Le droit de propriété: vue générale (notion et fondements)

Ainsi que l’écrivait le Doyen Carbonnier « les biens n’ont de sens que par rapport à l’homme »[1]. Autrement dit, le droit n’a pas vocation à appréhender les choses en tant que telles, soit indépendamment de l’utilité qu’elles procurent à l’homme ; il les envisage, bien au contraire, dans leur rapport exclusif avec lui.

Plus précisément, c’est l’appropriation dont les choses sont susceptibles de faire l’objet qui intéresse le droit.

Si cette appropriation s’exprime toujours par l’exercice par l’homme d’un pouvoir sur la chose, ce pouvoir peut être de deux ordres :

  • D’une part, il peut s’agir d’un pouvoir de fait : on parle alors de possession de la chose
  • D’autre part, il peut s’agir d’un pouvoir de droit : on parle alors de propriété de la chose

==> Distinction entre la possession et la propriété

Possession et propriété peuvent, en quelque sorte, être regardés comme les deux faces d’une même pièce.

  • La possession : un pouvoir de fait sur la chose
    • La possession est le pouvoir physique exercé sur une chose, de sorte qu’elle confère au possesseur une emprise matérielle sur elle.
    • À cet égard, pour le Doyen Cornu « le possesseur a la maîtrise effective de la chose possédée. Il la détient matériellement. Elle est entre ses mains. En sa puissance».
    • Ainsi, la possession est un fait, par opposition à la propriété qui est le droit, ce qui a conduit le Doyen Carbonnier à dire de la possession qu’elle est l’ombre de la propriété.
    • La possession n’est, toutefois, pas n’importe quel fait : elle est un fait juridique, soit un agissement auquel la loi attache des effets de droit.
    • Et la situation juridique ainsi créée est protégée en elle-même.
  • La propriété : un pouvoir de droit sur la chose
    • À la différence de la possession qui relève du fait, la propriété est le pouvoir de droit exercé sur une chose.
    • Par pouvoir de droit, il faut entendre la faculté pour le propriétaire d’user, de jouir et de disposer de la chose.
    • Ainsi, la propriété confère une plénitude de pouvoirs sur la chose, lesquels pouvoirs s’incarnent dans ce que l’on appelle le droit réel (« réel » vient du latin « res» : la chose).
    • Ce droit réel dont est titulaire le propriétaire est le plus complet de tous.
    • La raison en est que la propriété, en ce qu’elle procure au propriétaire l’ensemble des utilités de la chose, fonde la souveraineté qu’il exerce sur elle à l’exclusion de toute autre personne.
    • À la différence de la possession qui est susceptible, à tout instant, d’être remise en cause par le véritable propriétaire de la chose, la propriété confère au à son titulaire un droit – réel – dont il ne peut être privé par personne, sauf à faire l’objet d’une procédure d’expropriation, laquelle procédure est strictement encadrée par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Le droit de propriété est donc un pouvoir de droit exercé par le propriétaire sur une chose. Plus précisément ce droit relève de la catégorie de ce que l’on appelle les droits réels, par opposition aux droits personnels

==> Droits réels / droits personnels

Les droits réels se distinguent fondamentalement des droits personnels en ce qu’ils consistent à exercer un droit, non pas contre une personne, mais sur une chose.

Pour le comprendre, envisageons séparément les deux notions :

  • Le droit personnel
    • Notion
      • Il confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne
      • Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation
      • Structurellement, le droit personnel suppose donc deux sujets, un créancier, le sujet actif du droit, et un débiteur, le sujet passif du droit et un objet, la prestation convenue entre les parties
      • À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une chose mais entre deux personnes entre elles
      • Le droit personnel est celui qui naît de la conclusion d’une convention
    • Summa divisio
      • Le droit personnel est pourvu de deux facettes:
        • Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
        • Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette
      • Les droits personnels se classent en trois grandes catégories:
        • L’obligation de donner
          • L’obligation de donner consiste pour le débiteur à transférer au créancier un droit réel dont il est titulaire
            • Exemple: dans un contrat de vente, le vendeur a l’obligation de transférer la propriété de la chose vendue
        • L’obligation de faire
          • L’obligation de faire consiste pour le débiteur à fournir une prestation, un service autre que le transfert d’un droit réel
            • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
        • L’obligation de ne pas faire
          • L’obligation de ne pas faire consiste pour le débiteur en une abstention. Il s’engage à s’abstenir d’une action.
            • Exemple: le débiteur d’une clause de non-concurrence souscrite à la faveur de son employeur ou du cessionnaire de son fonds de commerce, s’engage à ne pas exercer l’activité visée par ladite clause dans un temps et sur espace géographique déterminé

Schéma 3

  • Le droit réel
    • Notion
      • Il confère à son titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose
      • Structurellement, le droit réel suppose un sujet, le propriétaire et un objet, la chose sur laquelle s’exerce le droit réel
      • Le droit réel établit, en d’autres termes, une relation entre une personne et une chose
      • Le droit réel s’exerce ainsi sans qu’il soit besoin d’actionner une personne. Il s’exerce sans l’entremise d’un tiers
      • Le propriétaire ou l’usufruitier jouit directement de la chose
      • Le droit réel est celui qui naît de l’acquisition de la qualité de propriétaire
    • Summa divisio
      • Il existe deux catégories de droits réels :
        • Les droits réels principaux
          • Le droit de propriété dans sa plénitude (usus, fructus et abusus)
          • Les démembrements du droit de propriété qui confèrent à leur titulaire une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété
            • L’usufruit (usus et fructus)
            • L’abusus
            • La servitude (charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant)
        • Les droits réels accessoires
          • On parle de droits réels accessoires, car ils portent sur une chose, et qu’ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir
            • Exemple : les sûretés réelles : il s’agit des droits consentis à un créancier sur un bien déterminé en garantie d’une dette
            • Il en va ainsi du gage, du nantissement, ou de l’hypothèque

Schéma 2

 Au bilan, le droit de propriété se caractérise par, d’abord, par son objet, les choses, et, ensuite, par sa plénitude, en ce qu’il regroupe l’ensemble des prérogatives de droit qu’une personne est susceptible d’exercer sur un bien.

Ce constat, qui permet de situer le droit de propriété dans la théorie générale du droit conduit à s’interroger sur son appréhension en tant qu’institution juridique.

I) La reconnaissance du droit de propriété

L’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». L’article 2 de ce même texte cite, en parallèle, la propriété au nombre des droits naturels et imprescriptibles de l’homme.

Cette double reconnaissance du droit de propriété par la DDHC a conduit le Conseil constitutionnel a décidé dans une décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982 (loi sur les nationalisations) que « les principes mêmes énoncés par la Déclaration des Droits de l’Homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l’un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression, qu’en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ».

De son côté, la Cour de cassation a pu juger dans un arrêt du 28 novembre 2006 que le libre accès à sa propriété « constitue un accessoire du droit de propriété, droit fondamental à valeur constitutionnelle » (Cass. 1ère civ., 28 novembre 2006, n° 04-19.134).

Par ailleurs, il peut être observé que compte tenu de ses caractères, le droit de propriété est au nombre des libertés qui peuvent être protégées par le juge administratif selon la voie du référé-liberté institué par l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CE, 31 mai 2001, Commune de Hyères-les-Palmiers).

Cette position éminente dans la hiérarchie des normes n’est pas celle que reconnaissent au droit de propriété d’autres systèmes de droit, pour qui la propriété oblige (en Allemagne, Espagne, Italie). Mais ces différences s’estompent par l’effet notamment des instruments d’harmonisation européens . Le droit de propriété est, en effet, garanti par :

  • L’article 1er du Premier protocole de la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit que « chacun a le droit au respect de ses biens» (CEDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique, requête n° 6833/74).
  • La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, qui l’érige au rang de « droit fondamental de l’Union européenne»

À l’examen, l’exercice du droit de propriété est susceptible de se heurter à de nombreux principes au nombre desquels figurent par exemple :

  • Le principe de nationalisation des biens des entreprises constituant un service public national ou un monopole de fait (article 9 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946)
  • Le droit à un logement décent qui est reconnu à l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et à l’article 31 de la Charte sociale européenne révisée

À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme valide les atteintes au droit de propriété, dès lors qu’elles sont justifiées par la protection de l’intérêt général (V. en ce sens CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c. Royaume Uni).

Le législateur peut donc, dans l’intérêt général, réglementer l’usage des biens. Il a été ainsi admis que n’était pas contraire à la Convention la règle posée par l’ancien article L. 89-1 du code du domaine de l’État et relative à la zone des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et Martinique, l’obligation de justifier de l’usage d’une parcelle pour faire valider son titre, disposition pourtant contraire à la règle classique selon laquelle le droit de propriété est imprescriptible et ne s’éteint pas par le non-usage (Cass. 3e civ., 16 novembre 2005, n° 04-13926).

II) La définition de la propriété

À titre de remarque liminaire il convient d’observer que la définition de la propriété n’est pas unitaire, mais plurielle. Le droit est, en effet, sur cette question, concurrencé par de très nombreuses sciences humaines qui font du droit de propriété un objet d’étude majeure.

La raison en est que, comme l’exprimait Portalis dans son Discours préliminaire sur le premier projet de Code civil, « c’est la propriété qui a fondé les sociétés humaines. C’est elle qui a vivifié, étendu, agrandi notre propre existence. C’est par elle que l’industrie de l’homme, cet esprit de mouvement et de vie qui anime tout a été portée sur les eaux, et a fait éclore sous les divers climats tous les germes de richesse et de puissance ».

Pour ce rédacteur du Code civil, la propriété n’est autre qu’un droit naturel que le droit positif ne fait que consacrer.

À cet égard, elle y est définie, à l’article 544 comme « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Il ressort de cette disposition que plusieurs éléments caractérisent la propriété, pris en tant que notion juridique :

  • Un droit subjectif
    • La propriété consiste donc en un droit, et plus précisément en un droit subjectif.
    • Par droit subjectif, il faut entendre une prérogative qui confère à son titulaire une exclusivité sur l’utilité qu’il en retire
    • Reste que si la propriété est l’exercice d’un droit fondamental, exclusif et absolu, voire comme d’aucuns le soutiennent une condition de l’indépendance et de la liberté de l’homme, il ne s’apparente pas à une liberté individuelle.
    • En effet, le droit de propriété ne bénéficie pas du même régime de protection que d’autres droits fondamentaux
    • Surtout, il ne s’exerce que dans le cadre des limites que posent l’intérêt général et, parfois aussi, l’intérêt particulier d’un autre propriétaire.
    • Bien que demeurant un principe de 1789, il ne peut être entendu que réévalué et actualisé.
    • S’il a conquis de nouveaux champs tels la propriété intellectuelle (CEDH, 11 janvier 2007, Anheuser-Busch Inc c. Portugal), la propriété publique, les valeurs patrimoniales, y compris certaines créances (CEDH, 6 octobre 2005, Draon c. France, requête n° 1513/03; 2e civ., 3 mai 2007, n° 05-19.439) en les renforçant, il s’est en même temps fragilisé.
  • Un droit subjectif qui confère à son titulaire un pouvoir sur une chose
    • Le droit de propriété, en ce qu’il consiste en un droit réel, confère à son titulaire un pouvoir, non pas contre une personne, mais sur une chose.
    • Il opère donc un lien direct entre le propriétaire et la chose, de sorte que ce dernier n’est nullement tenu d’obtenir une autorisation de quiconque pour accomplir, tant des actes d’administration, que des actes de disposition sur la chose.
    • Tel n’est pas le cas en matière de droit personnel, le locataire, à titre d’exemple, étant obligé de solliciter l’accord de son bailleur pour réaliser des travaux d’aménagement dans le local loué.
    • Le propriétaire est libre de jouir et de disposer de la chose comme bon lui semble
    • Cette liberté n’est toutefois pas sans être assortie de limites
    • En effet, le caractère absolu de l’exercice du droit de propriété est doublement compromis :
      • D’une part, par les lois et les règlements, conformément à l’article 544 du code civil qui dispose que « la propriété est le droit de jouir et de disposer de sa chose de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements»
      • D’autre part, par le contexte social duquel il ressort qu’« un propriétaire, un bien ne sont jamais isolés ; toute propriété se heurte à d’autres propriétés, à d’autres libertés qui la limitent inévitablement» (C. Atias, Les biens, éd. Litec, n°111, p. 90).
    • Le rapport qui existe entre le propriétaire et la chose doit ainsi nécessairement être appréhendé au regard de l’environnement socio-juridique dans lequel il s’exerce.
    • Il ne saurait, dans ces conditions, être appréhendé abstraitement, indépendamment, notamment, des considérations d’intérêt général qui se sont considérablement accrues depuis plusieurs décennies, notamment sous l’impulsion des politiques qui visent à répondre aux enjeux sociaux et environnementaux.
  • Un droit subjectif qui confère à son titulaire le plus complet des droits réels
    • On dit du droit de propriété qu’il est le plus complet des droits réels, dans la mesure où il confère à son titulaire toutes les prérogatives susceptibles d’être exercées sur une chose.
    • Cette plénitude du droit de propriété résulte directement de ses attributs que sont l’usus, le fructus et l’abusus.
    • Ces attributs fondent la souveraineté dont est investi le propriétaire qui exclut tout autre de la chose.
    • Peu importe que la propriété soit individuelle (un seul titulaire du droit) ou collective (plusieurs titulaires du droit), la propriété est toujours assortie des mêmes attributs, lesquels peuvent d’ailleurs faire l’objet d’un démembrement.
    • Dans cette hypothèse, elle perd sa plénitude, à tout le moins les prérogatives dont elle est constituée sont détenues par des personnes différentes.

[1] J. Carbonnier, Droit civil – Les biens, éd. PUF, 2004, n°729, p.1636.

Le secret de la délibération

« Bas les masques » ![1] Il me faut vous révéler un secret…de Polichinelle. Je suis un juriste, mais je ne suis ni processualiste, ni juge. Pire : la délibération est étrangère à mes préoccupations premières d’obligationniste, à tout le moins de prime abord. Quant au secret, je n’en suis pas dépositaire. On a connu des débuts plus encourageants. Ceci étant, et pour dire la vérité, le droit qui m’occupe au quotidien est le terrain d’élection des inventions les plus ingénieuses ou les plus folles du juge ; c’est selon. De fait, le secret de la délibération m’interroge.

Délibération. Entendue strictement comme le processus de décision juridictionnelle[2], la tentation est grande d’établir un lien très fort entre délibération – le donné – et motivation – le construit. – Bien qu’on nous ait exhortés ce matin de ne pas y succomber, j’ai cédé, pour ma part, à la tentation. Le sujet qui m’échoit de traiter a partie liée avec la justification rationnelle des décisions de justice. À l’expérience, le construit ne saurait jamais être complètement saisi sans que le juge ne s’expliquât sur le donné. Mais voilà, le juge – plus spécialement les conseillers des cours régulatrices – est bien souvent taisant sur la ou les raisons qui ont présidé à sa décision. Rien n’est dit des discussions pesées, des choix débattus, qui dépassent le strict syllogisme mais aussi le strict litige et encore le strict juridisme[3], et qui impriment pourtant au droit positif un mouvement vers le droit idéal. Exit les « motifs des motifs ». La délibération se tient sous le sceau du secret.

Le secret est exclusif. Connu d’un nombre limité de personnes, il est recherché avec inquisition : « tous les hommes ont, par nature, le désir de connaître » (Aristote)[4]. « Cette inspiration instinctive de l’être à combler le sentiment d’un manque, d’une incomplétude »[5], est une aspiration invincible de l’homme du siècle nouveau, qui est, peu ou prou, assouvie par les technologies de l’information et de la communication, mais non par la technique juridique, à tout le moins pas complètement. Le droit est encore pensé comme « une religion à mystères, un dogme révélé et inaccessible à la raison »[6]. Mais le droit a ses raisons…

Suggérer la levée du secret relève de la provocation, sinon de la subversion. On oppose classiquement « le respect d’un secret absolu du travail créatif du juge, la protection de son indépendance par l’effet de l’anonymat, la garantie de l’autorité de sa décision, considérée comme monolithique, en quelque sorte impériale et, en tant que telle, forçant le respect »[7]. Des quatre vertus cardinales (prudence, tempérance, courage) la justice présente cette particularité d’être un rapport aux autres, en l’occurrence un rapport d’autorité. Une fois les intérêts en conflits confrontés, le juge doit dire le droit (savoir) et trancher le litige (pouvoir)[8]. Œuvre humaine, l’œuvre du juge est imparfaite par nature[9]. Par crainte d’accuser un peu plus cet état, et d’empêcher la concordia discordantium, on tait le doute et/ou le dissentiment du juge, et ce religieusement[10].

À l’exception notable des membres de la juridiction administrative[11], tout juge – judiciaire et constitutionnel –, lors de sa nomination à son premier poste, prête serment « de garder religieusement le secret des délibérations »[12] (caractère inclusif du secret). Le sacrement est rappelé dans les saints codes de procédure[13] et sanctionné conjointement par le droit disciplinaire[14] et le droit pénal[15] (caractère exclusif du secret). La règle du secret est absolue, écrit le président Canivet[16]. C’est un « devoir sacré » écrivit, en son temps, le procureur général Dupin[17]. Notre tradition[18], a professé le Doyen Vedel, ne va pas dans le sens de la publicité du dissentiment et l’on ne peut pas savoir quelques dégâts produirait le changement, le temps qu’il prendrait à s’acclimater et les effets inattendus qu’il entraînerait »[19]. La messe paraît être dite. Et pourtant. Élevé au rang de principe général du droit public français par le Conseil d’État[20], le secret n’a pas été canonisé dans le tout récent Recueil des obligations déontologiques des magistrats, ni dans Les principes déontologiques rédigés par le Réseau européen des conseils de la justice, sinon de façon très incidente[21]. Réflexion faite, le secret paraît tenir désormais moins de la raison que de l’incantation.

Incantation. On écrit que « les juristes font usage d’un mélange bigarré d’habitudes intellectuelles qui sont admises comme des vérités premières et cachent ainsi le contenu politique de la recherche des vérités (…). »[22] Le secret de la délibération est topique. Les réactions épidermiques des cours régulatrices à la liberté, toute relative, prise par les juges du fond prouvent trop. En l’état du droit positif, toute décision du juge judiciaire ou du juge administratif, qui mentionne qu’elle a été prise à l’unanimité des voix ou qui indique avoir été rendue à la majorité de tant de voix, encourt la cassation pour violation de la loi du secret. Pareille jurisprudence donne à penser. Les décisions critiquées ne portent nullement atteinte à l’indépendance du juge. Bien mieux, elles manifestent un effort créatif du juge pour garantir l’autorité de sa décision : faire comprendre, par prétérition certes, non pas faire croire. En instituant la Cour européenne des droits de l’homme, les membres du Conseil de l’Europe n’ont du reste pas confondu secret de la délibération et mise au secret du juge. Avant d’entrer en fonction, le juge de Strasbourg jure d’observer le secret des délibérations[23]. En exercice, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales l’autorise à publier des opinions séparées[24].

Les dissensions, quant au secret de la délibération, sont rares : tradition oblige. La parution, dans le courant de l’année 2010, des essais de deux anciens membres du Conseil constitutionnel[25] placent le sujet au cœur de l’actualité littéraire, peut-être, juridique, certainement. Pierre Joxe prend position publique sur des questions ayant fait l’objet de décisions de la part du juge de la rue Montpensier[26]. Il regrette qu’on l’ait invité à taire ses opinions différentes.

Il ne s’agit nullement de porter atteinte, par goût de la dispute, à l’imperium du juge. Il ne s’agit pas plus de faire mien l’enseignement d’Aristote, qui écrit que la fonction de la Réthorique doit avoir pour tâche de gagner l’adhésion d’un auditoire non spécialisé, des « auditeurs qui n’ont pas la faculté d’inférer par de nombreux degré et de suivre un raisonnement depuis un point éloigné. »[27] L’art du juge est difficile et la critique facile. Je pense avec M. le professeur Mouly que « l’hésitation que suscite le secret du délibéré doit être surmontée car l’opinion [du juge sur la délibération et/ou la motivation] ne révèle pas le délibéré ; elle révèle l’opposition d’arguments fondés. »[28] « Certains peuvent préférer maintenir un voile pudique sur le processus de fabrication des décisions au motif que dévoiler tous les mystères désenchanterait le public ; d’autres, préférer rendre public la confrontation des opinions au motif que la connaissance des débats est une condition de l’acceptation de la rationalité de la décision. »[29] J’opine en ce dernier sens.

Sur cette pente, je défendrai, en premier lieu, que le secret de la délibération doit être levé (pourquoi). Je présenterai, en second lieu, les modalités de la levée du secret de la délibération (comment). Vous l’avez compris, pourquoi, comment seront les deux temps de ma communication.

I.- Un secret de la délibération à lever (pourquoi)

On dit ordinairement que la valeur d’un principe se compte au nombre de ses exceptions. Le principe du secret de la délibération comptant, d’une part, nombre de défloraisons (A), il n’est plus de raison, d’autre part, de le maintenir (B).

A.- La défloraison du secret

États de la défloraison. La défloraison du secret est d’intensité variable. Tantôt, on feint de ne pas parler de la délibération. Tantôt, on se plait à parler de la délibération. Pour faire état des différents états de la défloraison, je verrai, d’abord, la défloraison par prétérition (1), ensuite la défloraison par expédition (2).

1) La défloraison par prétérition

Défloraisons du fait du « normateur ». En élevant le secret du délibéré au rang de principe général du droit, le Conseil d’État a réservé le cas où une exception formelle consacrée par la loi viendrait s’opposer à l’interdiction de divulguer une opinion séparée. Et bien, le législateur a autorisé, pour sa part mais sans le dire, qu’on déflorât, le secret en droit de l’arbitrage. Le juge s’est autorisé, pour la sienne, à déflorer, par prétérition, le secret en droit tout court.

Défloraison du fait du législateur. En droit de l’arbitrage, l’arbitre minoritaire est autorisé par la loi à ne pas signer la sentence, et ce sans préjudice de sa validité (C. pr. civ., art. 1473, al. 2). La nullité serait dangereuse en la matière, considère-t-on[30]. Se faisant, la personne qui siège dans le tribunal arbitral manifeste qu’elle n’approuve pas la sentence rendue par la majorité de ses collègues ; l’arbitre se désolidarise de l’opinion majoritaire. Étonnement, la plupart des auteurs considère que l’opinion séparée d’un arbitre est prohibée par le Code de procédure civile, en l’occurrence par l’article 1469, qui dispose que « les délibérations des arbitres sont secrètes »[31]. Mais, « l’arbitre qui rend publique une opinion particulière est-il plus reprochable que celui qui refuse sa signature »[32]? Je ne le pense pas. Le premier a en revanche le mérite d’expliciter son opinion séparée. Voilà une heureuse contribution au droit, à l’art du juste et du bien : « jus est ars aequi et boni » (Ulpien et Celse).

Pragmatique, la Cour d’appel de Paris considère du reste que « le secret du délibéré, qui n’est pas plus une cause de nullité de la sentence en droit international qu’en droit interne, ne fait (…) pas obstacle à l’expression d’opinions dissidentes ou séparées. »[33] C’est une litote. La formule négative – l’énonciation juridique – ne trompe pas : il s’agit d’une défloraison du secret du fait du juge, par prétérition. Il en une autre qui doit retenir l’attention.

Défloraison du fait du juge. La Cour de cassation pratique depuis plusieurs années, un marquage de ses arrêts. Ce marquage doctrinal est étroitement fonction de l’intérêt normatif de l’arrêt rendu. Le lecteur est ainsi avisé de la composition de la chambre et de la portée de la décision. Il est également informé des noms du rapporteur et de l’avocat général, ainsi que des noms des avocats en demande et en défense[34]. À l’analyse, pareilles informations participent à déflorer le secret de la délibération. En raison de la sophistication croissante du contentieux (ex eo quod plerumque fit), on constate une spécialisation des conseillers, qui donne au rapporteur une autorité importante, trop a-t-on écrit[35]. Pour les spécialisations étroites, le rapporteur est unique. Au fil des arrêts, les initiés sont en mesure de connaître la doctrine du rapporteur et d’apprécier sa portée sur la décision rendue. C’est particulièrement vrai s’agissant des arrêts rendus en formation simple de trois magistrats en matière civile (C. pr. civ., art. L. 431-1, al. 1er). Consciemment ou non, il se développe entre le rapporteur et la matière, un rapport de type « responsabilité-appropriation », écrit Guy Canivet. Partant, « chacun d’eux est ainsi en mesure de suivre de près la réception des arrêts par la doctrine, elle aussi spécialisée, et d’engager avec les auteurs, de manière plus ou moins étroite, directe et suivie – ou simplement implicite par publication interposées – une relation dialogique sur la pertinence des solutions. »[36] Mais voilà, on réserve la forme dialogique, propre à toute vraie communication, pour expliquer les conceptions qui sont à la fois assez importantes et assez mûries.

Ce désir d’explicitation, qui est du reste satisfait par la communication du rapport à la demande du lecteur, est topique d’une seconde forme de levée du secret de la délibération : la défloraison par expédition.

2) La défloration par expédition

Droits d’ici et d’ailleurs. La défloraison par expédition, qui consiste à faire ouvertement état de la délibération, est pratiquée tant en droit interne qu’en droit comparé.

Droit interne. En droit interne, on doit la levée du secret de la délibération aux politiques de promotion des décisions juridictionnelles rendues par la Cour de cassation, le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel. Si elles sont heureuses parce qu’elles satisfont à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit[37], elles s’avèrent être malheureuses pour les zélateurs du secret de la délibération. C’est que la ligne de fracture est ténue entre information et confession. Les communiqués de presse publiés (sur support papier ou électronique) par les cours régulatrices, en l’occurrence par le Service de documentation et d’études de la Cour de cassation (SDE) ou par le Centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’État, et les panoramas de jurisprudence rédigés par des conseillers référendaires prouvent trop. Certes, bon nombre ajoutent peu au texte de l’arrêt et s’assurent seulement de la bonne compréhension de la portée des arrêts rendus. De ce premier point de vue, ils ont une fonction pédagogique d’information et de vulgarisation[38]. Mais, il en est d’autres qui explicitent la motivation, voire y ajoutent, en signalant par exemple les raisons qui ont justifié le choix d’une interprétation[39]. De ce second point de vue, ils ont une fonction scientifique d’interprétation. À l’occasion de la publication de la première « chronique de la Cour de cassation » au Recueil Dalloz (2007, n° 13), il est écrit en propos liminaires que « l’objectif de cette chronique est d’éclairer le sens de certaines décisions, de révéler les influences extérieures qui ont pu éventuellement conduire à adopter telle ou telle solution, d’identifier à travers elles les lignes directrices de la jurisprudence de la Cour régulatrice. »[40] Le juge n’entend décidément pas être mis au secret. Dans le dessein de faire comprendre, et non de faire croire, il use à l’envie des supports de communication[41]. Le juge sait publier, consciemment ou non, des opinions dissidences dans les notes sous arrêts proposées dans le Bulletin d’information des arrêts de la Cour de cassation[42]. Le juge défend que la publication du rapport du conseiller, et dans une mesure moindre la publication des moyens de cassation, est un « élément précieux pour comprendre la ratio decidendi d’une jurisprudence », qu’il est « un moyen d’éclairer la solution finalement rendue et de comprendre le raisonnement suivi par l’arrêt dont la motivation cursive ne rend pas nécessairement compte (…)[43] Le juge s’évertue à commenter ses décisions, dans les revues et les mélanges[44], bravant, s’agissant à tout le moins des conseillers de la Cour de cassation, la défense itérative du président Truche[45]. Le juge fait œuvre de doctrine dans ses rapports annuels d’activité à l’occasion desquels les débats sont révélés ainsi que les influences juridiques et extra-juridiques[46] qui ont conduit à l’arrêt. Et il y a mieux ou pire, c’est selon. À l’expiration d’un délai de 25 ans, la loi autorise la publication du compte rendu des séances du Conseil constitutionnel, rédigées par son secrétaire général[47]. Qu’est-ce que cette pratique sinon une violation éclatante, mais à rebours, du secret de la délibération ?

Droit comparé. La pratique des opinions séparées est répandue en droit conventionnel et dans les droits étrangers. Et on n’entend aucun crie d’orfraie. L’idée ne viendrait à personne de soutenir que les juges de Strabourg ou que leurs homologues ordinaires de Santiago du Chili ne sont pas indépendants. Mais comparaison n’est pas raison. Aussi je n’en dirai pas plus. Et puisqu’il s’agit de raison. Il importe à présent, avec prudence, de faire état des déraisons du secret.

B.- Les déraisons du secret

Le secret ne me paraît pas être frappé au coin…de la raison, à tout le moins tel qu’on l’appréhende classiquement. En consacrant le secret de la délibération, il semble, à la réflexion, que le législateur ait eu pour intention première d’interdire aux juges et arbitres de délibérer en présence des parties ou des tiers et de proscrire que celui qui n’opine pas dans le sens de ses pairs ne révèle les positions prises en conscience par chacun d’eux. Au soutient de cette thèse, j’invoquerai l’absence de nullité textuelle de la décision en cas de défloraison du secret[48]. J’ai bien conscience en disant cela de réduire notablement la portée du secret, à tout le moins sa portée théorique. Car, en pratique, ladite portée est réduite à une portion congrue mais ramassée à sa quintessence.

L’exception du secret de la délibération n’emporte pas la conviction. Je ne suis ni convaincu que le silence observé sur les motifs des motifs garantisse l’autorité du jugement, ce que j’exposerai d’abord (1), ni qu’il participe de la sécurité juridique, ce que présenterai ensuite (2).

1) Autorité du jugement

On dit que l’autorité du jugement serait garantie par le secret de la délibération, lequel protégerait par ailleurs l’indépendance du juge[49]. En disant cela, il semble que l’on confonde autorité – auctoritas – et pouvoir – postestas. – Auctoritas vient d’augere, qui veut dire augmenter. « Elle est ce supplément d’âme qui anime et intensifie un pouvoir »[50], en l’occurrence le pouvoir du juge de trancher le litige (C. pr. civ., art. 12). En somme, l’autorité du jugement ne saurait être exclusivement organique ou institutionnelle. Le statut du locuteur ne confère pas ipso facto son autorité à un énoncé[51]. S’il importe au juge de déclarer publiquement, au nom du peuple français (C. pr. civ., art. 454), laquelle des prétentions en conflit est justifiée ; il importe tout autant qu’il expliquât au justiciable, quand même serait-il juge de cassation, les raisons de tous ordres pour lesquelles ce dernier subit, tant d’un point de psychologique et social qu’économique, les conséquences coûteuses de sa défaite[52]. Si l’on accorde qu’« une décision de justice ne puise sa rationalité que dans la confrontation des arguments qui l’a fait naître (…), alors on conviendra que la connaissance des débats est une condition de l’acceptation de la rationalité de la décision. »[53] En ce sens, un assistant à la Cour constitutionnelle d’Allemagne écrit que « l’opinion dissidente transfère les raisons de respecter une décision de justice de l’autorité institutionnelle à la qualité du raisonnement. »[54] Et un conseiller à la Cour de cassation d’affirmer que « l’opinion dissidente renforce l’indépendance du juge, en la rendant plus visible, plus éclatante. »[55]

La levée du secret concourt à l’acceptation par le justiciable de la décision. Elle renforce encore la motivation, laquelle est du reste un droit du justiciable[56].

En droit conventionnel, l’opinion séparée participe de la motivation des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Le titrage de l’article 45.2 de la convention est en ce sens (in « Motivations des arrêts et décisions »). On peut affirmer avec d’autres que : « la pression que représente l’éventualité de la publication d’opinions dénonçant l’insuffisance de l’argumentation de la majorité entraîne une motivation mieux étayée »[57] (fonction préventive de la « levée » du secret de la délibération). Pour cause : « pour contredire un adversaire ou un partenaire, il faut trouver un argument de rang plus élevé que les siens. »[58] Source vivifiante du droit, l’exposé et la critique du donné comme du construit promettent un foisonnement de concepts et de solutions juridiques inédites[59] (fonction curative de la « levée » du secret de la délibération). Ils sont annonceurs d’une ingénierie juridique au service du beau droit, « celui seul reçu (accipitur) par le bon peuple pour tenir lieu de vérité (pro veritate). »[60]

En disant cela, j’entends bien les critiques formulées par les opposants à la levée du secret de la délibération. Mais les prédictions de grands troubles dans la force de la jurisprudence ne convainquent pas. Je pense au contraire que l’exposé ou la critique de la délibération et/ou de la motivation participent de la sécurité juridique.

2) Sécurité juridique

Prévention. Si l’on s’accorde pour dire que la décision rendue par le juge est spéciale et relative, il est suffisamment su que quelques autres, rendues par la Cour de cassation et le Conseil d’État, voire par une cour administrative d’appel[61], ont une portée générale et absolue. Il est des circonstances dans lesquelles l’article 5 du Code civil est tacitement abrogé, sur le commandement exprès, au demeurant, de l’article 4 du Code civil. Ces décisions concourent à la formation d’une jurisprudence normative[62]. Comme le discours législatif, le discours juridictionnel comporte des énoncés[63]. On nombre des « normateurs », il importe donc de compter le législateur (interne et communautaire) et le juge[64]. Caractérisé par sa finitude, le droit est en perpétuel changement : vingt fois sur le métier, l’ouvrage doit être remis. L’encre de la loi de sauvegarde des entreprises est à peine sèche qu’elle a déjà été modifiée et vient de l’être une énième fois[65]. Aussi, l’on doit pouvoir préparer les revirements de jurisprudence comme on prépare les changements de législation[66]. La jurisprudence est la science des prudents. Mais l’invention d’un droit transitoire prétorien, à laquelle on songe spontanément, n’est pas sage[67]. Si l’on ne saurait discuter qu’un pareil droit assure la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle qu’est la bonne administration de la justice, laquelle exige que soit évitée une application erratique, due à l’impréparation, de règles nouvelles de procédure, il n’en reste pas moins que l’application dans le temps de la jurisprudence prive le demandeur au pourvoi, qui seul a porté le poids de l’aléa judiciaire, du bénéfice des efforts intellectuels et matériels déployés pour corriger le droit positif[68]. Aussi bien la sentence populaire, qui commande de prévenir plutôt que de guérir, a-t-elle tout son sens en la matière. La levée du secret du délibéré a une fonction prophylactique. Elle évite, au moins pour partie, ce qui n’est pas rien, les heurts et malheurs de la modulation dans le temps de la jurisprudence[69]. Et ce n’est pas là sa seule qualité. Je crois qu’elle est de nature à endiguer la processivité.

Processivité. « Moins on est apte à maîtriser la ratio decidendi, et donc à présenter les grandes articulations d’une question, plus les plaideurs sont invités à tenter leur chance »[70]. La partie qui défaille doit recevoir une explication de nature à panser ses blessures. Des arrêts peu argumentés manquent à leur objectif fondamental d’apaisement des conflits. Les cours régulatrices le savent bien. C’est la raison pour laquelle elles intensifient leurs efforts pour expliciter le sens de leurs décisions. C’est louable mais peu profitable, car la motivation est à rebours, en dehors de l’arrêt. Or, « les échanges entre magistrats [écrit le président Tricot] enseignent que, dans les juridictions d’autres pays ou les juridictions internationales qui publient les opinions dissidentes, cette pratique n’a pas pour effet d’affaiblir la décision ou de provoquer des tentations de remise en cause de la règle retenue : elle constitue davantage une manière commode de faire savoir que tous les points en débat ont été examinés. »[71]

Pour toutes les raisons précédemment évoquées, et je ne prétends aucunement à l’exhaustivité, le secret de la délibération doit être levé. Mais défendre que la connaissance du donné est parée de mille atours est une chose. Évoquer les modalités de la levée du secret de la délibération en est une autre. C’est ce qu’il importe à présent d’envisager.

II.- La levée du secret de la délibération (comment)

Deux séries de considération président à la levée du secret de la délibération. Ce sont, d’une part, les moyens d’agir (A). C’est, d’autre part, la qualité pour agir (B).

A.- Les moyens d’agir

Le possible. L’exposé critique des moyens d’agir commande que les champs du possible soient, d’abord, explorer (1). Chose faite, il s’agira, ensuite, de préciser les conditions du possible (2).

1) Les champs du possible

Les champs du possible sont riches, ils n’attendent qu’à être cultivés. Le juge en a, du reste, pleinement conscience. On l’a dit de façon incidente. Le secret de la délibération peut être levé a minima ou/et a maxima.

A minima, la formation collégiale de jugement pourrait faire mention du partage des voix. Le lecteur, au nombre desquels on compte, primus inter partes, le perdant, pourrait tirer enseignement de ce que l’arrêt a été rendu à l’unanimité ou à une majorité qualifiée. La processivité découragée, par hypothèse, on pourrait augurer un endiguement du contentieux, par voie de conséquence. A minima, encore, la juridiction pourrait expliciter davantage les principes posés et les justifications des choix opérés[72]. En l’état, la brièveté des décisions de la Cour de cassation, laquelle, au passage, est un marqueur structurel critiquable de souveraineté[73], brouille le signal. On pourrait ainsi satisfaire pleinement aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, par le passé, a attiré l’attention de la France sur les modalités d’exécution de l’obligation de motivation[74]. A minima, enfin, la cour pourrait systématiser la publication des rapports des conseillers, conclusions des avocats généraux et moyens des parties. On pourrait ainsi mettre un terme à une diffusion erratique des travaux préparatoires de la décision.

A maxima, il s’agit de consacrer la pratique des opinions séparées[75]. J’entends bien les réserves qu’inspire ce dispositif. Mais je ne pense pas qu’en les pratiquants le juge minoritaire sombre du côté obscure de la force[76]. On aura garde de noter que l’opinion n’est pas nécessairement divergente. Elle peut tout à fait être concordante. En cette occurrence, le juge minoritaire partage la solution retenue mais pas le fondement[77]. L’opinion séparée est un discours sur le droit. À ce titre, elle relève de l’ordre du descriptif et n’a, par voie de conséquence, aucun degré de normativité. Autrement dit, ce métalangage (langage qui porte sur un langage) n’est pas performatif ; il ne comporte aucun énoncé déontique[78]. Il n’y a pas lieu de craindre une confusion de genres et une déqualification de la décision. Mutatis mutandis, la loi ne perd pas de son prestige pour la seule raison que des opinions minoritaires ont été émises publiquement à l’occasion de la délibération parlementaire (examen en commission puis discussion publique)[79]. Dans le mesure où les cours régulatrices interprètent la loi, voire la réécrivent, et je songe tout particulièrement à la réforme du recours des tiers payeurs[80], je ne vois pas de raison dirimante d’interdire à la Cour de cassation, au Conseil d’État ou au Conseil constitutionnel d’émettre une opinion minoritaire. Une décision de justice « n’est pas l’énoncé d’une vérité, mais l’expression d’un choix qui a donné lieu à des échanges argumentatifs[81]. » Il ne me paraît pas scandaleux que le juge s’en justifiât[82].

Dans sa dénonciation, en toute ou partie de l’opinion majoritaire, l’opinion séparée peut être rapprochée de la réthorique arisotélicienne qui est l’art de rechercher, dans toute situation, les moyens de persuasion disponibles[83], encore que l’exercice de cet art suppose réunies un certain nombre de conditions.

2) Les conditions du possible

Les conditions du possible sont de deux ordres. La levée du secret de la délibération suppose satisfaites une condition organique et une condition fonctionnelle, d’importance inégale.

Condition organique. La pratique des opinions séparées suppose nécessairement l’existence d’un organe pluridisciplinaire et l’absence d’un consensus. c’est un truisme que de l’affirmer. Si l’on considère que dans bien des cas le juge unique tend à supplanter la formation collégiale[84], et le nombre limité de places offertes aux derniers concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature est topique, les réserves traditionnellement formulées peuvent raisonnablement être tempérées[85].

Condition fonctionnelle. Si la levée du secret du délibéré présente nombre de vertus, elle est porteuse de vices apparents et de vices cachés. À peine d’empêcher matériellement le juge de tirer profit des moyens d’agir envisagés, il importe de les garantir.

Au nombre des vices apparents, on songe spontanément au coût que représente pour les chefs de cours la politique de promotion des décisions juridictionnelles. Mais ceci n’est peut-être pas insurmontable en raison des possibilités de diffusion en ligne. Le coût est plutôt d’une toute autre nature. Il participe du reste des vices cachés. Les moyens listés, à l’exception notable de la mention du partage des voix, sont chronophages. Or le temps c’est de l’argent. Les diligences supplémentaires observées par les juridictions allongeront nécessairement le délai de traitement des saisines. Partant, elles risquent de rendre l’État justiciable d’une action en responsabilité pour organisation défectueuse de son service public de la justice. Mais, ce vice n’est peut-être pas rédhibitoire, à tout le moins je ne veux pas le croire. Il en est un autre, en revanche, dont il faut se garder.

Une étude quantitative des opinions dissidentes au Canada fait état d’opinions exprimées en plus de 80 pages[86]. Au vu du contentieux que les juridictions françaises sont amenées à connaître, et du droit qu’a le justiciable à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable, c’est proprement impraticable. On pourrait alors songer à autoriser le juge minoritaire à faire publiquement part de sa dissidence, mais à la double condition qu’il publie une courte note, et qu’il la soumette, aux fins de contrôle formel, au président de chambre ou du conseiller-doyen.

Cette dernière considération doit à présent retenir l’attention ; elle a partie liée avec la qualité pour agir.

B.- La qualité pour agir

La qualité pour agir c’est, d’abord, le droit d’agir (1), ensuite, la faculté d’agir (2).

1) Le droit d’agir

S’agissant du droit d’agir, on peut avoir deux dispositions d’esprit : être libertaire ou liberticide.

Libertaire, on autorise n’importe quel juge, quel que soit son grade ou son rang, à déflorer le secret de la délibération. En théorie, le risque est grand, pour reprendre les mots du Doyen Vedel, que « la lente élaboration du consensus, qui préside à un grand nombre de décisions, soit sacrifiée au désir sportif bien humain, et bien français, de signer de son nom l’exploit du jour (…). »[87] En pratique, le risque est faible. Les magistrats, en sous-nombre, me paraissent bien trop occupés par leurs dossiers, en surnombre, et préoccupés par leurs conditions de travail, pour prendre le temps de pratiquer ledit sport.

Liberticide, primo, on réserve la publication d’opinions séparées aux conseillers des cours régulatrices ; secundo, on la limite aux pourvois posant une question juridique majeure (dans son principe et/ou ses effets) ou une question de société ; tertio, on réserve la pratique d’un pareil dispositif aux décisions rendues en plénière de chambre ou en formation solennelle.[88]

Le choix entre les deux branches de l’alternative n’est pas binaire ; il est étroitement dépendant du moyen d’agir mis en œuvre. Si l’on peut autoriser une défloraison à large spectre (ratione personae), mais a minima (ratione materiae) du secret de la délibération, il paraît plus prudent d’interdire une défloraison a maxima (ratione materiae) et tous azimuts (ratione personae) dudit secret. Au nombre des raisons sus-évoquées, il faut ajouter, entre autres, l’utilité discutable de ce dernier dispositif pour les justiciables des juridictions du fond. En raison du contrôle de légalité exercé par les cours régulatrices, les tribunaux et cours d’appel sont invités à soigner la motivation de leurs décisions respectives. Partant, le perdant est généralement en mesure de mieux saisir la ou les raisons qui justifient qu’il ait été débouté.

2) La faculté d’agir

Quant à la faculté d’agir, si l’on ne saurait contraindre un juge à pratiquer a maxima la levée du secret de la délibération, on doit pouvoir imposer aux cours régulatrices de lever a minima le secret de la délibération. La communication du rapport du conseiller-rapporteur aux parties y participe d’ores et déjà.

Vox clamantis in deserto? J’ai un doute légitime. Il peut pour partie être levé si l’on veut bien considérer la fonction duale des cours régulatrices. La Cour de cassation et le Conseil d’État ont une fonction de censeur et de normateur. En qualité de censeurs, le juge du Quai de l’Horloge et son homologue de la place du Palais Royal contrôlent la légalité des décisions prises par les juridictions inférieures. En qualité de « normateurs », ils inventent le droit. Si l’on peut opposer quelques arguments à la levée du secret de la délibération en contemplation de la fonction correctrice exercée par nos hautes juridictions, je ne vois plus d’empêchement à la levée du secret de la délibération en raison de l’exercice de leur fonction créatrice[89], sauf alors à la nier…

Voix de celui qui crie dans le désert ? Peut-être. Je reste en tout état de cause soulagé d’avoir pu faire part du secret de ma délibération.

[1] Contribution au colloque “La délibération” publiée à la Revue Procédures, 2010/3, étude n° 6.[2] V. N. Cayrol, La notion de délibération, rapport introductif.

[3] En ce sens, P. Deumier, Les « motifs des motifs » des arrêts de la Cour de cassation. Étude des travaux préparatoires, mél. J.-F. Burgelin, Dalloz 2008, p. 125. V. égal. F. Zénati-Castaing, Les motivation des décisions de justice et les sources du droit, D. 2007, p. 1553.

[4] V. égal. J.-M. Varaud, Secret et transparence, Gaz. Pal. 14 sept. 2002, n° 252.

[5] Trésor de la langue française informatisée, v° Désir.

[6] D. Rousseau, Une opinion dissidente en faveur des opinions dissidentes, Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 8, 2000, p. 113, spéc. p. 114.

[7] J.-P. Ancel, L’officieux et le non-dit dans le jugement in Les méthodes de jugement, 3ème conférences, mars 2005, www.courdecassation.fr V. égal. en ce sens, S. Daël, Contentieux administratif, 2ème éd., PUF, 2008, p. 206 : « Tabernacle qui protège l’indépendance du juge » ; J.-P. Dumas, Dictionnaire de la justice, ss. dir. L. Cadiet, PUF, 2004, v° Délibéré. Cmp J.-P. Dumas, Secret de juges, mél. P. Catala, Litec, 2001, p. 179.

[8] G. Wiederkehr, Qu’est-ce qu’un juge, mél. R. Perrot, Dalloz, 1996, p. 575, spec. p. 584.

[9] V. not. en ce sens, J.-L. Aubert, De quelques risques d’une image troublée de la jurisprudence de la Cour de cassation, mél. P. Drai, Dalloz, 2000, p. 7, spéc. p. 8.

[10] V. la mise en garde de Faustin Hélie (Traité de l’instruction criminelle) sur les conséquences qui découleraient d’une divulgation du contenu des délibérations : « Ne serait-ce pas (…) dépouiller à la fois le juge de sa dignité et le jugement de sa force ? » (cité par W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, mél. B. Genevois, Dalloz, 2009, p. 736. V. égal. en ce sens, F. Luchaire et G. Vedel, Contre la transposition des opinions dissidentes en France, Le point de vue de deux anciens membres du Conseil constitutionnel, Cahiers du Conseil constitutionnel, 2000, n° 8, pp. 111, 112.

[11] En ce sens, R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13ème éd., Montchrestien, 2008, n° 1170.

[12] Serment des juges professionnels : Ord. 22 déc. 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, art. 6.  Serment des juges non professionnels : v. not. C. com., art. L. 722-7, al. 1er (juges consulaires) ; C. trav., art. D. 1442-12 (conseillers prud’homaux) ; C. sécu. soc., art. L. 143-2-1, al. 2 (assesseurs des tribunaux du contentieux de l’incapacité) C. sécu. soc., art. L. 143-7 et R. 143-17, al. 3 (assesseurs de la cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail) ; C. rur., art. L. 492-4, al. 2 (assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux) ; C. proc. pén., art. 304 (jurés d’assises). Serment des « juges » constitutionnels : ord. n° 58-1067 du 7 nov. 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 3, al. 1er.

[13] C. pr. civ., art. 448 : « Les délibérations des juges sont secrètes » ; C. justice adm., art. 8 : « Le délibéré des juges est secret ». Cmp D. n° 59-1292 du 13 nov. 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel, art. 1 : « Les membres du Conseil constitutionnel ont pour obligation générale de s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de leurs fonctions. »

[14] Ord. 22 déc. 1958, art. 6.

[15] C. pén., art. 226-13.

[16] G. Canivet, Comprendre le délibéré ou les mystères de la chambre du conseil, mél. S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 217

[17] Cass. Crim., 9 juin 1843, D. 1843, p. 718.

[18] Seule entorse relevée à cette tradition : Constitution 24 juin 1793 (inappliquée), art. 94, in limine : « Ils (les arbitres publics et les juges de paix – juges élus tous les ans –) délibèrent en public. – Ils opinent à haute-voix. – (…) ». Le constituant entendait, dans le droit intermédiaire, organiser un contrôle politique sur le fonctionnement des juridictions. Pour ce faire, la propriété des offices de judicature est supprimée (loi 16-24 août 1790 ; v. not. E. Garsonnet, Traité théorique et pratique de la procédure, t. 1, 2ème éd., Paris, 1898, §103, p. 187). En raison des « altercations scandaleuses » qui se produisirent entre le public et les juges (É. Glasson, Précis théorique et pratique de procédure civile, t.1, Paris, 1902, pp. 348-359), le secret sera rétabli par l’article 208 de la Constitution du V fructidor an III (22 août 1795) : « Les séances des tribunaux sont publiques ; les juges délibèrent en secret ; les jugements sont prononcés à haute voix ; ils sont motivés, et on y énonce les termes de la loi appliquée ». V. not. sur l’histoire du secret du délibéré, Cl. Bouglé, Au cœur des traditions mystérieuses de la Cour de cassation, D. 2006, p. 1991 ; W. Mastor, opinions séparées des juges constitutionnels, préf. M. Troper, Économisa, 2005, nos 199 et s. – Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., pp. 728-730 ;

[19] Neuf ans au Conseil constitutionnel, Le débat, 1982, n° 55 cité par W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., p. 735.

[20] CE, 17 nov. 1922, Léguillon, Rec. p. 849 ; J.-C. Bonichot, P. Cassia et B. Poujade, Grands arrêts du contentieux administratif, 2ème éd., Dalloz, 2009, n° 63, p. 1051.

[21] Recueil, art. e.11 in La dignité de la personne : « En audience collégiale, le président anime le délibéré ; chaque magistrat dispose d’une voix et se plie à la décision de la majorité. L’anonymat que confère le secret du délibéré et qui interdit toute recherche de responsabilité individuelle, n’autorise pas d’abus d’autorité de la part d’un magistrat ». Principes, art. 2.2 in La dignité et l’honneur : « Le juge s’abstient de formuler des commentaires sur ses décisions, même si celles-ci sont désapprouvées par les médias ou la doctrine, ou encore si elles sont réformées. Son mode d’expression est la motivation de ses décisions. »

[22] A.-J. Arnaud, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème éd., L.G.D.J., 1993, p. 551. V. égal. V. Lasserre-Kiesow, La vérité en droit civil, D. 2010, p. 907.

[23] Cour EDH, règlement, art. 3.1 (article inchangé depuis 18 sept. 1959) : « je jure – ou je déclare solennellement – que j’exercerai mes fonctions de juge avec honneur, indépendance et impartialité et que j’observerai le secret des délibérations. »

[24] Conv. EDH, règlement, art. 45, al. 2 (in de la motivation) : « Si l’arrêt n’exprime pas en tout ou en partie l’opinion unanime des juges, tout juge a le droit d’y joindre l’exposé de son opinion séparée. » À noter toutefois que l’argument prouve peu. La nature internationale de cette juridiction limite la pertinence du raisonnement par analogie, voire l’interdit ; la Conv. EDH est irréductible aux juridictions de droit interne.

[25] D. Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, NRF Essais, 2010, spéc. pp. 298 et s. ; P. Joxe, Cas de conscience, éditions Labor et Fides, 2010.

[26] D. n° 59-1292 du 13 nov. 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel, art. 2, al. 1er : « Les membres du Conseil constitutionnel s’interdisent en particulier pendant la durée de leurs fonctions : De prendre aucune position publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant susceptibles de faire l’objet de décisions de la part du Conseil. »

[27] Rhétorique, Gallimard, 2003, Livre I, 1-Définition de la rhétorique, spéc. n° 1357 a, p. 25.

[28] Ch. Mouly, Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles, Petites affiches, 18 mars 1994, n° 33, spéc. n° 18.

[29] D. Rousseau, Une opinion dissidente en faveur des opinions dissidentes, op. cit., p. 114.

[30] CA Paris, 1ère ch. suppl., 19 mars 1981, Rev. arb. 1982, p. 84, note J. Viatte, cité par J.-D. Bredin, Le secret du délibéré arbitral, mél. P. Bellet, Litec, 1991, p. 71, spéc. n° 9.

[31] En ce sens, J.-D. Bredin, Le secret du délibéré arbitral, op. cit., n° 10. V. égal.. Loquin, JurisClasseur Procédure civile, fasc. 1042 : Arbitrage, Sentence arbitrale, 1996, n° 24 ; fasc. 1015 : Arbitrage, L’arbitre, mars 2009, n° 97.

[32] J.-D. Bredin, Le secret du délibéré arbitral, op. cit., n° 12, p. 80.

[33] CA Paris, 9 oct. 1998, Rev. arb. 2008, p. 843, cité par É. Loquin, JurisClasseur Procédure civile, fasc. 1015 : Arbitrage, L’arbitre, op. cit., n° 97.

[34] Cette dernière mention, qui associe en quelque sorte les avocats aux Conseils à la décision ou à l’arrêt rendu, atteste également que les conditions de la loi sur la représentation en justice ont été observées.

[35] En ce sens, M.-N. Jobard-Bachelier et X. Bachelier, La technique de cassation, 7ème éd., Dalloz, 2010, n° 5. V. égal. É. Baraduc, L’organisation interne de la Cour de cassation favorise-t-elle l’élaboration de sa jurisprudence ? in La Cour de cassation et l’élaboration du droit, ss. dir. N. Molfessis, Economica, 2004, p. 33, spéc. nos 5, 6.

[36] Le mécanisme de décision de la Cour de cassation. Pour une ethnographie à écrire d’une autre fabrique du droit, mél. B. genevois, Dalloz, 2009, p. 149, spéc. n° 29.

[37] Cons. const., décision n° 99-421 DC du 16 déc. 1999 ; directive 2003/98/CE du 17 déc. 2003 (au nombre des instruments essentiels pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie, on doit compter la jurisprudence).

[38] P. Deumier, Les communiqués de la Cour de cassation : d’une source d’information à une source d’interprétation, RTD Civ. 2006, p. 510.

[39] P. Deumier, Les communiqués de la Cour de cassation, op. cit., eod. loc. V. égal. R. Encinas de Munagorri, Faut-il annoncer un revirement de jurisprudence par voie de presse ? Propos sur l’autorité du président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, RTD Civ. 2004, p. 590.

[40] A. Lacabarats, Chronique de la Cour de cassation, D. 2007, pp. 889-891. À ce jour, 17 chroniques ont été publiées. Ledit propos liminaire donne à penser. On ne sait pas bien à qui l’imputer : au directeur du SDE ou au rédacteur en chef du Recueil. Si c’est le fait de la rédaction, et si l’on considère que, en toute hypothèse, le premier a donné son imprimatur au second, il est permis d’inférer que les vues du rédacteur sont partagées par le directeur.

[41] V. not. A. Perdriau, Les publications de la Cour de cassation, Gaz. Pal. 04 janv.  2003, p. 2.

[42] P. Deumier, Les notes au BICC : d’une source d’information à une source d’interprétation pouvant devenir source de confusion (note sous Cass. Ass. plén., 6 oct. 2006), RTD Civ. 2007, p. 61.

[43] G. Canivet, Le mécanisme de décision de la Cour de cassation. Pour une ethnographie à écrire d’une autre fabrique du droit, op. cit., spéc. n° 41.

[44] C’est particulièrement le cas des conseillers d’État, dont les arrêts sont par ailleurs moins lapidaires que ceux de la Cour de cassation (v. L. Teresi, Remarques sur la lecture des arrêts de cassation du Conseil d’État, RFDA 2010, p. 99). V. not en ce sens les commentaires publiés aux mélanges en l’honneur de B. Genevois.

[45] Dans une circulaire datée de 1998, le premier président Truche rappelle les membres de la Cour de cassation à leurs obligations déontologiques dans le dessein de faire cesser les commentaires publiés par certains hauts magistrats dans les revues juridiques laissant apparaître leur avis (citée par G. Canivet, Le mécanisme de décision de la Cour de cassation. Pour une ethnographie à écrire d’une autre fabrique du droit, op. cit., spéc. n° 20).

[46] C. Charbonneau, Le rapport annuel de la Cour de cassation a 40 ans, Lamy Droit civil 2008. 49 ; Y Aguila et Ph. Waquet, L’officieux et le non-dit dans le jugement in Les méthodes de jugement, 3ème conférence, mars 2005, www.courdecassation.fr

[47] C. patrim., art. L. 213-2 sur renvoi D. 2009-1123 du 17 sept. 2009 rel. aux archives du Conseil constitutionnel, art. 3, al. 2 (60 ans à l’origine). V. Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Dalloz, 2009. À noter que le Conseil d’État fait établir un compte rendu des délibérations. Consultable par les seuls membres de la cour administrative suprême. Pour l’heure, il est encore confidentiel.

[48] L’article 448 C. pr. civ. ne mentionne pas parmi les cas de nullité du jugement la violation du secret du délibéré (v. égal. C. pr. civ., art. 1480 s’agissant de la nullité de la sentence arbitrale). Pour autant, la doctrine processualiste la plus autorisée professe que la nullité pourra toujours être prononcée si l’on admet qu’il puisse exister des causes de nullité fondées sur les principes généraux (v. not. en ce sens S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, 30ème éd., Dalloz, 2010, n° 1044).

[49] V. supra n° 4.

[50]S. Kernéis, Dictionnaire de la culture juridique, ss. dir. D. Alland et S. Rials, Lamy-PUF, 2003, v° Autorité.

[51] Contra D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit, O. Jacob, 1997, p. 168. L’auteur précise : « en valeur absolue, il faut également prendre en compte que cette autorité dépend aussi de la prétention du locuteur de l’exercer » (p. 168, note 8).

[52] En ce sens, G. Canivet, Comprendre le délibéré, op. cit., n° 26. Cela s’impose avec d’autant de force plus lorsque la Cour de cassation rend un arrêt de rejet. Mais, ce faisant, elle s’expose aux critiques de la Cour européenne des droits de l’homme.

[53] D. Rousseau, Une opinion dissidente en faveur des opinions dissidentes, op. cit. Cmp. P. Drai, Le délibéré et l’imagination du juge, mél. R. Perrot, Dalloz, 1996, p. 107, spéc. 118 : « [le juge] ne doit plus se considérer comme satisfait s’il a pu motiver sa décision de façon acceptable. Il lui faut se surpasser et rechercher si cette décision sera tenue pour juste ou, du moins, raisonnable et, en plus, acceptable pour les parties. »

[54] Ch. Walter, La pratique des opinions dissidentes en Allemagne in Contributions au débat sur les opinions dissidentes dans les juridictions constitutionnelles, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8, 2000, p. 81. V. égal. W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., p. 738.

[55] J.-P. Ancel, L’officieux et le non-dit dans le jugement, op. cit.

[56] S. Gjidara, La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles, Petites affiches 26 mai 2004, n° 105, p. 3.

[57] W. Mastor, Opiner à voix basse…et se taire : réflexions critiques sur le secret des délibérés, op. cit., p. 740.

[58] M. Troper, Faut-il réformer le Conseil constitutionnel (table ronde) in Le Conseil constitutionnel a 40 ans, Journées des 27- 28 oct. 1998, L.G.D.J., 1999, p. 191.

[59] Cl. L’heureux-Dubé in Contributions au débat sur les opinions dissidentes dans les juridictions constitutionnelles, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 8, 2000, p. 85 ; W. Mastor Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 597 et s.

[60] J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, 27ème éd., 2002, PUF, n° 192. À noter que le Doyen Carbonnier parle formellement de la chose jugée.

[61] V. en ce sens, O. Sabard, La hiérarchisation de la jurisprudence, Revue Lamy droit civil, 2009, p. 61. V. égal. Ph. Théry, La jurisprudence des cours d’appel et l’élaboration de la norme in La Cour de cassation et l’élaboration du droit, ss. dir. N. Molfessis, Économisa, 2004, p. 129.

[62] F. Zénati, La nature de la Cour de cassation, BICC n° 575, 15 avr. 2003. Adde Th. Rrevet, La légisprudence, mél. Ph. Malaurie, Defrénois, 2005, p. 377.

[63] W. Mastor, Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., n° 86.

[64] V. égal. en ce sens, J. Monéger, La maîtrise de l’inévitable revirement de jurisprudence : libres propos et images marines, RTD Civ. 2005, p. 323). L’auteur préfère l’expression de « jurislateur ».

[65] La loi n° 2010-1249 du 22 oct. 2010 de régulation bancaire et financière introduit dans notre droit des procédures collective une variante de la procédure de sauvegarde : la procédure de « sauvegarde financière accélérée » (art. 57 et 58 de la loi ; C.com., art. L. 628-1 à L. 628-7 en vigueur à compter du 1er mars 2011).

[66] V. égal. en ce sens, Ch. Mouly, Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement ?, Petites affiches 04 mai 1994, n° 53, spéc. nos 4, 7.

[67] V. sur cette question, Les revirements de jurisprudence, rapport ss. dir. N. Molfessis, Litec, 2005 ; B. Seiller, La modulation des effets dans le temps de la règle prétorienne. Tentative iconoclaste de systématisation, mél. B. Genevois, Dalloz, 2009, p. 977.

[68] V. topiquement Cass. crim., 19 oct. 2010 (3 arrêts), FP, à paraître au bulletin. En l’espèce la Chambre criminelle de la Cour de cassation dénonce la non conventionalité de la garde à vue (sur le fondement de l’article 6§1 Conv. EDH), mais reporte dans le temps l’application de sa jurisprudence au 1er juillet 2011 et s’en explique dans un communiqué publié sur son site Internet.

[69] J. Monéger, La maîtrise de l’inévitable revirement de jurisprudence : libres propos et images marines, op. cit.

[70] R. Libchaber, Retour sur la motivation des arrêts de la Cour de cassation et le rôle de la doctrine, RTD Civ. 2000, p. 679.

[71] D. Tricot, L’élaboration d’un arrêt de la Cour de cassation, JCP G. 2004, I, 108, n° 23.

[72] Mais ce n’est pas à l’ordre du jour, dixit l’ancien président du SDE (D. 2007, p. 891).

[73] V. not. J. Ghestin, L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, D. 2004, p. 2239, spéc. nos 7-19. Cmp supra n° 19.

[74] V. not. J. Ghestin, L’interprétation d’un arrêt de la Cour de cassation, ibid., n° 14. Cmp. S. Gjidara, La motivation des décisions de justice : impératifs anciens et exigences nouvelles, Petites affiches 26 mai 2004, p. 3, spéc. nos 43-51.

[75] V. sur l’objet de la réforme, W. Mastor, Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 366 et s. Il n’est que de songer aux divergences de jurisprudence au sein même de la Cour de cassation.

[76] V. not. en ce sens, J.-F. Burgelin, Les petits et les grands secrets du délibéré, D. 2001, p. 2755 ; P. Truche, Juger, être jugé. Le magistrat face aux autres et à lui-même, éd. Fayard, 2001, p. 156.

[77] W. Mastor, , Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 8 et s.

[78] W. Mastor, , Les opinions séparées des juges constitutionnels, op. cit., nos 58 et s. ; 92 – Point de vue scientifique sur les opinions séparées des juges constitutionnels, D. 2010, p. 714. La logique déontique (du grec déon, déontos : devoir, ce qu’il faut, ce qui convient) tente de formaliser les rapports qui existent entre les quatre alternatives d’une loi : l’obligation, l’interdiction, la permission et le facultatif.

[79] En ce sens P. Jan, Le procès constitutionnel, 2ème éd., L.G.D.J., 2010, p. 191.

[80] V. not. J. Bourdoiseau, De l’objet du recours des tiers payeurs in Le préjudice. Regards croisés privatistes et publicistes, Resp. civ. et assur., mars 2010.

[81]  M. Troper, Faut-il réformer le Conseil constitutionnel, op. cit., p. 192.

[82] V. égal. en ce sens, A. Tunc, La Cour de cassation en crise in La jurisprudence, APD, t. 30, Sirey, 1985, p. 157, spéc. p. 165.

[83] Aristote, Réthorique, op. cit., Livre I, 1355 b (1-préambule), 1356 a (2-définition de la rhétorique).

[84] V. spéc., J.-F. Burgelin, Les petits et grands secrets du délibéré, op. cit., p. 2755.

[85] V. not. sur ces réserves, Ph. Waquet, L’officieux et le non-dit dans le jugement, op. cit. : « les dommages qu’occasionnerait une telle pratique seraient considérables. Des clans se formeraient inévitablement : les libéraux, les répressifs, les rigoristes, les laxistes…que sais-je encore ! »

[86] M.-Cl Belleau, R. Johnson, Les opinions dissidentes au Canada in Les méthodes de jugement, 5ème conférences, oct. 2005, www.courdecassation.fr

[87] In préf. à l’ouvrage de D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, 5ème éd., Montchrestien, 1999, p. 7).

[88] En ce sens, P. Truche, Juger, être jugé, op. cit., pp. 156, 157. Difficilement praticables, en raison de leur caractère fuyant, ces critères ont toutefois le mérite de donner au dispositif une certaine souplesse, sans laquelle il serait voué aux gémonies.

[89] V. spéc. La création du droit par le juge, APD, t. 50, Dalloz, 2007.

Mariage: l’abandon de la condition relative à la différence de sexe

Aux termes de l’article 143 du Code civil « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. »

Ainsi, le mariage n’est-il plus réservé aux seuls couples hétérosexuels, comme cela a été le cas jusqu’à la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dite loi Taubira.

L’adoption de cette loi, qui a été présentée comme visant à lutter contre les discriminations et à reconnaître de nouveaux droits, met un terme au long débat jurisprudentiel, d’où il est ressorti que, si aucune norme constitutionnelle, internationale ou européenne n’impose d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, aucune de ces normes de l’interdit.

Aussi, le législateur a-t-il été invité par les juridictions nationales à prendre ses responsabilités en se prononçant sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.

==> L’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2007

L’un des éléments déclencheurs du mouvement tendant à la reconnaissance du « mariage pour tous » est, sans aucun doute, le mariage célébré entre deux hommes, le 5 juin 2004, par Noël Mamère, alors maire de la commune de Bègles en Gironde.

Cet évènement, porté sur le devant de la scène à grand renfort de médias a été l’occasion pour les tribunaux français de préciser la portée des articles du code civil relatifs au mariage.

Par jugement du 27 juillet 2004, le mariage célébré en violation de l’article 144 du Code civil a été annulé.

Cette décision a été confirmée en appel par la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 19 avril 2005 (CA Bordeaux, 19 avr. 2005, n° 04/04683).

Les juges ont estimé, dans cette décision, qu’il n’existe « dans les textes fondamentaux européens et dans la jurisprudence européenne aucune contradiction avec la législation française interne relative au mariage, laquelle ne concerne que des personnes de sexe différent. Comme le premier juge, la cour considère que la différence de sexe est une condition de l’existence même du mariage, condition non remplie dans le cas de l’acte relatif à Stéphane C. et Bertrand C.. La célébration organisée par eux le 5 juin 2004 devant l’officier d’état civil de Bègles ne peut être considérée comme un mariage. Ainsi que le soutient le ministère public, l’acte qui en a été dressé n’a pas d’existence juridique et son écriture doit être annulée, avec transcription en marge de l’acte de naissance des intéressés et de l’acte lui-même ».

Pour aboutir à cette solution, ils se réfèrent notamment au Discours préliminaire sur le Projet de Code civil rédigé par Portalis lequel écrivait en 1804 que :

« on ne doit point céder à des prétentions aveugles. Tout ce qui est ancien a été nouveau… nous sommes convaincus que le mariage, qui existait avant l’établissement du christianisme, qui a précédé toute loi positive, et qui dérive de la constitution même de notre être, n’est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel qui a fixé l’attention des législateurs… le rapprochement de deux sexes que la nature n’a faits si différents que pour les unir, a bientôt des effets sensibles. La femme devient mère… l’éducation des enfants exige, pendant une longue suite d’années, les soins communs des auteurs de leurs jours… Tel est le mariage, considéré en lui-même et dans ses effets naturels, indépendamment de toute loi positive. Il nous offre l’idée fondamentale d’un contrat proprement dit… ce contrat, d’après les observations que nous venons de présenter, soumet les époux, l’un envers l’autre, à des obligations respectives, comme il les soumet à des obligations communes envers ceux auxquels ils ont donné l’être, les lois de tous les peuples policés ont cru devoir établir des formes qui puissent faire reconnaître ceux qui sont tenus à ces obligations. Nous avons déterminé ces formes ».

Ainsi donc, comme le premier juge, la cour d’appel en conclut qu’en droit interne français le mariage est une institution visant à l’union de deux personnes de sexe différent, leur permettant de fonder une famille appelée légitime.

La notion sexuée de mari et femme est l’écho de la notion sexuée de père et mère. Cette différence de sexe constitue en droit interne français une condition de l’existence du mariage.

Pour cette raison, le mariage contracté entre deux personnes de même sexe doit être annulé.

Par un arrêt du 13 mars 2007, la Cour de cassation a validé l’arrêt rendu par la Cour de d’appel de Bordeaux le 19 avril 2005 (Cass. 1ère civ. 13 mars 2007, n°05-16.627).

La première chambre civile a considéré que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ».

Lors de l’audience de la première chambre civile de la Cour de cassation, l’avocat général avait déclaré que, compte tenu des enjeux de société importants et de la dimension politique des réponses pouvant être apportées à la question, « abandonner à la seule autorité judiciaire le soin de se prononcer (…) paraît exiger du juge qu’il accomplisse une tâche excédant les limites permises de son action ».

Cass. 1ère civ. 13 mars 2007
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 19 avril 2005), que, malgré l’opposition notifiée le 27 mai 2004 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux, le maire de la commune de Bègles, en sa qualité d’officier d’état civil, a procédé, le 5 juin 2004, au mariage de MM. X... et Y... et l’a transcrit sur les registres de l’état civil ; que cet acte a été annulé, avec mention en marge des actes de naissance des intéressés ;

Sur le second moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que MM. X... et Y... font grief à l’arrêt d’avoir annulé l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, avec transcription en marge de cet acte et de leur acte de naissance, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en retenant que la différence de sexe constitue en droit interne français une condition de l’existence du mariage, cependant que cette condition est étrangère aux articles 75 et 144 du code civil, que le premier de ces textes n’impose pas de formule sacramentelle à l’échange des consentements des époux faisant référence expressément aux termes "mari et femme", la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

2°/ qu’il y a atteinte grave à la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention lorsque le droit interne est incompatible avec un aspect important de l’identité personnelle du requérant ; que le droit pour chaque individu d’établir les détails de son identité d’être humain est protégé, y compris le droit pour chacun, indépendamment de son sexe et de son orientation sexuelle, d’avoir libre choix et libre accès au mariage ; qu’en excluant les couples de même sexe de l’institution du mariage et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour d’appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que par l’article 12 de la Convention se trouve garanti le droit fondamental de se marier et de fonder une famille ; que le second aspect n’est pas une condition du premier, et l’incapacité pour un couple de concevoir ou d’élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit visé par la première branche de la disposition en cause ; qu’en excluant les couples de même sexe, que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, de l’institution du mariage, cependant que cette réalité biologique ne saurait en soi passer pour priver ces couples du droit de se marier, la cour d’appel a violé les articles 12 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

4°/ alors que si l’article 12 de la Convention vise expressément le droit pour un homme et une femme de se marier, ces termes n’impliquent pas obligatoirement que les époux soient de sexe différent, sous peine de priver les homosexuels, en toutes circonstances, du droit de se marier ; qu’en excluant les couples de même sexe de l’institution du mariage, et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour d’appel a violé les articles 12 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que le libellé de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’écarte délibérément de celui de l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’il garantit le droit de se marier sans référence à l’homme et à la femme ; qu’en retenant que les couples de même sexe ne seraient pas concernés par l’institution du mariage, et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour d’appel a violé l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

Mais attendu que, selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Par la suite, ni le Conseil constitutionnel, ni la Cour européenne des droits de l’homme n’ont jugé que l’interdiction faite aujourd’hui par notre législation aux couples de personnes de même sexe de se marier était contraire à la Constitution ou à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

==> La décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011

En janvier 2011, le Conseil constitutionnel est saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation, posée par deux femmes – Corinne C. et Sophie H. – qui désiraient se marier ensemble (Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011).

Elles entendaient contester la constitutionnalité du dernier alinéa de l’article 75 du Code civil aux termes duquel l’officier d’état civil « recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour époux : il prononcera, au nom de la loi, qu’elles sont unies par le mariage, et il en dressera acte sur-le-champ. »

La question prioritaire de constitutionnalité portait également sur la conformité de l’article 144 du Code civil qui, en son temps, prévoit que « l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ».

Selon les requérantes, l’interdiction du mariage entre personnes du même sexe et l’absence de toute faculté de dérogation judiciaire porteraient atteinte à l’article 66 de la Constitution et à la liberté du mariage.

L’ouverture du mariage aux seuls couples hétérosexuels méconnaitrait, en outre, le droit de mener une vie familiale normale et l’égalité devant la loi.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel répond, en substance, que conformément à l’article 34 de la Constitution, il appartient au seul législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

Les juges de la rue de Montpensier ajoutent que le Conseil constitutionnel n’est nullement investi d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, en conséquence de quoi il est incompétent pour se prononcer sur les choix du législateur, dès lors qu’ils sont conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit.

En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel considère que, si le dernier alinéa de l’article 75 et l’article 144 du code civil ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage dans les conditions définies par l’article 515-8 de ce code ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité régi par ses articles 515-1 et suivants, il n’en demeure pas moins que le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe

En dernier lieu, il affirme que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Aussi, en déduit-il qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille

En conséquence, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l’article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;

La position du Conseil constitutionnel a été confirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme.

==> Décision de la Cour européenne des droits de l’Homme du 24 juin 2010

Dans un arrêt Schalk et Kopf c/ Autriche du 24 juin 2010, la Cour européenne des droits de l’homme, relevant l’absence de consensus des États membres du Conseil de l’Europe sur ce point, a jugé que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’imposait pas aux États parties l’obligation de permettre le mariage des couples homosexuels.

Elle relève que « à ce jour, pas plus de six sur quarante-sept États parties à la convention autorisent un tel mariage ».

Elle observe encore que « le mariage possède des connotations sociales et culturelles profondément enracinées susceptibles de différer notablement d’une société à une autre. Elle rappelle qu’elle ne doit pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales, qui sont les mieux placées pour apprécier les besoins de la société et y répondre ».

Pour cette raison, elle refuse ainsi d’imposer aux États parties d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe.

La Cour a en outre rejeté le grief selon lequel l’interdiction du mariage entre les deux requérants emportait une discrimination non justifiée, au motif que l’Autriche a depuis lors mis en place un système de « partenariat enregistré » emportant pour les partenaires des droits comparables à ceux des époux.

Aussi, dans la mesure où « les requérants peuvent désormais conclure un partenariat enregistré, la Cour n’a pas à rechercher si l’absence de reconnaissance juridique des couples homosexuels aurait emporté violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 si telle était encore la situation ».

Dans le droit fil de cette décision, la Cour européenne des droits de l’Homme a, dans un autre arrêt (Gas et Dubois c/ France) du 15 mars 2012 rejeté l’argument d’une discrimination entre les couples mariés qui peuvent adopter l’enfant du conjoint et les couples non mariés, notamment de même sexe, qui se voient refuser ce droit, sur le fondement de l’article 365 du code civil.

La Cour a estimé, comme dans l’arrêt précédemment cité, que le mariage conférait « un statut particulier à ceux qui s’y engagent, que l’exercice du droit de se marier était protégé par l’article 12 de la Convention et emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques, et que par conséquent, on ne saurait considérer, en matière d’adoption par le second parent, que les requérantes se trouvent dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés ».

La Cour en conclut que les requérantes ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle d’un couple marié.

==> Les conventions internationales

Ni la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, ni le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 16 décembre 1966, n’interdisent le mariage des couples de même sexe, même s’ils ne le prévoient pas expressément.

C’est ainsi que de nombreux pays ont déjà pu procéder à cette ouverture, sans contrevenir à leurs engagements internationaux.

De la même manière, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des Libertés fondamentales, dont l’article 12 relatif au « droit au mariage » précise qu’« à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit », ne fait pas obstacle à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.

Ainsi, dans l’affaire Schalk et Kopf c/ Autriche précitée, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé le contexte historique dans lequel la Convention a été adoptée, période au cours de laquelle le mariage était exclusivement compris comme visant l’union d’un homme et d’une femme (§ 55), puis elle a estimé que l’article 12 de la Convention n’interdisait pas le mariage des personnes de même sexe (§ 61) – avant de préciser que rien n’oblige non plus les États parties à légiférer en ce sens.

La Cour s’est aussi fondée sur l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif au « Droit de se marier et de fonder une famille » qui précise que « le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice ».

La mention de l’homme et de la femme ne figure ainsi pas à cet article, les rédacteurs ayant tiré les conséquences de l’ouverture envisagée par certains pays du mariage entre personnes de même sexe. Le renvoi aux « lois nationales » permet ainsi de tenir compte de la diversité des législations sur le mariage.

En conclusion, si aucune jurisprudence, ni aucune norme supérieure ne contraignent le législateur français à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe – à tout le moins en l’état de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui pourrait évoluer à terme si un plus grand nombre d’États européens ouvrait ce droit – aucune norme internationale, européenne ou constitutionnelle ne s’oppose à ce que le législateur décide de le faire aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle, lors de l’adoption de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe le législateur n’a rencontré aucun véritable juridique.

De toute évidence, cette loi opère un changement majeur dans l’ordonnancement juridique, ne serait-ce que parce qu’elle confère aux familles homoparentales un statut juridique, alors que, auparavant, elles existaient sans que les droits du parent social – dépourvu de lien de filiation avec l’enfant – ne soient reconnus.

Loi sur le pacs: les grandes évolutions

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[1], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale.

De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[2]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire.

Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui.

Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[3], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable.

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[4] et plus encore, comme son « acte fondateur »[5].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Parce que le contexte sociologique et juridique ne permettait plus à ce silence de prospérer, le législateur est intervenu pour remédier à cette situation.

Son intervention s’est traduite par l’adoption de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, plus couramment désigné sous le nom de pacs.

Ainsi, pour la première fois, le législateur reconnaissait-il un statut juridique au couple en dehors du mariage.

L’adoption de la loi sur le pacs procède de l’émergence à la fois d’un contexte sociologique et à la fois d’un contexte juridique.

I) Le contexte sociologique et juridique

A) Le contexte sociologique

Tout d’abord, il est apparu au législateur que le concubinage hétérosexuel est devenu un fait de société impossible à ignorer.

Depuis la fin des années 60, le nombre de couples non mariés a constamment augmenté pour atteindre la proportion, en 1999, d’un couple sur six.

Ajoutées à ce constat, la signification et les motivations du concubinage ont évolué.

À côté des personnes qui, traditionnellement, réfutaient l’institution du mariage et vivaient en union libre par idéal pour garder un caractère privé à leur engagement, sont apparus dans les années 70 des jeunes couples cohabitant en prélude au mariage.

Dans les années 1980, cette cohabitation s’est installée dans la durée sans pour autant exprimer un refus explicite et définitif du mariage.

Par ailleurs, il a été constaté que la naissance d’un enfant n’entraînait plus nécessairement le mariage. Marginale dans les deux premiers tiers du siècle, la part des naissances hors mariage n’a cessé d’augmenter avec une très nette accélération au début des années 80.

Trois enfants nés hors mariage sur quatre en 1996 ont été reconnus par leur père dès la naissance. La réforme de la filiation ayant aligné en 1972 le statut des enfants naturels conçus hors mariage sur celui des enfants légitimes explique en grande partie l’évolution des comportements. Le mariage n’est plus impératif pour éviter à un enfant de naître privé de droits.

Parallèlement, le législateur a pu relever que nombre de mariages qui avait atteint son maximum en 1972 (416 500) a notablement diminué, s’établissant à 254 000 en 1994, remariages compris. En 1996, a été enregistrée une augmentation brusque de 10%, du nombre des mariages, accompagnée d’une hausse importante du nombre d’enfants légitimés (112 000).

B) Le contexte juridique

Plusieurs facteurs ont conduit le législateur à conférer un statut juridique aux couples de concubins :

  • L’élimination des discriminations à l’égard des personnes homosexuelles
    • La demande de reconnaissance sociale du couple homosexuel s’est affirmée au terme d’une évolution juridique qui, dans les années 80, a permis d’éliminer les discriminations légales fondées sur l’orientation sexuelle des individus.
      • La loi n° 82-683 du 4 août 1982
        • Cette loi a fait disparaître du code pénal la dernière disposition réprimant spécifiquement l’homosexualité.
        • Elle a en effet abrogé le deuxième alinéa de l’article 331 de l’ancien code pénal qui réprimait les attentats à la pudeur sans violence sur mineur du même sexe alors que la majorité sexuelle pour les relations hétérosexuelles était fixée à quinze ans.
        • Au-delà du respect de leur comportement individuel, les homosexuels revendiquent la reconnaissance sociale de leur couple, ce qui a pu faire dire que sortis du code pénal, ils aspiraient à rentrer dans le code civil.
      • La loi Quilliot du 22 juin 1982
        • Cette loi a substitué à l’obligation de « jouir des locaux en bon père de famille » celle d’en jouir paisiblement.
        • L’homosexualité cessait ainsi d’être une cause d’annulation d’un bail.
      • La loi du 13 juillet 1983
        • Ce texte a supprimé les notions de « bonne moralité » et de « bonne mœurs » du statut général des fonctionnaires.
        • Parallèlement, en 1981, le Gouvernement retirait l’approbation française à l’article 302 de la classification de l’organisation mondiale de la santé faisant entrer, depuis le début des années 60, l’homosexualité dans la catégorie des pathologies.
      • Les homosexuels se sont ensuite vus reconnaître légalement le droit de ne pas subir de discriminations en raison de leurs mœurs.
        • La loi n° 85-772 du 25 juillet 1985
          • Elle a complété le code pénal en prévoyant des dispositions, reprises à l’article 225-1 du nouveau code pénal, sanctionnant les discriminations liées aux mœurs.
        • La loi n° 86-76 du 17 janvier 1986
          • Cette loi a introduit dans l’article L. 122-35 du code du travail une disposition précisant que le règlement intérieur ne peut léser les salariés en raison de leurs mœurs et la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 a modifié l’article L. 122-45 du même code pour protéger le salarié d’une sanction ou d’un licenciement opéré en raison de ses mœurs.
          • Cet article vise aujourd’hui également les refus de recrutement.
  • La prise en compte juridique du concubinage
    • En 1804, le Code civil est totalement silencieux sur le concubinage
    • Cette indifférence du Code napoléonien à l’égard du concubinage s’est poursuivie pendant tout le 19ème siècle.
    • Depuis lors, les concubins ne jouissent d’aucun statut juridique véritable.
    • Les règles qui régissent leur union sont éparses et ponctuelles
      • Les règles légales
        • En matière de logement, l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989, permet à un concubin notoire depuis un an de bénéficier de la continuation ou du transfert du bail en cas d’abandon du logement ou de décès du preneur
        • En matière civile, l’exercice commun de l’autorité parentale a été reconnu aux concubins sous les conditions posées à l’article 372 du code civil. L’assistance médicale à la procréation, au contraire de l’adoption, leur a été ouverte (art. L. 152-2 du code de la santé publique).
        • En matière pénale, une immunité est reconnue au concubin notoire pour non dénonciation d’infractions impliquant l’autre concubin (articles 434-1, 434-6 et 434-11 du code pénal ou, en matière d’aide au séjour irrégulier d’un étranger, article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945) ; en revanche le concubinage avec la victime est une circonstance aggravante de plusieurs infractions (art. 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal)
        • En matière de procédure civile, le décret du 28 décembre 1998 a autorisé le concubin à représenter les parties devant le tribunal d’instance et devant le juge de l’exécution (art. 828 du nouveau code de procédure civile et art. 12 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992).
        • En matière fiscale, le concubin peut bénéficier de la déduction des frais de transport (art. 83, 3° du code général des impôts et avis du Conseil d’Etat du 10 décembre 1993) ;
      • Les règles jurisprudentielles
        • La jurisprudence a élaboré une construction juridique du concubinage permettant de pallier l’absence de statut juridique et notamment de règles gouvernant la liquidation de l’union.
        • Au nombre de ces figures juridiques, figurent
          • La théorie de la société créée de fait
          • L’enrichissement injustifié
          • La théorie de l’apparence
          • L’admission de l’invocation d’un préjudice en cas de décès d’un concubin
  • Le refus de reconnaissance du concubinage homosexuel
    • La Cour de cassation a toujours refusé d’accorder aux couples homosexuels les droits reconnus par la loi aux concubins hétérosexuels.
    • Dans deux décisions du 11 juillet 1989 rendues en matière sociale, la haute juridiction avait, en effet, considéré que les couples homosexuels ne pouvaient bénéficier des avantages reconnus aux concubins par des textes faisant référence à la notion de vie maritale, à travers laquelle elle a considéré que le législateur avait entendu viser la « situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux sans pour autant s’unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu’un couple formé d’un homme et d’une femme » ( soc. 11 juill. 1989).
    • Cette jurisprudence a été confirmée par une décision 17 décembre 1997 en matière de droit au bail, la troisième chambre civile ayant estimé que « le concubinage ne pouvait résulter que d’une relation stable et continue ayant l’apparence du mariage, donc entre un homme et une femme» ( 3e civ. 17 déc. 1997).
    • Les homosexuels se sont ainsi vu refuser l’accès à des droits que l’épidémie de SIDA avait mis au premier rang des préoccupations de leur communauté :
      • transfert du droit au bail en vertu de l’article 14 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989
      • affiliation à la sécurité sociale en tant qu’ayant droit de leur compagnon en application de l’article L. 161-14 du code de la sécurité sociale.
    • Hormis l’assurance maladie au bout d’un an, les couples homosexuels ne bénéficiaient, en 1999, d’aucun droit découlant de leur vie commune.
    • La jurisprudence restrictive de la Cour de cassation sur le concubinage homosexuel était, à cet égard, en phase avec la jurisprudence européenne.
    • La Cour de justice des communautés européennes, par une décision du 17 février 1998, avait, par exemple, refusé de considérer comme une discrimination au sens de l’article 119 du Traité le refus à des concubins du même sexe d’une réduction sur le prix des transports accordée à des concubins de sexe opposé, relevant qu’en « l’état actuel du droit au sein de la Communauté, les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposé» (CJCE, 17 févr. 1998, Lisa jacqueline Grant c/ South-West Trains Ltd, aff. C-249/96).
    • De son côté la Commission européenne des droits de l’Homme considérait que, en dépit de l’évolution contemporaine des mentalités vis-à-vis de l’homosexualité, des relations homosexuelles durables ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégée par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
  • Les difficultés patrimoniales auxquelles se heurtent les couples hors mariage
    • La principale difficulté à laquelle se heurtent les couples hors mariage, hétérosexuels comme homosexuels, est d’ordre patrimonial et successoral.
    • Leurs biens n’étant pas soumis à un régime légal, ils peuvent utiliser plusieurs techniques pour se constituer un patrimoine commun.
      • Ils peuvent procéder à des achats en indivision (art. 815 et suivants du code civil) et passer des conventions d’indivision (art. 1873-1 et suivants du code civil).
      • Ils peuvent procéder à des achats en tontine en vertu desquels les biens reviennent en totalité au dernier vivant.
      • Ils peuvent également procéder à des achats croisés entre la nue propriété et l’usufruit.
      • Ils peuvent enfin constituer des sociétés civiles ou à responsabilité limitée.
    • Toutefois, la transmission de ce patrimoine se heurte aux règles successorales civiles et fiscales qui considèrent les concubins comme des étrangers l’un à l’égard de l’autre.
    • En conséquence, en l’absence de testament, ils n’héritent pas l’un de l’autre.
    • En cas de dispositions testamentaires, leurs droits sont limités par la réserve légale.
    • Ils ne peuvent donc pas, contrairement à l’époux survivant, recueillir plus que la quotité disponible
    • De plus, sur la part dont ils héritent, les droits de mutation sont extrêmement élevés
    • L’adage selon lequel il faut « vivre en union libre mais mourir marié» prenait alors tout son sens, Les concubins souhaitent souvent avant tout pouvoir laisser le logement commun au survivant. La souscription d’une assurance-vie permet au bénéficiaire de toucher en franchise de droit un capital échappant en grande partie à la succession du prédécédé et pouvant être utilisé pour payer les droits de succession. Peuvent également être effectués des legs en usufruit qui permettent au légataire de conserver la jouissance d’un bien en acquittant des droits moindres.

II) L’adoption de la loi sur le pacs

Deux rapports, remis à la Chancellerie au printemps 1998, respectivement par M. Jean Hauser et par Mme Irène Théry, ont proposé des solutions alternatives pour régler les questions de vie commune hors mariage :

  • Le groupe « Mission de recherche droit et justice »
    • Ce groupe de travail présidé par Jean Hauser a adopté, pour régler les problèmes de la vie en commun hors mariage, une approche purement patrimoniale, à travers le projet de pacte d’intérêt commun (PIC).
    • Inséré dans le livre III du code civil, entre les dispositions relatives à la société et celles relatives à l’indivision, ce pacte envisageait une mise en commun de biens par deux personnes souhaitant organiser leur vie commune, sans considération de leur sexe ou du type de relation existant entre elles, qu’elles soient familiales, amicales ou de couple.
    • Le PIC était un acte sous seing privé mais il était néanmoins proposé que puissent en découler, éventuellement, sous condition de durée du pacte, de nombreuses conséquences civiles, sociales et fiscales liées à la présomption de communauté de vie qu’il impliquait.
    • Cette approche avait donc pour ambition ” d’éliminer la charge idéologique de la question ” en éludant la question de la reconnaissance du couple homosexuel.
  • Le rapport d’Irène Théry intitulé « couple, filiation et parenté aujourd’hui»
    • Ce rapport choisissait une approche fondée sur la reconnaissance du concubinage homosexuel accompagnée de l’extension des droits sociaux reconnus à l’ensemble des concubins.
    • Appréhendant le concubinage comme une situation de fait génératrice de droits résultant de la communauté de vie, il a proposé d’inscrire dans le code civil que le « concubinage se constate par la possession d’état de couple naturel, que les concubins soient ou non de sexe différent».

Au total, aucune des deux solutions proposées n’a été retenue. La Présidente de la commission des Lois, a souhaité qu’un texte commun puisse être établi à partir des deux propositions de lois déposées le 23 juillet 1997 respectivement par M. Jean-Pierre Michel M. Jean-Marc Ayrault

Leurs travaux, dont le résultat a été rendu public fin mai 1998, ont donné naissance au concept de « pacte civil de solidarité ».

De cette coproduction législative est ainsi née la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité.

En proposant aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[6], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires, la démarche du législateur témoigne de sa volonté de ne plus faire fi d’une situation de fait qui, au fil des années, s’est imposée comme un modèle à partir duquel se sont construites de nombreuses familles.

En contrepartie d’en engagement contractuel[7] qu’ils doivent prendre dans l’enceinte, non pas de la mairie, mais du greffe du Tribunal de grande instance[8], les concubins, quelle que soit leur orientation sexuelle, peuvent de la sorte voir leur union hors mariage, se transformer en une situation juridique.

C’est là une profonde mutation que connaît le droit de la famille, laquelle mutation ne faisait, en réalité, que commencer.

III) La réforme de la loi sur le pacs

A) La loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités

Quelques années après l’instauration du pacs un certain nombre d’ajustements sont apparus nécessaires aux fins de remédier aux insuffisances révélées par la pratique.

Aussi, la chancellerie a-t-elle réuni un groupe de travail chargé de dresser un état des lieux, lequel déboucha sur un rapport déposé le 30 novembre 2004.

Les préconisations de ce rapport ont été, pour partie, reprises par le gouvernement de l’époque qui déposa une proposition de loi aux fins de réformer le pacs.

Cette réforme consista, en particulier, à modifier le régime patrimonial du PACS, soit plus précisément à basculer d’un régime d’indivision vers un régime de séparation de bien.

En 1999, le régime patrimonial du PACS reposait sur deux présomptions d’indivision différentes selon le type de biens :

  • les meubles meublants dont les partenaires feraient l’acquisition à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale. Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie ;
  • les autres biens dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose autrement.

Par ailleurs, le champ de l’indivision était pour le moins incertain puisque la formulation du texte ne permettait pas de savoir avec certitude s’il comprenait les revenus, les deniers, et les biens créés après la signature du PACS.

De surcroît, l’indivision est un régime qui, par nature est  temporaire et lourd qui plus est.

Aussi, le législateur a-t-il préféré soumettre le PACS au régime de la séparation des patrimoines, suivant les préconisations du groupe de travail.

L’idée était de le rapprocher du régime de séparation de biens prévu par la loi du 13 juillet 1965 pour les époux aux articles 1536 à 1543 du code civil.

Le choix est cependant laissé aux partenaires qui peuvent toujours opter pour un régime d’indivision organisé.

C’est dans ce contexte que la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a été adoptée.

B) La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

La loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité avait fixé le lieu d’enregistrement du pacs au greffe du tribunal d’instance.

La proposition de loi à l’origine de la loi de 1999 prévoyait pourtant un enregistrement par les officiers de l’état civil.

Toutefois, lors de son examen, face à une forte opposition de nombreux maires, pour des raisons symboliques tenant au risque de confusion entre PACS et mariage, l’Assemblée nationale avait confié cette compétence aux préfectures avant, finalement, de l’attribuer aux greffes des tribunaux d’instance.

Depuis la loi n°2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, les pacs peuvent également être enregistrés par un notaire.

Lors de son intervention en 2016 aux fins de moderniser la justice du XXIe siècle, le législateur a entendu transférer aux officiers de l’état civil les compétences actuellement dévolues aux greffes des tribunaux d’instance en matière de Pacs.

Pour ce faire, il s’est appuyé sur le constat que les obstacles symboliques qui avaient présidé en 1999 au choix d’un enregistrement au greffe du tribunal d’instance avaient disparu.

Le Pacs est désormais bien connu des citoyens qui ne le confondent pas avec le mariage et la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a permis d’introduire l’union homosexuelle à la mairie.

Qui plus est, ce transfert des formalités attachées au Pacs du greffe du tribunal d’instance à la mairie s’inscrit dans un mouvement qui vise à recentrer les tribunaux sur leurs activités juridictionnelles.

Désormais, ce sont donc les officiers d’état civil qui sont compétents pour connaître des formalités relatives au pacte civil de solidarité.

[1] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[2] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[3] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[4] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[5] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[6] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[7] Article 515-1.

[8] Article 515-3.

La prohibition des engagements perpétuels

?Signification du principe

Le principe de prohibition des engagements perpétuels signifie que nul ne saurait être engagé indéfiniment dans des liens contractuels.

Le Doyen Carbonnier observait en ce sens que le Code civil de 1804 « ne paraît avoir envisagé pour les obligations, une fois nées, d’autre destin que de s’éteindre »[1].

Quelques dispositions éparses fondent cette analyse telle que l’article 1710 du Code civil qui prévoit, par exemple, que « on ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée ».

Aussi, tout contrat doit être borné dans le temps, quand bien même il aurait été conclu pour une durée indéterminée.

Dans son rapport annuel de l’année 2014 la Cour de cassation exprime parfaitement bien cette idée en affirmant que « la liberté contractuelle de choisir le temps pour lequel on s’engage s’enchâsse alors dans une limite maximale impérative, qui peut être légale (six ans pour les contrats de louage d’emplacement publicitaire, article L. 581-25 du code de l’environnement ; quatre-vingt-dix-neuf ans pour les sociétés civiles et commerciales, articles 1838 du code civil et L. 210-2 du code de commerce), ou prétorienne (quatre-vingt-dix-neuf ans pour les baux, Cass. 3e civ., 27 mai 1998, n°96-15.774), mais dont la mesure est toujours sensible à l’objet du contrat. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par engagement perpétuel.

Concrètement, les engagements perpétuels recoupent deux situations bien distinctes :

  • Soit le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, mais, par le jeu d’une clause, il ne permet pas l’exercice de la faculté de résiliation unilatérale
  • Soit le contrat a été conclu pour une durée déterminée, mais cette durée est anormalement longue

?Reconnaissance du principe

Le principe de prohibition des engagements perpétuels a été reconnu en trois temps :

  • Premier temps : la Cour de cassation
  • Deuxième temps : le Conseil constitutionnel
    • Le principe de prohibition des engagements perpétuel a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 9 novembre 1999 (Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC)
    • Les juges de la rue de Montpensier ont estimé, que « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties ».
  • Troisième temps : le législateur
    • Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a introduit un article 1210 dans le Code civil qui prévoit que
      • « les engagements perpétuels sont prohibés. »
      • « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »

?Effets du principe

Deux effets sont attachés au principe de prohibition des engagements perpétuels :

  • Lorsque le contrat est à durée déterminée
    • Dans l’hypothèse où le contrat comporte un terme, qui peut être tacite sous réserve que sa survenue soit certaine, le contrat s’éteint par l’arrivée de ce terme à la condition sine qua non que le terme prévu par les parties n’excède pas un éventuel plafond légal
    • À défaut, le contrat est réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée
    • Son extinction relève alors du pouvoir des parties, chacune disposant d’un droit de résiliation unilatérale pour se prémunir des dangers d’un engagement perpétuel.
  • Lorsque le contrat est à durée indéterminée
    • Dans cette hypothèse, chaque partie dispose de la faculté de mettre fin au contrat en sollicitant unilatéralement sa résiliation
    • Dans un arrêt du 31 mai 1994, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l’alinéa 3 du même texte, offerte aux parties » (Cass. com. 31 mai 1994, n°88-10.757)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle les parties ne sauraient déroger par clause contraire (Cass. 3e civ. 19 févr. 1992, n°90-16.148).

Cass. com. 31 mai 1994

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1134, alinéa 2, du Code civil ;

Attendu que, dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l’alinéa 3 du même texte, offerte aux parties ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Etablissements Gabriel et compagnie (la société), qui avait une activité industrielle à Lyon, a créé, en 1972, un restaurant d’entreprise dont elle a confié la gestion à M. X… à compter du 24 avril 1975, pour une durée indéterminée ; que par lettre du 23 novembre 1989 la société a informé M. X… du prochain transfert de l’entreprise à Reyrieux et lui a notifié que de ce fait le contrat de concession serait ” caduc ” ; que M. X…, soutenant que la résiliation de ce contrat était abusive, a demandé la condamnation de la société au paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient que l’article 12 du contrat litigieux prévoyait plusieurs cas de rupture ; que la société prétend se trouver dans la troisième hypothèse, c’est-à-dire la fermeture de ses établissements, mais qu’il s’agit d’un transfert et non d’une fermeture de l’entreprise ; qu’ainsi, en prenant unilatéralement la décision de supprimer, à l’occasion d’un simple transfert de locaux, et hors des cas de rupture prévus au contrat, le restaurant d’entreprise concédé à M. X… , la société a rompu abusivement la convention conclue avec ce dernier ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’abus de droit imputé à la société ne pouvait résulter du seul fait que la résiliation était intervenue en dehors des cas prévus au contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 décembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble.

?Sanction du principe

Sous l’empire du droit antérieur à la réforme des obligations, la sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels a fait l’objet d’une vive controverse

Trois sortes de sanctions ont été discutées par la jurisprudence et la doctrine :

  • Première sanction : la nullité totale
    • Cette sanction a été envisagée de nombreuses fois par la jurisprudence (v. notamment en ce sens Cass. 3e civ., 20 févr. 1991)
    • L’avantage de la nullité est qu’il s’agit d’une sanction suffisamment vigoureuse pour dissuader les agents de contrevenir au principe de prohibition des engagements perpétuels
    • Toutefois, cette sanction n’est pas sans inconvénient
    • Il peut, en effet, être observé que l’action en nullité est enfermée dans un certain délai
    • Cela signifie donc que si la prescription est acquise, l’action en nullité ne peut plus être exercée, ce qui dès lors produit l’effet inverse de celui recherché : l’engagement perpétuel que l’on cherchait à annuler ne peut plus être délié.
    • Il devient irrévocablement perpétuel.
  • Deuxième sanction : la nullité partielle
    • Afin de se prémunir de l’anomalie ci-dessus évoquée, la jurisprudence a circonscrit, dans certains arrêts la nullité à la seule clause qui contrevenait au principe de prohibition des engagements perpétuels.
    • Telle a été la solution rendue par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 7 mars 2006 (Cass. 1ère civ. 7 mars 2006, n°04-12.914).
    • La sanction de la nullité partielle ne pourra toutefois être prononcée qu’à la condition que la clause n’ait pas été déterminante du consentement des parties.
    • Si elle a été la cause « impulsive et déterminante » de leur engagement, le juge n’aura d’autre choix que d’annuler le contrat dans son ensemble (Cass. 1ère civ., 24 juin 1971, n°70-11.730).
    • Dans l’hypothèse où la nullité partielle pourra jouer, les contractants retrouveront la faculté de résiliation unilatérale propre aux contrats à durée indéterminée.
  • Troisième sanction : la réduction de la durée du contrat au maximum légal
    • Dans l’hypothèse où la durée du contrat excèderait le plafond prévu par la loi, le juge réduira cette durée d’autant qu’elle dépasse le maximum légal.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de prononcer cette sanction à plusieurs reprises (V. en ce sens Cass. com., 10 févr. 1998, 95-21.906).
    • Dans un arrêt du 13 novembre 2002 elle a notamment estimé que « le contrat de louage d’emplacement publicitaire ne peut être conclu pour une durée supérieure à six ans à compter de sa signature ; que la stipulation d’une durée plus longue est soumise à réduction » (Cass. 1re civ., 13 nov. 2002, n°99-21.816).
    • Si, de toute évidence, cette solution permet de surmonter les difficultés soulevées par la nullité totale ou partielle, elle n’est pas non plus à sans faille.
    • La possibilité de réduire la durée du contrat à hauteur du plafond légal n’est envisageable qu’à la condition que ce plafond existe.
    • Or pour la plupart des contrats aucun maximum de durée n’a été institué par le législateur.
    • Ainsi, apparaît-il que le champ d’application de la sanction qui consiste à réduire la durée du contrat est pour le moins restreint.

Au total, il ressort de l’examen général de chacune des mesures envisagées en guise de sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels qu’aucune d’elles n’était véritablement satisfaisante.

C’est la raison pour laquelle le législateur n’en a retenu aucune. Il a préféré emprunter une autre voie.

  • L’intervention du législateur
    • À l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a introduit un article 1210, al. 2 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit en contrepoint de l’alinéa 1er, lequel pose le principe de prohibition des engagements perpétuels, que « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »
    • Ainsi, la sanction d’un contrat conclu à titre perpétuel n’est autre que la requalification en contrat à durée indéterminée.
    • Les parties retrouvent alors leur faculté de résiliation unilatérale.
    • En cas d’exercice de cette faculté, elles ne seront toutefois pas dispensées d’observer l’exigence de préavis prévue à l’article 1211.

?Limites au principe

  • L’abus
    • Le principe de prohibition des engagements perpétuels est tempéré par l’obligation pour la partie qui entend exercer sa faculté de résiliation unilatérale de ne pas commettre d’abus.
    • Dans un arrêt du 15 novembre 1969 la Cour de cassation a par exemple estimé que le contractant « pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement » (Cass. com. 15 déc. 1969)
    • Elle a encore jugé dans un arrêt du 5 février 1985 que « dans les contrats a exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionne par l’alinea 3 de [l’ancien article 1134], offert aux deux parties » (Cass. 1ère civ. 5 févr. 1985, n°83-15.895).
  • Les relations commerciales établies
    • Dans le domaine des affaires, la faculté de rupture unilatérale est strictement encadrée, en particulier lorsque les relations commerciales sont dites établies.
    • L’article 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : […] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d’une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l’application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d’au moins un an dans les autres cas »

Cass. com. 15 déc. 1969

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1134 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que la société des établissements Castaing fils a concédé en septembre 1961 a valentin y… de la vente des appareils agricoles qu’elle fabriquait dans quatre départements du sud-est de la France ;

Que, par lettre du 13 avril 1965, la société Castaing, invoquant la faiblesse des résultats obtenus par a…, a dénoncé le contrat de 1961 en proposant a ce dernier de continuer à lui livrer le matériel qui pourrait lui être utile, mais sans exclusivité ;

Que a… et les deux sociétés qu’il avait constituées pour l’exercice de son activité commerciale, le comptoir industriel et agricole méditerranéen (ciam) et les établissements Paul a… ont alors fait assigner la société Castaing devant le tribunal de commerce en paiement de dommages-intérêts pour rupture unilatérale des conventions liant les parties, en demandant en outre que les établissements Castaing soient condamnes a reprendre les pièces détachées qu’ils avaient livrées a a… ou à ces deux sociétés ;

Attendu que le tribunal de commerce a fait droit a la demande concernant les pièces détachées mais a x… valentin et les deux sociétés susvisées de leur demande en dommages-intérêts en relevant notamment que le retrait d’exclusivité était justifié par l’absence complète de toute vente d’appareils au cours des années 1964 et 1965 succédant au nombre très réduit et en diminution constante et progressive des ventes réalisées au cours des trois années précédentes ;

Attendu que l’arrêt déféré infirme le jugement entrepris et ordonne une expertise pour rechercher notamment quelles diligences ont été faites par a… et ses sociétés concessionnaires pour implanter les produits Castaing dans le secteur concédé, si ces diligences étaient normales et suffisantes eu égard aux conditions du marché, aux motifs que si “le contrat étant a durée indéterminée, les établissements Castaing pouvaient le dénoncer de leur seule volonté, à condition de ne pas agir abusivement, et ce, sans avoir à s’adresser à justice” , et que “la seule question qui se pose est donc de savoir si cette dénonciation est justifiée par un motif légitime, tel qu’un manquement du concessionnaire a ses obligations, qu’a cet égard, la société Castaing est mal fondée a prétendre que celui-ci avait une obligation de résultat, qu’en effet, la convention ne prévoyait aucun chiffre d’affaires a réaliser par lui, que a…, n’était donc tenu que d’une obligation de diligence normale, eu égard aux usages de la profession et aux possibilités du marché des produits à vendre” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que, ayant déclaré à juste titre, que le concédant pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement, la cour d’appel ne pouvait imposer à ce dernier la charge de rapporter la preuve de l’existence d’un juste motif de résiliation du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale a sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le second moyen :

CASSE et ANNULE l’arrêt rendu entre les parties le 28 juin 1968 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Pratique restrictive de concurrence: de l’abus de dépendance économique au déséquilibre significatif

Le contrôle de l’équivalence des prestations n’est pas le monopole du droit civil. Le droit commercial, et plus précisément le droit de la concurrence, comporte de plus en plus de règles qui visent à assurer l’équilibre des relations commerciales.

Cela se traduit par la prohibition d’un certain nombre de pratiques qualifiées d’anticoncurrentielles, car portant atteinte au libre jeu de la concurrence sur le marché.

Parmi ces pratiques l’ordonnance n° 86-1243 du 1 décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence avait notamment introduit la prohibition de l’abus de dépendance économique.

1. L’abus de dépendance économique

L’ancien article L. 420-2 du Code de commerce prévoyait en ce sens que :

« I. – Est prohibée, dans les mêmes conditions, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises :

1° D’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ;

2° De l’état de dépendance économique dans lequel se trouve, à son égard, une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solution équivalente.

II. – Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

L’abus de dépendance économique était envisagé au même niveau que l’abus de position dominante »

Il ressort de cette disposition que l’abus de dépendance économique était associé à l’abus de position dominante, ces pratiques étant envisagées comme formant les deux faces d’une même pièce : l’abus de domination.

Rapidement, cette association s’est toutefois révélée pas très heureuse. Tandis que l’abus de position dominante relève de la catégorie des pratiques anticoncurrentielles, l’abus de dépendance économique constitue plutôt une pratique restrictive de concurrence.

La différence entre ces deux catégories de pratiques tient, grosso modo, à l’existence d’une atteinte au marché.

Schématiquement :

  • Les règles relatives aux pratiques anticoncurrentielles visent à sanctionner les atteintes à la libre concurrence
  • Les règles relatives aux pratiques restrictives visent à sanctionner les atteintes à la liberté contractuelle.

Cette distinction devrait, en toute logique, se traduire par l’exigence d’établir une atteinte au libre jeu de la concurrence pour le seul abus de position dominante.

L’abus de dépendance économique devrait, quant à lui, pouvoir être sanctionnée sans qu’il soit besoin de se préoccuper des effets de cette pratique sur le marché.

Bien que cette dualité de régime fût souhaitée par de nombreux auteurs, la lettre de l’article L. 420-2 du Code de commerce ne le permettait pas.

Dans sa rédaction initiale, cette disposition plaçait en effet l’abus de position économique sur le même plan que l’abus de position dominante de sorte qu’elle était assimilée à une pratique anticoncurrentielle.

Il en résultait deux conséquences :

  • L’abus de dépendance économique supposait d’établir une atteinte au libre jeu de la concurrence
  • L’action ne pouvait être menée que par l’autorité de régulation compétente, soit le Conseil de la concurrence à l’époque

En raison de la difficulté qu’il y avait à réunir ces deux conditions, l’abus de dépendance économique n’a pas connu le succès escompté.

D’où l’intervention du législateur pour réformer l’ordonnance du 1er décembre 1986, ce qui a donné lieu à la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales.

2. La réforme de l’abus de dépendance économique

Deux modifications peuvent être portées au crédit de l’ordonnance de 1986 :

  • Sur la caractérisation de l’abus de dépendance économique, la condition tenant à l’établissement d’une atteinte au marché a été supprimée
  • Sur le contrôle de l’abus de dépendance économique, le pouvoir de sanction a été retiré à l’autorité de régulation de la concurrence à la faveur du juge judiciaire.

Le législateur ne s’est pas arrêté là. Il est intervenu une nouvelle fois lors de l’adoption de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques (NRE).

Cette loi est venue dupliquer la pratique d’abus de dépendance économique pour l’inscrire à l’article L. 442-6 du Code de commerce qui énumère les pratiques restrictives de concurrence.

L’abus de dépendance économique relevait de la sorte, tant des pratiques anticoncurrentielles (art. 420-2 C. com), que des pratiques restrictives (art. 442-6 C. com).

  • En tant que pratique anticoncurrentielle, l’abus de dépendance économique devait pour être sanctionné « affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence »
  • En tant que pratique restrictive, l’abus de dépendance économique supposait de prouver que la position de l’agent, en raison de sa puissance d’achat ou de vente lui permettait de le soumettre son cocontractant « à des conditions commerciales ou obligations injustifiées »

Malgré l’élévation de l’abus de dépendance économique au rang des pratiques restrictives de concurrence, cette règle est demeurée pour le moins ineffective, en raison d’une interprétation jurisprudentielle stricte de ses conditions d’application.

Ajouté à cela, les victimes de cette pratique étaient peu enclines à engager une action en justice à l’encontre de leur principal client par peur de représailles.

C’est dans ce contexte que la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie dite « LME » a été adoptée.

L’un des objectifs affichés de ce texte a été de prévenir l’abus de puissance de négociation des grandes centrales d’achat à l’égard des petits fournisseurs.

Pour ce faire, le législateur a supprimé l’abus de dépendance économique de la liste des pratiques énoncées à l’article L. 442-6, I, 2° à la faveur d’une prohibition plus large de la pratique consistant à « soumettre ou […] tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

3. La notion de déséquilibre significatif

La notion de déséquilibre significatif fait manifestement directement écho aux termes de l’ancien article L. 131-2 du Code de la consommation relatif aux clauses abusives, ce qui n’a pas échappé aux auteurs, lesquels y ont vu immédiatement une transposition du dispositif consumériste au droit commercial.

La doctrine s’en est majoritairement émue pour trois raisons principales :

  • Tout d’abord, il a été reproché à ce texte de porter atteinte à la liberté contractuelle notamment en raison de la lourde amende civile encourue par l’auteur de l’infraction (deux millions d’euros ou trois fois le montant des sommes indûment perçues)
  • Ensuite, certains ont argué que la situation du consommateur face au professionnel n’est pas semblable à celle du fournisseur face au distributeur. Le dispositif de l’article L. 442-6, I, 2, propre au droit de la consommation, ne serait donc pas transposable, en l’état, au droit de la concurrence.
  • Enfin, une partie de la doctrine a considéré que, en raison de l’absence de définition de la notion de « déséquilibre significatif », l’article L. 442-6, I, 2° contrevenait au principe de légalité des délits et des peines, l’amende civile encourue revêtant un caractère répressif.
    • Sur cette dernière critique, la question a été posée au Conseil constitutionnel par le Tribunal de Bobigny dans le cadre d’une QPC.
    • Dans une décision n° 2010-85 du 13 janvier 2011 celui-ci a toutefois estimé que la sanction dont était assortie la nouvelle pratique instituée à l’article L. 442-6, I, 2° était parfaitement conforme à l’article 8 de la DDHC.
    • Les juges de la rue de Montpensier ont affirmé en ce sens que « pour déterminer l’objet de l’interdiction des pratiques commerciales abusives dans les contrats conclus entre un fournisseur et un distributeur, le législateur s’est référé à la notion juridique de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties qui figure à l’article L. 132-1 du code de la consommation reprenant les termes de l’article 3 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 susvisée ; qu’en référence à cette notion, dont le contenu est déjà précisé par la jurisprudence, l’infraction est définie dans des conditions qui permettent au juge de se prononcer sans que son interprétation puisse encourir la critique d’arbitraire ; qu’en outre, la juridiction saisie peut, conformément au sixième alinéa du paragraphe III de l’article L. 442-6 du code de commerce, consulter la commission d’examen des pratiques commerciales composée des représentants des secteurs économiques intéressés ; qu’eu égard à la nature pécuniaire de la sanction et à la complexité des pratiques que le législateur a souhaité prévenir et réprimer, l’incrimination est définie en des termes suffisamment clairs et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits ».

Ainsi, pour le Conseil constitutionnel la notion de « déséquilibre significatif » n’est pas dépourvue de définition dans la mesure où ses contours ont d’ores et déjà été délimités par la jurisprudence en droit de la consommation.

Il appartient donc aux juridictions de reprendre la définition existante afin de déterminer s’il y a lieu de sanctionner ou non l’existence d’un déséquilibre significatif, comme pratique restrictive de concurrence.

Est-ce à dire que le déséquilibre significatif de l’article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce est le même que celui envisagé à l’article L. 212-1 du Code de la consommation (anciennement L. 132-1) ?

On ne saurait être aussi catégorique, ne serait-ce que parce que ces dispositions ne sont pas rédigées en des termes identiques.

4. Les conditions d’application du déséquilibre significatif

Il ressort de l’article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce que l’auteur d’un déséquilibre significatif engage sa responsabilité lorsque trois conditions cumulatives sont réunies.

?Une relation avec un partenaire commercial

L’article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce n’a vocation à régir que les rapports institués entre deux contractants dans le cadre d’une relation commerciale

Cette disposition n’intéresse donc pas les contrats conclus entre un consommateur et un professionnel.

Elle ne s’applique qu’entre partenaires commerciaux.

Là ne s’arrête pas la différence avec l’article L. 212-1 du Code de la consommation.

Tandis que ce texte ne sanctionne que le déséquilibre créé par le professionnel au détriment du consommateur, l’article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce peut être indifféremment invoquée à la faveur de l’une ou l’autre partie au contrat.

Cette disposition vise, très largement, « le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ».

Rien n’exclut, par conséquent, que le bénéfice de cette protection soit invoqué par le distributeur à l’encontre de son fournisseur, alors même que le rapport de force est généralement inversé.

Enfin, la notion de « partenaire commerciale » visé par le texte induit l’exigence d’une relation économique établie entre la victime du déséquilibre et son cocontractant.

?Une soumission ou d’une tentative de soumission

Deuxième condition exigée par l’article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce, l’auteur du déséquilibre significatif doit « soumettre ou tenter de soumettre » son partenaire commercial.

Cette formule appelle plusieurs remarques :

  • Tout d’abord, sur la formule en elle-même, le terme de soumission implique l’existence d’une position de force d’un contractant sur l’autre. Autrement dit, l’une des parties au contrat doit exercer une contrainte économique telle sur son cocontractant qu’il le prive de sa liberté contractuelle.
    • Dans un arrêt du 18 septembre 2013, la Cour d’appel de Paris évoque « l’existence d’un rapport de force économique déséquilibré entre les parties, dont il se déduit la soumission du partenaire le plus faible » (CA Paris, 18 sept. 2013).
    • Dans un arrêt du 27 mai 2005, la Cour de cassation a, pour constater l’existence d’un rapport de soumission, que « les clauses litigieuses étaient insérées dans tous les contrats signés par les fournisseurs, lesquels ne disposaient pas du pouvoir réel de les négocier, et relevé que les fournisseurs, dont seuls 3 % étaient des grands groupes, ne pouvaient pas prendre le risque d’être déréférencés par le Galec qui détenait, en 2009, 16,9 % des parts du marché de la distribution, la cour d’appel, qui n’a pas procédé par affirmation générale, a pu en déduire que les fournisseurs avaient été soumis aux exigences du Galec, caractérisant ainsi l’existence d’une soumission au sens de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce 8 sept. 2013 » (Cass. com. 27 mai 2015, n°14-11.387).
  • Ensuite, en tant que pratique restrictive, pour être sanctionnée l’exercice de cette contrainte ne suppose pas de porter atteinte au marché. Le seul constat de le l’existence d’un déséquilibre significatif suffit à fonder le prononcé d’une sanction.
  • Enfin, il peut être observé que l’exigence d’un comportement particulier imputable à l’auteur du déséquilibre significatif constitue une différence notable avec les conditions de mise en œuvre de l’article L. 212-1 du Code de la consommation qui n’exige pas du professionnel qu’il soumette ou tente de soumettre le consommateur dans le cadre de leur relation contractuelle. L’application de cette disposition est subordonnée à l’établissement d’un élément objectif : l’existence d’une clause qui crée « un déséquilibre significatif ». Peu importe la position dans laquelle le professionnel se trouve par rapport au consommateur.

?Des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties

Dans un arrêt du 23 mai 2013, la Cour d’appel de Paris a défini le déséquilibre significatif comme le « fait, pour un opérateur économique, d’imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu’une contrepartie dont la valeur est disproportionnée au regard de la valeur du service rendu » (CA Paris, 23 mai 2013).

La question qui immédiatement se pose est de savoir comment apprécier le déséquilibre ?

Doit-il être apprécié clause par clause ou au regard du contrat pris dans sa globalité ?

Contrairement à l’article L. 212-1 du Code de la consommation vise les « clauses » qui créent un déséquilibre significatif, l’article L. 442-6, I, 2 du Code de commerce évoque les « obligations » en général à l’origine du déséquilibre, ce qui n’est pas sans renvoyer au contrat pris dans sa globalité.

En matière de pratique restrictive de concurrence, le juge semble dès lors devoir apprécier le déséquilibre significatif au regard de l’économie du contrat.

Dans un arrêt du 3 mars 2015, la Cour de cassation a estimé en ce sens que « l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce invite à apprécier le contexte dans lequel le contrat est conclu et son économie » (Cass. com. 3 mars 2015, n°13-27.525).

Dans cette perspective, plusieurs critères vont être pris en compte par le juge pour apprécier le déséquilibre.

  • L’absence de réciprocité
    • Lorsque certaines clauses sont unilatérales, en ce sens qu’elles ne peuvent être invoquées que par une seule partie au contrat, cette absence de réciprocité peut être interprétée comme le signe de l’existence d’un déséquilibre sanctionnable.
    • Tel sera le cas, par exemple, d’une clause qui ne prévoit de faculté de résiliation unilatérale qu’à la faveur du seul distributeur.
    • Il en ira de même pour une clause de révision de prix dépourvu de réciprocité.
  • L’absence de contrepartie
    • Lorsque le contrat confère à l’une des parties un avantage sans contrepartie, le juge pourra en déduire l’existence d’un déséquilibre significatif.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 2013, la Cour d’appel de Paris a estimé en ce sens s’agissant d’une clause de retour des invendus qui « met à la charge des fournisseurs une obligation, sans qu’aucune contrepartie ne leur soit accordée [qu’] elle instaure, par là, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. » (CA. Paris 7 juill. 2013).
  • Le caractère inhabituel de la clause
    • Si une clause unilatérale insérée dans un contrat commercial peut ne pas être sanctionnée lorsqu’elle est fréquemment stipulée, tel ne sera pas le cas lorsque cette même clause est inhabituelle.
    • Tel est le sens de deux arrêts rendus par la Cour d’appel de Paris le 27 avr. 2011 et le 18 décembre 2013 (CA. Paris 27 avr. 2011 ; CA. Paris 18 sept. 2013).
  • Indifférence de la nature du déséquilibre
    • Pour mémoire, l’article 1168 du Code civil prévoit que la lésion est indifférente en droit français.
    • Cela signifie que si le déséquilibre contractuel consiste en une disproportion entre la prestation due et le prix convenu, il ne devrait pas pouvoir être sanctionné.
    • Selon certains auteurs, la ratio legis de l’article L. 442-2, I, 2° du Code de commerce autoriserait toutefois à penser que, en matière de contrats commerciaux, la lésion serait, par exception au principe, admise.
    • Dans un arrêt du 1er juillet 2015 la Cour d’appel de Paris a manifestement adhéré à cette analyse en affirmant que « si le juge judiciaire ne peut contrôler les prix qui relèvent de la négociation commerciale, il doit sanctionner les pratiques commerciales restrictives de concurrence et peut annuler les clauses contractuelles qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, même lorsque ces clauses sont relatives à la détermination du prix, et ce en application des dispositions de l’article L. 442-6 I 2°du code de commerce qui sanctionne tout déséquilibre contractuel dès lors qu’il est significatif » (CA Paris, 1er juill. 2015).
    • Par ailleurs, dans un arrêt du 25 janvier 2017, la Cour de cassation a jugé que « la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation et L. 442-6, I, 2° du code de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, n’exclut pas qu’il puisse exister entre elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ; qu’ainsi, l’article L. 442-6, I, 2° précité, qui figure dans le Livre quatrième du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et au Chapitre II du Titre IV, dédié aux pratiques restrictives de concurrence, n’exclut pas, contrairement à l’article L. 212-1 du code de la consommation, que le déséquilibre significatif puisse résulter d’une inadéquation du prix au bien vendu ; qu’en outre, la cour d’appel a exactement retenu que la loi du 4 août 2008, en exigeant une convention écrite qui indique le barème de prix tel qu’il a été préalablement communiqué par le fournisseur, avec ses conditions générales de vente, a entendu permettre une comparaison entre le prix arrêté par les parties et le tarif initialement proposé par le fournisseur ; qu’il suit de là que l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce autorise un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d’une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » (Cass. com. 25 janv. 2017, n°15-23.547).
    • Ainsi, la Cour de cassation semble admettre la lésion sur le fondement de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce par exception aux articles 1169 du Code civil et L. 212-1 du Code de la consommation.

5. Titularité de l’action

?Les titulaires de l’action

Aux termes de l’article L. 442-6, III du Code de commerce « l’action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d’un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l’économie ou par le président de l’Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l’occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article. »

Il ressort de cette disposition que la victime du déséquilibre significatif n’est pas la seule titulaire de l’action.

Afin, d’éviter qu’elle se résigne à agir par peur de représailles de la part de son cocontractant, le législateur a ouvert l’action à trois autorités différentes :

  • Le ministère public
  • Le ministre de l’économie
  • Le président de l’Autorité de la concurrence

?Les difficultés soulevées par l’ouverture d’une action au ministre de l’économie

En octroyant au ministre de l’économie le droit d’agir, alors même qu’il est, a priori, dépourvu d’intérêt à agir, cela contrevient à la règle « nul ne plaide par procureur ».

L’ouverture de l’action au ministre de l’économique a, pour cette principale raison, été fortement critiquée par la doctrine qui y voyait une atteinte à un principe fondamental de procédure civile.

Dans une décision du 13 mai 2011, le Conseil constitutionnel a toutefois estimé qu’« il est loisible au législateur de reconnaître à une autorité publique le pouvoir d’introduire, pour la défense d’un intérêt général, une action en justice visant à faire cesser une pratique contractuelle contraire à l’ordre public ; que ni la liberté contractuelle ni le droit à un recours juridictionnel effectif ne s’opposent à ce que, dans l’exercice de ce pouvoir, cette autorité publique poursuive la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés » (Cons. const., 13 mai 2011, n° 2011-126 QPC, Sté Système U Centrale Nationale)

Pour les juges de la rue de Montpensier, lorsque le ministre de l’économie exerce l’action qui lui est ouverte sur le fondement de l’article L. 442-6, II, 2° du Code de commerce, il ne plaide pas par procureur, mais agit en défense de l’intérêt général, soit plus précisément pour assurer le bon fonctionnement du marché.

?Réserve du Conseil constitutionnel : l’obligation d’information des parties au contrat

Le Conseil constitutionnel a assorti sa décision du 13 mai 2011 : le ministre de l’économie ne peut agir en justice pour dénoncer l’existence d’un déséquilibre significatif qu’à la condition « que les parties au contrat ont été informées de l’introduction d’une telle action ».

Rapidement, cette réserve a soulevé des difficultés d’interprétation.

La question s’est posée de savoir si l’obligation d’information devait être satisfaite quelle que soit l’action diligentée par le ministre ou s’il pouvait s’en départir dans l’hypothèse où il ne solliciterait que la cessation de la pratique abusive.

Dans un arrêt du 3 mars 2015, la Cour de cassation a opté pour seconde option.

Elle a estimé « qu’il résulte de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision 2011-126 QPC du 13 mai 2011 que c’est seulement lorsque l’action engagée par l’autorité publique tend à la nullité des conventions illicites, à la restitution des sommes indûment perçues et à la réparation des préjudices que ces pratiques ont causés que les parties au contrat doivent en être informées ; qu’ayant constaté que le ministre avait renoncé en cours d’instance à poursuivre l’annulation des clauses litigieuses, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que son action, qui ne tendait plus qu’à la cessation des pratiques et au prononcé d’une amende civile, était recevable » (Cass. com. 3 mars 2015, n°14-10.907).

?L’autonomie du droit d’agir du ministre de l’économie

Il importe peu que la victime n’ait pas consenti à l’action engagée par le ministre de l’économie.

Dans un arrêt du 8 juillet 2008, la Cour de cassation a estimé que « l’action du ministre chargé de l’économie, exercée en application des dispositions du premier de ces textes, qui tend à la cessation des pratiques qui y sont mentionnées, à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l’indu et au prononcé d’une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs » (Cass. com. 8 juill. 2008, n°07-16.761).

Le ministre de l’économique peut donc parfaitement introduire une action en justice sans le consentement de la victime.

Il devra toutefois l’en avertir, sauf à ce qu’il ne sollicite qu’une cessation de la pratique abusive.

Cass. com. 8 juill. 2008

Sur le premier moyen :

Vu l’article L. 442-6 III du code de commerce ensemble l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que l’action du ministre chargé de l’économie, exercée en application des dispositions du premier de ces textes, qui tend à la cessation des pratiques qui y sont mentionnées, à la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, à la répétition de l’indu et au prononcé d’une amende civile, est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs ;

Attendu qu’en septembre 2001, la société coopérative Groupements d’achats des centres Leclerc (le Galec) ayant obtenu, de la part de ses vingt-trois fournisseurs en produits frais, des contrats de coopération commerciale moins favorables que ceux consentis à la société Carrefour, leur a réclamé réparation par la voie de protocoles d’accords transactionnels à hauteur d’un montant total de 23 313 681,51 euros ; que le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, estimant ces conventions contraires aux dispositions de l’article L. 442.-6-I-2 a et II a du code de commerce, comme portant sur des prestations rétroactives et ne reposant sur aucun préjudice en l’absence de service commercial effectivement rendu, a assigné le Galec en constatation de leur nullité, en restitution par le Galec des sommes perçues et en paiement d’une amende civile de deux millions d’euros ;

Attendu que pour décider que l’action du ministre chargé de l’économie était irrecevable et dire sans objet sa demande d’amende civile, l’arrêt retient que par son action fondée sur les dispositions de l’article L. 442-6 III du code de commerce, il recherchait le rétablissement des fournisseurs dans leurs droits patrimoniaux individuels afin de défendre et de restaurer l’ordre public économique prétendument troublé par les transactions intervenues entre eux et le Galec et qu’il avait introduit cette action de substitution sans en informer les fournisseurs titulaires des droits et qu’il a poursuivi la procédure sans les y associer alors que dix-sept d’entre eux avaient expressément exprimé leur volonté contraire en violation de l’article 6 § 1 de la Convention qui garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement devant un tribunal indépendant et impartial qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 3 mai 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles, autrement composée ;

6. Prescription de l’action

  • Le délai de prescription
    • Conformément à l’article L. 110-4, I du Code de commerce « les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. »
  • Le point de départ de la prescription
    • S’agissant du point de départ de la prescription, tout dépend de la sanction sollicitée par le demandeur :
      • Pour la répétition de l’indu, il s’agira de la date à laquelle le paiement est devenu indu
      • Pour la réparation du préjudice, il s’agira
        • soit de la date de réalisation du préjudice
        • soit la date à laquelle le dommage a été révélé à la victime
      • Pour la nullité du contrat, il s’agira de la date de conclusion du contrat

7. Sanction

Plusieurs sanctions sont prévues par l’article L. 442-6, III du Code de commerce.

  • La réparation du préjudice causé
    • Cette sanction pourra être sollicitée, tant par la victime, que par les autorités publiques.
    • Quid de la nature de cette action en responsabilité ? S’agit-il d’une responsabilité de nature contractuelle ou délictuelle ?
    • La jurisprudence a envisagé les deux possibilités
  • La cessation de la pratique abusive
    • Cette sanction ne peut être sollicitée que par le ministère public ou le ministre de l’économie
    • Cela peut se traduire :
      • Soit par l’anéantissement de la clause à l’origine du déséquilibre
      • Soit par l’obligation de renégociation du contrat
  • Le réputé non-écrit
    • Cette sanction, qui peut être sollicitée, tant par la victime, que par les autorités publiques, est semblable à celle prononcée en matière de clause abusive.
    • Cela témoigne de la proximité que l’article L. 442-6, III du Code de commerce entretient avec l’article L. 212-1 du Code de la consommation relatif aux clauses abusives.
  • La nullité du contrat
    • La nullité du contrat ne sera prononcée que dans les cas les plus graves, soit lorsque l’anéantissement d’une ou plusieurs causes serait insuffisant pour mettre fin au déséquilibre.
    • Ainsi, le juge privilégiera toujours la sanction du réputé non-écrit.
  • La répétition de l’indu
    • Cette sanction peut être sollicitée par la victime dès lors qu’elle justifiera que des sommes ont indûment été versées à son créancier en raison du déséquilibre.
    • À la vérité, il s’agit là, moins d’une sanction autonome, que d’une conséquence de la rétroactivité de l’anéantissement d’une clause ou du contrat dans son entier.
  • L’amende civile
    • Cette sanction ne pourra être sollicitée que par le ministre de l’économie ou le ministère public.
    • S’agissant du quantum de l’amende il pourra atteindre au choix :
      • Soit 5 millions d’euros
      • Soit le triple du montant des sommes indûment versées ou, de manière proportionnée aux avantages tirés du manquement
      • Soit 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques mentionnées au présent article ont été mises en œuvre.

Focus sur l’affaire Perruche

?Première étape : l’arrêt Perruche du 17 novembre 2000

Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;

Attendu qu’un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d’appel de Paris a jugé, de première part, que M. Y…, médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux droits duquel est M. A…, avaient commis des fautes contractuelles à l’occasion de recherches d’anticorps de la rubéole chez Mme X… alors qu’elle était enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont l’enfant avait développé de graves séquelles consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu’elle avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas d’atteinte rubéolique et que les fautes commises lui avaient fait croire à tort qu’elle était immunisée contre cette maladie, de troisième part, que le préjudice de l’enfant n’était pas en relation de causalité avec ces fautes ; que cet arrêt ayant été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l’enfant, l’arrêt attaqué de la Cour de renvoi dit que ” l’enfant Nicolas X… ne subit pas un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes commises ” par des motifs tirés de la circonstance que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule cause la rubéole transmise par sa mère et non ces fautes et qu’il ne pouvait se prévaloir de la décision de ses parents quant à une interruption de grossesse ;

Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme X… avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l’un et l’autre des pourvois:

CASSE ET ANNULE, en son entier, l’arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée que lors de l’audience du 17 décembre 1993

Faits :

Un enfant naît lourdement handicapé à la suite d’une erreur médicale commise par un médecin. Aussi, cette erreur a-t-elle privé la mère de la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse.

Demande :

Les parents introduisent une action en justice pour obtenir réparation :

  • D’une part, du préjudice occasionné par l’erreur de diagnostic du médecin, cette erreur les ayant privés de la possibilité de recourir à une IVG
  • D’autre part, du préjudice de leur enfant, né handicapé

Procédure :

  • Dispositif de la Cour d’appel :
    • Par un arrêt du 17 décembre 1993, la Cour d’appel de Paris déboute partiellement les parents de leur demande de réparation
  • Motivation de la Cour d’appel :
    • Les juges du fond estiment, en effet, que les parents étaient parfaitement fondés à obtenir réparation du préjudice personnellement subi par eux du fait de l’erreur de diagnostic commise par le médecin.
    • Les juges du fond estiment, néanmoins, que le préjudice subi par leur enfant du fait de son handicap ne saurait faire l’objet d’une réparation dans la mesure où il n’existerait aucun lien de causalité entre la faute du médecin et le handicap de l’enfant.

Problème de droit :

La question qui se posait en l’espèce était de savoir si un enfant né handicapé à la suite d’une erreur de diagnostic d’un médecin pouvait obtenir réparation du fait de sa naissance ?

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt :
    • Par un arrêt du 17 novembre 2000, la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel
    • Visa : art. 1165 et 1382 du Code civil
    • Cas d’ouverture à cassation : violation de la loi

Sens de l’arrêt

La Cour de cassation reproche, en l’espèce, à la Cour d’appel d’avoir estimé qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’erreur de diagnostic du médecin et le handicap de l’enfant.

Pour l’assemblée plénière, dès lors que les parents de l’enfant ont été « empêchés » de recourir à une IVG, il existe un lien de causalité entre la faute du médecin et le préjudice résultant pour l’enfant de son handicap.

Analyse de l’arrêt

La solution adoptée par la Cour de cassation interroge manifestement sur deux points :

  • L’existence d’un lien de causalité entre la faute du médecin et le préjudice de l’enfant
  • La réparation du préjudice de l’enfant résultant de son handicap
  • Sur le lien de causalité

Une lecture attentive de l’attendu de principe de l’arrêt Perruche nous révèle que l’Assemblée plénière ne s’est pas arrêtée aux constatations des juges du fond qui attribuaient les troubles dont souffrait l’enfant à la rubéole contractée pendant sa vie intra-utérine

Elle déduit la responsabilité des praticiens vis-à-vis de l’enfant de l’existence d’une faute à l’égard de la mère : « dès lors que la mère a été empêchée »

La causalité retenue est, par conséquent, indirecte et non directe, comme l’exige pourtant l’article 1382 du Code civil.

De toute évidence, les juges du fond ne se sont guère expliqués, en l’espèce, sur le lien causal, tant il leur a paru évident que les fautes constatées n’étaient pas en corrélation avec les malformations.

Ces malformations préexistaient à leur intervention. La naissance n’a fait que les révéler, comme le thermomètre révèle la température sans en être la cause.

En clair, les échographies n’ont pas suscité de malformations sur un enfant précédemment sain.

Dans ces conditions, comment est-il possible d’affirmer que le handicap dont souffrait Nicolas Perruche a été causé par une faute consistant précisément à ne pas déceler ce handicap ?

On a soutenu que les fautes étaient bien causales, dès lors que, sans leur commission, le dommage aurait pu être évité.

Toutefois s ces fautes ont eu pour seule conséquence de priver la mère de la possibilité de recourir à l’interruption de grossesse, laquelle n’aurait alors pu faire obstacle qu’à la naissance.

De même, on a pu invoquer l’inexécution fautive du contrat médical qui cause un préjudice à un tiers, en l’occurrence l’enfant, argument en trompe-l’œil, car il ne s’agit de rien d’autre que du manquement au devoir d’information envers la mère dont celle-ci est la seule victime.

D’évidence, seule la naissance de l’enfant est en lien directe avec le handicap.

Si l’on veut découvrir un préjudice causé à l’enfant, on est contraint d’en déduire que c’est la naissance car, même informée, la mère n’aurait pu empêcher le handicap.

Elle aurait seulement pu empêcher la naissance, ce qui, par l’absurde, aurait empêché le handicap.

Le handicap étant consubstantiel à la personne de l’enfant, la tentation était donc forte pour la Cour de cassation d’amalgamer naissance et handicap.

C’est, en réalité, le préjudice consécutif au fait d’être né handicapé que l’Assemblée plénière a accepté d’indemniser.

Mais, l’enfant, en l’absence de traitement connu, aurait pareillement été atteint de malformations sans les fautes médicales.

Dans cette hypothèse, l’enfant aurait peut-être été avorté et il serait mort avec son handicap.

De nombreuses voix se sont élevées pour critiquer la décision rendue par la Cour de cassation : la cause du handicap de l’enfant, ce n’est pas la faute du médecin, mais la maladie génétique contractée par l’enfant lui-même !

Plusieurs remarques toutefois s’imposent :

  • Il faut remarquer qu’en matière de causalité, les règles sont particulièrement souples.
    • Il est donc un peu hypocrite de relever dans l’arrêt en l’espèce un problème de causalité, alors que de façon générale la jurisprudence est peu regardante sur la question.
  • Surtout, s’il n’y a pas de causalité entre le dommage de l’enfant – son handicap – et la faute du médecin, il n’y en a pas plus entre le dommage des parents et la faute du médecin, car la véritable cause du dommage c’est la maladie génétique de l’enfant.
  • Si, dès lors, on refuse de voir un lien de causalité entre le dommage de l’enfant et la faute du médecin on doit également refuser de le voir entre le dommage des parents et l’erreur de diagnostic.
  • La causalité n’est donc sans doute pas la principale problématique dans l’arrêt en l’espèce.

On peut d’ailleurs tenir la même réflexion à propos d’un arrêt du 24 février 2005 rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dont la problématique interroge, une nouvelle fois sur la notion de préjudice (Cass. 2e civ., 24 févr. 2005 : n°02-11.999)

Cass. 2e civ., 24 févr. 2005

Vu l’article 1382 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que M. X… a été victime en 1974 d’un accident de la circulation dont M. Y…, assuré par la compagnie L’Alsacienne, aux droits de laquelle vient la société Azur assurances (Azur), a été reconnu responsable ; que M. X…, qui a conservé un handicap, a eu des enfants nés en 1977, 1985 et 1987 ; que ceux-ci ont estimé n’avoir jamais pu établir des relations ludiques et affectives normales avec leur père dont ils vivaient au quotidien la souffrance du fait de son handicap ; que Mme X…, en qualité d’administratrice légale de sa fille mineure, et les enfants majeurs, ont assigné l’assureur du responsable en réparation de leur préjudice moral ;

Attendu que, pour condamner la société Azur à indemniser le préjudice moral subi par les enfants de M. X…, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le handicap de M. X… a empêché ses enfants de partager avec lui les joies normales de la vie quotidienne ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’existait pas de lien de causalité entre l’accident et le préjudice allégué, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE,

Les faits étaient les suivants :

Les enfants d’un homme handicap agissent sur le fondement de l’article 1382 pour obtenir réparation de leur préjudice moral : ils estimaient n’avoir jamais pu établir des relations ludiques et affectives normales avec leur père dont ils vivaient au quotidien la souffrance du fait de son handicap.

Parce que ce handicap était consécutif à un accident de la circulation, ils demandent réparation à celui qui avait été considéré comme responsable de l’accident.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel qui avait décidé de les indemniser.

Selon la deuxième chambre civile, il n’y aurait pas de lien de causalité entre l’accident et le préjudice allégué, car, selon elle, les enfants sont nés après l’accident de leur père : le fait de leur naissance viendrait donc briser la chaîne des causalités.

Cette affirmation est cependant très contestable.

En effet, les privations des enfants consécutives au handicap de leur père sont bien une conséquence de l’accident.

On aurait donc pu trouver un lien de causalité, si l’on avait voulu. Mais on ne l’a pas fait.

Pourquoi ?

Très certainement parce que cela serait revenu à admettre qu’être élevé par un parent handicapé était un préjudice réparable, ce qui laissait entendre que les enfants estimaient qu’il eût été préférable pour eux d’être élevés par une personne valide…

C’est, en réalité ce type de question qui est au cœur de la controverse née de l’arrêt Perruche : peut-on considérer qu’être né, certes handicapé, constitue un préjudice en soi ?

  • Sur la question du préjudice

La véritable question que pose l’arrêt Perruche a trait à l’association de deux mots : « né handicapé ».

La Cour de cassation affirme dans cet arrêt que l’enfant peut obtenir réparation « du préjudice résultant de son handicap ».

Par cette formule habile, la Cour de cassation tente ici de nier qu’elle répare la naissance : comment peut-on dissocier le handicap de Nicolas Perruche et sa naissance ?

Le raisonnement tenu par la Cour de cassation est exact, mais fait l’impasse sur cette question de la réparation du préjudice que constitue la naissance !

En temps normal, pour savoir s’il y a préjudice, on se demande quelle serait la situation de la victime si le fait dommageable ne s’était pas produit.

On compare cette situation à la situation actuelle : la différence entre les deux constitue le préjudice.

  • Du point de vue de la mère, si aucune faute du médecin n’avait été commise, alors il y aurait probablement eu avortement.
    • Mais comme il y a eu une faute, la conséquence en est la naissance d’un enfant handicapé.
    • Le préjudice serait donc, non seulement le handicap, mais également la naissance de l’enfant !
  • Du point de vue de l’enfant, s’il n’y a pas eu de faute, la mère procède à l’IVG et donc il n’existe pas.
    • Il n’y aurait donc aucun préjudice pour lui : il ne saurait se plaindre d’exister.
    • Or s’il n’y a pas faute, il n’existe pas.

L’argument est ici extrêmement fort. On peut néanmoins se demander si la négation de l’existence d’un préjudice est opportune.

C’est donc là une question d’éthique qui se pose à la Cour de cassation.

Ne peut-on pas, en effet, se contenter de constater l’existence la charge financière et matérielle que représente la vie de l’enfant né handicapé ? L’enfant né handicapé ne vit pas comme les autres. Sa vie sera bien plus coûteuse que celle d’enfants valides.

Dans cette perspective, une définition du préjudice se fait sentir, ne serait-ce que pour pouvoir échapper à la question posée par l’arrêt Perruche à savoir : peut-on indemniser un enfant du fait d’être né handicapé ?

Au nom de la dignité de l’enfant, faut-il estimer qu’il est plus respectueux d’indemniser ou de ne pas indemniser ? Telle est la question qu’il faudrait se poser.

La solution à cette problématique résiderait peut-être dans la reconnaissance de dommages et intérêts punitifs.

De tels dommages et intérêt sont alloués à la victime en considération, non pas de l’existence d’un dommage, mais de la caractérisation d’une faute de l’auteur du fait dommageable.

Ces dommages et intérêts punitifs seraient donc une porte de sortie intéressante dans l’affaire Perruche.

Car en vérité, qu’est-ce que l’assemblée plénière a cherché à faire dans cette décision ?

La Cour de cassation a simplement souhaité indemniser Nicolas Perruche afin de permettre à ses parents de subvenir aux très lourdes dépenses auxquelles ils vont devoir faire face pour l’élever et l’assister dans son quotidien.

En consacrant les dommages et intérêts punitifs, il aurait été possible de retenir la responsabilité des médecins qui ont incontestablement commis une faute, sans pour autant être contraint de caractériser un préjudice qui, en l’espèce, est pour le moins difficilement caractérisable !

On échapperait ainsi au débat éthique !

?Deuxième étape : l’intervention du législateur.

Manifestement, telle n’est pas la voie qui a été empruntée par le législateur, lequel est intervenu à la suite de l’affaire Perruche, sous la pression des associations de personnes handicapées.

C’est dans ce contexte que la loi du 4 mars 2002 a été adoptée. Elle prévoit en son article 1er que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ».

Ainsi, le législateur a-t-il choisi d’exclure l’indemnisation de l’enfant ainsi que celle des parents pour leur préjudice autre que moral. Il s’agit là, indéniablement, d’une double sanction : et pour les parents et pour l’enfant !

A cet égard, le 3e paragraphe du I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 prévoyait que « les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. »

Ce paragraphe a par suite été repris par la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

Le texte prévoit que « Les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles tel qu’il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. »

?Troisième étape : condamnation de la France par la CEDH.

La loi du 4 mars 2002 était applicable aux litiges en cours, de sorte que l’on était en présence d’une loi rétroactive.

Cette application rétroactive de la loi a, cependant, été censurée par la CEDH dans deux arrêts relatifs à des demandes d’indemnisation à l’encontre d’hôpitaux et donc formée devant le juge administratif français (CEDH, 21 juin 2006, Maurice c/ France et CEDH, 6 octobre 2005, Draon c/ France et Maurice c/ France)

La CEDH a construit son raisonnement sur l’existence d’un bien, en l’occurrence une créance de réparation d’un préjudice.

Car pour les juges strasbourgeois, les requérants ont été privés de ce bien (la créance de réparation) par l’intervention du législateur français.

Pour la CEDH il y a, en effet, eu atteinte par le législateur français au droit au respect de ses biens.

Or cette atteinte est, selon la CEDH, disproportionnée, bien qu’elle poursuive un but d’intérêt général.

?Quatrième étape : application par le juge français de la décision rendue par la CEDH

Ce raisonnement soutenu par la CEDH va être repris par la Cour de cassation dans trois arrêts du 24 janvier 2006 (Cass. 1re civ., 24 janv. 2006, n° 02-13.775 ; 01-16.684 et 02-12.260) et par le Conseil d’État dans un arrêt du 24 février 2006 (CE, 24 févr. 2006, n° 250704, CHU Brest).

Ainsi, la solution de la Cour de cassation dégagée dans l’affaire Perruche s’impose-t-elle, désormais, au législateur interne.

?Cinquième étape : reconduite de la position de la Cour de cassation pour des affaires portant sur des naissances antérieures à la loi du 4 mars 2002

La Cour de cassation a eu à connaître, par suite, d’affaires portant sur des naissances antérieures à l’entrée en vigueur de loi du 4 mars 2002 mais avec des instances introduites ultérieurement.

Dans un arrêt rendu le 30 octobre 2007, la Cour de cassation a appliqué sa jurisprudence antérieure à la loi du 4 mars 2002 au dommage dont la « révélation (…) était nécessairement antérieure à l’entrée en vigueur de la loi » du 4 mars 2002 (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2007, n°06-17.325).

Cette même solution a été reprise par un arrêt de la première chambre civile du 8 juillet 2008. La Cour de cassation a jugé dans cette décision que « les intéressés pouvaient, en l’état de la jurisprudence applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice inclurait toutes les charges particulières invoquées, s’agissant d’un dommage survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi […], indépendamment de la date d’introduction de la demande en justice. » (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2008, n°07-12.159).

La Cour de cassation a suivi ici les vœux de certains civilistes, qui faisaient remarquer que « l’atteinte au droit de créance semble caractérisée de façon parfaitement égale qu’une action en justice ait été ou non formée avant l’adoption de la loi »[5] et non pas ceux qui estimaient que le raisonnement de la CEDH n’était pas fondé sur les règles du droit civil français.

La jurisprudence antérieure à la loi du 4 mars 2002 a donc été maintenue pour tous les dommages antérieurs au 7 mars 2002, sous la seule réserve des décisions ayant force de chose jugée.

?Sixième étape : censure par le Conseil constitutionnel de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002

Par suite, le Conseil constitutionnel le 14 avril 2010 d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par le Conseil d’État à l’occasion d’un pourvoi en cassation formé devant lui a, à son tour, écarté la rétroactivité de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002, en abrogeant la disposition de la loi du 11 février 2005 qui la prévoyait, en jugeant notamment que « si les motifs d’intérêt général précités pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice » (Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010).

Comme l’écrit un auteur « l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a été vaincu par l’union des juges » !

Restait toutefois à déterminer quel sort réserver aux actions concernant des enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 mais engagées postérieurement.

?Septième étape : réception de la décision du Conseil constitutionnel par le Conseil d’État et la Cour de cassation

Par un arrêt du 13 mai 2011, le Conseil d’État a jugé que l’effet rétroactif de la loi du 4 mars 2002 ne pouvait être neutralisé que pour les seules instances en cours à la date d’entrée en vigueur de cette loi.

Pour celles introduites postérieurement, la juridiction administrative estime qu’il y a lieu de faire rétroagir les effets de la loi (CE, ass., 13 mai 2011, n°329290).

La Cour de cassation, saisie la même année, a retenu une solution radicalement opposée à celle adoptée par le Conseil d’État.

Par un arrêt du 15 décembre 2011, elle a jugé que la loi du 4 mars 2002 n’avait pas vocation à s’appliquer aux dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur, soit aux naissances survenues avant le 7 mars 2002, quand bien même la demande en justice était postérieure (Cass. 1ère civ., 15 déc. 2011, n° 10-27.473).

Trois ans plus tard, la Conseil d’État confirmera malgré tout sa position dans un arrêt du 31 mars 2014.

Au soutien de sa décision il affirme que les requérants, parents d’un enfant né handicapé, faute d’avoir engagé une instance avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 « n’étaient pas titulaires à cette date d’un droit de créance indemnitaire qui aurait été lui-même constitutif d’un bien au sens de ces stipulations conventionnelles » et que, à ce titre, « le moyen tiré de ce que l’application de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles aux instances engagées après le 7 mars 2002 à des situations nées avant cette date porterait une atteinte disproportionnée aux droits qui leur sont garantis par ces stipulations doit être écarté » (CE, 31 mars 2014, n°345812).

Contestant la décision rendue par le Conseil d’État, les requérants forment un recours auprès de la CEDH.

?Huitième étape : nouvelle condamnation de la France par la CEDH

Saisie pour violation de l’article 1 du protocole additionnel (droit aux biens) et des articles 6-1 (droit au procès équitable), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 14 (interdiction de non-discrimination) de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme, par un arrêt du 3 février 2022, la CEDH condamne une nouvelle fois la France pour violation de l’article 1er du protocole additionnel (CEDH, 3 févr. 2022, n° 66328/14, N. M. et a. c/ France).

Contrairement à ce qui avait été décidé par le Conseil d’État, les juges strasbourgeois considèrent que, à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, les requérants détenaient bien une créance qu’ils pouvaient légitimement espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun de la responsabilité pour faute, s’agissant d’un dommage survenu antérieurement à l’intervention de la loi litigieuse.

Pour fonder sa décision, la CEDH relève que, au cas particulier, les juridictions nationales avaient établi sans ambiguïté, dans le cadre des décisions rendues, et à tous les stades de ces procédures, l’existence d’une faute ainsi que d’un lien de causalité directe entre la faute commise et le préjudice subi.

Les juridictions ont en effet considéré qu’en l’espèce la faute du centre hospitalier a conduit les requérants à croire que l’enfant conçu n’était pas atteint d’anomalie et que la grossesse pouvait être normalement menée à son terme, alors que les requérants avaient clairement manifesté leur volonté d’éviter le risque d’un accident génétique.

La faute ainsi commise a dissuadé la requérante de pratiquer tout examen complémentaire qu’elle aurait pu faire dans la perspective d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique.

Les conditions d’engagement de la responsabilité du Centre hospitalier étaient donc bien réunies, et les requérants disposaient par conséquent d’une créance correspondant au droit à l’indemnisation des frais liés à la prise en charge d’un enfant né handicapé après une erreur de diagnostic prénatal s’analysant en une « valeur patrimoniale ».

Quant à la date à laquelle cette créance aurait été constituée en droit interne sans l’application contestée des dispositions de l’article L. 114-5 du CASF, la CEDH relève que les jurisprudences administratives et judiciaires sont concordantes : le droit à réparation d’un dommage, quelle que soit sa nature, s’ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause, et ce, indépendamment de la date d’introduction d’une demande en justice tendant à la réparation de ce dommage (voir paragraphe 19 ci-dessus).

Elle en déduit que, compte tenu des principes de droit commun français et de la jurisprudence constante en matière de responsabilité selon lesquels la créance en réparation prend naissance dès la survenance du dommage qui en constitue le fait générateur, les requérants pouvaient légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice correspondant aux frais de prise en charge de leur enfant handicapé dès la survenance du dommage, à savoir la naissance de cet enfant.

Or cette espérance est née antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ; d’où la naissance avant cette date de leur créance d’indemnisation. Ils étaient donc titulaires d’un “bien” au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole n° 1, lequel s’applique dès lors en l’espèce.

 

  1. J. Flour et J.-L. Aubert, E. Savaux, Droit civil, Les obligations, t. 2, Le fait juridique : Sirey, 12e éd. 2007 ?
  2. Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, éd. Lexisnexis, 2005, n°253, p. 131 ?
  3. J. Traullé, « Les dommages réparables », Responsabilité civile et assurances, janv. 2016, Dr 4 ?
  4. B. Farges, Droit des obligations, LGDJ, 6e éd., 2016, n°371, p. 320 ?
  5. Cass., Ass. pl., 8 juillet 2008, n° 07-12159 ; D. 2008, p. 2765, note Porchy-Simon, JCP 2008, II, 10166, avis Mellottée et note Sargos. ?

La rétroactivité de la loi fiscale

En matière fiscale, c’est la loi qui constitue la principale source de règles.

Est-ce à dire que le législateur peut légiférer comme bon lui semble ?

Certainement pas !

Le pouvoir du législateur connaît, en matière fiscale, trois catégories de limites :

1) Les limites qui tiennent aux principes constitutionnels qui encadrent le droit fiscal

  • Le principe de nécessité de l’impôt
  • Le principe d’égalité devant l’impôt
  • Le principe de légalité de l’impôt

2) Les limites qui tiennent aux droits fondamentaux et libertés reconnus aux contribuables

  • Droit au procès équitable
  • Principe d’inviolabilité du domicile
  • La sauvegarde du secret fiscal

3) Les limites qui tiennent à la rétroactivité de la loi fiscale

  • Dans une décision du n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, le Conseil constitutionnel a estimé que : «Le principe de non rétroactivité des lois n’a valeur constitutionnelle, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’en matière répressive ; que néanmoins, si le législateur a la faculté d’adopter des dispositions fiscales rétroactives, il ne peut le faire qu’en considération d’un motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ».
  • Il ressort de cette décision qu’une distinction doit donc être faite entre
    • La loi fiscale en matière répressive
    • La loi fiscale en matière non-répressive

==> La loi fiscale en matière répressive

  • Principe
    • Principe absolu de non-rétroactivité de la loi fiscale en matière répressive
  • Fondement
    • Article 8 de la DDHC
      • Selon cette disposition : « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée»
    • Conformément à cette disposition, le législateur ne saurait édicter de nouvelles sanctions applicables aux contribuables pour des agissements antérieurs à la publication de la loi nouvelle et qui donc ne tombaient pas sous le coup de la loi ancienne.

==> La loi fiscale en matière non-répressive

  • Principe
    • Principe relatif de non-rétroactivité de la loi fiscale en matière non-répressive
  • Fondement
    • Article 2 du Code civil
      • Selon cette disposition : « la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif»
    • Ainsi pour le Conseil constitutionnel, c’est « par exception aux dispositions de valeur législative de l’article 2 du Code civil que le législateur peut, pour des raisons d’intérêt général, modifier rétroactivement les règles que l’administration fiscale et le juge de l’impôt ont pour mission d’appliquer» ( Const. décision n°86-223 du 29 décembre 1986)
  • Exceptions
    • Les lois expressément rétroactives : la petite rétroactivité fiscale
      • Principe
        • Cette disposition n’ayant qu’une valeur législative, législateur peut y déroger à sa guise, à tout le moins autant que la loi qu’il édicte est conforme aux normes supérieures
      • Conditions
        • La loi doit être expressément rétroactive, c’est-à-dire présentée comme telle par le législateur
        • La loi doit revêtir un caractère exceptionnel
        • Le législateur doit poursuivre un but d’intérêt général
        • Respect de l’acquisition de la prescription légale
        • La loi ne doit pas porter atteinte aux espérances légitimes des contribuables (V. en ce sens CE, plén. fisc., 9 mai 2012, n° 308996, min. c/ Sté EPI, note S. Vailhen)
    • Les lois de validation : la grande rétroactivité fiscale
      • Principe
        • Il s’agit d’une« loi votée par le Parlement dont l’objet ou l’effet est de valider rétroactivement des actes juridiques qui n’avaient pas été créés valablement sous l’empire d’une loi ancienne, de manière à les rendre définitifs et insusceptibles d’annulation. (V. en ce sens CEDH 25 nov. 2010, Lilly France c. France, n° 20429/07)
      • Conditions
        • Respect du principe des décisions de justice passées en force de chose jugée
        • Respect de l’acquisition de la prescription légale
        • La loi de validation ne doit pas porter atteinte au principe de non-rétroactivité en matière répressive
        • Le législateur doit poursuivre un but d’intérêt général
        • La mesure adoptée doit être proportionnelle à l’objectif poursuivi
    • Les lois interprétatives
      • Selon Philippe Malinvaud la loi interprétative est, le plus souvent, adoptée en vue de « redresser l’interprétation faite de la loi par la jurisprudence qui ne serait pas conforme à l’intention du législateur».
      • Il s’agit, autrement dit, d’une loi qui vient interpréter une disposition fiscale obscure
      • Le législateur n’ajoute rien au dispositif fiscal en vigueur
      • Il apporte simplement un éclairage quant à l’interprétation de la règle.