Conditions de mise en oeuvre de la responsabilité contractuelle: le fait générateur

Cinquième et dernière sanction susceptible d’être encourue par la partie qui a manqué à ses obligations contractuelles : la condamnation au paiement de dommages et intérêts.

Cette sanction prévue par l’article 1217 du Code civil présente la particularité de pouvoir être cumulée avec les autres sanctions énoncées par le texte. Anciennement traitée aux articles 1146 à 1155 du Code civil, elle est désormais envisagée dans une sous-section 5 intitulée « la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat ».

Tel qu’indiqué par l’intitulé de cette sous-section 5, l’octroi des dommages et intérêts au créancier vise, à réparer les conséquences de l’inexécution contractuelle dont il est victime.

Si, à certains égards, le système ainsi institué se rapproche de l’exécution forcée par équivalent, en ce que les deux sanctions se traduisent par le paiement d’une somme d’argent, il s’en distingue fondamentalement, en ce que l’octroi de dommages et intérêts a pour finalité, non pas de garantir l’exécution du contrat, mais de réparer le préjudice subi par le créancier du fait de l’inexécution du contrat. Les finalités recherchées sont donc différentes.

S’agissant de l’octroi de dommages et intérêts au créancier victime d’un dommage, le mécanisme institué aux articles 1231 et suivants du Code civil procède de la mise en œuvre d’une figure bien connue du droit des obligations, sinon centrale : la responsabilité contractuelle.

Classiquement, il est admis que cette forme de responsabilité se rapproche très étroitement de la responsabilité délictuelle.

Ce rapprochement ne signifie pas pour autant que les deux régimes de responsabilité se confondent, bien que le maintien de leur distinction soit contesté par une partie de la doctrine.

En effet, à l’instar de la responsabilité délictuelle la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :

  • L’inexécution d’une obligation contractuelle
  • Un dommage
  • Un lien de causalité entre l’inexécution de l’obligation et le dommage

Nous nous focaliserons ici sur la première condition.

L’article 1231-1 du Code civil dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »

Il ressort de cette disposition que, pour être remplie, la condition tenant à l’exécution contractuelle, un manquement contractuel doit, d’une part, être caractérisé. D’autre part, ce manquement doit pouvoir être imputé au débiteur, faute de quoi sa responsabilité ne pourra pas être recherchée.

1. L’exigence d’un manquement contractuel

L’article 1231-1 du Code civil subordonne la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle à l’existence :

  • Soit à l’inexécution de l’obligation
  • Soit d’un retard dans l’exécution de l’obligation

Il ressort de cette disposition que l’inexécution contractuelle doit être entendue largement, celle-ci pouvant être totale ou partielle. Mais elle peut également consister en une exécution tardive ou défectueuse.

Plus généralement, l’inexécution visée par l’article 1231-1 du Code civil s’apparente en un manquement, par le débiteur, aux stipulations contractuelles.

La question qui alors se pose est de savoir en quoi ce manquement doit-il consister pour être générateur de responsabilité contractuelle ; d’où il s’ensuit la problématique de la preuve.

a. Le contenu du manquement

Très tôt la question s’est donc posée de savoir ce que l’on doit entendre par manquement contractuel, le Code civil étant silencieux sur ce point.

Plus précisément on s’est demandé si, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur, le manquement constaté devait être constitutif d’une faute ou si l’établissement d’une faute était indifférent.

a.1. Problématique de la faute

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil semblait apporter deux réponses contradictoires à cette interrogation.

  • D’un côté, l’article 1137, al. 1er disposait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables. »
    • On en déduisait, que pour rechercher la responsabilité contractuelle du débiteur, il appartenait au créancier, non seulement de rapporter la preuve d’une inexécution, mais encore d’établir que le débiteur ne s’était pas comporté en bon père de famille.
    • Classiquement, l’expression « bon père de famille » désigne la personne qui est avisée, soignée et diligente.
    • Conformément à cette définition, le débiteur ne pourrait, dès lors, voir sa responsabilité contractuelle engagée que s’il peut lui être reproché des faits de négligence ou d’imprudence que le contractant, bon père de famille, placé dans les mêmes conditions, n’aurait pas commis.
  • D’un autre côté, l’article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • À la différence de l’ancien article 1137 du Code civil cette disposition n’exigeait pas du créancier qu’il prouve que le débiteur ne s’est pas comporté en bon père de famille pour que sa responsabilité puisse être recherchée.
    • Il s’évinçait donc de l’article 1147 que l’absence de faute du débiteur était sans incidence : seule importe l’existence d’une inexécution contractuelle.

Au bilan, tandis que l’ancien article 1137 du Code civil subordonnait la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle à l’établissement d’une faute, l’article 1147 ne l’exigeait pas, la seule inexécution contractuelle se suffisant à elle-même.

Pour sortir de l’impasse et résoudre cette contradiction, un auteur, René Demogue, suggéra de raisonner en opérant une distinction entre :

  • D’une part, les obligations de moyens qui relèveraient de l’application de l’article 1137 du Code civil
  • D’autre part, les obligations de résultat qui obéiraient, quant à elles, à la règle posée à l’article 1147

a.2. Obligations de moyens et obligations de résultat

==>Exposé de la distinction

Demogue soutenait ainsi que la conciliation entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil tenait à la distinction entre les obligations de résultat et les obligations de moyens :

  • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur est contraint d’atteindre un résultat déterminé
    • Exemple: Dans le cadre d’un contrat de vente, pèse sur le vendeur une obligation de résultat : celle livrer la chose promise. L’obligation est également de résultat pour l’acheteur qui s’engage à payer le prix convenu.
    • Il suffira donc au créancier de démontrer que le résultat n’a pas été atteint pour établir un manquement contractuel, source de responsabilité pour le débiteur
  • L’obligation est de moyens lorsque le débiteur s’engage à mobiliser toutes les ressources dont il dispose pour accomplir la prestation promise, sans garantie du résultat
    • Exemplele médecin a l’obligation de soigner son patient, mais n’a nullement l’obligation de le guérir.
    • Dans cette configuration, le débiteur ne promet pas un résultat : il s’engage seulement à mettre en œuvre tous les moyens que mettrait en œuvre un bon père de famille pour atteindre le résultat

La distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat rappelle immédiatement la contradiction entre les anciens articles 1137 et 1147 du Code civil.

  • En matière d’obligation de moyens
    • Pour que la responsabilité du débiteur puisse être recherchée, il doit être établi que celui-ci a commis une faute, soit que, en raison de sa négligence ou de son imprudence, il n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat promis.
    • Cette règle n’est autre que celle posée à l’ancien article 1137 du Code civil.
  • En matière d’obligation de résultat
    • Il est indifférent que le débiteur ait commis une faute, sa responsabilité pouvant être recherchée du seul fait de l’inexécution du contrat.
    • On retrouve ici la règle édictée à l’ancien article 1147 du Code civil.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat.

==>Critères de la distinction

En l’absence d’indications textuelles, il convient de se reporter à la jurisprudence qui se détermine au moyen d’un faisceau d’indices.

Plusieurs critères – non cumulatifs – sont, en effet, retenus par le juge pour déterminer si l’on est en présence d’une obligation de résultat ou de moyens :

  • La volonté des parties
    • La distinction entre obligation de résultat et de moyens repose sur l’intensité de l’engagement pris par le débiteur envers le créancier.
    • La qualification de l’obligation doit donc être appréhendée à la lumière des clauses du contrat et, le cas échéant, des prescriptions de la loi.
    • En cas de silence de contrat, le juge peut se reporter à la loi qui, parfois, détermine si l’obligation est de moyens ou de résultat.
    • En matière de mandat, par exemple, l’article 1991 du Code civil dispose que « le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ».
    • C’est donc une obligation de résultat qui pèse sur le mandataire.
  • Le contrôle de l’exécution
    • L’obligation est de résultat lorsque le débiteur a la pleine maîtrise de l’exécution de la prestation due.
    • Inversement, l’obligation est plutôt de moyens, lorsqu’il existe un aléa quant à l’obtention du résultat promis
    • En pratique, les obligations qui impliquent une action matérielle sur une chose sont plutôt qualifiées de résultat.
    • À l’inverse, le médecin, n’est pas tenu à une obligation de guérir (qui serait une obligation de résultat) mais de soigner (obligation de moyens).
    • La raison en est que le médecin n’a pas l’entière maîtrise de la prestation éminemment complexe qu’il fournit.
  • Rôle actif/passif du créancier
    • L’obligation est de moyens lorsque le créancier joue un rôle actif dans l’exécution de l’obligation qui échoit au débiteur
    • En revanche, l’obligation est plutôt de résultat, si le créancier n’intervient pas

==>Mise en œuvre de la distinction

Le recours à la technique du faisceau d’indices a conduit la jurisprudence à ventiler les principales obligations selon qu’elles sont de moyens ou de résultat.

L’examen de la jurisprudence révèle néanmoins que cette dichotomie entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’est pas toujours aussi marquée.

Il est, en effet, certaines obligations qui peuvent être à cheval sur les deux catégories, la jurisprudence admettant, parfois, que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve qu’il n’a commis aucune faute.

Pour ces obligations on parle d’obligations de résultat atténué ou d’obligation de moyens renforcée : c’est selon. Trois variétés d’obligations doivent donc, en réalité, être distinguées.

  • Les obligations de résultat
    • Au nombre des obligations de résultat on compte notamment :
      • L’obligation de payer un prix, laquelle se retrouve dans la plupart des contrats (vente, louage d’ouvrage, bail etc.)
      • L’obligation de délivrer la chose en matière de contrat de vente
      • L’obligation de fabriquer la chose convenue dans le contrat de louage d’ouvrage
      • L’obligation de restituer la chose en matière de contrat de dépôt, de gage ou encore de prêt
      • L’obligation de mettre à disposition la chose et d’en assurer la jouissance paisible en matière de contrat de bail
      • L’obligation d’acheminer des marchandises ou des personnes en matière de contrat de transport
      • L’obligation de sécurité lorsqu’elle est attachée au contrat de transport de personnes (V. en ce sens Cass. ch. mixte, 28 nov. 2008, n° 06-12.307).
  • Les obligations de résultat atténuées ou de moyens renforcées
    • Parfois la jurisprudence admet donc que le débiteur d’une obligation de résultat puisse s’exonérer de sa responsabilité.
    • Pour ce faire, il devra renverser la présomption de responsabilité en démontrant qu’il a exécuté son obligation sans commettre de faute.
    • Tel est le cas pour :
      • L’obligation de conservation de la chose en matière de contrat de dépôt
      • L’obligation qui pèse sur le preneur en matière de louage d’immeuble qui, en application de l’article 1732 du Code civil, « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute »
      • L’obligation de réparation qui échoit au garagiste et plus généralement à tout professionnel qui fournit une prestation de réparation de biens (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 2 févr. 1994, n°91-18764).
      • L’obligation qui échoit sur le transporteur, en matière de transport maritime, qui « est responsable de la mort ou des blessures des voyageurs causées par naufrage, abordage, échouement, explosion, incendie ou tout sinistre majeur, sauf preuve, à sa charge, que l’accident n’est imputable ni à sa faute ni à celle de ses préposés » (art. L. 5421-4 du code des transports)
      • L’obligation de conseil que la jurisprudence appréhende parfois en matière de contrats informatiques comme une obligation de moyen renforcée.
  • Les obligations de moyens
    • À l’analyse les obligations de moyens sont surtout présentes, soit dans les contrats qui portent sur la fourniture de prestations intellectuelles, soit lorsque le résultat convenu entre les parties est soumis à un certain aléa
    • Aussi, au nombre des obligations de moyens figurent :
      • L’obligation qui pèse sur le médecin de soigner son patient, qui donc n’a nullement l’obligation de guérir (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 4 janv. 2005, n°03-13.579).
        • Par exception, l’obligation qui échoit au médecin est de résultat lorsqu’il vend à son patient du matériel médical qui est légitimement en droit d’attendre que ce matériel fonctionne (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°03-12.146).
        • Il en va de même s’agissant de l’obligation d’information qui pèse sur le médecin, la preuve de l’exécution de cette obligation étant à sa charge et pouvant se faire par tous moyens.
      • L’obligation qui pèse sur la partie qui fournit une prestation intellectuelle, tel que l’expert, l’avocat (réserve faite de la rédaction des actes), l’enseignant,
      • L’obligation qui pèse sur le mandataire qui, en application de l’article 1992 du Code civil « répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion. »
      • L’obligation de surveillance qui pèse sur les structures qui accueillent des enfants ou des majeurs protégés (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-12.891).

==>Sort de la distinction après la réforme du droit des obligations

La lecture de l’ordonnance du 10 février 2016 révèle que la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat n’a pas été reprise par le législateur, à tout le moins formellement.

Est-ce à dire que cette distinction a été abandonnée, de sorte qu’il n’a désormais plus lieu d’envisager la responsabilité du débiteur selon que le manquement contractuel porte sur une obligation de résultat ou de moyens ?

Pour la doctrine rien n’est joué. Il n’est, en effet, pas à exclure que la Cour de cassation maintienne la distinction en s’appuyant sur les nouveaux articles 1231-1 et 1197 du Code civil, lesquels reprennent respectivement les anciens articles 1147 et 1137.

Pour s’en convaincre il suffit de les comparer :

  • S’agissant des articles 1231-1 et 1147
    • L’ancien article 1147 prévoyait que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
    • Le nouvel article 1231-1 prévoit que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
  • S’agissant des articles 1197 et 1137
    • L’ancien article 1137 prévoyait que « l’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins raisonnables ».
    • Le nouvel article 1197 prévoit que « l’obligation de délivrer la chose emporte obligation de la conserver jusqu’à la délivrance, en y apportant tous les soins d’une personne raisonnable. »

Une analyse rapide de ces dispositions révèle que, au fond, la contradiction qui existait entre les anciens articles 1137 et 1147 a survécu à la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 et la loi de ratification du 21 avril 2018, de sorte qu’il y a tout lieu de penser que la Cour de cassation ne manquera pas de se saisir de ce constat pour confirmer la jurisprudence antérieure.

b. La preuve du manquement

La mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est subordonnée à la preuve d’un manquement contractuel.

Deux questions alors se posent :

  • D’une part, sur qui pèse la charge de la preuve ?
  • D’autre part, quel est l’objet de la preuve ?

Ces questions sont manifestement indissociables de la problématique consistant à se demander si, pour engager la responsabilité contractuelle du débiteur, le manquement constaté doit être constitutif d’une faute ou si l’établissement d’une faute est indifférent.

Le régime de la preuve en matière contractuelle est, en effet, radicalement différent selon que la mise en œuvre de la responsabilité du débiteur est ou non subordonnée à la caractérisation d’une faute.

On en revient alors à la distinction entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat qui détermine le régime probatoire applicable.

  • Lorsque l’obligation est de moyen, le créancier doit établir la faute du débiteur
    • Autrement dit, il doit démontrer que le débiteur n’a pas mis en œuvre tous les moyens dont il disposait pour atteindre le résultat convenu ainsi que l’aurait fait le bon père de famille.
    • La gravité de la faute ici importe peu : la responsabilité du débiteur est engagée dès lors qu’il est établi qu’il a manqué à ses obligations contractuelles par négligence ou une imprudence.
    • Cette gravité de la faute ne sera prise en compte que pour déterminer s’il y a lieu d’exclure les clauses limitatives ou exclusives de responsabilité.
  • Lorsque l’obligation est de résultat, il suffit au créancier de démontrer que le résultat promis n’a pas été atteint
    • Dans cette configuration, la charge de la preuve est en quelque sorte inversée : ce n’est pas au créancier de démontrer que le débiteur a manqué à ses obligations, mais au débiteur de prouver que le résultat stipulé au contrat a bien été atteint.
    • L’exécution, même partielle, des obligations du débiteur, ne lui permet pas de s’exonérer de sa responsabilité.
    • Seul compte ici l’atteinte du résultat auquel s’est engagé le débiteur.
    • Pour s’exonérer de sa responsabilité, ce dernier ne disposera que d’une seule option : établir la survenance d’une cause étrangère.

2. L’imputabilité du manquement

S’il est absolument nécessaire pour que le débiteur d’une obligation engage sa responsabilité qu’une inexécution du contrat, même partielle, puisse lui être reprochée, il est indifférent que cette inexécution ne résulte pas de son fait personnel.

Lorsque, en effet, l’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui ou au fait d’une chose, le débiteur est également susceptible d’engager sa responsabilité.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir dans quelle mesure le débiteur répond-il du fait d’autrui et du fait d’une chose.

==>L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’autrui

Il est classiquement admis que le débiteur d’une obligation peut engager sa responsabilité contractuelle du fait d’autrui.

Tout d’abord, la loi prévoit de nombreux cas de responsabilité contractuelle du fait d’autrui. Il en va ainsi en matière de :

  • Contrat de bail, le preneur répondant des dégradations et des pertes qui arrivent par « le fait des personnes de sa maison ou de ses sous-locataires » (art. 1735 C.civ.)
  • Contrat d’entreprise, le maître d’ouvrage répondant « du fait des personnes qu’il emploie » (art. 1797 C. civ.)
  • Contrat d’hôtellerie, l’hôtelier étant responsable « du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs préposés, ou par des tiers allant et venant dans l’hôtel. » (art. 1953 C. civ.)
  • Contrat de mandat, le mandataire répondant « de celui qui s’est substitué dans sa gestion (art. 1994 C. civ.)
  • Contrat de transport, le commissionnaire de transport étant « garant des faits du commissionnaire intermédiaire auquel il adresse les marchandises. » (art. L. 132-6 C. com.)

Ensuite, la jurisprudence reconnaît la responsabilité contractuelle du fait d’autrui lorsque le débiteur a volontairement introduit un tiers dans l’exécution de son obligation.

Il en va ainsi du préposé, du sous-traitant, du mandataire, des représentants du débiteur et plus généralement de tous ceux interviennent sur la demande du débiteur dans la relation contractuelle.

Il en résulte a contrario que lorsque l’intervention du tiers est spontanée, le débiteur n’engage pas sa responsabilité contractuelle en cas d’inexécution contractuelle du fait de ce tiers.

Dans un arrêt du 15 janvier 1993 la Cour d’appel de Grenoble a parfaitement résumé la règle en affirmant que « la responsabilité contractuelle du fait d’autrui couvre les fautes de toutes les personnes auxquelles le débiteur de l’obligation fait appel pour l’exécution du contrat » (CA Grenoble, 15 janv. 1993).

Reste que la responsabilité contractuelle du fait d’autrui ne va en général conduire à faire peser la charge de la dette de réparation sur la tête du cocontractant débiteur que de manière temporaire.

En effet, celui-ci sera fondé, dans le cadre de l’exercice d’une action récursoire, à obtenir le remboursement des sommes qu’il aura exposées auprès du tiers à l’origine du dommage.

==>L’inexécution contractuelle est imputable au fait d’une chose

Bien que le Code civil soit silencieux sur la responsabilité contractuelle du fait des choses, elle a pourtant été conceptualisée par la doctrine qui distingue deux hypothèses :

  • Première hypothèse : la chose est l’objet de l’obligation
    • Cette hypothèse renvoie aux contrats qui ont pour objet le transfert de propriété de la chose ou sa mise à disposition.
    • Tel est le cas des contrats de vente, d’entreprise ou encore de bail
    • Pour ces contrats, le contractant qui transfère la propriété ou la jouissance de la chose est, la plupart du temps, tenu de garantir son cocontractant contre les vices cachés
    • Aussi, lorsqu’un tel vice affecte l’usage de la chose, l’inexécution contractuelle a bien pour origine cette chose.
    • Le débiteur de l’obligation de garantie engage donc bien sa responsabilité contractuelle du fait de la chose objet du contrat.
  • Seconde hypothèse : la chose est un moyen d’exécuter l’obligation
    • Cette hypothèse renvoie principalement aux contrats d’entreprise dont l’exécution suppose l’utilisation de choses par le maître d’œuvre tels que, par exemple, des outils ou des instruments.
    • Aussi, le maître d’œuvre engage sa responsabilité lorsqu’un dommage est causé par l’une des choses qu’il avait sous sa garde et qu’il a utilisée pour fournir la prestation promise.

 

 

  1. J. Carbonnier, Droit civil : les biens, les obligations, éd. PUF, coll. « Quadrige », 2004, t. 2, n°1094, p. 2222 ?
  2. J. Béguin, Rapport sur l’adage “nul ne peut se faire justice soi-même” en droit français, Travaux Association H. Capitant, t. XVIII, p. 41 s ?
  3. D. Mazeaud, La notion de clause pénale, LGDJ, coll. « bibliothèque de droit privé », 1992, n°495, p. 287 et s. ?
  4. J. Mestre, obs. RTD civ. 1985, p. 372 s ?
  5. D. Mazeaud, op. cit., n°630, p. 359 ?
  6. F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil : les obligations, 9e éd. Dalloz, coll. « Précis droit privé », 2005, n°624, p. 615 ?

La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés

La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés constitue un cas particulier de responsabilité du fait d’autrui.

Aux termes de l’article 1242, al. 5 « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés »

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés partage deux points communs avec la responsabilité parentale :

  • Ces deux cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui sont des responsabilités de plein droit en ce sens que le gardien ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’il n’a commis aucune faute
  • Tant la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés que la responsabilité parentale reposent sur l’idée que le gardien exerce un pouvoir de direction et de contrôle sur son préposé.

Aussi, cela justifie-t-il qu’ils engagent leurs responsabilités respectives toutes les fois que celui sur qui ils exercent leur autorité cause un dommage à autrui.

Certains auteurs fondent néanmoins la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés sur la théorie du risque estimant que le commettant doit garantir les tiers des dommages occasionnés dans le cadre de l’exercice de son activité.

La responsabilité du commettant devrait, dans ces conditions, être regardée comme la contrepartie des pouvoirs que la loi lui confère sur les personnes qui travaillent dans son intérêt.

?Exposé de la problématique

Si, de prime abord, une lecture rapide de l’article 1242 al. 5 laisse à penser que le seul fait dommageable imputable au préposé suffit à engager la responsabilité du commettant, telle n’est pourtant pas l’interprétation retenue par la jurisprudence de ce texte.

La Cour de cassation a, en effet, appréhendé, dans un premier temps, la responsabilité du commettant du fait de son préposé comme une simple garantie de solvabilité au profit de la victime.

Dans cette perspective, la haute juridiction a longtemps estimé que la victime disposait de deux débiteurs contre lesquels elle pouvait agir :

  • Le préposé : le débiteur principal de l’obligation de réparation
  • Le commettant : le débiteur subsidiaire de l’obligation de réparation

Aussi, tout le contentieux qui a nourri le débat relatif à la responsabilité du commettant du fait de son préposé s’est concentré sur la question de l’articulation entre la responsabilité de l’un, le commettant, et la responsabilité de l’autre, le préposé.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelles sont les conditions de mise en œuvre de ce cas de responsabilité.

La mise en œuvre de la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés suppose la réunion de deux conditions cumulatives :

  • La première condition tient aux liens personnels qui existent entre le commettant et le préposé
  • La seconde condition tient aux actes commis par le préposé susceptible d’engager la responsabilité de son commettant

I) L’exigence d’un lien de préposition entre le commettant et le préposé

La mise en œuvre de la responsabilité fondée sur l’article 1242, al. 5 du Code civil suppose que soit établi un rapport de préposition entre le commettant et le préposé.

?Notion

Le Code civil ne fournit aucune définition du lien de préposition. La jurisprudence considère néanmoins qu’il est caractérisé toutes les fois qu’une personne exerce un pouvoir de direction et de contrôle sur l’activité d’autrui, lequel se retrouve alors placé dans une situation de subordination.

Dans un arrêt du 7 novembre 1968, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « le lien de subordination dont découle la responsabilité mise à la charge des commettants par l’article 1384, alinéa 5, suppose essentiellement que ceux-ci ont le droit de faire acte d’autorité en donnant à leurs préposés des ordres ou des instructions sur la manière de remplir, à titre temporaire ou permanent, avec ou sans rémunération, fût-ce en l’absence de tout louage de service, les emplois qui leur ont été confiés pour un temps ou un objet déterminés » (Cass. crim., 7 nov. 1968, n°68-90.118)

Le projet de réforme de la responsabilité civile définit, quant à lui, le lien de subordination comme « le pouvoir de donner des ordres ou des instructions en relation avec l’accomplissement des fonctions du préposé » (art. 1249)

Il ressort de ces définitions que le rapport de préposition ne naît pas nécessairement d’un rapport contractuel, de sorte qu’il peut parfaitement avoir pour origine une situation de fait.

Si, en effet, le rapport de préposition naît du pouvoir de donner des ordres en vertu de l’autorité qu’une personne exerce sur une autre, cela signifie qu’il importe peu que ce rapport de préposition se noue dans le cadre d’une relation juridique.

Ainsi, deux sortes de liens de préposition existent :

  • Le lien de préposition de droit
  • Le lien de préposition de fait

?L’existence d’un lien de préposition de droit

  • Le contrat de travail : une présomption irréfragable de subordination
    • L’existence du lien de préposition entre le commettant et le préposé aura le plus souvent pour origine la conclusion d’un contrat de travail.
    • Il peut, en effet, être observé que le lien de subordination est l’un des éléments constitutifs du contrat de travail. Plus encore, on peut estimer, sans grossir le trait, qu’il lui est consubstantiel.
    • Est-ce à dire qu’il existe une présomption irréfragable de subordination, dès lors qu’est établie la conclusion d’un contrat de travail ?
    • C’est clairement ce qu’il ressort de la jurisprudence,
    • La Cour de cassation considère, en effet, qu’il est indifférent que le salarié jouisse d’une certaine indépendance, voire autonomie, dans le cadre de l’exercice de sa fonction.
    • Dans un arrêt du 5 mars 1992, la chambre criminelle a estimé en ce sens que la condition tenant à l’existence d’un lien de préposition était remplie bien que le fait dommageable soit imputable à un médecin salarié, lequel exerçait donc sa profession en toute indépendance (Cass. crim., 5 mars 1992, n°91-81.888).
    • Pour justifier sa solution, la Cour de cassation affirme que « l’indépendance professionnelle dont jouit le médecin dans l’exercice même de son art n’est pas incompatible avec l’état de subordination qui résulte d’un contrat de louage de services le liant à un tiers ».
  • Le contrat d’entreprise : une présomption simple d’absence de lien de subordination
    • Bien que dans le cadre d’un contrat d’entreprise le maître d’ouvrage soit investi du pouvoir de donner des ordres au maître d’œuvre en tant que créancier d’une prestation de service, la Cour de cassation estime que cette position ne fait pas présumer pour autant l’existence d’un lien de subordination entre les deux parties au contrat (V en ce sens Cass. crim. 28 juin 1934)
    • Toutefois, la haute juridiction considère que l’existence d’un contrat d’entreprise ne fait pas obstacle à l’existence d’un rapport de préposition, de sorte qu’il est admis que la victime rapporte la preuve d’un lien effectif de subordination entre le maître d’œuvre et le maître d’ouvrage en vue de rechercher la responsabilité de ce dernier sur le fondement de l’article 1242, al. 5 du Code civil (Cass. crim., 22 mars 1988, n°87-82.802).
  • Le contrat de mandat : une présomption simple d’absence de lien de subordination
    • Comme pour le contrat d’entreprise, la conclusion d’un contrat de mandat ne fait pas présumer l’existence d’un lien de subordination entre le mandant et le mandataire.
    • Aussi, appartiendra-t-il à la victime de prouver que les circonstances dans lesquelles le mandat de mandat a été exécuté sont constitutives d’un rapport de préposition.
    • La Cour de cassation a affirmé en ce sens dans un arrêt du 27 mai 1986 que « la qualité de mandataire attribuée à certains organes dirigeants d’une société n’est pas nécessairement exclusive de celle de préposé » (Cass. 1re civ., 27 mai 1986, n°84-16.420).

?L’existence d’un lien de préposition de fait

La jurisprudence a très tôt admis que l’existence d’un lien de préposition puisse ne pas naître d’un rapport juridique entre le commettant et le préposé.

Ainsi, dans un arrêt du 14 juin 1990, la Cour de cassation a affirmé que « le rapport de subordination, d’où découle la responsabilité mise à la charge du commettant par l’article 1384, alinéa 5, du Code civil suppose de la part de celui-ci le pouvoir de faire acte d’autorité en donnant à ses préposés des ordres ou instructions sur la manière de remplir, fût-ce à titre temporaire et sans contrepartie financière, l’emploi confié » (Cass. crim., 14 juin 1990, n°88-87.396)

L’existence d’un rapport de préposition de fait peut résulter de plusieurs situations :

  • Une relation de bénévolat
    • Cette situation renvoie à l’hypothèse où un bénévole se met à la disposition d’une association ou d’un ami afin d’accomplir une tâche déterminée (Cass. 2e civ., 27 nov. 1991, n°90-17.969)
    • La preuve de l’existence d’un lien de subordination devra néanmoins être rapportée par la victime
  • Une relation familiale
    • La jurisprudence a admis qu’un rapport de préposition puisse exister entre membres d’une même famille (Cass. 1re civ., 17 juill. 1979)
    • Là encore, il appartiendra à la victime d’établir le rapport de subordination

II) L’exigence d’un fait dommageable fautif imputable au préposé

L’existence d’un rapport de préposition entre le commettant et le préposé ne suffit pas à mettre en œuvre la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 5 du Code civil.

La jurisprudence exige encore la satisfaction de deux conditions qui tiennent

  • Au caractère fautif du fait dommageable imputable au préposé
  • Au rattachement de l’acte fautif aux fonctions du préposé

A) Le caractère fautif du fait dommageable imputable au préposé

La question qui se pose est de savoir s’il est nécessaire que le fait dommageable imputable au préposé présente les caractères d’une faute pour que la responsabilité du commettant puisse être engagée ?

Autrement dit, la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 5 du Code civil suppose-t-elle que le fait dommageable commis par le préposé soit susceptible d’engager sa responsabilité personnelle ?

Pour mémoire, l’article 1242, al. 5 du Code civil prévoit seulement que « les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ».

Aussi, pourrait-on être tenté d’en déduire que le simple fait causal suffit à engager la responsabilité du commettant.

La Cour de cassation n’est pas favorable à cette interprétation. Très tôt, elle a fait de l’établissement de la faute du préposé une condition de mise en œuvre de la responsabilité du commettant (Cass. req., 19 févr. 1866).

Plus récemment, cette solution a été réaffirmée dans un arrêt du 8 avril 2004, la Cour de cassation reprochant à une Cour d’appel, s’agissant de la mise en œuvre de la responsabilité fondée sur l’article 1242, al. 5, de n’avoir recherché si une faute pouvait être retenue à l’encontre du préposé (Cass. 2e civ., 8 avr. 2004, n°03-11.653).

Cass. 2e civ., 8 avr. 2004

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 5, du Code civil ;

Attendu, selon ce texte, que les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés et ne s’exonèrent de cette responsabilité que si le préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; qu’au cours d’une compétition sportive, engage la responsabilité de son employeur le préposé joueur professionnel salarié qui cause un dommage à un autre participant par sa faute caractérisée par une violation des règles du jeu ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’au cours d’un match de football organisé dans le cadre du championnat de France de première division, M. X…, joueur professionnel salarié de l’Olympique de Marseille a blessé M. Y…, joueur professionnel salarié du Football Club de Nantes ; que la Caisse primaire d’assurance maladie de Nantes (CPAM) ayant versé à M. Y… des prestations au titre de cet accident du travail, a assigné en remboursement M. X… et la société anonyme à objet sportif Olympique de Marseille (société OM) sur le fondement des articles L. 454-1 du Code de la sécurité sociale et 1384, alinéa 5, du Code civil ; qu’un jugement a débouté la CPAM de sa demande ;

Attendu que pour déclarer la société OM responsable du dommage causé par son préposé et la condamner à rembourser une somme à la CPAM, l’arrêt retient que “la question tenant à savoir si le geste accompli par M. X… peut être qualifié de “brutalité volontaire” excédant les instructions et missions normalement imparties à un joueur de football ou s’il constitue un “tacle imprudent et maladroit” ayant la nature d’une faute contre le jeu qui n’excède pas les instructions données ou les missions dévolues à un joueur de football, apparaît sans intérêt ;

qu’en effet, la société OM ne discutant pas au principal “de la nature et de la portée du geste” de son préposé, la cour d’appel, qui, tenue par les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile, ne peut que condamner cette société “sur le simple constat de l’implication de M. X… dans l’accident en tant qu’auteur exclusif des lésions commises par fait d’imprudence, n’a pas lieu de trancher la discussion qui lui est soumise sous cet angle” ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle relevait que M. X…, joueur salarié de la société OM, avait commis l’action dommageable au cours d’une compétition sportive, sans rechercher si le tacle ayant provoqué les blessures avait constitué une faute caractérisée par une violation des règles du jeu, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte précité ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 4 décembre 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers

B) Le rattachement de l’acte fautif aux fonctions du préposé

Conformément à l’article 1242, al. 5 du Code civil, le commettant n’est responsable du fait de son préposé que lorsque celui-ci a agi dans le cadre de ses fonctions.

Cette solution se justifie par le fait que, contrairement aux parents, le commettant n’exerce pas son autorité de façon continue sur le préposé.

Autrement dit, le commettant n’exerce un pouvoir de direction et de contrôle sur son préposé que pendant des périodes déterminées et pour l’accomplissement des tâches qui lui sont spécifiquement assignées au titre de son contrat de travail

Il en résulte que le commettant ne saurait répondre de toutes les fautes commises par le préposé, notamment celles qu’il commettra dans le cadre de sa vie privée.

Pour que la responsabilité du commettant puisse être recherchée, encore faut-il, par conséquent, que le préposé se soit effectivement trouvé, au moment du dommage, sous son autorité pour l’accomplissement de tâches qui lui avaient été confiées.

Aussi, la question s’est-elle posée en jurisprudence de savoir dans quelles circonstances l’acte fautif est-il susceptible d’être rattaché aux fonctions du préposé.

1. Situation en 1804

Initialement, la jurisprudence considérait que, dès lors, qu’il était établi que le dommage avait été causé par le préposé dans le cadre de sa mission, la responsabilité du commettant était susceptible d’être recherchée.

La Cour de cassation estimait néanmoins que la victime pouvait agir :

  • Soit contre le préposé, sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil
  • Soit contre le commettant sur le fondement de l’article 1242, al. 5 du Code civil

Cette possibilité offerte à la victime d’agir indistinctement contre le préposé ou le commettant reposait sur l’idée que le commettant ne constituait qu’une garantie de solvabilité pour le créancier de l’obligation de réparation, le préposé demeurant le débiteur principal.

À charge pour la victime de démontrer :

  • D’une part, que le commettant avait commis une faute
  • D’autre part, que cette faute était rattachable aux fonctions du commettant

Jugée sévère par la doctrine, cette solution a notamment été critiquée par Geneviève Viney pour qui permettre à la victime d’engager la responsabilité du préposé était profondément injuste, dans la mesure où cela revenait à « lui faire supporter les conséquences d’éventuels défauts d’organisation de l’entreprise qui ne lui sont pourtant pas imputables ».

Sensible à cette critique, la jurisprudence est revenue sur sa position traditionnelle dans le célèbre arrêt Costedoat (Cass. ass. plén. 25 févr. 2000, n°97-17.378 et 97-20.152).

2. L’arrêt Costedoat

Cass. ass. plén., 25 févr. 2000

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la SCA du Mas de Jacquines et M. Bortino ont demandé à la société Gyrafrance de procéder, par hélicoptère, à un traitement herbicide de leurs rizières ; que, sous l’effet du vent, les produits ont atteint le fonds voisin de M. Girard, y endommageant des végétaux ; que celui-ci a assigné en réparation de son préjudice la SCA du Mas de Jacquines, les époux Reynier, M. Bortino, M. Costedoat, pilote de l’hélicoptère, et la société Gyrafrance ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 97-20.152, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Girard fait grief à l’arrêt d’avoir mis hors de cause les époux Reynier, alors, selon le moyen, d’une part, que les prétentions des parties sont fixées par leurs conclusions, si bien qu’en mettant hors de cause M. et Mme Reynier pour une raison qui n’était pas invoquée par ceux-ci, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et violé l’article 4 du nouveau Code de procédure civile ; et, d’autre part, qu’en soulevant d’office le moyen tiré de la qualité de cogérant des époux Reynier de la SCA du Mas de Jacquines pour les mettre hors de cause, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu’il résulte des énonciations des juges du fond que les époux Reynier ont été assignés en qualité de cogérants de la société civile agricole et qu’aucun agissement ne leur était reproché à titre personnel, que dans ces conditions, l’arrêt a décidé, sans encourir les griefs du moyen, qu’ils n’avaient été attraits dans l’instance qu’en leur qualité de représentants légaux de la société et qu’ils devaient être mis hors de cause ;

Qu’ainsi le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi n° 97.17.378, pris en sa première branche :

Vu les articles 1382 et 1384, alinéa 5, du Code civil;

Attendu que n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ;

Attendu que, pour retenir la responsabilité de M. Costedoat, l’arrêt énonce qu’il aurait dû, en raison des conditions météorologiques, s’abstenir de procéder ce jour-là à des épandages de produits toxiques ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’était pas prétendu que M. Costedoat eût excédé les limites de la mission dont l’avait chargé la société Gyrafrance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions concernant la responsabilité de M. Costedoat, l’arrêt rendu le 26 mars 1997, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Montpellier ;

?Faits

  • Une société exploitant des rizières sollicite les services d’une autre société pour qu’elle procède par hélicoptère à un traitement herbicide de ses cultures.
  • Sous l’effet du vent, les produits vaporisés atteignent le fonds voisin ce qui a pour conséquence d’endommager les végétaux qui y étaient cultivés

?Demande

  • La victime assigne en réparation l’exploitant voisin ainsi que contre son préposé, le pilote d’hélicoptère, Monsieur Costedoat

?Procédure

  • Dispositif de la décision rendue au fond :
    • La Cour d’appel fait droit à la demande de la victime et retient la responsabilité du pilote d’hélicoptère, Monsieur Costedoat
  • Motivation des juges du fond :
    • Les juges du fond estiment que le pilote d’hélicoptère avait commis une faute en ne s’abstenant pas, compte tenu des circonstances météorologiques, de procéder à l’épandage du traitement toxique
    • Il peut être observé que, entre-temps, la société, employeur du pilote d’hélicoptère, est placée en liquidation judiciaire.
    • Or la victime n’a pas déclaré sa créance de réparation dans le délai qui lui était imparti (deux mois).
    • Le préposé, Monsieur Costedoat, était donc pour elle, le seul débiteur possible de la créance de réparation.

?Solution

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 25 février 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
  • Sens de l’arrêt
    • La Cour de cassation affirme, en l’espèce, au soutien de son dispositif que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ».
    • Autrement dit, dans la mesure où l’opération d’épandage a été réalisée par le préposé dans le cadre de l’exercice de sa mission, sa responsabilité personnelle ne pouvait pas être engagée

?Analyse

Dans l’arrêt Costedoat, il apparaît donc que la responsabilité personnelle du préposé est écartée lorsqu’il a agi « sans excéder les limites de sa mission ».

Cela signifie donc que quand bien même le fait dommageable imputable au préposé serait constitutif d’une faute, au sens des articles 1240 et 1241 du Code civil, dès lors qu’il agit dans les limites de sa mission, sa responsabilité personnelle ne saurait être recherchée.

À la suite de l’arrêt Costedoat, deux questions se sont posées au sujet de la solution adoptée par la Cour de cassation.

En effet, dans la mesure où le préposé n’engage plus sa responsabilité personnelle lorsqu’il agit dans la limite de sa mission :

  • D’une part, est-il toujours besoin pour la victime d’établir une faute à l’encontre de ce dernier pour engager la responsabilité du comment ?
  • D’autre part, quelles sont les limites à l’irresponsabilité de principe dont jouit le préposé ?

a. S’agissant de l’exigence d’un fait dommageable fautif imputable au préposé

Deux interprétations de l’arrêt Costedoat ont été avancées sur ce point :

  • Première interprétation
    • En déconnectant la responsabilité du commettant de la responsabilité du préposé, cela revient à abandonner l’exigence de faute.
    • Si, en effet, l’on considère que, même fautif, le fait dommageable imputable au préposé n’est pas susceptible d’engager sa responsabilité personnelle, cela signifie qu’il suffirait désormais de rattacher un dommage au préposé et que celui-ci ait agi dans la limite de sa mission pour que la responsabilité du commettant puisse être engagée.
    • La mise en œuvre de l’article 1242, al. 5 du Code civil supposerait donc l’établissement, non plus de la faute du salarié, mais du simple fait causal.
  • Seconde interprétation
    • La Cour de cassation n’a nullement entendu abandonner dans l’arrêt Costedoat l’exigence de faute du préposé.
    • Elle considère, simplement, que lorsque ce dernier a agi dans les limites de sa mission, il jouit d’une immunité, d’où l’impossibilité de rechercher sa responsabilité personnelle.
    • Pour que la responsabilité du commettant puisse être recherchée, les juges du fond devront néanmoins toujours s’employer à caractériser la faute du préposé, à défaut de quoi ils encourent la censure.
    • La solution antérieure demeurait ainsi, sur le fond, inchangée, la seule différence résidant dans la perte, pour la victime, d’un débiteur : le préposé.

Manifestement, l’examen de la jurisprudence, révèle que la Cour de cassation a opté pour la seconde solution, notamment dans l’arrêt du (Cass. 2e civ., 8 avr. 2004, n°03-11.653) où elle a précisément reproché à la Cour d’appel de n’avoir pas caractérisé la faute du préposé pour retenir la responsabilité du commettant.

b. S’agissant des limites à l’irresponsabilité de principe dont jouit le préposé

Pour rappel, selon l’arrêt Costedoat, « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant »

Aussi, afin de déterminer les limites à l’immunité dont jouit le préposé lorsqu’il agit dans les limites de sa mission, l’examen de la jurisprudence nous révèle que trois situations doivent être distinguées :

  • Le préposé a agi en dehors de ses fonctions
  • Le préposé a excédé les limites de sa mission
  • Le préposé a commis une faute pénale intentionnelle

i. Le préposé a agi en dehors de ses fonctions

Conformément à la lettre de l’article 1242, al. 5 du Code civil, la Cour de cassation estime que dès lors que le préposé a agi en dehors de ses fonctions, la responsabilité du commettant ne saurait être engagée.

Si en soi cette règle ne soulève pas de difficultés particulières, la question s’est néanmoins posée de savoir dans quelles circonstances doit-on estimer que le préposé a agi en dehors de ses fonctions.

Aussi, une divergence entre la chambre criminelle et la chambre civile, la première ayant une appréciation large de l’abus de fonction, tandis que la première avait adopté une conception restrictive.

L’assemblée plénière est finalement intervenue dans un arrêt du 19 mai 1988 afin de trancher le débat en affirmant que « le commettant ne s’exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions » (Cass. ass. plén., 19 mai 1988, n°87-82.654).

Il ressort de cet arrêt que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour caractériser l’abus de fonction.

Le préposé doit, en ce sens, avoir agi :

  • Sans autorisation du commettant
    • Ce critère ne soulève pas de difficultés particulières
    • Il est nécessaire que le préposé ait agi à l’insu du commettant, sans que celui-ci lui ait donné une autorisation quelconque.
  • À des fins personnelles étrangères à ses attributions
    • Cela signifie qu’il doit avoir poursuivi un intérêt strictement personnel, sans lien avec l’exercice de sa fonction.
  • Hors de ses fonctions
    • C’est sur ce troisième critère de l’abus de fonction que se sont concentrées toutes les difficultés d’interprétation.
    • Que doit-on entendre par la formule « hors de ses fonctions » ?
    • La doctrine a dégagé plusieurs critères de rattachement du dommage causé par le préposé dans le cadre de sa fonction.
    • Ces critères sont :
      • Le temps de travail
      • Le lieu de travail
      • Les moyens mis à disposition par le commettant pour la réalisation de la mission du préposé
      • La volonté du préposé d’agir pour le compte du commettant
    • Aussi, appartient-il aux juridictions de recourir à la méthode du faisceau d’indices afin de déterminer si le préposer a, ou non, agi « en dehors de sa fonction ».

Cass. ass. plén., 19 mai 1988

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 24 mars 1987), rendu sur renvoi après cassation, que M. Y…, inspecteur départemental de la compagnie d’assurances ” La Cité “, qui l’avait chargé de rechercher, par prospection à domicile, la conclusion de contrats de capitalisation par des particuliers, a fait souscrire à Mme X… différents titres et a détourné partiellement à son profit les sommes versées par celle-ci en contrepartie de la remise des titres ; qu’il a, sur l’action publique, été condamné par une décision correctionnelle ;

Attendu que la compagnie ” La Cité ” fait grief à l’arrêt de l’avoir, sur l’action civile, déclarée civilement responsable de son préposé Y…, alors que, d’une part, en se bornant à relever que ” La Cité ” avait tiré profit des souscriptions, la cour d’appel n’aurait pas caractérisé en quoi cette société devrait répondre des détournements opérés par son préposé, privant ainsi sa décision de base légale, et alors que, d’autre part, M. Y… n’aurait pas agi pour le compte et dans l’intérêt de la société ” La Cité “, mais utilisé ses fonctions à des fins étrangères à celles que son employeur lui avait assignées, de sorte que la cour d’appel aurait violé l’article 1384, alinéa 5, du Code civil, et l’article 593 du Code de procédure pénale ;

Mais attendu que le commettant ne s’exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ;

Et attendu que l’arrêt relève que M. Y…, en faisant souscrire à Mme X… des contrats de capitalisation, était dans l’exercice de ses fonctions et avait agi avec autorisation conformément à ses attributions ; que Mme X… avait la certitude qu’il agissait pour le compte de ” La Cité “, laquelle avait, au surplus, régulièrement enregistré les souscriptions et en avait tiré profit ;

Que de ces énonciations, d’où il résulte que M. Y…, en détournant des fonds qui lui avaient été remis dans l’exercice de ses fonctions, ne s’était pas placé hors de celles-ci, la cour d’appel a exactement déduit que la société ” La Cité ” ne s’exonérait pas de sa responsabilité civile ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Première étape : adoption d’une conception plutôt restrictive de la notion d’abus de fonction

  • Arrêt du 19 février 2003
    • Parce que le chauffeur routier avait utilisé le camion mis à disposition par son employeur lors d’un transport effectué pour le compte de celui-ci pour faire passer en contrebande des cigarettes en France, la Cour de cassation considère que le fait dommageable fautif imputable au préposé a été commis dans le cadre de ses fonctions, ce qui justifie la condamnation du commettant sur le fondement de l’article 1242, al. 5 (Cass. crim., 19 févr. 2003, n°02-81.851).
  • Arrêt du 19 juin 2003
    • La Cour de cassation retient la responsabilité du commettant, dans la mesure où la faute de son préposé a été commise « au temps et au lieu de son travail ».
    • La haute juridiction en déduit qu’il avait bien agi dans le cadre de ses fonctions (Cass. 2e civ., 19 juin 2003, n°00-22.626)

?Deuxième étape : un pas en direction d’une conception large de la notion d’abus de fonction

Un arrêt du 3 juin 2004 a particulièrement retenu l’attention des auteurs, la Cour de cassation ayant adopté une conception plus large que d’ordinaire de l’abus de fonctions (Cass. 2e civ. 3 juin 2004, n°03-10.819).

  • Faits
    • Un transporteur routier avait immobilisé sa fourgonnette, moteur arrêté et marche arrière engagée, devant un bureau de poste pour y prendre livraison de colis et de courrier
    • Au moment où il allait reprendre possession de son véhicule, il est grièvement blessé par le brusque recul de celui-ci provoqué par le salarié d’une entreprise qui était également venu chercher du courrier pour son employeur et qui s’était introduit dans le véhicule de la victime et l’avait mis en marche.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 10 décembre 2002, la Cour d’appel de Toulouse retient la responsabilité de l’employeur du salarié imprudent
    • Elle estime que si le préposé avait bien agi sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions, il n’était pas en dehors de ses fonctions puisque les faits avaient été commis à l’occasion de l’exécution du contrat de travail et de la mission confiée par l’employeur : c’est pour son employeur, dans le cadre de l’exécution du contrat de travail qu’il est allé à la Poste.
  • Solution
    • La Cour de cassation censure la décision d’appel, estimant que le « préposé était devenu, par l’effet d’une initiative personnelle sans rapport avec sa mission, gardien et conducteur occasionnel du véhicule d’un tiers au moyen duquel il avait commis l’acte dommageable, et qu’il avait ainsi agi en dehors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ».
    • Ainsi, pour la Cour de cassation le fait pour un préposé d’emprunter à tort le véhicule d’un tiers suffirait à le faire sortir, de plein droit, des limites de ses fonctions
    • Une initiative personnelle sans rapport avec la mission du préposé exclurait donc qu’il agisse dans le cadre de ses fonctions

De toute évidence, un se livrant à une interprétation pour le moins extensive de la notion d’abus de fonction, la Cour de cassation admet que le commettant puisse se dédouaner de sa responsabilité plus facilement, ce qui n’est pas de nature à favoriser l’indemnisation de la victime.

?Troisième étape : un retour à une conception restrictive de la notion d’abus de fonction

Dans un arrêt du 16 juin 2005, la Cour de cassation semble être revenue à une conception restrictive de la notion d’abus de fonction en estimant que la commission d’une infraction pénale, de sa propre initiative, n’implique pas que l’on agisse en dehors de ses fonctions (Cass. 2e civ., 16 juin 2005, n°03-19.705).

  • Faits
    • La gardienne d’une résidence pour personnes âgées est parvenue, par le biais de diverses manipulations psychologiques, à extorquer à une résidente une importante somme d’argent en lui faisant croire qu’elle risquait d’être renvoyée de l’établissement en raison de son âge et que, pour éviter cette mesure, elle dissimulerait son dossier administratif.
    • Une action en responsabilité est alors engagée à l’encontre de l’employeur de la gardienne, l’association gestionnaire de l’établissement.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 10 septembre 2003, la Cour d’appel de Lyon fait droit à la demande de la victime et condamne l’employeur de la gardienne
    • Les juges du fond estiment que la gardienne avait, en l’espèce, précisément agi dans le cadre de ses fonctions dans la mesure où « grâce à ses fonctions, elle a été mise en relation avec la victime, a pu connaître ses faiblesses psychologiques et physiques et lui faire croire à son pouvoir d’assurer son maintien dans la résidence ».
  • Moyens
    • Le commettant conteste sa condamnation en arguant notamment que « qu’abuse nécessairement de sa fonction et agit donc hors de celle-ci, le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, seul et à l’insu du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers ».
  • Solution
    • Bien que l’argument avancé par l’employeur de la gardienne ne fût pas dénué de tout intérêt, il ne convainc pas la Cour de cassation pour qui « le délit d’abus de faiblesse imputable à la gardienne n’impliquant pas nécessairement qu’elle ait agi hors du cadre de ses fonctions au sens de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil »
    • Elle en déduit alors que cette dernière « n’avait pas agi hors des fonctions auxquelles elle était employée et que l’association ne s’exonérait pas de sa responsabilité »

Avec cette décision, la Cour de cassation revient ainsi à une conception restrictive de la notion d’abus de fonction, ce qui conduit à mettre en jeu de façon quasi systématique la responsabilité du commettant.

Si, en effet, la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas d’abus de fonction en l’espèce, alors que la gardienne a été condamnée pénalement pour abus de faiblesse, on se demande quand l’abus de fonction pourra être caractérisé ?

À la vérité, en retenant une conception extrêmement stricte de l’abus de fonction, la Cour de cassation entend signaler qu’elle répugne à admettre que le commettant puisse s’exonérer de sa responsabilité.

ii. Le préposé a excédé les limites de sa mission

Il ressort de l’arrêt Costedoat que la Cour de cassation entend dissocier les agissements du préposé hors de ses fonctions et le fait d’outrepasser les limites de sa mission :

  • Lorsque le préposé a agi en dehors de ses fonctions
    • Il engage seul sa responsabilité, de sorte que le commettant est exonéré de sa responsabilité
    • Dans cette hypothèse, la victime ne dispose donc que d’un débiteur
      • Le préposé
  • Lorsque le préposé a agi dans le cadre de ses fonctions tout en outrepassant les limites de sa mission
    • Il engage sa responsabilité personnelle, sans pour autant que le commettant soit exonéré de sa responsabilité
    • Dans cette hypothèse, la victime dispose donc de deux débiteurs :
      • Le préposé
      • Le commettant

iii. Le préposé a commis une faute pénale intentionnelle

Après que l’arrêt Costedoat a été rendu, la doctrine s’est posé la question de savoir ce qu’il adviendrait lorsque le fait dommageable fautif commis par le préposé, lequel n’aurait pas outrepassé les limites de sa mission, serait constitutif d’une infraction pénale ?

Dans un arrêt Cousin du 14 décembre 2001, c’est à cette question que l’assemblée plénière a répondue (Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, n°00-82.066).

Aussi, considère-t-elle, dans cette décision, que « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ».

Il ressort de cet arrêt que la Cour de cassation vient ici poser une limite à l’arrêt Costedoat : dès lors que le préposé a commis une faute pénale intentionnelle, il engage sa responsabilité personnelle, peu importe qu’il ait excédé ou non les limites de sa mission.

Ainsi, pour l’assemblée plénière, si le fait d’agir pour le préposé sans excéder les limites de sa mission justifie qu’il jouisse d’une immunité lorsqu’une faute civile lui est imputable, cette immunité ne se justifie plus lorsqu’il est l’auteur d’une faute pénale intentionnelle.

Cela signifie, en d’autres termes, que le préposé est irréfragablement présumé avoir excédé les limites de sa mission dès lors qu’il commet une infraction pénale intentionnelle.

Il peut être observé que dans un arrêt du 7 avril 2004, la Cour de cassation a précisé que « le préposé qui a intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci, alors même que la juridiction répressive qui, saisie de la seule action civile, a déclaré l’infraction constituée en tous ses éléments, n’a prononcé contre lui aucune condamnation pénale » (Cass. crim., 7 avr. 2004, n°03-86.203)

Il en résulte qu’il importe peu que le préposé ait préalablement été condamné par une juridiction répressive pour que la jurisprudence Costedoat soit écartée.

Pour que l’arrêt Cousin ait vocation s’applique, il suffit qu’une infraction pénale constituée dans tous ses éléments soit constatée, qu’il y ait ou non condamnation, pour que le préposé engage sa responsabilité.

La victime disposera alors de deux débiteurs :

  • Le préposé
  • Le commettant

Le commettant sera néanmoins fondé à se retourner contre son préposé, à supposer que la faute pénale n’ait pas été commanditée par ce dernier.

Arrêt Cousin

(Cass. ass. plén., 14 déc. 2001)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2000), que M. X…, comptable salarié de la société Virydis, a été définitivement condamné des chefs de faux, usage de faux et escroqueries, pour avoir fait obtenir frauduleusement à cette société des subventions destinées à financer de faux contrats de qualification ; que, statuant à son égard sur les intérêts civils, l’arrêt l’a condamné à payer des dommages-intérêts aux parties civiles ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que ne saurait engager sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui a agi sans excéder les limites de la mission qui lui avait été assignée par son commettant, de sorte que la cour d’appel, qui a ainsi condamné M. X… à indemniser les parties civiles du préjudice qu’elles avaient subi à raison d’infractions pour lesquelles sa responsabilité pénale avait été retenue sans aucunement rechercher, nonobstant les conclusions dont elle était saisie, si ces infractions ne résultaient pas uniquement de l’exécution des instructions qu’il avait reçues et s’inscrivaient par conséquent dans la mission qui lui était impartie par son employeur, la société Virydis, seule bénéficiaire desdites infractions, n’a pas légalement justifié sa décision au regard du principe précité ;

Mais attendu que le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ; que dès lors, en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Si l’on résume, plusieurs hypothèses doivent être distinguées pour déterminer contre qui la victime est fondée à agir :

La responsabilité des parents du fait de leurs enfants

Aux termes de l’article 1242, al. 4 du Code civil « le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».

?Situation en 1804

Lors de l’élaboration du Code civil ses rédacteurs ont envisagé la responsabilité des parents comme la contrepartie de l’autorité dont ils sont investis par la loi sur leurs enfants.

Le souci d’indemnisation des victimes a néanmoins conduit la jurisprudence à considérablement évoluer, ce qui s’est traduit par la réalisation d’un double mouvement d’objectivation de la responsabilité qui a affecté, tant les conditions génériques de la responsabilité parentale que ses conditions spécifiques.

I) Les conditions génériques de la responsabilité civile

Pour rappel, la mise en œuvre de la responsabilité civile suppose, quel que soit le fondement envisagé, la réunion de conditions cumulatives :

  • L’existence d’un dommage
  • La caractérisation d’un fait générateur
  • L’établissement d’un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur

Tandis que le dommage et le lien de causalité sont les deux constantes de la responsabilité civile (qui font l’objet d’une étude séparée), le fait générateur en constitue la variable.

La responsabilité du débiteur de l’obligation de réparation peut, en effet, avoir pour fait générateur :

  • Le fait personnel de l’auteur du dommage
  • Le fait d’une chose que le responsable avait sous sa garde
  • Le fait d’une tierce personne sur laquelle le responsable exerçait un pouvoir

?La singularité de la condition tenant au fait générateur

La responsabilité des parents du fait de leurs enfants correspond à la troisième hypothèse qui, contrairement à ce que l’on pourrait être tenté de penser, est loin d’aller de soi, dans la mesure où, par principe, on ne saurait être responsable que de son propre fait et non du fait d’autrui.

D’où le refus, en 1804, des rédacteurs des Code civil et, pendant près de deux siècles, de la jurisprudence de reconnaître des cas de responsabilité du fait d’autrui en dehors de ceux exhaustivement prévus par le Code civil.

Aussi, la responsabilité des parents du fait de leurs enfants constitue l’un des trois cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui reconnus par le législateur en 1804.

Qui plus est, elle est l’exemple typique d’une responsabilité qui, selon les auteurs, est parvenue à maturité en ce sens que le mouvement d’objectivation dont elle a fait l’objet est aujourd’hui achevé.

Cela se vérifie, en particulier, avec son fait générateur dont la caractérisation est désormais débarrassée de l’exigence de faute.

?Exigence d’une double faute

Il peut, en effet, être observé que, en 1804, la mise en œuvre de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants supposait l’établissement d’une double faute :

  • La faute de l’enfant
  • La faute des parents

Ainsi, la faute constituait-elle le fondement de la responsabilité parentale. Le système mis en place par le législateur reposait sur l’idée que, si l’enfant avait causé en dommage, c’est que les parents avaient commis, soit une faute de surveillance, soit une faute d’éducation, de sorte que cela justifiait qu’ils engagent leur responsabilité.

Dans un arrêt du 13 juin 1968, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé en ce sens que « la responsabilité du père à raison du dommage cause par son enfant mineur habitant avec lui découle de ses obligations de surveillance et de direction sur la personne de ce dernier » (Cass. 2e civ. 13 juin 1968).

Cass. 2e civ. 13 juin 1968

Sur le premier moyen : vu l’article 1384 alinéa 4 et 7 du code civil ;

Attendu que la responsabilité du père à raison du dommage cause par son enfant mineur habitant avec lui découle de ses obligations de surveillance et de direction sur la personne de ce dernier ;

Qu’elle repose sur une présomption de faute, et doit être écartée dès qu’il est établi que, tant au point de vue de l’éducation que de la surveillance, le père s’est comporte comme une personne prudente et n’a pu, ainsi, empêcher l’acte dommageable ;

Attendu que le jeune Michel y… ayant été blessé a un œil par une pierre x… par son cousin Gabriel z…, Age de 16 ans, jules François y… agissant es qualités d’administrateur légal des biens de son fils assigne jean z…, pris en cette qualité et comme civilement responsable, en réparation du dommage subi ;

Que l’établissement national des invalides de la marine est intervenu à l’instance pour réclamer le remboursement des sommes par lui versées à la suite de cet accident ;

Attendu que l’arrêt confirmatif attaque qui a condamné z… à réparer le dommage ainsi cause après avoir relevé que le jet d’une pierre n’était pas conteste, non plus que la relation de cause à effet entre cette faute et l’accident, énonce qu’en l’espèce l’éducation qu’il avait pu donner à son fils ne présentait aucun intérêt pour la solution du litige ;

Attendu qu’en se déterminant de la sorte, l’arrêt a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le second moyen, casse et annule l’arrêt rendu entre les parties par la cour d’appel de rennes, le 16 juin 1966

Ainsi, une présomption de faute pesait sur les parents dont l’enfant était à l’origine d’un fait dommageable fautif.

Il s’agissait toutefois d’une présomption simple de sorte qu’elle pouvait être écartée, comme l’a indiqué la Cour de cassation « dès qu’il est établi que, tant au point de vue de l’éducation que de la surveillance, le père s’est comporté comme une personne prudente et n’a pu, ainsi, empêcher l’acte dommageable ».

?Les inconvénients de l’exigence de faute

Ce système qui reposait sur la faute n’était pas sans inconvénients, dans la mesure où la victime était confrontée à une double difficulté :

  • La première difficulté résultait de l’impossibilité d’établir une faute à l’encontre de l’enfant privé de discernement
  • La seconde difficulté résultait de la possibilité pour les parents de s’exonérer de leur responsabilité en prouvant qu’il n’avait commis aucune faute de surveillance ou d’éducation.

Aussi, l’addition de ces deux difficultés auxquelles était confrontée la victime avait-elle pour conséquence de priver d’efficacité le principe de responsabilité des parents du fait de leurs enfants.

Animée par un souci d’amélioration du sort des victimes, la jurisprudence a, dès lors, été contrainte, afin de poursuivre son objectif d’objectivation de la responsabilité parentale, de répondre successivement à deux questions :

  • La mise en œuvre de la responsabilité parentale est-elle subordonnée à l’établissement d’une faute de l’enfant ?
  • Les parents de l’enfant ayant causé un dommage peuvent-ils s’exonérer de leur responsabilité en rapportant la preuve qu’ils n’ont commis aucune faute de surveillance ou d’éducation ?

A) L’abandon de l’exigence de faute

Dans un arrêt Fullenwarth rendu le 9 mai 1984 par l’assemblée plénière, soit en même temps que les arrêts Derguini, Lemaire et Gabillet, la Cour de cassation a, pour la première fois, admis le simple fait causal comme fait générateur de la responsabilité parentale (Cass. ass. plén., 9 mai 1984, n°79-16.612)

À partir de l’arrêt Fullenwarth, la Cour de cassation décide qu’il n’est plus besoin que le fait de l’enfant à l’origine du dommage soit fautif.

Arrêt Fullenwarth

(Cass. ass. plén., 9 mai 1984)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Metz, 25 septembre 1979), que le 4 août 1975, Pascal Y…, alors âgé de 7 ans, décocha une flèche avec un arc qu’il avait confectionné en direction de son camarade David X… et l’éborgna ; que M. Guillaume X…, père de la victime, assigné en dommages-intérêts M. Raymond Y…, en sa qualité de civilement responsable de son fils Pascal sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil ; Attendu que M. Raymond Y… fait grief à l’arrêt de l’avoir déclaré entièrement responsable des conséquences de l’accident, alors, selon le moyen, que la Cour d’appel n’a pas recherché si Pascal Y… présentait un discernement suffisant pour que l’acte puisse lui être imputé à faute, qu’elle a entaché sa décision d’un défaut de base légale et ainsi violé les articles 1382 et 1384 alinéa 4 du Code civil ; Mais attendu que, pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ; que par ce motif de pur droit, substitué à celui critiqué par le moyen, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 25 septembre 1979 par la Cour d’appel de Metz

?Faits

  • Un garçonnet, âgé de 7 ans, décoche une flèche avec un arc qu’il avait confectionné en direction de son camarade et l’éborgne
  • Les parents de la victime engagent la responsabilité des parents de l’auteur du dommage

?Procédure

  • Par un arrêt du 25 septembre 1979, la Cour d’appel de Metz condamne les parents de l’auteur du dommage à indemniser la victime.

?Moyens

  • Les défendeurs invoquent le manque de discernement de leur enfant qui n’était âgé que de 7 ans au moment des faits.

?Solution

  • Par un arrêt du 9 mai 1984, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par les parents de l’auteur du dommage.
  • L’assemblée plénière estime que « pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime »
  • Ainsi, la Cour de cassation décide-t-elle que le simple fait causal de l’enfant est susceptible d’engager la responsabilité de ses parents.

?Analyse de l’arrêt

Tout d’abord, il peut être observé que dans l’arrêt Fullenwarth la Cour de cassation va, manifestement, bien plus loin que dans les arrêts Derguini et Lemaire rendus à la même date :

  • Dans les arrêts Derguini et Lemaire
    • La Cour de cassation abandonne seulement l’exigence d’imputabilité de la faute.
    • Aussi, cela lui permet-il de retenir une faute à l’encontre de l’enfant en bas âge, quand bien même il est privé de discernement
    • La Cour de cassation cependant toujours l’établissement de cette faute en matière de responsabilité du fait personnel, même si, depuis ces deux décisions, elle est débarrassée de son élément moral.
  • Dans l’arrêt Fullenwarth
    • L’assemblée plénière considère qu’il suffit que l’enfant « ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage » pour que la responsabilité de ses parents soit engagée.
    • Autrement dit, peu importe que l’enfant ait ou non commis une faute : seule compte l’existence d’un dommage rattachable à l’enfant.
    • Dans l’arrêt Fullenwarth, la Cour de cassation se contente donc du simple fait causal – non fautif – comme fait générateur à la différence des arrêts Derguini et Lemaire où la faute – objective – est toujours exigée.

Si l’on résume :

  • En matière de responsabilité du fait personnel, la Cour de cassation exige que le fait générateur consiste en une faute pour que la responsabilité de l’auteur du dommage soit engagée
  • En matière de responsabilité parentale, la Cour de cassation n’exige pas que l’enfant ait commis une faute, le simple fait causal suffit à engager la responsabilité de ses parents

Au total, la responsabilité des parents du fait de leurs enfants est une responsabilité sans faute.

À noter qu’il convient de ne pas confondre :

  • La responsabilité parentale où aucune faute de l’enfant n’est exigée pour que la responsabilité de ses parents soit engagée
    • Le fondement de cette responsabilité réside à l’article 1242 al. 4 du Code civil
  • La responsabilité du fait personnel de l’enfant où une faute est toujours exigée, bien qu’il s’agisse d’une faute dépourvue d’élément moral en raison de l’abandon de l’exigence d’imputabilité
    • Le fondement de cette responsabilité réside aux articles 1240 et 1241 du Code civil

?Portée de l’arrêt Fullenwarth

À la suite de l’arrêt Fullenwarth la solution dégagée par la Cour de cassation a été très discutée par la doctrine, certains auteurs estimant qu’en abandonnant l’exigence de la faute, cela pouvait conduire à des situations absurdes.

Exemple :

  • Quid de la responsabilité des parents dans l’hypothèse où un enfant transmet la grippe à ses camarades ?
  • Dans la mesure où le simple fait causal suffit à engager la responsabilité parentale, les parents de l’enfant malade devaient, en théorie, être tenus d’indemniser les personnes contaminées ?
  • Immédiatement, on voit alors surgir de nombreuses difficultés pratiques, notamment liées à l’établissement de la causalité.

Malgré les situations absurdes auxquelles la position adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt Fullenwarth était susceptible de conduire, elle a réaffirmé sa solution dans un arrêt Levert du 10 mai 2001, où elle décide que « la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant » (Cass. 2e civ., 10 mai 2001, n°99-11.287).

Cass. 2e civ., 10 mai 2001

sur le premier moyen :

Vu l’article 1384, alinéas 4 et 7, du Code civil ;

Attendu que la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant ;

Attendu que pour rejeter la demande formée par M. Arnaud X… et ses parents contre les père et mère de M. Laurent Y…, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l’examen de la responsabilité de l’enfant, Laurent Y…, est un préalable à la détermination de la responsabilité de ses parents, qu’il n’est reproché à Laurent Y… que d’avoir par maladresse blessé son camarade, Arnaud X…, en lui portant involontairement un coup au visage, à l’occasion d’un plaquage au cours d’une partie de rugby organisée entre élèves pendant la récréation ayant suivi le repas de midi, qu’il n’est pas soutenu, donc encore moins établi, que Laurent Y… n’ait pas observé loyalement les règles de ce jeu, qu’Arnaud X…, en ayant participé à ce jeu avec ses camarades avait nécessairement accepté de se soumettre à ces règles du jeu et aux risques que présentait celui-ci, peu important qu’il ne se fût agi que d’une partie de rugby amicale entre collégiens, plutôt que d’une compétition organisée par la fédération ad hoc ; que, dès lors, le malencontreux plaquage, à l’occasion duquel fut blessé Arnaud X…, ne saurait engager la responsabilité de Laurent Y… ; qu’il n’y a donc pas lieu d’examiner celle de ses parents ;

En quoi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions concernant les consorts Y… et la GMF, en présence de la CPAM d’Indre-et-Loire, l’arrêt rendu le 26 octobre 1998, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

De nouveau réunie en assemblée plénière, la Cour de cassation va asseoir un peu plus sa position dans deux arrêts rendus le 13 décembre 2002 (Cass. ass. plén., 13 déc. 2002, n°00-13.787) en décidant que « pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité »

L’abandon de l’exigence de faute de l’enfant par la Cour de cassation ne fait désormais plus aucun doute : le simple fait causal suffit à engager la responsabilité parentale.

B) La reconnaissance d’une responsabilité de plein droit

Après que l’arrêt Fullenwarth a été rendu, indépendamment de la question de savoir si la Cour de cassation avait définitivement abandonné l’exigence de la faute, les auteurs se sont interrogés sur un autre point : la nature de la responsabilité parentale.

En effet, dans la mesure où le système mis en place reposait sur une présomption – simple – de faute, est-ce à dire que les parents pouvaient s’exonérer de leur responsabilité en prouvant qu’ils n’avaient commis aucune faute de surveillance ou d’éducation ?

Telle est la question qui était posée à la Cour de cassation dans le célèbre arrêt Bertrand rendu par la deuxième chambre civile en date du 19 février 1997 (Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n°94-21.111).

Arrêt Bertrand

(Cass. 2e civ., 19 févr. 1997)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 4 octobre 1994), qu’une collision est survenue le 24 mai 1989 entre une bicyclette conduite par Sébastien X…, âgé de 12 ans, et la motocyclette de M. Domingues ; que celui-ci, blessé, a demandé réparation de son préjudice à M. Jean-Claude X…, père de l’enfant, comme civilement responsable de celui-ci, et à son assureur, l’UAP ; que le Fonds de garantie automobile (FGA) est intervenu à l’instance ;

Sur le premier moyen : (sans intérêt) ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir retenu la responsabilité de M. X…, alors, selon le moyen, que la présomption de responsabilité des parents d’un enfant mineur prévue à l’article 1384, alinéa 4, du Code civil, peut être écartée non seulement en cas de force majeure ou de faute de la victime mais encore lorsque les parents rapportent la preuve de n’avoir pas commis de faute dans la surveillance ou l’éducation de l’enfant ; qu’en refusant de rechercher si M. X… justifiait n’avoir pas commis de défaut de surveillance au motif que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait l’exonérer de la responsabilité de plein droit qui pesait sur lui, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 4, du Code civil ;

Mais attendu que, l’arrêt ayant exactement énoncé que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer M. X… de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui, la cour d’appel n’avait pas à rechercher l’existence d’un défaut de surveillance du père ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen : (sans intérêt) ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • Collision entre un enfant qui faisait du vélo et un conducteur de mobylette
  • Ce dernier engage la responsabilité des parents en raison du dommage causé par leur enfant

?Procédure

  • Par un arrêt du 4 octobre 1994, la Cour d’appel de Bordeaux retient la responsabilité du père de l’auteur du dommage
  • Les juges du fond estiment que celui-ci ne pouvait pas s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’avait commis aucune faute.

?Moyens

  • Le père de l’auteur du dommage soutient que la présomption de faute qui pèse sur lui peut être combattue, de sorte qu’il peut s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’il n’a commis aucune faute de surveillance ou d’éducation de son enfant.

?Solution

  • Par un arrêt du 19 février 1997, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le père de l’auteur du dommage.
  • La deuxième chambre civile considère que « seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer [le défendeur] de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui »

?Analyse de l’arrêt

L’arrêt Bertrand constitue, sans aucun doute, un revirement de jurisprudence dans la mesure où antérieurement, les parents de l’auteur du dommage étaient fondés à s’exonérer de leur responsabilité :

  • Soit en prouvant qu’il n’avait commis aucune faute d’éducation
  • Soit en prouvant qu’il n’avait commis aucune faute de surveillance

Dans l’arrêt Bertrand, la Cour de cassation estime que la preuve de l’absence de faute est inopérante.

Autrement dit, pour la haute juridiction, les parents ne peuvent pas s’exonérer de leur responsabilité qu’en rapportant la preuve

  • d’un cas de force majeure
  • d’une faute de la victime

Ainsi, la haute juridiction fait de la responsabilité parentale une responsabilité de plein droit en ce sens que pèse sur les parents, non plus une présomption de faute, mais une présomption de responsabilité.

?Articulation de l’arrêt Bertrand avec la jurisprudence Fullenwarth

Il peut être observé que la solution retenue dans l’arrêt Bertrand s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence Fullenwarth.

  • Dans l’arrêt Fullenwarth, la Cour de cassation abandonne l’exigence de faute de l’enfant
    • Le simple fait causal suffit à engager la responsabilité des parents du fait de leurs enfants
  • Dans l’arrêt Bertrand, la Cour de cassation abandonne la présomption de faute
    • Les parents ne peuvent plus s’exonérer de leur responsabilité en prouvant qu’ils n’ont pas commis de faute

Si, dans l’arrêt Bertrand, la deuxième chambre civile ne s’était pas prononcée en ce sens, sa position aurait grandement manqué de cohérence.

En effet, comment concilier une approche purement causale de la responsabilité parentale et continuer à se fonder sur la notion de faute présumée ?

Autrement dit, comment l’établissement de la bonne éducation ou d’une surveillance diligente pourrait-il exonérer les parents de leur responsabilité alors même que l’on n’exige pas que le comportement de l’enfant soit fautif ? Cela n’aurait pas grand sens.

Ainsi, dès lors que l’on admet que le simple fait causal de l’enfant suffit à engager la responsabilité parentale, il est parfaitement logique de priver les parents de la possibilité de s’exonérer en prouvant qu’ils n’ont commis aucune faute.

?Confirmation de l’arrêt Bertrand

La Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer à plusieurs reprises la solution adoptée dans l’arrêt Bertrand.

Ainsi, dans l’arrêt Levert du 10 mai 2001 a-t-elle réaffirmé que la responsabilité des parents du fait de leurs enfants était une responsabilité de plein droit (Cass. 2e civ., 10 mai 2001, n°99-11.287).

Dans les arrêts d’assemblée plénière du 13 décembre 2002, elle précise que « seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de [leur] responsabilité » (Cass. ass. plén., 13 déc. 2002, n°00-13.787).

Cass. ass. plén., 13 déc. 2002

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche qui est préalable :

Vu l’article 1384, alinéas 1er, 4 et 7, du Code civil ;

Attendu que, pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’au cours d’une partie de ballon improvisée entre adolescents, Vincent X… a été blessé, au moment où il se relevait, par la chute de Maxime Y…, porteur du ballon, elle-même provoquée par le plaquage de Jérôme Z… ; que les époux X… et leur fils Vincent, devenu majeur et assisté de son père en qualité de curateur (les consorts X…), ont demandé réparation de leurs préjudices aux époux Z… et aux époux Y…, tant comme civilement responsables que comme représentants légaux de leurs fils mineurs Jérôme et Maxime, ainsi qu’à leurs assureurs, les compagnies UAP et AXA, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de Maubeuge ; qu’en cause d’appel, Jérôme Z… et Maxime Y…, devenus majeurs, sont intervenus à l’instance, de même que la compagnie AXA, aux droits de l’UAP, ainsi que l’Union des mutuelles accidents élèves auprès de laquelle les époux X… avaient souscrit un contrat d’assurance ;

Attendu que, pour rejeter les demandes des consorts X… et de leur assureur, l’arrêt retient qu’aucune faute n’est établie à l’encontre de Jérôme Z… et de Maxime Y… ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 16 décembre 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

II) Les conditions spécifiques à la responsabilité des parents du fait de leurs enfants

Pour que des parents soient susceptibles de répondre des faits dommageables causés par leur enfant mineur ils doivent endosser la qualité de gardien, ce qui suppose :

  • d’une part, que leur enfant soit mineur
  • d’autre part, qu’ils exercent l’autorité parentale
  • enfin, qu’ils cohabitent avec leur enfant

A) La minorité de l’enfant

La mise en œuvre de la responsabilité parentale est subordonnée à la minorité de l’enfant, à défaut de quoi la responsabilité des parents ne saurait être recherchée sur le fondement de l’article 1242, al. 4 du Code civil.

La victime du dommage causé par une personne majeure pourrait éventuellement envisager d’agir en réparation contre ses parents sur le fondement de l’article 1242, al. 1er du Code civil.

Toutefois, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans l’arrêt Blieck, cela suppose d’établir que les parents exerçaient sur leur enfant majeur un pouvoir juridique (tutelle), de sorte qu’ils assuraient l’organisation et le contrôle de son mode de vie (Cass. ass. plén., 29 mars 1991, n°89-15.231)

B) L’exercice de l’autorité parentale

La condition tenant à l’autorité parentale ne soulève pas de difficulté particulière.

Aussi, l’autorité parentale est-elle conférée aux parents :

  • Soit par l’effet de la loi
    • L’article 371-1 du Code civil dispose en ce sens que « elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne »
  • Soir par décision de justice
    • L’article 373-2-1 prévoit par exemple que « si l’intérêt de l’enfant le commande, le juge peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents. »

C) La cohabitation

Pour mémoire, aux termes de l’article 1242, al. 4 du Code civil « le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».

Il résulte de cette disposition que la responsabilité ne saurait être mise en œuvre s’il n’est pas établi que l’auteur du dommage cohabitait avec ses parents.

Que doit-on entendre par cohabitation ? Cette question a, manifestement, été à l’origine d’un abandon contentieux judiciaire.

1. La notion de cohabitation

L’exigence de cohabitation posée par l’article 1242, al. 4 est susceptible de conduire à l’adoption de deux conceptions radicalement opposées :

  • Une conception concrète
    • Selon cette conception, il est nécessaire que l’enfant habite effectivement avec ses parents au moment du dommage
    • Il en résulte que dès lors qu’il ne séjournait pas chez eux, la responsabilité de ses parents ne saurait être engagée
    • Cette conception est héritée de l’époque où l’on raisonnait encore en termes de présomption de faute des parents.
    • On estimait, en effet, que si l’enfant a commis un dommage, c’est parce qu’il a été mal éduqué ou surveillé.
    • Si dès lors, l’enfant n’habitait pas avec ses parents lors de la commission du fait dommageable, on ne saurait leur reprocher aucune faute et donc engager la responsabilité
  • Une conception abstraite
    • Selon cette conception, il n’est pas nécessaire que l’enfant habite effectivement avec ses parents au moment du dommage pour que la responsabilité de ses derniers soit susceptible d’être engagée.
    • Conséquemment, il suffit que l’enfant ait sa résidence habituelle chez ses parents pour que leur responsabilité puisse être recherchée, peu importe qu’il réside effectivement avec eux
    • C’est donc la résidence de droit – abstraite – qui prime sur la résidence de fait – concrète.
    • Aussi, cette conception s’inscrit dans le droit fil du mouvement d’objectivation de la responsabilité parentale, lequel est guidé par une volonté d’émancipation du fondement de la faute.
    • Or contrairement à la conception concrète de la cohabitation qui en est traduction, la conception matérielle est conforme à l’objectif d’amélioration du sort des victimes.

2. La position de la jurisprudence

Plusieurs étapes ont marqué l’évolution de la position de la jurisprudence s’agissant de l’exigence de cohabitation :

?Première étape : l’adhésion à la conception concrète

  • Principe
    • Dans un premier temps, la Cour de cassation a porté son choix sur la conception concrète de la cohabitation.
    • Dans un arrêt du 24 avril 1989 elle a estimé en ce sens que « la présomption légale de responsabilité du père et de la mère cesse avec la cohabitation » (Cass. 2e civ., 24 avr. 1989, n°88-10.735).
    • La haute juridiction considère que dès lors que l’enfant ne réside pas, effectivement, avec ses parents, leur responsabilité ne peut pas être engagée.
    • Autrement dit, l’enfant est réputé ne pas cohabiter avec ses parents, au sens de l’article 1242, alinéa 4 du Code civil, toutes les fois que ces derniers ne sont pas en mesure d’exercer leur mission d’éducation et de surveillance.
    • Toute action diligentée à leur encontre était dès lors vouée à l’échec lorsque l’enfant, échappant à leur surveillance immédiate, était confié, fût-ce temporairement et à titre bénévole à un tiers.
    • D’où la solution rendue en l’espèce, l’enfant séjournant, au moment du dommage, chez ses grands-parents.
    • La deuxième chambre civile en déduit que la condition tenant à la cohabitation n’était donc pas remplie.
    • Bien que cet arrêt ne fasse que réaffirmer la position traditionnelle de la Cour de cassation en matière de cohabitation, il n’en a pas moins fait l’objet de nombreuses critiques de la part des auteurs.
    • Il peut être observé que cet arrêt intervient alors que 5 ans plus tôt l’assemblée plénière rendait l’arrêt Fullenwarth, marqueur de la volonté de la Cour de cassation d’engager le mouvement d’objectivation de la responsabilité parentale.
    • La solution retenue par la Cour de cassation en 1989 a ainsi été montrée du doigt pour son manque de cohérence
      • D’un côté la Cour de cassation abandonne l’exigence de faute avec l’arrêt Fullenwarth
      • D’un autre côté elle retient une conception concrète de la cohabitation, alors que cette conception est assise sur la présomption de faute des parents
  • Exception
    • Afin d’atténuer les effets de la conception concrète quant à l’indemnisation des victimes, la Cour de cassation a posé une limite à l’exonération de la responsabilité de parents lorsque l’enfant ne résidait pas avec eux de façon effective : l’exception de cessation illégitime de la cohabitation.
    • Cette notion a été développée par la jurisprudence afin de déterminer si les parents demeuraient responsables du fait de leur enfant lorsque la cohabitation avait cessé « illégitimement », soit dans les hypothèses de fugue de l’enfant ou d’abandon du domicile conjugale par l’un des deux parents.
    • Aussi, dans plusieurs décisions la Cour de cassation a-t-elle estimé que lorsque la cohabitation avait cessé illégitimement, les parents demeuraient toujours responsables de leurs enfants, quand bien même ils ne résidaient pas avec eux au moment du dommage.
    • Dans un arrêt du 21 août 1996, la chambre criminelle a estimé en ce sens que « le défaut de cohabitation, dépourvu de cause légitime, ne fait pas cesser la présomption légale de responsabilité pesant solidairement sur le père et la mère par l’effet de l’article 1384, alinéa 4, du Code civil, en raison du dommage causé par leur enfant mineur » (Cass. crim. 21 août 1996, n°95-84.102).

?Deuxième étape : le basculement vers la conception abstraite de la cohabitation

Dans un arrêt Samda du 19 février 1997, la Cour de cassation a effectué un premier pas vers l’adoption de la conception abstraite de la cohabitation (Cass. 2e civ. 19 févr. 1997, n°93-14.646).

Cass. 2e civ., 19 févr. 1997

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que Christian X…, âgé de 16 ans, ayant causé des dommages à une automobile qu’il avait volée, M. Dumont, son propriétaire, a assigné en réparation Mme Y…, divorcée X…, ayant la garde de Christian et son assureur la MAAF ; que, Mme Y… a appelé en intervention M. X…, qui, lors des faits, hébergeait le mineur en vertu de son droit de visite, et son assureur, la SAMDA ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir retenu la responsabilité de M. X… sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, alors, selon le moyen, d’une part, que pour se prononcer sur la faute de surveillance qui a été imputée à M. X…, la cour d’appel devait s’expliquer, comme elle y était invitée par celui-ci, sur le fait que le mineur, âgé de 16 ans au moment du dommage, ne pouvait faire l’objet d’une surveillance constante de son père, auquel le mineur avait expliqué l’irrégularité de son emploi du temps par l’absence de ses professeurs à la fin de l’année scolaire ; qu’en se fondant uniquement, sans procéder à cette recherche, sur la connaissance qu’avait M. X… de la fréquentation ” plus ou moins régulière ” du collège par son fils, la cour d’appel a, en tout état de cause, privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ; d’autre part, que la cour d’appel, qui a reproché à M. X… d’avoir omis de s’assurer auprès du collège, de l’emploi du temps de son fils, devait nécessairement rechercher si l’irrégularité de l’emploi du temps scolaire du mineur ne traduisait pas une faute d’éducation de la mère chargée de la garde du mineur et à laquelle, seule, les éventuelles absences du mineur auraient pu être signalées ; que, faute d’avoir procédé à cette recherche, la cour d’appel a, plus subsidairement encore, privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que, par motifs adoptés, l’arrêt retient que M. X… avait connaissance des absences plus ou moins régulières de son fils au collège, et que le vol ayant eu lieu un mardi, jour où Christian devait aller normalement au collège, il appartenait au père, sur lequel pèse le devoir de surveillance de son fils lors de l’exercice du droit de visite et d’hébergement, de s’assurer auprès du collège de l’emploi du temps du collégien ;

Que de ces seules constatations et énonciations, la cour d’appel, sans avoir à procéder à d’autres recherches a exactement déduit que M. X… avait commis une faute de surveillance et légalement justifié sa décision de ce chef ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 4, du Code civil ;

Attendu que, pour mettre Mme Y… hors de cause, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que le jour des faits, l’enfant était en résidence chez son père et qu’il ne cohabitait pas avec sa mère ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce sur lui le droit de garde, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a mis Mme Y… hors de cause, l’arrêt rendu le 9 mars 1993, entre les parties, par la cour d’appel de Chambéry ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble

?Faits

  • Un mineur âgé de 16 ans dérobe une voiture et l’endommage endommagée
  • Le propriétaire assigne alors en réparation :
    • La mère, titulaire de la garde de l’enfant depuis le divorce
    • Le père qui, au moment des faits, exerçait un droit de visite.

?Procédure

  • Par un arrêt du 9 mars 1993, la Cour d’appel de Chambéry accède à l’action en réparation dirigée à l’encontre du père, mais rejette la demande formulée à l’endroit de la mère

?Solution

  • La Cour de cassation censure la décision des juges du fond en affirmant que « l’exercice du droit de visite et d’hébergement ne fait pas cesser la cohabitation du mineur avec celui des parents qui exerce le droit de garde »
  • Ainsi, pour la Cour de cassation, estime-t-elle que la mère de l’auteur du dommage engageait sa responsabilité au même titre que le père.
  • Pour la Cour de cassation, peu importe que le mineur ne résidât pas effectivement, au moment de la commission du fait dommageable, chez sa mère dans la mesure où il résidait habituellement chez cette dernière.
  • La cohabitation n’avait donc jamais cessé, nonobstant l’exercice du droit de visite du père.

?Analyse de l’arrêt

Dans l’arrêt Samba, la Cour de cassation se prononce, pour la première fois, en faveur de la conception abstraite de la cohabitation.

Peu importe que le parent de l’auteur du dommage n’exerce pas sur lui un pouvoir effectif de surveillance. Ce qui compte c’est qu’il soit investi de l’autorité parentale.

Aussi, la cohabitation procède de l’exercice de l’autorité parentale et non de la situation de fait que constitue la cohabitation prise dans son sens premier.

On passe ainsi d’une conception concrète de la cohabitation à une conception abstraite ou juridique.

Cette position de la Cour de cassation a-t-elle été confirmée par la suite ?

?Troisième étape : la détermination des nouveaux contours de la notion de cohabitation

Après avoir basculé vers l’adoption de la conception abstraite de la cohabitation, il a fallu redéfinir les contours de cette notion.

  • Dans un premier temps, la Cour de cassation s’est référée à l’exception de cessation illégitime de cohabitation pour retenir la responsabilité de parents qui n’habitaient pas de façon effective avec leur enfant au moment du dommage.
    • Arrêt du 28 juin 2000
      • La Chambre criminelle a ainsi retenu la responsabilité d’un père pour les crimes commis par sa fille dont il avait la garde, alors qu’elle vivait depuis près d’un an avec son concubin au moment de la commission des faits (Cass. crim., 28 juin 2000, n°99-84.627)
      • La Cour de cassation justifie sa décision en réaffirmant que « les père et mère, ou celui d’entre eux à qui l’enfant est confié, et dont la cohabitation avec celui-ci n’a pas cessé pour une cause légitime, ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit pesant sur eux, que par la force majeure ou la faute de la victime ».
    • Arrêt du 5 juillet 2001
      • La chambre criminelle adopte une solution similaire à celle retenue dans l’arrêt du 28 juin 2000 en rejetant le pourvoi formé par un père, lequel avait invoqué le défaut de cohabitation avec sa fille au moment du fait dommageable, cette dernière étant temporairement absente en raison de leurs difficultés relationnelles (Cass. 2e civ. 5 juillet 2001, n°99-12.428)
      • Au soutien de sa décision, la Cour de cassation considère qu’« une simple absence temporaire sans motif légitime ne constitue pas une rupture de la cohabitation, le fait qu’un enfant cause des problèmes à ses parents ne pouvant justifier l’abandon de leurs responsabilités ».
  • Dans un second temps, la Cour de cassation considère que la cohabitation est consubstantielle de l’exercice de l’autorité parentale, ce qui l’a conduit à retenir la responsabilité de parents alors même que leur enfant n’a jamais vécu avec eux.
    • Arrêt du 8 février 2005
      • La Cour de cassation poursuit son travail de définition en retenant une solution identique à celle adoptée en 2000 en rappelant mot pour mot que « les père et mère d’un enfant mineur dont la cohabitation avec celui-ci n’a pas cessé pour une cause légitime ne peuvent être exonérés de la responsabilité de plein droit pesant sur eux que par la force majeure ou la faute de la victime » (Cass. crim. 8 févr. 2005, n°03-87.447).
      • Aussi, dans cette décision la chambre criminelle estime-t-elle que la cohabitation entre un mineur âgé de 16 ans, auteur d’un incendie, et ses parents n’avait jamais cessé alors qu’il vivait, de fait, chez sa grand-mère depuis l’âge d’un an.
      • Pour la haute juridiction, bien que l’auteur du dommage n’ait jamais habité chez ses parents, ces derniers engageaient malgré tout leur responsabilité sur le fondement de l’ancien article 1384, al. 4, dans la mesure où la cohabitation n’avait pas cessé, selon ses termes, pour une cause légitime.
      • Si dès lors, dans cette hypothèse, « la cohabitation n’a jamais cessé pour une cause légitime », cela signifie que la seule cause légitime envisageable ne peut être que la fixation judiciaire de la résidence de l’enfant chez un tiers.

Cass. crim., 8 févr. 2005

Vu l’article 1384, alinéa 4, du Code civil ;

Attendu que les père et mère d’un enfant mineur dont la cohabitation avec celui-ci n’a pas cessé pour une cause légitime ne peuvent être exonérés de la responsabilité de plein droit pesant sur eux que par la force majeure ou la faute de la victime ;

Attendu que, pour déclarer les demandeurs civilement responsables des conséquences dommageables d’un incendie volontairement allumé par Grégory Z…, l’arrêt attaqué retient que l’enfant, âgé de treize ans au moment des faits, vivait depuis l’âge d’un an avec sa grand-mère, Marie-Thérèse Y…, et Charles X…, concubin puis mari de celle-ci ; que les juges ajoutent que les époux X… avaient ainsi, avec l’accord de ses parents, la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie du mineur ;

Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors que la circonstance que le mineur avait été confié, par ses parents, qui exerçaient l’autorité parentale, à sa grand-mère, n’avait pas fait cesser la cohabitation de l’enfant avec ceux-ci, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Colmar, en date du 1er juillet 2003, en ses seules dispositions relatives à la responsabilité civile des époux X…, toutes autres dispositions étant expressément maintenues

?Quatrième étape : la détermination des conditions quant au transfert de la garde

L’examen de la jurisprudence révèle que le transfert de la garde de l’enfant ne peut résulter que d’une décision de justice.

Ainsi, dans un arrêt du 6 juin 2002, la Cour de cassation refuse de dédouaner de leur responsabilité les parents d’un mineur qui avait été placé dans une association chargée d’organiser et de contrôler son mode de vie, les magistrats de la haute juridiction relevant « qu’aucune décision judiciaire n’avait suspendu ou interrompu la mission confiée à l’Association » (Cass. 2e civ., 6 juin 2002, n°00-18.286)

Cette position est confirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt du 8 janvier 2008 où elle réaffirme, sans ambiguïté, que « une association, chargée par décision du juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur, demeure, en application de l’article 1384, alinéa 1er du code civil, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci est hébergé par ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative » (Cass. crim., 8 janv. 2008, n°07-81.725).

La Cour de cassation a, par ailleurs, eu l’occasion de préciser que la cessation de la cohabitation peut résulter d’un divorce ou d’une séparation de corps.

Dans une espèce où la garde du mineur à l’origine du dommage avait été confiée, dans le cadre d’une procédure de divorce, exclusivement à sa mère, la deuxième chambre civile a jugé dans un arrêt du 21 décembre 2006 que dans la mesure où l’enfant ne résidait pas « habituellement avec son père en vertu des mesures provisoires prises par le magistrat conciliateur, la responsabilité civile de celui-ci ne pouvait être retenue sur le fondement de l’article 1384, alinéa 4, du code civil. » (Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n°05-17.540).

Cass. 2e civ., 6 juin 2002

Sur le moyen unique du pourvoi n° 00-18.286 et sur le premier moyen des pourvois n° 00-19.694 et 00-19.922, pris en leur première branche :

Vu l’article 1384, alinéa 1er du Code civil ;

Attendu qu’une association chargée par décision d’un juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur demeure, en application du texte susvisé, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative ;

Attendu que, pour déclarer Mme X… responsable des conséquences dommageables de l’incendie, l’arrêt retient que l’Association qui avait vu confier la garde du mineur à son service de placement familial et dont les interventions avant sinistre se faisaient au rythme de quatre par mois, n’avait plus du fait de la nature même de la mesure prise, à savoir le retour de Pascal chez sa mère depuis plusieurs mois, l’autorité lui donnant le pouvoir d’organiser à titre permanent le mode de vie du mineur, de le contrôler et de le diriger ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’aucune décision judiciaire n’avait suspendu ou interrompu la mission confiée à l’Association, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du premier moyen des pourvois n°s 00-19.694 et 00-19.922 :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a déclaré Mme X…, assurée par la GMF des conséquences dommageables de l’incendie et débouté la ville d’Annecy et le GAN de leurs demandes dirigées contre l’ADSSEA et la MAIF, l’arrêt rendu le 9 mai 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon

Au total, il résulte de l’ensemble de la jurisprudence précitée que dès lors que les parents exercent l’autorité parentale sur l’enfant qui a causé un dommage, ils sont irréfragablement réputés cohabiter avec lui.

Aussi, est-ce une approche totalement abstraite de la cohabitation qui a été adoptée par la Cour de cassation.

Pour François Chabas, la cohabitation est en quelque sorte devenue un attribut de l’autorité parentale[1], ce qui conduit certains auteurs à plaider pour suppression pure et simple de cette condition dont l’exigence n’a, à la vérité, plus grand sens compte tenu du dévoiement de la notion de cohabitation.

  1. F. Chabas, Cent ans d’application de l’article 1384 in La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle – Bilan prospectif : Resp. civ. et assur. 2001, Hors-série, n° 32, p. 43. ?

La responsabilité du fait d’autrui: principe général (l’arrêt Blieck et ses suites)

La reconnaissance d’une responsabilité générale du fait d’autrui, c’est-à-dire au-delà des cas expressément prévus par la loi s’inscrit dans le mouvement tendant à améliorer le sort de la victime.

L’objectif poursuivi est de mettre en rapport un préjudice à réparer et une personne solvable, afin d’améliorer l’indemnisation des dommages.

Cette amélioration va résulter de la conjugaison de deux phénomènes :

  • La découverte de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui
  • La reconnaissance d’une responsabilité de plein droit

I) La découverte de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui

A) L’émergence de nouveaux cas de responsabilité du fait d’autrui

?Situation en 1804

En 1804, les rédacteurs du Code civil n’ont nullement envisagé d’instaurer en principe général de responsabilité du fait d’autrui.

La raison en est que, par principe, l’on estimait que l’on ne pouvait être responsable que de son propre fait, l’exception étant que l’on puisse répondre des actes d’autrui.

C’est la raison pour laquelle, en 1804, le législateur n’a reconnu que trois cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui, énoncés à l’ancien article 1384 du Code civil.

L’article 1384 prévoyait en ce sens que :

  • « Le père, et la mère après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux »
  • « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés »
  • « Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance »

?Réforme des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui

À partir de la fin du XIXe siècle, le législateur s’est employé à réformer les cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui, afin de les adapter aux évolutions du droit positif, comme, par exemple, la reconnaissance d’une égalité entre les parents quant à leur responsabilité du fait de leurs enfants.

Ce mouvement réformateur des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui s’est traduit par une modification de l’article 1384 du Code civil qui, à l’issue des réformes successives, sera rédigé dans les termes suivants :

  • « Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux. »
  • « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. »
  • « Les instituteurs et les artisans, du dommage causé par leurs élèves et apprentis pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance. »

Nonobstant le toilettage des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui entrepris par le législateur au début du siècle dernier, la reconnaissance d’un principe général est demeurée exclue, alors même que, sensiblement à la même époque, la jurisprudence venait de découvrir à l’alinéa 1er de l’article 1384 un principe général de responsabilité du fait des choses.

Pour mémoire, cette disposition, devenu l’article 1242 du Code civil, prévoit en son alinéa 1er que :

« On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

Il peut être observé que lors de l’adoption du Code civil en 1804, ses rédacteurs n’avaient pour seule intention, en insérant cet alinéa, que d’annoncer les cas particuliers de responsabilité du fait du fait d’autrui énoncés aux alinéas 2,3 et 4 de l’article 1242 et de responsabilité du fait des choses prévus aux articles 1243 (responsabilité du fait des animaux) et 1244 (responsabilité du fait des bâtiments en ruine).

Il s’agissait, en d’autres termes, d’un texte de transition entre la responsabilité du fait personnel des articles 1240 et 1241 et les cas spéciaux de responsabilité énumérés aux dispositions suivantes. L’article 1242, al. 1er était en ce sens dépourvu de toute valeur normative.

Pendant près d’un siècle, nul n’a envisagé l’existence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui, pas plus qu’un principe général de responsabilité du fait des choses.

Les seules hypothèses dans lesquelles une personne était susceptible de répondre de la conduite d’autrui étaient celles limitativement énumérées à l’article 1242 du Code civil.

?La reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses

Par ailleurs, les seules choses dont l’intervention dans la production d’un dommage était susceptible d’engager la responsabilité du gardien, ne pouvaient être, selon la jurisprudence, que celles énumérées aux articles 1243 et 1244 du Code civil.

Dans l’hypothèse où la chose à l’origine d’un dommage n’était, ni un animal, ni un bâtiment en ruine, on estimait, dès lors, qu’elle devait être appréhendée comme un simple instrument de l’action humaine, de sorte qu’il appartenait à la victime de rechercher la responsabilité du gardien sur le fondement de la responsabilité du fait personnel.

Cela supposait donc de rapporter la preuve d’une faute en relation avec le dommage (V. en ce sens Cass. civ., 19 juill. 1870)

La liste des cas de responsabilité du fait des choses est demeurée limitative jusqu’à l’avènement de la Révolution industrielle.

Comme le souligne Philippe Brun, « si dans la société agraire du début du XIXe siècle, les animaux et les bâtiments ont pu apparaître comme les principales sources de dommages parmi les choses, ce schéma a volé en éclat avec la Révolution industrielle »[1].

Cette révolution a, en effet, été accompagnée par un accroissement considérable des accidents de personnes provoqués par l’explosion des techniques encore mal maîtrisées, liées notamment à l’exploitation des machines à vapeur.

La victime se retrouvait le plus souvent dans l’impossibilité de déterminer la cause exacte du dommage et, surtout, d’établir une faute à l’encontre du gardien.

Cela aboutissait alors à une situation particulièrement injuste. Les victimes étaient privées d’indemnisation en raison des conditions restrictives de mise en œuvre de la responsabilité du fait personnel : en l’absence de faute, la responsabilité du propriétaire de machine ne pouvait pas être engagée, quand bien même l’accident survenait dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.

Manifestement, il attendre la fin du XIXe siècle pour que naisse une prise de conscience de la nécessité d’améliorer le sort des victimes du machinisme en jurisprudence.

Aussi, dans un arrêt du 16 juin 1896, la Cour de cassation reconnaît-elle, pour la première fois, le caractère non limitatif de l’ancien article 1384, alinéa 1er du Code civil (Cass. civ, 16 juin 1896)

Cette reconnaissance d’un principe général du fait des choses a, par la suite, été confirmée par le célèbre arrêt Jand’heur du 13 février 1930 (Cass. Ch. réun., 13 févr. 1930).

Par cette décision, la Cour de cassation reconnaît, en d’autres termes, la valeur normative de l’article 1242, al. 1er du Code civil, de sorte que, désormais, la victime est fondée à rechercher la responsabilité du gardien d’une chose qui lui a causé un dommage en dehors des cas particuliers prévus par la loi.

La question qui immédiatement s’est alors posée a été de savoir si cette reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait des choses alors conduire à l’abandon du caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui.

?Le refus de reconnaître symétriquement un principe général de responsabilité du fait d’autrui

Une lecture attentive de l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil nous révèle que cette disposition ne vise pas seulement la responsabilité du fait des choses.

Il est fait explicitement référence à la responsabilité du fait d’autrui :

« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

En 1930, la situation après que l’arrêt Jand’heur a été rendu est alors la suivante :

Alors que la Cour de cassation a découvert un principe général de responsabilité du fait des choses par une interprétation audacieuse de la formule « des choses que l’on a sous sa garde », elle se refuse à faire preuve de la même audace avec la formule « des personnes dont on doit répondre ».

Autrement dit, elle considère que seule la seconde partie de l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil serait porteuse d’un principe général, la formule « des personnes dont on doit répondre » étant dépourvue de toute valeur normative.

La conséquence en est pour la victime qui souhaite agir en réparation sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui :

  • Soit de se situer sur l’un des cas particuliers visés expressément à l’article 1242
  • Soit d’établir une faute de surveillance sur le fondement des articles 1240 et 1241

En dehors de ces deux hypothèses, la Cour de cassation était totalement fermée à l’idée de reconnaître un principe général de responsabilité du fait d’autrui.

La position qu’elle défend repose sur l’idée qu’il ne saurait y avoir de responsabilité que du fait personnel,

Ce principe a, notamment, pour fondement textuel l’article 121-1 du Code pénal qui prévoit que « nul n’est responsable que de son propre fait ».

Il s’agit là d’une conception directement héritée de la doctrine judéo-chrétienne selon laquelle l’homme est libre, de sorte que l’on ne saurait engager sa responsabilité que s’il fait un mauvais usage de sa liberté.

Aussi, admettre que l’on puisse répondre des actes délictueux d’autrui conduirait à une situation totalement injuste, voire dangereuse :

  • Injuste
    • Reconnaître un principe général de responsabilité du fait d’autrui reviendrait à obliger une personne à assumer les conséquences dommageables de l’exercice de la liberté d’autrui alors qu’elle ne peut pas, en principe, en contrôler la conduite.
  • Dangereuse
    • Le mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui conduit à mettre à la charge d’une personne une obligation de réparation, alors qu’elle n’a, personnellement, commis aucune faute

À la vérité, il faut attendre le début des années 1990 pour que la Cour de cassation assouplisse sa position assise sur le fondement de la faute et envisage d’ouvrir la liste des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui.

?L’abandon du caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui

C’est dans un arrêt Blieck du 29 mars 1991 rendu par la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, que le caractère limitatif de la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui est abandonné (Cass. ass. plén., 29 mars 1991, n°89-15.231).

Arrêt Blieck

(Cass. ass. plén., 29 mars 1991)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Limoges, 23 mars 1989), que X…, handicapé mental, placé au Centre d’aide par le travail de Sornac, a mis le feu à une forêt appartenant aux consorts X… ; que ceux-ci ont demandé à l’Association des centres éducatifs du Limousin, qui gère le centre de Sornac, et à son assureur, la réparation de leur préjudice ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir condamné ces derniers à des dommages-intérêts par application de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, alors qu’il n’y aurait de responsabilité du fait d’autrui que dans les cas prévus par la loi et que la cour d’appel n’aurait pas constaté à quel titre l’association devrait répondre du fait des personnes qui lui sont confiées ;

Mais attendu que l’arrêt relève que le centre géré par l’association était destiné à recevoir des personnes handicapées mentales encadrées dans un milieu protégé, et que X… était soumis à un régime comportant une totale liberté de circulation dans la journée ;

Qu’en l’état de ces constatations, d’où il résulte que l’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé, la cour d’appel a décidé, à bon droit, qu’elle devait répondre de celui-ci au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, et qu’elle était tenue de réparer les dommages qu’il avait causés ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

Une personne handicapée mentale, placée dans un centre éducatif spécialisé, échappe à la surveillance de ses encadrants et met le feu à une forêt.

?Demande

Les propriétaires du domaine demandent réparation au centre dans lequel résidait l’auteur de l’incendie ainsi qu’aux assureurs de ce centre.

?Procédure

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt confirmatif du 23 mars 1989, la Cour d’appel de Limoges va, sans un brin de provocation, accéder à la requête des propriétaires du domaine sur lequel a eu lieu l’incendie.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • La Cour d’appel fonde sa décision sur l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil, estimant que la responsabilité du fait d’autrui ne saurait être restreinte aux cas limitatifs prévus par la loi
    • Ainsi, pour les juges du fond, l’article 1384 alinéa 1er instituerait une présomption de responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre.

?Moyens des parties

On ne peut être responsable du fait d’autrui que dans les cas limitativement prévus par la loi.

?Problème de droit

Un centre éducatif spécialisé est-il responsable des dommages causés par l’incendie à l’origine duquel se trouve une personne dont il assure la prise en charge ?

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 29 mars 1991, à la surprise générale, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le centre éducatif spécialisé.
  • Sens de l’arrêt
    • La Cour de cassation relève « que l’association avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé ».
    • Elle en déduit que « la cour d’appel a décidé, à bon droit, que [l’association] devait répondre de celui-ci au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, et qu’elle était tenue de réparer les dommages qu’il avait causés »
    • Pour la première fois, la haute juridiction accepte donc d’appliquer la responsabilité du fait d’autrui à une hypothèse qui n’est pas prévue dans le Code civil
    • Pour ce faire, il n’est pas anodin de noter que la Cour de cassation relève que le centre éducatif avait
      • la charge d’organiser le mode de vie de l’auteur du dommage
      • de contrôler ce mode de vie
      • à titre permanent
    • L’assemblée plénière en déduit que le centre éducatif engage alors sa responsabilité
    • De toute évidence, les critères auxquels a recours l’assemblée plénière pour abandonner le caractère limitatif de la liste des cas particuliers de responsabilité d’autrui ressemblent étrangement à ceux qui ont été retenus dans l’arrêt Franck pour déterminer les conditions d’application du principe général de responsabilité du fait des choses (Cass. ch. Réunies, 2 déc. 1941). Nous y reviendrons.

?Justification de la solution

Lorsque l’arrêt Blieck a été rendu, la question s’est immédiatement posée de savoir pourquoi la Cour de cassation avait finalement décidé d’ouvrir la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui, alors qu’elle était parvenue à résister à l’attraction du principe général de responsabilité du fait des choses pendant près d’un siècle.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour justifier cette solution :

  • Le parallèle avec la responsabilité contractuelle
    • Il est acquis en matière contractuelle que le débiteur d’une obligation engage sa responsabilité lorsque l’inexécution de la convention est imputable à un tiers qu’il a volontairement introduit dans l’exécution de celle-ci.
    • Ainsi, le débiteur d’une obligation contractuelle répond-il du fait :
      • De son préposé
      • De son sous-traitant
    • Ainsi, existe-t-il en matière contractuelle, un principe de responsabilité du fait d’autrui, alors que la loi ne le prévoit pas.
  • Le parallèle avec la responsabilité administrative
    • Très tôt, l’existence d’un principe de responsabilité du fait d’autrui a été reconnue en droit administratif.
    • Les juridictions administratives ont, en effet, admis une responsabilité objective de l’État pour risque spécial, lorsque les personnes gardées présentent une dangerosité particulière, comme les mineurs délinquants ou les déments.
      • Dans un arrêt Thouzellier du 3 février 1956 la Conseil d’État a reconnu la responsabilité sans faute de l’État du fait de délinquants qui étaient placés sous un régime de semi-liberté (CE, 3 févr. 1956, Thouzellier)
      • Plus récemment, dans un arrêt GIE AXA courtage du 11 février 2005, la haute juridiction administrative a estimé que l’État engageait sa responsabilité, sans faute, pour le fait dommageable à l’origine duquel se trouvait un mineur qui faisait l’objet d’un placement dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative (CE, 11. Févr. 2005, GIE AXA).
  • Le parallèle avec la responsabilité du fait des choses
    • Un principe général de responsabilité du fait des choses a été découvert à l’article 1384, al. 1er du Code civil, pourquoi ne pas faire de même en matière de responsabilité du fait d’autrui, laquelle est expressément visée dans le même alinéa ?
  • Le parallèle avec le droit étranger
    • L’existence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui a été reconnue dans de nombreux pays (Québed, Grèce, Japon)

?Portée de l’arrêt Blieck

Il peut tout d’abord être relevé que la formule utilisée par la Cour de cassation dans l’arrêt Blieck nous rappelle étroitement l’expression utilisée, un demi-siècle plus tôt, dans l’arrêt Franck.

Pour mémoire, dans l’arrêt Franck relatif à la responsabilité du fait des choses, la Cour de cassation affirmait que la notion de garde d’une chose devait être entendue comme le « pouvoir d’usage, de direction et de contrôle » de la chose.

Dans l’arrêt Blieck, la Cour de cassation retient que l’association « avait accepté la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie » de la personne dont elle doit répondre. Force est de constater que les deux expressions sont étroitement proches.

Immédiatement, deux questions alors se posent :

  • La Cour de cassation a-t-elle entendu poser un critère général et unique de mise en œuvre d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui ?
  • La Cour de cassation a-t-elle souhaité, au contraire, poser un critère se rapportant à un cas particulier de responsabilité du fait d’autrui, celui de l’adulte ou enfant handicapé qui réside dans un centre éducatif spécialisé ?

Lorsque l’arrêt Blieck a été rendu, cette question est restée grande ouverte, à tout le moins jusqu’en 1995, la Cour de cassation n’ayant eu à se prononcer jusqu’à cette date que sur des espèces voisines de l’arrêt Blieck.

B) La découverte d’un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er

Il faut attendre un arrêt du 22 mai 1995 pour voir la position de la Cour de cassation se préciser concernant le domaine d’application de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242 al. 1er du Code civil (Cass. 2e civ., 22 mai 1995, n°92-21.871).

Cass. 2e civ., 22 mai 1995

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’au cours d’un match de rugby, une bagarre a mis aux prises les joueurs des deux équipes appartenant à des associations sportives différentes ; que M. X…, membre de l’Union sportive de Monteux, a été mortellement blessé ; qu’une information pénale a été clôturée par une ordonnance de non-lieu ; que les consorts X… ont demandé à l’équipe adverse, l’Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille (Uspeg), la réparation de leur préjudice ;

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu la responsabilité de l’Uspeg alors que, selon le moyen, ” d’une part, le préposé est celui qui agit pour le compte d’une autre personne, le commettant, lequel exerce à son égard un pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle ; que les joueurs de rugby sont des amateurs ; qu’ils ne sont donc pas rémunérés en contrepartie de leur activité sportive ni soumis à aucune contrainte d’entraînement ou de participation aux rencontres ; qu’en retenant cependant l’existence d’un lien de préposition entre le club et les joueurs amateurs qui en sont membres, la cour d’appel a violé les articles 1384, alinéa 5, du Code civil, 101 et 107 du règlement de la Fédération française de rugby ; d’autre part, le rapport de subordination d’où découle la responsabilité des commettants suppose de la part de ceux-ci le pouvoir de donner des ordres à leurs préposés ; que ce lien de subordination n’est pas caractérisé dès l’instant où aucun pouvoir de contrôle et de direction ne peut ainsi être exercé ; que, lors d’un match de championnat, les joueurs présents sur le terrain sont sous la seule autorité de l’arbitre ; qu’il résulte des constatations mêmes de l’arrêt attaqué que la bagarre qui aurait entraîné la mort de Dominique X… s’est déclenchée ” au cours du match ” (arrêt p. 9, alinéa 3) ; qu’à cet instant, seul l’arbitre, à l’exclusion des clubs sportifs, exerçait un pouvoir de contrôle et de direction sur les joueurs ; qu’en déclarant cependant un club responsable des conséquences dommageables d’une bagarre survenue pendant un match, la cour d’appel a violé les articles 1384, alinéa 5, du Code civil et 206 du règlement de la Fédération française de rubgy ; enfin, la responsabilité du commettant ne peut être engagée que si la preuve d’une faute commise par l’un de ses préposés est rapportée ; que l’auteur de la faute doit être identifié afin que le commettant puisse exercer le recours qui lui est reconnu contre son préposé fautif ; que la cour d’appel n’a pas identifié les joueurs qui auraient frappé M. X… ; qu’en retenant cependant la responsabilité de l’association sportive pour des fautes commises par plusieurs de ses préposés non identifiés, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 5, du Code civil ” ;

Mais attendu que les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion ;

Et attendu que l’arrêt retient que les joueurs de l’Uspeg participaient à une compétition sportive et que ce sont des joueurs de cette association qui ont exercé sur M. X… des violences ;

Que, par ces seuls motifs, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • À l’occasion d’un match de rugby un joueur est blessé lors d’un contact par un membre de l’équipe adverse

?Demande

  • Action en responsabilité de la victime contre l’association sportive dont est membre l’auteur du dommage

?Procédure

  • Dispositif de la décision rendue au fond
    • La Cour d’appel fait droit à la demande de la victime et condamne l’association et son assureur à réparer le dommage causé
  • Motivation des juges du fond
    • La Cour d’appel estime que l’association sportive dont est membre l’auteur du dommage était responsable en cas de dommage causé par lui
    • Les juges du fond fondent leur décision non pas sur l’alinéa 1er de l’ancien article 1384, mais sur son alinéa 5, soit sur la responsabilité du commettant du fait de son préposé.

?Moyens des parties

  • L’association sportive conteste la décision de la Cour d’appel estimant que sa responsabilité ne saurait être engagée pour le fait fautif commis par l’un de ses membres
  • Selon elle, elle n’entre dans aucun des cas de figure de responsabilité du fait d’autrui énoncé à l’article 1384 du Code civil
  • Plus précisément, elle considère qu’on ne saurait rechercher sa responsabilité sur le fondement de l’alinéa 5 de cette disposition car il concerne la responsabilité du commettant du fait de son préposé
  • Or il n’existe aucun lien de subordination entre l’association et son membre

?Problème de droit

Une association sportive engage-t-elle sa responsabilité pour le dommage causé par l’un de ses membres à un joueur de l’équipe adverse dans le cadre d’un match de rugby ?

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 22 mai 1995, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’association
  • Sens de l’arrêt
    • La Cour de cassation estime en l’espèce que dans la mesure où l’association sportive avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours d’événements sportifs, la victime était parfaitement fondée à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1384, al. 1er du Code civil.
    • Ainsi, la Cour de cassation reconnaît-elle que le principe général de responsabilité du fait d’autrui s’applique aux associations sportives.

?Analyse de l’arrêt

Il ressort de la comparaison de l’arrêt du 22 mai 1995 avec l’arrêt Blieck, que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1384, ne se limite pas à l’hypothèse d’un responsable qui aurait la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie du gardé.

Dans la présente décision, il est question, non pas d’une entité qui a sous sa garde des personnes dont elle organise le mode de vie à titre permanent. Il s’agit d’une association sportive qui va simplement organiser et contrôler, temporairement, soit le temps d’un match ou d’un entraînement, l’activité de ses membres. L’hypothèse est donc totalement différente de celle envisagée dans l’arrêt Blieck.

On peut en déduire que la Cour de cassation consacre, dans cet arrêt, un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui, un cas où le responsable organise, non pas le mode de vie d’autrui, mais l’activité à laquelle se livre le gardé.

Il en résulte que les critères posés par la Cour de cassation dans l’arrêt Blieck (organiser et contrôler à titre permanent le mode de vie du gardé) ne sauraient être considérés comme les critères du principe général de responsabilité du fait d’autrui. Ces critères sont propres au cas de responsabilité du fait d’autrui envisagé dans l’arrêt Blieck.

Ainsi, depuis 1995, la Cour de cassation retient-elle la responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 1384

  • Soit en cas de contrôle du mode de vie du gardé
  • Soit en cas de contrôle d’une activité

1. 1er cas : les personnes physiques ou morales ayant la charge d’organiser et de contrôler le mode de vie d’une personne

Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des personnes chargées d’assurer l’organisation du mode de vie d’autrui tiennent à plusieurs choses :

  • La personne du gardé
    • Le gardé ne peut, a priori, être qu’une personne vulnérable exigeant une surveillance particulière, le bon père étant en mesure de se prendre en charge sans l’assistance de personne.
      • Ainsi, le gardé pour être :
        • Soit un mineur en difficulté
        • Soit un majeur protégé
  • La qualité du gardien
    • Compte tenu du profil des personnes susceptibles d’être assistées quant à l’organisation de leur mode de vie, deux catégories de gardiens peuvent être envisagées :
      • Les personnes morales qui se voient confier la garde d’autrui par une autorité
      • Les tuteurs
    • L’examen de la jurisprudence révèle que la jurisprudence est pour le moins réticente à retenir, sur le fondement de l’article 1242, al. 1er, la responsabilité :
      • Des instituteurs
      • Des grands-parents
      • Des oncles et tantes
      • Des curateurs
      • Des administrateurs légaux sous contrôle judiciaire
    • La position de la jurisprudence s’explique par le fait que les personnes physiques, notamment les particuliers, ne sont pas assurées pour les faits dommageables susceptibles d’être commis par la personne dont ils organisent le mode de vie, contrairement aux personnes morales et aux tuteurs qui jouissent d’une couverture juridique au titre de leur assurance responsabilité civile professionnelle.
    • La responsabilité des particuliers peut néanmoins être engagée sur le fondement des articles 1240 et 1241 si la victime prouve l’existence d’une faute de surveillance (V. en ce sens Cass. 2e civ., 5 févr. 2004 n°02-15.383 et 01-03.585)
    • Au total, comme le soutiennent certains auteurs, l’exclusion des particuliers du domaine de l’article 1242, al. 1er du Code civil devrait être érigée en critère d’application du principe de responsabilité du fait d’autrui, afin qu’aucune obligation de réparation ne puisse être mise à leur charge lorsqu’elles sont mises en cause dans le cadre d’activités bénévoles.
  • Les pouvoirs du gardien sur le gardé
    • Pour que la responsabilité d’une personne qui organise le mode de vie d’autrui puisse être engagée, il est nécessaire que le gardien exerce sur le gardé un pouvoir juridique.
    • Aucune règle de droit n’autorise à une personne à exercer un pouvoir de fait sur autrui quant à l’organisation de son mode de vie
    • Dans cette perspective, il ressort de la jurisprudence que lorsque la responsabilité du gardien a été retenue, un juge était intervenu en vue de mettre en place :
      • Soit une mesure de tutelle
      • Soit une mesure d’assistance éducative
    • Ainsi, la jurisprudence exige-t-elle pour que la responsabilité du gardien puisse être engagée que ce dernier exerce sur le gardé un pouvoir non seulement juridique, mais également judiciaire.
    • La conséquence en est que la responsabilité du gardien sera susceptible d’être recherchée même s’il n’exerçait pas de pouvoir effectif sur le gardé lors de la commission du fait dommageable.
    • Telle est la solution qui a été retenue par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 2002 (Cass. 2e civ. 6 juin 2002, n°00-15.606).

Cass. 2e civ., 6 juin 2002

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu qu’une association chargée par décision d’un juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur demeure, en application du texte susvisé, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le mineur Franck A…, âgé de seize ans, placé par un juge des enfants dans un foyer éducatif géré par l’Association de la région havraise pour l’enfance et l’adolescence en difficultés (l’Association) a, lors d’un séjour de fin de semaine au domicile de ses parents, commis un incendie volontaire qui a détruit le fonds de commerce de Mme X… ; qu’il a été pénalement condamné du chef de ce délit ; que Mme X… et son assureur la compagnie Assurances générales de France (compagnie AGF) ont assigné en réparation l’Association et son assureur la compagnie Axa ; qu’un jugement a accueilli leurs demandes ;

Attendu que pour débouter Mme X… et la compagnie AGF de leurs demandes, l’arrêt retient qu’il est établi que les parents A… bénéficiaient d’un droit de visite et d’hébergement de fin de semaine à exercer selon le rythme d’une semaine sur deux, que selon les pièces du dossier pénal, le jeune Franck A… a déclaré être rentré chez lui ” après les faits “, que selon la notice de renseignements, ce mineur était placé et revenait chez ses parents en fin de semaine, qu’enfin le mineur a déclaré à un psychologue qu’il avait mis le feu ” au cours d’un week-end chez lui ” ; que dans ces conditions, il est établi que Franck A… était en séjour régulier et autorisé chez ses parents lors de la fin de semaine où il a provoqué l’incendie, de sorte que l’Association ne peut être déclarée civilement responsable de ses agissements ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 mars 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Rouen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen.

?Faits

  • Placement d’un mineur dans un foyer éducatif par décision judiciaire.
  • À l’occasion d’un séjour chez ses parents, celui-ci va commettre un incendie volontaire endommageant le fonds de commerce d’un commerçant.

?Demande

Le propriétaire du fonds de commerce demande réparation du préjudice occasionné au foyer éducatif en charge du mineur.

?Procédure

  • Dispositif de la Cour d’appel
    • Par un arrêt du 15 mars 2000, la Cour d’appel de Rouen a débouté le commerçant et son assureur de leur demande en réparation.
  • Motivation de la Cour d’appel
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’enfant était sous la surveillance de ses parents, car il séjournait chez eux, l’association qui en avait la charge au quotidien ne pouvait voir sa responsabilité engager.

?Problème de droit

Une association qui s’est vue confier par un juge la garde d’un mineur est-elle responsable des agissements de ce dernier lorsqu’il séjourne, dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite, chez ses parents ?

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 6 juin 2002, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1384, al. 1er du Code civil.
  • Sens de l’arrêt
    • La deuxième chambre civile justifie sa décision en affirmant « qu’une association chargée par décision d’un juge des enfants d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d’un mineur demeure, en application du texte susvisé, responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, même lorsque celui-ci habite avec ses parents, dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission éducative ».
    • En d’autres termes, pour la Cour de cassation, peu importe que le mineur ne fût pas sous la surveillance effective de l’association lorsque le fait dommageable a été commis.
    • Ce qui compte, c’est le pouvoir juridique que l’association exerçait sur l’auteur du dommage.
    • Il s’agissait, en l’espèce, plus précisément d’un pouvoir judiciaire

?Analyse de l’arrêt

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de l’arrêt du 6 juin 2002 :

  • Exigence d’un pouvoir juridique sur le gardé
    • La Cour de cassation semble exiger du gardien visé à l’article 1384, al. 1er qu’il soit investi des mêmes pouvoirs que les parents sur leur enfant.
      • Autrement dit, il est nécessaire, le gardien exerce, a minima, un pouvoir juridique sur le gardé.
      • En l’espèce c’était le cas, puisque l’association s’était vue confier la garde du mineur par décision de justice.
  • L’exigence d’un pouvoir permanent sur le gardé
    • L’organisation du mode de vie d’autrui suppose que le gardien exerce sur le gardé un pouvoir permanent, d’où l’exigence posée par la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que pour être responsable l’association doit « organiser et contrôle à titre permanent le mode de vie » du gardé.
  • Les conditions de transfert de la garde
    • Dans l’arrêt du 6 juin 2002, la responsabilité du gardien a été retenue alors même qu’il n’exerçait aucun pouvoir effectif sur le gardé, celui-ci étant chez ses parents au moment du dommage.
    • Est-ce à dire que seule une décision de justice serait susceptible d’opérer un transfert de la garde, semblablement à la solution adoptée par la jurisprudence en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants ?
    • Une lecture attentive de la jurisprudence antérieure et postérieure nous révèle qu’il convient, en réalité, de distinguer deux situations, selon que la garde procède d’une démarche volontaire ou selon qu’elle procède d’une décision de justice :
      • La garde procède d’une démarche volontaire : l’exigence d’une autorité relative sur le gardé
        • Dans l’hypothèse où le transfert de la garde procède d’une démarche d’une démarche volontaire, comme c’était le cas dans l’arrêt Blieck, la jurisprudence admet que le gardien puisse n’exercer qu’une autorité relative.
        • Ainsi, il apparaît que, dans cette situation, que la jurisprudence répugne à condamner l’établissement en charge d’assurer le mode de vie du gardé lorsqu’elle n’exerce pas de pouvoir effectif sur lui au moment du dommage.
          • Tel sera notamment le cas lorsque le gardé est hébergé sous le régime de la demi-pension ou lorsqu’il rentre chez ses parents pendant une période de vacances.
          • Dans un arrêt du 25 février 1998 où elle refuse de retenir la responsabilité du gardien qu’il n’exerçait qu’une autorité relative sur le gardé, la Cour de cassation relève que, lors de la commission du fait dommageable, la personne dont elle avait la charge « ne se trouvait plus sous l’autorité de l’association, laquelle n’avait plus à partir de ce moment, la surveillance et l’organisation des conditions de vie de cet handicapé ». (Cass. 2e civ., 25 févr. 1998).
      • La garde procède d’une décision de justice : l’exigence d’une autorité absolue sur le gardé
        • Dans l’hypothèse où le transfert de la garde procède d’une décision de justice, comme c’était le cas dans l’arrêt du 6 juin 2002, la jurisprudence exige que le gardien exerce une autorité absolue.
        • Autrement dit, le transfert de la garde ne pourra s’opérer que sous l’effet d’une décision de justice.
        • Peu importe que le gardien n’exerçât pas un pouvoir effectif sur le gardé au moment du dommage, sa responsabilité pourra malgré tout être recherchée.
          • Dans un arrêt du 26 mars 1997, la Cour de cassation affirme en ce sens que le gardien engage sa responsabilité « dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission » (Cass. crim., 26 mars 1997, n°95-83.956).
        • Un parallèle peut être fait ici avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, où la jurisprudence n’admet le transfert de la garde que s’il procède d’une décision judiciaire (Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n°94-21.111)
        • Plus récemment, la Cour de cassation a réaffirmé cette solution en considérant, au sujet d’une association qui assurait la prise en charge d’un mineur placée sous son autorité par le juge des tutelles, qu’elle demeurait responsable de ce dernier « dès lors qu’aucune décision judiciaire n’a suspendu ou interrompu cette mission » (Cass. 2e civ., 7 oct. 2004, n°03-16.078).

?Quid du cumul de la responsabilité avec les autres cas de responsabilité du fait d’autrui ?

La question qui se pose est de savoir si la victime peut engager la responsabilité de plusieurs responsables du fait d’autrui en invoquant concurremment plusieurs fondements ?

Autrement dit, les différents cas de responsabilité du fait d’autrui sont-ils susceptibles de faire l’objet d’un cumul ?

Très tôt, la Cour de cassation a eu l’occasion d’affirmer dans un arrêt du 18 mars 1981 que « les différentes responsabilités du fait d’autrui ne sont pas cumulatives mais alternatives » (Cass. 2e civ., 18 mars 1981, n°79-14.036).

Cette solution s’explique par le fait qu’il est difficilement envisageable que plusieurs personnes puissent organiser, conjointement, hormis les parents, le mode de vie d’une personne.

Une telle garde n’est pas divisible, de sorte que son exercice ne peut être qu’exclusive. D’où la réticence de la jurisprudence à admettre le cumul des gardiens.

Ainsi, une victime d’un dommage causé par une personne gardée ne saurait rechercher cumulativement la responsabilité de ses parents sur le fondement de l’article 1242, al. 4 et la responsabilité de l’établissement chargé d’assurer l’organisation de son mode de vie sur le fondement de l’article 1242, al. 1er (V. en ce sens Cass. crim., 26 mars 1997, n°95-83.956).

La garde ne se partage pas, elle se transfère.

2. Second cas : les associations ayant pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de leurs membres

Comme pour les personnes qui assurent l’organisation et le contrôle du mode de vie d’autrui, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des associations ayant pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de ses membres tiennent à plusieurs choses :

?La qualité du gardien

L’examen de la jurisprudence révèle que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er du code civil confine à la responsabilité collective.

En d’autres termes, seules les associations semblent concernées par ce cas particulier de responsabilité et plus généralement les personnes morales qui ont pour mission l’organisation et le contrôle d’une activité spécifique.

Il ne semble pas que la Cour de cassation ait l’intention de retenir la responsabilité de simples personnes physiques organisatrices d’une activité dans la mesure où une personne physique n’est pas nécessairement assurée pour les activités qu’elle organise.

Il en résulte qu’une une baby-sitter ou des grands-parents qui contrôle l’activité mais pas le mode de vie d’un mineur ne sauraient voir leur responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1er.

?Toutes les associations sont-elles visées par le principe de responsabilité du fait d’autrui ?

Pendant longtemps, les auteurs ont pensé que seules les associations sportives étaient susceptibles d’engager leur responsabilité sur le fondement de l’article 1242, al. 1 du Code civil

Autrement dit, il avait été conjecturé que le principe de responsabilité du fait d’autrui n’était applicable qu’aux associations qui avaient pour mission d’organiser et de contrôler une activité dangereuse, comme tel était le cas dans l’arrêt du 22 mai 1995.

Cette idée a néanmoins volé en éclats à la suite d’un arrêt du 12 décembre 2002 de la deuxième chambre civile (Cass. 2e civ., 12 déc. 2002, n°00-13.553).

Cass. 2e civ., 12 déc. 2002

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 15 octobre 1999), que Mlle X…, qui participait à un défilé de majorettes organisé par l’association Saint-Louis de Poissy (l’association) a été blessée par le bâton manipulé par une autre majorette, Mme Le Y… ; que Mlle X… a assigné en responsabilité et dommages-intérêts Mme Le Y… et la société Assurances générales de France sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ainsi que l’association et son assureur, la compagnie Axa assurances (Axa), sur le fondement des articles 1382 et 1384, alinéas 1 et 5, du Code civil ;

Attendu que l’association et la compagnie Axa font grief à l’arrêt de les avoir condamnées, solidairement avec Mme Le Y…, à réparer le préjudice subi par Mlle X… alors, selon le moyen, que seules les personnes ayant mission de régler le mode de vie d’autrui ou de contrôler l’activité potentiellement dangereuse à laquelle il se livre répondent, de plein droit, des dommages qu’il peut causer par son fait ;

que tel n’est pas le cas d’une association communale chargée d’organiser un défilé de majorettes, les exercices d’adresse auxquels celles-ci se livrent ne présentant de danger objectif ni pour les participantes, ni pour le public, et cette association n’exerçant de surcroît aucun contrôle sur la réalisation des exercices préparés et répétés à l’avance par un corps constitué, se bornant à donner à l’ensemble des instructions de marche ;

d’où il suit qu’en déclarant l’association, même en l’absence de toute faute de sa part, responsable de plein droit du dommage causé par la chute d’un bâton échappé à la maîtrise d’une participante, la cour d’appel a violé l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt, confirmatif sur ce point, relève, par motifs propres et adoptés, que le dommage a été causé par un membre de l’association, à l’occasion du défilé de majorettes organisée par celle-ci, laquelle avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours du défilé ;

Que par ces constatations et énonciations, la cour d’appel a pu, sans avoir à tenir compte de la dangerosité potentielle de l’activité exercée par un des membres de l’association, décider que celle-ci était tenue de plein droit de réparer, avec son assureur, le préjudice résultant du fait dommageable commis par l’un de ses membres à l’occasion de la manifestation qu’elle avait organisée ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Faits

  • Accident survenu lors d’un défilé de majorettes.
  • À la suite d’une erreur de manipulation, l’une d’elles perd le contrôle de son bâton, lequel vient blesser une autre majorette.
  • La victime agit en réparation contre l’association organisatrice du défilé.

?Procédure

  • Dans un arrêt du 15 octobre 1999, la Cour d’appel de Versailles fait droit à la demande de la victime
  • Pour retenir la responsabilité de l’association, les juges du fond relèvent que « le dommage a été causé par un membre de l’association, à l’occasion du défilé de majorettes organisée par celle-ci, laquelle avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours du défilé ».

?Moyens

  • L’association conteste sa condamnation en soutenant que « seules les personnes ayant mission de régler le mode de vie d’autrui ou de contrôler l’activité potentiellement dangereuse à laquelle il se livre répondent, de plein droit, des dommages qu’il peut causer par son fait », ce qui n’était pas son cas dans la mesure où elle était à la tête de l’organisation d’un défilé de majorette ce qui, par nature, n’est pas une activité dangereuse.

?Solution

  • Bien que l’on eût pu être séduit par l’argumentation développée par l’association, la Cour de cassation rejette son pourvoi.
  • La deuxième chambre civile approuve les juges du fond de n’avoir pas tenu compte « de la dangerosité potentielle de l’activité exercée par un des membres de l’association »
  • Aussi, considère-t-elle que l’association était « tenue de plein droit de réparer, avec son assureur, le préjudice résultant du fait dommageable commis par l’un de ses membres à l’occasion de la manifestation qu’elle avait organisée ».

?Portée

  • Quel enseignement retenir de cet arrêt ?
  • Il importe peu que l’activité organisée et contrôle par l’association présente un caractère dangereux
  • Ce qui compte c’est que le dommage se soit produit dans le cadre de l’activité dont l’association assurait l’organisation.
  • Ainsi, l’idée de risque n’est pas nécessairement la source de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil.

?Quid de la nature des pouvoirs que l’association doit exercer pour engager sa responsabilité dans le cadre de l’organisation d’une activité ?

Deux solutions sont envisageables :

  • Soit on estime qu’il suffit que l’association exerce un pouvoir effectif dans le cadre de l’activité dont elle assure le contrôle et l’organisation auquel cas sa responsabilité est susceptible d’être retenu
    • Tant pour les dommages occasionnés par ses membres
    • Que pour les dommages occasionnés par les tiers
  • Soit on estime qu’il est nécessaire que l’association exerce un pouvoir juridique dans le cadre de l’activité dont elle assure le contrôle et l’organisation auquel cas sa responsabilité ne pourra être retenue que pour les dommages occasionnés par ses membres.

Dans un arrêt du 22 septembre 2005, la Cour de cassation s’est prononcée en faveur de la seconde solution.

Elle estime, en effet, que « les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent, ne sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion qu’à la condition que le dommage dont la victime demande réparation ait été causé par un membre de cette association » (Cass. 2e civ. 22 sept. 2005, n°04-18.258).

En d’autres termes, il est nécessaire que l’auteur du dommage soit membre de l’association, c’est-à-dire une personne qui soit rattachée juridiquement à cette dernière pour que sa responsabilité puisse être recherchée sur le fondement de l’article 1242 alinéa 1er du Code civil.

Cass. 2e civ., 22 sept. 2005

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 novembre 2003), que M. X…, membre de l’association sportive du Lycée polyvalent de Miramas (l’association), a été blessé alors qu’il disputait une compétition de judo organisée par l’Union nationale du sport scolaire (l’UNSS) ; qu’il a assigné l’association ainsi que son assureur, la Mutuelle assurance des instituteurs de France, en responsabilité et indemnisation devant le tribunal de grande instance ; que l’UNSS est intervenue volontairement à l’instance ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt d’avoir infirmé le jugement ayant déclaré l’UNSS responsable de plein droit de l’accident subi par M. X… au cours d’une compétition sportive alors, selon le moyen, que l’organisateur d’une compétition sportive est responsable de plein droit des dommages causés par ses participants (violation de l’article 1384 du Code civil) ;

Mais attendu que l’arrêt, après avoir exactement rappelé que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent ne sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, des dommages qu’ils causent à cette occasion qu’à la condition que le dommage dont la victime demande réparation ait été causé par un membre de cette association, retient que si l’UNSS est l’organisatrice de la compétition sportive au cours de laquelle M. X… a été blessé par son adversaire, il n’est ni justifié, ni même allégué, que ce dernier serait membre de l’UNSS ;

Que de ces constatations et énonciations, la cour d’appel a exactement déduit que la responsabilité civile de l’UNSS en sa qualité d’organisatrice de la compétition sportive ne pouvait être recherchée sur le fondement des dispositions de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Quid de l’identification du membre de l’association à l’origine du dommage ?

Si la Cour de cassation exige que le dommage ait été commis par un membre de l’association pour que sa responsabilité puisse être retenue, elle a précisé que l’application de l’article 1242, al. 1er n’était pas subordonné à l’identification du membre de l’association à l’origine du fait dommageable (Cass. 2e civ., 21 oct. 2004, n°03-17.910 et 03-18.942).

Elle a estimé en ce sens que « les associations sportives, ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à l’un de ses membres, même non identifié ».

Cass. 2e civ., 20 nov. 2003, n°02-13.653

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué (Rennes,30 janvier 2002), que M. Jean-Pierre Le X…, licencié à la Fédération française de rugby et membre de l’association sportive Brest université club (l’association), participant à un match de rugby, a été grièvement blessé aux vertèbres ; qu’il a assigné en réparation l’association ainsi que son propre assureur, la compagnie Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine (la CPAM) ; que la compagnie La Sauvegarde, assureur de l’association, est intervenue à l’instance ;

qu’un jugement a déclaré l’association responsable de l’accident sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil et l’a condamnée in solidum avec son assureur à payer diverses sommes à M. Le X… et à la CPAM ;

Attendu que M. Le X… fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil des dommages qu’ils causent à cette occasion, sans qu’il soit besoin de rapporter la preuve d’un fait fautif ou intentionnel, si bien que l’arrêt n’est pas justifié au regard du texte précité ;

2 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ;

3 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt retient que M. Le X… a subi, au cours de l’effondrement d’une mêlée ou d’un regroupement, une torsion à la nuque affectant ses vertèbres cervicales ; que cette blessure n’a pu résulter d’un coup ; qu’au surplus, l’expert a noté que “des déclarations de l’intéressé et de l’étude des pièces figurant au dossier, il résulte que M. Le X… participait à un match de rugby lorsqu’à la suite d’un coup de pied à suivre du numéro 15 (l’arrière), il aurait brutalement perdu connaissance, n’ayant aucun souvenir d’un fait accidentel particulier” ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu’aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur, même non identifié, membre de l’association sportive à laquelle M. Le X… appartenait lui-même n’était établie, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Quid du cumul de responsabilité entre gardien organisant et contrôlant le mode de vie et gardien organisant et contrôlant une activité spécifique ?

Cette question renvoie à l’hypothèse où un mineur, dont les parents exercent sur lui l’autorité parentale, cause un dommage dans le cadre d’une activité spécifique encadrée par une association sportive ou culturelle.

Peut-on envisager que la victime puisse cumulativement engager la responsabilité des parents et de l’association sur le fondement des alinéas 1 et 4 de l’article 1242 ?

  • Soit l’on applique la jurisprudence rendue en matière d’organisation du mode de vie de la personne gardée, auquel cas on ne saurait admettre un cumul des fondements de responsabilité du fait d’autrui.
  • Soit l’on peut estimer que les deux cas de responsabilité ne sont pas incompatibles, car ils relèvent de deux logiques possibles.
    • Les parents assurent l’organisation et le contrôle du mode de vie de leur enfant
    • L’association assure l’organisation et le contrôle de l’activité de ses membres
  • Un cumul des responsabilités fondées sur les alinéas 1er et 4 de l’article 1242 serait alors possible
  • Cette solution aurait le mérite d’offrir à la victime un débiteur supplémentaire

C) La condition tenant au fait générateur de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er

?Exposé de la problématique

À la suite de l’arrêt Blieck, les auteurs se sont interrogés sur la question de savoir s’il était nécessaire pour la victime d’établir la faute du gardé pour engager la responsabilité du gardien sur le fondement de l’alinéa 1er de l’article 1242.

L’arrêt Blieck n’apportant pas vraiment de réponse à cette question, deux solutions ont été envisagées :

  • Soit l’on raisonne par analogie avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants fondée sur l’alinéa 4 de l’article 1242
    • Conformément à la jurisprudence Fullenwarth (Cass. ass. plén., 9 mai 1984, n°83-11.742), on devrait alors estimer que le simple fait causal du gardé devrait suffire à engager :
      • soit la responsabilité du centre qui a la charge de l’organisation et du contrôle du mode de vie du gardé
      • soit la responsabilité de l’association qui a la charge de l’organisation et du contrôle d’une activité spécifique exercé par le gardé
    • Ainsi la responsabilité du gardien fondée sur l’article 1242, al. 1er devrait pouvoir être retenue, alors même que le fait commis ne permettrait pas d’engager la responsabilité personnelle du gardé sur le fondement des articles 1240 et 1241.
  • Soit l’on raisonne par analogie avec la responsabilité des parents du fait de leurs enfants fondée sur l’alinéa 5 de l’article 1242
    • Classiquement, la Cour de cassation exige que le fait dommageable commis par le préposé soit fautif pour que la responsabilité du commettant puisse être retenue (Cass. 2e civ., 3 mars 1977, n°75-12.279).
    • Aussi, à supposer que cette solution soit maintenue, bien que l’arrêt Costoat soit venu nuancer cette solution (Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, n°97-17.378 et 97-20.152), cela signifierait, par analogie, que la mise en œuvre de la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1242, al. 1er serait subordonnée à l’établissement d’une faute du gardé.
    • Le simple fait causal ne suffirait donc pas à engager la responsabilité du gardien.

?La position de la jurisprudence

Si, pendant une longue période aucune solution ne se dégageait des décisions rendues par les différentes juridictions, il faut attendre 2002 pour que la jurisprudence évolue.

Deux décisions ont particulièrement retenu l’attention :

  • L’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 2002
    • Dans cette décision, la cour de cassation, saisie d’un pourvoi relatif à la responsabilité des parents du fait de leurs enfants vise explicitement le premier alinéa de l’article 1384 aux côtés de l’alinéa 4 au soutien de l’attendu de principe dans lequel elle réaffirme avec force que « pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur » (Cass. ass. plén. 13 déc. 2002, n°01-14.007).
    • Pourquoi cette référence à l’alinéa 1er de l’article 1384 du Code civil alors que le litige concernait la responsabilité des parents du fait de leurs enfants ?
    • Certains auteurs en ont déduit que la haute juridiction entendrait étendre la solution retenue dans cet arrêt à la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’alinéa 1er de l’article 1384, de sorte que le simple fait causal suffirait désormais à engager la responsabilité du gardien qui
      • soit assure l’organisation du mode de vie d’autrui,
      • soit assure l’organisation d’une activité spécifique.

Cass. ass. plén., 13 déc. 2002

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche qui est préalable :

Vu l’article 1384, alinéas 1er, 4 et 7, du Code civil ;

Attendu que, pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l’autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’au cours d’une partie de ballon improvisée entre adolescents, Vincent X… a été blessé, au moment où il se relevait, par la chute de Maxime Y…, porteur du ballon, elle-même provoquée par le plaquage de Jérôme Z… ; que les époux X… et leur fils Vincent, devenu majeur et assisté de son père en qualité de curateur (les consorts X…), ont demandé réparation de leurs préjudices aux époux Z… et aux époux Y…, tant comme civilement responsables que comme représentants légaux de leurs fils mineurs Jérôme et Maxime, ainsi qu’à leurs assureurs, les compagnies UAP et AXA, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie de Maubeuge ; qu’en cause d’appel, Jérôme Z… et Maxime Y…, devenus majeurs, sont intervenus à l’instance, de même que la compagnie AXA, aux droits de l’UAP, ainsi que l’Union des mutuelles accidents élèves auprès de laquelle les époux X… avaient souscrit un contrat d’assurance ;

Attendu que, pour rejeter les demandes des consorts X… et de leur assureur, l’arrêt retient qu’aucune faute n’est établie à l’encontre de Jérôme Z… et de Maxime Y… ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 16 décembre 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris

  • L’arrêt de la deuxième chambre civile du 20 novembre 2003
    • Dans cette décision, la Cour de cassation décide que la mise en œuvre de la responsabilité d’une association sportive est subordonnée à l’établissement d’une « faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur » (Cass. 2e civ. 20 nov. 2003, n°02-13.653).
    • Un an plus tard, la Cour de cassation adopte ainsi la solution contraire que celle retenue un an plus tôt par l’assemblée plénière.
    • Dans cette décision, la deuxième chambre civile considère, en effet, que le simple fait causal ne suffit pas à engager la responsabilité du gardien sur le fondement de l’article 1384, al.1er, de sorte qu’il appartient à l’a victime d’établir une faute sur le fondement de laquelle la responsabilité personnelle du gardé serait susceptible d’être engagée.
    • La Cour de cassation réitère cette solution dans un arrêt du 13 janvier 2005 à l’occasion duquel elle affirme que « les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu » (Cass. 2e civ. 13 janv. 2005, n°03-18.617).

Cass. 2e civ. 20 nov. 2003, n°02-13.653

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué (Rennes,30 janvier 2002), que M. Jean-Pierre Le X…, licencié à la Fédération française de rugby et membre de l’association sportive Brest université club (l’association), participant à un match de rugby, a été grièvement blessé aux vertèbres ; qu’il a assigné en réparation l’association ainsi que son propre assureur, la compagnie Garantie mutuelle des fonctionnaires (GMF), en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie d’Ille-et-Vilaine (la CPAM) ; que la compagnie La Sauvegarde, assureur de l’association, est intervenue à l’instance ;

qu’un jugement a déclaré l’association responsable de l’accident sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil et l’a condamnée in solidum avec son assureur à payer diverses sommes à M. Le X… et à la CPAM ;

Attendu que M. Le X… fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de ses demandes, alors, selon le moyen :

1 / que les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil des dommages qu’ils causent à cette occasion, sans qu’il soit besoin de rapporter la preuve d’un fait fautif ou intentionnel, si bien que l’arrêt n’est pas justifié au regard du texte précité ;

2 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a renversé la charge de la preuve et violé l’article 1315 du Code civil ;

3 / qu’en tout état de cause, en faisant profiter le doute sur l’origine du grave accident -qui ne pouvait normalement s’inscrire dans le cours normal du jeu- survenu à un joueur lors d’une compétition sportive, à l’association sportive et non au joueur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l’arrêt retient que M. Le X… a subi, au cours de l’effondrement d’une mêlée ou d’un regroupement, une torsion à la nuque affectant ses vertèbres cervicales ; que cette blessure n’a pu résulter d’un coup ; qu’au surplus, l’expert a noté que “des déclarations de l’intéressé et de l’étude des pièces figurant au dossier, il résulte que M. Le X… participait à un match de rugby lorsqu’à la suite d’un coup de pied à suivre du numéro 15 (l’arrière), il aurait brutalement perdu connaissance, n’ayant aucun souvenir d’un fait accidentel particulier” ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, dont il résulte qu’aucune faute caractérisée par une violation des règles du jeu et imputable à un joueur, même non identifié, membre de l’association sportive à laquelle M. Le X… appartenait lui-même n’était établie, la cour d’appel, qui n’a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Quels enseignements tirer des solutions adoptées par la Cour de cassation dans les arrêts rendus en 2002, 2003 et 2005 ?

Si, de prime abord, ces décisions apparaissent pour le moins contradictoires, à l’examen, on peut néanmoins y voir une certaine cohérence.

Cette cohérence se dessine, en effet, si l’on entreprend de distinguer les deux cas de responsabilité du fait d’autrui fondés sur l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil :

  • S’agissant de la responsabilité des associations qui ont pour mission d’organiser et de contrôler l’activité de leurs membres
    • La position de la Cour de cassation semble désormais être bien arrêtée : la mise en œuvre de la responsabilité du gardien est subordonnée à l’établissement d’une faute caractérisée du gardé.
    • L’assemblée plénière a récemment rappelé cette exigence dans un arrêt du 29 juin 2007 où elle réaffirme que « les associations sportives ayant pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu’ils causent à cette occasion, dès lors qu’une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés » (Cass. ass. plén., 29 juin 2007, n°06-18.141).
    • L’exigence d’une faute caractérisée est-elle valable uniquement pour les associations sportives ou est-ce que l’établissement d’une faute simple suffirait pour retenir la responsabilité d’une association qui assurerait l’organisation d’une activité autre que sportive ?
    • La question reste, pour l’heure, en suspens.
  • S’agissant de la responsabilité des personnes morales et physique qui ont pour mission d’organiser et de contrôler le mode de vie d’autrui
    • Si l’on se réfère à l’arrêt d’assemblée plénière du 13 décembre 2002, il semble que le simple fait causal suffise à engager la responsabilité du gardien qui organise le mode de vie d’autrui, semblablement aux exigences posées en matière de responsabilité des parents du fait de leur enfant (Cass. ass. plén. 13 déc. 2002, n°01-14.007).
    • Cette solution doit sans aucun doute être approuvée, dans la mesure où un centre qui organise et contrôle le mode de vie d’une personne vulnérable remplit finalement le même rôle que celui de parents.
    • Il ne serait donc pas anormal de raisonner par analogie avec l’alinéa 5 de l’article 1242.
    • Le simple fait causal devrait donc suffire à engager la responsabilité du gardien qui organise et contrôle le mode de vie du gardé.
    • Pour l’heure, aucun arrêt n’est venu confirmer cette solution que les auteurs ont dégagées, on le rappelle, du seul visa l’arrêt du 13 décembre 2002.

II) La reconnaissance d’une responsabilité de plein droit

De toute évidence, la découverte d’une responsabilité générale du fait d’autrui doit s’accompagner de l’admission d’une présomption pesant sur le gardien, sans quoi cette découverte n’aurait pas vraiment de sens.

La question qui alors se pose est de savoir s’il s’agit d’une présomption de faute ou d’une présomption de responsabilité ?

Pour mémoire, les deux présomptions ce distinguent en ce que :

  • Si une présomption de faute pèse sur le gardien alors il peut s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute de surveillance
  • Si une présomption de responsabilité pèse sur le gardien alors il ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en prouvant la survenance d’une cause étrangère

Manifestement cette question n’a pas été tranchée dans l’arrêt Blieck. Il ressort seulement de cette décision que la liste des cas de responsabilité du fait d’autrui ne présente plus de caractère limitatif.

Dans l’arrêt Blieck, l’assemblée plénière ne s’est nullement prononcée sur les causes d’exonérations susceptibles d’être invoquées par le gardien.

À la vérité, il faut attendre un arrêt de la deuxième chambre civile du 16 mars 1994 pour obtenir un début de réponse (Cass. 2e civ., 16 mars 1994, n°92-19.649).

Dans cette décision, la Cour de cassation décide que « la responsabilité de l’État, substituée à celle des membres de l’enseignement pour les dommages causés par leurs élèves pendant que ceux-ci sont sous leur surveillance, n’est pas une responsabilité de plein droit, au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil »

A contrario, cela signifie donc que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’article 1383, al. 1er serait une responsabilité de plein droit, de sorte que pèserait sur le gardien, non pas une présomption de faute, mais une présomption de responsabilité !

Cette solution, annonciatrice de l’évolution imminente de la jurisprudence en matière de responsabilité du fait d’autrui, a été confirmée par l’arrêt Notre Dame des Flots rendus à quelques semaines d’intervalle de l’arrêt Bertrand, soit le 26 mars 1997.

Dans cette décision, la Cour de cassation considère que la responsabilité du fait d’autrui fondée sur l’ancien article 1384, al. 1er est une responsabilité de plein droit, de sorte que le gardien ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute (Cass. crim., 26 mars 1997, n°95-83.958).

Cass. crim., 26 mars 1997

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué que, par jugement devenu définitif sur l’action publique, Sophie XX., Eva Y., Malika YY. et Virginie XY. ont été déclarées coupables, notamment, d’un vol avec violences au préjudice de Magalie P.; que Virginie XY. a été en outre condamnée pour violences avec usage d’une arme sur la personne de René F.; que tous ces délits ont été commis alors que, étant mineures, les prévenues se trouvaient confiées au Foyer Notre-Dame des Flots en exécution de décisions prises par le juge des enfants sur le fondement des articles 375 et suivants du Code civil; que les victimes, constituées parties civiles devant la juridiction répressive, ont demandé réparation de leur préjudice ;

Attendu que, pour confirmer la décision des premiers juges ayant déclaré le Foyer Notre-Dame des Flots civilement responsable, l’arrêt attaqué énonce que, détenant la garde des mineures, il avait pour mission de contrôler et d’organiser, à titre permanent leur mode de vie et “qu’il est donc tenu au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil sans qu’il y ait besoin de caractériser une faute” de sa part ;

Attendu qu’en prononçant ainsi, la cour d’appel a fait l’exacte application de la loi ;

Qu’en effet, les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • Vol d’un véhicule par trois adolescents dont la garde avait été confiée au foyer Notre-Dame des Flots
  • Ils font l’objet d’une condamnation par le Tribunal correctionnel.

?Demande

Action en responsabilité de la victime du vol contre le foyer dans lequel séjournaient les auteurs de l’infraction

?Procédure

  • Dispositif de la décision rendue au fond
    • La Cour d’appel fait droit à la demande de la victime et condamne le foyer éducatif à réparer le préjudice occasionné à la victime du vol
  • Motivation des juges du fond
    • Les juges du fond estiment que dans la mesure où le foyer éducatif avait pour mission de contrôler et d’organiser, à titre permanent le mode de vie des auteurs du dommage, il était tenu au sens de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil peu importe qu’il ait ou non commis une faute dans l’exercice de sa mission.

?Moyens des parties

  • L’auteur du pourvoi soutient que pesait sur le foyer non pas une présomption irréfragable de responsabilité mais une présomption simple de faute
  • Le défendeur argue, autrement dit, qu’il pouvait s’exonérer de sa responsabilité s’il parvenait à démontrer qu’il n’avait commis aucune faute s’agissant de l’organisation et du contrôle du mode de vie des trois mineurs qu’il avait sous sa garde
  • Or en l’espèce, aucune faute ne pouvait lui être reprochée de sorte qu’il pouvait s’exonérer de sa responsabilité

?Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt
    • Par un arrêt du 26 mars 1997, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le foyer
  • Sens de l’arrêt
    • La Cour de cassation affirme, sans ambiguïté que « les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil, ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute »
    • Ainsi, la Cour de cassation considère-t-elle que pèse sur le gardien une présomption de responsabilité.
    • Le gardien ne peut, par conséquent, s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à démontrer la survenance d’une cause étrangère (cas de force majeure)

?Analyse de l’arrêt

Dans l’arrêt Notre Dame des Flots, la Cour de cassation affirme pour la première fois que la responsabilité du fait d’autrui fondé sur l’alinéa 1er de l’article 1384 est une responsabilité de plein droit.

Elle adopte ainsi la même solution que celle retenue dans l’arrêt de Bertrand en matière de responsabilité des parents du fait de leurs enfants où elle avait estimé, sensiblement dans les mêmes termes que « seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer [les] parents de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par » leur enfant (Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n°94-21.111)

Cette solution se justifie à plusieurs titres :

  • Conforme à l’objectif de la responsabilité du fait d’autrui : l’indemnisation de la victime
  • Identité de régime entre responsabilité du fait des choses et responsabilité du fait d’autrui car elles sont toutes les deux fondées sur le même texte : l’alinéa 1er de l’article 1242 du Code civil
  • Reconnaissance, un mois avant l’arrêt Notre Dame des Flots, d’une responsabilité de plein droit des parents du fait de leurs enfants dans le célèbre arrêt Bertrand.

Ainsi cette solution offre plus de cohérence au sein des différents régimes de responsabilité que contient l’article 1384 pris dans tous ses alinéas.

Immédiatement, une dernière question alors se pose : cette décision qui a été rendue au sujet d’un établissement qui organisait et contrôlait le mode de vie d’autrui, est-elle applicable aux associations qui assurent l’organisation d’une activité spécifique ?

?Extension de la jurisprudence Notre Dame des Flots aux associations ayant pour mission l’organisation d’une activité spécifique

Dans un arrêt du 13 janvier 2005, la Cour de cassation a estimé que « les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu » (Cass. 2e civ. 13 janv. 2005, n°03-18.617).

En l’espèce, la Cour de cassation reprochait à la Cour d’appel d’avoir envisagé que l’association sportive puisse s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve qu’elle n’avait pas commis de faute !

Autrement dit elle lui reproche d’avoir fait peser une présomption simple de faute sur le gardien alors que pèse sur lui une présomption de responsabilité.

La Cour de cassation estime donc que la responsabilité des associations qui organisent une activité spécifique est une responsabilité de plein droit. Elles ne peuvent donc s’exonérer de leur responsabilité qu’en rapportant la preuve d’un cas de force majeure ou d’une faute de la victime.

Au total il ressort de cet arrêt que sont désormais concernées par cette responsabilité de plein droit toutes les structures qui exercent sur autrui un pouvoir à titre temporaire ou permanent.

Cass. 2e civ. 13 janv. 2005

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Attendu que les associations sportives, ayant pour objet d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de leurs membres au cours des compétitions et entraînements auxquels ils participent, sont responsables de plein droit des dommages qu’ils causent par leur faute caractérisée par une violation des règles du jeu ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que lors d’un match amical de football, M. X…, gardien de but, joueur membre du club de Tarbes Sendere, a été heurté et blessé par M. Y…, joueur membre de l’association sportive Football club de Lugagnan (l’association) ; qu’il a assigné en responsabilité et réparation l’association et son assureur, la société Azur assurances, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie des Hautes-Pyrénées ;

Attendu que pour déclarer l’association responsable des dommages subis par M. X… et la condamner in solidum avec son assureur à verser des indemnités à celui-ci, l’arrêt énonce qu’il n’est pas établi que le choc au cours duquel M. X… a été blessé est la conséquence d’un comportement fautif de M. Y… ; qu’il résulte des faits que M. Y… est venu heurter M. X… au cours d’une action de jeu régulière ; que l’association ne démontre ni même n’allègue une faute de la victime ou la survenance d’un fait de force majeure ; que c’est donc à bon droit, que, même en l’absence de toute faute d’un joueur de l’association, le premier juge a retenu la responsabilité de celle-ci, dès lors que M. X… démontre qu’un des joueurs de cette association est intervenu par son fait dans la production du dommage subi ;

En quoi la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 23 juin 2003, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

  1. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2005, n°414, p. 211. ?

Le lien de causalité

L’exigence d’un rapport de causalité entre le fait générateur et le dommage constitue le troisième terme de l’équation en matière de responsabilité délictuelle.

Il ne suffit pas, en effet, d’établir l’existence d’un fait générateur et d’un dommage pour que la victime soit fondée à se prévaloir d’un droit à indemnisation.

Pour que naisse l’obligation de réparation, encore faut-il que soit établie l’existence d’une relation de cause à effet.

On ne saurait rechercher la responsabilité d’une personne si elle est étrangère à la réalisation du fait dommageable.

A contrario, le bon sens commande d’envisager que « tout fait de l’homme qui CAUSE à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (art. 1240 C. civ.).

Comme s’accordent à le dire les auteurs, il s’agit là d’une exigence de la raison !

À la vérité, le lien de causalité est bien plus qu’une simple condition de la responsabilité civile.

Le rapport de causalité constitue, avec le préjudice, un invariant, en ce sens que la caractérisation de ce rapport est requise quel que soit le régime de responsabilité envisagé, exception faite en matière d’accidents de la circulation où l’exigence de causalité cède le pas à la notion d’imputation – nous y reviendrons.

==> Fondements textuels

L’exigence de causalité se retrouve dans plusieurs textes :

  • L’article 1240 vise le fait de l’homme « qui cause »
  • L’article 1241 évoque le dommage que le fait de l’homme « a causé »
  • L’article 1242 prévoit dans le même esprit que « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. »

La liste des textes qui font explicitement référence à l’exigence de causalité est encore longue, ce qui témoigne de l’importance de cette condition.

Ainsi, la caractérisation du lien de causalité ne saurait être prise à la légère, ce, à plus forte raison en matière de responsabilité sans faute.

Dans cette hypothèse, le fait générateur de la responsabilité est, par définition, étranger à la conduite du défendeur, de sorte que le juge prêtera une attention somme toute particulière au rapport de causalité.

Pour retenir ou écarter la responsabilité de l’auteur du dommage, le juge n’aura, en effet, pour seul levier que l’appréciation du lien de causalité.

Dans cette perspective, l’issue du procès dépend, pour une large part, de l’analyse de la relation causale.

==> Comment aborder le lien de causalité ?

Comme le souligne le doyen Carbonnier le rapport de causalité peut être envisagé de deux façons distinctes dans le procès en responsabilité :

  • La victime du dommage tentera, de son côté, d’établir l’existence d’un lien de causalité afin d’être indemnisée de son préjudice. Pour ce faire, il lui appartiendra :
    • D’une part, d’identifier la cause du dommage
    • D’autre part, de prouver le lien de causalité
  • L’auteur du dommage s’emploiera, quant à lui, à démontrer la rupture du lien de causalité afin de faire échec à l’action en responsabilité dirigée contre lui.
    • Cela revient, pour ce dernier, à se prévaloir de causes d’exonération.

Ainsi, l’étude du lien de causalité suppose-t-elle d’envisager les deux facettes du lien de causalité

I) L’existence du lien de causalité

A) Les termes du débat théorique

==> Notions

S’il n’existe pas de véritable définition du lien de causalité, on peut néanmoins le décrire comme le rapport qui met aux prises deux éléments distincts que sont :

  • le dommage qui peut se présenter sous plusieurs formes
    • Préjudice patrimonial
    • Préjudice extrapatrimonial
  • le fait générateur qui peut consister en plusieurs sources de responsabilité
    • Il convient de distinguer en ce sens :
      • La responsabilité du fait personnel (art. 1240 et 1241 C. civ)
        • Le dommage est causé par le comportement fautif d’une personne
        • Le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage est ici direct
      • La responsabilité du fait d’autrui (art. 1242 C. civ)
        • Le dommage est causé par une personne qui se trouvait sous la garde d’une autre personne
        • Exemples :
          • La responsabilité des parents du fait de leur enfant
          • La responsabilité du commettant du fait de son préposé
          • La responsabilité de l’instituteur du fait de ses élèves
        • Le lien de causalité est ici indirect, dans la mesure où vient s’interposer entre le dommage et le responsable la personne placée sous la garde de ce dernier (enfant, préposé, élèves).
      • La responsabilité du fait des choses
        • Le dommage est causé par une chose qui se trouvait sous la garde de son propriétaire, à tout le moins de celui qui exerçait sur elle un pouvoir d’usage de direction et de contrôle
        • Comme en matière de responsabilité du fait d’autrui, le lien de causalité est indirect, car la production est le fait d’une chose et non du responsable
      • La responsabilité du fait des véhicules terrestre à moteur
        • Le dommage est certes causé, dans cette hypothèse par une chose.
        • Cependant, il ne s’agit pas de n’importe quelle chose : c’est un véhicule terrestre à moteur qui est à l’origine du dommage.
        • Aussi, afin d’améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, le législateur a instauré un régime spécial de responsabilité
        • La singularité de ce régime de responsabilité réside dans l’abandon de l’exigence de causalité, laquelle a été remplacée par la condition d’implication
        • Par implication, il faut entendre un rapport d’éventualité entre le dommage et le véhicule terrestre à moteur impliqué dans l’accident.
        • Autrement dit, il suffit que le véhicule ait pu jouer un rôle dans l’accident, pour que la responsabilité de son conducteur soit retenue
        • La causalité est ici hypothétique

Au regard de cette variété des sources de responsabilité, il apparaît que le concept juridique de causalité doit être distingué de plusieurs autres notions.

  • Le lien de causalité est le rapport direct qui existe entre le dommage et le fait générateur
    • Il s’agit de la responsabilité du fait personnel
  • Le lien de rattachement est le rapport qui existe entre le responsable et le fait dommageable
    • Ce lien de rattachement peut consister en :
      • Un lien de parenté dans la responsabilité des parents du fait de leurs enfants
      • Un lien de préposition dans la responsabilité du commettant du fait de son préposé
      • Un lien de pouvoir (la garde) dans la responsabilité du fait des choses
    • En somme
      • Le lien de rattachement permet de désigner un responsable
      • Le lien de causalité permet d’appréhender le rapport entre le dommage et le fait d’autrui ou le fait de la chose

  • Le lien de causalité suppose que la relation entre le dommage et le fait générateur soit certain
  • Le rapport d’implication suppose que la relation entre le dommage et le fait générateur soit hypothétique

  • L’exigence d’imputation suppose que la personne qui a concouru à la production du dommage soit douée de discernement
    • Le dommage ne pourra ainsi jamais être imputé à un enfant en bas âge où à une personne frappée d’aliénation mentale.
    • Jusqu’en 1984, on exigeait en ce sens que le dommage puisse être imputé à l’auteur du dommage, en ce sens qu’il fallait qu’il ne soit pas privé de sa faculté de discernement (Cass. Ass. plen. 9 mai 1984, n°79-16.612)
  • Tandis que le lien de causalité est une relation matérielle entre le responsable et le dommage, l’imputation désigne la relation psychique que le responsable entretient avec le fait dommageable.

==> Complexité de l’appréhension du rapport de causalité

Bien que l’exigence d’un rapport de causalité ne soulève guère de difficulté dans son énoncé, sa mise en œuvre n’en est pas moins éminemment complexe.

La complexité du problème tient à la détermination du lien de causalité en elle-même.

Afin d’apprécier la responsabilité du défendeur, la question se posera, en effet, au juge de savoir quel fait retenir parmi toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage.

Or elles sont potentiellement multiples, sinon infinies dans l’absolu.

==> Illustration de la difficulté d’appréhender le rapport de causalité

  • En glissant sur le sol encore humide d’un supermarché, un vendeur heurte un client qui, en tombant, se fracture le coccyx
  • Ce dernier est immédiatement pris en charge par les pompiers qui décident de l’emmener à l’hôpital le plus proche.
  • En chemin, l’ambulance a un accident causant, au patient qu’elle transportait, au traumatisme crânien.
  • Par chance, l’hôpital n’étant plus très loin, la victime a été rapidement conduite au bloc opératoire.
  • L’opération se déroule au mieux.
  • Cependant, à la suite de l’intervention chirurgicale, elle contracte une infection nosocomiale, dont elle décédera quelques jours plus tard

==> Quid juris : qui est responsable du décès de la victime?

Plusieurs responsables sont susceptibles d’être désignés en l’espèce :

  • Est-ce l’hôpital qui a manqué aux règles d’asepsie qui doivent être observées dans un bloc opératoire ?
  • Est-ce le conducteur du véhicule à l’origine de l’accident dont a été victime l’ambulance ?
  • Est-ce le supermarché qui n’a pas mis en garde ses clients que le sol était encore glissant ?
  • Est-ce le vendeur du magasin qui a heurté le client ?

À la vérité, si l’on raisonne par l’absurde, il est possible de remonter la chaîne de la causalité indéfiniment.

Il apparaît, dans ces conditions, que pour chaque dommage les causes sont multiples.

Une question alors se pose : faut-il retenir toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage ou doit-on seulement en retenir certaines ?

==> Causes juridiques / causes scientifiques

Fort logiquement, le juge ne s’intéressera pas à toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage.

Ainsi, les causes scientifiques lui importeront peu, sauf à ce qu’elles conduisent à une personne dont la responsabilité est susceptible d’être engagée

Deux raisons l’expliquent :

  • D’une part, le juge n’a pas vocation à recenser toutes les causes du dommage. Cette tâche revient à l’expert.
  • D’autre part, sa mission se borne à déterminer si le défendeur doit ou non répondre du dommage.

Ainsi, le juge ne s’intéressera qu’aux causes du dommage que l’on pourrait qualifier de juridiques, soit aux seules causes génératrices de responsabilité.

Bien que cela exclut, de fait, un nombre important de causes – scientifiques – le problème du lien de causalité n’en est pas moins résolu pour autant.

En effet, faut-il retenir toutes les causes génératrices de responsabilité ou seulement certaines d’entre elles ?

==> Les théories de la causalité

Afin d’appréhender le rapport de causalité dont l’appréhension est source de nombreuses difficultés, la doctrine a élaboré deux théories :

  • La théorie de l’équivalence des conditions
  • La théorie de la causalité adéquate
 
La théorie de l’équivalence des conditions

 

  • Exposé de la théorie
    • Selon la théorie de l’équivalence des conditions, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage doivent être retenus, de manière équivalente, comme les causes juridiques dudit dommage, sans qu’il y ait lieu de les distinguer, ni de les hiérarchiser.
    • Cette théorie repose sur l’idée que si l’un des faits à l’origine de la lésion n’était pas survenu, le dommage ne se serait pas produit.
    • Aussi, cela justifie-t-il que tous les faits qui ont été nécessaires à la production du dommage soient placés sur un pied d’égalité.
  • Critique
    • Avantages
      • La théorie de l’équivalence des conditions est, incontestablement, extrêmement simple à mettre en œuvre, dans la mesure où il n’est point d’opérer de tri entre toutes les causes qui ont concouru à la production du dommage
      • Tous les maillons de la chaîne de responsabilité sont mis sur le même plan.
    • Inconvénients
      • L’application de la théorie de l’équivalence des conditions est susceptible de conduire à retenir des causes très lointaines du dommage dès lors que, sans leur survenance, le dommage ne se serait pas produit, peu importe leur degré d’implication.
      • Comme le relève Patrice Jourdain, il y a donc un risque, en retenant cette théorie de contraindre le juge à remonter la « causalité de l’Univers ».
 
La théorie de la causalité adéquate

 

  • Exposé de la théorie
    • Selon la théorie de la causalité adéquate, tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ne sont pas des causes juridiques.
    • Tous ne sont pas placés sur un pied d’égalité, dans la mesure où chacun possède un degré d’implication différent dans la survenance du dommage.
    • Aussi, seule la cause prépondérante doit être retenue comme fait générateur de responsabilité.
    • Il s’agit, en d’autres termes, pour le juge de sélectionner, parmi la multitude de causes qui se présentent à lui, celle qui a joué un rôle majeur dans la réalisation du préjudice.
  • Critique
    • Avantage
      • En ne retenant comme fait générateur de responsabilité que la cause « adéquate », cela permet de dispenser le juge de remonter à l’infini la chaîne de la causalité
      • Ainsi, seules les causes proches peuvent être génératrices de responsabilité
    • Inconvénient
      • La détermination de la « véritable cause du dommage », procède plus de l’arbitraire que de la raison.
      • Sur quel critère objectif le juge doit-il s’appuyer pour déterminer quelle cause est adéquate parmi tous les faits qui ont concouru à la production du dommage ?
      • La théorie est alors susceptible de conduire à une injustice :
        • Tantôt en écartant la responsabilité d’un agent au seul motif qu’il n’a pas joué à un rôle prépondérant dans la réalisation du préjudice.
        • Tantôt en retenant la responsabilité de ce même agent au motif qu’il se situe en amont de la chaîne de causalité.

B) L’état du droit positif

Afin d’avoir une idée précise de l’état du droit positif s’agissant de l’exigence tenant au lien de causalité, il convient de s’intéresser successivement à deux points :

  • La réception par la jurisprudence des théories de l’équivalence des conditions et de la causalité adéquate
  • La preuve du lien de causalité

1. La réception par la jurisprudence des théories de l’équivalence des conditions et de la causalité adéquate

Quelle théorie la jurisprudence a-t-elle retenu entre la thèse de l’équivalence des conditions et celle de la causalité adéquate ?

À la vérité, la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme en matière de causalité, en ce sens que son choix se portera sur l’une ou l’autre théorie selon le résultat recherché :

  • Lorsqu’elle souhaitera trouver un responsable à tout prix, il lui faudra retenir une conception large de la causalité, de sorte que cela la conduira à faire application de la théorie de l’équivalence des conditions
  • Lorsque, en revanche, la Cour de cassation souhaitera écarter la responsabilité d’un agent, elle adoptera une conception plutôt restrictive de la causalité, ce qui la conduira à recourir à la théorie de la causalité adéquate

==> Application de la théorie de l’équivalence des conditions : Cass. 2e civ., 27 mars 2003, n°01-00.850

Cass. 2e civ., 27 mars 2003

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 28 avril 1995, un véhicule appartenant à M. X…, qui n’était pas assuré, a défoncé la devanture du commerce de M. Y… et a terminé sa course contre le comptoir, causant des dégâts importants ; que le commerce de M. Y… est resté fermé pendant 433 jours ouvrables ; que M. Y… a assigné la compagnie les Mutuelles du Mans, auprès de laquelle il avait souscrit une police multirisques “dommages aux biens et pertes pécuniaires” couvrant les dommages matériels ainsi que les pertes d’exploitation et les pertes de valeur sur une période de 200 jours au maximum, et le Fonds de garantie contre les accidents de circulation et de chasse (FGA) en réparation de ses dommages ; que M. X… a été appelé en la cause ;

Attendu que le FGA fait grief à l’arrêt de l’avoir condamné à payer à M. Y… certaines sommes correspondant au préjudice non couvert par la compagnie les Mutuelles du Mans, alors, selon le moyen :

[…]

Mais attendu que l’arrêt retient que l’accident constitue une cause de la perte d’exploitation excédant les 200 jours subie ultérieurement par M. Y…, que le lien de causalité est direct et certain puisqu’en l’absence de survenance de l’accident, le dommage ne se serait pas produit alors que si des fautes successives imputables à des auteurs différents ont pu jouer un rôle causal sur ce poste de préjudice, ainsi que le soutient le FGA, cette pluralité des causes, à supposer qu’elle soit démontrée, n’est pas de nature à faire obstacle à l’indemnisation de l’entier dommage par l’auteur initial par application du principe de l’équivalence des causes dans la production d’un même dommage en matière de responsabilité délictuelle ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations d’où il résulte que le dommage de perte d’exploitation était en relation de causalité directe avec l’accident, la cour d’appel, répondant aux conclusions dont elle était saisie, a légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé

*****

Faits :

  • Une voiture, non-assurée, cause de gros dégâts à un commerçant en emboutissant la devanture de son magasin.
  • Le commerçant est alors contraint de suspendre temporairement l’exploitation de son activité, ce qui lui occasionnera une importante perte de chiffre d’affaires.

Demande :

Le propriétaire du commerce assigne son assureur, le FGA, ainsi que le conducteur du véhicule en réparation du préjudice occasionné.

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt du 20 novembre 2000, la Cour d’appel de Bastia accède à la requête du commerçant et condamne le FGA à indemniser le préjudice de ce dernier à hauteur de qui n’a pas été pris en charge par son assureur.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Pour les juges du fond, dans la mesure où l’accident dont a été victime le commerçant constitue l’une des causes du préjudice subi par lui, le FGA doit satisfaire à son obligation de réparation, laquelle lui incombe toutes les fois qu’une victime ne peut faire l’objet d’une indemnisation, soit par son assureur, soit par l’assureur de l’auteur du dommage.

Problème de droit :

Le FDA peut-il être appelé à indemniser le commerçant victime d’un dommage dans l’hypothèse où l’assureur de celui-ci ne satisferait pas à son obligation de réparation ?

Solution de la Cour de cassation :

La cour de cassation valide l’arrêt de la Cour d’appel en motivant sa décision par un attendu que retient tout particulièrement l’attention.

Pour la Cour de cassation, quand bien même il existe une pluralité de causes dans la production du préjudice subi par le commerçant – qui consiste, on le rappelle, en la perte d’une partie de son exploitation – cette pluralité de cause ne fait pas obstacle à l’indemnisation de celui-ci.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation fait ainsi application de la théorie de l’équivalence des conditions !

Surtout, elle affirme expressément que « si des fautes successives imputables à des auteurs différents ont pu jouer un rôle causal sur ce poste de préjudice, ainsi que le soutient le FGA, cette pluralité des causes, à supposer qu’elle soit démontrée, n’est pas de nature à faire obstacle à l’indemnisation de l’entier dommage par l’auteur initial par application du principe de l’équivalence des causes dans la production d’un même dommage en matière de responsabilité délictuelle ».

Manifestement, cet attendu laisse à penser que la théorie de l’équivalence des conditions serait le principe en matière de responsabilité.

Or comme le souligne G. Viney « il est exceptionnel que les juges fassent référence explicitement à cette théorie en employant les termes mêmes par lesquels la doctrine la désigne ».

Deux observations appellent néanmoins à nuancer la solution retenue par la Cour de cassation :

  • D’une part, les faits relatés dans l’arrêt en l’espèce que plusieurs fautes ont concouru à la production du dommage.
    • Or la Cour de cassation fait presque toujours application de la théorie de l’équivalence des conditions, lorsque l’on se trouve en présence d’une multitude de fautes.
    • Il y a forte à parier que la solution retenue eût été différence, si l’on était en présence d’une responsabilité sans faute, soit s’il s’agissait de condamner un non-fautif, tel que le gardien d’une chose dont l’implication dans la survenance du dommage est insignifiante.
  • D’autre part, il est peu probable que la Cour de cassation ait décidé de se lier les mains en portant son dévolu sur une théorie de la causalité en particulier.
    • Pareil choix aurait pour effet de priver les juges du fond de la possibilité d’opter, au gré des circonstances, pour une conception plus ou moins large de la causalité, selon le résultat recherché.
    • En retenant la théorie de l’équivalence des conditions, la liberté du juge demeurerait toutefois relativement préservée dans la mesure où cette théorie correspond à une conception large de la causalité.

==> Application de la théorie de la causalité adéquate : Cass. 1ère Civ., 19 février 2003, n°00-13.253

Cass. 1ère Civ., 19 février 2003

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 27 janvier 2000), que Mlle X…, assurée par la société Garantie mutuelle des fonctionnaires, (la GMF), est locataire d’un logement appartenant à M. Y… ; qu’une décision de justice a déclaré Mlle X… responsable d’un incendie ayant détruit son appartement et une partie du toit ; que le propriétaire ayant fait procéder à un bâchage de la toiture, un autre locataire de l’immeuble, M. Z…, a subi un dégât des eaux, les bâches s’étant détachées ; que M. Z… et son assureur, la Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes, ont assigné le propriétaire et sa compagnie d’assurances, l’Union générale du Nord, en responsabilité et indemnisation ; que M. Y… et son assureur ont assigné Mlle X… et la GMF en garantie ;

Attendu que par arrêt n° 1437 D du 6 novembre 2001, la Troisième chambre civile a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Douai en ce qu’il a condamné la GMF à garantir à hauteur des deux tiers M. Y… et l’Union générale du Nord de leurs condamnations et à leur payer 5 000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu’il résulte de la déclaration de pourvoi que M. Y… était seul défendeur à la cassation et que c’est pas suite d’une erreur matérielle que la cassation a été étendue au chef de dispositif qui concernait l’Union générale du Nord, qui n’avait pas été appelée comme défenderesse à l’instance en cassation ;

Qu’il y a lieu, en conséquence, de rapporter l’arrêt du 6 novembre 2001 et de statuer à nouveau ;

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu que pour condamner la GMF à garantir, à hauteur des deux tiers, le propriétaire et sa compagnie d’assurances des condamnations prononcées contre eux, l’arrêt retient que l’incendie qui a contraint M. Y… à couvrir le toit est une des causes du dégât des eaux, que l’assureur de Mlle X…, présumée responsable de cet incendie à l’égard du propriétaire, ayant refusé sa garantie sur la foi de constatations superficielles et inexactes et obtenu une expertise judiciaire, a commis une faute causale dans la réalisation du préjudice du locataire, l’expertise ayant retardé la réparation du toit et soumis les occupants de l’immeuble aux risques des intempéries de l’hiver et que le dommage a pour origine une combinaison de causes imputables en grande partie à la GMF ;

Qu’en se déterminant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que la compagnie d’assurances avait réclamé une mesure d’instruction pour rechercher les causes de l’incendie, les experts des assureurs ne s’accordant pas sur l’origine du sinistre, qu’un bâchage normalement étanche aurait permis la conservation des lieux, que les opérations successives de couverture de la toiture avaient présenté des défauts et qu’il en ressortait que l’incendie, lui-même, n’était pas la cause directe du dommage subi par M. Z…, et qu’un rapport de causalité certain existait entre la faute constituée par les défauts présentés par les bâchages du toit et le dégât des eaux subi par le locataire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné la GMF à garantir à hauteur des deux tiers M. Y… de ses condamnations et à lui payer la somme de 5 000 francs sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, l’arrêt rendu le 27 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens

*****

Faits :

  • Incendie d’un appartement à la suite de quoi le propriétaire procédera à un bâchage du toit de la résidence afin d’éviter que l’eau ne s’infiltre à l’intérieur.
  • Les bâches vont néanmoins se détacher ce qui provoquera un dégât des eaux chez l’un des voisins.

Demande :

La victime du dégât des eaux et son assureur introduisent une action en réparation du préjudice occasionné contre le propriétaire de l’appartement incendié.

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt du 27 janvier 2000, la Cour d’appel de Douai condamne l’assureur du locataire – déclaré responsable de l’incendie dans une autre décision – à garantir le propriétaire de l’appartement et son assureur contre les condamnations prononcées contre eux.
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment que l’incendie de l’appartement constitue l’une des causes du préjudice occasionné au voisin.
    • En conséquence, pour la Cour d’appel de Douai, il revient à l’assureur de la locataire de l’appartement incendié (assurance habitation) de garantir le propriétaire de l’appartement et son assureur contre leur condamnation à réparer le dommage du voisin, ce quand bien même le dégât des eaux subi par lui est, en réalité, le fait de la défectuosité de la bâche installé par le propriétaire.
    • C’est d’ailleurs pour cette raison que l’assureur de la locataire ne sera tenu de garantir le propriétaire de l’appartement et son assureur qu’à hauteur des deux tiers.

Solution de la Cour de cassation

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 19 février 2003, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, casse et annule la décision des juges du fond.
    • Visa : 1382
    • Cas d’ouverture : violation de la loi
  • Sens de l’arrêt :
    • Pour la Cour de cassation, le dégât des eaux est la conséquence du mauvais bâchage du toit de l’appartement par son propriétaire.
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, le lien de causalité entre l’incendie de l’appartement et le dégât des eaux du voisin n’est qu’indirect.
    • Il s’ensuit, pour la troisième chambre civile, que l’assureur du locataire ne saurait être appelé à garantir la condamnation du propriétaire à réparer le dégât des eaux occasionné par la défectuosité de la bâche installée sur le toit de son appartement incendié.
  • Valeur de l’arrêt :
    • En l’espèce, la troisième chambre civile fait clairement application de la théorie de la causalité adéquate.
    • En en effet, les juges du fond avaient le choix de faire application des deux théories en l’espèce ce qui aurait conduit à des résultats totalement différents :
      • Si application de la théorie de l’équivalence des conditions, il apparaît que bien que l’incendie ne soit pas la cause la plus proche du dommage (le dégât des eaux) dans la chaîne de causalité, la survenance de cet incendie n’en a pas moins été indispensable à sa réalisation.
        • Si pas d’incendie, pas de bâchage du toit et si pas de bâchage du toit alors pas de dégât des eaux.
        • En retenant la théorie de l’équivalence des conditions, les juges du fond auraient, de toute évidence, pu retenir la responsabilité du locataire de l’appartement responsable de l’incendie, et donc de son assureur !
        • C’est précisément ce que les juges du fond ont décidé de faire.
        • Mais ils auraient pu appliquer l’autre théorie : la théorie de la causalité adéquate.
      • Si application de la théorie de la causalité adéquate, on considère alors que la véritable cause du dommage, ce n’est pas l’incendie, mais la faute du propriétaire qui n’a pas correctement bâché le toit de son appartement.
        • De toute évidence, si le propriétaire de l’appartement n’avait pas commis cette faute, le voisin n’aurait pas subi de dégât des eaux, malgré l’incendie de l’appartement.
        • En l’espèce, c’est dans cette voie que la Cour de cassation a choisi de s’engager.

En conclusion, il apparaît que la Cour de cassation fait preuve de pragmatisme en matière de causalité.

Si elle était amenée à choisir entre l’une ou l’autre théorie, elle disposerait d’une bien moins grande latitude pour déterminer la responsabilité de l’auteur d’un dommage.

En n’arrêtant pas de position précise, cela lui permet d’aller chercher la responsabilité de qui elle souhaite, selon les circonstances, surtout en matière de responsabilité sans faute.

La seule ligne directrice qui se dégage de sa jurisprudence est la suivante :

  • En matière de responsabilité objective, soit sans faute (fait d’autrui et fait des choses), la Cour de cassation fera surtout application de la théorie de la causalité adéquate.
  • En matière de responsabilité pour faute, c’est plutôt la théorie de l’équivalence des conditions qui prédomine.
    • Cette solution se justifie par le fait que lorsque plusieurs fautes sont en concours, pourquoi retenir la faute d’un protagoniste plutôt que celle de l’autre ?
    • Dans ces conditions, la Cour de cassation préférera faire reposer la responsabilité sur tous ceux dont la faute a concouru à la production du dommage.

2. La preuve du lien de causalité

==> Charge de la preuve

Conformément au droit commun, la charge de la preuve repose sur celui qui réclame l’exécution d’une obligation (Art. 1353, al. 1er C. civ).

Or en matière de responsabilité cette personne n’est autre que la victime du dommage, laquelle se revendique comme créancière d’une obligation de réparation.

Il lui appartient donc de démontrer que les conditions posées aux articles 1240, 1241 ou 1242 du Code civil sont réunies, ce qui donc inclut l’établissement du lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.

==> Objet de la preuve

La victime doit établir l’existence d’un rapport de nécessité entre le fait générateur et le dommage.

Autrement dit, elle doit prouver que sans la survenance du fait illicite dont elle tient responsable le défendeur, le dommage ne se serait pas produit.

Aussi, cela suppose-t-il que la victime établisse que le lien de causalité est certain.

Cette exigence conduit à exclure toute indemnisation lorsque le lien de causalité est douteux

La Cour de cassation a ainsi refusé d’indemniser les victimes de la sclérose en plaques qui faisait valoir que leur maladie était la conséquence de la vaccination contre l’hépatite B dont elles avaient toutes fait l’objet.

La haute juridiction justifie sa décision en affirmant que « le défaut du vaccin comme le lien de causalité entre la vaccination et la maladie ne pouvaient être établis ».

En raison de l’incertitude du lien de causalité, les victimes n’étaient donc pas fondées à obtenir réparation. (Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 01-13.063).

==> Présomptions de causalité

Parce que la preuve du lien de causalité est parfois extrêmement difficile à rapporter par la victime, le législateur ainsi que la Cour de cassation estiment que certaines circonstances justifient que le rapport causal soit présumé.

Dans cette hypothèse, l’objectif d’indemnisation de la victime prime sur l’exigence de certitude du lien de causalité.

L’instauration d’une présomption va, en effet, permettre d’établir l’existence du rapport causal entre le fait générateur et le dommage, alors que la causalité n’est pas certaine.

La conséquence en est un renversement de la charge de la preuve à la faveur de la victime.

Il appartiendra alors au défendeur de démontrer que le fait illicite qu’on lui impute n’a pas concouru à la production du dommage.

Des présomptions de causalité ont été instaurées dans plusieurs cas :

  • Présomption d’imputabilité du dommage à l’accident de la circulation
    • L’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation prévoit que l’obligation de réparation naît à la faveur de la victime dès lors qu’un véhicule terrestre à moteur « est impliqué » dans l’accident de la circulation.
    • Par implication, il faut entendre que le véhicule terrestre à moteur a hypothétiquement pu jouer un rôle dans la survenance de l’accident.
    • Il s’agit ici non pas d’un rapport de nécessité, mais seulement d’éventualité.
    • Afin de faciliter la preuve de l’implication du véhicule du défendeur dans l’accident, la Cour de cassation a instauré deux présomptions qui correspondent à deux hypothèses différentes :
      • Présomption irréfragable d’implication
      • Présomption simple d’implication
  • Présomption de rôle actif de la chose
    • En matière de responsabilité du fait des choses, pour que le fait d’une chose soit générateur de responsabilité, il est nécessaire d’établir que la chose a joué un rôle actif dans la production du dommage (Cass. Civ. 19 févr. 1941)
    • Pour qu’il y ait un rôle actif de la chose il est donc nécessaire qu’elle soit la cause réelle du dommage et non qu’elle y ait simplement contribué
    • Ainsi la chose ne saurait être considérée comme la cause réelle du dommage, si elle n’a « fait que subir l’action étrangère de la victime » (Cass. 2e Civ., 11 janvier 1995, n°92-20.162).
      • Exemple : une plaque de Plexiglas cède sous le poids de quelqu’un alors que la plaque est à sa place et dans sa fonction et qu’elle ne présente aucun vice interne
    • Afin de permettre à la victime de prouver que la chose a été l’instrument du dommage, la Cour de cassation a posé une présomption de rôle actif lorsque :
      • D’une part, la chose était en mouvement
      • D’autre part, lorsqu’il y a eu contact entre la chose et la victime
  • Présomption légale de causalité à la faveur des transfusés contaminés par le VIH
    • L’article 47 de la loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 a instauré une présomption simple de causalité à la faveur des transfusés contaminés par le VIH s’ils satisfont à deux conditions cumulatives :
      • Une contamination par le VIH
      • Une transfusion de sang ou de produits dérivés
  • Présomption légale de causalité à la faveur des transfusés contaminée par le virus de l’hépatite C
    • Première étape
      • La cour de cassation estime que la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre une transfusion sanguine et la contamination par le virus de l’hépatite C incombe à la victime, conformément au droit commun (Cass. 1re civ., 16 juill. 1998, n° 97-11.592).
    • Deuxième étape
      • La Cour de cassation admet que la causalité entre les transfusions et la contraction de la maladie puisse être établie en recourant aux présomptions du fait de l’homme (art. 1383 C. civ)
      • Autrement dit, la victime peut se contenter de rapporter la preuve d’indices graves, précis et concordants afin d’établir l’existence d’une relation causale (Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, n°93-19.160 et 93-20.412)
    • Troisième étape
      • La Cour de cassation élève au rang de présomption simple le rapport de causalité dans l’hypothèse où une personne qui a été transfusée développe, par la suite, une hépatite C.
      • La Cour de cassation estime en ce sens que « lorsqu’une personne démontre, d’une part, que la contamination virale dont elle est atteinte est survenue à la suite de transfusions sanguines, d’autre part, qu’elle ne présente aucun mode de contamination qui lui soit propre, il appartient au centre de transfusion sanguine, dont la responsabilité est recherchée, de prouver que les produits sanguins qu’il a fournis étaient exempts de vice » (Cass. 1ère civ., 9 mai 2001, n°99-18.161 et 99-18.514).
    • Quatrième étape
      • La présomption de causalité qui bénéficiait aux transfusés contaminés par le virus de l’hépatite C a été consacrée par le législateur par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.
      • L’article 102 de cette loi prévoit ainsi que « en cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de l’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur ».
  • Présomptions du fait de l’homme pour les personnes souffrant d’une hépatite B à la suite d’une vaccination contre l’hépatite B
    • Première étape
      • La Cour de cassation estime que la preuve de l’existence d’un lien de causalité la vaccination contre l’hépatite B et le développement ultérieur de la sclérose en plaques incombe à la victime, conformément au droit commun (Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n°01-13.063).
    • Deuxième étape
      • La Cour de cassation a assoupli sa position en admettant que la preuve de la causalité pouvait « résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes » (Cass. 1re civ., 22 mai 2008).
      • La Cour de cassation se refuse en la matière à exercer tout contrôle sur l’application des présomptions (Cass. 1re civ., 9 juill. 2009), ce qui n’est pas sans créer une certaine incertitude juridique.

II) La rupture du lien de causalité

Il ne suffit pas qu’un fait illicite soit établi pour que naisse une obligation de réparation à la charge de l’auteur du dommage.

Encore faut-il que ce dernier ne puisse pas s’exonérer de sa responsabilité.

Pour mémoire :

Dans la mesure où les conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile sont cumulatives, le non-respect d’une d’entre elles suffit à faire obstacle à l’indemnisation de la victime.

Aussi, le défendeur dispose-t-il de trois leviers pour faire échec à l’action en réparation :

  • S’il s’agit d’une action en responsabilité pour faute qui est diligentée contre l’auteur du dommage, il peut se prévaloir d’un fait justificatif, lequel a pour effet de retirer son caractère fautif au comportement dommageable.
    • Le fait justificatif neutraliste, en quelque sorte, la faute commise par l’agent en raison de certaines circonstances très particulières (consentement de la victime, acceptation des risques, ordre de la loi, état de nécessité etc.)
    • Il s’agit là d’une cause d’irresponsabilité objective

  • Soit, il démontre que le dommage subi par le demandeur ne constitue pas un préjudice réparable, en ce sens qu’il ne répond pas aux exigences requises (certain, personnel, légitime).

  • Soit, il démontre que le dommage ne serait jamais produit si un événement étranger à son propre fait n’était pas survenu.
    • Il doit, en d’autres termes, établir que, de par l’intervention de cet événement – que l’on qualifie de cause étrangère – le lien de causalité a été partiellement ou totalement rompu.

A) Notion de cause étrangère

La notion de cause étrangère désigne, de façon générique tout événement, non imputable à l’auteur du dommage dont la survenance a pour effet de rompre totalement ou partiellement le rapport causal.

Autrement dit, si la cause étrangère au fait personnel, au fait de la chose ou au fait d’autrui ne s’était pas réalisée, le dommage ne se serait pas produit, à tout le moins pas dans les mêmes proportions.

C’est la raison pour laquelle, dès lors qu’elle est établie, la cause étrangère est susceptible de constituer une cause d’exonération totale ou partielle de responsabilité.

Si les textes relatifs à la responsabilité civile ne font nullement référence à la cause étrangère, tel n’est pas le cas en matière de responsabilité contractuelle.

L’article 1218 du Code civil dispose en ce sens que :

« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »

L’article 1351 prévoit encore que :

« L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est définitive, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été préalablement mis en demeure. »

B) Manifestations de la cause étrangère

La cause étrangère est susceptible de se manifester sous trois formes différentes :

  • Le fait d’un tiers
    • Un tiers peut avoir concouru à la production du dommage, de sorte que s’il n’était pas intervenu aucun fait illicite n’aurait pu être imputé au défendeur.
  • Le fait de la victime
    • La victime peut avoir commis une faute qui a contribué à la production de son propre dommage.
  • Le cas fortuit
    • Il s’agit d’événements naturels (inondation, tornade, incendie) ou d’actions humaines collectives (grève, guerre, manifestation)

C) Cause étrangère et Force majeure

Trop souvent la cause étrangère est confondue avec la force majeure alors qu’il s’agit là de deux notions biens distinctes :

  • La cause étrangère consiste en un fait, un événement dont la survenance a pour effet de rompre le lien de causalité entre le fait générateur de responsabilité et le dommage
  • La force majeure consiste quant à elle, non pas en un fait, mais en plusieurs caractères que la cause étrangère est susceptible d’endosser.

Plus précisément, selon que la cause étrangère revêt ou non les caractères de la force majeure ses effets quant à l’exonération de l’auteur du dommage ne seront pas les mêmes.

D) Les caractères de la force majeure

Classiquement, on attribue à la force majeure trois attributs :

  • Irrésistible
    • Par irrésistible, il faut entendre l’impossibilité pour l’auteur du dommage d’exécuter l’obligation dont il est débiteur.
    • Autrement dit, il est dans l’incapacité absolue d’empêcher que la cause étrangère ne survienne
  • Imprévisible
    • L’imprévisibilité suppose que le défendeur n’a pas pu prévoir la réalisation de la cause étrangère.
    • Il n’a pas pu prendre les précautions nécessaires pour empêcher la production du dommage, dans la mesure où rien ne lui permettait de l’anticiper.
  • Extérieure
    • On dit de la force majeure qu’elle doit être extérieure, en ce sens que sa survenance ne doit pas être imputable à l’auteur du dommage

E) Exigences jurisprudentielles quant aux caractères de la force majeure

Manifestement, la jurisprudence de la Cour de cassation a connu de nombreux rebondissements, s’agissant des attributs que doit ou non revêtir la force majeure pour conférer à la cause étrangère son caractère exonératoire.

Dans un arrêt remarqué du 9 mars 1994, elle ainsi jugé que « si l’irrésistibilité de l’événement est, à elle seule, constitutive de la force majeure, lorsque sa prévision ne saurait permettre d’en empêcher les effets, encore faut-il que le débiteur ait pris toutes les mesures requises pour éviter la réalisation de cet événement » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1984, n°91-17.459 et 91-17.464)

Puis, dans un arrêt du 13 juillet 2000, la Cour de cassation a de nouveau exigé que, pour être caractérisée, la force majeure soit cumulativement irrésistible et imprévisible (Cass. 2e civ., 13 juill. 2000, n° 98-21.530).

Cependant, dans un arrêt du 6 novembre 2002 elle a semblé opérer un revirement de jurisprudence, en affirmant que « la seule irrésistibilité de l’événement caractérise la force majeure » (Cass. 1re civ., 6 nov. 2002, n° 99-21.203).

Enfin, dans plusieurs arrêts du 14 avril 2006 l’assemblée plénière a finalement tranché en jugeant que :

« il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure » (Cass. ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168)

Au total, il apparaît que la caractérisation de la force majeure suppose qu’elle remplisse les conditions – cumulatives – d’irrésistibilité et d’imprévisibilité.

Quid de la condition d’extériorité ?

En l’état du droit positif, la jurisprudence n’exige pas que la force majeure remplisse la condition d’extériorité, à l’exception de deux hypothèses bien précises :

Dans ces deux hypothèses, la force majeure ne saurait prendre sa source dans le fait de la personne dont l’auteur du dommage doit répondre, ni dans le fait de la chose qu’il a sous sa garde.

F) Les effets de la cause étrangère

La cause étrangère produit des effets différents sur la responsabilité de l’auteur du dommage, selon qu’elle revêt ou non les caractères de la force majeure.

1. La cause étrangère revêt les caractères de la force majeure

==> Principe

L’auteur du dommage est pleinement exonéré de sa responsabilité

Dans cette hypothèse, quelle que soit la forme sous laquelle la cause étrangère se manifeste (fait d’un tiers, fait de la victime ou cas fortuit), elle a pour effet de faire obstacle à la naissance de l’obligation de réparation, dans la mesure où le lien de causalité est totalement rompu.

==> Exceptions

  • Une faute est imputable à l’auteur du dommage
    • Dans l’hypothèse où l’auteur du dommage a commis une faute, quand bien même il établit qu’une cause étrangère présentant les caractères de la force majeure est survenue, il ne peut s’exonérer que partiellement de sa responsabilité.
    • Telle est la solution retenue dans un arrêt Lamoricière où, à la suite d’un naufrage provoqué par une tempête, le gardien d’un navire n’a pu s’exonérer que partiellement de sa responsabilité, la chambre commerciale ayant estimé que si le charbon utilisé avait été de meilleure qualité, la tragédie aurait pu être évitée (Cass. com., 19 juin 1951).
  • En matière d’accidents de la circulation
    • La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation interdit prévoit en son article 2 que « les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er. ».
    • Autrement dit, l’auteur du dommage causé dans le cadre d’un accident de la circulation ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant la survenance d’une cause étrangère, quand bien même elle est constitutive d’un cas de force majeure.
  • En matière de responsabilité du fait des produits défectueux
    • Parmi les causes d’exonération susceptibles d’être invoqué par le producteur du produit défectueux, l’article 1245-10 du Code civil ne vise à aucun moment le cas de force majeure.
    • L’article 1245-13 ajoute que « la responsabilité du producteur envers la victime n’est pas réduite par le fait d’un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage. »
    • Enfin, l’article 1245-14 ferme la porte à tout aménagement conventionnel de la responsabilité en disposant que « les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites ».
  • Aménagement contractuel de la responsabilité
    • Si, en matière délictuelle, l’aménagement de la responsabilité est prohibé, tel n’est pas le cas en matière contractuelle.
    • Aussi, les parties sont-elles libres, de prévoir des causes limitatives de responsabilité, en excluant, par exemple, certaines causes d’exonération.

2. La cause étrangère ne revêt pas les caractères de la force majeure

Il convient ici de distinguer selon que la cause étrangère consiste en une faute de la victime ou selon qu’elle se manifeste sous la forme du cas fortuit, du fait d’un tiers ou encore du fait non-fautif de la victime :

==> La faute de la victime

Dans l’hypothèse où la cause étrangère ne revêt pas les caractères de la force majeure, la faute de la victime, qui a concouru à la réalisation du préjudice, exonère partiellement le défendeur de sa responsabilité, au prorata du degré d’implication de chacun dans la production du dommage (Cass. 2e civ., 29 avr. 2004, n°02-20.180 ; Cass. 2e civ., 11 avr. 2002, n°00-17.774 ; Cass. 2e civ. 22 oct. 2009, n°08-20.166°).

==> Le fait non-fautif de la victime

La Cour de cassation considère que lorsque le fait non-fautif de la victime a concouru à la production du dommage, le défendeur n’est pas fondé à s’exonérer de sa responsabilité.

Dans un arrêt Desmares du 21 juillet 1982, la deuxième chambre civile a jugé en ce sens que « seul un événement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue par application de l’article 1384, alinéa 1, du Code civil ; que, dès lors, le comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l’en exonérer, même partiellement » (Cass. 2e civ., 21 juill. 1982, n°81-12.850).

C’est le système du tout ou rien qui est ici instauré par la Cour de cassation.

Autrement dit, soit le fait non-fautif de la victime revêt les caractères de la force majeure, auquel cas l’exonération est totale, soit il ne revêt pas les caractères de la force majeure et, dans ce cas, l’auteur du dommage est infondé à s’exonérer de sa responsabilité, même partiellement !

Si la jurisprudence Desmares a été abandonnée par la Cour de cassation, notamment dans trois arrêts du 6 avril 1987, lorsqu’une faute est imputable à la victime (Cass. 2e civ., 6 avr. 1987, n°85-16.387), elle a toujours vocation à s’appliquer lorsque le comportement de celle-ci est non-fautif.

==> Le fait d’un tiers

Dans l’hypothèse où le fait d’un tiers ne revêt pas les caractères de la force majeure, il convient de distinguer deux situations.

  • Si la responsabilité de l’auteur du dommage est recherchée sur le fondement de la faute, celui-ci pourra s’exonérer de sa responsabilité à concurrence du degré d’implication du fait du tiers dans la production du dommage
    • Autrement dit, la victime pourra rechercher la responsabilité du défendeur et du tiers in solidum.
  • Si la responsabilité de l’auteur du dommage est recherchée sur le fondement d’une responsabilité objective, ce dernier ne pourra pas s’exonérer de sa responsabilité.
    • Il sera tenu de réparer le dommage subi par la victime dans son intégralité, à charge pour lui d’exercer un recours contre le tiers afin d’obtenir, par ce biais, un partage de responsabilité.

==> Le cas fortuit

Dans l’hypothèse où le cas fortuit (événement naturel ou action collective) ne revêt pas les caractères de la force majeure, l’auteur du dommage ne saurait bénéficier d’une exonération, même partielle, de sa responsabilité (Cass. 2e civ., 30 juin 1971, n°70-10.845).

Il est tenu d’indemniser la victime du préjudice pour le tout.