Les droits de l’usufruitier

L’usufruit confère à son titulaire un droit réel. L’exercice de ce droit n’est, toutefois, pas sans contrepartie.

Un certain nombre d’obligations sont mises à la charge de l’usufruitier la principale d’entre elles étant la restitution du bien dans le même état que celui où il se trouvait au moment de l’entrée en jouissance.

De son côté, le nu-propriétaire exerce également un droit réel sur la chose. Ce droit, dont l’assiette est pendant toute la durée de l’usufruit pour le moins restreinte, a, au fond, pour intérêt majeur de garantir au nu-propriétaire le recouvrement de la pleine propriété de la chose à l’expiration de l’usufruit.

À cet effet, le nu-propriétaire a pour principale obligation de ne pas nuire à l’usufruitier dans sa jouissance de la chose.

À l’analyse, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont tous deux titulaires de droits réels qui sont indépendants l’un de l’autre.

François Terré et Philippe Simler ont écrit en ce sens que « le Code civil a conçu l’usufruit et la nue-propriété comme deux droits réels, coexistant sur la chose et juxtaposés, mais séparés : il n’y a pas communauté, mais bien séparation d’intérêts entre l’usufruitier et le nu-propriétaire ».

Il n’y a donc, entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, ni indivision, ni société. Tous deux exercent directement un pouvoir sur la chose sans avoir à se soucier des intérêts de l’autre.

Les seules limites à l’exercice indépendant de ces droits réels dont ils sont titulaires sont celles posées par la loi, laquelle met à la charge de l’usufruitier plusieurs obligations propter rem (art. 600 à 615 C. civ.).

Nous nous focaliserons ici sur les droits de l’usufruitier.

La constitution d’un usufruit sur une chose opère un démembrement du droit de propriété : tandis que le nu-propriétaire conserve l’abusus, l’usufruitier recueille l’usus et le fructus.

Au vrai, cette répartition des prérogatives entre ces deux titulaires de droits réels n’est pas tout à fait exacte, en ce sens que le démembrement du droit de propriété n’est pas une opération à somme nulle.

En toute logique, la somme des démembrements du droit de propriété devrait être égale au tout que constitue la pleine propriété, soit rassemblée dans tous ses attributs.

Tel n’est pourtant pas le cas. Il suffit pour s’en convaincre d’observer que le démembrement du droit de propriété entre un usufruitier et un nu-propriétaire ne permet, ni à l’un, ni à l’autre de détruire le bien, alors même qu’il s’agit d’une prérogative dont est investi le plein propriétaire.

Ce constat a conduit des auteurs à relever que « quantitativement, l’usufruitier a moins de pouvoir que le propriétaire n’en perd… ; quant au nu-propriétaire, il a moins de pouvoir que ce qu’il aurait si son droit était ce qu’il reste de la propriété après ablation de l’usus et du fructus »[1].

En tout état de cause, il peut être relevé que l’usufruitier est titulaire de deux sortes de droits

  • Les droits qui s’exercent sur la chose
  • Les droits qui s’exercent sur l’usufruit

I) Les droits qui s’exercent sur la chose

Les droits dont est titulaire l’usufruitier sur la chose procèdent de l’usus et du fructus que lui confère l’usufruit.

A) Le droit d’user de la chose : l’usus

==> Principes généraux

Parce qu’il est titulaire de l’usus, l’usufruitier est investi du pouvoir de faire usage de la chose en exerçant sur elle une emprise matérielle.

Le Doyen Carbonnier définissait l’usus comme « cette sorte de jouissance qui consiste à retirer personnellement – individuellement ou par sa famille – l’utilité ou le plaisir que peut procurer par elle-même une chose non productive ou non exploitée (habiter sa maison, porter ses bijoux, c’est en user) ».

À cet égard, le droit d’user de la chose confère à son titulaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.

À cet égard l’article 597 du Code civil précise, s’agissant de l’usufruitier, qu’« il jouit des droits de servitude, de passage, et généralement de tous les droits dont le propriétaire peut jouir, et il en jouit comme le propriétaire lui-même. »

L’usufruitier peut ainsi :

  • Utiliser la chose pour ses besoins personnels et pour autrui (habiter une maison, utiliser une voiture
  • Donner la chose à bail
  • Exploiter la chose (cultiver des terres, exploiter un fonds de commerce ou le donner en location-gérance etc..)
  • Consommer les choses consomptibles, à charge de les restituer par équivalent ou en valeur à l’expiration de l’usufruit
  • Construire un ouvrage dès lors que cela n’affecte pas de manière irréversiblement la substance de la chose

L’article 589 du Code civil précise que si l’usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l’usage, comme du linge, des meubles meublants, l’usufruitier a le droit de s’en servir pour l’usage auquel elles sont destinées, et n’est obligé de les rendre à la fin de l’usufruit que dans l’état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute.

Cela signifie donc que, pour les choses qui se détériorent par l’usage, l’usufruitier ne devra aucune indemnité au nu-propriétaire lors de la restitution du bien, dès lors qu’il en aura fait un usage normal.

Lorsque, en revanche, l’usage qu’il en fait est inapproprié et est de nature à précipiter la détérioration de la chose, l’usufruitier engagera sa responsabilité.

Il est encore fait obligation à l’usufruitier d’utiliser la chose conformément à la destination prévue dans l’acte de constitution de l’usufruit.

Cela signifie, autrement dit, que l’usufruitier doit se conformer aux habitudes du propriétaire qui a usé de la chose avant lui, sauf à commettre un abus de jouissance.

Par exemple, il lui est interdit de transformer un immeuble à usage d’habitation en local qui abriterait une activité commerciale.

Dans un arrêt du 4 juin 1975 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la conclusion d’un bail commercial sur des lieux destines à un autre usage constitue en elle-même une altération de la substance de la chose soumise à usufruit et peut caractériser un abus de jouissance de nature à entraîner la déchéance de l’usufruit » (Cass. 3e civ. 4 juin 1975, n°74-10777).

==> Cas particulier de la conclusion de baux

 L’article 595, al. 1er du Code civil prévoit que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. »

Ainsi, l’usufruitier est-il autorisé, par principe, à donner la chose soumise à l’usufruit à bail.

Toutefois, la conclusion de certains baux s’apparent parfois à de véritables actes disposition. Tel est le cas de la régularisation d’un bail commercial ou encore d’un bail rural

Aussi, afin qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits du nu-propriétaire qui, en présence d’un tel bail, serait contraint d’en supporter la charge à l’extinction de l’usufruit, le législateur a encadré l’opposabilité des actes accomplis en la matière par l’usufruitier.

  • S’agissant des baux conclus pour une durée égale ou inférieure à neuf ans
    • Le principe posé par l’article 595 du Code civil, c’est que l’usufruitier pour conclure seul ce type de baux, de sorte qu’ils sont parfaitement opposables au nu-propriétaire.
    • Ils auront donc vocation à se poursuivre à l’expiration de l’usufruit sans que le nu-propriétaire puisse s’y opposer.
    • L’alinéa 3 de l’article 595 a néanmoins apporté un tempérament à cette règle en prévoyant que « les baux de neuf ans ou au-dessous que l’usufruitier seul a passés ou renouvelés plus de trois ans avant l’expiration du bail courant s’il s’agit de biens ruraux, et plus de deux ans avant la même époque s’il s’agit de maisons, sont sans effet, à moins que leur exécution n’ait commencé avant la cessation de l’usufruit.».
    • L’objectif visée par cette règle est de limiter les conséquences d’un renouvellement de bail par anticipation.
    • Ainsi, selon qu’il s’agit d’un bail rural ou d’un autre type de bail, le renouvellement du bail ne pourra intervenir que trois ans ou deux avant l’expiration du bail en cours
  • S’agissant des baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans
    • Il ressort de l’article 595 du Code civil que lorsque le bail est conclu pour une durée supérieure à 9 ans, il est inopposable au nu-propriétaire.
    • L’alinéa 2e de cette disposition prévoit en ce sens que « les baux que l’usufruitier seul a faits pour un temps qui excède neuf ans ne sont, en cas de cessation de l’usufruit, obligatoires à l’égard du nu-propriétaire que pour le temps qui reste à courir, soit de la première période de neuf ans, si les parties s’y trouvent encore, soit de la seconde, et ainsi de suite de manière que le preneur n’ait que le droit d’achever la jouissance de la période de neuf ans où il se trouve»
  • S’agissant des baux portant sur un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal
    • L’article 595, al. 4 dispose que « l’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte. »
    • Pour les baux visés par cette disposition, l’usufruitier est donc contraint d’obtenir l’accord du nu-propriétaire.
    • Cet accord n’est toutefois pas indispensable, dans la mesure où le texte ouvre une action à l’usufruitier qui peut solliciter le juge aux fins de l’autoriser à conclure le bail.
    • Elle lui sera accordée lorsqu’il s’avère que le refus du nu-propriétaire est seulement animé par l’intention de nuire ou qu’elle ne repose sur aucune raison valable.
    • En cas d’absence d’autorisation du nu-propriétaire ou du juge, la sanction encourue c’est la nullité du bail et non l’inopposabilité (V. en ce sens 3e civ., 26 janv. 1972).
    • Dans un arrêt du 16 décembre 1987, la Cour de cassation a précisé que « l’exercice de l’action en nullité découlant de l’article 595 du Code civil n’est pas subordonné à la cessation de l’usufruit?» ( 3e civ., 16 déc. 1987, n° 86-15324).
    • Il en résulte que l’action peut être engagée sans qu’il soit besoin d’attendre la fin de l’usufruit
    • A cet égard, la nullité est ici relative, de sorte que l’action appartient au seul nu-propriétaire.

B) Le droit de jouir de la chose : le fructus

L’usufruit ne confère pas seulement à l’usufruitier le droit de faire usage de la chose, il lui confère également le droit d’en jouir.

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour l’usufruitier d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

L’article 582 du Code civil prévoit en ce sens que « l’usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l’objet dont il a l’usufruit. »

Immédiatement, il convient alors de préciser ce que l’on doit entendre par « fruits », lesquels doivent être distingués des « produits. »

  1. Distinction en les fruits et les produits

L’une des exploitations d’un bien peut consister à tirer profit de la création, à partir de celui-ci, d’un nouveau bien. Ainsi, un arbre procure-t-il des fruits, un immeuble donné à bail des loyers et une carrière des pierres.

La question qui a lors se pose est de savoir si tous ces nouveaux biens créés dont tire profit le propriétaire sont appréhendés par le droit de la même manière.

La réponse est non, en raison d’une différence physique qu’il y a lieu de relever entre les différents revenus qu’un bien est susceptible de procurer à son propriétaire.

En effet, il est des cas où la création de biens dérivés supposera de porter atteinte à la substance du bien originaire (extraction de pierre d’une carrière), tandis que dans d’autres cas la substance de ce bien ne sera nullement altérée par la production d’un nouveau bien.

Ce constat a conduit à distinguer les fruits que procure la chose au propriétaire des produits, l’intérêt de la distinction étant réel, notamment en cas de démembrement du droit de propriété.

  • Exposé de la distinction
    • Les fruits
      • Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.
      • Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.
      • Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :
        • Les fruits naturels
          • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
          • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
          • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
        • Les fruits industriels
          • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
          • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
          • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
        • Les fruits civils
          • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
          • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
          • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
          • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
        • Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire, il doit donc remplir deux critères :
          • La périodicité (plus ou moins régulière)
          • La conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.
        • Ainsi que l’exprimait le Doyen Carbonnier, « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit».
    • Les produits
      • Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance
      • Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine
      • Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé»[2].
      • Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.
      • Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.
      • Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.
      • Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.
  • Intérêt de la distinction
    • La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.
    • En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

Manifestement, la qualification de fruit ou de produit du revenu généré par la chose est d’importance, car elle détermine qui du nu-propriétaire ou de l’usufruitier en bénéficiera.

Si, en principe, cette qualification est prédéterminée par la nature de la chose, il est des cas où elle dépend de la volonté du propriétaire qui selon l’exploitation qu’il en fait pourra en retirer, tantôt des fruits, tantôt des produits.

Illustration est faite de cette possibilité dans le code civil qui distingue selon que sont présents sur un fonds soumis à usufruit des arbres de haute futaie des forêts ou des bois taillis.

  • S’agissant des bois taillis
    • Il s’agit des arbres qui ont vocation à être coupés à échéance périodique avant qu’ils n’atteignent leur pleine maturité pour qu’ils se développent à nouveau à partir de leur souche
    • Cette périodicité de la coupe des bois taillis leur confère la qualité de fruit : ils reviennent donc au seul usufruitier
    • À cet égard, l’article 590, al.1er du Code civil précise « si l’usufruit comprend des bois taillis, l’usufruitier est tenu d’observer l’ordre et la quotité des coupes, conformément à l’aménagement ou à l’usage constant des propriétaires ; sans indemnité toutefois en faveur de l’usufruitier ou de ses héritiers, pour les coupes ordinaires, soit de taillis, soit de baliveaux, soit de futaie, qu’il n’aurait pas faites pendant sa jouissanc»
    • L’alinéa 2 ajoute que l’usufruitier doit se conformer aux usages des lieux pour le remplacement
  • S’agissant des arbres de haute futaie des forêts
    • Principe
      • Contrairement aux bois taillis, les arbres de haute futaie des forêts sont ceux qui sont laissés en place pour qu’ils atteignent leur pleine maturité
      • Ils n’ont donc pas vocation à être coupés à échéance périodique ce qui fait d’eux des produits
      • Aussi reviennent-ils au nu-propriétaire et non à l’usufruitier qui ne peut y toucher.
      • Tout au plus l’article 592 du Code civil autorise l’usufruitier à « employer, pour faire les réparations dont il est tenu, les arbres arrachés ou brisés par accident ; il peut même, pour cet objet, en faire abattre s’il est nécessaire, mais à la charge d’en faire constater la nécessité avec le propriétaire. »
    • Exception
      • L’article 591 du Code civil envisage un cas où les arbres de haute futaie peuvent être qualifiés de fruits : lorsqu’ils sont aménagés et plus précisément lorsqu’ils sont soumis à une coupe réglée.
      • Dans cette hypothèse, ils reviennent à l’usufruitier et non au nu-propriétaire
      • Le texte prévoit en ce sens que « l’usufruitier profite encore […] des parties de bois de haute futaie qui ont été mises en coupes réglées, soit que ces coupes se fassent périodiquement sur une certaine étendue de terrain, soit qu’elles se fassent d’une certaine quantité d’arbres pris indistinctement sur toute la surface du domaine. »
      • Cette prérogative conférée à l’usufruitier est toutefois subordonnée au respect par lui de l’exigence de se conformer « aux époques et à l’usage des anciens propriétaires».
      • Dans le prolongement de cette faculté consenti à titre dérogatoire à l’usufruitier sur les arbres de haute futaie, l’article 593 du Code civil prévoit que « il peut prendre, dans les bois, des échalas pour les vignes ; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels ou périodiques ; le tout suivant l’usage du pays ou la coutume des propriétaires».

Enfin, l’article 594 du Code civil envisage le sort des arbres fruitiers présents sur le fonds soumis à l’usufruit.

Le texte prévoit que « les arbres fruitiers qui meurent, ceux mêmes qui sont arrachés ou brisés par accident, appartiennent à l’usufruitier, à la charge de les remplacer par d’autres. »

2. L’acquisition des fruits

==> Le moment d’acquisition des fruits

L’article 604 du Code civil dispose que « le retard de donner caution ne prive pas l’usufruitier des fruits auxquels il peut avoir droit ; ils lui sont dus du moment où l’usufruit a été ouvert. »

Il ressort de cette disposition que l’usufruitier peut percevoir les fruits produits par la chose à compter du moment où son droit est ouvert.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment s’opère cette ouverture du droit de l’usufruitier ?

À l’examen, il convient de distinguer selon que l’usufruit est d’origine légale, conventionnelle, testamentaire ou judiciaire.

  • L’usufruit d’origine légale
    • Dans cette hypothèse, pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier de percevoir les fruits, il convient de se reporter au point de départ fixé par la loi.
    • Ainsi, le droit du conjoint survivant qui est susceptible d’opter en présence d’enfants communs pour l’usufruit de la totalité des biens du de cujus s’ouvre à compter du décès de ce dernier
    • S’agissant du droit de jouissance légal des parents sur les biens de leur enfant il naît à compter du jour de l’acquisition du bien
  • L’usufruit conventionnel
    • Dans cette hypothèse, c’est la volonté des parties qui détermine le point de départ de l’usufruit.
    • À défaut, le droit de l’usufruitier est réputé être ouvert à compter du jour de la conclusion du contrat, soit de la régularisation de l’acte.
  • L’usufruit judiciaire
    • Dans cette hypothèse, c’est le juge qui, en octroyant à une partie, un droit d’usufruit, fixera son point de départ.
    • Lorsque, par exemple, l’usufruit sera constitué dans le cadre de l’octroi d’une prestation compensatoire, le droit du bénéficiaire prendra le plus souvent effet au jour de prononcé du jugement
  • L’usufruit testamentaire
    • Dans cette hypothèse, il convient de distinguer selon que l’usufruit est consenti à un légataire universel ou à un légataire à titre particulier.
      • L’usufruit consenti à un légataire universel ou à titre universel
        • Pour rappel, le légataire universel est celui qui se voit léguer l’universalité des biens du testateur, soit l’ensemble de son patrimoine ( 1003 C. civ.)
        • Quant au légataire à titre universel il s’agit de la personne qui recueille une quote-part des biens dont la loi permet au testateur de disposer, telle qu’une moitié, un tiers, ou tous ses immeubles, ou tout son mobilier, ou une quotité fixe de tous ses immeubles ou de tout son mobilier ( 1010 C. civ.).
        • À l’examen, la jurisprudence ne distingue pas selon que l’usufruitier est légataire universel ou légataire à titre universel
        • Dans les deux cas, les juridictions font application de l’article 1005 du Code civil.
        • En application de cette disposition le légataire universel aura la jouissance des biens compris dans le testament, à compter du jour du décès, si la demande en délivrance a été faite dans l’année, depuis cette époque
        • À défaut, précise le texte, cette jouissance ne commencera que du jour de la demande formée en justice, ou du jour que la délivrance aurait été volontairement consentie.
        • Dans un arrêt du 6 décembre 2005 la cour de cassation est venue préciser que « le conjoint survivant, investi de la saisine sur l’universalité de l’hérédité, a, dès le jour du décès et quelle que soit l’étendue de la vocation conférée par le legs qui lui a été consenti, la jouissance de tous les biens composant la succession, laquelle est exclusive de toute indemnité d’occupation» ( 6 déc. 2005, n°03-10211).
        • Il ressort de cette disposition que lorsque l’usufruitier cumule les qualités de légataire universel ou à titre universel et d’héritier son droit s’ouvre, en tout état de cause, au jour du décès du de cujus.
      • L’usufruit consenti à un légataire à titre particulier
        • Tout d’abord, le légataire à titre particulier est celui qui se voit léguer par le testateur un ou plusieurs biens individualisés
        • Dans cette hypothèse pour déterminer la date d’ouverture du droit de l’usufruitier à percevoir les fruits, il convient de se reporter à l’article 1014, al. 2e du Code civil.
        • Cette disposition prévoit que « le légataire particulier ne pourra se mettre en possession de la chose léguée, ni en prétendre les fruits ou intérêts, qu’à compter du jour de sa demande en délivrance, formée suivant l’ordre établi par l’article 1011, ou du jour auquel cette délivrance lui aurait été volontairement consentie. »
        • Il en résulte que le légataire à titre universel devra attendre la délivrance de la chose par les héritiers saisis pour percevoir les fruits.

==> Les modes d’acquisition des fruits

Les règles qui régissent l’acquisition des fruits diffèrent selon qu’il s’agit de fruits naturels, de fruits industriels ou encore de fruits civils.

  • Les fruits naturels
    • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
    • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
    • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
    • S’agissant de leur perception, elle procède de leur séparation du sol.
    • Ainsi, l’article 585, al. 1er du Code civil prévoit que les fruits naturels pendants par branches ou par racines au moment où l’usufruit est ouvert, appartiennent à l’usufruitier.
    • Encore faut-il néanmoins que l’usufruitier se donne la peine de les récolter.
    • L’alinéa 2e de l’article 585 précise, en effet, que les fruits « qui sont dans le même état au moment où finit l’usufruit appartiennent au propriétaire, sans récompense de part ni d’autre des labours et des semences, mais aussi sans préjudice de la portion des fruits qui pourrait être acquise au métayer, s’il en existait un au commencement ou à la cessation de l’usufruit. »
    • Ainsi les fruits qui n’auraient pas été perçus par l’usufruitier lorsque l’usufruit vient à expirer deviennent la propriété du propriétaire, ce, quand bien même le coût de la cultivation a été entièrement supporté par l’usufruitier.
    • Ce dernier ne peut réclamer ni la restitution du produit de la vente, ni indemnisation
  • Les fruits industriels
    • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
    • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
    • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise
    • À l’instar des fruits naturels, les fruits industriels s’acquièrent par la perception, soit par leur séparation de la chose productrice ( 585 C. civ.)
  • Les fruits civils
    • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
    • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
    • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
    • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée
    • S’agissant de leur perception, l’article 586 du Code civil prévoit que « les fruits civils sont réputés s’acquérir jour par jour et appartiennent à l’usufruitier à proportion de la durée de son usufruit. Cette règle s’applique aux prix des baux à ferme comme aux loyers des maisons et autres fruits civils. »
    • Il ressort de cette disposition que les fruits civils sont répartis, pour les années d’ouverture et d’expiration du droit d’usufruit entre l’usufruitier et le nu-propriétaire au prorata temporis.
    • Peu importe donc la date de la perception ; ce qui importe c’est la prise d’effet et d’extinction du droit.
    • Le calcul s’opérera sur la base d’une année de 365 jours, étant précisé que, l’usufruitier a droit aux fruits civils proportionnellement à la durée réelle de sa jouissance.
    • Pour exemple, si l’usufruit expire au 1er juillet, l’usufruitier percevra la moitié des loyers annuels et le nu-propriétaire l’autre moitié.
    • Si, en revanche, l’usufruit expire au 4 mars, l’usufruitier percevra les loyers dus pour les mois de janvier et février auxquels s’ajoutera le montant du loyer correspondant à 4 jours de jouissance.

II) Les droits qui s’exercent sur l’usufruit

L’usufruitier n’est pas seulement investi d’un droit direct sur la chose dont il a la jouissance, il dispose également de la faculté d’aliéner son droit et d’engager toutes les actions en justice utiles pour en assurer la préservation.

==> Le droit d’aliéner l’usufruit

  • Principe
    • L’article 595 du Code civil dispose que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. »
    • Il ressort de cette disposition que l’usufruitier est investi du droit d’aliéner son droit d’usufruit.
    • À cet égard, l’usufruitier peut :
      • Céder son droit à titre onéreux ou à titre gratuit
      • Constituer une sûreté réelle sur la chose soumise à l’usufruit (gage pour les meubles et hypothèque pour les immeubles)
      • Effectuer un apport en société avec l’usufruit
    • En outre, il est admis que l’usufruit puisse faire l’objet d’une saisie
  • Limites
    • La faculté pour l’usufruitier d’aliéner son droit n’est pas sans limites
      • Tout d’abord, l’usufruit demeure, en tout état de cause intransmissible à cause de mort.
      • Ensuite, parce que l’usufruit présente un caractère temporaire son aliénation ne saurait avoir pour conséquence de porter atteinte à la substance de la chose, ni aux droits du nu-propriétaire
      • Enfin, lorsque l’acte de constitution comporte une clause d’inaliénabilité, il est fait défense à l’usufruitier de le céder
  • Portée
    • L’aliénation de l’usufruit est sans incidence sur sa durée en ce sens qu’il a vocation à s’éteindre, soit au décès de l’usufruitier, soit à l’expiration du terme prévu dans l’acte constitutif
    • Par ailleurs, c’est le cédant de l’usufruit qui répond des préjudices causés au nu-propriétaire à raison de fautes commises par le cessionnaire.

==> Le droit d’agir en justice

Afin de préserver son droit réel, notamment des atteintes qui pourraient lui être portées par le nu-propriétaire, plusieurs actions en justice sont ouvertes à l’usufruitier.

  • L’action confessoire
    • Cette action dont est titulaire l’usufruitier vise à faire reconnaître son droit de jouissance sur la chose, soit à obtenir la délivrance de la chose qui serait détenue, soit par un tiers, soit par le nu-propriétaire
    • Dans un arrêt du 7 avril 2004, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’usufruitier peut ester en justice, dans la mesure où il agit pour défendre ou protéger son droit de jouissance, et que ce droit lui permet d’exercer aussi bien une action personnelle que réelle» ( 3e civ. 7 avr. 2004, n°02-13703).
    • Cette action est, en quelque sorte, à l’usufruit ce que l’action en revendication est à la propriété.
    • Reste que, à la différence de l’action en revendication, l’action confessoire n’est pas imprescriptible : l’usufruitier doit agir dans un délai de trente ans peu importe que l’usufruit porte sur un bien meuble ou sur un immeuble
  • L’action personnelle
    • Ainsi qu’il l’a été jugé la Cour de cassation dans l’arrêt du 7 avril 2004, l’usufruitier dispose d’une action personnelle
    • Cette action poursuit parfois la même finalité que l’action confessoire : obtenir la délivrance de la chose.
    • Dans cette hypothèse, son domaine est toutefois bien plus restreint que celui de l’action confessoire puisqu’elle ne peut être dirigée que contre le nu-propriétaire et ses ayants droits.
    • L’action personnelle peut également avoir pour finalité de sanctionner les troubles de jouissance dont l’usufruitier est susceptible d’être victime.
    • Il sera, par exemple, fondé à engager la responsabilité du nu-propriétaire qui accomplirait des actes qui lui causeraient un préjudice

[1] F. Zénati et Th. Revet, Les biens, éd. PUF, 2008, n°244

[2] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

Le bail d’habitation : logement non meublé – Du contrat au statut

Contrat vs statut.- Les baux de logements vides ont d’abord été soumis au droit commun des contrats : autonomie de la volonté oblige. A l’origine, les quelques règles particulières aux baux à loyers sont bien loin de suffire à former un statut, c’est-à-dire un ensemble cohérent de règles applicables à une catégorie de personnes qui en déterminent, pour l’essentiel, la condition et le régime juridique.

Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, on signe l’armistice dans le train d’État-major du maréchal Foch. La France pleure ses morts ; elle dénombre ses destructions. Jamais guerre n’a causé plus de dégâts. La pénurie de logements gagne vite. L’offre de logements ne permet pas de satisfaire la demande. Le montant des loyers proposés interdit aux plus modestes de se loger. À compter du 9 mars 1918, le législateur, au gré des circonstances, s’emploie à renforcer la stabilité des locataires et des prix. L’édiction progressive d’un droit au logement locatif ravale les dispositions du Code civil au rang de règles résiduelles.

Berlin, le 8 mai 1945, il est 23h01, on signe l’armistice de la 2nde guerre mondiale : mêmes causes, mêmes effets. De nombreux immeubles sont démolis. Pendant que de nombreux autres sont saturés d’occupants, un certain nombre de propriétaires préfèrent conserver leurs immeubles libres de toute occupation en raison du blocage antérieur des loyers. Quant à la construction de logements neufs, elle a été stoppée pour fait de guerre. La loi du 1er septembre 1948 est votée. Légiférant dans l’urgence, dans le dessein de gérer la pénurie de logements, le législateur a grand peine à placer convenablement le curseur entre les intérêts légitimes mais contradictoires des preneurs à bail et des bailleurs.

Koweït city, le 17 octobre 1973 (1er choc pétrolier), Téhéran, 8 septembre 1978 (2ème choc pétrolier), les pays arables exportateurs de pétroles réduisent leur production. La crise économique est mondiale. Tous les secteurs de l’économie sont impactés ; le secteur du bâtiment n’y échappe pas. L’histoire se répète. Il en est résulté une nouvelle raréfaction des logements locatifs ainsi qu’une augmentation des loyers.

Bis repetita : le législateur remet son ouvrage sur le métier. Se succéderont trois lois princeps, qui diront respectivement tout des obligations du bailleur et du preneur, la dernière d’entre elles ayant été depuis lors notablement complétée.

Loi n° 82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs.

Loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière.

Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

Ordre public de protection.- Les baux soumis à la loi n° 48-1360 du 1 septembre 1948 (portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement) obéissent à une législation d’ordre public de protection pour le moins singulier : non seulement le locataire est créancier d’un droit au maintien dans les lieux sans limitation de durée – à tout le moins tant que l’intéressé répond aux conditions de la loi (art. 4) –, mais le prix des loyers des locaux est déterminé par le législateur (art. 26) ! Et s’il importe de dire quelques mots de cette loi, qui pourrait passer pour datée, c’est précisément parce qu’elle encore de droit positif. Au reste, et c’est remarquable, elle a conduit à faire des immeubles soumis au statut un « secteur privé à caractère social ». Autant dire qu’on flirte avec la contradiction in terminis, l’oxymore. Comprenez bien qu’aux termes de ce statut, ce sont les propriétaires privés qui supportent le coût social de la législation. C’est suffisamment original pour être souligné.

Géographiquement, l’article 1er de la loi est explicite. Sont soumis les immeubles situés dans les communes les plus peuplées : Paris, primus inter partes. Matériellement, la loi s’applique, en principe, aux seuls locaux construits avant le 1er septembre 1948 (art. 3) pour peu qu’ils soient affectés à l’habitation ou à un usage mixte sans caractère commercial, artisanal ou rural. L’idée du législateur est la suivante : au vu du statut dérogatoire du droit commun, imposé par la loi de 1948, lequel a perdu beaucoup de sa justification, les investisseurs ont grandement intérêt à construire pour échapper à l’application de la loi.

Plusieurs méthodes ont été adoptées pour sortir du régime de 1948. En voilà une : la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, dispose : « les locaux vacants à compter du 23 décembre 1986 ne sont plus soumis à la loi du 1er sept. 1948 (art. 25). Heureux le propriétaire qui prend connaissance du congé de son locataire ou de sa mort…

À compter des années 1960 (1962 précisément), on observe un reflux progressif de l’application de loi de 1948. Par voie de conséquence, le droit commun des contrats retrouve son emprise. La conjoncture n’a pourtant pas fondamentalement changée : l’offre reste très inférieure à la demande ; les loyers sont élevés et les baux de courte durée. Confronté à la précarité trop grande des locataires, le législateur est une nouvelle fois sommé de légiférer. Soucieux de concilier des intérêts antagonistes, le législateur accorde aux propriétaires plus de latitude. Pour ce faire, il s’emploie à les distraire du régime sévère et critiqué auxquels les bailleurs sont soumis. Mais il impose, en contrepartie, l’entretien de la chose à l’usage auquel on la destine et le maintien dans les lieux du preneur à bail. Ainsi, des baux dérogatoires sont aménagés. La loi du 1er septembre 1948 en porte la trace dans ces premiers articles.

La loi Quillot du 22 juin 1982 rel. aux droits et obligations des locataires et bailleurs restaure l’équilibre rompu au profit des locataires, auxquels elle confère un « droit à l’habitat ». Ce sera révolutionnaire. C’est de cette époque que date l’idée, constante depuis lors, de prévoir que le locataire pourra mettre fin au contrat quand il le souhaite tandis que le bailleur ne pourra le faire que dans des conditions très limitatives. L’idée maîtresse est de corriger le marché en instaurant dans le contrat un déséquilibre en faveur du locataire. Il faut comprendre que ce déséquilibre est inéluctable si l’on souhaite apporter des garanties minimales aux locataires.

Cette loi ne survivra pas au retour de la droite au pouvoir en 1986. Comprenez bien que le droit du logement locatif est un droit des extrêmes pour reprendre l’expression consacrée dans le précis Dalloz. La tâche du législateur est redoutable. Il lui faut concilier l’économie et le social, les intérêts du propriétaire et ceux du locataire. Pour ce faire, il importe de discipliner la loi du marché. Faire pencher la balance du côté du locataire, c’est freiner l’investissement locatif et alimenter la crise du logement. Faire pencher la balance du côté du propriétaire, c’est autoriser la conclusion de baux par trop déséquilibrés. On dit de la critique qu’elle est facile et de l’art qu’il est difficile. L’art du juste et du bien n’est pas chose aisée (Celse : jus est ars boni et aequi – 1ère phrase du Digeste (VIe s. ap. JC). C’est la raison pour laquelle, il faut beaucoup de mesure(s) dans la recherche de la justice. La survie du groupe, le maintien de son organisation, sa cohérence, l’ordre en dépend.

La loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 revient sur les avancées de la loi Quillot en redonnant des prérogatives importantes aux propriétaires et en gommant le droit à l’habitat. Elle sera immédiatement abrogée dès le retour de la gauche au pouvoir.

La loi Mermaz n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi du 23 décembre 1986 est la loi sous l’empire de laquelle les rapports de nombre de locataires et de propriétaires sont placés. La loi a tiré les leçons du passé. Le législateur voulut sa loi d’équilibre. Ont été concilié d’une part, le droit au logement du locataire, d’autre part, le droit de propriété du bailleur.

Droit au logement. Quant à la loi du 6 juillet 1989, elle proclame dans un article premier le droit au logement. Qualifié de fondamental, le Conseil constitutionnel a élevé ce dernier droit au rang d’objectif constitutionnel (Décision n° 94-359 DC). La portée juridique d’une telle norme est indécise. Un peu moins peut-être depuis la loi n° 2007-590 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable qui a complété le code de la construction et de l’habitation …(art. L. 300-1 : Le droit à un logement décent et indépendant (…) est garanti par l’Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’Etat, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir).

Le bail de droit commun : obligations du bailleur

Le bail est un contrat synallagmatique. Il produit donc des obligations à la charge du bailleur comme du preneur (voy. l’article « Le bail de droit commun : les obligations du preneur à bail).

Les codificateurs ont clairement envisagé le bail comme un diminutif de la vente. Il n’est donc pas étonnant que les obligations des parties au bail soient très proches de celles des parties à la vente. On trouve ainsi un certain nombre de renvois explicites aux règles de la vente.

Obligation générique.- Le bailleur est débiteur d’une obligation générique, qui consiste à garantir au preneur la jouissance paisible du bien loué. Cette obligation apparaît par bribes dans la kyrielle des obligations décrites par les articles 1719 à 1727 du c.civ., qui toutes tendent à garantir la jouissance paisible du preneur. La lecture de l’article 1719 c.civ. l’atteste. Pour reprendre le mot des professeurs Antonmattéi et Raynard, cette obligation est l’« âme du bail ». Cet objectif justifie que le bailleur soit tenu de trois séries d’obligations :

– L’obligation de délivrance (section 1) ;

– L’obligation d’entretien (section 2) ;

– Les obligations de sûreté (section 3).

Obligation d’information.- Avant d’entamer l’étude, par le menu, de ces trois séries d’obligations, il importe de dire quelques mots de l’obligation d’information qui pèse sur les épaules du bailleur.

Le bailleur est tenu d’informer le preneur sur l’état de la chose donnée à bail. Le Code de l’environnement exige qu’un état des risques naturels (sismicité) et technologiques (nucléaire) soit fournir au locataire (art. L. 125-5, II ; loi 6 juill. 1989, art. 3-1 ; art. L. 145-1 c.com.). À défaut, le locataire (cela est vrai de l’acquéreur) peut poursuivre la résolution du contrat ou demander au juge une diminution du prix (art. L. 125-5, V, c. envir.). Le Code de la santé publique, qui entend prévenir les risques sanitaire liés à l’environnement, en l’occurrence ceux liés au saturnisme (intoxication aiguë ou chronique causée par le plomb ou par les sels de plomb. V. Institut national de la santé et de la recherche médicale, www.inserm.fr, santé publique, dossiers d’information), exige du bailleur qu’il fournisse à tout occupant un « constat de risque d’exposition au plomb » (art. L. 1334-5 ensemble L. 1134-7 c. santé publ.), à la condition toutefois que l’immeuble loué ait été construit avant le 1er janvier 1949 et qu’il soit affecté en tout ou partie à l’habitation. Et la loi d’ajouter que « l’absence dans le contrat de location du constat de risque d’exposition au plomb constitue un manquement aux obligations particulières de sécurité et de prudence susceptibles d’engager la responsabilité pénale du bailleur (C. santé publ., art. L. 1334-7, al. 3). Quant au risque d’exposition à l’amiante, les dispositions précitées font l’obligation au bailleur d’en avertir le preneur. Ce n’est pas tout, le Code de la construction et de l’habitation contraint le bailleur à fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE) de l’immeuble loué (art. L. 134-1 et s. in diagnostics techniques). Le Code le définit ainsi : « Le diagnostic de performance énergétique d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment est un document qui comprend la quantité d’énergie effectivement consommée ou estimée pour une utilisation standardisée du bâtiment ou de la partie de bâtiment et une classification en fonction de valeurs de référence afin que les consommateurs puissent comparer et évaluer sa performance énergétique. Il est accompagné de recommandations destinées à améliorer cette performance. »

Heureux soient les bailleurs. On dit de l’enfer qu’il est pavé de bonnes intentions. On peut s’interroger sur l’inanité (caractère de ce qui est vide, sans réalité, sans intérêt. Au fig. : caractère de ce qui est inutile, futile, vain) de ces diagnostics techniques dans les villes où il existe une grave crise du logement…

Section 1.- L’obligation de délivrance

Obligation complexe.- Le bailleur est tenu de délivrer la chose louée (art. 1719, 1°, c.civ.) « en bon état de réparations de toute espèce » (art. 1720 c.civ.). La loi se fait plus pressante si le bien loué sert à l’habitation principale du preneur : elle exige en outre que le logement soit décent (art. 1719 1°, c.civ.).

Logement décent (renvoi).- Les caractères du logement décent sont spécifiques aux baux d’habitation ; ils seront envisagés à cette occasion (voy. l’article « Le bail d’habitation et à usage mixte »). On signalera simplement qu’un logement décent est logement qui correspond aux caractéristiques définies par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) (décret modifié le 09 mars 2017 qu intègre la performance énergétique aux caractéristiques du logement décent). En ce sens, l’article 6, al. 1er, loi 6 juill. 1989 dispose : « Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation » (texte modifié en nov. 2018).

Division.- La délivrance s’entend donc de deux obligations distinctes : délivrer la chose louée (§1) et la délivrer en bon état (§2).

§1.- L’obligation de délivrer la chose louée

Contenu.- Le bailleur – comme le vendeur – doit mettre la chose louée à la disposition du locataire. Il s’agit d’une obligation essentielle du bail (Cass. 1ère civ., 11 oct. 1989, Bull. civ. I, n° 317), dont la convention des parties ne peut dispenser le bailleur. Autrement dit, l’obligation de délivrance est d’ordre public. Par voie de conséquence, le preneur peut refuser de payer les loyers tant que la chose ne lui a pas été délivrée. Pour cause : le contrat n’ayant reçu aucune exécution, le débiteur du loyer peut valablement s’en prévaloir pour différer l’accomplissement de sa prestation. Dans ce cas de figure, l’exception d’inexécution peut valablement être opposée (art. nouv. c.civ.). Ses conditions sont remplies.

Une erreur commune est faite en la matière : une fois que le bien loué a été mis à la disposition du locataire, le défaut de paiement du premier loyer ne dispense pas le bailleur de l’obligation de délivrance (Cass. 3ème civ., 28 juin 2006, Bull. civ. III, no 161). Souvenez-vous bien : le bail ne renferme pas d’obligation conjonctive (texte et définition).

La chose doit évidemment être délivrée libre de toute occupation. Elle doit être délivrée avec ses accessoires, lesquels seront déterminés en fonction de la nature du bien et du contenu de la convention.

La chose doit être conforme à la destination prévue au bail. Cela signifie qu’elle doit permettre au preneur de l’exploiter conformément à la destination convenue (ex. Cass. 3ème civ., 7 mars 2006, AJDI 2006. 467 [défaut d’autorisation de l’assemblée générale de copropriété] ; 3 mars 2009,Rev. loyers 2009. 222).

Si le contrat précise en outre la contenance de la chose, les éventuels écarts se règlent comme en matière de vente (art. 1616 à 1622 c.civ.). L’art. 1765 c.civ. le précise pour les baux à ferme, mais la solution doit être étendue à tous les baux immobiliers.

Frais de la délivrance.- Les frais de délivrance sont à la charge du bailleur, s’il n’y a eu stipulation contraire. Il s’agit de l’application de l’article 1608 c.civ. au bail.

Obligation continue.- La différence entre vente et le bail est que la première est un contrat instantané tandis que le second est un contrat à exécution successive. Ceci implique que contrairement aux règles qui ont court dans la vente, l’obligation de délivrance prend dans le bail un caractère continu (i.e. qu’elle se prolonge pendant toute la durée du bail). En conséquence, le bailleur n’a pas le droit de changer la forme de la chose louée (art. 1723 c.civ.) ou de supprimer l’un de ses éléments.

§2.- L’obligation de délivrer la chose louée en bon état

Contenu.- L’article 1720 c.civ. impose au bailleur de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce. Il existe en matière de bail deux sortes de réparations : celles qui incombent au locataire – réparations locatives – et celles qui incombent au bailleur. La loi impose que la chose louée soit, en début de bail, en bon état de réparations, même locatives, quand bien même celles-ci seront à l’avenir à la charge exclusive du locataire (celui-ci doit, en la matière, faire perdurer le bon état de la chose).

Sanction.- Si la chose n’est pas en bon état, le locataire peut faire condamner le bailleur à procéder aux réparations qui s’imposent ou, à son choix, demander la résolution du bail si la gravité du manquement le justifie. Le bailleur engage également sa responsabilité contractuelle si le mauvais état de la chose louée a causé un dommage au preneur.

Limite, clauses de réception « en l’état ».- La règle de l’article 1720 c.civ. n’est pas d’ordre public et les parties aménagent souvent cette obligation en convenant que le preneur déclare bien connaître la chose et la prendre en l’état, ce qui a pour effet de décharger le bailleur de l’obligation de l’article 1720 précité.

Ces clauses sont parfaitement licites, même si la jurisprudence a coutume de les interpréter strictement. Mais la licéité a une limite : sous couvert de mettre certaines réparations à la charge du locataire, le bailleur ne peut pas aller jusqu’à s’exonérer de son obligation de délivrance, qui elle est d’ordre public.

Voy. pour un ex. typique : Cass 3ème civ., 5 juin 2002, Bull. civ. III, n° 123 :

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1719 et 1720 du Code civil ;

Attendu que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; qu’il doit entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 mai 2000, n° 690), que M. X… a donné à bail à la société Hôtel de France un immeuble à usage commercial, en mauvais état ; que le bail stipulait que ” le bénéficiaire prendra les lieux dans l’état où ils se trouvent au jour de l’entrée en jouissance, les ayant visités à plusieurs reprises et ayant reçu du promettant deux rapports sur les travaux nécessaires à l’exploitation dans lesdits locaux d’un commerce d’hôtel “, les parties approuvant sans réserve l’état des lieux annexé au bail ; que la locataire a fait effectuer les travaux prévus aux rapports susvisés ; que ces travaux se sont révélés insuffisants pour la mise en conformité de l’hôtel ; que la locataire a alors entrepris les travaux supplémentaires nécessaires ;

Attendu que, pour débouter la société Hôtel de France de sa demande de remboursement de ces travaux supplémentaires, l’arrêt retient que, faute de stipulation expresse du bail, le bailleur n’avait pas l’obligation de prendre en charge le coût des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’hôtel non prévus par les rapports d’experts établis antérieurement à la conclusion du bail, ces rapports n’ayant eu pour objet que d’informer le preneur sur l’état des lieux et l’éclairer sur les travaux à exécuter pour rendre les lieux conformes à l’usage d’hôtel prévu par le bail ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la clause par laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE

En l’espèce, l’hôtel ne pouvait être exploité faute de mise en conformité : le preneur ne pouvait donc pas l’exploiter selon la destination convenue # obligation de délivrance.

Section 2.- L’obligation d’entretien

Contenu de l’obligation d’entretien (§1). Sanction de l’obligation d’entretien (§2)

§1.- Contenu de l’obligation d’entretien

Prolongement de l’obligation de délivrance.- Le bailleur, qui a délivré la chose en bon état de réparations de toute espèce, doit l’entretenir « en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » (art. 1719, 2°, c.civ.), ce qui lui impose de « faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives » (art. 1720 al. 2, c.civ.).

Réparations locatives et « grosses réparations ».- Une distinction importante doit être opérée entre les réparations locatives ou de menu entretien, qui incombent au preneur, et les autres, qui forment l’objet de l’obligation d’entretien du bailleur. Le législateur y procède aux articles 1754, 1755 et 1756 c.civ.

L’idée est que le bailleur assume les grosses réparations, c’est à dire celles qui sont relatives à la structure ou aux éléments essentiels de la chose louée (ex. réfection du toit ou d’un mur). Il est à noter que la distinction entre les réparations locatives et celles qui ne le sont pas est précisée par certains statuts spéciaux. C’est précisément le cas en droit du bail d’immeuble d’habitation. La loi du 6 juillet 1989 renvoie à un décret le soin de définir ce que sont les réparations locatives puis de les lister (art. 6-1, d ; 25V). Aux termes de l’article 1er du décret n° 87-712 du 26 août 1987 pris en application de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développements de l’offre foncière et relatif aux réparations locatives, « sont des réparations locatives les travaux d’entretien courant et de menues réparations », à savoir celles entre autres listées. Par voie de conséquence, celles qui ne le seraient pas, au vu de la lettre ou de l’esprit du texte, sont des grosses réparations, qui doivent être faites par le bailleur. La jurisprudence y assimile les travaux prescrits par l’autorité administrative (Cass. 3e civ. 13 juill. 1994, no 91-22.260, Bull. civ. III, no 143).

Le domaine de ces grosses réparations est également borné « par le haut » : les très grosses réparations, i.e. celles qui relèvent de la reconstruction de la chose périe par cas fortuit ne sont pas à la charge du bailleur, mais plutôt à sa discrétion, puisque la perte de la chose louée met fin au bail (art. 1722 c.civ.). La jurisprudence tend à assimiler la vétusté à la perte de la chose, lorsque le coût des travaux excède la valeur du bien (Civ. 3e, 3 juin 1971, Bull. civ. III, n° 348).

La charge des grosses réparations peut contractuellement être transférée sur le locataire, mais certains statuts spéciaux l’interdisent (ex. loi du 6 juill. 1989, art. 6 c).

§2.- Sanction de l’obligation d’entretien

Droit commun.- L’inexécution par le bailleur de son obligation fonde le preneur à solliciter l’une quelconque des sanctions permises par le droit commun du contrat : exécution forcée, résiliation, indemnisation ; réalisation des travaux aux frais du bailleur sur autorisation de justice (art. 1222 nouv. c.civ. / art. 1144 anc. c.civ.). Deux précisions s’imposent. La mise en demeure préalable, restée sans succès, est exigée en jurisprudence.

L’exception d’inexécution est en principe inopposable. Ce mode de justice privée est réservé à l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance. Il importe au preneur de rapporter la preuve d’un manquement tel que la jouissance est rendue impossible ou très difficile. L’article 1219 nouv. c.civ. (in L’exception d’inexécution) dit en ce sens que l’inexécution doit être suffisamment grave (comp. la note sous article 1219 rel. au bail qui donne à penser que l’exceptio non adimpleti contractus peut être opposée en tout état de cause. Mise en garde). C’est dire que les risques et périls sont grands pour qui entend ne pas payer (syno. Exécuté) sa propre obligation en réaction. En somme, tant que le preneur jouit de la chose, son refus de paiement est disproportionné et permet au bailleur d’obtenir la résiliation du contrat à ses torts. Encore faut-il s’entendre sur ce que peut signifier jouir de la chose donnée à bail… C’est une fois encore à la sagesse du juge que le Code renvoie en dernière intention. Dernière intention seulement, car créancier et débiteur sont invités à trouver une solution amiable à leur litige. En ce sens, et pour mémoire, l’article 56 du Code de procédure civile dispose que la saisine du juge de première instance contient (sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’Opu, à peine de nullité les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Séquestre. Il reste toutefois la possibilité pour le preneur de pratiquer le séquestre. V. nouv droit commun des contrats. Le séquestre est le dépôt d’une chose contentieuse entre les mains d’un tiers, qui s’oblige à la rendre, une fois la contestation terminée, à la personne qui a le droit de l’obtenir (art. 1956 c.civ.). Il facilite l’exécution matérielle du règlement du litige et soustrait l’objet des convoitises – le loyer en l’occurrence – à l’humeur ou à la fraude des plaideurs (F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Droit des contrats civils et commerciaux). C’est une variété de dépôt. Dans le cas particulier, le séquestre conventionnel est exclu, car il nécessite l’accord du bailleur et du preneur. Il reste le dépôt judiciaire. Il consiste à demander au juge, en référés au besoin, de séquestrer les loyers litigieux. Le séquestre prendra fin une fois que la motivation qui le motivait est terminée, soit qu’elle a été tranchée par une décision judiciaire définitive, et que donc la chose séquestrée n’est plus litigieuse, soit que le différend opposant les parties a disparu, par l’effet d’une transaction, d’un désistement d’instance ou autre acte mettant fin au procès, soit, si la juridiction n’avait pas encore été saisie, en conséquence d’une convention ou d’un quelconque arrangement. Les parties intéressées ont la faculté de supprimer le séquestre, même si l’instance a été engagée et perdure, dès lors qu’elles le considèrent comme inutile, et sans objet. Il constitue, en effet, une procédure qui n’est pas d’ordre public et qui reste à la discrétion des parties (F.-J. Pansier, Rép. civ., v° Séquestre)

Section 3.- Les obligations de sûreté

Division.- Sous cet intitulé un peu ésotérique, deux séries d’obligations seront rangées : les obligations de garantie, d’une part (§1), et les obligations de sécurité, d’autre part (§2). Avant de les présenter par le menu, il importe d’avoir bien en vue que les professeurs et les juges transposent au bail les règles de garantie associées à la vente.

§1.- Les obligations de garantie

Division. L’obligation de garantie contre les vices cachés (A). L’obligation de garantie contre l’éviction (B).

A.- L’obligation de garantie contre les vices cachés

La garantie contre les vices cachés est définie à l’article 1721 c.civ. Elle concerne « tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. Pour le dire autrement, le vice est un défaut caché de la chose, existant au jour du bail qui empêche son usage normal (certains auteurs considèrent que le vice peut exister au cours du bail. Voy. en ce sens A. Bénabent, Droit des contrats civils et commerciaux / P.-H. Antonmattei et J. Raynard). Le vice doit être caché du preneur. Le texte ne le dit pas formellement. Mais c’est l’évidence. Si, au contraire, il devait être apparent, on peut raisonnablement penser que le preneur à bail serait en mesure d’apprécier l’impossibilité de jouir paisiblement de la chose. Le contrat ne pourrait donc être conclu qu’en connaissance de cause (voy. toutefois supra)…

Comme pour la vente, la garantie est due peu important que le bailleur ait eu ou non connaissance de l’existence du vice. Il y a toutefois une première différence notable entre les deux régimes. L’engagement de la responsabilité du vendeur suppose rapportée la preuve de sa connaissance du vice. Ce n’est pas le cas en droit du bail : la responsabilité sera encourue dans tous les cas de figure (art. 1721, al. 2, c.civ.).

La seconde distinction tient au silence du législateur quant à l’action en garantie contre les vices cachés de la chose louée. Faute de texte spécial, il importe d’appliquer le droit commun de la prescription. Dans le cas particulier, le preneur à bail est recevable à agir cinq année durant à compter de la découverte du vice rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine (art. 22129 et 2224 c.civ.).

B.- L’obligation de garantie contre l’éviction

Les troubles dans la jouissance de la chose peuvent être causés par le bailleur ou bien par des tiers au contrat de bail.

Troubles causés par le bailleur. – L’action du bailleur ne saurait troubler le preneur à bail dans sa jouissance des utilités de la chose. Aucun texte particulier ne règlement le cas de figure : obligation générique de garantie oblige (v. supra). Pour le dire autrement, l’article 1719 c.civ. est amplement suffisant pour fonder l’action en cessation du trouble intentée par le preneur.

Ce sont les troubles causés par les tiers qui ont plus volontiers retenu l’attention du législateur.

Troubles de droit causés par les tiers.- L’article 1726 c.civ. est explicite : le bailleur doit garantir le preneur contre tout trouble de droit qui émanerait d’un tiers. Pour le dire autrement, le preneur à bail ne doit pas être empêché de profiter des utilités de la chose en raison d’une prétention juridique formulée par un tiers (ex. titre de propriété, servitude…). Si une action en revendication du bien donné à bail est formée (ex. bail de la chose d’autrui. V. supra), alors l’article 1726 c.civ. fonde le locataire à demander une diminution du prix du contrat en cas d’éviction partielle (v. dans le même sens, l’art. 1626 c.civ. relativement à la vente) et la résolution du bail, assortie du paiement de dommages et intérêts en cas d’éviction totale.

Troubles de fait causés par les tiers.- L’article 1725 c.civ. dispose que les troubles de faits ne donnent pas lieu à garantie. La règle se comprend aisément. Le bailleur n’a pas vocation à couvrir une quelconque voie de fait. Vulgairement parlant, ce ne sont pas ses affaires. Il importe donc au seul preneur à bail d’agir en responsabilité contre les intéressés. Le bailleur n’est par exemple pas responsable des vols commis au cours du bail…sauf, bien entendu, si l’infraction a été facilitée par l’inexécution de ses propres obligations (ex. vol d’un vélo dans un local dédié dont la serrure endommagée n’a jamais été remplacée). C’est l’hypothèse de la voie de fait facilitée voire causée par la faute contractuelle du bailleur. Responsabilité encore, mais c’est un autre cas de figure, si la voie de fait du tiers a tellement endommagé le bien que le bailleur est constitué en faute pour ne pas avoir exécuté son obligation d’entretien (art. 1720 c.civ.).

§2.- L’obligation de sécurité

Formellement, le Code civil n’oblige pas le bailleur à garantir la sécurité du preneur. On doit à la jurisprudence d’avoir découvert cette obligation contractuelle et d’avoir précisé son intensité juridique (obligation de moyens). Pour mémoire, l’intensité juridique de l’obligation contractuelle est la résultante de deux variables : la première est l’intensité de l’engagement (qui peut être plus ou moins poussé) ; la seconde, l’intensité de la sanction en cas d’inexécution (qui peut être plus ou moins stricte).

Le professeur Leduc a tout dit sur ce sujet. Voici résumé à grands traits sa leçon. Le lecteur gagnera beaucoup à la lire in extenso (L’intensité juridique de l’obligation contractuelle, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, PUAM, 2011-3). L’obligation de moyens est l’obligation pour le débiteur de fournir la diligence qu’on est normalement en droit d’attendre de lui. Dit autrement : le normal est au cœur de l’obligation de moyens. La normalité implique la détermination d’un modèle de référence par rapport auquel on va apprécier le comportement du sujet jugé. Deux modes d’appréciation de la normalité s’opposent : l’appréciation extrinsèque (le comportement du sujet jugé est rapporté à un étalon de référence extérieur à lui) et l’appréciation intrinsèque (l’étalon de référence est le sujet jugé lui-même).

En bref, cette obligation de sécurité semble pouvoir être invoquée de manière autonome sans avoir nécessairement besoin d’être rattachée à un défaut d’entretien ou à un vice de la chose. Obligation dont l’intensité juridique a vocation à s’amplifier, particulièrement depuis l’exigence d’un logement décent qui se caractérise aussi par certaines normes de sécurité. Table des matières ).