Les caractères du cautionnement: accessoire, consensuel et unilatéral

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs du cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur les caractères de l’opération.

I) Le caractère accessoire du cautionnement

A) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[5].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[6].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

B) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

1. L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

2. L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

3. L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenue que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

4. La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

II) Le caractère consensuel  du cautionnement

I) Principe

Il est admis que, conformément au principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[7].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

III) Le caractère unilatéral  du cautionnement

A) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[8].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

B) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

C) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

[5] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[6] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

[7] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

[8] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

La notion de cautionnement: éléments constitutifs et caractères

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

§1: Les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement

Le cautionnement consiste donc en une opération triangulaire à laquelle interviennent trois personnes : un créancier, un débiteur et une caution.

  • Un premier rapport – principal – se noue entre le créancier et le débiteur qui entretiennent entre eux un lien d’obligation
  • Un deuxième rapport – accessoire – se crée entre la caution et le créancier, la première s’engageant contractuellement à payer le second en cas de défaillance du débiteur
  • Un troisième rapport est établi entre la caution et le débiteur. Il se distingue des deux autres en ce qu’il ne consiste pas en un lien d’obligation. Il ne sera mis en jeu qu’en cas de défaillance du débiteur.

Pratiquement, en cas de défaillance du débiteur principal, soit s’il n’exécute pas l’obligation à laquelle il est tenu envers le créancier, ce dernier pourra actionner en paiement la caution au titre de l’engagement accessoire auquel elle a souscrit.

Après avoir désintéressé le créancier, la caution pourra alors se retourner contre le débiteur aux fins d’être remboursée à concurrence de ce qu’elle a payé.

Analysons désormais, un à un, les trois rapports autour desquels s’articule l’opération de cautionnement.

I) Le rapport entre le créancier et le débiteur

Le cautionnement ne se conçoit, pour mémoire, que s’il existe une obligation principale à garantir.

C’est là la raison d’être de n’importe quelle sûreté : conférer au créancier un droit – personnel ou réel – qui lui procure une position le prémunissant du risque de défaillance de son débiteur.

Chez les romains, l’engagement pris au titre d’un cautionnement se confondait avec l’obligation garantie, si bien que la caution et le débiteur étaient solidairement tenus envers le créancier.

Tel n’est plus le cas aujourd’hui. L’engagement souscrit par la caution est distinct de l’obligation principale, bien qu’accessoire à cette dernière.

La question qui alors se pose est de savoir si toutes les obligations sont susceptibles de faire l’objet d’un cautionnement.

Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter aux articles 2292 et 2293 du Code civil qui fixent les exigences auxquelles l’obligation cautionnée doit répondre.

  • Une obligation valable
    • La spécificité – sans doute la plus importante – du cautionnement réside dans son caractère accessoire.
    • Par accessoire, il faut comprendre que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.
    • Pour cette raison, l’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable», soit une obligation qui n’est entachée d’aucune irrégularité quant à ses éléments constitutifs.
    • Un contrat qui serait frappé de nullité ne peut donc pas faire l’objet d’un cautionnement. Il s’agit là d’un empêchement dirimant à l’engagement de caution.
    • Par exception à la règle, l’alinéa 2 de l’article 2293 du Code civil prévoit que « celui qui se porte caution d’une personne physique dont il savait qu’elle n’avait pas la capacité de contracter est tenu de son engagement. »
  • Une obligation présente ou future
    • L’article 2292 du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations, présentes ou futures […]. »
    • L’obligation présente est celle qui naît au jour de la souscription du cautionnement, peu importe qu’elle soit ou non exigible à cette même date.
    • S’agissant de l’obligation future, il s’agit de celle dont le fait générateur survient postérieurement à la souscription du cautionnement.
    • Si le cautionnement de dettes futures est admis, encore faut-il que l’obligation cautionnée soit déterminable.
  • Une obligation déterminée déterminable
    • L’article 2292 du Code civil prévoit que « le cautionnement peut garantir une ou plusieurs obligations […] déterminées ou déterminables. »
    • Il ressort de cette disposition que le cautionnement peut avoir pour objet n’importe quelle obligation, pourvu qu’elle soit déterminable.
    • À cet égard, l’article 1163, al. 3e du Code civil prévoit que « la prestation est déterminable lorsqu’elle peut être déduite du contrat ou par référence aux usages ou aux relations antérieures des parties, sans qu’un nouvel accord des parties soit nécessaire. »
    • Appliquée au cautionnement, cette règle implique, en substance, que l’acte régularisé par la caution soit suffisamment précis pour que l’on soit en mesure de déterminer l’étendue de son engagement.

Au bilan, il se dégage des articles 2292 et 2293 du Code civil que toutes les obligations sont susceptibles de faire l’objet d’un cautionnement, dès lors qu’elles sont valables et déterminables.

Qu’il s’agisse de leur source ou de leur nature, elles tous deux sont sans incidence sur la potentialité d’une dette être cautionnée.

  • S’agissant de la source de l’obligation cautionnée
    • Si, dans la très grande majorité des cas, les obligations cautionnées résultent de la conclusion d’un contrat, on s’est demandé si les obligations qui trouvent leur source dans un délit ou quasi-délit ne pouvaient pas également faire l’objet d’un cautionnement.
    • Pendant longtemps, la jurisprudence s’est refusé à l’admettre (V. en ce sens 2e civ. 13 déc. 1993).
    • Au soutien de cette position, il a été avancé est que le cautionnement ne pouvait avoir pour objet qu’une obligation valable.
    • Or un délit ou quasi-délit futur présente, par hypothèse, un caractère illicite.
    • D’où le refus de la Cour de cassation de reconnaître la validité d’un cautionnement qui porterait sur une obligation délictuelle.
    • Un revirement a néanmoins été opéré par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 octobre 1996.
    • Dans cette décision, la Première chambre civile a jugé que « le cautionnement garantissant le paiement à la victime de créances nées d’un délit ou d’un quasi-délit est licite» (Cass. 1ère 8 oct. 1996, n°94-19.239).
    • Elle a réaffirmé cette solution, en des termes similaires, dans un arrêt du 13 mai 1998 ( 1ère civ. 13 mai 1998, n°96-14.852).
    • Depuis lors, cette position adoptée par la Cour de cassation n’a pas été remise en cause.
  • S’agissant de la nature de l’obligation cautionnée
    • L’obligation cautionnée consiste, en principe, pour le débiteur à payer au créancier une somme d’argent.
    • Dans le silence des textes, rien n’interdit toutefois que le cautionnement ait pour objet une obligation de faire, soit une obligation consistant pour le débiteur à fournir une prestation autre que le transfert d’une somme d’argent.
      • Exemple: le menuisier s’engage, dans le cadre du contrat conclu avec son client, à fabriquer un meuble
    • En cas de défaillance du débiteur, quid de l’exécution de l’obligation de la caution ?
    • En application de l’article 1231-1 du Code civil, les auteurs s’accordent à dire que la caution ne sera nullement tenue de fournir la prestation promise par le débiteur initialement.
    • Elle devra seulement verser au créancier une somme d’argent qui correspond à la valeur de cette prestation.

II) Le rapport entre la caution et le créancier

==> La source du cautionnement : le contrat

Bien que le cautionnement tire sa raison d’être de l’existence d’une obligation principale à garantir, il ne se confond pas avec cette obligation.

Le cautionnement désigne le rapport qui se noue entre, d’un côté, le créancier de l’obligation cautionnée et, d’un autre côté, la personne qui s’oblige à payer en cas de défaillance du débiteur, la caution.

La spécificité du lien qui unit le créancier à la caution réside dans sa nature conventionnelle. Car un cautionnement procède toujours de la conclusion d’un contrat.

C’est là une particularité qui le distingue des sûretés réelles, lesquelles peuvent puiser leur source indifféremment dans la loi, le contrat ou la décision du juge.

Tel n’est pas le cas du cautionnement qui peut certes être imposé par la loi ou par le juge, auquel cas on le qualifiera de légal ou de judiciaire.

Néanmoins, dans ces deux hypothèses, la constitution du cautionnement ne procédera nullement d’une obligation qui pèserait sur un tiers de garantir la dette d’autrui.

Il s’agit seulement pour la loi ou pour le juge de subordonner l’octroi ou le maintien d’un droit à la fourniture par le débiteur d’une caution.

Celui qui donc accepte de se porter caution au profit du débiteur le fera toujours volontairement, sans que la loi ou le juge ne l’y obligent.

Aussi, le cautionnement que l’on qualifie couramment – et par abus de langage – de légal ou judiciaire s’analyse, en réalité, en une sûreté purement conventionnelle puisqu’il sera souscrit dans le cadre de la conclusion d’un contrat entre un tiers (la caution) et le débiteur.

Il en résulte qu’il est soumis, pour une large part, au droit des obligations et plus précisément aux règles qui intéressent la formation, le contenu et l’extinction du contrat.

==> Les parties au contrat de cautionnement

Parce que le cautionnement est un contrat, il est nécessairement le produit de la rencontre des volontés de deux personnes : la caution et le créancier.

  • La caution
    • La caution, désignée parfois sous le qualificatif de fidéjusseur en référence au fidejussor qui endossait le rôle de caution en droit romain, n’est autre que la personne qui s’engage envers le créancier à payer en lieu et place du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.
    • En application du principe de l’autonomie de la volonté, une personne ne saurait valablement se porter caution sans y avoir consenti.
    • Aussi, ne peut-on être obligé à un cautionnement contre son gré ou à son insu : la souscription d’un engagement de caution procède toujours d’une démarche volontaire.
    • Par ailleurs, pour être partie à un contrat de cautionnement il faut justifier de la capacité juridique requise, soit disposer de la capacité à contracter, ce qui n’est pas le cas des mineurs ou des majeurs protégés faisant l’objet d’une mesure de tutelle ou de curatelle.
    • Dès lors, en revanche, que la condition tenant à la capacité est remplie, toute personne physique ou morale peut se porter caution.
    • En outre, il est indifférent que la personne qui s’oblige à cautionner la dette d’autrui endosse la qualité de consommateur ou de professionnel.
    • La qualité de la caution a pour seul effet de lui conférer une protection plus ou moins renforcée.
    • C’est ainsi que le cautionnement souscrit par une personne physique au profit d’un créancier professionnel est soumis à un régime juridique particulièrement contraignant.
    • Les exigences applicables sont, à l’inverse, bien moins rigoureuses lorsque le cautionnement est conclu en dehors d’une relation d’affaires.
  • Le créancier
    • Le créancier, qui peut indifféremment être une personne physique ou morale, est le bénéficiaire de l’engagement souscrit par la caution.
    • Dans cette opération triangulaire que constitue le cautionnement, il occupe une position pour le moins privilégiée puisque, tant dans ses rapports avec la caution, que dans ses rapports avec le débiteur principal, il se trouve toujours dans la situation de celui envers qui une prestation est due :
      • Le débiteur doit exécuter la prestation initialement promise
      • La caution doit garantir l’exécution de l’obligation du débiteur
    • S’agissant du cautionnement, la position du créancier est d’autant plus favorable qu’il s’agit d’un contrat unilatéral, en ce sens qu’il ne crée d’obligations qu’à la charge de la seule caution.
    • Dans ces conditions, la qualité du créancier devrait être sans incidence sur le régime applicable : qu’il endosse ou non la qualité de professionnel, le cautionnement souscrit par la caution devrait être soumis aux mêmes exigences.
    • Tel n’est toutefois pas le cas, le législateur ayant, au fil des réformes, mis à la charge des créanciers professionnels et notamment des établissements crédits un certain nombre d’obligations – toujours plus nombreuses – l’objectif recherché étant de conférer une protection à la caution.
    • Cette distinction entre créanciers professionnels et créanciers non-professionnels introduite initialement dans le Code de la consommation a été reprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés.
    • Elle figure désormais dans le Code civil, corpus au sein duquel toutes les règles régissant le cautionnement ont été rassemblées.

==> La situation du débiteur

Parce que le cautionnement est un contrat, seuls la caution et le créancier endossent la qualité de partie.

Bien que le débiteur soit directement intéressé à l’opération, il y reste néanmoins étranger et doit donc, à ce titre, être regardé comme un tiers.

Aussi, le débiteur est-il insusceptible de fixer les termes du contrat de cautionnement, ni de s’ingérer dans son exécution.

La plupart du temps, l’engagement de caution sera, certes, pris sur la demande du débiteur.

L’article 2288 du Code civil prévoit toutefois expressément qu’un contrat de cautionnement peut être conclu à son insu, soit sans que son accord ait été sollicité, ni qu’il ait été informé.

III) Le rapport entre la caution et le débiteur

À la différence du lien qui unit le créancier au débiteur principal ou le créancier à la caution dont la qualification ne soulève pas de difficulté – il s’agit dans les deux cas d’un contrat – le rapport que la caution entretient avec le débiteur se laisse, quant à lui, plus difficilement saisir.

La raison en est que la nature de ce rapport est susceptible de varier selon les circonstances qui ont conduit à la conclusion du cautionnement.

Deux situations doivent être distinguées :

  • Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur
  • Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

A) Le cautionnement n’a pas été conclu à la demande du débiteur

Dans cette hypothèse, le cautionnement a été conclu sans que le débiteur ait donné son accord. Tout au plus, il peut avoir été informé de l’opération. Il n’en est toutefois pas à l’origine.

Faute de rencontre des volontés entre le débiteur et la caution, la qualification de contrat du lien qui les unit doit d’emblée être écartée.

Leur relation présente un caractère purement légal. Aussi, est-elle réduite à sa plus simple expression, soit se limite, en simplifiant à l’extrême, aux seuls recours que la loi confère à la caution contre le débiteur défaillant.

Au nombre de ces recours figurent :

  • Le recours personnel
    • L’article 2308 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette a un recours personnel contre le débiteur tant pour les sommes qu’elle a payées que pour les intérêts et les frais. »
  • Le recours subrogatoire
    • L’article 2309 du Code civil prévoit que « la caution qui a payé tout ou partie de la dette est subrogée dans les droits qu’avait le créancier contre le débiteur.»

Réciproquement, on pourrait imaginer que le débiteur dispose d’un recours contre la caution pour le cas où cette dernière ne déférerait pas à l’appel en garantie du créancier, cette situation étant susceptible de lui causer un préjudice.

Reste que, dans la configuration envisagée ici, l’engagement de caution a été pris indépendamment de la volonté du débiteur.

Dans ces conditions, on voit mal comment celui-ci pourrait se prévaloir d’une obligation qui n’est, ni prévue par la loi, ni ne peut trouver sa source dans un contrat.

D’aucuns soutiennent que lorsque le cautionnement est souscrit à l’insu du débiteur, il s’analyse en une gestion d’affaires, car il répondrait aux critères de l’acte de gestion utile.

Cette qualification, si elle était retenue par le juge, pourrait alors fonder une action du débiteur contre la caution, au titre des obligations qui pèsent sur le gérant d’affaires.

L’article 1301 du Code civil prévoit notamment qu’il « est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire. »

L’article 1301-1 précise que le gérant « est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’une personne raisonnable ; il doit poursuivre la gestion jusqu’à ce que le maître de l’affaire ou son successeur soit en mesure d’y pourvoir ».

Si l’on transpose ces règles au cautionnement, cela signifie que l’inexécution de l’engagement pris par la caution envers le créancier serait constitutive d’un manquement aux obligations qui lui échoient en sa qualité de gérant d’affaires.

Aussi, le débiteur serait-il fondé, en tant que maître de l’affaire, à engager la responsabilité de la caution.

Pour l’heure, aucune décision n’a, à notre connaissance, été rendue en ce sens. Par ailleurs, la doctrine est plutôt défavorable à l’application des règles de la gestion d’affaires au rapport caution-débiteur.

Des auteurs affirment en ce sens que la qualification de gestion d’affaires « nécessite une volonté de gérer les affaires d’autrui qui est ici trop ténue ; surtout, elle impliquerait la libération du garant dès l’acceptation de l’opération par le maître de l’affaire (le débiteur), ce qui est inconcevable »[2].

B) Le cautionnement a été conclu à la demande du débiteur

Dans l’hypothèse où le cautionnement a été souscrit par la caution à la demande du débiteur, ce qui correspond à la situation la plus fréquente, il est admis que le rapport qu’ils entretiennent entre eux présente un caractère contractuel.

La raison en est que, dans cette configuration, l’engagement pris par la caution procède d’un accord, tacite ou exprès, conclu avec le débiteur à titre gratuit ou onéreux.

Tel est le cas, par exemple, lorsque le débiteur sollicite un établissement bancaire aux fins qu’il lui fournisse, moyennant rémunération, un service de caution.

Le recours à une caution professionnelle peut être exigé, soit par la loi ou le juge, soit par le prêteur lui-même en contrepartie de l’octroi d’un crédit.

Quels que soit les caractères de l’accord conclu entre le débiteur et la caution, il est le produit d’une rencontre des volontés, en conséquence de quoi il s’analyse en un contrat.

Reste à déterminer la qualification de ce contrat, ce qui n’est pas sans avoir fait l’objet d’une importante controverse.

Plusieurs qualifications ont, en effet, été attribuées par les auteurs à l’accord conclu entre le débiteur et la caution.

Ces qualifications diffèrent néanmoins selon que l’accord initial a donné lieu ou non à la régularisation d’un cautionnement.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

  • Le mandat
    • Les auteurs classiques ont d’abord vu dans le lien noué entre le débiteur et la caution un mandat.
    • En sollicitant la caution afin qu’elle garantisse l’exécution de l’obligation principale, le débiteur lui aurait, en effet, donné mandat de s’engager au profit du créancier.
    • A priori, cette approche est parfaitement compatible avec la qualification de mandat, lequel est défini à l’article 1984 du Code civil comme « l’acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom».
    • L’exécution du mandat consistant ainsi à accomplir un acte juridique au nom et pour le compte du mandant, il semble possible d’imaginer que cet acte puisse être un cautionnement.
    • Bien que séduisante, cette analyse est aujourd’hui unanimement réfutée par la doctrine.
    • Le principal argument avancé tient aux effets du mandat qui divergent fondamentalement de ceux attachés au contrat conclu entre le débiteur et la caution.
    • Lorsque dans le cadre de l’exercice de sa mission, le mandataire accompli un acte, il agit au nom et pour le compte du mandant, de sorte qu’il n’est pas engagé personnellement à l’opération.
    • Tel n’est pas le cas de la caution qui, lorsqu’elle conclut un cautionnement au profit du créancier, s’oblige personnellement à l’opération, quand bien même elle agit sur la demande du débiteur.
    • En cas de défaillance de celui-ci, c’est donc bien elle qui sera appelée en garantie et personne d’autre.
    • Pour cette raison, la relation que le débiteur entretient avec la caution ne peut pas s’analyser en un mandat.
  • Le contrat de commission
    • Afin de surmonter l’obstacle tenant aux effets du mandat qui, par nature, est une technique de représentation, des auteurs ont suggéré de qualifier le lien unissant le débiteur à la caution de mandat sans représentation, dont la forme la plus connue est le contrat de commission.
    • Au soutien de cette analyse, il est soutenu que le mandat pourrait avoir pour objet une représentation imparfaite, ce qui correspond à l’hypothèse où le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre nom ( 1154, al. 2e C. civ.)
    • La conséquence en est qu’il devient seul engagé à l’égard du cocontractant.
    • Celui qui est réputé être partie à l’acte ce n’est donc pas le représenté, comme en matière de représentation parfaite, mais le représentant qui endosse les qualités de créanciers et débiteurs.
    • Appliqué au rapport entretenu entre le débiteur et la caution, la qualification de mandat sans représentation permet d’expliquer pourquoi la caution est seule engagée au contrat de cautionnement.
    • Reste que cette qualification n’est pas totalement satisfaisante, elle présente une faille.
    • En effet, la conclusion d’un mandat de représentation suppose que l’engagement pris par le mandataire, qui donc agit en son nom personnel, soit exactement le même que l’obligation mise à la charge du mandant après le dénouement de l’opération.
    • Tel n’est cependant pas le cas en matière de cautionnement : l’obligation souscrite par la caution est différente de l’obligation qui pèse sur le débiteur.
    • L’engagement de la caution se limite à payer le créancier en cas de défaillance du débiteur, tandis que l’obligation mise à la charge de celui-ci a pour objet la fourniture de la prestation initialement promise.
    • Les deux obligations ne sont pas les mêmes, raison pour laquelle la qualification de mandat sans représentation ne s’applique pas au rapport caution-débiteur.
  • La promesse de cautionnement
    • Autre qualification attribuée à la relation entretenue par la caution avec le débiteur : la promesse de cautionnement.
    • Selon cette thèse, défendue par Franck Steinmetz, la caution endosserait la qualité de promettant, en ce sens qu’elle promettrait au débiteur de s’engager auprès du créancier à garantir l’exécution de l’obligation principale.
    • Là encore, cette proposition de qualification du rapport caution-débiteur n’emporte pas la conviction.
    • En premier lieu, une promesse de contrat a pour objet la conclusion d’un contrat définitif.
    • Par hypothèse, elle est donc conclue entre les mêmes parties que celles qui concluront l’accord final.
    • L’opération de cautionnement ne correspond pas à cette situation : la caution promet au débiteur de s’obliger à titre définitif non pas envers lui ce qui n’aurait pas de sens, mais envers une tierce personne, le créancier.
    • Il n’y a donc pas identité de parties entre la promesse de cautionnement et le contrat de cautionnement stricto sensu.
    • En second lieu, à supposer que l’engagement pris par la caution envers le débiteur s’analyse en une promesse, leurs rapports devraient prendre fin au moment même où le contrat de cautionnement est conclu.
    • Or tel n’est pas le cas. La relation entre le débiteur et la caution se poursuit bel et bien tant que le cautionnement n’est pas éteint.
    • Pour les deux raisons ainsi exposées, la qualification de promesse de contrat doit être écartée.
  • Le contrat de crédit
    • S’il est une qualification du rapport débiteur-caution qui fait l’unanimité : c’est celle de contrat de crédit.
    • En promettant au débiteur de payer le créancier qui le solliciterait, l’opération s’analyse incontestablement en un crédit.
    • Classiquement, on définit le crédit comme l’« opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d’argent à disposition d’une autre personne en raison de la confiance qu’elle lui fait»[3].
    • Bien que correspondant au sens commun que l’on attache, en première intention, au crédit, cette définition est pour le moins étroite, sinon réductrice des opérations que recouvre en réalité la notion de crédit.
    • En effet, le crédit ne doit pas être confondu avec le prêt d’argent qui ne connaît qu’une seule forme : la mise à disposition de fonds.
    • Tel n’est pas le cas du crédit qui, comme relevé par François Grua, « peut se réaliser de trois manières différentes : soit par la mise à disposition de fonds, soit par l’octroi d’un délai de paiement, soit par un engagement de garantie d’une dette»[4].
    • Cette approche est confirmée par l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier qui définit le crédit comme « tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement, ou une garantie».
    • Il ressort de cette disposition que la loi envisage donc deux formes de crédit, la première consistant en la mise à disposition temporaire ou future de fonds, la seconde en l’octroi d’une garantie.
    • Le cautionnement, qui est nommément visé par le texte, appartient à la seconde catégorie.
    • Il constitue donc une opération de banque au sens de l’article L. 311-1 du Code monétaire et financier et relève donc, lorsqu’il est pratiqué de façon habituelle, du monopole des établissements bancaires et financiers ( L. 511-5, al. 1er CMF).
    • L’article 511-7 du Code monétaire et financier autorise toutefois une entreprise, « quelle que soit sa nature», dans l’exercice de son activité professionnelle, à consentir à ses contractants des délais ou avances de paiement.
    • En application de cette disposition, il a été admis qu’il pouvait également s’agir pour une entreprise de se porter caution ou sous-caution, y compris à titre habituel, au profit d’un partenaire commercial.

==> L’accord intervenu entre le débiteur et la caution a donné lieu à la conclusion d’un cautionnement

Il est des cas où, alors même que la caution s’est engagée envers le débiteur à le garantir de son obligation souscrite auprès du créancier, aucun cautionnement ne sera finalement régularisé.

Dans cette hypothèse, quelle qualification donner à l’accord conclu entre la caution et le débiteur ?

L’enjeu est ici de faire produire des effets à cet accord et plus encore de déterminer dans quelle mesure la caution est engagée envers le créancier alors même qu’elle n’a conclu aucun cautionnement avec lui, à tout le moins pas directement.

Certains auteurs estiment que, parce que l’accord intervenu entre la caution et le débiteur est pourvu de la force obligatoire attachée à n’importe quel contrat, la conclusion d’un contrat de cautionnement ne serait, au fond, pas indispensable.

Pratiquement, cela permettrait d’admettre qu’une caution puisse s’engager au profit d’un créancier indéterminé.

Au soutien de cette thèse, il a été soutenu que l’accord conclu entre le débiteur et la caution s’analyserait en une stipulation pour autrui.

Pour mémoire, la stipulation pour autrui est un contrat par lequel une partie appelée le stipulant, obtient d’une autre, appelée le promettant, l’engagement qu’elle donnera ou fera, ou ne fera pas quelque chose au profit d’un tiers appelé le bénéficiaire.

Il s’agit, autrement dit, de faire promettre, par voie contractuelle, à une personne qu’elle s’engage à accomplir une prestation au profit d’autrui.

L’une des applications la plus répandue de la stipulation pour autrui est l’assurance-vie. Le souscripteur du contrat d’assurance-vie fait promettre à l’assureur de verser un capital ou une rente, moyennant le paiement de primes, à un bénéficiaire désigné dans le contrat.

À l’instar du cautionnement, la stipulation pour autrui fait naître trois rapports :

  • Rapport stipulant-promettant
    • Parce que l’accord conclu entre le stipulant et le promettant s’analyse en un contrat, le promettant est tenu d’exécuter l’obligation promise à la faveur du bénéficiaire.
    • Ainsi, l’article 1209 du Code civil prévoit que « le stipulant peut lui-même exiger du promettant l’exécution de son engagement envers le bénéficiaire».
  • Rapport promettant-bénéficiaire
    • L’article 1206 du Code civil prévoit que « le bénéficiaire est investi d’un droit direct à la prestation contre le promettant dès la stipulation».
    • Cela signifie que le bénéficiaire peut contraindre le promettant à exécuter l’engagement pris à son profit aux termes de la stipulation, quand bien même il n’est pas partie au contrat.
    • C’est là l’originalité de la stipulation pour autrui, le droit dont est investi le bénéficiaire contre le promettant naît directement dans son patrimoine sans qu’il lui soit transmis par le stipulant.
  • Rapport stipulant-bénéficiaire
    • La stipulation pour autrui fait certes naître un droit direct au profit du bénéficiaire contre le promettant.
    • Ce droit demeure néanmoins précaire tant qu’il n’a pas été accepté par le bénéficiaire.
    • L’article 1206 du Code civil prévoit, en effet que « le stipulant peut librement révoquer la stipulation tant que le bénéficiaire ne l’a pas acceptée.»
    • Ce n’est donc que lorsque le bénéficiaire a accepté la stipulation que le droit stipulé à son profit devient irrévocable.

Il ressort de l’articulation des rapports entretenus par les personnes intéressées à la stipulation pour autrui, que cette opération présente de nombreuses ressemblances avec le cautionnement.

Afin de déterminer s’il y a identité entre les deux, superposons les rapports de l’une et l’autre opération :

  • Tout d’abord, le rapport entre le stipulant et le promettant correspondrait au rapport débiteur-caution
  • Ensuite, le rapport entre le promettant et le bénéficiaire correspondrait quant à lui au rapport caution-créancier
  • Enfin, le rapport entre le stipulant et le bénéficiaire correspondrait au rapport débiteur-créancier

Si donc l’on raisonne par analogie, à supposer que l’opération de cautionnement s’analyse en une stipulation pour autrui, cela signifierait que la caution serait engagée envers le bénéficiaire du seul fait de l’accord conclu avec le débiteur.

Il en résulterait alors deux conséquences :

  • Le créancier pourrait poursuivre la caution, alors même qu’aucun contrat de cautionnement n’a été conclu entre eux
  • Le débiteur pourrait contraindre la caution à exécuter l’engagement pris envers le créancier

Bien que séduisante, l’analogie opérée par une partie de doctrine entre le cautionnement et la stipulation pour autrui ne résiste pas à la critique pour deux raisons principales.

En premier lieu, le cautionnement est un contrat. L’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés n’est pas revenue sur cette spécificité.

Le nouvel article 2288 du Code civil prévoit en ce sens que « le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il en résulte qu’il ne peut valablement produire ses effets qu’à la condition qu’il y ait un échange des consentements entre la caution et le débiteur.

L’article 2294 précise, à cet égard, que le cautionnement doit être exprès, ce qui signifie qu’il ne peut pas être présumé.

C’est là une différence majeure avec la stipulation pour autrui dont l’originalité réside précisément dans la création d’un lien d’obligation entre le promettant et le bénéficiaire sans qu’aucun accord ne soit directement intervenu entre eux.

Le promettant est personnellement engagé envers le bénéficiaire du seul fait du contrat conclu avec le stipulant.

Pour cette seule raison, l’analogie entre le cautionnement et la stipulation pour autrui est inopérante.

En second lieu, si, une fois régularisé, le contrat de cautionnement oblige la caution à payer le créancier en cas d’appel en garantie, c’est à la condition que ce dernier préserve les droits et actions dont il est investi à l’égard du débiteur.

L’article 2314 du Code civil prévoit, en effet, que « lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. »

Ainsi, le créancier doit-il prendre toutes les mesures utiles aux fins de ménager ce que l’on appelle le bénéfice de subrogation qui joue, de plein droit, au profit de la caution qui a payé en lieu et place du débiteur.

Pour que le créancier soit en mesure de satisfaire à cette obligation qui lui échoit, encore faut-il ait connaissance de l’engagement pris par la caution envers lui.

Or tel ne sera pas nécessairement le cas si l’on se place dans la configuration de la stipulation pour autrui : aucune obligation n’impose que le bénéficiaire soit informé de l’accord conclu entre le stipulant et le promettant.

Surtout, et c’est là un argument déterminant nous semble-t-il, le principe même de faire peser sur le créancier une obligation en matière de cautionnement – au cas particulier celle de préserver les droits et actions dans lesquels la caution est susceptible de se subroger – est incompatible avec la stipulation pour autrui qui ne peut jamais faire naître d’obligation à la charge du bénéficiaire.

Pour toutes ces raisons, le cautionnement ne saurait s’analyser en une stipulation pour autrui bien qu’il s’agisse là d’opérations dont les économies générales sont proches.

À cet égard, dans un arrêt du 18 décembre 2002, la Cour de cassation a prononcé la nullité d’un cautionnement qui reposait sur une stipulation pour autrui (Cass. 3e civ. 18 déc. 2002, n°99-18.141).

Il s’agissait en l’espèce, du cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un entrepreneur principal au profit de ses sous-traitants.

La particularité de cette technique de garantie, qualifiée usuellement de « cautionnement-flotte » réside dans la couverture d’un risque global.

Il s’agit, en effet, pour l’entrepreneur principal de se faire garantir, comme l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 l’y oblige, le paiement de l’ensemble des sous-traitants qui ont vocation à intervenir sur le chantier pendant une période donnée.

Dans le silence des textes sur la forme que doit arborer cette garantie, une pratique s’était instituée consistant pour les établissements bancaires à cautionner de façon générale toutes opérations de sous-traitante présentes et futures, sans que le nom des sous-traitements ne soit expressément visé dans l’acte de cautionnement.

La Cour de cassation a condamné cette pratique au motif que « la caution personnelle et solidaire, garantissant le paiement de toutes les sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant en application du sous-traité, doit comporter le nom de ce sous-traitant et le montant du marché garanti, ce qui exclut l’existence d’une stipulation pour autrui ».

Au soutien de sa décision, la troisième chambre civile rappelle que, en application de la loi du 31 décembre 1975, les opérations de sous-traitance doivent être garanties par une caution solidaire, mais également personnelle obtenue par l’entrepreneur auprès d’un établissement bancaire.

Il en résulte que la validité du cautionnement souscrit est subordonnée à la mention du nom du sous-traitant et des sommes garanties dans l’acte.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi posé un principe de prohibition du cautionnement-flotte.

Dans un arrêt du 20 juin 2012, elle est toutefois revenue sur sa position en admettant qu’il puisse y être recouru pour garantir le paiement des sous-traitants (Cass. 3e civ. 20 juin 2012, n°11-18.463).

La haute juridiction a, en effet, reconnu la validité de cette technique de garantie dès lors que :

  • D’une part, un accord-cadre a été régularisé entre l’entrepreneur principal et l’établissement de crédit
  • D’autre part, cet accord prévoit la notification par l’entrepreneur principal à l’établissement de crédit des contrats de sous-traitance qu’il entend faire garantir et qu’il lui soit délivré en retour par ce dernier, dans les trois jours ouvrés suivant la notification de l’avis, une attestation de cautionnement.

Bien que, par cette décision, la validité du cautionnement-flotte soit désormais admise, les conditions posées par la Cour de cassation excluent toujours la qualification de stipulation pour autrui.

En effet, il n’est certes plus besoin de mentionner le nom du sous-traitant dans l’accord-cadre initial instituant le cautionnement.

Cette exigence resurgit néanmoins à chaque fois que l’entrepreneur principal contracte avec un nouveau sous-traitant. Il s’oblige à notifier le contrat de sous-traitance à la caution.

Cette exigence ne se retrouve pas dans la stipulation pour autrui, le bénéficiaire au profit duquel le promettant s’engage pouvant être une personne indéterminée au moment de la conclusion du contrat à l’origine de la créance (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 7 oct. 1959, n°58-10.056).

Le nouvel article 1205, al. 2e in fine du Code civil prévoit en ce sens que le bénéficiaire « peut être une personne future mais doit être précisément désigné ou pouvoir être déterminé lors de l’exécution de la promesse. »

S’agissant du cautionnement-flotte, la Cour de cassation exige que le sous-traitant, soit désigné dès la formalisation du contrat de sous-traitance, soit avant même que la caution soit appelée à exécuter son engagement ; d’où l’incompatibilité avec la stipulation pour autrui.

§2: Les caractères de l’opération de cautionnement

I) Le caractère accessoire du cautionnement

A) Signification du caractère accessoire

Il est de l’essence du cautionnement de présenter un caractère accessoire, en ce sens qu’il est affecté au service de l’obligation principale qu’il garantit.

Par accessoire, il faut comprendre, autrement dit, que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir et que son sort est étroitement lié à celui de l’obligation à laquelle il se rattache.

Ainsi que le relève Philippe Simler « le cautionnement est à tous égards directement et étroitement dépendant de cette obligation : son existence et sa validité, son étendue, les conditions de son exécution et de son extinction sont déterminées par ce lien »[5].

La raison en est que l’engagement de la caution se rapporte à la même dette qui pèse sur la tête du débiteur. On dit qu’il y a « unicité de la dette », ce qui est confirmé par l’article 2288 qui prévoit que « la caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur »[6].

Il en résulte que tout ce qui est susceptible d’affecter la dette cautionnée a vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution.

À l’analyse, le caractère accessoire du cautionnement n’est affirmé expressément par aucun texte. La réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas procédé au comblement de ce vide que la doctrine appelait pourtant de ses vœux.

L’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant proposait ainsi d’introduire un article 2286-2 du Code civil qui aurait posé un principe général, applicable à toutes les sûretés, selon lequel « sauf disposition ou clause contraire, la sûreté suit la créance garantie ».

Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le législateur estimant que le caractère accessoire du cautionnement se dégageait suffisamment clairement d’un certain nombre de dispositions du Code civil.

Il est, en effet, plusieurs textes qui expriment la dépendance de l’engagement de la caution par rapport à l’obligation principale. Les manifestations du caractère accessoire du cautionnement sont multiples.

B) Les manifestations du caractère accessoire

Le caractère accessoire reconnu au cautionnement se dégage donc de plusieurs règles :

1. L’existence du cautionnement

L’article 2293 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

Il ressort de cette disposition que l’existence même du cautionnement dépend de la validité de l’obligation principale.

Autrement dit, la nullité ou l’inexistence de cette obligation a pour effet de rendre caduc le cautionnement.

À cet égard, il peut être observé que cette exigence ne fait pas obstacle au cautionnement d’une dette future, pourvu que cette dette soit déterminable et qu’elle ne soit pas frappée d’inexistence le jour où la caution est appelée en garantie (art. 2292, al. 1er C. civ.).

2. L’étendue du cautionnement

L’article 2296 du Code civil prévoit que « le cautionnement ne peut excéder ce qui est dû par le débiteur ni être contracté sous des conditions plus onéreuses, sous peine d’être réduit à la mesure de l’obligation garantie. »

Il s’infère de cette règle que la caution ne saurait être engagée, ni au-delà du montant de l’obligation principale, ni en des termes plus rigoureux.

La dette cautionnée constitue ainsi le plafond du cautionnement ; la caution ne doit jamais payer plus que ce qui est dû par le débiteur principal.

Rien n’interdit néanmoins, comme énoncé par le second alinéa de l’article 2296 qu’il soit « contracté pour une partie de la dette seulement et sous des conditions moins onéreuses ».

3. L’opposabilité des exceptions

==> Principe

L’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur, sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l’article 2293. »

Par exception, il faut entendre tout moyen de défense qui tend à faire échec à un acte en raison d’une irrégularité (causes de nullité, prescription, inexécution, cause d’extinction de la créance etc…).

Le principe d’opposabilité des exceptions puise directement son fondement dans le caractère accessoire du cautionnement.

Parce que la caution ne peut être tenue à plus que ce qui est du par le débiteur principal, elle doit être en mesure d’opposer au créancier tous les moyens que pourrait lui opposer le débiteur principal afin de se décharger de son obligation, à tout le moins de la limiter.

Il ne faudrait pas, en effet, que le débiteur principal puisse se libérer de son obligation, tandis que la caution serait contrainte, faute de pouvoir opposer les mêmes moyens de défense que le débiteur au créancier, de le payer.

Ne pas reconnaître à la caution cette faculté, l’exposerait donc à être plus rigoureusement tenu que le débiteur principal.

Or cette situation serait contraire au principe de limitation de l’étendue de l’engagement de caution à celle de l’obligation principale.

D’où le principe d’opposabilité des exceptions institué en matière de cautionnement ; il en est d’ailleurs l’un des principaux marqueurs.

À cet égard, il peut être observé que la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne s’est pas limitée à réaffirmer ce principe, elle en a renforcé la portée.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

Sous l’empire du droit antérieur, une distinction était faite entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

En substance :

  • Les exceptions inhérentes à la dette sont celles qui affectent son existence, sa validité, son étendue ou encore ses modalités (prescription, nullité, novation, paiement, confusion, compensation, résolution, caducité etc.)
  • Les exceptions personnelles au débiteur sont celles qui affectent l’exercice du droit de poursuite des créanciers en cas de défaillance de celui-ci (incapacité du débiteur, délais de grâce, suspension des poursuites en cas de procédure collective etc.)

Seules les exceptions inhérentes à la dette étaient susceptibles d’être opposées par la caution au débiteur avant la réforme opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Dans un premier temps, la jurisprudence a adopté une approche restrictive de la notion d’exception personnelle en ne retenant de façon constante comme exception inopposable au créancier que celles tirées de l’incapacité du débiteur.

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en élargissant, de façon significative, le domaine des cas d’inopposabilité des exceptions.

Dans un arrêt du 8 juin 2007, la Cour de cassation a ainsi jugé que la caution « n’était pas recevable à invoquer la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal et qui, destinée à protéger ce dernier, constituait une exception purement personnelle » (Cass. ch. Mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).

Elle a, par suite, étendu cette solution à toutes les causes de nullité relative (V. en ce sens Cass. com., 13 oct. 2015, n° 14-19.734).

La première chambre civile est allée jusqu’à juger que la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution en ce qu’elle constituait « une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service » (Cass. 1ère civ. 11 déc. 2019, n°18-16.147).

En restreignant considérablement le domaine des exceptions inhérentes à la dette, il a été reproché à la haute juridiction de déconnecter l’engagement de la caution de l’obligation principale en ce qu’il est de nombreux cas où elle était devenue plus rigoureusement tenue que le débiteur lui-même.

Attentif aux critiques – nombreuses – émises par la doctrine et reprenant la proposition formulée par l’avant-projet de réforme des sûretés, le législateur en a tiré la conséquence qu’il y avait lieu de mettre un terme à l’inflation des cas d’inopposabilité des exceptions.

Par souci de simplicité et de sécurité juridique, il a donc été décidé d’abolir la distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et celles personnelles au débiteur.

D’où la formulation du nouvel article 2298 du Code civil qui pose le principe selon lequel la caution peut opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient personnelles à ce dernier ou inhérentes à la dette.

En reconnaissant à la caution le bénéfice des mêmes moyens de défense que ceux dont jouit le débiteur principal, le législateur a ainsi redonné une place centrale au caractère accessoire du cautionnement.

==> Dérogations

Il est seulement deux cas où le principe d’opposabilité des exceptions est écarté :

  • Premier cas
    • L’article 2298 du Code civil prévoit que l’incapacité du débiteur ne peut jamais être opposée par la caution au créancier.
    • Cette règle, qui déroge au caractère accessoire du cautionnement, se justifie par le caractère purement personnel de l’exception au débiteur.
    • Surtout, elle vise à favoriser le crédit des incapables dont les engagements doivent pouvoir être aisément cautionnés.
    • Pour ce faire, il est nécessaire de garantir au créancier qu’il ne risque pas de se voir opposer par la caution l’incapacité de son débiteur
    • D’où la dérogation portée au principe d’opposabilité des exceptions pour les personnes incapables (mineurs ou majeurs).
  • Second cas
    • L’alinéa 2 de l’article 2298 du Code civil prévoit que « la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance, sauf disposition spéciale contraire. »
    • Aussi par dérogation au principe d’opposabilité des exceptions, la caution ne peut se prévaloir des mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance (les délais de grâce d’origine légale ou judiciaire, suspension des poursuites dans le cadre d’une procédure collective etc.).
    • La raison en est que le cautionnement a précisément pour finalité de couvrir une telle défaillance.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2015 est ici venue clarifier le principe qui était pour le moins obscur sous l’empire du droit antérieur.
    • Il est toutefois admis que le droit des procédures collectives ou le droit du surendettement puissent prévoir, dans certains cas, des solutions différentes en fonction des objectifs qui sont les leurs.
    • Tel sera notamment le cas en présence de cautions personnes physiques dirigeantes qui, par exemple, bénéficient de l’arrêt du cours des intérêts et peuvent se prévaloir de l’inopposabilité de la créance non déclarée.

4. La transmission du cautionnement

Parce que le cautionnement présente un caractère accessoire, il suit l’obligation principale.

Il en résulte que, en cas de cession de créance, le cessionnaire se verra également transférer le bénéfice du cautionnement contracté au profit du cédant.

L’article 1321 du Code civil prévoit en ce sens que la cession « s’étend aux accessoires de la créance ».

Par accessoires, il faut comprendre toutes les sûretés attachées à la créance cédée, ce qui inclut les sûretés personnelles et donc le cautionnement.

À cet égard, non seulement la cession de créance emporte transmission du cautionnement au cédant, mais encore, conformément à l’article 1326 du Code civil, elle met à la charge du cessionnaire une obligation de garantir l’existence des accessoires de la créance.

II) Le caractère consensuel  du cautionnement

I) Principe

Il est admis que, conformément en application du principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[7].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne physique à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

III) Le caractère unilatéral  du cautionnement

A) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[8].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

B) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

C) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°56, p. 44

[3] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 249, v. « crédit ».

[4] F. Grua, Les contrats de base de la pratique bancaire, Litec, 2001, n°324.

[5] Ph. Simler, Le cautionnement – Définition, critère distinctif et caractères, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 10

[6] Pour une approche nuancée de cette thèse, V. notamment M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°145, p. 91

[7] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

[8] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

Le caractère consensuel du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur le caractère consensuel du cautionnement.

I) Principe

Il est admis que, conformément au principe du consensualisme, le cautionnement appartient à la catégorie des contrats consensuels.

Pour mémoire le contrat consensuel est celui qui se « forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression ».

Il s’oppose au contrat solennel dont la validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.

À cet égard, des auteurs soulignent que « quand la loi impose une exigence qui pourrait apparaître comme une condition de forme, elle doit être interprétée comme une règle de preuve afin de ne pas altérer le caractère consensuel du contrat »[1].

S’agissant du contrat de cautionnement il est réputé, par principe, formé dès lors que la volonté de la caution de s’engager a rencontré l’acceptation du créancier.

Si donc aucune forme particulière n’est, a priori, requise pour que le cautionnement soit valablement conclu, l’article 2294 du Code civil exige néanmoins qu’il soit « exprès ».

Par exprès, il faut comprendre que l’engagement de la caution doit être établi avec suffisamment de certitude.

Autrement dit, la caution doit avoir manifesté clairement la volonté de s’obliger au profit du créancier.

Cette volonté ne saurait se déduire des circonstances ou être tacite ; elle doit être positivement exprimée.

L’engagement oral de la caution est donc, par principe, pleinement valable, pourvu qu’il ne soit pas équivoque.

Dans un arrêt du 24 avril 1968 la Cour de cassation a ainsi censuré une Cour d’appel qui avait admis l’existence d’un cautionnement « par de simples présomptions » (Cass. civ. 24 avr. 1968).

S’agissant de l’acceptation du créancier, contrairement à l’engagement de la caution, il n’est pas exigé qu’il soit exprès.

Il est, en effet, admis que la volonté du créancier d’accepter le cautionnement soit tacitement exprimée, soit qu’elle puisse se déduire d’indices ou de son comportement (V. en ce sens Cass. com., 13 nov. 1972).

II) Exceptions

==> L’exception tenant au formalisme exigé à titre de preuve

Parce que le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est soumis aux exigences probatoires énoncées par l’article 1376 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres ».

Appliquée au cautionnement, cette règle signifie que l’acte qui constate l’engagement de caution n’a valeur de preuve qu’à la condition qu’il soit assorti d’une mention manuscrite apposée par la caution.

Si, conformément au principe du consensualisme, il a toujours été admis que cette mention manuscrite était exigée ad probationem, la Cour de cassation a, au cours des années 1980, adopté la position radicalement inverse en jugeant qu’il s’agissait là d’une condition de validité du cautionnement.

Dans un arrêt du 22 février 1984, elle a affirmé en ce sens « qu’il résulte de la combinaison des articles 1326 et 2015 du Code civil que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituent pas de simples règles de preuve mais ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 22 févr. 1984, n°82-17.077).

La première chambre civile a réaffirmé, dans les mêmes termes cette position dans un arrêt du 30 juin 1987 (Cass. 1ère civ. 30 juin 1987, n°85-15.760).

La solution retenue par la Cour de cassation a été très critiquée par la doctrine, les auteurs lui reprochant de se détourner de l’esprit des textes.

Au surplus, cette solution revenait à conférer un caractère solennel au cautionnement, ce qu’il n’est pas.

De son côté, la Chambre commerciale a refusé l’évolution jurisprudentielle – que d’aucuns ont qualifiée d’excès de formalisme – opéré par la Première chambre civile en jugeant que le défaut de mention manuscrite ne remettait nullement en cause la validité de l’acte constatant le cautionnement qui donc conservait sa valeur de commencement de preuve par écrit (Cass. com. 6 juin 1985, n°83-15.356).

Finalement, la première chambre civile s’est progressivement ralliée à la chambre commerciale.

Dans une première décision, elle a d’abord jugé que les exigences de signature et de mention manuscrite posées par l’ancien article 1326 du Code civil (devenu 1376 C. civ.) constituaient des « règles de preuve [qui] ont pour finalité la protection de la caution » (Cass. 1ère civ. 15 nov. 1989, n°87-18.003).

Puis, dans une seconde décision rendue deux ans plus tard, elle en a tiré la conséquence que, « si l’absence de la mention manuscrite exigée par l’article 1326 du Code civil, dans l’acte portant l’engagement de caution […] rendait le cautionnement irrégulier, ledit acte constituait néanmoins un commencement de preuve par écrit pouvant être complété par d’autres éléments » et que donc l’engagement de caution n’était pas nul (Cass. 1ère civ. 15 oct. 1991, n°89-21.936).

Si cette solution a eu pour effet de ramener le cautionnement dans le giron des contrats consensuels, cela est sans compter sur les incursions du législateur qui, guidé par la volonté de protéger la caution, a, en parallèle, progressivement institué un formalisme ad validitatem.

==> L’exception tenant aux règles de protection de la caution

Alors que le cautionnement a toujours été envisagé un contrat consensuel, la loi n°89-1010 du 31 décembre 1989, dite Neiertz, est venue semer le doute en soumettant le cautionnement conclu sous seing privé par une personne physique à l’exigence d’apposition d’une mention manuscrite sur l’acte.

L’ancien article L. 313-7 du Code de la consommation prévoyait en ce sens que la personne physique qui s’engage par acte sous seing privé en qualité de caution pour l’une des opérations de crédit à la consommation ou de crédit immobilier doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci :

« En me portant caution de X…, dans la limite de la somme de … couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même ».

Cette mention était ainsi exigée ad validitatem, ce qui dès lors faisait conférait au cautionnement une dimension solennelle.

Puis la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite Dutreil, a étendu l’exigence de reproduction de la mention manuscrite à tous les cautionnements souscrits par une personne physique sous seing privé au profit d’un créancier professionnel, peu importe la nature de l’opération cautionnée.

Depuis l’adoption de cette loi, les auteurs s’accordent à dire que le cautionnement doit désormais être regardé comme un contrat solennel, le législateur ayant érigé le formalisme en principe et reléguer le consensualisme au rang des exceptions.

La réforme opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’y a rien changé.

L’exigence de mention manuscrite a été réaffirmée à l’article 2297 du Code civil. La règle s’applique désormais à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques quelle que soit la qualité du créancier (professionnel ou non professionnel)

Seule modification opérée par la réforme : la formule sacramentelle dictée par la loi a été abolie. Désormais, la mention doit simplement exprimer, avec suffisamment de précision, la nature et la portée de l’engagement de la caution.

Au bilan, cette évolution du régime de la mention manuscrite est sans incidence sur le caractère solennel du cautionnement qui a pris le pas sur son caractère consensuel.

[1] Art. 2286-1 de l’avant-projet de réforme établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

[2] M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés, éd. Litec, 2007, n°74, p.55.

Le caractère unilatéral du cautionnement

Le cautionnement est une sûreté personnelle. Par sûreté personnelle il faut entendre, pour mémoire « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal »[1].

Avant la réforme des sûretés entreprise par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le cautionnement était défini par l’article 2288 qui prévoyait que « celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même ».

Cette définition avait le mérite de mettre en exergue le caractère triangulaire de l’opération de cautionnement. Reste que là n’est pas sa seule spécificité.

Le cautionnement se distingue surtout des autres sûretés en ce que :

  • D’une part, le lien qui unit la caution au créancier est nécessairement conventionnel
  • D’autre part, le cautionnement présente un caractère accessoire marqué
  • En outre, il consiste toujours en un acte unilatéral
  • Enfin, le débiteur principal, soit celui dont la dette est garantie par la caution, est un tiers à l’opération

Attentif aux critiques formulées à l’encontre de l’ancienne définition du cautionnement, le législateur a estimé, à l’occasion de la réforme des sûretés intervenue en 2021, qu’il y avait lieu de la moderniser en rendant compte des caractères essentiels du cautionnement.

Aussi, est-il désormais défini par le nouvel article 2288 du Code civil comme « le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci. »

Il s’agit là d’une reprise, mot pour mot, de la proposition de définition formulée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés établi par le Groupe de travail Présidé par Michel Grimaldi sous l’égide de l’association Henri Capitant.

Cette définition présente l’avantage de faire ressortir, tant les éléments constitutifs de l’opération de cautionnement, que ses caractères les plus saillants.

Nous nous focaliserons ici sur le caractère unilatéral du cautionnement.

I) Signification

À l’origine le cautionnement a été envisagé comme ne créant d’obligation qu’à la charge de la seule caution.

S’il s’agit bien d’un contrat, car supposant l’accord des deux parties (caution et créancier), l’obligation qui pèse sur la caution (payer le créancier en cas de défaillance du débiteur) n’est assortie d’aucune contrepartie.

Cette particularité du cautionnement conduit à le classer dans la catégorie des contrats unilatéraux.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit qu’un contrat est unilatéral « lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Le cautionnement répond pleinement à cette définition : seule la caution s’oblige envers le créancier qui doit accepter cet engagement faute de quoi le contrat n’est pas conclu.

À cet égard, si le caractère unilatéral du cautionnement n’est, aujourd’hui, pas contesté, une nuance doit néanmoins être apportée.

En effet, une analyse des textes révèle que l’engagement pris par la caution envers le créancier n’est pas la seule obligation créée par le cautionnement.

Surtout, il apparaît qu’un certain nombre d’obligations ont été mises à la charge du créancier, ce qui dès lors interroge sur le bien-fondé du caractère unilatéral que l’on prête au cautionnement, à tout le moins a pu semer le doute dans les esprits.

Par exemple, il pèse sur le créancier une obligation d’information de la caution sur l’état des remboursements de la dette principale. Il a encore été mis la charge de ce dernier une obligation de proportionnalité et de mise en garde.

Ces obligations – toujours plus nombreuses et rigoureuses – sont le fruit d’une succession de réformes qui ont visé à renforcer la protection de la caution.

La question s’est alors posée est de savoir si la multiplication des obligations qui ont été mises à la charge du créancier n’était pas de nature à priver le cautionnement de son caractère unilatéral.

Pour la doctrine majoritaire il n’en est rien dans la mesure où ces obligations ne constituent, en aucune manière, la contrepartie à l’engagement de la caution.

Un contrat synallagmatique, qui est la figure juridique opposé du contrat unilatéral, présente la particularité de créer des obligations réciproques entre les parties.

Par obligations réciproques, il faut entendre des obligations interdépendantes qui se servent mutuellement de contrepartie (ou de cause).

Tel n’est pas le cas des obligations qui pèsent sur le créancier qui « ne constituent pas l’engagement réciproque de celui qui a souscrit la caution »[1].

Il s’agit là d’obligations purement légales dont la fonction est seulement d’assurer la protection de la caution et non de lui fournir une quelconque contrepartie.

II) Conséquences

La qualification du cautionnement de contrat unilatéral emporte deux conséquences majeures :

  • Première conséquence
    • Parce qu’il présente un caractère unilatéral, le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du « double original ».
    • Cette formalité est réservée aux seuls contrats synallagmatiques.
    • L’article 1375 du Code civil prévoit en ce sens que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.»
    • Aussi, en pratique, le cautionnement ne sera établi qu’en un seul exemplaire, lequel sera conservé presque systématiquement par le créancier.
    • Aucune obligation ne pèse donc sur les établissements de crédit de remettre un exemplaire au client au profit duquel le cautionnement a été souscrit.
  • Seconde conséquence
    • Si le cautionnement n’est pas soumis à l’exigence du double original, il n’échappe pas pour autant à toute formalité probatoire.
    • L’article 1376 du Code civil prévoit, en effet, que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres»
    • Ainsi, pour valoir de preuve, l’acte de cautionnement doit comporter la signature de la caution et la mention manuscrite de la somme garantie en chiffres et en lettres.

III) Tempérament

Si, par nature, le cautionnement relève de la catégorie des contrats unilatéraux, il est des cas où il pourra présenter un caractère synallagmatique.

Il en ira ainsi, la caution s’engagera en contrepartie de la souscription d’obligations par le créancier.

Il pourra ainsi s’agir pour lui de consentir une remise de dette au débiteur, de proroger le terme ou encore de réduire le taux d’intérêt du prêt cautionné.

Dès lors que la caution s’engage en considération de l’engagement pris par le créancier, le cautionnement devient un contrat synallagmatique.

Il en résulte qu’il devra alors être établi en double original, conformément à l’existence posée à l’article 1375 du Code civil.

[1] M. Bourassin et V. Brénmond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, coll. « Sirey », n°108, p. 75

L’exigence d’une communication par écrit du taux effectif global (TEG/TAEG)

L’obligation de communication du taux effectif global qui s’impose au prêteur est le second axe autour duquel s’est construit le corpus normatif qui encadre la stipulation du taux d’intérêt. Cette exigence se justifie par la nécessité de transparence que l’emprunteur est légitimement en droit d’attendre des établissements bancaires.

Spécialement, selon pour le législateur européen, non seulement le consommateur doit recevoir des informations adéquates sur les conditions et le coût du crédit, mais encore ces informations doivent faciliter la comparaison des différentes offres de crédit émises à leur endroit.

I) Les règles applicables à tous les crédits

La première composante de l’exigence de communication du coût du crédit à l’emprunteur tient à l’obligation pour le banquier d’énoncer le taux d’intérêt appliqué par écrit.

Cette exigence se déduit des articles 1907 du Code civil et L. 314-5 du Code de la consommation.

Tandis que le premier prévoit que « le taux de l’intérêt conventionnel doit être fixé par écrit », le second énonce que « le taux effectif global déterminé selon les modalités prévues aux articles L. 314-1 à L. 314-4 est mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt régi par la présente section. »

Il ressort de la combinaison de ces deux dispositions que doit être communiqué à l’emprunteur, non seulement le taux nominal, soit le taux correspondant à la rémunération du prêteur, mais encore le TEG, lequel intègre, en sus du taux nominal, l’ensemble des frais liés à l’octroi du crédit.

S’il ne fait aucun doute que l’exigence de communication par écrit du taux nominal édictée à l’article 1907 du Code civil s’applique, tant aux crédits consentis aux consommateurs, qu’aux crédits octroyés aux professionnels, plus délicate est la question de savoir s’il en va de même pour le TEG.

Dans la mesure où le champ d’application du Code de la consommation est, en principe, circonscrit aux seules opérations qui concernent les consommateurs, est-ce à dire que l’article L. 314-5 du Code de la consommation ne serait pas applicable aux crédits consentis aux professionnels ? Cela revient, autrement dit, à s’interroger sur la portée de l’exigence d’une mention écrite du TEG.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 313-4 du Code monétaire et financier qui prévoit que « Les règles relatives au taux effectif global des crédits sont fixées par les articles L. 314-1 à L. 314-5 et L. 341-49 du code de la consommation ci-après reproduits ».

Au nombre de ces règles figure notamment celle relative à l’exigence de mention écrite du TEG. On peut dès lors raisonnablement en conclure que la règle posée à l’article L. 314-5 du Code de la consommation possède une portée générale.

Il est donc indifférent que le crédit soit consenti à un consommateur ou à un professionnel : en toute hypothèse le TEG doit être communiqué par écrit à l’emprunteur.

Cette interprétation des textes a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 22 janvier 2002 aux termes duquel elle a estimé, au visa des articles 1907 du Code civil et L. 313-2 du Code de la consommation, devenu l’article L. 314-5, que « le taux effectif global doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt »[1].

Cass. 1ère civ. 22 janv. 2002
Sur le moyen unique :

Vu l'article 1907, alinéa 2, du Code civil, ensemble l'article L. 313-2 du Code de la consommation ;

Attendu que, selon ce dernier texte, le taux effectif global doit être mentionné dans tout écrit constatant un contrat de prêt ;

Attendu que la société Mathy a souscrit par acte notarié un prêt auprès de la Banque française de crédit coopératif (BFCC) ; que, la société ayant cessé de payer ses échéances, la banque l'a fait assigner en paiement du principal et des intérêts contractuels ; que la société ayant fait valoir que cette stipulation d'intérêts était nulle faute d'avoir fait figurer dans l'acte notarié le taux effectif global, l'arrêt infirmatif attaqué l'a condamnée à payer à la banque la somme de 485 664,02 francs en principal ainsi que les intérêts conventionnels de 12 % l'an à compter du 15 avril 1996, au motif que " l'acte notarié à finalité professionnelle n'est pas soumis à l'obligation légale de mentionner le taux effectif global " ;

Attendu qu'en ajoutant au texte susvisé une restriction qu'il ne comporte pas, la cour d'appel l'a violé, par refus d'application ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Mathy à payer à la BFCC les intérêts au taux conventionnel, l'arrêt rendu le 21 janvier 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen.

Il s’évince d’un arrêt rendu par la chambre commerciale le 13 juin 1995, que l’obligation de communication du TEG par écrit est d’ordre public.

La Cour de cassation avait considéré dans cette décision que, en application de la règle « imposant l’indication écrite du taux effectif global lorsqu’il s’agit d’un découvert en compte, il importe peu, en l’absence d’un tel écrit, que le titulaire du compte ait eu la possibilité de connaître, par d’autres modes, le taux appliqué par la banque dans des situations semblables à la sienne »[2].

Dans un arrêt du 30 octobre 2008, la haute juridiction a, dans le même sens, jugé qu’il importait peu que le crédit ait été constaté par acte authentique[3].

On peut encore relever l’arrêt du 10 mai 1994 à l’occasion duquel la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel pour avoir estimé que l’acceptation, sans protestation ni réserve, des relevés de la banque par le client, suffisait à caractériser l’écrit exigé par la loi en matière de crédit[4].

S’agissant des modalités d’exécution de l’obligation de communication du TEG par écrit à l’emprunteur, la jurisprudence considère qu’elle est remplie dès lors que l’information figure dans l’acte constatant le contrat de prêt.

La seule exigence posée par les juridictions est que la mention du TEG soit claire et lisible[5]. À cet égard, en application de l’article 1174 du Code civil, qui confère à l’écrit électronique la même valeur que l’écrit papier, il est admis que le TEG puisse être communiqué sous forme électronique. Cette faculté est subordonnée à l’observance des conditions prévues aux articles 1366 et 1367 du Code civil.

Quant à la localisation de l’information, la Cour de cassation a récemment affirmé qu’elle est indifférente, dès lors que le taux est communiqué à l’emprunteur. Le TEG peut ainsi tout autant figurer sur l’acte de prêt en lui-même, que sur un document distinct, tel que l’offre de crédit préalablement établie par le prêteur[6].

Reste que, dans certaines hypothèses, l’exigence de communication par écrit du TEG/TAEG à l’emprunteur sera difficile à satisfaire en raison de l’indétermination d’un certain nombre d’éléments de calcul au moment de la convention de crédit.

Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'afin d'édifier un hôtel, la SCI Saint-Pierre a souscrit auprès de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse (la banque), le 12 mai 2004, un prêt d'un montant de 165 000 euros et, le 7 juillet 2005, une autorisation de découvert de 100 000 euros ; que ces crédits n'ayant pas été remboursés, la banque a assigné la SCI Saint-Pierre et Mme X..., prise en sa qualité de caution, en paiement des sommes dues ;

Sur le premier moyen :

Vu les articles L. 313-1 et R. 313-1 du code de consommation, dans leur rédaction applicable en la cause, et l'article 1907 du code civil ;

Attendu que, selon le deuxième de ces textes, le taux effectif global d'un prêt est un taux annuel, proportionnel au taux de période, à terme échu et exprimé pour cent unités monétaires ; que le taux de période et la durée de la période doivent être expressément communiqués à l'emprunteur, fût-ce par une modalité autre que le contrat de prêt ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de l'inobservation des dispositions précitées et débouter la SCI Saint-Pierre et Mme X... de leur demande tendant à la substitution du taux légal au taux conventionnel pour les intérêts du prêt de 165 000 euros, l'arrêt énonce que, si le contrat de prêt indique une périodicité trimestrielle, il ne mentionne pas le taux de période, que l'absence de celui-ci n'a pu affecter le consentement de l'emprunteur, que la banque fait observer à bon droit que le taux de période était égal à un quart du taux effectif global indiqué et que son défaut de mention n'a eu aucune conséquence sur l'exactitude de ce taux ;

Qu'en se déterminant ainsi sans vérifier si le taux de période avait été expressément communiqué à l'emprunteur, fût-ce dans un document distinct du contrat de prêt, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

Sur le second moyen :

Vu l'article 1907, alinéa 2, du code civil ;

Attendu que, pour débouter la SCI Saint-Pierre et Mme X... de leur prétention à la substitution du taux légal au taux conventionnel pour les intérêts de l'autorisation de découvert de 100 000 euros, l'arrêt retient que l'autorisation de découvert avait été consentie sur un compte déjà en fonctionnement et conformément au taux contractuel fixé lors de l'ouverture du compte, taux que la SCI Saint-Pierre connaissait parfaitement de même que l'ensemble des conditions régissant le fonctionnement du compte ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que le taux d'intérêt n'avait pas été indiqué par écrit lors de l'octroi de l'autorisation de découvert litigieuse, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les sommes allouées à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Corse en remboursement du prêt souscrit le 12 mai 2004 et de l'autorisation de découvert accordée le 7 juillet 2005 produiront intérêts aux taux conventionnels respectifs à compter du 27 octobre 2006, l'arrêt rendu le 30 novembre 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

II) Les règles applicables à certains crédits

Le TEG appliqué peut notamment dépendre des conditions de mise à disposition des fonds ou de l’évolution du taux d’intérêt nominal. Tel est le cas, notamment, en matière de découvert en compte courant ou de crédit à taux variable.

S’agissant du découvert en compte courant, cette catégorie de crédits a longtemps échappé à l’exigence de mention écrite du TEG sur la convention.

Dans un arrêt du 9 février 1988, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en considérant que les intérêts appliqués dans le cadre de l’exécution d’une convention de compte-courant devaient être stipulés par écrit[7].

La chambre commerciale a précisé, par suite, dans un arrêt du 9 juillet 1996, que le TEG ne peut être appliqué qu’« après qu’il a été mentionné par écrit, au moins à titre indicatif par un ou plusieurs exemples chiffrés, soit dans la convention de crédit, soit dans un relevé d’opérations ou d’agios dont les calculs d’intérêts inclus peuvent valoir exemples indicatifs pour l’avenir »[8].

En cas de non-respect de cette exigence, il ressort d’une décision rendue le 6 avril 1999 par la haute juridiction que les intérêts ne sont dus qu’à compter de l’information régulièrement reçue, valant seulement pour l’avenir[9].

Dans le droit fil de cette jurisprudence, qui est venue encadrer les autorisations ou facilités de découverts en compte, la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a consacré la position adoptée par la Cour de cassation en posant formellement l’exigence de mention écrite du TEG pour cette catégorie de crédit.

L’article R. 312-33, créée par cette loi, prévoit en ce sens que la convention de compte-courant mentionne de manière claire et lisible « le taux annuel effectif global et le montant total du crédit dû par l’emprunteur, calculés au moment de la conclusion du contrat de crédit »

Cette disposition ajoute que « toutes les hypothèses utilisées pour calculer le taux annuel effectif global sont mentionnées »

Là ne s’arrête pas l’obligation de communication du TEG qui échoit au banquier. Non seulement celui-ci doit être mentionné par écrit sur la convention de compte-courant, mais encore il doit figurer sur les relevés de comptes adressés périodiquement à l’emprunteur.

L’article L. 312-88 du Code de la consommation prévoit, à cet effet, que « pour les opérations consenties sous la forme d’une autorisation de découvert remboursable dans un délai supérieur à un mois, le prêteur est tenu d’adresser régulièrement à l’emprunteur, sur support papier ou sur un autre support durable, un relevé de compte comprenant les informations dont la liste et le contenu sont fixés par décret en Conseil d’État. »

Au nombre des informations visées par l’article R. 312-34 du Code de la consommation figure, entre autres, « le taux débiteur appliqué depuis le relevé précédent ».

Dans un arrêt du 22 mai 2007, la Cour de cassation a affirmé qu’en cas de non-respect de cette exigence « la seule mention indicative du [TEG] dans le document préalable ne vaut pas reconnaissance d’une stipulation d’agios conventionnels, de sorte que la prescription quinquennale de l’action en nullité de la stipulation de ce taux ne peut commencer à courir à partir de la date de la convention écrite préalable, mais seulement à compter de la réception des relevés périodiques mentionnant le taux effectif global appliqué »[10].

Cass. com. 22 mai 2007
Attendu, selon l'arrêt déféré, que par acte du 8 juillet 1992, la société Rousseau, a vendu aux sociétés Occidentale Bail et Optibail, aux droits desquelles sont venues les sociétés Mars Occidentale et Bail Investissement (les crédits-bailleurs) des immeubles afin d'y exploiter un hôtel ; que par le même acte, les sociétés Occidentale Bail et Optibail ont consenti sur ces locaux un contrat de crédit-bail à la société "Les hôtels de la Cahotte" (la société), laquelle a donné à bail les immeubles à la société d'exploitation "Les relais de la Cahotte" ; qu'à la suite de la défaillance du crédit-preneur, un protocole d'accord a été conclu selon lequel "les parties renoncent de fait à intenter quelque action en justice que ce soit contre l'autre partie, sans pour autant renoncer aux actions à l'encontre des cautions solidaires délivrées dans le cadre du contrat de crédit-bail" ; que M. X..., s'est rendu caution solidaire des engagements de la société au titre du crédit-bail ; que la société ayant été mise en liquidation judiciaire, les crédits-bailleurs ont assigné la caution en paiement ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1134 du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de paiement des crédits-bailleurs formée contre la caution, l'arrêt retient que les termes du protocole d'accord sont clairs en ce qu'ils déchargent les débiteurs et les cautions du paiement de l'indemnité de résiliation mais qu'en outre, ils actent de la renonciation des sociétés bailleresses à recouvrer les autres sommes dues auprès du débiteur principal, se réservant en revanche le droit de poursuivre les cautions ; que vis-à-vis de la caution, la renonciation aux poursuites principales n'est pas distinguable de la renonciation à la créance qui en est l'objet, dans la mesure où un tel procédé aboutit au même résultat, qui est de libérer le débiteur et de priver la caution de tout recours à son encontre ; que la caution ne peut cependant être tenue de manière plus sévère que le débiteur principal ; qu'il en découle que la remise faite aux sociétés preneurs a également déchargé la caution de ses engagements ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que la renonciation par le créancier au droit à agir en paiement contre le débiteur principal n'emporte pas extinction de l'obligation principale ni du recours de la caution contre ce débiteur, de sorte que la clause précitée ne fait pas obstacle aux poursuites du créancier contre la caution solidaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit n'y avoir lieu au rejet des écritures et pièces signifiées et communiquées par M. X... le 18 octobre 2005, l'arrêt rendu le 15 décembre 2005, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

À l’inverse, la chambre commerciale avait estimé, dans un arrêt du 9 mars 1999 que, si l’indication du TEG ne peut suppléer l’absence d’écrit pour le passé, dès lors que les relevés périodiques comportent des indications suffisamment exemplaires pour informer exactement et préalablement les titulaires du compte sur le taux effectif global des opérations postérieures, l’information communiquée vaut pour l’avenir[11].

Manifestement, les découverts en compte-courant ne sont pas les seules formes de crédit à avoir soulevé des difficultés s’agissant de la stipulation du taux d’intérêt.

La question de l’opportunité de mentionner le TEG sur les contrats de crédit à taux variable s’est également posée. La raison en est que, au moment de la conclusion de la convention, le taux qui a vocation à s’appliquer est, par définition, inconnu.

Dès lors, comment satisfaire à l’exigence de mention écrite du TEG posée aux articles 1907 du Code civil et 314-5 du Code de la consommation ?

Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 19 octobre 2004, que « le caractère automatique de la variation du TEG en fonction de la modification du taux de base décidée par la banque ne dispensait pas celle-ci de faire figurer le taux effectif appliqué sur les relevés reçus par l’emprunteur »[12].

Cass. com. 19 oct. 2004
Sur le moyen unique :

Vu l’article 1907 du Code civil, ensemble l’article 4 de la loi du 28 décembre 1966 et l’article 2 du décret du 4 septembre 1985 ;

Attendu que, par acte notarié du 16 juillet 1987, la banque Vernes a consenti à la SNC Lemmet un prêt de 7 600 000 francs à taux d’intérêt variable ; que cette société a assigné la banque en 1998 en nullité de la clause de variation des intérêts, faute d’avoir été informée au cours du prêt du montant du TEG appliqué ;

Attendu que pour rejeter cette demande, l’arrêt attaqué relève que l’acte authentique de prêt prévoyait expressément le taux d’intérêt qui était variable, en indiquait le montant et les modalités de calcul et précisait les éléments du TEG fixé à 13 % ; que la cour d’appel en a déduit qu’aucune modification du contrat de base n’intervenant au cours des remboursements, la banque n’avait pas à donner connaissance à l’emprunteur de chaque modification du TEG dont la variation était automatique et était entraînée par celle du taux d’intérêt ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le caractère automatique de la variation du TEG en fonction de la modification du taux de base décidée par la banque ne dispensait pas celle-ci de faire figurer le taux effectif appliqué sur les relevés reçus par l’emprunteur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 9 octobre 2001, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Ainsi, la haute juridiction a-t-elle retenu la même solution qu’en matière de découvert en compte-courant : le TEG doit, en toute hypothèse, figurer dans la convention de crédit préalablement à la mise à disposition des fonds.

En raison de la difficile mise en œuvre de cette solution, la position adoptée par la Cour de cassation a fait l’objet de nombreuses critiques[13]. La Cour de cassation n’est pas restée insensible à ces critiques, raison pour laquelle elle a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt du 20 décembre 2007.

Aux termes de cette décision, elle a affirmé, au visa de l’ancien article L. 313-2 du Code de la consommation devenu l’article L. 314-5, que « s’il impose la mention du taux effectif global dans tout écrit constatant un prêt, ne fait pas obligation au prêteur, en cas de stipulation de révision du taux d’intérêt originel selon l’évolution d’un indice objectif, d’informer l’emprunteur de la modification du taux effectif global résultant d’une telle révision »[14].

Cass. 1ère civ. 20 déc. 2007
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 313-2 du code de la consommation ;

Attendu que le texte susvisé, s'il impose la mention du taux effectif global dans tout écrit constatant un prêt, ne fait pas obligation au prêteur, en cas de stipulation de révision du taux d'intérêt originel selon l'évolution d'un indice objectif, d'informer l'emprunteur de la modification du taux effectif global résultant d'une telle révision ;

Attendu que la caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Anjou et du Maine (la banque) a consenti un prêt à la société civile immobilière Le Brasseur (la SCI) en vertu d'un acte sous seing privé fixant le taux d'intérêt à 10,950 % l'an et le taux effectif global à 11,053 % l'an ; que ce même acte contient aussi la mention suivante : "nature du taux : révisable index TRBO 9,020" ; qu'en raison de la défaillance de la SCI, la banque a assigné celle-ci et M. X..., qui s'était porté caution solidaire du remboursement du prêt, en paiement du solde de celui-ci ;

Attendu que pour accueillir la demande reconventionnelle de la SCI et de M. X..., qui sollicitaient l'annulation de la stipulation d'intérêts et la substitution du taux légal au taux conventionnel, et surseoir à statuer sur la demande de la banque, la cour d'appel, après avoir énoncé que tout contrat de prêt doit non seulement fixer le taux de l'intérêt conventionnel mais encore faire mention du taux effectif global, a retenu que la stipulation d'un taux d'intérêt variable ne dispensait pas le prêteur du respect de cette dernière exigence, de sorte qu'il incombait à la banque de prouver qu'elle avait informé la SCI du taux effectif global résultant de chaque variation du taux d'intérêt et que la banque n'apportait pas cette preuve ;

En quoi, elle a violé le texte susvisé, par fausse application ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions autres que celles relatives à la déchéance du droit aux intérêts de la caisse régionale de crédit agricole de l'Anjou et du Maine à l'égard de M. X... et à la réimputation, à cet égard, des sommes payées par le débiteur principal, l'arrêt rendu le 27 septembre 2005, entre les parties, par la cour d'appel d'Angers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers, autrement composée ;

Autrement dit, pour la Cour de cassation, si les établissements de crédit demeurent tenus de mentionner le TEG par écrit dans l’acte constatant le contrat de crédit, ils sont en revanche dispensés de satisfaire à cette exigence, par la suite, soit en cas d’évolution du taux.

Le bénéfice de cette dispense est néanmoins subordonné à la communication à l’emprunteur d’un indice objectif auquel il puisse se référer.

La question qui alors s’est rapidement posée a été de savoir ce que l’on devait entendre par « indice objectif ». La loi est silencieuse sur cette notion. C’est donc à la jurisprudence qu’il est revenu de préciser le sens de cette notion.

Un premier élément de définition a d’ores et déjà été apporté par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 1er juillet 2015, a jugé que la clause prévoyant une variation automatique du TEG en fonction de l’évolution du taux de base décidée par l’établissement de crédit « ne constitue pas un indice objectif »[15].

Elle en déduit que le prêteur avait l’obligation de faire figurer le taux effectif appliqué sur les relevés reçus par les emprunteurs.

Cass. 1ère civ. 1er juill. 2015
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1907 du code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 3 avril 1996, la société Athéna a consenti à M. et Mme X... un prêt prévoyant un taux d'intérêt variable déterminé à partir du « taux de base Athéna banque + 0,25000 %, soit au 28 mars 1996 un taux effectif global (TEG) de 7,250 % » et un remboursement du capital à l'issue d'une période de dix ans ; que, par acte du 15 avril 2009, la société Allianz banque, venant aux droits de la société AGF, elle-même aux droits de la société Athéna, les a assignés en remboursement du crédit ; que M. et Mme X... ont notamment sollicité la restitution d'intérêts indûment perçus par le prêteur ;

Attendu que, pour accueillir la demande de la société Allianz et rejeter celle de M. et Mme X..., l'arrêt retient que les dispositions contractuelles permettent à l'emprunteur, par la référence à l'indice objectif que constitue le taux de base bancaire, et la vérification possible opérée à partir des relevés de son compte, de connaître le taux des intérêts et que le prêteur n'a pas l'obligation d'informer l'emprunteur de la modification régulière du taux ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la clause prévoyait une variation automatique du TEG en fonction de l'évolution du taux de base décidée par l'établissement de crédit qui ne constitue pas un indice objectif, de sorte que le prêteur avait l'obligation de faire figurer le taux effectif appliqué sur les relevés reçus par les emprunteurs, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu statuer sur la deuxième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives aux intérêts dus par M. et Mme X..., l'arrêt rendu le 23 mai 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers ;

Ainsi, en cas d’absence de communication de l’indice objectif exigé par la jurisprudence, le prêteur demeure tenu de mentionner le TEG par écrit, et sur l’acte initial de prêt, et sur les relevés postérieurs adressés à l’emprunteur.

À défaut, la sanction encourue est la même que celle appliquée en matière de découvert en compte-courant : les intérêts ne sont dus qu’à compter de l’information régulièrement reçue, valant seulement pour l’avenir.

[1] Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-13.456 : JCP N 2002, 1529, note A. Morin – Cass. com., 5 oct. 2004 : JCP E 2004, 1609 ; Banque et droit 2005, n° 99, p. 68, Th. Bonneau

[2] Cass. com. 13 juin 1995, n°93-20.577 : RJDA 1995, n°1397

[3] Cass. 1ère civ., 30 oct. 2008, n°05-10.193

[4] Cass. com., 10 mai 1994 : D. 1994, jurispr. p. 550, note D. Martin.

[5] V. en ce sens Cass. 1re civ., 9 janv. 1985 : Bull. civ. I, n° 15

[6] Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°12-14.381.

[7] Cass. 1re civ., 9 févr. 1988 : JCP G 1988, II, 21026, note C. Gavalda et J. Stoufflet ; V. également en ce sens Cass.Com.,12/01/2010, n° 08-17.738 ; Cass.Com. 3 juillet 2012, n° 11-19.565.

[8] Cass. com., 9 juill. 1996 : RTD com. 1997, p. 126

[9] Cass. Com. 6 avr. 1999 : Bull. civ. IV, n° 82 ; JCP E 1999, II, 1437, note Auckenthaler

[10] Cass. com., 22 mai 2007, n° 06-12.180 : JCP E 2007, 2006, note P. Berlioz ; RD bancaire et fin. 2007, act. 142, obs. F. C. et T. S.

[11] Cass. com., 9 mars et 6 avr. 1999, n°96-16559.

[12] Cass. com., 19 oct. 2004, préc. ; JCP E 2004, 1862 ; D. 2004, p. 2932, note A. V. R. ; JCP G 2004, II, 10194, note S. Raby.

[13] V. en ce sens J.-L. Guillot et M. Boccara, Banque 2005, n°670, p. 83.

[14] Cass. 1re civ., 20 déc. 2007, n°06-14690 : JCP E 2008, 1226, note A. Gourio ; RD bancaire et fin. 2008, comm. 1, obs. F. Crédot et T. Samin ; JCP E 2008, 1768, obs. C. Lassalas-Langlais.

[15] Cass. 1ère civ. 1er juill. 2015, n°14-23483.

L’exigence de contrepartie non illusoire ou dérisoire ou la résurgence de la cause

Il ressort des articles 1168 à 1171 du Code civil que, pour être valide, le contrat doit assurer une certaine équivalence entre les prestations des parties.

L’existence d’un déséquilibre contractuel ne sera cependant pas toujours sanctionnée, notamment lorsqu’il s’apparentera à une lésion

Aussi, afin de déterminer si l’exigence d’équivalence des prestations est satisfaite, cela supposera de vérifier :

  • D’une part, si la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage n’est pas illusoire ou dérisoire
  • D’autre part, si une clause du contrat ne porte pas atteinte à une obligation essentielle
  • Enfin, si une stipulation contractuelle ne crée pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties

Nous nous focaliserons ici sur l’exigence de contrepartie.

À la différence de l’ancien article 1108 du Code civil, l’article 1128 ne vise plus la cause comme condition de validité du contrat.

Aussi, cela suggère-t-il que cette condition aurait été abandonnée par le législateur. Toutefois, là encore, une analyse approfondie des dispositions nouvelles révèle le contraire.

Si la cause disparaît formellement de la liste des conditions de validité du contrat, elle réapparaît sous le vocable de contenu et de but du contrat, de sorte que les exigences posées par l’ordonnance du 10 février 2016 sont sensiblement les mêmes que celles édictées initialement.

Il ressort, en effet, de la combinaison des nouveaux articles 1162 et 1169 du Code civil que pour être valide le contrat doit :

  • ne pas « déroger à l’ordre public […] par son but »
  • prévoir « au moment de sa formation la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage » laquelle contrepartie ne doit pas être « illusoire ou dérisoire »

La cause n’a donc pas tout à fait disparu du Code civil. Le législateur s’y réfère sous des termes différents : le but et la contrepartie.

I) La notion de cause

L’ancien article 1108 du Code civil subordonnait donc la validité du contrat à l’existence d’« une cause licite dans l’obligation ».

L’article 1131 précisait que « l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »

Ainsi, ressort-il de ces articles que pour que le contrat soit valable, cela supposait qu’il comporte une cause conforme aux exigences légales : non seulement la cause devait exister, mais encore elle devait être licite.

Encore fallait-il, néanmoins, que l’on s’entende sur la notion de cause : à quoi correspondait cette fameuse « cause » qui a désormais disparu du Code civil, à tout le moins dans son appellation ?

A) La cause finale

Tout d’abord, il peut être observé que la cause anciennement visée par le Code civil n’était autre que la cause finale, soit le but visé par celui qui s’engage, par opposition à la cause efficiente.

  • La cause efficiente
    • La cause efficiente est entendue comme celle qui possède en soi la force nécessaire pour produire un effet réel
    • Il s’agit autrement dit, de la cause génératrice, soit de celle qui est à l’origine d’un événement.
    • Cette conception de la cause se retrouve en droit de la responsabilité, où l’on subordonne le droit à réparation de la victime à l’établissement d’un lien de causalité entre la faute et le dommage
    • On parle alors de cause du dommage ou de fait dommageable.
  • La cause finale
    • La cause finale est le but que les parties poursuivent en contractant, soit la raison pour laquelle elles s’engagent.
    • Ainsi, le vendeur d’un bien vend pour obtenir le paiement d’un prix et l’acheteur paie afin d’obtenir la délivrance de la chose
    • Ces deux raisons pour lesquelles le vendeur et l’acheteur s’engagent (le paiement du prix et la délivrance de la chose) constituent ce que l’on appelle la cause de l’obligation, que l’on oppose classiquement à la cause du contrat

B) Cause de l’obligation / Cause du contrat

Initialement, les rédacteurs du Code civil avaient une conception pour le moins étroite de la notion de cause.

Cette dernière n’était, en effet, entendue que comme la contrepartie de l’obligation de celui qui s’engage.

Aussi, dans un premier temps, ils ne souhaitaient pas que l’on puisse contrôler la validité de la cause en considération des mobiles qui ont animé les contractants, ces mobiles devant leur rester propres, sans possibilité pour le juge d’en apprécier la moralité.

Aussi, afin de contrôler l’exigence de cause formulée aux anciens articles 1131 et 1133 du Code civil, la jurisprudence ne prenait en compte que les raisons immédiates qui avaient conduit les parties à contracter, soit ce que l’on appelle la cause de l’obligation, par opposition à la cause du contrat :

  • La cause de l’obligation
    • Elle représente pour les contractants les motifs les plus proches qui ont animé les parties au contrat, soit plus exactement la contrepartie pour laquelle ils se sont engagés
    • La cause de l’obligation est également de qualifiée de cause objective, en ce sens qu’elle est la même pour chaque type de contrat.
    • Exemples :
      • Dans le contrat de vente, le vendeur s’engage pour obtenir le paiement du prix et l’acheteur pour la délivrance de la chose
      • Dans le contrat de bail, le bailleur s’engage pour obtenir le paiement du loyer et le preneur pour la jouissance de la chose louée.
  • La cause du contrat
    • Elle représente les mobiles plus lointains qui ont déterminé l’une ou l’autre partie à contracter
    • La cause du contrat est également qualifiée de cause subjective, dans la mesure où elle varie d’un contrat à l’autre
    • Exemples :
      • Les raisons qui conduisent un vendeur à céder sa maison ne sont pas nécessairement les mêmes que son prédécesseur
      • Les raisons qui animent un chasseur à acquérir un fusil ne sont pas les mêmes que les motifs d’une personne qui envisagent de commettre un meurtre

La Cour de cassation a parfaitement mis en exergue cette distinction entre la cause de l’obligation et la cause du contrat, notamment dans un arrêt du 12 juillet 1989.

Dans cette décision elle y affirme que « si la cause de l’obligation de l’acheteur réside bien dans le transfert de propriété et dans la livraison de la chose vendue, en revanche la cause du contrat de vente consiste dans le mobile déterminant, c’est-à-dire celui en l’absence duquel l’acquéreur ne se serait pas engagé » (Cass. 1ère civ. 12 juill. 1989, n°88-11.443).

Cass. 1ère civ. 12 juill. 1989

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu qu’en 1981, M. Y…, parapsychologue, a vendu à Mme X…, elle-même parapsychologue, divers ouvrages et matériels d’occultisme pour la somme de 52 875 francs ; que la facture du 29 décembre 1982 n’ayant pas été réglée, le vendeur a obtenu une ordonnance d’injonction de payer, à l’encontre de laquelle Mme X… a formé contredit ; que l’arrêt attaqué (Paris, 24 novembre 1987) a débouté M. Y… de sa demande en paiement, au motif que le contrat de vente avait une cause illicite ;

Attendu que M. Y… fait grief audit arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, d’une part, que la cause du contrat ne réside pas dans l’utilisation que compte faire l’acquéreur de la chose vendue, mais dans le transfert de propriété de cette chose, et qu’en prenant en compte, pour déterminer cette cause, le prétendu mobile de l’acquéreur, la cour d’appel aurait violé les articles 1131, 1133 et 1589 du Code civil ; et alors, d’autre part, qu’en déclarant nulle pour cause illicite la vente d’objets banals au prétexte que ceux-ci pourraient servir à escroquer des tiers, bien qu’il soit nécessaire que le mobile illicite déterminant soit commun aux deux parties sans qu’il y ait lieu de tenir compte de l’utilisation personnelle que l’acquéreur entend faire à l’égard des tiers de la chose vendue, l’arrêt attaqué aurait de nouveau violé les textes susvisés ;

Mais attendu, d’abord, que si la cause de l’obligation de l’acheteur réside bien dans le transfert de propriété et dans la livraison de la chose vendue, en revanche la cause du contrat de vente consiste dans le mobile déterminant, c’est-à-dire celui en l’absence duquel l’acquéreur ne se serait pas engagé ; qu’ayant relevé qu’en l’espèce, la cause impulsive et déterminante de ce contrat était de permettre l’exercice du métier de deviner et de pronostiquer, activité constituant la contravention prévue et punie par l’article R. 34 du Code pénal, la cour d’appel en a exactement déduit qu’une telle cause, puisant sa source dans une infraction pénale, revêtait un caractère illicite ;

Attendu, ensuite, que M. Y… exerçait la même profession de parapsychologue que Mme X…, qu’il considérait comme sa disciple ; qu’il ne pouvait donc ignorer que la vente de matériel d’occultisme à celle-ci était destinée à lui permettre d’exercer le métier de devin ; que la cour d’appel n’avait donc pas à rechercher si M. Y… connaissait le mobile déterminant de l’engagement de Mme X…, une telle connaissance découlant des faits de la cause ;

Qu’il s’ensuit que le moyen ne peut être retenu en aucune de ses deux branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Rapidement la question s’est posée de savoir s’il fallait tenir compte de l’une et l’autre conception pour contrôler l’exigence de cause : convenait-il de ne contrôler que la cause proche, celle commune à tous les contrats (la cause objective) ou de contrôler également la cause lointaine, soit les raisons plus éloignées qui ont déterminé le consentement des parties (la cause subjective) ?

Après de nombreuses hésitations, il est apparu nécessaire d’admettre les deux conceptions de la cause, ne serait-ce que parce que prise dans sa conception objective, la cause ne permettait pas de remplir la fonction qui lui était pourtant assignée à l’article 1133 du Code civil : le contrôle de la moralité des conventions :

?Première étape : le règne de la cause de l’obligation

Comme évoqué précédemment, pour contrôler la licéité de la cause, la jurisprudence ne prenait initialement en compte que les motifs les plus proches qui avaient conduit les parties à contracter.

Autrement dit, pour que le contrat soit annulé pour cause illicite, il fallait que la contrepartie pour laquelle l’une des parties s’était engagée soit immorale.

En retenant une conception abstraite de la cause, cela revenait cependant à conférer une fonction à la cause qui faisait double emploi avec celle attribuée classiquement à l’objet.

Dans la mesure, en effet, où la cause de l’obligation d’une partie n’est autre que l’objet de l’obligation de l’autre, en analysant la licéité de l’objet de l’obligation on analyse simultanément la licéité de la cause de l’obligation.

Certes, le contrôle de licéité de la cause conservait une certaine utilité, en ce qu’il permettait de faire annuler un contrat dans son entier lorsqu’une seule des obligations de l’acte avait un objet illicite.

Cependant, cela ne permettait pas un contrôle plus approfondi que celui opérer par l’entremise de l’objet.

Exemples : si l’on prend le cas de figure d’une vente immobilière :

  • Le vendeur a l’obligation d’assurer le transfert de la propriété de l’immeuble
  • L’acheteur a l’obligation de payer le prix de vente de l’immeuble

En l’espèce, l’objet de l’obligation de chacune des parties est parfaitement licite

Il en va de même pour la cause, si l’on ne s’intéresse qu’aux mobiles les plus proches qui ont animé les parties : la contrepartie pour laquelle elles se sont engagées, soit le paiement du prix pour le vendeur, la délivrance de l’immeuble pour l’acheteur.

Quid désormais si l’on s’attache aux raisons plus lointaines qui ont conduit les parties à contracter.

Il s’avère, en effet, que l’acheteur a acquis l’immeuble, objet du contrat de vente, en vue d’y abriter un trafic international de stupéfiants.

Manifestement, un contrôle de la licéité de la cause de l’obligation sera inopérant en l’espèce pour faire annuler le contrat, dans la mesure où l’on ne peut prendre en considération que les raisons les plus proches qui ont animé les contractants, soit la contrepartie immédiate de leur engagement.

Aussi, un véritable contrôle de licéité et de moralité du contrat supposerait que l’on s’autorise à prendre en considération les motifs plus lointains des parties, soit la volonté notamment de l’une d’elles d’enfreindre une règle d’ordre public et de porter atteinte aux bonnes mœurs.

Admettre la prise en compte de tels motifs, reviendrait, en somme, à s’intéresser à la cause subjective, dite autrement cause du contrat.

?Seconde étape : la prise en compte de la cause du contrat

Prise dans sa conception abstraite, la cause ne permettait donc pas de remplir la fonction qui lui était assignée à l’article 1133 du Code civil : le contrôle de la moralité des conventions.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public. »

Aussi, la jurisprudence a-t-elle cherché à surmonter l’inconvénient propre à la prise en compte des seuls motifs immédiats des parties, en dépassant l’apparence objective de la cause de l’obligation, soit en recherchant les motifs extrinsèques à l’acte ayant animé les contractant.

Pour ce faire, les juges se sont peu à peu intéressés aux motifs plus lointains qui ont déterminé les parties à contracter, soit à ce que l’on appelle la cause du contrat ou cause subjectif (V. en ce sens Cass. soc., 8 janv. 1964)

C’est ainsi que, à côté de la théorie de la cause de l’obligation, est apparue la théorie de la cause du contrat.

Au total, l’examen de la jurisprudence révèle qu’une conception dualiste de la cause s’est progressivement installée en droit français, ce qui a conduit les juridictions à lui assigner des fonctions bien distinctes :

  • S’agissant de la cause de l’obligation
    • En ne prenant en cause que les raisons immédiates qui ont conduit les parties à contracter, elle permettait d’apprécier l’existence d’une contrepartie à l’engagement de chaque contractant.
    • À défaut, le contrat était nul pour absence de cause
    • La cause de l’obligation remplit alors une fonction de protection des intérêts individuels : on protège les parties en vérifiant qu’elles ne se sont pas engagées sans contrepartie.
  • S’agissant de la cause du contrat
    • En ne prenant en considération que les motifs lointains qui ont conduit les parties à contracter, elle permettait de contrôler la licéité de la convention prise dans son ensemble, indépendamment de l’existence d’une contrepartie
    • Dans cette fonction, la cause était alors mise au service, moins des intérêts individuels, que de l’intérêt général.
    • Elle remplit alors une fonction de protection sociale : c’est la société que l’on entend protéger en contrôlant la licéité de la cause

De tout ce qui précède, il ressort des termes de l’article 1169 du Code civil que, en prévoyant qu’« un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire », cette disposition ne fait rien d’autre que reformuler l’exigence de cause, prise dans sa conception objective, énoncée à l’ancien article 1131 du Code civil.

Ainsi, l’ordonnance du 10 février 2016 a-t-elle conservé la fonction primaire assignée par les rédacteurs du code civil à la cause : le contrôle de l’existence d’une contrepartie à l’engagement pris par celui qui s’oblige.

II) Le domaine d’application de l’exigence de contrepartie : les contrats à titre onéreux

Bien que le législateur semble n’avoir pas renoncé à la théorie de la cause, le domaine d’application de l’exigence de contrepartie interroge.

Antérieurement à la réforme des obligations, l’existence d’une contrepartie était exigée, tant pour les contrats à titre onéreux, que pour les contrats à titre gratuit.

L’article 1169 du Code civil ne vise pourtant que la première variété de contrats.

Est-ce à dire que l’existence d’une contrepartie n’est plus requise pour les contrats à titre gratuit ?

Tel est le sentiment qui, de prime abord, nous est laissé par l’ordonnance du 10 février 2016. Une lecture approfondie de ce texte révèle toutefois qu’il n’en est rien.

À la vérité, l’exigence de contrepartie pour les contrats à titre gratuit prend simplement une autre forme : elle se manifeste à l’article 1135 du Code civil qui pose une exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs.

Cette disposition prévoit en ce sens que « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité. »

Quel est le rapport avec l’exigence de contrepartie en matière de contrat à titre gratuit ?

L’instauration de cette exception procède précisément de l’abandon par le législateur de la référence à la cause dans la liste des conditions de validité du contrat (V en ce sens le nouvel article 1128 du Code civil).

L’exigence de la cause supposait, en effet, avant la réforme des obligations, qu’une contrepartie à l’engagement de chaque partie existe, à défaut de quoi le contrat encourait la nullité.

Rapidement la question s’est alors posée de savoir en quoi la cause pouvait-elle bien consister dans les contrats à titre gratuit dans la mesure où, par définition, celui qui consent une libéralité s’engage sans contrepartie.

Très tôt, la jurisprudence a néanmoins répondu à cette question en considérant que, dans les actes à titre gratuit, la cause de l’engagement de l’auteur d’une libéralité consiste en un élément subjectif : l’intention libérale de celui qui s’engage.

Afin de contrôler l’existence de la cause, condition de validité du contrat, cela a conduit les juridictions à tenir compte des motifs du disposant.

Autrement dit, dès lors que l’auteur d’une libéralité se trompait sur les motifs de son engagement, l’acte conclu encourait la nullité.

Exemple : Je crois consentir une donation à une personne que je crois être mon fils, alors qu’en réalité il ne l’est pas car il est né d’une relation adultérine de mon épouse

Aussi, cela revenait-il pour la Cour de cassation à assimiler, en matière de libéralités, l’erreur sur les motifs à l’absence de cause (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986, n°84-15.513)

En édictant, à l’article 1133, al. 2, la règle selon laquelle « l’erreur sur le motif d’une libéralité, en l’absence duquel son auteur n’aurait pas disposé, est une cause de nullité », le législateur a manifestement entendu palier la suppression de la cause de la liste des conditions de validité du contrat.

Cette exception au principe d’indifférence de l’erreur sur les motifs révèle, de la sorte, une résurgence de la cause qui est loin d’avoir disparu.

Cass. 1ère civ., 11 févr. 1986

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les époux X… ont, par acte du 22 juillet 1981, fait donation, à titre de partage anticipé, à leurs trois enfants, de la nue propriété de partie d’un ensemble immobilier ; que le 27 janvier 1982 ils ont assigné les bénéficiaires afin que soit déclarée nulle et de nul effet cette donation-partage, comme étant dépourvue de cause, en faisant valoir que les avantages fiscaux dont bénéficiaient les donations-partages et qui ont été supprimés rétroactivement au 9 juillet 1981 par la loi de finances rectificative du 3 août 1981, les avaient déterminés à consentir ce partage anticipé ; que les juges de première instance ont accueilli leur demande ; qu’appel de cette décision a été interjeté par le ministère public qui, tout en reconnaissant n’avoir été que partie jointe à l’instance, invoquait l’atteinte à l’ordre public ; que son appel a été déclaré irrecevable ;

Attendu que le procureur général près la Cour d’appel fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen, que, d’une part, les juges de première instance, en faisant droit à la demande d’annulation par les époux X… de la donation-partage qu’ils ont consentie, n’ont pas prononcé, ainsi qu’ils l’ont affirmé, un jugement ” strictement civil rendu par référence aux conditions de validité d’une donation-partage. “, mais une décision portant atteinte à l’ordre public et plus précisément à l’ordre public fiscal, et alors, d’autre part, que ce faisant, ils ont nécessairement méconnu la rétroactivité au 9 juillet 1981 du nouveau régime fiscal des donations-partages expressément prévue à l’article 4-1 de la loi de finances rectificative du 3 août 1981 dans le souci d’éviter une source importante d’évasion fiscale à partir du moment où il était devenu de notoriété publique que la loi de finances en préparation se proposait de soumettre, en ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, les donations-partages au régime du droit commun des libéralités ;

Mais attendu que la Cour d’appel, qui a relevé que les premiers juges avaient seulement recherché les circonstances et l’esprit dans lesquels les parties avaient agi pour en tirer les conséquences, sur le plan civil, au regard de la validité des donations-partages, a justement énoncé que ces juges n’avaient pas statué par une décision portant atteinte à l’ordre public en déclarant nulle pour absence de cause une donation-partage, acte purement privé intervenu entre personnes privées parce que l’application rétroactive d’une loi de finances promulguée postérieurement à l’acte avait eu pour conséquence que celui-ci ne se trouvait plus justifié par le mobile qui avait incité les parties à y recourir ; que c’est dès lors à bon droit qu’elle a déclaré le Ministère public, partie jointe, irrecevable en son appel ; que les juges du second degré, qui ont encore estimé qu’il n’y avait pas eu fraude à la loi dès lors que donateurs et donataires avaient opéré strictement dans le cadre de la législation en vigueur, n’ont pas méconnu la rétroactivité du nouveau régime fiscal, rétroactivité rendue inopérante par la nullité qu’ils prononçaient ; d’où il suit que le moyen est, en chacune de ses branches, dépourvu du moindre fondement ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Au total, l’exigence de contrepartie pour les contrats à titre onéreux n’a donc pas été abandonnée par le législateur : cette condition est simplement formulée en des termes nouveaux : la théorie de l’erreur sur les motifs.

III) Le contenu de l’exigence de contrepartie

A) L’identification de la contrepartie

Afin d’appréhender le contenu de l’exigence de contrepartie pour les contrats à titre onéreux, il convient au préalable de déterminer en quoi consiste ladite contrepartie.

Aussi, cela suppose-t-il, pour ce faire, de distinguer les contrats synallagmatiques des contrats unilatéraux, mais également les contrats commutatifs des contrats aléatoires.

1. Contrats synallagmatiques / contrats unilatéraux

a. Dans les contrats synallagmatiques

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil définit le contrat synallagmatique comme l’acte par lequel « les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres. ».

Le contrat synallagmatique possède donc cette particularité que chaque partie est créancière et débitrice de l’autre. Les contractants sont engagés l’un envers l’autre.

Ainsi, dans les contrats synallagmatiques, la contrepartie réside dans l’objet de l’obligation du cocontractant. En d’autres termes la prestation due par chaque partie sert de contrepartie à l’autre.

Exemples :

  • En matière de contrat de vente la contrepartie du vendeur réside dans le paiement du prix et pour l’acheteur dans la délivrance de la chose
  • En matière de contrat de bail, la contrepartie du bailleur réside dans le paiement du loyer et pour le preneur dans la mise à disposition de la chose

Il peut être observé que la contrepartie exigée par l’article 1169 du Code civil représente les motifs les plus proches qui ont animé les parties au contrat.

Avant la réforme, cette contrepartie était qualifiée de cause objective de l’obligation en ce sens qu’elle est la même pour chaque type de contrat.

En matière de contrat de vente par exemple, l’absence de contrepartie se traduira toujours, soit par l’inexistence de la chose, soit par le défaut de fixation du prix, à tout le moins de prix sérieux.

De la même manière, l’exigence de contrepartie ne sera pas satisfaite en matière de contrat de bail, toutes les fois que la jouissance paisible de la chose louée ne sera pas assurée, ou que le prix du loyer sera dérisoire.

b. Dans les contrats unilatéraux

Pour rappel, l’article 1106, al. 2 du Code civil définit les contrats unilatéraux comme l’acte par lequel « une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci. »

Ainsi, dans le contrat unilatéral ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule partie à l’acte.

Dans les contrats unilatéraux, la contrepartie ne saurait résider dans l’objet de l’obligation du cocontractant puisque, précisément, il n’y en a pas. Celui-ci ne s’est pas engagé à fournir de contreprestation.

Immédiatement, la question alors se pose de savoir comment satisfaire à l’exigence de contrepartie, dans la mesure où pour les contrats à titre onéreux elle constitue une condition de validité du contrat.

À la vérité, cette difficulté n’est pas insurmontable. La jurisprudence considère, en effet, que dans les contrats unilatéraux la contrepartie réside dans le fait qui sert de fondement au contrat.

Cela se vérifie pour les deux contrats que sont le cautionnement et le prêt :

?Le contrat de cautionnement

Le contrat de cautionnement se définit comme l’acte par lequel une personne, la caution, s’engage à l’égard d’un créancier à payer la dette d’un tiers, le débiteur principal, en cas de défaillance de ce dernier

Dans ce type de contrat, l’identification de la contrepartie ne soulève aucune difficulté : elle réside dans l’existence de la dette à garantir.

Ainsi, dans l’hypothèse où la caution s’engage à payer la dette d’autrui alors que ladite dette n’existe pas, la condition relative à la contrepartie n’est pas remplie.

?Le contrat de prêt

Le prêt se définit comme le contrat par lequel une personne, le prêteur, remet une chose à une autre, l’emprunteur, afin qu’elle s’en serve pendant un certain temps puis la restitue en nature ou par équivalent.

Par ailleurs, il peut être observé que lorsqu’il est à intérêt, dont le prêt d’argent constitue la principale application, le prêt oblige l’emprunteur, en plus de la restitution de la chose ou des fonds prêtés, à verser des intérêts périodiques.

A priori, le contrat de prêt n’appellerait pas d’observations particulières s’agissant de l’exigence de contrepartie, si le droit français y voyait un contrat consensuel, soit un contrat qui se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression.

En effet, on serait alors en présence d’un contrat synallagmatique, de sorte que l’obligation du prêteur (remettre la chose) et l’obligation de l’emprunteur (restituer la chose et payer des intérêts) se serviraient mutuellement de contrepartie : l’objet de l’obligation du prêteur serait la contrepartie de l’objet de l’obligation de l’emprunteur.

Si l’on se rapporte à la conception classique du contrat de prêt, cette analyse doit cependant être rejetée.

  • La conception classique
    • Les rédacteurs du Code civil avaient, en effet, envisagé le prêt, dans le droit fil du droit romain, comme un contrat réel, soit comme un contrat dont la formation procède de la remise de la chose.
    • Selon cette conception, la contrepartie réside dès lors, non pas dans la contreprestation due par l’autre partie, mais dans la remise de la chose elle-même (V. en ce sens Cass. 1re civ., 20 nov. 1974, n°72-13.117).
    • Dans un arrêt du 5 mars 1996, la chambre commerciale a affirmé en ce sens que « la cause de l’obligation de l’emprunteur résidant dans la mise à sa disposition du montant du prêt » (Cass. com. 5 mars 1996, n°93-20.778).
  • Vers un abandon de la conception classique ?
    • Il ressort de la jurisprudence récente que la Cour de cassation est manifestement en passe d’abandonner la conception classique du contrat de prêt.
    • En effet, depuis un arrêt du 28 mars 2000, le crédit à la consommation n’est plus considéré comme un contrat réel (Cass. civ. 1ère, 28 mars 2000, n°97-21.422)
    • La chambre commerciale a adopté la même solution en 2009 (Cass. Com. 7 avril 2009, n°08-12.192)
    • Ainsi, pour la haute juridiction « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel»
      • Pratiquement, il en résulte que le non-versement des fonds à l’emprunteur ne fait pas obstacle à la conclusion du contrat de prêt.
      • Ainsi, dès lors que les parties ont échangé leur consentement, le contrat est valablement conclu.
    • La Cour de cassation avait déjà adopté cette position en matière de contrat de prêt immobilier (Cass. 1ère civ., 27 mai 1998, n°96-17.312)
    • Doit-on étendre cette solution à tous les contrats de prêt, notamment ceux consentis par des non-professionnels ?
    • La jurisprudence actuelle ne permet pas de la dire.

En toutes hypothèses, si dans la conception classique du contrat de prêt, la contrepartie réside dans la remise de la chose, la conception moderne autorise à rechercher la contrepartie dans la contreprestation due par chacune des parties à l’acte.

Cass. civ. 1ère, 28 mars 2000

Attendu que Daniel X… a acheté, le 21 février 1992, à la société Sanlaville, du matériel agricole qui devait être fourni par la société Fiatgeotech, le financement du prix devant être assuré à hauteur de 700 000 francs par un prêt consenti par la société UFB Locabail ; qu’aux termes du contrat, l’UFB Locabail s’est engagée à verser directement à la société Sanlaville le montant du prêt sur simple avis qui lui serait fait par le vendeur de la livraison du matériel, sous condition, notamment de l’adhésion de Daniel X… à une assurance-vie à souscrire auprès de la compagnie UAP Collectives aux droits de laquelle se trouve la société Axa collectives, qui a repris l’instance en ses lieu et place ; que Daniel X… ayant fait parvenir le 31 mars 1992 à l’UFB Locabail le dossier d’adhésion à la garantie d’assurance sur la vie, la société Sanlaville a adressé, le 22 juin suivant, à l’UFB le bon de livraison du matériel ; que Daniel X… est, entre-temps, décédé accidentellement le 4 juin 1992 ; qu’une contestation étant née sur la qualité du matériel livré et l’UFB Locabail ayant dénié devoir financer l’opération, les héritiers X… ont assigné la société Sanlaville, prise en la personne de son liquidateur judiciaire et l’UFB Locabail pour faire prononcer la résiliation de la vente et, subsidiairement, condamner l’UFB à verser à la société Sanlaville le montant du prêt ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :

Attendu que l’UFB Locabail fait grief à l’arrêt attaqué (Grenoble, 1er octobre 1997), d’avoir jugé que le contrat de financement souscrit par Daniel X… l’obligeait à payer la somme convenue à ses héritiers, alors, selon le moyen, en premier lieu, qu’il ressort de l’arrêt que l’UFB n’ayant jamais remis les fonds faisant l’objet du contrat de prêt à Daniel X… avant la date de livraison du matériel, le contrat de prêt ne s’était pas formé, la cour d’appel a violé l’article 1892 du Code civil ; alors, en deuxième lieu, que le contrat de prêt était conclu intuitu personae dès lors que le prêteur s’engageait en considération des possibilités de remboursement de l’emprunteur, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter le contrat de prêt initialement conclu au bénéfice de Daniel X… au profit des ayants-cause de ce dernier, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant ainsi l’article 1122 du Code civil ; alors, en troisième lieu, que l’article 6 du contrat de prêt stipulait que les sommes restant dues par l’emprunteur deviendraient immédiatement exigibles en cas de décès de ce dernier et l’article 10 de l’acte prévoyait qu’en cas de décès de l’emprunteur avant remboursement de toutes les sommes dues au prêteur, il y aurait solidarité et indivisibilité entre ses héritiers, de sorte qu’en se fondant sur ces clauses qui impliquaient que les fonds avaient été préalablement remis à l’emprunteur avant son décès, pour caractériser une obligation de l’UFB de verser des fonds au profit des héritiers, la cour d’appel s’est fondée sur un motif inopérant et a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1134 du Code civil ; et alors, en quatrième lieu, que les fonds que l’UFB s’était engagée à verser à Daniel X… ne lui ayant jamais été remis, l’engagement de l’établissement financier ne pouvait s’analyser qu’en une promesse de prêt dont l’inexécution, à la supposer fautive, ne pouvait donner lieu qu’à l’allocation de dommages-intérêts, de sorte qu’en condamnant néanmoins l’UFB à exécuter son engagement résultant de la promesse de prêt en lui imposant de verser aux ayants-droit de Daniel X… les sommes qui y étaient visées, la cour d’appel a violé les articles 1892 et 1142 du même Code ;

Mais attendu que le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel ; que l’arrêt attaqué, qui relève que la proposition de financement avait été signée par Daniel X… et que les conditions de garanties dont elle était assortie étaient satisfaites, retient, à bon droit, que la société UFB Locabail était, par l’effet de cet accord de volonté, obligée au paiement de la somme convenue ; d’où il suit que le moyen qui n’est pas fondé en sa première branche, est inopérant en ses trois autres branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

2. Contrats commutatifs / contrats aléatoires

L’identification de la contrepartie dans les contrats à titre onéreux commande de distinguer les contrats commutatifs des contrats aléatoires.

?Exposé de la distinction

  • Le contrat commutatif
    • Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit.
    • Autrement dit, le contrat commutatif est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques sont déterminés lors de la formation du contrat
      • Exemple : la vente est un contrat commutatif car dès sa conclusion les parties se sont accordées sur la détermination de la chose et du prix.
  • Le contrat aléatoire
    • Le contrat est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain.
    • Le contrat aléatoire est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques ne sont, ni déterminés, ni déterminables lors de la formation du contrat
    • La teneur de l’obligation à laquelle s’engagent les parties dépend de la réalisation d’un événement aléatoire
    • De la réalisation de cet événement dépendent le gain et la perte réalisés par les parties
      • Exemple : le contrat d’assurance ou le contrat de viager

?Conséquence de la distinction sur l’identification de la contrepartie

Au regard de cette distinction, si l’identification de la contrepartie ne pose guère de difficultés en matière de contrat commutatif, dans la mesure où elle est déterminée dès la formation du contrat, tel n’est pas le cas pour les contrats aléatoires.

Dans ce type de contrat, une ou plusieurs prestations convenues par les parties ne sont pas certaines, en ce sens que leur exécution dépend de la réalisation d’un aléa.

Il en résulte que la contrepartie ne saurait résider dans la prestation du cocontractant dont la réalisation est soumise à un aléa. Par définition, il n’est, en effet, pas certain que ladite prestation sera due et que, par voie de conséquence, la contrepartie existera.

  • L’exemple du contrat d’assurance
    • Dans l’hypothèse où le risque assuré ne se réalise pas, les primes qui auront été versées par l’assuré pendant X années ne seront pas utilisées. Est-ce à dire que le contrat est dépourvu de contrepartie ?
    • À la vérité, la contrepartie existe bien. Seulement elle réside, non pas dans la contreprestation qui ne sera pas due en cas de non-réalisation du risque assuré, mais dans l’aléa lui-même. Ainsi, en matière de contrat aléatoire, la contrepartie réside dans l’existence d’un aléa.
    • Si, dès lors, le contrat n’est pas véritablement aléatoire, soit si le risque n’existe pas réellement, alors la condition tenant à l’exigence de contrepartie ne sera pas remplie. Dans ces conditions, il pourra être annulé pour absence de contrepartie.
    • L’article L. 121-15 du Code des assurances prévoit en ce sens que « l’assurance est nulle si, au moment du contrat, la chose assurée a déjà péri et ne peut plus être exposée aux risques ».
    • En application de cette règle la Cour de cassation a eu l’occasion de juger un contrat d’assurance nul pour défaut d’aléa, le risque assuré s’étant déjà réalisé au moment de la conclusion de l’acte (Cass. 1ère civ., 9 nov. 1999, n°97-16.800).
  • L’exemple du contrat constitutif de rente viagère
    • Il s’agit du contrat par lequel une personne, le crédirentier, s’engage à vendre un bien à une autre personne, le débirentier, en contrepartie du versement d’une certaine somme d’argent, des arrérages, à échéance périodique, jusqu’au décès du vendeur.
    • Le Code civil classe le contrat de rente viagère parmi les contrats aléatoires.
    • La contrepartie exigée par l’article 1169 du Code civil réside dès lors dans l’aléa que constitue le décès du crédirentier et non dans les prestations dues par les parties.
    • Aussi, l’article 1974 du Code civil dispose-t-il que « tout contrat de rente viagère, créé sur la tête d’une personne qui était morte au jour du contrat, ne produit aucun effet. »
    • L’article 1975 ajoute que, « il en est de même du contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat. »
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser dans un arrêt du 16 avril 1996 que « l’article 1975 du Code civil n’interdit pas de constater, pour des motifs tirés du droit commun des contrats, la nullité pour défaut d’aléa d’une vente consentie moyennant le versement d’une rente viagère, même lorsque le décès du crédirentier survient plus de vingt jours après la conclusion de cette vente ; qu’il n’est pas nécessaire, dans cette hypothèse, que le crédirentier soit décédé de la maladie dont il était atteint au jour de la signature du contrat ; qu’il suffit que le débirentier ait eu connaissance de la gravité de l’état de santé du vendeur » (Cass. 1ère civ. 16 avr. 1996, n°93-19.661)

B) Les caractères de la contrepartie

Il ressort de la combinaison des articles 1168 et 1169 du Code civil que, si, pour être valide, le contrat doit assurer une certaine équivalence entre les prestations des parties, l’exigence d’un déséquilibre contractuel ne sera cependant pas toujours sanctionnée, notamment lorsque ce déséquilibre s’apparentera à une lésion.

Pour rappel, aux termes de l’article 1168 du Code civil « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement. »

Combinée avec l’exigence de contrepartie énoncée à l’article 1169 du Code civil, cela signifie que pour affecter la validité du contrat, le déséquilibre entre les obligations des parties doit être tellement important qu’il constitue bien plus qu’une simple lésion.

Aussi, cela représente-t-il l’hypothèse où l’engagement de l’un des contractants n’est pas causé, en ce sens que celui-ci s’est obligé, alors même qu’il ne recevra aucune contre-prestation en retour.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir à partir de quand le déséquilibre susceptible de se créer entre les prestations des parties lors de la formation du contrat s’apparente-t-il à un défaut de contrepartie ?

L’examen de la jurisprudence nous révèle que cette situation se rencontre dans quatre cas précis :

1. L’absence totale de contrepartie

Il s’agit, de toute évidence, de l’hypothèse qui soulève le moins de difficultés. Dans ce cas de figure, il n’est pas question d’un déséquilibre entre les prestations contractuelles.

Pour qu’il y ait déséquilibre, encore faut-il que l’on puisse confronter deux prestations dont seraient débiteurs l’une et l’autre partie.

Dans l’hypothèse visée à l’article 1169 du Code civil l’un des contractants n’est cependant créancier d’aucune obligation en contrepartie de la prestation qu’il fournit.

Exemples :

  • En matière de contrat de vente
    • Le défaut de contrepartie correspond à l’hypothèse où le vendeur s’engage à transférer la propriété d’une chose qui n’existe pas
    • Inversement le défaut de contrepartie sera caractérisé lorsque l’acheteur ne sera tenu de s’acquitter d’aucun prix.
  • En matière de contrat de prêt
    • Le défaut de contrepartie correspond à l’hypothèse où l’emprunteur s’est engagé à restituer la chose prêtée, alors même qu’elle ne lui a jamais été remise.
  • En matière de contrat de prestation de service
    • Dans un arrêt du 24 juin 2014, la Cour de cassation a encore décidé qu’un contrat de prestation de service était nul pour défaut de cause (contrepartie) dès lors que celui-ci « ne correspondait à aucun service effectif » (Cass. com. 24 juin 2014, n°12-27.908)

2. L’absence de contrepartie sérieuse

Il ressort de l’article 1169 du Code civil que dans l’hypothèse où la contrepartie existe, mais qu’elle est dérisoire ou illusoire, elle doit être assimilée au défaut total de contrepartie.

Très tôt, la jurisprudence a considéré en ce sens que, en matière de contrat de vente par exemple, le prix fixé par les parties devait être sérieux, soit non dérisoire, faute de quoi le contrat encourait la nullité pour défaut de contrepartie (V. en ce sens Cass. req., 3 mai 1922).

Il en va de même pour le contrat de bail dans l’hypothèse où le loyer dû par le preneur serait dérisoire (Cass. 3e civ., 20 déc. 1971, n°70-13.450)

Ainsi l’ordonnance du 10 février 2016 est-elle venue consacrer une solution déjà bien établie en jurisprudence, solution qu’il convient d’appliquer à l’ensemble des contrats synallagmatiques.

3. L’absence de contrepartie réelle

À la différence de l’ancien article 1131 du Code civil, le nouvel article 1169 ne prévoit pas que le défaut de contrepartie s’apparente à la « fausse cause ».

Par fausse cause – contrepartie désormais – il faut entendre, une absence totale ou partielle de contrepartie dont le fait générateur réside, soit dans une simulation, soit dans un vice du consentement.

a. La contrepartie simulée

Il s’agit de l’hypothèse où les deux parties ont, de concert, assorti l’obligation principale du contrat d’une contrepartie apparente, alors que, en réalité, aucune contrepartie n’existe.

Il s’agit, autrement dit, d’une opération déguisée que les parties, cherchent à soustraire à l’application de règles le plus souvent d’ordre fiscal.

Tel est le cas, lorsque, sous couvert d’un contrat de vente, les contractants entendent conclure une donation.

Le vendeur et l’acheteur conviendront, pour ce faire, d’un prix dérisoire, qui s’apparentera, dès lors, à une contrepartie simulée.

Quid de la sanction de la contrepartie simulée ?

  • Principe : requalification de l’opération
    • L’ancien article 1132 du Code civil prévoyait que « la convention n’est pas moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée. »
    • Ainsi en cas de cause simulée, l’acte n’encourrait-il pas, par principe, la nullité.
    • Le juge était libre, néanmoins, de redonner à l’opération, en guise de sanction, sa véritable qualification.
    • Bien que le nouvel article 1169 ne fasse aucune référence à la contrepartie simulée, tout porte à croire que la règle antérieure sera reconduite par la Cour de cassation, conformément à sa jurisprudence constante (V. en ce sens notamment Cass. civ., 31 mai 1858).
  • Exception : la nullité de l’acte
    • En cas de contrepartie simulée l’acte encourra, par exception, la nullité dans l’hypothèse où ladite contrepartie est illicite.
    • Cette solution s’explique par le fait que la requalification de l’opération sera insuffisante quant à sauver le contrat, dans la mesure où le but poursuivi par les parties est contraire à l’ordre public.
    • Or il s’agit là d’une cause de nullité absolue.

b. L’erreur sur la contrepartie

La question qui se pose ici est de savoir comment s’analyse l’hypothèse où l’un des contractants commet une erreur sur la contrepartie dont il croit être créancier ?

Cette situation s’apparente-t-elle à un vice du consentement ou doit-elle être assimilée à un défaut de contrepartie ?

Deux cas de figure doivent principalement être distingués :

i. L’erreur porte sur l’existence de la contrepartie

Ce cas de figure correspond à la situation où, au moment de la conclusion du contrat, le contractant croyait que la cause existait, alors que, en réalité, elle n’existait pas, à tout le moins que partiellement.

?Lorsque la contrepartie est totalement inexistante

Il est constant, dans cette hypothèse, que la jurisprudence assimile l’erreur sur l’absence de contrepartie à l’absence de contrepartie.

Dans un arrêt du 10 mai 1995, la Cour de cassation a décidé en ce sens que « l’erreur sur l’existence de la cause, fût-elle inexcusable, justifie l’annulation de l’engagement pour défaut de cause » (Cass. 1ère civ. 10 mai 1995, n°92-10.736).

Cass. 1ère civ. 10 mai 1995

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la Société d’économie mixte du marché d’Orléans (Sominos) a été constituée en 1961 avec pour mission, notamment, de construire et d’exploiter, sur les terrains concédés par le département du Loiret, des entrepôts et des immeubles de bureaux ou à usage commercial et d’assurer la gestion de tous les immeubles que le département estimera propres à contribuer à son développement économique ; qu’à compter de 1962, cette société a eu comme directeur général des personnes proposées par l’une de ses actionnaires, la Société centrale d’équipement du territoire (SCET) ; que la Sominos a signé le 28 juin 1972 avec la SCET une convention selon laquelle cette société s’engageait, moyennant une rémunération forfaitaire, à lui apporter une assistance en matière juridique et fiscale administrative, technique et économique, ainsi qu’en gestion financière ; que l’article 11 de la convention prévoyait que la Sominos pourrait faire appel à la SCET pour que soit mis à sa disposition ” un cadre qualifié compétent en matière de gestion de société d’économie mixte et susceptible de suppléer à l’absence ou l’empêchement du directeur ” ; qu’à compter du 1er juin 1980, M. X… a été délégué par la SCET auprès de la Sominos pour exercer les fonctions de directeur ; qu’à la suite de difficultés financières de la Sominos, une mission d’audit fut confiée en décembre 1986, à la Fiduciaire de France, qui déposa ses rapports en 1987 ; que, postérieurement à la dissolution anticipée de la Sominos intervenue en janvier 1988, la SCET a réclamé à cette dernière société le paiement d’une somme de 212 881,74 francs représentant le rachat de points de retraite au profit de M. X…, selon un engagement qu’elle aurait souscrit par lettre du 14 novembre 1986 ; que la Sominos, soutenant que la SCET avait manqué à ses obligations contractuelles en mettant à sa disposition un cadre incompétent ayant commis de graves fautes de gestion, l’a assignée en réparation de son préjudice ; que l’arrêt attaqué (Orléans, 20 novembre 1991) a débouté la Sominos de sa demande et l’a condamnée à payer à la SCET la somme réclamée ;

Sur le premier moyen :

Mais sur le second moyen :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu que, pour condamner la Sominos à payer à la SCET le coût du rachat des points de retraite au profit de M. X…, l’arrêt se borne à retenir que la Sominos ne saurait prétendre que l’engagement qu’elle a pris à cet effet par lettre du 14 novembre 1986, compte tenu des services rendus par M. X…, est entaché d’erreur, dans l’ignorance où elle était, à cette date, des graves fautes de gestion commises par celui-ci, alors qu’il lui appartenait, en qualité de commettant, d’user de ses pouvoirs de contrôle et d’autorité sur son préposé ;

Qu’en se déterminant ainsi, alors que l’erreur sur l’existence de la cause, fût-elle inexcusable, justifie l’annulation de l’engagement pour défaut de cause, la cour d’appel, n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la société Sominos à payer à la SCET la somme de 212 881,70 francs, l’arrêt rendu le 20 novembre 1991, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers.

?Lorsque la contrepartie est partiellement inexistante

Cette hypothèse correspond à la situation où l’un des contractants s’est trompé, non pas sur l’existence même de la contrepartie, mais seulement sur son étendue.

Autrement dit, l’errans s’est engagé pour un montant supérieur au prix qui a, en réalité, été convenu.

Contrairement à l’hypothèse précédente, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 11 mars 2003 sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil que « la fausseté partielle de la cause n’entraîne pas l’annulation de l’obligation, mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistante » (Cass. 1ère civ. 11 mars 2003, n°99-12.628).

Toutefois, dans un arrêt postérieur du 31 mai 2007, la première chambre civile est venue préciser que « dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l’obligation » (Cass. 1ère civ., 31 mai 2007, n°05-21.316).

Comment concilier ces deux décisions en apparence contradictoires ?

  • S’agissant de la première décision : Cass. 1ère civ. 11 mars 2003
    • La solution retenue en 2003 par la Cour de cassation a été adoptée en vue de permettre au juge de ramener l’engagement excessif pris par le débiteur dans le cadre d’une reconnaissance de dette à hauteur du montant de la dette préexistante.
    • Si, d’aucuns ont analysé cette solution comme l’introduction, en droit des contrats, d’une obligation générale de proportionnalité entre les engagements pris par les parties l’une envers l’autre, il semble néanmoins que cette solution doive être cantonnée au seul domaine de la reconnaissance de dette.
    • Cet acte s’apparente, en effet, à un engagement unilatéral de payer.
    • Or la cause de cet engagement réside dans l’existence de la dette préexistante.
    • Si donc, le débiteur s’oblige à rembourser une somme supérieure au montant de la dette initiale, il se déduit que son engagement est partiellement privé de contrepartie.
    • D’où l’admission par la Cour de cassation de la réduction de l’obligation du débiteur, à hauteur de la fraction subsistante, soit celle correspondant au montant de la dette préexistante (Cass. 1ère civ. 11 mars 2003, n°99-12.628).

Cass. 1ère civ. 11 mars 2003

Vu l’arrêt du 20 novembre 2001 constatant l’interruption de l’instance du fait du décès de Charlotte X…, veuve Y…, survenu le 17 juillet 1999, et les actes de signification du mémoire ampliatif aux héritiers de celle-ci ;

Attendu qu’au mois d’octobre 1981, M. Jean-Yves Y… a repris le cabinet de géomètre-expert de son oncle, Jean Y…, décédé le 18 juin 1981 ; que, par acte du 21 octobre 1992, Charlotte X…, veuve de Jean Y…, a assigné M. Jean-Yves Y… en paiement d’une somme de 629 956 francs, représentant notamment les loyers dus pour les locaux professionnels, et en annulation d’une reconnaissance de dette de 800 000 francs souscrite devant notaire le 13 novembre 1991 ; que l’arrêt attaqué (Rennes, 10 novembre 1998), rendu après expertise, a déclaré de nul effet l’acte du 13 novembre 1991, condamné M. Jean-Yves Y… à payer à Charlotte X… la somme de 149 417 francs, avec les intérêts au taux légal, outre une indemnité d’occupation de 1 200 francs par mois à compter de juillet 1996, et débouté les parties de leurs autres demandes ;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Jean-Yves Y… fait grief à l’arrêt attaqué de l’avoir condamné à payer à Charlotte X… diverses sommes au titre de l’occupation des locaux professionnels : 1 ) en lui faisant supporter la preuve de l’absence d’obligation au paiement d’indemnités d’occupation, de sorte que la cour d’appel aurait inversé la charge de la preuve ; 2 ) sans répondre à ses conclusions de nature à établir qu’un accord était intervenu entre les parties pour compenser l’occupation des locaux et qu’il n’était donc redevable d’aucune indemnité ;

Mais attendu que, dans ses dernières conclusions d’appel, M. Jean-Yves Y… avait reconnu qu’il y avait eu promesse d’une indemnité d’occupation acceptée par les deux parties ; qu’il n’est donc pas recevable à soutenir devant la Cour de Cassation un moyen contraire à ses propres écritures ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu que la fausseté partielle de la cause n’entraîne pas l’annulation de l’obligation, mais sa réduction à la mesure de la fraction subsistante ;

Attendu que, pour déclarer nul en sa totalité l’acte du 13 novembre 1991, la cour d’appel énonce que Charlotte X… ne pouvait être débitrice de la somme portée à cet acte ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle s’était appropriée les conclusions de l’expert dont il résultait que la dette de Charlotte X… à l’égard de son neveu existait bien, même si elle s’avérait inférieure à la somme pour laquelle elle s’était engagée, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deux premières branches du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions relatives à l’indemnité d’occupation, l’arrêt rendu le 10 novembre 1998, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ;

  • S’agissant de la seconde décision : Cass. 1ère civ., 31 mai 2007
    • Dans l’arrêt du 31 mai 2007, la Cour de cassation décide que, dans les contrats synallagmatiques, la fausseté partielle de la cause ne peut jamais entraîner la réduction de l’obligation.
    • Cette décision se comprend aisément, car si l’on avait admis que l’erreur sur l’étendue de la contreprestation soit constitutive d’une cause de réduction de l’obligation, cela serait revenu à admettre indirectement la lésion.
    • Or la lésion est sans incidence sur la validité des engagements pris par les parties, conformément à l’article 1168 du Code civil
    • Dans ces conditions, la solution adoptée par la Cour de cassation ne peut être qu’approuvée (Cass. 1ère civ., 31 mai 2007, n°05-21.316).

Cass. 1ère civ., 31 mai 2007

Sur le moyen unique :

Attendu que M. et Mme Y… ont accepté, suivant acte du 1er juillet 1994, de céder à M. X…, au prix d’un franc, 2015 actions qu’ils possédaient dans le capital de la société Deltanic Tabey Pro (DTP), ce prix ayant été déterminé au vu de la situation comptable de cette société arrêtée au 30 avril 1994 et en tenant compte de l’abandon, par M. Y…, à hauteur de 301 892,23 francs, de son compte courant dont il était précisé qu’il s’élevait alors à 1 700 056,50 francs, M. Y… devant, par acte séparé, céder à M. X…, moyennant le prix d’un franc, la moitié de sa créance sur la société, soit 850 000 francs ; que par acte notarié des 4 avril et 2 mai 1995, les époux Y… ont cédé à M. X… les actions d’une autre société et le compte courant qu’ils détenaient dans les comptes de celle-ci ainsi que leurs actions de la société DTP et le compte courant d’associé de M. Y… dans cette société, moyennant la constitution d’une rente viagère de 24 000 francs par an ; qu’il résulte d’attestations de l’expert comptable et du commissaire aux comptes de la société DTP que le montant du compte-courant de M. Y… dans les comptes de la société DTP s’élevait seulement à la somme de 548 164,27 francs au 1er juillet 1994 ; que M. X… a assigné les époux Y… en sollicitant en dernier lieu notamment la réduction du prix de cession visé à l’acte des 4 avril et 2 mai 1995 ; que l’arrêt attaqué (Lyon, 29 septembre 2005) l’a débouté de ses demandes ;

Attendu qu’il est fait grief à la cour d’appel d’avoir statué comme elle l’a fait alors, selon le moyen, que dans un contrat synallagmatique, la cause de l’obligation d’une partie réside dans l’objet de l’obligation de l’autre, sa fausseté partielle donnant lieu à la réduction de ladite obligation à la mesure de la fraction subsistante ; qu’il résulte en l’espèce des propres constatations de l’arrêt attaqué que le solde du compte courant inclus dans l’objet de la cession litigieuse, en considération duquel le prix de cession avait été en partie fixé, était largement supérieur à son montant réel, la cause de l’obligation de l’acquéreur étant ainsi partiellement fausse ; qu’en décidant cependant qu’il n’y avait pas lieu à réduction du prix, la cour d’appel a violé l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu que dans un contrat synallagmatique, la fausseté partielle de la cause ne peut entraîner la réduction de l’obligation ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Quid de la reconduction par l’ordonnance du 10 février 2016 des solutions adoptées par la Cour de cassation en matière de fausseté partielle de la cause ?

Manifestement, l’article 1169 du Code civil ne traite nullement du cas de la fausseté partielle de la contrepartie.

Est-ce à dire qu’elle ne constitue plus une cause de réduction de l’obligation en matière de reconnaissance de dette, conformément à la jurisprudence du 11 mars 2003 ?

La question mérite d’être posée, dans la mesure où l’article 1169 ne vise que la contrepartie « non illusoire » ou « non dérisoire ».

Il n’est nullement fait référence dans cette disposition à l’hypothèse où a contrepartie serait partiellement inexistante.

La solution dégagée par la Cour de cassation en matière de reconnaissance est, par conséquent, susceptible d’être remise en cause.

ii. L’erreur porte sur l’objet de la contrepartie

Dans l’hypothèse où l’erreur d’un contractant porte sur l’objet de la contrepartie, la nullité du contrat est encourue.

La jurisprudence analyse classiquement cette situation comme en une erreur obstacle, en ce sens que la rencontre des volontés a été empêchée.

Exemple : l’une des parties pensait vendre son bien alors que l’autre croyait qu’il s’agissait d’un contrat de location.

Ainsi, l’erreur sur l’objet de la prestation est-elle sanctionnée sur le terrain du consentement et non sur celui du défaut de contrepartie.

4. L’absence d’utilité de l’opération

En principe, la contrepartie exigée à l’article 1169 du Code civil doit, de la sorte, être entendu comme la cause objective, soit celle qui représente pour les motifs les plus proches qui ont animé les parties au contrat.

Exemple :

  • Dans le contrat de vente, le contrôle de l’exigence de contrepartie portera sur la délivrance de la chose et sur le paiement d’un prix non dérisoire
  • Dans le contrat de bail, on vérifiera encore que le preneur s’acquitte d’un loyer et que preneur assure bien la jouissance paisible de la chose louée.

Il ne s’agira donc pas de s’intéresser aux motifs lointains des contractants, en ce sens que les raisons – ou cause subjective – qui ont déterminé l’une ou l’autre partie à contracter ne sont, a priori, pas pris en compte quant à contrôler l’exigence d’une contrepartie.

Tel était du moins l’état de la jurisprudence jusqu’à un arrêt du 3 juillet 1996 (Cass. civ. 1re, 3 juillet 1996, n°94-14.800)

Cette décision a, en effet, donné naissance à un mouvement que l’on a qualifié de subjectivisation de la cause, ce qui a conduit à une extension du domaine de la nullité pour absence de cause :

?Première étape : naissance du mouvement de subjectivisation de la cause

Arrêt Point club vidéo

(Cass. civ. 1re, 3 juillet 1996)

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Attendu que la société DPM fait grief à l’arrêt attaqué (Grenoble, 17 mars 1994) d’avoir annulé, pour défaut de cause, le contrat de création d’un ” point club vidéo ” et de location de cassettes conclu avec M. et Mme Y…, en retenant que la cause, mobile déterminant de l’engagement de ces derniers, était la diffusion certaine des cassettes auprès de leur clientèle, et que cette exploitation était vouée à l’échec dans une agglomération de 1314 habitants, alors que, d’une part, dans un contrat synallagmatique la cause de l’obligation d’une partie réside dans l’obligation de l’autre partie, et qu’en l’espèce la cause de l’engagement des époux X… était la mise à leur disposition des cassettes vidéo, et que, d’autre part, les motifs déterminants ne peuvent constituer la cause du contrat que dans le cas non relevé par la cour d’appel où ces motifs sont entrés dans le champ contractuel ;

Mais attendu qu’ayant relevé que, s’agissant de la location de cassettes vidéo pour l’exploitation d’un commerce, l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties était impossible, la cour d’appel en a exactement déduit que le contrat était dépourvu de cause, dès lors qu’était ainsi constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l’obligation de payer le prix de location des cassettes, souscrite par M. et Mme Y… dans le cadre de la convention de création d’un ” point club vidéo ” ;

Que l’arrêt est ainsi légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

  • Faits
    • Conclusion d’un contrat entre un fournisseur de cassettes vidéo et un loueur qui entendait créer avec son épouse un point club vidéo.
    • Toutefois, l’exploitation de ce commerce s’avère très rapidement déficitaire, celui-ci ayant été ouvert dans une agglomération insuffisamment peuplée pour que l’opération soit économiquement rentable.
  • Demande
    • Une action en nullité du contrat de fourniture est alors engagée par le couple d’époux
  • Procédure
    • Par un arrêt du 17 mars 1994, la Cour d’appel de Grenoble annule le contrat conclu entre les époux et le fournisseur de vidéos.
    • Les juges du fond estiment que, dans la mesure où l’activité des époux était vouée à l’échec compte tenu du faible nombre d’habitants dans le village dans lequel ils se sont implantés, le contrat était entaché de nullité pour défaut de cause.
    • La Cour d’appel, considère, en effet, que la raison pour laquelle le couple d’époux aurait contracté avec le fournisseur résidait dans l’activité commerciale qu’ils comptaient exploiter.
    • Or dans l’agglomération dans laquelle ils ont implanté leur commerce, leur projet n’était pas viable compte tenu du faible nombre d’habitants.
    • Le contrat serait donc privé de cause.
  • Solution
    • Par un arrêt du 3 juillet 1996, la première chambre civile rejette le pourvoi formé par le fournisseur de cassettes vidéos.
    • La Cour de cassation justifie sa décision en relevant que l’exécution du contrat était impossible.
    • Plus précisément, elle estime que « le contrat était dépourvu de cause, dès lors qu’était ainsi constaté le défaut de toute contrepartie réelle à l’obligation de payer le prix de location des cassettes ».
  • Analyse
    • Il ressort de cet arrêt que, contrairement à ce qu’elle s’était toujours refusé de faire, pour apprécier l’existence d’une cause à l’opération (contrepartie), la Cour de cassation prend en compte les mobiles des parties ; plus exactement leurs motifs lointains.
    • En effet, pour décider que le contrat est nul pour défaut de cause, la Cour de cassation se focalise, non pas sur la cause objective, soit la fourniture de cassettes vidéos, mais sur la cause subjective, soit le but poursuivi par les parties : exploiter un commerce de cassettes vidéos suffisamment rentable.
    • Jusqu’alors, pour vérifier l’exigence de cause, la haute juridiction se contentait pourtant de contrôle l’existence de contreparties réciproques.
    • Avec cet arrêt, elle se livre au contrôle de ce l’on a appelé « l’économie du contrat ».
    • Comment analyser cette décision ?
    • Deux théories ont principalement été avancées pour expliquer cette décision :
    • Première théorie : la cause objective
      • Selon cette théorie, bien que la Cour de cassation subisse l’attraction de la cause subjective, on demeurerait dans le cadre de la cause objective.
      • Pour les tenants de cette théorie, la haute juridiction ne contrôlerait pas vraiment les mobiles des parties, mais l’économie du contrat
      • En d’autres termes elle évaluerait seulement la contrepartie reçue par chacune d’elles, pour constater qu’elle est insuffisante.
      • On resterait donc bien dans le cadre de la cause objective.
      • La Cour de cassation subjectivise toutefois cette contrepartie, en exigeant qu’elle soit apte à satisfaire l’économie du contrat.
      • Ainsi, la cause de l’obligation souscrite par couple de commerçants, résiderait bien dans la contre-prestation exécutée par le fournisseur, soit la fourniture de vidéos cassettes, pourvu néanmoins, selon la Cour de cassation, que cette contre-prestation respecte l’économie du contrat.
      • C’est la raison pour laquelle, avec cet arrêt, la Cour de cassation a parlé de subjectivisation de la cause objective.
    • Seconde théorie : la cause subjective
      • Selon cette théorie, l’arrêt Point club vidéo consacrerait une approche purement subjective de la cause de sorte qu’il serait alors mis fin à la dualité entre cause objective et cause subjective.
      • Aussi, la cause constituerait désormais un concept unitaire et se définirait comme « le but contractuel commun aux parties ou poursuivi par l’une d’elles et pris en compte par les autres ; le défaut de cause s’identifierait à l’impossibilité pour les parties d’atteindre ce but contractuel »[1]
      • La Cour de cassation utilise toutefois dans l’arrêt le terme « contrepartie ».
      • Or c’est là la marque de la cause objective, de sorte que l’on peut s’interroger sur la véritable intention de la Cour de cassation dans cet arrêt.
      • La question qui s’est alors posée a été de savoir s’il s’agissait d’un simple arrêt d’espèce ou si l’on devait lui conférer la portée d’un arrêt de principe.
  • Critique générale
    • La solution retenue dans cet arrêt conduit manifestement les juges, en recourant prenant en compte les mobiles des parties pour contrôler l’exigence de cause, à se livrer à une véritable appréciation de la faisabilité de l’opération économique.
    • Or il s’agit là, en principe d’une prérogative qui, en principe, est exclusivement dévolue aux parties.
    • Aussi, de nombreux auteurs, ont-ils fait observer que, dans cet arrêt, la Cour de cassation était totalement sortie de son rôle, car il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la faisabilité de l’opération économique.
    • Cette décision a-t-elle été confirmée par la suite ?

?Deuxième étape : tempérament du mouvement de subjectivisation de la cause

Cass. com. 27 mars 2007

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Agen, 31 janvier 2005), que M. X… a conclu avec la société MDM multimédia (la société MDM) “un contrat de création d’un point de location de cassettes vidéo”, aux termes duquel, moyennant une somme convenue, il disposerait, pour une durée de 10 mois renouvelable, d’un lot de 120 cassettes ; que M. X… n’ayant pas réglé les sommes convenues, la société MDM a obtenu une ordonnance d’injonction de payer contre laquelle il a formé opposition en sollicitant l’annulation du contrat ;

Attendu que M. X… reproche à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande en nullité de ce contrat et en dommages-intérêts et de l’avoir condamné à payer à la société MDM la somme de 5 437,83 euros outre les intérêts à compter du 26 juin 2002 et jusqu’à parfait paiement avec capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l’article 1154 du code civil, alors, selon le moyen :

1 / qu’en écartant l’allégation de dol sans répondre aux conclusions de M. X… qui soutenait que la société MDM ne lui avait pas révélé qu’elle avait fait signer un contrat du même type à un restaurateur installé à 13 km, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau code de procédure civile ;

3 / que la cause de l’obligation d’une partie est constituée par la réalité de la prestation que lui doit l’autre partie ; qu’en se bornant à relever de manière générale que M. X… n’établit pas l’impossibilité qu’il allègue de pouvoir réaliser la location de cassettes vidéo à l’occasion de l’exercice de ses commerces sur des objectifs qu’il a lui-même fixés dans un contexte que sa situation de commerçant installé lui permettait de définir, sans rechercher si concrètement dans un village de 180 habitants (160 pour la cour d’appel) celui-ci avait une chance de louer un nombre de cassettes suffisant pour réaliser des bénéfices, compte tenu du prix de la mise en place de ces cassettes de 1 326,67 euros sur 10 mois, la cour d’appel a privé son arrêt de base légale au regard de l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu’après avoir retenu qu’il résulte des éléments contradictoirement débattus que c’est M. X… qui a souscrit de lui-même un abonnement auprès de la société MDM sur des prestations connues de lui et qu’il ne peut donc faire relever du dol la médiocrité par lui alléguée des films qu’il proposait par ailleurs de louer à sa propre clientèle, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre M. X… dans le détail de son argumentation, a pu en déduire que la société MDM n’avait pas commis de dol à l’égard de ce dernier ;

Attendu, en second lieu, que l’arrêt retient que l’absence de cause ne se conçoit que si l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties est impossible en raison de l’absence de contrepartie réelle ; qu’il constate encore que M. X…, sur lequel repose la démonstration d’une telle situation, n’apporte que des éléments insuffisants à établir l’impossibilité qu’il allègue de pouvoir réaliser la location de cassettes vidéo à l’occasion de l’exercice de ses commerces sur des objectifs qu’il a lui-même fixés dans un contexte que sa situation de commerçant installé lui permettait de définir ; qu’en l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

  • Faits
    • Comme dans l’espèce, précédente, il s’agissait dans cet arrêt de la conclusion d’un contrat de création d’un point de location de cassettes vidéo, aux termes duquel, moyennant une somme convenue, l’exploitant disposerait, pour une durée de 10 mois renouvelable, d’un lot de 120 cassettes
    • Toutefois, ce dernier ne règle pas les sommes dues au titre du contrat de fourniture
    • Le fournisseur obtient alors une ordonnance d’injonction de payer à l’encontre de son débiteur.
  • Demande
    • L’exploitant de cassettes vidéos forme opposition à l’ordonnance d’injonction de payer rendue contre lui et sollicite l’annulation du contrat de fourniture.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 31 janvier 2005 la Cour d’appel d’Agen, déboute le requérant de sa demande d’annulation du contrat.
    • Les juges du fond estiment que les éléments apportés par l’exploitant sont insuffisants quant à établir l’impossibilité pour lui de réaliser l’opération économique envisagée, soit la création d’un point de location de cassettes vidéos.
  • Solution
    • Par un arrêt du 27 mars 2007, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’exploitant (Cass. com. 27 mars 2007, n°06-10.452).
    • La chambre commerciale valide en ce sens le raisonnement des juges du fond qui avaient estimé que «  l’absence de cause ne se conçoit que si l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties est impossible en raison de l’absence de contrepartie réelle ».
    • Or en l’espèce, l’auteur du pourvoi « n’apporte que des éléments insuffisants à établir l’impossibilité qu’il allègue de pouvoir réaliser la location de cassettes vidéo à l’occasion de l’exercice de ses commerces sur des objectifs qu’il a lui-même fixés dans un contexte que sa situation de commerçant installé lui permettait de définir »
    • La Cour de cassation confirme ainsi par cet arrêt la solution qui avait été adoptée 10 ans plus tôt.
    • Non seulement les faits sont sensiblement les mêmes, mais encore elle se réfère explicitement à « l’absence de contrepartie réelle », laquelle s’apprécie au regard de l’économie du contrat voulue par les parties, ce qui fait directement écho à l’arrêt du 3 juillet 1996.
    • La solution rendue en l’espèce n’est toutefois pas identique en tous points.
    • Il ressort, en effet de l’arrêt, que la haute juridiction procède à un renversement de la charge de la preuve.
    • La chambre commerciale estime en ce sens qu’il appartient à l’exploitant de prouver l’absence de contrepartie réelle, alors que cette exigence n’avait pas été formulée dans l’arrêt Point club vidéo.
    • La solution rendue ici est donc plus restrictive que la précédente.
    • D’aucuns y ont vu un signe d’apaisement envoyé par la Cour de cassation aux détracteurs de l’arrêt du 3 juillet 1996.

?Troisième étape : fin du mouvement de subjectivisation de la cause

Cass. com. 9 juin 2009

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1131 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, le 17 avril 2002, la société Meria a conclu avec l’association Tourisme et culture Bordeaux, association des personnels des groupes La Poste et France Télécom (l’association), un contrat de location portant sur un lot de cassettes vidéo et DVD, pendant une durée de douze mois, selon un prix mensuel de 3 100 euros ; qu’après s’être acquittée du paiement d’une partie de ce prix, l’association a assigné la société Meria en annulation ou résolution de ce contrat, en remboursement de la somme versée, et en indemnisation de son préjudice ;

Attendu que, pour déclarer le contrat nul pour absence de cause, l’arrêt constate que l’objet de celui-ci, envisagé du point de vue de l’association, était de louer des cassettes et des DVD en vue de les diffuser à ses membres, au nombre d’environ 300, constitués de personnels de La Poste et de France Télécom ; qu’il relève que l’engagement résultant du contrat souscrit avec la société Meria, d’un montant de 37 200 euros, représentait plus du double de l’actif apparaissant sur les documents comptables au titre de l’exercice 2001, et que les pièces du dossier ne révèlent pas que l’association fut appelée à disposer au titre de l’année 2002 de ressources exceptionnelles ou susceptibles d’accroître notablement le budget de l’exercice précédent, de sorte qu’il est certain que le budget de l’association ne lui permettait pas de financer la location des vidéogrammes ; qu’il relève encore que l’importance de l’engagement financier mis à sa charge par le contrat l’empêchait de financer les autres objectifs poursuivis par celle-ci dans le domaine touristique et culturel ; qu’il relève enfin que, dans la mesure où les cassettes et DVD étaient destinés non seulement à être loués, mais aussi à être prêtés aux membres de l’association, le produit attendu des locations ne pouvait en aucun cas permettre d’assurer l’équilibre financier de l’opération ; qu’il en déduit que le contrat, en l’absence de contrepartie réelle pour l’association, ne pouvait être exécuté selon l’économie voulue par les parties ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la cause de l’obligation d’une partie à un contrat synallagmatique réside dans l’obligation contractée par l’autre, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a déclaré l’appel de l’association Tourisme et culture Bordeaux recevable, l’arrêt rendu le 29 novembre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux, autrement composée ;

  • Faits
    • Conclusion d’un contrat de location portant sur un lot de cassettes vidéo et DVD pendant une durée de douze mois, selon un prix mensuel de 3 100 euros entre une association et une société.
  • Demande
    • Après s’être acquittée du paiement d’une partie de ce prix, l’association assigne son fournisseur en annulation ou résolution de ce contrat, en remboursement de la somme versée, et en indemnisation de son préjudice.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 29 novembre 2007, la Cour d’appel de Bordeaux fait droit à la demande de l’association.
    • Au soutien de sa décision d’annulation du contrat pour absence de cause, les juges du fond relèvent que:
      • D’une part, l’objet de celui-ci, envisagé du point de vue de l’association, était de louer des cassettes et des DVD en vue de les diffuser à ses membres, au nombre d’environ 300, constitués de personnels de La Poste et de France Télécom
      • D’autre part, que l’engagement résultant du contrat souscrit avec la société Meria, d’un montant de 37 200 euros, représentait plus du double de l’actif apparaissant sur les documents comptables au titre de l’exercice 2001, et que les pièces du dossier ne révèlent pas que l’association fut appelée à disposer au titre de l’année 2002 de ressources exceptionnelles ou susceptibles d’accroître notablement le budget de l’exercice précédent, de sorte qu’il est certain que le budget de l’association ne lui permettait pas de financer la location des vidéogrammes.
      • En outre, que l’importance de l’engagement financier mis à sa charge par le contrat l’empêchait de financer les autres objectifs poursuivis par celle-ci dans le domaine touristique et culturel.
      • Enfin que, dans la mesure où les cassettes et DVD étaient destinés non seulement à être loués, mais aussi à être prêtés aux membres de l’association, le produit attendu des locations ne pouvait en aucun cas permettre d’assurer l’équilibre financier de l’opération.
    • La Cour d’appel en déduit que le contrat, en l’absence de contrepartie réelle pour l’association, « ne pouvait être exécuté selon l’économie voulue par les parties ».
  • Solution
    • Par un arrêt du 9 juin 2009, la chambre commerciale casse l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil, soit sur le fondement de la cause (Cass. com. 9 juin 2009, n°08-11.420).
    • La Cour de cassation estime en ce sens que « la cause de l’obligation d’une partie à un contrat synallagmatique rédie dans l’obligation contractée par l’autre ».
    • Aussi, la chambre commerciale, semble revenir par cet arrêt à une approche classique de la cause.
    • La Cour de cassation reproche, en effet, aux juges du fond d’avoir pris en compte les mobiles des parties pour apprécier l’existence de cause, alors qu’il convient seulement, pour ce faire, de vérifier l’existence d’une contrepartie.
    • Or en l’espèce, cette contrepartie existait bien, dans la mesure où elle consistait en la fourniture de cassettes vidéo et de DVD.
    • L’engagement de l’association était donc parfaitement causé !
    • Par cet arrêt, la Cour de cassation opère manifestement un revirement de jurisprudence et abandonne la solution adoptée dans l’arrêt Point club vidéo.
    • Ce retour à une conception classique de la cause a été confirmé par un arrêt du 18 mars 2014
    • Dans cette décision la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel qui avait débouté un requérant de sa demande de nullité d’un contrat pour défaut de cause (Cass. com. 18 mars 2014, n°12-29.453).
    • Pour justifier sa solution, la chambre commerciale affirme que « la cause de l’obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d’appel, appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat ; que par ce seul motif, la cour d’appel a justifié sa décision ».
    • Ainsi, la haute juridiction se refuse-t-elle à apprécier l’existence de cause au regard de la rentabilité du contrat.
    • Seule doit être prise en compte l’existence d’une contrepartie pour contrôler l’exigence de cause.

Cass. com. 18 mars 2014

Sur le moyen unique, qui est recevable comme étant de pur droit :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 28 septembre 2012), que le 27 novembre 2006, la société Les Complices a concédé à la société Yangtzekiang, devenue la société Yang design (la société Yang) une licence d’exploitation de sa marque « Les Complices » en contrepartie d’une redevance annuelle calculée par un pourcentage sur le chiffre d’affaires, avec minima ; que n’ayant pas reçu paiement des redevances convenues, la société Les Complices a obtenu une ordonnance d’injonction de payer à laquelle la société Yang a fait opposition ;

Attendu que la société Yang fait grief à l’arrêt de l’avoir condamnée à payer à la société Les Complices les sommes de 37 685,13 euros et 42 319,75 euros avec intérêts, alors, selon le moyen, que la disparition de la cause d’un engagement à exécution successive en cours d’exécution du contrat entraîne sa caducité ; que l’évolution des circonstances économiques peut déséquilibrer l’économie générale du contrat tel que voulu par les parties et priver de contrepartie réelle l’engagement de l’une d’elles qui devient caduc ; que la société Yang a fait valoir que l’évolution des circonstances économiques du marché du textile et la chute des ventes dans la grande distribution ont entraîné un déséquilibre du contrat le rendant non viable pour elle et privant de cause son obligation au titre des minima garantis ; que pour rejeter ce moyen, la cour d’appel a jugé que la rentabilité du contrat ne participe pas davantage à la définition de la cause dont l’existence s’apprécie au moment de sa conclusion ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 1131 du code civil ;

Mais attendu que la cause de l’obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d’appel, appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat ; que par ce seul motif, la cour d’appel a justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

?Quatrième étape : vers une résurgence du mouvement de subjectivisation de la cause ?

Bien que la Cour de cassation semble être revenue à une conception classique de la cause, la formulation du nouvel article 1169 du Code civil n’exclut pas l’hypothèse d’une résurgence du mouvement de subjectivisation de la cause.

En effet, cette disposition fait tout d’abord référence à la « contrepartie convenue ».

Or cette formule n’est pas sans rappeler l’arrêt du 27 mars 2007 où la Cour de cassation avait explicitement affirmé que « l’absence de cause ne se conçoit que si l’exécution du contrat selon l’économie voulue par les parties est impossible en raison de l’absence de contrepartie réelle » (Cass. com. 27 mars 2007, n°06-10.452).

Ensuite, l’article 1169 prévoit que la contrepartie « convenue » ne doit pas être illusoire ce qui renvoie à l’exigence de contrepartie réelle qui avait déjà été formulée dans l’arrêt du 3 juillet 1996.

Au total, il ressort de cette nouvelle disposition que tous les ingrédients sont ainsi réunis pour permettre à la Cour de cassation de réactiver sa jurisprudence Point club vidéo.

5. L’obligation essentielle du contrat

Lorsque le juge se livre à un contrôle de la contrepartie – entendue antérieurement comme la cause de l’obligation – il doit, en principe, appréhender le contrat pris dans son ensemble, soit comme un tout.

Autrement dit, l’exigence formulée à l’article 1169 du Code civil ne suppose pas que chaque clause de l’acte soit assortie d’une contrepartie.

La stipulation d’une contrepartie n’est, en effet, exigée que pour la prestation caractéristique du contrat, appelée également obligation principale ou essentielle.

Ainsi, dans un contrat de vente, ce qui importe c’est qu’un prix sérieux ait été stipulé par les parties en contrepartie de la délivrance de la chose.

Une clause relative aux modalités d’exécution du contrat prévue par les parties sans contrepartie serait sans incidence sur la validité de l’acte, sauf à ce que la mise en œuvre de ladite clause porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat.

Tel est le sens de l’article 1170 du Code civil aux termes duquel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Nouveauté de l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil, cette disposition est venue consacrer la célèbre construction jurisprudentielle Chronopost et Faurecia dont les rebondissements se sont échelonnés sur près de 14 ans.

a. La construction de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

a.1. La saga Chronopost

En résumant à gros trait, dans le cadre de l’affaire Chronopost, la Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si une clause stipulée en contradiction avec l’engagement principal pris par l’une des parties pouvait faire l’objet d’une annulation.

C’est sur le terrain de la cause que la Cour de cassation a tenté de répondre en se servant de cette notion comme d’un instrument de contrôle de la cohérence du contrat, ce qui n’a pas été sans alimenter le débat sur la subjectivisation de la cause.

Afin de bien saisir les termes du débat auquel a donné lieu la jurisprudence Chronopost, revenons sur les principales étapes de cette construction jurisprudentielle qui a conduit à l’introduction d’un article 1170 du Code civil.

i. Premier acte : arrêt Chronopost du 22 octobre 1996

Arrêt Chronopost I

(Cass. com. 22 oct. 1996)

Sur le premier moyen :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, que la société Banchereau a confié, à deux reprises, un pli contenant une soumission à une adjudication à la société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI ; que ces plis n’ayant pas été livrés le lendemain de leur envoi avant midi, ainsi que la société Chronopost s’y était engagée, la société Banchereau a assigné en réparation de ses préjudices la société Chronopost ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Attendu que, pour débouter la société Banchereau de sa demande, l’arrêt retient que, si la société Chronopost n’a pas respecté son obligation de livrer les plis le lendemain du jour de l’expédition avant midi, elle n’a cependant pas commis une faute lourde exclusive de la limitation de responsabilité du contrat ;

Attendu qu’en statuant ainsi alors que, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, la société Chronopost s’était engagée à livrer les plis de la société Banchereau dans un délai déterminé, et qu’en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 30 juin 1993, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Caen.

?Faits

Une société (la société Chronopost), spécialiste du transport rapide, s’est engagée à livrer sous 24 heures un pli contenant une réponse à une adjudication.

Le pli arrive trop tard, de sorte que la société cliente ne parvient pas à remporter l’adjudication.

?Demande

La société cliente demande réparation du préjudice subi auprès du transporteur

Toutefois, la société Chronopost lui oppose une clause qui limite sa responsabilité au montant du transport, soit 122 francs.

?Procédure

Par un arrêt du 30 juin 1993, la Cour d’appel de Rennes, déboute la requérante de sa demande.

Les juges du fond estiment que la responsabilité contractuelle du transporteur n’aurait pu être recherchée que dans l’hypothèse où elle avait commis une faute lourde.

Or selon la Cour d’appel le retard dans la livraison du pli ne constituait pas une telle faute.

En conséquence, le client du transporteur ne pouvait être indemnisé du préjudice subi qu’à hauteur du montant prévu par le contrat soit le coût du transport : 122 francs.

?Solution

Par un arrêt du 22 octobre 1996, la Chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 22 oct. 1996, n°93-18.632).

La Cour de cassation affirme, au soutien de sa décision que dans la mesure où la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant, à ce titre, la fiabilité et la célérité de son service, s’était engagée à livrer les plus de son client dans un délai déterminé, « en raison du manquement à cette obligation essentielle la clause limitative de responsabilité du contrat, qui contredisait la portée de l’engagement pris, devait être réputée non écrite ».

?Analyse

Tout d’abord, il peut être observé que, en visant l’ancien article 1131 du Code civil, la Cour de cassation assimile à l’absence de cause l’hypothèse où la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité a pour effet de contredire la portée de l’obligation essentielle contractée par les parties.

En l’espèce, la société Chronopost, spécialisée dans le transport rapide, s’est engagée à acheminer le plus confié dans un délai déterminé en contrepartie de quoi elle facture à ses clients un prix bien supérieur à ce qu’il est pour un envoi simple par voie postale.

En effet, c’est pour ce service, en particulier, que les clients de la société Chronopost, se sont adressé à elle, sinon pourquoi ne pas s’attacher les services d’un transporteur classique dont la prestation serait bien moins chère.

Ainsi, y a-t-il manifestement dans le délai rapide d’acheminement une obligation essentielle soit une obligation qui constitue l’essence même du contrat : son noyau dur.

Pourtant, la société Chronopost a inséré dans ses conditions générales une clause aux termes de laquelle elle limite sa responsabilité, en cas de non-respect du délai d’acheminement fixé, au montant du transport, alors même que le préjudice subi par le client est sans commune mesure.

D’où la question posée à la Cour de cassation : une telle clause ne vide-t-elle pas de sa substance l’obligation essentielle du contrat, laquelle n’est autre que la stipulation en considération de laquelle le client s’est engagé ?

En d’autres termes, peut-on envisager que la société Chronopost s’engage à acheminer des plis dans un délai rapide et, corrélativement, limiter sa responsabilité en cas de non-respect du délai stipulé à la somme de 122 francs ?

Il ressort du présent arrêt, que la Cour de cassation répond par la négative à cette question.

Elle estime, en ce sens, que la stipulation de la clause limitative de responsabilité était de nature à contredire la portée de l’engagement pris au titre de l’obligation essentielle du contrat.

En réduisant à presque rien l’indemnisation en cas de manquement à l’obligation essentielle du contrat, la clause litigieuse vide de sa substance ladite obligation.

Aussi, cela reviendrait, selon la Cour de cassation qui vise l’article 1131 du Code civil, à priver de cause l’engagement du client, laquelle cause résiderait dans l’obligation d’acheminer le pli dans un délai déterminé.

Elle en déduit que la clause limitative de responsabilité doit être réputée non-écrite.

?Critiques

Plusieurs critiques ont été formulées à l’encontre de la solution retenue par la haute juridiction

  • Le visa de la solution
    • Pourquoi annuler la clause du contrat sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil alors même qu’il existe une contrepartie à l’obligation de chacun des contractants ?
      • La contrepartie de l’obligation de la société Chronopost consiste en le paiement du prix par son client.
      • La contrepartie de l’obligation du client consiste quant à elle en l’acheminement du pli par Chronopost.
    • Jusqu’alors, afin de contrôler l’existence d’une contrepartie, le contrat était appréhendé globalement et non réduit à une de ses clauses en particulier.
  • La subjectivisation de la cause
    • Autre critique formulée par les auteurs, la Cour de cassation se serait attachée, en l’espèce, à la fin que les parties ont poursuivie d’un commun accord, ce qui revient à recourir à la notion de cause subjective alors que le contrôle de l’existence de contrepartie s’opère, classiquement, au moyen de la seule cause objective.
    • Pour la Cour de cassation, en concluant un contrat de transport rapide, les parties ont voulu que le pli soit acheminé à son destinataire dans un certain délai.
    • Or, si l’on s’en tient à un contrôle de la cause objective (l’existence d’une contrepartie), cela ne permet pas d’annuler la clause limitative de responsabilité dont la mise en œuvre porte atteinte à l’obligation essentielle du contrat : l’obligation de délivrer le pli dans le délai convenu.
    • Pour y parvenir, il est en effet nécessaire d’apprécier la validité des clauses du contrat en considération de l’objectif recherché par les contractants.
    • Le recours à la notion de cause subjective permet alors d’écarter la clause qui contredit la portée de l’engagement pris, car elle entrave la fin poursuivie et ainsi la cause qui a déterminé les parties à contracter.
    • Tel est le cas de la clause limitative de responsabilité qui fait obstacle à la réalisation du but poursuivi par les parties, cette clause étant de nature à ne pas inciter la société Chronopost à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose afin d’exécuter son obligation, soit acheminer les plis qui lui sont confiés dans le délai stipulé.
    • Au total, la conception que la Cour de cassation se fait de la cause renvoie à l’idée que la cause de l’obligation correspondrait au but poursuivi par les parties, ce qui n’est pas sans faire écho à l’arrêt Point club vidéo rendu le 3 juillet 1996, soit trois mois plus tôt, où elle avait assimilé le défaut d’utilité de l’opération économique envisagé par l’une des parties à l’absence de cause.
  • La sanction de l’atteinte à l’obligation essentielle
    • La cause étant une condition de validité du contrat, son absence était sanctionnée, en principe, par une nullité du contrat lui-même.
    • Tel n’est cependant pas le cas dans l’arrêt Chronopost où la Cour de cassation estime que la clause limitative de responsabilité est seulement réputée non-écrite.
    • Pourquoi cette solution ?
    • De toute évidence, en l’espèce, la Cour de cassation a statué pour partie en opportunité.
    • Si, en effet, elle avait prononcé la nullité du contrat dans son ensemble, cela aurait abouti au même résultat que si l’on avait considéré la clause valide :
      • Le client reprenait son pli
      • Chronopost reprend ses 122 francs.
    • Aussi, en réputant la clause non-écrite, cela permet d’envisager la question de la responsabilité contractuelle de la société Chronopost, la clause limitative de responsabilité ayant été neutralisée.
    • Plus largement, la sanction retenue participe d’un mouvement en faveur du maintien du contrat : plutôt que d’anéantir l’acte dans son ensemble, on préfère le maintenir, amputé de ses stipulations illicites.
    • La Cour de cassation parvient donc ici à une solution équivalente à laquelle aurait conduit l’application des règles relatives à la prohibition des clauses abusives.
    • Toutefois, ce corpus normatif ne trouve d’application que dans le cadre des relations entre professionnels et consommateurs, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
    • Dès lors, on peut estimer que la Cour de cassation s’est servie dans cet arrêt du concept de cause comme d’un instrument d’éradication d’une clause abusive stipulée dans un contrat qui, par nature, échappait au droit de la consommation.

ii. Deuxième acte : arrêt Chronopost du 9 juillet 2002

La solution retenue dans l’arrêt Chronopost n’a pas manqué de soulever plusieurs questions, dont une en particulier : une fois que l’on a réputé la clause limitative de responsabilité non-écrite comment apprécier la responsabilité de la société Chronopost ? Autrement dit, quelle conséquence tirer de cette sanction ?

Arrêt Chronopost II

(Cass. com. 9 juill. 2002)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 22 octobre 1996, bulletin n° 261), qu’à deux reprises, la société Banchereau a confié à la Société française de messagerie internationale (SFMI), un pli destiné à l’office national interprofessionnel des viandes, de l’élevage et de l’agriculture en vue d’une soumission à une adjudication de viande ; que ces plis n’ayant pas été remis au destinataire le lendemain de leur envoi, avant midi, ainsi que la SFMI s’y était engagée, la société Banchereau n’a pu participer aux adjudications ;

qu’elle a assigné la SFMI en réparation de son préjudice ; que celle-ci a invoqué la clause du contrat limitant l’indemnisation du retard au prix du transport dont elle s’était acquittée ;

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8, paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er et 15 du contrat type messagerie, établi par décret du 4 mai 1988, applicable en la cause ;

Attendu que pour déclarer inapplicable le contrat type messagerie, l’arrêt retient que le contrat comporte une obligation particulière de garantie de délai et de fiabilité qui rend inapplicable les dispositions du droit commun du transport ;

Attendu qu’en statuant ainsi, après avoir décidé que la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, ce qui entraînait l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du deuxième moyen et sur le troisième moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 5 janvier 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Caen ;

  • Faits
    • La Cour de cassation est amenée à se prononcer une seconde fois sur l’affaire Chronopost jugée une première fois par elle le 22 octobre 1996.
    • Elle statue ici sur le pourvoi formé par la société Chronopost contre l’arrêt rendu sur renvoi le 5 janvier 1999 par la Cour d’appel de Rouen.
  • Problématique
    • À l’instar du contrat vente, de bail ou encore de prêt, le contrat de messagerie est encadré par des dispositions réglementaires.
    • Plus précisément il est réglementé par le décret du 4 mai 1988 qui organise son régime juridique.
    • Aussi, dans le deuxième volet de l’affaire Chronopost, la question s’est posée de savoir si le décret du 4 mai 1988 réglementant les contrats de type transport était applicable au contrat conclu entre la société Chronopost et son client ou si c’est le droit commun de la responsabilité contractuelle qui devait s’appliquer.
    • Quel était l’enjeu ?
      • Si le décret s’applique, en cas de non-acheminement du pli dans les délais par le transporteur, celui-ci prévoit une clause équivalente à celle déclarée nulle par la Cour de cassation dans l’arrêt du 22 octobre 1996 : le remboursement du montant du transport, soit la somme de 122 francs, celle-là même prévue dans les conditions générales de la société Chronopost.
      • Si, au contraire, c’est le droit commun de la responsabilité qui s’applique, une réparation du préjudice subie par la société cliente du transporteur est alors envisageable.
  • Solution
    • Tandis que la Cour d’appel condamne la société Chronopost sur le terrain du droit commun (réparation intégrale du préjudice) estimant que le contrat type messagerie était inapplicable en l’espèce, la Cour de cassation considère que le décret du 4 mai 1988 avait bien vocation à s’appliquer (Cass. com. 9 juill. 2002, n°99-12.554).
    • Au soutien de sa décision, la Cour de cassation affirme que dans la mesure où la clause limitative de responsabilité du contrat pour retard à la livraison était réputée non écrite, cela entraîne nécessairement « l’application du plafond légal d’indemnisation que seule une faute lourde du transporteur pouvait tenir en échec ».
    • En appliquant le droit commun des transports, cela revient alors à adopter une solution qui produit le même effet que si elle n’avait pas annulé la clause litigieuse : le remboursement de la somme de 122 francs !
    • Dans cet arrêt, la Cour de cassation précise toutefois que le plafond légal d’indemnisation est susceptible d’être écarté en rapportant la preuve d’une faute lourde imputable au transporteur.
    • D’où la référence dans le visa, entre autres, à l’ancien article 1150 du Code civil qui prévoyait que « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée. »
    • La solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 9 juillet 2002 a immédiatement soulevé une nouvelle question :le manquement à une obligation essentielle du contrat pouvait être assimilé à une faute lourde, ce qui dès lors permettrait d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.

iii. Troisième acte : arrêts Chronopost du 22 avril 2005

Arrêts Chronopost III

(Cass. ch. mixte, 22 avril 2005)

Première espèce

Attendu, selon l’arrêt attaqué que la société D… France (la société D…) ayant décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de sa candidature qui n’est parvenue à destination que le 26 mai 1999 ; que la société D… a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard du contrat-type “messagerie” ; Sur le second moyen :

Vu l’article 1150 du Code civil, l’article 8 paragraphe II de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu que pour écarter le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type “messagerie” et condamner la société Chronopost à payer à la société D… la somme de 100 000 francs, l’arrêt retient que la défaillance de la société Chronopost consistant en un retard de quatre jours, qualifié par elle-même “d’erreur exceptionnelle d’acheminement”, sans qu’elle soit en mesure d’y apporter une quelconque explication, caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société Chronopost, l’arrêt rendu le 24 mai 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Seconde espèce

Sur le moyen unique, qui est recevable :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 7 février 2003), que le 31 décembre 1998, la société Dubosc et Landowski (société Dubosc) a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes ; que le dossier qui aurait dû parvenir au jury avant le 4 janvier 1999, a été livré le lendemain ; que la société Dubosc, dont la candidature n’a pu de ce fait être examinée, a assigné la société Chronopost en réparation de son préjudice ; que cette dernière a invoqué la clause limitative d’indemnité pour retard figurant au contrat-type annexé au décret du 4 mai 1988 ;

Attendu que la société Dubosc fait grief à l’arrêt d’avoir condamné la société Chronopost à lui payer seulement la somme de 22,11 euros, alors, selon le moyen, “que l’arrêt relève que l’obligation de célérité, ainsi que l’obligation de fiabilité, qui en est le complément nécessaire, s’analysent en des obligations essentielles résultant de la convention conclue entre la société Dubosc et la société Chronopost ; que l’inexécution d’une obligation essentielle par le débiteur suffit à constituer la faute lourde et à priver d’effet la clause limitative de responsabilité dont le débiteur fautif ne peut se prévaloir pour s’exonérer de la réparation du préjudice qui en résulte pour le créancier ; qu’en décidant que faute d’établir des faits précis caractérisant la faute lourde du débiteur, le créancier ne peut prétendre qu’à l’indemnisation du prix du transport, la cour d’appel a violé les articles 1131, 1134, 1147 et 1315 du Code civil, 8, alinéa 2, de !a loi du 30 décembre 1982, 1 et 15 du contrat messagerie établi par le décret du 4 mai 1988″ ;

Mais attendu qu’il résulte de l’article 1150 du Code civil et du décret du 4 mai 1988 portant approbation du contrat-type pour le transport public terrestre de marchandises applicable aux envois de moins de trois tonnes pour lesquels il n’existe pas de contrat-type spécifique que, si une clause limitant le montant de la réparation est réputée non écrite en cas de manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, seule une faute lourde, caractérisée par une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de sa mission contractuelle, peut mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue au contrat-type établi annexé au décret ;

Qu’ayant énoncé à bon droit que la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison, la cour d’appel en a exactement déduit qu’il convenait de limiter l’indemnisation de la société Dubosc au coût du transport ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits

  • Dans la première espèce
    • Une société qui avait décidé de concourir à un appel d’offres ouvert par la ville de Calais et devant se clôturer le lundi 25 mai 1999 à 17 h 30, a confié à la société Chronopost, le vendredi 22 mai 1999 l’acheminement de
    • Sa candidature n’est cependant parvenue à destination que le 26 mai 1999 en raison d’un retard dans l’acheminement du pli.
  • Dans la seconde espèce
    • Une société a confié à la société Chronopost un pli destiné à la ville de Vendôme, contenant son dossier de candidature à un concours d’architectes.
    • Le dossier devait parvenir au jury avant le 4 janvier 1999.
    • Toutefois, il n’est délivré que le lendemain.

?Demande

Dans les deux arrêts, les clients de la société Chronopost demandent réparation du préjudice occasionné du fait du retard de livraison du pli confié au transporteur

?Procédure

  • Première espèce
    • Par un arrêt du 24 mai 2002, la Cour d’appel de Paris accède à la requête du client de la société Chronopost.
    • Les juges du fond estiment que le plafond d’indemnisation prévu au contrat-type messagerie devait être écarté dans la mesure où le retard d’acheminement du pli qui avait été confié à la société Chronopost « caractérise une négligence d’une extrême gravité, constitutive d’une faute lourde et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée ».
  • Seconde espèce
    • Par un arrêt du 7 février 2003, la Cour d’appel de Versailles déboute le client de la société Chronopost de sa demande.
    • Les juges du fond estiment dans cette espèce que si l’obligation de livrer dans les délais le pli confié au transporteur constitue une obligation essentielle du contrat, le manquement à cette obligation ne suffit pas à caractériser une faute lourde.
    • Dès lors, pour la Cour d’appel de Versailles, il n’y a pas lieu d’écarter le plafond d’indemnisation prévu par le décret qui réglemente les contrats-type messagerie.

?Solution

Tandis que dans la première espèce, la Chambre mixte casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, dans la seconde le pourvoi formé par le client de la société Chronopost est rejeté.

Deux enseignements peuvent être tirés des deux arrêts rendus le même jour par la chambre mixte le 22 avril 2005 :

  • Définition de la faute lourde
    • La Cour de cassation répond à l’interrogation née de l’arrêt du 9 juillet 2002 : la définition de la faute lourde
    • Aussi, dans la deuxième espèce jugée par la chambre mixte, la faute lourde est définie comme « le comportement d’une extrême gravité, confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’obligation à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait accepté ».
    • La faute lourde comprendrait donc deux éléments :
      • Un élément subjectif : le comportement confinant au dol, soit à une faute d’une extrême gravité.
      • Un élément objectif : l’inaptitude quant à l’accomplissement de la mission contractuelle.
  • Faute lourde et manquement à l’obligation essentielle
    • Dans la première espèce la Cour de cassation estime que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul fait pour le transporteur de ne pouvoir fournir d’éclaircissements sur la cause du retard » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°02-18.326).
    • Dans la seconde espèce, la haute juridiction affirme encore que « la clause limitant la responsabilité de la société Chronopost en cas de retard qui contredisait la portée de l’engagement pris étant réputée non écrite, les dispositions précitées étaient applicables à la cause, et constaté que la société Dubosc ne prouvait aucun fait précis permettant de caractériser l’existence d’une faute lourde imputable à la société Chronopost, une telle faute ne pouvant résulter du seul retard de livraison » (Cass. ch. mixte, 22 avril 2005, n°03-14.112).
    • En d’autres termes, il résulte des deux arrêts rendus par la chambre mixte le 22 avril 2005 que le simple manquement à une obligation essentielle du contrat ne saurait caractériser à lui seul une faute lourde
    • Pour que la faute lourde soit retenue, il aurait fallu que soit établie, en plus, l’existence d’un élément subjectif : le comportement d’une extrême gravité confinant au dol.
    • Ainsi, était-il nécessaire de démontrer que la société Chronopost avait délibérément livré le pli qui lui a été confié en retard, ce qui n’était évidemment pas le cas en l’espèce.
    • D’où le refus de la Cour de cassation d’écarter le plafond légal d’indemnisation prévu par le décret du 4 mai 1988.
    • La chambre mixte a dès lors fait le choix d’une approche extrêmement restrictive de la faute lourde, à tel point que les auteurs se sont demandé si cela ne revenait pas à exclure toute possibilité d’écarter le plafond légal d’indemnisation en raison de l’impossibilité de rapporter la preuve de la faute lourde.

iv. Quatrième acte : Arrêt Chronopost du 30 mai 2006

Arrêt Chronopost IV

(Cass. com. 30 mai 2006)

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 1131 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt déféré, que deux montres, confiées par la société JMB International à la société Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport ; que la société JMB International a contesté la clause de limitation de responsabilité que lui a opposée la société Chronopost ;

Attendu que pour débouter la société JMB International de toutes ses demandes, l’arrêt retient que celle-ci, qui faisait valoir le grave manquement de la société Chronopost à son obligation essentielle d’acheminement du colis à elle confié, avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a dit que l’action de la société JMB International était recevable et n’était pas prescrite, l’arrêt rendu le 11 mars 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris

  • Faits
    • Deux montres, confiées par une société au transporteur Chronopost pour acheminement à Hong Kong, ont été perdues pendant ce transport.
  • Demande
    • La société cliente engage la responsabilité de Chronopost.
    • Au soutien de sa demande, elle avance que la clause limitative de responsabilité dont se prévaut le transporteur ne lui est pas opposable.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 11 mars 2004, la Cour d’appel de Paris déboute le client de la société Chronopost de toutes ses demandes.
    • Étonnamment, les juges du fond adoptent une solution pour le moins différente de la jurisprudence initiée par la Cour de cassation dix ans plus tôt.
    • Ils considèrent que, en confiant un pli à la société Chronopost pour qu’elle l’achemine jusqu’à son destinataire, elle « avait nécessairement admis, en déclarant accepter les conditions générales de la société Chronopost, le principe et les modalités d’une indemnisation limitée en cas de perte du colis transporté »
    • La clause limitative de responsabilité était, dans ces conditions, parfaitement applicable à la société cliente.
    • Ainsi, la Cour d’appel refuse-t-elle d’apprécier la validité de la clause limitative de responsabilité en se demandant si elle ne portait pas atteinte à une obligation essentielle, ni même si la société Chronopost n’avait pas manqué à son obligation de délivrer le pli dans le délai prévu par le contrat.
  • Solution
    • Par un arrêt du 30 mai 2006, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 30 mai 2006, n°04-14.974).
    • Sans surprise, la chambre commerciale reproche aux juges du fond de n’avoir pas recherché « si la clause limitative d’indemnisation dont se prévalait la société Chronopost, qui n’était pas prévue par un contrat-type établi par décret, ne devait pas être réputée non écrite par l’effet d’un manquement du transporteur à une obligation essentielle du contrat »
    • Ainsi, la haute juridiction fait-elle une exacte application de la solution dégagée dans le premier arrêt Chronopost rendu le 22 octobre 1996.

v. Cinquième acte : Arrêt Chronopost du 13 juin 2006

Arrêt Chronopost V

(Cass. com. 13 juin 2006)

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1150 du code civil, l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et les articles 1er, 22-2, 22-3 du décret 99-269 du 6 avril 1999, applicable en la cause ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Dole froid service a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi” ; que ce délai n’ayant pas été respecté, la société Dole froid service, dont l’offre n’a pu être examinée, a assigné la société Chronopost service en réparation de son préjudice ;

Attendu que pour dire inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 et du contrat type messagerie applicables en la cause et condamner en conséquence la société Chronopost à payer à la société Dole froid service la somme de 6 000 euros en réparation de son préjudice, l’arrêt retient que la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il a condamné la société Chronopost à verser à la société Dole froid service la somme complémentaire de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts, l’arrêt rendu le 2 décembre 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

  • Faits
    • Une société a confié à la société Chronopost l’acheminement d’un pli contenant une soumission pour un marché d’équipement de matériel de rafraîchissement et portant la mention : “livraison impérative vendredi avant midi”.
    • Le délai de livraison n’ayant pas été respecté, l’offre n’a pu être examinée.
  • Demande
    • Le client de la société Chronopost engage sa responsabilité aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 2 décembre 2004, la Cour d’appel de Paris accède à la demande du demandeur en déclarant le plafond légal d’indemnisation inapplicable,
    • La Cour d’appel relève pour ce faire que « la société Chronopost, spécialiste du transport rapide garantissant la fiabilité et la célérité de son service, s’était obligée de manière impérative à faire parvenir le pli litigieux le vendredi avant midi à Champagnole, localité située à 25 kilomètres du lieu de son expédition, où il avait été déposé la veille avant 18 heures, qu’elle n’avait aucune difficulté à effectuer ce transport limité à une très courte distance et que, au regard de ces circonstances, sa carence révèle une négligence d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du transporteur, maître de son action, à l’accomplissement de la mission qu’il avait acceptée »
    • Elle en déduit que, en l’espèce, la faute lourde ce qui, conformément à l’ancien article 1150 du Code civil, rendait inapplicable la clause légale de limitation de responsabilité du transporteur résultant de l’article 8, paragraphe II, de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982.
  • Solution
    • Par un arrêt du 13 juin 2006, la Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond notamment au visa de l’article 1150 du Code civil (Cass. com. 13 juin 2006, n°05-12.619).
    • La chambre commerciale réitère ici la solution dégagée par la chambre mixte le 22 avril 2005 en affirmant que « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ».
    • Or en l’espèce, le seul manquement susceptible d’être reproché au transporteur était de n’avoir pas exécuté son obligation essentielle, de sorte que cela n’était pas suffisant pour caractériser une faute lourde.
    • Pour y parvenir, la Cour de cassation rappelle que cela suppose de démontrer d’adoption par le transporteur d’un comportement d’une extrême gravité confinant au dol.

a.2 L’épilogue de la saga Chronopost : les arrêts Faurecia

La saga des arrêts Chronopost a donné lieu à un épilogue qui s’est déroulé en deux actes.

i. Premier acte : arrêt Faurecia du 13 février 2007

Arrêt Faurecia I

(Cass. com. 13 févr. 2007)

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; que conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière et la société Deloitte aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ;

[…]

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Vu l’article 1131 du code civil ;

Attendu que, pour limiter les sommes dues par la société Oracle à la société Faurecia à la garantie de la condamnation de cette société au paiement de la somme de 203 312 euros à la société Franfinance et rejeter les autres demandes de la société Faurecia, l’arrêt retient que la société Faurecia ne caractérise pas la faute lourde de la société Oracle qui permettrait d’écarter la clause limitative de responsabilité, se contentant d’évoquer des manquements à des obligations essentielles, sans caractériser ce que seraient les premiers et les secondes et dès lors que de tels manquements ne peuvent résulter du seul fait que la version V 12 n’ait pas été livrée ou que l’installation provisoire ait été ultérieurement “désinstallée” ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait, d’abord, constaté que la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12, ce dont il résulte un manquement à une obligation essentielle de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE

?Faits

La société Faurecia a souhaité déployer sur ses sites en 1997 un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale

Conseillée par la société Deloitte, elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999

Des contrats de licence, de maintenance et de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en œuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre les sociétés Faurecia, Oracle et Deloitte

Dans l’attente de la livraison de la livraison du nouveau logiciel, une solution provisoire a été installée

Toutefois, cette solution provisoire ne fonctionnait pas correctement et la version V 12 du logiciel n’était toujours pas livrée.

La société Faurecia a dès lors cessé de régler les redevances dues à son fournisseur, la société Oracle, laquelle avait, entre-temps, cédé ses droits à la société Franfinance.

?Demande

La société Faurecia assigne alors la société Oracle ainsi que la société Deloitte aux fins d’obtenir la nullité des contrats conclus pour dol et subsidiairement leur résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties.

?Procédure

Par un arrêt du 31 mars 2005, la Cour d’appel de Versailles a estimé que l’indemnisation susceptible d’être allouée à la société Faurecia en réparation de son préjudice devait être limitée au montant prévu par la clause limitative de responsabilité.

Cette clause trouvait, en effet, pleinement à s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où la société Faurecia ne caractérisait pas la faute lourde de la société Oracle.

Les juges du fond avancent au soutien de cette affirmation que, non seulement la société Faurecia n’établit aucun des manquements aux obligations essentiels reprochés à la société Oracle, mais encore que ces manquements ne sauraient résulter du seul fait que le logiciel ne lui a pas été livré, ni que l’installation provisoire ait été ultérieurement désinstallée.

La solution de la Cour d’appel était ainsi, en tous points, conforme à la jurisprudence Chronopost de la Cour de cassation.

?Solution

Par un arrêt du 13 février 2007, la chambre commerciale casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au visa de l’article 1131 du Code civil (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).

Après avoir relevé que « la société Oracle s’était engagée à livrer la version V 12 du progiciel, objectif final des contrats passés en septembre 1999 et qu’elle n’avait exécuté cette obligation de livraison ni en 1999 ni plus tard sans justifier d’un cas de force majeure, puis relevé qu’il n’avait jamais été convenu d’un autre déploiement que celui de la version V 12 », la cour de cassation considère que le manquement reproché à la société Oracle portait sur une obligation essentielle.

Or elle estime que pareil manquement « est de nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt Faurecia I

  • En premier lieu
    • Dès lors qu’une clause vient limiter la responsabilité du débiteur d’une obligation essentielle, elle doit être réputée non écrite.
    • Les clauses limitatives de responsabilité seraient, en somme, sans effet dès lors que le manquement reproché à une partie porterait sur une obligation essentielle.
  • En second lieu
    • Le seul manquement à une obligation essentielle suffit à caractériser la faute lourde.
    • Il s’agit donc de la solution radicalement opposée à celle adoptée par la Cour de cassation, par deux fois, dans ses arrêts du 22 avril 2005 et du 13 juin 2006.
    • Sur ce point, la chambre commerciale opère donc un revirement de jurisprudence.
    • Désormais, le simple manquement est suffisant quant à faire échec à la clause limitative de responsabilité.
    • Il n’est plus besoin de rapporter la preuve d’un comportement d’une extrême gravité imputable au débiteur de l’obligation essentielle.

?Analyse

La position adoptée par la Cour de cassation dans cet arrêt Faurecia I a été unanimement critiquée par la doctrine.

Les auteurs ont reproché à la chambre commerciale d’avoir retenu une solution « liberticide » en ce sens que cela revenait à priver les parties de la possibilité de stipuler une clause limitative de responsabilité dès lors qu’une obligation essentielle était en jeu.

L’application de cette jurisprudence aurait conduit, en effet, à considérer que seules les obligations accessoires au contrat pouvaient désormais faire l’objet d’une limitation de responsabilité, ce qui n’est pas sans porter atteinte à la liberté contractuelle des parties.

La Cour de cassation s’est, de la sorte, écartée de la solution dégagée dans l’arrêt Chronopost I où elle avait décidé que la clause limitative de responsabilité ne devait être réputée non écrite qu’à la condition que ladite clause prive la portée de l’engagement pris.

Dans l’arrêt Faurecia I, la chambre commerciale ne formule pas cette exigence.

Elle se satisfait de la seule présence dans le contrat, d’une clause limitative de responsabilité susceptible d’être activée en cas de manquement à une obligation essentielle.

Animée d’une volonté d’encadrer le recours aux clauses limitatives de responsabilité la Cour de cassation est, à l’évidence, allée trop loin.

Aussi, un retour à la solution antérieure s’est très rapidement imposé.

ii. Second acte : arrêt Faurecia du 29 juin 2010

Arrêt Faurecia II

(Cass. com. 29 juin 2010)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 26 novembre 2008), que la société Faurecia sièges d’automobiles (la société Faurecia), alors dénommée Bertrand Faure équipements, a souhaité en 1997 déployer sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale ; qu’elle a choisi le logiciel V 12, proposé par la société Oracle mais qui ne devait pas être disponible avant septembre 1999 ; qu’un contrat de licences, un contrat de maintenance et un contrat de formation ont été conclus le 29 mai 1998 entre les sociétés Faurecia et Oracle, tandis qu’un contrat de mise en oeuvre du “programme Oracle applications” a été signé courant juillet 1998 entre ces sociétés ; qu’en attendant, les sites ibériques de la société Faurecia ayant besoin d’un changement de logiciel pour passer l’an 2000, une solution provisoire a été installée ; qu’aux motifs que la solution provisoire connaissait de graves difficultés et que la version V 12 ne lui était pas livrée, la société Faurecia a cessé de régler les redevances ; qu’assignée en paiement par la société Franfinance, à laquelle la société Oracle avait cédé ces redevances, la société Faurecia a appelé en garantie la société Oracle puis a assigné cette dernière aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties ; que la cour d’appel a, par application d’une clause des conventions conclues entre les parties, limité la condamnation de la société Oracle envers la société Faurecia à la garantie de la condamnation de celle-ci envers la société Franfinance et rejeté les autres demandes de la société Faurecia ; que cet arrêt a été partiellement cassé de ce chef (chambre commerciale, financière et économique, 13 février 2007, pourvoi n° Z 05-17.407) ; que, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel, faisant application de la clause limitative de réparation, a condamné la société Oracle à garantir la société Faurecia de sa condamnation à payer à la société Franfinance la somme de 203 312 euros avec intérêts au taux contractuel légal de 1,5 % par mois à compter du 1er mars 2001 et capitalisation des intérêts échus dans les termes de l’article 1154 à compter du 1er mars 2002 ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Faurecia fait grief à l’arrêt d’avoir ainsi statué, alors, selon le moyen : […]

Mais attendu que seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur ; que l’arrêt relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications ; que la cour d’appel en a déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle et a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Faurecia fait encore le même grief à l’arrêt, alors, selon le moyen, qu’après avoir constaté que la société Oracle n’avait pas livré la version V 12, en considération de laquelle la société Faurecia avait signé les contrats de licences, de support technique, de formation et de mise en oeuvre du programme Oracle applications, qu’elle avait ainsi manqué à une obligation essentielle et ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l’aurait empêchée d’accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d’appel a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une faute d’une gravité telle qu’elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil ;

Mais attendu que la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu que les deuxième et quatrième moyens ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

?Faits / procédure

Après que dans l’arrêt Faurecia I, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel de Versailles, l’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Paris.

Par un arrêt du 26 novembre 2008, les juges parisiens, qui donc statuent sur renvoi, décident de résister à la chambre commerciale.

Ils estiment, en effet, que la clause limitative de responsabilité était pleinement applicable en l’espèce, conformément à la solution qui avait été adoptée par la première Cour d’appel qui avait été saisie.

?Solution

Par un arrêt du 29 juin 2010, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Faurecia contre la décision de la Cour d’appel de Paris (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

Deux questions étaient soumises à la chambre commerciale :

  • Première question : la clause limitative de responsabilité portant sur une obligation essentielle doit-elle être réputée non-écrite ?
    • À cette question, la Cour de cassation répond par la négative.
    • Elle affirme en ce sens que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »
    • Ainsi, la Cour de cassation renoue-t-elle à la solution classique dégagée dans l’arrêt Chronopost I.
    • Pour qu’une clause limitative de responsabilité soit annulée, elle doit vider de sa substance l’obligation essentielle.
    • Dans le cas contraire, elle demeure valide.
    • En l’espèce, la Chambre commerciale relève que « si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire, que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %, que le contrat prévoit que la société Faurecia sera le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficiera d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracles applications »
    • Elle en déduit que la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle
    • Rien ne justifiait donc que ladite clause soit réputée non-écrite.
  • Seconde question : le manquement à une obligation essentielle est-il constitutif d’une faute lourde ?
    • La Cour de cassation renoue là aussi avec la solution antérieure.
    • Elle affirme que « la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur »
    • Le seul manquement à une obligation essentielle ne suffit donc pas à caractériser une faute lourde.
    • Il est nécessaire de démontrer l’existence d’un comportant d’une extrême gravité confinant au dol imputable au débiteur de l’obligation essentielle.
    • Or en l’espèce, la société Oracle n’a pas rapporté la preuve d’une telle faute.

Au total, avec l’arrêt Faurecia II la Cour de cassation renoue avec la jurisprudence Chronopost dont elle s’était écartée dans l’arrêt Faurecia I.

Le législateur n’a pas manqué de saluer ce revirement en consacrant la solution adoptée dans l’ordonnance du 10 février 2016 à l’article 1170 du Code civil.

b. La consécration légale de la jurisprudence Chronopost et Faurecia

Aux termes de l’article 1170 du Code civil « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite. »

Ainsi, le législateur a-t-il entendu consacrer la jurisprudence initiée par l’arrêt Chronopost I, puis qui s’est conclue sur l’arrêt Faurecia II.

Plusieurs observations peuvent être formulées au sujet de la règle introduite par l’ordonnance du 10 février 2016 dans le Code civil.

?Sur le domaine d’application de la règle

Il peut tout d’abord être observé que, de par sa généralité, l’application de la règle édictée à l’article 1170 n’est pas cantonnée au domaine des clauses limitatives de responsabilité.

Cette disposition a vocation à s’appliquer à toute clause qui porterait atteinte à une obligation essentielle du contrat.

On peut ainsi envisager que cela concerne, par exemple les clauses de non-concurrence qui seraient stipulées sans contrepartie.

Il peut encore s’agir des clauses dites de réclamation insérées dans les contrats d’assurance vie aux termes desquelles la victime d’un sinistre doit, pour être indemnisée par son assureur, présenté sa réclamation pendant la durée de validité du contrat. À défaut, la clause a pour effet de priver l’assuré de l’indemnisation d’un sinistre alors même que celui-ci est survenu pendant la durée d’efficacité du contrat et que les primes d’assurance ont été dûment réglées.

?Sur les conditions d’application de la règle

L’application de la règle édictée à l’article 1170 du Code civil est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

  • L’existence d’une obligation essentielle
    • Le législateur a repris à son compte la notion d’obligation essentielle dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Chronopost I
    • Que doit-on entendre par obligation essentielle ?
    • L’ordonnance du 10 février 2016 ne le dit pas.
    • Une ébauche de définition a été donnée par Pothier qui, dès le XVIIIe siècle, décrivaient les obligations essentielles comme celles « sans lesquelles le contrat ne peut subsister. Faute de l’une ou de l’autre de ces choses, ou il n’y a point du tout de contrat ou c’est une autre espèce de contrat ».
    • Il s’agit, autrement dit, de l’obligation en considération de laquelle les parties se sont engagées.
    • Ainsi, la réalisation de l’opération économique envisagée par les parties dépend de l’exécution de l’obligation essentielle.
    • Elle constitue, en somme, le pilier central autour duquel l’édifice contractuel tout entier est bâti.
  • La stipulation d’une clause qui viderait de sa substance l’obligation essentielle
    • L’ordonnance d’une 10 février 2016 conditionne l’annulation d’une clause sur le fondement de l’article 1170 du Code civil qu’à la condition qu’elle « prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur »
    • Ainsi, le législateur a-t-il choisi de reprendre à l’identique la solution dégagée par la Cour de cassation dans l’arrêt Faurecia II ?
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Faurecia I, la Chambre commerciale avait estimé que dès lors qu’une clause limitative de responsabilité portait sur une obligation essentielle elle devait être réputée non écrite (Cass. com. 13 févr. 2007, n°05-17.407).
    • Sous le feu des critiques, la Cour de cassation a été contrainte de revoir sa position dans l’arrêt Faurecia II.
    • Dans cette décision, elle choisit de renouer avec la jurisprudence Chronopost en affirmant que « seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur » (Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).
    • Si, indéniablement, l’article 1170 consacre cette solution, reste néanmoins une question en suspens : que doit-on entendre par « substance » ?
    • Plus précisément, qu’est-ce qu’une clause qui prive de sa substance une obligation essentielle ?
    • Dans l’arrêt Chronopost, la Cour de cassation s’était placée sur le terrain de la cause pour justifier sa solution.
    • Elle estimait, en effet, que la mise en œuvre de la clause limitative de responsabilité conduisait à priver de son intérêt l’utilité de l’opération économique convenue par les parties : l’acheminement du pli confié au transporteur dans un bref délai.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir si le législateur a entendu assimiler la privation de l’obligation essentielle de sa substance à l’absence de cause, telle que, envisagée dans l’arrêt Chronopost, soit dans sa conception subjective ?
    • Si l’on compare les expressions « substance de l’obligation » (art. 1170) et « portée de l’obligation » (arrêt Chronopost), il apparaît que le sens de chacune d’elles est sensiblement différent.
      • Le terme substance renvoie à l’idée de contenu de l’obligation : en quoi consiste la prestation convenue par les parties ?
      • Le terme de portée renvoie quant à lui à l’idée de cause de l’obligation : pourquoi les contractants se sont-ils engagés ?
    • Aussi, selon que l’on raisonne sur la base de l’un ou l’autre terme, le champ d’application de l’article 1170 du Code civil est susceptible d’être plus ou moins étendu.
      • Si l’on s’en tient à la lettre de l’article 1170, ne pourront être pris en considération que les éléments prévus dans le contrat pour apprécier la validité d’une clause qui affecterait une obligation essentielle
      • Si en revanche, l’on s’écarte de la lettre de l’article 1170 à la faveur d’une conception finaliste, pourront alors être pris en compte, les mobiles des parties, telle que l’utilité de l’opération économique envisagée individuellement par elles.
    • Pratiquement, la seconde conception offre, de toute évidence, une bien plus grande marge de manœuvre au juge qui pourra, pour apprécier la validité de la clause affectant une obligation essentielle, se référer à des éléments extérieurs au contrat : les mobiles des parties.

?La sanction de la règle

Le législateur a décidé d’étendre la sanction prévue initialement pour les seules clauses abusives, aux clauses qui portent atteinte à une obligation essentielle du contrat : elles sont réputées non-écrite.

Cela signifie que, non seulement la clause est privée d’effet, mais encore qu’elle disparaît du contrat.

La conséquence en est un retour immédiat au droit commun qui s’appliquera à la situation juridique, initialement réglée par les parties, mais qui, sous l’effet de la sanction du juge, est devenue orpheline de tout cadre contractuel.

Est-ce à dire que, dans les différents arrêts Chronopost la suppression de la clause limitative de responsabilité permettrait aux clients d’être indemnisés de leurs préjudices ?

S’agissant de ce cas spécifique, la réponse ne peut être que négative.

Le droit commun a prévu que, en matière de contrat-type message, l’indemnisation du préjudice en cas de retard de livraison du pli ne peut excéder un certain plafond, soit celui-là même fixé par la société Chronopost.

Une suppression de la clause serait donc inopérante, sauf à ce que le client soit susceptible d’établir une faute lourde à l’encontre du transporteur, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (V. notamment l’arrêt Faurecia II : Cass. com. 29 juin 2010, n°09-11.841).

  1. Ph. Reigné, La notion de cause efficiente du contrat en droit privé français, thèse ?

Les classifications de contrats

Dans la mesure où le contrat est le produit d’un accord de volontés, il en existe, potentiellement, un nombre infini de variétés.

Les seules limites auxquelles les contractants sont susceptibles de se heurter sont celles qui émanent de leur imagination.

L’appréhension d’un rapport d’obligation par le juriste suppose néanmoins, avant toute chose, qu’il se livre à une opération de qualification. Or cette opération suppose l’existence de catégories juridiques.

Les rédacteurs du Code civil ont dès lors établi, à cette fin, 4 classifications de contrats qui reposent sur l’opposition entre :

  • Les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux (ancien art. 1102 C. civ.)
  • Les contrats commutatifs et les contrats aléatoires (ancien art. 1104 C. civ.)
  • Les contrats à titre gratuit et les contrats à titre onéreux (ancien art. 1105 C. civ.)
  • Les contrats nommés et les contrats innommés (ancien art. 1107 C. civ.)

Bien que ces classifications aient parfaitement su résister à l’effet du temps, la pratique contractuelle a évolué.

Les juridictions ont alors assisté à l’émergence de nouveaux types de contrats.

Aussi, sous l’impulsion de ces nouvelles pratiques contractuelles, la nécessité s’est-elle fait sentir d’établir de nouvelles catégories, ce que n’a pas manqué de faire l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le code civil connaît désormais 7 classifications de contrats lesquelles reposent sur l’opposition entre :

  • Les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux
  • Les contrats à titre gratuit et les contrats à titre onéreux
  • Les contrats commutatifs et les contrats aléatoires
  • Les contrats consensuels, les contrats solennels et les contrats réels
  • Les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion
  • Les contrats cadre et les contrats d’application
  • Les contrats à exécution instantanée et les contrats à exécution successive

I) Les contrats synallagmatiques et les contrats unilatéraux

A) Exposé de la distinction (art. 1106 C. civ.)

1. Principe

  • Le contrat synallagmatique
    • Un contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres.
    • En d’autres termes, le contrat synallagmatique crée des obligations réciproques et interdépendantes à la charge des deux parties
    • Chaque partie est tout à la fois créancier et débiteur.
      • Exemples :
        • Le contrat de vente : le vendeur s’engage à livrer la chose promise tandis que l’acheteur s’oblige à payer le prix convenu
        • Le contrat de bail : le bailleur s’engage à assurer la jouissance paisible de la chose louée, tandis que le locataire s’oblige à payer un loyer
  • Le contrat unilatéral
    • Le contrat est unilatéral lorsqu’une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres sans qu’il y ait d’engagement réciproque de celles-ci.
    • Autrement dit, le contrat unilatéral ne crée d’obligations qu’à la charge d’une seule des parties.
    • Le contrat unilatéral se distingue de l’acte unilatéral en ce que, pour être valable, cela suppose l’accord des volontés.
      • Exemples :
        • Le contrat de prêt : l’obligation principale consiste pour l’emprunter à restituer les fonds ou la chose prêtée.
        • Le contrat de donation : l’obligation principale échoit au seul donateur
        • Le contrat de cautionnement : l’obligation principale consiste pour la caution à garantir la dette du débiteur principal

2. Tempéraments

  • Lors de la formation du contrat, les parties sont libres de modifier à leur guise sa nature en assujettissant le créancier d’un contrat qui, par principe, est qualifié de synallagmatique à des obligations
    • Exemple : le contrat de donation peut être assorti d’une obligation particulière à la charge du donataire
  • Lors de l’exécution du contrat, le contrat qui était unilatéral lors de sa formation peut se transformer en contrat synallagmatique, dans l’hypothèse où le créancier devient débiteur
    • Exemple : dans le cadre de l’exécution d’un contrat de dépôt, le dépositaire sur lequel ne pèse aucune obligation particulière lors de la formation du contrat, peut se voir mettre à charge une obligation si, en cours d’exécution de la convention, le dépositaire expose des frais de conservation
    • On parle alors de contrat synallagmatique imparfait.

B) Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction tient essentiellement à la preuve et à la sanction en cas d’inexécution du contrat :

?L’intérêt de la distinction quant à la preuve

  • Le contrat unilatéral se prouve conformément à l’article 1376 du Code civil
    • Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s’il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous signature privée vaut preuve pour la somme écrite en toutes lettres. »
    • Il ressort de cette disposition deux exigences probatoires
      • De la signature du débiteur
      • De la mention écrite en chiffres et en lettres de la somme ou de la quantité pour laquelle le débiteur s’engage
  • Le contrat synallagmatique se prouve conformément à l’article 1375 du Code civil
    • Cette disposition prévoit que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct, à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé.
    • Chaque original doit mentionner le nombre des originaux qui en ont été faits.
    • Celui qui a exécuté le contrat, même partiellement, ne peut opposer le défaut de la pluralité d’originaux ou de la mention de leur nombre.
    • L’exigence d’une pluralité d’originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque l’acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367, et que le procédé permet à chaque partie de disposer d’un exemplaire sur support durable ou d’y avoir accès ».
    • Il ressort de cette disposition deux exigences :
      • Le contrat doit comporter autant d’originaux qu’il y a de parties
      • Doit figurer sur le contrat le nombre d’originaux, le nom des parties ainsi que leurs signatures.

?L’intérêt de la distinction quant à la sanction

  • En matière de contrat unilatéral, l’exécution forcée et l’octroi de dommages et intérêts sont les principales sanctions susceptibles d’être prononcées en cas d’inexécution du contrat.
  • En matière de contrat synallagmatique, on peut également envisager des sanctions particulières comme :
    • L’exception d’inexécution
    • La résolution
    • L’action paulienne
    • La théorie des risques

II) Les contrats à titre gratuit et les contrats à titre onéreux

?Exposé de la distinction (art. 1107 C. civ.)

  • Le contrat à titre onéreux
    • Le contrat est à titre onéreux lorsque chacune des parties reçoit de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure.
    • Dans cette catégorie de contrat les parties se sont obligées en considération de l’avantage que leur procure l’autre partie
      • Exemples : le contrat de vente, le contrat de bail
  • Le contrat à titre gratuit
    • Le contrat est à titre gratuit lorsque l’une des parties procure à l’autre un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie.
    • Dans cette catégorie de contrats, l’un des contractants consent à ne rien recevoir en contrepartie de l’avantage qu’il procure à son cocontractant.
    • Autrement dit, celui qui choisit volontairement de s’appauvrir est animé par une intention libérale.
      • Exemple : le contrat de donation

?Intérêt de la distinction

À la différence du contrat à titre onéreux, le contrat à titre gratuit est toujours conclu intuitu personae, soit en considération de la personne du créancier :

  • L’erreur sur la personne peut être admise
  • Dans le cadre d’une cession de créance, le cédant ne peut, sans l’accord du débiteur, céder la créance dont il est titulaire

L’action paulienne a bien plus de chances d’aboutir en matière de contrat à titre gratuit, car il suffira de prouver la seule fraude du débiteur

Ainsi lorsqu’une action paulienne est engagée par le créancier d’une personne faisant l’objet d’une procédure collective, cela a pour conséquence d’entraîner la nullité de tous les actes à titre gratuit accomplis postérieurement à la cessation des paiements

La responsabilité contractuelle du débiteur d’un contrat à titre gratuit est plus difficile à rechercher qu’en matière de contrat conclu à titre onéreux

III) Les contrats commutatifs et les contrats aléatoires

?Exposé de la distinction (art. 1108 C. civ.)

  • Le contrat commutatif
    • Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit.
    • Autrement dit, le contrat commutatif est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques sont déterminés lors de la formation du contrat
      • Exemple : la vente est un contrat commutatif car dès sa conclusion les parties se sont accordées sur la détermination de la chose et du prix
  • Le contrat aléatoire
    • Le contrat est aléatoire lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d’un événement incertain.
    • Le contrat aléatoire est celui où l’étendue, l’importance et le montant des prestations réciproques ne sont, ni déterminés, ni déterminables lors de la formation du contrat.
    • La teneur de l’obligation à laquelle s’engagent les parties dépend de la réalisation d’un évènement aléatoire.
    • De la réalisation de cet évènement dépendent le gain et la perte réalisés par les parties.
      • Exemple : le contrat d’assurance ou le contrat de viager

?Intérêt de la distinction

La lésion est parfois admise pour les contrats commutatifs, tandis qu’elle est toujours écartée en matière de contrat aléatoire (l’aléa chasse la lésion)

IV) Les contrats consensuels, les contrats solennels et les contrats réels

?Exposé de la distinction (art. 1109 C. civ.)

  • Le contrat consensuel
    • Le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par le seul échange des consentements quel qu’en soit le mode d’expression.
    • Le contrat consensuel est celui dont la validité est subordonnée à une seule condition de forme : l’échange des consentements
    • Les contrats consensuels n’exigent pas l’établissement d’un écrit, ni la remise d’une chose.
    • Ils sont réputés valables dès l’échange des consentements sur les éléments fondamentaux du contrat.
  • Le contrat solennel
    • Le contrat est solennel lorsque sa validité est subordonnée à des formes déterminées par la loi.
    • Le contrat solennel doit pour être valablement formé satisfaire à un certain formalisme, tel que l’établissement d’un écrit, la présence de certaines mentions
      • Exemple : le contrat de vente immobilière suppose la rédaction d’un acte authentique
  • Le contrat réel
    • Le contrat est réel lorsque sa formation est subordonnée à la remise d’une chose.
    • Autrement dit, le contrat réel est celui dont la validité suppose en plus de l’accord des volontés, la remise de la chose, objet du contrat
      • Exemple : le contrat de dépôt
      • Nb : depuis un arrêt du 28 mars 2000, le crédit à la consommation n’est plus considéré comme un contrat réel (Cass. Civ. 1ère, 28 mars 2000, n°97-21.422)
      • La chambre commerciale a adopté la même solution en 2009 (Cass. Com. 7 avril 2009, n°08-12.192)
      • Ainsi, pour la haute juridiction « le prêt consenti par un professionnel du crédit n’est pas un contrat réel »
        • Pratiquement, il en résulte que le non-versement des fonds à l’emprunteur ne fait pas obstacle à la conclusion du contrat de prêt.
        • Ainsi, dès lors que les parties ont échangé leur consentement, le contrat est valablement conclu.
      • La Cour de cassation avait déjà adopté cette position en matière de contrat de prêt immobilier (Cass. 1re civ., 27 mai 1998, n°96-17.312)
      • Doit-on étendre cette solution à tous les contrats de prêt, notamment ceux consentis par des non-professionnels ?
      • La jurisprudence actuelle ne permet pas de la dire.

?Intérêt de la distinction

  • Date de formation du contrat
    • En matière de contrat consensuel ou solennel, le contrat est réputé conclu lors de l’échange des consentements des parties
    • En matière de contrat réel, le contrat est réputé conclu une fois la chose, objet du contrat, remise à son destinataire
  • Condition de validité du contrat ou simple condition de preuve du contrat
    • En matière de contrat solennel, le respect des formes est exigé ad validitamen, en ce sens que le non-respect des formes prescrites par un texte est sanctionné par la nullité du contrat
    • En matière de contrat réel ou consensuel, la validité de l’acte n’est subordonnée à l’accomplissement d’aucune formalité, ce qui signifie que le non-respect des conditions de formes usuelles n’est jamais sanctionné par la nullité du contrat. Le respect des conditions de formes est seulement exigé ad probationem.

V) Les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion

L’article 1110 du Code civil définit le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion, l’un étant conçu comme le symétrique de l’autre.

?Exposé de la distinction

  • Le contrat de gré à gré
    • Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont négociables entre les parties.
    • Ainsi, dans le contrat de gré à gré, les parties sont libres de discuter chacune des stipulations contractuelles.
    • Les parties se trouvent sur un pied d’égalité, ce qui n’est pas le cas dans un contrat d’adhésion.
    • A l’examen, le critère distinctif pertinent entre le contrat de gré à gré et le contrat d’adhésion est celui de la négociabilité des stipulations contractuelles et non celui, trop ambigu, de leur libre négociation.
    • Ce critère présente l’avantage d’assurer une cohérence avec le dispositif instauré à l’article 1171 du Code civil.
    • Pour mémoire, cette disposition qui prohibe « tout déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat », soit plus communément les clauses abusives, n’est applicable qu’aux seuls contrats d’adhésion.
    • D’où l’enjeu de bien les distinguer des contrats de gré à gré qui, en principe, sont conçus comme leur symétrique.
    • Le législateur en a tiré la conséquence lors de l’adoption de loi du 20 avril 2018 portant ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 qu’il convenait de substituer l’assertion « librement négociées » par le terme « négociables », ce qui marque l’adoption d’un nouveau critère de distinction.
  • Le contrat d’adhésion
    • La notion doctrinale de contrat d’adhésion, dégagée au début du XXème siècle par Raymond Saleilles et fondée sur l’idée que, dans certains contrats, la volonté d’une partie peut imposer à l’autre l’essentiel du contenu du contrat – notion doctrinale qui n’avait pas jusqu’à présent de réelle portée dans le droit positif français.
    • Aussi, la définition du contrat d’adhésion permet d’asseoir le mécanisme de lutte contre les clauses abusives, prévu à l’article 1171, lequel ne concerne que cette forme de contrat.
    • Dans le cours de l’élaboration de l’ordonnance du 10 février 2016, le cantonnement de ce mécanisme aux contrats d’adhésion a permis de limiter les inquiétudes qu’avaient fait naître l’introduction dans le droit commun, marqué par l’égalité des parties, d’un dispositif inspiré de droits spéciaux connaissant des contrats plus structurellement déséquilibrés, en droit de la consommation et en droit des relations commerciales.
    • Le contrat d’adhésion est désormais défini comme « celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ».
    • Dans le contrat d’adhésion l’une des parties impose sa volonté à son cocontractant, sans que celui-ci soit en mesure de négocier les stipulations contractuelles qui lui sont présentées
    • Le contrat d’adhésion est valable dès lors que la partie qui « adhère » au contrat, y a librement consenti et que le contrat satisfait à toutes les exigences prescrites par la loi (capacité, objet, contrepartie).
    • Dans sa version initiale, l’article 1110 du Code civil faisait référence pour définir le contrat d’adhésion, non pas à « un ensemble de clauses non négociables » mais aux « conditions générales, soustraites à la négociation ».
    • Il a été relevé lors des débats parlementaires que le recours à la notion de conditions générales créait une incertitude, car celle-ci n’est pas définie, quand bien même elle est susceptible d’évoquer des notions connues dans certains droits particuliers.
    • Certes, l’article 1119 du code civil évoque lui aussi les conditions générales, mais dans une autre perspective :
      • Soit dans le cadre d’une distinction entre conditions générales et conditions particulières
      • Soit dans le cadre d’une incompatibilité entre les conditions générales de chaque partie
    • Toutefois, cet article ne permet guère d’éclairer la définition du contrat d’adhésion sur la base du critère des conditions générales.
    • Aussi, le législateur a-t-il finalement décidé de substituer la notion de « conditions générales », par la formule « ensemble de clauses non négociables ».
    • La notion d’ensemble de clauses non négociables laisse au juge une latitude suffisante pour apprécier la nature du contrat soumis à son examen, sans créer pour autant de trop grandes incertitudes, à la différence du recours à la notion de conditions générales.

?Intérêt de la distinction

L’intérêt de la distinction entre les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion tient à deux éléments :

  • La sanction des clauses abusives en droit commun
    • Jusqu’à l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, les règles relatives aux clauses abusives étaient énoncées à l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation, devenu, depuis l’entrée en vigueur de la réforme des obligations, l’article L. 212-1 du même Code.
    • On en déduisait que cette règle n’était applicable qu’aux seules relations entre professionnels et consommateurs. Le bénéfice de ce dispositif ne pouvait, en conséquence, être invoqué que par un consommateur ou un non-professionnel, notions dont les définitions ont fait l’objet, tant en jurisprudence qu’en doctrine, d’âpres discussions.
    • Désormais, ce cantonnement de la lutte contre les clauses abusives aux seuls contrats conclus par des consommateurs est révolu.
    • L’ordonnance du 10 février 2016 a inséré dans le Code civil un nouvel article 1171 qui prévoit que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. »
    • Bien que ce texte ne reprenne pas expressément le terme « clause abusive », c’est bien de cela dont il s’agit.
    • Le champ d’application de cette disposition a toutefois été cantonnée aux seuls contrats d’adhésion.
    • Ce cantonnement a été instaurée, selon le rapport au Président de la République « afin de répondre aux inquiétudes des représentants du monde économique, craignant une atteinte à la sécurité des transactions entre partenaires commerciaux et à l’attractivité du droit français ».
    • Il en résulte que les déséquilibres significatifs rencontrés dans un contrat de gré à gré qui relève du droit commun échappent à la sanction posée instituée à l’article 1171 du Code civil.
  • L’interprétation du contrat
    • Le second intérêt de la distinction entre les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion s’évince de la règle posée à l’article 1190 du Code civil qui envisage des approches d’interprétation différentes pour ces deux catégories de contrats
    • Cette disposition prévoit, en effet, « dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé. »
    • L’article 1190 est, manifestement, directement inspirée de l’ancien article 1162 du Code civil qui prévoyait que « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation »
    • À la différence de l’article 1162, l’article 1190 distingue désormais selon que le contrat est de gré à gré ou d’adhésion:
      • S’agissant du contrat de gré à gré
        • Il ressort de l’article 1190 que, en cas de doute, le contrat de gré à gré doit être interprété contre le créancier
        • Ainsi, lorsque le contrat a été librement négocié, le juge peut l’interpréter en fonction, non pas de ses termes ou de l’utilité de la clause litigieuse, mais de la qualité des parties.
        • Au fond, cette règle repose sur l’idée que, de par sa qualité de créancier, celui-ci est réputé être en position de force par rapport au débiteur.
        • Dans ces conditions, aux fins de rétablir l’équilibre, il apparaît juste que le doute profite au débiteur.
        • Il peut être observé que, sous l’empire du droit ancien, l’interprétation d’une clause ambiguë a pu conduire la Cour de cassation à valider la requalification de cette stipulation en clause abusive (Cass. 1er civ. 19 juin 2001, n°99-13.395).
        • Plus précisément, la première chambre civile a estimé, après avoir relevé que « la clause litigieuse, était rédigée en des termes susceptibles de laisser croire au consommateur qu’elle autorisait seulement la négociation du prix de la prestation [qu’en] affranchissant dans ces conditions le prestataire de services des conséquences de toute responsabilité moyennant le versement d’une somme modique, la clause litigieuse, qui avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, était abusive et devait être réputée non écrite selon la recommandation n° 82-04 de la Commission des clauses abusives »
      • S’agissant du contrat d’adhésion
        • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
        • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
        • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties (art. 1110, al. 2 C. civ.)
        • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
        • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.
        • Cette règle n’est pas isolée
        • L’article L. 211-1 du Code de la consommation prévoit que
          • D’une part, « les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs doivent être présentées et rédigées de façon claire et compréhensible. »
          • D’autre part, « elles s’interprètent en cas de doute dans le sens le plus favorable au consommateur. Les dispositions du présent alinéa ne sont toutefois pas applicables aux procédures engagées sur le fondement de l’article L. 621-8. »
        • Dans un arrêt du 21 janvier 2003, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « selon ce texte applicable en la cause, que les clauses des contrats proposés par les professionnels aux consommateurs ou aux non-professionnels s’interprètent, en cas de doute, dans le sens le plus favorable au consommateur ou au non-professionnel » (Cass. 1ère civ. 21 janv. 2003, n°00-13.342 et 00-19.001)
        • Il s’agit là d’une règle d’ordre public.
        • La question que l’on est alors légitimement en droit de se poser est de savoir s’il en va de même pour le nouvel article 1190 du Code civil.

VI) Les contrats cadre et les contrats d’application

  • Exposé de la distinction (art. 1111 C.civ.)
    • Le contrat cadre
      • Le contrat cadre est un accord par lequel les parties conviennent des caractéristiques générales de leurs relations contractuelles futures.
    • Les contrats d’applications
      • Les contrats d’application précisent les modalités d’exécution d’un contrat cadre

VII) Les contrats à exécution instantanée et les contrats à exécution successive

?Exposé de la distinction (art. 1111-1 C. civ.)

  • Le contrat à exécution instantanée
    • Le contrat à exécution instantanée est celui dont les obligations peuvent s’exécuter en une prestation unique
    • Le contrat à exécution instantanée crée des obligations dont l’exécution s’effectue immédiatement, dans un trait de temps
      • Exemple : le contrat de vente
  • Le contrat à exécution successive
    • Le contrat à exécution successive est celui dont les obligations d’au moins une partie s’exécutent en plusieurs prestations échelonnées dans le temps.
    • L’exécution de ce type de contrat s’étire dans le temps.
    • La durée est une caractéristique essentielle du contrat à exécution successive
      • Exemple : le contrat de bail

?Intérêt de la distinction

  • Les effets de la nullité et de la résolution du contrat
    • En matière de contrat à exécution instantanée, la nullité et la résolution opèrent rétroactivement
    • En matière de contrat à exécution successive, la nullité et la résiliation sont dépourvues de rétroactivité, à tout le moins celle-ci demeure très limitée
      • Nb : en matière de contrat à exécution successive on parle de résiliation et non de résolution, cette sanction étant réservée aux contrats à exécution instantanée

L’engagement unilatéral de volonté

I) Définition

L’engagement unilatéral de volonté se définit comme l’acte juridique par lequel une personne s’oblige seule envers une autre

II) Distinction engagement unilatéral / acte unilatéral / contrat unilatéral

L’engagement unilatéral de volonté se distingue, tant de l’acte juridique unilatéral, que du contrat unilatéral :

  • L’acte juridique unilatéral n’est jamais générateur d’obligations
    • Il ne produit que quatre sortes d’effets de droit :
      • Un effet déclaratif : la reconnaissance
      • Un effet translatif : le testament
      • Un effet abdicatif : la renonciation, la démission
      • Un effet extinctif : la résiliation
  • Le contrat unilatéral est quant à lui générateur d’obligations.
    • Dans le contrat unilatéral une seule partie s’oblige
    • Toutefois, comme n’importe quel contrat, sa validité est subordonnée à la rencontre des volontés.
    • Il en résulte que pour être valablement formé, la prestation à laquelle s’oblige le débiteur doit être acceptée par le bénéficiaire de l’obligation ainsi créée.
    • Exemple : la donation
  • L’engagement unilatéral de volonté
    • À la différence de l’acte juridique unilatéral, l’engagement unilatéral de volonté est générateur d’obligation
    • À la différence du contrat unilatéral, la validité de l’engagement unilatéral de volonté n’est pas subordonnée à l’acceptation du créancier de l’obligation

III) Position du problème

La question qui se pose est de savoir si une personne peut, par l’effet de sa seule volonté, s’obliger envers une autre, sans qu’aucune rencontre des volontés ne se réalise

Ainsi, une obligation peut-elle naître en dehors de la loi et de tout concours de volontés ?

Au fond, la question qui se pose est de savoir, si une promesse peut obliger son auteur envers son bénéficiaire ? Si oui, dans quelle mesure ?

Deux thèses s’affrontent :

  • Arguments contre l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Silence du Code civil
      • Le Code civil ne reconnaît pas l’engagement unilatéral de volonté comme source obligation, alors qu’il vise expressément la loi, les contrats et quasi-contrats ainsi que les délits et quasi-délits
    • Absence de créancier
      • Adhérer à la thèse de l’engagement unilatéral de volonté revient à admettre qu’une obligation puisse naître en l’absence de créancier
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • L’engagement unilatéral de volonté ne peut pas être source d’obligation, car cela supposerait que le promettant puisse, corrélativement, par le seul effet de sa volonté se dédire.
      • Or si on l’admettait, cela reviendrait, in fine, à priver l’engagement unilatéral de tout caractère obligatoire.
      • L’effet recherché serait donc neutralisé
  • Arguments pour l’admission de l’engagement unilatéral de volonté comme source d’obligation
    • Cas particuliers reconnus par la loi
      • Le silence du Code civil n’est en rien un argument décisif, dans la mesure où, dans certaines hypothèses, la loi reconnaît que la seule volonté de celui qui s’engage puisse être source d’obligation :
        • L’émission de titres au porteur engage le signataire par l’effet de sa seule volonté envers tous les porteurs subséquents
        • L’offrant a l’obligation de maintenir son offre :
          • pendant une durée raisonnable si elle n’est assortie d’aucun délai
          • jusqu’à l’échéance du délai éventuellement fixé
        • En acceptant la succession, l’héritier s’oblige seul au passif successoral
        • Le gérant d’affaires doit satisfaire à certaines obligations, lorsque, sans en avoir reçu l’ordre, il agit pour le compte du maître de l’affaire
        • Possibilité pour un entrepreneur d’instituer par l’effet de sa seule volonté une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL).
    • Existence d’un créancier potentiel
      • L’obligation créée par l’engagement unilatéral n’est pas dépourvue de créancier : il s’agit du bénéficiaire de l’engagement, lequel est susceptible de se prévaloir de dudit engagement auquel s’est obligé le promettant
    • Caractère non obligatoire de l’engagement unilatéral
      • Si l’accord qui résulte de la rencontre des volontés revêt un caractère obligatoire, c’est grâce à la loi qui lui confère cette force par l’entremise de l’article 1103 C. civ (ancien article 1134, al. 1er C. civ)
      • Ainsi, rien n’empêche que la loi confère à l’engagement unilatéral pareille force obligatoire, le rendant alors irrévocable, au même titre qu’un engagement contractuel.

IV) Reconnaissance jurisprudentielle

La jurisprudence ne répugne pas à admettre que par l’effet de sa seule volonté, celui qui s’engage puisse s’obliger.

==>Transformation d’une obligation naturelle en obligation civile

Si, par principe, l’obligation naturelle n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée, il n’en va pas de même lorsque son débiteur s’engage volontairement à exécuter ladite obligation.

Ainsi la jurisprudence considère-t-elle que celui qui promet d’exécuter une obligation naturelle s’engage irrévocablement envers le bénéficiaire, sans qu’il soit besoin qu’il accepte l’engagement.

La Cour de cassation considère en ce sens que : « la transformation improprement qualifiée novation d’une obligation naturelle en obligation civile, laquelle repose sur un engagement unilatéral d’exécuter l’obligation naturelle, n’exige pas qu’une obligation civile ait elle-même préexisté à celle-ci » (Cass. 1ère civ. 10 oct. 1995, n°93-20.300).

Elle a, par suite, réaffirmé sa position dans un arrêt du 21 novembre 2006 aux termes duquel elle a jugé que la « manifestation expresse de volonté » d’un chirurgien de restituer des honoraires à son associé, suivie de plusieurs remboursements des honoraires perçus pendant la période d’association de cinq ans, l’obligeait dans la mesure où l’engagement pris s’analysait en « une obligation naturelle qui s’est muée en obligation civile » (Cass. 1re civ., 21 nov. 2006, n°04-16.370).

==>Les engagements pris par l’employeur envers ses salariés

La Cour de cassation a estimé dans une décision remarquée que l’engagement unilatéral pris par un employeur envers ses salariés l’obligeait (Cass. soc., 25 nov. 2003, n° 01-17.501).

==>Les engagements pris par le cessionnaire d’une entreprise en difficulté

La Cour de cassation considère que la cessionnaire d’une société dans le cadre d’une procédure collective doit satisfaire à ses engagements pris unilatéralement (Cass. com., 28 mars 2000, n°98-12.074)

==>Les promesses de gains faites dans le cadre de loteries publicitaires

  • Exposé du cas de figure
    • Une personne reçoit d’une société de vente par correspondance un avis lui laissant croire qu’il a gagné un lot qui, le plus souvent, sera une somme d’argent.
    • Lorsque toutefois, cette personne réclame son gain auprès de l’organisateur de la loterie publicitaire, elle se heurte à son refus.
    • Il lui est opposé qu’elle ne répond pas aux conditions – sibyllines – figurant sur le document qui accompagnant le courrier.
  • Évolution de la position de la Cour de cassation
    • Première étape
      • La Cour de cassation retient la responsabilité de l’organisateur de la loterie publicitaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Cass. 2e civ. 3 mars 1988, n°86-17.550)
        • Critique :
          • Préjudice difficile à caractériser (si le consommateur ne gagne pas, il ne perd pas non plus)
    • Deuxième étape
      • La Cour de cassation reconnaîtra ensuite l’existence d’un engagement unilatéral de volonté pour condamner l’organisateur de la loterie (Cass. 1ère civ., 28 mars 1995, n°93-12.678)
        • Critique :
          • La fermeté de la volonté de s’engager fait ici clairement défaut
    • Troisième étape
      • La Cour de cassation s’appuie plus tard sur les principes de la responsabilité contractuelle afin d’indemniser la victime (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-12.075)
        • Critique :
          • Volonté de s’engager de l’organisateur de la loterie difficilement justifiable
    • Quatrième étape
      • Pour mettre un terme au débat, la Cour de cassation a finalement estimé, dans un arrêt du 6 septembre 2002, au visa de l’article 1371 C. civ (ancien) que, dans la mesure où « les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l’homme dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers », il en résulte que « l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer » (Cass., ch. mixte, 6 sept. 2002, 98-22.981)
        • Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :
          • La promesse de gain faite à une personne oblige son auteur, par le jeu d’un quasi-contrat, à exécuter son engagement, dès lors que n’est pas mise en évidence l’existence d’un aléa
          • La promesse de gain ne constitue pas, en soi, un engagement unilatéral de volonté. À tout le moins, la figure de l’engagement unilatéral ne permet pas de rendre compte de cette manœuvre.
          • La promesse de gain s’apparente, en réalité, à un quasi-contrat
          • Reconnaissance d’une nouvelle catégorie de quasi-contrat
        • Critiques
          • Classiquement, le quasi-contrat s’apparente à un fait licite. Or les promesses fallacieuses de gain sont des faits illicites.
          • Les quasi-contrats ont pour finalité de restaurer un équilibre patrimonial injustement rompu. Or tel n’est pas le cas, s’agissant d’une promesse de gain. L’organisateur de la loterie ne reçoit aucun avantage indu de la part du consommateur. Aucun équilibre patrimonial n’a été rompu.
          • Cette jurisprudence a pour effet de porter atteinte à la cohérence de la catégorie des quasi-contrats

V) Consécration légale

L’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations introduit l’engagement unilatéral de volonté dans le nouvel article 1100-1 du Code civil.

Cette disposition prévoit désormais que « Les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux. »

Le rapport du Président de la République dont est assortie l’ordonnance du 10 février 2010 nous indique que « en précisant que l’acte juridique peut être conventionnel ou unilatéral, [cela] inclut l’engagement unilatéral de volonté, catégorie d’acte unilatéral créant, par la seule volonté de son auteur, une obligation à la charge de celui-ci. »

Ainsi, l’engagement unilatéral de volonté peut-il, désormais, être pleinement rangé parmi les sources générales d’obligations, aux côtés de la loi, du contrat, du quasi-contrat, du délit et du quasi-délit.

Toutefois, une question demeure : quel régime juridique appliquer à l’engagement unilatéral de volonté ?

L’ordonnance du 10 février 2016 ne prévoit rien, de sorte qu’il convient de se tourner vers les principes fixés par la jurisprudence

VI) Conditions d’application

Pour que l’engagement unilatéral de volonté soit générateur d’obligations cela suppose la satisfaction de trois conditions cumulatives :

  • La reconnaissance d’une force obligatoire à l’engagement unilatéral de volonté ne peut se faire qu’à titre subsidiaire
    • Autrement dit, il ne faut pas que puisse être identifiée une autre source d’obligations, telle un contrat, un quasi-contrat ou un délit.
  • L’engagement unilatéral de volonté n’est qu’une source « d’appoint »[1].
  • Pour être source d’obligation, l’engagement unilatéral doit être le fruit d’une volonté ferme, précise et éclairée. Il doit être dépourvu de toute ambiguïté quant à la volonté de son auteur de s’obliger.