La révocation de l’ordonnance de clôture ou le rabat de clôture

La clôture de l’instruction intervient lorsque le Juge de la mise en état rend ce que l’on appelle une ordonnance de clôture. Cette ordonnance est issue de la réforme engagée en 1975 par le décret n°75-1123 du 5 décembre 1975 instituant un nouveau Code de procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 1976.

L’ordonnance de clôture a été institué afin de mettre fin aux abus des plaideurs qui consistaient à communiquer à l’adversaire ses pièces à la dernière heure avant l’audience, ce qui n’était pas sans contrevenir au principe du contradictoire.

À cet égard, dans son article « La réforme du code de procédure civile par le décret du 13 octobre 1965 et les principes directeurs du procès », Henri Motulsky rappelant la pratique des prétoires sous le régime du juge chargé de suivre la procédure, déplorait que l’affaire ne fût instruite qu’in extremis, quelques jours avant l’audience des plaidoiries sinon la veille et stigmatisait « l’usage des communications de pièces de dernière heure », « la grave altération consécutive de la loyauté du débat judiciaire », ainsi que « l’irritant appel des causes à l’audience sans être en état d’être plaidées » et même parfois, « le regrettable spectacle des audiences blanches comme des déplacements inutiles ».

Il achevait de brosser ce tableau affligeant en affirmant qu’il n’« est pas concevable qu’on impose la plaidoirie à une partie qui vient seulement d’avoir connaissance, tant du véritable système d’argumentation de son adversaire que des documents essentiels destinés à l’appuyer ».

L’institution de la procédure de la mise en état dans sa conception actuelle a donc eu pour objet de remédier à cette situation. On ne saurait prétendre qu’elle n’y a pas apporté de remède.

Toutefois, la tentation des parties de recourir à ces pratiques dénoncées par le professeur Motulsky subsiste, tentation qui doit être contenue par l’autorité effectivement exercée par le juge, sous peine de revenir auxdites pratiques.

De toute évidence, l’instauration d’une ordonnance de clôture s’inscrit dans cette volonté de mettre un terme à des pratiques abusives des plaideurs qui étaient devenues trop fréquences.

Parce qu’elle marque la fin de l’instruction à la date fixée par le juge, l’ordonnance de clôture a pour effet d’interdire, à compter de la date où elle est prononcée, le dépôt de toutes conclusions et la production de toutes pièces à peine d’irrecevabilité prononcée d’office (article 802 CPC).

Pour cette raison, elle est une pierre angulaire de l’instance. Ajouté à cela, l’ordonnance de clôture annonce le passage de la phase écrite de la procédure à la phase orale.

À l’exception de la procédure d’urgence à jour fixe, elle est une étape incontournable pour les plaideurs qui vont être directement touchés par ses effets. Leur situation ne sera néanmoins pas figée puisqu’ils disposeront toujours, lorsque les conditions seront réunies, de la faculté de solliciter sa révocation.

I) Les causes de révocation de l’ordonnance de clôture

Il ressort des termes de l’article 784 du CPC que la révocation de l’ordonnance de clôture peut être prononcée dans deux cas : la cause grave et la demande en intervention volontaire

?Premier cas : la cause grave

L’article 803, al. 1er du CPC dispose que « l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue »

Bien que la cause grave ne soit pas définie par les textes, l’article 803 du CPC exclut d’emblée la constitution d’avocat postérieurement à la clôture.

À l’examen, par cause grave, il ne peut s’agir que d’une circonstance indépendante de la volonté du demandeur, qui s’est révélée à lui postérieurement à l’ordonnance de clôture et qui est de nature à avoir une incidence sur la solution du litige.

La combinaison de ces deux éléments réunis à conduit la jurisprudence :

  • À admettre la cause grave
    • En cas de communication d’une pièce dont dépend la solution du litige
    • En cas de retard dans l’octroi de l’aide juridictionnel auquel était subordonnée l’intervention de l’avocat.
  • À exclure la cause grave
    • En cas de délai suffisant pour répondre à des conclusions déposées à une date proche de la clôture
    • En cas de succession d’avocat

?Second cas : la demande en intervention volontaire

L’article 803, al. 2 du CPC prévoit que la demande en intervention volontaire peut justifier la révocation de l’ordonnance de clôture, à la condition néanmoins que le Tribunal ne soit pas en mesure de statuer sur le tout de l’affaire, sans que cette nouvelle demande ne soit instruite.

Reste que la révocation de l’ordonnance de clôture par le juge dans cette circonstance n’est qu’une simple faculté.

II) La demande de révocation de l’ordonnance de clôture

L’article 803, al. 3 du CPC dispose que « l’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties ».

Dans le premier cas de figure, la Cour de cassation considère « qu’en application de l’article 783 [803 nouveau] du Code de procédure civile, les demandes de révocation de l’ordonnance de clôture doivent être formées par conclusions » (Cass. 2e civ. 1er avr. 2004, n°02-13996).

III) La décision de révocation de l’ordonnance de clôture

?Pouvoirs du juge

L’article 803, al. 3 du CPC prévoit que « l’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal. »

Il ressort de cette disposition que la décision de révocation de l’ordonnance de clôture peut intervenir dans trois cas :

  • La juge peut révoquer d’office l’ordonnance de clôture sans que cette révocation ait été sollicitée par les parties
  • Le juge peut révoquer l’ordonnance de clôture à la demande des parties, à la condition qu’elles justifient d’une cause grave
  • L’ordonnance est révoquée par décision du Tribunal réuni dans sa formation de jugement, d’où il s’ensuit une réouverture les débats

Ainsi, l’ordonnance de clôture peut être révoquée :

  • Soit par le Juge de la mise en état, lequel demeure saisi jusqu’à la date de l’audience
  • Soit par le Tribunal lui-même même qui est saisi à compter de la date de l’audience

Dans cette dernière hypothèse, soit lorsque c’est le Tribunal qui est saisi, il convient de distinguer deux hypothèses :

  • Le Tribunal prononce la réouverture des débats avec révocation de l’ordonnance de clôture
    • Dans cette hypothèse, les parties disposent de la faculté de conclure sur tous les points du litige pendant devant la juridiction, y compris formuler de nouvelles demandes (V. en ce sens Cass. 3e civ. 13 nov. 1997).
    • L’affaire est alors renvoyée devant le Juge de la mise en état
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que la réouverture des débats n’emportait pas révocation de l’ordonnance de clôture, de sorte qu’il appartient au Tribunal de le spécifier dans le dispositif de sa décision (Cass. 2e civ. 14 mai 1997)
    • Seul le renvoi de l’affaire devant le Juge de la mise en état vaut révocation de l’ordonnance de clôture (Cass. 2e civ. 19 févr. 2009).
  • Le Tribunal prononce la réouverture des débats sans révocation de l’ordonnance de clôture
    • Dans cette hypothèse, la réouverture des débats intervient sur le fondement de l’article 444 du CPC
    • Cette disposition prévoit que « le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés. »
    • La réouverture des débats n’est ici pas subordonnée à la révocation de l’ordonnance de clôture.
    • La conséquence est que les parties ne pourront conclure que sur le point de droit ou de fait soulevé par le juge

?Motivation de la décision de révocation

Bien que l’article 803 du CPC ne prévoit pas que l’ordonnance de révocation doive être motivée, la Cour de cassation l’exige, en particulier s’agissant de la caractérisation de la cause grave justifiant la décision prise.

IV) Les effets de la révocation de l’ordonnance de clôture

La révocation de l’ordonnance de clôture a pour effet de rouvrir la phase d’instruction de l’affaire, de sorte que les parties sont autorisées à déposer de nouvelles conclusions et pièces.

La révocation de l’ordonnance est nécessairement totale, en ce sens que le Tribunal ne saurait limiter la réouverture des débats à la production de certaines conclusions ou pièces.

Les parties sont libres de conclure sur tous les points du litige qui leur sied, ce qui implique qu’ils soient autorisés à formuler de nouvelles demandes.

L’action en nullité (titularité de l’action et pouvoir du juge)

I) Les titulaires de l’action en nullité

Afin de déterminer qui a qualité à agir en annulation d’un acte, il convient de déterminer si la sanction de la règle transgressée est une nullité absolue ou relative.

A) L’invocation de la nullité absolue

?Principe : indifférence de la qualité à agir

Aux termes du nouvel article 1180 du Code civil « la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, ainsi que par le ministère public. »

Cela signifie que le périmètre de l’action s’étend au-delà de la sphère des parties.

L’étendue de ce périmètre se justifie par la nature de la transgression qui est sanctionnée.

L’atteinte est portée, en pareil cas, à une règle protectrice de l’intérêt général. Potentiellement ce sont donc tous les sujets droits qui sont visés par cette atteinte.

Dans ces conditions, il n’est pas illégitime d’admettre qu’ils puissent agir en nullité de l’acte qu’il leur fait grief aux fins d’assurer la sauvegarde de leurs intérêts.

?Condition : exigence d’un intérêt à agir

Si, en matière de nullité absolue, l’article 1180 du Code civil ne restreint pas le nombre de personnes qui ont qualité à agir, il n’en subordonne pas moins l’exercice de l’action à l’existence d’un intérêt.

Pour invoquer la nullité absolue d’un acte cela suppose, autrement dit, d’être en mesure de justifier :

  • En premier lieu
    • d’un intérêt légitime au sens de l’article 31 du Code de procédure civile, soit d’un intérêt qui entretient un lien suffisamment étroit avec la cause de nullité.
  • En second lieu
    • d’un intérêt direct ce qui pose la question de la faculté pour les associations et autres groupements de défense des intérêts collectifs d’agir en nullité.
    • Dans un arrêt du 22 janvier 2014, cela n’a toutefois pas empêché la Cour de cassation de reconnaître à un syndicat son intérêt à agir en nullité d’un acte (Cass. 1ère civ. 22 janv. 2014, n°13-12.675).

?Les personnes qui ont un intérêt à agir

  • Les parties
    • De par leur engagement à l’acte, les parties ont, en toutes circonstances, intérêt à soulever une cause de nullité absolue.
    • Elles y sont intéressées au premier chef.
    • Cette faculté leur est offerte, quand bien même le contractant qui solliciterait la nullité serait à l’origine du vice qui affecte l’acte.
    • La raison en est que l’adage nemo auditur n’est applicable aux effets de l’action engagée et non à ses causes.
  • Les créanciers
    • Les créanciers peuvent justifier d’un intérêt à agir s’ils démontrent que l’acte conclu par leur débiteur leur cause un préjudice.
    • Dans le cas, contraire l’action en nullité leur sera fermée
  • Les tiers
    • La possibilité pour un tiers d’agir en nullité semble extrêmement restreinte.
    • Par définition, le tiers est insusceptible d’être atteint par les effets de l’acte.
    • Dans ces conditions, il ne semble pas pouvoir être en mesure de justifier d’un intérêt à agir, sauf à envisager que l’exécution de l’acte lui cause préjudice
  • Le ministère public
    • La possibilité pour le ministère public d’agir en nullité absolue de l’acte est expressément prévue par l’article 1180 du Code civil.
    • Son action n’est subordonnée, a priori, au respect d’aucune condition en particulier.
    • En pratique toutefois
      • d’une part, son intervention sera subsidiaire
      • d’autre part, il ne soulèvera que les causes de nullité relatives à l’illicéité du contenu de l’acte

B) L’invocation de la nullité relative

?Restriction des personnes ayant qualité à agir

Aux termes de l’article 1181 du Code civil « la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la loi entend protéger. »

Ainsi, la loi restreint-elle le cercle des personnes ayant qualité à agir en nullité relative d’un acte. Cette disposition est d’ordre public. Il ne saurait, en conséquence, y être dérogé par convention contraire.

?Les personnes ayant qualité à agir

  • Les contractants
    • La règle dont la violation est sanctionnée par une nullité relative vise, le plus souvent, à protéger les contractants
    • Mécaniquement, c’est donc l’une des parties au contrat qui sera seule titulaire de l’action en nullité
    • Il en ira ainsi en matière :
      • de vices du consentement
      • de lésion (lorsqu’elle est reconnue)
      • d’incapacité
    • Il peut être observé que l’action en nullité ne pourra être exercée que par la partie victime de la violation de la règle sanctionnée par une nullité relative
    • Son cocontractant sera, en conséquence, privé du droit d’agir, quand bien même il justifierait d’un intérêt.
  • Les représentants légaux
    • En ce qu’ils agissent au nom et pour le compte de la personne protégée, les représentants légaux peuvent exercer l’action en nullité (tuteur, curateur etc.).
  • Les ayants cause
    • Lorsque les droits de la personne protégée sont transmis à un ayant cause, celui-ci devient titulaire des actions attachées à ces droits, dont l’action en nullité qui dès lors, pourra être exercée par lui.
  • Les créanciers
    • Si, par principe, les créanciers n’auront pas qualité à agir pour exercer directement l’action en nullité lorsque ladite nullité est relative, ils pourront néanmoins agir par voie d’action oblique.
    • L’article 1341-1 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne. »

II) Les pouvoirs du juge

?Principe : la nullité judiciaire

  • Le monopole du juge
    • En principe, seul le juge est investi du pouvoir de prononcer la nullité du contrat.
    • L’article 1178 du Code civil dispose que « la nullité doit être prononcée par le juge ».
    • Cette règle se justifie par la présomption de validité qui pèse sur les conventions.
    • Cette présomption a été instituée aux fins d’assurer la sécurité des actes juridiques.
    • Il sera par conséquent nécessaire pour celui qui agit en nullité d’un acte de saisir la juridiction compétente, avant d’entreprendre toute rupture de la relation contractuelle.
    • Aussi, appartiendra-t-il au juge une fois saisi
      • D’abord de vérifier les conditions de validité de l’acte
      • Ensuite de constater sa nullité si établie
      • Enfin de prononcer sur les effets de la nullité
    • Quid néanmoins dans l’hypothèse où, au cours d’une instance, le juge relève une nullité, mais qu’elle n’a pas été soulevée par les parties ?
    • C’est toute la question de l’office du juge.
  • L’office du juge
    • Le juge peut-il relever d’office la nullité d’un acte ?
    • Les textes sont silencieux sur cette question.
    • Tout au plus, l’article 12 du Code de procédure civil prévoit que « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. »
    • Toutefois, il ressort de la jurisprudence (Cass. 1ère civ. 22 mai 1985, n°84-10.572) que le juge dispose de cette faculté à la condition qu’il fonde sa décision
      • D’une part sur des faits inclus dans les débats (art. 7 CPC)
      • D’autre part que ces faits aient été débattus contradictoirement par les parties (art. 16 CPC)
    • La jurisprudence n’opère aucune distinction, selon que la nullité est absolue ou relative.

?Exception : la nullité conventionnelle

Si, en principe, la nullité d’un acte ne produit d’effets qu’à la condition d’être prononcée par le juge, l’article 1178 du Code civil prévoit que cette règle est écartée lorsque les parties constatent la nullité « d’un commun accord ».

Cette faculté qu’ont les parties à tirer, elles-mêmes, les conséquences de la nullité d’un acte résulte du principe du mutus dissens.

Autrement dit, ce que les contractants ont consenti à faire, ils doivent pouvoir le défaire au moyen de cette même volonté.

Cette conception du pouvoir dont sont titulaires les parties, consacrée par le législateur à l’occasion de la réforme des obligations, participe de sa volonté, d’une part, de leur conférer une plus grande autonomie, mais encore de désengorger les tribunaux.

En matière fiscale néanmoins, il peut être observé que les parties n’auront pas la possibilité d’opposer au Trésor public la nullité amiable.

L’article 1961, al. 2 du CGI dispose en ce sens que « en cas de rescision d’un contrat pour cause de lésion, ou d’annulation d’une vente pour cause de vices cachés et, au surplus, dans tous les cas où il y a lieu à annulation, les impositions visées au premier alinéa perçues sur l’acte annulé, résolu ou rescindé ne sont restituables que si l’annulation, la résolution ou la rescision a été prononcée par un jugement ou un arrêt passé en force de chose jugée. »

III) La prescription de l’action en nullité

Afin d’envisager la question de la prescription, il convient de distinguer selon que la nullité est invoquée par voie d’action ou par voie d’exception.

Tandis que dans le premier cas, le délai de prescription est de 5 ans, dans le second il est perpétuel.

A) L’invocation de la nullité par voie d’action

On dit de la nullité qu’elle est invoquée par voie d’action, lorsque celui qui soulève ce moyen est le demandeur à l’instance.

?Le délai de prescription

Lorsque la nullité est invoquée par voie d’action l’article 2224 du Code civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans ».

Antérieurement à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, le délai de prescription de l’action en nullité était différent que la nullité était absolue ou relative :

  • Lorsque la nullité était absolue, le délai de prescription était de 30 ans
  • Lorsque la nullité était relative, le délai de prescription était de 5 ans

Désormais, il n’y a plus lieu de distinguer selon que la nullité est absolue ou relative.

Dans les deux cas, le délai de prescription de l’action en nullité est de 5 ans.

?Le point de départ du délai

  • La fixation du point de départ du délai
    • Aux termes de l’article 2224 du Code civil le délai de prescription de l’action en nullité court « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Cela signifie donc que tant que le titulaire de l’action en nullité n’a pas connaissance de la cause de nullité qui affecte l’acte, le délai de prescription ne court pas ; son point de départ est reporté
    • En matière de vices du consentement, l’article 1144 précise que le délai de l’action en nullité ne court
      • D’une part, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts
      • D’autre part, en cas de violence, que du jour où elle a cessé.
  • Le report du point de départ du délai
    • L’article 2232, al. 2 du Code civil pose une limite au report du point de départ du délai de prescription de l’action en nullité.
    • Cette disposition prévoit, en effet, que « le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. »
    • Ainsi, le point de départ de la prescription ne peut être reporté que dans la limite de 20 ans à compter du jour de la conclusion de l’acte.

?L’invocation de la prescription

  • Les parties
    • Aux termes de l’article 2248 du Code civil, les parties ont la faculté de soulever la nullité d’un acte en première instance et en appel.
    • La voie leur est fermée en cas de pourvoi en cassation.
  • Le juge
    • L’article 2247 interdit au juge de « suppléer d’office le moyen résultant de la prescription ».
    • Autrement dit, il revient aux parties d’invoquer la prescription de l’action en nullité.
    • À défaut, elle sera sans effet.

B) L’invocation de la nullité par voie d’exception

On dit que la nullité est invoquée par voie d’exception lorsque celui qui la soulève est le défendeur à l’instance.

Ce dernier est conduit à soulever la nullité de l’acte dans le cadre du débat contradictoire qui va s’instaurer avec le demandeur dont ce dernier est à l’initiative, puisque auteur de l’acte introductif d’instance.

?Le principe de perpétuité de l’exception de nullité

Lorsque la nullité est soulevée par voie d’action, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.

Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »

Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.

Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles

Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de 5 ans, le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution.

Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.

?Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité

Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies

  • Première condition
    • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté » (Cass. 1ère civ. 1er déc. 1998, n°96-17.761)
    • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
    • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
  • Deuxième condition
    • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
    • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 (Cass. 1ère civ. 4 mai 2012, n°10-25.558)
    • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté »
    • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
      • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement (Cass. 1ère civ. 1er déc. 1998)
      • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative (Cass. 1ère civ. 24 avr. 2013).
      • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité (Cass. 1ère civ. 13 mai 2004).
  • Troisième condition
    • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
    • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
    • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
    • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée » (art. 30 CPC).

Les pouvoirs du juge en matière de clauses abusives

Privés par le législateur de la possibilité d’apprécier le caractère abusif d’une clause, les juges se sont rapidement affranchis de cette interdiction.

Jusqu’alors, le pouvoir réglementaire n’avait listé que deux clauses abusives dans le décret du 24 mars 1978, ce qui témoignait d’une certaine incurie de sa part.

Aussi, la question fut-elle posée à la Cour de cassation de savoir si une clause pouvait être déclarée abusive par le juge, alors même qu’elle ne figurait pas dans la liste établie par le pouvoir réglementaire.

La Cour de cassation a répondu en deux temps à cette question, après quoi la loi est venue consacrer sa position

1. L’évolution jurisprudentielle

?Premier temps

Dans un arrêt du 16 juillet 1987, non sans une certaine ambiguïté, la première chambre civile a estimé qu’une clause qui ne figurait pas dans le décret du 24 janvier 1978 pouvait être qualifiée d’abusive (Cass. 1ère civ. 16 juill. 1987, n°84-17.731)

Elle a de la sorte censuré une Cour d’appel en relevant que « en statuant ainsi, au motif que la clause invoquée par Home Salons à son bénéfice n’était pas abusive, alors que conférant au professionnel vendeur un avantage excessif, notamment en lui laissant en fait l’appréciation du délai de livraison et en réduisant le droit à réparation prévu par l’article 1610 du Code civil au bénéfice de l’acquéreur non professionnel en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu, cette clause devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Une décision du même ordre a été adoptée par la Cour de cassation le 25 janvier 1989 (Cass. 1ère civ. 25 janv. 1989, n°87-13.640).

Cass. 1ère civ. 16 juill. 1987

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, soutenu par M. X… et sur le second moyen pris en sa branche unique, soutenu par l’Union départementale des consommateurs de l’Hérault ; .

Vu l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et services et les articles 2 et 3 du décret n° 78-464 du 24 mars 1978 pris pour l’application de cet article ;

Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que sont interdites et réputées non écrites les clauses, relatives notamment à la livraison de la chose et aux conditions de résolution de la convention lorsqu’elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et conférent à cette dernière un avantage excessif ; qu’il résulte du second qu’est abusive la clause ayant pour objet, ou pour effet, de supprimer ou de réduire le droit à réparation du non-professionnel en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations ;

Attendu que M. X… a passé commande à la société Home Salons d’un mobilier pour lequel il a versé un acompte ; qu’au recto du bon de commande figurait la mention imprimée en caractères apparents ” date de livraison ” suivie de la mention manuscrite ” deux mois ” ; qu’en dessous on pouvait lire en petits caractères ” prévue à titre indicatif ” et ” conditions de vente au verso ” ; qu’au verso, parmi de nombreuses autres dispositions, figurait, sous l’intitulé ” livraison “, la mention ci-après ” les dates de livraison, que nous nous efforçons toujours de respecter, ne sont données toutefois qu’à titre indicatif, et il est bien évident qu’un retard dans la livraison ne peut constituer une cause de résiliation de la présente commande ni ouvrir droit à des dommages-intérêts ” ; que le texte poursuivait ainsi ” toutefois l’acheteur pourra demander l’annulation de sa commande et la restitution sans intérêts autres que ceux prévus par la loi des sommes versées si la marchandise n’est pas livrée dans les 90 jours d’une mise en demeure restée sans effet, étant entendu que cette mise en demeure ne pourra être faite qu’après la date de livraison prévue à titre indicatif ” ;

Attendu que le 5 novembre 1980, date limite prévue normalement pour la livraison, M. X… n’avait rien reçu ; que le 8 janvier 1981 il a, par l’intermédiaire de l’Union départementale des consommateurs de l’Hérault, mis le vendeur en demeure de livrer sa commande ; que la livraison ayant été offerte un mois et 8 jours plus tard il a refusé cette livraison comme trop tardive et demandé en justice l’annulation du contrat litigieux et du contrat de crédit correspondant ; que la cour d’appel l’a débouté de sa demande ; qu’elle a également débouté de la sienne l’Union départementale des consommateurs de l’Hérault, qui était intervenue volontairement à l’instance ;

Attendu qu’en statuant ainsi, au motif que la clause invoquée par Home Salons à son bénéfice n’était pas abusive, alors que conférant au professionnel vendeur un avantage excessif, notamment en lui laissant en fait l’appréciation du délai de livraison et en réduisant le droit à réparation prévu par l’article 1610 du Code civil au bénéfice de l’acquéreur non professionnel en cas de manquement par le vendeur à son obligation essentielle de délivrance dans le temps convenu, cette clause devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du premier moyen :

CASSE ET ANNULE l’arrêt rendu le 25 septembre 1984, entre les parties, par la cour d’appel de Montpellier ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Toulouse

?Deuxième temps

Dans un arrêt remarqué du 14 mai 1991, la Cour de cassation a très explicitement affirmé qu’une clause pouvait être considérée comme abusive en dehors de tout acte réglementaire la désignant comme telle (Cass. 1ère civ. 14 mai 1991, n°89-20.999).

Elle considère en ce sens que « ayant relevé que la clause figurant sur le bulletin de dépôt exonérait le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, le jugement attaqué, dont il ressort qu’une telle clause procurait un avantage excessif à la société Minit France et que celle-ci, du fait de sa position économique, se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle, a décidé à bon droit que cette clause revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite ».

Si, dans cette décision, la première chambre civile, ne vise aucun texte, elle reprend :

  • D’une part, tous les éléments constitutifs des clauses abusives au sens de l’ancien article 35 de la loi du 10 janvier 1978, soit :
    • L’octroi d’un avantage excessif
    • Un abus de puissance économique
  • D’autre part, la sanction spécifique prévue à l’ancien article 35 de la du 10 janvier 1978 : le réputé non-écrit
  • Par cette décision du 14 mai 1991, la Cour de cassation reconnaît pour la première fois au juge le pouvoir d’apprécier le caractère abusif d’une clause.

Cass. 1ère civ. 14 mai 1991

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, le 4 février 1989, M. X… a confié au magasin Minit Foto de Béthune, succursale de la société Minit France, dix-huit diapositives en vue de leur reproduction sur papier ; que ces diapositives ayant été perdues, le jugement attaqué (tribunal d’instance de Béthune, 28 septembre 1989) a condamné la société Minit France à payer à M. X… la somme de 3 000 francs en réparation de son préjudice ;

Attendu que, la société Minit France fait grief au jugement d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d’une part, que l’entrepreneur-dépositaire est tenu d’une obligation de moyen, en ce qui concerne la conservation de la chose qui lui a été confiée en vue de l’exécution d’un travail ; qu’en se bornant à affirmer, sans s’expliquer sur ce point, que le magasin Minit Foto était tenu d’une obligation de résultat, le jugement attaqué a privé sa décision de base légale au regard des articles 1137, 1787 et 1927 et suivants du Code civil ; et alors, d’autre part, que sont licites les clauses susceptibles d’atténuer ou de diminuer la responsabilité du locateur ; qu’en se contentant d’affirmer, sans s’expliquer davantage sur ce second point, que la clause de non-responsabilité, figurant sur le bulletin de dépôt des diapositives, apparaissait comme une clause abusive, inopposable à un client de bonne foi, le tribunal d’instance n’a pas légalement justifié sa décision au regard des mêmes textes ;

Mais attendu, d’abord, selon l’article 1789 du Code civil, que le locateur d’ouvrage est tenu de restituer la chose qu’il a reçue et ne peut s’exonérer de sa responsabilité que par la preuve de l’absence de faute ; que, dès lors, le jugement attaqué, d’où il résulte que la cause de la disparition des diapositives est inconnue, est légalement justifié, abstraction faite du motif surabondant relatif à l’obligation de résultat, critiqué par le moyen ;

Attendu, ensuite, qu’ayant relevé que la clause figurant sur le bulletin de dépôt exonérait le laboratoire de toute responsabilité en cas de perte des diapositives, le jugement attaqué, dont il ressort qu’une telle clause procurait un avantage excessif à la société Minit France et que celle-ci, du fait de sa position économique, se trouvait en mesure de l’imposer à sa clientèle, a décidé à bon droit que cette clause revêtait un caractère abusif et devait être réputée non écrite ; d’où il suit que le moyen ne peut être retenu en aucune de ses deux branches ;

Attendu que, M. X… sollicite l’allocation d’une somme de 4 000 francs, sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile ; qu’il y a lieu de faire droit à cette demande ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Troisième temps

La Cour de cassation a parachevé l’évolution de sa jurisprudence dans un arrêt du 26 mai 1993 (Cass. 1ère civ. 26 mai 1993, n°92-16.327).

Dans cette décision, elle énonce la règle générale, au visa de l’article 35 de la loi du 10 janvier 1978, que « il résulte de ce texte que sont réputées non écrites les clauses relatives à la charge du risque lorsqu’elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif ».

La position de la haute juridiction est désormais fixée.

Cass. 1ère civ. 26 mai 1993

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu l’article 35 de la loi n° 78-23 du 10 janvier 1978 ;

Attendu qu’il résulte de ce texte que sont réputées non écrites les clauses relatives à la charge du risque lorsqu’elles apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et conférent à cette dernière un avantage excessif ;

Attendu que les époux X…, adhérents du Crédit social des fonctionnaires CSF, ont obtenu par son intermédiaire un prêt de 10 000 francs, assorti de la caution solidaire de CRESERFI, organisme financier de cette association ; qu’à titre de dépôt destiné à alimenter le fonds mutuel, ils ont versé 3 % du montant de leur prêt, soit 300 francs, somme stipulée remboursable après retenue de la part du risque constitué par les défaillances de certains débiteurs dans leurs remboursements ; qu’après avoir honoré tous leurs engagements les époux X… ont obtenu la restitution de la seule somme de 60 francs ;

Attendu que, pour accueillir la demande en paiement de la somme de 240 francs formée par ces emprunteurs, la décision attaquée a retenu que l’article 16 du règlement intérieur du CSF-CRESERFI, prévoyant une retenue d’un montant égal à la part du risque supporté par les adhérents, s’analysait en une clause conférant un avantage excessif à cet organisme pour lequel cette part du risque est extrêmement faible, voire nulle, puisqu’il s’adresse à des fonctionnaires dont la stabilité de l’emploi et donc du revenu est assurée, et qui, en contrepartie, n’offre pas à ses adhérents des prêts à un taux d’intérêts concurrentiel ;

Attendu qu’en se déterminant par ces motifs alors que le CRESERFI avait retenu la somme litigieuse en vertu d’un contrat fondé sur le principe de mutualisation des risques constitués par les prêts non remboursés par les emprunteurs et que ce contrat n’était pas imposé par un abus de puissance économique et ne conférait pas à cet organisme un avantage excessif, le tribunal d’instance a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

Et attendu qu’il y a lieu de faire application de l’article 627, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la cassation encourue n’impliquant pas qu’il soit à nouveau statué sur le fond ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE le jugement rendu le 19 mars 1992, entre les parties, par le tribunal d’instance de Bar-sur-Aube ;

2. La consécration par la loi de la jurisprudence

La solution retenue par la Cour de cassation dans ses arrêts des 14 mai 1991 et 26 mai 1993 a été consacrée par le législateur lors de l’adoption de la loi du 1er février 1995 qui est venue transposer la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

Cette loi a modifié l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation sur trois points majeurs :

  • Elle réaffirme les prérogatives du pouvoir réglementaire en matière de détermination des clauses abusives
  • Elle dresse une liste indicative des clauses abusives
  • Elle énonce une nouvelle définition des clauses abusives : les critères de l’avantage excessif et de l’abus de dépendance économiques sont abandonnés à la faveur de la notion de déséquilibre significatif.

Bien que loi du 1er février 1995 ne consacre pas explicitement le pouvoir du juge en matière de détermination des clauses abusives, il se déduit néanmoins des termes de l’article L. 132-1 du Code de la consommation.

Ce texte dispose que « dans les contrats […] sont abusives les clauses […] ». Une clause peut donc être abusive dès lors qu’elle répond à la définition posée par l’article L. 132-1. Il n’est pas nécessaire qu’elle soit visée par un décret.

Le système posé par la loi du 1er février 1995 a été maintenu. Encore aujourd’hui, coexistent les pouvoirs reconnus au juge et au gouvernement en matière de détermination des clauses abusives.

3. Le pouvoir du juge

Deux questions se posent ici :

  • Quelle est l’étendue du pouvoir du juge ?
  • Le juge peut-il relever d’office le caractère abusif d’une clause ?

a. L’étendue du pouvoir du juge

S’agissant du pouvoir du juge en matière de clause abusive, il peut être observé qu’il est d’inégale étendue selon que la clause qui lui est soumise figure ou non dans l’une des deux listes établies par décret.

Trois hypothèses doivent être distinguées :

  • La clause figure dans la liste noire : le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation. Il n’a d’autre choix que de constater le caractère abusif de la clause qui lui est soumise.
  • La clause figure dans la liste grise : le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation réduit. La clause qui lui est soumise est présumée abusive. Sauf à ce que le professionnel rapporte la preuve contraire, il devra la réputer non-écrite.
  • La clause ne figure dans aucune liste : le juge recouvre son plein pouvoir d’appréciation. Il pourra qualifier la clause abusive dès lors qu’il constate l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

b. Le relevé d’office d’une clause abusive

Le juge peut-il relever d’office le caractère abusif d’une clause stipulée dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, alors même que le moyen n’a pas été soulevé par l’une des parties au litige ?

L’examen de la jurisprudence révèle que la position de la Cour de cassation a considérablement évolué sur cette question, notamment sous l’impulsion de la Cour de justice de l’Union européenne

?Première étape : refus de la faculté de relever d’office une clause abusive

Dans un arrêt du 15 février 2000, la Cour de cassation a tout d’abord refusé au juge la faculté de relever d’office le caractère abusif d’une clause (Cass. 1ère civ. 15 févr. 2000, n°98-12.713)

Elle estime dans cette décision que « la méconnaissance des exigences des textes susvisés, même d’ordre public, ne peut être opposée qu’à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ».

Cette solution a été confirmée dans plusieurs autres décisions (V. en ce sens notamment Cass. 1ère civ. 2 oct. 2002 ; Cass. 1ère civ. 16 mars 2004).

Cass. 1ère civ. 15 févr. 2000

Sur le moyen unique, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles L. 311-2, L. 311-8 et L. 311-10 du Code de la consommation ;

Attendu que la méconnaissance des exigences des textes susvisés, même d’ordre public, ne peut être opposée qu’à la demande de la personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ;

Attendu que pour débouter la société Cofica de sa demande dirigée contre M. X… auquel elle avait donné un véhicule en location, avec option d’achat, et qui avait cessé d’exécuter ses obligations après le vol du véhicule, la cour d’appel, devant laquelle ce dernier n’avait pas comparu, a retenu d’office que les pièces produites ne permettaient pas de s’assurer de la régularité de l’offre ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 26 septembre 1997, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée.

?Deuxième étape : la position de la Cour de justice de l’Union européenne

Dans un arrêt 27 juin 2000, la Cour de justice de l’Union européenne condamne la position de la Cour de cassation en admettant que le juge puisse relever le caractère abusif d’une clause, quand bien même les parties n’ont pas soulevé ce moyen (CJCE, 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial SA c/ Rocio Murciano Quintero et autre).

Au soutien de leur décision, les juges luxembourgeois affirment que :

  • D’une part, « la protection que la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, assure à ceux-ci., implique que le juge national puisse apprécier d’office le caractère abusif d’une clause du contrat qui lui est soumis lorsqu’il examine la recevabilité d’une demande introduite devant les juridictions nationales »
  • D’autre part, « la juridiction nationale est tenue lorsqu’elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à ladite directive, de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de cette directive. L’exigence d’une interprétation conforme requiert en particulier que le juge national privilégie celle qui lui permettra de refuser d’office d’assumer une compétence qui lui est attribuée en vertu d’une clause abusive. »

La Cour de justice de l’Union européenne a réitéré sa solution, notamment dans un arrêt du 4 octobre 2007 (CJCE, 4 oct. 2007, aff. C-429/05, Rampion)

Elle y affirme que « la directive 87/102 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de crédit à la consommation, telle que modifiée par la directive 98/7, doit être interprétée en ce sens qu’elle permet au juge national d’appliquer d’office les dispositions transposant en droit interne son article 11, paragraphe 2. »

?Troisième étape : durcissement de la position de la Cour de justice de l’Union européenne

Dans un arrêt du 26 octobre 2006, la Cour de justice de l’Union européenne durcit sa position en estimant que le relevé d’office du caractère abusif d’une clause n’est pas une simple faculté. Il s’agit d’une obligation qui échoit au juge national (CJCE 26 oct. 2006, Mostaza Claro, aff. C-168/05).

Elle affirme en ce sens que « c’est à l’aune de ces principes que la Cour a jugé que la faculté pour le juge d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause constitue un moyen propre à la fois à atteindre le résultat fixé à l’article 6 de la directive, à savoir empêcher qu’un consommateur individuel ne soit lié par une clause abusive, et à contribuer à la réalisation de l’objectif visé à son article 7, dès lors qu’un tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser l’utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel (arrêts Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 28, ainsi que du 21 novembre 2002, Cofidis, C-473/00, Rec. p. I-10875, point 32) ».

Les juges luxembourgeois justifient leur position en considérant que « la nature et l’importance de l’intérêt public sur lequel repose la protection que la directive assure aux consommateurs justifient, en outre, que le juge national soit tenu d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle et, ce faisant, de suppléer au déséquilibre qui existe entre le consommateur et le professionnel. »

?Quatrième étape : intervention du législateur français

Lors de l’adoption de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, le législateur a introduit dans le Code de la consommation un article L. 141-4 qui prévoyait que « le juge peut soulever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ».

Cette disposition était toutefois contraire à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, car il s’agissait là d’une simple faculté qui était laissée au juge, alors que pour les juges luxembourgeois ce devait être une obligation.

?Cinquième étape : revirement de jurisprudence de la Cour de cassation

La Cour de cassation n’a eu d’autre choix que de se conformer, d’une part à la position de la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, à la solution retenue par le législateur en 2008.

C’est la raison pour laquelle dans un arrêt du 22 janvier 2009, la première chambre civile a opéré un revirement de jurisprudence en reconnaissant au juge le pouvoir de relever le caractère abusif d’une clause stipulée dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur (Cass. 1ère civ. 22 janv. 2009, n°05-20.176).

Elle affirme que « la méconnaissance des dispositions d’ordre public du code de la consommation peut être relevée d’office par le juge ».

Bien que la Cour de cassation soit revenue sur sa position antérieure, elle ne se conforme manifestement pas totalement à la position de la Cour de justice de l’Union européenne.

Selon elle, le relevé d’office d’une clause abusive n’est qu’une simple faculté offerte au juge et non une obligation.

?Sixième étape : recul de la Cour de cassation

Dans un arrêt du 14 mai 2009, la Cour de cassation semble subordonner la faculté pour le juge de relever d’office une clause abusive à la condition que les parties rapportent la preuve des faits sur la base desquels le juge est susceptible de se saisir (Cass. 1re civ., 14 mai 2009, n°08-12.836).

Elle avance que « si les juges du fond sont tenus de relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la forclusion édictée par l’article L. 311-37 du code de la consommation c’est à la condition que celle-ci résulte des faits litigieux, dont l’allégation, comme la preuve, incombe aux parties ».

Cass. 1re civ., 14 mai 2009

Sur le moyen unique :

Attendu que la société Mediatis, qui avait consenti un crédit renouvelable à M. X…, a agi contre celui-ci en recouvrement du solde de ce crédit ; que M. X… reproche au jugement attaqué (tribunal d’instance de Paris, 18e arrondissement, 17 octobre 2007) d’avoir accueilli cette demande, alors, selon le moyen, que “le délai biennal étant d’ordre public, le juge du fond aurait dû rechercher s’il avait été respecté ; qu’ainsi le jugement attaqué a violé l’article L. 311-37 du code de la consommation” ;

Mais attendu que si les juges du fond sont tenus de relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la forclusion édictée par l’article L. 311-37 du code de la consommation c’est à la condition que celle-ci résulte des faits litigieux, dont l’allégation, comme la preuve, incombe aux parties ; que le tribunal, devant lequel M. X… ne s’était pas prévalu d’une telle forclusion, ni n’avait invoqué aucun fait propre à la caractériser, n’avait pas à procéder à une recherche que les faits dont il était saisi n’appelaient pas ; que le moyen n’est donc pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Septième étape : réaffirmation de la position de la Cour de justice de l’Union européenne

Dans un important arrêt du 4 juin 2009, la Cour de justice de l’Union européenne réaffirme que le relevé d’office du caractère abusif d’une clause n’est pas une simple faculté. Il s’agit d’une obligation qui échoit au juge national (CJCE 4 juin 2009, Pannon GSM Zrt, aff. C-243/08).

Elle considère, sans ambiguïté, que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ».

?Huitième étape : le ralliement de la Cour de cassation à la position de la Cour de justice de l’Union européenne

C’est dans un arrêt du 1er octobre 2014, que la Cour de cassation abandonne finalement sa position pour se conformer à la jurisprudence de la CJUE (Cass. 1re civ., 1er oct. 2014, n°13-21.801)

Elle admet dans cette décision que « le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet ».

La solution est entendue.

Cass. 1re civ., 1er oct. 2014

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, courant novembre 2008, l’Union fédérale des consommateurs de l’Isère (UFC 38) a assigné la Mutualité française Isère pour faire juger illicites et abusives vingt-trois clauses du contrat de résident proposé par celle-ci aux résidents de l’EHPAD “Les Solambris”, faire condamner celle-ci à les supprimer de ses contrats et obtenir réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs par l’utilisation de ces clauses, qu’un jugement du 11 octobre 2010, assorti de l’exécution provisoire, a déclaré illicites ou abusives onze clauses, les a réputées non écrites, ordonné leur suppression sous astreinte et la publication du jugement, et condamné la Mutualité française Isère à verser à l’association UFC 38 la somme de 1 500 euros en réparation du préjudice causé à l’intérêt collectif des consommateurs, que, courant avril 2011, la Mutualité française Isère a communiqué à l’UFC 38 une version modifiée de son contrat type dont le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Grenoble a, par jugement du 27 avril 2012, constaté qu’il conservait quatre clauses illicites et abusives, et liquidé l’astreinte, que l’UFC 38 a interjeté appel du jugement du 11 octobre 2010 du chef des six clauses que celui-ci n’avait pas estimées abusives ou illicites ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l’article L. 421-6 du code de la consommation ;

Attendu que, pour débouter l’UFC 38 de sa demande en suppression de “six autres clauses de l’ancien contrat de séjour”, l’arrêt constate qu’elle ne conclut pas sur les dispositions de ce nouveau contrat et que la cour d’appel n’est donc pas saisie d’une demande de suppression des clauses qu’il contient ;

Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que l’UFC 38 avait, dans le dispositif de ses conclusions d’appel, sollicité la suppression de clauses illicites ou abusives sans limiter sa demande à l’ancien contrat, d’autre part, que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

?Neuvième étape : consécration légale de position de la Cour de justice de l’Union européenne

Lors de l’adoption de la loi du 3 janvier 2008, le législateur avait érigé le pouvoir du juge de relever d’office une clause abusive en simple faculté, et non comme une obligation.

Le texte introduit dans le Code de la consommation était dès lors contraire à la solution retenue en 2006 par la Cour de justice de l’Union européenne.

Aussi à l’occasion de la loi Hamon du 17 mars 2014 le législateur a-t-il entendu rectifier le tir.

Pour ce faire, il a ajouté, à l’article L. 141-4 du Code de la consommation, un nouvel alinéa aux termes duquel le juge « écarte d’office, après avoir recueilli les observations des parties, l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat »

Cette règle est dorénavant codifiée à l’article R. 632-1 du Code de la consommation.