La prohibition du recours à l’année lombarde pour le calcul du taux effectif global (TEG/TAEG)

Jusqu’il y a peu, les établissements bancaires avaient pour habitude de calculer les intérêts sur la base, non pas d’une année civile de 365 jours de 12 mois comprenant 30 ou 31 jours et 28 ou 29 jours en février, mais d’une année théorique de 360 jours correspondant à 12 mois de 30 jours chacun.

Cet usage est né au Moyen Âge en Lombardie. Il a été institué pour des considérations d’ordre pratique. À cette époque, les arrêtés de compte étaient effectués manuellement. Il était dès lors éminemment plus commode de calculer les intérêts dus par l’emprunteur sur un mois, un trimestre ou un semestre, en recourant à un diviseur de 360 jours.

Le recours à l’année dite lombarde a été consacré à l’époque révolutionnaire par le décret du 18 frimaire An III. Le texte disposait que « la Convention nationale décrète que l’intérêt annuel des capitaux sera compté par et pour trois cent soixante jours seulement. Il n’y aura point de cours pendant les sans-culottides ».

Son adoption est consécutive au vote de la loi du 4 frimaire An II qui avait aboli le calendrier grégorien à la faveur d’un calendrier comportant 12 mois de 30 jours chacun. Ce calendrier prévoyait, en outre, 5 ou 6 jours supplémentaires (selon que l’année était ou non bissextile) dits « sans culottides » dédiés à la célébration des fêtes républicaines. Il a néanmoins été décidé que les intérêts ne devaient pas courir durant ces jours de fêtes, de sorte que, en matière bancaire, l’année était ramenée à 360 jours.

Le décret du 18 frimaire An III fut remis en cause quatorze ans plus tard par la loi du 3 septembre 1807 qui se référait, pour la détermination du taux d’usure, non pas à l’année Lombarde, mais à l’année civile.

Les juridictions ont toutefois admis, pendant de nombreuses années encore, que les banques puissent calculer les intérêts sur la base d’une année lombarde. Dans un arrêt du 19 avril 1982, la Cour d’appel de Paris a estimé, par exemple, que « considérant qu’il convient, comme l’a retenu la banque, de calculer les intérêts sur 360 jours conformément à l’usage bancaire de très longue date trouvant son origine en Lombardie, au Moyen-Âge et s’étant perpétué jusqu’à notre époque en raison de son caractère pratique, en ce que le chiffre de 360 est successivement divisible par douze, deux, quatre, six, ce qui correspond au mois, au semestre, au trimestre et à deux mois […] ; Que cet usage a du reste été admis par Mme M. qui a accepté de payer les agios qui avaient été calculés sur cette base de 360 jours […] »[1].

Il faut attendre un arrêt du 10 janvier 1995 pour que cette jurisprudence soit formellement condamnée par la Cour de cassation. Au visa de l’article 1er du décret du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global, elle considère « qu’il résulte du texte susvisé que le taux annuel de l’intérêt doit être déterminé par référence à l’année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours »[2].

Cass. com. 10 janv. 1995
Attendu, selon l'arrêt critiqué, que le Crédit du Nord a clôturé le compte courant de la société Invitance, à laquelle il avait consenti un découvert pendant plusieurs années ; qu'un litige est né entre les parties au sujet des conditions de la cessation de ce concours bancaire, des modalités de la fixation du taux des intérêts, de la capitalisation trimestrielle de ceux-ci, de l'application de dates de valeur différentes des dates d'inscription en compte et de la durée de l'année prise en considération pour le calcul de la dette d'intérêts ; qu'après avoir statué au fond sur certaines demandes, la cour d'appel a désigné un expert et dit que celui-ci devrait calculer, à partir du solde du compte de la société Invitance au 10 septembre 1985, les découverts successifs jusqu'à la clôture du compte en se conformant aux usages bancaires relatifs, notamment, à la capitalisation trimestrielle des intérêts, à l'année bancaire de 360 jours et à la pratique des jours de valeur ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1131 du Code civil ;

Attendu que, pour rejeter la prétention de la société Invitance faisant valoir que son obligation de payer des intérêts était partiellement dénuée de cause, dans la mesure où les sommes prises en considération pour le calcul de ceux-ci étaient augmentées, sans fondement, par l'application de dates de valeur, l'arrêt retient que la pratique des jours de valeur n'est prohibée par aucune disposition légale ou réglementaire, qu'elle est d'un usage constant et généralisé, qui se fonde sur le fait qu'une remise au crédit, comme une inscription au débit, nécessite un certain délai pour l'encaissement et le décaissement ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que les opérations litigieuses, autres que les remises de chèques en vue de leur encaissement, n'impliquaient pas que, même pour le calcul des intérêts, les dates de crédit ou de débit soient différées ou avancées, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen :

Vu l'article 1er du décret du 4 septembre 1985 relatif au calcul du taux effectif global ;

Attendu que, pour décider que l'expert qu'il désignait devrait tenir compte de l'usage bancaire relatif à l'année de 360 jours pour calculer, à partir du solde du compte de la société Invitance au 10 septembre 1985, les découverts successifs jusqu'à la clôture du compte, l'arrêt retient que le calcul des intérêts doit être fait sur 360 jours et non 365 jours, l'année bancaire n'étant que de 360 jours, conformément à un usage qui trouve son origine en Lombardie, au Moyen-Age, en raison de son caractère pratique en ce que le chiffre de 360, à la différence de celui de 365, est divisible par 12, 6, 4 et 2, ce qui correspond au mois, à 2 mois, au trimestre et au semestre, et que cet usage a d'ailleurs trouvé son expression législative dans la loi du 18 frimaire an III, selon laquelle l'intérêt annuel des capitaux sera compté par an et pour 360 jours ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résulte du texte susvisé que le taux annuel de l'intérêt doit être déterminé par référence à l'année civile, laquelle comporte 365 ou 366 jours, la cour d'appel a violé ce texte ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième branches du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a décidé que l'expert qu'il désignait devrait se conformer aux usages bancaires relatifs à l'année bancaire de 360 jours et à la pratique des jours de valeur, l'arrêt rendu le 20 septembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

La chambre commerciale censure ainsi les juges du fond qui, pour valider le calcul des intérêts effectués par l’établissement bancaire mis en cause, avaient estimé, comme en 1982, que « le calcul des intérêts doit être fait sur 360 jours et non 365 jours, l’année bancaire n’étant que de 360 jours, conformément à un usage qui trouve son origine en Lombardie, au Moyen-Âge, en raison de son caractère pratique en ce que le chiffre de 360, à la différence de celui de 365, est divisible par 12, 6, 4 et 2, ce qui correspond au mois, à 2 mois, au trimestre et au semestre, et que cet usage a d’ailleurs trouvé son expression législative dans la loi du 18 frimaire an III, selon laquelle l’intérêt annuel des capitaux sera compté par an et pour 360 jours »[3].

Cette solution était pourtant contraire à la lettre du décret du 4 septembre 1985 qui prévoyait, sans ambiguïté, que « lorsque les versements sont effectués avec une fréquence autre qu’annuelle, le taux effectif global est obtenu en multipliant le taux de période par le rapport entre la durée de l’année civile et celle de la période unitaire ». La règle a, par suite, été codifiée à l’article R. 313-1, II, al. 5 du Code de la consommation lors de l’adoption du décret n°97-298 du 27 mars 1997.

Cette disposition n’était toutefois applicable qu’au seul calcul du TEG. La question s’est alors posée de savoir si l’exigence posée par le texte était transposable au TAEG, soit aux crédits consentis aux consommateurs. La réponse réside à l’article R. 313-1, III du Code de la consommation qui prévoyait que « pour toutes les opérations de crédit autres que celles mentionnées au II, le taux effectif global est dénommé ” taux annuel effectif global ” et calculé à terme échu, exprimé pour cent unités monétaires, selon la méthode d’équivalence définie par la formule figurant en annexe au présent article. ».

En se reportant à ladite annexe on pouvait lire que « l’écart entre les dates utilisées pour le calcul est exprimé en années ou en fractions d’années. Une année compte 365 jours, ou, pour les années bissextiles, 366 jours, 52 semaines ou 12 mois normalisés. Un mois normalisé compte 30,41666 jours (c’est-à-dire 365/12), que l’année soit bissextile ou non. ».

Depuis l’abrogation l’article R. 313-1 du Code de la consommation par le décret n°2016-884 du 29 juin 2016, l’exigence de recours à l’année civile pour le calcul du taux d’intérêt figure à l’article R. 314-2 pour le TEG et à l’annexe de l’article R. 314-3 pour le TAEG. La règle a ainsi été maintenue.

De son côté, la Cour de cassation a réitéré sa position à plusieurs reprises[4]. Reste que le débat relatif au recours de l’année lombarde n’était, pour autant, pas définitivement purgé.

En premier lieu, on s’est interrogé sur la possibilité pour les établissements bancaires de recourir, pour le calcul du TAEG, à la méthode basée sur l’année de 12 mois normalisés.

Cette méthode consiste à ne pas prendre en compte le nombre exact de jours dans l’année, mais de considérer que chaque mois compte théoriquement 31,41666666 jours, (c’est à dire 365/12) que l’année soit bissextile ou non.

L’annexe de l’article R. 313-1 autorisait explicitement d’asseoir le calcul du TAEG sur une année de 12 mois normalisés. Le champ d’application de cette annexe était toutefois circonscrit aux seuls crédits à la consommation. Certains emprunteurs ont alors soutenu devant les juridictions du fond que le recours au mois normalisé était prohibé en matière de crédit immobilier. La jurisprudence ne s’est toutefois pas laissée séduire par cette argumentation[5]. Dans un arrêt du 15 juin 2016, la Cour de cassation a d’ailleurs admis, à demi-mot, que le calcul du taux d’intérêt puisse reposer sur l’année de 12 mois normalisés pour les crédits immobiliers.

L’entrée en vigueur du nouvel article R. 314-3 du Code de la consommation est venue consacrer cette jurisprudence. L’annexe, dont il est assorti, est applicable, tant aux crédits à la consommation, qu’aux crédits immobiliers.

Cette annexe reprend, en effet, les mêmes termes que celle qui était attachée à l’ancien article R. 313-1, en envisageant que le calcul du TAEG puisse être effectué sur la base d’une année de mois normalisés.

Les emprunteurs ne sont dès lors plus fondés à contester cette méthode de calcul qui est admise au même titre que la méthode qui repose sur l’année civile.

En second lieu, la jurisprudence a été amenée à trancher la question de savoir si les parties au contrat de crédit pouvaient convenir d’un intérêt conventionnel calculé sur la base d’une année lombarde.

Si les articles R. 314-2 et R. 314-3 du Code de la consommation prohibent expressément le recours à l’année lombarde pour le calcul du TEG/TAEG, aucun texte n’interdit de s’y référer pour calculer le taux conventionnel, soit le taux nominal du crédit.

Le doute est né d’un arrêt du 17 janvier 2006, aux termes duquel la Cour de cassation a estimé « qu’une banque qui perçoit, au titre d’un prêt, des intérêts calculés par référence à l’année bancaire de 360 jours au lieu de l’année civile, sans que l’acte de prêt ne prévoit cette référence méconnaît les exigences légales relatives à l’indication préalable et par écrit du taux effectif global, et encourt à ce titre la déchéance du droit aux intérêts conventionnels et l’application du taux légal »[6].

Cass. com. 17 janv. 2006
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu l'article 1907 du Code civil, ensemble les articles L. 313-1, L.313-2, et R. 313-1 du Code de la consommation :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a acquis un fonds de commerce au moyen d'un prêt d'équipement consenti par le Crédit lyonnais (la banque), le 18 février 1994 ; que l'acte de prêt mentionne un taux d'intérêt annuel de 9,78%, et un taux effectif global de 10,67 % ; que l'emprunteur a cessé de régler les échéances de ce prêt à compter du mois de novembre 1997 ; que la banque l'a alors poursuivi en paiement ; qu'il a contesté la validité de la stipulation de l'intérêt conventionnel au motif que cet intérêt n'avait pas été appliqué à une année civile de trois cent soixante cinq jours, mais à une année de trois cent soixante jours ;

Attendu que, pour se borner à ordonner la restitution des sommes trop perçues, l'arrêt retient que la banque a seulement commis une erreur dans l'application du taux d'intérêt en calculant les intérêts sur la base de 360 jours au lieu de l'année civile ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la banque était redevable à son client d'une somme de 235,55 euros perçue par elle au titre des intérêts calculés par référence à l'année bancaire de 360 jours au lieu de l'avoir été par référence à l'année civile, ce dont il se déduisait que le taux d'intérêt indiqué n'avait pas été effectivement appliqué de sorte que les exigences légales relatives à l'indication préalable et par écrit du taux effectif global n'avaient pas été respectées, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 avril 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Au vrai, l’examen de la jurisprudence révèle qu’il convient de distinguer selon que le crédit est consenti à un professionnel ou à un consommateur.

Dans un arrêt du 24 mars 2009, la chambre commerciale a considéré que « si le TEG doit être calculé sur la base de l’année civile, rien n’interdit aux parties de convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur une autre base »[7]. Pour cette dernière, lorsque le contrat de crédit est destiné à financer une activité professionnelle, les parties peuvent prévoir de calculer l’intérêt conventionnel sur la base d’une année lombarde, à la condition que cette modalité soit stipulée dans le contrat de prêt[8].

Lorsque, en revanche, le crédit est consenti à un consommateur, la première chambre civile juge, au visa notamment des articles L. 313-1, L.313-2, et R. 313-1 du Code de la consommation, que « le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile »[9]. La solution ainsi adoptée est contestable, dans la mesure où aucune des dispositions visées par la Cour de cassation n’interdit aux parties de prévoir que les intérêts conventionnels seront calculés sur la base d’une année lombarde. Les textes visent le seul TAEG.

Cass. 1ère civ. 19 juin 2013
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable :

Vu l'article 1907, alinéa 2, du code civil, ensemble les articles L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation ;
Attendu qu'en application combinée de ces textes, le taux de l'intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l'acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l'intérêt légal, être calculé sur la base de l'année civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en vertu d'une offre de prêt acceptée le 15 février 2005, M. X... a contracté auprès d'une banque un « prêt relais habitat révisable » d'une durée de vingt-quatre mois, remboursable en une seule échéance différée, moyennant un taux effectif global et un taux de période variable « donnés à titre indicatif en fonction de l'indice Moy. arithm./15 j. Euribor douze mois », les conditions générales du prêt précisant que « le calcul des intérêts dus est effectué sur la base d'une année de trois cent soixante jours (soit douze mois de trente jours) » ; qu'en raison de la défaillance de l'emprunteur, la société Compagnie européenne de garanties et de cautions (la société CEGC), qui s'était portée caution solidaire de ce prêt, a désintéressé la banque puis exercé une action subrogatoire contre le débiteur principal, lequel a opposé à la caution subrogée la nullité de la stipulation de l'intérêt nominal, calculé d'après l'année dite « lombarde » de trois cent soixante jours ;

Attendu que, pour rejeter cette exception et condamner M. X... à payer à la société CEGC la somme de 312 239,72 euros, l'arrêt retient que si le taux effectif global doit être calculé sur la base d'une année civile, rien n'interdit aux parties à un prêt de convenir d'un taux d'intérêt conventionnel conclu sur une autre base, que l'acte de prêt du 15 février 2005 stipulant expressément que les intérêts conventionnels seront calculés sur la base d'une année de trois cent soixante jours, c'est de manière inopérante que M. X... oppose à la caution, subrogée dans les droits de la banque créancière, la nullité de cette stipulation, s'agissant de modalités qui, librement convenues entre les parties, ne peuvent être remises en cause ;

Qu'en statuant ainsi quand le prêt litigieux, visant expressément les articles L. 312-1 à L. 312-6 du code de la consommation, obéissait au régime du crédit immobilier consenti à un consommateur ou un non-professionnel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Faisant fi des critiques émises par la doctrine à l’encontre de cette jurisprudence, la première chambre civile a reconduit sa position à plusieurs reprises[10].

Lorsque, dès lors, les établissements bancaires consentent des crédits à des consommateurs, ils n’ont d’autre choix que de prévoir un intérêt conventionnel calculé sur la base d’une année civile. En cas de méconnaissance de cette exigence, le prêteur s’expose à une lourde sanction, laquelle peut aller jusqu’à la nullité de la stipulation des intérêts conventionnels.

[1] CA Paris, 19 avr. 1982 : D. 1982, IR, p. 409, obs. Vasseur ; RTD com. 1982, p. 598, obs. M. Cabrillac.

[2] Cass. com., 10 janv. 1995 : JCP E 1995, I, 465, n° 20, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet ; Banque févr. 1995, p. 93, obs. J.-L Guillot

[3] CA Paris 20 sept. 1991.

[4] Cass. com. 18 mars 1997, n°94-22216 : D. Affaires 1997.506 ; CCC 1997, comm. 124, obs. G. Raymond ; Cass. com. 3 mars 2004, n°01-10225

[5] V. en ce sens CA Paris, Pôle 5, Chambre 6, 3 décembre 2015, n°14/14373 ; CA Lyon, 1ère chambre civile B, 15 novembre 2016, n° 15/03108.

[6] Cass. com., 17 janv. 2006, n 04-11.100 : JurisData n° 2006-031798 ; JCP E 2006, 1850, obs. J. S.

[7] Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-12.530 : Bull. civ. IV, n° 44 ; Banque et droit, mai-juin 2009, obs. Th. Bonneau ; RTD com. 2009, p. 422, obs. D. Legeais ; Gaz. Pal. 20-21 mai 2009, p. 6, note S. Piedelièvre.

[8] Dans un arrêt du 8 décembre 2016, la Cour d’appel d’Orléans a jugé que « si les parties à un contrat de prêt immobilier à finalité professionnelle peuvent convenir d’un taux d’intérêt conventionnel calculé sur la base d’une année de 360 jours au lieu d’une année civile, encore faut-il que cette modalité soit stipulée dans le contrat de prêt ».

[9] Cass. 1re civ., 19 juin 2013, n° 12-16.651 : RD bancaire et fin. 2013, comm. 185, obs. F. Crédot et T. Samin ; Banque oct. 2013, note J.-L. Guillot et M. Boccara.

[10] V. en ce sens Cass. 1re civ., 17 juin 2015 : Banque et droit, sept.-oct. 2015, p. 26, obs. Th. Bonneau ; Cass. 1re civ., 8 févr. 2017, n° 16-11.625.

L’assiette du TEG: les éléments inclus et exclus

Afin de déterminer l’assiette du TEG, il convient d’envisager, tout autant les éléments qui y sont inclus (I) que les éléments qui en sont exclus (II).

I) Les éléments inclus dans le taux effectif global

Parce que le taux effectif global doit refléter le coût réel du crédit, il appartient au prêteur de comptabiliser, outre les intérêts, tous les frais mis à la charge de l’emprunteur. La question qui alors se pose est savoir quels sont les frais compris dans l’assiette de calcul du taux effectif global.

Avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d’habitation, il convenait de distinguer entre les crédits à la consommation et les crédits immobiliers.

S’agissant des premiers, l’ancien article L. 313-1 du Code de la consommation prévoyait, en son alinéa 3, que « le taux effectif global, qui est dénommé “Taux annuel effectif global”, ne comprend pas les frais d’acte notarié. » La règle n’est pas surprenante, dans la mesure où il est rare, en pratique, qu’un crédit à la consommation soit conclu au moyen d’un acte authentique.

Quant aux crédits immobiliers, l’alinéa 2 de l’article L. 313-1 précisait que « les charges liées aux garanties dont les crédits sont éventuellement assortis ainsi que les honoraires d’officiers ministériels ne sont pas compris dans le taux effectif global défini ci-dessus, lorsque leur montant ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la conclusion définitive du contrat. »

Les juridictions en déduisaient que, dès lors que le montant de ces frais et charges était déterminable, le prêteur avait l’obligation de les intégrer dans l’assiette de calcul du taux effectif global. La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 30 mars 2005[1]

Cass. 1ère civ. 30 mars 2005
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu les articles 1907 du Code civil et L. 313-1 du Code de la consommation ;

Attendu que la Banque nationale de Paris, depuis dénommée BNP Paribas a consenti à M. X... un prêt destiné à financer les besoins de son activité professionnelle ; que celui-ci, ainsi que son épouse, qui avait consenti à ce que le remboursement de ce prêt fût garanti par l'hypothèque d'un immeuble commun, ont demandé l'annulation de la stipulation du taux d'intérêt conventionnel et l'application du taux légal ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt attaqué retient que le taux stipulé au contrat s'élève à 9,94 % et que le taux effectif global, calculé selon la méthode proportionnelle à partir d'un taux actuariel mensuel, s'élève à :

(montant des frais x 100) x 0,24 + 9,94

montant du prêt

qu'il retient encore que le montant exact de l'un des facteurs du taux effectif global, celui des frais, ne figurait pas à l'acte, mais que la banque, qui avait communiqué le montant des frais de dossier, n'avait pas été en mesure de faire connaître à l'emprunteur les frais de notaire et d'inscription hypothécaire qui ne relevaient pas de son activité, voire ne pouvaient être connus avant l'établissement de l'acte notarié ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'à la date de l'acte, les frais de notaire et d'inscription hypothécaire étaient déterminables, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 novembre 2001, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Depuis l’adoption de l’ordonnance du 25 mars 2016, puis, dans le même temps, du décret du 29 juin 2016, l’assiette de calcul du taux effectif global est uniformisée.

Le nouvel article L. 311-1, 7° du Code de la consommation définit le coût total du crédit comme celui qui comprend « tous les coûts, y compris les intérêts, les frais, les taxes, les commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, supportés par l’emprunteur et connus du prêteur à la date d’émission de l’offre de crédit ou de l’avenant au contrat de crédit, ou dont le montant peut être déterminé à ces mêmes dates, et qui constituent une condition pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées. ».

Cette disposition précise néanmoins que ce coût total du crédit ne comprend pas les frais liés à l’acquisition des immeubles, tels que les taxes y afférentes ou les frais d’acte notarié, ni les frais à la charge de l’emprunteur en cas de non-respect de l’une de ses obligations prévues dans le contrat de crédit.

Il ressort donc du nouveau texte que, si les frais de toutes natures sont compris dans le TEG, seuls ceux qui conditionnent l’octroi du crédit sont pris en compte.

Très tôt, la jurisprudence s’est prononcée en ce sens en opérant une distinction entre, d’une part, les frais obligatoires qui sont liés à des prestations dont la souscription conditionne l’octroi du crédit et, d’autre part, les dépenses facultatives que le client n’est pas obligé d’exposer s’il souhaite bénéficier d’un financement.

Afin de guider les juridictions à déterminer si un élément en particulier doit ou non être intégré dans TEG, l’article R. 314-4 du Code de la consommation vise un certain nombre de dépenses qui, sans être présumées relever de l’assiette du TEG, doivent être prises en considération par les juges, dès lors qu’elles sont « nécessaires pour obtenir le crédit ou pour l’obtenir aux conditions annoncées ».

Cette disposition réglementaire vise :

  • Les frais de dossier
  • Les frais payés ou dus à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels ;
  • Les coûts d’assurance et de garanties obligatoires ;
  • Les frais d’ouverture et de tenue d’un compte donné, d’utilisation d’un moyen de paiement permettant d’effectuer à la fois des opérations et des prélèvements à partir de ce compte ainsi que les autres frais liés aux opérations de paiement ;
  • Le coût de l’évaluation du bien immobilier, hors frais d’enregistrement liés au transfert de propriété du bien immobilier.

La liste énoncée par l’article R. 314-4 du Code de la consommation n’est bien évidemment pas exhaustive.

Aussi, doit-elle être complétée par les frais que la jurisprudence a, au cas par cas, jugé utile d’intégrer à l’assiette du TEG, étant précisé que les juridictions se livrent à une appréciation in concreto pour déterminer si les différentes dépenses exposées par l’emprunteur ont ou non conditionné l’octroi du crédit.

Plusieurs sortes de dépenses ont, dans cette perspective, été envisagées par la jurisprudence.

==> Les frais liés aux garanties dont est assorti le crédit

Il s’agit ici d’intégrer dans l’assiette du TEG tous les coûts liés aux sûretés réelles ou personnelles dont la souscription par l’emprunteur est bien souvent exigée par le banquier en vue de l’octroi du crédit.

Doivent ainsi être pris en compte, tous les frais de constitution de garanties, tels que le coût de l’inscription d’une hypothèque[2] ou d’un engagement de caution[3].

Dans un arrêt du 23 novembre 2004, la Cour de cassation a néanmoins posé une limite, estimant que « le coût des sûretés réelles ou personnelles exigées, et qui conditionnent la conclusion du prêt, doit être mentionné dans l’offre sauf lorsque le montant de ces charges ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la signature du contrat »[4].

Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004
Sur le moyen unique, pris en ses sept branches :

Vu les articles L. 312-8 et L. 313-1 du Code de la consommation ;

Attendu que le Crédit mutuel de l'Arbresle (la banque) a consenti à M. et Mme X... deux prêts immobiliers en 1993 et 1994 d'un montant respectif de 550 000 francs et de 240 000 francs, le premier étant un prêt conventionné ; qu'après avoir vendu leur maison et procédé au remboursement anticipé des prêts, les époux X... ont assigné la banque en annulation des prêts et remboursement des intérêts versés ;

Attendu que pour débouter les époux X... de leurs demandes, l'arrêt attaqué retient d'abord que les frais d'hypothèque avaient été supportés directement par les emprunteurs, ensuite que les parts sociales n'étaient pas assimilables à des frais supplémentaires et avaient été remboursées intégralement, enfin que l'assurance-incendie ne se rapportait pas directement aux risques liés à la conclusion du prêt et ne pouvait être chiffrée avant l'achèvement de la construction ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que le coût des sûretés réelles ou personnelles exigées, et qui conditionnent la conclusion du prêt, doit être mentionné dans l'offre sauf lorsque le montant de ces charges ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la signature du contrat, d'autre part, que la souscription de parts sociales auprès de l'organisme qui subventionne le contrat étant imposée comme condition d'octroi du prêt et les frais ainsi rendus obligatoires afférents à cette adhésion ayant un lien direct avec le prêt souscrit, doivent être pris en compte pour la détermination du TEG, enfin que les frais d'assurance-incendie, laquelle était exigée par le prêteur et qui avaient fait l'objet d'un débat contradictoire devant les juges du fond, devaient être également inclus dans le TEG du prêt, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 janvier 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Autrement dit, dans l’hypothèse où le coût de la garantie n’est pas déterminable au jour de la conclusion du contrat de prêt, il peut ne pas être inclus dans l’assiette du TEG.

La solution est logique. Admettre le contraire reviendrait à exiger du banquier qu’il tienne compte, dans son calcul, d’un élément, certes déterminé dans son principe, mais indéterminé dans son montant.

L’examen de la jurisprudence révèle que, s’il a rapidement été acquis que les frais afférents à la constitution des sûretés, dont la souscription conditionne l’octroi du crédit, devaient impérativement être intégrés dans l’assiette du TEG, un débat plus vif s’est cristallisé autour de la question de savoir si les frais liés à l’information annuelle de la caution devaient également pris en compte.

Pour mémoire, l’article L. 333-2 du Code de la consommation dispose que « le créancier professionnel fait connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente au titre de l’obligation garantie, ainsi que le terme de cet engagement. »

Ainsi, appartient-il au banquier d’informer annuellement la caution sur l’existence, le montant et la durée de son engagement, étant précisé que le défaut d’information est sanctionné par la déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. L’exécution de cette obligation d’information, qui pèse sur l’établissement de crédit, n’est toutefois pas sans coût.

S’il n’est illégitime d’envisager que ce coût puisse être supporté par la caution elle-même, dans la mesure où il représente une charge qui procède d’un engagement qui lui est personnel, en pratique, les frais de communication de l’information annuelle sont mis à la charge du seul emprunteur.

Est-ce dire qu’il convient d’intégrer ce coût dans l’assiette du TEG ? Dans le silence des textes, il est revenu à la jurisprudence de trancher la question.

Dans un premier temps, certaines juridictions du fond ont estimé que, parce que le coût de l’information était déterminable avec suffisamment de précision avant la conclusion du contrat de prêt, celui-ci devait être pris en compte dans le calcul du TEG[5].

La Cour d’appel de Poitiers a statué en ce sens dans un arrêt du 19 juillet 2011 considérant que dès lors que la durée d’amortissement du prêt est déterminée contractuellement, le coût de l’information annuelle de la caution devient prévisible ce qui justifie qu’il soit intégré dans l’assiette du TEG[6].

Reste que, en réalité, ce coût d’information ne sera pas toujours déterminable, ne serait-ce que parce que les frais postaux sont susceptibles d’augmenter d’une année à l’autre.

Qui plus est, les frais exposés pour satisfaire à l’obligation d’information annuelle de la caution ne sont, techniquement, pas directement liés au financement du crédit, comme cela a pu être relevé dans un jugement rendu par le Tribunal de commerce Marseille en date du 11 avril 2003[7].

Pour ces raisons, dans un certain nombre de décisions, les juges du fond ont estimé que le coût de l’information n’avait pas à être intégré dans le calcul du TEG[8].

Dans un arrêt remarqué du 15 octobre 2014, la Cour de cassation est venue mettre un terme au débat en affirmant que « les frais d’information annuelle de la caution ne constituent pas une condition d’octroi du prêt, en sorte qu’ils n’ont pas à être inclus dans le calcul du taux effectif global »[9]. Cette solution a été confirmée, un an plus tard, par la première chambre civile dans des termes identiques[10].

Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, que, par acte notarié du 4 février 2005, la société Crédit mutuel de Montbrison (la banque) a consenti à la SCI Batflo (la SCI) un prêt de 100 000 euros destiné à financer l’acquisition d’un local professionnel, dont le remboursement était garanti par un cautionnement ; que, le 4 février 2010, la SCI a assigné la banque en annulation de la clause de stipulation d’intérêts conventionnels ;

Cass. 1ère civ. 15 oct. 2014
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches :

Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu que pour accueillir la demande de la SCI, l'arrêt retient, par motifs adoptés, qu'il n'est pas contestable que l'assurance-incendie du bien financé a été imposée par la banque, ainsi qu'il résulte de la page 23 de l'acte notarié de prêt, en sorte que son coût doit être intégré au taux effectif global ;

Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la souscription de l'assurance-incendie constituait une condition d'octroi du prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;

Et sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu que pour statuer comme il l'a fait, l'arrêt retient également, par motifs propres et adoptés, que c'est à tort que les frais de l'information imposée par l'article L. 313-22 du code monétaire et financier n'ont pas été intégrés au calcul du taux effectif global, dès lors que ces frais, déterminables au jour de l'acte, ont été pris en charge, non par la caution, mais par l'emprunteur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les frais d'information annuelle de la caution ne constituaient pas une condition d'octroi du prêt, en sorte qu'ils n'avaient pas à être inclus dans le calcul du taux effectif global, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Cette solution est dorénavant appliquée, à la lettre, par les juridictions qui répugnent à prendre en compte les frais d’information annuelle de la caution dans l’assiette du TEG[11] dès lors qu’ils ne constituent pas une condition d’octroi du prêt.

==> Les frais liés aux primes d’assurance

Lors de la conclusion d’un contrat de prêt, bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation légale, il n’est pas rare que la souscription d’une assurance soit érigée par le prêteur comme une condition d’octroi du crédit.

Très tôt, la question s’est alors posée de savoir si le coût de la prime d’assurance supporté par l’emprunteur devait être intégré dans l’assiette du TEG.

Au fond, l’assurance ainsi contractée est indépendante du crédit octroyé, dans la mesure où, sur le plan purement obligationnel, l’avantage qu’elle procure au souscripteur est distinct de celui qu’il retire du contrat de prêt. On est, en conséquence, légitimement en droit de se demander si le coût de la prime d’assurance peut être exclu du calcul du TEG.

La position adoptée par la jurisprudence sur ce sujet a, pendant longtemps, été pour le moins manichéenne.

Lorsque, en effet, l’octroi du contrat de prêt est subordonné à la souscription d’une assurance, la Cour de cassation estime qu’il convient d’intégrer les frais y afférents dans l’assiette du TEG[12].

Dans un arrêt du 13 novembre 2008, la Cour de cassation a, de la sorte, estimé « qu’il incombait à la banque, qui avait subordonné l’octroi du crédit à la souscription d’une assurance, de s’informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement »[13].

Cass. 1ère civ. 13 nov. 2008
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable comme né de l'arrêt attaqué :

Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu que, prétendant qu'était erroné le taux effectif global figurant dans le contrat constatant le prêt destiné à financer l'achat d'un immeuble, que lui avait consenti la caisse de crédit mutuel de Rive-de-Gier (la banque), la société civile immobilière La Pléiade l'a assignée en substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel et en établissement d'un nouveau tableau d'amortissement ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt, après avoir exactement rappelé que les frais relatifs à l'assurance-incendie de l'immeuble devaient, en principe, être pris en compte pour déterminer le taux effectif global dès lors qu'ils étaient imposés par la banque et en lien direct avec le crédit, énonce que l'assurance-incendie contractée auprès d'un autre organisme et dont le coût n'était pas connu de la banque lors de l'offre de prêt et ne lui a pas été communiqué par l'emprunteur avant l'octroi du prêt, ne pouvait donc pas, en l'espèce, être intégrée dans le taux effectif global ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il incombait à la banque, qui avait subordonné l'octroi du crédit à la souscription d'une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société civile immobilière La Pléiade en substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel et en établissement d'un nouveau tableau d'amortissement, l'arrêt rendu le 24 mai 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Lorsque, au contraire, la souscription d’une assurance est facultative, la Cour de cassation n’exige pas que le coût de la prime d’assurance soit intégré dans l’assiette du TEG.

Telle est la solution qu’elle a, par exemple, retenue dans un arrêt du 8 novembre 2007. Elle y a jugé que « le coût d’une assurance facultative dont la souscription ne conditionne pas l’octroi du prêt, n’entre pas dans la détermination du taux effectif global »[14]

La position adoptée par la Cour de cassation est, manifestement, conforme au principe général selon lequel l’assiette du TEG doit comprendre les frais de toute nature dès lors qu’ils constituent une condition d’octroi du crédit.

Dans un arrêt du 6 février 2013, la première chambre civile a toutefois apporté un tempérament à ce principe, en précisant que « quand les frais relatifs à l’assurance-incendie ne sont intégrés dans la détermination du TEG que lorsque la souscription d’une telle assurance est imposée à l’emprunteur comme une condition de l’octroi du prêt, et non à titre d’obligation dont l’inexécution est sanctionnée par la déchéance du terme »[15].

Cass. 1ère civ. 6 févr. 2013
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, prétendant que le taux effectif global (TEG) figurant dans les actes notariés constatant les prêts que la Caisse d'épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse (la banque) lui a consentis selon des offres acceptées les 9 février 2000 et 21 janvier 2002 pour financer l'acquisition de biens immobiliers était erroné, M. X... a assigné la banque en annulation des stipulations de l'intérêt conventionnel contenues dans chacun des contrats de prêt ;

Attendu que, pour accueillir cette demande et condamner la banque à restituer la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal, l'arrêt, après avoir constaté qu'en application des conditions générales de ces prêts, les emprunteurs devaient contracter « dans les plus brefs délais possibles » une assurance garantissant pendant la durée du prêt les risques incendie des immeubles donnés en garantie et qu'à défaut, le prêteur pourrait soit assurer lui-même les biens aux frais des emprunteurs, soit exiger le remboursement anticipé des sommes restant dues, retient que cette clause ayant pour effet de mettre à la charge de l'emprunteur des frais d'assurance contre l'incendie, de caractère obligatoire, à peine de déchéance du terme, de sorte que ces frais entraient dans le champ du TEG et qu'il incombait à la banque de s'informer de leur coût avant de procéder à la détermination de ce taux ;

Qu'en statuant ainsi quand les frais relatifs à l'assurance-incendie ne sont intégrés dans la détermination du TEG que lorsque la souscription d'une telle assurance est imposée à l'emprunteur comme une condition de l'octroi du prêt, et non à titre d'obligation dont l'inexécution est sanctionnée par la déchéance du terme, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il écarte la fin de non-recevoir, l'arrêt rendu le 15 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Cette décision est ainsi venue assortir d’une exception la règle, jusqu’alors de portée absolue, aux termes de laquelle les frais qui ne conditionnent pas l’octroi du crédit sont exclus de l’assiette du TEG. La doctrine en a tiré comme enseignement qu’il convenait désormais de distinguer trois hypothèses en matière d’assurance[16].

En premier lieu, lorsque la souscription d’une assurance est facultative, le coût y afférent ne doit pas être compris dans l’assiette du TEG.

En deuxième lieu, lorsque l’octroi du prêt est subordonné à la souscription d’une assurance, le coût de cette souscription doit être pris en compte dans le calcul du TEG

En dernier lieu, lorsque l’octroi du crédit n’est pas subordonné à la souscription d’une assurance, mais que cette souscription est constitutive d’une obligation conventionnelle dont l’inexécution est sanctionnée par la déchéance du terme, les frais y afférents ne doivent pas être intégrés dans l’assiette du TEG.

Cette jurisprudence a, par la suite, été confirmée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt rendu en date du 28 avril 2016 aux termes duquel il a été jugé que « l’obligation d’assurance garantissant l’immeuble acquis contre le risque d’incendie avait seulement pour but de protéger le bien financé après la réalisation de la vente, nécessairement après l’octroi du prêt, de sorte qu’elle ne peut être analysée comme une condition posée pour l’obtention de ce dernier, peu important que cette obligation soit ensuite exigée jusqu’au remboursement intégral du crédit »[17]

Cass. 1ère civ. 28 sept. 2016
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 19 février 2014), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 juillet 2012, pourvoi n° 10-25.537), que, prétendant qu'était erroné le taux effectif global figurant dans l'acte constatant le prêt que la caisse de Crédit mutuel des Sables-d'Olonne (la banque) leur avait consenti, le 23 juin 2004, pour financer l'acquisition d'un bien immobilier, M. et Mme X... (les emprunteurs) ont assigné la banque en déchéance de son droit aux intérêts conventionnels ;

Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la banque au titre de la déchéance du droit aux intérêts à la somme de 1 000 euros, alors, selon le moyen :

1°/que le coût relatif à la souscription d'une assurance-incendie doit être intégré dans la détermination du taux effectif global du prêt lorsque la souscription d'une telle assurance est imposée à l'emprunteur comme une condition de l'octroi du prêt ; qu'il importe peu que l'obligation d'assurance incendie du bien financé par la banque ait pour objet de protéger le bien postérieurement à l'octroi du prêt et à la réalisation de la vente ; qu'en considérant en sens contraire que le coût de l'assurance incendie n'avait pas à entrer dans la détermination du taux effectif global du prêt au motif que « cette obligation d'assurance, qui a seulement pour but de protéger le bien financé après la réalisation de la vente, donc nécessairement après l'octroi du prêt, ne peut être analysée comme une condition posée pour l'obtention de celui-ci », tout en relevant que l'obligation d'assurance incendie aux termes du prêt était exigée « jusqu'à remboursement intégral du crédit », soit que cette obligation d'assurance était imposée à l'emprunteur en tant que condition à l'octroi du prêt, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, partant, a violé l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

2°/ qu'aux termes de l'offre de prêt immobilier de la banque du 23 juin 2004, il était expressément stipulé, s'agissant de la souscription d'une assurance-décès : « X... Claude, couverture décès 100 %, Condition (O) ; X... Gisèle, couverture décès 100 %, Condition (O).Si le code O apparaît dans cette colonne, l'assurance est obligatoire » ; qu'il résultait de manière claire et précise de l'offre de prêt que la souscription d'une assurance-décès de la part des emprunteurs était obligatoire et constituait une condition de l'octroi du prêt ; qu'en statuant en sens contraire en disant « que l'offre de prêt fait clairement mention du caractère facultatif de l'assurance-décès puisque celle-ci n'est pas assortie du code "O" », la cour d'appel a dénaturé le contenu de l'offre de prêt immobilier de la banque du 23 juin 2004, partant, a violé l'article 1134 du code civil ;

3°/ que l'irrégularité entachant la mention du taux effectif global au contrat de prêt est sanctionnée par la substitution du taux légal au taux d'intérêt conventionnel du prêt ; qu'en décidant, à la suite de la constatation de ce que le coût d'achat des parts sociales avait été omis à tort dans l'assiette de calcul du taux effectif global, que cette situation ne pouvait justifier la nullité de la stipulation d'intérêts et qu'il convenait seulement de prononcer la déchéance de la banque de son droit aux intérêts à concurrence de la somme de 1 000 euros, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, partant, a violé ensemble les articles 1907 du code civil et L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que l'obligation d'assurance garantissant l'immeuble acquis contre le risque d'incendie avait seulement pour but de protéger le bien financé après la réalisation de la vente, nécessairement après l'octroi du prêt, de sorte qu'elle ne peut être analysée comme une condition posée pour l'obtention de ce dernier, peu important que cette obligation soit ensuite exigée jusqu'au remboursement intégral du crédit ;

Attendu, ensuite, qu'ayant retenu que l'offre de crédit faisait mention du caractère facultatif de l'assurance-décès, dès lors que celle-ci n'était pas assortie du code "O", signifiant assurance obligatoire, et que l'article 4 des conditions générales figurant au verso de l'offre indiquait que l'assurance-décès était "éventuellement" souscrite par les emprunteurs, la cour d'appel n'a pas dénaturé cette offre ;

Attendu, enfin, qu'après avoir prétendu que la banque n'avait pas énoncé une évaluation du coût des assurances exigée par l'article L. 312-8, 4°, du code de la consommation, devenu L. 313-25, 6°, du même code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, les emprunteurs ont, dans le dispositif de leurs conclusions, demandé de juger que la banque n'avait pas respecté les obligations imposées par le texte précité, de prononcer en conséquence la nullité de la clause de stipulation des intérêts et de dire que l'intérêt au taux légal serait substitué au taux conventionnel ; que la cour d'appel, interprétant ces conclusions en raison de leur ambiguïté, a statué dans les limites de la demande fondée sur le texte invoqué, dont la sanction de l'inobservation est la déchéance du droit aux intérêts conventionnels dans la limite appréciée discrétionnairement par le juge ;

D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

L’exclusion – de principe – du coût de l’assurance-incendie de l’assiette du TEG se justifie par l’absence de lien direct avec l’octroi du crédit dans la mesure où elle vise à garantir, non pas le remboursement du prêt, mais le propriétaire du bien financé du risque d’incendie.

À l’examen, la lecture des derniers arrêts rendus par la Cour de cassation interroge sur l’évolution du critère retenu. N’assisterait-on pas à un glissement vers l’admission d’un critère finaliste ? En somme, pour déterminer si les frais d’assurance doivent être inclus dans l’assiette du TEG, il conviendrait, dorénavant, de se demander, non plus s’ils sont une condition d’octroi du crédit, mais s’ils ont pour fonction de garantir le remboursement du prêt. Le débat est ouvert.

==> Les frais liés à la souscription de parts sociales

Certains établissements bancaires sont des sociétés coopératives, ce qui signifie que, lors de l’entrée en relation avec leurs clients, elles leur proposent de devenir sociétaire, soit de prendre une participation dans le capital social d’une caisse dite locale. La fourniture de certains services est d’ailleurs conditionnée par la souscription de parts sociales, laquelle confère au sociétaire la qualité d’associé.

Très tôt, la question s’est alors posée de savoir si le coût de cette souscription devait être pris en compte dans le calcul du TEG. Dans un arrêt du 23 novembre 2004, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question. Elle a considéré que « la souscription de parts sociales auprès de l’organisme qui subventionne le contrat étant imposée comme condition d’octroi du prêt et les frais ainsi rendus obligatoires afférents à cette adhésion ayant un lien direct avec le prêt souscrit, doivent être pris en compte pour la détermination du TEG »[18].

Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004
Sur le moyen unique, pris en ses sept branches :

Vu les articles L. 312-8 et L. 313-1 du Code de la consommation ;

Attendu que le Crédit mutuel de l'Arbresle (la banque) a consenti à M. et Mme X... deux prêts immobiliers en 1993 et 1994 d'un montant respectif de 550 000 francs et de 240 000 francs, le premier étant un prêt conventionné ; qu'après avoir vendu leur maison et procédé au remboursement anticipé des prêts, les époux X... ont assigné la banque en annulation des prêts et remboursement des intérêts versés ;

Attendu que pour débouter les époux X... de leurs demandes, l'arrêt attaqué retient d'abord que les frais d'hypothèque avaient été supportés directement par les emprunteurs, ensuite que les parts sociales n'étaient pas assimilables à des frais supplémentaires et avaient été remboursées intégralement, enfin que l'assurance-incendie ne se rapportait pas directement aux risques liés à la conclusion du prêt et ne pouvait être chiffrée avant l'achèvement de la construction ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que le coût des sûretés réelles ou personnelles exigées, et qui conditionnent la conclusion du prêt, doit être mentionné dans l'offre sauf lorsque le montant de ces charges ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la signature du contrat, d'autre part, que la souscription de parts sociales auprès de l'organisme qui subventionne le contrat étant imposée comme condition d'octroi du prêt et les frais ainsi rendus obligatoires afférents à cette adhésion ayant un lien direct avec le prêt souscrit, doivent être pris en compte pour la détermination du TEG, enfin que les frais d'assurance-incendie, laquelle était exigée par le prêteur et qui avaient fait l'objet d'un débat contradictoire devant les juges du fond, devaient être également inclus dans le TEG du prêt, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 janvier 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

La solution est extrêmement critiquable pour plusieurs raisons. D’une part, fondamentalement les frais exposés par l’emprunteur sont liés, non pas à l’octroi du crédit, mais à la qualité de sociétaire. D’autre part, la souscription de parts sociales s’apparente en un véritable investissement financier : le sociétaire perçoit des intérêts en contrepartie du prix d’acquisition des titres. Enfin, le coût des parts sociales est susceptible d’être restitué à l’emprunteur au moment de l’extinction du prêt, de sorte que ce dernier ne s’est nullement appauvri en devenant sociétaire. Bien au contraire, il s’est enrichi de l’actif financier qui lui a été versé.

Pour toutes ces raisons, certains juges du fond ont considéré qu’il convenait de ne pas inclure le coût d’acquisition des parts sociales dans l’assiette du TEG[19]. Dans un arrêt du 30 novembre 2011 une Cour d’appel a avancé, pour justifier sa décision, que « le prix de souscription des parts constitue davantage un actif remboursable qu’une charge »[20].

Malgré les critiques et la résistance de certains juges du fond, la Cour de cassation n’a pas entendu abandonner sa position. Dans un arrêt du 9 décembre 2010 elle a ainsi réaffirmé que « quand le coût des parts sociales dont la souscription est imposée par l’établissement prêteur comme une condition d’octroi du prêt, constitue des frais entrant nécessairement dans le calcul du taux effectif global »[21].

Dans un arrêt du 12 juillet 2012, elle a encore censuré la Cour d’appel d’Amiens, pour défaut de base légale, en lui reprochant de n’avoir pas recherché « si la souscription de parts sociales de l’établissement prêteur n’avait pas été imposée aux emprunteurs comme une condition de l’octroi du crédit, de sorte que le coût afférent à cette souscription ainsi rendue obligatoire devait être pris en compte dans le calcul du taux effectif global »[22].

Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu les articles L. 312-8 et L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu que, selon l'arrêt attaqué, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Brie Picardie a consenti à M. et Mme X... plusieurs prêts destinés à financer l'acquisition d'un bien immobilier et comprenant la souscription de parts sociales ;

Attendu que pour débouter les emprunteurs de leur demande tendant à voir substituer le taux d'intérêt légal au taux conventionnel en raison de l'erreur affectant le calcul du taux effectif global, l'arrêt retient par motifs adoptés que la souscription de parts sociales ne représente pas une charge ayant un lien direct avec le prêt, mais un actif remboursable, sur lequel les emprunteurs perçoivent des dividendes et dont le sort n'est pas lié à celui du prêt ;

Qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si la souscription de parts sociales de l'établissement prêteur n'avait pas été imposée aux emprunteurs comme une condition de l'octroi du crédit, de sorte que le coût afférent à cette souscription ainsi rendue obligatoire devait être pris en compte dans le calcul du taux effectif global, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Cette jurisprudence est incompréhensible. Comme le soulignent certains auteurs « comment peut-on avoir comme ces hauts magistrats une conception aussi extensive des « frais, commissions et rémunérations de toute nature, directs ou indirects » entrant aux termes de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier dans le calcul du taux effectif global au point de qualifier de frais, synonyme pourtant d’une dépense, la souscription d’une part sociale du prêteur, c’est-à-dire l’acquisition d’un actif financier, d’un élément de patrimoine, au surplus frugifère ? »[23].

Bien que l’on puisse le déplorer, tout porte à croire que la Cour de cassation a, pour l’heure, la ferme intention de maintenir sa position[24]. La conséquence en est pour les établissements bancaires qu’ils doivent être en mesure d’établir que la souscription de parts sociales ne présente aucun caractère obligatoire et plus précisément qu’elle ne conditionne, en aucune façon, l’octroi du prêt. À défaut, ils ont l’obligation d’intégrer le coût d’acquisition des parts dans l’assiette du TEG.

==> Les frais liés aux taxes et aux commissions d’intermédiation

Toutes les taxes et droits d’enregistrement susceptibles d’être dus par l’emprunteur, dans le cadre de l’opération financée, doivent être compris dans l’assiette du TEG.

Dans un arrêt du 21 janvier 1992, la Cour de cassation ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’absence de prise en compte dans le coût du crédit des impôts, taxes et droits mis à la charge de l’emprunteur, alors même qu’ils constituaient « un accroissement des charges de l’emprunt faisant en conséquence partie du taux effectif global »[25].

Cass. 1ère civ. 21 janv. 1992
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, par acte sous seing privé du 15 avril 1967, la compagnie d'assurances La Protectrice-accidents, aux droits de laquelle se trouve la compagnie Allianz France IARDT, a consenti à la société anonyme d'économie mixte de construction du département de l'Ain (SEMCODA) un prêt de 500 000 francs, remboursable en 20 ans, au taux d'intérêt nominal de 6 % ; qu'il a été prévu à la clause 6 de ce contrat que " la moitié de l'intérêt nominal et la partie du capital nominal compris dans chaque annuité d'amortissement seront majorés en fonction de l'indice du coût de la construction publié trimestriellement par l'INSEE... le montant de chaque annuité sera calculé 1°) en multipliant la moitié de son montant par le rapport entre le dernier indice publié à la date d'échéance et l'indice de référence 2°) en y ajoutant la moitié fixe de son montant de base " ; que la clause 11 a mis à la charge de l'emprunteur les impôts, droits et taxes se rapportant au prêt ; qu'en 1986, la SEMCODA a assigné le prêteur, à titre principal en annulation du contrat, au motif que le taux effectif global du prêt n'avait pas été mentionné dans l'acte, et, subsidiairement, en annulation des clauses relatives aux intérêts et l'indexation, ainsi que de la clause concernant les incidences fiscales ; que, refusant de prononcer la nullité du contrat, la cour d'appel a substitué au taux d'intérêt conventionnel le taux d'intérêt légal, en précisant que celui-ci serait soumis aux dispositions légales de révision, et a dit que le capital serait remboursé en tenant compte de l'indexation conventionnelle ;


Mais sur le quatrième moyen :

Vu les articles 3 et 4 de la loi du 28 décembre 1966 ;

Attendu que le contrat conclu par la compagnie Allianz France IARDT et la SEMCODA comporte une clause n° 11 aux termes de laquelle " l'emprunteur s'engage à prendre à sa charge les impôts, charges, droits et taxes présents et futurs en rapportant au présent emprunt, en principal et intérêts, et à les verser entre les mains du prêteur " ;

Attendu que pour écarter les conclusions de la SEMCODA qui faisait valoir qu'il s'agissait d'un complément d'intérêts et que la clause ne pouvait recevoir application dès lors que le taux effectif global n'avait pas été mentionné dans le contrat, l'arrêt énonce que cette obligation a été librement consentie, qu'elle ne recèle aucune condition potestative et qu'elle est parfaitement déterminable en fin d'exercice ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les impôts, taxes et droits mis à la charge de l'emprunteur ne constituaient pas un accroissement des charges de l'emprunt faisant en conséquence partie du taux effectif global, réductible au taux de l'intérêt légal, en raison de la méconnaissance par le rédacteur du contrat de l'article 4 de la loi du 28 décembre 1966, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives aux incidences fiscales au prêt, l'arrêt n° 20 rendu le 14 juin 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles

La Cour d’appel de Douai a néanmoins précisé que, pour être inclus dans l’assiette du TEG, la taxe ne devait pas être récupérable par l’emprunteur, ce qui est susceptible d’être le cas s’agissant de la TVA[26].

Lorsque, encore, l’impôt n’est pas déterminable au moment de la conclusion du contrat de prêt, les juridictions n’exigent pas qu’au moyen d’une estimation, il soit pris en compte dans le calcul du TEG[27].

Quant aux frais d’intermédiation, soit la rémunération versée aux courtiers ou aux intermédiaires en opérations de banques et services de paiement, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 12 novembre 1998, que « toutes sommes versées à un intermédiaire, fussent-elles stipulées dans des actes séparés, doivent être prises en compte pour la détermination du taux effectif global comme pour celle du taux effectif pris comme référence »[28].

Il importe peu que les frais aient été directement réglés par l’emprunteur ou par la banque, la jurisprudence exige qu’ils soient compris, en toute hypothèse, dans l’assiette du TEG. La Cour de cassation a affirmé en ce sens, dans un arrêt du 14 décembre 2004, que « pour la détermination du taux effectif global, sont ajoutés aux intérêts, les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l’octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels »[29].

Cass. com. 14 déc. 2004
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les comptes dont il avait été titulaire à la BNP Paribas ayant été clôturés, M. X... a fait assigner cette dernière pour, notamment, obtenir la restitution d'agios et de frais divers qu'il estimait lui avoir été indûment facturés ; qu'accueillant ces prétentions, la cour d'appel a ordonné à la BNP Paribas de produire de nouveaux décomptes des comptes litigieux en calculant, dans des conditions qu'elle précisait, les intérêts dus par M. X... sur la base du taux légal substitué au taux conventionnel ainsi qu'en excluant les commissions de compte ou de mouvement de compte ;

Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche :

Vu les articles 1134 et 1907 du Code civil, ensemble l'article L. 313-1 du Code de la consommation ;

Attendu que pour la détermination du taux effectif global, sont ajoutés aux intérêts, les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects, y compris ceux qui sont payés à des intermédiaires intervenus de quelque manière que ce soit dans l'octroi du prêt, même si ces frais, commissions ou rémunérations correspondent à des débours réels ;

Attendu que pour statuer comme elle a fait, la cour d'appel retient encore que les commissions de compte et de mouvement de compte devaient s'analyser comme des intérêts supplémentaires qui, en l'absence d'écrit préalable, devaient également être restituées ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que ces commissions constituent le prix de services, distincts du crédit, qui consistent, soit à tenir les comptes du client, soit à rémunérer le service de caisse assuré par le banquier et ne constituent pas la contrepartie du crédit, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts et de celles relatives au compte n° 8088857, l'arrêt rendu le 27 mai 2002, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ;

Au bilan, aucun frais d’intermédiation ne semble pouvoir échapper à une inclusion dans l’assiette du TEG. La seule difficulté pour l’emprunteur sera, lorsqu’ils sont versés de manière occulte, d’établir leur existence[30].

II) Les éléments exclus du taux effectif global

Les éléments exclus de l’assiette du TEG sont les frais qui, conformément à l’article L. 314-1 du Code de la consommation, soit ne conditionnent pas l’octroi du prêt, soit ne sont pas déterminables au moment de l’émission de l’offre de crédit.

Deux catégories de frais sont concernées par cette exclusion : les frais distincts de l’opération de crédit et les primes d’assurance facultative.

==> Les primes d’assurance facultative

Lorsque la souscription d’une assurance ne conditionne pas l’octroi du crédit, son coût n’est pas pris en compte dans l’assiette du TEG.

Il en va ainsi de la prime d’assurance décès invalidité[31], de la prime de l’assurance-dommages[32], de la prime d’assurance-vie[33] ou encore la prime d’assurance-incendie[34].

Pour justifier l’exclusion de ces primes d’assurance de l’assiette du TEG, la Cour de cassation aime à rappeler qu’ils constituent une condition d’exécution du contrat et non de sa formation[35], ce quand bien même le défaut de souscription de l’assurance est sanctionné par la déchéance du terme[36].

Cass. 1ère civ. 6 févr. 2013
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, prétendant que le taux effectif global (TEG) figurant dans les actes notariés constatant les prêts que la Caisse d'épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse (la banque) lui a consentis selon des offres acceptées les 9 février 2000 et 21 janvier 2002 pour financer l'acquisition de biens immobiliers était erroné, M. X... a assigné la banque en annulation des stipulations de l'intérêt conventionnel contenues dans chacun des contrats de prêt ;

Attendu que, pour accueillir cette demande et condamner la banque à restituer la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal, l'arrêt, après avoir constaté qu'en application des conditions générales de ces prêts, les emprunteurs devaient contracter « dans les plus brefs délais possibles » une assurance garantissant pendant la durée du prêt les risques incendie des immeubles donnés en garantie et qu'à défaut, le prêteur pourrait soit assurer lui-même les biens aux frais des emprunteurs, soit exiger le remboursement anticipé des sommes restant dues, retient que cette clause ayant pour effet de mettre à la charge de l'emprunteur des frais d'assurance contre l'incendie, de caractère obligatoire, à peine de déchéance du terme, de sorte que ces frais entraient dans le champ du TEG et qu'il incombait à la banque de s'informer de leur coût avant de procéder à la détermination de ce taux ;

Qu'en statuant ainsi quand les frais relatifs à l'assurance-incendie ne sont intégrés dans la détermination du TEG que lorsque la souscription d'une telle assurance est imposée à l'emprunteur comme une condition de l'octroi du prêt, et non à titre d'obligation dont l'inexécution est sanctionnée par la déchéance du terme, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il écarte la fin de non-recevoir, l'arrêt rendu le 15 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

==> Les frais liés à l’exécution du contrat de crédit

Autre catégorie de frais qui ne sont pas compris dans l’assiette du TEG, ceux liés à l’exécution du contrat de crédit.

Au nombre de ces frais figurent notamment les frais de relances et les frais de procédure facturés au débiteur défaillant.[37]

Les clauses pénales pour défaut de remboursement[38] ainsi que les indemnités de remboursement anticipé du prêt[39] sont également exclues de l’assiette du TEG.

Cette solution se justifie par le caractère hypothétique de leur mise en œuvre, en ce qu’ils ne seront dus qu’en cas d’inexécution par l’emprunteur de ses obligations. Ils sont donc, par nature, étrangers, à la décision d’octroi du prêt.

Dans un arrêt du 27 septembre 2005, la Cour de cassation a affirmé, en ce sens, que « l’indemnité de remboursement anticipé dont la mise en œuvre était éventuelle et donc étrangère aux frais intervenus dans l’octroi du prêt, ne devait pas être prise en compte dans la détermination du taux effectif global de celui-ci »[40].

Cass. 1ère civ. 27 sept. 2005
Sur le moyen unique, pris en ses huit branches :

Attendu que par acte du 20 mars 1995, la Fédération française d'athlétisme (FFA) a contracté auprès du Comptoir des entrepreneurs, devenu la société Entenial aux droits de laquelle vient le Crédit foncier de France, un emprunt de 14 millions de francs remboursable en 15 ans au taux effectif global de 10,17 % ; que les taux d'intérêt ayant baissé, la FFA a demandé la renégociation de ce crédit;

que le prêteur lui ayant proposé un nouveau crédit remboursable au taux fixe de 4,80 %, et demandé le paiement d'une indemnité de remboursement anticipé de 3 902 875,13 francs, la FFA a refusé cette proposition et attrait le prêteur en justice pour que la clause stipulant cette indemnité soit notamment déclarée abusive et contraire aux dispositions de l'article 1250, 2 , du Code civil ;

Attendu que la FFA fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 31 janvier 2002) de l'avoir déboutée de ses prétentions, alors, selon le moyen :

1 / qu'en se bornant à caractériser le fait que la Fédération n'était pas un consommateur, sans rechercher si le contrat de prêt litigieux avait un rapport direct avec l'activité professionnelle exercée par celle-ci et donc en omettant de vérifier la qualité de non-professionnel de celle-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;

2 / qu'en se fondant sur le fait inopérant que l'instauration d'une clause prévoyant le versement de sommes en contrepartie de l'exercice de la faculté de remboursement anticipé afin de compenser la perte financière subie par le prêteur n'est pas en soi abusive, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.. 132-1 du Code de la consommation ;

3 / qu'en se bornant à énoncer que la définition actuarielle du montant de l'indemnité due dans le cadre de la rupture du contrat opposant la Fédération à la banque prêteuse variait en fonction de l'état du marché et que le montant de cette indemnité ne dépendait pas de la seule volonté du prêteur, mais résultait du calcul d'éléments dépendant de l'état du marché financier au moment où l'emprunteur avait sollicité le remboursement, sans rechercher si le montant de l'indemnité n'était pas disproportionnellement élevé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;

4 / qu'en énonçant que l'indemnité de remboursement anticipé ne devait pas être incluse dans le taux effectif global, aux motifs inopérants pris, d'une part, de ce que son montant dépendait du moment où elle était calculée et, d'autre part, de ce que l'emprunteuse avait la faculté de faire procéder elle-même à des calculs, la clause prévoyant cette indemnité renfermant tous les éléments de calcul, la cour d'appel a violé l'article L. 313-1 du Code de la consommation ;

5 / qu'en retenant que la Fédération ne contestait pas le droit au paiement d'une indemnité compensatrice d'un éventuel préjudice, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de celle-ci et ainsi violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

6 / qu'en se fondant sur le fait que l'indemnité de remboursement anticipé avait pour objet de compenser le manque à gagner du prêteur du fait de la résiliation anticipée, sans le caractériser autrement que par l'application de la clause, alors que du fait du remboursement anticipé, le prêteur ne pouvait plus subir les préjudices résultant de l'immobilisation de la somme et les risques de difficultés de remboursement, et donc n'avait pas à être rémunéré, la cour d'appel a violé l'article 1131 du code civil ;

7 / qu'en énonçant qu'il ne résultait pas de l'article 1250, 2 , du Code civil que le remboursement anticipé était de droit pour le débiteur du prêt, la cour d'appel a violé cette disposition ;

8 / qu'en se bornant à énoncer que l'existence d'une indemnité de remboursement n'était pas un obstacle à l'effet de la subrogation, si les conditions étaient remplies, sans rechercher si l'indemnité de remboursement anticipé prévue par le contrat n'était pas d'un montant tel qu'elle empêchait la subrogation dans les droits du prêteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1250, 2 , du Code civil ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt retient, par des motifs propres et adoptés qui relèvent de son appréciation souveraine, que l'emprunt litigieux avait été contracté par la FFA en vue de financer l'acquisition et l'aménagement d'un nouveau siège social, lieu de son activité, et que la FFA, dont l'objet est de promouvoir l'athlétisme en France par la signature d'importants contrats de partenariat et de vente de licences, avait souscrit cet emprunt dans le cadre de son activité, afin d'améliorer les conditions d'exercice de celle-ci, faisant ainsi ressortir l'existence d'un rapport direct entre l'activité professionnelle de cette association et le contrat de prêt litigieux, pour en déduire à bon droit que les dispositions des articles L. 132-1 et suivants du Code de la consommation n'étaient pas applicables dans le présent litige ;

qu'ensuite, il résulte de l'article L. 313-1 du même Code que pour la détermination du taux effectif global, il y a lieu d'ajouter aux intérêts les frais, commissions ou rémunérations de toute nature, directs ou indirects intervenus dans l'octroi du prêt ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a considéré que l'indemnité de remboursement anticipé dont la mise en oeuvre était éventuelle et donc étrangère aux frais intervenus dans l'octroi du prêt, ne devait pas être prise en compte dans la détermination du taux effectif global de celui-ci ; qu'ensuite, encore, la cour d'appel a souverainement retenu, hors la dénaturation de conclusions alléguée, que la cause de l'obligation au paiement de cette indemnité consistait dans la réparation du manque à gagner subi par le prêteur du fait de la résiliation anticipée du contrat ; qu'enfin, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'avait pas à opérer d'office une recherche qui ne lui était pas demandée, a retenu que la stipulation d'une indemnité de remboursement anticipé ne constituait pas en principe un obstacle au jeu de la subrogation prévue par l'article 1250, 2 , du Code civil, dès lors que les conditions d'application de ce texte seraient réunies ; que, manquant en fait en sa première branche, et, de ce fait inopérant en ses deuxième et troisième griefs, le moyen est mal fondé en sa quatrième branche ; qu'il manque en fait en sa cinquième branche, est irrecevable, comme nouveau et mélangé de fait, en sa sixième branche et sans fondement en ses deux derniers griefs ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la haute juridiction a adopté la même position, s’agissant des commissions d’intervention, lesquelles ont pour objet de rémunérer l’établissement bancaire pour le service d’analyse d’un compte effectué en cas d’insuffisance de provision, avant que soit prise la décision de payer ou de rejeter une opération[41]. À ce titre, elles s’apparentent à des commissions de service, raison pour laquelle elles n’entrent pas dans le calcul du taux effectif global[42].

Nonobstant cette jurisprudence plutôt favorable aux banques, il leur appartiendra, néanmoins, de démontrer que les commissions d’intervention sans étrangères à la décision d’octroi du crédit[43].

Dans un arrêt du 8 janvier 2013, la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui, pour inclure dans l’assiette du TEG des frais d’intervention, s’est vu reprocher de n’avoir pas vérifié « si cette commission constituait le prix d’un service lié à la tenue du compte des clients ou un service de caisse, distinct d’un crédit, de sorte qu’elle ne constituerait pas la contrepartie de ce crédit »[44].

Cass. com. 8 janv. 2013
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Société générale (la banque) a consenti en 2007 un crédit de restructuration de 25 000 euros à Mme X... ; que M. X..., Mme X... et la société X...et A...(l'entreprise), ont refusé de payer le solde du découvert de 14 631, 79 euros qui leur était réclamé par la banque ; que cette dernière les ayant assignés en paiement de ce solde, ils ont recherché sa responsabilité pour manquement à son obligation d'information et de conseil et pour avoir pratiqué un taux usuraire en omettant d'inclure dans le taux effectif global du prêt certaines commissions ;

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et sixième branches, réunis :

Attendu que ces moyens ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le second moyen, pris en sa cinquième branche :

Vu les articles 1147 et 1907 du code civil, ensemble l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu que, pour rejeter la demande des consorts X..., la cour d'appel a retenu que le TEG n'est pas justifié comme usuraire, la commission d'intervention n'ayant pas à être intégrée dans celui-ci ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si cette commission constituait le prix d'un service lié à la tenue du compte des clients ou un service de caisse, distinct d'un crédit, de sorte qu'elle ne constituerait pas la contrepartie de ce crédit, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 février 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Riom, autrement composée ;

Cette décision présente manifestement l’intérêt de rappeler que la détermination de l’inclusion d’un frais dans l’assiette du TEG ramène toujours, quelle que soit la nature du frais envisagé, à la question de savoir s’il conditionne ou non l’octroi du prêt.

[1] Cass. 1ère civ. 30 mars 2005 : Bull. civ. I, n° 161

[2] Cass. 1ère civ. 30 mars 2005, n°02-11.171.

[3] Cass. 1ère civ. 9 déc. 2010, n°09-14.977 : D bancaire et fin. 2011, comm. 41, obs. F.-J. Crédot et Th. Samin ; V. également CA Paris, 15e ch., sect. B, 6 oct. 2005 : JCP E 2005, 1619 ; V. également P. BOUTEILLER, « Quand la valeur de la garantie constitue un élément de calcul du TEG, ou comment s’y prendre pour faire d’un élément de comparaison du coût du crédit, un élément de valeur variable selon la garantie considérée », Rev. Lamy dr. aff. 2011, n° 57, p. 25.

[4] Cass. 1ère civ., 23 nov. 2004, n° 02-13.206 : Bull. civ. I, n° 289.

[5] CA Lyon, 12 juin 2008, n°07/03698 ; CA Montpellier, 3 janv. 2012, n°1100396.

[6] CA Poitiers, 2e ch. civ., 19 juill. 2011, n° 10/03218 : RD bancaire et fin. 2012, comm. 3.

[7] T. com. Marseille, 11 avr. 2013, n° 2011-F-04087 : RD bancaire et fin. 2013, comm. 148.

[8] V. en ce sens CA Grenoble, ch. com., 16 juin 2011, n° 10/00836 : RD bancaire et fin. 2012, comm. 3.

[9] Cass. 1ère civ., 15 oct. 2014, n° 13-19.241.

[10] Cass. 1ère civ. 28 oct. 2015, n°14-19.747

[11] CA Riom 12 oct. 2015, n°14/02776 ; CA Versailles 3 mars 2016, n°14/04400 ; TGI Nîmes, 17 juin 2016, n°15/01295.

[12] V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°02-13.06.

[13] Cass. 1ère civ. 13 nov. 2008, n°07-17.737 : D. 2008, p. 3006.

[14] Cass. 1ère civ. 8 nov. 2007, n° 04-18.668 : Bull. civ. I, n° 349.

[15] Cass. 1ère civ. 6 févr. 2013, n°12-15.722 : Bull. civ. IV, n° 11 ; JCP E 2013, 1159, obs. P. Bouteiller et F.-J. Crédot.

[16] V. en ce sens X. LAGARDE, « L’assurance incendie entre-t-elle dans le calcul du TEG ? », RD bancaire et fin., 2011, comm. 157.

[17] Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-17.687.

[18] Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°02-13206 : Bull. civ. I, no 289 ; D. 2006. 155, obs. Martin  ; RD banc. fin. 2005, no 6, obs. Crédot et Gérard.

[19] CA Orléans, 6 avr. 2006, RD banc. fin. 2006, no 127, note Crédot et Samin.

[20] CA Bastia, ch. civ. B, 30 nov. 2011, n° 10/00375.

[21] Cass. 1re civ., 9 déc. 2010, n° 09-67.089.

[22] Cass. 1ère civ., 12 juill. 2012, n° 11-21.032

[23] TI Poitiers, 13 mars 2009, Idelot c/ SA Casden BP : RD bancaire et fin. 2009, comm. 118, note F.-J. Crédot et T. Samin.

[24] Cass. 1ère civ. 24 avr. 2013, n° 12-14.377 : Bull. civ. I, n° 88.

[25] Cass. 1ère civ. 21 janv. 1992, n°90-18120 : Bull. civ. I, n°22.

[26] CA Douai, 22 nov. 2012, n°11/07350.

[27] CA Grenoble, 16 juin 2011, n°10/00836.

[28] Cass. crim. 12 nov. 1998, n°97-82954.

[29] Cass. com. 14 déc. 2004, n°02-19532.

[30] V. en ce sens Cass. crim. 24 mars 1999, n°98-81274.

[31] Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012, n°10-25737 ; Cass. 1ère civ. 28 sept. 2016, n°15-17687.

[32] Cass. 1re civ., 26 mai 2011, n° 10-13.861 : RD bancaire et fin. 2011, comm. 157, obs. X. Lagarde.

[33] Cass. crim. 12 oct. 1976, n°76-90406.

[34] Cass. 1ère civ. 26 mai 2011, n°10-13861.

[35] V. en ce sens Cass. 1re civ., 6 févr. 2013, n° 12-15.722 : Bull. civ. IV, n° 11 ; JCP E 2013, 1159, obs. P. Bouteiller et F.-J. Crédot ; Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-13.779.

[36] Cass., 1ère civ., 1er oct. 2014, n° 13-22.768 ; CA Toulouse, ch. 2, 5 oct. 2011, n° 09/06281

[37] Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-22.755.

[38] Cass. 1ère civ. 1er déc. 1987, n°86-10541.

[39] Cass. 1ère civ. 27 sept. 2005, n°02-13935.

[40] Cass. 1re civ., 27 sept. 2005, n° 02-13.935 : Bull. civ. I, n° 347 ; Dr. & patr. 2006, n° 151, p. 74, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm.

[41] V. en ce sens P. BOUTEILLER, « Les commissions d’intervention ne sont pas des frais de forçage », JCP E 2014, 1034.

[42] Cass. 1re civ., 22 mars 2012, n° 11-10.199 ; Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-20.147.

[43] F.-J. CREDOT ET TH. SAMIN, « Non intégration de la commission d’intervention dans le TEG », RD bancaire et fin. 2011, comm. 155

[44] Cass. com., 8 janv. 2013, n° 11-15.476.

TEG: l’inclusion dans l’assiette de calcul du coût de souscription de parts sociales

Certains établissements bancaires sont des sociétés coopératives, ce qui signifie que, lors de l’entrée en relation avec leurs clients, elles leur proposent de devenir sociétaire, soit de prendre une participation dans le capital social d’une caisse dite locale.

La fourniture de certains services est d’ailleurs conditionnée par la souscription de parts sociales, laquelle confère au sociétaire la qualité d’associé.

Très tôt, la question s’est alors posée de savoir si le coût de cette souscription devait être pris en compte dans le calcul du TEG.

Dans un arrêt du 23 novembre 2004, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question. Elle a considéré que « la souscription de parts sociales auprès de l’organisme qui subventionne le contrat étant imposée comme condition d’octroi du prêt et les frais ainsi rendus obligatoires afférents à cette adhésion ayant un lien direct avec le prêt souscrit, doivent être pris en compte pour la détermination du TEG »[1].

Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004
Sur le moyen unique, pris en ses sept branches :

Vu les articles L. 312-8 et L. 313-1 du Code de la consommation ;

Attendu que le Crédit mutuel de l'Arbresle (la banque) a consenti à M. et Mme X... deux prêts immobiliers en 1993 et 1994 d'un montant respectif de 550 000 francs et de 240 000 francs, le premier étant un prêt conventionné ; qu'après avoir vendu leur maison et procédé au remboursement anticipé des prêts, les époux X... ont assigné la banque en annulation des prêts et remboursement des intérêts versés ;

Attendu que pour débouter les époux X... de leurs demandes, l'arrêt attaqué retient d'abord que les frais d'hypothèque avaient été supportés directement par les emprunteurs, ensuite que les parts sociales n'étaient pas assimilables à des frais supplémentaires et avaient été remboursées intégralement, enfin que l'assurance-incendie ne se rapportait pas directement aux risques liés à la conclusion du prêt et ne pouvait être chiffrée avant l'achèvement de la construction ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que le coût des sûretés réelles ou personnelles exigées, et qui conditionnent la conclusion du prêt, doit être mentionné dans l'offre sauf lorsque le montant de ces charges ne peut être indiqué avec précision antérieurement à la signature du contrat, d'autre part, que la souscription de parts sociales auprès de l'organisme qui subventionne le contrat étant imposée comme condition d'octroi du prêt et les frais ainsi rendus obligatoires afférents à cette adhésion ayant un lien direct avec le prêt souscrit, doivent être pris en compte pour la détermination du TEG, enfin que les frais d'assurance-incendie, laquelle était exigée par le prêteur et qui avaient fait l'objet d'un débat contradictoire devant les juges du fond, devaient être également inclus dans le TEG du prêt, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 janvier 2002, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

La solution est extrêmement critiquable pour plusieurs raisons.

D’une part, fondamentalement les frais exposés par l’emprunteur sont liés, non pas à l’octroi du crédit, mais à la qualité de sociétaire.

D’autre part, la souscription de parts sociales s’apparente en un véritable investissement financier : le sociétaire perçoit des intérêts en contrepartie du prix d’acquisition des titres.

Enfin, le coût des parts sociales est susceptible d’être restitué à l’emprunteur au moment de l’extinction du prêt, de sorte que ce dernier ne s’est nullement appauvri en devenant sociétaire. Bien au contraire, il s’est enrichi de l’actif financier qui lui a été versé.

Pour toutes ces raisons, certains juges du fond ont considéré qu’il convenait de ne pas inclure le coût d’acquisition des parts sociales dans l’assiette du TEG[2].

Dans un arrêt du 30 novembre 2011 une Cour d’appel a avancé, pour justifier sa décision, que « le prix de souscription des parts constitue davantage un actif remboursable qu’une charge »[3].

Malgré les critiques et la résistance de certains juges du fond, la Cour de cassation n’a pas entendu abandonner sa position.

Dans un arrêt du 9 décembre 2010 elle a ainsi réaffirmé que « quand le coût des parts sociales dont la souscription est imposée par l’établissement prêteur comme une condition d’octroi du prêt, constitue des frais entrant nécessairement dans le calcul du taux effectif global »[4].

Dans un arrêt du 12 juillet 2012, elle a encore censuré la Cour d’appel d’Amiens, pour défaut de base légale, en lui reprochant de n’avoir pas recherché « si la souscription de parts sociales de l’établissement prêteur n’avait pas été imposée aux emprunteurs comme une condition de l’octroi du crédit, de sorte que le coût afférent à cette souscription ainsi rendue obligatoire devait être pris en compte dans le calcul du taux effectif global »[5].

Cass. 1ère civ. 12 juill. 2012
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu les articles L. 312-8 et L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu que, selon l'arrêt attaqué, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Brie Picardie a consenti à M. et Mme X... plusieurs prêts destinés à financer l'acquisition d'un bien immobilier et comprenant la souscription de parts sociales ;

Attendu que pour débouter les emprunteurs de leur demande tendant à voir substituer le taux d'intérêt légal au taux conventionnel en raison de l'erreur affectant le calcul du taux effectif global, l'arrêt retient par motifs adoptés que la souscription de parts sociales ne représente pas une charge ayant un lien direct avec le prêt, mais un actif remboursable, sur lequel les emprunteurs perçoivent des dividendes et dont le sort n'est pas lié à celui du prêt ;

Qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si la souscription de parts sociales de l'établissement prêteur n'avait pas été imposée aux emprunteurs comme une condition de l'octroi du crédit, de sorte que le coût afférent à cette souscription ainsi rendue obligatoire devait être pris en compte dans le calcul du taux effectif global, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mai 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;

Cette jurisprudence est incompréhensible. Comme le soulignent certains auteurs « comment peut-on avoir comme ces hauts magistrats une conception aussi extensive des « frais, commissions et rémunérations de toute nature, directs ou indirects » entrant aux termes de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier dans le calcul du taux effectif global au point de qualifier de frais, synonyme pourtant d’une dépense, la souscription d’une part sociale du prêteur, c’est-à-dire l’acquisition d’un actif financier, d’un élément de patrimoine, au surplus frugifère ? »[6].

Bien que l’on puisse le déplorer, tout porte à croire que la Cour de cassation a, pour l’heure, la ferme intention de maintenir sa position[7].

La conséquence en est pour les établissements bancaires qu’ils doivent être en mesure d’établir que la souscription de parts sociales ne présente aucun caractère obligatoire et plus précisément qu’elle ne conditionne, en aucune façon, l’octroi du prêt. À défaut, ils ont l’obligation d’intégrer le coût d’acquisition des parts dans l’assiette du TEG.

[1] Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°02-13206 : Bull. civ. I, no 289 ; D. 2006. 155, obs. Martin  ; RD banc. fin. 2005, no 6, obs. Crédot et Gérard.

[2] CA Orléans, 6 avr. 2006, RD banc. fin. 2006, no 127, note Crédot et Samin.

[3] CA Bastia, ch. civ. B, 30 nov. 2011, n° 10/00375.

[4] Cass. 1re civ., 9 déc. 2010, n° 09-67.089.

[5] Cass. 1ère civ., 12 juill. 2012, n° 11-21.032

[6] TI Poitiers, 13 mars 2009, Idelot c/ SA Casden BP : RD bancaire et fin. 2009, comm. 118, note F.-J. Crédot et T. Samin.

[7] Cass. 1ère civ. 24 avr. 2013, n° 12-14.377 : Bull. civ. I, n° 88.

TEG: l’inclusion dans l’assiette de calcul des frais liés aux primes d’assurance

Lors de la conclusion d’un contrat de prêt, bien qu’il ne s’agisse pas d’une obligation légale, il n’est pas rare que la souscription d’une assurance soit érigée par le prêteur comme une condition d’octroi du crédit.

Très tôt, la question s’est alors posée de savoir si le coût de la prime d’assurance supporté par l’emprunteur devait être intégré dans l’assiette du TEG.

Au fond, l’assurance ainsi contractée est indépendante du crédit octroyé, dans la mesure où, sur le plan purement obligationnel, l’avantage qu’elle procure au souscripteur est distinct de celui qu’il retire du contrat de prêt. On est, en conséquence, légitimement en droit de se demander si le coût de la prime d’assurance peut être exclu du calcul du TEG.

La position adoptée par la jurisprudence sur ce sujet a, pendant longtemps, été pour le moins manichéenne.

Lorsque, en effet, l’octroi du contrat de prêt est subordonné à la souscription d’une assurance, la Cour de cassation estime qu’il convient d’intégrer les frais y afférents dans l’assiette du TEG[1].

Dans un arrêt du 13 novembre 2008, la Cour de cassation a, de la sorte, estimé « qu’il incombait à la banque, qui avait subordonné l’octroi du crédit à la souscription d’une assurance, de s’informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement »[2].

Cass. 1ère civ. 13 nov. 2008
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable comme né de l'arrêt attaqué :

Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu que, prétendant qu'était erroné le taux effectif global figurant dans le contrat constatant le prêt destiné à financer l'achat d'un immeuble, que lui avait consenti la caisse de crédit mutuel de Rive-de-Gier (la banque), la société civile immobilière La Pléiade l'a assignée en substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel et en établissement d'un nouveau tableau d'amortissement ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l'arrêt, après avoir exactement rappelé que les frais relatifs à l'assurance-incendie de l'immeuble devaient, en principe, être pris en compte pour déterminer le taux effectif global dès lors qu'ils étaient imposés par la banque et en lien direct avec le crédit, énonce que l'assurance-incendie contractée auprès d'un autre organisme et dont le coût n'était pas connu de la banque lors de l'offre de prêt et ne lui a pas été communiqué par l'emprunteur avant l'octroi du prêt, ne pouvait donc pas, en l'espèce, être intégrée dans le taux effectif global ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il incombait à la banque, qui avait subordonné l'octroi du crédit à la souscription d'une assurance, de s'informer auprès du souscripteur du coût de celle-ci avant de procéder à la détermination du taux effectif global dans le champ duquel un tel coût entrait impérativement, la cour d'appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société civile immobilière La Pléiade en substitution du taux d'intérêt légal au taux d'intérêt conventionnel et en établissement d'un nouveau tableau d'amortissement, l'arrêt rendu le 24 mai 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Lorsque, au contraire, la souscription d’une assurance est facultative, la Cour de cassation n’exige pas que le coût de la prime d’assurance soit intégré dans l’assiette du TEG.

Telle est la solution qu’elle a, par exemple, retenue dans un arrêt du 8 novembre 2007. Elle y a jugé que « le coût d’une assurance facultative dont la souscription ne conditionne pas l’octroi du prêt, n’entre pas dans la détermination du taux effectif global »[3]

La position adoptée par la Cour de cassation est, manifestement, conforme au principe général selon lequel l’assiette du TEG doit comprendre les frais de toute nature dès lors qu’ils constituent une condition d’octroi du crédit.

Dans un arrêt du 6 février 2013, la première chambre civile a toutefois apporté un tempérament à ce principe, en précisant que « quand les frais relatifs à l’assurance-incendie ne sont intégrés dans la détermination du TEG que lorsque la souscription d’une telle assurance est imposée à l’emprunteur comme une condition de l’octroi du prêt, et non à titre d’obligation dont l’inexécution est sanctionnée par la déchéance du terme »[4].

Cass. 1ère civ. 6 févr. 2013
Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, prétendant que le taux effectif global (TEG) figurant dans les actes notariés constatant les prêts que la Caisse d'épargne et de prévoyance Provence Alpes Corse (la banque) lui a consentis selon des offres acceptées les 9 février 2000 et 21 janvier 2002 pour financer l'acquisition de biens immobiliers était erroné, M. X... a assigné la banque en annulation des stipulations de l'intérêt conventionnel contenues dans chacun des contrats de prêt ;

Attendu que, pour accueillir cette demande et condamner la banque à restituer la différence entre les intérêts perçus et ceux calculés au taux légal, l'arrêt, après avoir constaté qu'en application des conditions générales de ces prêts, les emprunteurs devaient contracter « dans les plus brefs délais possibles » une assurance garantissant pendant la durée du prêt les risques incendie des immeubles donnés en garantie et qu'à défaut, le prêteur pourrait soit assurer lui-même les biens aux frais des emprunteurs, soit exiger le remboursement anticipé des sommes restant dues, retient que cette clause ayant pour effet de mettre à la charge de l'emprunteur des frais d'assurance contre l'incendie, de caractère obligatoire, à peine de déchéance du terme, de sorte que ces frais entraient dans le champ du TEG et qu'il incombait à la banque de s'informer de leur coût avant de procéder à la détermination de ce taux ;

Qu'en statuant ainsi quand les frais relatifs à l'assurance-incendie ne sont intégrés dans la détermination du TEG que lorsque la souscription d'une telle assurance est imposée à l'emprunteur comme une condition de l'octroi du prêt, et non à titre d'obligation dont l'inexécution est sanctionnée par la déchéance du terme, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il écarte la fin de non-recevoir, l'arrêt rendu le 15 décembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Cette décision est ainsi venue assortir d’une exception la règle, jusqu’alors de portée absolue, aux termes de laquelle les frais qui ne conditionnent pas l’octroi du crédit sont exclus de l’assiette du TEG. La doctrine en a tiré comme enseignement qu’il convenait désormais de distinguer trois hypothèses en matière d’assurance[5].

En premier lieu, lorsque la souscription d’une assurance est facultative, le coût y afférent ne doit pas être compris dans l’assiette du TEG.

En deuxième lieu, lorsque l’octroi du prêt est subordonné à la souscription d’une assurance, le coût de cette souscription doit être pris en compte dans le calcul du TEG

En dernier lieu, lorsque l’octroi du crédit n’est pas subordonné à la souscription d’une assurance, mais que cette souscription est constitutive d’une obligation conventionnelle dont l’inexécution est sanctionnée par la déchéance du terme, les frais y afférents ne doivent pas être intégrés dans l’assiette du TEG.

Cette jurisprudence a, par la suite, été confirmée par la Cour de cassation, notamment dans un arrêt rendu en date du 28 avril 2016 aux termes duquel il a été jugé que « l’obligation d’assurance garantissant l’immeuble acquis contre le risque d’incendie avait seulement pour but de protéger le bien financé après la réalisation de la vente, nécessairement après l’octroi du prêt, de sorte qu’elle ne peut être analysée comme une condition posée pour l’obtention de ce dernier, peu important que cette obligation soit ensuite exigée jusqu’au remboursement intégral du crédit »[6]

Cass. 1ère civ. 28 sept. 2016
Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 19 février 2014), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 12 juillet 2012, pourvoi n° 10-25.537), que, prétendant qu'était erroné le taux effectif global figurant dans l'acte constatant le prêt que la caisse de Crédit mutuel des Sables-d'Olonne (la banque) leur avait consenti, le 23 juin 2004, pour financer l'acquisition d'un bien immobilier, M. et Mme X... (les emprunteurs) ont assigné la banque en déchéance de son droit aux intérêts conventionnels ;

Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la banque au titre de la déchéance du droit aux intérêts à la somme de 1 000 euros, alors, selon le moyen :

1°/que le coût relatif à la souscription d'une assurance-incendie doit être intégré dans la détermination du taux effectif global du prêt lorsque la souscription d'une telle assurance est imposée à l'emprunteur comme une condition de l'octroi du prêt ; qu'il importe peu que l'obligation d'assurance incendie du bien financé par la banque ait pour objet de protéger le bien postérieurement à l'octroi du prêt et à la réalisation de la vente ; qu'en considérant en sens contraire que le coût de l'assurance incendie n'avait pas à entrer dans la détermination du taux effectif global du prêt au motif que « cette obligation d'assurance, qui a seulement pour but de protéger le bien financé après la réalisation de la vente, donc nécessairement après l'octroi du prêt, ne peut être analysée comme une condition posée pour l'obtention de celui-ci », tout en relevant que l'obligation d'assurance incendie aux termes du prêt était exigée « jusqu'à remboursement intégral du crédit », soit que cette obligation d'assurance était imposée à l'emprunteur en tant que condition à l'octroi du prêt, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, partant, a violé l'article L. 313-1 du code de la consommation ;

2°/ qu'aux termes de l'offre de prêt immobilier de la banque du 23 juin 2004, il était expressément stipulé, s'agissant de la souscription d'une assurance-décès : « X... Claude, couverture décès 100 %, Condition (O) ; X... Gisèle, couverture décès 100 %, Condition (O).Si le code O apparaît dans cette colonne, l'assurance est obligatoire » ; qu'il résultait de manière claire et précise de l'offre de prêt que la souscription d'une assurance-décès de la part des emprunteurs était obligatoire et constituait une condition de l'octroi du prêt ; qu'en statuant en sens contraire en disant « que l'offre de prêt fait clairement mention du caractère facultatif de l'assurance-décès puisque celle-ci n'est pas assortie du code "O" », la cour d'appel a dénaturé le contenu de l'offre de prêt immobilier de la banque du 23 juin 2004, partant, a violé l'article 1134 du code civil ;

3°/ que l'irrégularité entachant la mention du taux effectif global au contrat de prêt est sanctionnée par la substitution du taux légal au taux d'intérêt conventionnel du prêt ; qu'en décidant, à la suite de la constatation de ce que le coût d'achat des parts sociales avait été omis à tort dans l'assiette de calcul du taux effectif global, que cette situation ne pouvait justifier la nullité de la stipulation d'intérêts et qu'il convenait seulement de prononcer la déchéance de la banque de son droit aux intérêts à concurrence de la somme de 1 000 euros, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, partant, a violé ensemble les articles 1907 du code civil et L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que l'obligation d'assurance garantissant l'immeuble acquis contre le risque d'incendie avait seulement pour but de protéger le bien financé après la réalisation de la vente, nécessairement après l'octroi du prêt, de sorte qu'elle ne peut être analysée comme une condition posée pour l'obtention de ce dernier, peu important que cette obligation soit ensuite exigée jusqu'au remboursement intégral du crédit ;

Attendu, ensuite, qu'ayant retenu que l'offre de crédit faisait mention du caractère facultatif de l'assurance-décès, dès lors que celle-ci n'était pas assortie du code "O", signifiant assurance obligatoire, et que l'article 4 des conditions générales figurant au verso de l'offre indiquait que l'assurance-décès était "éventuellement" souscrite par les emprunteurs, la cour d'appel n'a pas dénaturé cette offre ;

Attendu, enfin, qu'après avoir prétendu que la banque n'avait pas énoncé une évaluation du coût des assurances exigée par l'article L. 312-8, 4°, du code de la consommation, devenu L. 313-25, 6°, du même code en vertu de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, les emprunteurs ont, dans le dispositif de leurs conclusions, demandé de juger que la banque n'avait pas respecté les obligations imposées par le texte précité, de prononcer en conséquence la nullité de la clause de stipulation des intérêts et de dire que l'intérêt au taux légal serait substitué au taux conventionnel ; que la cour d'appel, interprétant ces conclusions en raison de leur ambiguïté, a statué dans les limites de la demande fondée sur le texte invoqué, dont la sanction de l'inobservation est la déchéance du droit aux intérêts conventionnels dans la limite appréciée discrétionnairement par le juge ;

D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

L’exclusion – de principe – du coût de l’assurance-incendie de l’assiette du TEG se justifie par l’absence de lien direct avec l’octroi du crédit dans la mesure où elle vise à garantir, non pas le remboursement du prêt, mais le propriétaire du bien financé du risque d’incendie.

À l’examen, la lecture des derniers arrêts rendus par la Cour de cassation interroge sur l’évolution du critère retenu. N’assisterait-on pas à un glissement vers l’admission d’un critère finaliste ? En somme, pour déterminer si les frais d’assurance doivent être inclus dans l’assiette du TEG, il conviendrait, dorénavant, de se demander, non plus s’ils sont une condition d’octroi du crédit, mais s’ils ont pour fonction de garantir le remboursement du prêt. Le débat est ouvert.

[1] V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 nov. 2004, n°02-13.06.

[2] Cass. 1ère civ. 13 nov. 2008, n°07-17.737 : D. 2008, p. 3006.

[3] Cass. 1ère civ. 8 nov. 2007, n° 04-18.668 : Bull. civ. I, n° 349.

[4] Cass. 1ère civ. 6 févr. 2013, n°12-15.722 : Bull. civ. IV, n° 11 ; JCP E 2013, 1159, obs. P. Bouteiller et F.-J. Crédot.

[5] V. en ce sens X. LAGARDE, « L’assurance incendie entre-t-elle dans le calcul du TEG ? », RD bancaire et fin., 2011, comm. 157.

[6] Cass. 1re civ., 28 sept. 2016, n° 15-17.687.

Mariage: l’abandon de la condition relative à la différence de sexe

Aux termes de l’article 143 du Code civil « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. »

Ainsi, le mariage n’est-il plus réservé aux seuls couples hétérosexuels, comme cela a été le cas jusqu’à la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dite loi Taubira.

L’adoption de cette loi, qui a été présentée comme visant à lutter contre les discriminations et à reconnaître de nouveaux droits, met un terme au long débat jurisprudentiel, d’où il est ressorti que, si aucune norme constitutionnelle, internationale ou européenne n’impose d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, aucune de ces normes de l’interdit.

Aussi, le législateur a-t-il été invité par les juridictions nationales à prendre ses responsabilités en se prononçant sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.

==> L’arrêt de la Cour de cassation du 13 mars 2007

L’un des éléments déclencheurs du mouvement tendant à la reconnaissance du « mariage pour tous » est, sans aucun doute, le mariage célébré entre deux hommes, le 5 juin 2004, par Noël Mamère, alors maire de la commune de Bègles en Gironde.

Cet évènement, porté sur le devant de la scène à grand renfort de médias a été l’occasion pour les tribunaux français de préciser la portée des articles du code civil relatifs au mariage.

Par jugement du 27 juillet 2004, le mariage célébré en violation de l’article 144 du Code civil a été annulé.

Cette décision a été confirmée en appel par la Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 19 avril 2005 (CA Bordeaux, 19 avr. 2005, n° 04/04683).

Les juges ont estimé, dans cette décision, qu’il n’existe « dans les textes fondamentaux européens et dans la jurisprudence européenne aucune contradiction avec la législation française interne relative au mariage, laquelle ne concerne que des personnes de sexe différent. Comme le premier juge, la cour considère que la différence de sexe est une condition de l’existence même du mariage, condition non remplie dans le cas de l’acte relatif à Stéphane C. et Bertrand C.. La célébration organisée par eux le 5 juin 2004 devant l’officier d’état civil de Bègles ne peut être considérée comme un mariage. Ainsi que le soutient le ministère public, l’acte qui en a été dressé n’a pas d’existence juridique et son écriture doit être annulée, avec transcription en marge de l’acte de naissance des intéressés et de l’acte lui-même ».

Pour aboutir à cette solution, ils se réfèrent notamment au Discours préliminaire sur le Projet de Code civil rédigé par Portalis lequel écrivait en 1804 que :

« on ne doit point céder à des prétentions aveugles. Tout ce qui est ancien a été nouveau… nous sommes convaincus que le mariage, qui existait avant l’établissement du christianisme, qui a précédé toute loi positive, et qui dérive de la constitution même de notre être, n’est ni un acte civil, ni un acte religieux, mais un acte naturel qui a fixé l’attention des législateurs… le rapprochement de deux sexes que la nature n’a faits si différents que pour les unir, a bientôt des effets sensibles. La femme devient mère… l’éducation des enfants exige, pendant une longue suite d’années, les soins communs des auteurs de leurs jours… Tel est le mariage, considéré en lui-même et dans ses effets naturels, indépendamment de toute loi positive. Il nous offre l’idée fondamentale d’un contrat proprement dit… ce contrat, d’après les observations que nous venons de présenter, soumet les époux, l’un envers l’autre, à des obligations respectives, comme il les soumet à des obligations communes envers ceux auxquels ils ont donné l’être, les lois de tous les peuples policés ont cru devoir établir des formes qui puissent faire reconnaître ceux qui sont tenus à ces obligations. Nous avons déterminé ces formes ».

Ainsi donc, comme le premier juge, la cour d’appel en conclut qu’en droit interne français le mariage est une institution visant à l’union de deux personnes de sexe différent, leur permettant de fonder une famille appelée légitime.

La notion sexuée de mari et femme est l’écho de la notion sexuée de père et mère. Cette différence de sexe constitue en droit interne français une condition de l’existence du mariage.

Pour cette raison, le mariage contracté entre deux personnes de même sexe doit être annulé.

Par un arrêt du 13 mars 2007, la Cour de cassation a validé l’arrêt rendu par la Cour de d’appel de Bordeaux le 19 avril 2005 (Cass. 1ère civ. 13 mars 2007, n°05-16.627).

La première chambre civile a considéré que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ».

Lors de l’audience de la première chambre civile de la Cour de cassation, l’avocat général avait déclaré que, compte tenu des enjeux de société importants et de la dimension politique des réponses pouvant être apportées à la question, « abandonner à la seule autorité judiciaire le soin de se prononcer (…) paraît exiger du juge qu’il accomplisse une tâche excédant les limites permises de son action ».

Cass. 1ère civ. 13 mars 2007
Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Bordeaux, 19 avril 2005), que, malgré l’opposition notifiée le 27 mai 2004 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux, le maire de la commune de Bègles, en sa qualité d’officier d’état civil, a procédé, le 5 juin 2004, au mariage de MM. X... et Y... et l’a transcrit sur les registres de l’état civil ; que cet acte a été annulé, avec mention en marge des actes de naissance des intéressés ;

Sur le second moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu que MM. X... et Y... font grief à l’arrêt d’avoir annulé l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, avec transcription en marge de cet acte et de leur acte de naissance, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en retenant que la différence de sexe constitue en droit interne français une condition de l’existence du mariage, cependant que cette condition est étrangère aux articles 75 et 144 du code civil, que le premier de ces textes n’impose pas de formule sacramentelle à l’échange des consentements des époux faisant référence expressément aux termes "mari et femme", la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

2°/ qu’il y a atteinte grave à la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention lorsque le droit interne est incompatible avec un aspect important de l’identité personnelle du requérant ; que le droit pour chaque individu d’établir les détails de son identité d’être humain est protégé, y compris le droit pour chacun, indépendamment de son sexe et de son orientation sexuelle, d’avoir libre choix et libre accès au mariage ; qu’en excluant les couples de même sexe de l’institution du mariage et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour d’appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que par l’article 12 de la Convention se trouve garanti le droit fondamental de se marier et de fonder une famille ; que le second aspect n’est pas une condition du premier, et l’incapacité pour un couple de concevoir ou d’élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit visé par la première branche de la disposition en cause ; qu’en excluant les couples de même sexe, que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, de l’institution du mariage, cependant que cette réalité biologique ne saurait en soi passer pour priver ces couples du droit de se marier, la cour d’appel a violé les articles 12 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

4°/ alors que si l’article 12 de la Convention vise expressément le droit pour un homme et une femme de se marier, ces termes n’impliquent pas obligatoirement que les époux soient de sexe différent, sous peine de priver les homosexuels, en toutes circonstances, du droit de se marier ; qu’en excluant les couples de même sexe de l’institution du mariage, et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour d’appel a violé les articles 12 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que le libellé de l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne s’écarte délibérément de celui de l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’il garantit le droit de se marier sans référence à l’homme et à la femme ; qu’en retenant que les couples de même sexe ne seraient pas concernés par l’institution du mariage, et en annulant l’acte de mariage dressé le 5 juin 2004, la cour d’appel a violé l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

Mais attendu que, selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Par la suite, ni le Conseil constitutionnel, ni la Cour européenne des droits de l’homme n’ont jugé que l’interdiction faite aujourd’hui par notre législation aux couples de personnes de même sexe de se marier était contraire à la Constitution ou à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

==> La décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011

En janvier 2011, le Conseil constitutionnel est saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation, posée par deux femmes – Corinne C. et Sophie H. – qui désiraient se marier ensemble (Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011).

Elles entendaient contester la constitutionnalité du dernier alinéa de l’article 75 du Code civil aux termes duquel l’officier d’état civil « recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour époux : il prononcera, au nom de la loi, qu’elles sont unies par le mariage, et il en dressera acte sur-le-champ. »

La question prioritaire de constitutionnalité portait également sur la conformité de l’article 144 du Code civil qui, en son temps, prévoit que « l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ».

Selon les requérantes, l’interdiction du mariage entre personnes du même sexe et l’absence de toute faculté de dérogation judiciaire porteraient atteinte à l’article 66 de la Constitution et à la liberté du mariage.

L’ouverture du mariage aux seuls couples hétérosexuels méconnaitrait, en outre, le droit de mener une vie familiale normale et l’égalité devant la loi.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel répond, en substance, que conformément à l’article 34 de la Constitution, il appartient au seul législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.

Les juges de la rue de Montpensier ajoutent que le Conseil constitutionnel n’est nullement investi d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, en conséquence de quoi il est incompétent pour se prononcer sur les choix du législateur, dès lors qu’ils sont conformes aux droits et libertés que la Constitution garantit.

En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel considère que, si le dernier alinéa de l’article 75 et l’article 144 du code civil ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de vivre en concubinage dans les conditions définies par l’article 515-8 de ce code ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité régi par ses articles 515-1 et suivants, il n’en demeure pas moins que le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe

En dernier lieu, il affirme que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Aussi, en déduit-il qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille

En conséquence, il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l’article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;

La position du Conseil constitutionnel a été confirmée par la Cour européenne des droits de l’Homme.

==> Décision de la Cour européenne des droits de l’Homme du 24 juin 2010

Dans un arrêt Schalk et Kopf c/ Autriche du 24 juin 2010, la Cour européenne des droits de l’homme, relevant l’absence de consensus des États membres du Conseil de l’Europe sur ce point, a jugé que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme n’imposait pas aux États parties l’obligation de permettre le mariage des couples homosexuels.

Elle relève que « à ce jour, pas plus de six sur quarante-sept États parties à la convention autorisent un tel mariage ».

Elle observe encore que « le mariage possède des connotations sociales et culturelles profondément enracinées susceptibles de différer notablement d’une société à une autre. Elle rappelle qu’elle ne doit pas se hâter de substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales, qui sont les mieux placées pour apprécier les besoins de la société et y répondre ».

Pour cette raison, elle refuse ainsi d’imposer aux États parties d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe.

La Cour a en outre rejeté le grief selon lequel l’interdiction du mariage entre les deux requérants emportait une discrimination non justifiée, au motif que l’Autriche a depuis lors mis en place un système de « partenariat enregistré » emportant pour les partenaires des droits comparables à ceux des époux.

Aussi, dans la mesure où « les requérants peuvent désormais conclure un partenariat enregistré, la Cour n’a pas à rechercher si l’absence de reconnaissance juridique des couples homosexuels aurait emporté violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 si telle était encore la situation ».

Dans le droit fil de cette décision, la Cour européenne des droits de l’Homme a, dans un autre arrêt (Gas et Dubois c/ France) du 15 mars 2012 rejeté l’argument d’une discrimination entre les couples mariés qui peuvent adopter l’enfant du conjoint et les couples non mariés, notamment de même sexe, qui se voient refuser ce droit, sur le fondement de l’article 365 du code civil.

La Cour a estimé, comme dans l’arrêt précédemment cité, que le mariage conférait « un statut particulier à ceux qui s’y engagent, que l’exercice du droit de se marier était protégé par l’article 12 de la Convention et emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques, et que par conséquent, on ne saurait considérer, en matière d’adoption par le second parent, que les requérantes se trouvent dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés ».

La Cour en conclut que les requérantes ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle d’un couple marié.

==> Les conventions internationales

Ni la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, ni le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale de l’ONU le 16 décembre 1966, n’interdisent le mariage des couples de même sexe, même s’ils ne le prévoient pas expressément.

C’est ainsi que de nombreux pays ont déjà pu procéder à cette ouverture, sans contrevenir à leurs engagements internationaux.

De la même manière, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des Libertés fondamentales, dont l’article 12 relatif au « droit au mariage » précise qu’« à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit », ne fait pas obstacle à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.

Ainsi, dans l’affaire Schalk et Kopf c/ Autriche précitée, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé le contexte historique dans lequel la Convention a été adoptée, période au cours de laquelle le mariage était exclusivement compris comme visant l’union d’un homme et d’une femme (§ 55), puis elle a estimé que l’article 12 de la Convention n’interdisait pas le mariage des personnes de même sexe (§ 61) – avant de préciser que rien n’oblige non plus les États parties à légiférer en ce sens.

La Cour s’est aussi fondée sur l’article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, relatif au « Droit de se marier et de fonder une famille » qui précise que « le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice ».

La mention de l’homme et de la femme ne figure ainsi pas à cet article, les rédacteurs ayant tiré les conséquences de l’ouverture envisagée par certains pays du mariage entre personnes de même sexe. Le renvoi aux « lois nationales » permet ainsi de tenir compte de la diversité des législations sur le mariage.

En conclusion, si aucune jurisprudence, ni aucune norme supérieure ne contraignent le législateur français à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe – à tout le moins en l’état de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui pourrait évoluer à terme si un plus grand nombre d’États européens ouvrait ce droit – aucune norme internationale, européenne ou constitutionnelle ne s’oppose à ce que le législateur décide de le faire aujourd’hui.

C’est la raison pour laquelle, lors de l’adoption de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe le législateur n’a rencontré aucun véritable juridique.

De toute évidence, cette loi opère un changement majeur dans l’ordonnancement juridique, ne serait-ce que parce qu’elle confère aux familles homoparentales un statut juridique, alors que, auparavant, elles existaient sans que les droits du parent social – dépourvu de lien de filiation avec l’enfant – ne soient reconnus.

L’opposabilité du secret bancaire au juge (Cass. com. 29 nov. 2017)

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation a considéré qu’une banque ne pouvait pas opposer au juge commercial le secret bancaire afin de se soustraire à l’injonction formulée par une ordonnance sur requête prise sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.

==> Faits

Une société (SICL) régie par le droit des Îles Caïmans, a ouvert un compte dans les livres de la banque BSI Ifabanque, devenue la société IFA

La société SICL a, le 22 mai 2009, effectué un virement bancaire de la somme de 50 000 000 de dollars américains (USD) à partir d’un compte dont elle était titulaire dans une banque à Zurich, vers un autre de ses comptes, ouvert dans les livres de la société BSI Ifabanque, puis, le même jour, a viré cette somme de ce compte sur celui dont une société Delmon Dana était titulaire dans la même banque

Par une décision du 18 septembre 2009, la juridiction compétente des Îles Caïmans a prononcé la liquidation judiciaire de la société SICL et nommé trois liquidateurs qui, agissant ès qualités, ont présenté le 26 juin 2013 au président du tribunal de commerce de Paris une requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile pour que soit désigné un huissier de justice chargé de rechercher des documents permettant d’établir :

  • d’une part, la preuve que le virement fait au profit de la société Delmon Dana avait été réalisée en violation des obligations de la société BSI Ifabanque
  • d’autre part, que cet établissement bancaire, en connaissance de cause, avait facilité la réalisation d’une opération visant à détourner les avoirs de la société SICL, à un moment où sa situation financière était précaire

Le Tribunal de commerce de Paris a accédé à la demande des requérants en rendant un ordonnance le 27 juin 2017 qui prévoyait :

  • En premier lieu, la désignation d’un huissier de justice aux fins de rechercher et se faire remettre un certain nombre de documents et correspondances, y compris électroniques, relatifs aux relations entre les sociétés IFA et SICL, aux virements de 50 000 000 USD apparaissant sur le relevé du mois de mai 2009 du compte bancaire de la société SICL et aux opérations réalisées durant le mois de mai 2009 sur les comptes, autorisant l’huissier de justice à procéder à une copie complète, en deux exemplaires, des fichiers, des disques durs et autres supports de données qui lui paraîtraient en rapport avec la mission confiée, dont une copie placée sous séquestre devait servir de référentiel et ne pas être transmise à la partie requérante et l’autre permettre à l’huissier de justice de procéder, de manière différée, avec l’aide du technicien choisi par lui, à l’ensemble des recherches et analyses visées ci-avant
  • En second lieu, que faute pour les requérants d’assigner en référé les parties visées par les mesures dans un délai de trente jours après l’exécution de celles-ci, le mandataire de justice remettrait les pièces et documents recueillis à la partie dont il les aurait obtenues.

==> Demande

Après que l’huissier de justice a accompli sa mission en juillet 2013, la société SICL a, le 1er août 2013, assigné sa banque par-devant le juge des référés pour qu’il soit ordonné à l’huissier de justice de lui remettre l’intégralité des documents recueillis au cours de l’exécution de la mesure ordonnée et placés sous séquestre

Reconventionnellement, la banque a demandé la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013

Par ordonnance du 30 janvier 2014, le juge des référés a :

  • D’abord, rejeté la demande de la banque tendant à la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013,
  • Ensuite, ordonné la destruction des deux disques durs, de deux DVD et d’un fichier recueillis par l’huissier de justice
  • Enfin, dit qu’un certain nombre de documents papier seraient conservés sous séquestre entre ses mains, jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement par décision de justice, ordonnant à l’huissier de justice de remettre à la société SICL les autres documents papier copiés

La banque a interjeté appel de cette décision

==> Procédure

Par un arrêt du 9 juin 2016, la Cour d’appel de paris a débouté la banque de sa demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 201.

Les juges du fond estiment d’abord que les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce permettent au liquidateur d’une société en liquidation judiciaire d’obtenir, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, communication, notamment par les établissements de crédit, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur

Ils relèvent ensuite que la mission des liquidateurs de la société SICL était la même que celle dont ils auraient été investis s’ils avaient été désignés par une juridiction française

En outre, ils avancent que, en vertu de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la société SICL, représentée par ses liquidateurs, avait le droit de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter effectivement sa cause, y compris ses preuves, devant le juge du fond éventuellement saisi d’une action en responsabilité civile contre la banque, preuves que la société SICL ne pouvait se procurer par d’autres moyens

Le juge des requêtes était, en conséquence, fondé à ordonner les mesures permettant de connaître les conditions du virement litigieux et ses véritables bénéficiaires.

==> Solution

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la banque.

Elle affirme, au soutien de sa décision, que « le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée ».

Elle en déduit que le droit d’information des liquidateurs de la société SICL pouvait s’étendre à des éléments confidentiels dont la banque avait pu avoir connaissance à l’occasion de ses fonctions relatives à la société Delmon Dana ou à tout autre tiers ayant été mêlé au transfert de la somme de 50 000 000 USD puisque ces informations avaient pour objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire.

Ainsi, pour la chambre commerciale, un établissement bancaire ne peut pas opposer le secret bancaire lorsque sa levée est sollicitée dans le cadre d’une action en justice dirigée contre lui.

==> Analyse

La solution adoptée par la Cour de cassation, en l’espèce, s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence antérieure.

Pour mémoire, si conformément à l’article L. 511-33 du Code monétaire et financière les informations détenues par un établissement bancaire sur ses clients dans le cadre de l’exercice de son activité sont couvertes par le secret professionnel, il ne s’agit là en aucun cas d’un principe absolu.

Non seulement cette disposition prévoit un certain nombre de dérogations au secret bancaire, mais encore il faut compter sur d’autres exceptions énoncées en dehors du Code monétaire et financier.

La question s’est ainsi posée pour l’article 10, alinéa 1er du Code civil qui prévoit que « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité », sauf à justifier, précise l’alinéa 2, d’un « motif légitime ».

L’article 11, alinéa 2 du Code de procédure civile précise que « si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime. »

Aussi, la question qui se posait en l’espèce était de savoir si une demande fondée sur l’article 145 (mesure d’instruction in futurum) du Code de procédure civile constituait un motif légitime justifiant la levée du secret bancaire.

Deux situations doivent être distinguées :

  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est un tiers à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère de façon constante que le secret bancaire est opposable au juge civil ou commercial.
    • Le secret bancaire est ainsi considéré comme constituant un motif légitime justifiant une neutralisation de l’application de l’article 10 du Code civil et de l’article 11 du Code de procédure civile.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens notamment dans un arrêt du 13 juin 1995 ( com., 13 juin 1995).
  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est partie à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a également considéré que le secret bancaire constituait un motif légitime susceptible d’être opposé au juge civil et commercial, quand bien même la banque était partie à l’instance.
    • Dans un arrêt du 25 février 2003, la chambre commerciale a jugé en ce sens, au visa des articles L. 511 du Code monétaire et financier et 10 du Code civil, que « le pouvoir du juge civil d’ordonner à une partie ou à un tiers de produire tout document qu’il estime utile à la manifestation de la vérité, est limité par l’existence d’un motif légitime tenant notamment au secret professionnel»
    • Ainsi, dans cette décision, la Cour de cassation estime-t-elle que l’établissement bancaire pouvait se prévaloir du secret bancaire pour ne pas déférer à la demande de production de pièces fût-ce-t-elle formulée par un juge.

Au regard de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation semble retenir, en l’espèce, la solution inverse de celle qui avait été adoptée en 2003.

Est-ce à dire que la chambre commerciale opère un revirement de jurisprudence ? Une lecture attentive des décisions antérieures permet d’en douter.

En effet, lorsque la banque est partie à l’instance, il convient de distinguer selon que l’information couverte par le secret professionnel concerne un tiers ou selon qu’elle est nécessaire, soit à la résolution du litige, soit à sa propre défense :

  • L’information couverte par le secret bancaire concerne un tiers
    • Dans cette hypothèse, il n’est pas douteux que le secret bancaire demeure opposable au juge civil ou commercial, quand bien même la banque est partie à l’instance.
    • La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 25 janvier 2005 ( com., 25 janv. 2005).
  • L’information couverte par le secret bancaire est nécessaire à la résolution du litige ou à la défense de la banque
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a toujours considéré que le secret bancaire ne constituait pas un motif légitime susceptible de faire échec à une injonction du juge.
    • Cette solution a été retenue notamment dans un arrêt du 19 juin 1990 ( com. 19 juin 1990).
    • Plus récemment, elle a estimé que « dès lors qu’il appartient au banquier d’établir l’existence et le montant de la créance dont il réclame le paiement à la caution ou à ses ayants droit, ceux-ci sont en droit d’obtenir la communication par lui des documents concernant le débiteur principal nécessaires à l’administration d’une telle preuve, sans que puisse leur être opposé le secret bancaire» ( com. 16 déc. 2008).

La solution adoptée, en l’espèce, par la chambre commerciale s’inscrit indéniablement dans le second cas de figure.

Les pièces sollicitées auprès de la banque étaient, en effet, nécessaires à la résolution du litige, d’où l’impossibilité pour cette dernière de se prévaloir du secret bancaire.

En conclusion, la présente décision ne constitue nullement un revirement de jurisprudence, mais seulement une confirmation des solutions antérieures.

Cass. com. 29 nov. 2017
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2016), que la Société Saad Investments Company Limited (la société SICL), régie par le droit des Îles Caïmans, a ouvert un compte dans les livres de la société BSI Ifabanque, devenue la société IFA ; que la société SICL a, le 22 mai 2009, effectué un virement bancaire de la somme de 50 000 000 de dollars américains (USD) à partir d’un compte dont elle était titulaire dans une banque à Zurich, vers un autre de ses comptes, ouvert dans les livres de la société BSI Ifabanque, puis, le même jour, a viré cette somme de ce compte sur celui dont une société Delmon Dana était titulaire dans la même banque ; que la juridiction compétente des Îles Caïmans a, le 18 septembre 2009, prononcé la liquidation judiciaire de la société SICL et nommé trois liquidateurs qui, agissant ès qualités, ont présenté le 26 juin 2013 au président du tribunal de commerce de Paris une requête sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile pour que soit désigné un huissier de justice chargé de rechercher des documents permettant d’établir la preuve que le virement fait au profit de la société Delmon Dana avait été réalisé en violation des obligations de la société BSI Ifabanque et que celle-ci, en connaissance de cause, avait facilité la réalisation d’une opération visant à détourner les avoirs de la société SICL, à un moment où sa situation financière était précaire ; qu’une ordonnance du 27 juin 2013 a désigné un huissier de justice, avec pour mission, notamment, de rechercher et se faire remettre un certain nombre de documents et correspondances, y compris électroniques, relatifs aux relations entre les sociétés IFA et SICL, aux virements de 50 000 000 USD apparaissant sur le relevé du mois de mai 2009 du compte bancaire de la société SICL et aux opérations réalisées durant le mois de mai 2009 sur les comptes, autorisant l’huissier de justice à procéder à une copie complète, en deux exemplaires, des fichiers, des disques durs et autres supports de données qui lui paraîtraient en rapport avec la mission confiée, dont une copie placée sous séquestre devait servir de référentiel et ne pas être transmise à la partie requérante et l’autre permettre à l’huissier de justice de procéder, de manière différée, avec l’aide du technicien choisi par lui, à l’ensemble des recherches et analyses visées ci-avant ; que l’ordonnance précisait, en outre, que faute pour les requérants d’assigner en référé les parties visées par les mesures dans un délai de trente jours après l’exécution de celles-ci, le mandataire de justice remettrait les pièces et documents recueillis à la partie dont il les aurait obtenues ; que l’huissier de justice ayant accompli sa mission en juillet 2013, la société SICL a, le 1er août 2013, assigné la société IFA devant le juge des référés pour qu’il soit ordonné à l’huissier de justice de lui remettre l’intégralité des documents recueillis au cours de l’exécution de la mesure ordonnée et placés sous séquestre ; que, reconventionnellement, la société IFA a demandé la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013 ; que, par ordonnance du 30 janvier 2014, le juge des référés a, notamment, rejeté la demande de la société IFA tendant à la rétractation de l’ordonnance du 27 juin 2013, en a modifié certains termes, a ordonné la destruction des deux disques durs, de deux DVD et d’un fichier recueillis par l’huissier de justice et dit qu’un certain nombre de documents papier seraient conservés sous séquestre entre ses mains, jusqu’à ce qu’il en soit décidé autrement par décision de justice, ordonnant à l’huissier de justice de remettre à la société SICL les autres documents papier copiés ; que la société IFA a formé appel de cette décision ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société IFA fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à voir prononcer la rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 2013, d’ordonner à la SCP Chevrier de Zitter et Asperti de remettre à la société SICL, représentée par ses liquidateurs, et à la société IFA un exemplaire du DVD-R dénommé « SAAD-20130711 » incluant le répertoire Export, le sous-répertoire 1 et le fichier « Filelist » de type “Excel”, et contenant 224 éléments, ainsi que la copie des 84 documents papiers, y compris ceux numérotés n° 3, 4, 5, 18, 20, 21, 38, 39, 40, 45, 46, 55, 59, 60, 79, 80, 81 et 82 alors, selon le moyen :

1°/ que le secret professionnel institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ; que l’article L. 622-6, alinéa 3, du code de commerce, applicable en cas de liquidation judiciaire par renvoi de l’article L. 641-4, alinéa 4, du même code, ne permet au liquidateur judiciaire d’une entreprise que d’obtenir les éléments permettant de connaître la situation patrimoniale du débiteur ; qu’en l’espèce, la société IFA faisait valoir que les mesures autorisées par l’ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 27 juin 2013 contrevenaient au secret bancaire dans la mesure où elles permettaient à un huissier d’avoir accès à des documents, sur divers supports, contenant des éléments couverts par le secret professionnel, dans le but de connaître les conditions dans lesquelles avait été exécuté le transfert d’une somme de 50 millions de dollars, créditée le 22 mai 2009 sur le compte de la société SICL dans les livres de la société IFA, et virée le même jour sur un compte appartenant à une société Delmon Dana ; que, pour débouter la société IFA de sa demande de rétractation de cette ordonnance, la cour d’appel a considéré qu’en vertu des articles L. 622-6, alinéa 3 et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce, qui permettent au liquidateur d’une société en liquidation judiciaire d’obtenir, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, communication par les établissements de crédit des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur, les liquidateurs de la société SICL étaient fondés à obtenir communication d’éléments confidentiels dont la société IFA avait pu avoir connaissance à l’occasion de ses fonctions, relatifs à la société Delmon Dana ou à tout autre tiers ayant été mêlé au transfert de la somme de 50 000 000 USD, puisque ces informations avaient pour objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire ; qu’en statuant de la sorte, quand les articles L. 622-6, alinéa 3 et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce n’autorisent le liquidateur judiciaire d’une entreprise qu’à obtenir communication des éléments intéressant la situation patrimoniale du débiteur, non celle d’autres éléments couverts par le secret professionnel du banquier, la cour d’appel a violé ces dispositions, ensemble l’article L. 511-33 du code monétaire et financier et l’article 145 du code de procédure civile ;

2°/ que la procédure collective d’une entreprise de droit étranger est régie par le droit de l’Etat dont dépend cette société ; qu’en jugeant, pour dire que les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce pouvaient être invoqués par la société de droit des îles Caïmans SICL, que les liquidateurs de cette société avaient une mission identique à celle accordée par le code de commerce français au liquidateur judiciaire, pour en déduire que les règles françaises dérogeant au secret bancaire étaient applicables, comme étant celles de l’Etat dans lequel est établie la banque à laquelle les informations couvertes par le secret sont demandées, la cour d’appel a violé les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce, ensemble l’article 3 du code civil ;

3°/ que le secret professionnel institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ; qu’il ne prive pas le titulaire d’un compte bancaire de la possibilité d’établir la preuve d’un fait intéressant le fonctionnement de son compte, mais fait obstacle à la divulgation de tous autres éléments couverts par le secret bancaire ; que pour valider les mesures autorisées par l’ordonnance du 27 juin 2013, la cour d’appel a retenu qu’en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la société SICL avait le droit de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter effectivement sa cause, y compris ses preuves, devant le juge du fond éventuellement saisi d’une action en responsabilité civile à l’encontre de la société IFA, et qu’elle ne disposait d’aucun autre moyen de se procurer les preuves de l’éventuelle exécution fautive du transfert de la somme de 50 millions de dollars au profit de la société Delmon Dana ; qu’en statuant de la sorte, quand le secret professionnel auquel était tenue la société IFA faisait obstacle à ce que des pièces couvertes par celui-ci soient divulguées à des tiers, la société SICL, en qualité de client de la banque, pouvant obtenir communication des informations intéressant le fonctionnement de son compte, la cour d’appel a violé l’article L. 511-33 du code monétaire et financier, ensemble l’article 145 du code de procédure civile ;

4°/ que le secret professionnel institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier constitue un empêchement légitime opposable au juge civil ; qu’en jugeant, par motifs propres et éventuellement adoptés du premier juge, qu’en tout état de cause, le juge des référés ayant rendu l’ordonnance du 27 juin 2013 avait pris soin de prescrire des mesures permettant d’assurer le respect du secret professionnel auquel était astreinte la société IFA, puisqu’il avait prévu, dans un premier temps, la mise sous séquestre des pièces réunies par la SCP Chevrier de Zitter et Asperti et, dans un second temps, une procédure de référé pour qu’il soit statué sur la communication de ces pièces aux parties, la cour d’appel a violé l’article L. 511-33 du code monétaire et financier, ensemble l’article 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée ; qu’après avoir énoncé que les articles L. 622-6, alinéa 3, et L. 641-4, alinéa 4, du code de commerce permettent au liquidateur d’une société en liquidation judiciaire d’obtenir, nonobstant toute disposition législative ou réglementaire contraire, communication, notamment par les établissements de crédit, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation patrimoniale du débiteur, c’est par une interprétation souveraine du droit des Îles Caïmans, non arguée de dénaturation, que l’arrêt retient que, si la procédure de liquidation de la société SICL était régie par la loi de cet Etat, les liquidateurs de cette société avaient une mission identique à celle accordée par le code de commerce français au liquidateur judiciaire et que, dès lors, les règles françaises dérogeant au secret bancaire étaient applicables, comme étant celles de l’Etat dans lequel est établie la banque à laquelle les informations couvertes par le secret étaient demandées ; que l’arrêt retient ensuite qu’en vertu de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la société SICL, représentée par ses liquidateurs, avait le droit de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter effectivement sa cause, y compris ses preuves, devant le juge du fond éventuellement saisi d’une action en responsabilité civile contre la société IFA, preuves que la société SICL ne pouvait se procurer par d’autres moyens ; que de ces énonciations et appréciations, et abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la quatrième branche, la cour d’appel a exactement déduit que le droit d’information des liquidateurs de la société SICL s’étendait à des éléments confidentiels dont la société IFA avait pu avoir connaissance à l’occasion de ses fonctions, relatifs à la société Delmon Dana ou à tout autre tiers ayant été mêlé au transfert de la somme de 50 000 000 USD puisque ces informations avaient pour objet de vérifier les conditions et la régularité de cette opération bancaire et que le juge des requêtes était, en conséquence, fondé à ordonner les mesures permettant de connaître les conditions du virement litigieux et ses véritables bénéficiaires ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur le second moyen :

Attendu que la société IFA fait grief à l’arrêt d’infirmer l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle avait ordonné la destruction des deux disques durs placés sous séquestre entre les mains de la SCP Chevrier de Zitter et Asperti, tout en ordonnant la restitution à la société des deux disques durs placés sous séquestre entre les mains de la SCP Chevrier de Zitter et Asperti alors, selon le moyen :

1°/ que la contradiction entre les motifs et le dispositif d’une décision de justice équivaut à une absence de motifs ; qu’en l’espèce, aux termes des motifs de l’arrêt attaqué la cour d’appel a estimé que « le premier juge a[vait] excédé ses pouvoirs en ordonnant la destruction des deux disques durs appréhendés par l’huissier de justice au cours de sa mission, puisqu’aucune des parties n’avait demandé une telle mesure, la société IFA ayant sollicité la restitution de ces supports informatiques et les liquidateurs de la société SICL en ayant réclamé la communication » ; qu’elle en a déduit que « ce seul motif suffit à justifier l’infirmation de cette disposition de la décision du juge des référés. Toutefois, rien ne s’oppose à ce que les deux disques durs soient restitués à la société IFA » ; que dans le dispositif de sa décision, la cour d’appel a toutefois « infirm[é], dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle : (…) ordonne la destruction des deux disques durs » ; qu’en l’état de cette contradiction entre ses motifs et son dispositif, l’arrêt attaqué a été rendu en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu’est privée de tout fondement la décision de justice affectée d’une contradiction entre deux chefs de son dispositif ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a « infirm[é], dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle : (…) ordonne la destruction des deux disques durs » ; qu’en statuant de la sorte, tout en ordonnant « la restitution à la société IFA des deux disques durs placés sous séquestre entre les mains de la SCP Chevrier de Zitter et Asperti », la cour d’appel s’est contredite, violant ainsi l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d’une part, que c’est à la suite d’une simple erreur matérielle, que la Cour de cassation est en mesure de rectifier au vu des autres énonciations de l’arrêt, que cette décision, dans son dispositif, a infirmé, dans la limite de l’appel auquel MM. X... et Y... n’étaient pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle (…) ordonne la destruction des deux disques durs, cependant que, dans les motifs de sa décision, la cour d’appel a retenu que le premier juge avait excédé ses pouvoirs en ordonnant la destruction des deux disques durs appréhendés par l’huissier de justice au cours de sa mission, puisqu’aucune des parties n’avait demandé une telle mesure, la société IFA ayant sollicité la restitution de ces supports informatiques et les liquidateurs de la société SICL en ayant réclamé la communication ; que ce seul motif suffisait à justifier l’infirmation de cette disposition de la décision du juge des référés et que rien ne s’opposait à ce que les deux disques durs soient restitués à la société IFA, puisqu’ils ne contenaient pas d’informations correspondant à la mission de l’huissier de justice ;

Et attendu, d’autre part, que la rectification de cette erreur matérielle a pour conséquence de supprimer la contradiction interne au dispositif de l’arrêt et de rendre le grief de la seconde branche sans portée ;

D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Réparant l’erreur matérielle affectant l’arrêt attaqué, dit que, dans le dispositif de celui-ci, au lieu de « infirme, dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle déboute la société IFA de sa demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 2013, ordonne la destruction des deux disques durs », il faut lire « infirme, dans la limite de l’appel auquel M. X... et M. Y... ne sont pas parties, l’ordonnance rendue le 30 janvier 2014 par le juge des référés du tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu’elle déboute la société IFA de sa demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 27 juin 2013 » ;

Cass. com. 25 févr. 2003
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) ayant, dans l'ignorance du décès de Fetta X... survenu le 6 mars 1993, continué à virer jusqu'en décembre 1993 les arrérages de sa retraite sur le compte dont elle titulaire à la BNP-PARIBAS (la banque), a demandé à cette dernière de lui communiquer les coordonnées de la personne ayant procuration sur le compte, aux fins de restitution de l'indu ; que la banque lui ayant opposé le secret professionnel, la CNAV a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale qui a fait droit à ses prétentions ; que la cour d'appel, après avoir annulé le jugement, a ordonné la communication sollicitée ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il a fait alors, selon le moyen, que la cour d'appel a constaté que les mesures sollicitées par la CNAV l'étaient en vue de diligenter postérieurement une procédure en répétition de l'indu ; que de telles mesures relèvent du seul pouvoir du juge des référés ; qu'en s'abstenant de tirer les conséquences de son analyse concernant l'étendue de ses propres prérogatives, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir au mépris de l'article 79, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'il résulte de l'arrêt et des conclusions de la BNP-PARIBAS que celle-ci avait demandé à la cour d'appel de faire application des dispositions de l'article 79 du nouveau Code de procédure civile et d'infirmer le jugement déféré, d'où il suit que le moyen qui repose sur une prétention contraire à celle exprimée dans les écritures d'appel et critique une disposition de l'arrêt qui a fait droit à la demande, est irrecevable ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 57 de la loi du 24 janvier 1984, devenu l'article L. 511 du Code monétaire et financier, et l'article 10 du Code civil ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que le pouvoir du juge civil d'ordonner à une partie ou à un tiers de produire tout document qu'il estime utile à la manifestation de la vérité, est limité par l'existence d'un motif légitime tenant notamment au secret professionnel ;

Attendu que, pour faire droit à la demande de la CNAV, la cour d'appel retient que le secret professionnel institué par l'article 57 de la loi du 24 janvier 1984 ne constitue pas un empêchement légitime opposable à cet organisme dès lors que les seuls renseignements sollicités étaient relatifs à l'identité de la ou des personnes qui, après le décès de la titulaire du compte, l'avaient fait fonctionner ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la production ordonnée se heurtait aux règles légales sur le secret bancaire auquel est tenu un établissement de crédit, qui ne cesse pas avec la disparition de la personne qui en bénéficie et s'étend aux personnes qui ont eu le pouvoir de faire fonctionner le compte, et qui constitue un empêchement légitime opposable au juge civil, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile, les faits tels qu'ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, permettant à la Cour de Cassation de mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que l'arrêt a fait droit à la demande de communication de renseignements de la CNAV, l'arrêt rendu le 11 septembre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande de la Caisse nationale d'assurance vieillesse ;

Condamne la Caisse nationale d'assurance vieillesse aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de la BNP-PARIBAS et de la Caisse nationale d'assurance vieillesse ;

Dit que les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. Métivet , conseiller le plus ancien qui en a délibéré, en remplacement du président en son audience publique du vingt-cinq février deux mille trois.

TEXTES

Code monétaire et financier

Article 511-33

I – Tout membre d’un conseil d’administration et, selon le cas, d’un conseil de surveillance et toute personne qui à un titre quelconque participe à la direction ou à la gestion d’un établissement de crédit, d’une société de financement ou d’un organisme mentionné aux 5 et 8 de l’article L. 511-6 ou qui est employée par l’un de ceux-ci est tenu au secret professionnel.

Outre les cas où la loi le prévoit, le secret professionnel ne peut être opposé ni à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ni à la Banque de France ni à l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, ni à l’Institut d’émission d’outre-mer, ni à l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale, ni aux commissions d’enquête créées en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent par ailleurs communiquer des informations couvertes par le secret professionnel, d’une part, aux agences de notation pour les besoins de la notation des produits financiers et, d’autre part, aux personnes avec lesquelles ils négocient, concluent ou exécutent les opérations ci-après énoncées, dès lors que ces informations sont nécessaires à celles-ci :

1° Opérations de crédit effectuées, directement ou indirectement, par un ou plusieurs établissements de crédit ou sociétés de financement ;

2° Opérations sur instruments financiers, de garanties ou d’assurance destinées à la couverture d’un risque de crédit ;

3° Prises de participation ou de contrôle dans un établissement de crédit, une entreprise d’investissement ou une société de financement ;

4° Cessions d’actifs ou de fonds de commerce ;

5° Cessions ou transferts de créances ou de contrats ;

6° Contrats de prestations de services conclus avec un tiers en vue de lui confier des fonctions opérationnelles importantes ;

7° Lors de l’étude ou l’élaboration de tout type de contrats ou d’opérations, dès lors que ces entités appartiennent au même groupe que l’auteur de la communication.

Lors d’opérations sur contrats financiers, les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent également communiquer des informations couvertes par le secret professionnel, lorsqu’une législation ou une réglementation d’un Etat qui n’est pas membre de l’Union européenne prévoit la déclaration de ces informations à un référentiel central. Lorsque ces informations constituent des données à caractère personnel soumises à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, leur transmission doit s’effectuer dans les conditions prévues par la même loi.

Outre les cas exposés ci-dessus, les établissements de crédit et les sociétés de financement peuvent communiquer des informations couvertes par le secret professionnel au cas par cas et uniquement lorsque les personnes concernées leur ont expressément permis de le faire.

Les personnes recevant des informations couvertes par le secret professionnel, qui leur ont été fournies pour les besoins d’une des opérations ci-dessus énoncées, doivent les conserver confidentielles, que l’opération susvisée aboutisse ou non. Toutefois, dans l’hypothèse où l’opération susvisée aboutit, ces personnes peuvent à leur tour communiquer les informations couvertes par le secret professionnel dans les mêmes conditions que celles visées au présent article aux personnes avec lesquelles elles négocient, concluent ou exécutent les opérations énoncées ci-dessus.

II – Le personnel des établissements de crédit, des sociétés de financement, des compagnies financières holding, des compagnies financières holding mixtes et des entreprises mères de société de financement soumis au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ainsi que le personnel des prestataires externes de ces personnes, peuvent signaler à l’Autorité les manquements et infractions potentiels ou avérés au règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, aux dispositions du présent titre et du titre III du présent livre ou d’un règlement pris pour leur application ou de toute autre disposition législative ou réglementaire dont la méconnaissance entraîne celle des dispositions précitées. Les signalements sont faits sous forme écrite et accompagnés de tout élément de nature à établir la réalité des faits signalés.

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution recueille les signalements dans des conditions qui garantissent la protection des personnes signalant les manquements, notamment en ce qui concerne leur identité, et la protection des données à caractère personnel relatives aux personnes concernées par les signalements.

De l’irrecevabilité de la tierce opposition formée par le Commissaire à l’exécution du plan à l’encontre du jugement statuant sur la résolution du plan (Cass. Com. 29 nov. 2017)

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation précise le régime juridique des voies de recours ouvertes à l’encontre du jugement statuant sur la résolution du plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

==> Faits

Une société est placée en redressement judiciaire par jugement du 18 novembre 2002.

Alors que le 6 septembre 2004 elle avait bénéficié de l’arrêt d’un plan, elle est assignée en redressement judiciaire par l’URSSAF

==> Demande

Le commissaire à l’exécution du plan forme une tierce opposition au jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

==> Procédure

Par un arrêt du 31 mars 2016, la Cour d’appel de Pau déclare la tierce opposition formée par le commissaire à l’exécution du plan.

Les juges du fond constatent que le redressement judiciaire a été ouvert sur assignation de l’URSSAF, pour défaut de paiement de créances nées postérieurement à l’adoption du plan, sans référence à l’existence de celui-ci et sans que le commissaire à son exécution n’ait été appelé à l’instance.

Ils en déduisent que ce dernier, qui représente l’intérêt collectif des créanciers appelés au plan, est un tiers au jugement d’ouverture et que la voie de l’appel lui étant fermée, sa tierce opposition est recevable.

==> Solution

Par un arrêt du 29 novembre 2017, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel.

Elle justifie sa décision en relevant :

  • d’une part, que l’ouverture d’une procédure collective pendant l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement emporte la résolution du plan.
  • d’autre part, que toute décision prononçant la résolution du plan est susceptible d’appel de la part du commissaire à l’exécution de celui-ci.

Fort de ce constat, la chambre commerciale en conclut que le commissaire à l’exécution était bien irrecevable à en former tierce opposition.

==> Analyse

Pour mémoire, l’article L. 626-27, I du Code de commerce prévoit que la résolution du plan peut intervenir dans deux hypothèses :

  • Soit en cas d’inexécution des engagements pris par le débiteur
    • Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le débiteur n’exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan.
  • Soit en cas de survenance d’un état de cessation des paiements
    • Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l’exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire.

Tandis que la première cause de résolution du plan est facultative, en ce sens que le juge n’est pas tenu par le constat de l’inexécution des engagements du débiteur, la cessation des paiements entraîne, à l’inverse, de plein droit, la résolution du plan.

Le litige soumis à la Cour de cassation en l’espèce portait sur cette seconde cause de résolution du plan.

Plus précisément, la question se posait de savoir si le Commissaire à l’exécution du plan était recevable à former tierce opposition au jugement prononçant la résolution.

Plusieurs règles sont applicables au prononcé de ce jugement :

  • Contenu du jugement
    • Lorsque le tribunal décide la résolution du plan en application du troisième alinéa du I de l’article L. 626-27, il ouvre, dans le même jugement, une procédure, selon le cas, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire du débiteur.
  • Notification du jugement
    • Le jugement est signifié à la diligence du greffier dans les huit jours de son prononcé aux personnes qui ont qualité pour interjeter appel, à l’exception du ministère public.
    • Il est communiqué aux personnes mentionnées à l’article R. 621-7, soit
      • Aux mandataires de justice désignés ;
      • Au procureur de la République ;
      • Au directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques du département dans lequel le débiteur a son siège et à celui du département où se trouve le principal établissement.
  • Publicité
    • Le jugement qui décide la résolution du plan fait l’objet des publicités prévues à l’article R. 621-8.
    • Le greffier doit ainsi informer la personne chargée de réaliser l’inventaire de sa désignation par tout moyen.
  • Voies de recours
    • Initialement, les dispositions de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises relatives aux voies de recours en matière de sauvegarde ne visaient pas expressément le jugement prononçant la résolution du plan.
    • Toutefois, dans la mesure où la résolution du plan impliquait nécessairement l’ouverture d’une procédure collective, il suffisait de transposer au jugement de résolution, le régime des voies de recours applicable au jugement d’ouverture.
    • L’ordonnance du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté est venue combler ce vide en introduisant un 8° à l’article L. 661-1, dans le Code de commerce.
    • Cette disposition dispose que « sont susceptibles d’appel ou de pourvoi en cassation […] les décisions statuant sur la résolution du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du comité d’entreprise ou, à défaut des délégués du personnel, du créancier poursuivant et du ministère public. »
    • L’article L. 661-1, 8° désigne comme personnes ayant qualité à agir notamment
      • Le débiteur
      • Le Commissaire à l’exécution du plan
      • Le Comité d’entreprise
      • À défaut de CE, les représentants du personnel
      • Le créancier poursuivant
      • Le ministère civil
    • Ainsi, contrairement à ce qui avait été décidé par la Cour d’appel de Pau, le Commissaire à l’exécution du plan avait bien qualité à agir pour interjeter appel du jugement statuant sur la résolution du plan.
    • Quant à la tierce opposition, conformément à l’article L. 661-3 du Code de commerce, elle est seulement ouverte en cas de décision arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution de ce plan.
    • À l’inverse, l’alinéa 3 de cette disposition précise qu’il ne peut être exercé de tierce opposition contre les décisions rejetant l’arrêté ou la modification du plan de sauvegarde ou de redressement ou prononçant la résolution de ce plan.
    • En l’espèce, le Commissaire au plan ayant qualité à agir pour interjeter appel du jugement statuant sur la résolution du plan, la voie de la tierce opposition lui était en toute hypothèse fermée.
    • La solution adoptée par la Cour de cassation doit, en conséquence, être approuvée.

Cass. com. 29 nov. 2017
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles L. 626-27, L. 661-1, 8° et L. 661-3, alinéa 2 , du code de commerce ;

Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que l’ouverture d’une procédure collective pendant l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement emporte la résolution du plan ; qu’en application du deuxième, toute décision prononçant la résolution du plan est susceptible d’appel de la part du commissaire à l’exécution de celui-ci ; que le commissaire à l’exécution est irrecevable à en former tierce opposition ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Eléments, mise en redressement judiciaire le 18 novembre 2002, a bénéficié d’un plan arrêté le 6 septembre 2004, M. X... étant désigné commissaire à l’exécution du plan, ultérieurement remplacé par la société Y... (le commissaire à l’exécution du plan) ; que le tribunal, sur assignation de l’URSSAF Midi-Pyrénées, a ouvert le redressement judiciaire de la société Eléments ; que le commissaire à l’exécution du plan a formé tierce-opposition à ce jugement ;

Attendu que, pour déclarer la tierce opposition du commissaire à l’exécution du plan recevable, l’arrêt relève que le redressement judiciaire a été ouvert sur assignation de l’URSSAF, pour défaut de paiement de créances nées postérieurement à l’adoption du plan, sans référence à l’existence de celui-ci et sans que le commissaire à son exécution n’ait été appelé à l’instance, et en déduit que ce dernier, qui représente l’intérêt collectif des créanciers appelés au plan, est un tiers au jugement d’ouverture et que la voie de l’appel lui étant fermée, sa tierce opposition est recevable ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré à la partie en demande ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 31 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

TEXTES

Code de commerce

Article L. 626-27

I ? En cas de défaut de paiement des dividendes par le débiteur, le commissaire à l’exécution du plan procède à leur recouvrement conformément aux dispositions arrêtées. Il y est seul habilité. Lorsque le commissaire à l’exécution du plan a cessé ses fonctions, tout intéressé peut demander au tribunal la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de procéder à ce recouvrement.

Le tribunal qui a arrêté le plan peut, après avis du ministère public, en décider la résolution si le débiteur n’exécute pas ses engagements dans les délais fixés par le plan.

Lorsque la cessation des paiements du débiteur est constatée au cours de l’exécution du plan, le tribunal qui a arrêté ce dernier décide, après avis du ministère public, sa résolution et ouvre une procédure de redressement judiciaire ou, si le redressement est manifestement impossible, une procédure de liquidation judiciaire.

Le jugement qui prononce la résolution du plan met fin aux opérations et à la procédure lorsque celle-ci est toujours en cours. Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 626-19, il fait recouvrer aux créanciers l’intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, et emporte déchéance de tout délai de paiement accordé.

II ? Dans les cas mentionnés aux deuxième et troisième alinéas du I, le tribunal est saisi par un créancier, le commissaire à l’exécution du plan ou le ministère public.

III. ? Après résolution du plan et ouverture d’une nouvelle procédure par le même jugement ou par une décision ultérieure constatant que cette résolution a provoqué l’état de cessation des paiements, les créanciers soumis à ce plan ou admis au passif de la première procédure sont dispensés de déclarer leurs créances et sûretés. Les créances inscrites à ce plan sont admises de plein droit, déduction faite des sommes déjà perçues. Bénéficient également de la dispense de déclaration, les créances portées à la connaissance de l’une des personnes mentionnées au IV de l’article L. 622-17 dans les conditions prévues par ce texte.

Article L. 661-1

I.-Sont susceptibles d’appel ou de pourvoi en cassation :

1° Les décisions statuant sur l’ouverture des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire de la part du débiteur, du créancier poursuivant et du ministère public ;

2° Les décisions statuant sur l’ouverture de la liquidation judiciaire de la part du débiteur, du créancier poursuivant, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public ;

3° Les décisions statuant sur l’extension d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou sur la réunion de patrimoines de la part du débiteur soumis à la procédure, du débiteur visé par l’extension, du mandataire judiciaire ou du liquidateur, de l’administrateur et du ministère public ;

4° Les décisions statuant sur la conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire et du ministère public ;

5° Les décisions statuant sur le prononcé de la liquidation judiciaire au cours d’une période d’observation de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public ;

6° Les décisions statuant sur l’arrêté du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public, ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l’article L. 626-34-1 ;

6° bis Les décisions statuant sur la désignation d’un mandataire prévue au 1° de l’article L. 631-19-2 et sur la cession de tout ou partie de la participation détenue dans le capital prévue au 2° du même article, de la part du débiteur, de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ou, à défaut, du représentant des salariés mentionné à l’article L. 621-4, des associés ou actionnaires parties à la cession ou qui ont refusé la modification du capital prévue par le projet de plan et des cessionnaires ainsi que du ministère public ;

7° Les décisions statuant sur la modification du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel et du ministère public, ainsi que de la part du créancier ayant formé une contestation en application de l’article L. 626-34-1 ;

8° Les décisions statuant sur la résolution du plan de sauvegarde ou du plan de redressement de la part du débiteur, du commissaire à l’exécution du plan, du comité d’entreprise ou, à défaut des délégués du personnel, du créancier poursuivant et du ministère public.

II.-L’appel du ministère public est suspensif, à l’exception de celui portant sur les décisions statuant sur l’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire.

III.-En l’absence de comité d’entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exerce les voies de recours ouvertes à ces institutions par le présent article.

Article L. 661-3

Les décisions arrêtant ou modifiant le plan de sauvegarde ou de redressement ou rejetant la résolution de ce plan sont susceptibles de tierce opposition.

Le jugement statuant sur la tierce opposition est susceptible d’appel et de pourvoi en cassation de la part du tiers opposant.

Il ne peut être exercé de tierce opposition contre les décisions rejetant l’arrêté ou la modification du plan de sauvegarde ou de redressement ou prononçant la résolution de ce plan.

Ensembles contractuels: la position de la Cour de cassation à l’aune de la réforme des obligations: (Cass. com. 12 juill. 2017)

Dans deux arrêts rendus le 12 juillet 2017, la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences de la résiliation de contrats qui concouraient à la réalisation d’une même opération économique.

Première espèce

  • Faits
    • Une SCI de notaires a conclu avec un prestataire de services un contrat de fourniture et d’entretien de photocopieurs pour une durée de soixante mois
    • Le même jour, elle souscrit auprès d’un établissement bancaire un contrat de location financière de ces matériels
    • Un peu plus tard, la SCI décide finalement de résilier ce dernier contrat
    • Aussi, en informe-t-elle, dans la foulée, le prestataire
  • Demande
    • En réaction, celui-ci assigne en paiement de l’indemnité contractuelle de résiliation anticipée son client
    • La SCI lui oppose la caducité du contrat de prestations de services, conséquence de la résiliation du contrat de location financière
  • Procédure
    • Par un arrêt du 30 septembre 2015, la Cour d’appel de Bordeaux fait droit à la demande du prestataire et condamne la SCI au paiement de l’indemnité de résiliation
    • Les juges du fond considèrent que
      • d’une part, les conditions générales du contrat de location ne font dépendre ni la conclusion, ni l’exécution, ni la résiliation du contrat d’un quelconque contrat de service, lequel a été conclu indépendamment du contrat de location financière puisqu’aucune clause du contrat de location du matériel ne fait référence à l’obligation pour le souscripteur de conclure un contrat d’entretien pour celui-ci, ni ne fait dépendre les conditions de résiliation du contrat de location de celles du contrat d’entretien
      • d’autre part, que le contrat de services pouvait être passé sur un matériel différent de celui qui a fait l’objet du contrat de location, de sorte qu’il n’en constitue pas l’accessoire
    • La Cour d’appel en déduit que les deux conventions, qui avaient une existence propre et étaient susceptibles d’exécution indépendamment l’une de l’autre, ne peuvent pas être considérées comme s’inscrivant dans une opération unique au sein de laquelle l’anéantissement de l’un des contrats aurait eu pour effet de priver l’autre de cause

Cass. com. 12 juill. 2017
Première espèce
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le 12 avril 2006, la société civile professionnelle de notaires Michel X..., Jean Y..., Claude Y... (la SCP) a conclu avec la société Konica Minolta Business solutions France (la société Konica Minolta) un contrat de fourniture et d’entretien de photocopieurs pour une durée de soixante mois ; que le même jour, elle a souscrit avec la société BNP Paribas Lease Group un contrat de location financière de ces matériels ; qu’ayant résilié ce dernier contrat, la SCP a informé la société Konica Minolta de sa décision de résilier le contrat de prestations de services ; que la société Konica Minolta l’a assignée en paiement de l’indemnité contractuelle de résiliation anticipée ; que la SCP a opposé la caducité du contrat de prestations de services, en conséquence de la résiliation du contrat de location financière ;

Attendu que pour condamner la SCP au paiement de cette indemnité, l’arrêt retient que les conditions générales du contrat de location ne font dépendre ni la conclusion, ni l’exécution, ni la résiliation du contrat d’un quelconque contrat de service, lequel a été conclu indépendamment du contrat de location financière puisqu’aucune clause du contrat de location du matériel ne fait référence à l’obligation pour le souscripteur de conclure un contrat d’entretien pour celui-ci, ni ne fait dépendre les conditions de résiliation du contrat de location de celles du contrat d’entretien ; que l’arrêt retient encore que le contrat de services pouvait être passé sur un matériel différent de celui qui a fait l’objet du contrat de location, de sorte qu’il n’en constitue pas l’accessoire ; qu’il en déduit que les deux conventions, qui avaient une existence propre et étaient susceptibles d’exécution indépendamment l’une de l’autre, ne peuvent pas être considérées comme s’inscrivant dans une opération unique au sein de laquelle l’anéantissement de l’un des contrats aurait eu pour effet de priver l’autre de cause ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté, par motifs propres et adoptés, que la SCP avait conclu, le même jour, un contrat de prestations de services portant sur des photocopieurs avec la société Konica Minolta et, par l’intermédiaire de cette dernière, un contrat de location financière correspondant à ces matériels avec la société BNP Paribas Lease Group, ce dont il résulte que ces contrats, concomitants et s’inscrivant dans une opération incluant une location financière, étaient interdépendants, et que la résiliation de l’un avait entraîné la caducité de l’autre, excluant ainsi l’application de la clause du contrat caduc stipulant une indemnité de résiliation, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 septembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Poitiers ;

Seconde espèce

  • Faits
    • Le 23 avril 2007, une société a conclu un contrat de prestation de surveillance électronique avec un prestataire, qui a fourni et installé le matériel nécessaire, d’une durée de quarante-huit mois renouvelable
    • Le 2 mai suivant, la société cliente a souscrit un contrat de location portant sur ce matériel auprès d’un bailleur, d’une durée identique, moyennant le paiement d’une redevance mensuelle
    • Avant l’échéance du terme des contrats, la société preneuse a obtenu, en accord avec le bailleur, la résiliation du contrat de location, en s’engageant à payer les échéances à échoir
  • Demande
    • Estimant qu’en l’absence de résiliation, le contrat de prestation de services avait été reconduit au terme de la période initiale, le prestataire a vainement mis en demeure sa cliente d’accepter l’installation d’un nouveau matériel ou de payer l’indemnité contractuelle de résiliation anticipée, avant de l’assigner en paiement de cette indemnité
  • Procédure
    • Par un arrêt du 8 avril 2015, la Cour d’appel de Nancy fait droit à la demande du prestataire et condamne la société cliente au paiement de l’indemnité contractuelle de résiliation
    • Les juges du fond infirment la décision rendue en première instance considérant que c’est à tort que les premiers juges ont estimé que l’indivisibilité entre les contrats en cause permettait de considérer que la résiliation anticipée du contrat de location avait nécessairement provoqué la résiliation du contrat de prestation de services, dès lors qu’il ressort des énonciations mêmes de ce dernier contrat, conclu pour une durée fixe et irrévocable, qu’une telle résiliation était contraire à la loi convenue entre les parties

Cass. com. 12 juill. 2017
Seconde espèce
Sur le moyen unique :

Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que, lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 23 avril 2007, la société Baur a conclu un contrat de prestation de surveillance électronique avec la société Diffus’Est, qui a fourni et installé le matériel nécessaire, d’une durée de quarante-huit mois renouvelable ; que le 2 mai suivant, la société Baur a souscrit un contrat de location portant sur ce matériel auprès de la société Grenke location (la société Grenke), d’une durée identique, moyennant le paiement d’une redevance mensuelle ; qu’avant l’échéance du terme des contrats, la société Baur a obtenu, en accord avec le bailleur, la résiliation du contrat de location, en s’engageant à payer les échéances à échoir ; qu’estimant qu’en l’absence de résiliation, le contrat de prestation de services avait été reconduit au terme de la période initiale, la société Diffus’Est a vainement mis en demeure la société Baur d’accepter l’installation d’un nouveau matériel ou de payer l’indemnité contractuelle de résiliation anticipée, avant de l’assigner en paiement de cette indemnité ;

Attendu que, pour condamner la société Baur au paiement de l’indemnité prévue à l’article 12 du contrat de prestation souscrit auprès de la société Diffus’Est, l’arrêt retient que c’est à tort que les premiers juges ont estimé que l’indivisibilité entre les contrats en cause permettait de considérer que la résiliation anticipée du contrat de location avait nécessairement provoqué la résiliation du contrat de prestation de services, dès lors qu’il ressort des énonciations mêmes de ce dernier contrat, conclu pour une durée fixe et irrévocable, qu’une telle résiliation était contraire à la loi convenue entre les parties ;

Qu’en statuant ainsi, après avoir relevé, d’abord, que les contrats litigieux s’inscrivaient dans un même ensemble contractuel, ensuite, que le contrat de location conclu avec la société Grenke avait été résilié avant le terme initial, ce dont il résulte que, ces deux contrats étant interdépendants, cette résiliation avait entraîné la caducité, par voie de conséquence, du contrat de prestation conclu entre la société Baur et la société Diffus’Est, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 8 avril 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz ;

SOLUTION COMMUNE

Par deux arrêts rendus en date du 12 juillet 2017, la Cour de cassation casse et annule les arrêts rendus par les Cours d’appel de Bordeaux et de Nancy au visa de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016.

  • Dans le premier arrêt, la Cour de cassation considère que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute»[1].
  • Dans le second arrêt, la Chambre commerciale juge pareillement que « lorsque des contrats sont interdépendants, la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faute»[2].

Quels enseignements tirer de ces deux arrêts ? Ils sont au nombre de trois :

I) Premier enseignement

Dans ces deux arrêts, la Cour de cassation confirme sa volonté de faire de l’indivisibilité contractuelle une notion autonome, détachée des fondements de cause, de condition ou encore de théorie de l’accessoire comme elle s’était employée à le faire dans le courant des années 1990 (V. notamment en ce sens Cass. com. 7 avr. 1987 ; Cass. 3e cvi. 3 mars 1993 ; Cass. com. 4 avr. 1995).

En témoigne le visa de l’ancien article 1134 du code civil.

Celui-ci suggère, en effet, que la chambre commerciale a entendu fonder le concept d’ensemble contractuel sur la seule force obligatoire du contrat.

II) Deuxième enseignement

L’approche retenue par la Cour de cassation en l’espèce s’inscrit dans le droit fil de la position qu’elle avait adoptée dans deux arrêts rendus le 17 mai 2013.

Pour mémoire, la chambre mixte avait estimé, sensiblement dans les mêmes termes, que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants » de sorte que « sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance » (Cass. ch. Mixte, 17 mai 2013).

Ces deux décisions avaient été analysées comme retenant une approche objective de la notion d’indivisibilité, en ce sens que l’existence d’une indivisibilité entre plusieurs contrats doit être appréciée, non pas au regard de la volonté des parties (approche subjective), mais en considération de la convergence de l’objet de chaque contrat.

Cette interprétation devait toutefois être tempérée par la précision « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière »

Certains auteurs avaient déduit de cette précision que la Cour de cassation avait voulu cantonner sa position aux seuls ensembles contractuels au sein desquels figurait un contrat de location financière.

Dans les autres cas, la volonté des parties devrait, dès lors, toujours prévaloir sur l’économie générale du contrat.

Comment interpréter la solution retenue en l’espèce par la chambre commerciale?

La lecture des faits révèle que l’un des deux arrêts portait sur un ensemble contractuel qui ne comprenait pas de contrat de location financière.

Il s’agissait d’une simple opération associant un contrat d’entreprise à un contrat de location simple.

Peut-on en déduire que la Cour de cassation a entendu étendre la solution qu’elle avait adoptée en 2013 à tous les ensembles contractuels ?

Autrement dit, s’est-elle finalement décidée à ériger en principe général la conception objective de l’indivisibilité ?

Cela est, nous semble-t-il, peu probable si l’on interprète ces deux décisions à la lumière de la réforme du droit des obligations.

La réforme des obligations engagée en 2016 a fourni l’occasion au législateur de faire rentrer dans le Code civil le concept d’ensemble contractuel.

Le nouvel article 1186 du Code civil prévoit ainsi à son alinéa 2 que « lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. »

Aussi, ressort-il de cette disposition que le législateur a combiné le critère objectif et le critère subjectif pour définir l’indivisibilité.

  • Le critère objectif
    • La reconnaissance d’une indivisibilité suppose :
      • D’une part, que plusieurs contrats aient été « nécessaires à la réalisation d’une même opération»
      • D’autre part, que l’un d’eux ait disparu
      • Enfin, que l’exécution ait été « rendue impossible par cette disparition»
    • Ces trois éléments doivent être établis pour que le premier critère objectif soit rempli, étant précisé qu’ils sont exigés cumulativement.
  • Le critère subjectif
    • Principe
      • La deuxième partie de l’alinéa 2 de l’article 1186 précise que l’indivisibilité peut encore être établie dans l’hypothèse où les contrats « pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie»
      • Ainsi l’indivisibilité contractuelle peut-elle résulter, en plus de l’économie générale de l’opération, de la volonté des parties.
      • Dès lors, que les contractants ont voulu rendre plusieurs contrats indivisibles, le juge est tenu d’en tirer toutes les conséquences qu’en aux événements susceptibles d’affecter l’un des actes composant l’ensemble.
    • Condition
      • L’alinéa 3 de l’article 1186 du Code civil pose une condition à l’application du critère subjectif
      • Aux termes de cette disposition, « la caducité n’intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’il a donné son consentement. »
      • L’anéantissement des contrats liés au contrat affecté par une cause de disparition est donc subordonné à la connaissance par les différents cocontractants de l’existence de l’ensemble, soit que les contrats auxquels ils sont parties, concourraient à la réalisation d’une même opération économique.

III) Troisième enseignement

Le troisième et dernier enseignement que l’on peut retirer des deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 12 juillet 2017 aux effets de l’indivisibilité.

La chambre commerciale nous indique, en effet, que, en cas d’interdépendance de plusieurs contrats « la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres ».

Cette affirmation est particulièrement intéressante si l’on se remémore que, en plus de s’être longuement interrogé sur les fondements et les critères de la notion d’indivisibilité, la jurisprudence a éprouvé un certain nombre de difficultés à en déterminer les effets ?

Plusieurs sanctions ont été envisagées en cas de reconnaissance d’une indivisibilité contractuelle :

  • La nullité
    • Telle a été la solution retenue dans un arrêt du 18 juin 1991, la chambre commerciale ayant validé la décision d’une Cour d’appel pour avoir « souverainement, estimé que les commandes émanant de cette société, bien que passées distinctement en deux lots, n’en étaient pas moins, au su de la société BP Conseils, déterminées par des considérations globales de coûts et, comme telles, indivisibles ; que, par ces seuls motifs, elle a pu décider que l’importante majoration de prix, que la société BP Conseils a tenté d’imposer a posteriori sur le dernier lot, remettait en cause les considérations communes sur le prix total et justifiait une annulation des deux commandes» ( com. 18 juin 1991)
  • La résolution
    • Dans les arrêts du 10 septembre 2015, la Cour de cassation considère que la résolution de la vente emportait la résolution du contrat de prêt ( 1ère civ., 10 sept. 2015, n° 14-17.772)
    • À l’instar de la nullité la résolution d’un acte est assortie d’un effet rétroactif, de sorte que l’anéantissement en cascade des contrats appartenant à l’ensemble donnera lieu à des restitutions.
  • La résiliation
    • Dans d’autres décisions, la Cour de cassation a retenu comme sanction de l’anéantissement du contrat principal la résiliation des actes auxquels il était lié.
    • Elle a notamment statué en ce sens dans les arrêts Sedri du 4 avril 1995.
    • Dans l’un d’eux, elle a considéré par exemple que la cessation des services promis par la société Sedri entraînait résiliation du contrat de location du matériel et du logiciel souscrit concomitamment par son cocontractant ( com. 4 avr. 1995).
  • La caducité
    • Dans plusieurs arrêts la Cour de cassation a retenu la caducité pour sanctionner l’anéantissement d’un contrat appartenant à un ensemble.
    • Dans une décision du 1er juillet 1997 elle a décidé en ce sens que « l’annulation du contrat de vente avait entraîné la caducité du prêt» ( 1ère civ. 1èr juill. 1997).
    • Cette solution a été réitérée dans un arrêt du 4 avril 2006 à l’occasion duquel la première chambre civile a estimé « qu’ayant souverainement retenu que les deux conventions constituaient un ensemble contractuel indivisible, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la résiliation du contrat d’exploitation avait entraîné la caducité du contrat d’approvisionnement» ( 1ère civ. 4 avr. 2006).
    • La chambre commerciale s’est prononcée dans le même sens dans un arrêt du 5 juin 2007.
    • Dans cette décision, elle a jugé que « alors que la résiliation des contrats de location et de maintenance n’entraîne pas, lorsque ces contrats constituent un ensemble contractuel complexe et indivisible, la résolution du contrat de vente mais seulement sa caducité» ( com. 5 juin 2007).

Manifestement, il apparaît que dans les deux arrêts rendus en l’espèce la Cour de cassation a opté pour la dernière option, soit pour la caducité.

Faut-il s’en réjouir ? Indépendamment de l’opportunité de cette sanction, elle est conforme à la solution retenue par le législateur.

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit un article 1186 dans le Code civil qui prévoit en son alinéa 1er que « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. »

Enfin, il peut être observé que, la Cour de cassation ne s’est pas arrêtée aux prescriptions du législateur.

Dans les deux arrêts, la chambre commerciale précise que « la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sauf pour la partie à l’origine de l’anéantissement de cet ensemble contractuel à indemniser le préjudice causé par sa faut ».

Cela signifie donc que dans l’hypothèse où l’anéantissement du premier contrat serait fautif, son auteur pourrait voir sa responsabilité engagée par les parties des autres contrats appartenant à l’ensemble.

[1] Cass. com. 12 juill. 2017, 15-27.703.

[2] Cass. com. 12 juill. 2017, n°15-23.552.

La prohibition des engagements perpétuels

?Signification du principe

Le principe de prohibition des engagements perpétuels signifie que nul ne saurait être engagé indéfiniment dans des liens contractuels.

Le Doyen Carbonnier observait en ce sens que le Code civil de 1804 « ne paraît avoir envisagé pour les obligations, une fois nées, d’autre destin que de s’éteindre »[1].

Quelques dispositions éparses fondent cette analyse telle que l’article 1710 du Code civil qui prévoit, par exemple, que « on ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée ».

Aussi, tout contrat doit être borné dans le temps, quand bien même il aurait été conclu pour une durée indéterminée.

Dans son rapport annuel de l’année 2014 la Cour de cassation exprime parfaitement bien cette idée en affirmant que « la liberté contractuelle de choisir le temps pour lequel on s’engage s’enchâsse alors dans une limite maximale impérative, qui peut être légale (six ans pour les contrats de louage d’emplacement publicitaire, article L. 581-25 du code de l’environnement ; quatre-vingt-dix-neuf ans pour les sociétés civiles et commerciales, articles 1838 du code civil et L. 210-2 du code de commerce), ou prétorienne (quatre-vingt-dix-neuf ans pour les baux, Cass. 3e civ., 27 mai 1998, n°96-15.774), mais dont la mesure est toujours sensible à l’objet du contrat. »

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par engagement perpétuel.

Concrètement, les engagements perpétuels recoupent deux situations bien distinctes :

  • Soit le contrat a été conclu pour une durée indéterminée, mais, par le jeu d’une clause, il ne permet pas l’exercice de la faculté de résiliation unilatérale
  • Soit le contrat a été conclu pour une durée déterminée, mais cette durée est anormalement longue

?Reconnaissance du principe

Le principe de prohibition des engagements perpétuels a été reconnu en trois temps :

  • Premier temps : la Cour de cassation
  • Deuxième temps : le Conseil constitutionnel
    • Le principe de prohibition des engagements perpétuel a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 9 novembre 1999 (Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC)
    • Les juges de la rue de Montpensier ont estimé, que « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties ».
  • Troisième temps : le législateur
    • Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a introduit un article 1210 dans le Code civil qui prévoit que
      • « les engagements perpétuels sont prohibés. »
      • « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »

?Effets du principe

Deux effets sont attachés au principe de prohibition des engagements perpétuels :

  • Lorsque le contrat est à durée déterminée
    • Dans l’hypothèse où le contrat comporte un terme, qui peut être tacite sous réserve que sa survenue soit certaine, le contrat s’éteint par l’arrivée de ce terme à la condition sine qua non que le terme prévu par les parties n’excède pas un éventuel plafond légal
    • À défaut, le contrat est réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée
    • Son extinction relève alors du pouvoir des parties, chacune disposant d’un droit de résiliation unilatérale pour se prémunir des dangers d’un engagement perpétuel.
  • Lorsque le contrat est à durée indéterminée
    • Dans cette hypothèse, chaque partie dispose de la faculté de mettre fin au contrat en sollicitant unilatéralement sa résiliation
    • Dans un arrêt du 31 mai 1994, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l’alinéa 3 du même texte, offerte aux parties » (Cass. com. 31 mai 1994, n°88-10.757)
    • Il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle les parties ne sauraient déroger par clause contraire (Cass. 3e civ. 19 févr. 1992, n°90-16.148).

Cass. com. 31 mai 1994

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 1134, alinéa 2, du Code civil ;

Attendu que, dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l’alinéa 3 du même texte, offerte aux parties ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Etablissements Gabriel et compagnie (la société), qui avait une activité industrielle à Lyon, a créé, en 1972, un restaurant d’entreprise dont elle a confié la gestion à M. X… à compter du 24 avril 1975, pour une durée indéterminée ; que par lettre du 23 novembre 1989 la société a informé M. X… du prochain transfert de l’entreprise à Reyrieux et lui a notifié que de ce fait le contrat de concession serait ” caduc ” ; que M. X…, soutenant que la résiliation de ce contrat était abusive, a demandé la condamnation de la société au paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt retient que l’article 12 du contrat litigieux prévoyait plusieurs cas de rupture ; que la société prétend se trouver dans la troisième hypothèse, c’est-à-dire la fermeture de ses établissements, mais qu’il s’agit d’un transfert et non d’une fermeture de l’entreprise ; qu’ainsi, en prenant unilatéralement la décision de supprimer, à l’occasion d’un simple transfert de locaux, et hors des cas de rupture prévus au contrat, le restaurant d’entreprise concédé à M. X… , la société a rompu abusivement la convention conclue avec ce dernier ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que l’abus de droit imputé à la société ne pouvait résulter du seul fait que la résiliation était intervenue en dehors des cas prévus au contrat, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 19 décembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Grenoble.

?Sanction du principe

Sous l’empire du droit antérieur à la réforme des obligations, la sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels a fait l’objet d’une vive controverse

Trois sortes de sanctions ont été discutées par la jurisprudence et la doctrine :

  • Première sanction : la nullité totale
    • Cette sanction a été envisagée de nombreuses fois par la jurisprudence (v. notamment en ce sens Cass. 3e civ., 20 févr. 1991)
    • L’avantage de la nullité est qu’il s’agit d’une sanction suffisamment vigoureuse pour dissuader les agents de contrevenir au principe de prohibition des engagements perpétuels
    • Toutefois, cette sanction n’est pas sans inconvénient
    • Il peut, en effet, être observé que l’action en nullité est enfermée dans un certain délai
    • Cela signifie donc que si la prescription est acquise, l’action en nullité ne peut plus être exercée, ce qui dès lors produit l’effet inverse de celui recherché : l’engagement perpétuel que l’on cherchait à annuler ne peut plus être délié.
    • Il devient irrévocablement perpétuel.
  • Deuxième sanction : la nullité partielle
    • Afin de se prémunir de l’anomalie ci-dessus évoquée, la jurisprudence a circonscrit, dans certains arrêts la nullité à la seule clause qui contrevenait au principe de prohibition des engagements perpétuels.
    • Telle a été la solution rendue par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 7 mars 2006 (Cass. 1ère civ. 7 mars 2006, n°04-12.914).
    • La sanction de la nullité partielle ne pourra toutefois être prononcée qu’à la condition que la clause n’ait pas été déterminante du consentement des parties.
    • Si elle a été la cause « impulsive et déterminante » de leur engagement, le juge n’aura d’autre choix que d’annuler le contrat dans son ensemble (Cass. 1ère civ., 24 juin 1971, n°70-11.730).
    • Dans l’hypothèse où la nullité partielle pourra jouer, les contractants retrouveront la faculté de résiliation unilatérale propre aux contrats à durée indéterminée.
  • Troisième sanction : la réduction de la durée du contrat au maximum légal
    • Dans l’hypothèse où la durée du contrat excèderait le plafond prévu par la loi, le juge réduira cette durée d’autant qu’elle dépasse le maximum légal.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de prononcer cette sanction à plusieurs reprises (V. en ce sens Cass. com., 10 févr. 1998, 95-21.906).
    • Dans un arrêt du 13 novembre 2002 elle a notamment estimé que « le contrat de louage d’emplacement publicitaire ne peut être conclu pour une durée supérieure à six ans à compter de sa signature ; que la stipulation d’une durée plus longue est soumise à réduction » (Cass. 1re civ., 13 nov. 2002, n°99-21.816).
    • Si, de toute évidence, cette solution permet de surmonter les difficultés soulevées par la nullité totale ou partielle, elle n’est pas non plus à sans faille.
    • La possibilité de réduire la durée du contrat à hauteur du plafond légal n’est envisageable qu’à la condition que ce plafond existe.
    • Or pour la plupart des contrats aucun maximum de durée n’a été institué par le législateur.
    • Ainsi, apparaît-il que le champ d’application de la sanction qui consiste à réduire la durée du contrat est pour le moins restreint.

Au total, il ressort de l’examen général de chacune des mesures envisagées en guise de sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels qu’aucune d’elles n’était véritablement satisfaisante.

C’est la raison pour laquelle le législateur n’en a retenu aucune. Il a préféré emprunter une autre voie.

  • L’intervention du législateur
    • À l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a introduit un article 1210, al. 2 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit en contrepoint de l’alinéa 1er, lequel pose le principe de prohibition des engagements perpétuels, que « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »
    • Ainsi, la sanction d’un contrat conclu à titre perpétuel n’est autre que la requalification en contrat à durée indéterminée.
    • Les parties retrouvent alors leur faculté de résiliation unilatérale.
    • En cas d’exercice de cette faculté, elles ne seront toutefois pas dispensées d’observer l’exigence de préavis prévue à l’article 1211.

?Limites au principe

  • L’abus
    • Le principe de prohibition des engagements perpétuels est tempéré par l’obligation pour la partie qui entend exercer sa faculté de résiliation unilatérale de ne pas commettre d’abus.
    • Dans un arrêt du 15 novembre 1969 la Cour de cassation a par exemple estimé que le contractant « pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement » (Cass. com. 15 déc. 1969)
    • Elle a encore jugé dans un arrêt du 5 février 1985 que « dans les contrats a exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionne par l’alinea 3 de [l’ancien article 1134], offert aux deux parties » (Cass. 1ère civ. 5 févr. 1985, n°83-15.895).
  • Les relations commerciales établies
    • Dans le domaine des affaires, la faculté de rupture unilatérale est strictement encadrée, en particulier lorsque les relations commerciales sont dites établies.
    • L’article 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoit que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : […] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d’une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l’application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d’au moins un an dans les autres cas »

Cass. com. 15 déc. 1969

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1134 du code civil ;

Attendu qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaque que la société des établissements Castaing fils a concédé en septembre 1961 a valentin y… de la vente des appareils agricoles qu’elle fabriquait dans quatre départements du sud-est de la France ;

Que, par lettre du 13 avril 1965, la société Castaing, invoquant la faiblesse des résultats obtenus par a…, a dénoncé le contrat de 1961 en proposant a ce dernier de continuer à lui livrer le matériel qui pourrait lui être utile, mais sans exclusivité ;

Que a… et les deux sociétés qu’il avait constituées pour l’exercice de son activité commerciale, le comptoir industriel et agricole méditerranéen (ciam) et les établissements Paul a… ont alors fait assigner la société Castaing devant le tribunal de commerce en paiement de dommages-intérêts pour rupture unilatérale des conventions liant les parties, en demandant en outre que les établissements Castaing soient condamnes a reprendre les pièces détachées qu’ils avaient livrées a a… ou à ces deux sociétés ;

Attendu que le tribunal de commerce a fait droit a la demande concernant les pièces détachées mais a x… valentin et les deux sociétés susvisées de leur demande en dommages-intérêts en relevant notamment que le retrait d’exclusivité était justifié par l’absence complète de toute vente d’appareils au cours des années 1964 et 1965 succédant au nombre très réduit et en diminution constante et progressive des ventes réalisées au cours des trois années précédentes ;

Attendu que l’arrêt déféré infirme le jugement entrepris et ordonne une expertise pour rechercher notamment quelles diligences ont été faites par a… et ses sociétés concessionnaires pour implanter les produits Castaing dans le secteur concédé, si ces diligences étaient normales et suffisantes eu égard aux conditions du marché, aux motifs que si “le contrat étant a durée indéterminée, les établissements Castaing pouvaient le dénoncer de leur seule volonté, à condition de ne pas agir abusivement, et ce, sans avoir à s’adresser à justice” , et que “la seule question qui se pose est donc de savoir si cette dénonciation est justifiée par un motif légitime, tel qu’un manquement du concessionnaire a ses obligations, qu’a cet égard, la société Castaing est mal fondée a prétendre que celui-ci avait une obligation de résultat, qu’en effet, la convention ne prévoyait aucun chiffre d’affaires a réaliser par lui, que a…, n’était donc tenu que d’une obligation de diligence normale, eu égard aux usages de la profession et aux possibilités du marché des produits à vendre” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que, ayant déclaré à juste titre, que le concédant pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement, la cour d’appel ne pouvait imposer à ce dernier la charge de rapporter la preuve de l’existence d’un juste motif de résiliation du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale a sa décision ;

Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le second moyen :

CASSE et ANNULE l’arrêt rendu entre les parties le 28 juin 1968 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Point d’orgue de l’évolution de la jurisprudence en matière de gestation pour autrui? (Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017)

Le 5 juillet 2017, la Cour de cassation a rendu 4 arrêts majeurs par lesquels elle revient sur sa position, s’agissant de l’adoption par le conjoint du père biologique d’un enfant conçu au moyen d’une mère porteuse. Dans le même temps, elle refuse  de transcrire un acte faisant mention de la mère d’intention.

Ces quatre arrêts ont été accompagnés par un communiqué de presse à l’occasion duquel la Cour de cassation indique que :

==> D’une part, en cas de GPA réalisée à l’étranger, l’acte de naissance peut être transcrit sur les registres de l’état civil français en ce qu’il désigne le père, mais pas en ce qu’il désigne la mère d’intention, qui n’a pas accouché

==> D’autre part, une GPA réalisée à l’étranger ne fait pas obstacle, à elle seule, à l’adoption de l’enfant par l’époux de son père

La Première chambre civile rappelle ensuite la problématique relative à la gestion pour autrui qui résulte de deux situations bien distinctes qui tendent à se multiplier, mais auxquelles la loi apporte toujours la même réponse : la GPA est prohibée conformément à l’article 16-7 du Code civil qui prévoit que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle.

==> Situation n°1 : Conformément à la loi du pays étranger, l’acte de naissance de l’enfant mentionne comme père et mère l’homme et la femme ayant eu recours à la GPA. La paternité de l’homme n’est pas contestée, mais la femme n’est pas celle qui a accouché.

 Question :  Le couple peut-il obtenir la transcription à l’état civil français de l’acte de naissance établi à l’étranger alors que la femme qui s’y trouve désignée comme mère n’a pas accouché de l’enfant

==> Situation n°2 : Le père biologique reconnaît l’enfant puis se marie à un homme.

Question : Le recours à la GPA fait-il obstacle à ce que l’époux du père demande l’adoption simple de l’enfant ?

L’examen de la jurisprudence révèle que la position de la Cour de cassation sur ces deux questions a considérablement évolué.

I) Rejet de la gestion pour autrui

La Cour de cassation refuse à un couple qui avait recouru à une mère porteuse la validation d’une procédure plénière (Cass. ass. pl., 31 mai 1991)

Elle affirme en ce sens que « l’adoption n’était que l’ultime phase d’un processus destiné à permettre à un couple l’accueil à son foyer de l’enfant, conçu en exécution d’un contrat tendant à l’abandon à sa naissance par sa mère,…ce processus constituait un détournement de l’institution »

Schéma 1.JPG

II) Refus de transcription de la filiation sur les registres d’état civil

==> Arrêts du le 6 avril 2011

La Cour de cassation a rendu trois arrêts concernant le recours à la gestation pour autrui pratiquée par des Français à l’étranger (Cass. 1re civ ,. 6 avr. 2011)

Dans ces décisions, elle approuve les juges du fond qui avaient refusé, à la demande du ministère public, de transcrire sur les registres de l’état civil les actes de naissance dressés aux États-Unis qui, validant le contrat de gestation, avait désigné, dans chacune de ces espèces, comme père et mère, le couple français commanditaire.

Ce refus, fondé sur le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, a été justifié par l’ordre public international français ou par la fraude à la loi française

La Cour de cassation affirme en ce sens que « lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code civil »

Il en résulte selon la haute juridiction que la filiation établie à l’étranger ne peut être inscrite sur les registres français de l’état civil.

Schéma 2.JPG

==> Arrêts du 19 mars 2014

La Cour confirme, dans un des deux arrêts précités, l’annulation pour fraude à la loi de la reconnaissance effectuée en France par le père biologique (Cass. 1re civ., 19 mars 2014)

III) Condamnation par la CEDH

La Cour européenne des droits de l’homme condamne la France au motif que son refus de reconnaître la filiation des enfants nés à l’étranger avec l’assistance d’une mère porteuse et l’impossibilité pour l’enfant d’établir en France cette filiation, alors même que celle-ci est conforme à la réalité biologique, « sont contraires au droit de tout individu au respect de son identité, partie intégrante du droit au respect de la vie privée » (26 juin 2014 : Labassée et Mennesson)

Elle précise que le respect de ce texte exige que « chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain », dont la filiation est un aspect essentiel

IV) Revirement de jurisprudence

==> Arrêts du 3 juillet 2015

Dans deux arrêts d’assemblée plénière la Cour de cassation prend en compte la condamnation de la France (Cass. ass. plén., 3 juill. 2015)

Elle admet, pour la première fois, que la gestation pour autrui ne fait pas, en elle-même, obstacle à la transcription de l’acte de naissance étranger sur les actes d’état civil français.

Les deux affaires concernaient un homme ayant conclu une convention de GPA avec une mère porteuse en Russie et qui sollicitaient la transcription de l’acte de naissance qui les mentionnait l’un et l’autre comme parents de l’enfant.

Les arrêts du 3 juillet 2015 laissent en suspens la question de la filiation des parents d’intention, comme le précise d’ailleurs le communiqué de presse selon lequel « les espèces soumises à la Cour de cassation ne soulevaient pas la question de la transcription de la filiation établie à l’étranger à l’égard de parents d’intention : la Cour ne s’est donc pas prononcée sur ce cas de figure ».

Schéma 3

==> Arrêt de la CA de Rennes du 28 septembre 2015

Dans deux décisions rendues le 28 septembre 2015, la cour d’appel de Rennes confirme l’annulation des actes de naissance de deux enfants nés de mères porteuses à l’étranger, l’un en Inde, l’autre aux États-Unis (CA Rennes, 6e ch. A, 28 sept. 2015)

Les actes de naissance litigieux sont annulés, en application de l’article 47 du Code civil, en ce qu’ils ne reflètent pas la vérité quant à la filiation maternelle des enfants.

Chaque acte désigne comme mère de l’enfant l’épouse du père biologique, alors même que celle-ci n’a pas accouché de l’enfant.

La cour d’appel de Rennes réitère sa position, dans deux arrêts rendus le 7 mars 2016 (CA Rennes, 7 mars 2016) :

  • en ordonnant dans une affaire la transcription de la filiation paternelle biologique à l’état civil d’un enfant né de gestation pour autrui à l’étranger
  • en refusant dans l’autre de transcrire sur les registres français de l’état civil un acte de naissance dans lequel est indiquée en qualité de mère une femme qui n’a pas accouché.

La question de la maternité d’intention demeure pour l’instant non résolue.

V) Nouvelle condamnation de la France par la CEDH

La Cour européenne des droits de l’homme vient de condamner à nouveau la France pour refus de transcription à l’état civil du lien de filiation biologique d’un enfant né sous gestation pour autrui (21 juill. 2016, nos 9063/14 et 10410/14, Foulon et Bouvet c. France)

Dans les deux affaires, les requérants se voyaient dans l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance en droit français du lien de filiation biologique établi entre eux en Inde.

Les autorités françaises, suspectant le recours à des conventions de GPA illicites, refusaient donc la transcription des actes de naissance indiens.

Sans surprise, la CEDH accueille le grief de violation du droit à la vie privée (Conv. EDH, art. 8), par référence aux arrêts Mennesson et Labassée (CEDH, 26 juin 2014)

VI) Revirement partielle de jurisprudence

 Trois enseignements peuvent être tirés des quatre arrêts rendus par la Cour de cassation le 5 juillet 2017 : (Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017)

==> Première enseignement: L’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA peut être transcrit partiellement à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père

 La Cour de cassation affirme en ce sens que dès lors que les actes de naissance ne sont, ni irréguliers, ni falsifiés et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité, s’agissant de la désignation du père, la convention de gestation pour autrui conclue ne fait pas obstacle à la transcription desdits actes.

Deuxième espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’aux termes de leurs actes de naissance, établis par les autorités ukrainiennes, V... et K... X... sont nées le ... à Kiev (Ukraine) de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’est opposé à la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire français, au motif que les enfants étaient nées à la suite d’une convention de gestation pour autrui ; que, le 25 mars 2013, un certificat de nationalité française leur a été délivré ;

Sur les premier et second moyens réunis du pourvoi n° F 16-50.025, qui est recevable :

Attendu que le procureur général près la cour d’appel de Rennes fait grief à l’arrêt d’ordonner la transcription sur les registres de l’état civil consulaire français à Kiev et les registres du service central d’état civil à Nantes, des actes de naissance de V... et K... X..., nées de M. X..., époux de Mme Y..., alors, selon le moyen :

1°/ que l’article 47 du code civil accorde foi à tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait dans un pays étranger, sauf si notamment, les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que la réalité citée par l’article 47 du code civil correspond nécessairement à la conformité des énonciations de l’acte d’état civil par rapport aux faits qu’il relate ; que Mme Y... étant citée comme mère alors qu’elle n’a pas accouché, les actes de naissance de K... et V... X... ne peuvent être déclarés conformes aux exigences de l’article 47 du code civil ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

2°/ que l’article 312 du code civil énonce que l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ; que la présomption de paternité qui s’applique au père pendant le mariage nécessite que l’épouse du mari soit bien la mère ; que si l’épouse n’est pas reconnue comme mère, le mari ne peut se voir appliquer une présomption de paternité ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 312 du code civil ;

Mais attendu que, l’arrêt n’ayant ordonné la transcription des actes de naissance des enfants V... et K... qu’en ce qu’elles sont nées de M. X..., sans désignation de Mme Y... en qualité de mère, le moyen est inopérant en sa première branche ;

Et attendu que la cour d’appel, qui était saisie d’une action aux fins de transcription d’actes de l’état civil étrangers et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, a constaté que les actes de naissance n’étaient ni irréguliers ni falsifiés et que les faits qui y étaient déclarés correspondaient à la réalité, s’agissant de la désignation du père ; qu’elle en a déduit, à bon droit, abstraction faite du motif erroné mais surabondant critiqué par la seconde branche, que la convention de gestation pour autrui conclue ne faisait pas obstacle à la transcription desdits actes ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi n° B 16-16.901 :

Attendu que M. X... et Mme Y... font grief à l’arrêt de n’ordonner la transcription, sur les registres de l’état civil consulaire français à Kiev et les registres du service central d’état civil à Nantes, des actes de naissance de V... et K... qu’en ce qu’elles seraient nées le ..., à Kiev, de M. X..., époux de Mme Y..., et non de Mme Y..., alors, selon le moyen :

1°/ que les actes d’état civil dressés à l’étranger par l’autorité compétente conformément au droit étranger dont relève cette autorité doivent être reconnus en France dès lors qu’ils ne sont pas contraires à l’ordre public international français, lequel ne s’oppose pas à l’établissement de la filiation d’un enfant né à l’étranger dans le cadre d’une convention de gestation pour autrui ; qu’en considérant que l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention en application de la loi compétente selon la règle de conflit serait impossible en l’état du droit français, pour rejeter la demande de transcription de la filiation de K... et V... X... à l’égard de Mme Y..., après avoir constaté la régularité des actes d’état civil des enfants dressés à l’étranger, la cour d’appel a violé par fausse application les articles 3 et 311-14 du code civil ;

2°/ que les circonstances de la conception d’un enfant ne peuvent être opposées à l’établissement de sa filiation ; qu’en considérant que la norme selon laquelle l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention serait impossible en l’état du droit français ferait obstacle à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre les enfants à l’égard de Mme Y... qui n’est pas leur mère biologique, la cour d’appel a violé le droit au respect de la vie privée et à une vie familiale normale garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu’en considérant que la norme selon laquelle l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention serait impossible en l’état du droit français ferait obstacle à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre les enfants à l’égard de Mme Y... qui n’est pas leur mère biologique, après avoir retenu que le droit ukrainien reconnaît la filiation maternelle des enfants K... et V... à l’égard de Mme Y..., la cour d’appel a méconnu les principes d’harmonie internationale des solutions, de continuité du statut personnel et de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, en violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble de l’article 3-1 de la Convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant ;

4°/ qu’en se bornant à considérer que l’absence de transcription n’empêche pas les enfants de vivre avec leur père et mère et que K... et V... X... s’étaient vu reconnaître les prérogatives attachées à la nationalité française et au titre des droits successoraux, sans s’assurer de la pérennité de leur lien avec Mme Y... qui les élève et leur prodigue ses soins et de la responsabilité de cette dernière à leur endroit, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article-3-1 de la Convention de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l’enfant ;

5°/ que le droit au respect de la vie privée et familiale doit être reconnu sans distinction selon la naissance ; qu’un lien de filiation peut être établi à l’égard d’une mère d’intention dès lors que l’acte de naissance d’un enfant porte le nom de la femme qui a accouché ou ne donne aucune indication sur la femme qui a accouché ; qu’en considérant que la norme selon laquelle l’établissement de la filiation maternelle de la mère d’intention serait impossible en l’état du droit français ferait obstacle à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre les enfants à l’égard de Mme Y... qui n’est pas leur mère biologique, au prétexte que les actes de naissance des enfants K... et V... X... indiquent que Mme Y... est leur mère, la cour d’appel a violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu que, selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;

Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ;

Qu’ayant constaté que Mme X... n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français ;

Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;

Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ;

Et attendu que ce refus de transcription ne crée pas de discrimination injustifiée en raison de la naissance et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° B 16-16.901, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, pour déclarer l’association Juristes pour l’enfance recevable en son intervention volontaire accessoire, l’arrêt retient que le moyen pris de la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est inopérant, s’agissant d’une procédure où les débats sont publics ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, nonobstant le caractère public des débats, le droit au respect de la vie privée et familiale de M. et Mme Y... et des enfants V... et K... s’opposait à l’immixtion de l’association dans une instance qui revêtait un caractère strictement personnel, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen du pourvoi n° B 16-16.901 :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il reçoit l’association Juristes pour l’enfance en son intervention volontaire accessoire et la déclare en partie bien fondée, l’arrêt rendu le 7 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

==> Deuxième enseignement: L’acte de naissance étranger d’un enfant né d’une GPA ne peut être transcrit à l’état civil français, en ce qu’il désigne le père en ce qu’il désigne la mère d’intention

 Deux arguments sont avancés par la Cour de cassation au soutien de sa position :

  • Premier argument
    • Selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité
    • Aussi, selon elle, la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement
    • Elle en conclut que, dans l’hypothèse où la mère qui se prévaut de cette qualité n’a pas accouché de l’enfant, les actes de naissance étrangers ne sont pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français
  • Second argument
    • La première chambre civile rappelle que, conformément à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
      • D’une part, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance
      • D’autre part, il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui
    • En application de ces principes, la Cour de cassation considère alors que
      • En premier lieu, le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil
      • En second lieux, ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi
      • La Cour de cassation justifie cette position en affirmant que :
        • D’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger
        • Ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle
        • Enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père

Première espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’aux termes de leurs actes de naissance américains, dressés conformément à un jugement de la cour supérieure de l’Etat de Californie du 17 septembre 2010, P... et P... X... sont nés le 4 novembre 2010 à Whittier (Californie, Etats-Unis d’Amérique) de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’étant opposé à leur demande de transcription de ces actes de naissance sur les registres de l’état civil consulaire et du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, en invoquant l’existence d’une convention de gestation pour autrui, M. et Mme X... l’ont assigné à cette fin ;

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième et neuvième branches :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt de rejeter leur demande, en ce qui concerne la désignation de Mme X... en qualité de mère, alors selon le moyen :

1°/ que les actes d’état civil établis dans un pays étrangers et rédigés dans les formes usitées dans ce pays font foi sauf s’ils sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que seule la réalité juridique et non la réalité biologique doit être prise en compte pour vérifier la valeur probante d’un acte d’état civil établi à l’étranger ; qu’il résultait des termes du jugement de la Cour supérieure de Californie du 17 septembre 2010, qui servait de fondement aux actes de naissance dont la transcription était demandée, que M. et Mme X... étaient déclarés parents légaux des deux enfants et que la mère biologique avait renoncé à tous droits sur eux ; qu’en retenant que les faits déclarés par les intéressés lors de l’établissement des actes de naissance par le service de l’état civil californien sur la filiation maternelle des enfants ne correspondaient pas à la réalité, cependant que ces actes avaient été établis sur la foi d’une décision de justice rendue légalement en Californie et donnant force exécutoire à un contrat de gestation pour autrui qui attribuait la paternité et la maternité juridiques à M. et Mme X..., de sorte que le fait que la mère juridique ne soit pas la femme ayant accouché ne caractérisait pas une fausse information, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

2°/ que le ministère public n’avait contesté ni l’opposabilité en France du jugement américain ni la foi à accorder aux actes dressés en Californie et s’était borné à justifier le refus de transcription de l’acte en invoquant l’existence d’un processus contraire à l’ordre public international français impliquant le recours à un contrat de gestation pour autrui ; qu’en refusant de prendre en compte les énonciations du jugement étranger du 17 septembre 2010 en ce qu’il mentionnait Mme X... comme étant la mère des enfants, après avoir pourtant rappelé que la théorie de la fraude soutenue par le ministère public n’était pas pertinente dès lors que la convention de gestation pour autrui conclue entre un parent d’intention et une mère porteuse ne faisait plus obstacle à la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger issu d’une telle convention, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l’article 47 du code civil ;

3°/ que le procureur de la République ne peut refuser une demande de transcription d’un acte d’état civil dressé à l’étranger qu’en établissant qu’il serait « irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité » au regard des formes usitées dans ce pays ; que les actes de naissance des enfants concernés avaient été établis sur la base d’un jugement de la Cour supérieure de Californie du 17 septembre 2010, lui-même conforme au code de la famille californien, déclarant M. et Mme X... parents légaux des enfants à naître par gestation pour autrui ; qu’ils avaient donc été rédigés dans les formes usitées dans l’Etat de Californie ; qu’en retenant que le procureur de la République pouvait refuser de transcrire les actes de naissance établis dans ces conditions, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

4°/ qu’en examinant la force probatoire des actes de naissance en litige, non pas au regard des dispositions édictées en vue de leur transcription par l’article 47 du code civil, mais par application de la loi désignée par la règle de conflit pour l’établissement de la filiation de l’enfant, la cour d’appel a violé l’article 47 du code civil ;

5°/ que le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation et sa nationalité ; que la juridiction européenne a retenu que la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants conçus par gestation pour autrui et les parents d’intention portait atteinte au respect de leur vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation ; qu’en limitant l’effet utile du droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant et son droit à l’identité qui inclut la filiation et la nationalité au seul cas où la filiation paternelle est conforme à la vérité biologique, la cour d’appel a violé l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que l’intérêt supérieur de l’enfant exige que soit transcrit sur les registres d’état civil français l’acte de naissance régulièrement établi à l’étranger et indiquant la filiation paternelle et maternelle ; qu’en retenant que l’intérêt supérieur de l’enfant ne pouvait être utilement invoqué que si la filiation paternelle était conforme à la vérité biologique, la cour d’appel a violé l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant ;

7°/ qu’ils faisaient valoir que la filiation de leurs enfants était établie par la possession d’état à leur égard depuis quatre années, ce qui justifiait la transcription des actes de naissance, sauf à porter atteinte au respect de la vie privée et familiale et à l’intérêt supérieur de l’enfant ; qu’en refusant la transcription demandée sans répondre à ce moyen, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, selon l’article 47 du code civil, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;

Que, concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l’accouchement ;

Qu’ayant constaté que Mme X... n’avait pas accouché des enfants, la cour d’appel en a exactement déduit que les actes de naissance étrangers n’étaient pas conformes à la réalité en ce qu’ils la désignaient comme mère, de sorte qu’ils ne pouvaient, s’agissant de cette désignation, être transcrits sur les registres de l’état civil français ;

Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ;

Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ;

Attendu que ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père ;

Et attendu que la cour d’appel, qui était saisie d’une action aux fins de transcription d’actes de l’état civil étrangers et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, n’avait pas à répondre aux conclusions inopérantes relatives à la possession d’état des enfants ;

D’où il suit que le moyen, qui critique un motif surabondant en sa quatrième branche, ne peut être accueilli ;

Mais sur la huitième branche du moyen :

Vu l’article 47 du code civil, ensemble l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, pour refuser la transcription des actes de naissance étrangers en ce qu’ils désignent M. X... en qualité de père, l’arrêt retient qu’en l’absence de certificat médical délivré dans le pays de naissance attestant de la filiation biologique paternelle, d’expertise biologique judiciaire et d’éléments médicaux sur la fécondation artificielle pratiquée, la décision rendue le 17 septembre 2010 par une juridiction californienne le déclarant parent légal des enfants à naître, est insuffisante à démontrer qu’il est le père biologique ;

Qu’en statuant ainsi, alors, d’une part, que la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français n’était pas subordonnée à une expertise judiciaire, d’autre part, qu’elle constatait que le jugement californien énonçait que le patrimoine génétique de M. X... avait été utilisé, sans relever l’existence d’éléments de preuve contraire, de sorte que ce jugement avait, à cet égard, un effet de fait et que la désignation de M. X... dans les actes comme père des enfants était conforme à la réalité, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Vu les articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la septième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. et Mme X... de transcription, sur les registres de l’état civil consulaire et du service central d’état civil du ministère des affaires étrangères, des actes de naissance de P... et P... X..., nés le... à Whittier (Etats-Unis), en ce qu’ils sont nés de M. Jean-François X..., né le..., l’arrêt rendu le 28 septembre 2015, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

Quatrième espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 28 septembre 2015), que l’officier de l’état civil du consulat de France à Bombay (Inde) a dressé, le 22 février 2010, sur ses registres de l’état civil, l’acte de naissance de l’enfant E. X..., comme étant née le [...] à l’hôpital [...], de M. X... et de Mme Y..., son épouse, tous deux de nationalité française ; que, le 26 mars 2012, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes a assigné M. et Mme X..., tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fille mineure E. , en annulation de l’acte de naissance, en raison d’une suspicion de recours à une gestation pour autrui ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que ce moyen n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le second moyen :

Attendu que M. et Mme X... font grief à l’arrêt d’annuler l’acte de naissance consulaire d’E. , née le [...], alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque la filiation d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui est établie envers ses parents d’intention par l’acte de naissance étranger, le refus de transcription de cet acte de naissance dans les registres de l’état civil ou l’annulation judiciaire de la transcription si celle-ci a été effectuée, viole le droit de l’enfant au respect de sa vie privée et familiale, peu important qu’il ne soit pas établi que le père d’intention est en outre le père biologique ; qu’en annulant l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay après avoir relevé que l’acte de naissance indien indiquait la filiation de l’enfant envers M. et Mme X..., et sans même avoir constaté que la preuve aurait été rapportée que M. X... n’eût pas été le père biologique d’E. , la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 48 du code civil ;

2°/ que pour annuler l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay, l’arrêt attaqué a retenu que l’acte de naissance indien était vicié en ce qu’il mentionnait que la mère était Mme X... bien qu’elle n’a pas accouché de l’enfant, les pièces médicales s’étant révélées fausses, de sorte qu’aucune foi ne pouvait être accordée à l’acte de naissance français ; qu’en statuant ainsi, sans constater que selon la loi indienne la désignation de la mère d’intention dans un acte de naissance ne serait pas valable, la cour d’appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 47 et 48 du code civil ;

3°/ qu’il appartient au ministère public agissant en annulation d’un acte de naissance de prouver, le cas échéant, que le nom du père indiqué dans l’acte ne correspond pas à la réalité biologique ; qu’en faisant peser la preuve contraire sur M. X..., la cour d’appel a violé l’article 9 du code de procédure civile ;

4°/ que lorsque la filiation d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui est établie envers ses parents d’intention par l’acte de naissance étranger conforté par la possession d’état d’enfant, le refus de transcription de cet acte de naissance dans les registres de l’état civil ou l’annulation judiciaire de la transcription lorsque cette dernière a été effectuée, viole le droit de l’enfant au respect de sa vie privée et familiale ; qu’en annulant l’acte de naissance d’E. X... établi par le consulat de France à Bombay sans rechercher, comme elle y était invitée, si E. X... ne bénéficiait pas de la possession d’état d’enfant de M. et Mme X..., la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 311-1 et 330 du code civil ;

Mais attendu que, saisie d’une demande d’annulation d’un acte dressé par l’officier de l’état civil consulaire français dans ses registres, sur le fondement de l’article 48 du code civil, la cour d’appel a constaté que M. et Mme X... avaient produit au consulat de France de faux documents de grossesse et un faux certificat d’accouchement, les échographies et examens médicaux de la mère porteuse ayant été modifiés afin qu’ils confirment une grossesse de l’épouse ; qu’elle en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante relative à la possession d’état de l’enfant ou à la réalité de la filiation biologique paternelle, que l’acte de naissance dressé sur les registres consulaires était entaché de nullité ;

Et attendu qu’il ne résulte pas des énonciations de l’arrêt que M. et Mme X... aient sollicité, en application de l’article 47 du code civil, la transcription de l’acte de l’état civil indien dont dispose l’enfant ; que dès lors, ils ne sont pas fondés à invoquer la violation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; D’où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

==> Troisième enseignement: Une GPA réalisée à l’étranger ne fait pas obstacle, à elle seule, à l’adoption de l’enfant par l’époux du père

En adoptant cette solution, la Cour de cassation opère manifestement un changement radical de sa position.

Comme exprimé dans son communiqué de presse, la haute juridiction tire ici les conséquences:

  • D’une part, de la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Ce texte a pour effet de permettre, par l’adoption, l’établissement d’un lien de filiation entre un enfant et deux personnes de même sexe, sans aucune restriction relative au mode de procréation (cf. infra « Repères »)
  • D’autre part, de ses arrêts du 3 juillet 2015, selon lesquels le recours à une GPA à l’étranger ne constitue pas, à lui seul, un obstacle à la transcription de la filiation paternelle (cf. infra « Repères »).

Aussi considère-t-elle que :

  • En premier lieu, le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant
  • En second lieu, ce qui importe c’est que les juges du fond constatent l’existence, la sincérité et l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère de l’enfant,

Troisième espèce : Cass. 1ère civ. 5 juill. 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’enfant M... Y... est né le ..., à Victorville (Californie, Etats-Unis d’Amérique) de Mme Z..., de nationalité américaine, qui avait conclu avec M. Y..., de nationalité française, une convention de gestation pour autrui ; qu’il a été reconnu par Mme Z... et M. Y... ; que, le 1er novembre 2013, ce dernier a épousé M. X..., de nationalité française, auquel il était lié par un pacte civil de solidarité depuis 2004 ; que, par requête du 3 juillet 2014, M. X... a saisi le tribunal de grande instance d’une demande d’adoption simple de l’enfant M...

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu les articles 353 et 361 du code civil, ensemble les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, l’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal qui vérifie si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant ; que, selon les deux derniers, l’enfant a droit au respect de sa vie privée et familiale et, dans toutes les décisions qui le concernent, son intérêt supérieur doit être une considération primordiale ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption simple, l’arrêt retient que la naissance de l’enfant résulte d’une violation, par M. Y..., des dispositions de l’article 16-7 du code civil, aux termes duquel toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle d’une nullité d’ordre public ; Qu’en statuant ainsi, alors que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 348 et 361 du code civil ;

Attendu, selon le premier de ces textes, que lorsque la filiation de l’enfant est établie à l’égard de son père et de sa mère, ceux-ci doivent consentir l’un et l’autre à l’adoption ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption, l’arrêt retient encore que le consentement initial de Mme Z..., dépourvu de toute dimension maternelle subjective ou psychique, prive de portée juridique son consentement ultérieur à l’adoption de l’enfant dont elle a accouché, un tel consentement ne pouvant s’entendre que comme celui d’une mère à renoncer symboliquement et juridiquement à sa maternité dans toutes ses composantes et, en particulier, dans sa dimension subjective ou psychique ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu’elle constatait l’existence, la sincérité et l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 24 mars 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;