Ordonnance sur requête: procédure devant le Tribunal de commerce

?Particularités

Les procédures sur requête présentent cette particularité de déroger au principe du contradictoire, en ce sens que le défendeur ne sera pas appelé par le juge à opposer au requérant ses arguments en défense.

L’article 493 du Code de procédure civile dispose en ce sens que « l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. »

Pratiquement, les procédures sur requête ont été envisagées par le législateur avec cet objectif de ménager un effet de surprise.

À cet égard, elles offrent la possibilité au requérant, qui remplit les conditions requises, d’obtenir d’une juridiction présidentielle une décision (ordonnance) provisoire aux fins, non pas de trancher le fond d’un litige, mais d’obtenir l’accomplissement d’un acte ou l’adoption d’une mesure.

Les procédures sur requête peuvent être engagées, tant avant le procès, qu’en cours d’instance.

?Procédure sur requête et procédure de référé

  • Points communs
    • Monopole des juridictions présidentielles
      • Les procédures sur requête et de référé relèvent des pouvoirs propres des Présidents de Juridiction, à l’exception du Conseil de prud’hommes.
    • Absence d’autorité de la chose jugée
      • La procédure sur requête et la procédure de référé ne possèdent pas l’autorité de la chose jugée au principal.
      • Elles conduisent seulement, si elles aboutissent, au prononcé d’une décision provisoire
      • Aussi, appartiendra-t-il aux parties d’engager une autre procédure afin de faire trancher le litige au fond.
    • Efficacité de la décision
      • Tant l’ordonnance sur requête que l’ordonnance de référé sont exécutoires immédiatement, soit sans que la voie de recours susceptible d’être exercée par le défendeur produise un effet suspensif
  • Différences
    • Le principe du contradictoire
      • La principale différence qui existe entre la procédure sur requête et la procédure de référé réside dans le principe du contradictoire
      • Tandis que la procédure sur requête déroge à ce principe directeur du procès, la procédure de référé y est soumise
    • Exécution sur minute
      • À la différence de l’ordonnance de référé qui, pour être exécutée, doit préalablement être signifiée, point de départ du délai d’exercice des voies de recours, l’ordonnance rendue sur requête est de plein droit exécutoire sur minute.
      • Cela signifie qu’elle peut être exécutée sur simple présentation, sans qu’il soit donc besoin qu’elle ait été signifiée au préalable.
      • Sauf à ce que le Juge ordonne, conformément à l’article 489 du CPC, que l’exécution de l’ordonnance de référé se fera sur minute, cette décision est seulement assortie de l’exécution provisoire

?Textes

Deux sortes de textes régissent les procédures sur requête :

  • Les dispositions communes à toutes les juridictions
    • Les articles 493 à 498 du Code de procédure civile déterminent :
      • Les règles de procédures
      • Le formalisme à respecter
      • Les voies de recours susceptibles d’être exercées
  • Les dispositions particulières à chaque juridiction
    • Pour le Président du Tribunal judiciaire, il convient de se reporter aux articles 845 et 846 du CPC.
    • Pour le Juge des contentieux de la protection, il convient de se reporter aux articles 845 et 846 du CPC
    • Pour le Président du Tribunal de commerce, il convient de se reporter aux articles 874 à 876-1 du CPC
    • Pour le président du tribunal paritaire de baux ruraux, il convient de se reporter aux articles 897 et 898 du CPC
    • Pour le Premier président de la cour d’appel, il convient de se reporter aux articles 958 et 959 du CPC.

I) La compétence

?Sur la compétence matérielle

Le juge compétent pour connaître d’une procédure sur requête est le Président de la juridiction qui serait compétente pour statuer sur le fond du litige.

Naturellement, la compétence de droit commun du Tribunal judiciaire fait de son Président le juge des requêtes de droit commun.

Quant au Président du Tribunal de commerce, il sera compétent pour connaître des litiges qui présentent un caractère commercial.

En matière prud’homale, dans le silence des textes sur la procédure sur requête, c’est au Président du Tribunal judiciaire qu’il revient de statuer.

Enfin, dans un arrêt du 17 novembre 1981, la Cour de cassation est venue préciser que le Juge de la mise en état n’est jamais compétent pour statuer sur une requête qui lui serait adressée par une partie.

L’article 774 du CPC prévoit, en effet, que, en procédure écrite ordinaire, les avocats sont susceptibles d’être entendus ou appelés avant qu’il ne prononce sa décision, ce qui est incompatible avec la procédure sur requête qui, par nature, est non-contradictoire (Cass. 3e civ. 17 nov. 1981, n°80-10.372).

?Sur la compétence territoriale

Dans le silence des textes, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 18 novembre 1992, que « le juge territorialement compétent pour rendre une ordonnance sur requête est le président de la juridiction saisie au fond ou celui du Tribunal du lieu où la mesure demandée doit être exécutée » (Cass. 2e civ. 18 nov. 1992, n°91-16.447).

Cette décision a été confirmée par un arrêt du 15 octobre 2015 aux termes duquel la deuxième chambre civile a rappelé que « le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées » (Cass. 2e civ., 15 oct. 2015, n°14-17.564.

Dans le cas où il y a une pluralité de mesures, la cour de cassation a admis la possibilité pour un Président d’ordonner une mesure de constat devant être effectuée dans un autre ressort territorial que le sien, mais à la double condition toutefois que l’une au moins de ces mesures ait lieu dans le ressort du Président qui l’a ordonnée et que cette juridiction soit compétente pour connaître de l’éventuelle instance au fond (Cass. 2e civ. 5 mai 2011, n°10-20.435).

Au bilan, le juge territorialement compétent pour connaître d’une procédure sur requête est :

  • Soit, le Président de la juridiction saisie au fond
  • Soit, le Président de la juridiction du lieu où la mesure demandée doit être exécutée

II) Conditions de la requête

Il ressort des articles 874 et 875 du CPC que le juge peut être saisi par voie de requête :

  • Soit pour ordonner des mesures dans les cas spécifiés par la loi.
  • Soit pour ordonner dans les limites de sa compétence, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement.

A) Les cas spécifiés par la loi

Un certain nombre de textes prévoient la possibilité pour une personne physique ou morale d’obtenir du Président d’une juridiction une ordonnance de requête, lorsque la dérogation au principe du contradictoire s’avère nécessaire.

Les conditions de recevabilité de la requête sont alors fixées par chaque texte spécifique, étant précisés que ces textes sont épars et disposent en toute matière.

?Exemples de cas prévoyant la saisine d’une juridiction par voie de requête

  • En matière de copropriété, l’article 17 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 dispose que « à défaut de nomination du syndic par l’assemblée générale des copropriétaires convoquée à cet effet, le syndic est désigné par le président du judiciaire saisi à la requête d’un ou plusieurs copropriétaires, du maire de la commune ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’habitat du lieu de situation de l’immeuble. »
  • En matière de saisie-contrefaçon, l’article L. 332-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « en matière de logiciels et de bases de données, la saisie-contrefaçon est exécutée en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par le président du tribunal judiciaire. »
  • En matière d’effet de commerce, l’article L. 511-38 du Code de commerce dispose qu’en cas de recours du porteur contre les endosseurs faute de paiement ou d’acception, « les garants contre lesquels un recours est exercé dans les cas prévus par le b et le c du I peuvent, dans les trois jours de l’exercice de ce recours adresser au président du tribunal de commerce de leur domicile une requête pour solliciter des délais. Si la demande est reconnue fondée, l’ordonnance fixe l’époque à laquelle les garants sont tenus de payer les effets de commerce dont il s’agit, sans que les délais ainsi octroyés puissent dépasser la date fixée pour l’échéance. L’ordonnance n’est susceptible ni d’opposition ni d’appel. »
  • En matière de procédure civile, l’article 840 du Code de procédure civile prévoit que « dans les litiges relevant de la procédure écrite ordinaire, le président du tribunal peut, en cas d’urgence, autoriser le demandeur, sur sa requête, à assigner le défendeur à jour fixe. Il désigne, s’il y a lieu, la chambre à laquelle l’affaire est distribuée. »

?Cas particulier des mesures d’instruction in futurum

L’article 145 du Code de procédure civile prévoit que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

De toute évidence, cette disposition présente la particularité de permettre la saisine du juge aux fins d’obtenir une mesure d’instruction avant tout procès, soit par voie de référé, soit par voie de requête.

Est-ce à dire que la partie cherchant à se préconstituer une preuve avant tout procès dispose d’une option procédurale ?

L’analyse de la combinaison des articles 145 et 845 du Code de procédure civile révèle qu’il n’en est rien.

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle, en effet, qu’il ne peut être recouru à la procédure sur requête qu’à la condition que des circonstances particulières l’exigent. Autrement dit, la voie du référé doit être insuffisante, à tout le moins inappropriée, pour obtenir le résultat recherché (V. en ce sens Cass. 2e civ. 13 mai 1987, n°86-11098).

Cette hiérarchisation des procédures qui place la procédure sur requête sous le signe de la subsidiarité procède de la volonté du législateur de n’admettre une dérogation au principe du contradictoire que dans des situations très exceptionnelles.

D’où l’obligation pour les parties d’envisager, en première intention, la procédure de référé, la procédure sur requête ne pouvant intervenir que dans l’hypothèse où il n’existe pas d’autre alternative.

Dans un arrêt du 29 janvier 2002, la Cour de cassation avait ainsi reproché à une Cour d’appel de n’avoir pas recherché « si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction » (Cass. com., 29 janv. 2002, n° 00-11.134).

Dans un arrêt du 8 janvier 2015, elle a encore exigé que cette circonstance devait être énoncée expressément dans la requête, faute de quoi la demande serait frappée d’irrecevabilité (Cass. 2e civ. 8 janv. 2015, n°13-27.740).

Pratiquement, la nécessité de déroger au principe du contradictoire sera caractérisée dans l’hypothèse où il y a lieu de procurer au requérant un effet de surprise, effet sans lequel l’intérêt de la mesure serait vidé de sa substance.

Le risque de disparition de preuves peut également être retenu par le juge comme une circonstance justifiant l’absence de débat contradictoire

Lorsque cette condition préalable est satisfaite, le requérant devra alors justifier d’un motif légitime qu’il a de conserver ou d’établir l’existence de faits en prévision d’un éventuel procès : il faut que l’action éventuelle au fond ne soit pas manifestement vouée à l’échec.

Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation exigeait encore que le requérant démontre l’urgence du prononcé de la mesure d’instruction.

Cette exigence a toutefois été abandonnée par la deuxième chambre civile dans un arrêt du 15 janvier 2009. Elle a affirmé en ce sens que « l’urgence n’est pas une condition requise pour que soient ordonnées sur requête des mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile » (Cass. 2e civ. 15 janv. 2009, n°08-10.771).

Cette solution se justifie par l’autonomie de la procédure sur requête fondée sur l’article 145 du CPC, principe qui conduit à écarter l’application des conditions propres au référé.

C’est la raison pour laquelle, ni la condition d’urgence, ni la condition tenant à l’absence de contestation sérieuse (Cass. 2e civ. 7 nov. 1989, n°88-15.482), ne sont requises pour solliciter par voie de requête une mesure d’instruction in futurum.

Au bilan, les deux seules conditions qui doivent être réunies sont :

  • D’une part, l’existence de circonstances particulières qui justifient de déroger au principe du contradictoire
  • D’autre part, l’existence d’un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige

Lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article 145 CPC, le Président de la juridiction peut prendre toutes les mesures d’instructions utiles légalement admissibles.

Ce qui importe, c’est que ces mesures répondent à l’un des deux objectifs suivants :

  • Conserver la preuve d’un fait
  • Établir la preuve d’un fait

Il ressort d’un arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 7 janvier 1999 que la mesure sollicitée ne peut pas être d’ordre général (Cass. 2e civ. 7 janv. 1999, n°97-10.831). Les mesures prononcées peuvent être extrêmement variées pourvu qu’elles soient précises.

B) L’existence de circonstances qui exigent que des mesures urgentes soient prises non contradictoirement

L’article 875 du Code de procédure civile prévoit que le Président du Tribunal compétent « peut également ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient pas prises contradictoirement. »

En dehors des cas spécifiques prévus par la loi, le Président de la juridiction compétente peut donc être saisi par voie de requête aux fins d’adoption de toute mesure utile lorsque deux conditions cumulatives sont remplies :

  • Il existe des circonstances qui exigent que des mesures ne soient pas prises contradictoirement
  • Les mesures sollicitées doivent être urgentes

?L’existence de circonstances qui exigent que des mesures ne soient pas prises contradictoirement

L’article 875 du Code de procédure civile pose que pour saisir le Juge par voie de requête, le requérant doit justifier de circonstances qui exigent l’absence de débat contradictoire.

Quelles sont ces circonstances ? Elles sont notamment caractérisées dans l’hypothèse où il y a lieu de procurer au requérant un effet de surprise, effet sans lequel l’intérêt de la mesure serait vidé de sa substance.

Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il est besoin de constater un adultère ou des manœuvres de concurrence déloyale.

L’effet de surprise n’est pas le seul motif susceptible d’être invoquée au soutien d’une demande formulée par voie de requête.

Le risque de disparition de preuves peut également être retenu par le juge comme une circonstance justifiant l’absence de débat contradictoire.

Il a encore été admis que le Juge puisse être saisi par voie de requête lorsque l’identification des défendeurs s’avère délicate, sinon impossible.

Dans un arrêt du 17 mai 1977 la Cour de cassation a ainsi admis qu’une décision rendue dans le cadre d’une procédure de référé puisse valoir ordonnance sur requête, dès lors qu’il était établi que des salariés en grève occupant une usine ne pouvaient pas être identifiés, et, par voie de conséquence, mis en cause par voie d’action en référé.

La chambre sociale a notamment avancé, au soutien de sa décision, que « le Président du Tribunal qui a le pouvoir d’ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu’elles ne soient prises contradictoirement ne devait pas en l’espèce statuer de la sorte à l’égard des autres occupants, sous réserve de la faculté pour ceux-ci de lui en référer, en raison de l’urgence à prévenir un dommage imminent, de la difficulté pratique d’appeler individuellement en cause tous les occupants et de la possibilité pour les dirigeants de fait du mouvement de grevé de présenter les moyens de défense communs à l’ensemble du personnel » (Cass. soc. 17 mai 1977, n°75-11.474).

?L’urgence de la prise de mesures

Pour que le juge soit saisi par voie de requête, outre l’établissement de circonstances qui exigence l’absence de débat contradictoire, le requérant doit démontrer que les mesures sollicitées sont urgentes

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par urgence. Il ressort de la jurisprudence que l’urgence doit être appréciée comme en matière de référé.

Classiquement, on dit qu’il y a urgence lorsque « qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur » (R. Perrot, Cours de droit judiciaire privé, 1976-1977, p. 432).

Il appartient de la sorte au juge de mettre en balance les intérêts du requérant qui, en cas de retard, sont susceptibles d’être mis en péril et les intérêts du défendeur qui pourraient être négligés en cas de décision trop hâtive à tout le moins mal-fondée.

En toute hypothèse, la détermination de l’urgence relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Elle est appréciée in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.

III) Formalisme de la requête

A) Présentation de la requête

?Notion

La requête est définie à l’article 57 du CPC comme l’acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.

À la différence de l’assignation, la requête est donc adressée, non pas à la partie adverse, mais à la juridiction auprès de laquelle est formulée la demande en justice.

Reste qu’elle produit le même effet, en ce qu’elle est un acte introductif d’instance.

?Sur la forme

L’article 494 du Code de procédure civile prévoit que :

  • D’une part, la requête est présentée en double exemplaire
  • D’autre part, elle doit être motivée (en fait et en droit)
  • Enfin, elle doit comporter l’indication précise des pièces invoquées.

Cette disposition ajoute que, si la requête est présentée à l’occasion d’une instance en cours, elle doit indiquer la juridiction saisie.

Enfin, il est d’usage que la requête soit assortie du projet d’ordonnance afin de faciliter la tâche du magistrat.

Reste que ce dernier pourra préférer rédiger sa propre ordonnance. Aucune règle formelle n’existe en la matière, de sorte que l’absence de pré-rédaction de l’ordonnance ne saurait être un motif de rejet de la requête pour vice de forme.

Rien n’interdit, par ailleurs, le juge consécutivement au dépôt de la requête de demander à entendre le requérant, en personne, ou par l’entremise de son avocat.

?Sur les mentions

À l’instar de l’assignation, la requête doit comporter un certain nombre de mentions prescrites à peine de nullité par le Code de procédure civile.

Mentions de droit commun
Art. 54• A peine de nullité, la demande initiale mentionne :

1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;

2° L'objet de la demande ;

3° a) Pour les personnes physiques, les nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance de chacun des demandeurs ;

b) Pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l'organe qui les représente légalement ;

4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier ;

5° Lorsqu'elle doit être précédée d'une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, les diligences entreprises en vue d'une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d'une telle tentative.
Art. 57• Elle contient, outre les mentions énoncées à l'article 54, également à peine de nullité :

-lorsqu'elle est formée par une seule partie, l'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée ou s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social

-dans tous les cas, l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.

•Elle est datée et signée.
Mentions spécifiques
Ordonnance sur
requête
(Art. 494)
• La requête est présentée en double exemplaire.

• Elle doit être motivée.

• Elle doit comporter l'indication précise des pièces invoquées.

• Si elle est présentée à l'occasion d'une instance, elle doit indiquer la juridiction saisie.

• En cas d'urgence, la requête peut être présentée au domicile du juge.
Requête en
injonction
de payer
(Art. 1407)
• Outre les mentions prescrites par l'article 57, la requête contient l'indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance ainsi que le fondement de celle-ci.

• Elle est accompagnée des documents justificatifs.
Requête en
injonction
de faire
(Art. 1425-2)
• Outre les mentions prescrites par l'article 57, la requête contient :

1° L'indication précise de la nature de l'obligation dont l'exécution est poursuivie ainsi que le fondement de celle-ci ;

2° Eventuellement, les dommages et intérêts qui seront réclamés en cas d'inexécution de l'injonction de faire.

• Elle est accompagnée des documents justificatifs.

B) Dépôt

?Sur le lieu du dépôt

  • Principe
    • La requête doit être déposée au greffe du Président de la juridiction saisie
  • Exception
    • L’article 876 du CPC prévoit que, en cas d’urgence, la requête peut être présentée au domicile du président ou au lieu où il exerce son activité professionnelle.

?Sur le coût du dépôt

Le dépôt de la requête n’est, par principe, soumis à aucun droit de timbre à l’exception de l’hypothèse où elle serait déposée auprès du Président du tribunal de commerce

Devant la juridiction commerciale, le dépôt de la requête est payant. Le prix est affiché sur le site web des greffes des Tribunaux de commerce.

C) Représentation

Tandis que sous l’empire du droit antérieur la représentation des parties par avocat n’était jamais obligatoire devant le Tribunal de commerce, elle le devient désormais depuis l’adoption du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Le nouvel article 853 dispose en ce sens que « les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat devant le tribunal de commerce. »

L’alinéa 3 de cette disposition précise néanmoins que « les parties sont dispensées de l’obligation de constituer avocat dans les cas prévus par la loi ou le règlement, lorsque la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 euros, dans le cadre des procédures instituées par le livre VI du code de commerce ou pour les litiges relatifs à la tenue du registre du commerce et des sociétés. »

Si, dès lors, devant le Tribunal de commerce le principe est la représentation obligatoire des parties, par exception, elle peut être facultative, notamment lorsque le montant de la demande est inférieur à 10.000 euros.

1. Le principe de représentation obligatoire

L’article 853 du CPC dispose donc que « les parties sont, sauf disposition contraire, tenues de constituer avocat devant le tribunal de commerce. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si cette représentation relève de ce que l’on appelle le monopole de postulation de l’avocat érigé à l’article 5, al. 2 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971.

À l’examen, devant le Tribunal de commerce les avocats ne disposent d’aucun monopole de postulation.

La raison en est que ce monopole est circonscrit pat l’article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques aux seuls tribunaux judiciaires du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle ainsi qu’aux seules Cours d’appel.

Aussi, en application du 1er alinéa de l’article 5 ce texte, devant le Tribunal de commerce, les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale

À cet égard, l’article 853, al. 5 du CPC prévoit que « le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial. »

Lorsque le mandataire est avocat, il n’a donc pas l’obligation de justifier d’un pouvoir spécial, l’article 411 du CPC disposant que « la constitution d’avocat emporte mandat de représentation en justice »

Le plus souvent, sa mission consistera à assister et représenter la partie dont il assure la défense des intérêts.

2. La dispense de représentation obligatoire

Par dérogation au principe de représentation obligatoire devant le Tribunal de commerce, l’article 853, al. 2 du CPC pose que les parties sont dispensées de l’obligation de constituer avocat dans les cas prévus par la loi ou le règlement, lorsque

  • Soit la demande porte sur un montant inférieur ou égal à 10 000 euros
  • Soit dans le cadre des procédures instituées par le livre VI du Code de commerce consacré au traitement des entreprises en difficulté
  • Soit pour les litiges relatifs à la tenue du registre du commerce et des sociétés.
  • Soit en matière de gage des stocks et de gage sans dépossession

En matière de requête, l’article 874 du CPC ajoute un cas de dispense à la représentation obligatoire pour les demandes relatives au gage des stocks et de gage sans dépossession.

Lorsque l’une de ses situations est caractérisée, il ressort de l’article 853, al. 3 et 874 du CPC que les parties ont la faculté :

  • Soit de se défendre elles-mêmes
  • Soit de se faire assister ou représenter par toute personne de leur choix.

En toute hypothèse, le représentant, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial.

IV) Effets de la requête

Le dépôt de la requête produit deux effets :

  • Ouverture d’une instance, raison pour laquelle la requête s’apparente à un acte introductif d’instance au sens de l’article 54 du Code de procédure civil, lequel prévoit que « la demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction. »
  • Interruption de la prescription en application de l’article 2241 du Code civil qui prévoit que « la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. »

V) L’ordonnance

L’article 493 du Code de procédure civile prévoit que « l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. »

Deux enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • D’une part, l’ordonnance sur requête est provisoire
  • D’autre part, elle procède d’une procédure non-contradictoire.

L’article 495 du CPC ajoute que l’ordonnance sur requête doit être motivée et qu’elle est exécutoire sur minute.

A) Une décision provisoire

L’ordonnance sur requête partage avec l’ordonnance de référé ce point commun d’être une décision rendue à titre provisoire.

Dans un arrêt du 15 mai 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’ordonnance sur requête est une décision provisoire, dépourvue de l’autorité de la chose jugée » (Cass. 2e civ. 15 mai 2001, 99-17.008).

Autrement dit, elle ne possède pas l’autorité de la chose jugée, de sorte que, en cas de saisine du Juge au fond, il ne sera pas lié à la décision prise.

L’affaire pourra, dans ces conditions, être rejugée dans tous ses aspects,

B) Une décision non-contradictoire

Bien que l’ordonnance sur requête ait en commun avec l’ordonnance de référé d’être rendue à titre provisoire, elle s’en distingue en ce qu’elle procède d’une procédure non-contradictoire.

Autrement dit, il n’est pas besoin que s’instaure un débat entre le requérant et le mis en cause pour que le Juge rende sa décision. Il dispose de la faculté de rendre une ordonnance sur la seule foi de la requête et des pièces qui lui sont soumises.

Reste que le contradictoire n’est pas totalement écarté, l’article 496 du CPC prévoyant que « s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. »

Ainsi, appartient-il à quiconque justifie d’un intérêt à agir de solliciter la restauration du principe de contradictoire.

Dans un arrêt du 4 septembre 2014, la Cour de cassation a rappelé cette faculté en jugeant que « l’article 495, alinéa 3, du code de procédure civile [qui exige la remise d’une copie de la requête au défendeur] a pour seule finalité de permettre le rétablissement du principe de la contradiction en portant à la connaissance de celui qui subit la mesure ordonnée à son insu ce qui a déterminé la décision du juge, et d’apprécier l’opportunité d’un éventuel recours » (Cass. 2e civ., 4 sept. 2014, n° 13-22.971).

C) Une décision motivée

?Sur le fond

L’article 494 du CPC prévoit que l’ordonnance sur requête doit être motivée, en ce sens que le Juge doit justifier sa décision.

Cette motivation est attendue, tant en cas d’acceptation de la demande, qu’en cas de rejet.

?Sur la forme

En application de l’article 454 du CPC, l’ordonnance doit contenir :

  • La juridiction dont il émane ;
  • Le nom du juge qui a délibéré ;
  • La signature du magistrat
  • Sa date ;
  • Le nom du représentant du ministère public s’il a assisté aux débats ;
  • Le nom du greffier ;
  • Les nom, prénoms ou dénomination des parties ainsi que de leur domicile ou siège social ;
  • Le cas échéant, du nom des avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties ;

D) Une décision exécutoire

L’article 495 du CPC dispose que l’ordonnance sur requête « est exécutoire au seul vu de la minute. »

Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire qu’elle soit signifiée à la partie mise en cause, contrairement à l’ordonnance de référé qui doit être notifiée à l’intéressée.

À cet égard, dans un arrêt du 1er février 2005, la Cour de cassation a considéré que l’exécution d’une ordonnance exécutoire sur minute ne pouvait, en aucune façon, constituer pas une faute, de sorte que le notaire qui s’est dessaisi de fonds dont il était séquestre au vu de l’ordonnance n’engageait pas sa responsabilité (Cass. 2e civ. 1er févr. 2005, n°03-10.018).

Reste que, comme jugé par la Cour de cassation, « l’exécution d’une décision de justice préparatoire ou provisoire n’a lieu qu’aux risques et périls de celui qui la poursuit, à charge par lui d’en réparer les conséquences dommageables » (Cass. 2e civ., 9 janv. 2003, n°00-22.188).

Lorsque l’ordonnance est exécutée, en application de l’article 495, al. 3 du CPC, une copie de la requête et de l’ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée (V. en ce sens Cass. 2e civ. 4 juin 2015, n°14-16.647).

Cette exigence se justifie par la nécessité de laisser la possibilité à cette dernière d’exercer une voie de recours (Cass. 2e civ., 4 sept. 2014, n°13-22.971).

Le double de l’ordonnance est, par ailleurs, conservé au greffe de la juridiction saisie (art. 498 CPC).

VI) Voies de recours

Il convient de distinguer selon que l’ordonnance fait droit à la demande du requérant ou selon qu’elle le déboute de sa demande.

A) L’admission de la requête

?Le référé-rétractation

En cas d’admission de la requête par la juridiction saisie, la personne contre qui elle est rendue dispose d’une voie de recours qui consiste en un référé-rétractation.

L’article 496 du CPC prévoit en ce sens que « s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance. »

En application de l’article 497 le juge dispose alors de trois options :

  • Soit il maintient son ordonnance
  • Soit il modifie son ordonnance
  • Soit il rétracte son ordonnance

?Délai

Dans le silence des textes, le recours en rétractation de l’ordonnance peut être exercé tant que l’ordonnance n’a pas épuisé tous ses effets

L’article 497 du CPC précise d’ailleurs que « le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l’affaire »

?Procédure

  • Compétence du juge
    • Le Juge compétent pour connaître du recours en rétractation est celui-là même qui a rendu l’ordonnance contestée et non le juge des référés.
  • Recevabilité
    • Contrairement à l’action en référé qui n’est recevable qu’à la condition de démontrer l’existence d’une urgence ou l’absence de contestation sérieuse, le juge ayant vocation à connaître d’un recours en rétractation n’est pas soumis à ses conditions
    • Le recours peut donc être exercé, sans qu’il soit besoin pour son auteur de justifier d’une urgence ou d’établir d’absence de contestation sérieuse.
  • Pouvoirs du juge
    • Bien que le juge saisi d’un recours en rétractation ne soit pas le juge des référés, il est invité à statuer comme en matière de référé.
    • Plus précisément, dans un arrêt du 19 février 2015, la Cour de cassation a considéré que le juge statuant sur une demande de rétractation ne peut statuer « qu’en exerçant les pouvoirs du juge des référés que lui confère exclusivement l’article 496, alinéa 2, du code de procédure civile ».
    • Cela signifie, en somme, que le juge ne peut, en rétablissant le contradictoire, que maintenir, modifier ou rétracter son ordonnance.
    • Pour ce faire, il doit vérifier que toutes les conditions étaient remplies lorsqu’il a rendu son ordonnance et que la demande était fondée.
    • Dans un arrêt du 9 septembre 2010, la Cour de cassation a précisé que l’« instance en rétractation ayant pour seul objet de soumettre à l’examen d’un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l’initiative d’une partie en l’absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet » (Cass. 2e civ. 9 sept. 2010, n°09-69.936).
  • Acte introductif d’instance
    • Le recours en rétractation s’exerce par voie d’assignation
    • Aussi, conviendra-t-il pour le défendeur d’assigner en référé aux fins de rétractation de l’ordonnance contestée (Cass. 2e civ., 7 janv. 2010, n°08-16.486).
  • Décision
    • La décision rendue par le Juge saisi consistera en une ordonnance de référé, contradictoire, mais dépourvue de l’autorité de la chose jugée, de sorte que les juges du fond ne seront pas liés par ce qui a été décidé.

B) Le rejet de la requête

L’article 496, al. 1 du CPC prévoit que « s’il n’est pas fait droit à la requête, appel peut être interjeté à moins que l’ordonnance n’émane du premier président de la cour d’appel ».

C’est donc la voie de l’appel qui est ouverte au requérant en cas de rejet de sa requête.

Il dispose alors d’un délai de quinze jours à compter du jour où l’ordonnance a été rendue. L’appel ne peut être interjeté qu’auprès du magistrat qui a rendu l’ordonnance.

L’article 496, al. 1 in fine précise que « l’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse. »

Il convient alors de se reporter aux articles 950 à 953 du CPC qui encadre la procédure d’appel en matière gracieuse.

Il est notamment prévu par l’article 950 que « l’appel contre une décision gracieuse est formé, par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé au greffe de la juridiction qui a rendu la décision, par un avocat ou un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur. »

La rédaction des jugements: forme, mentions obligatoires, motivation, dispositif et force probante

I) La forme du jugement

?Un écrit

Bien qu’aucun texte ne prévoit expressément que les jugements soient établis par écrit, cette exigence se déduit des articles 450 à 466 du CPC qui prescrivent un certain nombre de mentions qui doivent être reproduites.

Un jugement ne peut donc pas prendre une forme orale. L’original qui constate par écrit la décision des juges est qualifié de minute. Cette minute alors est conservée par le greffier, ce qui permet d’assurer la publicité du jugement et son exécution.

À cet égard, l’article R. 123-5 du COJ prévoit que le greffier « est dépositaire, sous le contrôle des chefs de juridiction, des minutes et archives dont il assure la conservation ; il délivre les expéditions et copies et a la garde des scellés et de toutes sommes et pièces déposées au greffe. »

?Un écrit papier ou électronique

Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2012-1515 du 28 décembre 2012, il est indifférent que le jugement soit établi sous forme papier ou électronique.

L’article 456 du CPC prévoit en ce sens que « le jugement peut être établi sur support papier ou électronique. »

Cette disposition précise néanmoins que « lorsque le jugement est établi sur support électronique, les procédés utilisés doivent en garantir l’intégrité et la conservation. Le jugement établi sur support électronique est signé au moyen d’un procédé de signature électronique sécurisée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique. »

?Le registre d’audience

L’établissement du jugement donne lieu à l’actualisation du registre d’audience dont la tenue est assurée par le greffier.

À cet égard, l’article 728 du CPC prévoit que le greffier de la formation de jugement tient un registre où sont portés, pour chaque audience :

  • La date de l’audience ;
  • Le nom des juges et du greffier ;
  • Le nom des parties et la nature de l’affaire ;
  • L’indication des parties qui comparaissent elles-mêmes dans les matières où la représentation n’est pas obligatoire ;
  • Le nom des personnes qui représentent ou assistent les parties à l’audience.

Le greffier y mentionne également le caractère public ou non de l’audience, les incidents d’audience et les décisions prises sur ces incidents.

L’indication des jugements prononcés est portée sur le registre qui est signé, après chaque audience, par le président et le greffier, ce qui lui confère la force probante d’un acte authentique au même titre que le jugement.

La fonction du registre d’audience est éminemment importante dans la mesure où, en application de l’article 459 du CPC, sa consultation permet de régulariser les omissions ou inexactitudes de mentions que comporte le jugement.

II) Le contenu du jugement

Les jugements rendus par le Tribunal judiciaire doivent comporter un certain nombre de mentions nécessaires. En outre, ils doivent être motivés.

La décision proprement dite en constitue le dispositif. Enfin, l’expédition du jugement doit être revêtue de la formule exécutoire.

A) Les mentions obligatoires

Le code de procédure civile prescrit que le jugement doit comporter des indications relatives à sa régularité formelle ainsi que l’exposé des prétentions respectives des parties et leurs moyens.

Enfin le jugement doit être signé.

?Mentions relatives à la régularité formelle du jugement

L’article 454 du CPC prévoit que le jugement doit contenir l’indication :

  • Rendu au nom du peuple français
  • De la juridiction dont il émane ;
  • Du nom des juges qui en ont délibéré, ou du juge s’il y a eu juge unique ;
  • De sa date, qui est celle de son prononcé ;
  • Du nom du représentant du ministère public s’il a assisté aux débats ;
  • Du nom du secrétaire ;
  • De l’identité ainsi que du domicile ou du siège social des parties et, le cas échéant, du nom des avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties.

?Énonciations relatives aux prétentions respectives des parties

L’article 455 du CPC prévoit que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens.

Cet exposé succinct exigé par l’article 455 du CPC, outre qu’il peut être utile pour le rédacteur de la décision dans la mesure où il lui rappelle les points sur lesquels il doit se prononcer, est nécessaire, d’une part pour permettre aux parties de vérifier que le Tribunal a bien statué sur l’objet de la demande après avoir examiné les moyens qui la fondent, d’autre part pour permettre à la Cour d’appel, le cas échéant, de s’assurer que le Tribunal de première instance :

  • D’une part, n’a pas modifié l’objet du litige ou n’est pas sortie de ses limites, ce qui entraînerait une réformation du jugement au visa de l’article 4 du CPC.
    • Modifier l’objet du litige, c’est altérer les prétentions des parties, par exemple en déformant leurs demandes, en retenant pour principal ce qui n’était que subsidiaire.
    • Toutefois les juges ne modifient pas l’objet du litige lorsque, après avertissement préalable donné aux parties pour respecter le principe de la contradiction, ils se bornent à donner leur exacte qualification aux faits et aux actes, ou bien lorsqu’ils ne font que changer le fondement juridique invoqué par les parties, ou encore lorsque les conclusions présentées étaient confuses, ambiguës ou inintelligibles, de telle sorte que le Tribunal s’est trouvé dans la nécessité de les interpréter (Cass. com., 17 déc. 1996, n° 94-17.901).
    • Les prétentions sont fixées dans les conclusions en demande ou en défense, peu important que les prétentions soient exprimées dans les motifs et non dans le dispositif des écritures (Cass. com., 11 déc. 1990, n°89-17.454 ; Cass. 3e Civ., 26 mai 1992).
  • D’autre part, a répondu aux moyens présentés par les parties, car, à défaut, le jugement encourt la censure, au visa de l’article 455 du CPC, pour absence de réponse à conclusions, qui constitue un défaut de motifs.
    • Il convient donc que le jugement apporte une réponse aux moyens
    • À cet égard, dans les procédures soumises à la représentation obligatoire, les moyens à prendre en considération sont seulement ceux qui sont exprimés dans les « dernières conclusions déposées ».
    • Il n’y a donc pas lieu de tenir compte, pour leur apporter une réponse, des moyens présentés dans les conclusions antérieures et non repris dans les dernières, étant observé que les parties ne peuvent pas procéder par voie de renvoi ou de référence à leurs précédentes écritures (Cass. 2e civ., 10 mai 2001, n° 99-19.898 ; Cass. 2e civ., 28 juin 2001, n° 00-10.124).
    • La Cour de cassation, si elle exige qu’il soit répondu aux moyens, n’oblige pas les juges du fond à suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
    • Telle est également la doctrine de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère que « l’article 6.1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leur décision, mais il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à “chaque argument » (CEDH, 19 avril 1994, X…c/ Pays-Bas, requête n° 16034/90).
    • Le moyen peut être décrit comme un raisonnement qui, partant d’un fait, d’un acte ou d’un texte, aboutit à une conclusion juridique propre à justifier une prétention (en demande ou en défense).
    • S’il n’est évidemment pas demandé aux juges de s’expliquer sur chacun des faits allégués, sur chacun des documents produits, ils doivent prendre en considération ceux de ces éléments qui, dans la mesure où ils sont constants et constatés, et ayant un caractère déterminant sur la solution du litige, sont de nature à fonder la déduction juridique envisagée.
    • La frontière entre le moyen et l’argument est cependant imprécise.
    • Si un doute existe sur le point de savoir si une allégation n’est qu’un simple argument, il convient de se prononcer sur elle.
    • Une attention particulière doit être apportée au rapport à justice.
      • Si une partie s’en rapporte à justice, elle élève une contestation.
      • La Cour considère en ce sens que « le fait, pour une partie, de s’en rapporter à justice sur le mérite d’une demande implique de sa part, non un acquiescement à cette demande, mais la contestation de celle-ci » (Cass. 2e Civ., 10 nov. 1999, n° 98-13.957 ; Cass. 1ère civ., 24 oct. 2000, n° 98-19.606).
      • Par suite, d’une part le Tribunal ne peut pas accueillir la prétention au motif qu’elle n’est pas contestée ; d’autre part la partie reste recevable à relever appel, bien qu’elle s’en fût rapportée à justice en première instance : elle élève à nouveau la contestation.
      • Mais, à l’appui d’un pourvoi en cassation, la partie ne sera pas recevable à contester la solution retenue, car s’étant rapportée, le moyen de cassation serait nouveau et irrecevable (Cass. 2e civ., 3 mai 2001, n° 98-23.347).

L’exposé succinct des prétentions respectives des parties et de leurs moyens peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date sans qu’il soit nécessaire d’annexer à la décision une copie de ces écritures.

?Omission ou inexactitude d’une mention

Le code de procédure civile précise les cas dans lesquels il y a lieu à nullité du fait de l’omission ou de l’inexactitude d’une des mentions.

Ainsi doivent être observées à peine de nullité les prescriptions concernant :

  • La mention du nom des juges ;
  • L’exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens ;
  • La signature par le président et par le secrétaire ainsi que, le cas échéant, la mention de l’empêchement (art. 458 CPC).

Toutefois, l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience, ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été en fait observées (art. 459 CPC).

B) La motivation du jugement

?Enjeux

Les enjeux de la motivation d’une décision sont cruciaux. Moralement la motivation est censée garantir de l’arbitraire, mais ses vertus sont aussi d’ordre rationnel, intellectuel, car motiver sa décision impose à celui qui la prend la rigueur d’un raisonnement, la pertinence de motifs dont il doit pouvoir rendre compte.

Le cas échéant, la motivation donnera l’appui nécessaire pour contester de façon rationnelle la décision. C’est rappeler ainsi que la motivation, en ce qu’elle livre à autrui les raisons qui expliquent la décision, constitue également une information.

Comme l’observe Michel Grimaldi, « ce peut être une simple information : la motivation vise à renseigner, mais n’appelle pas la discussion. […]. Ce peut être aussi une motivation en vue d’un contrôle. Souvent, le plus souvent même, l’obligation de motiver se prolonge par la soumission à un contrôle. Et l’on rejoint ici la première observation : le droit à la motivation, s’il existe, ce n’est pas seulement le droit de savoir, c’est aussi l’amorce du droit de contester ».

?Finalité

En matière civile, l’obligation de motivation des jugements répond à une triple finalité.

  • En premier lieu, elle oblige le juge au raisonnement juridique, c’est-à-dire à la confrontation du droit et des faits.
  • En deuxième lieu, elle constitue pour le justiciable la garantie que ses prétentions et ses moyens ont été sérieusement et équitablement examinés. En cela, elle est aussi un rempart contre l’arbitraire du juge ou sa partialité.
  • En dernier lieu, elle permet à la Cour de cassation d’exercer son contrôle et d’expliquer sa jurisprudence. En motivant sa décision, le juge s’explique, justifie sa décision, étymologiquement la met en mouvement en direction des parties et des juridictions supérieures pour la soumettre à leur critique et à leur contrôle. Il ne s’agit donc pas d’une exigence purement formelle mais d’une règle essentielle qui permet de vérifier que le juge a fait une correcte application de la loi dans le respect des principes directeurs du procès.

?Textes

En droit positif, l’exigence de motivation résulte de l’article 455 du CPC qui énonce, on ne peut plus simplement, que « le jugement doit être motivé ».

Bien qu’issue d’un texte de nature réglementaire , l’obligation de motivation a sans aucun doute une valeur supérieure puisque, aussi bien, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme, en ont consacré le principe.

Ainsi le Conseil a-t-il reconnu à l’exigence de motivation des jugements la valeur d’un principe fondamental en considérant notamment, en matière d’expropriation, que cette exigence relevait du domaine de la loi (Cons. const., décision du 3 novembre 1977, no 77-101 L.)

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est plus fournie, puisque, alors que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas expressément référence à la nécessité de motiver le jugement, la Cour a posé pour principe que l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions et que la motivation ne peut être totalement absente (CEDH, Higgins et autres c. France, 19 février 1998, requête no 20124/92), même si ce texte n’exige pas une réponse détaillée à chaque argument (CEDH, Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, requête no 16034/90) et si l’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce.

On signalera aussi que, pour la première chambre civile de la Cour de cassation, la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée est contraire à la conception française de l’ordre public international de procédure, lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante (Cass. 1ère civ., 28 nov. 2006, n°04-19.031 ; Cass. 1ère civ., 22 oct. 2008, n° 06-15.577).

?Domaine

  • Principe
    • Le domaine de la motivation est général. L’obligation s’applique indistinctement et, sauf exceptions, à toutes les décisions de justice.
    • Doivent ainsi être motivés les jugements contentieux comme les décisions rendues en matière gracieuse, les jugements avant dire droit et les jugements statuant au fond, les jugements en premier ressort comme ceux rendus en dernier ressort.
    • Aucune distinction n’est opérée selon que le jugement est contradictoire ou réputé contradictoire ou qu’il a été prononcé par défaut. La comparution des parties est sans incidence sur l’exigence de motivation et la Cour de cassation censure régulièrement, au visa de l’article 472 du CPC, les jugements qui déduisent de l’absence du défendeur un acquiescement aux prétentions du demandeur, la solution valant aussi bien en première instance (Cass. 2e civ., 8 juillet 2010, n°09-16.074), qu’en cause d’appel (Cass. 2e civ., 30 avril 2003, n°01-12.289).
    • On entend par motifs d’un jugement ce qui détermine chacune des dispositions dont il se compose ou encore les raisons données par le juge à l’appui de sa décision.
    • Les motifs doivent être particuliers à chaque affaire et suffisamment précis et développés pour permettre leur contrôle, dans le cadre d’un éventuel recours.
  • Exceptions
    • Les exceptions prévues par les textes
      • Les exceptions légales à l’obligation de motivation sont peu nombreuses.
      • On cite souvent le jugement d’adoption (art. 353 C. civ.) ou certaines décisions rendues en matière de divorce, comme le jugement sans énonciation des torts et griefs à la demande des parties (art. 245-1 C. civ. et art. 1128 CPC).
      • On signalera aussi les dispositions de l’article 955 du CPC, selon lesquelles lorsqu’elle confirme un jugement, la cour d’appel est réputée avoir confirmé les motifs de ce jugement qui ne sont pas contraires aux siens.
      • Ce texte, qui renferme une présomption de motivation, permet à la Cour de cassation de s’emparer des motifs des premiers juges pour suppléer une motivation insuffisante ou défaillante d’un arrêt faisant l’objet d’un pourvoi (Cass. 2e civ., 1er juill. 2010, n°09-66.712 et 09-68.869).
      • Il ne doit néanmoins pas être compris comme instituant une dispense de motivation, c’est-à-dire de réexamen de l’affaire, qui est le propre de l’appel.
    • Les exceptions prévues par la jurisprudence

?Contenu de l’exigence de motivation

Motiver, c’est, pour le juge, fonder sa décision en fait et en droit. Cette obligation de motivation comporte deux aspects : quantitatif et qualitatif :

  • Sur le plan quantitatif
    • Il appartient au juge d’analyser, même de façon sommaire, les éléments de preuve produits.
    • Il ne peut statuer par des considérations générales (Cass. 1ère civ., 17 févr. 2004, n°02-10.755), ni se déterminer sur la seule allégation d’une partie ou sur des pièces qu’il n’analyse pas (Cass. soc., 1er févr. 1996, n°94-15.354), même si le juge n’est pas tenu de s’expliquer spécialement sur les éléments de preuve qu’il décide d’écarter (Cass. 1ère civ., 3 juin 1998, n°96-15.833 ; Cass. com., 9 févr. 2010, n°08-18.067).
    • La motivation doit porter sur chacun des chefs de demande et sur chacun des moyens invoqués au soutien des conclusions.
    • Le défaut de réponse à conclusions, qu’il importe de ne pas confondre avec l’omission de statuer, est sanctionné au titre d’une méconnaissance des exigences de l’article 455 du code de procédure civile.
    • Enfin, on sait que la motivation doit être intrinsèque et que la jurisprudence proscrit toute motivation par référence aux motifs d’une décision rendue dans une autre instance (Cass. 3e civ., 26 oct. 1983, n°81-14.861 ; Cass. 2e civ., 2 avril 1997, n 95-17.937), sauf naturellement lorsque cette motivation procède d’une adoption des motifs des premiers juges.
    • La Cour de cassation ne fait ici que mettre en œuvre le principe de la prohibition des arrêts de règlement.
  • Sur le plan qualitatif
    • La motivation implique pour le juge l’obligation d’expliquer clairement les raisons qui le conduisent à se déterminer.
    • Il importe donc que ses motifs soient rigoureux et pertinents.
    • La rigueur commande d’abord au juge de se prononcer par des motifs intelligibles, de se garder de formuler des hypothèses, d’émettre des doutes ou d’éviter de se contredire.
    • Les arrêts de cassation ne sont pas rares qui censurent l’énoncé de motifs contradictoires, dubitatifs, hypothétiques, voire incompréhensibles.
    • La motivation du jugement sera ensuite pertinente si elle est opérante, c’est-à-dire si elle est propre à justifier la réponse apportée par le juge aux moyens et prétentions des parties.
    • Cette exigence s’impose chaque fois que la Cour de cassation exerce un contrôle de la qualification des faits mais aussi, de façon plus inattendue, lorsque l’appréciation des éléments du litige est abandonnée aux juges du fond.
    • En effet, même dans les matières où la jurisprudence consacre l’existence d’un pouvoir souverain, la Cour de cassation s’assure que les motifs des juges sont de nature à justifier la décision prise, qu’ils sont propres à démontrer la solution retenue.

?Sanction de l’exigence de motivation

Selon l’alinéa 1er de l’article 458 du CPC, ce qui est prescrit à l’article 455, en particulier l’obligation de motiver le jugement, doit être observé à peine de nullité.

Né de la décision attaquée, le vice de motivation n’est jamais un grief nouveau devant la Cour de cassation.

Le défaut de motif ou l’insuffisance des motifs se différencient du défaut de base légale, qui sanctionne un vice de fond, à savoir une motivation qui ne met pas la Cour en mesure d’exercer son contrôle sur les conditions de fond d’application de la loi. Le vice de motivation est pour sa part un vice de forme du jugement.

C’est pourquoi le contrôle de la Cour de cassation présente en ce domaine un caractère essentiellement disciplinaire.

C) Le dispositif du jugement

1. Limitation du champ de l’autorité de la chose jugée au dispositif formel

Le dispositif est la partie du jugement qui énonce la décision du tribunal (art. 455 CPC). Elle est la partie la plus importante de la décision, en ce qu’elle contient la solution du litige à laquelle est attachée l’autorité de la chose jugée.

L’article 455, al. 3e du CPC prévoit en ce sens que le jugement « énonce la décision sous forme de dispositif. »

Le dispositif des jugements varie avec chaque litige ; il doit répondre à tous les chefs de demande, mais il ne doit pas aller au-delà de ce qui a été demandé (ultra petita).

En outre, il ne peut apporter de modification, ni à l’objet, ni à la cause de la demande : le juge est en effet lié par le cadre du procès tracé par les parties.

L’autorité de la chose jugée, même positive, est limitée aux seules énonciations du dispositif (Cass. 3e civ., 4 janv. 1991, n°89-14.624 ; Cass. 1ère civ. 8 juill. 1994, n°91-17.250, Cass. com. 6 févr. 2001, n°98-15.671).

C’est donc à cette composante du jugement qu’il convient de se reporter pour déterminer l’étendue de l’autorité de la chose jugée.

Reste que des maladresses dans la rédaction de la décision peuvent conduire le juge à placer dans les motifs des dispositions relatives à la solution du litige, et la question se pose alors de savoir si ces motifs peuvent avoir autorité de la chose jugée.

2. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée des motifs décisoires et décisifs

Classiquement on distingue les motifs décisoires des motifs décisifs :

  • Les motifs décisoires
    • Il s’agit des motifs qui statuent sur l’un des chefs des prétentions litigieuses, mais, par suite d’une erreur rédactionnelle, la décision n’est pas reprise dans le dispositif.
    • Ce sont des éléments du dispositif qui se sont égarés dans les motifs.
    • Ils résultent d’une rédaction défectueuse du jugement dont un élément n’est pas à sa place.
  • Les motifs décisifs
    • Ils sont le soutien nécessaire du dispositif, ou de certains des chefs de décision que l’on retrouve dans ce dernier.
    • Un motif est dit décisif, lorsqu’il est un élément nécessaire du raisonnement qui a abouti à la décision.

En principe seules les questions litigieuses effectivement tranchées par le juge, qui ont donné lieu à un débat entre les parties et contenues dans le dispositif ont autorité de la chose jugée.

La conséquence de ce principe est favorable au plaideur victime de l’oubli. Le jugement qui contient une omission de statuer sur un chef de demande n’ayant logiquement aucune autorité de la chose jugée sur le chef omis, l’intéressé peut saisir une nouvelle fois le juge sur ce chef.

La lecture de la jurisprudence qui s’est développée au sujet des jugements mixtes ou avant dire droit notamment, révèle que seul le dispositif stricto sensu de la décision concernée est pris en considération pour déterminer si l’autorité de la chose jugée s’y attache (Cass. 3e civ., 1er oct. 2008, n°07-17.051).

Désormais, motifs décisoires et motifs décisifs sont dépourvus de l’autorité de la chose jugée, laquelle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui est tranché dans le dispositif.

Pour bien comprendre la position actuelle remémorons-nous l’évolution de la jurisprudence.

Trois périodes peuvent être distinguées : avant le nouveau code de procédure civile de 1975, entre le nouveau code de procédure civile et 1991, et depuis 1991.

?Avant le nouveau code de procédure civile de 1975 : la conception non formaliste

Pendant très longtemps, et en l’absence de dispositions contraires, le parti a été implicitement retenu de considérer que le jugement était un acte de volonté du juge et qu’indépendamment de la forme, il fallait rechercher, en scrutant l’ensemble des éléments de sa décision, ce qu’il avait voulu décider et ce sur quoi il s’était fondé.

Peu importait donc que les chefs de décision aient été insérés dans les motifs ou dans le dispositif.

Ainsi, la jurisprudence a longtemps reconnu l’autorité de chose jugée des motifs décisoires pour la raison qu’il convenait de s’en tenir à ce que le juge avait effectivement jugé, sans s’arrêter à l’apparence formelle du jugement (V. en ce sens Cass. com., 29 oct. 1964).

Au demeurant, les constats de fait qui avaient été réalisés dans un procès, de même que les qualifications qui avaient été données à ces faits, pouvaient être repris, dans un autre procès opposant les mêmes parties et considérés comme couverts par l’autorité de la chose jugée, dès lors du moins que ces éléments, puisés dans les motifs de la précédente décision, constituaient le soutien nécessaire de celle-ci.

Les décisions anciennes qui reconnaissaient aux motifs décisifs l’autorité de chose jugée sont innombrables (Cass. 2e civ., 17 nov. 1971 ; Cass. 3e civ., 28 oct. 1974).

Ainsi, le dispositif est doté de l’autorité de la chose jugée, parce que c’est lui qui contient les décisions du juge ; mais l’autorité s’étend à la motivation dans la mesure où celle-ci contient les éléments nécessaires à ces décisions ; les motifs ont également autorité de chose jugée si, en raison éventuellement d’un vice de rédaction du jugement, des décisions du juge y figurent.

En outre, la jurisprudence étendait l’autorité de chose jugée à des points non expressément jugés, en considérant qu’ils avaient été implicitement ou virtuellement jugés (Cass. soc., 24 mars 1971).

Le critère substantiel, qui s’attache à la volonté du juge, avait pour mérite de « tenir exactement compte de la réalité » et de ne pas faire dépendre l’autorité de la décision de sa forme.

Les maladresses rédactionnelles du juge étaient ainsi sans incidence. L’inconvénient était cependant, selon Jacques Normand, qu’« on ne pouvait toujours savoir au premier examen ce qui avait été effectivement décidé, déterminer sans hésitation la nature (avant dire droit ou mixte) de la décision rendue. Il fallait se livrer à une recherche délicate, aléatoire. Cette imprécision était source de contestations, de retards, elle était génératrice de manœuvres dilatoires ».

?Entre le nouveau code de procédure civile et 1991

Le nouveau code de procédure civile a substitué à ces solutions une conception beaucoup plus formaliste : les décisions prises par le juge n’ont l’autorité de chose jugée que si elles figurent dans le dispositif (V. art. 455, 480, 482, 544 et 606 CPC).

Ainsi, seul le dispositif du jugement devait renseigner sur ce qui avait été jugé. Seules ses énonciations avaient autorité de la chose jugée (art. 480 CPC). Seules elles permettaient de savoir si la décision contenant un avant dire droit était susceptible d’appel ou de pourvoi immédiat (art. 544 et 606 CPC).

Ce nouveau système « imposait au juge une très grande discipline dans la formulation de sa décision ».

C’est la raison pour laquelle comme le relevait Jean-Pierre Dintilhac, « Malgré la clarté de cette rédaction, la jurisprudence, confrontée à l’épreuve des situations concrètes souvent difficiles à enfermer dans une formulation juridique forcément abstraite et réductrice, a opéré une distinction entre les motifs décisoires et les motifs décisifs ».

En effet, la jurisprudence a eu quelque mal à se soumettre à ce formalisme. Longtemps, les textes du nouveau code de procédure civile n’ont guère été respectés en la matière. S’ensuivit alors « une longue période d’incertitude, marquée par les jurisprudences divergentes des différentes chambres de la Cour de cassation (…) un premier courant dont participaient la deuxième chambre civile et la chambre commerciale, appliquait strictement l’article 480 et déniait toute autorité aux motifs soutien nécessaire »[1]. Un courant contraire réunissait la première et la troisième chambre civile lesquelles continuaient à reconnaître l’autorité des motifs décisifs (Cass. 3e civ., 27 avr. 1982).

La jurisprudence semble s’être ralliée pour ce qui concerne les motifs décisoires, avec moins de résistance que pour les motifs décisifs, à la solution imposée par les dispositions du nouveau code de procédure civile.

Elle dénie l’autorité de chose jugée aux décisions qui ne figurent pas dans le dispositif, mais seulement dans les motifs (V. Cass. 2e civ. 16 nov. 1983).

?Depuis 1991 : la consécration du critère formel

À partir de 1991, la jurisprudence de toutes les chambres de la Cour de cassation s’en tient strictement au seul critère formel de la distinction entre motifs et dispositif pour refuser toute autorité de la chose jugée aux premiers. Comme le souligne Jacques Normand « une harmonisation des jurisprudences s’est réalisée, les première et troisième chambres ayant rejoint la deuxième chambre et la chambre commerciale dans une application stricte de l’article 480 ».

À l’origine de la jurisprudence nouvelle, se situerait selon Jacques Ghestin, un article publié par Jacques Normand en 1988 en faveur du refus de l’autorité de la chose jugée des motifs.

Après avoir montré les conflits de jurisprudence opposant, deux par deux, la 2e chambre civile et la chambre commerciale refusant toute autorité aux motifs, d’une part, aux première et troisième chambre civile de la Cour de cassation qui admettaient l’autorité des motifs, d’autre part, J. Normand « à la recherche d’une issue » écrivait : « Deux chambres contre deux, et aucune n’ayant voix prépondérante…On ne saurait admettre longtemps une telle confusion. Elle discrédite l’institution judiciaire. Elle fonde chez le justiciable le sentiment d’être le jouet du hasard ».

La jurisprudence actuelle, par une interprétation plus littérale de l’article 480 du code de procédure civile, a donc abandonné les solutions qui avaient pu être dégagées antérieurement, à partir des années 1970/80.

Tout ce qui ne figure pas dans le dispositif n’a pas autorité de la chose jugée, même s’il s’agit de motifs « inséparables du dispositif » (Cass. 2e civ., 5 avril 1991).

Cette dernière position a le mérite de lever toute incertitude quant à l’étendue de l’autorité de la chose jugée, et devrait être préférée pour cette raison.

Dès lors, les arrêts rendus à partir de 1991 doivent être interprétés comme s’opposant à la reconnaissance d’une autorité positive de chose jugée, même s’il y a parfois, selon Jacques Normand, quelques « accrocs dans l’unanimité qu’on croyait restaurée ».

Désormais, les motifs, dits décisoires, qui se prononcent sur une question litigieuse sont, dans le silence du dispositif, clairement dépourvus de l’autorité de la chose jugée (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1998, n°97-10.548 ; Cass. 2e civ., 8 juin 2000, n°98-19.038) et il en est de même des motifs décisifs définis classiquement comme constituant le soutien nécessaire du dispositif (Cass. 2e civ., 10 juill. 2003 ; Cass. 1ère civ., 13 déc. 2005 ; Cass. 2e civ., 6 avr. 2006, n° 04-17.503).

Dans sa jurisprudence la plus récente, la Cour de cassation, au sujet de motifs décisoires, rappelle que seul le dispositif est doté de l’autorité de la chose jugée, mais en prenant le soin de préciser qu’il en est ainsi même lorsque la motivation constitue le soutien nécessaire du dispositif, formule qui marque, par la même occasion, l’abandon de la thèse des motifs décisifs (Cass. 2e civ., 10 juillet 2003 ; Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).

Néanmoins, Jacques Normand soulignait en 2004 que « des disparités subsistent entre les chambres de la Cour de cassation, des réticences se manifestent chez les juges du fond (ce dont témoigne en particulier le nombre des arrêts de cassation). Tout ceci est pour le moins le signe d’un malaise ».

3. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée du dispositif virtuel ou implicite

Pour interdire à la partie adverse de remettre en cause une question qui a été invoquée incidemment au cours d’une instance précédente, et pour s’assurer ainsi une position inattaquable, l’un des plaideurs peut chercher à étendre l’autorité de la chose jugée en s’efforçant d’établir que le tribunal a implicitement tranché cette question incidente.

Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure il est permis d’étendre la chose jugée aux décisions implicites.

La problématique des décisions implicites doit être distinguée de celle des motifs décisoires ou décisifs.

En effet, il s’agit, non d’accorder une quelconque autorité aux motifs de la décision, mais de rechercher dans le dispositif ce qui est virtuellement compris, afin d’étendre l’autorité de la chose jugée à toutes les questions nécessairement engagées dans le litige. Tantôt il s’agit d’un préalable nécessaire de la décision.

Dans d’autres cas, la chose non exprimée est implicitement jugée parce qu’elle est une suite inéluctable de ce qui a été jugé.

Aux termes de la jurisprudence, seul ce qui est expressément jugé dans le dispositif a autorité de la chose jugée.

Il avait parfois été admis que l’autorité de la chose jugée devait être attachée, non seulement aux points litigieux qui ont été expressément résolus dans le dispositif, mais aussi qu’elle devait être reconnue aux questions implicitement résolues dans le dispositif, que le juge a dû obligatoirement trancher pour prendre sa décision, parce qu’elles constituent les antécédents nécessaires de cette décision.

Si ces questions implicitement résolues venaient à être démenties, le jugement serait privé de tout fondement logique : il faut donc éviter une remise en question de ces éléments, et leur conférer l’autorité de la chose jugée.

Cette solution, au demeurant peu rigoureuse et difficilement compatible avec le dispositif de rectification des omissions de statuer, présentait l’inconvénient majeur de heurter bien souvent le principe de la contradiction, considéré comme un des principes directeurs du procès civil, lorsque l’implicitement jugé n’a pas été débattu entre les parties.

En effet, comme l’a rappelé Jean-Pierre Dintilhac « la chose jugée ne peut traduire la vérité qu’autant que les parties en litige, sous le contrôle actif du juge, se sont attachées, tout au long du procès, à respecter avec loyauté le principe de la contradiction qui constitue l’élément fondamental du procès équitable ».

Pour l’ensemble de ces considérations, la thèse du dispositif virtuel ou implicite est désormais condamnée par la jurisprudence dominante (Cass. 1ère civ., 16 juill. 1997 ; Cass. 2e civ., 19 févr. 2004, n° 03-10.167).

Cette jurisprudence a été entérinée par un arrêt de la chambre mixte rendu en date du 13 mars 2009 (Cass. ch. mixte, 13 mars 2009, n° 07-17.670).

Une conclusion s’impose donc, seul le dispositif exprès est doté de l’autorité de la chose jugée.

Cette affirmation a pour corollaire un devoir pour le juge, lequel doit veiller à soigner la rédaction du dispositif de sa décision pour y inclure l’ensemble des questions tranchées.

4. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée du dispositif réservé

Le dispositif qui comporte des réserves, même implicites, n’a pas, sur le point concerné, autorité de la chose jugée (Cass 3e civ., 9 octobre 1974).

Toutefois, l’expression « déboute en l’état », parfois utilisée pour permettre un réexamen de l’affaire en cas d’évolution de la situation ou après constitution d’un nouveau dossier plus étayé, est sans portée.

La décision ainsi rendue sur le fond dessaisit le juge et acquiert l’autorité de la chose jugée (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 16 mai 2006, n° 02-14.488). La formule est donc à proscrire.

À cet égard, selon Jean-Pierre Dintilhac « ce refus d’admettre une nouvelle action en cas de découverte de nouveaux éléments de preuve, au nom de la sécurité juridique, de la paix sociale et pour prévenir la saturation de l’institution judiciaire déjà passablement encombrée, illustre combien cette “vérité de la chose jugée” est une vérité bien particulière qui tient non à une certitude quant au caractère véridique des éléments sur lesquels repose la décision, mais à la volonté de mettre un terme à la contestation et au refus d’ouvrir à nouveau des débats à partir d’éléments qui existeraient lors de l’examen qui précédait la décision, alors même que l’une des parties n’en aurait pas eu connaissance »

D) La signature du jugement

L’article 456 du CPC prévoit que le jugement doit être « signé par le président et par le greffier ». À défaut, le jugement encourt la nullité.

  • S’agissant du Président
    • Selon une jurisprudence constante, seul le Président ayant assisté aux débats est habilité à signer le jugement (V. en ce sens Cass. 2e civ., 9 juill. 1997).
    • À défaut, le jugement encourt la nullité
    • Dans un arrêt du 18 juin 2003, la troisième chambre civile a précisé que « s’il résulte des mentions de l’arrêt que le magistrat qui l’a régulièrement prononcé était conseiller lors des débats et du délibéré, il est présumé, à défaut de preuve contraire et de mention d’un empêchement, que la signature qui y figure sous la mention de président est celle du magistrat ayant présidé l’audience et participé au délibéré en cette qualité » (Cass. 3e civ. 18 juin 2003, n°01-12.886).
    • L’article 456 du CPC précise encore « en cas d’empêchement du président, mention en est faite sur la minute qui est signée par l’un des juges qui en ont délibéré »
    • Seul un juge qui donc a participé au délibéré peut signer le jugement.
  • S’agissant du Greffier
    • Dans un arrêt du 6 octobre 2009, la Cour de cassation a jugé « qu’est seul qualifié pour signer le jugement le greffier qui a assisté à son prononcé » (Cass. com., 6 oct. 2009, n°08-12.478).
    • Afin de limiter les actions en nullité, la deuxième chambre civile a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2004 « qu’il y a présomption que le greffier qui a signé la décision est celui qui a assisté à son prononcé » (Cass. 2e civ. 10 juin 2004, n°03-13.172).

III) La force probante du jugement

?Principe

L’article 457 du CPC prévoit que « le jugement a la force probante d’un acte authentique ». Le caractère authentique dont est pourvu le jugement tient à la qualité d’officier public du juge signataire.

Une telle authenticité oblige à tenir pour vrai, sauf inscription de faux, ce que le jugement énonce comme ayant été personnellement constaté par ses deux signataires, président et greffier.

Et ce que constate le greffier signataire n’est autre que le prononcé de la décision et son contenu. Au nombre des conditions d’établissement de tout acte authentique figure d’évidence l’intervention, par sa signature, d’un agent public légalement compétent et habilité, tel pour un jugement, outre le président, le greffier assistant au prononcé.

L’absence ou l’insuffisance d’une telle intervention (ici elle doit être double) est incompatible avec l’authenticité. C’est donc la double signature qui donne au jugement la force probante d’un acte authentique.

?Tempéraments

Bien que le jugement possède la force probante d’un acte authentique, trois tempéraments sont apportés à cette règle :

  • Premier tempérament
    • La force probante du jugement n’est attachée qu’aux seuls éléments que le juge a pu vérifier, soit qu’ils se sont produits en sa présence, soit parce qu’il en est à l’origine
    • Les mentions relatives à la notification de la décision au ministère public ne bénéficient donc pas de la force probante du jugement
  • Deuxième tempérament
    • L’article 459 du CPC prévoit que « l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées. »
    • Certaines irrégularités peuvent ainsi être réparées lorsqu’il est établi, notamment au moyen du registre légale, que les prescriptions légales ont été respectées.
  • Troisième tempérament
    • L’article 462 du CPC dispose que « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. »
    • Les parties disposent ainsi toujours d’une action en rectification d’erreur matérielle.
    • Le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d’office.
    • La décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement.
  1. J. Normand, La chose jugée -L’étendue de la chose jugée au regard des motifs et du dispositif, Rencontres Université- Cour de cassation, 23 janvier 2004. ?

Comment rédiger une assignation: méthodologie?

ASSIGNATION PAR-DEVANT LE TRIBUNAL JUDICIAIRE DE [Ville]

L’AN DEUX MILLE […]

ET LE

À LA DEMANDE DE :

[Si personne physique]

 Monsieur ou Madame [nom, prénom], né le [date], de nationalité [pays], demeurant à [adresse]

[Si personne morale]

La société [raison sociale], [forme sociale], au capital social de [montant], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de [ville] sous le numéro […], dont le siège social est sis [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés, en cette qualité, audit siège

Ayant pour avocat constitué :

Maître [nom, prénom], Avocat inscrit au Barreau de [ville], y demeurant [adresse]

Lequel se constitue sur la présente assignation et ses suites

[Si postulation]

Ayant pour avocat plaidant :

Maître [nom, prénom], Avocat inscrit au Barreau de [ville], y demeurant [adresse]

J’AI HUISSIER SOUSSIGNÉ :

DONNÉ ASSIGNATION À :

[Si personne physique]

 Monsieur ou Madame [nom, prénom], né le [date], de nationalité [pays], demeurant à [adresse]

Où étant et parlant à :

[Si personne morale]

 La société [raison sociale], [forme sociale], au capital social de [montant], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de [ville] sous le numéro […], dont le siège social est sis [adresse], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés, en cette qualité, audit siège

Où étant et parlant à :

D’AVOIR À COMPARAÎTRE :

Le [date] à [heures]

Par-devant le Tribunal judiciaire de [ville], [chambre], siégeant en la salle ordinaire de ses audiences au Palais de justice de [ville], sis [adresse]

ET L’INFORME :

Qu’un procès lui est intenté pour les raisons exposées ci-après.

TRÈS IMPORTANT

[Si représentation obligatoire]

Que dans un délai de QUINZE JOURS, à compter de la date du présent acte, conformément aux articles 54, 56, 752 et 763 du Code de procédure civile, il est tenu de constituer avocat pour être représenté par-devant ce tribunal.

Toutefois, si l’assignation lui est délivrée dans un délai inférieur ou égal à quinze jours avant la date de l’audience, il peut constituer avocat jusqu’à l’audience.

Que l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.

Qu’à défaut, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.

Il est, par ailleurs, rappelé les articles de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 reproduits ci-après :

Article 5

Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4.

Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel.

 Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie.

Article 5-1

Par dérogation au deuxième alinéa de l’article 5, les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent postuler auprès de chacune de ces juridictions. Ils peuvent postuler auprès de la cour d’appel de Paris quand ils ont postulé devant l’un des tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d’appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal judiciaire de Nanterre.

 La dérogation prévue au dernier alinéa du même article 5 leur est applicable.

Il est encore rappelé les dispositions du Code de procédure civile suivantes :

Article 640

Lorsqu’un acte ou une formalité doit être accompli avant l’expiration d’un délai, celui-ci a pour origine la date de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir.

Article 641

Lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas.

 Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. À défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois.

 Lorsqu’un délai est exprimé en mois et en jours, les mois sont d’abord décomptés, puis les jours.

Article 642

Tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures.

 Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.

Article 642-1

Les dispositions des articles 640 à 642 sont également applicables aux délais dans lesquels les inscriptions et autres formalités de publicité doivent être opérées.

Article 643

Lorsque la demande est portée devant une juridiction qui a son siège en France métropolitaine, les délais de comparution, d’appel, d’opposition, de tierce opposition dans l’hypothèse prévue à l’article 586 alinéa 3, de recours en révision et de pourvoi en cassation sont augmentés de :

  1. Un mois pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Mayotte, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ;
  1. Deux mois pour celles qui demeurent à l’étranger.

[Si demande en justice visant, en matière immobilière, à remettre en cause des droits soumis à publicité foncière]

Lorsque la demande en justice doit faire l’objet d’une publication, l’article 54, 4° du Code de procédure civile, exige que soient reproduites les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier qui figurent à l’article 76 du décret n°55-1350 du 14 octobre 1955.

Dans un arrêt du 7 novembre 2012, la Cour de cassation est venue préciser que « le défaut de publication d’une demande tendant à l’annulation de droits résultant d’actes soumis à publicité constitue une fin de non-recevoir et non un vice de forme en affectant la validité » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 2012, n°11-22.275).

Il est enfin indiqué au défendeur, en application des articles 56 et 752 du Code de procédure civile :

Que, le demandeur [consent/ ne consent pas] à ce que la procédure se déroule sans audience en application de l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire.

Que les pièces sur lesquelles la demande est fondée sont visées et jointes en fin d’acte selon bordereau.

[Si représentation facultative]

Que, en application des articles 753 et 762 du Code de procédure civile il est tenu :

==> Soit de se présenter à cette audience, seul ou assisté de l’une des personnes suivantes :

  • Un avocat
  • Le conjoint ;
  • Le concubin ;
  • La personne avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité ;
  • Un parent ou allié en ligne directe ;
  • Un parent ou allié en ligne collatérale jusqu’au troisième degré inclus ;
  • Une personne exclusivement attachée à son service personnel ou à son entreprise.

==> Soit de se faire représenter par un avocat, ou par l’une des autres personnes ci-dessus énumérées, à condition qu’elle soit munie d’un pouvoir écrit et établi spécialement pour ce procès.

Que l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration.

Qu’à défaut de comparaître à cette audience ou à toute autre à laquelle l’examen de cette affaire serait renvoyé, il s’expose à ce qu’un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire.

Il est, par ailleurs, indiqué au défendeur les dispositions du Code de procédure civile suivantes :

Article 817

Lorsque les parties sont dispensées de constituer avocat conformément aux dispositions de l’article 761, la procédure est orale, sous réserve des dispositions particulières propres aux matières concernées.

Article 827

Le juge s’efforce de concilier les parties.

Article 830

A défaut de conciliation constatée à l’audience, l’affaire est immédiatement jugée ou, si elle n’est pas en état de l’être, renvoyée à une audience ultérieure. Dans ce cas, le greffier avise par tous moyens les parties qui ne l’auraient pas été verbalement de la date de l’audience.

Article 832

Sans préjudice des dispositions de l’article 68, la demande incidente tendant à l’octroi d’un délai de paiement en application de l’article 1343-5 du code civil peut être formée par courrier remis ou adressé au greffe. Les pièces que la partie souhaite invoquer à l’appui de sa demande sont jointes à son courrier. La demande est communiquée aux autres parties, à l’audience, par le juge, sauf la faculté pour ce dernier de la leur faire notifier par le greffier, accompagnée des pièces jointes, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

L’auteur de cette demande incidente peut ne pas se présenter à l’audience, conformément au second alinéa de l’article 446-1. Dans ce cas, le juge ne fait droit aux demandes présentées contre cette partie que s’il les estime régulières, recevables et bien fondées.

Il est encore rappelé la disposition du Code civil suivante :

Article 1343-5

Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.

 Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

 Il peut subordonner ces mesures à l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.

 La décision du juge suspend les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d’intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge.

 Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

 Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d’aliment.

[Si demande en justice visant, en matière immobilière, à remettre en cause des droits soumis à publicité foncière]

Lorsque la demande en justice doit faire l’objet d’une publication, l’article 54, 4° du Code de procédure civile, exige que soient reproduites les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier qui figurent à l’article 76 du décret n°55-1350 du 14 octobre 1955.

Dans un arrêt du 7 novembre 2012, la Cour de cassation est venue préciser que « le défaut de publication d’une demande tendant à l’annulation de droits résultant d’actes soumis à publicité constitue une fin de non-recevoir et non un vice de forme en affectant la validité » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 2012, n°11-22.275).

Il est enfin indiqué au défendeur, en application des articles 56 et 752 du Code de procédure civile :

Que, le demandeur [consent/ ne consent pas] à ce que la procédure se déroule sans audience en application de l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire.

Que les pièces sur lesquelles la demande est fondée sont visées et jointes en fin d’acte selon bordereau.

PLAISE AU TRIBUNAL

==> Condition de recevabilité de la demande tenant à l’exigence de recours à un mode de résolution amiable des différends préalablement à la saisine du juge

Issue de l’article 4 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, l’article 750-1 du Code de procédure civile dispose que, devant le Tribunal judiciaire, « à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire. »

Il ressort de cette disposition que pour un certain nombre de litiges, les parties ont l’obligation de recourir à un mode de résolution amiable des différends.

Sont visées :

  • Les demandes qui tendent au paiement d’une somme inférieure à 5.000 euros
  • Les demandes relatives à un conflit de voisinage (actions visées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du COJ)

[Si exigence de tentative de règlement amiable du litige]

Conformément à l’article 750-1 du Code de procédure civile, préalablement à la saisine du Tribunal de céans, [identité du demandeur] a tenté de résoudre amiablement le litige en proposant, dans le cadre d’une [conciliation menée par un conciliateur de justice / de médiation / de procédure participative] à [identité du défendeur] de [préciser les diligences accomplies] :

Toutefois, cette tentative de règlement amiable n’a pas abouti pour les raisons suivantes : [préciser les raisons de l’échec]

[Si dispense de tentative de règlement amiable du litige]

En application de l’article 750-1 du Code de procédure civile, préalablement à la saisine du Tribunal de céans, [identité du demandeur] n’a pas tenté de résoudre amiablement le litige pour la raison suivante :

  • L’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord
  • L’exercice d’un recours préalable était obligatoire
  • L’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable est justifiée par un motif légitime
  • Le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation
  • Le litige est relatif au crédit à la consommation, au crédit immobilier, aux regroupements de crédits, aux sûretés personnelles, au délai de grâce, à la lettre de change et billets à ordre, aux règles de conduite et rémunération et formation du prêteur et de l’intermédiaire

I) RAPPEL DES FAITS

  • Exposer les faits de façon synthétique et objective, tel qu’ils pourraient être énoncés dans le jugement à intervenir
  • Chaque élément de fait doit, en toute rigueur, être justifié au moyen d’une pièce visée dans le bordereau joint en annexe, numérotée et communiquée à la partie adverse et au juge

II) DISCUSSION

À titre de remarque liminaire, il convient de distinguer :

  • La prétention qui est le contenu de la demande
  • Le moyen qui est le raisonnement façonné pour justifier la demande
  • L’argument qui est un élément de fait ou de droit qui structure le moyen

1. Exposé des prétentions

Il s’agit ici d’exposer les prétentions formulées auprès de la Juridiction saisie en développant une argumentation juridique articulée autour de moyens en fait et en droit.

2. Hiérarchisation des prétentions

Lorsque plusieurs prétentions sont formulées par le demandeur, il y a lieu de les hiérarchiser en identifiant :

  • La demande principale
    • Il s’agit de la demande qui exprime la prétention la plus importance, soit celle qui prime sur toutes les autres
    • Le juge doit dès lors examiner la demande principale avant de statuer sur les demandes subsidiaires
  • Les demandes subsidiaires
    • Il s’agit des demandes alternatives, en ce sens qu’elles ne doivent être examinées par le Juge que dans l’hypothèse où il déciderait de ne pas faire droit à la demande principale
  • Les demandes accessoires
    • Il s’agit de demandes complémentaires qui se rattachent aux demandes principales et subsidiaires
    • Elles sont formulées, le plus souvent, en tout état de cause
    • Ces demandes consistent, par exemple, à réclamer la condamnation de la partie adverse aux dépens et au paiement des frais irrépétibles au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

3. Présentation des prétentions

Les prétentions formulées par le demandeur doivent être présentées au moyen d’un plan, lequel vise à faciliter la lecture de l’acte par le juge.

Deux situations peuvent être distinguées :

  • Les prétentions formulées par le demandeur sont cumulatives, car d’égale importance
  • Les prétentions formulées par le demandeur sont alternatives, car d’inégale importance

==> Les prétentions du demandeur sont cumulatives

Dans cette hypothèse, il conviendra de présenter les prétentions selon une logique chronologique, en les ordonnant, par exemple, de la plus pertinente à celle qui a le moins de chance d’être retenue par le Juge, en terminant par celles relatives à l’exécution provisoire (si justifiée), aux frais irrépétibles et aux dépens

  • Sur la demande A
  • Sur la demande B
  • Sur la demande C

                   […]

  • Sur l’exécution provisoire
  • Sur les frais irrépétibles et les dépens

==> Les prétentions du demandeur sont alternatives

Dans cette hypothèse, il conviendra de présenter les prétentions selon une logique hiérarchique :

I) A titre principal, sur la demande A

II) A titre subsidiaire, sur la demande B

III) A titre infiniment subsidiaire, sur la demande C

                            […]

 IV) En tout état de cause

  1. Sur la demande D
  2. Sur les frais irrépétibles et les dépends

4. Formulation des prétentions

La rédaction d’une assignation ou d’un jeu de conclusions obéit à deux règles fondamentales :

  • La nécessité de recourir au syllogisme juridique aux fins de justifier les prétentions
  • L’obligation de viser les pièces produites au soutien de chaque prétention

==> Sur la nécessité de recourir au syllogisme juridique aux fins de justifier les prétentions

Qu’il s’agisse d’une assignation ou de conclusions, les écritures judiciaires doivent formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée.

Autrement dit, chaque moyen développé au soutien d’une prétention doit être formulé sous la forme d’un raisonnement juridique façonnée au moyen d’un syllogisme.

Le syllogisme consiste en un raisonnement logique qui met en relation trois propositions :

  • La majeure: l’énoncé de la règle de droit applicable
  • La mineure: l’énoncé des faits du litige
  • La conclusion: l’application de la règle de droit aux faits

Exemple :

  • Tous les hommes sont mortels (majeure)
  • Or Socrate est un homme (mineure)
  • Donc Socrate est mortel (conclusion)

Les deux prémisses sont des propositions données et supposées vraies : le syllogisme permet d’établir la validité formelle de la conclusion, qui est nécessairement vraie si les prémisses sont effectivement vraies.

==> Sur l’obligation de viser les pièces produites au soutien de chaque prétention

Toutes les demandes et tous les arguments soulevés en demande et en défense doivent être prouvés par celui qui les allègue (articles 4 et 9 du CPC).

C’est la raison pour laquelle, toutes les pièces produites au cours des débats doivent être communiquées à la partie adverse dans les formes requises.

  • Obligation de communication des pièces
    • L’article 132 du Code de procédure civile prévoit que
      • D’une part, la partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance.
      • D’autre part, la communication des pièces doit être spontanée.
  • Obligation de viser les pièces et de les numéroter
    • L’article 768 du Code de procédure civile prévoit que chacune des prétentions doit être fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.
  • Obligation d’établir un bordereau de pièces
    • L’article 768, al. 1er in fine du Code de procédure civile prévoit que, un bordereau énumérant les pièces justifiant les prétentions doit être annexé à l’assignation.

5. Exécution provisoire, frais irrépétibles et dépens

Pour conclure la discussion, il convient de ne pas omettre de solliciter :

  • L’exécution provisoire si elle est compatible avec la demande formulée
  • La condamnation du défendeur au paiement des frais irrépétibles
  • La condamnation du défendeur aux entiers dépens

==> Sur l’exécution provisoire

Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 l’exécution provisoire est désormais de droit pour les décisions de première instance (art. 514 CPC).

Par exception, elle est susceptible d’être écartée dans trois cas :

  • Lorsque la loi le prévoit
  • Lorsque le juge le décide, d’office ou sur la demande des parties, considérant que ;
    • Soit elle est incompatible avec la nature de l’affaire
    • Soit qu’elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives
  • Lorsque, en cas d’appel de la décision rendue, trois conditions cumulatives sont réunies :
    • D’une part, il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation
    • D’autre part, que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives
    • Enfin, si le demandeur a fait valoir ses observations sur l’exécution provisoire en première instance, auquel cas cette dernière n’est recevable, outre l’existence d’un moyen sérieux d’annulation ou de réformation, que si l’exécution provisoire risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance

==> Sur les dépens

Les dépens sont régis aux articles 695 et suivants et Code de procédure civile.

  • Notion
    • Les dépens sont les frais nécessaires à la conduite du procès dont le montant est fixé, soit par voie réglementaire, soit par décision judiciaire
    • Les dépens sont énumérés à l’article 695 du Code de procédure civile
    • Il s’agit de frais répétibles, en ce sens qu’ils sont supportés par la partie perdante
  • Les frais compris dans les dépens
    • Les dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution comprennent :
      • Les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les greffes des juridictions ou l’administration des impôts à l’exception des droits, taxes et pénalités éventuellement dus sur les actes et titres produits à l’appui des prétentions des parties ;
      • Les frais de traduction des actes lorsque celle-ci est rendue nécessaire par la loi ou par un engagement international ;
      • Les indemnités des témoins ;
      • La rémunération des techniciens ;
      • Les débours tarifés ;
      • Les émoluments des officiers publics ou ministériels ;
      • La rémunération des avocats dans la mesure où elle est réglementée y compris les droits de plaidoirie ;
      • Les frais occasionnés par la notification d’un acte à l’étranger ;
      • Les frais d’interprétariat et de traduction rendus nécessaires par les mesures d’instruction effectuées à l’étranger à la demande des juridictions dans le cadre du règlement (CE) n° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile et commerciale ;
      • Les enquêtes sociales ordonnées en application des articles 1072, 1171 et 1221 ;
      • La rémunération de la personne désignée par le juge pour entendre le mineur, en application de l’article 388-1 du code civil ;
      • Les rémunérations et frais afférents aux mesures, enquêtes et examens requis en application des dispositions de l’article 1210-8.
  • La charge des dépens
    • Principe : la partie succombant au procès
      • L’article 696 du CPC prévoit que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
    • Tempéraments : responsabilité des auxiliaires de justice
      • L’article 697 dispose que les avocats, anciens avoués et huissiers de justice peuvent être personnellement condamnés aux dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution accomplis en dehors des limites de leur mandat.
      • L’article 698 énonce encore que les dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution injustifiés sont à la charge des auxiliaires de justice qui les ont faits, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés. Il en est de même des dépens afférents aux instances, actes et procédures d’exécution nuls par l’effet de leur faute.

==> Sur les frais irrépétibles

Les frais irrépétibles sont régis par l’article 700 du Code de procédure civile.

  • Notion
    • Les frais irrépétibles se définissent négativement comme ceux, non tarifés, engagés par une partie à l’occasion d’une instance non compris dans les dépens prévus par l’article 695 du nouveau Code de procédure civile.
    • L’originalité de l’article 700 du Code de procédure civile tient au fait que, par définition, les frais irrépétibles sont ceux dont la partie gagnante ne peut obtenir le remboursement.
    • Or, ce texte a justement pour objet de lui permettre d’obtenir, à titre de compensation, une indemnisation forfaitaire de ses frais non compris dans les dépens (honoraires d’avocat, frais de transport et de séjour pour les besoins du procès, frais d’expertise amiable, etc.)
  • Conditions
    • L’existence d’une instance
      • L’article 700 du nouveau Code de procédure civile a une portée très générale dans la mesure où il concerne toutes les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud’homale (article 749 du nouveau Code de procédure civile).
      • Il est toutefois limité aux instances contentieuses et contradictoires.
    • La succombance de l’une des parties
      • L’article 700 du nouveau Code de procédure civile désigne la partie que le juge a la faculté de condamner au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles : il s’agit, en principe, de la partie tenue au paiement des dépens de l’instance dans les procédures avec dépens.
      • Ainsi, c’est normalement la charge des dépens qui va permettre au juge de déterminer la partie qui va devoir supporter la charge des frais irrépétibles.
      • À titre dérogatoire, dans les procédures gratuites ou sans dépens, la « partie perdante » pourra, le cas échéant, être condamnée par le juge à supporter la charge des frais irrépétibles.
      • La partie qui doit supporter l’intégralité des dépens ne peut demander d’indemnité pour frais irrépétibles.
    • L’existence de frais non compris dans les dépens
      • En principe, il s’agit de dépenses effectuées à l’occasion de l’instance par une partie non comprises dans les dépens.
      • Il n’est pas nécessaire que les dépenses aient été effectuées au moment de la demande.
      • En pratique, le justiciable n’est donc pas tenu de produire en justice une facture acquittée à l’appui de la demande de remboursement de ses frais irrépétibles.
    • La présentation d’une demande au titre des frais irrépétibles
      • À la différence de la condamnation aux dépens, le juge n’est pas tenu de statuer sur les frais irrépétibles, s’il n’est pas saisi d’une demande en ce sens.
      • En cas de désistement d’instance au principal, la demande formée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile par le demandeur peut être maintenue.
      • Réciproquement, ce désistement ne fait pas obstacle à une demande du défendeur en paiement des frais irrépétibles.
  • Frais concernés
    • Les frais irrépétibles comprennent notamment :
      • Les honoraires d’avocat
      • Les frais de déplacement, de démarches, de voyage et de séjour
      • Les frais engagés pour obtenir certaines pièces ;
      • Les honoraires versés à certains consultants techniques amiables (brevet, informatique, etc.) ou experts amiables

==> Formulation de la demande

Compte tenu de ce qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de [nom du demandeur] les frais irrépétibles qu’il a été contraint d’exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts, il est parfaitement fondé à solliciter la condamnation de [nom du défendeur] le paiement de la somme de [montant] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L’exécution provisoire n’étant pas incompatible avec la nature de l’affaire pendante par-devant le Tribunal de céans, elle sera ordonnée dans la décision à intervenir.

PAR CES MOTIFS

Il est de principe que le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Cette règle impose, autrement dit, aux parties de synthétiser leurs prétentions dans un « dispositif » introduit par la formule « par ces motifs ».

Le dispositif constitue, en quelque sorte, la conclusion du raisonnement juridique.

A cet égard, le juge ne sera tenu de se prononcer que sur les termes de ce dispositif, soit sur les prétentions qui y sont énoncées.

Il est d’usage que le dispositif soit rédigé en ces termes :

Vu les articles […]
Vu la jurisprudence
Vu les pièces versées au débat

Il est demandé au Tribunal judiciaire de [ville] de :

Déclarant la demande de [Nom du demandeur] recevable et bien fondée,

I) À titre principal

  • CONSTATER que […]
  • DIRE ET JUGER que […]

 En conséquence,

  • ORDONNER […]
  • PRONONCER […]
  • CONDAMNER

II) À titre subsidiaire

[…]

III) À titre infiniment subsidiaire

[…]

IV) En tout état de cause

  • DIRE ET JUGER qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de [nom du demandeur] les frais irrépétibles qu’il a été contraint d’exposer en justice aux fins de défendre ses intérêts

En conséquence,

  • CONDAMNER [nom de l’adversaire] au paiement de la somme de [montant] au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
  • CONDAMNER [nom de l’adversaire] aux entiers dépens
  • ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir

SOUS TOUTES RESERVES ET CE AFIN QU’ILS N’EN IGNORENT

DEMANDE FONDÉE SUR LES PIÈCES SUIVANTES :

Le jugement: mentions, motivation, dispositif et force probante

I) La forme du jugement

==> Un écrit

Bien qu’aucun texte ne prévoit expressément que les jugements soient établis par écrit, cette exigence se déduit des articles 450 à 466 du CPC qui prescrivent un certain nombre de mentions qui doivent être reproduites.

Un jugement ne peut donc pas prendre une forme orale. L’original qui constate par écrit la décision des juges est qualifié de minute. Cette minute alors est conservée par le greffier, ce qui permet d’assurer la publicité du jugement et son exécution.

À cet égard, l’article R. 123-5 du COJ prévoit que le greffier « Il est dépositaire, sous le contrôle des chefs de juridiction, des minutes et archives dont il assure la conservation ; il délivre les expéditions et copies et a la garde des scellés et de toutes sommes et pièces déposées au greffe. »

==> Un écrit papier ou électronique

Depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2012-1515 du 28 décembre 2012, il est indifférent que le jugement soit établi sous forme papier ou électronique.

L’article 456 du CPC prévoit en ce sens que « le jugement peut être établi sur support papier ou électronique. »

Cette disposition précise néanmoins que « lorsque le jugement est établi sur support électronique, les procédés utilisés doivent en garantir l’intégrité et la conservation. Le jugement établi sur support électronique est signé au moyen d’un procédé de signature électronique qualifiée répondant aux exigences du décret n° 2017-1416 du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique. »

==> Le registre d’audience

L’établissement du jugement donne lieu à l’actualisation du registre d’audience dont la tenue est assurée par le greffier.

À cet égard, l’article 728 du CPC prévoit que le greffier de la formation de jugement tient un registre où sont portés, pour chaque audience :

  • La date de l’audience ;
  • Le nom des juges et du greffier ;
  • Le nom des parties et la nature de l’affaire ;
  • L’indication des parties qui comparaissent elles-mêmes dans les matières où la représentation n’est pas obligatoire ;
  • Le nom des personnes qui représentent ou assistent les parties à l’audience.

Le greffier y mentionne également le caractère public ou non de l’audience, les incidents d’audience et les décisions prises sur ces incidents.

L’indication des jugements prononcés est portée sur le registre qui est signé, après chaque audience, par le président et le greffier, ce qui lui confère la force probante d’un acte authentique au même titre que le jugement.

La fonction du registre d’audience est éminemment importante dans la mesure où, en application de l’article 459 du CPC, sa consultation permet de régulariser les omissions ou inexactitudes de mentions que comporte le jugement.

II) Le contenu du jugement

Les jugements rendus par le Tribunal de grande instance doivent comporter un certain nombre de mentions nécessaires. En outre, ils doivent être motivés.

La décision proprement dite en constitue le dispositif. Enfin, l’expédition du jugement doit être revêtue de la formule exécutoire.

A) Les mentions obligatoires

Le code de procédure civile prescrit que le jugement doit comporter des indications relatives à sa régularité formelle ainsi que l’exposé des prétentions respectives des parties et leurs moyens.

Enfin le jugement doit être signé.

==> Mentions relatives à la régularité formelle du jugement

L’article 454 du CPC prévoit que le jugement doit contenir l’indication :

  • Rendu au nom du peuple français
  • De la juridiction dont il émane ;
  • Du nom des juges qui en ont délibéré, ou du juge s’il y a eu juge unique ;
  • De sa date, qui est celle de son prononcé ;
  • Du nom du représentant du ministère public s’il a assisté aux débats ;
  • Du nom du secrétaire ;
  • De l’identité ainsi que du domicile ou du siège social des parties et, le cas échéant, du nom des avocats ou de toute personne ayant représenté ou assisté les parties.

==> Énonciations relatives aux prétentions respectives des parties

L’article 455 du CPC prévoit que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens.

Cet exposé succinct exigé par l’article 455 du CPC, outre qu’il peut être utile pour le rédacteur de la décision dans la mesure où il lui rappelle les points sur lesquels il doit se prononcer, est nécessaire, d’une part pour permettre aux parties de vérifier que le Tribunal a bien statué sur l’objet de la demande après avoir examiné les moyens qui la fondent, d’autre part pour permettre à la Cour d’appel, le cas échéant, de s’assurer que le Tribunal de première instance :

  • D’une part, n’a pas modifié l’objet du litige ou n’est pas sortie de ses limites, ce qui entraînerait une réformation du jugement au visa de l’article 4 du CPC.
    • Modifier l’objet du litige, c’est altérer les prétentions des parties, par exemple en déformant leurs demandes, en retenant pour principal ce qui n’était que subsidiaire.
    • Toutefois les juges ne modifient pas l’objet du litige lorsque, après avertissement préalable donné aux parties pour respecter le principe de la contradiction, ils se bornent à donner leur exacte qualification aux faits et aux actes, ou bien lorsqu’ils ne font que changer le fondement juridique invoqué par les parties, ou encore lorsque les conclusions présentées étaient confuses, ambiguës ou inintelligibles, de telle sorte que le Tribunal s’est trouvé dans la nécessité de les interpréter ( com., 17 décembre 1996, n° 94-17.901).
    • Les prétentions sont fixées dans les conclusions en demande ou en défense, peu important que les prétentions soient exprimées dans les motifs et non dans le dispositif des écritures ( com., 11 décembre 1990 ; Cass. 3e Civ., 26 mai 1992).
  • D’autre part, a répondu aux moyens présentés par les parties, car, à défaut, le jugement encourt la censure, au visa de l’article 455 du CPC, pour absence de réponse à conclusions, qui constitue un défaut de motifs.
    • Il convient donc que le jugement apporte une réponse aux moyens
    • À cet égard, dans les procédures soumises à la représentation obligatoire, les moyens à prendre en considération sont seulement ceux qui sont exprimés dans les « dernières conclusions déposées».
    • Il n’y a donc pas lieu de tenir compte, pour leur apporter une réponse, des moyens présentés dans les conclusions antérieures et non repris dans les dernières, étant observé que les parties ne peuvent pas procéder par voie de renvoi ou de référence à leurs précédentes écritures ( 2e civ., 10 mai 2001, n° 99-19.898 ; Cass. 2e Civ., 28 juin 2001, n° 00-10.124).
    • La Cour de cassation, si elle exige qu’il soit répondu aux moyens, n’oblige pas les juges du fond à suivre les parties dans le détail de leur argumentation.
    • Telle est également la doctrine de la Cour européenne des droits de l’homme qui considère que « l’article 6.1 de la Convention oblige les tribunaux à motiver leur décision, mais il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à “chaque argument» (CEDH, 19 avril 1994, X…c/ Pays-Bas, requête n° 16034/90).
    • Le moyen peut être décrit comme un raisonnement qui, partant d’un fait, d’un acte ou d’un texte, aboutit à une conclusion juridique propre à justifier une prétention (en demande ou en défense).
    • S’il n’est évidemment pas demandé aux juges de s’expliquer sur chacun des faits allégués, sur chacun des documents produits, ils doivent prendre en considération ceux de ces éléments qui, dans la mesure où ils sont constants et constatés, et ayant un caractère déterminant sur la solution du litige, sont de nature à fonder la déduction juridique envisagée.
    • La frontière entre le moyen et l’argument est cependant imprécise.
    • Si un doute existe sur le point de savoir si une allégation n’est qu’un simple argument, il convient de se prononcer sur elle.
    • Une attention particulière doit être apportée au rapport à justice.
      • Si une partie s’en rapporte à justice, elle élève une contestation.
      • La Cour considère en ce sens que « le fait, pour une partie, de s’en rapporter à justice sur le mérite d’une demande implique de sa part, non un acquiescement à cette demande, mais la contestation de celle-ci» ( 2e Civ., 10 nov. 1999, n° 98-13.957 ; Cass. 1ère civ., 24 oct. 2000, n° 98-19.606).
      • Par suite, d’une part le Tribunal ne peut pas accueillir la prétention au motif qu’elle n’est pas contestée ; d’autre part la partie reste recevable à relever appel, bien qu’elle s’en fût rapportée à justice en première instance : elle élève à nouveau la contestation.
      • Mais, à l’appui d’un pourvoi en cassation, la partie ne sera pas recevable à contester la solution retenue, car s’étant rapportée, le moyen de cassation serait nouveau et irrecevable ( 2e civ., 3 mai 2001, n° 98-23347).

L’exposé succinct des prétentions respectives des parties et de leurs moyens peut revêtir la forme d’un visa des conclusions des parties avec l’indication de leur date sans qu’il soit nécessaire d’annexer à la décision une copie de ces écritures.

==> Omission ou inexactitude d’une mention

Le code de procédure civile précise les cas dans lesquels il y a lieu à nullité du fait de l’omission ou de l’inexactitude d’une des mentions.

Ainsi doivent être observées à peine de nullité les prescriptions concernant :

  • La mention du nom des juges ;
  • L’exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens ;
  • La signature par le président et par le secrétaire ainsi que, le cas échéant, la mention de l’empêchement ( 458 CPC).

Toutefois, l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience, ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été en fait observées (art. 459 CPC).

B) La motivation du jugement

==> Enjeux

Les enjeux de la motivation d’une décision sont cruciaux. Moralement la motivation est censée garantir de l’arbitraire, mais ses vertus sont aussi d’ordre rationnel, intellectuel, car motiver sa décision impose à celui qui la prend la rigueur d’un raisonnement, la pertinence de motifs dont il doit pouvoir rendre compte.

Le cas échéant, la motivation donnera l’appui nécessaire pour contester de façon rationnelle la décision. C’est rappeler ainsi que la motivation, en ce qu’elle livre à autrui les raisons qui expliquent la décision, constitue également une information.

Comme l’observe Michel Grimaldi, « ce peut être une simple information : la motivation vise à renseigner, mais n’appelle pas la discussion. […]. Ce peut être aussi une motivation en vue d’un contrôle. Souvent, le plus souvent même, l’obligation de motiver se prolonge par la soumission à un contrôle. Et l’on rejoint ici la première observation : le droit à la motivation, s’il existe, ce n’est pas seulement le droit de savoir, c’est aussi l’amorce du droit de contester ».

==> Finalité

En matière civile, l’obligation de motivation des jugements répond à une triple finalité.

  • En premier lieu, elle oblige le juge au raisonnement juridique, c’est-à-dire à la confrontation du droit et des faits.
  • En deuxième lieu, elle constitue pour le justiciable la garantie que ses prétentions et ses moyens ont été sérieusement et équitablement examinés. En cela, elle est aussi un rempart contre l’arbitraire du juge ou sa partialité.
  • En dernier lieu, elle permet à la Cour de cassation d’exercer son contrôle et d’expliquer sa jurisprudence. En motivant sa décision, le juge s’explique, justifie sa décision, étymologiquement la met en mouvement en direction des parties et des juridictions supérieures pour la soumettre à leur critique et à leur contrôle. Il ne s’agit donc pas d’une exigence purement formelle mais d’une règle essentielle qui permet de vérifier que le juge a fait une correcte application de la loi dans le respect des principes directeurs du procès.

==> Textes

En droit positif, l’exigence de motivation résulte de l’article 455 du CPC qui énonce, on ne peut plus simplement, que « le jugement doit être motivé ».

Bien qu’issue d’un texte de nature réglementaire , l’obligation de motivation a sans aucun doute une valeur supérieure puisque, aussi bien, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme, en ont consacré le principe.

Ainsi le Conseil a-t-il reconnu à l’exigence de motivation des jugements la valeur d’un principe fondamental en considérant notamment, en matière d’expropriation, que cette exigence relevait du domaine de la loi (Cons. const., décision du 3 novembre 1977, no 77-101 L.)

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est plus fournie, puisque, alors que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas expressément référence à la nécessité de motiver le jugement, la Cour a posé pour principe que l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions et que la motivation ne peut être totalement absente (CEDH, Higgins et autres c. France, 19 février 1998, requête no 20124/92), même si ce texte n’exige pas une réponse détaillée à chaque argument (CEDH, Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, requête no 16034/90) et si l’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce.

On signalera aussi que, pour la première chambre civile de la Cour de cassation, la reconnaissance d’une décision étrangère non motivée est contraire à la conception française de l’ordre public international de procédure, lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d’équivalent à la motivation défaillante (Cass. 1ère civ., 28 novembre 2006, n°04-19.031 ; Cass. 1ère civ., 22 octobre 2008, n° 06-15.577).

==> Domaine

  • Principe
    • Le domaine de la motivation est général. L’obligation s’applique indistinctement et, sauf exceptions, à toutes les décisions de justice.
    • Doivent ainsi être motivés les jugements contentieux comme les décisions rendues en matière gracieuse, les jugements avant dire droit et les jugements statuant au fond, les jugements en premier ressort comme ceux rendus en dernier ressort.
    • Aucune distinction n’est opérée selon que le jugement est contradictoire ou réputé contradictoire ou qu’il a été prononcé par défaut. La comparution des parties est sans incidence sur l’exigence de motivation et la Cour de cassation censure régulièrement, au visa de l’article 472 du CPC, les jugements qui déduisent de l’absence du défendeur un acquiescement aux prétentions du demandeur, la solution valant aussi bien en première instance ( 2e civ., 8 juillet 2010, n°09-16.074), qu’en cause d’appel (Cass. 2e civ., 30 avril 2003, n°01-12.289).
    • On entend par motifs d’un jugement ce qui détermine chacune des dispositions dont il se compose ou encore les raisons données par le juge à l’appui de sa décision.
    • Les motifs doivent être particuliers à chaque affaire et suffisamment précis et développés pour permettre leur contrôle, dans le cadre d’un éventuel recours.
  • Exceptions
    • Les exceptions prévues par les textes
      • Les exceptions légales à l’obligation de motivation sont peu nombreuses.
      • On cite souvent le jugement d’adoption ( 353 C. civ.) ou certaines décisions rendues en matière de divorce, comme le jugement sans énonciation des torts et griefs à la demande des parties (art. 245-1 C. civ. et art. 1128 CPC).
      • On signalera aussi les dispositions de l’article 955 du CPC, selon lesquelles lorsqu’elle confirme un jugement, la cour d’appel est réputée avoir confirmé les motifs de ce jugement qui ne sont pas contraires aux siens.
      • Ce texte, qui renferme une présomption de motivation, permet à la Cour de cassation de s’emparer des motifs des premiers juges pour suppléer une motivation insuffisante ou défaillante d’un arrêt faisant l’objet d’un pourvoi ( 2e civ., 1er juill. 2010, n°09-66.712 et 09-68.869).
      • Il ne doit néanmoins pas être compris comme instituant une dispense de motivation, c’est-à-dire de réexamen de l’affaire, qui est le propre de l’appel.
    • Les exceptions prévues par la jurisprudence
      • Plus fréquentes sont les hypothèses où c’est la jurisprudence qui exonère les juges de l’obligation de motivation.
      • La Cour de cassation juge ainsi, en matière d’ordonnance portant injonction de payer, que l’article 1409 du code de procédure civile n’impose pas au juge l’obligation de motiver sa décision ( 2e civ., 16 mai 1990, n°88-20.377).
      • Reste que le jugement statuant sur opposition à une ordonnance portant injonction de payer doit, quant à lui, être motivé ( 2e civ., 22 juin 1988, n°87-13.970).
      • Il existe par ailleurs un nombre significatif d’objets de demandes pour lesquelles le juge n’est pas tenu de s’expliquer.
      • Ce qu’il est convenu de nommer la matière discrétionnaire, selon un qualificatif que certains jugeront aujourd’hui peu approprié, concerne des décisions aussi variées que celles ordonnant des mesures d’administration judiciaire ( 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-14.066) ou relatives à l’opportunité de prononcer un sursis pour une bonne administration de la justice (Cass. 2e Civ., 17 juin 2010, n°09-13.583), d’accorder ou refuser des délais de paiement (Cass. 3e civ., 9 mars 2010, n°09-11.491) ou d’expulsion (Cass. 2e civ., 15 octobre 2009, n°08-14.380), de réduire une clause pénale (Cass. .3e civ., 8 juin 2010, n°09-65.502), d’assortir un jugement d’une astreinte (Cass. 2e civ., 23 novembre 2006, n°05-16.283), d’allouer une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile (Cass. 2e civ., 10 octobre 2002, n°00-13.832) ou de mettre les dépens à la charge de la partie perdante (Cass. 1ère civ., 12 mai 1987, n°85-11.387)

==> Contenu de l’exigence de motivation

Motiver, c’est, pour le juge, fonder sa décision en fait et en droit. Cette obligation de motivation comporte deux aspects : quantitatif et qualitatif :

  • Sur le plan quantitatif
    • Il appartient au juge d’analyser, même de façon sommaire, les éléments de preuve produits.
    • Il ne peut statuer par des considérations générales ( 1ère civ., 17 févr. 2004, Bull. 2004, I, no 50, n°02-10.755), ni se déterminer sur la seule allégation d’une partie ou sur des pièces qu’il n’analyse pas (Cass. soc., 1er févr. 1996, n°94-15.354), même si le juge n’est pas tenu de s’expliquer spécialement sur les éléments de preuve qu’il décide d’écarter (Cass. 1ère civ., 3 juin 1998, n°96-15.833 ; Cass. com., 9 févr. 2010, n°08-18.067).
    • La motivation doit porter sur chacun des chefs de demande et sur chacun des moyens invoqués au soutien des conclusions.
    • Le défaut de réponse à conclusions, qu’il importe de ne pas confondre avec l’omission de statuer, est sanctionné au titre d’une méconnaissance des exigences de l’article 455 du code de procédure civile.
    • Enfin, on sait que la motivation doit être intrinsèque et que la jurisprudence proscrit toute motivation par référence aux motifs d’une décision rendue dans une autre instance ( 3e civ., 26 oct. 1983, n°81-14.861; Cass. 2e civ., 2 avril 1997, n 95-17.937), sauf naturellement lorsque cette motivation procède d’une adoption des motifs des premiers juges.
    • La Cour de cassation ne fait ici que mettre en œuvre le principe de la prohibition des arrêts de règlement.
  • Sur le plan qualitatif
    • La motivation implique pour le juge l’obligation d’expliquer clairement les raisons qui le conduisent à se déterminer.
    • Il importe donc que ses motifs soient rigoureux et pertinents.
    • La rigueur commande d’abord au juge de se prononcer par des motifs intelligibles, de se garder de formuler des hypothèses, d’émettre des doutes ou d’éviter de se contredire.
    • Les arrêts de cassation ne sont pas rares qui censurent l’énoncé de motifs contradictoires, dubitatifs, hypothétiques, voire incompréhensibles.
    • La motivation du jugement sera ensuite pertinente si elle est opérante, c’est-à-dire si elle est propre à justifier la réponse apportée par le juge aux moyens et prétentions des parties.
    • Cette exigence s’impose chaque fois que la Cour de cassation exerce un contrôle de la qualification des faits mais aussi, de façon plus inattendue, lorsque l’appréciation des éléments du litige est abandonnée aux juges du fond.
    • En effet, même dans les matières où la jurisprudence consacre l’existence d’un pouvoir souverain, la Cour de cassation s’assure que les motifs des juges sont de nature à justifier la décision prise, qu’ils sont propres à démontrer la solution retenue.

==> Sanction de l’exigence de motivation

Selon l’alinéa 1er de l’article 458 du CPC, ce qui est prescrit à l’article 455, en particulier l’obligation de motiver le jugement, doit être observé à peine de nullité.

Né de la décision attaquée, le vice de motivation n’est jamais un grief nouveau devant la Cour de cassation.

Le défaut de motif ou l’insuffisance des motifs se différencient du défaut de base légale, qui sanctionne un vice de fond, à savoir une motivation qui ne met pas la Cour en mesure d’exercer son contrôle sur les conditions de fond d’application de la loi 36. Le vice de motivation est pour sa part un vice de forme du jugement.

C’est pourquoi le contrôle de la Cour de cassation présente en ce domaine un caractère essentiellement disciplinaire.

C) Le dispositif du jugement

  1. Limitation du champ de l’autorité de la chose jugée au dispositif formel

Le dispositif est la partie du jugement qui énonce la décision du tribunal (art. 455 CPC). Elle est la partie la plus importante de la décision, en ce qu’elle contient la solution du litige à laquelle est attachée l’autorité de la chose jugée.

L’article 455, al. 3e du CPC prévoit en ce sens que le jugement « énonce la décision sous forme de dispositif. »

Le dispositif des jugements varie avec chaque litige ; il doit répondre à tous les chefs de demande, mais il ne doit pas aller au-delà de ce qui a été demandé (ultra petita).

En outre, il ne peut apporter de modification, ni à l’objet, ni à la cause de la demande : le juge est en effet lié par le cadre du procès tracé par les parties.

L’autorité de la chose jugée, même positive, est limitée aux seules énonciations du dispositif (Cass. 3e civ., 4 janv. 1991 ; Cass. 1ère civ. 8 juill. 1994, Cass. com. 6 févr. 2001).

C’est donc à cette composante du jugement qu’il convient de se reporter pour déterminer l’étendue de l’autorité de la chose jugée.

Reste que des maladresses dans la rédaction de la décision peuvent conduire le juge à placer dans les motifs des dispositions relatives à la solution du litige, et la question se pose alors de savoir si ces motifs peuvent avoir autorité de la chose jugée.

2. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée des motifs décisoires et décisifs

Classiquement on distingue les motifs décisoires des motifs décisifs :

  • Les motifs décisoires
    • Il s’agit des motifs qui statuent sur l’un des chefs des prétentions litigieuses, mais, par suite d’une erreur rédactionnelle, la décision n’est pas reprise dans le dispositif.
    • Ce sont des éléments du dispositif qui se sont égarés dans les motifs.
    • Ils résultent d’une rédaction défectueuse du jugement dont un élément n’est pas à sa place.
  • Les motifs décisifs
    • Ils sont le soutien nécessaire du dispositif, ou de certains des chefs de décision que l’on retrouve dans ce dernier.
    • Un motif est dit décisif, lorsqu’il est un élément nécessaire du raisonnement qui a abouti à la décision.

En principe seules les questions litigieuses effectivement tranchées par le juge, qui ont donné lieu à un débat entre les parties et contenues dans le dispositif ont autorité de la chose jugée.

La conséquence de ce principe est favorable au plaideur victime de l’oubli. Le jugement qui contient une omission de statuer sur un chef de demande n’ayant logiquement aucune autorité de la chose jugée sur le chef omis, l’intéressé peut saisir une nouvelle fois le juge sur ce chef.

La lecture de la jurisprudence qui s’est développée au sujet des jugements mixtes ou avant dire droit notamment, révèle que seul le dispositif stricto sensu de la décision concernée est pris en considération pour déterminer si l’autorité de la chose jugée s’y attache (Cass. 3e civ., 1er oct. 2008, n°07-17.051).

Désormais, motifs décisoires et motifs décisifs sont dépourvus de l’autorité de la chose jugée, laquelle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui est tranché dans le dispositif.

Pour bien comprendre la position actuelle remémorons-nous l’évolution de la jurisprudence.

Trois périodes peuvent être distinguées : avant le nouveau code de procédure civile de 1975, entre le nouveau code de procédure civile et 1991, et depuis 1991.

==> Avant le nouveau code de procédure civile de 1975 : la conception non formaliste

Pendant très longtemps, et en l’absence de dispositions contraires, le parti a été implicitement retenu de considérer que le jugement était un acte de volonté du juge et qu’indépendamment de la forme, il fallait rechercher, en scrutant l’ensemble des éléments de sa décision, ce qu’il avait voulu décider et ce sur quoi il s’était fondé.

Peu importait donc que les chefs de décision aient été insérés dans les motifs ou dans le dispositif.

Ainsi, la jurisprudence a longtemps reconnu l’autorité de chose jugée des motifs décisoires pour la raison qu’il convenait de s’en tenir à ce que le juge avait effectivement jugé, sans s’arrêter à l’apparence formelle du jugement (V. en ce sens Cass. com., 29 octobre 1964).

Au demeurant, les constats de fait qui avaient été réalisés dans un procès, de même que les qualifications qui avaient été données à ces faits, pouvaient être repris, dans un autre procès opposant les mêmes parties et considérés comme couverts par l’autorité de la chose jugée, dès lors du moins que ces éléments, puisés dans les motifs de la précédente décision, constituaient le soutien nécessaire de celle-ci.

Les décisions anciennes qui reconnaissaient aux motifs décisifs l’autorité de chose jugée sont innombrables (Cass. 2e civ., 17 nov. 1971 ; Cass. 3e civ., 28 oct. 1974).

Ainsi, le dispositif est doté de l’autorité de la chose jugée, parce que c’est lui qui contient les décisions du juge ; mais l’autorité s’étend à la motivation dans la mesure où celle-ci contient les éléments nécessaires à ces décisions ; les motifs ont également autorité de chose jugée si, en raison éventuellement d’un vice de rédaction du jugement, des décisions du juge y figurent.

En outre, la jurisprudence étendait l’autorité de chose jugée à des points non expressément jugés, en considérant qu’ils avaient été implicitement ou virtuellement jugés (Cass. soc., 24 mars 1971).

Le critère substantiel, qui s’attache à la volonté du juge, avait pour mérite de « tenir exactement compte de la réalité » et de ne pas faire dépendre l’autorité de la décision de sa forme.

Les maladresses rédactionnelles du juge étaient ainsi sans incidence. L’inconvénient était cependant, selon Jacques Normand, qu’« on ne pouvait toujours savoir au premier examen ce qui avait été effectivement décidé, déterminer sans hésitation la nature (avant dire droit ou mixte) de la décision rendue. Il fallait se livrer à une recherche délicate, aléatoire. Cette imprécision était source de contestations, de retards, elle était génératrice de manoeuvres dilatoires ».

==> Entre le nouveau code de procédure civile et 1991

Le nouveau code de procédure civile a substitué à ces solutions une conception beaucoup plus formaliste : les décisions prises par le juge n’ont l’autorité de chose jugée que si elles figurent dans le dispositif (V. art. 455, 480, 482, 544 et 606 CPC).

Ainsi, seul le dispositif du jugement devait renseigner sur ce qui avait été jugé. Seules ses énonciations avaient autorité de la chose jugée (art. 480 CPC). Seules elles permettaient de savoir si la décision contenant un avant dire droit était susceptible d’appel ou de pourvoi immédiat (art. 544 et 606 CPC).

Ce nouveau système « imposait au juge une très grande discipline dans la formulation de sa décision ».

C’est la raison pour laquelle comme le relevait Jean-Pierre Dintilhac, « Malgré la clarté de cette rédaction, la jurisprudence, confrontée à l’épreuve des situations concrètes souvent difficiles à enfermer dans une formulation juridique forcément abstraite et réductrice, a opéré une distinction entre les motifs décisoires et les motifs décisifs ».

En effet, la jurisprudence a eu quelque mal à se soumettre à ce formalisme. Longtemps, les textes du nouveau code de procédure civile n’ont guère été respectés en la matière. S’ensuivit alors « une longue période d’incertitude, marquée par les jurisprudences divergentes des différentes chambres de la Cour de cassation (…) un premier courant dont participaient la deuxième chambre civile et la chambre commerciale, appliquait strictement l’article 480 et déniait toute autorité aux motifs soutien nécessaire »[1]. Un courant contraire réunissait la première et la troisième chambre civile lesquelles continuaient à reconnaître l’autorité des motifs décisifs (Cass. 3e civ., 27 avr. 1982).

La jurisprudence semble s’être ralliée pour ce qui concerne les motifs décisoires, avec moins de résistance que pour les motifs décisifs, à la solution imposée par les dispositions du nouveau code de procédure civile.

Elle dénie l’autorité de chose jugée aux décisions qui ne figurent pas dans le dispositif, mais seulement dans les motifs (V. Cass. 2e civ. 16 nov. 1983).

==> Depuis 1991 : la consécration du critère formel

A partir de 1991, la jurisprudence de toutes les chambres de la Cour de cassation s’en tient strictement au seul critère formel de la distinction entre motifs et dispositif pour refuser toute autorité de la chose jugée aux premiers. Comme le souligne Jacques Normand « une harmonisation des jurisprudences s’est réalisée, les première et troisième chambres ayant rejoint la deuxième chambre et la chambre commerciale dans une application stricte de l’article 480 ».

À l’origine de la jurisprudence nouvelle, se situerait selon Jacques Ghestin, un article publié par Jacques Normand en 1988 en faveur du refus de l’autorité de la chose jugée des motifs.

Après avoir montré les conflits de jurisprudence opposant, deux par deux, la 2e chambre civile et la chambre commerciale refusant toute autorité aux motifs, d’une part, aux première et troisième chambre civile de la Cour de cassation qui admettaient l’autorité des motifs, d’autre part, J. Normand « à la recherche d’une issue » écrivait : « Deux chambres contre deux, et aucune n’ayant voix prépondérante…On ne saurait admettre longtemps une telle confusion. Elle discrédite l’institution judiciaire. Elle fonde chez le justiciable le sentiment d’être le jouet du hasard ».

La jurisprudence actuelle, par une interprétation plus littérale de l’article 480 du code de procédure civile, a donc abandonné les solutions qui avaient pu être dégagées antérieurement, à partir des années 1970/80.

Tout ce qui ne figure pas dans le dispositif n’a pas autorité de la chose jugée, même s’il s’agit de motifs « inséparables du dispositif » (Cass. 2e civ., 5 avril 1991).

Cette dernière position a le mérite de lever toute incertitude quant à l’étendue de l’autorité de la chose jugée, et devrait être préférée pour cette raison.

Dès lors, les arrêts rendus à partir de 1991 doivent être interprétés comme s’opposant à la reconnaissance d’une autorité positive de chose jugée, même s’il y a parfois, selon Jacques Normand, quelques « accrocs dans l’unanimité qu’on croyait restaurée ».

Désormais, les motifs, dits décisoires, qui se prononcent sur une question litigieuse sont, dans le silence du dispositif, clairement dépourvus de l’autorité de la chose jugée (Cass. 1ère  civ., 7 octobre 1998, n° 97-10548 ; Cass. 2e civ., 8 juin 2000, n°98-19.038) et il en est de même des motifs décisifs définis classiquement comme constituant le soutien nécessaire du dispositif (Cass. 2e civ., 10 juillet 2003 ; Cass. 1ère civ., 13 décembre 2005 ; Cass. 2e civ., 6 avril 2006, n° 04-17.503.

Dans sa jurisprudence la plus récente, la Cour de cassation, au sujet de motifs décisoires, rappelle que seul le dispositif est doté de l’autorité de la chose jugée, mais en prenant le soin de préciser qu’il en est ainsi même lorsque la motivation constitue le soutien nécessaire du dispositif, formule qui marque, par la même occasion, l’abandon de la thèse des motifs décisifs (Cass. 2e civ., 10 juillet 2003 ; Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).

Néanmoins, Jacques Normand soulignait en 2004 que « des disparités subsistent entre les chambres de la Cour de cassation, des réticences se manifestent chez les juges du fond (ce dont témoigne en particulier le nombre des arrêts de cassation). Tout ceci est pour le moins le signe d’un malaise ».

3. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée du dispositif virtuel ou implicite

Pour interdire à la partie adverse de remettre en cause une question qui a été invoquée incidemment au cours d’une instance précédente, et pour s’assurer ainsi une position inattaquable, l’un des plaideurs peut chercher à étendre l’autorité de la chose jugée en s’efforçant d’établir que le tribunal a implicitement tranché cette question incidente.

Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure il est permis d’étendre la chose jugée aux décisions implicites.

La problématique des décisions implicites doit être distinguée de celle des motifs décisoires ou décisifs.

En effet, il s’agit, non d’accorder une quelconque autorité aux motifs de la décision, mais de rechercher dans le dispositif ce qui est virtuellement compris, afin d’étendre l’autorité de la chose jugée à toutes les questions nécessairement engagées dans le litige. Tantôt il s’agit d’un préalable nécessaire de la décision.

Dans d’autres cas, la chose non exprimée est implicitement jugée parce qu’elle est une suite inéluctable de ce qui a été jugé.

Aux termes de la jurisprudence, seul ce qui est expressément jugé dans le dispositif a autorité de la chose jugée.

Il avait parfois été admis que l’autorité de la chose jugée devait être attachée, non seulement aux points litigieux qui ont été expressément résolus dans le dispositif, mais aussi qu’elle devait être reconnue aux questions implicitement résolues dans le dispositif, que le juge a dû obligatoirement trancher pour prendre sa décision, parce qu’elles constituent les antécédents nécessaires de cette décision.

Si ces questions implicitement résolues venaient à être démenties, le jugement serait privé de tout fondement logique : il faut donc éviter une remise en question de ces éléments, et leur conférer l’autorité de la chose jugée.

Cette solution, au demeurant peu rigoureuse et difficilement compatible avec le dispositif de rectification des omissions de statuer, présentait l’inconvénient majeur de heurter bien souvent le principe de la contradiction, considéré comme un des principes directeurs du procès civil, lorsque l’implicitement jugé n’a pas été débattu entre les parties.

En effet, comme l’a rappelé Jean-Pierre Dintilhac « la chose jugée ne peut traduire la vérité qu’autant que les parties en litige, sous le contrôle actif du juge, se sont attachées, tout au long du procès, à respecter avec loyauté le principe de la contradiction qui constitue l’élément fondamental du procès équitable ».

Pour l’ensemble de ces considérations, la thèse du dispositif virtuel ou implicite est désormais condamnée par la jurisprudence dominante (Cass. 1ère civ., 16 juill. 1997 ; Cass. 2e civ., 19 févr. 2004, n° 03-10.167).

Cette jurisprudence a été entérinée par un arrêt de la chambre mixte rendu en date du 13 mars 2009 (Cass. ch. mixte, 13 mars 2009, n° 07-17.670)

Une conclusion s’impose donc, seul le dispositif exprès est doté de l’autorité de la chose jugée.

Cette affirmation a pour corollaire un devoir pour le juge, lequel doit veiller à soigner la rédaction du dispositif de sa décision pour y inclure l’ensemble des questions tranchées.

4. Exclusion du champ de l’autorité de la chose jugée du dispositif réservé

Le dispositif qui comporte des réserves, même implicites, n’a pas, sur le point concerné, autorité de la chose jugée (Cass 3e civ., 9 octobre 1974).

Toutefois, l’expression « déboute en l’état », parfois utilisée pour permettre un réexamen de l’affaire en cas d’évolution de la situation ou après constitution d’un nouveau dossier plus étayé, est sans portée.

La décision ainsi rendue sur le fond dessaisit le juge et acquiert l’autorité de la chose jugée (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 16 mai 2006, n° 02-14.488). La formule est donc à proscrire.

À cet égard, selon Jean-Pierre Dintilhac « ce refus d’admettre une nouvelle action en cas de découverte de nouveaux éléments de preuve, au nom de la sécurité juridique, de la paix sociale et pour prévenir la saturation de l’institution judiciaire déjà passablement encombrée, illustre combien cette “vérité de la chose jugée” est une vérité bien particulière qui tient non à une certitude quant au caractère véridique des éléments sur lesquels repose la décision, mais à la volonté de mettre un terme à la contestation et au refus d’ouvrir à nouveau des débats à partir d’éléments qui existeraient lors de l’examen qui précédait la décision, alors même que l’une des parties n’en aurait pas eu connaissance »

D) La signature du jugement

L’article 456 du CPC prévoit que le jugement doit être « signé par le président et par le greffier ». À défaut, le jugement encourt la nullité.

  • S’agissant du Président
    • Selon une jurisprudence constante, seul le Président ayant assisté aux débats est habilité à signer le jugement (V. en ce sens 2e civ., 9 juill. 1997).
    • À défaut, le jugement encourt la nullité
    • Dans un arrêt du 18 juin 2003, la troisième chambre civile a précisé que « s’il résulte des mentions de l’arrêt que le magistrat qui l’a régulièrement prononcé était conseiller lors des débats et du délibéré, il est présumé, à défaut de preuve contraire et de mention d’un empêchement, que la signature qui y figure sous la mention de président est celle du magistrat ayant présidé l’audience et participé au délibéré en cette qualité » ( 3e civ. 18 juin 2003, n°01-12886).
    • L’article 456 du CPC précise encore « en cas d’empêchement du président, mention en est faite sur la minute qui est signée par l’un des juges qui en ont délibéré»
    • Seul un juge qui donc a participé au délibéré peut signer le jugement.
  • S’agissant du Greffier
    • Dans un arrêt du 6 octobre 2009, la Cour de cassation a jugé « qu’est seul qualifié pour signer le jugement le greffier qui a assisté à son prononcé» ( com., 6 oct. 2009)
    • Afin de limiter les actions en nullité, la deuxième chambre civile a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2004 « qu’il y a présomption que le greffier qui a signé la décision est celui qui a assisté à son prononcé» ( 2e civ. 10 juin 2004, n°03-13172).

III) La force probante du jugement

==> Principe

L’article 457 du CPC prévoit que « le jugement a la force probante d’un acte authentique ». Le caractère authentique dont est pourvu le jugement tient à la qualité d’officier public du juge signataire.

Une telle authenticité oblige à tenir pour vrai, sauf inscription de faux, ce que le jugement énonce comme ayant été personnellement constaté par ses deux signataires, président et greffier.

Et ce que constate le greffier signataire n’est autre que le prononcé de la décision et son contenu. Au nombre des conditions d’établissement de tout acte authentique figure d’évidence l’intervention, par sa signature, d’un agent public légalement compétent et habilité, tel pour un jugement, outre le président, le greffier assistant au prononcé.

L’absence ou l’insuffisance d’une telle intervention (ici elle doit être double) est incompatible avec l’authenticité. C’est donc la double signature qui donne au jugement la force probante d’un acte authentique.

==> Tempéraments

Bien que le jugement possède la force probante d’un acte authentique, trois tempéraments sont apportés à cette règle :

  • Premier tempérament
    • La force probante du jugement n’est attachée qu’aux seuls éléments que le juge a pu vérifier, soit qu’ils se sont produits en sa présence, soit parce qu’il en est à l’origine
    • Les mentions relatives à la notification de la décision au ministère public ne bénéficient donc pas de la force probante du jugement
  • Deuxième tempérament
    • L’article 459 du CPC prévoit que « l’omission ou l’inexactitude d’une mention destinée à établir la régularité du jugement ne peut entraîner la nullité de celui-ci s’il est établi par les pièces de la procédure, par le registre d’audience ou par tout autre moyen que les prescriptions légales ont été, en fait, observées. »
    • Certaines irrégularités peuvent ainsi être réparées lorsqu’il est établi, notamment au moyen du registre légale, que les prescriptions légales ont été respectées.
  • Troisième tempérament
    • L’article 462 du CPC dispose que « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l’a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande. »
    • Les parties disposent ainsi toujours d’une action en rectification d’erreur matérielle.
    • Le juge est saisi par simple requête de l’une des parties, ou par requête commune ; il peut aussi se saisir d’office.
    • La décision rectificative est mentionnée sur la minute et sur les expéditions du jugement. Elle est notifiée comme le jugement.

[1] J. Normand, La chose jugée -L’étendue de la chose jugée au regard des motifs et du dispositif, Rencontres Université- Cour de cassation, 23 janvier 2004.

La révocation de l’ordonnance de clôture ou le rabat de clôture

La clôture de l’instruction intervient lorsque le Juge de la mise en état rend ce que l’on appelle une ordonnance de clôture. Cette ordonnance est issue de la réforme engagée en 1975 par le décret n°75-1123 du 5 décembre 1975 instituant un nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 1976.

L’ordonnance de clôture a été institué afin de mettre fin aux abus des plaideurs qui consistaient à communiquer à l’adversaire ses pièces à la dernière heure avant l’audience, ce qui n’était pas sans contrevenir au principe du contradictoire.

À cet égard, dans son article « La réforme du code de procédure civile par le décret du 13 octobre 1965 et les principes directeurs du procès », Henri Motulsky rappelant la pratique des prétoires sous le régime du juge chargé de suivre la procédure, déplorait que l’affaire ne fût instruite qu’in extremis, quelques jours avant l’audience des plaidoiries sinon la veille et stigmatisait « l’usage des communications de pièces de dernière heure », « la grave altération consécutive de la loyauté du débat judiciaire », ainsi que « l’irritant appel des causes à l’audience sans être en état d’être plaidées » et même parfois, « le regrettable spectacle des audiences blanches comme des déplacements inutiles ».

Il achevait de brosser ce tableau affligeant en affirmant qu’il n’« est pas concevable qu’on impose la plaidoirie à une partie qui vient seulement d’avoir connaissance, tant du véritable système d’argumentation de son adversaire que des documents essentiels destinés à l’appuyer ».

L’institution de la procédure de la mise en état dans sa conception actuelle a donc eu pour objet de remédier à cette situation. On ne saurait prétendre qu’elle n’y a pas apporté de remède.

Toutefois, la tentation des parties de recourir à ces pratiques dénoncées par le professeur Motulsky subsiste, tentation qui doit être contenue par l’autorité effectivement exercée par le juge, sous peine de revenir auxdites pratiques.

De toute évidence, l’instauration d’une ordonnance de clôture s’inscrit dans cette volonté de mettre un terme à des pratiques abusives des plaideurs qui étaient devenues trop fréquences.

Parce qu’elle marque la fin de l’instruction à la date fixée par le juge, l’ordonnance de clôture a pour effet d’interdire, à compter de la date où elle est prononcée, le dépôt de toutes conclusions et la production de toutes pièces à peine d’irrecevabilité prononcée d’office (article 802 CPC).

Pour cette raison, elle est une pierre angulaire de l’instance. Ajouté à cela, l’ordonnance de clôture annonce le passage de la phase écrite de la procédure à la phase orale.

À l’exception de la procédure d’urgence à jour fixe, elle est une étape incontournable pour les plaideurs qui vont être directement touchés par ses effets. Leur situation ne sera néanmoins pas figée puisqu’ils disposeront toujours, lorsque les conditions seront réunies, de la faculté de solliciter sa révocation.

I) Les causes de révocation de l’ordonnance de clôture

Il ressort des termes de l’article 784 du CPC que la révocation de l’ordonnance de clôture peut être prononcée dans deux cas : la cause grave et la demande en intervention volontaire

?Premier cas : la cause grave

L’article 803, al. 1er du CPC dispose que « l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue »

Bien que la cause grave ne soit pas définie par les textes, l’article 803 du CPC exclut d’emblée la constitution d’avocat postérieurement à la clôture.

À l’examen, par cause grave, il ne peut s’agir que d’une circonstance indépendante de la volonté du demandeur, qui s’est révélée à lui postérieurement à l’ordonnance de clôture et qui est de nature à avoir une incidence sur la solution du litige.

La combinaison de ces deux éléments réunis à conduit la jurisprudence :

  • À admettre la cause grave
    • En cas de communication d’une pièce dont dépend la solution du litige
    • En cas de retard dans l’octroi de l’aide juridictionnel auquel était subordonnée l’intervention de l’avocat.
  • À exclure la cause grave
    • En cas de délai suffisant pour répondre à des conclusions déposées à une date proche de la clôture
    • En cas de succession d’avocat

?Second cas : la demande en intervention volontaire

L’article 803, al. 2 du CPC prévoit que la demande en intervention volontaire peut justifier la révocation de l’ordonnance de clôture, à la condition néanmoins que le Tribunal ne soit pas en mesure de statuer sur le tout de l’affaire, sans que cette nouvelle demande ne soit instruite.

Reste que la révocation de l’ordonnance de clôture par le juge dans cette circonstance n’est qu’une simple faculté.

II) La demande de révocation de l’ordonnance de clôture

L’article 803, al. 3 du CPC dispose que « l’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties ».

Dans le premier cas de figure, la Cour de cassation considère « qu’en application de l’article 783 [803 nouveau] du Code de procédure civile, les demandes de révocation de l’ordonnance de clôture doivent être formées par conclusions » (Cass. 2e civ. 1er avr. 2004, n°02-13996).

III) La décision de révocation de l’ordonnance de clôture

?Pouvoirs du juge

L’article 803, al. 3 du CPC prévoit que « l’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal. »

Il ressort de cette disposition que la décision de révocation de l’ordonnance de clôture peut intervenir dans trois cas :

  • La juge peut révoquer d’office l’ordonnance de clôture sans que cette révocation ait été sollicitée par les parties
  • Le juge peut révoquer l’ordonnance de clôture à la demande des parties, à la condition qu’elles justifient d’une cause grave
  • L’ordonnance est révoquée par décision du Tribunal réuni dans sa formation de jugement, d’où il s’ensuit une réouverture les débats

Ainsi, l’ordonnance de clôture peut être révoquée :

  • Soit par le Juge de la mise en état, lequel demeure saisi jusqu’à la date de l’audience
  • Soit par le Tribunal lui-même même qui est saisi à compter de la date de l’audience

Dans cette dernière hypothèse, soit lorsque c’est le Tribunal qui est saisi, il convient de distinguer deux hypothèses :

  • Le Tribunal prononce la réouverture des débats avec révocation de l’ordonnance de clôture
    • Dans cette hypothèse, les parties disposent de la faculté de conclure sur tous les points du litige pendant devant la juridiction, y compris formuler de nouvelles demandes (V. en ce sens Cass. 3e civ. 13 nov. 1997).
    • L’affaire est alors renvoyée devant le Juge de la mise en état
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la réouverture des débats n’emportait pas révocation de l’ordonnance de clôture, de sorte qu’il appartient au Tribunal de le spécifier dans le dispositif de sa décision (Cass. 2e civ. 14 mai 1997)
    • Seul le renvoi de l’affaire devant le Juge de la mise en état vaut révocation de l’ordonnance de clôture (Cass. 2e civ. 19 févr. 2009).
  • Le Tribunal prononce la réouverture des débats sans révocation de l’ordonnance de clôture
    • Dans cette hypothèse, la réouverture des débats intervient sur le fondement de l’article 444 du CPC
    • Cette disposition prévoit que « le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés. »
    • La réouverture des débats n’est ici pas subordonnée à la révocation de l’ordonnance de clôture.
    • La conséquence est que les parties ne pourront conclure que sur le point de droit ou de fait soulevé par le juge

?Motivation de la décision de révocation

Bien que l’article 803 du CPC ne prévoit pas que l’ordonnance de révocation doive être motivée, la Cour de cassation l’exige, en particulier s’agissant de la caractérisation de la cause grave justifiant la décision prise.

IV) Les effets de la révocation de l’ordonnance de clôture

La révocation de l’ordonnance de clôture a pour effet de rouvrir la phase d’instruction de l’affaire, de sorte que les parties sont autorisées à déposer de nouvelles conclusions et pièces.

La révocation de l’ordonnance est nécessairement totale, en ce sens que le Tribunal ne saurait limiter la réouverture des débats à la production de certaines conclusions ou pièces.

Les parties sont libres de conclure sur tous les points du litige qui leur sied, ce qui implique qu’ils soient autorisés à formuler de nouvelles demandes.

Ordonnance de clôture de l’instruction: causes du prononcé et formalisme

La clôture de l’instruction intervient lorsque le Juge de la mise en état rend ce que l’on appelle une ordonnance de clôture. Cette ordonnance est issue de la réforme engagée en 1975 par le décret n°75-1123 du 5 décembre 1975 instituant un nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 1976.

L’ordonnance de clôture a été institué afin de mettre fin aux abus des plaideurs qui consistaient à communiquer à l’adversaire ses pièces à la dernière heure avant l’audience, ce qui n’était pas sans contrevenir au principe du contradictoire.

À cet égard, dans son article « La réforme du code de procédure civile par le décret du 13 octobre 1965 et les principes directeurs du procès », Henri Motulsky rappelant la pratique des prétoires sous le régime du juge chargé de suivre la procédure, déplorait que l’affaire ne fût instruite qu’in extremis, quelques jours avant l’audience des plaidoiries sinon la veille et stigmatisait « l’usage des communications de pièces de dernière heure », « la grave altération consécutive de la loyauté du débat judiciaire », ainsi que « l’irritant appel des causes à l’audience sans être en état d’être plaidées » et même parfois, « le regrettable spectacle des audiences blanches comme des déplacements inutiles ».

Il achevait de brosser ce tableau affligeant en affirmant qu’il n’« est pas concevable qu’on impose la plaidoirie à une partie qui vient seulement d’avoir connaissance, tant du véritable système d’argumentation de son adversaire que des documents essentiels destinés à l’appuyer ».

L’institution de la procédure de la mise en état dans sa conception actuelle a donc eu pour objet de remédier à cette situation. On ne saurait prétendre qu’elle n’y a pas apporté de remède.

Toutefois, la tentation des parties de recourir à ces pratiques dénoncées par le professeur Motulsky subsiste, tentation qui doit être contenue par l’autorité effectivement exercée par le juge, sous peine de revenir auxdites pratiques.

De toute évidence, l’instauration d’une ordonnance de clôture s’inscrit dans cette volonté de mettre un terme à des pratiques abusives des plaideurs qui étaient devenues trop fréquences.

Parce qu’elle marque la fin de l’instruction à la date fixée par le juge, l’ordonnance de clôture a pour effet d’interdire, à compter de la date où elle est prononcée, le dépôt de toutes conclusions et la production de toutes pièces à peine d’irrecevabilité prononcée d’office (article 802 CPC).

Pour cette raison, elle est une pierre angulaire de l’instance. Ajouté à cela, l’ordonnance de clôture annonce le passage de la phase écrite de la procédure à la phase orale.

À l’exception de la procédure d’urgence à jour fixe, elle est une étape incontournable pour les plaideurs qui vont être directement touchés par ses effets. Leur situation ne sera néanmoins pas figée puisqu’ils disposeront toujours, lorsque les conditions seront réunies, de la faculté de solliciter sa révocation.

1. Les causes justifiant le prononcé de l’ordonnance de clôture

Trois situations sont susceptibles de justifier le prononcé de l’ordonnance de clôture :

  • En cas de renvoi à l’audience sans que l’affaire ne fasse l’objet d’une mise en état (circuit court)
  • Dans l’hypothèse où le Juge de la mise en état estime que l’instruction de l’affaire est achevée
  • Dans l’hypothèse où le Juge de la mise en état souhaite sanctionner une partie négligente parce que ne concluant pas dans les délais impartis
  • Lorsque les parties demandent d’elles-mêmes la césure du procès

?Le renvoi de l’affaire à l’audience sans qu’elle fasse l’objet d’une mise en état

L’article 778 du CPC prévoit que, lors de l’audience d’orientation, l’affaire peut être renvoyée immédiatement à l’audience aux fins de jugement. C’est ce que l’on appelle le circuit court.

Il peut être opté pour ce circuit court dans plusieurs cas :

  • Premier cas : l’affaire est en état d’être jugée
    • L’article 778, al. 1er du CPC prévoit en ce sens que « le président renvoie à l’audience les affaires qui, d’après les explications des avocats et au vu des conclusions échangées et des pièces communiquées, lui paraissent prêtes à être jugées sur le fond. »
    • La question qui alors se pose est de savoir à partir de quand peut-on estimer qu’une affaire est en état d’être jugée.
    • À l’évidence, tel sera le cas lorsque les parties auront pu valablement débattre sur la base de conclusions échangées et de pièces communiquées.
    • Le Président devra s’assurer, avant de renvoyer l’affaire à l’audience, que le débat est épuisé et que le principe du contradictoire a été respecté.
    • Aussi, le renvoi ne pourra être prononcé qu’à la condition que le défendeur ait eu la faculté de conclure, soit de répondre à l’assignation dont il a fait l’objet.
    • C’est là une exigence expressément posée par l’article 778 qui précise que le renvoi ne peut avoir lieu qu’« au vu des conclusions échangées et des pièces communiquées ».
  • Deuxième cas : le défendeur ne comparaît pas
    • L’article 778, al. 2 prévoit que le Président « renvoie également à l’audience les affaires dans lesquelles le défendeur ne comparaît pas si elles sont en état d’être jugées sur le fond, à moins qu’il n’ordonne la réassignation du défendeur. »
    • Il s’infère de cette disposition que deux conditions doivent être remplies pour que le renvoi soit acquis de plein droit :
      • Le défendeur ne doit pas comparaître
      • L’affaire doit être en état d’être jugée
    • Ainsi, le Président devra s’assurer que toutes les mesures ont été prises pour que le défendeur soit prévenu de la procédure dont il fait l’objet et qu’il ait été en mesure de constituer avocat.
    • Plus précisément, il doit veiller :
      • D’une part, à ce que le principe du contradictoire ait bien été respecté
      • D’autre part, à ce que les éléments produits et les prétentions présentées par le défendeur soient suffisamment sérieux
    • Si le Président s’aperçoit que l’affaire n’est pas en état d’être jugée, il peut imposer au demandeur de réassigner le défendeur.
  • Troisième cas : l’instance a été introduite au moyen d’une requête conjointe
    • Ce troisième cas n’est certes pas visé par l’article 758 du CPC qui traite de l’orientation de l’affaire lorsqu’elle procède du dépôt d’une requête conjointe.
    • Toutefois, elle est admise par la jurisprudence qui considère que dans la mesure où les parties sont d’accord sur les termes du litige, il n’y a pas lieu à procéder à une instruction de l’affaire.
    • Il est, en effet, fort probable qu’elles se soient entendues sur le dispositif de la décision sollicitée qui se traduira, la plupart du temps, par l’homologation d’un accord.

Dans tous les cas, en application des articles 778 et 779 du CPC lorsque le Président constate que toutes les conditions sont réunies pour que l’affaire soit jugée sans qu’il y ait lieu de la renvoyer devant le Juge de la mise en état, il doit déclarer l’instruction close et fixer la date de l’audience, étant précisé que celle-ci peut être tenue le jour même.

Le dernier alinéa de l’article 778 du CPC précise, et c’est une innovation du décret du 11 décembre 2019, que « lorsque les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience conformément aux dispositions de l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, le président déclare l’instruction close et fixe la date pour le dépôt des dossiers au greffe de la chambre. Le greffier en avise les parties et, le cas échéant, le ministère public et les informe du nom des juges de la chambre qui seront amenés à délibérer et de la date à laquelle le jugement sera rendu. »

En toute hypothèse, cette clôture de l’instruction se matérialise par le prononcé d’une ordonnance de clôture qui donc annonce l’ouverture de la phase des débats oraux.

?Le juge de la mise en état estime que l’instruction de l’affaire est achevée

L’article 799 du CPC prévoit que « sauf dans le cas où il est fait application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 781, le juge de la mise en état déclare l’instruction close dès que l’état de celle-ci le permet et renvoie l’affaire devant le tribunal pour être plaidée à la date fixée par le président ou par lui-même s’il a reçu délégation à cet effet. »

Il ressort de cette disposition que dès lors que le Juge de la mise en état constate que l’instruction est achevée, il doit rendre une ordonnance de clôture aux termes de laquelle il met un terme à la mise en état et renvoi l’affaire devant la formation de jugement du Tribunal pour être plaidée.

À cet égard, l’article779 précise que la date de la clôture arrêtée par le Juge de la mise en état doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries.

Cette obligation qui échoit au juge n’est toutefois assortie d’aucune sanction. Reste que plus le délai entre le prononcé de l’ordonnance de clôture et l’audience de plaidoirie sera long et plus il est un risque que des faits nouveaux interviennent entre-temps et donc justifient la révocation de l’ordonnance. Le magistrat a, dans ces conditions, tout intérêt à choisir une date rapprochée.

À ce stade de la procédure, les parties peuvent toujours demander à ce que l’affaire soit jugée sans qu’elle soit plaidée, au préalable, dans le cadre d’une audience.

L’article 799, al. 3 du CPC prévoit en ce sens que « lorsque les parties ont donné leur accord pour que la procédure se déroule sans audience conformément aux dispositions de l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, le juge de la mise en état déclare l’instruction close dès que l’état de celle-ci le permet et fixe la date pour le dépôt des dossiers au greffe de la chambre. Le greffier en avise les parties et, le cas échéant, le ministère public. »

?Le Juge de la mise en état souhaite sanctionner une partie négligente

En cas de non-respect des délais fixés par le juge de la mise en état, l’article 800 du CPC autorise le Juge de la mise en état à prononcer la clôture partielle à l’égard de la partie négligente.

Plus précisément cette disposition prévoit que « si l’un des avocats n’a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, le juge peut ordonner la clôture à son égard, d’office ou à la demande d’une autre partie, sauf, en ce dernier cas, la possibilité pour le juge de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours ».

On parlera alors de clôture partielle, car prononcée à l’encontre de la partie qui aura été négligente. Cette clôture partielle est seulement subordonnée au non-respect d’un délai fixé par le juge.

Le juge n’est pas contraint, pour prononcer cette sanction, de constater l’inobservation d’une injonction, ni de provoquer l’avis des avocats : une simple défaillance suffit à fonder la clôture

La copie de l’ordonnance de clôture partielle est adressée à la partie défaillante, à son domicile réel ou à sa résidence. La partie sanctionnée sera dès lors privée du droit de communiquer de nouvelles pièces et de produire de nouvelles conclusions.

Reste que lorsque des demandes ou des moyens nouveaux sont présentés au Juge de la mise ou en cas de cause grave et dûment justifié, ce dernier peut toujours, d’office ou lorsqu’il est saisi de conclusions à cette fin, rétracter l’ordonnance de clôture partielle afin de permettre à la partie contre laquelle la clôture partielle a été prononcée de répliquer.

?La demande des parties de césure du procès

Le décret n°2023-686 du 29 juillet 2023 a introduit dans le Code de procédure civile une nouvelle cause de clôture de l’instruction : la césure du procès civil.

Ce dispositif octroie la faculté aux parties de solliciter un jugement tranchant les points nodaux du litige afin de leur permettre ensuite de résoudre les points subséquents en recourant aux modes amiables de résolution des différends de droit commun et, à défaut, de limiter de façon optimale le champ du débat judiciaire.

Ainsi, au lieu de statuer sur l’ensemble des prétentions dont il est saisi, le juge ne tranchera, dans un premier temps, que certains aspects du différend, tandis que les parties tenteront de trouver un accord amiable pour le surplus.

Ce nouvel instrument procédural, qui est régi aux articles 807-1 à 807-3 du CPC, ne peut être utilisé que dans le cadre de la procédure écrite ordinaire applicable devant le Tribunal judiciaire.

Conformément à l’article 807-1, al. 1er du CPC, la césure du procès est laissée à l’initiative exclusive des parties.

Cette faculté peut être exercée, précise le texte, « à tout moment » de la mise en état.

L’article 807-1, al. 2e du CPC prévoit encore que la demande d’ouverture d’une césure se fait au moyen d’un acte contresigné par avocats qui mentionne les prétentions à l’égard desquelles l’ensemble des parties constituées sollicitent un jugement partiel.

La demande doit donc porter sur une ou plusieurs prétentions pour lesquelles les parties se sont entendues pour solliciter un jugement partiel.

Aussi, sont-ce les parties qui déterminent le périmètre de la césure demandée sans que le juge ne puisse le modifier.

Il peut être observé que pour être recevable, la demande d’ouverture d’une césure doit porter sur des prétentions sécables.

Autrement dit, ces prétentions doivent pouvoir donner lieu à des jugements partiels indépendants du reste de la matière litigieuse.

Dans le cas contraire, le juge est autorisé à rejeter la demande d’ouverture d’une césure ainsi que le prévoit le troisième alinéa de l’article 807-1 du CPC. Dans cette hypothèse, l’affaire reprend son cours.

2. Le formalisme attaché au prononcé de l’ordonnance de clôture

?Dispositions générales

L’article 798 du CPC prévoit que « la clôture de l’instruction est prononcée par une ordonnance non motivée qui ne peut être frappée d’aucun recours. Copie de cette ordonnance est délivrée aux avocats. »

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette disposition :

  • Un acte d’administration judiciaire
    • Il résulte de l’article 798 du CPC que l’ordonnance de clôture s’apparente à un acte d’administration judiciaire
    • C’est la raison pour laquelle elle est insusceptible de faire l’objet d’une voie de recours.
  • Motivation de l’ordonnance de clôture
    • Principe
      • Parce qu’il s’agit d’un acte d’administration judiciaire, l’ordonnance de clôture n’a pas à être motivée
    • Exception
      • Le seul cas où le Juge de la mise en l’état a l’obligation de motiver l’ordonnance de clôture, c’est lorsqu’elle est rendue sur le fondement de l’article 800 du CPC
      • C’est l’hypothèse où, souhaitant sanctionner une partie négligence, le Juge de la mise en état prononce la clôture partielle
      • L’article 800 prévoit en ce sens que « si l’un des avocats n’a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, le juge peut ordonner la clôture à son égard, d’office ou à la demande d’une autre partie, sauf, en ce dernier cas, la possibilité pour le juge de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours. »
  • Notification de l’ordonnance
    • Une copie de l’ordonnance de clôture doit être délivrée aux avocats
    • Lorsque la clôture n’est que partielle, l’article 800 du CPC précise que copie de l’ordonnance est adressée à la partie défaillante, à son domicile réel ou à sa résidence.
  • Tenue du dossier
    • En application de l’article 727 du CPC, une copie de l’ordonnance de clôture doit être versée au dossier constitué par le greffe
    • Conformément à l’article 771, al. 2 du CPC, la mention de la clôture doit, en outre, figurer sur la fiche permettant de connaître l’état de l’affaire

?Cas particulier de la clôture partielle résultant d’une césure du procès

L’article 807-1 du CPC prévoit que « s’il fait droit à la demande, le juge ordonne la clôture partielle de l’instruction et renvoie l’affaire devant le tribunal pour qu’il statue au fond sur la ou les prétentions déterminées par les parties. »

Si donc les conditions d’ouverture de la césure sont réunies, le juge rend une ordonnance de clôture partielle de l’instruction. L’acte contresigné par avocats exprimant la demande d’ouverture d’une césure doit être annexé à l’ordonnance.

Cette clôture se limite aux prétentions visées dans la demande d’ouverture d’une césure. Comme souligné par l’ordonnance du 17 octobre 2023, « la décision du juge de la mise en état d’ordonner ou non la clôture partielle de l’affaire est prise en opportunité eu égard aux considérations de bonne administration de la justice ».

S’agissant de la date de la clôture partielle, en application de l’article 807-1, al. 4e du CPC, elle doit être aussi proche que possible de celle fixée pour les plaidoiries.

Le secret de la délibération

« Bas les masques » ![1] Il me faut vous révéler un secret…de Polichinelle. Je suis un juriste, mais je ne suis ni processualiste, ni juge. Pire : la délibération est étrangère à mes préoccupations premières d’obligationniste, à tout le moins de prime abord. Quant au secret, je n’en suis pas dépositaire. On a connu des débuts plus encourageants. Ceci étant, et pour dire la vérité, le droit qui m’occupe au quotidien est le terrain d’élection des inventions les plus ingénieuses ou les plus folles du juge ; c’est selon. De fait, le secret de la délibération m’interroge.

Délibération. Entendue strictement comme le processus de décision juridictionnelle[2], la tentation est grande d’établir un lien très fort entre délibération – le donné – et motivation – le construit. – Bien qu’on nous ait exhortés ce matin de ne pas y succomber, j’ai cédé, pour ma part, à la tentation. Le sujet qui m’échoit de traiter a partie liée avec la justification rationnelle des décisions de justice. À l’expérience, le construit ne saurait jamais être complètement saisi sans que le juge ne s’expliquât sur le donné. Mais voilà, le juge – plus spécialement les conseillers des cours régulatrices – est bien souvent taisant sur la ou les raisons qui ont présidé à sa décision. Rien n’est dit des discussions pesées, des choix débattus, qui dépassent le strict syllogisme mais aussi le strict litige et encore le strict juridisme[3], et qui impriment pourtant au droit positif un mouvement vers le droit idéal. Exit les « motifs des motifs ». La délibération se tient sous le sceau du secret.

Le secret est exclusif. Connu d’un nombre limité de personnes, il est recherché avec inquisition : « tous les hommes ont, par nature, le désir de connaître » (Aristote)[4]. « Cette inspiration instinctive de l’être à combler le sentiment d’un manque, d’une incomplétude »[5], est une aspiration invincible de l’homme du siècle nouveau, qui est, peu ou prou, assouvie par les technologies de l’information et de la communication, mais non par la technique juridique, à tout le moins pas complètement. Le droit est encore pensé comme « une religion à mystères, un dogme révélé et inaccessible à la raison »[6]. Mais le droit a ses raisons…

Suggérer la levée du secret relève de la provocation, sinon de la subversion. On oppose classiquement « le respect d’un secret absolu du travail créatif du juge, la protection de son indépendance par l’effet de l’anonymat, la garantie de l’autorité de sa décision, considérée comme monolithique, en quelque sorte impériale et, en tant que telle, forçant le respect »[7]. Des quatre vertus cardinales (prudence, tempérance, courage) la justice présente cette particularité d’être un rapport aux autres, en l’occurrence un rapport d’autorité. Une fois les intérêts en conflits confrontés, le juge doit dire le droit (savoir) et trancher le litige (pouvoir)[8]. Œuvre humaine, l’œuvre du juge est imparfaite par nature[9]. Par crainte d’accuser un peu plus cet état, et d’empêcher la concordia discordantium, on tait le doute et/ou le dissentiment du juge, et ce religieusement[10].

À l’exception notable des membres de la juridiction administrative[11], tout juge – judiciaire et constitutionnel –, lors de sa nomination à son premier poste, prête serment « de garder religieusement le secret des délibérations »[12] (caractère inclusif du secret). Le sacrement est rappelé dans les saints codes de procédure[13] et sanctionné conjointement par le droit disciplinaire[14] et le droit pénal[15] (caractère exclusif du secret). La règle du secret est absolue, écrit le président Canivet[16]. C’est un « devoir sacré » écrivit, en son temps, le procureur général Dupin[17]. Notre tradition[18], a professé le Doyen Vedel, ne va pas dans le sens de la publicité du dissentiment et l’on ne peut pas savoir quelques dégâts produirait le changement, le temps qu’il prendrait à s’acclimater et les effets inattendus qu’il entraînerait »[19]. La messe paraît être dite. Et pourtant. Élevé au rang de principe général du droit public français par le Conseil d’État[20], le secret n’a pas été canonisé dans le tout récent Recueil des obligations déontologiques des magistrats, ni dans Les principes déontologiques rédigés par le Réseau européen des conseils de la justice, sinon de façon très incidente[21]. Réflexion faite, le secret paraît tenir désormais moins de la raison que de l’incantation.

Incantation. On écrit que « les juristes font usage d’un mélange bigarré d’habitudes intellectuelles qui sont admises comme des vérités premières et cachent ainsi le contenu politique de la recherche des vérités (…). »[22] Le secret de la délibération est topique. Les réactions épidermiques des cours régulatrices à la liberté, toute relative, prise par les juges du fond prouvent trop. En l’état du droit positif, toute décision du juge judiciaire ou du juge administratif, qui mentionne qu’elle a été prise à l’unanimité des voix ou qui indique avoir été rendue à la majorité de tant de voix, encourt la cassation pour violation de la loi du secret. Pareille jurisprudence donne à penser. Les décisions critiquées ne portent nullement atteinte à l’indépendance du juge. Bien mieux, elles manifestent un effort créatif du juge pour garantir l’autorité de sa décision : faire comprendre, par prétérition certes, non pas faire croire. En instituant la Cour européenne des droits de l’homme, les membres du Conseil de l’Europe n’ont du reste pas confondu secret de la délibération et mise au secret du juge. Avant d’entrer en fonction, le juge de Strasbourg jure d’observer le secret des délibérations[23]. En exercice, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales l’autorise à publier des opinions séparées[24].

Les dissensions, quant au secret de la délibération, sont rares : tradition oblige. La parution, dans le courant de l’année 2010, des essais de deux anciens membres du Conseil constitutionnel[25] placent le sujet au cœur de l’actualité littéraire, peut-être, juridique, certainement. Pierre Joxe prend position publique sur des questions ayant fait l’objet de décisions de la part du juge de la rue Montpensier[26]. Il regrette qu’on l’ait invité à taire ses opinions différentes.

Il ne s’agit nullement de porter atteinte, par goût de la dispute, à l’imperium du juge. Il ne s’agit pas plus de faire mien l’enseignement d’Aristote, qui écrit que la fonction de la Réthorique doit avoir pour tâche de gagner l’adhésion d’un auditoire non spécialisé, des « auditeurs qui n’ont pas la faculté d’inférer par de nombreux degré et de suivre un raisonnement depuis un point éloigné. »[27] L’art du juge est difficile et la critique facile. Je pense avec M. le professeur Mouly que « l’hésitation que suscite le secret du délibéré doit être surmontée car l’opinion [du juge sur la délibération et/ou la motivation] ne révèle pas le délibéré ; elle révèle l’opposition d’arguments fondés. »[28] « Certains peuvent préférer maintenir un voile pudique sur le processus de fabrication des décisions au motif que dévoiler tous les mystères désenchanterait le public ; d’autres, préférer rendre public la confrontation des opinions au motif que la connaissance des débats est une condition de l’acceptation de la rationalité de la décision. »[29] J’opine en ce dernier sens.

Sur cette pente, je défendrai, en premier lieu, que le secret de la délibération doit être levé (pourquoi). Je présenterai, en second lieu, les modalités de la levée du secret de la délibération (comment). Vous l’avez compris, pourquoi, comment seront les deux temps de ma communication.

I.- Un secret de la délibération à lever (pourquoi)

On dit ordinairement que la valeur d’un principe se compte au nombre de ses exceptions. Le principe du secret de la délibération comptant, d’une part, nombre de défloraisons (A), il n’est plus de raison, d’autre part, de le maintenir (B).

A.- La défloraison du secret

États de la défloraison. La défloraison du secret est d’intensité variable. Tantôt, on feint de ne pas parler de la délibération. Tantôt, on se plait à parler de la délibération. Pour faire état des différents états de la défloraison, je verrai, d’abord, la défloraison par prétérition (1), ensuite la défloraison par expédition (2).

1) La défloraison par prétérition

Défloraisons du fait du « normateur ». En élevant le secret du délibéré au rang de principe général du droit, le Conseil d’État a réservé le cas où une exception formelle consacrée par la loi viendrait s’opposer à l’interdiction de divulguer une opinion séparée. Et bien, le législateur a autorisé, pour sa part mais sans le dire, qu’on déflorât, le secret en droit de l’arbitrage. Le juge s’est autorisé, pour la sienne, à déflorer, par prétérition, le secret en droit tout court.

Défloraison du fait du législateur. En droit de l’arbitrage, l’arbitre minoritaire est autorisé par la loi à ne pas signer la sentence, et ce sans préjudice de sa validité (C. pr. civ., art. 1473, al. 2). La nullité serait dangereuse en la matière, considère-t-on[30]. Se faisant, la personne qui siège dans le tribunal arbitral manifeste qu’elle n’approuve pas la sentence rendue par la majorité de ses collègues ; l’arbitre se désolidarise de l’opinion majoritaire. Étonnement, la plupart des auteurs considère que l’opinion séparée d’un arbitre est prohibée par le Code de procédure civile, en l’occurrence par l’article 1469, qui dispose que « les délibérations des arbitres sont secrètes »[31]. Mais, « l’arbitre qui rend publique une opinion particulière est-il plus reprochable que celui qui refuse sa signature »[32]? Je ne le pense pas. Le premier a en revanche le mérite d’expliciter son opinion séparée. Voilà une heureuse contribution au droit, à l’art du juste et du bien : « jus est ars aequi et boni » (Ulpien et Celse).

Pragmatique, la Cour d’appel de Paris considère du reste que « le secret du délibéré, qui n’est pas plus une cause de nullité de la sentence en droit international qu’en droit interne, ne fait (…) pas obstacle à l’expression d’opinions dissidentes ou séparées. »[33] C’est une litote. La formule négative – l’énonciation juridique – ne trompe pas : il s’agit d’une défloraison du secret du fait du juge, par prétérition. Il en une autre qui doit retenir l’attention.

Défloraison du fait du juge. La Cour de cassation pratique depuis plusieurs années, un marquage de ses arrêts. Ce marquage doctrinal est étroitement fonction de l’intérêt normatif de l’arrêt rendu. Le lecteur est ainsi avisé de la composition de la chambre et de la portée de la décision. Il est également informé des noms du rapporteur et de l’avocat général, ainsi que des noms des avocats en demande et en défense[34]. À l’analyse, pareilles informations participent à déflorer le secret de la délibération. En raison de la sophistication croissante du contentieux (ex eo quod plerumque fit), on constate une spécialisation des conseillers, qui donne au rapporteur une autorité importante, trop a-t-on écrit[35]. Pour les spécialisations étroites, le rapporteur est unique. Au fil des arrêts, les initiés sont en mesure de connaître la doctrine du rapporteur et d’apprécier sa portée sur la décision rendue. C’est particulièrement vrai s’agissant des arrêts rendus en formation simple de trois magistrats en matière civile (C. pr. civ., art. L. 431-1, al. 1er). Consciemment ou non, il se développe entre le rapporteur et la matière, un rapport de type « responsabilité-appropriation », écrit Guy Canivet. Partant, « chacun d’eux est ainsi en mesure de suivre de près la réception des arrêts par la doctrine, elle aussi spécialisée, et d’engager avec les auteurs, de manière plus ou moins étroite, directe et suivie – ou simplement implicite par publication interposées – une relation dialogique sur la pertinence des solutions. »[36] Mais voilà, on réserve la forme dialogique, propre à toute vraie communication, pour expliquer les conceptions qui sont à la fois assez importantes et assez mûries.

Ce désir d’explicitation, qui est du reste satisfait par la communication du rapport à la demande du lecteur, est topique d’une seconde forme de levée du secret de la délibération : la défloraison par expédition.

2) La défloration par expédition

Droits d’ici et d’ailleurs. La défloraison par expédition, qui consiste à faire ouvertement état de la délibération, est pratiquée tant en droit interne qu’en droit comparé.

Droit interne. En droit interne, on doit la levée du secret de la délibération aux politiques de promotion des décisions juridictionnelles rendues par la Cour de cassation, le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel. Si elles sont heureuses parce qu’elles satisfont à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit[37], elles s’avèrent être malheureuses pour les zélateurs du secret de la délibération. C’est que la ligne de fracture est ténue entre information et confession. Les communiqués de presse publiés (sur support papier ou électronique) par les cours régulatrices, en l’occurrence par le Service de documentation et d’études de la Cour de cassation (SDE) ou par le Centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’État, et les panoramas de jurisprudence rédigés par des conseillers référendaires prouvent trop. Certes, bon nombre ajoutent peu au texte de l’arrêt et s’assurent seulement de la bonne compréhension de la portée des arrêts rendus. De ce premier point de vue, ils ont une fonction pédagogique d’information et de vulgarisation[38]. Mais, il en est d’autres qui explicitent la motivation, voire y ajoutent, en signalant par exemple les raisons qui ont justifié le choix d’une interprétation[39]. De ce second point de vue, ils ont une fonction scientifique d’interprétation. À l’occasion de la publication de la première « chronique de la Cour de cassation » au Recueil Dalloz (2007, n° 13), il est écrit en propos liminaires que « l’objectif de cette chronique est d’éclairer le sens de certaines décisions, de révéler les influences extérieures qui ont pu éventuellement conduire à adopter telle ou telle solution, d’identifier à travers elles les lignes directrices de la jurisprudence de la Cour régulatrice. »[40] Le juge n’entend décidément pas être mis au secret. Dans le dessein de faire comprendre, et non de faire croire, il use à l’envie des supports de communication[41]. Le juge sait publier, consciemment ou non, des opinions dissidences dans les notes sous arrêts proposées dans le Bulletin d’information des arrêts de la Cour de cassation[42]. Le juge défend que la publication du rapport du conseiller, et dans une mesure moindre la publication des moyens de cassation, est un « élément précieux pour comprendre la ratio decidendi d’une jurisprudence », qu’il est « un moyen d’éclairer la solution finalement rendue et de comprendre le raisonnement suivi par l’arrêt dont la motivation cursive ne rend pas nécessairement compte (…)[43] Le juge s’évertue à commenter ses décisions, dans les revues et les mélanges[44], bravant, s’agissant à tout le moins des conseillers de la Cour de cassation, la défense itérative du président Truche[45]. Le juge fait œuvre de doctrine dans ses rapports annuels d’activité à l’occasion desquels les débats sont révélés ainsi que les influences juridiques et extra-juridiques[46] qui ont conduit à l’arrêt. Et il y a mieux ou pire, c’est selon. À l’expiration d’un délai de 25 ans, la loi autorise la publication du compte rendu des séances du Conseil constitutionnel, rédigées par son secrétaire général[47]. Qu’est-ce que cette pratique sinon une violation éclatante, mais à rebours, du secret de la délibération ?

Droit comparé. La pratique des opinions séparées est répandue en droit conventionnel et dans les droits étrangers. Et on n’entend aucun crie d’orfraie. L’idée ne viendrait à personne de soutenir que les juges de Strabourg ou que leurs homologues ordinaires de Santiago du Chili ne sont pas indépendants. Mais comparaison n’est pas raison. Aussi je n’en dirai pas plus. Et puisqu’il s’agit de raison. Il importe à présent, avec prudence, de faire état des déraisons du secret.

B.- Les déraisons du secret

Le secret ne me paraît pas être frappé au coin…de la raison, à tout le moins tel qu’on l’appréhende classiquement. En consacrant le secret de la délibération, il semble, à la réflexion, que le législateur ait eu pour intention première d’interdire aux juges et arbitres de délibérer en présence des parties ou des tiers et de proscrire que celui qui n’opine pas dans le sens de ses pairs ne révèle les positions prises en conscience par chacun d’eux. Au soutient de cette thèse, j’invoquerai l’absence de nullité textuelle de la décision en cas de défloraison du secret[48]. J’ai bien conscience en disant cela de réduire notablement la portée du secret, à tout le moins sa portée théorique. Car, en pratique, ladite portée est réduite à une portion congrue mais ramassée à sa quintessence.

L’exception du secret de la délibération n’emporte pas la conviction. Je ne suis ni convaincu que le silence observé sur les motifs des motifs garantisse l’autorité du jugement, ce que j’exposerai d’abord (1), ni qu’il participe de la sécurité juridique, ce que présenterai ensuite (2).

1) Autorité du jugement

On dit que l’autorité du jugement serait garantie par le secret de la délibération, lequel protégerait par ailleurs l’indépendance du juge[49]. En disant cela, il semble que l’on confonde autorité – auctoritas – et pouvoir – postestas. – Auctoritas vient d’augere, qui veut dire augmenter. « Elle est ce supplément d’âme qui anime et intensifie un pouvoir »[50], en l’occurrence le pouvoir du juge de trancher le litige (C. pr. civ., art. 12). En somme, l’autorité du jugement ne saurait être exclusivement organique ou institutionnelle. Le statut du locuteur ne confère pas ipso facto son autorité à un énoncé[51]. S’il importe au juge de déclarer publiquement, au nom du peuple français (C. pr. civ., art. 454), laquelle des prétentions en conflit est justifiée ; il importe tout autant qu’il expliquât au justiciable, quand même serait-il juge de cassation, les raisons de tous ordres pour lesquelles ce dernier subit, tant d’un point de psychologique et social qu’économique, les conséquences coûteuses de sa défaite[52]. Si l’on accorde qu’« une décision de justice ne puise sa rationalité que dans la confrontation des arguments qui l’a fait naître (…), alors on conviendra que la connaissance des débats est une condition de l’acceptation de la rationalité de la décision. »[53] En ce sens, un assistant à la Cour constitutionnelle d’Allemagne écrit que « l’opinion dissidente transfère les raisons de respecter une décision de justice de l’autorité institutionnelle à la qualité du raisonnement. »[54] Et un conseiller à la Cour de cassation d’affirmer que « l’opinion dissidente renforce l’indépendance du juge, en la rendant plus visible, plus éclatante. »[55]

La levée du secret concourt à l’acceptation par le justiciable de la décision. Elle renforce encore la motivation, laquelle est du reste un droit du justiciable[56].

En droit conventionnel, l’opinion séparée participe de la motivation des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Le titrage de l’article 45.2 de la convention est en ce sens (in « Motivations des arrêts et décisions »). On peut affirmer avec d’autres que : « la pression que représente l’éventualité de la publication d’opinions dénonçant l’insuffisance de l’argumentation de la majorité entraîne une motivation mieux étayée »[57] (fonction préventive de la « levée » du secret de la délibération). Pour cause : « pour contredire un adversaire ou un partenaire, il faut trouver un argument de rang plus élevé que les siens. »[58] Source vivifiante du droit, l’exposé et la critique du donné comme du construit promettent un foisonnement de concepts et de solutions juridiques inédites[59] (fonction curative de la « levée » du secret de la délibération). Ils sont annonceurs d’une ingénierie juridique au service du beau droit, « celui seul reçu (accipitur) par le bon peuple pour tenir lieu de vérité (pro veritate). »[60]

En disant cela, j’entends bien les critiques formulées par les opposants à la levée du secret de la délibération. Mais les prédictions de grands troubles dans la force de la jurisprudence ne convainquent pas. Je pense au contraire que l’exposé ou la critique de la délibération et/ou de la motivation participent de la sécurité juridique.

2) Sécurité juridique

Prévention. Si l’on s’accorde pour dire que la décision rendue par le juge est spéciale et relative, il est suffisamment su que quelques autres, rendues par la Cour de cassation et le Conseil d’État, voire par une cour administrative d’appel[61], ont une portée générale et absolue. Il est des circonstances dans lesquelles l’article 5 du Code civil est tacitement abrogé, sur le commandement exprès, au demeurant, de l’article 4 du Code civil. Ces décisions concourent à la formation d’une jurisprudence normative[62]. Comme le discours législatif, le discours juridictionnel comporte des énoncés[63]. On nombre des « normateurs », il importe donc de compter le législateur (interne et communautaire) et le juge[64]. Caractérisé par sa finitude, le droit est en perpétuel changement : vingt fois sur le métier, l’ouvrage doit être remis. L’encre de la loi de sauvegarde des entreprises est à peine sèche qu’elle a déjà été modifiée et vient de l’être une énième fois[65]. Aussi, l’on doit pouvoir préparer les revirements de jurisprudence comme on prépare les changements de législation[66]. La jurisprudence est la science des prudents. Mais l’invention d’un droit transitoire prétorien, à laquelle on songe spontanément, n’est pas sage[67]. Si l’on ne saurait discuter qu’un pareil droit assure la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est la bonne administration de la justice, laquelle exige que soit évitée une application erratique, due à l’impréparation, de règles nouvelles de procédure, il n’en reste pas moins que l’application dans le temps de la jurisprudence prive le demandeur au pourvoi, qui seul a porté le poids de l’aléa judiciaire, du bénéfice des efforts intellectuels et matériels déployés pour corriger le droit positif[68]. Aussi bien la sentence populaire, qui commande de prévenir plutôt que de guérir, a-t-elle tout son sens en la matière. La levée du secret du délibéré a une fonction prophylactique. Elle évite, au moins pour partie, ce qui n’est pas rien, les heurts et malheurs de la modulation dans le temps de la jurisprudence[69]. Et ce n’est pas là sa seule qualité. Je crois qu’elle est de nature à endiguer la processivité.

Processivité. « Moins on est apte à maîtriser la ratio decidendi, et donc à présenter les grandes articulations d’une question, plus les plaideurs sont invités à tenter leur chance »[70]. La partie qui défaille doit recevoir une explication de nature à panser ses blessures. Des arrêts peu argumentés manquent à leur objectif fondamental d’apaisement des conflits. Les cours régulatrices le savent bien. C’est la raison pour laquelle elles intensifient leurs efforts pour expliciter le sens de leurs décisions. C’est louable mais peu profitable, car la motivation est à rebours, en dehors de l’arrêt. Or, « les échanges entre magistrats [écrit le président Tricot] enseignent que, dans les juridictions d’autres pays ou les juridictions internationales qui publient les opinions dissidentes, cette pratique n’a pas pour effet d’affaiblir la décision ou de provoquer des tentations de remise en cause de la règle retenue : elle constitue davantage une manière commode de faire savoir que tous les points en débat ont été examinés. »[71]

Pour toutes les raisons précédemment évoquées, et je ne prétends aucunement à l’exhaustivité, le secret de la délibération doit être levé. Mais défendre que la connaissance du donné est parée de mille atours est une chose. Évoquer les modalités de la levée du secret de la délibération en est une autre. C’est ce qu’il importe à présent d’envisager.

II.- La levée du secret de la délibération (comment)

Deux séries de considération président à la levée du secret de la délibération. Ce sont, d’une part, les moyens d’agir (A). C’est, d’autre part, la qualité pour agir (B).

A.- Les moyens d’agir

Le possible. L’exposé critique des moyens d’agir commande que les champs du possible soient, d’abord, explorer (1). Chose faite, il s’agira, ensuite, de préciser les conditions du possible (2).

1) Les champs du possible

Les champs du possible sont riches, ils n’attendent qu’à être cultivés. Le juge en a, du reste, pleinement conscience. On l’a dit de façon incidente. Le secret de la délibération peut être levé a minima ou/et a maxima.

A minima, la formation collégiale de jugement pourrait faire mention du partage des voix. Le lecteur, au nombre desquels on compte, primus inter partes, le perdant, pourrait tirer enseignement de ce que l’arrêt a été rendu à l’unanimité ou à une majorité qualifiée. La processivité découragée, par hypothèse, on pourrait augurer un endiguement du contentieux, par voie de conséquence. A minima, encore, la juridiction pourrait expliciter davantage les principes posés et les justifications des choix opérés[72]. En l’état, la brièveté des décisions de la Cour de cassation, laquelle, au passage, est un marqueur structurel critiquable de souveraineté[73], brouille le signal. On pourrait ainsi satisfaire pleinement aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, par le passé, a attiré l’attention de la France sur les modalités d’exécution de l’obligation de motivation[74]. A minima, enfin, la cour pourrait systématiser la publication des rapports des conseillers, conclusions des avocats généraux et moyens des parties. On pourrait ainsi mettre un terme à une diffusion erratique des travaux préparatoires de la décision.

A maxima, il s’agit de consacrer la pratique des opinions séparées[75]. J’entends bien les réserves qu’inspire ce dispositif. Mais je ne pense pas qu’en les pratiquants le juge minoritaire sombre du côté obscure de la force[76]. On aura garde de noter que l’opinion n’est pas nécessairement divergente. Elle peut tout à fait être concordante. En cette occurrence, le juge minoritaire partage la solution retenue mais pas le fondement[77]. L’opinion séparée est un discours sur le droit. À ce titre, elle relève de l’ordre du descriptif et n’a, par voie de conséquence, aucun degré de normativité. Autrement dit, ce métalangage (langage qui porte sur un langage) n’est pas performatif ; il ne comporte aucun énoncé déontique[78]. Il n’y a pas lieu de craindre une confusion de genres et une déqualification de la décision. Mutatis mutandis, la loi ne perd pas de son prestige pour la seule raison que des opinions minoritaires ont été émises publiquement à l’occasion de la délibération parlementaire (examen en commission puis discussion publique)[79]. Dans le mesure où les cours régulatrices interprètent la loi, voire la réécrivent, et je songe tout particulièrement à la réforme du recours des tiers payeurs[80], je ne vois pas de raison dirimante d’interdire à la Cour de cassation, au Conseil d’État ou au Conseil constitutionnel d’émettre une opinion minoritaire. Une décision de justice « n’est pas l’énoncé d’une vérité, mais l’expression d’un choix qui a donné lieu à des échanges argumentatifs[81]. » Il ne me paraît pas scandaleux que le juge s’en justifiât[82].

Dans sa dénonciation, en toute ou partie de l’opinion majoritaire, l’opinion séparée peut être rapprochée de la réthorique arisotélicienne qui est l’art de rechercher, dans toute situation, les moyens de persuasion disponibles[83], encore que l’exercice de cet art suppose réunies un certain nombre de conditions.

2) Les conditions du possible

Les conditions du possible sont de deux ordres. La levée du secret de la délibération suppose satisfaites une condition organique et une condition fonctionnelle, d’importance inégale.

Condition organique. La pratique des opinions séparées suppose nécessairement l’existence d’un organe pluridisciplinaire et l’absence d’un consensus. c’est un truisme que de l’affirmer. Si l’on considère que dans bien des cas le juge unique tend à supplanter la formation collégiale[84], et le nombre limité de places offertes aux derniers concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature est topique, les réserves traditionnellement formulées peuvent raisonnablement être tempérées[85].

Condition fonctionnelle. Si la levée du secret du délibéré présente nombre de vertus, elle est porteuse de vices apparents et de vices cachés. À peine d’empêcher matériellement le juge de tirer profit des moyens d’agir envisagés, il importe de les garantir.

Au nombre des vices apparents, on songe spontanément au coût que représente pour les chefs de cours la politique de promotion des décisions juridictionnelles. Mais ceci n’est peut-être pas insurmontable en raison des possibilités de diffusion en ligne. Le coût est plutôt d’une toute autre nature. Il participe du reste des vices cachés. Les moyens listés, à l’exception notable de la mention du partage des voix, sont chronophages. Or le temps c’est de l’argent. Les diligences supplémentaires observées par les juridictions allongeront nécessairement le délai de traitement des saisines. Partant, elles risquent de rendre l’État justiciable d’une action en responsabilité pour organisation défectueuse de son service public de la justice. Mais, ce vice n’est peut-être pas rédhibitoire, à tout le moins je ne veux pas le croire. Il en est un autre, en revanche, dont il faut se garder.

Une étude quantitative des opinions dissidentes au Canada fait état d’opinions exprimées en plus de 80 pages[86]. Au vu du contentieux que les juridictions françaises sont amenées à connaître, et du droit qu’a le justiciable à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, c’est proprement impraticable. On pourrait alors songer à autoriser le juge minoritaire à faire publiquement part de sa dissidence, mais à la double condition qu’il publie une courte note, et qu’il la soumette, aux fins de contrôle formel, au président de chambre ou du conseiller-doyen.

Cette dernière considération doit à présent retenir l’attention ; elle a partie liée avec la qualité pour agir.

B.- La qualité pour agir

La qualité pour agir c’est, d’abord, le droit d’agir (1), ensuite, la faculté d’agir (2).

1) Le droit d’agir

S’agissant du droit d’agir, on peut avoir deux dispositions d’esprit : être libertaire ou liberticide.

Libertaire, on autorise n’importe quel juge, quel que soit son grade ou son rang, à déflorer le secret de la délibération. En théorie, le risque est grand, pour reprendre les mots du Doyen Vedel, que « la lente élaboration du consensus, qui préside à un grand nombre de décisions, soit sacrifiée au désir sportif bien humain, et bien français, de signer de son nom l’exploit du jour (…). »[87] En pratique, le risque est faible. Les magistrats, en sous-nombre, me paraissent bien trop occupés par leurs dossiers, en surnombre, et préoccupés par leurs conditions de travail, pour prendre le temps de pratiquer ledit sport.

Liberticide, primo, on réserve la publication d’opinions séparées aux conseillers des cours régulatrices ; secundo, on la limite aux pourvois posant une question juridique majeure (dans son principe et/ou ses effets) ou une question de société ; tertio, on réserve la pratique d’un pareil dispositif aux décisions rendues en plénière de chambre ou en formation solennelle.[88]

Le choix entre les deux branches de l’alternative n’est pas binaire ; il est étroitement dépendant du moyen d’agir mis en œuvre. Si l’on peut autoriser une défloraison à large spectre (ratione personae), mais a minima (ratione materiae) du secret de la délibération, il paraît plus prudent d’interdire une défloraison a maxima (ratione materiae) et tous azimuts (ratione personae) dudit secret. Au nombre des raisons sus-évoquées, il faut ajouter, entre autres, l’utilité discutable de ce dernier dispositif pour les justiciables des juridictions du fond. En raison du contrôle de légalité exercé par les cours régulatrices, les tribunaux et cours d’appel sont invités à soigner la motivation de leurs décisions respectives. Partant, le perdant est généralement en mesure de mieux saisir la ou les raisons qui justifient qu’il ait été débouté.

2) La faculté d’agir

Quant à la faculté d’agir, si l’on ne saurait contraindre un juge à pratiquer a maxima la levée du secret de la délibération, on doit pouvoir imposer aux cours régulatrices de lever a minima le secret de la délibération. La communication du rapport du conseiller-rapporteur aux parties y participe d’ores et déjà.

Vox clamantis in deserto? J’ai un doute légitime. Il peut pour partie être levé si l’on veut bien considérer la fonction duale des cours régulatrices. La Cour de cassation et le Conseil d’État ont une fonction de censeur et de normateur. En qualité de censeurs, le juge du Quai de l’Horloge et son homologue de la place du Palais Royal contrôlent la légalité des décisions prises par les juridictions inférieures. En qualité de « normateurs », ils inventent le droit. Si l’on peut opposer quelques arguments à la levée du secret de la délibération en contemplation de la fonction correctrice exercée par nos hautes juridictions, je ne vois plus d’empêchement à la levée du secret de la délibération en raison de l’exercice de leur fonction créatrice[89], sauf alors à la nier…

Voix de celui qui crie dans le désert ? Peut-être. Je reste en tout état de cause soulagé d’avoir pu faire part du secret de ma délibération.

[1] Contribution au colloque “La délibération” publiée à la Revue Procédures, 2010/3, étude n° 6.[2] V. N. Cayrol, La notion de délibération, rapport introductif.

[3] En ce sens, P. Deumier, Les « motifs des motifs » des arrêts de la Cour de cassation. Étude des travaux préparatoires, mél. J.-F. Burgelin, Dalloz 2008, p. 125. V. égal. F. Zénati-Castaing, Les motivation des décisions de justice et les sources du droit, D. 2007, p. 1553.

[4] V. égal. J.-M. Varaud, Secret et transparence, Gaz. Pal. 14 sept. 2002, n° 252.

[5] Trésor de la langue française informatisée, v° Désir.

[6] D. Rousseau, Une opinion dissidente en faveur des opinions dissidentes, Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 8, 2000, p. 113, spéc. p. 114.

[7] J.-P. Ancel, L’officieux et le non-dit dans le jugement in Les méthodes de jugement, 3ème conférences, mars 2005, www.courdecassation.fr V. égal. en ce sens, S. Daël, Contentieux administratif, 2ème éd., PUF, 2008, p. 206 : « Tabernacle qui protège l’indépendance du juge » ; J.-P. Dumas, Dictionnaire de la justice, ss. dir. L. Cadiet, PUF, 2004, v° Délibéré. Cmp J.-P. Dumas, Secret de juges, mél. P. Catala, Litec, 2001, p. 179.

[8] G. Wiederkehr, Qu’est-ce qu’un juge, mél. R. Perrot, Dalloz, 1996, p. 575, spec. p. 584.

[9] V. not. en ce sens, J.-L. Aubert, De quelques risques d’une image troublée de la jurisprudence de la Cour de cassation, mél. P. Drai, Dalloz, 2000, p. 7, spéc. p. 8.

[10] V. la mise en garde de Faustin Hélie (Traité de l’instruction criminelle) sur les conséquences qui découleraient d’une divulgation du contenu des délibérations : « Ne serait-ce pas (…) dépouiller à la fois le juge de sa dignité et le jugement de sa force ? » (cité par W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, mél. B. Genevois, Dalloz, 2009, p. 736. V. égal. en ce sens, F. Luchaire et G. Vedel, Contre la transposition des opinions dissidentes en France, Le point de vue de deux anciens membres du Conseil constitutionnel, Cahiers du Conseil constitutionnel, 2000, n° 8, pp. 111, 112.

[11] En ce sens, R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13ème éd., Montchrestien, 2008, n° 1170.

[12] Serment des juges professionnels : Ord. 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, art. 6.  Serment des juges non professionnels : v. not. C. com., art. L. 722-7, al. 1er (juges consulaires) ; C. trav., art. D. 1442-12 (conseillers prud’homaux) ; C. sécu. soc., art. L. 143-2-1, al. 2 (assesseurs des tribunaux du contentieux de l’incapacité) C. sécu. soc., art. L. 143-7 et R. 143-17, al. 3 (assesseurs de la cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail) ; C. rur., art. L. 492-4, al. 2 (assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux) ; C. proc. pén., art. 304 (jurés d’assises). Serment des « juges » constitutionnels : ord. n° 58-1067 du 7 nov. 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 3, al. 1er.

[13] C. pr. civ., art. 448 : « Les délibérations des juges sont secrètes » ; C. justice adm., art. 8 : « Le délibéré des juges est secret ». Cmp D. n° 59-1292 du 13 nov. 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel, art. 1 : « Les membres du Conseil constitutionnel ont pour obligation générale de s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leurs fonctions. »

[14] Ord. 22 déc. 1958, art. 6.

[15] C. pén., art. 226-13.

[16] G. Canivet, Comprendre le délibéré ou les mystères de la chambre du conseil, mél. S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 217

[17] Cass. Crim., 9 juin 1843, D. 1843, p. 718.

[18] Seule entorse relevée à cette tradition : Constitution 24 juin 1793 (inappliquée), art. 94, in limine : « Ils (les arbitres publics et les juges de paix – juges élus tous les ans –) délibèrent en public. – Ils opinent à haute-voix. – (…) ». Le constituant entendait, dans le droit intermédiaire, organiser un contrôle politique sur le fonctionnement des juridictions. Pour ce faire, la propriété des offices de judicature est supprimée (loi 16-24 août 1790 ; v. not. E. Garsonnet, Traité théorique et pratique de la procédure, t. 1, 2ème éd., Paris, 1898, §103, p. 187). En raison des « altercations scandaleuses » qui se produisirent entre le public et les juges (É. Glasson, Précis théorique et pratique de procédure civile, t.1, Paris, 1902, pp. 348-359), le secret sera rétabli par l’article 208 de la Constitution du V fructidor an III (22 août 1795) : « Les séances des tribunaux sont publiques ; les juges délibèrent en secret ; les jugements sont prononcés à haute voix ; ils sont motivés, et on y énonce les termes de la loi appliquée ». V. not. sur l’histoire du secret du délibéré, Cl. Bouglé, Au cœur des traditions mystérieuses de la Cour de cassation, D. 2006, p. 1991 ; W. Mastor, opinions séparées des juges constitutionnels, préf. M. Troper, Économisa, 2005, nos 199 et s. – Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., pp. 728-730 ;

[19] Neuf ans au Conseil constitutionnel, Le débat, 1982, n° 55 cité par W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., p. 735.

[20] CE, 17 nov. 1922, Léguillon, Rec. p. 849 ; J.-C. Bonichot, P. Cassia et B. Poujade, Grands arrêts du contentieux administratif, 2ème éd., Dalloz, 2009, n° 63, p. 1051.

[21] Recueil, art. e.11 in La dignité de la personne : « En audience collégiale, le président anime le délibéré ; chaque magistrat dispose d’une voix et se plie à la décision de la majorité. L’anonymat que confère le secret du délibéré et qui interdit toute recherche de responsabilité individuelle, n’autorise pas d’abus d’autorité de la part d’un magistrat ». Principes, art. 2.2 in La dignité et l’honneur : « Le juge s’abstient de formuler des commentaires sur ses décisions, même si celles-ci sont désapprouvées par les médias ou la doctrine, ou encore si elles sont réformées. Son mode d’expression est la motivation de ses décisions. »

[22] A.-J. Arnaud, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème éd., L.G.D.J., 1993, p. 551. V. égal. V. Lasserre-Kiesow, La vérité en droit civil, D. 2010, p. 907.

[23] Cour EDH, règlement, art. 3.1 (article inchangé depuis 18 sept. 1959) : « je jure – ou je déclare solennellement – que j’exercerai mes fonctions de juge avec honneur, indépendance et impartialité et que j’observerai le secret des délibérations. »

[24] Conv. EDH, règlement, art. 45, al. 2 (in de la motivation) : « Si l’arrêt n’exprime pas en tout ou en partie l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre l’exposé de son opinion séparée. » À noter toutefois que l’argument prouve peu. La nature internationale de cette juridiction limite la pertinence du raisonnement par analogie, voire l’interdit ; la Conv. EDH est irréductible aux juridictions de droit interne.

[25] D. Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, NRF Essais, 2010, spéc. pp. 298 et s. ; P. Joxe, Cas de conscience, éditions Labor et Fides, 2010.

[26] D. n° 59-1292 du 13 nov. 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel, art. 2, al. 1er : « Les membres du Conseil constitutionnel s’interdisent en particulier pendant la durée de leurs fonctions : De prendre aucune position publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire l’objet de décisions de la part du Conseil. »

[27] Rhétorique, Gallimard, 2003, Livre I, 1-Définition de la rhétorique, spéc. n° 1357 a, p. 25.

[28] Ch. Mouly, Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles, Petites affiches, 18 mars 1994, n° 33, spéc. n° 18.

[29] D. Rousseau, Une opinion dissidente en faveur des opinions dissidentes, op. cit., p. 114.

[30] CA Paris, 1ère ch. suppl., 19 mars 1981, Rev. arb. 1982, p. 84, note J. Viatte, cité par J.-D. Bredin, Le secret du délibéré arbitral, mél. P. Bellet, Litec, 1991, p. 71, spéc. n° 9.

[31] En ce sens, J.-D. Bredin, Le secret du délibéré arbitral, op. cit., n° 10. V. égal.. Loquin, JurisClasseur Procédure civile, fasc. 1042 : Arbitrage, Sentence arbitrale, 1996, n° 24 ; fasc. 1015 : Arbitrage, L’arbitre, mars 2009, n° 97.

[32] J.-D. Bredin, Le secret du délibéré arbitral, op. cit., n° 12, p. 80.

[33] CA Paris, 9 oct. 1998, Rev. arb. 2008, p. 843, cité par É. Loquin, JurisClasseur Procédure civile, fasc. 1015 : Arbitrage, L’arbitre, op. cit., n° 97.

[34] Cette dernière mention, qui associe en quelque sorte les avocats aux Conseils à la décision ou à l’arrêt rendu, atteste également que les conditions de la loi sur la représentation en justice ont été observées.

[35] En ce sens, M.-N. Jobard-Bachelier et X. Bachelier, La technique de cassation, 7ème éd., Dalloz, 2010, n° 5. V. égal. É. Baraduc, L’organisation interne de la Cour de cassation favorise-t-elle l’élaboration de sa jurisprudence ? in La Cour de cassation et l’élaboration du droit, ss. dir. N. Molfessis, Economica, 2004, p. 33, spéc. nos 5, 6.

[36] Le mécanisme de décision de la Cour de cassation. Pour une ethnographie à écrire d’une autre fabrique du droit, mél. B. genevois, Dalloz, 2009, p. 149, spéc. n° 29.

[37] Cons. const., décision n° 99-421 DC du 16 déc. 1999 ; directive 2003/98/CE du 17 déc. 2003 (au nombre des instruments essentiels pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie, on doit compter la jurisprudence).

[38] P. Deumier, Les communiqués de la Cour de cassation : d’une source d’information à une source d’interprétation, RTD Civ. 2006, p. 510.

[39] P. Deumier, Les communiqués de la Cour de cassation, op. cit., eod. loc. V. égal. R. Encinas de Munagorri, Faut-il annoncer un revirement de jurisprudence par voie de presse ? Propos sur l’autorité du président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, RTD Civ. 2004, p. 590.

[40] A. Lacabarats, Chronique de la Cour de cassation, D. 2007, pp. 889-891. À ce jour, 17 chroniques ont été publiées. Ledit propos liminaire donne à penser. On ne sait pas bien à qui l’imputer : au directeur du SDE ou au rédacteur en chef du Recueil. Si c’est le fait de la rédaction, et si l’on considère que, en toute hypothèse, le premier a donné son imprimatur au second, il est permis d’inférer que les vues du rédacteur sont partagées par le directeur.

[41] V. not. A. Perdriau, Les publications de la Cour de cassation, Gaz. Pal. 04 janv.  2003, p. 2.

[42] P. Deumier, Les notes au BICC : d’une source d’information à une source d’interprétation pouvant devenir source de confusion (note sous Cass. Ass. plén., 6 oct. 2006), RTD Civ. 2007, p. 61.

[43] G. Canivet, Le mécanisme de décision de la Cour de cassation. Pour une ethnographie à écrire d’une autre fabrique du droit, op. cit., spéc. n° 41.

[44] C’est particulièrement le cas des conseillers d’État, dont les arrêts sont par ailleurs moins lapidaires que ceux de la Cour de cassation (v. L. Teresi, Remarques sur la lecture des arrêts de cassation du Conseil d’État, RFDA 2010, p. 99). V. not en ce sens les commentaires publiés aux mélanges en l’honneur de B. Genevois.

[45] Dans une circulaire datée de 1998, le premier président Truche rappelle les membres de la Cour de cassation à leurs obligations déontologiques dans le dessein de faire cesser les commentaires publiés par certains hauts magistrats dans les revues juridiques laissant apparaître leur avis (citée par G. Canivet, Le mécanisme de décision de la Cour de cassation. Pour une ethnographie à écrire d’une autre fabrique du droit, op. cit., spéc. n° 20).

[46] C. Charbonneau, Le rapport annuel de la Cour de cassation a 40 ans, Lamy Droit civil 2008. 49 ; Y Aguila et Ph. Waquet, L’officieux et le non-dit dans le jugement in Les méthodes de jugement, 3ème conférence, mars 2005, www.courdecassation.fr

[47] C. patrim., art. L. 213-2 sur renvoi D. 2009-1123 du 17 sept. 2009 rel. aux archives du Conseil constitutionnel, art. 3, al. 2 (60 ans à l’origine). V. Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2009. À noter que le Conseil d’État fait établir un compte rendu des délibérations. Consultable par les seuls membres de la cour administrative suprême. Pour l’heure, il est encore confidentiel.

[48] L’article 448 C. pr. civ. ne mentionne pas parmi les cas de nullité du jugement la violation du secret du délibéré (v. égal. C. pr. civ., art. 1480 s’agissant de la nullité de la sentence arbitrale). Pour autant, la doctrine processualiste la plus autorisée professe que la nullité pourra toujours être prononcée si l’on admet qu’il puisse exister des causes de nullité fondées sur les principes généraux (v. not. en ce sens S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, 30ème éd., Dalloz, 2010, n° 1044).

[49] V. supra n° 4.

[50]S. Kernéis, Dictionnaire de la culture juridique, ss. dir. D. Alland et S. Rials, Lamy-PUF, 2003, v° Autorité.

[51] Contra D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit, O. Jacob, 1997, p. 168. L’auteur précise : « en valeur absolue, il faut également prendre en compte que cette autorité dépend aussi de la prétention du locuteur de l’exercer » (p. 168, note 8).

[52] En ce sens, G. Canivet, Comprendre le délibéré, op. cit., n° 26. Cela s’impose avec d’autant de force plus lorsque la Cour de cassation rend un arrêt de rejet. Mais, ce faisant, elle s’expose aux critiques de la Cour européenne des droits de l’homme.

[53] D. Rousseau, Une opinion dissidente en faveur des opinions dissidentes, op. cit. Cmp. P. Drai, Le délibéré et l’imagination du juge, mél. R. Perrot, Dalloz, 1996, p. 107, spéc. 118 : « [le juge] ne doit plus se considérer comme satisfait s’il a pu motiver sa décision de façon acceptable. Il lui faut se surpasser et rechercher si cette décision sera tenue pour juste ou, du moins, raisonnable et, en plus, acceptable pour les parties. »

[54] Ch. Walter, La pratique des opinions dissidentes en Allemagne in Contributions au débat sur les opinions dissidentes dans les juridictions constitutionnelles, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8, 2000, p. 81. V. égal. W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., p. 738.

[55] J.-P. Ancel, L’officieux et le non-dit dans le jugement, op. cit.

[56] S. Gjidara, La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles, Petites affiches 26 mai 2004, n° 105, p. 3.

[57] W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., p. 740.

[58] M. Troper, Faut-il réformer le Conseil constitutionnel (table ronde) in Le Conseil constitutionnel a 40 ans, Journées des 27- 28 oct. 1998, L.G.D.J., 1999, p. 191.

[59] Cl. L’heureux-Dubé in Contributions au débat sur les opinions dissidentes dans les juridictions constitutionnelles, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8, 2000, p. 85 ; W. Mastor Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 597 et s.

[60] J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, 27ème éd., 2002, PUF, n° 192. À noter que le Doyen Carbonnier parle formellement de la chose jugée.

[61] V. en ce sens, O. Sabard, La hiérarchisation de la jurisprudence, Revue Lamy droit civil, 2009, p. 61. V. égal. Ph. Théry, La jurisprudence des cours d’appel et l’élaboration de la norme in La Cour de cassation et l’élaboration du droit, ss. dir. N. Molfessis, Économisa, 2004, p. 129.

[62] F. Zénati, La nature de la Cour de cassation, BICC n° 575, 15 avr. 2003. Adde Th. Rrevet, La légisprudence, mél. Ph. Malaurie, Defrénois, 2005, p. 377.

[63] W. Mastor, Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., n° 86.

[64] V. égal. en ce sens, J. Monéger, La maîtrise de l’inévitable revirement de jurisprudence : libres propos et images marines, RTD Civ. 2005, p. 323). L’auteur préfère l’expression de « jurislateur ».

[65] La loi n° 2010-1249 du 22 oct. 2010 de régulation bancaire et financière introduit dans notre droit des procédures collective une variante de la procédure de sauvegarde : la procédure de « sauvegarde financière accélérée » (art. 57 et 58 de la loi ; C.com., art. L. 628-1 à L. 628-7 en vigueur à compter du 1er mars 2011).

[66] V. égal. en ce sens, Ch. Mouly, Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ?, Petites affiches 04 mai 1994, n° 53, spéc. nos 4, 7.

[67] V. sur cette question, Les revirements de jurisprudence, rapport ss. dir. N. Molfessis, Litec, 2005 ; B. Seiller, La modulation des effets dans le temps de la règle prétorienne. Tentative iconoclaste de systématisation, mél. B. Genevois, Dalloz, 2009, p. 977.

[68] V. topiquement Cass. crim., 19 oct. 2010 (3 arrêts), FP, à paraître au bulletin. En l’espèce la Chambre criminelle de la Cour de cassation dénonce la non conventionalité de la garde à vue (sur le fondement de l’article 6§1 Conv. EDH), mais reporte dans le temps l’application de sa jurisprudence au 1er juillet 2011 et s’en explique dans un communiqué publié sur son site Internet.

[69] J. Monéger, La maîtrise de l’inévitable revirement de jurisprudence : libres propos et images marines, op. cit.

[70] R. Libchaber, Retour sur la motivation des arrêts de la Cour de cassation et le rôle de la doctrine, RTD Civ. 2000, p. 679.

[71] D. Tricot, L’élaboration d’un arrêt de la Cour de cassation, JCP G. 2004, I, 108, n° 23.

[72] Mais ce n’est pas à l’ordre du jour, dixit l’ancien président du SDE (D. 2007, p. 891).

[73] V. not. J. Ghestin, L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, D. 2004, p. 2239, spéc. nos 7-19. Cmp supra n° 19.

[74] V. not. J. Ghestin, L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, ibid., n° 14. Cmp. S. Gjidara, La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles, Petites affiches 26 mai 2004, p. 3, spéc. nos 43-51.

[75] V. sur l’objet de la réforme, W. Mastor, Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 366 et s. Il n’est que de songer aux divergences de jurisprudence au sein même de la Cour de cassation.

[76] V. not. en ce sens, J.-F. Burgelin, Les petits et les grands secrets du délibéré, D. 2001, p. 2755 ; P. Truche, Juger, être jugé. Le magistrat face aux autres et à lui-même, éd. Fayard, 2001, p. 156.

[77] W. Mastor, , Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 8 et s.

[78] W. Mastor, , Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 58 et s. ; 92 – Point de vue scientifique sur les opinions séparées des juges constitutionnels, D. 2010, p. 714. La logique déontique (du grec déon, déontos : devoir, ce qu’il faut, ce qui convient) tente de formaliser les rapports qui existent entre les quatre alternatives d’une loi : l’obligation, l’interdiction, la permission et le facultatif.

[79] En ce sens P. Jan, Le procès constitutionnel, 2ème éd., L.G.D.J., 2010, p. 191.

[80] V. not. J. Bourdoiseau, De l’objet du recours des tiers payeurs in Le préjudice. Regards croisés privatistes et publicistes, Resp. civ. et assur., mars 2010.

[81]  M. Troper, Faut-il réformer le Conseil constitutionnel, op. cit., p. 192.

[82] V. égal. en ce sens, A. Tunc, La Cour de cassation en crise in La jurisprudence, APD, t. 30, Sirey, 1985, p. 157, spéc. p. 165.

[83] Aristote, Réthorique, op. cit., Livre I, 1355 b (1-préambule), 1356 a (2-définition de la rhétorique).

[84] V. spéc., J.-F. Burgelin, Les petits et grands secrets du délibéré, op. cit., p. 2755.

[85] V. not. sur ces réserves, Ph. Waquet, L’officieux et le non-dit dans le jugement, op. cit. : « les dommages qu’occasionnerait une telle pratique seraient considérables. Des clans se formeraient inévitablement : les libéraux, les répressifs, les rigoristes, les laxistes…que sais-je encore ! »

[86] M.-Cl Belleau, R. Johnson, Les opinions dissidentes au Canada in Les méthodes de jugement, 5ème conférences, oct. 2005, www.courdecassation.fr

[87] In préf. à l’ouvrage de D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, 5ème éd., Montchrestien, 1999, p. 7).

[88] En ce sens, P. Truche, Juger, être jugé, op. cit., pp. 156, 157. Difficilement praticables, en raison de leur caractère fuyant, ces critères ont toutefois le mérite de donner au dispositif une certaine souplesse, sans laquelle il serait voué aux gémonies.

[89] V. spéc. La création du droit par le juge, APD, t. 50, Dalloz, 2007.

Les décisions du Juge de la mise en état: formes, exécution et voies de recours

La mission du Juge de la mise en état est d’assurer l’instruction de l’affaire. L’article 780 prévoit en ce sens que « l’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle a été distribuée. »

Afin de mener à bien cette mission, le juge de la mise en état doit être guidé par deux objectifs dont l’atteinte conditionne le renvoi de l’affaire à l’audience de jugement :

  • Premier objectif
    • Il appartient au Juge de la mise en état de veiller au déroulement loyal de la procédure, spécialement à la ponctualité de l’échange des conclusions et de la communication des pièces.
    • Autrement dit, le Juge de la mise en état doit être le garant de la bonne tenue du débat judiciaire et, en particulier, du respect du principe du contradictoire.
    • L’observation de ce principe est une condition absolument nécessaire pour qu’il puisse être statué sur l’affaire.
    • L’article 16 du CPC dispose que « le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. »
    • Le principe de la contradiction est l’un des fondements du procès équitable.
    • Il participe du principe plus général du respect des droits de la défense et du principe de loyauté des débats.
    • À cet égard, pour la Cour européenne, le principe de la contradiction implique notamment le droit pour une partie de prendre connaissance des observations ou des pièces produites par l’autre, ainsi que de les discuter (CEDH, 20 février 1996, Lobo Machado c. Portugal, requête n° 15764/89).
  • Second objectif
    • L’article 799 du CPC prévoit que le juge de la mise en état déclare l’instruction close dès que l’état de celle-ci le permet et renvoie l’affaire devant le tribunal pour être plaidée
    • Ainsi, le second objectif qui doit être atteint par le Juge de la mise en état est d’impulser, en adoptant au besoin toutes les mesures utiles, les échanges de conclusions et les communications de pièces jusqu’à ce que le débat soit épuisé.
    • Autrement dit, il a pour tâche de faire en sorte que l’affaire soit en état d’être jugée.
    • Cette mission implique qu’il rythme la procédure en fixant un calendrier procédural, qu’il sollicite des auditions, qu’il entende les avocats, qu’il leur adresse des injonctions ou bien encore qu’il ordonne toute mesure d’instruction légalement admissible.

Au bilan, l’objectif d’efficacité et de célérité des procédures impose d’accorder une attention particulière à la mise en état.

Déjà plusieurs fois améliorée, elle est une phase essentielle et dynamique du procès civil dont l’objectif est de permettre d’audiencer des affaires véritablement en état d’être jugées.

Elle ne doit pas se limiter à de simples échanges de conclusions entre parties. Il s’agit en effet de permettre une mise en état non pas purement formelle mais une mise en état dite « intellectuelle » ce qui implique, de la part du juge notamment, une pleine connaissance de l’état du dossier.

Pour parvenir à cet objectif qui lui est assigné, le Juge de la mise en état dispose de nombreuses prérogatives dont l’exercice se traduit par la prise de décisions

I) La forme des décisions du Juge de la mise en état

Les décisions prises par le Juge de la mise en état sont susceptibles de prendre trois formes différentes, selon leur nature :

?Principe : une simple mention au dossier

L’article 792 du CPC prévoit que, par principe, les mesures prises par le Juge de la mise en état font l’objet d’une simple mention au dossier, laquelle mention est assortie d’un avis donné aux avocats.

Il en va notamment ainsi des mesures tenant à :

  • La détermination du calendrier procédurale (octroi de délais, prorogation, injonctions etc..)
  • L’invitation des parties à répondre à un moyen de fait ou de droit
  • L’audition des parties
  • L’instruction du dossier
  • La jonction et la disjonction d’instance

À cet égard, l’article 771 du CPC prévoit que le dossier de l’affaire doit être conservé et tenu à jour par le greffier de la chambre à laquelle l’affaire a été distribuée.

Par ailleurs, il est établi une fiche permettant de connaître à tout moment l’état de l’affaire.

?Exception : l’ordonnance

L’alinéa 2 de l’article 792 apporte un tempérament au principe posé par l’alinéa 1er : « dans les cas prévus aux articles 787 à 790, le juge de la mise en état statue par ordonnance motivée sous réserve des règles particulières aux mesures d’instruction. »

Il ressort de cet alinéa qu’il est des cas où la décision prise par le Juge de la mise en état requiert qu’il rende une ordonnance.

Bien que l’article 792 ne le dise pas, il convient de distinguer les mesures qui exigent l’établissement d’une ordonnance motivée de celles qui ne le requièrent pas.

  • Les décisions exigeant l’établissement d’une ordonnance simple
    • Au nombre des mesures qui ne requiert pas l’établissement d’une ordonnance motivée figurent :
      • La décision constatant et homologuant l’accord des parties
      • La décision prononçant la clôture totale ou partielle de l’instruction.
  • Les décisions exigeant l’établissement d’une ordonnance motivée
    • Les décisions qui requièrent l’établissement d’une ordonnance motivée sont celles visées aux articles 787 à 790 du CPC, soit :
      • Les décisions qui constatent l’extinction de l’instance
      • Les mesures tenant à la communication, à l’obtention et à la production des pièces.
      • Les décisions relatives aux exceptions de procédure
      • Les décisions relatives aux incidents d’instance
      • Les décisions relatives à l’octroi d’une provision ad litem
      • Les décisions relatives à l’octroi d’une provision lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable
      • Les décisions relatives à l’adoption de mesures provisoires ou conservatoires
      • Les décisions relatives à toute mesure d’instruction
      • Les décisions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles

II) L’exécution des décisions du Juge de la mise en état

L’article 514 du CPC prévoit que « les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. »

Les décisions rendues en première instance sont donc, par principe, assorties de l’exécution provisoire.

C’est là une nouveauté – importante sinon marquante – de la réforme opérée par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile pris en application de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Sous l’empire du droit antérieur, le principe était que, pour bénéficier de l’exécution provisoire, les parties devaient en faire la demande au juge, faute de quoi l’effet suspensif de l’appel faisait obstacle à toute exécution de la décision rendue.

Désormais, le principe est inversé : la décision rendue en première instance doit être exécutée par la partie qui succombe.

L’article 514-1 CPC pose néanmoins une limite à ce principe lorsque l’exécution provisoire est de droit :

Le texte prévoit, en effet, que le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire.

L’alinéa 3 de l’article 514-1 tempère toutefois cette faculté de neutralisation de l’exécution provisoire en disposant que le juge ne peut l’écarter lorsqu’il statue en référé, qu’il prescrit des mesures provisoires pour le cours de l’instance, qu’il ordonne des mesures conservatoires ainsi que lorsqu’il accorde une provision au créancier en qualité de juge de la mise en état.

S’agissant des décisions rendues par le Juge de la mise en état, il ressort de cette disposition qu’il convient de distinguer deux sortes de décisions rendues par lui :

  • Les décisions qui intéressent l’adoption de mesures provisoires, conservatoires ou qui allouent une provision à l’une des parties
    • Pour ces décisions, elles sont assorties de l’exécution provisoire de plein droit, sans que le Juge de la mise en état ne puisse la neutraliser.
  • Les décisions qui n’intéressent pas l’adoption de mesures provisoires, conservatoires ou qui allouent une provision à l’une des parties
    • Pour ces décisions, si elles sont également assorties de l’exécution provisoire de plein droit, et c’est une nouveauté, le Juge de la mise en état pourra écarter l’exécution provisoire à la condition toutefois qu’il soit établi qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire
    • Il pourra statuer sur le maintien de l’exécution provisoire, soit d’office, soit à la demande d’une partie.

III) Les voies de recours contre les décisions du Juge de la mise en état

Les voies de recours contre les décisions prises par le Juge de la mise en état diffèrent selon la nature des décisions contestées.

A) Pour les décisions qui font l’objet de l’inscription d’une simple mention au dossier

Il s’agit de mesures d’administration judiciaire, en conséquence de quoi elles sont insusceptibles de voies de recours (art. 537 CPC).

Cela signifie que ces mesures ne peuvent être déférées, ni devant la Cour d’appel, ni devant la Cour de cassation.

Quant à la voie de recours exercée, toutes sont concernées qu’il s’agisse de l’appel ou de l’opposition.

B) Pour les décisions qui font l’objet de l’établissement d’une ordonnance

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que l’appel est la seule voie de recours ouverte contre les décisions du Juge de la mise en état, à tout le moins pour celles qui ne sont pas constitutives d’une mesure d’administration judiciaire.

L’article 795, al. 1er prévoit en ce sens que « les ordonnances du juge de la mise en état et les décisions rendues par la formation de jugement en application du neuvième alinéa de l’article 789 ne sont pas susceptibles d’opposition. »

Quant au pourvoi en cassation, il ne peut être formé qu’une fois rendu le jugement statuant au fond (art. 795, al. 2 CPC).

L’appel, quant à lui, peut être exercé selon des modalités différentes, selon la nature de la décision prise par le Juge de la mise en état.

À cet égard, il convient de distinguer les décisions qui sont susceptibles de faire l’objet d’un appel immédiat, de celles qui ne peuvent être frappées que d’une voie de recours différée.

?Principe : l’appel différé

L’article 795, al. 2 du CPC prévoit que lorsqu’une décision rendue par le Juge de la mise en état est susceptible d’appel, la voie de recours ne peut être frappée d’appel ou de pourvoi en cassation qu’avec le jugement statuant sur le fond.

La conséquence en est pour les parties, qu’elles ne pourront exercer une voie de recours contre les ordonnances du Juge de la mise en état qu’après que le jugement au fond aura été rendu.

?Exceptions : l’appel immédiat

Par exception, l’article 795, 1°, 2°, 3° et 4° prévoit que dans un certain nombre de cas, par souci de bonne administration de la justice et de célérité de l’instance, l’appel peut être exercé dans un délai de quinze jours à compter de la signification de l’ordonnance du juge de la mise en état.

Les décisions visées sont celles qui :

  • Lorsqu’elles statuent sur un incident mettant fin à l’instance, elles ont pour effet de mettre fin à celle-ci ou elles en constatent l’extinction
  • Même lorsqu’elles ne mettent pas fin à l’instance, les ordonnances du juge de la mise en état statuant sur un incident de nature à y mettre fin qui statuent sur une exception de procédure (Cass. 2e civ. 11 juill. 2013, n°12-15994).
  • Ont trait aux mesures provisoires ordonnées en matière de divorce ou de séparation de corps ;
  • Ont statué sur une exception de procédure (Cass. 2e civ. 14 mai 2009, n°08-10292) ou une fin de non-recevoir.
    • Le texte précise que « lorsque la fin de non-recevoir a nécessité que soit tranchée au préalable une question de fond, l’appel peut porter sur cette question de fond ».
  • Dans le cas où le montant de la demande est supérieur au taux de compétence en dernier ressort, ont trait aux provisions qui peuvent être accordées au créancier au cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable
  • Qui ont trait aux mesures d’expertise et au sursis à statuer à la double condition que :
    • D’une part, de l’obtention de l’autorisation du Premier Président de la Cour d’appel
    • D’autre part, qu’il soit justifié d’un motif grave et légitime