Attribution préférentielle: conditions

L’attribution préférentielle constitue une exception à la règle du partage égalitaire des biens indivis. Codifiée aux articles 831 et suivants du Code civil, elle permet à un indivisaire d’obtenir, par priorité, la propriété exclusive de certains biens, en contrepartie d’une compensation financière éventuelle sous forme de soulte. Ce mécanisme, destiné à éviter les aléas du tirage au sort ou les conséquences d’un partage matériel inadapté, répond à un objectif de continuité patrimoniale et de préservation de certains intérêts essentiels.

Toutefois, cette faculté n’est ni automatique ni absolue : elle est soumise à des conditions strictes, tant en ce qui concerne la nature des biens susceptibles d’en faire l’objet que la qualité du demandeur. Ainsi, l’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que pour des biens présentant un intérêt particulier, tels que la résidence principale du conjoint survivant, une exploitation agricole, un fonds de commerce ou encore un local professionnel indispensable à l’exercice d’une activité.

Outre ces critères objectifs, la loi impose une appréciation rigoureuse des circonstances entourant la demande, afin d’éviter tout détournement de ce mécanisme à des fins purement patrimoniales. Dès lors, l’octroi de l’attribution préférentielle suppose la réunion de conditions précises, dont la justification repose à la fois sur des considérations économiques, professionnelles et familiales.

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

Les conditions requises pour succéder ou l’aptitude à hériter: existence et absence d’indignité successorale

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

§1 : L’existence de l’héritier

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Il ressort de cette disposition que pour hériter, il convient d’exister, ce qui dès lors interroge sur la définition de ce verbe.

Dans le langage courant, on dit d’une personne qu’elle existe lorsqu’elle est en vie par opposition à une personne décédée qui n’existe plus.

Reste que, comme observé par Michel Grimaldi, « ce n’est pas de l’existence physique qu’il s’agit, mais de l’existence juridique, c’est-à-dire de la personnalité juridique, de l’aptitude à acquérir des droits »[1].

Aussi, l’existence telle qu’envisagée à l’article 725 du Code civil, ne correspond pas en tout point à celle définie en biologie.

Pour exemple, sous l’empire du droit antérieur, les personnes condamnées à une peine de mort civile étaient privées de leur capacité à hériter, alors même qu’elles étaient encore en vie.

En droit des successions, la notion d’existence s’est ainsi construite sur la base d’un certain nombre de fictions juridiques qui, tantôt conduisent à attribuer la qualité d’héritier à des personnes qui n’existent pas encore, tantôt à refuser la qualité d’héritier à des personnes auxquelles on reconnaît pourtant une existence juridique.

Afin d’appréhender la condition tenant à l’existence, il convient donc de déterminer qu’elles sont les personnes qui sont pour

I) Les personnes pourvues de l’aptitude à hériter

Deux enseignements peuvent être retirés de l’article 725 du Code civil qui pose l’existence comme première condition à l’octroi de la qualité d’héritier :

  • D’une part, le respect de la condition tenant à l’existence de la personne appelée à hériter doit être apprécié au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’existence commence au jour de la conception, pourvu que l’enfant naisse vivant et viable

A) Le moment de l’appréciation de l’existence

Conformément à l’article 725 du Code civil, les personnes auxquelles on reconnaît l’aptitude à hériter sont celles qui existent « à l’instant de l’ouverture de la succession ».

L’existence de la personne appelée à succéder doit ainsi être appréciée au moment où la succession s’ouvre, soit au jour où le de cujus est réputé mort.

La raison en est que, en application du principe de continuité de la personne du défunt, la transmission de son patrimoine doit intervenir concomitamment à son décès.

Aussi, est-ce pour éviter qu’une rupture ne vienne affecter cette transmission, qu’il a été décidé que seules les personnes qui existaient au jour de l’ouverture de la succession étaient aptes à hériter.

B) La conception comme point de départ de l’existence

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Aussi, est-ce au moment de la conception de l’enfant qu’il y a lieu de se placer pour déterminer si au jour de l’ouverture de la succession, il est apte à hériter. Encore faut-il que celui-ci naisse vivant et viable.

1. Principe

==> Énoncé du principe

Définir l’existence consiste, au fond, à déterminer là où elle commence et là où elle se termine.

S’agissant de la fin de l’existence, elle ne soulève pas de réelle difficulté dans la mesure où un seul événement peut servir de borne : la mort.

S’agissant, en revanche, du début de l’existence, la question est plus délicate : doit-on retenir comme date de commencement la naissance ou la conception de la personne ?

La difficulté a été tranchée dès l’entrée en vigueur du Code civil. Ses rédacteurs ont retenu la seconde option en reprenant le principe exprimé par l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ».

Pris dans son sens littéral, cet adage signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.

Aussi, l’enfant posthume, soit celui qui naît postérieurement au décès de l’un ou l’autre de ses parents, serait apte à hériter, le principe dit de l’infans conceptus, faisant commencer l’existence humaine, non pas au jour de la naissance, mais au moment de la conception.

Il n’est donc pas nécessaire d’être né pour succéder, il suffit d’avoir été conçu au jour de l’ouverture de la succession.

À l’analyse, il y a quelque chose de contradictoire à, d’un côté, octroyer des droits à enfant dès sa conception et, d’un autre côté poser que la personnalité juridique ne s’acquiert qu’au jour de la naissance.

Pour être titulaire de droits, il faut être pourvu d’une capacité de jouissance. Or cette capacité est étroitement attachée à la personnalité juridique.

En toute rigueur, un enfant ne devrait donc être apte à recueillir des droits qu’au jour de sa naissance.

Aussi, est-ce pour surmonter cette difficulté que la règle infans conceptus fait rétroagir, par le jeu d’une fiction juridique, les effets de la naissance au moment de la conception.

==> Justification du principe

L’instauration de la règle « infans conceptus » se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Il est scientifiquement établi que la vie commence dès le stade de la conception ; c’est à ce moment que l’on fixe le point de départ de l’existence
    • Indépendamment de l’argument scientifique qui est relativement récent, cette réalité a très tôt été admise chez les juristes.
    • La preuve en est les romains qui sont à l’origine de la règle, laquelle a, par suite, été reprise, dans les mêmes termes, par les rédacteurs du Code civil qui voyaient également dans la conception le commencement de l’existence
  • Seconde raison
    • Reconnaître à l’enfant, dès sa conception, l’aptitude à hériter participe d’une volonté d’instaurer une égalité successorale entre enfants.
    • L’égalité commande, en effet, d’octroyer à l’enfant seulement conçu les mêmes droits que ceux dont sont titulaires ses frères et sœurs déjà nés.
    • Pourquoi opérer une différence de traitement entre eux alors que tous existent au jour du décès de leur parent ? L’admettre reviendrait à créer une rupture d’égalité fondée sur la seule antériorité de la naissance.
    • Or cela s’est contraire à l’article 735 du Code civil qui dispose que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes.».

2. Conditions

Il ressort de l’article 725 du Code civil que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’enfant seulement conçu soit apte à hériter :

  • D’une part, la conception doit être antérieure à l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’enfant doit être né vivant et viable

a. Première condition : l’exigence d’antériorité de la conception au décès

Si, en application de l’article 725 du Code civil, pour succéder il suffit que l’enfant ait « déjà été conçu », encore faut-il que sa conception soit antérieure à l’ouverture de la succession.

Dès lors que la conception est postérieure au décès, il est trop tard. La condition tenant à l’existence n’est, par hypothèse, plus remplie. Or pour recueillir des droits il faut, a minima, exister.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment l’enfant peut-il être réputé avoir été conçu.

Pour déterminer la date de conception, il y a lieu de faire jouer les deux présomptions légales à l’article 311 du Code civil.

  • Première présomption
    • L’article 311, al. 1er du Code civil prévoit que « la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance»
    • Cette présomption étant de portée générale, elle peut être appliquée aux fins de déterminer si l’enfant conçu est apte à hériter.
    • En substance, la présomption posée par le texte répute la conception intervenir entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • On en déduit qu’un enfant né au plus tard 300 jours après le décès du de cujus sera apte à hériter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, il s’agissait là d’une présomption irréfragable, qui ne pouvait donc pas être renversée.
    • Dans un arrêt du Ogez du 9 juin 1959, la Cour de cassation avait jugé en ce sens qu’« en fixant à 180 et 300 jours le minimum et le maximum de la durée de gestation, l’article 312 du Code civil a posé une présomption qui n’est pas susceptible de preuve contraire ; que doit, en conséquence, être déclaré illégitime sur l’action en contestation engagée par application de l’article 315 du même Code l’enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 9 juin 1959, n°58-10.038)
    • La loi n°72-3 du janvier 1972 est venue modifier cet état du droit en conférant un caractère simple à cette présomption qui a été transférée à l’article 311.
    • Il en résulte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Aussi, tout ne serait pas perdu pour un enfant qui naîtrait plus de trois cents jours après le décès du de cujus: s’il prouve que sa conception est intervenue antérieurement à l’ouverture de la succession, il pourra succéder.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 301 jours après le décès du de cujus.
    • En application de l’article 311, al. 1er du Code civil, il est a priori dépourvu de la qualité d’héritier.
    • Il lui est néanmoins possible de prouver qu’il a été conçu 304 jours avant sa naissance, de sorte qu’il était déjà conçu au moment du décès et que, par voie de conséquence, il était bien apte à succéder au défunt.
  • Seconde présomption
    • L’article 311, al. 2e du Code civil prévoit que « la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant. »
    • Il ressort de ce texte que la conception est réputée intervenir à n’importe quel moment entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • La date qu’il y a lieu de retenir est celle qui lui est la plus favorable, ce qui s’agissant d’acquérir la qualité à hériter sera celle qui précède le décès du de cujus.
    • Cette présomption dite omni meliore momento (au moment le plus favorable) est comme la précédente une présomption simple de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.
    • Dans ces conditions, la qualité d’héritier d’un enfant né durant la période de conception légale pourra lui être contestée s’il est établi qu’en réalité il a été conçu postérieurement au décès du de cujus.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 298 jours après le décès du défunt
    • Dans cette hypothèse, il est présumé avoir été conçu entre le 298e et le 300e jour avant sa naissance.
    • Sa qualité d’héritier pourra toutefois lui être contestée s’il est établi qu’il a, en réalité, été conçu 297 jours avant sa naissance.
    • Si cette preuve est rapportée, l’enfant ne pourra alors pas être appelée à la succession de cujus.

b. Seconde condition : l’exigence de naissance d’un enfant vivant et viable

==> Notion de viabilité

Il ne suffit pas que l’enfant ait été conçu avant le décès du de cujus. Encore faut-il qu’il naisse vivant et viable.

Aussi, l’aptitude à succéder de l’enfant non encore né à est assortie d’une condition résolutoire qui ne sera levée que s’il répond à l’exigence de viabilité.

N’est donc pas apte à hériter l’enfant qui :

  • Soit est mort-né
  • Soit naît vivant, mais non viable

Toute la question est alors de savoir ce que recouvre la notion d’enfant né viable. Selon Philippe Salvage, la viabilité serait un « faisceau de critères relatifs s’articulant autour des idées de maturité et de conformation et se manifestant par l’autonomie végétative de l’être »[2].

Autrement dit, la viabilité suppose que :

  • D’une part, l’enfant soit doté d’une constitution en ordre de fonctionnement présentant un niveau de maturité suffisant pour lui permettre de vivre de façon autonome
  • D’autre part, il soit porteur de tous les organes essentiels à l’existence.

En substance, pour être considéré comme viable, l’enfant ne doit donc présenter aucune anomalie qui serait incompatible avec la vie.

Dans un arrêt du 8 février 1830, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé en ce sens que « selon l’ancien droit, un enfant était viable quand il était né vivant, à terme, bien conformé et avec tous les organes nécessaires à la vie » (CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160).

L’exigence de viabilité procède d’une approche pragmatique. Pourquoi reconnaître la qualité d’héritier à un enfant qui est condamné à mourir avant d’avoir vécu ?

Il convient de ne pas perdre de vue le sens de l’institution qu’est la succession : transmettre un patrimoine aux personnes qui survivent au de cujus et qui participeront de la continuation de sa personne.

À quoi bon transmettre ce patrimoine à un enfant qui ne sera, par hypothèse, pas en capacité de jouer ce rôle ? Rien ne le justifie, raison pour laquelle le législateur subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à la viabilité de l’être non encore né.

S’agissant de l’approche juridique de la viabilité, elle est assise sur une présomption simple.

Autrement dit, l’enfant est présumé viable, dès lors que, d’une part, il naît et que, d’autre part, il est en vie au moment de la naissance.

==> L’abandon des critères de l’OMS

Reprenant les préconisations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une circulaire prise le 22 juillet 1993 par le ministère de la santé présume que l’enfant est viable lorsque deux critères alternatifs sont remplis :

  • La naissance de l’infant intervient à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère
  • L’enfant pèse au moins cinq cents grammes.

Cette circulaire visait à préciser les règles relatives à l’état civil issues de la loi du 8 janvier 1993 et, en particulier, l’article 79-1 du Code civil qui traite de l’inscription à l’état civil de l’enfant décédé avant son inscription à l’état civil.

En application de cette disposition, l’enfant bénéficie d’un état civil complet dès lors qu’un certificat médical indique qu’il est né vivant et viable et précise les jour et heure de naissance et de décès.

À défaut d’un tel certificat médical, l’officier de l’état civil doit établir un acte d’enfant sans vie.

Sous l’empire du droit antérieur, cet acte ne pouvait toutefois pas être dressé lorsque le fœtus ne répondait pas aux critères de viabilité de la circulaire.

Par trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique en jugeant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 2008, n°06-16.498, n°06-16.499, n°06-16.500).

En exigeant que l’enfant soit né à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère ou qu’il pèse au moins cinq cents grammes, la première chambre civile estime que la circulaire du 22 juillet 1993 a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoyait pas.

==> Présomption de viabilité

Afin de déterminer si un enfant est viable, il y a donc lieu de se départir des critères de viabilité posés par la circulaire du 22 juillet 1993 qui, d’ailleurs ont, consécutivement aux arrêts rendus par la Cour de cassation, été définitivement été écartés par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil.

Désormais, il convient plutôt de raisonner sur la base de la présomption de viabilité qui s’infère de la jurisprudence (V. notamment CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160)

Il est, en effet, admis que la viabilité de l’enfant est présumée, dès lors qu’il naît en vie.

Gérard Cornu écrit en ce sens que tout « enfant né vivant est présumé viable, même s’il est mort rapidement après. Une présomption de viabilité s’attache au premier signe de vie »[3].

Cette présomption de viabilité n’est toutefois pas légale. Il s’agit d’une présomption simple qui donc souffre de la preuve contraire.

Afin d’établir que l’enfant n’est pas viable, il faudra démontrer :

  • D’une part, qu’il ne possède pas la maturité suffisante pour vivre
  • D’autre part, qu’il présente une anomalie physique incompatible avec la vie

II) Les personnes dépourvues de l’aptitude à hériter

Les personnes qui ne sont pas aptes à succéder se répartissent en cinq catégories :

  • Les personnes décédées
  • L’enfant mort-né ou né non viable
  • Les personnes absentes
  • Les personnes disparues
  • Les personnes morales

A) Les personnes décédées

1. Principe

==> La mort naturelle

Parce que le décès emporte extinction de la personnalité juridique, les personnes qui sont décédées ne sont pas aptes à hériter.

Seules les personnes vivantes « à l’instant de l’ouverture de la succession » sont pourvues de la qualité d’héritier.

Il peut être observé que, en 1804, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé deux sortes de morts comme causes d’incapacité à succéder :

  • La mort naturelle, procédant d’une cessation des fonctions vitales
  • La mort civile, procédant d’une condamnation judiciaire

La mort civile ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854, la mort ne présente désormais plus qu’une seule forme : elle ne peut être que naturelle.

==> Les critères de la mort

C’est le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

==> La preuve de la mort

Pour qu’une personne décédée soit privée de sa capacité à hériter, encore faut-il que sa mort intervienne antérieurement à l’ouverture de la succession du de cujus.

Aussi, la date de la mort présente un enjeu majeur, ce qui, dès lors pose la question de sa preuve.

S’agissant de la charge de cette preuve, elle pèse sur les ayants droit de l’héritier présomptif.

La plupart de temps, cette preuve sera rapportée par la production de l’acte de décès sur lequel figure notamment le jour, l’heure et le lieu de décès (art. 79 C. civ.)

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

En effet, il y a lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

S’agissant de la date et l’heure du décès, ces deux informations ne sont donc pas couvertes par le caractère authentique de l’acte de décès, faute pour l’officier d’état civil d’avoir pu les constater personnellement.

Dans ces conditions, elles pourront être remises en cause, ce qui supposera d’établir que, soit la date, soit l’heure, ou les deux, sont erronées

2. Tempérament

Par exception à la règle privant les personnes décédées de l’aptitude à hériter, les articles 752 et 752-2 du Code civil admettent que certains descendants de l’héritier prédécédé puissent lui succéder par le jeu de la représentation.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.

S’agissant des personnes admises à représenter l’héritier présomptif prédécédé, il s’agit :

  • D’une part, en ligne directe des descendants à l’infini ( 752 C. civ.)
  • D’autre part, en ligne collatérale, des enfants et descendants de frères ou sœurs du défunt ( 752-2 C. civ.)

Ainsi, le décès de l’héritier présomptif ne prive ses descendants de la possibilité succéder en son lieu et place au de cujus.

B) L’enfant mort-né ou né non viable

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

C) Les personnes absentes

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

==> La personne présumée absente

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque les conditions de l’absence sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

À cet égard, durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> La personne déclarée absente

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte notamment que l’absent perd son aptitude à hériter, puisque sa personnalité juridique s’éteint.

D) Les personnes disparues

L’article 88 du Code civil prévoit que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

S’agissant des effets de la disparition, il y a lieu de se reporter à l’article 91, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa personnalité juridique prend fin, ce qui emporte, par voie de conséquence, son aptitude à hériter.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

C’est donc à cette date qu’il y aura lieu de se placer afin d’apprécier l’aptitude de la personne disparue à succéder au de cujus.

E) Les personnes morales

En application de l’article 725 du Code civil, pour succéder, il faut en principe exister. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, devraient donc être aptes à hériter, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

S’agissant de ces dernières, bien qu’elles n’aient pas de réalité tangible, elles existent bien juridiquement. Et pour cause, en leur reconnaissant la personnalité juridique, la loi leur confère la capacité à détenir un patrimoine.

Rien ne devrait donc s’opposer à ce que les personnes morales puissent recueillir les biens d’une personne physique dans le cadre d’une succession.

Tel n’est pour autant pas l’état du droit qui subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre le de cujus et ses successibles.

Pour cette raison, les personnes morales sont inaptes à hériter, à tout le moins dans le cadre d’une succession ab intestat, soit la succession qui s’opère sans testament.

La jurisprudence, puis le législateur, ont toutefois admis que les personnes morales pouvaient, à certaines conditions, bénéficier d’une libéralité par voie de donation ou par voie testamentaire.

À l’analyse, l’aptitude d’une personne morale à recueillir une libéralité dépend de sa nature juridique (société, association, fondation etc.).

S’agissant des sociétés civiles et commerciales, la jurisprudence leur a très tôt reconnu cette aptitude (V. en ce sens Cass. req. 23 févr. 1891).

À cet égard, l’exercice de leur droit à recueillir une libéralité n’est nullement subordonné à l’octroi d’une quelconque autorisation, ni à l’accomplissement d’une déclaration (Cass. req., 29 nov. 1897).

Tout au plus, en raison du principe de spécialité qui limite leur capacité de jouissance, l’objet social figurant dans les statuts de la société civile ou commerciale devra comprendre la possibilité de recueillir une libéralité.

S’agissant des fondations, des congrégations et des associations, non seulement elles ont la capacité de recevoir des libéralités entre vifs ou par testament, mais encore qu’elles peuvent les accepter librement (art. 910 C. civ.).

L’article 910 prévoit néanmoins que si le préfet constate que l’organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu’il n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité.

Afin que ce contrôle puisse effectivement être exercé, le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 fait peser une obligation de déclaration sur les associations, fondations et congrégations recueillant la libéralité.

§2 : L’absence d’indignité successorale

Si l’aptitude à hériter est indépendante de la volonté de celui auquel elle est reconnue, il est en revanche certains agissements qui sont incompatibles avec la qualité d’héritier.

Certains comportements moralement répréhensibles, sinon délictueux, dont a fait montre l’héritier envers le de cujus sont, en effet, de nature à le priver de sa vocation successorale.

Ces comportements tombent sous le coup de ce que l’on appelle l’indignité.

==> Notion

Envisagée aux articles 726 à 729-1 du Code civil, l’indignité successorale est classiquement définie comme la déchéance du droit de succéder au défunt à raison d’atteintes graves portées à son encontre.

L’indignité produit sensiblement les mêmes effets qu’une exhérédation, à deux nuances près.

  • D’une part, l’indignité successorale se produit sous l’effet de la loi, alors que l’exhérédation ordinaire résulte de la volonté du de cujus.
  • D’autre part, alors que l’indignité successorale est susceptible de priver l’héritier de sa part réservataire, lorsqu’elle est le fait du de cujus, l’exhérédation ne pourra se limiter qu’à la quotité disponible.

Pour ces deux raisons, l’indignité successorale ne se confond pas avec l’exhérédation. Néanmoins, depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, il apparaît que les deux institutions se sont rapprochées.

En effet, l’indignité n’est plus, comme sous l’empire du droit en vigueur, un effet légal strictement attaché à une conduite incriminée, qu’aucune volonté contraire ne saurait écarter.

Désormais, l’indignité peut être neutralisée par le pardon accordé à l’indigne, soit par le de cujus lui-même, soit par ses cohéritiers.

==> Nature

S’agissant de la nature de l’indignité successorale, la doctrine est partagée entre deux approches :

  • Première approche : l’assimilation de l’indignité à une incapacité
    • D’aucuns soutiennent que l’indignité s’apparenterait à une incapacité de jouissance, celle-ci produisant finalement les mêmes effets : celui qui est reconnu indigne est inapte à recueillir le patrimoine du de cujus.
    • À cette analyse, il est objecté notamment qu’une incapacité serait toujours prononcée pour des raisons « indépendantes du mérite ou du démérite de la personne»[4].
    • Au surplus, les incapacités auraient une portée générale. Or l’indignité ne frappe l’indigne que pour la succession de la personne envers laquelle il s’est mal comporté.
    • Ainsi que l’observe néanmoins Michel Grimaldi, il existe « des incapacités relatives qui, précisément, ne concernent que les rapports entre deux personnes déterminées»[5].
    • Tel est notamment le cas du médecin qui est frappé d’une incapacité de jouissance spéciale quant à recevoir une libéralité émanant de son patient ( 909 C. civ.).
    • Il en va de même pour le tuteur auquel il est fait interdiction recevoir une libéralité provenant du mineur dont il assurait la représentation ( 907 C. civ.).
  • Seconde approche : l’assimilation de l’indignité à une peine privée
    • La doctrine majoritaire assimile l’indignité successorale à une peine privée, car elle jouerait le rôle de sanction.
    • Dans un arrêt du 18 décembre 1984, la Cour de cassation a statué en ce sens, en qualifiant expressément l’indignité de « peine civile de nature personnelle et d’interprétation stricte».
    • Elle en déduit qu’elle « ne peut être étendue au-delà des textes qui l’instituent » ( 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028).

Selon que l’on assimile l’indignité successorale à une incapacité ou à une peine privée, elle ne sera pas soumise au même principe.

Si l’indignité s’analyse en une incapacité, alors elle ne peut frapper que les personnes expressément visées par la loi. Rien ne ferait en revanche obstacle à ce que les juges puissent se livrer à une interprétation extensive des textes aux fins d’appliquer l’indignité à des cas non expressément prévus par la loi.

Si l’indignité est assimilée à une peine privée, elle obéit alors au principe de légalité des délits et des peines, ce qui signifie qu’elle ne peut jouer que pour les cas expressément visés par un texte.

À l’examen, c’est plutôt la seconde approche qui semble avoir été adoptée par la jurisprudence, (Cass. 1ère civ. 18 déc. 1984, n°83-16.028). Elle doit donc être appréhendée comme une peine privée.

==> Domaine

Le domaine de l’indignité successoral est cantonné aux seules successions ab intestat, soit à celles qui s’opèrent en dehors de tout testament.

L’indignité ne joue pas :

  • Dans le cadre des libéralités
    • Pour mémoire, les libéralités recouvrent les donations et les testaments, soit les actes à titre gratuit qui procèdent de la volonté du disposant
    • Pour ces actes, en cas de mauvaise conduite du bénéficiaire envers leur auteur, la sanction est toute autre.
    • Il s’agit, en effet, de la révocation pour cause d’ingratitude.
    • En soi, l’ingratitude produit les mêmes effets que l’indignité successorale.
    • Elle s’en distingue toutefois en ce qu’elle sanctionne des agissements moins graves.
    • Aussi, les cas d’ingratitude et d’indignité ne coïncident pas totalement
  • Dans le cadre des avantages matrimoniaux
    • L’article 1527 du Code civil définit les avantages matrimoniaux comme ceux « que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes».
    • Il s’agit, autrement dit, de tout profit procuré à l’un des époux résultant des règles qui président au fonctionnement du régime matrimonial.
    • Les avantages matrimoniaux présentent la particularité d’échapper au régime des libéralités ; ils leur sont étrangers.
    • Est-ce à dire qu’ils sont susceptibles de relever du domaine de l’indignité, puisque ne pouvant donc pas être révoqués pour cause d’ingratitude ?
    • Dans un arrêt remarqué du 7 avril 1998, la Cour de cassation a répondu par la négative.
    • Dans cette décision, elle a estimé que l’indignité successorale était insusceptible de sanctionner le conjoint condamné à une peine de 10 ans de réclusion criminelle pour avoir mortellement frappé son épouse ( 1ère civ., 7 avr. 1998, n° 96-14.508).
    • La position prise par la Cour de cassation est sévère.
    • Aussi, marque-t-elle sa volonté de faire une application stricte des textes et de circonscrire le domaine de l’indignité aux seules successions ab intestat.

==> Réforme

Le régime de l’indignité successorale a été profondément réformé par la loi 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral.

Il était notamment reproché aux règles antérieures d’être trop étroites, trop rigides et quelquefois injustes.

La loi du 3 décembre 2001 a tenu compte des critiques, en créant de nouveaux cas d’indignité successorale, dont la plupart sont facultatifs pour le juge, afin d’apporter de la souplesse dans un dispositif.

Le texte met fin, par ailleurs, à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, peuvent désormais représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu (art. 729-1 C. civ.).

Bien qu’en règle générale on ne puisse représenter que des personnes mortes, cette représentation peut avoir lieu du vivant même de l’indigne.

L’appréhension de l’indignité successorale suppose d’envisager ses causes, après quoi il conviendra de se focaliser sur ses effets.

I) Les causes d’indignité successorale

Les rédacteurs du Code civil n’avaient envisagé que trois causes d’indignité successorale :

  • Avoir été condamnée pour meurtre ou tentative de meurtre à l’endroit du défunt
  • Avoir porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse, soit avoir cherché à le faire condamner à mort en l’accusant d’un crime qu’il n’avait pas commis
  • Avoir été instruit du meurtre du défunt et ne l’avoir pas dénoncé aux autorités judiciaires

Lors des travaux parlementaires dont est issue la loi du 3 décembre 2001, il est apparu que les cas d’indignité successorale prévus par le Code civil étaient pour le moins étroits, sinon désuets.

Aussi, a-t-il été jugé nécessaire de les revoir, ce qui a conduit, non seulement à les élargir, mais encore à les répartir en deux catégories :

  • Les cas d’indignité de plein droit
  • Les cas d’indignité facultative

Tandis que les premiers jouent automatiquement en cas de condamnation pénale de l’héritier présomptif, les seconds requièrent l’intervention du juge civile qui devra se prononcer sur leur bien-fondé.

A) Les cas d’indignité de plein droit

L’article 726 du Code civil prévoit deux cas d’indignité de plein droit :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Ce cas d’indignité vise indistinctement le meurtre ( 221-1 et 221-4 C. pén.), l’assassinat (art. 221-3 C. pén.), l’empoisonnement (art. 221-5 C. pén.).
  • Second cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle de celui qui a volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité recouvre toutes les infractions sanctionnant les atteintes portées à l’intégrité physique du de cujus et qui ont conduit à son décès, sans pour autant que l’auteur de l’infraction ou son complice aient été animés d’une intention homicide.

Plusieurs enseignements peuvent être retirés des cas d’indignité de plein droit visés par l’article 726 du Code civil.

Tout d’abord, seule une condamnation à une peine criminelle est constitutive d’une cause d’indignité de plein droit.

Par peine criminelle, il faut entendre une condamnation pénale supérieure à 10 ans de réclusion.

Ensuite, il peut être observé que, désormais, le complice de l’auteur du crime est également susceptible d’être frappée par l’indignité successorale, ce qui n’était pas le cas sous l’empire du droit antérieur

Enfin, il n’est pas nécessaire que celui qui a porté atteinte à la vie du défunt, à tout le moins qui y a concouru volontairement, soit animé de la volonté de tuer, pour encourir l’indignité successorale.

Il s’agit là d’une nouveauté introduite par la loi du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’absence d’intention homicide n’excusait pas l’héritier qui, par ses agissements, porte la responsabilité de la mort du de cujus.

B) Les cas d’indignité facultative

L’article 727 du Code civil prévoit six cas d’indignité successorale :

  • Premier cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle, de celui qui a volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
    • Sont ici visées les mêmes infractions qu’au 1e de l’article 726 du Code civil, soit le meurtre, l’assassinat et l’empoisonnement.
    • La seule différence, c’est que l’auteur ou le complice de l’infraction a été condamné, non pas à une peine criminelle, mais à une peine correctionnelle.
    • Par peine correctionnelle, il faut entendre une peine d’emprisonnement qui n’excède pas dix ans.
    • Parce que la peine prononcée à son encontre est moins lourde, le législateur a estimé que l’indignité devait, pour cette situation, n’être que facultative.
    • Le dernier alinéa du texte précise néanmoins que « peuvent également être déclarés indignes de succéder ceux qui ont commis les actes mentionnés aux 1° et 2° et à l’égard desquels, en raison de leur décès, l’action publique n’a pas pu être exercée ou s’est éteinte. »
    • Autrement dit, lorsque l’action publique n’a pas pu être mise en mouvement pour quelque raison que ce soit, l’indignité successorale pourra malgré tout être prononcée par un juge.
    • L’objectif recherché par cette règle est d’empêcher la famille de l’auteur ou du complice de l’infraction ne puisse hériter du patrimoine de la victime.
  • Deuxième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine correctionnelle de celui qui a volontairement commis des violences ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.
    • Ce cas d’indignité participe de la même logique que le précédent, en ce que les infractions visées sont exactement les mêmes que celles énoncées au 2e de l’article 726 du Code civil.
    • La peine prononcée présente néanmoins un caractère correctionnel, de sorte que l’indignité encourue ne joue plus de plein droit ; elle est facultative.
    • Par ailleurs, l’absence de mise en mouvement de l’action publique est ici aussi sans incidence sur le risque encouru par l’auteur ou le complice de l’infraction d’être frappé d’une indignité successorale.
    • Le dernier alinéa du texte est également applicable à cette cause d’indignité facultative
  • Troisième cas
    • Il s’agit de la condamnation comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle de celui qui a commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt.
    • Ce cas d’indignité facultative a été introduit par la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
    • Cet ajout est motivé par la volonté du législateur de réprimer plus sévèrement les auteurs de violences conjugales.
    • Il est parti du constat que si la loi permettait de déclarer l’indignité successorale en cas de faux témoignage et de dénonciation calomnieuse contre le défunt, tel n’était pas le cas pour les violences sexuelles ou physiques dès lors qu’elles n’ont pas été mortelles.
    • Il y avait là, selon les parlementaires, un problème d’échelle de valeurs qu’il fallait corriger.
    • Pour cette raison, il a été décidé de créer un nouveau cas d’indignité successorale pour celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences volontaires ou un viol sur le défunt.
    • Le mari violent ne peut désormais donc plus hériter de son épouse si celle-ci décède avant lui.
    • Sur ce point, la commission des lois a souhaité viser, en plus des violences et du viol, les actes de torture et de barbarie et les agressions sexuelles, et prévoir que l’indignité pourrait être prononcée même si le conjoint a seulement été condamné à une peine correctionnelle.
  • Quatrième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’un témoignage mensonger porté contre le défunt dans une procédure criminelle.
    • Il s’agit là d’une reprise d’un souhait formulé par une partie de la doctrine qui regrettait que cette infraction ne soit pas une cause d’indignité.
    • Pour mémoire, l’infraction de faux témoignage dans le cadre est envisagée à l’article 434-13 du Code pénale.
    • Cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Il s’agirait autrement dit, pour l’héritier présomptif, de témoigner contre le de cujus dans le cadre d’une procédure criminelle en alléguant des faits qu’il sait faux.
  • Cinquième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui s’est volontairement abstenu d’empêcher soit un crime soit un délit contre l’intégrité corporelle du défunt d’où il est résulté la mort, alors qu’il pouvait le faire sans risque pour lui ou pour les tiers.
    • Ce cas d’indignité successorale est une innovation de la loi du 3 décembre 2001.
    • Il vise à sanctionner celui qui savait qu’un crime ou un délit allait se commettre à l’endroit de la personne du défunt, mais n’a rien dit, ni rien fait.
    • Or s’il avait agi, il aurait pu empêcher la mort du de cujus.
    • Parce qu’il porte une part de responsabilité dans le drame qui s’est produit, il ne mérite pas d’hériter.
    • Son abstention est d’autant plus blâmable que le décès du de cujus lui a directement profité en ce que, sans l’indignité, il hériterait prématurément.
    • Au surplus, on est légitimement en droit de le soupçonner d’avoir laissé faire dans le seul dessein d’accélérer sa vocation successorale.
    • Reste que le domaine de ce cas d’indignité est pour le moins restreint.
    • Pour être retenu, il faudra établir :
      • D’une part, l’abstention volontaire de l’héritier volontaire
      • D’autre part, que l’atteinte portée au de cujus était constitutive d’un crime ou d’un délit
      • En outre, que cette atteinte consistait en une agression physique sur sa personne
      • Enfin, que l’héritier présomptif était en capacité d’agir sans risque pour lui ou pour les tiers
    • Au bilan, les conditions devant être remplies pour que ce cas d’indignité soit retenu sont si nombreuses que, en pratique, ne sera caractérisé que dans de très rares cas
  • Sixième cas
    • Il s’agit de la condamnation de celui qui est à l’origine d’une dénonciation calomnieuse contre le défunt lorsque, pour les faits dénoncés, une peine criminelle était encourue.
    • Ce cas d’indignité successorale n’est autre qu’une reprise de l’un des cas prévus par les rédacteurs du Code civil.
    • L’ancien article 727, 2e prévoyait en effet que l’indignité était encourue par « celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse».
    • La seule différence, c’est que la dénonciation calomnieuse visée ici porte sur une infraction punie, non plus de peine de mort, mais par une peine criminelle.
    • L’esprit de ce cas d’indignité successorale n’en reste pas moins le même.
    • Il s’agit de sanctionner celui qui a portée contre le de cujus une accusation très grave, car portant sur des faits de nature criminelle, et, à ce titre, l’a exposé au risque d’être condamné à une lourde peine.
    • Certes, la motivation de l’auteur de la calomnie ne résidera pas dans la perspective d’hériter prématurément du de cujus, celui-ci ne risquant plus d’être condamné à mort.
    • Néanmoins, le préjudice personnel susceptible de lui être causé est si important que l’héritier présomptif doit être privé de sa vocation successorale.

II) La mise en œuvre de l’indignité successorale

Selon que l’indignité successorale joue de plein droit ou selon qu’elle est facultative, sa mise en œuvre diffère.

A) La mise en œuvre de l’indignité successorale de plein droit

Lorsque l’indignité successorale joue de plein droit, car résultant de l’une des causes visées par l’article 726 du Code civil, elle est automatique en ce sens que, pour produire ses effets, il n’est pas besoin de saisir le juge.

Aussi, est-elle attachée à la condamnation pénale dont, au fond, elle est une conséquence légale.

Encore faut-il néanmoins qu’elle soit invoquée, faute de quoi elle ne pourra pas jouer.

Les personnes admises à se prévaloir de l’indignité successorale de plein droit sont limitées.

On compte :

  • Les cohéritiers de l’indigne
  • Les ayants droit de l’indigne
  • Les légataires à titre universel et à titre particulier
  • Le ministère public en l’absence d’héritier

B) La mise en œuvre de l’indignité successorale facultative

Lorsque l’indignité est facultative, soit résulte de l’une des causes visées à l’article 727 du Code civil, sa mise œuvre requiert l’obtention d’une déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, cela suppose-t-il pour celui qui se prévaut de cette forme d’indignité successorale de saisir le juge civil.

À la différence de l’indignité de plein droit, l’indignité facultative n’est pas automatique ; elle doit être prononcée.

==> Compétence

En application de l’article 727-1 du Code civil, la juridiction compétente pour prononcer la déclaration d’indignité successorale est le Tribunal judiciaire.

Plus précisément, parce qu’il s’agit d’une demande qui intéresse les rapports entre héritiers, c’est la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession jusqu’au partage qui est compétente (art. 45 CPC), étant précisé que la succession doit s’ouvrir au lieu du dernier domicile du défunt (art. 720 C. civ.).

==> Titulaires de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la déclaration d’indignité prévue à l’article 727 est prononcée après l’ouverture de la succession par le tribunal judiciaire à la demande d’un autre héritier. »

Il ressort de cette disposition que seuls les cohéritiers de l’indigne ont qualité pour saisir le juge aux fins de déclaration judiciaire d’indignité.

Aussi, sont privés de la possibilité d’exercer cette action, tant les héritiers testamentaires, que les légataires, alors même qu’ils auraient intérêt à agir.

En l’absence d’héritier, le second alinéa du texte précise que « la demande peut être formée par le ministère public. »

==> Moment d’exercice de l’action

L’article 727-1 du Code civil prévoit expressément que la demande visant à ce qu’un héritier soit déclaré indigne ne peut être formulée qu’après l’ouverture de la succession.

Aucune action ne pourra donc être exercée, tant que la victime de l’indignité n’est pas décédée.

==> Délai pour agir

L’article 727-1 du Code civil prévoit que « la demande doit être formée dans les six mois du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès. »

Il s’infère de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon que la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant ou après le décès.

  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient avant le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du décès du de cujus.
  • La décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité intervient après le décès de la victime de l’indignité
    • Dans cette hypothèse, l’action en déclaration d’indignité doit être exercée dans un délai de 6 mois à compter du prononcé de la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité

==> Décision

Après avoir examiné les circonstances de la cause et vérifié que l’un des cas d’indignité facultative visé par l’article 727 du Code civil était caractérisé, le juge pourra prononce une déclaration d’indignité.

III) Les effets de l’indignité successorale

Lorsqu’elle est acquise, soit directement par l’effet d’une condamnation pénale, soit par l’effet d’une décision du juge civil, l’indignité emporte plusieurs effets.

A) Les effets de l’indignité à l’égard de l’indigne

L’indignité produit deux effets à l’égard de l’indigne :

  • Il est exclu de la succession du de cujus
  • Il doit restitution des fruits et revenus

1. Exclusion de la succession

==> Principe

L’indignité a pour effet principal d’exclure l’indigne de la succession : il est déchu de son droit à succéder au de cujus, il perd sa qualité d’héritier.

S’agissant des libéralités susceptibles d’avoir été consenties par ce dernier à l’indigne, il peut être observé qu’elles ne relèvent pas de l’indignité. Elles ne peuvent être révoquées que pour cause d’ingratitude.

Aussi, l’indignité n’a d’incidence que sur la seule succession ab intestat. L’indigne peut donc conserver le bénéfice des donations ou dispositions testamentaires dont il aurait été gratifié par le défunt.

L’effet attaché à l’indignité n’est, par ailleurs, que relatif en ce sens qu’elle ne prive l’indigne de son aptitude à hériter que dans ses seuls rapports avec le de cujus.

Aussi, conserve-t-il sa capacité à hériter d’une autre personne et notamment aux parents de la victime de l’indignité, soit par le jeu de transmissions successives, soit par le jeu de la représentation successorale.

==> Exception

L’article 728 du Code civil prévoit que « n’est pas exclu de la succession le successible frappé d’une cause d’indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il en a eue, a précisé, par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu’il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel. »

Il ressort de cette disposition que le de cujus dispose de la faculté de maintenir l’indigne dans ses droits, malgré les fautes commises à son endroit.

Cette faculté de pardon reconnue au de cujus joue, tant en matière d’indignité de plein droit, qu’en matière d’indignité facultative.

C’est là une innovation de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001, le législateur ayant estimé qu’il y avait lieu de donner le dernier mot au défunt, sa volonté primant ainsi les effets de la loi.

Reste que pour que le pardon opère et déjoue les effets de l’indignité, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

  • D’une part, le de cujus doit avoir eu connaissance des faits commis à son encontre et frappés de l’une des causes d’indignité
  • D’autre part, il doit avoir exprimé sa volonté de maintenir l’indigne dans ses droits, nonobstant les faits dont il a eu connaissance
  • Enfin, le pardon accordé par le de cujus à l’indigne doit intervenir après la découverte des faits frappés d’indignité et prendre la forme :
    • Soit d’une disposition testamentaire, ce qui suppose donc que les faits pardonnés soient expressément mentionnés dans le testament
    • Soit d’une libéralité universelle ou à titre universel

2. Obligation de restitution des fruits et revenus

L’article 729 du Code civil prévoit que « l’héritier exclu de la succession pour cause d’indignité est tenu de rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

Cette disposition marque le caractère rétroactif de l’indignité successorale. Cette situation se rencontrera lorsque l’indigne est entré en possession des biens du de cujus et que l’indignité n’a pas encore produit ses effets.

Tel sera le cas pour l’indignité facultative qui ne peut être déclaré que postérieurement au décès du défunt.

Pour ce qui est de l’indignité de plein droit, la rétroactivité ne concernera que l’hypothèse où la condamnation de l’indigne a été prononcée après le décès du de cujus et que l’indigne est entré en possession immédiatement après l’ouverture de la succession.

En tout état de cause, lorsque l’indignité – de plein droit ou facultative – produit ses effets, l’indigne est réputé n’avoir jamais hérité.

Il en résulte qu’il a l’obligation de restituer :

  • D’une part, les biens qu’il aurait recueillis dans son patrimoine
  • D’autre part, les fruits et les revenus qu’il a éventuellement retirés de ces biens

C’est parce que l’indigne est considéré comme un possesseur de mauvaise foi, qu’il est tenu de restituer intégralement les fruits et revenus provenant des biens dont il a eu la jouissance.

Quant aux tiers auxquels l’indigne aurait transférer la propriété des biens recueillis, leur situation est pour le moins précaire car endossant la qualité d’acquéreur a non domino, soit d’acquéreur sans titre valable.

S’agissant des immeubles, l’opération encourt la nullité en application de la règle nemo plus juris.

Seule la prescription acquisitive pourra consolider la situation du tiers, encore qu’il ne pourra pas se prévaloir de la prescription abrégée.

S’agissant des meubles, la remise en cause de l’opération dépendra de la bonne ou mauvaise foi du tiers.

S’il est de bonne foi, nonobstant sa qualité d’acquéreur a non domino, il conservera le bénéfice de son acquisition. Si, en revanche, il est de mauvaise foi, une action en revendication pourra être exercée, le délai de prescription étant porté à trente ans.

B) Les effets de l’indignité à l’égard des héritiers

Parce qu’il s’agit d’une peine personnelle, l’indignité ne produit ses effets qu’à l’encontre de l’indigne ; elle est sans incidence :

  • D’une part, sur les cohéritiers
  • D’autre part, sur les enfants

S’agissant des enfants, il s’agit là d’une autre innovation introduite par la loi du 3 décembre 2001.

L’article 729-1 du Code civil prévoit que « les enfants de l’indigne ne sont pas exclus par la faute de leur auteur, soit qu’ils viennent à la succession de leur chef, soit qu’ils y viennent par l’effet de la représentation […] ».

Il ressort de cette disposition que les enfants de l’indigne peuvent venir en représentation de celui-ci.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Le législateur a ici voulu mettre fin à l’injustice dont étaient victimes les enfants de l’indigne : ceux-ci, qui n’ont commis aucune faute, doivent pouvoir représenter leur auteur dans la succession dont il est exclu.

L’article 729-1 précise néanmoins que « l’indigne ne peut, en aucun cas, réclamer, sur les biens de cette succession, la jouissance que la loi accorde aux père et mère sur les biens de leurs enfants. »

Cette précision vise à déroger à la règle posée à l’article 386-1 du Code civil qui confère aux parents d’un enfant mineur un droit de jouissance légale sur les biens qu’ils administrent.

Il ne faudrait pas que l’indigne puisse tirer profit des biens dont il a été privé par l’entremise de ses enfants qui l’ont représenté dans la succession du de cujus.

Afin d’illustrer la règle énoncée à l’article 729-1, prenons l’exemple de la succession de A qui laisse derrière lui deux enfants, B et C. B qui a deux enfants E et F, est frappé d’indignité.

Si les enfants de l’indigne ne pouvaient pas venir en représentation de celui-ci, alors c’est C qui recueillerait l’intégralité de la succession de A.

Si en revanche les enfants de l’indigne sont admis à le représenter, alors ils pourront se partager la moitié de la succession de A, tandis que C recueillera l’autre moitié.

 

 

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

[4] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. III, LGDJ, 7e éd. 1918, n°1731.

[5] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. Lexisnexis, 2017, n°105, p. 81.

L’acquisition de la qualité d’héritier: la condition tenant à l’existence (art. 725 C. civ.)

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Une fois la succession ouverte, seules pourront être appelées les personnes qui justifient des qualités requises pour hériter.

En effet, pour succéder au de cujus, deux conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, l’héritier doit exister au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’héritier ne doit pas être frappé d’une cause indignité successorale

Nous nous focaliserons ici sur la condition tenant à l’existence. 

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Il ressort de cette disposition que pour hériter, il convient d’exister, ce qui dès lors interroge sur la définition de ce verbe.

Dans le langage courant, on dit d’une personne qu’elle existe lorsqu’elle est en vie par opposition à une personne décédée qui n’existe plus.

Reste que, comme observé par Michel Grimaldi, « ce n’est pas de l’existence physique qu’il s’agit, mais de l’existence juridique, c’est-à-dire de la personnalité juridique, de l’aptitude à acquérir des droits »[1].

Aussi, l’existence telle qu’envisagée à l’article 725 du Code civil, ne correspond pas en tout point à celle définie en biologie.

Pour exemple, sous l’empire du droit antérieur, les personnes condamnées à une peine de mort civile étaient privées de leur capacité à hériter, alors même qu’elles étaient encore en vie.

En droit des successions, la notion d’existence s’est ainsi construite sur la base d’un certain nombre de fictions juridiques qui, tantôt conduisent à attribuer la qualité d’héritier à des personnes qui n’existent pas encore, tantôt à refuser la qualité d’héritier à des personnes auxquelles on reconnaît pourtant une existence juridique.

Afin d’appréhender la condition tenant à l’existence, il convient donc de déterminer qu’elles sont les personnes qui sont pour

I) Les personnes pourvues de l’aptitude à hériter

Deux enseignements peuvent être retirés de l’article 725 du Code civil qui pose l’existence comme première condition à l’octroi de la qualité d’héritier :

  • D’une part, le respect de la condition tenant à l’existence de la personne appelée à hériter doit être apprécié au jour de l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’existence commence au jour de la conception, pourvu que l’enfant naisse vivant et viable

A) Le moment de l’appréciation de l’existence

Conformément à l’article 725 du Code civil, les personnes auxquelles on reconnaît l’aptitude à hériter sont celles qui existent « à l’instant de l’ouverture de la succession ».

L’existence de la personne appelée à succéder doit ainsi être appréciée au moment où la succession s’ouvre, soit au jour où le de cujus est réputé mort.

La raison en est que, en application du principe de continuité de la personne du défunt, la transmission de son patrimoine doit intervenir concomitamment à son décès.

Aussi, est-ce pour éviter qu’une rupture ne vienne affecter cette transmission, qu’il a été décidé que seules les personnes qui existaient au jour de l’ouverture de la succession étaient aptes à hériter.

B) La conception comme point de départ de l’existence

L’article 725 du Code civil prévoit que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable. »

Aussi, est-ce au moment de la conception de l’enfant qu’il y a lieu de se placer pour déterminer si au jour de l’ouverture de la succession, il est apte à hériter. Encore faut-il que celui-ci naisse vivant et viable.

1. Principe

==> Énoncé du principe

Définir l’existence consiste, au fond, à déterminer là où elle commence et là où elle se termine.

S’agissant de la fin de l’existence, elle ne soulève pas de réelle difficulté dans la mesure où un seul événement peut servir de borne : la mort.

S’agissant, en revanche, du début de l’existence, la question est plus délicate : doit-on retenir comme date de commencement la naissance ou la conception de la personne ?

La difficulté a été tranchée dès l’entrée en vigueur du Code civil. Ses rédacteurs ont retenu la seconde option en reprenant le principe exprimé par l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur ».

Pris dans son sens littéral, cet adage signifie que l’enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu’il y va de son intérêt.

Aussi, l’enfant posthume, soit celui qui naît postérieurement au décès de l’un ou l’autre de ses parents, serait apte à hériter, le principe dit de l’infans conceptus, faisant commencer l’existence humaine, non pas au jour de la naissance, mais au moment de la conception.

Il n’est donc pas nécessaire d’être né pour succéder, il suffit d’avoir été conçu au jour de l’ouverture de la succession.

À l’analyse, il y a quelque chose de contradictoire à, d’un côté, octroyer des droits à enfant dès sa conception et, d’un autre côté poser que la personnalité juridique ne s’acquiert qu’au jour de la naissance.

Pour être titulaire de droits, il faut être pourvu d’une capacité de jouissance. Or cette capacité est étroitement attachée à la personnalité juridique.

En toute rigueur, un enfant ne devrait donc être apte à recueillir des droits qu’au jour de sa naissance.

Aussi, est-ce pour surmonter cette difficulté que la règle infans conceptus fait rétroagir, par le jeu d’une fiction juridique, les effets de la naissance au moment de la conception.

==> Justification du principe

L’instauration de la règle « infans conceptus » se justifie essentiellement pour deux raisons :

  • Première raison
    • Il est scientifiquement établi que la vie commence dès le stade de la conception ; c’est à ce moment que l’on fixe le point de départ de l’existence
    • Indépendamment de l’argument scientifique qui est relativement récent, cette réalité a très tôt été admise chez les juristes.
    • La preuve en est les romains qui sont à l’origine de la règle, laquelle a, par suite, été reprise, dans les mêmes termes, par les rédacteurs du Code civil qui voyaient également dans la conception le commencement de l’existence
  • Seconde raison
    • Reconnaître à l’enfant, dès sa conception, l’aptitude à hériter participe d’une volonté d’instaurer une égalité successorale entre enfants.
    • L’égalité commande, en effet, d’octroyer à l’enfant seulement conçu les mêmes droits que ceux dont sont titulaires ses frères et sœurs déjà nés.
    • Pourquoi opérer une différence de traitement entre eux alors que tous existent au jour du décès de leur parent ? L’admettre reviendrait à créer une rupture d’égalité fondée sur la seule antériorité de la naissance.
    • Or cela s’est contraire à l’article 735 du Code civil qui dispose que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants, sans distinction de sexe, ni de primogéniture, même s’ils sont issus d’unions différentes.».

2. Conditions

Il ressort de l’article 725 du Code civil que deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’enfant seulement conçu soit apte à hériter :

  • D’une part, la conception doit être antérieure à l’ouverture de la succession
  • D’autre part, l’enfant doit être né vivant et viable

a. Première condition : l’exigence d’antériorité de la conception au décès

Si, en application de l’article 725 du Code civil, pour succéder il suffit que l’enfant ait « déjà été conçu », encore faut-il que sa conception soit antérieure à l’ouverture de la succession.

Dès lors que la conception est postérieure au décès, il est trop tard. La condition tenant à l’existence n’est, par hypothèse, plus remplie. Or pour recueillir des droits il faut, a minima, exister.

La question qui alors se pose est de savoir à quel moment l’enfant peut-il être réputé avoir été conçu.

Pour déterminer la date de conception, il y a lieu de faire jouer les deux présomptions légales à l’article 311 du Code civil.

  • Première présomption
    • L’article 311, al. 1er du Code civil prévoit que « la loi présume que l’enfant a été conçu pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième jour, inclusivement, avant la date de la naissance»
    • Cette présomption étant de portée générale, elle peut être appliquée aux fins de déterminer si l’enfant conçu est apte à hériter.
    • En substance, la présomption posée par le texte répute la conception intervenir entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • On en déduit qu’un enfant né au plus tard 300 jours après le décès du de cujus sera apte à hériter.
    • Sous l’empire du droit antérieur, il s’agissait là d’une présomption irréfragable, qui ne pouvait donc pas être renversée.
    • Dans un arrêt du Ogez du 9 juin 1959, la Cour de cassation avait jugé en ce sens qu’« en fixant à 180 et 300 jours le minimum et le maximum de la durée de gestation, l’article 312 du Code civil a posé une présomption qui n’est pas susceptible de preuve contraire ; que doit, en conséquence, être déclaré illégitime sur l’action en contestation engagée par application de l’article 315 du même Code l’enfant né plus de 300 jours après la dissolution du mariage» ( 1ère civ. 9 juin 1959, n°58-10.038)
    • La loi n°72-3 du janvier 1972 est venue modifier cet état du droit en conférant un caractère simple à cette présomption qui a été transférée à l’article 311.
    • Il en résulte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.
    • Aussi, tout ne serait pas perdu pour un enfant qui naîtrait plus de trois cents jours après le décès du de cujus: s’il prouve que sa conception est intervenue antérieurement à l’ouverture de la succession, il pourra succéder.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 301 jours après le décès du de cujus.
    • En application de l’article 311, al. 1er du Code civil, il est a priori dépourvu de la qualité d’héritier.
    • Il lui est néanmoins possible de prouver qu’il a été conçu 304 jours avant sa naissance, de sorte qu’il était déjà conçu au moment du décès et que, par voie de conséquence, il était bien apte à succéder au défunt.
  • Seconde présomption
    • L’article 311, al. 2e du Code civil prévoit que « la conception est présumée avoir eu lieu à un moment quelconque de cette période, suivant ce qui est demandé dans l’intérêt de l’enfant. »
    • Il ressort de ce texte que la conception est réputée intervenir à n’importe quel moment entre le 300e jour et le 125e jour avant la naissance de l’enfant.
    • La date qu’il y a lieu de retenir est celle qui lui est la plus favorable, ce qui s’agissant d’acquérir la qualité à hériter sera celle qui précède le décès du de cujus.
    • Cette présomption dite omni meliore momento (au moment le plus favorable) est comme la précédente une présomption simple de sorte qu’elle souffre la preuve contraire.
    • Dans ces conditions, la qualité d’héritier d’un enfant né durant la période de conception légale pourra lui être contestée s’il est établi qu’en réalité il a été conçu postérieurement au décès du de cujus.
    • Prenons l’exemple d’un enfant qui naîtrait 298 jours après le décès du défunt
    • Dans cette hypothèse, il est présumé avoir été conçu entre le 298e et le 300e jour avant sa naissance.
    • Sa qualité d’héritier pourra toutefois lui être contestée s’il est établi qu’il a, en réalité, été conçu 297 jours avant sa naissance.
    • Si cette preuve est rapportée, l’enfant ne pourra alors pas être appelée à la succession de cujus.

b. Seconde condition : l’exigence de naissance d’un enfant vivant et viable

==> Notion de viabilité

Il ne suffit pas que l’enfant ait été conçu avant le décès du de cujus. Encore faut-il qu’il naisse vivant et viable.

Aussi, l’aptitude à succéder de l’enfant non encore né à est assortie d’une condition résolutoire qui ne sera levée que s’il répond à l’exigence de viabilité.

N’est donc pas apte à hériter l’enfant qui :

  • Soit est mort-né
  • Soit naît vivant, mais non viable

Toute la question est alors de savoir ce que recouvre la notion d’enfant né viable. Selon Philippe Salvage, la viabilité serait un « faisceau de critères relatifs s’articulant autour des idées de maturité et de conformation et se manifestant par l’autonomie végétative de l’être »[2].

Autrement dit, la viabilité suppose que :

  • D’une part, l’enfant soit doté d’une constitution en ordre de fonctionnement présentant un niveau de maturité suffisant pour lui permettre de vivre de façon autonome
  • D’autre part, il soit porteur de tous les organes essentiels à l’existence.

En substance, pour être considéré comme viable, l’enfant ne doit donc présenter aucune anomalie qui serait incompatible avec la vie.

Dans un arrêt du 8 février 1830, la Cour d’appel de Bordeaux a jugé en ce sens que « selon l’ancien droit, un enfant était viable quand il était né vivant, à terme, bien conformé et avec tous les organes nécessaires à la vie » (CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160).

L’exigence de viabilité procède d’une approche pragmatique. Pourquoi reconnaître la qualité d’héritier à un enfant qui est condamné à mourir avant d’avoir vécu ?

Il convient de ne pas perdre de vue le sens de l’institution qu’est la succession : transmettre un patrimoine aux personnes qui survivent au de cujus et qui participeront de la continuation de sa personne.

À quoi bon transmettre ce patrimoine à un enfant qui ne sera, par hypothèse, pas en capacité de jouer ce rôle ? Rien ne le justifie, raison pour laquelle le législateur subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à la viabilité de l’être non encore né.

S’agissant de l’approche juridique de la viabilité, elle est assise sur une présomption simple.

Autrement dit, l’enfant est présumé viable, dès lors que, d’une part, il naît et que, d’autre part, il est en vie au moment de la naissance.

==> L’abandon des critères de l’OMS

Reprenant les préconisations formulées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), une circulaire prise le 22 juillet 1993 par le ministère de la santé présume que l’enfant est viable lorsque deux critères alternatifs sont remplis :

  • La naissance de l’infant intervient à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère
  • L’enfant pèse au moins cinq cents grammes.

Cette circulaire visait à préciser les règles relatives à l’état civil issues de la loi du 8 janvier 1993 et, en particulier, l’article 79-1 du Code civil qui traite de l’inscription à l’état civil de l’enfant décédé avant son inscription à l’état civil.

En application de cette disposition, l’enfant bénéficie d’un état civil complet dès lors qu’un certificat médical indique qu’il est né vivant et viable et précise les jour et heure de naissance et de décès.

À défaut d’un tel certificat médical, l’officier de l’état civil doit établir un acte d’enfant sans vie.

Sous l’empire du droit antérieur, cet acte ne pouvait toutefois pas être dressé lorsque le fœtus ne répondait pas aux critères de viabilité de la circulaire.

Par trois arrêts du 6 février 2008, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique en jugeant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse » (Cass. 1ère civ. 6 févr. 2008, n°06-16.498, n°06-16.499, n°06-16.500).

En exigeant que l’enfant soit né à plus de 22 semaines d’aménorrhée chez la mère ou qu’il pèse au moins cinq cents grammes, la première chambre civile estime que la circulaire du 22 juillet 1993 a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoyait pas.

==> Présomption de viabilité

Afin de déterminer si un enfant est viable, il y a donc lieu de se départir des critères de viabilité posés par la circulaire du 22 juillet 1993 qui, d’ailleurs ont, consécutivement aux arrêts rendus par la Cour de cassation, été définitivement été écartés par le décret n°2008-800 du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil.

Désormais, il convient plutôt de raisonner sur la base de la présomption de viabilité qui s’infère de la jurisprudence (V. notamment CA Bordeaux, 8 février. 1830, S., 1830.2.164 ; D., 1830.160)

Il est, en effet, admis que la viabilité de l’enfant est présumée, dès lors qu’il naît en vie.

Gérard Cornu écrit en ce sens que tout « enfant né vivant est présumé viable, même s’il est mort rapidement après. Une présomption de viabilité s’attache au premier signe de vie »[3].

Cette présomption de viabilité n’est toutefois pas légale. Il s’agit d’une présomption simple qui donc souffre de la preuve contraire.

Afin d’établir que l’enfant n’est pas viable, il faudra démontrer :

  • D’une part, qu’il ne possède pas la maturité suffisante pour vivre
  • D’autre part, qu’il présente une anomalie physique incompatible avec la vie

II) Les personnes dépourvues de l’aptitude à hériter

Les personnes qui ne sont pas aptes à succéder se répartissent en cinq catégories :

  • Les personnes décédées
  • L’enfant mort-né ou né non viable
  • Les personnes absentes
  • Les personnes disparues
  • Les personnes morales

A) Les personnes décédées

1. Principe

==> La mort naturelle

Parce que le décès emporte extinction de la personnalité juridique, les personnes qui sont décédées ne sont pas aptes à hériter.

Seules les personnes vivantes « à l’instant de l’ouverture de la succession » sont pourvues de la qualité d’héritier.

Il peut être observé que, en 1804, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé deux sortes de morts comme causes d’incapacité à succéder :

  • La mort naturelle, procédant d’une cessation des fonctions vitales
  • La mort civile, procédant d’une condamnation judiciaire

La mort civile ayant été abolie par la loi du 31 mai 1854, la mort ne présente désormais plus qu’une seule forme : elle ne peut être que naturelle.

==> Les critères de la mort

C’est le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

==> La preuve de la mort

Pour qu’une personne décédée soit privée de sa capacité à hériter, encore faut-il que sa mort intervienne antérieurement à l’ouverture de la succession du de cujus.

Aussi, la date de la mort présente un enjeu majeur, ce qui, dès lors pose la question de sa preuve.

S’agissant de la charge de cette preuve, elle pèse sur les ayants droit de l’héritier présomptif.

La plupart de temps, cette preuve sera rapportée par la production de l’acte de décès sur lequel figure notamment le jour, l’heure et le lieu de décès (art. 79 C. civ.)

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

En effet, il y a lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

S’agissant de la date et l’heure du décès, ces deux informations ne sont donc pas couvertes par le caractère authentique de l’acte de décès, faute pour l’officier d’état civil d’avoir pu les constater personnellement.

Dans ces conditions, elles pourront être remises en cause, ce qui supposera d’établir que, soit la date, soit l’heure, ou les deux, sont erronées

2. Tempérament

Par exception à la règle privant les personnes décédées de l’aptitude à hériter, les articles 752 et 752-2 du Code civil admettent que certains descendants de l’héritier prédécédé puissent lui succéder par le jeu de la représentation.

Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté »

Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.

S’agissant des personnes admises à représenter l’héritier présomptif prédécédé, il s’agit :

  • D’une part, en ligne directe des descendants à l’infini ( 752 C. civ.)
  • D’autre part, en ligne collatérale, des enfants et descendants de frères ou sœurs du défunt ( 752-2 C. civ.)

Ainsi, le décès de l’héritier présomptif ne prive ses descendants de la possibilité succéder en son lieu et place au de cujus.

B) L’enfant mort-né ou né non viable

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

C) Les personnes absentes

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

==> La personne présumée absente

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que, lorsque les conditions de l’absence sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

À cet égard, durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> La personne déclarée absente

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte notamment que l’absent perd son aptitude à hériter, puisque sa personnalité juridique s’éteint.

D) Les personnes disparues

L’article 88 du Code civil prévoit que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

S’agissant des effets de la disparition, il y a lieu de se reporter à l’article 91, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa personnalité juridique prend fin, ce qui emporte, par voie de conséquence, son aptitude à hériter.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

C’est donc à cette date qu’il y aura lieu de se placer afin d’apprécier l’aptitude de la personne disparue à succéder au de cujus.

E) Les personnes morales

En application de l’article 725 du Code civil, pour succéder, il faut en principe exister. Si l’on s’en tient à la lettre du texte, devraient donc être aptes à hériter, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

S’agissant de ces dernières, bien qu’elles n’aient pas de réalité tangible, elles existent bien juridiquement. Et pour cause, en leur reconnaissant la personnalité juridique, la loi leur confère la capacité à détenir un patrimoine.

Rien ne devrait donc s’opposer à ce que les personnes morales puissent recueillir les biens d’une personne physique dans le cadre d’une succession.

Tel n’est pour autant pas l’état du droit qui subordonne l’acquisition de la qualité d’héritier à l’existence d’un lien de parenté ou d’alliance entre le de cujus et ses successibles.

Pour cette raison, les personnes morales sont inaptes à hériter, à tout le moins dans le cadre d’une succession ab intestat, soit la succession qui s’opère sans testament.

La jurisprudence, puis le législateur, ont toutefois admis que les personnes morales pouvaient, à certaines conditions, bénéficier d’une libéralité par voie de donation ou par voie testamentaire.

À l’analyse, l’aptitude d’une personne morale à recueillir une libéralité dépend de sa nature juridique (société, association, fondation etc.).

S’agissant des sociétés civiles et commerciales, la jurisprudence leur a très tôt reconnu cette aptitude (V. en ce sens Cass. req. 23 févr. 1891).

À cet égard, l’exercice de leur droit à recueillir une libéralité n’est nullement subordonné à l’octroi d’une quelconque autorisation, ni à l’accomplissement d’une déclaration (Cass. req., 29 nov. 1897).

Tout au plus, en raison du principe de spécialité qui limite leur capacité de jouissance, l’objet social figurant dans les statuts de la société civile ou commerciale devra comprendre la possibilité de recueillir une libéralité.

S’agissant des fondations, des congrégations et des associations, non seulement elles ont la capacité de recevoir des libéralités entre vifs ou par testament, mais encore qu’elles peuvent les accepter librement (art. 910 C. civ.).

L’article 910 prévoit néanmoins que si le préfet constate que l’organisme légataire ou donataire ne satisfait pas aux conditions légales exigées pour avoir la capacité juridique à recevoir des libéralités ou qu’il n’est pas apte à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire, il peut former opposition à la libéralité.

Afin que ce contrôle puisse effectivement être exercé, le décret n° 2007-807 du 11 mai 2007 fait peser une obligation de déclaration sur les associations, fondations et congrégations recueillant la libéralité.

 

 

[1] M. Grimaldi, Droit des successions, éd. LexisNexis, 2017, n°101, p. 77.

[2] Ph. Salvage, « La viabilité de l’enfant nouveau-né », RTD civ., 1976, p. 725

[3] G. Cornu, Droit civil, Introduction, les personnes, les biens, Domat Droit privé, 9ème éd., 1999, p. 186

Le lieu d’ouverture de la succession

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Cette ouverture de la succession soulève trois questions : quelles en sont les causes, à quel moment doit-elle intervenir et en quel lieu ?

Nous nous focaliserons ici sur le lieu d’ouverture de la succession.

La détermination du lieu d’ouverture de la succession présente deux enjeux :

  • Premier enjeu
    • En droit interne, certaines actions relèvent de compétence de la juridiction du lieu où la succession a été ouverte.
    • L’article 45 du CPC prévoit, par exemple, que, en matière de succession, sont portées devant la juridiction dans le ressort de laquelle est ouverte la succession, soit lieu du dernier domicile du défunt :
      • Les demandes entre héritiers ;
      • Les demandes formées par les créanciers du défunt ;
      • Les demandes relatives à l’exécution des dispositions à cause de mort
    • L’article 841 du Code civil dispose encore que « Le tribunal du lieu d’ouverture de la succession est exclusivement compétent pour connaître de l’action en partage et des contestations qui s’élèvent soit à l’occasion du maintien de l’indivision soit au cours des opérations de partage.»
    • Compte tenu de ces règles de compétence, le lieu d’ouverture de la succession n’est pas neutre.
    • Il peut être observé que s’il s’agit là de règles de compétence d’ordre public ; le juge n’a pas l’obligation de soulever son incompétence.
  • Second enjeu
    • En droit international privé, le lieu d’ouverture de la succession détermine la loi applicable.
    • Il en résulte qu’une succession ouverte en France sera soumise au droit français.
    • À l’inverse une succession dont le lieu d’ouverture est situé hors de France, sera soumise au droit étranger

À l’analyse, afin de déterminer le lieu d’ouverture de la succession du défunt, le texte applicable diffère selon que l’on est ou non en présence d’un conflit de lois, bien que le critère retenu, in fine, soit le même.

I) La fixation du lieu d’ouverture de la succession en l’absence de conflit de lois

L’article 720 du Code civil prévoit que « les successions s’ouvrent […] au dernier domicile du défunt. »

Il ressort de cette disposition que ce n’est donc pas au lieu du décès du défunt que la succession s’ouvre, mais au lieu où il avait établi son dernier domicile.

La raison en est que c’est à cet endroit que les principaux biens et intérêts du de cujus sont vraisemblablement localisés.

Il devrait donc être plus commode de procéder aux opérations de liquidation de son patrimoine.

En cas de doute sur la localisation du dernier domicile du défunt, il conviendra de combiner un critère matériel (lieu où sont concentrés les principaux intérêts du de cujus) avec un critère intentionnel (lieu choisi intentionnellement par le de cujus pour y concentrer ses intérêts).

À cet égard, il est indifférent que le dernier domicile du défunt soit volontaire ou légal, ou encore qu’il soit situé en France ou à l’étranger, encore que dans cette dernière hypothèse, c’est le règlement européen qu’il y aura lieu d’appliquer afin de déterminer le lieu d’ouverture de la succession.

II) La fixation du lieu d’ouverture de la succession en présence d’un conflit de lois

En réaction à la pluralité des lois successorales édictées dans les différentes régions  du monde qui rend difficile le règlement des successions qui comportent une dimension internationale, a été adoptée, au sein de l’Union Européenne, le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement et du conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat européen.

Le législateur européen est parti du postulat qu’il était nécessaire d’adopter un instrument en matière de successions, traitant notamment des questions de conflits de lois, de la compétence, de la reconnaissance mutuelle et de l’exécution des décisions dans le domaine des successions ainsi que d’un certificat successoral européen.

Plus précisément, il y a lieu de faciliter le bon fonctionnement du marché intérieur en supprimant les entraves à la libre circulation de personnes confrontées aujourd’hui à des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières.

Il a encore été avancé, au soutien de l’adoption du règlement, que, dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession. Les droits des héritiers et légataires, des autres personnes proches du défunt ainsi que des créanciers de la succession doivent être garantis de manière effective.

Ce règlement européen soulève une double interrogation :

  • Quel est son champ d’application
  • Quel est le système de règlement des conflits de lois qu’il met en place

A) Le champ d’application du règlement européen

==> Le champ d’application rationne temporis du règlement européen

Aux termes de l’article 83 du texte communautaire « le présent règlement s’applique aux successions des personnes qui décèdent le 17 août 2015 ou après le 17 août 2015. »

Aussi, convient-il de distinguer selon que la succession a été ouverte avant ou après le 17 août 2015.

  • Pour les successions ouvertes avant le 17 août 2015, elles sont soumises aux règles anciennes de conflits de lois
  • Pour les successions ouvertes après le 17 août 2015, c’est le règlement européen qui s’applique

==> Le champ d’application rationne loci du règlement européen

La question qui ici se pose est de savoir si le règlement est seulement applicable aux successions entretenant un lien avec la loi d’un État membre de l’Union européenne.

La lecture de l’article 20 du texte, nous apporte une réponse négative à cette question.

Aux termes de cette disposition « toute loi désignée par le présent règlement s’applique même si cette loi n’est pas celle d’un État membre. »

Le domaine d’application du règlement européen a donc une portée universelle. Il s’applique aux successions qui entretiennent un lien, tant avec un État membre, qu’avec un pays étranger.

B) Le système de règlement du conflit de lois

Sur ce point, le règlement européen a plusieurs innovations.

Antérieurement à son adoption, les règles de conflits lois en vigueur dans les différents États membres ne retenaient pas les mêmes systèmes de détermination du droit applicable de sorte que cela pouvait conduire à l’adoption de solutions radicalement opposées.

Tandis que certains systèmes envisageaient l’appréhension de la succession selon l’application d’une loi unique, d’autres distinguaient entre les meubles et les immeubles. D’autres encore admettaient que le défunt puisse désigner la loi applicable.

Le législateur européen est intervenu afin de mettre à ce morcellement des droits nationaux qui ne permettait pas d’avoir un système cohérent.

Il en est résulté l’adoption de deux innovations majeures :

  • Première innovation : le critère de la résidence habituelle
    • Il est apparu nécessaire pour ce dernier que, compte tenu de la mobilité croissante des citoyens et afin d’assurer une bonne administration de la justice au sein de l’Union et de veiller à ce qu’un lien de rattachement réel existe entre la succession et l’État membre dans lequel la compétence est exercée, le règlement prévoit que le facteur général de rattachement aux fins de la détermination, tant de la compétence que de la loi applicable, soit la résidence habituelle du défunt au moment du décès.
    • Ainsi, le règlement européen a-t-il instauré comme critère de rattachement commun à tous les États membre la résidence habituelle du défunt.
  • Seconde innovation : l’admission de la professio juris
    • Autre innovation du règlement, il autorise le défunt à choisir la loi applicable à sa succession, soit le système de ce que l’on appelle la professio juris
    • Le législateur européen est parti de l’idée que dans l’espace européen de justice, les citoyens doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession.
    • Il en résulte qu’ils doivent être en mesure d’organiser à l’avance leur succession.

Envisageons chacune de ces deux innovations introduites par le règlement européen tour à tour.

1. Sur l’admission de la professio juris

==> Consécration

La faculté pour le défunt de désigner dans son testament la loi applicable, faculté appelée pour savamment professio juris a été admise par la Convention de La Haye 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort.

L’objectif poursuivi par les États signataires de cette convention était de placer la volonté du défunt au cœur du dispositif de règlement du conflit.

Pratiquement, cela lui permet d’organiser sa dévolution successorale, notamment lorsque son patrimoine est dispersé dans différents pays.

Séduit par cette prise en compte de la volonté du défunt qui permet encore de contourner les difficultés de mise en œuvre du critère de rattachement à la dernière résidence habituelle, le législateur a admis la professio juris à l’occasion de l’adoption du règlement du 4 juillet 2012.

L’article 22 de ce texte prévoit en ce sens que « une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. »

L’exercice de la liberté dont jouit le défunt de désigner la loi applicable à sa dévolution successorale est cependant soumis à conditions.

==> Conditions

  • Les conditions de fond
    • L’article 22, 1° du règlement européen pose comme condition au choix offert au défunt que la loi désignée soit celle de l’État dont il possède la nationalité
      • Soit au moment où le choix est effectué
      • Soit au moment du décès
    • Dans l’hypothèse où le défunt est titulaire de plusieurs nationalités, le règlement l’autorise à choisir la loi de tous les États dont il est ressortissant
  • Les conditions de forme
    • L’article 22, 2° dispose que le choix effectué par le défunt doit être formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort.
    • Par disposition à cause de mort il faut entendre « un testament, un testament conjonctif ou un pacte successoral »
    • Cette disposition ajoute, en outre, que la professio juris « peut résulter des termes» d’une disposition à cause de mort.
    • Est-ce à dire que le choix du défunt peut être implicite ?
    • La lecture du considérant 39 du règlement permet d’envisager cette hypothèse.
    • Ce considérant énonce, en effet, que « le choix de la loi pourrait être considéré comme résultant d’une disposition à cause de mort dans le cas où, par exemple, dans sa disposition, le défunt avait fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l’État de sa nationalité ou dans le cas où il avait mentionné cette loi d’une autre manière.»

2. Sur l’adoption du critère de la résidence habituelle

Aux termes de l’article 21 de ce texte, « sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

Ainsi, la loi applicable est celle, non pas de l’État dont était ressortissant le défunt, mais de l’État dans lequel il était établi, soit à l’endroit où il vit.

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « résidence habituelle ».

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux considérants 23 et 24 du règlement qui envisagent la notion de résidence habituelle.

a. La notion de résidence habituelle à la lumière du règlement européen

==> La méthode du faisceau d’indices

Le considérant 23 du règlement suggère au juge de recourir à la méthode du faisceau d’indices pour déterminer le lieu de la résidence habituelle du défunt.

Il prévoit que « afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. »

Ce considérant ajoute que « la résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement. »

==> Appréhension des cas complexes

Le considérant 24 du règlement évoque certains cas pour lesquels il pourrait s’avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt.

À cet égard, deux cas complexes sont envisagés par le règlement:

  • Premier cas
    • Il s’agit de l’hypothèse où, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d’origine.
    • Le considérant prévoit que, dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l’espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale.
  • Second cas
    • Il s’agit de l’hypothèse où le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d’un État à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État.
    • Le considérant énonce que, en pareil cas, si le défunt était ressortissant de l’un de ces États ou y avait l’ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l’appréciation globale de toutes les circonstances de fait.

b. La notion de résidence habituelle à la lumière de la jurisprudence

==> La jurisprudence européenne

Dans un arrêt du 2 avril 2009, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la notion de résidence habituelle, non pas dans le cadre de l’application du règlement européen du 4 juillet 2012, mais s’agissant de l’interprétation du règlement (CE) nº 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (CJCE, 2 avr. 2009, aff. C-523/07).

Aussi, a-t-elle apporté un certain nombre de précisions sur la notion de résidence habituelle.

Elle a notamment estimé que « cette résidence correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial. À cette fin, doivent notamment être pris en considération la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d’un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par l’enfant dans ledit État. »

Il ressort de cette décision que si la notion de résidence habituelle vise le lieu du centre de vie de l’intéressé, il faut tenir compte d’éléments de fait qui doivent être appréciés, au cas par cas, par les juges du fond.

==> La jurisprudence française

L’examen de la jurisprudence révèle que la notion de résidence habituelle n’a pas été définie par la Cour de cassation.

Cette notion est appréhendée par les juges au cas par cas qui, comme suggéré par le règlement européen, recourent à la méthode du faisceau d’indice pour mettre en œuvre ce critère de rattachement.

Dans un arrêt du 7 décembre 2005, la Cour de cassation prend notamment en considération :

  • La localisation des intérêts du défunt
  • La domiciliation du défunt dans son testament

Dans un autre arrêt du 30 décembre 2006, la Cour de cassation prend pareillement en compte (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006 ):

  • Le lieu de vie du défunt avec son épouse
  • La localisation de ses intérêts

Manifestement, il ressort de ces deux décisions que le principal élément dont tient compte la Cour de cassation pour déterminer le lieu de résidence habituelle du défunt, c’est l’endroit où étaient situés ses principaux intérêts.

À cet égard, la Cour de cassation a récemment rendu une décision qui retient particulièrement l’attention.

Dans un arrêt du 27 septembre 2017, elle a, en effet, été amenée à se prononcer, dans cette affaire, sur la détermination de la loi applicable à la succession d’un ressortissant français, Maurice JARRE, domicilié et décédé dans l’État de Californie (Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017, n°16-17.198).

La question posée à la haute juridiction était notamment de savoir quelle loi successorale avait vocation à régir la dévolution du patrimoine du défunt. Devait-on appliquer la loi californienne ou la loi française.

==> Faits

Après s’être marié en date du 6 décembre 1984 avec Madame Fong F. Khong, le célèbre artiste Maurice JARRE a constitué en 1991 avec son épouse un trust family.

Ce mécanisme inconnu du droit français, consiste, selon le droit Californien, pour un ou plusieurs membres d’une même famille, appelés constituants, à transférer la propriété de tout ou partie de leurs biens à une entité tierce, le fiduciaire ou trust, aux fins de réaliser un objet conventionnellement défini à la faveur de bénéficiaires.

Tant que la condition posée par les constituants ne s’est pas réalisée, le fiduciaire demeure propriétaire des biens qui lui ont été affectés.

En l’espèce, Maurice JARRE et son épouse étaient les deux uniques constituants (trustors) et administrateurs (trustees) du trust.

En 1995, ils ont par suite constitué une société civile immobilière à laquelle ils ont apporté un bien immobilier situé à Paris et acquis en 1981.

Au décès de Maurice JARRE, le 29 mars 2009 à Los Angeles (Californie), il est ressorti de son testament, établi le 31 juillet 2008, qu’il avait entendu léguer tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire trust, déshéritant par-là même ses trois enfants, dont Jean-Michel JARRE.

Consécutivement, l’épouse a exprimé son souhait de contester à ces derniers tout droit à la succession de leur père.

==> Demande

Les enfants de Maurice JARRE ont assigné son épouse, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur sur deux fondements juridiques distincts :

  • Premier fondement
    • Les demandeurs invoquent, tout d’abord, le droit de prélèvement énoncé à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction.
    • Aux termes de cette disposition « dans le cas de partage d’une même succession entre des cohéritiers étrangers et français, ceux-ci prélèveront sur les biens situés en France une portion égale à la valeur des biens situés en pays étranger dont ils seraient exclus, à quelque titre que ce soit, en vertu des lois et coutumes locales. »
    • Au titre de ce droit de prélèvement, lorsqu’une succession comporte un élément d’extranéité, les héritiers français disposent de la faculté de réclamer sur des biens situés en France la part successorale que lui octroierait la loi française et dont il a été exclu par la loi successorale étrangère
  • Second fondement
    • Au soutien de leur action, les enfants de Maurice JARRE avancent encore que, en les privant de leur part réservataire, la loi Californienne porterait atteinte à l’ordre public international français.
    • C’est donc la loi française qui aurait vocation à s’appliquer par exception au principe posé par la règle de conflit qui, en l’espèce, désignait la loi Californienne

==> Procédure

Par un arrêt du 11 mai 2016, la Cour d’appel de Paris a débouté les requérants de leurs deux demandes.

  • D’une part, les juges du fond ont estimé que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige, en raison de son abrogation consécutivement à la décision n° 2011-159 QPC du 5 août 2011 rendu par le Conseil constitutionnel
  • D’autre part, ils ont considéré qu’aucun élément ne permettait d’écarter l’application de la loi californienne à la faveur de la loi française

Pour ces deux raisons, la Cour d’appel de Paris rejette les prétentions des enfants de Maurice JARRE

==> Solution

Par un arrêt du 27 septembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les demandeurs.

  • Sur le premier moyen
    • La Cour de cassation considère que :
      • En premier lieu, « aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles»
      • En second lieu, « que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration».
    • Après avoir relevé que, dans sa décision du 5 août 2011, le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision n’avait consacré le droit de prélèvement que les enfants de Maurice JARRE entendaient exercer, la première chambre civile en déduit que ces derniers ne pouvaient valablement invoquer les dispositions abrogées.
    • En somme, pour la haute juridiction, dès lors que le Conseil constitutionnel n’avait pas jugé opportun dans sa décision de reporter dans le temps les effets de l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, celui-ci était insusceptible de recevoir une application dans l’instance en cours
    • La Cour de cassation considère, en outre, que, contrairement à ce qu’ils prétendaient, les enfants de Maurice JARRE ne justifiaient d’aucune atteinte à leur droit de propriété, tel que protégé par l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
    • Aux termes de cette disposition, « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international».
    • Aussi, pour la première chambre civile, « le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités».
    • La raison en est que le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès du de cujus ne confère aucun droit héréditaire définitivement reconnu aux héritiers, de sorte qu’ils ne disposent pas de biens au sens de l’article 1er du Protocole additionnel n°1.
    • D’où le rejet des prétentions des enfants de Maurice JARRE qui n’étaient donc pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété.
  • Sur le second moyen
    • D’abord, la Cour de cassation affirme « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels».
    • Ensuite, elle relève :
      • D’une part, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’État de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux États-Unis, où son installation était ancienne et durable
      • D’autre part, que les requérants ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin
    • Enfin, elle en déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française
    • La première chambre civile réfute ainsi l’argument des enfants de Maurice JARRE qui soutenaient que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international.
    • Il en résulte que la loi californienne, qui ne connaît pas la réserve héréditaire, ne saurait être appliquée car conduisant à admettre que le de cujus puisse exhéréder totalement ses descendants.

==> Analyse

Il ressort de l’arrêt du 27 septembre 2017que pour déterminer la loi applicable à la succession de Maurice JARRE, la Cour de cassation se réfère, une nouvelle fois, au critère de la résidence habituelle.

Aussi, opère-t-elle un contrôle pour le moins rigoureux sur la motivation des juges du fond, relève un certain nombre de circonstances de faits :

  • Tout d’abord, elle constate que le dernier domicile du défunt était situé dans l’État de Californie
  • Ensuite, elle relève que ses unions, à compter de 1965, ont toutes été contractées aux États-Unis
  • Enfin, elle observe que l’installation de Maurice JARRE dans l’État de Californie était ancienne et durable

Le contrôle ainsi exercé par la Cour de cassation sur les critères de détermination de la résidence habituelle indique qu’il appartient aux juges du fond, pour fonder leur décision, de recourir à la méthode du faisceau d’indices.

En cas de doute ou de contradiction des circonstances de fait, le critère qui retiendra particulièrement l’attention du juge est celui du lieu où se situent les principaux intérêts du défunt.

Il ressort, en effet, de la jurisprudence antérieure et du présent arrêt que ce critère prime sur tous les autres.

Cass. 1ère civ. 27 sept. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2016), que Maurice X..., compositeur de musique, de nationalité française, s’est marié le 6 décembre 1984 avec Mme Z... ; qu’en 1991, Maurice X... et son épouse ont constitué, selon le droit californien, le X... family trust, dont ils étaient les deux uniques “trustors” et “trustees”, et auquel ont été transférés tous les biens de Maurice X... ; qu’en 1995, ils ont constitué une société civile immobilière (la SCI), à laquelle a été apporté le bien immobilier sis à Paris, acquis par celui-ci en 1981 ; qu’il est décédé le [...] à Los Angeles, Etat de Californie (Etats-Unis d’Amérique), laissant à sa survivance son épouse, deux enfants issus de précédentes unions, Jean-Michel et Stéphanie (les consorts X...), et un fils adoptif, Kevin, en l’état d’un testament du 31 juillet 2008 léguant tous ses biens meubles à son épouse et le reliquat de sa succession au fiduciaire du trust ; qu’en 2010, Mme Z... leur ayant contesté tout droit à la succession de leur père, les consorts X... l’ont assignée ainsi que Kevin X..., décédé en cours de procédure, la SCI et les sociétés française et américaine de gestion des droits d’auteur, afin de voir juger les tribunaux français compétents à l’égard des héritiers réservataires français pour connaître de l’exercice du droit de prélèvement prévu à l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; que par décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel, saisi dans une autre instance, a déclaré cette disposition contraire à la Constitution ;

Sur le premier moyen, pris en ces cinq premières branches :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne peut pas être appliqué dans le présent litige et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; que la dévolution successorale est soumise aux règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, qui détermine l’étendue de la part successorale d’un héritier français dans une succession internationale, est une règle relative à la dévolution successorale ; qu’une telle règle était donc applicable aux successions ouvertes avant son abrogation ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession, et notamment la part successorale des héritiers français, était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi pour cela qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

 2°/ qu’à supposer que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 soit assimilable à une règle portant sur le partage de la succession, la succession restait soumise à la loi en vigueur au moment du décès ; que le partage étant déclaratif, il ne saurait remettre en cause les parts successorales résultant de l’application des règles en vigueur au moment de l’ouverture de la succession ; qu’en se fondant sur ce que le droit de prélèvement serait une règle relative au partage, pour refuser d’appliquer la loi en vigueur au moment de l’ouverture de la succession et en privant ainsi les consorts X... du prélèvement auquel leur donnait droit la loi de 1819 alors encore en vigueur, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

3°/ que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; qu’une règle de conflit de lois n’a pas davantage d’effet rétroactif qu’une règle substantielle ; qu’une succession internationale est donc soumise aux règles de conflit de lois applicables au jour de son ouverture ; qu’à supposer donc même que l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ne soit pas une règle de dévolution successorale mais une exception à la règle normale de conflit de lois, elle était tout de même applicable aux successions ouvertes avant son entrée en vigueur ; qu’au cas présent, la succession de Maurice X... a été ouverte le 29 mars 2009, avant l’abrogation de l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 par le Conseil constitutionnel, le 5 août 2011 ; que la succession était donc soumise aux règles en vigueur à cette date, y compris l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 ; qu’en écartant l’application de cette loi au motif qu’il ne s’agirait pas d’une règle relative à la dévolution successorale mais d’une exception à la règle de conflit de lois, la cour d’appel a violé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819, ensemble l’article 2 du code civil ;

4°/ que l’application immédiate de la loi nouvelle, ou d’une décision du Conseil constitutionnel, implique que celle-ci sera immédiatement appliquée aux faits postérieurs à son entrée en vigueur ; que cette application immédiate, qui est de principe, s’oppose à l’application rétroactive, selon laquelle la loi ou décision nouvelle est appliquée aux litiges en cours relatifs à des faits antérieurs, et qui, elle, est d’exception ; qu’au cas présent, après avoir énoncé que la décision d’inconstitutionnalité n’était pas rétroactive, la cour d’appel a, par motifs adoptés, estimé qu’« il y a lieu de constater l’application immédiate de cette décision au litige dont le tribunal est saisi », lequel portait par hypothèse sur une succession ouverte antérieurement à ladite décision du Conseil constitutionnel ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a confondu application immédiate et rétroactivité, a violé l’article 2 du code civil ;

5°/ qu’au jour de l’ouverture de la succession, l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 était toujours en vigueur ; qu’à cette date, les consorts X... disposaient donc du droit de prélever dans les biens situés en France la part dont ils étaient privés dans la masse successorale californienne par l’effet de la loi californienne ; que cette part successorale constitue un bien protégé par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ; qu’en faisant rétroagir la décision d’abrogation du 5 août 2011 et en les privant ainsi rétroactivement de leur part dans la succession de leur père, la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d’une part, qu’aux termes de l’article 62, alinéa 3, de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités juridictionnelles ; que, lorsque la déclaration d’inconstitutionnalité est rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité, la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel dès lors que celui-ci n’a pas usé du pouvoir, que les dispositions de l’article 62, alinéa 2, de la Constitution lui réservent, de fixer la date de l’abrogation et reporter dans le temps ses effets ou de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration ; qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que dans sa décision du 5 août 2011 (n° 2011-159 QPC), le Conseil constitutionnel avait abrogé l’article 2 de la loi du 14 juillet 1819 et qu’aucune décision revêtue de l’autorité de la chose jugée ni aucune reconnaissance de droit antérieure à la publication de cette décision, le 6 août suivant, n’avait consacré le droit de prélèvement que les consorts X... entendaient exercer, la cour d’appel en a déduit à bon droit qu’ils ne pouvaient invoquer les dispositions abrogées ;

Attendu, d’autre part, qu’après avoir relevé que le droit au respect des biens garanti par l’article 1er du Protocole n° 1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne garantit pas celui d’en acquérir par voie de succession ab intestat ou de libéralités, et constaté que les consorts X..., auxquels le droit de prélèvement en vigueur au moment du décès de leur père n’avait conféré aucun droit héréditaire définitivement reconnu, ne disposaient pas de biens au sens de l’article précité, elle a exactement retenu que ceux-ci n’étaient pas fondés à exciper d’une atteinte à leur droit de propriété ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen  :

Attendu que les consorts X... font grief à l’arrêt de dire que la réserve héréditaire ne relève pas de l’ordre public international français et de rejeter leurs demandes, alors, selon le moyen, que la réserve héréditaire, qui a pour vocation de protéger la pérennité économique et sociale de la famille, l’égalité des enfants et les volontés et libertés individuelles des héritiers, est un principe essentiel du droit français relevant de l’ordre public international ; qu’au cas présent, en refusant d’écarter la loi californienne, qui, pourtant, ne connaît pas la réserve et permet ainsi au de cujus d’exhéréder complètement ses descendants, la cour d’appel a violé l’article 3 du code civil ;

Mais attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ;

Et attendu qu’après avoir énoncé que la loi applicable à la succession de Maurice X... est celle de l’État de Californie, qui ne connaît pas la réserve, l’arrêt relève, par motifs propres, que le dernier domicile du défunt est situé dans l’État de Californie, que ses unions, à compter de 1965, ont été contractées aux États-Unis, où son installation était ancienne et durable et, par motifs adoptés, que les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter la loi californienne au profit de la loi française ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le premier moyen, pris en sa sixième branche, et le troisième moyen, ci-après annexés :

Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs :

REJETTE le pourvoi ;

3. Les exceptions au critère de la résidence habituelle

En application du règlement européen du 4 juillet 2012, la loi applicable à la succession du défunt est, en principe, celle du lieu de sa résidence habituelle.

Ce texte a toutefois assorti cette règle de deux exceptions.

==> L’exception d’ordre public international

Aux termes l’article 35 du règlement européen du 4 juillet 2012 prévoit que « l’application d’une disposition de la loi d’un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. »

Autrement dit, en cas de contrariété de la loi étrangère à l’ordre public international, son application est écartée à la faveur de la loi du for.

Dans son arrêt du 27 septembre 2017, pour justifier l’application de la loi californienne, la Cour de cassation a ainsi estimé que, contrairement à ce qui était allégué par les requérants, cette loi ne portait nullement atteinte à l’ordre public international.

La première chambre civile a, en effet, considéré « qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »

Autrement dit, pour la Cour de cassation, la réserve héréditaire ne revêt pas un caractère d’ordre public international.

La décision ici rendue par la Cour de cassation a de quoi surprendre, ne serait-ce que parce qu’elle admet que, au moyen de la désignation d’une loi étrangère, un défunt puisse exhéréder ses enfants.

Aussi, cela marque-t-il un certain déclin de la réserve héréditaire, institution qui prend ses racines dans l’ancien régime.

La position que la haute juridiction adopte, en l’espèce, n’est toutefois pas sans nuance.

Au soutien de sa décision elle relève :

  • D’une part, que l’absence de reconnaissance de la réserve héréditaire ne conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels
  • D’autre part, que les parties ne se trouvaient pas dans une situation de précarité économique ou de besoin

On en déduit que dès lors que l’un de ces deux critères est rempli, la réserve héréditaire pourrait être reconnue comme relevant de l’ordre public international.

Il appartiendra donc aux juridictions d’apprécier l’exception d’ordre public au cas par cas.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « la situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels »

D’aucuns soutiennent que la Cour de cassation vise l’hypothèse où la loi étrangère opérerait une discrimination entre les héritiers réservataires, notamment entre les enfants légitimes, naturels ou encore adultérins.

En dehors de cette hypothèse, sauf à ce que les successibles justifient d’une situation de précarité économique, on voit mal comment la loi étrangère qui autorise le défunt à déshériter ses enfants pourrait être écartée.

Doit-on voir dans la décision rendue par la Cour de cassation une influence du droit européen, bien que la solution rendue ait été adoptée sous l’empire du droit antérieur ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter au règlement européen du 4 juillet 2012 qui, dans son considérant 58, envisage les différents cas dans lesquels l’ordre public international est susceptible d’être invoqué.

Ainsi, est-il prévu que « dans des circonstances exceptionnelles, des considérations d’intérêt public devraient donner aux juridictions et aux autres autorités compétentes des États membres chargées du règlement des successions la possibilité d’écarter certaines dispositions d’une loi étrangère lorsque, dans un cas précis, l’application de ces dispositions serait manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État membre concerné. »

Le texte européen précise néanmoins que « les juridictions ou autres autorités compétentes ne devraient pas pouvoir appliquer l’exception d’ordre public en vue d’écarter la loi d’un autre État membre ou refuser de reconnaître — ou, le cas échéant, d’accepter —, ou d’exécuter une décision rendue, un acte authentique ou une transaction judiciaire d’un autre État membre, lorsque ce refus serait contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à son article 21 qui interdit toute forme de discrimination. »

Il ressort de ce considérant du règlement européen que dès lors que la loi étrangère porte atteinte, soit à l’ordre public d’un état membre, soit aux principes fondamentaux du droit européen, elle doit être écartée.

De toute évidence, la solution adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 septembre 2017 est très proche des termes du règlement.

Elle est d’autant plus conforme à ce texte que si elle avait adopté le contraire, cela serait revenu, en définitive, à altérer la liberté reconnue en 2012 au défunt de désigner la loi applicable à sa succession.

Pour cette raison, la décision de la première chambre civile est parfaitement cohérente au regard de l’évolution du droit européen.

==> La clause de sauvegarde

Aux termes de l’article 21, 2° du règlement européen du 4 juillet 2012 « lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État. »

Dans cette hypothèse, la loi du lieu de la résidence habituelle est donc écartée.

Les règles de dévolution successorale en cas de décès simultanés ou la situation des comourants

==> Données du problème

Il est un cas où la détermination de la date du décès requiert une attention somme toute particulière : c’est l’hypothèse où plusieurs personnes ayant vocation à hériter les unes des autres décèdent dans un même événement.

Cette situation – tragique – se rencontrera lors de catastrophes aériennes, de naufrages maritimes, d’accidents de la route, d’attentats terroristes, de catastrophes naturelles (incendie, avalanche, tsunami etc.) ou encore en temps de guerre (bombardement, déportation, etc.).

La difficulté soulevée par la situation des comourants tient à la détermination de l’ordre des successions.

Selon la chronologie des décès que l’on retient, la dévolution successorale est susceptible d’être radicalement différente.

Supposons un couple marié qui périt dans un accident de la route. Tandis que l’époux laisse pour seul parent un frère, sa conjointe laisse quant à elle une tante.

  • Hypothèse 1
    • Le mari est réputé être décédé le premier.
    • Dans cette hypothèse, c’est la conjointe qui hérite, car elle prime sur le frère du mari
    • Dans la mesure où elle aussi décède, c’est sa tante qui a vocation à recueillir la succession de cette dernière et incidemment celle de son mari
  • Hypothèse 2
    • L’épouse est réputée être décédée en premier
    • Dans cette hypothèse, c’est la dévolution successorale inverse qui s’opère
    • Le mari hérite de son épouse et, par suite, le frère de celui-ci recueille l’intégralité de la succession du couple
  • Hypothèse 3
    • L’époux et sa conjointe sont réputés être décédés concomitamment
    • Dans cette hypothèse, aucun des deux n’hérite de l’autre, de sorte que la succession se répartit entre le frère du mari et la tante de l’épouse

Il ressort de cet exemple que plusieurs solutions peuvent être adoptées aux fins de déterminer la désignation des héritiers :

  • Soit l’on cherche à établir une chronologie des décès des comourants
  • Soit l’on fait abstraction du décès des comourants dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient opté pour la première solution, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 préféré la seconde.

==> Droit antérieur

Le système mis en place par les rédacteurs du Code civil reposait sur des présomptions légales de survie permettant d’établir une chronologie des décès et, par voie de conséquence, la dévolution successorale.

Ces présomptions de survie, instituées aux anciens articles 721 et 722 du Code civil, elles reposaient sur l’âge et le sexe des comourants.

  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur l’âge
    • L’ancien article 721 du Code civil qui prévoyait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient moins de quinze ans, le plus âgé sera présumé avoir survécu.
      • S’ils étaient tous au-dessus de soixante ans, le moins âgé sera présumé avoir survécu.
      • Si les uns avaient moins de quinze ans, et les autres plus de soixante, les premiers seront présumés avoir survécu.
  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur le sexe
    • L’ancien article 722 du Code civil disposait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient quinze ans accomplis et moins de soixante, le mâle est toujours présumé avoir survécu, lorsqu’il y a égalité d’âge, ou si la différence qui existe n’excède pas une année.
      • S’ils étaient du même sexe, la présomption de survie, qui donne ouverture à la succession dans l’ordre de la nature doit être admise : ainsi le plus jeune est présumé avoir survécu au plus âgé.

Le système ainsi mis en place a été vivement critiqué au motif qu’il reposait sur des présomptions de survie artificielles et incomplètes : à âge égal, si un homme et une femme décèdent lors d’un même événement, l’homme est ainsi présumé avoir survécu à la femme.

La jurisprudence a bien tenté de limiter les effets des présomptions de survie en adoptant une interprétation restrictive des textes, si bien qu’un certains nombre de cas ne relevaient pas de leur domaine d’application (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 8 févr. 2005, n°02-18.767).

Les juridictions n’en demeuraient pas moins contraintes d’y avoir recours lorsque les conditions requises étaient remplies.

Fort de ce constat, lors de l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, le législateur a décidé d’abolir les présomptions de survie à la faveur d’un système plus simple et surtout épuré de toute différence de traitement liée au sexe.

I) Domaine du dispositif

Il s’infère de l’article 725-1 du Code civil que le dispositif applicable aux comourants requiert que les décès qui frappent les comourants interviennent dans un même évènement.

Si, sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence exigeait que les comourants aient des vocations héréditaires réciproques, la loi du 3 décembre 2001 a supprimé cette exigence.

==> L’exigence tenant à la survenance des décès dans un même événement

L’article 725-1 du Code civil prévoit expressément que la théorie des comourants ne s’applique que « lorsque deux personnes […] périssent dans un même événement ».

A défaut, c’est l’ordre de survenance des événements qui déterminera l’ordre des décès.

A cet égard, les décès seront réputés être intervenus dans un même événement lorsqu’il existera une unité de lieu, de temps et d’action. Tel sera le cas des victimes qui périssent dans un accident d’avion ou dans le naufrage d’un navire.

Lorsque, en revanche, l’un de ses éléments (lieu, temps, action) fera défaut, la jurisprudence aura tendance à considérer que les décès sont intervenus dans des événements différents.

==> L’abandon de l’exigence tenant à l’existence de vocations héréditaires réciproques

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence subordonnait l’application des présomptions de survie à l’existence de vocations héréditaires réciproques.

Aussi, lorsqu’un seul des comourants avaient vocation à hériter de l’autre, le jeu de ces présomptions était écarté.

La loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 a aboli l’exigence tenant à l’existence de vocations successorales réciproques.

L’article 725 du Code civil prévoit désormais que le dispositif des comourants est applicable « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement ».

Il est donc indifférent que des personnes décédées dans un même événement soient appelées à hériter les unes des autres.

En revanche, cette vocation successorale doit être de nature légale, ce qui implique que la théorie des comourants ne joue pas pour :

  • Les personnes qui héritent par voie testamentaire
  • Les personnes bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie

II) Contenu du dispositif

S’inspirant de certaines législations étrangères, le système mis en place par la loi du 3 décembre 2001 repose sur deux règles énoncées à l’article 725-1 du Code civil, la seconde étant assortie d’une exception.

  • Première règle : tentative de détermination de l’ordre des décès
    • L’article 725-1, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement, l’ordre des décès est établi par tous moyens. »
    • Il ressort de cette disposition que, en première intention, il doit être fait la lumière sur les circonstances du décès des comourants.
    • Le législateur invite ainsi les héritiers, les notaires et le cas échéant le juge, à rechercher par tous moyens la chronologie des décès.
    • Pour ce faire, il pourra être recouru aux présomptions du fait de l’homme, soit celles qui, en application de l’article 1382 du Code civil, « sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes»
    • Les juges disposent, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation ( 1re civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845), ce qui est susceptible de les conduire à retenir de tous types de preuve aux fins de forger leur intime conviction.
    • Ils pourront ainsi s’appuyer sur des certificats médicaux, des procès-verbaux de police ou de gendarmerie, sur des expertises réalisées sur la situation des lieux ou encore sur des témoignages.
    • Dans l’hypothèse où l’ordre des décès pourra être établi, chaque comourant qui décède avant l’autre est réputé apte à hériter, de sorte que la dévolution successorale peut s’opérer comme s’il avait survécu.
    • Quant à la charge de la preuve, elle pèse sur celui qui prétend que c’est celui dont il a vocation à hériter qui a survécu.
  • Seconde règle : abstraction de la vocation héréditaire des comourants
    • Principe
      • Le deuxième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que si l’ordre des décès des personnes comourantes « ne peut être déterminé, la succession de chacune d’elles est dévolue sans que l’autre y soit appelée. »
      • Il ressort de cette disposition que faute d’être en mesure d’établir une chronologie des décès, il y a lieu d’admettre que les comourants sont décédés simultanément.
      • Le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de priver les comourants de leur capacité à hériter l’un de l’autre.
      • La dévolution successorale s’opérera donc en faisant abstraction de la vocation héréditaire des comourants.
      • C’est là une solution radicalement opposée à celle qui résultait du système mis en place par les rédacteurs du Code civil et qui conduisait nécessairement à l’établissement d’un ordre des décès, fût-ce-t-il totalement artificiel
    • Exception
      • Par exception à la règle privant les comourants de la capacité à hériter l’un de l’autre, dans l’hypothèse où aucune chronologie des décès n’aurait pu être établie, le troisième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que « si l’un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l’autre lorsque la représentation est admise. »
      • Ainsi, le jeu de la représentation est susceptible de faire échec au cloisonnement des successions.
      • Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté»
      • Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.
      • S’agissant des comourants, quand bien même ils sont privés de capacité à hériter l’un de l’autre, la loi autorise leurs descendants à les représenter.
      • Pour illustrer cette règle, prenons l’exemple suivant :
        • À est père de deux fils, B et C, lesquels ont eux-mêmes des enfants
        • Supposons que A et C décèdent simultanément
        • L’application de l’alinéa 2 de l’article 725-1 du Code civil devrait conduire à reconnaître la qualité d’héritier uniquement à B, dans la mesure où C ne peut pas hériter de A et, par voie de conséquence, ses enfants également
        • Pour corriger cette situation qui serait manifestement injuste, le troisième alinéa de l’article 725-1 autorise les enfants de C à venir en représentation de leur père décédé concomitamment avec leur grand-père et à occuper le même rang successoral que B, qui n’est autre que leur oncle.

La date d’ouverture de la succession

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Cette ouverture de la succession soulève trois questions : quelles en sont les causes, à quel moment doit-elle intervenir et en quel lieu ?

Nous nous focaliserons ici sur la date d’ouverture de la succession.

I) Enjeux

La date d’ouverture de la succession présente un enjeu majeur en raison de l’instantanéité de la transmission à cause de mort.

Parce que « le mort saisit le vif », les héritiers sont réputés entrer en possession du patrimoine du de cujus concomitamment à son décès.

La détermination du moment où s’ouvre la succession est donc essentielle, sinon crucial à trois égards :

  • Premier enjeu
    • C’est à la date d’ouverture de la succession qu’il y a lieu de se placer pour déterminer quels sont les héritiers qui ont vocation à succéder à la personne décédée.
    • Pour être pourvu de la qualité d’héritier, il convient notamment d’être vivant ou, à défaut, avoir été conçu à la date d’ouverture de la succession.
    • C’est à cette même date qu’un lien de parenté ou qu’une union matrimoniale doit exister entre le de cujus et l’héritier
  • Deuxième enjeu
    • La date d’ouverture de la succession permet de déterminer le moment où s’opère la transmission de plano du patrimoine du de cujus à ses successibles
    • C’est donc à ce jour que sera instituée l’indivision successorale et auquel on fera remonter les effets du partage subséquent auquel est attaché un effet déclaratif.
  • Troisième enjeu
    • La date d’ouverture de la succession permet enfin de déterminer la loi applicable en cas de conflit de lois dans le temps
    • C’est la loi en vigueur au jour d’ouverture de la succession qui a vocation à s’appliquer, sauf dispositions transitoires contraires.
    • Il peut être observé que, aujourd’hui, les successions ouvertes en France sont susceptibles d’être régis par trois lois différentes
      • Les successions ouvertes avant le 1er juillet 2002 sont régis par le droit antérieur à la loi du 3 décembre 2001
      • Les successions ouvertes entre le 1er juillet 2002 et le 23 juin 2006 sont régies par la loi du 3 décembre 2001
      • Les successions ouvertes après le 1er janvier 2007, sont régies par la loi du 23 juin 2006

II) Détermination de la date d’ouverture de la succession

Selon que l’ouverture de la succession résulte d’un décès, d’une absence ou d’une disparition, le moment où elle s’ouvre varie.

A) L’ouverture de la succession résulte d’un décès

1. Fixation de la date d’ouverture de la succession

Lorsque l’ouverture de la succession résulte d’un décès, ce qui est le cas le plus fréquent, alors c’est à la date à laquelle ce décès est intervenu que la succession s’ouvre.

Cette date correspond, en principe, au jour où le médecin a constaté la mort du de cujus, selon les examens cliniques prescrits par les articles R. 1232-1 et R. 1232-2 du Code de la santé publique.

Le constat de la mort par le médecin doit donner lieu à l’établissement d’un certificat de décès sur lequel seront notamment mentionnées la date et l’heure de décès.

En application de l’article 78 du Code civil, ces informations seront alors reprises par l’officier d’état civil lorsqu’il dressera l’acte de décès qui consiste à faire état de la mort du défunt sur le registre d’état civil.

2. Preuve de la date d’ouverture de la succession

a. La preuve par l’acte de décès

La preuve de la mort du défunt se fait, en principe, au moyen de l’acte de décès qui devra être produit au notaire par les héritiers.

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

S’agissant de la date du décès, dans la mesure où elle n’aura pas été constatée par l’officier d’état civil en personne, elle pourra être contestée par quiconque justifie d’un intérêt à agir en rapportant la preuve contraire.

Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude » (Cass. 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

b. La rectification des erreurs/omissions de l’acte de décès

L’acte de décès est susceptible d’être affecté de deux sortes d’anomalies : des erreurs et des omissions.

L’erreur pourra consister en une date fausse ou inexacte, tandis que l’omission correspondra à l’hypothèse où la date de la mort du défunt ne figure pas sur l’acte de décès, à tout le moins de façon lacunaire.

Dans les deux cas, l’anomalie fait obstacle à l’ouverture de la succession, dans la mesure où la date du décès du de cujus n’est pas certaine, faute de pouvoir être prouvée.

Aussi, appartient-il aux héritiers de solliciter la rectification de l’acte de décès.

À l’analyse, la procédure de rectification obéit à des règles qui distinguent selon que l’anomalie affectant l’acte de décès est ou non purement matérielle.

  • La rectification des erreurs/omissions purement matérielles
    • Dans l’hypothèse où l’anomalie qui affecte l’acte de décès est purement matérielle, la loi autorise qu’il soit procédé à sa rectification selon une procédure simplifiée.
    • La rectification pourra être effectuée directement par l’officier d’état civil s’il s’aperçoit immédiatement après l’établissement de l’acte qu’il comporte une anomalie.
    • L’article 175 de l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 précise en ce sens que « si la lecture de l’acte aux comparants révèle des erreurs ou des omissions, l’officier de l’état civil procède aux ratures et aux renvois en marge. »
    • La rectification doit ainsi intervenir sur le champ.
    • Toutefois, dès lors que l’acte de décès est revêtu de toutes les signatures, sa rectification ne peut être faite que par les autorités judiciaires et notamment par le procureur s’il s’agit d’une anomalie purement matérielle.
    • L’article 99-1 du Code civil prévoit, en effet, que « le procureur de la République territorialement compétent peut toujours faire procéder à la rectification administrative des erreurs et omissions purement matérielles des actes de l’état civil ; à cet effet, il donne directement les instructions utiles aux dépositaires des registres de l’acte erroné ainsi qu’à ceux qui détiennent les autres actes entachés par la même erreur. »
  • La rectification des erreurs/omissions de fond
    • En application de l’article 99 du Code civil, lorsque l’acte de décès est entaché d’une irrégularité de fond, c’est le Président du Tribunal judiciaire est compétent
    • La demande de rectification peut porter sur tout ce qui figure dans les registres de l’état civil (actes, transcriptions d’actes ou de jugements, mentions marginales), et exclusivement sur ce qui y figure.
    • À cet égard, Lorsque l’acte de décès est incomplet et notamment lorsque la date du décès n’est pas mentionnée, il a été jugé dans un arrêt du 28 janvier 1957 que « à défaut de toute autre indication, le décès doit être réputé s’être produit le jour où il est constaté par l’officier de l’état civil», étant précisé que cette présomption peut être détruite par tout intéressé établissant le moment précis du décès ( 1re civ., 28 janv. 1957)

c. Cas particulier des comourants

==> Données du problème

Il est un cas où la détermination de la date du décès requiert une attention somme toute particulière : c’est l’hypothèse où plusieurs personnes ayant vocation à hériter les unes des autres décèdent dans un même événement.

Cette situation – tragique – se rencontrera lors de catastrophes aériennes, de naufrages maritimes, d’accidents de la route, d’attentats terroristes, de catastrophes naturelles (incendie, avalanche, tsunami etc.) ou encore en temps de guerre (bombardement, déportation, etc.).

La difficulté soulevée par la situation des comourants tient à la détermination de l’ordre des successions.

Selon la chronologie des décès que l’on retient, la dévolution successorale est susceptible d’être radicalement différente.

Supposons un couple marié qui périt dans un accident de la route. Tandis que l’époux laisse pour seul parent un frère, sa conjointe laisse quant à elle une tante.

  • Hypothèse 1
    • Le mari est réputé être décédé le premier.
    • Dans cette hypothèse, c’est la conjointe qui hérite, car elle prime sur le frère du mari
    • Dans la mesure où elle aussi décède, c’est sa tante qui a vocation à recueillir la succession de cette dernière et incidemment celle de son mari
  • Hypothèse 2
    • L’épouse est réputée être décédée en premier
    • Dans cette hypothèse, c’est la dévolution successorale inverse qui s’opère
    • Le mari hérite de son épouse et, par suite, le frère de celui-ci recueille l’intégralité de la succession du couple
  • Hypothèse 3
    • L’époux et sa conjointe sont réputés être décédés concomitamment
    • Dans cette hypothèse, aucun des deux n’hérite de l’autre, de sorte que la succession se répartit entre le frère du mari et la tante de l’épouse

Il ressort de cet exemple que plusieurs solutions peuvent être adoptées aux fins de déterminer la désignation des héritiers :

  • Soit l’on cherche à établir une chronologie des décès des comourants
  • Soit l’on fait abstraction du décès des comourants dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux

Tandis que les rédacteurs du Code civil avaient opté pour la première solution, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 préféré la seconde.

==> Droit antérieur

Le système mis en place par les rédacteurs du Code civil reposait sur des présomptions légales de survie permettant d’établir une chronologie des décès et, par voie de conséquence, la dévolution successorale.

Ces présomptions de survie, instituées aux anciens articles 721 et 722 du Code civil, elles reposaient sur l’âge et le sexe des comourants.

  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur l’âge
    • L’ancien article 721 du Code civil qui prévoyait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient moins de quinze ans, le plus âgé sera présumé avoir survécu.
      • S’ils étaient tous au-dessus de soixante ans, le moins âgé sera présumé avoir survécu.
      • Si les uns avaient moins de quinze ans, et les autres plus de soixante, les premiers seront présumés avoir survécu.
  • S’agissant des présomptions de survie fondées sur le sexe
    • L’ancien article 722 du Code civil disposait que :
      • Si ceux qui ont péri ensemble avaient quinze ans accomplis et moins de soixante, le mâle est toujours présumé avoir survécu, lorsqu’il y a égalité d’âge, ou si la différence qui existe n’excède pas une année.
      • S’ils étaient du même sexe, la présomption de survie, qui donne ouverture à la succession dans l’ordre de la nature doit être admise : ainsi le plus jeune est présumé avoir survécu au plus âgé.

Le système ainsi mis en place a été vivement critiqué au motif qu’il reposait sur des présomptions de survie artificielles et incomplètes : à âge égal, si un homme et une femme décèdent lors d’un même événement, l’homme est ainsi présumé avoir survécu à la femme.

La jurisprudence a bien tenté de limiter les effets des présomptions de survie en adoptant une interprétation restrictive des textes, si bien qu’un certains nombre de cas ne relevaient pas de leur domaine d’application (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 8 févr. 2005, n°02-18.767).

Les juridictions n’en demeuraient pas moins contraintes d’y avoir recours lorsque les conditions requises étaient remplies.

Fort de ce constat, lors de l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, le législateur a décidé d’abolir les présomptions de survie à la faveur d’un système plus simple et surtout épuré de toute différence de traitement liée au sexe.

i. Domaine du dispositif

Il s’infère de l’article 725-1 du Code civil que le dispositif applicable aux comourants requiert que les décès qui frappent les comourants interviennent dans un même évènement.

Si, sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence exigeait que les comourants aient des vocations héréditaires réciproques, la loi du 3 décembre 2001 a supprimé cette exigence.

==> L’exigence tenant à la survenance des décès dans un même événement

L’article 725-1 du Code civil prévoit expressément que la théorie des comourants ne s’applique que « lorsque deux personnes […] périssent dans un même événement ».

A défaut, c’est l’ordre de survenance des événements qui déterminera l’ordre des décès.

A cet égard, les décès seront réputés être intervenus dans un même événement lorsqu’il existera une unité de lieu, de temps et d’action. Tel sera le cas des victimes qui périssent dans un accident d’avion ou dans le naufrage d’un navire.

Lorsque, en revanche, l’un de ses éléments (lieu, temps, action) fera défaut, la jurisprudence aura tendance à considérer que les décès sont intervenus dans des événements différents.

==> L’abandon de l’exigence tenant à l’existence de vocations héréditaires réciproques

Sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence subordonnait l’application des présomptions de survie à l’existence de vocations héréditaires réciproques.

Aussi, lorsqu’un seul des comourants avaient vocation à hériter de l’autre, le jeu de ces présomptions était écarté.

La loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 a aboli l’exigence tenant à l’existence de vocations successorales réciproques.

L’article 725 du Code civil prévoit désormais que le dispositif des comourants est applicable « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement ».

Il est donc indifférent que des personnes décédées dans un même événement soient appelées à hériter les unes des autres.

En revanche, cette vocation successorale doit être de nature légale, ce qui implique que la théorie des comourants ne joue pas pour :

  • Les personnes qui héritent par voie testamentaire
  • Les personnes bénéficiaires d’un contrat d’assurance vie

ii. Contenu du dispositif

S’inspirant de certaines législations étrangères, le système mis en place par la loi du 3 décembre 2001 repose sur deux règles énoncées à l’article 725-1 du Code civil, la seconde étant assortie d’une exception.

  • Première règle : tentative de détermination de l’ordre des décès
    • L’article 725-1, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque deux personnes, dont l’une avait vocation à succéder à l’autre, périssent dans un même événement, l’ordre des décès est établi par tous moyens. »
    • Il ressort de cette disposition que, en première intention, il doit être fait la lumière sur les circonstances du décès des comourants.
    • Le législateur invite ainsi les héritiers, les notaires et le cas échéant le juge, à rechercher par tous moyens la chronologie des décès.
    • Pour ce faire, il pourra être recouru aux présomptions du fait de l’homme, soit celles qui, en application de l’article 1382 du Code civil, « sont laissées à l’appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes»
    • Les juges disposent, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation ( 1re civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845), ce qui est susceptible de les conduire à retenir de tous types de preuve aux fins de forger leur intime conviction.
    • Ils pourront ainsi s’appuyer sur des certificats médicaux, des procès-verbaux de police ou de gendarmerie, sur des expertises réalisées sur la situation des lieux ou encore sur des témoignages.
    • Dans l’hypothèse où l’ordre des décès pourra être établi, chaque comourant qui décède avant l’autre est réputé apte à hériter, de sorte que la dévolution successorale peut s’opérer comme s’il avait survécu.
    • Quant à la charge de la preuve, elle pèse sur celui qui prétend que c’est celui dont il a vocation à hériter qui a survécu.
  • Seconde règle : abstraction de la vocation héréditaire des comourants
    • Principe
      • Le deuxième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que si l’ordre des décès des personnes comourantes « ne peut être déterminé, la succession de chacune d’elles est dévolue sans que l’autre y soit appelée. »
      • Il ressort de cette disposition que faute d’être en mesure d’établir une chronologie des décès, il y a lieu d’admettre que les comourants sont décédés simultanément.
      • Le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de priver les comourants de leur capacité à hériter l’un de l’autre.
      • La dévolution successorale s’opérera donc en faisant abstraction de la vocation héréditaire des comourants.
      • C’est là une solution radicalement opposée à celle qui résultait du système mis en place par les rédacteurs du Code civil et qui conduisait nécessairement à l’établissement d’un ordre des décès, fût-ce-t-il totalement artificiel
    • Exception
      • Par exception à la règle privant les comourants de la capacité à hériter l’un de l’autre, dans l’hypothèse où aucune chronologie des décès n’aurait pu être établie, le troisième alinéa de l’article 725-1 du Code civil prévoit que « si l’un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l’autre lorsque la représentation est admise. »
      • Ainsi, le jeu de la représentation est susceptible de faire échec au cloisonnement des successions.
      • Pour mémoire, la représentation est définie par l’article 751 du Code civil comme « une fiction juridique qui a pour effet d’appeler à la succession les représentants aux droits du représenté»
      • Ce mécanisme interviendra, par exemple, lorsque, dans le cadre de la succession d’un grand-père, les petits enfants, viendront représenter leur parent décédé, de sorte qu’ils occuperont éventuellement le même rang que leur oncle.
      • S’agissant des comourants, quand bien même ils sont privés de capacité à hériter l’un de l’autre, la loi autorise leurs descendants à les représenter.
      • Pour illustrer cette règle, prenons l’exemple suivant :
        • À est père de deux fils, B et C, lesquels ont eux-mêmes des enfants
        • Supposons que A et C décèdent simultanément
        • L’application de l’alinéa 2 de l’article 725-1 du Code civil devrait conduire à reconnaître la qualité d’héritier uniquement à B, dans la mesure où C ne peut pas hériter de A et, par voie de conséquence, ses enfants également
        • Pour corriger cette situation qui serait manifestement injuste, le troisième alinéa de l’article 725-1 autorise les enfants de C à venir en représentation de leur père décédé concomitamment avec leur grand-père et à occuper le même rang successoral que B, qui n’est autre que leur oncle.

B) L’ouverture de la succession résulte d’une absence

Lorsque le de cujus est présumé mort par voie de déclaration judiciaire d’absence, sa succession s’ouvre, conformément à l’article 128, al. 1er du Code civil, à la date de la transcription du jugement déclaratif d’absence dans le registre d’état civil.

C) L’ouverture de la succession résulte d’une disparition

En application de l’article 91, al. 3e du Code civil, la succession de celui ayant fait l’objet d’une déclaration judiciaire de disparition, s’ouvre, non pas à la date de prononcé du jugement déclaratif, mais à la date à laquelle le disparu est déclaré mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

À l’instar du jugement déclaratif d’absence, le dispositif du jugement déclaratif de décès est transcrit sur les registres de l’état civil du lieu réel ou présumé du décès et, le cas échéant, sur ceux du lieu du dernier domicile du défunt.

Mention de la transcription est faite en marge des registres à la date du décès.

En cas de jugement collectif, des extraits individuels du dispositif sont transmis aux officiers de l’état civil du dernier domicile de chacun des disparus, en vue de la transcription.

Le décès comme cause d’ouverture de la succession: notion de mort et preuve du décès

L’article 720 du Code civil prévoit que « les successions s’ouvrent par la mort […] ».

Il ressort de cette disposition qu’il n’existe, a priori, qu’une seule cause d’ouverture de la succession : le décès du défunt.

En l’absence de précision textuelle, il n’y a pas lieu de distinguer selon que le décès est d’origine naturelle, accidentelle ou encore qu’il est le résultat d’un fait volontaire (meurtre ou suicide).

Dès lors qu’elle est constatée médicalement, la mort donne lieu à l’ouverture d’une succession. Là n’est toutefois pas la seule cause.

En droit, la mort emprunte plusieurs visages. La loi assimile à la mort l’absence et la disparition, situations juridiques auxquelles elle fait produire les mêmes effets que le décès. Pour ces situations on parle de mort, non pas constatée, mais présumée.

À l’analyse, il existe donc trois causes d’ouverture d’une succession :

  • Le décès
  • L’absence
  • La disparition

Nous nous focaliserons ici sur le décès.

I) Le constat du décès

==> Évolution

Si le décès est la cause normale d’ouverture d’une succession, encore faut-il déterminer en quoi consiste ce phénomène consubstantiel de l’existence humaine qui met irrémédiablement fin à la vie.

Assez curieusement, alors même que la mort marque la fin de la personnalité juridique, pendant longtemps elle n’a été définie par aucun texte.

La raison en est que, pour les rédacteurs du Code civil, le fait juridique que constitue la mort relevait de l’évidence : c’est l’état d’une personne qui rend son dernier souffle et dont toutes les fonctions organiques ont cessé. C’est le moment où la vie abandonne le corps, lequel passe du statut de chose animée à chose inerte.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le constat de la mort se limitait à un examen des signes externes : rigidité cadavérique, refroidissement corporel, absence de respiration et de pouls etc.

L’une des premières ébauches de définition de la mort a été fournie par le Tribunal de la Seine dans un jugement rendu le 28 août 1889.

Dans cette décision il a été jugé qu’« une personne doit être considérée comme morte du point de vue de l’ouverture de la succession, à l’instant où les battements du cœur ont cessé, où le lien vital qui relie toutes les parties de l’organisme a été rompu et où le fonctionnement simultané des différents organes nécessaires à la vie a été définitivement paralysé ».

Quant au constat de la mort, il était assuré par l’officier d’état civil qui devait se déplacer au chevet du défunt afin d’établir l’acte de décès et délivrer le permis d’inhumer.

Par suite, le décret n°60-285 du 28 mars 1960 a subordonné la délivrance de ce permis à l’établissement d’un certificat médical.

Dans le même temps, les progrès de la médecine, et notamment l’essor du prélèvement d’organes, ont conduit les juristes à s’interroger sur la notion de mort qui demeurait très approximative.

Dès le début des années 1950, les médecins sont, en effet, parvenus à réparer les corps au moyen de greffes d’organes prélevés sur des personnes qui venaient de succomber.

Afin de pratiquer un prélèvement d’organes, encore fallait-il être en mesure de déterminer si le donneur était bien décédé.

Faute de définition de la mort dans le Code civil, le ministère de la santé a été contraint d’intervenir.

Par deux circulaires adoptées le 3 février 1948 et le 19 septembre 1958, il a été décidé que le constat de la mort devait être dressé selon trois procédés que sont l’artériotomie, l’épreuve de la fluorescine d’Icard et le signe de l’éther.

Ces procédés permettaient de vérifier la cessation de la circulation du sang dans l’organisme, ce qui établissait l’absence d’activité cardiaque de la personne décédée.

Cette méthode a toutefois rapidement montré ses limites. En effet, lorsqu’une personne décède, son corps entre immédiatement en phase de décomposition, ce qui a pour conséquence de rendre, dans un court laps de temps (quelques heures), les organes impropres à une transplantation.

Aussi, pour que l’opération puisse réussir, est-il absolument nécessaire que le corps du donneur soit artificiellement maintenu en vie.

Si néanmoins l’on retient comme critère de la mort l’arrêt cardiaque, cette exigence ne peut pas être satisfaite, puisqu’au moment où les prélèvements d’organes soient réalisés, le donneur est, techniquement, toujours en vie quand bien même son cerveau serait complètement détruit.

Lorsque, dès lors, la première transplantation cardiaque a été réalisée en 1967 par le docteur Barnard, il aurait pu être poursuivi pour le crime de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Consécutivement à la découverte par deux réanimateurs français, les docteurs Goulon et Mollaret, de l’état de « coma dépassé », il a été suggéré, afin de lever la menace judiciaire qui pesait sur les praticiens hospitaliers, de fixer le moment du décès, non plus au moment de la cessation de l’activité du cœur, mais au moment de l’abolition des fonctions cérébrales.

Ce nouveau critère de la mort a été consacré par la circulaire Jeanneney du 24 avril 1968, laquelle prévoyait que le constat de la mort devait être fondé sur « l’existence de preuves concordantes de l’irréversibilité de lésions encéphaliques incompatibles avec la vie » ainsi que sur « le caractère destructeur et irrémédiable des altérations du système nerveux central dans son ensemble ».

Désormais, on ne meurt donc plus d’un arrêt du cœur, mais d’une destruction cérébrale, ce qui permettait de pratiquer, en toute légalité les greffes de cœur et autres transplantations exigeant le maintien artificiel du corps en vie.

Par suite, le décret n° 78-501 du 31 mars 1978 pris pour l’application de la loi du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes est venu préciser les conditions dans lesquelles devait être constaté le stade du coma dépassé, autorisant le déclenchement de la procédure de prélèvement multiple d’organes.

Le texte édicte notamment une séparation fonctionnelle entre les médecins chargés du constat de la mort et ceux chargés du prélèvement.

L’article L. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que « les médecins qui établissent le constat de la mort, d’une part, et ceux qui effectuent le prélèvement ou la greffe, d’autre part, doivent faire partie d’unités fonctionnelles ou de services distincts. »

==> Droit positif

La primauté de la mort cérébrale sur la mort cardiaque a définitivement été entérinée par le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

Ce certificat de décès est envisagé à l’article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales.

Cette disposition prévoit que l’autorisation de fermeture du cercueil ne peut être délivrée qu’au vu d’un certificat attestant le décès, établi par un médecin, en activité ou retraité, par un étudiant en cours de troisième cycle des études de médecine en France ou un praticien à diplôme étranger hors Union européenne autorisé à poursuivre un parcours de consolidation des compétences en médecine, dans des conditions fixées par décret pris après avis du Conseil national de l’ordre des médecins.

Ce certificat, rédigé sur un modèle établi par le ministère chargé de la santé, comporte un volet administratif et un volet médical.

  • S’agissant du volet administratif
    • Il vise notamment à informer l’officier de l’état civil
    • À cette fin il comporte :
      • La commune de décès ;
      • Les date et heure de décès ;
      • Les nom, prénoms, date de naissance, sexe et domicile du défunt ;
      • Les informations nécessaires à la délivrance de l’autorisation de fermeture du cercueil et à la réalisation des opérations funéraires
    • Il peut être observé que les informations contenues dans ce volet administratif sont publiques : elles sont accessibles à tous, à la différence de celles contenues dans le volet médical qui est confidentiel.
  • S’agissant du volet médical
    • Ce volet médical comporte
      • Les informations relatives aux causes du décès
      • Des informations complémentaires lorsqu’une recherche médicale ou scientifique des causes du décès a été réalisée ou qu’une autopsie judiciaire a été ordonnée
      • Le volet médical, qu’il s’agisse de la partie dédiée aux causes du décès ou de la partie comprenant des informations complémentaires, est anonyme : il ne doit comporter ni le nom, ni le prénom de la personne décédée, ni le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques.

Ce n’est qu’une fois que ce certificat a été dûment établi, qu’il peut être procédé à la fermeture du cercueil, conformément à l’article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales.

L’obtention du certificat de décès permettra également à l’officier de l’état civil de dresser l’acte de décès, soit à mentionner sur le registre d’état civil le décès de la personne décédée.

II) La preuve du décès

==> La déclaration de décès

Après que le certificat de décès a été établi par le médecin ayant constaté la mort du défunt, il doit être présenté à la mairie du lieu du décès afin qu’il soit procédé à la déclaration de décès.

À cet égard, l’article 78 du Code civil prévoit que cette déclaration peut être réalisée par un parent du défunt ou par toute personne « possédant sur son état civil les renseignements les plus exacts et les plus complets qu’il sera possible ».

Pour s’assurer de l’exactitude des informations déclarées, l’officier de l’état civil peut demander la vérification des données à caractère personnel du défunt auprès du dépositaire de l’acte de naissance ou, à défaut d’acte de naissance détenu en France, de l’acte de mariage.

L’article 8 du décret du 15 avril 1919 relatif aux mesures à prendre dans l’intérêt de la salubrité publique précise que « les déclarations de décès prévues par l’article 78 du code civil doivent être faites dans un délai de vingt-quatre heures depuis le décès ».

Ce délai, imparti aux personnes chez qui le défunt est mort ainsi qu’à ses proches parents, est sanctionné par des peines contraventionnelles de première classe prévues aux articles L. 131-13 et R. 610-5 du code pénal.

Néanmoins la déclaration de décès, même tardive, doit toujours être reçue par l’officier d’état civil.

==> L’établissement de l’acte de décès

Aussitôt la déclaration de décès effectuée, l’officier d’état civil a pour mission de dresser l’acte de décès quel que soit le temps écoulé depuis le décès (art. 87 C. civ.), dès lors qu’il peut encore être procédé à l’examen du corps.

L’acte de décès, qui est une variété d’acte d’état civil, consiste à faire état du décès du défunt sur le registre d’état civil.

En application de l’article 79 du Code civil, il doit contenir un certain nombre d’informations au nombre desquelles figurent :

  • Le jour, l’heure et le lieu de décès ;
  • Les prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile de la personne décédée ;
  • Les prénoms, noms, professions et domiciles de ses père et mère ;
  • Les prénoms et nom de l’autre époux, si la personne décédée était mariée, veuve ou divorcée ;
  • Les prénoms et nom de l’autre partenaire, si la personne décédée était liée par un pacte civil de solidarité ;
  • Les prénoms, nom, âge, profession et domicile du déclarant et, s’il y a lieu, son degré de parenté avec la personne décédée.

Il sera fait mention du décès en marge de l’acte de naissance de la personne décédée.

Il peut être observé que, si la lecture de l’acte aux comparants révèle des erreurs ou des omissions, l’officier de l’état civil procède aux ratures et aux renvois en marge.

Mais l’acte une fois revêtu de toutes les signatures, sa rectification ne peut en principe être faite que par les autorités judiciaires.

En vertu de l’article 99 du code civil, la rectification est ordonnée soit par le président du tribunal judiciaire, soit par le procureur de la République lorsque l’acte de décès est entaché d’une irrégularité matérielle.

La rectification peut porter sur tout ce qui figure dans les registres de l’état civil (actes, transcriptions d’actes ou de jugements, mentions marginales), et exclusivement sur ce qui y figure.

Lorsque l’acte de décès est incomplet et notamment lorsque la date du décès n’est pas mentionnée, il a été jugé dans un arrêt du 28 janvier 1957 que « à défaut de toute autre indication, le décès doit être réputé s’être produit le jour où il est constaté par l’officier de l’état civil », étant précisé que cette présomption peut être détruite par tout intéressé établissant le moment précis du décès (Cass. 1re civ., 28 janv. 1957)

==> La force probante de l’acte de décès

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

Aussi, y a-t-il lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

==> Cas particulier de l’enfant mort-né

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

Les causes d’ouverture de la succession

La mort n’est pas la fin. Elle met seulement un terme à ce qui a commencé et à ce qui a vécu. Mais la vie se poursuit à travers ce qui reste et continue à exister.

Lorsque la Camarde vient frapper à la porte de celui dont l’heure est venue, le trépas emporte certes extinction de la personnalité juridique. Le défunt laisse néanmoins derrière lui un patrimoine, sans maître, qui a vocation à être immédiatement transmis à ceux qui lui survivent.

Cette transmission du patrimoine qui intervient concomitamment au moment du décès est exprimée par l’adage hérité de l’ancien droit « le mort saisit le vif par son hoir le plus proche ».

Ce principe procède de l’idée que la personne du défunt survit à travers ses successeurs – héritiers et légataires – lesquels ont vocation à recueillir l’ensemble de ses biens, mais également la totalité de ses dettes.

Parce que l’ouverture d’une succession s’accompagne d’enjeux, en particulier financiers, souvent importants, elle est de nature à plonger la famille dans une crise qui sera parfois profonde, les successeurs se disputant le patrimoine du défunt.

Le droit ne peut bien évidemment pas rester indifférent à cette situation qui menace la paix sociale et dont l’Histoire a montré qu’elle pouvait conduire à l’effondrement de royaumes entiers. La succession de Charlemagne a profondément marqué l’Histoire de France.

Bien que les héritiers soient immédiatement saisis à la mort du défunt, ce qui, concrètement, signifie qu’ils entrent en possession de son patrimoine sans période intercalaire, la transmission qui s’opère n’échappe pas à l’emprise du droit.

À cet égard, les règles qui connaissent de la transmission à cause de mort forment ce que l’on appelle le droit des successions.

Il ressort de ce corpus normatif que la transmission par voie successorale peut être réglée :

  • Soit par l’effet de la loi
    • On parle de succession ab intestat, ce qui signifie qui littéralement « sans testament»
    • Dans cette hypothèse, c’est donc la loi qui désigne les héritiers et détermine la part du patrimoine du de cujus (celui de la succession duquel il s’agit) qui leur revient
  • Soit par l’effet de la volonté
    • On parle ici de transmission par voie testamentaire, car résultant de l’établissement d’un acte appelé testament.
    • Dans cette hypothèse, c’est le de cujus qui désigne les personnes appelées à hériter (légataires) et qui détermine les biens ou la portion de biens (legs) qu’il leur entend leur léguer.

Que la transmission à cause de mort s’opère par l’effet de la loi ou par l’effet d’un testament, elle requiert, dans les deux cas, et au préalable, l’ouverture de la succession du défunt.

Cette ouverture de la succession soulève trois questions : quelles en sont les causes, à quel moment doit-elle intervenir et en quel lieu ?

Nous nous focaliserons ici sur les causes d’ouverture de la succession.

L’article 720 du Code civil prévoit que « les successions s’ouvrent par la mort […] ».

Il ressort de cette disposition qu’il n’existe, a priori, qu’une seule cause d’ouverture de la succession : le décès du défunt.

En l’absence de précision textuelle, il n’y a pas lieu de distinguer selon que le décès est d’origine naturelle, accidentelle ou encore qu’il est le résultat d’un fait volontaire (meurtre ou suicide).

Dès lors qu’elle est constatée médicalement, la mort donne lieu à l’ouverture d’une succession. Là n’est toutefois pas la seule cause.

En droit, la mort emprunte plusieurs visages. La loi assimile à la mort l’absence et la disparition, situations juridiques auxquelles elle fait produire les mêmes effets que le décès. Pour ces situations on parle de mort, non pas constatée, mais présumée.

À l’analyse, il existe donc trois causes d’ouverture d’une succession :

  • Le décès
  • L’absence
  • La disparition

I) Le décès

A) Le constat du décès

==> Évolution

Si le décès est la cause normale d’ouverture d’une succession, encore faut-il déterminer en quoi consiste ce phénomène consubstantiel de l’existence humaine qui met irrémédiablement fin à la vie.

Assez curieusement, alors même que la mort marque la fin de la personnalité juridique, pendant longtemps elle n’a été définie par aucun texte.

La raison en est que, pour les rédacteurs du Code civil, le fait juridique que constitue la mort relevait de l’évidence : c’est l’état d’une personne qui rend son dernier souffle et dont toutes les fonctions organiques ont cessé. C’est le moment où la vie abandonne le corps, lequel passe du statut de chose animée à chose inerte.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le constat de la mort se limitait à un examen des signes externes : rigidité cadavérique, refroidissement corporel, absence de respiration et de pouls etc.

L’une des premières ébauches de définition de la mort a été fournie par le Tribunal de la Seine dans un jugement rendu le 28 août 1889.

Dans cette décision il a été jugé qu’« une personne doit être considérée comme morte du point de vue de l’ouverture de la succession, à l’instant où les battements du cœur ont cessé, où le lien vital qui relie toutes les parties de l’organisme a été rompu et où le fonctionnement simultané des différents organes nécessaires à la vie a été définitivement paralysé ».

Quant au constat de la mort, il était assuré par l’officier d’état civil qui devait se déplacer au chevet du défunt afin d’établir l’acte de décès et délivrer le permis d’inhumer.

Par suite, le décret n°60-285 du 28 mars 1960 a subordonné la délivrance de ce permis à l’établissement d’un certificat médical.

Dans le même temps, les progrès de la médecine, et notamment l’essor du prélèvement d’organes, ont conduit les juristes à s’interroger sur la notion de mort qui demeurait très approximative.

Dès le début des années 1950, les médecins sont, en effet, parvenus à réparer les corps au moyen de greffes d’organes prélevés sur des personnes qui venaient de succomber.

Afin de pratiquer un prélèvement d’organes, encore fallait-il être en mesure de déterminer si le donneur était bien décédé.

Faute de définition de la mort dans le Code civil, le ministère de la santé a été contraint d’intervenir.

Par deux circulaires adoptées le 3 février 1948 et le 19 septembre 1958, il a été décidé que le constat de la mort devait être dressé selon trois procédés que sont l’artériotomie, l’épreuve de la fluorescine d’Icard et le signe de l’éther.

Ces procédés permettaient de vérifier la cessation de la circulation du sang dans l’organisme, ce qui établissait l’absence d’activité cardiaque de la personne décédée.

Cette méthode a toutefois rapidement montré ses limites. En effet, lorsqu’une personne décède, son corps entre immédiatement en phase de décomposition, ce qui a pour conséquence de rendre, dans un court laps de temps (quelques heures), les organes impropres à une transplantation.

Aussi, pour que l’opération puisse réussir, est-il absolument nécessaire que le corps du donneur soit artificiellement maintenu en vie.

Si néanmoins l’on retient comme critère de la mort l’arrêt cardiaque, cette exigence ne peut pas être satisfaite, puisqu’au moment où les prélèvements d’organes soient réalisés, le donneur est, techniquement, toujours en vie quand bien même son cerveau serait complètement détruit.

Lorsque, dès lors, la première transplantation cardiaque a été réalisée en 1967 par le docteur Barnard, il aurait pu être poursuivi pour le crime de coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Consécutivement à la découverte par deux réanimateurs français, les docteurs Goulon et Mollaret, de l’état de « coma dépassé », il a été suggéré, afin de lever la menace judiciaire qui pesait sur les praticiens hospitaliers, de fixer le moment du décès, non plus au moment de la cessation de l’activité du cœur, mais au moment de l’abolition des fonctions cérébrales.

Ce nouveau critère de la mort a été consacré par la circulaire Jeanneney du 24 avril 1968, laquelle prévoyait que le constat de la mort devait être fondé sur « l’existence de preuves concordantes de l’irréversibilité de lésions encéphaliques incompatibles avec la vie » ainsi que sur « le caractère destructeur et irrémédiable des altérations du système nerveux central dans son ensemble ».

Désormais, on ne meurt donc plus d’un arrêt du cœur, mais d’une destruction cérébrale, ce qui permettait de pratiquer, en toute légalité les greffes de cœur et autres transplantations exigeant le maintien artificiel du corps en vie.

Par suite, le décret n° 78-501 du 31 mars 1978 pris pour l’application de la loi du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes est venu préciser les conditions dans lesquelles devait être constaté le stade du coma dépassé, autorisant le déclenchement de la procédure de prélèvement multiple d’organes.

Le texte édicte notamment une séparation fonctionnelle entre les médecins chargés du constat de la mort et ceux chargés du prélèvement.

L’article L. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que « les médecins qui établissent le constat de la mort, d’une part, et ceux qui effectuent le prélèvement ou la greffe, d’autre part, doivent faire partie d’unités fonctionnelles ou de services distincts. »

==> Droit positif

La primauté de la mort cérébrale sur la mort cardiaque a définitivement été entérinée par le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996 qui règle la procédure actuelle de détermination de la mort d’une personne.

Cette procédure est plus ou moins lourde selon que la personne décédée est ou non maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organes.

  • La procédure simplifiée de constat de la mort en l’absence de maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée n’est pas maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-1 du Code de la santé publique prévoit que si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :
      • Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
      • Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
      • Absence totale de ventilation spontanée
    • Le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • L’article R. 1232-3 du Code de la santé publique précise que ce procès-verbal doit indiquer les résultats des constatations cliniques ainsi que la date et l’heure du constat de la mort.
    • Il doit, en outre, être établi et signé par un médecin appartenant à une unité fonctionnelle ou un service distinct de ceux dont relèvent les médecins qui effectuent un prélèvement d’organe ou une greffe.
  • La procédure renforcée de constat de la mort en présence d’un maintien en vie artificiel de la personne décédée
    • Lorsque la personne décédée est maintenue artificiellement en vie aux fins de faire l’objet d’un prélèvement d’organe, l’article R. 1232-2 du Code de la santé publique prévoit que, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
      • Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation ;
      • Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait.
    • Dans ce cas de figure, le constat de la mort doit être formalisé dans un procès-verbal établi sur un document dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.
    • Le formalisme auquel ce procès-verbal doit répondre est, en revanche, plus lourd, compte tenu du maintien en vie artificiel du patient décédé.
    • L’article R. 1232-3, al. 3 du Code de la santé publique prévoit en ce sens que lorsque le constat de la mort est établi pour une personne assistée par ventilation mécanique et conservant une fonction hémodynamique, le procès-verbal de constat de la mort indique les résultats des constatations cliniques concordantes de deux médecins répondant à la condition mentionnée à l’article L. 1232-4.
    • Ce procès-verbal mentionne, en outre, le résultat des examens définis au 1° ou au 2° de l’article R. 1232-2, ainsi que la date et l’heure de ce constat.
    • Il doit être signé par les deux médecins susmentionnés.

Que la personne dont le décès est constaté soit ou non maintenue artificiellement en vie, l’article R. 1232-4 du Code de la santé publique prévoit que « le procès-verbal du constat de la mort est signé concomitamment au certificat de décès prévu par arrêté du ministre chargé de la santé. »

Ce certificat de décès est envisagé à l’article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales.

Cette disposition prévoit que l’autorisation de fermeture du cercueil ne peut être délivrée qu’au vu d’un certificat attestant le décès, établi par un médecin, en activité ou retraité, par un étudiant en cours de troisième cycle des études de médecine en France ou un praticien à diplôme étranger hors Union européenne autorisé à poursuivre un parcours de consolidation des compétences en médecine, dans des conditions fixées par décret pris après avis du Conseil national de l’ordre des médecins.

Ce certificat, rédigé sur un modèle établi par le ministère chargé de la santé, comporte un volet administratif et un volet médical.

  • S’agissant du volet administratif
    • Il vise notamment à informer l’officier de l’état civil
    • À cette fin il comporte :
      • La commune de décès ;
      • Les date et heure de décès ;
      • Les nom, prénoms, date de naissance, sexe et domicile du défunt ;
      • Les informations nécessaires à la délivrance de l’autorisation de fermeture du cercueil et à la réalisation des opérations funéraires
    • Il peut être observé que les informations contenues dans ce volet administratif sont publiques : elles sont accessibles à tous, à la différence de celles contenues dans le volet médical qui est confidentiel.
  • S’agissant du volet médical
    • Ce volet médical comporte
      • Les informations relatives aux causes du décès
      • Des informations complémentaires lorsqu’une recherche médicale ou scientifique des causes du décès a été réalisée ou qu’une autopsie judiciaire a été ordonnée
      • Le volet médical, qu’il s’agisse de la partie dédiée aux causes du décès ou de la partie comprenant des informations complémentaires, est anonyme : il ne doit comporter ni le nom, ni le prénom de la personne décédée, ni le numéro d’inscription des personnes au répertoire national d’identification des personnes physiques.

Ce n’est qu’une fois que ce certificat a été dûment établi, qu’il peut être procédé à la fermeture du cercueil, conformément à l’article L. 2223-42 du Code général des collectivités territoriales.

L’obtention du certificat de décès permettra également à l’officier de l’état civil de dresser l’acte de décès, soit à mentionner sur le registre d’état civil le décès de la personne décédée.

B) La preuve du décès

==> La déclaration de décès

Après que le certificat de décès a été établi par le médecin ayant constaté la mort du défunt, il doit être présenté à la mairie du lieu du décès afin qu’il soit procédé à la déclaration de décès.

À cet égard, l’article 78 du Code civil prévoit que cette déclaration peut être réalisée par un parent du défunt ou par toute personne « possédant sur son état civil les renseignements les plus exacts et les plus complets qu’il sera possible ».

Pour s’assurer de l’exactitude des informations déclarées, l’officier de l’état civil peut demander la vérification des données à caractère personnel du défunt auprès du dépositaire de l’acte de naissance ou, à défaut d’acte de naissance détenu en France, de l’acte de mariage.

L’article 8 du décret du 15 avril 1919 relatif aux mesures à prendre dans l’intérêt de la salubrité publique précise que « les déclarations de décès prévues par l’article 78 du code civil doivent être faites dans un délai de vingt-quatre heures depuis le décès ».

Ce délai, imparti aux personnes chez qui le défunt est mort ainsi qu’à ses proches parents, est sanctionné par des peines contraventionnelles de première classe prévues aux articles L. 131-13 et R. 610-5 du code pénal.

Néanmoins la déclaration de décès, même tardive, doit toujours être reçue par l’officier d’état civil.

==> L’établissement de l’acte de décès

Aussitôt la déclaration de décès effectuée, l’officier d’état civil a pour mission de dresser l’acte de décès quel que soit le temps écoulé depuis le décès (art. 87 C. civ.), dès lors qu’il peut encore être procédé à l’examen du corps.

L’acte de décès, qui est une variété d’acte d’état civil, consiste à faire état du décès du défunt sur le registre d’état civil.

En application de l’article 79 du Code civil, il doit contenir un certain nombre d’informations au nombre desquelles figurent :

  • Le jour, l’heure et le lieu de décès ;
  • Les prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile de la personne décédée ;
  • Les prénoms, noms, professions et domiciles de ses père et mère ;
  • Les prénoms et nom de l’autre époux, si la personne décédée était mariée, veuve ou divorcée ;
  • Les prénoms et nom de l’autre partenaire, si la personne décédée était liée par un pacte civil de solidarité ;
  • Les prénoms, nom, âge, profession et domicile du déclarant et, s’il y a lieu, son degré de parenté avec la personne décédée.

Il sera fait mention du décès en marge de l’acte de naissance de la personne décédée.

Il peut être observé que, si la lecture de l’acte aux comparants révèle des erreurs ou des omissions, l’officier de l’état civil procède aux ratures et aux renvois en marge.

Mais l’acte une fois revêtu de toutes les signatures, sa rectification ne peut en principe être faite que par les autorités judiciaires.

En vertu de l’article 99 du code civil, la rectification est ordonnée soit par le président du tribunal judiciaire, soit par le procureur de la République lorsque l’acte de décès est entaché d’une irrégularité matérielle.

La rectification peut porter sur tout ce qui figure dans les registres de l’état civil (actes, transcriptions d’actes ou de jugements, mentions marginales), et exclusivement sur ce qui y figure.

Lorsque l’acte de décès est incomplet et notamment lorsque la date du décès n’est pas mentionnée, il a été jugé dans un arrêt du 28 janvier 1957 que « à défaut de toute autre indication, le décès doit être réputé s’être produit le jour où il est constaté par l’officier de l’état civil », étant précisé que cette présomption peut être détruite par tout intéressé établissant le moment précis du décès (Cass. 1re civ., 28 janv. 1957)

==> La force probante de l’acte de décès

Parce que l’acte de décès appartient à la catégorie des actes d’état civil, il est réputé constater, « d’une manière authentique, un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes » (Cass. 1ère civ. 14 juin 1983, n°82-13.247).

L’acte de décès tire donc sa force probante de son caractère authentique. Il en résulte qu’il fait foi jusqu’à inscription de faux, à tout le moins s’agissant de l’existence matérielle des faits que l’officier public y a énoncés comme les ayant accomplis lui-même ou comme s’étant passés en sa présence dans l’exercice de ses fonctions (Cass. 1ère civ. 26 mai 1964).

Aussi, y a-t-il lieu de distinguer deux sortes d’informations sur l’acte de décès :

  • Les informations qui résultent des propres constatations de l’officier d’état civil
    • Le caractère authentique de l’acte de décès confère à ces informations une force probante des plus efficaces, car elles font foi jusqu’à inscription en faux
    • Celui qui conteste la véracité de l’une d’elles devra donc engager des poursuites judiciaires, selon les règles de procédure énoncées aux articles 303 à 316 du Code de procédure civile.
  • Les informations qui résultent des déclarations que l’officier d’état civil reçoit de la personne qui a déclaré le décès
    • Ces informations font foi jusqu’à ce qu’il soit rapporté la preuve contraire.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « si l’acte de décès n’établit, quant à l’heure du décès, qu’une simple présomption, il appartient à celui qui la conteste d’en établir l’exactitude» ( 1ère civ., 19 oct. 1999, n° 97-19.845).

==> Cas particulier de l’enfant mort-né

Lorsqu’un enfant décède avant que n’ait pu être réalisée la déclaration de naissance, il y a lieu de distinguer selon qu’il est né vivant et viable ou seulement sans vie.

  • L’enfant né vivant et viable
    • L’article 79-1, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l’état civil, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès.
    • L’établissement d’un acte de naissance présente ici un enjeu majeur, car cette formalité conférera à l’enfant décédé la personnalité juridique et, par voie de conséquence, la capacité à hériter.
  • L’enfant né sans vie
    • L’article 79-1, al. 2e du Code civil prévoit que, lorsque l’enfant est mort-né ou naît vivant mais non viable, l’officier de l’état civil peut établir sur la demande des parents un acte d’enfant sans vie.
    • L’établissement de cet acte permettra d’inscrire cet enfant sur le livret de famille et d’organiser de funérailles.
    • En revanche, l’enfant ne se verra pas conférer la personnalité juridique, en conséquence de quoi il n’acquerra pas la qualité d’héritier.

II) L’absence

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent :

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

A) La présomption d’absence

1. Conditions

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que pour qu’une personne soit présumée absente, ce qui a pour effet de placer cette personne, à l’instar de l’incapable majeur, sous mesure de protection, un certain nombre de conditions doivent être réunies, les unes tenant au fond, les autres à la procédure.

  • Conditions procédurales
    • Pour que la présomption d’absence puisse jouer, une demande doit être formulée auprès du juge des tutelles qui a pour mission de vérifier que les conditions de l’absence sont bien réunies.
    • Compte tenu des lourdes conséquences attachées à l’absence, le dispositif de protection prévu par le Code civil ne saurait être déclenché sans contrôle.
    • S’agissant des personnes autorisées à saisir le juge des tutelles il s’agit :
      • D’une part de toute personne intéressée (conjoint, membres de la famille, héritiers présomptifs, créanciers etc.)
      • D’autre part, le ministère public qui, en application de l’article 117 du Code civil, « est spécialement chargé de veiller aux intérêts des présumés absents».
    • En application de l’article 1062 du Code de procédure civile, les demandes relatives à la présomption d’absence sont présentées au juge des tutelles qui exerce ses fonctions au tribunal judiciaire dans le ressort duquel la personne dont il s’agit de constater la présomption d’absence demeure ou a eu sa dernière résidence.
    • À défaut, le juge compétent est celui du tribunal judiciaire du lieu où demeure le demandeur.
    • L’article 1063 du CPC précise que « la demande est formée, instruite et jugée selon les règles applicables à la tutelle des majeurs. »
  • Conditions de fond
    • L’article 112 du Code civil prévoit que la présomption d’absence ne peut être constatée qu’à la condition qu’il soit démontré que la personne visée par la mesure « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles »
    • Deux éléments caractérisent donc l’absence :
      • L’absent doit avoir cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence
      • L’absent doit n’avoir plus donné aucune nouvelle
    • Ce sont ces éléments que le juge devra vérifier, étant précisé que si l’absence résulte de circonstances de nature à faire sérieusement douter de la survie de l’absent (tempête en mer, effondrement d’une mine etc.), alors c’est plutôt la procédure de disparition qu’il y aura lieu de mettre en œuvre.
    • En dehors de ce cas de figure, il est indifférent que l’absence résulte d’un fait involontaire ou volontaire.
    • Ce qui importe, c’est qu’il soit établi que la personne dont on ignore la situation ne se soit pas manifestée pendant une longue période
    • L’absence étant un fait juridique, la preuve est libre. Elle peut donc être rapportée par tous moyens.
    • À cet égard, le juge est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation des circonstances qui entourent l’absence.

2. Décision

Lorsque les conditions sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

3. Opposabilité

Afin de rendre opposable aux tiers la situation d’absence, la décision prise par le juge doit faire l’objet de mesures de publicité.

L’article 1064 du CPC prévoit en ce sens qu’un extrait de toute décision constatant une présomption d’absence ou désignant une personne pour représenter un présumé absent et administrer ses biens ainsi que de toute décision portant modification ou suppression des mesures prises est transmis au greffe du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est née la personne présumée absente, à fin de conservation au répertoire civil et de publicité par mention en marge de l’acte de naissance, selon les modalités prévues aux articles 1057 à 1061.

La transmission est faite au service central d’état civil pour les personnes nées à l’étranger.

Lorsque la décision a été rendue par le juge des tutelles, la transmission est faite par le greffier du tribunal judiciaire dans les quinze jours qui suivent l’expiration des délais de recours.

Lorsque la décision a été rendue par la cour d’appel, la transmission est faite par le greffe de cette cour dans les quinze jours de l’arrêt.

4. Protection de l’absent

Durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> Contenu de la protection

L’article 113 du Code civil prévoit en ce sens que « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens »

Lorsqu’un représentant est désigné, le texte précise que la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises :

  • Soit aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille,
  • Soit, à titre exceptionnel et sur décision expresse du juge, aux règles de l’habilitation familiale si le représentant est une des personnes mentionnées à l’article 494-1.

Par ailleurs, l’article 114 du Code civil précise que le juge peut fixer, s’il l’estime nécessaire et suivant l’importance des biens du présumé absent, les sommes qu’il convient d’affecter annuellement à l’entretien de la famille ou aux charges du mariage.

Il peut encore spécifier comment devront être réglées les dépenses d’administration ainsi qu’éventuellement la rémunération qui peut être allouée à la personne chargée de la représentation du présumé absent et de l’administration de ses biens.

Enfin, le juge peut, à tout moment et même d’office, mettre fin à la mission de l’administrateur des biens de l’absent et peut également procéder à son remplacement.

==> Subsidiarité de la protection

Le dispositif de représentation n’a vocation à jouer qu’à titre subsidiaire.

L’article 121 prévoit, en effet que :

  • D’une part, le système de représentation tel que prévu par les articles 113 et suivants du Code civil n’est pas applicable aux présumés absents lorsqu’ils ont laissé une procuration suffisante à l’effet de les représenter et d’administrer leurs biens.
  • D’autre part, il en est de même si le conjoint peut pourvoir suffisamment aux intérêts en cause par l’application du régime matrimonial, et notamment par l’effet d’une décision obtenue en vertu des articles 217 (autorisation judiciaire) et 219 (représentation judiciaire), 1426 et 1429 (dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux).

==> Extinction de la présomption d’absence

Les effets attachés à la présomption d’absence peuvent prendre fin dans deux cas :

  • L’absent réapparaît à son domicile ou donne des nouvelles
    • L’article 118 du Code civil prévoit que « si un présumé absent reparaît ou donne de ses nouvelles, il est, sur sa demande, mis fin par le juge aux mesures prises pour sa représentation et l’administration de ses biens.»
    • Il est ainsi mis fin aux effets de la présomption d’absence, lorsque l’absent se manifeste.
    • La réapparition de l’absent interrompt alors le délai de 10 ans au terme duquel la déclaration d’absence était susceptible d’intervenir.
    • Les mesures de protection prises à son bénéfice ne sont néanmoins pas suspendues de plein droit.
    • La mainlevée de ces mesures doit être expressément demandée par l’absent auprès du Juge des tutelles.
    • Ce n’est que si le juge des tutelles estime que le présumé absent est en capacité de pourvoir seul à ses besoins et d’administrer son patrimoine, qu’il pourra recouvrer « les biens gérés ou acquis pour son compte durant la période de l’absence ».
  • L’absent est décédé
    • Dès lors qu’il est établi que l’absent est décédé, la présomption d’absence est anéantie.
    • La période de présomption d’absence est, par le jeu d’un effet rétroactif, réputé avoir pris fin au jour du décès de l’absent.
    • Il en résulte que tous les actes accomplis par le représentant postérieurement à la date du décès sont frappés de nullité.
    • L’article 119 du Code civil tempère néanmoins la rétroactivité des effets du décès, en prévoyant que « les droits acquis sans fraude, sur le fondement de la présomption d’absence, ne sont pas remis en cause lorsque le décès de l’absent vient à être établi ou judiciairement déclaré, quelle que soit la date retenue pour le décès. »
    • L’objectif poursuivi par ce texte est de préserver les intérêts des tiers de bonne foi, faute de quoi le système mis en place pourrait avoir pour conséquence de les dissuader de contracter avec le représentant de l’absent durant la période de présomption d’absence.

B) La déclaration d’absence

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

1. L’exigence de durée

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

2. Procédure

La demande se rapportant à la déclaration d’absence répond à des exigences procédurales très strictes.

==> Introduction de l’instance

  • Une requête
    • La demande de déclaration d’absence est formulée par voie de requête ( 122 C. civ.).
  • Auteur de la requête
    • La requête peut être présentée par toute partie intéressée ou du ministère public
  • La date de présentation de la requête
    • L’article 125 du Code civil prévoit que la requête introductive d’instance peut être présentée dès l’année précédant l’expiration des délais de 10 et 20 ans prévus par l’article 122.
  • Compétence
    • En application de l’article 1066 du CPC, les demandes relatives à la déclaration d’absence d’une personne sont portées devant le tribunal judiciaire dans le ressort duquel celle-ci demeure ou a eu sa dernière résidence.
    • À défaut, le tribunal compétent est celui du lieu où demeure le demandeur
  • Publicité de la requête
    • L’article 123 du Code civil dispose que des extraits de la requête aux fins de déclaration d’absence, après avoir été visés par le ministère public, doivent être publiés dans deux journaux diffusés dans le département ou, le cas échéant, dans le pays du domicile ou de la dernière résidence de la personne demeurée sans donner de nouvelles.
    • Le tribunal, saisi de la requête, peut en outre ordonner toute autre mesure de publicité dans tout lieu où il le juge utile.
    • Ces mesures de publicité sont assurées par la partie qui présente la requête.
    • L’objectif visé est d’alerter l’absent de la procédure de déclaration d’absence qui s’amorce, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences pour sa situation personnelle et patrimoniale puisqu’il s’expose à être présumé mort.
  • Caducité de la requête
    • L’article 126 du CPC prévoit que la requête aux fins de déclaration d’absence est considérée comme non avenue lorsque l’absent reparaît ou que la date de son décès vient à être établie, antérieurement au prononcé du jugement.

==> Instruction

  • Règles applicables
    • L’article 1067 du CPC prévoit que la demande est formée, instruite et jugée comme en matière gracieuse.
  • Pouvoirs du juge
    • En application de l’article 124 du Code civil, dès que les extraits en ont été publiés, la requête est transmise, par l’intermédiaire du procureur de la République, au tribunal qui statue d’après les pièces et documents produits et eu égard aux conditions de la disparition, ainsi qu’aux circonstances qui peuvent expliquer le défaut de nouvelles.
    • Le tribunal peut ordonner toute mesure d’information complémentaire et prescrire, s’il y a lieu, qu’une enquête soit faite contradictoirement avec le procureur de la République, quand celui-ci n’est pas lui-même requérant, dans tout lieu où il le jugera utile, et notamment dans l’arrondissement du domicile ou dans ceux des dernières résidences, s’ils sont distincts.

==> Décision

  • Exigence de délai
    • L’article 125 du Code civil exige que le jugement déclaratif d’absence soit rendu un an au moins après la publication des extraits de la requête.
  • Contenu de la décision
    • Après s’être appuyé sur les éléments produits par le requérant ainsi que sur ceux résultant éventuellement des mesures d’instruction qui auront été prises, le juge rend une décision qui constate que la personne présumée absente n’a pas reparu au cours des délais visés à l’article 122.
    • Le juge est investi, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation
  • Publicité de la décision
    • Lorsque le jugement déclaratif d’absence est rendu, des extraits en sont publiés selon les modalités prévues à l’article 123, dans le délai fixé par le tribunal.
    • L’article 1068 du CPC précise que le délai dans lequel doivent être publiés les extraits du jugement déclaratif d’absence ne peut excéder six mois à compter du prononcé de ce jugement ; il est mentionné dans les extraits soumis à publication.
    • La décision est réputée non avenue si elle n’a pas été publiée dans ce délai.
  • Transcription de la décision sur les registres d’état civil
    • En application de l’article 127 du Code civil, quand le jugement est passé en force de chose jugée, soit lorsque les délais de recours sont écoulés, son dispositif est transcrit à la requête du procureur de la République sur les registres des décès du lieu du domicile de l’absent ou de sa dernière résidence.
    • Mention de cette transcription est faite en marge des registres à la date du jugement déclarant l’absence ; elle est également faite en marge de l’acte de naissance de la personne déclarée absente.
  • Opposabilité aux tiers
    • L’article 127 du Code civil prévoit que la seule transcription d’état civil rend le jugement opposable aux tiers qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1.
  • Voies de recours
    • Le jugement déclaratif d’absence peut être frappé d’appel.
    • Conformément à l’article 1069 du CPC, le délai d’appel court à l’égard des parties et des tiers auxquels le jugement a été notifié, un mois après l’expiration du délai fixé par le tribunal pour l’accomplissement des mesures de publicité de l’article 127 du code civil.
    • L’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.

3. Le statut du déclaré absent

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte alors plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, comme précisé par l’article 128 du Code civil, les mesures prises pour l’administration des biens de l’absent prennent fin, sauf décision contraire du tribunal ou, à défaut, du juge qui les a ordonnées.
  • Ensuite, l’union conjugale qui aurait été contractée par le déclaré absent (mariage ou pacs) est dissoute, de sorte que s’ouvre une phase de liquidation du régime matrimonial
  • Enfin et surtout, la personnalité juridique de l’absent s’éteint, ce qui autorise l’ouverture de sa succession et donc la transmission de son patrimoine à ses héritiers.

Il peut être observé que, conformément à l’article 129, al. 1er du Code civil, le jugement déclaratif d’absence prend effet à compter du jour de sa transcription dans le registre d’état civil.

4. La réapparition du déclaré absent

Lorsque l’absence est judiciairement déclarée, un retour en arrière est possible si le déclaré absent réapparaît. Tout ne sera néanmoins pas comme avant.

==> Procédure

L’article 129 du Code civil prévoit que « si l’absent reparaît ou si son existence est prouvée postérieurement au jugement déclaratif d’absence, l’annulation de ce jugement peut être poursuivie, à la requête du procureur de la République ou de toute partie intéressée. »

Il ressort de cette disposition que, comme en matière de présomption d’absence, la remise en cause de la déclaration d’absence requiert à la formulation d’une demande en justice émanant, soit du procureur, soit de toute partie intéressée.

Après avoir constaté que le déclaré absent est, en réalité, bien vivant, le juge prononce l’annulation de la déclaration d’absence.

En application de l’article 129, al. 3e du Code civil le dispositif du jugement d’annulation est alors publié sans délai, selon les modalités fixées par l’article 123.

Mention de cette décision doit être portée, dès sa publication, en marge du jugement déclaratif d’absence et sur tout registre qui y fait référence.

==> Situation du déclaré absent

S’agissant de la situation du déclaré absent qui réapparaît, il peut être observé que l’annulation de la déclaration d’absence ne produit aucun effet rétroactif.

Il en résulte que cette annulation ne remet pas en cause les actes accomplis durant la période d’absence.

À cet égard, l’article 132 du Code civil prévoit que « le mariage de l’absent reste dissous, même si le jugement déclaratif d’absence a été annulé. »

Tout au plus, l’article 130 dispose que l’absent dont l’existence est judiciairement constatée recouvre

  • D’une part, ses biens et ceux qu’il aurait dû recueillir pendant son absence dans l’état où ils se trouvent
  • D’autre part, le prix de ceux qui auraient été aliénés ou les biens acquis en emploi des capitaux ou des revenus échus à son profit

Dans l’hypothèse où la déclaration d’absence aurait été provoquée par la fraude, l’article 131 du Code civil prévoit que l’auteur de cette fraude sera tenu de restituer à l’absent dont l’existence est judiciairement constatée les revenus des biens dont il aura eu la jouissance et de lui en verser les intérêts légaux à compter du jour de la perception, sans préjudice, le cas échéant, de dommages-intérêts complémentaires.

Si la fraude est imputable au conjoint de la personne déclarée absente, celle-ci sera recevable à attaquer la liquidation du régime matrimonial auquel le jugement déclaratif d’absence aura mis fin (art. 131, al. 2e C.civ.).

III) La disparition

Pour qu’une succession puisse s’ouvrir à cause de mort, encore faut-il être en mesure de démontrer que la personne est réellement décédée.

D’ordinaire, cette preuve est rapportée au moyen de l’acte de décès établi par l’officier d’état civil sur la base du certificat de décès.

Il est néanmoins des situations où ce certificat n’aura pas pu être dressé, en raison de la disparition de la dépouille du défunt et faute pour le médecin d’avoir pu constater la mort par lui-même après avoir réalisé un certain nombre d’examens cliniques.

Pour remédier à cette situation, le décès pourra être constaté par voie de jugement déclaratif.

Cette situation est envisagée aux articles 88 à 92 du Code civil. Elle est plus connue sous le nom de disparition.

==> Notion

L’article 88 du Code civil prévoit en ce sens que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

Parce que dans cette situation tout porte à croire que cette personne est décédée, le législateur a institué une procédure simplifiée, visant présumer la mort de la personne disparue.

==> Procédure

  • Compétence
    • La juridiction compétente diffère selon que la disparition intéresse une ou plusieurs personnes
      • Une seule personne est portée disparue
        • Dans cette hypothèse, la juridiction compétente varie selon les circonstances de la disparition
          • La disparition s’est produite sur un territoire relevant de l’autorité de la France
            • C’est le tribunal judiciaire du lieu de la mort ou de la disparition qui est compétent
          • La disparition s’est produite sur un territoire ne relevant pas de l’autorité de la France
            • C’est le tribunal du domicile ou de la dernière résidence du défunt ou du disparu
          • La disparition s’est produite dans le cadre d’un accident impliquant un aéronef ou un bâtiment
            • C’est le tribunal du lieu du port d’attache de l’aéronef ou du bâtiment qui transportait le disparu
          • La disparition s’est produite dans une circonstance ne correspondant pas aux précédentes
            • C’est le tribunal judiciaire de Paris qui est compétent
      • Plusieurs personnes sont portées disparues
        • L’article 89 du Code civil prévoit que si plusieurs personnes ont disparu au cours du même événement, une requête collective peut être présentée au tribunal du lieu de la disparition, à celui du port d’attache du bâtiment ou de l’aéronef, au tribunal judiciaire de Paris ou à tout autre tribunal judiciaire que l’intérêt de la cause justifie.
  • Acte introductif d’instance
    • La saisine de la juridiction s’opère par voie de requête
  • Auteur de la saisine
    • La juridiction compétente peut être saisie
      • Soit par le procureur de la République
      • Soit par des parties intéressées
  • Présentation de la requête
    • L’article 90, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’elle n’émane pas du procureur de la République, la requête est transmise par son intermédiaire au tribunal.
  • Représentation
    • Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire et tous les actes de la procédure, ainsi que les expéditions et extraits desdits actes, sont dispensés du timbre et enregistrés gratis.
  • Instruction de la demande
    • L’affaire est instruite et jugée en chambre du conseil, ce qui signifie que les audiences ne sont pas publiques.
    • Si le tribunal estime que le décès n’est pas suffisamment établi, il peut ordonner toute mesure d’information complémentaire et requérir notamment une enquête administrative sur les circonstances de la disparition.
  • Décision
    • Si le décès est déclaré sa date doit être fixée en tenant compte des présomptions tirées des circonstances de la cause et, à défaut, au jour de la disparition.
    • En tout état de cause, cette date ne doit jamais être indéterminée.
  • Transcription
    • Le dispositif du jugement déclaratif de décès est transcrit sur les registres de l’état civil du lieu réel ou présumé du décès et, le cas échéant, sur ceux du lieu du dernier domicile du défunt.
    • Mention de la transcription est faite en marge des registres à la date du décès.
    • En cas de jugement collectif, des extraits individuels du dispositif sont transmis aux officiers de l’état civil du dernier domicile de chacun des disparus, en vue de la transcription.

==> Effets du jugement déclaratif de décès

L’article 91, al. 3e du Code civil précise enfin que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa succession peut être ouverte et, par voie de conséquence, son patrimoine être transmis à ses héritiers.

Plus généralement, il pourra être procédé à la liquidation de ses intérêts patrimoniaux et notamment de son régime matrimonial si le disparu était marié.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

La succession s’ouvrira donc à cette date, tout autant que la dissolution de mariage prendra effet à cette même date.

==> Réapparition de la personne déclarée disparue

En application de l’article 92 du Code civil, si celui dont le décès a été judiciairement déclaré reparaît postérieurement au jugement déclaratif, le procureur de la République ou tout intéressé peut poursuivre, dans les formes que le jugement déclaratif, l’annulation du jugement.

Il ressort de cette disposition que si le jugement déclaratif peut être remis en cause, encore faut-il qu’une demande en justice soit formulée.

La seule réapparition du disparu ne permet pas de revenir sur la décision : son annulation requiert l’intervention du juge.

Ce n’est que lorsque la juridiction compétente aura prononcé son annulation que le jugement déclaratif cessera de produire ses effets.

À cet égard, mention de cette annulation doit être faite en marge de la transcription de la décision.

L’objectif recherché ici est d’aviser les tiers de ce changement de situation.

La disparition: régime juridique

Pour qu’une succession puisse s’ouvrir à cause de mort, encore faut-il être en mesure de démontrer que la personne est réellement décédée.

D’ordinaire, cette preuve est rapportée au moyen de l’acte de décès établi par l’officier d’état civil sur la base du certificat de décès.

Il est néanmoins des situations où ce certificat n’aura pas pu être dressé, en raison de la disparition de la dépouille du défunt et faute pour le médecin d’avoir pu constater la mort par lui-même après avoir réalisé un certain nombre d’examens cliniques.

Pour remédier à cette situation, le décès pourra être constaté par voie de jugement déclaratif.

Cette situation est envisagée aux articles 88 à 92 du Code civil. Elle est plus connue sous le nom de disparition.

==> Notion

L’article 88 du Code civil prévoit en ce sens que « peut être judiciairement déclaré, à la requête du procureur de la République ou des parties intéressées, le décès de tout Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’une personne a disparu dans des circonstances de nature à faire sérieusement douter de sa survie (naufrage, effondrement d’une mine, catastrophe naturelle, accident d’avion, incendie etc.), c’est le juge procédera à la constatation du décès pour cause de disparition.

La disparition se distingue de l’absence qui correspond à l’hypothèse où l’on ignore si la personne absente est morte ou encore en vie.

S’agissant de la disparition, il existe une probabilité très élevée que la personne soit décédée, en raison des circonstances violentes dans lesquelles elle a disparu.

Lorsque l’on a la certitude qu’une personne a été victime d’un naufrage ou d’un accident d’avion et que celle-ci ne réapparaît plus, il est vraisemblable, sinon certain qu’elle soit décédée.

Parce que dans cette situation tout porte à croire que cette personne est décédée, le législateur a institué une procédure simplifiée, visant présumer la mort de la personne disparue.

==> Procédure

  • Compétence
    • La juridiction compétente diffère selon que la disparition intéresse une ou plusieurs personnes
      • Une seule personne est portée disparue
        • Dans cette hypothèse, la juridiction compétente varie selon les circonstances de la disparition
          • La disparition s’est produite sur un territoire relevant de l’autorité de la France
            • C’est le tribunal judiciaire du lieu de la mort ou de la disparition qui est compétent
          • La disparition s’est produite sur un territoire ne relevant pas de l’autorité de la France
            • C’est le tribunal du domicile ou de la dernière résidence du défunt ou du disparu
          • La disparition s’est produite dans le cadre d’un accident impliquant un aéronef ou un bâtiment
            • C’est le tribunal du lieu du port d’attache de l’aéronef ou du bâtiment qui transportait le disparu
          • La disparition s’est produite dans une circonstance ne correspondant pas aux précédentes
            • C’est le tribunal judiciaire de Paris qui est compétent
      • Plusieurs personnes sont portées disparues
        • L’article 89 du Code civil prévoit que si plusieurs personnes ont disparu au cours du même événement, une requête collective peut être présentée au tribunal du lieu de la disparition, à celui du port d’attache du bâtiment ou de l’aéronef, au tribunal judiciaire de Paris ou à tout autre tribunal judiciaire que l’intérêt de la cause justifie.
  • Acte introductif d’instance
    • La saisine de la juridiction s’opère par voie de requête
  • Auteur de la saisine
    • La juridiction compétente peut être saisie
      • Soit par le procureur de la République
      • Soit par des parties intéressées
  • Présentation de la requête
    • L’article 90, al. 1er du Code civil prévoit que lorsqu’elle n’émane pas du procureur de la République, la requête est transmise par son intermédiaire au tribunal.
  • Représentation
    • Le ministère d’avocat n’est pas obligatoire et tous les actes de la procédure, ainsi que les expéditions et extraits desdits actes, sont dispensés du timbre et enregistrés gratis.
  • Instruction de la demande
    • L’affaire est instruite et jugée en chambre du conseil, ce qui signifie que les audiences ne sont pas publiques.
    • Si le tribunal estime que le décès n’est pas suffisamment établi, il peut ordonner toute mesure d’information complémentaire et requérir notamment une enquête administrative sur les circonstances de la disparition.
  • Décision
    • Si le décès est déclaré sa date doit être fixée en tenant compte des présomptions tirées des circonstances de la cause et, à défaut, au jour de la disparition.
    • En tout état de cause, cette date ne doit jamais être indéterminée.
  • Transcription
    • Le dispositif du jugement déclaratif de décès est transcrit sur les registres de l’état civil du lieu réel ou présumé du décès et, le cas échéant, sur ceux du lieu du dernier domicile du défunt.
    • Mention de la transcription est faite en marge des registres à la date du décès.
    • En cas de jugement collectif, des extraits individuels du dispositif sont transmis aux officiers de l’état civil du dernier domicile de chacun des disparus, en vue de la transcription.

==> Effets du jugement déclaratif de décès

L’article 91, al. 3e du Code civil précise enfin que « les jugements déclaratifs de décès tiennent lieu d’actes de décès et sont opposables aux tiers, qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1 du présent code. »

Ainsi, la personne qui est déclarée disparue est réputée décédée à l’instar de la personne qui est déclarée absente.

Il en résulte que sa succession peut être ouverte et, par voie de conséquence, son patrimoine être transmis à ses héritiers.

Plus généralement, il pourra être procédé à la liquidation de ses intérêts patrimoniaux et notamment de son régime matrimonial si le disparu était marié.

S’agissant de la date à laquelle il y a lieu de faire jouer les effets de la disparition, il convient de retenir, non pas la date de prononcé du jugement, mais la date à laquelle le disparu est réputé mort, laquelle doit nécessairement être fixée par la décision.

La succession s’ouvrira donc à cette date, tout autant que la dissolution de mariage prendra effet à cette même date.

==> Réapparition de la personne déclarée disparue

En application de l’article 92 du Code civil, si celui dont le décès a été judiciairement déclaré reparaît postérieurement au jugement déclaratif, le procureur de la République ou tout intéressé peut poursuivre, dans les formes que le jugement déclaratif, l’annulation du jugement.

Il ressort de cette disposition que si le jugement déclaratif peut être remis en cause, encore faut-il qu’une demande en justice soit formulée.

La seule réapparition du disparu ne permet pas de revenir sur la décision : son annulation requiert l’intervention du juge.

Ce n’est que lorsque la juridiction compétente aura prononcé son annulation que le jugement déclaratif cessera de produire ses effets.

À cet égard, mention de cette annulation doit être faite en marge de la transcription de la décision.

L’objectif recherché ici est d’aviser les tiers de ce changement de situation.

L’absence: régime juridique

L’absence est définie à l’article 112 du Code civil comme la situation d’une personne qui « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles ».

Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où une personne ne s’est pas manifestée auprès de ses proches pendant une période prolongée, de sorte que l’on ignore si elle est encore en vie ou si elle est décédée.

Cette situation se rencontrera essentiellement à des époques troublées par la guerre, la révolution ou encore des catastrophes naturelles.

Quel que soit le motif de l’absence, faute de certitude sur la situation de la personne qui ne donne plus aucun signe de vie, la question se pose de savoir ce qu’il doit advenir de son patrimoine.

Doit-on désigner un administrateur aux fins d’administrer ses biens dans l’attente que l’absent réapparaisse ou doit-on ouvrir sa succession ?

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 112 à 132 du Code civil qui règlent la situation de l’absence.

À l’analyse, le dispositif mis en place distingue deux périodes qui se succèdent:

  • La présomption d’absence qui fait primer la vie sur la mort
  • La déclaration d’absence qui fait primer la mort sur la vie

I) La présomption d’absence

A) Conditions

L’article 112 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Il ressort de cette disposition que pour qu’une personne soit présumée absente, ce qui a pour effet de placer cette personne, à l’instar de l’incapable majeur, sous mesure de protection, un certain nombre de conditions doivent être réunies, les unes tenant au fond, les autres à la procédure.

  • Conditions procédurales
    • Pour que la présomption d’absence puisse jouer, une demande doit être formulée auprès du juge des tutelles qui a pour mission de vérifier que les conditions de l’absence sont bien réunies.
    • Compte tenu des lourdes conséquences attachées à l’absence, le dispositif de protection prévu par le Code civil ne saurait être déclenché sans contrôle.
    • S’agissant des personnes autorisées à saisir le juge des tutelles il s’agit :
      • D’une part de toute personne intéressée (conjoint, membres de la famille, héritiers présomptifs, créanciers etc.)
      • D’autre part, le ministère public qui, en application de l’article 117 du Code civil, « est spécialement chargé de veiller aux intérêts des présumés absents».
    • En application de l’article 1062 du Code de procédure civile, les demandes relatives à la présomption d’absence sont présentées au juge des tutelles qui exerce ses fonctions au tribunal judiciaire dans le ressort duquel la personne dont il s’agit de constater la présomption d’absence demeure ou a eu sa dernière résidence.
    • À défaut, le juge compétent est celui du tribunal judiciaire du lieu où demeure le demandeur.
    • L’article 1063 du CPC précise que « la demande est formée, instruite et jugée selon les règles applicables à la tutelle des majeurs. »
  • Conditions de fond
    • L’article 112 du Code civil prévoit que la présomption d’absence ne peut être constatée qu’à la condition qu’il soit démontré que la personne visée par la mesure « a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles »
    • Deux éléments caractérisent donc l’absence :
      • L’absent doit avoir cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence
      • L’absent doit n’avoir plus donné aucune nouvelle
    • Ce sont ces éléments que le juge devra vérifier, étant précisé que si l’absence résulte de circonstances de nature à faire sérieusement douter de la survie de l’absent (tempête en mer, effondrement d’une mine etc.), alors c’est plutôt la procédure de disparition qu’il y aura lieu de mettre en œuvre.
    • En dehors de ce cas de figure, il est indifférent que l’absence résulte d’un fait involontaire ou volontaire.
    • Ce qui importe, c’est qu’il soit établi que la personne dont on ignore la situation ne se soit pas manifestée pendant une longue période
    • L’absence étant un fait juridique, la preuve est libre. Elle peut donc être rapportée par tous moyens.
    • À cet égard, le juge est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation des circonstances qui entourent l’absence.

B) Décision

Lorsque les conditions sont réunies, le juge rend une décision constatant la présomption d’absence.

Cette décision emporte deux effets majeurs :

  • Elle fixe le point de départ du délai au terme duquel la présomption d’absence sera convertie en déclaration d’absence, soit en un acte qui présumé l’absent mort
  • Elle instaure un système de représentation de l’absent qui fait l’objet des mêmes mesures de protection que celles prises à la faveur de l’incapable majeur

C) Opposabilité

Afin de rendre opposable aux tiers la situation d’absence, la décision prise par le juge doit faire l’objet de mesures de publicité.

L’article 1064 du CPC prévoit en ce sens qu’un extrait de toute décision constatant une présomption d’absence ou désignant une personne pour représenter un présumé absent et administrer ses biens ainsi que de toute décision portant modification ou suppression des mesures prises est transmis au greffe du tribunal judiciaire dans le ressort duquel est née la personne présumée absente, à fin de conservation au répertoire civil et de publicité par mention en marge de l’acte de naissance, selon les modalités prévues aux articles 1057 à 1061.

La transmission est faite au service central d’état civil pour les personnes nées à l’étranger.

Lorsque la décision a été rendue par le juge des tutelles, la transmission est faite par le greffier du tribunal judiciaire dans les quinze jours qui suivent l’expiration des délais de recours.

Lorsque la décision a été rendue par la cour d’appel, la transmission est faite par le greffe de cette cour dans les quinze jours de l’arrêt.

D) Protection de l’absent

Durant toute la période au cours de laquelle la présomption d’absence joue l’absent est présumé en vie, ce qui signifie que, à ce stade, non seulement sa succession ne saurait s’ouvrir, mais encore il conserve sa capacité à hériter comme précisé par l’article 725 du Code civil.

La présomption d’absence est, par ailleurs, sans incidence sur la situation matrimoniale de l’absent qui demeure marié ou pacsé.

Cette présomption emporte pour seule conséquence l’instauration d’une mesure de représentation de l’absent qui est traité comme un incapable, en ce qu’il fait l’objet des mêmes mesures de protection.

==> Contenu de la protection

L’article 113 du Code civil prévoit en ce sens que « le juge peut désigner un ou plusieurs parents ou alliés, ou, le cas échéant, toutes autres personnes pour représenter la personne présumée absente dans l’exercice de ses droits ou dans tout acte auquel elle serait intéressée, ainsi que pour administrer tout ou partie de ses biens »

Lorsqu’un représentant est désigné, le texte précise que la représentation du présumé absent et l’administration de ses biens sont alors soumises :

  • Soit aux règles applicables à la tutelle des majeurs sans conseil de famille,
  • Soit, à titre exceptionnel et sur décision expresse du juge, aux règles de l’habilitation familiale si le représentant est une des personnes mentionnées à l’article 494-1.

Par ailleurs, l’article 114 du Code civil précise que le juge peut fixer, s’il l’estime nécessaire et suivant l’importance des biens du présumé absent, les sommes qu’il convient d’affecter annuellement à l’entretien de la famille ou aux charges du mariage.

Il peut encore spécifier comment devront être réglées les dépenses d’administration ainsi qu’éventuellement la rémunération qui peut être allouée à la personne chargée de la représentation du présumé absent et de l’administration de ses biens.

Enfin, le juge peut, à tout moment et même d’office, mettre fin à la mission de l’administrateur des biens de l’absent et peut également procéder à son remplacement.

==> Subsidiarité de la protection

Le dispositif de représentation n’a vocation à jouer qu’à titre subsidiaire.

L’article 121 prévoit, en effet que :

  • D’une part, le système de représentation tel que prévu par les articles 113 et suivants du Code civil n’est pas applicable aux présumés absents lorsqu’ils ont laissé une procuration suffisante à l’effet de les représenter et d’administrer leurs biens.
  • D’autre part, il en est de même si le conjoint peut pourvoir suffisamment aux intérêts en cause par l’application du régime matrimonial, et notamment par l’effet d’une décision obtenue en vertu des articles 217 (autorisation judiciaire) et 219 (représentation judiciaire), 1426 et 1429 (dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux).

==> Extinction de la présomption d’absence

Les effets attachés à la présomption d’absence peuvent prendre fin dans deux cas :

  • L’absent réapparaît à son domicile ou donne des nouvelles
    • L’article 118 du Code civil prévoit que « si un présumé absent reparaît ou donne de ses nouvelles, il est, sur sa demande, mis fin par le juge aux mesures prises pour sa représentation et l’administration de ses biens.»
    • Il est ainsi mis fin aux effets de la présomption d’absence, lorsque l’absent se manifeste.
    • La réapparition de l’absent interrompt alors le délai de 10 ans au terme duquel la déclaration d’absence était susceptible d’intervenir.
    • Les mesures de protection prises à son bénéfice ne sont néanmoins pas suspendues de plein droit.
    • La mainlevée de ces mesures doit être expressément demandée par l’absent auprès du Juge des tutelles.
    • Ce n’est que si le juge des tutelles estime que le présumé absent est en capacité de pourvoir seul à ses besoins et d’administrer son patrimoine, qu’il pourra recouvrer « les biens gérés ou acquis pour son compte durant la période de l’absence ».
  • L’absent est décédé
    • Dès lors qu’il est établi que l’absent est décédé, la présomption d’absence est anéantie.
    • La période de présomption d’absence est, par le jeu d’un effet rétroactif, réputé avoir pris fin au jour du décès de l’absent.
    • Il en résulte que tous les actes accomplis par le représentant postérieurement à la date du décès sont frappés de nullité.
    • L’article 119 du Code civil tempère néanmoins la rétroactivité des effets du décès, en prévoyant que « les droits acquis sans fraude, sur le fondement de la présomption d’absence, ne sont pas remis en cause lorsque le décès de l’absent vient à être établi ou judiciairement déclaré, quelle que soit la date retenue pour le décès. »
    • L’objectif poursuivi par ce texte est de préserver les intérêts des tiers de bonne foi, faute de quoi le système mis en place pourrait avoir pour conséquence de les dissuader de contracter avec le représentant de l’absent durant la période de présomption d’absence.

II) La déclaration d’absence

Lorsque la période de présomption d’absence arrive à son terme, s’amorce une seconde phase, celle de la déclaration d’absence qui conduit à présumer l’absent décédé.

Il ne s’agit donc plus ici d’assurer la protection de l’absent dont on présume qu’il est en vie, mais d’organiser la liquidation de ses intérêts, puisqu’on présume dorénavant qu’il est mort.

A) L’exigence de durée

Le basculement de la présomption de vie vers une présomption de mort s’opère au bout d’un délai compris entre 10 et 20 ans selon le cas.

À l’analyse, ce délai varie selon que la présomption d’absence a ou non été judiciairement constatée

  • La présomption d’absence a été judiciairement constatée
    • L’article 122 du Code civil prévoit que « lorsqu’il se sera écoulé dix ans depuis le jugement qui a constaté la présomption d’absence, soit selon les modalités fixées par l’article 112, soit à l’occasion de l’une des procédures judiciaires prévues par les articles 217 et 219, 1426 et 1429, l’absence pourra être déclarée par le tribunal judiciaire à la requête de toute partie intéressée ou du ministère public».
    • Ainsi, dès lors que la présomption d’absence a été régulièrement constatée par le juge, la déclaration d’absence peut être prononcée.
    • Ce délai commence à courir à compter de la date fixée dans la décision qui a constaté la présomption d’absence
  • La présomption d’absence n’a pas été judiciairement constatée
    • L’absence de constatation judiciaire de la présomption d’absence n’est pas un obstacle au prononcé de la déclaration d’absence
    • L’article 122 du Code civil prévoit en ce sens que l’absence peut être déclarée lorsque « à défaut d’une telle constatation, la personne aura cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence, sans que l’on en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans. »
    • Cette hypothèse se rencontrera notamment, lorsque le patrimoine du présumé absent aura été administré par un mandataire, de sorte que le recours à la procédure visant à obtenir des mesures de protection était sans intérêt.
    • Aussi, s’il n’est pas nécessaire d’obtenir la constatation judiciaire de la présomption d’absence, le délai pour obtenir la déclaration d’absence est doublé.
    • La difficulté pour le demandeur consistera à rapporter la preuve de l’écoulement d’un délai de 20 ans.
    • Ainsi que l’observait Jean foyer l’objectif est ici « de protéger les intérêts d’un présumé absent contre des proches qui ne se sont pas montrés diligents pour la gestion de son patrimoine, ou dont on pourrait craindre qu’ils soient tentés de faire déclarer frauduleusement l’absence d’une personne vivante durablement éloignée de ses affaires».

B) Procédure

La demande se rapportant à la déclaration d’absence répond à des exigences procédurales très strictes.

==> Introduction de l’instance

  • Une requête
    • La demande de déclaration d’absence est formulée par voie de requête ( 122 C. civ.).
  • Auteur de la requête
    • La requête peut être présentée par toute partie intéressée ou du ministère public
  • La date de présentation de la requête
    • L’article 125 du Code civil prévoit que la requête introductive d’instance peut être présentée dès l’année précédant l’expiration des délais de 10 et 20 ans prévus par l’article 122.
  • Compétence
    • En application de l’article 1066 du CPC, les demandes relatives à la déclaration d’absence d’une personne sont portées devant le tribunal judiciaire dans le ressort duquel celle-ci demeure ou a eu sa dernière résidence.
    • À défaut, le tribunal compétent est celui du lieu où demeure le demandeur
  • Publicité de la requête
    • L’article 123 du Code civil dispose que des extraits de la requête aux fins de déclaration d’absence, après avoir été visés par le ministère public, doivent être publiés dans deux journaux diffusés dans le département ou, le cas échéant, dans le pays du domicile ou de la dernière résidence de la personne demeurée sans donner de nouvelles.
    • Le tribunal, saisi de la requête, peut en outre ordonner toute autre mesure de publicité dans tout lieu où il le juge utile.
    • Ces mesures de publicité sont assurées par la partie qui présente la requête.
    • L’objectif visé est d’alerter l’absent de la procédure de déclaration d’absence qui s’amorce, laquelle est susceptible d’emporter de lourdes conséquences pour sa situation personnelle et patrimoniale puisqu’il s’expose à être présumé mort.
  • Caducité de la requête
    • L’article 126 du CPC prévoit que la requête aux fins de déclaration d’absence est considérée comme non avenue lorsque l’absent reparaît ou que la date de son décès vient à être établie, antérieurement au prononcé du jugement.

==> Instruction

  • Règles applicables
    • L’article 1067 du CPC prévoit que la demande est formée, instruite et jugée comme en matière gracieuse.
  • Pouvoirs du juge
    • En application de l’article 124 du Code civil, dès que les extraits en ont été publiés, la requête est transmise, par l’intermédiaire du procureur de la République, au tribunal qui statue d’après les pièces et documents produits et eu égard aux conditions de la disparition, ainsi qu’aux circonstances qui peuvent expliquer le défaut de nouvelles.
    • Le tribunal peut ordonner toute mesure d’information complémentaire et prescrire, s’il y a lieu, qu’une enquête soit faite contradictoirement avec le procureur de la République, quand celui-ci n’est pas lui-même requérant, dans tout lieu où il le jugera utile, et notamment dans l’arrondissement du domicile ou dans ceux des dernières résidences, s’ils sont distincts.

==> Décision

  • Exigence de délai
    • L’article 125 du Code civil exige que le jugement déclaratif d’absence soit rendu un an au moins après la publication des extraits de la requête.
  • Contenu de la décision
    • Après s’être appuyé sur les éléments produits par le requérant ainsi que sur ceux résultant éventuellement des mesures d’instruction qui auront été prises, le juge rend une décision qui constate que la personne présumée absente n’a pas reparu au cours des délais visés à l’article 122.
    • Le juge est investi, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation
  • Publicité de la décision
    • Lorsque le jugement déclaratif d’absence est rendu, des extraits en sont publiés selon les modalités prévues à l’article 123, dans le délai fixé par le tribunal.
    • L’article 1068 du CPC précise que le délai dans lequel doivent être publiés les extraits du jugement déclaratif d’absence ne peut excéder six mois à compter du prononcé de ce jugement ; il est mentionné dans les extraits soumis à publication.
    • La décision est réputée non avenue si elle n’a pas été publiée dans ce délai.
  • Transcription de la décision sur les registres d’état civil
    • En application de l’article 127 du Code civil, quand le jugement est passé en force de chose jugée, soit lorsque les délais de recours sont écoulés, son dispositif est transcrit à la requête du procureur de la République sur les registres des décès du lieu du domicile de l’absent ou de sa dernière résidence.
    • Mention de cette transcription est faite en marge des registres à la date du jugement déclarant l’absence ; elle est également faite en marge de l’acte de naissance de la personne déclarée absente.
  • Opposabilité aux tiers
    • L’article 127 du Code civil prévoit que la seule transcription d’état civil rend le jugement opposable aux tiers qui peuvent seulement en obtenir la rectification ou l’annulation, conformément aux articles 99 et 99-1.
  • Voies de recours
    • Le jugement déclaratif d’absence peut être frappé d’appel.
    • Conformément à l’article 1069 du CPC, le délai d’appel court à l’égard des parties et des tiers auxquels le jugement a été notifié, un mois après l’expiration du délai fixé par le tribunal pour l’accomplissement des mesures de publicité de l’article 127 du code civil.
    • L’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.

C) Le statut du déclaré absent

L’article 128 du Code civil prévoit que « le jugement déclaratif d’absence emporte, à partir de la transcription, tous les effets que le décès établi de l’absent aurait eus. »

Ce jugement produit donc l’effet inverse que la présomption d’absence : l’absent bascule du statut de présumé en vie en présumé mort.

Il en résulte alors plusieurs conséquences :

  • Tout d’abord, comme précisé par l’article 128 du Code civil, les mesures prises pour l’administration des biens de l’absent prennent fin, sauf décision contraire du tribunal ou, à défaut, du juge qui les a ordonnées.
  • Ensuite, l’union conjugale qui aurait été contractée par le déclaré absent (mariage ou pacs) est dissoute, de sorte que s’ouvre une phase de liquidation du régime matrimonial
  • Enfin et surtout, la personnalité juridique de l’absent s’éteint, ce qui autorise l’ouverture de sa succession et donc la transmission de son patrimoine à ses héritiers.

Il peut être observé que, conformément à l’article 129, al. 1er du Code civil, le jugement déclaratif d’absence prend effet à compter du jour de sa transcription dans le registre d’état civil.

D) La réapparition du déclaré absent

Lorsque l’absence est judiciairement déclarée, un retour en arrière est possible si le déclaré absent réapparaît. Tout ne sera néanmoins pas comme avant.

==> Procédure

L’article 129 du Code civil prévoit que « si l’absent reparaît ou si son existence est prouvée postérieurement au jugement déclaratif d’absence, l’annulation de ce jugement peut être poursuivie, à la requête du procureur de la République ou de toute partie intéressée. »

Il ressort de cette disposition que, comme en matière de présomption d’absence, la remise en cause de la déclaration d’absence requiert à la formulation d’une demande en justice émanant, soit du procureur, soit de toute partie intéressée.

Après avoir constaté que le déclaré absent est, en réalité, bien vivant, le juge prononce l’annulation de la déclaration d’absence.

En application de l’article 129, al. 3e du Code civil le dispositif du jugement d’annulation est alors publié sans délai, selon les modalités fixées par l’article 123.

Mention de cette décision doit être portée, dès sa publication, en marge du jugement déclaratif d’absence et sur tout registre qui y fait référence.

==> Situation du déclaré absent

S’agissant de la situation du déclaré absent qui réapparaît, il peut être observé que l’annulation de la déclaration d’absence ne produit aucun effet rétroactif.

Il en résulte que cette annulation ne remet pas en cause les actes accomplis durant la période d’absence.

À cet égard, l’article 132 du Code civil prévoit que « le mariage de l’absent reste dissous, même si le jugement déclaratif d’absence a été annulé. »

Tout au plus, l’article 130 dispose que l’absent dont l’existence est judiciairement constatée recouvre

  • D’une part, ses biens et ceux qu’il aurait dû recueillir pendant son absence dans l’état où ils se trouvent
  • D’autre part, le prix de ceux qui auraient été aliénés ou les biens acquis en emploi des capitaux ou des revenus échus à son profit

Dans l’hypothèse où la déclaration d’absence aurait été provoquée par la fraude, l’article 131 du Code civil prévoit que l’auteur de cette fraude sera tenu de restituer à l’absent dont l’existence est judiciairement constatée les revenus des biens dont il aura eu la jouissance et de lui en verser les intérêts légaux à compter du jour de la perception, sans préjudice, le cas échéant, de dommages-intérêts complémentaires.

Si la fraude est imputable au conjoint de la personne déclarée absente, celle-ci sera recevable à attaquer la liquidation du régime matrimonial auquel le jugement déclaratif d’absence aura mis fin (art. 131, al. 2e C.civ.).