I) Signification du principe
Le principe de prohibition des engagements perpétuels signifie que nul ne saurait être engagé indéfiniment dans des liens contractuels.
Le Doyen Carbonnier observait en ce sens que le Code civil de 1804 « ne paraît avoir envisagé pour les obligations, une fois nées, d’autre destin que de s’éteindre» (J. Carbonnier, Droit civil, tome 4, Les Obligations, PUF, 22e éd., 2000, § 314)
Quelques dispositions éparses fondent cette analyse telle que l’article 1710 du Code civil qui prévoit, par exemple, que « on ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée»
Aussi, tout contrat doit être borné dans le temps, quand bien même il aurait été conclu pour une durée indéterminée.
Dans son rapport annuel de l’année 2014 la Cour de cassation exprime parfaitement bien cette idée en affirmant que « la liberté contractuelle de choisir le temps pour lequel on s’engage s’enchâsse alors dans une limite maximale impérative, qui peut être légale (six ans pour les contrats de louage d’emplacement publicitaire, article L. 581-25 du code de l’environnement ; quatre-vingt-dix-neuf ans pour les sociétés civiles et commerciales, articles 1838 du code civil et L. 210-2 du code de commerce), ou prétorienne (quatre-vingt-dix-neuf ans pour les baux, 3e Civ., 27 mai 1998, pourvoi no 96-15.774, Bull. 1998, III, no 110), mais dont la mesure est toujours sensible à l’objet du contrat.»
II) Reconnaissance du principe
Le principe de prohibition des engagements perpétuels a été reconnu en trois temps :
- Premier temps : la Cour de cassation
- Dès le XIXe siècle la Cour de cassation reconnait le principe de prohibition des engagements perpétuels, ce, au nom de la sauvegarde de la liberté individuelle ( Civ., 28 juin 1887)
- Cette reconnaissance n’a eu de cesse de se poursuivre par la suite (V. en ce sens notamment Civ., 20 mars 1929; Cass. 1ère civ., 18 janvier 2000; Cass. 1ère civ., 7 mars 2006)
- Deuxième temps : le Conseil constitutionnel
- Le principe de prohibition des engagements perpétuel a été consacré par le Conseil constitutionnel dans une décision du 9 novembre 1999 (Cons. const. 9 nov. 1999, n° 99-419 DC)
- Les juges de la rue de Montpensier ont estimé, que « si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 justifie qu’un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l’un ou l’autre des contractants, l’information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant toutefois être garanties »
- Troisième temps : le législateur
- Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a introduit un article 1210 dans le Code civil qui prévoit que
- « les engagements perpétuels sont prohibés.»
- « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »
- Lors de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, le législateur a introduit un article 1210 dans le Code civil qui prévoit que
III) Effets du principe
Deux effets sont attachés au principe de prohibition des engagements perpétuels:
- Lorsque le contrat est à durée déterminée
- Dans l’hypothèse où le contrat comporte un terme, qui peut être tacite sous réserve que sa survenue soit certaine, le contrat s’éteint par l’arrivée de ce terme à la condition sine qua non que le terme prévu par les parties n’excède pas un éventuel plafond légal
- À défaut, le contrat est réputé avoir été conclu pour une durée indéterminée
- Son extinction relève alors du pouvoir des parties, chacune disposant d’un droit de résiliation unilatérale pour se prémunir des dangers d’un engagement perpétuel.
- Lorsque le contrat est à durée indéterminée
- Dans cette hypothèse, chaque partie dispose de la faculté de mettre fin au contrat en sollicitant unilatéralement sa résiliation
- Dans un arrêt du 31 mai 1994, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l’alinéa 3 du même texte, offerte aux parties » ( com. 31 mai 1994)
- Il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle les parties ne sauraient déroger par clause contraire ( 3e civ. 19 févr. 1992).
Cass. com. 31 mai 1994 | |
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Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche : Vu l'article 1134, alinéa 2, du Code civil ; Attendu que, dans les contrats à exécution successive dans lesquels aucun terme n'a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionné par l'alinéa 3 du même texte, offerte aux parties ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Etablissements Gabriel et compagnie (la société), qui avait une activité industrielle à Lyon, a créé, en 1972, un restaurant d'entreprise dont elle a confié la gestion à M. X... à compter du 24 avril 1975, pour une durée indéterminée ; que par lettre du 23 novembre 1989 la société a informé M. X... du prochain transfert de l'entreprise à Reyrieux et lui a notifié que de ce fait le contrat de concession serait " caduc " ; que M. X..., soutenant que la résiliation de ce contrat était abusive, a demandé la condamnation de la société au paiement de dommages-intérêts ; Attendu que pour accueillir la demande, l'arrêt retient que l'article 12 du contrat litigieux prévoyait plusieurs cas de rupture ; que la société prétend se trouver dans la troisième hypothèse, c'est-à-dire la fermeture de ses établissements, mais qu'il s'agit d'un transfert et non d'une fermeture de l'entreprise ; qu'ainsi, en prenant unilatéralement la décision de supprimer, à l'occasion d'un simple transfert de locaux, et hors des cas de rupture prévus au contrat, le restaurant d'entreprise concédé à M. X... , la société a rompu abusivement la convention conclue avec ce dernier ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'abus de droit imputé à la société ne pouvait résulter du seul fait que la résiliation était intervenue en dehors des cas prévus au contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 décembre 1991, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble. |
IV) Sanction du principe
Sous l’empire du droit antérieur à la réforme des obligations, la sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels a fait l’objet d’une vive controverse
Trois sortes de sanctions ont été discutées par la jurisprudence et la doctrine :
- Première sanction : la nullité totale
- Cette sanction a été envisagée de nombreuses fois par la jurisprudence (v. notamment en ce sens 3e civ., 20 févr. 1991)
- L’avantage de la nullité est qu’il s’agit d’une sanction suffisamment vigoureuse pour dissuader les agents de contrevenir au principe de prohibition des engagements perpétuels
- Toutefois, cette sanction n’est pas sans inconvénient
- Il peut, en effet, être observé que l’action en nullité est enfermée dans un certain délai
- Cela signifie donc que si la prescription est acquise, l’action en nullité ne peut plus être exercée, ce qui dès lors produit l’effet inverse de celui recherché : l’engagement perpétuel que l’on cherchait à annuler ne peut plus être délié.
- Il devient irrévocablement perpétuel.
- Deuxième sanction : la nullité partielle
- Afin de se prémunir de l’anomalie ci-dessus évoquée, la jurisprudence a circonscrit, dans certains arrêts la nullité à la seule clause qui contrevenait au principe de prohibition des engagements perpétuels.
- Telle a été la solution rendue par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 7 mars 2006 ( 1ère civ. 7 mars 2006).
- La sanction de la nullité partielle ne pourra toutefois être prononcée qu’à la condition que la clause n’ait pas été déterminante du consentement des parties.
- Si elle a été la cause « impulsive et déterminante» de leur engagement, le juge n’aura d’autre choix que d’annuler le contrat dans son ensemble ( 1ère civ., 24 juin 1971).
- Dans l’hypothèse où la nullité partielle pourra jouer, les contractants retrouveront la faculté de résiliation unilatérale propre aux contrats à durée indéterminée.
- Troisième sanction : la réduction de la durée du contrat au maximum légal
- Dans l’hypothèse où la durée du contrat excèderait le plafond prévu par la loi, le juge réduira cette durée d’autant qu’elle dépasse le maximum légal.
- La Cour de cassation a eu l’occasion de prononcer cette sanction à plusieurs reprises (V. en ce sens com., 10 févr. 1998).
- Dans un arrêt du 13 novembre 2002 elle a notamment estimé que « le contrat de louage d’emplacement publicitaire ne peut être conclu pour une durée supérieure à six ans à compter de sa signature ; que la stipulation d’une durée plus longue est soumise à réduction» ( 1re civ., 13 nov. 2002).
- Si, de toute évidence, cette solution permet de surmonter les difficultés soulevées par la nullité totale ou partielle, elle n’est pas non plus à sans faille.
- La possibilité de réduire la durée du contrat à hauteur du plafond légal n’est envisageable qu’à la condition que ce plafond existe.
- Or pour la plupart des contrats aucun maximum de durée n’a été institué par le législateur.
- Ainsi, apparaît-il que le champ d’application de la sanction qui consiste à réduire la durée du contrat est pour le moins restreint.
Au total, il ressort de l’examen général de chacune des mesures envisagées en guise de sanction du principe de prohibition des engagements perpétuels qu’aucune d’elles n’était véritablement satisfaisante.
C’est la raison pour laquelle le législateur n’en a retenu aucune. Il a préféré emprunter une autre voie
==> L’intervention du législateur
À l’occasion de la réforme des obligations, le législateur a introduit un article 1210, al. 2 dans le Code civil.
Cette disposition prévoit en contrepoint de l’alinéa 1er, lequel pose le principe de prohibition des engagements perpétuels, que « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »
Ainsi, la sanction d’un contrat conclu à titre perpétuel n’est autre que la requalification en contrat à durée indéterminée.
Les parties retrouvent alors leur faculté de résiliation unilatérale.
En cas d’exercice de cette faculté, elles ne seront toutefois pas dispenser d’observer l’exigence de préavis prévue à l’article 1211.
V) Limites au principe
Le principe de prohibition des engagements perpétuels est tempéré par l’obligation pour la partie qui entend exercer sa faculté de résiliation unilatérale de ne pas commettre d’abus.
Dans un arrêt du 15 novembre 1969 la Cour de cassation a par exemple estimé que le contractant « pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement » ( com. 15 déc. 1969)
Elle a encore jugé dans un arrêt du 5 février 1985 que « dans les contrats a exécution successive dans lesquels aucun terme n’a été prévu, la résiliation unilatérale est, sauf abus sanctionne par l’alinea 3 de [l’ancien article 1134], offert aux deux parties» ( 1ère civ. 5 févr. 1985)
Cass. com. 15 déc. 1969 | |
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Sur le premier moyen : Vu l'article 1134 du code civil ; Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaque que la société des établissements Castaing fils a concédé en septembre 1961 a valentin y... de la vente des appareils agricoles qu'elle fabriquait dans quatre départements du sud-est de la France ; Que, par lettre du 13 avril 1965, la société Castaing, invoquant la faiblesse des résultats obtenus par a..., a dénoncé le contrat de 1961 en proposant a ce dernier de continuer à lui livrer le matériel qui pourrait lui être utile, mais sans exclusivité ; Que a... et les deux sociétés qu'il avait constituées pour l'exercice de son activité commerciale, le comptoir industriel et agricole méditerranéen (ciam) et les établissements Paul a... ont alors fait assigner la société Castaing devant le tribunal de commerce en paiement de dommages-intérêts pour rupture unilatérale des conventions liant les parties, en demandant en outre que les établissements Castaing soient condamnes a reprendre les pièces détachées qu'ils avaient livrées a a... ou à ces deux sociétés ; Attendu que le tribunal de commerce a fait droit a la demande concernant les pièces détachées mais a x... valentin et les deux sociétés susvisées de leur demande en dommages-intérêts en relevant notamment que le retrait d'exclusivité était justifie par l'absence complète de toute vente d'appareils au cours des années 1964 et 1965 succédant au nombre très réduit et en diminution constante et progressive des ventes réalisées au cours des trois années précédentes ; Attendu que l'arrêt déféré infirme le jugement entrepris et ordonne une expertise pour rechercher notamment quelles diligences ont été faites par a... et ses sociétés concessionnaires pour implanter les produits Castaing dans le secteur concédé, si ces diligences étaient normales et suffisantes eu égard aux conditions du marché, aux motifs que si "le contrat étant a durée indéterminée, les établissements Castaing pouvaient le dénoncer de leur seule volonté, à condition de ne pas agir abusivement, et ce, sans avoir à s'adresser à justice" , et que "la seule question qui se pose est donc de savoir si cette dénonciation est justifiée par un motif légitime, tel qu'un manquement du concessionnaire a ses obligations, qu'a cet égard, la société Castaing est mal fondée a prétendre que celui-ci avait une obligation de résultat, qu'en effet, la convention ne prévoyait aucun chiffre d'affaires a réaliser par lui, que a..., n'était donc tenu que d'une obligation de diligence normale, eu égard aux usages de la profession et aux possibilités du marché des produits à vendre" ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, ayant déclaré à juste titre, que le concédant pouvait librement mettre fin au contrat a durée indéterminée a la condition de ne pas agir abusivement, la cour d'appel ne pouvait imposer à ce dernier la charge de rapporter la preuve de l'existence d'un juste motif de résiliation du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale a sa décision ; Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin de statuer sur le second moyen : CASSE et ANNULE l'arrêt rendu entre les parties le 28 juin 1968 par la cour d'appel d’Aix-en-Provence ; |