ne peut se la faire rendre qu’en remboursant au possesseur le prix qu’elle lui a coûté. »

Il en va de même selon l’alinéa 2 du texte pour le bailleur qui « revendique, en vertu de l’article 2332, les meubles déplacés sans son consentement et qui ont été achetés dans les mêmes conditions ». Ce dernier se doit également de « rembourser à l’acheteur le prix qu’ils lui ont coûté ».

Dans cette configuration, l’action en revendication exercée par le verus dominus n’aura d’intérêt pour lui qu’à la condition que le bien revendiqué possède une valeur particulière pour lui.

==> Actions récursoires

En cas de succès de l’action en revendication contre le possesseur, la question se pose des recours contre celui qui a aliéné la chose au mépris de la règle nemo plus juris.

  • Le recours du possesseur
    • L’article 2276, al. 2e du Code civil confère une action récursoire au possesseur contraint de restituer la chose revendiquée au verus dominus contre le détenteur indélicat.
    • Ce recours s’analyse en l’exercice de droit d’éviction prévu à l’article 1626 du Code civil qui prévoit que « quoique lors de la vente il n’ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre dans la totalité ou partie de l’objet vendu, ou des charges prétendues sur cet objet, et non déclarées lors de la vente. »
    • Il s’agit ainsi de la mise en œuvre de la garantie d’éviction dont bénéficie l’acquéreur d’une chose.
    • Au titre de cette garantie, le possesseur évincé sera fondé à réclamer la restitution du prix de la chose, des frais accessoires attachés à cette restitution et, le cas échéant des frais de procédure engagés dans le cadre de l’action en revendication et de mise en œuvre de la garantie d’éviction.
    • La question qui alors se pose est de savoir si, dans l’hypothèse où le possesseur évincé a été indemnisé par le verus dominus en application de l’article 2277 du Code civil, il conserve son droit d’agir contre son vendeur.
    • À cette question, la jurisprudence a répondu par la négative, considérant que son action devenait sans objet (V. en ce sens 1ère civ. 26 nov. 1956).
    • Il convient néanmoins de nuancer cette solution qui ne devrait pas faire obstacle à une demande d’indemnisation liée à la perte d’exploitation susceptible d’être occasionné par la restitution de la chose, outre les frais d’entretien et de procédure engagés.
    • Dans un arrêt du 7 novembre 1995, la Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que « l’acquéreur de bonne foi d’une chose volée qui s’est volontairement dessaisi perd de son propre fait le droit d’obtenir du propriétaire le remboursement du prix qu’il a payé et ne peut en conséquence rechercher la garantie de son vendeur» ( 1ère civ., 7 nov. 1995 n° 93-15.840).
  • Le recours du verus dominus
    • Le succès de l’action en revendication exercée par le verus dominus contre le possesseur est subordonné au remboursement du prix de la chose revendiquée.
    • Le revendiquant aura ainsi été contraint d’exposer des frais pour obtenir la restitution de son bien.
    • La question qui a lors se pose est de savoir si celui-ci dispose d’un recours contre le vendeur du bien.
    • À l’examen, tout dépend si ce dernier est de bonne ou de mauvaise foi.
    • En effet, dans un arrêt du 11 février 1931 la Cour de cassation a jugé que « le propriétaire qui, pour se faire rendre une chose volée ou perdue, a dû rembourser au possesseur actuel le prix qu’elle lui a coûté, ne saurait puiser dans les articles 2276, 2277 et 1251 du Code civil le principe d’une action en indemnité contre celui qui a cessé d’avoir la possession de la chose volée ou perdue ; que la seule action appartenant dans ce cas au propriétaire doit être fondée, par application de l’article 1382 du Code civil, sur l’existence d’une faute commise par le défendeur et qu’elle ne saurait être accueillie qu’alors que cette faute est préalablement constatée par le juge» ( civ., 11 févr. 1931).
    • Il ressort de cette décision que le verus dominus ne peut agir contre le vendeur qu’à la condition qu’il démontre que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité délictuelle sont réunies.
    • Autrement, il lui appartient d’établir que le vendeur était de mauvaise foi, laquelle mauvaise foi constitue une faute au sens de l’article 1240 du Code civil, anciennement 1382 à l’époque de l’arrêt.
    • Lorsque, dès lors, le vendeur est de bonne foi, le verus dominus ne dispose d’aucun recours contre lui, ni sur le fondement de la subrogation légale, ni sur le fondement de l’enrichissement injustifié (action de in rem verso).

b) Le possesseur est de mauvaise foi : acquisition différée

Lorsque le possesseur est de mauvaise foi, la règle « en fait de meuble possession vaut titre est écartée » de sorte que l’acquisition du bien n’est pas immédiate.

Elle est, en effet, soumise à la prescription acquisitive dont le délai était fixé à trente ans avant la réforme opérée par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

L’ancien article 2262 du Code civil prévoyait en ce sens que « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme la question du délai de la prescription acquisitive en cas de possession de mauvaise foi d’un meuble n’est envisagée par aucun texte.

Tandis que le délai de droit commun intéresse la seule prescription extinctive, la prescription acquisitive trentenaire ne vise que les immeubles.

En l’absence de texte tranchant cette question, plusieurs thèses peuvent être retenues :

  • Première thèse
    • Lorsque le possesseur est de mauvaise foi, la possession ne produit aucun effet acquisitif
    • La propriété des meubles est ainsi imprescriptible pour les possesseurs de mauvaise foi
  • Deuxième thèse
    • Il convient d’appliquer le délai de droit commun de la prescription énoncé par l’article 2224 du Code civil qui dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Bien que ce délai de 5 ans soit prévu pour la prescription extinctive, il pourrait être appliqué, par extinction, à la prescription acquisitive en cas de mauvaise foi du possesseur
  • Troisième thèse
    • On pourrait appliquer aux meubles, par analogie aux règles qui régissent la possession de mauvaise foi d’un immeuble, la prescription trentenaire visée à l’article 2272 du Code civil.
    • La possession produirait ainsi, en matière de meuble, un effet acquisitif à l’expiration d’un délai de trente ans lorsque le possesseur est de mauvaise foi.

À l’examen, la doctrine serait plutôt favorable à cette dernière option, ce qui conduit à envisager l’effet acquisitif de la possession des meubles comme suit :

  • En cas de bonne foi du possesseur, la possession produit un effet acquisitif immédiat, conformément à la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil.
  • En cas de mauvaise foi du possesseur, la possession produit un effet acquisitif différé à trente ans, en application de l’article 2272 du Code civil.

II) L’acquisition des fruits

L’acquisition des fruits produit par le bien revendiqué dépend de la bonne ou mauvaise foi du possesseur :

  • Le possesseur est de bonne foi
    • L’article 549 du Code civil prévoit que « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. »
    • Le possesseur de bonne foi conserve ainsi le bénéfice des fruits du bien, quand bien même il serait tenu de le restituer au verus dominus
  • Le possesseur est de mauvaise foi
    • Dans cette hypothèse, l’article 549 du Code civil prévoit que le possesseur « est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique»
    • Le texte précise que si les fruits ne se retrouvent pas en nature dans le patrimoine du possesseur de mauvaise foi, leur valeur est estimée à la date du remboursement.
    • Autrement dit, il appartient à ce dernier de restituer au verus dominus les fruits perçus par équivalent, soit en valeur.
    • Se posera également la question d’une restitution de la valeur de jouissance procurée par la possession de la chose (V. en ce sens Fiche consacrée à la restitution des fruits et de la valeur de jouissance procurés par la chose)